Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 1 novembre 2004

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 16.

5 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, pouvez-vous appeler le numéro

6 de l'affaire, s'il vous plaît.

7 M. LE GREFFIER : Affaire numéro IT-01-47-T, le Procureur contre Enver

8 Hadzihasanovic et Amir Kubura.

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier. Je me tourne vers les

10 représentants de l'Accusation.

11 M. MUNDIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

12 Bonjour, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, Mesdames,

13 Messieurs. Pour le Procureur, Tecla Henry-Benjamin, Daryl Mundis et Andres

14 Vatter, notre commis aux audiences.

15 M. LE JUGE ANTONETTI : Je me tourne vers les avocats dans une nouvelle

16 composition.

17 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

18 Monsieur les Juges. Aujourd'hui, représentant Enver Hadzihasanovic, Edina

19 Residovic, Muriel Cauvin, notre assistante juridique et M. Demirdjian,

20 notre assistant juridique.

21 M. LE JUGE ANTONETTI : Je me tourne vers les autres avocats.

22 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

23 Monsieur les Juges. Rodney Dixon, Fahrudin Ibrisimovic et Nermin Mulalic,

24 représentant ici M. Amir Kubura.

25 M. LE JUGE ANTONETTI : Pour cette audience du mois de novembre, je salue

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1 toutes les personnes présentes, les représentants de l'Accusation, les

2 avocats, les accusés ainsi que tout le personnel de cette salle d'audience,

3 en pensant spécialement aux interprètes qui, vendredi, ont bien voulu joué

4 les prolongations. J'espère qu'aujourd'hui, nous remplirons le temps qui

5 nous était imparti.

6 Je crois que, Monsieur le Greffier, vous avez des annonces à faire

7 concernent les pièces dont le versement avait été demandé. Je vous donne la

8 parole pour les numéros.

9 Oui, le Défenseur.

10 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président. Vu que, jeudi, nous

11 allons travailler en ayant une audience très prolongée, la Défense n'a pas

12 eu l'occasion de proposer le versement au dossier de nos pièces. Si vous

13 m'y autorisez, je tiens à le faire maintenant.

14 Halim Husic, notre témoin, s'est vu présenter huit documents. Ces documents

15 figurent sur la liste dressée par la Défense, et trois documents qui ont

16 déjà été versés au dossier en tant que pièces à conviction en l'espèce. Sur

17 les huit documents, il y en a un certain nombre qui ont été composés ou

18 constitués par ce témoin lui-même. Quant à d'autres, il est courant d'eux

19 parce qu'il a été témoin des événements qui sont décris dans ces documents.

20 Il a reconnu un certain nombre de documents d'après les faits dont il avait

21 connaissance dans les années 1992 et 1993. Par conséquent, nous proposons

22 le versement au dossier des pièces 0528, 0572, 0588, 0915, 0918, 1010, 1043

23 ainsi que 1368. Merci.

24 M. LE JUGE ANTONETTI : Je me tourne vers l'Accusation.

25 M. MUNDIS : [interprétation] L'Accusation n'a pas d'objection à soulever,

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1 Monsieur le Président.

2 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier.

3 M. LE GREFFIER : Merci. Monsieur le Président, les documents sont versés au

4 dossier sous les références suivantes : DH528, ainsi que sa version

5 anglaise DH528-E; DH572, version anglaise également jointe DH572-E; DH588,

6 avec sa version anglaise DH588-E; DH915, version anglaise également versée

7 au dossier sous le cote DH915-E; DH918, version anglaise DH918-E; DH1010,

8 version anglaise DH1010-E; DH1043, version anglaise DH1043-E; enfin DH1368,

9 version anglaise DH1368-E.

10 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier. Nous avons note du

11 versement de la procédure de ces huit documents référenciés ainsi vous

12 l'avez indiqué.

13 S'il n'y a plus de demande de versements, nous allons passer à la

14 prestation de serment du témoin expert. Je vais demander à

15 M. l'Huissier d'aller chercher le témoin expert.

16 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

17 M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour, Monsieur. Je vais d'abord vérifier que vous

18 entendez bien mes propos dans votre langue. Si c'est le cas, dites : je

19 vous entends.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous entends.

21 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous ai entendu, mais je n'ai pas entendu

22 l'interprétation. Répétez que vous m'entendez dans votre langue, et je vais

23 écouter l'interprétation. Pour le moment, je n'entends rien.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'ai entendu.

25 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez cité comme témoin expert par la Défense.

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1 Avant de vous faire prêter serment, je me dois de vous identifier. Pour ce

2 faire, je vous demande de me donner votre nom, prénom, date de naissance et

3 lieu de naissance.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Zijad Sehic. Je suis

5 universitaire ayant soutenu une thèse de troisième cycle. J'enseigne à la

6 Faculté des lettres de Sarajevo, où j'enseigne l'histoire générale et

7 l'histoire contemporaine.

8 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle est votre date de naissance et lieu de

9 naissance ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis né le 23 octobre 1959 à Mrkonjic Grad

11 en Bosnie-Herzégovine.

12 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci. Avez-vous déjà témoigné devant un tribunal

13 international ou à un tribunal national en qualité d'expert ou c'est la

14 première fois que vous témoigné ?

15 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est la première fois que je témoigne

16 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Je vais demander à

17 M. l'Huissier de vous donner la prestation de serment.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

19 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

20 LE TÉMOIN: ZIJAD SEHIC [Assermenté]

21 [Le témoin répond par l'interprète]

22 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous pouvez vous asseoir. Monsieur, avant de donner

23 la parole à la Défense qui va vous posez des questions sur la teneur même

24 de votre rapport d'expertise que nous avons eu, je vais vous fournir

25 quelques éléments d'information afin de vous permettre de répondre le mieux

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1 possible aux questions qui vous seront posées tant par la Défense que par

2 l'Accusation, voire par le Juge.

3 Vous êtes ici en qualité d'expert. Il vous a été demandé par les Défenseurs

4 de rédiger un rapport sur le contexte historique de la Bosnie-Herzégovine,

5 et ainsi de donner aux Juges des informations sur l'histoire et les

6 événements qui se sont déroulés, notamment, dans les années 1990 à 1995.

7 Pour ce faire, vous avez produit un rapport que nous avons avec des annexes

8 nombreuses. Vous allez devoir, dans le cadre de cette procédure, très

9 "common law", répondre à des questions qui vont vous être posées par les

10 Défenseurs sur la teneur de votre rapport d'expertise. L'Accusation pourra,

11 dans le cadre du contre-interrogatoire, vous poser également des questions

12 sur le teneur de ce rapport, et les trois Juges qui sont devant vous, s'ils

13 l'estiment nécessaire, vous poseront également des questions.

14 Vous êtes dans la situation d'un témoin expert. Vous n'êtes pas un témoin

15 de fait, mais vous êtes là en qualité d'historien. Vous avez prêté serment

16 de dire toute la vérité, ce qui implique, évidemment, de votre part, de

17 répondre le mieux possible aux questions qui vous sont posées sans

18 travestir la vérité. Mais il va de soit qu'un expert ne ment pas. Dans le

19 cas où une Chambre serait amenée à constater que vous disiez un mensonge,

20 sachez qu'il y a une infraction de faux témoignage. Au fond, jusqu'à

21 présent, cela ne s'est jamais vu.

22 Voilà comment va se dérouler votre audition. Essayez de répondre le mieux

23 possible aux questions qui vont vous être posées par les Défenseurs. En

24 tout état de cause, nous avons votre rapport écrit, ce qui nous permettra,

25 évidemment, de mieux suivre vos réponses. Le but étant de nous apporter un

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1 éclairage sur le contexte de cette région, contexte historique, politique,

2 économique, voire sociale sur cette région.

3 Si vous avez une difficulté quelconque au cours des questions, n'hésitez

4 pas à nous en faire part dans la mesure où nous pourrions les résoudre.

5 Nous sommes là pour cela.

6 Voilà, de manière très générale, comment va se dérouler cette journée qui

7 est totalement consacrée à votre audition.

8 Je vais donner la parole aux avocats qui vont entamer l'interrogatoire.

9 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

10 Interrogatoire principal par Mme Residovic :

11 Q. [interprétation] Bonjour, Dr Sehic.

12 R. Bonjour.

13 Q. Monsieur le Président de la Chambre de première instance vient de vous

14 donner un certain nombre d'instructions sur la manière dont nous allons

15 vous interroger. Avant de commencer avec ma première question, je voudrais

16 vous avertir d'un petit point : Nous parlons la même langue, et vous auriez

17 tendance à me répondre immédiatement après avoir entendu ma question;

18 cependant, je vous demanderais de bien vouloir patienter un petit peu pour

19 donner la possibilité aux interprètes d'interpréter ma question pour que la

20 Chambre ainsi que nos collègues présents dans le prétoire puissent

21 comprendre le sujet de notre entretien. M'avez-vous bien compris ?

22 R. Oui.

23 Q. Docteur Sehic, s'il vous plaît, pourriez-vous, à l'intention de la

24 Chambre de première instance, préciser brièvement quel a été votre parcours

25 professionnel, quels sont les titres que vous avez ?

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1 R. Je suis né le 23 octobre 1959 à Mrkonjic Grad en Bosnie-Herzégovine.

2 C'est là que j'ai fait mon école primaire ainsi que l'école secondaire. Je

3 me suis inscrit à la Faculté des lettres à la chaire de l'histoire. C'était

4 en 1978 que j'ai commencé mes études. Je suis sorti diplômé de la faculté

5 en 1982. Après avoir fait mon service militaire, je me suis inscrit en

6 troisième cycle, et j'ai terminé ce cycle-là en 1991. Je suis devenu

7 magistère en soutenant ma thèse, dont le titre était : "La crise d'annexion

8 entre 1908 et 1909, à la lumière de l'historiographie européenne."

9 Q. Merci. En ce moment, quels sont vos titres ou vos fonctions

10 universitaires ?

11 R. Je suis employé à la faculté des lettres de Sarajevo. J'enseigne

12 l'histoire générale, moderne et contemporaine.

13 Q. En plus de ces obligations que vous avez à la faculté dans le cadre de

14 votre travail, en tant que docteur de l'histoire, n'avez-vous jamais exercé

15 des fonctions qui seraient liées à votre profession ?

16 R. Oui. J'ai participé à l'élaboration de plusieurs projets dont certains

17 se sont terminés. Avant tout, il y avait un projet qui s'inscrivait dans le

18 cadre d'un projet plus important, plus large. J'étais le représentant de la

19 Bosnie-Herzégovine dans le cadre d'un projet portant sur l'Europe du sud-

20 est dans le cadre de l'histoire générale européenne. Ce projet était

21 chapeauté par un professeur de Vienne. En plus, aujourd'hui, je suis membre

22 d'une commission d'Etat, chargé de la Rédaction des manuels d'histoire ou

23 de déterminer les lignes directrices pour la rédaction de ceci.

24 En outre, je fais de la recherche. J'ai publié et je publie toujours les

25 résultats de mes recherches. J'ai plusieurs publications à mon actif.

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1 Q. Docteur Sehic, avez-vous publié des livres, des manuels, des

2 publications scientifiques ? Si oui, où ?

3 R. Pour ce qui est des travaux que j'ai publiés, j'ai publié un livre avec

4 le professeur, Dr Ibrahim Tepic. C'est l'atlas historique de la Bosnie-

5 Herzégovine; "Bosnie-Herzégovine sur les cartes géographiques et

6 historiques." Tel est le titre. Je l'ai publié en 2002. Il est traduit en

7 anglais, en allemand, et sera rapidement bientôt publié. Par ailleurs, je

8 suis auteur d'environ une trentaine de travaux de textes scientifiques. Je

9 suis aussi auteur de sept manuels en tout, d'histoire, et de livres

10 d'études pour des écoles primaires et secondaires.

11 Q. Docteur Sehic, aurais-je raison de dire qu'au cours de ces 15 dernières

12 années de votre travail, vous vous êtes essentiellement penché sur

13 l'histoire de la Bosnie-Herzégovine ?

14 R. Oui, ce serait exact. Ce serait même peut-être plus que 15 ans la

15 période que j'ai passée à m'intéresser à l'histoire de la Bosnie-

16 Herzégovine.

17 Q. Merci. Docteur Sehic, à présent, je vous demanderais de m'expliquer

18 pour quelle raison vous avez fait l'expertise qui fera l'objet de notre

19 conversation aujourd'hui devant cette Chambre de première instance.

20 R. Au mois d'octobre - je pense que c'était début octobre - je suis entré

21 en contact avec les conseils de la Défense dans l'affaire qui concerne le

22 général Hadzihasanovic et le général de brigade Kubura. Au fond, après

23 avoir pris connaissance de ce qui devrait constituer l'objet de mon

24 expertise, j'ai donné mon aval. J'ai accepté, mais, à ce moment-là, j'avais

25 une bourse d'études qui a entraîné un séjour prolongé de ma part en

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1 Allemagne. Je me suis dit que, dès que je serais de retour d'Allemagne,

2 j'allais, sans aucun doute, prendre part aux travaux portant sur cette

3 expertise.

4 Q. Quelle est l'exigence que la Défense a formulée à votre intention

5 lorsqu'elle vous a demandé si vous étiez en mesure de faire cela en plus de

6 vos autres obligations professionnelles ?

7 R. La tâche principale qui m'a été confiée consistait à me demander de

8 présenter la diplomatie internationale et son impact sur les événements

9 politiques et, ultérieurement, militaires, bien entendu, en Bosnie-

10 Herzégovine, et ce, pendant les années 1992 et 1993. Mais, par la suite,

11 ceci a été élargi, et il a fallu aussi chercher à répondre à la question

12 qui concernait le rapport de la population en Bosnie-Herzégovine envers son

13 héritage culturel.

14 Q. Docteur Sehic, en plus de ces deux questions précises, votre expertise,

15 et ce, sur demande de la Défense, devait-elle porter aussi sur le contexte

16 historique général qui a influé sur la position passée et présente de la

17 Bosnie-Herzégovine.

18 R. Oui. En fait, c'était ma tâche principale lorsqu'il a fallu que je

19 m'appelle à la rédaction de cette expertise. Il a fallu fournir un contexte

20 historique pour y placer les événements qui sont mentionnés dans l'acte

21 d'accusation de l'espèce.

22 Q. Fort bien. Monsieur Sehic, pourriez-vous dire à la Chambre de première

23 instance quelles ont été les sources sur lesquelles vous vous êtes fondées

24 pour rédiger votre expertise.

25 R. Pendant très longtemps je me suis intéressé à l'histoire de la Bosnie-

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1 Herzégovine et j'ai eu des séjours prolongés en République fédérale

2 d'Allemagne. Je me suis fondé sur des textes de sources variées,

3 différentes. J'ai fait des recherches sur ces textes et publications depuis

4 1992 jusqu'à aujourd'hui. Pour le reste, les éléments importants pour qu'on

5 puisse comprendre l'histoire ou le contexte historique qui concerne ces

6 événements, ce sont des résultats de mes recherches menées depuis de

7 longues années, des recherches portant sur le territoire de l'ex-

8 Yougoslavie. Ce sont des publications scientifiques. Ce sont mes

9 participations à des colloques ou des séminaires scientifiques. J'ai eu, en

10 plus, le privilège d'être boursier à plusieurs reprises à l'extérieur de la

11 Bosnie-Herzégovine, ce qui m'a permis de voir quels sont les travaux qui

12 ont été faits sur le même sujet à l'extérieur, et quelles sont les

13 publications pertinentes.

14 En plus, au moment où j'ai commencé à travailler sur cette expertise,

15 le bureau de la Défense a mis à ma disposition les archives. Tout d'abord,

16 c'étaient les documents de l'ABiH, ensuite, du conseil croate de la

17 Défense, et j'ai eu accès aux affaires déjà entendues devant ce Tribunal :

18 les affaires Celebici, Blaskic et Kordic. Par conséquent, j'ai pu puiser

19 dans un vaste corpus de documents.

20 Q. Merci. Quelle a été la méthode que vous avez appliquée pendant la

21 rédaction de votre travail ou pendant votre expertise ?

22 R. Pour l'essentiel, j'ai appliqué la méthode qui serait appliquée par

23 tout historien, à savoir, je me suis penché sur des publications de sources

24 variées. En plus, du fait d'avoir puisé dans des sources différentes, j'ai

25 dû aussi appliquer la méthode comparée. Il a fallu comparer ces différents

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1 documents et les vérifier, ce qui est le plus important, vérifier un

2 certain nombre de faits.

3 Q. Docteur Sehic, pour vous en votre qualité d'historien, à votre avis,

4 est-ce qu'il y a un certain nombre de problèmes qui se posent lorsqu'il

5 s'agit d'apprécier les événements qui relèvent de l'histoire très récente ?

6 R. Aux yeux de tout historien, cela pose problème à cause de la théorie

7 bien connue de la distance historique. A tirer des conclusions sur des

8 événements très récents est très souvent difficile. Le piège est de ne pas

9 être suffisamment objectif et de ne pas envisager les faits sous plusieurs

10 angles différents. Une distance historique est la seule qui permet, le plus

11 souvent, donc, il est nécessaire qu'un certain temps s'écoule depuis

12 l'événement pour qu'on puisse arriver à formuler des conclusions.

13 Q. Vous nous avez précisé ce qui a fait l'objet de vos études, à savoir,

14 la période austro-hongroise. Vous nous avez dit ce que vous enseignez

15 aujourd'hui à la faculté. Compte tenu du fait que, dans votre expertise,

16 vous vous êtes intéressé aussi à l'histoire - comment dirais-je - de l'Etat

17 de Bosnie-Herzégovine, j'aimerais savoir si, dans le cadre de cette étude,

18 vous avez recueilli l'avis d'autres chercheurs ou d'autres individus.

19 R. Puisque cela ne représente pas le domaine stricto sensu de mon travail

20 de recherche, et comme cela devait faire partie de cette analyse, j'ai

21 consulté des spécialistes. Avant tout, le professeur,

22 Dr Imamovic Mustafa, qui travaille à la Faculté de droit de Sarajevo.

23 Q. Docteur Sehic, pouvez-vous nous dire ce qu'enseigne le professeur, Dr

24 Mustafa Imamovic ?

25 R. A la Faculté de droit, il enseigne l'histoire de l'Etat et de ces

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1 instances juridiques.

2 Q. Je vous remercie. Puisque vous avez cette expertise sous les yeux,

3 pouvez-vous nous dire si c'est bien le travail que vous avez fait vous-

4 même, et ce, de la manière dont vous venez de le préciser ? Est-ce bien le

5 travail que vous avez fait et fourni à la Défense ?

6 R. Oui, c'est le texte de mon étude, de mon expertise.

7 Q. Pouvez-vous nous dire comment vous avez réparti ce travail; par

8 chapitre ? Quelles sont les parties qui constituent cette expertise ?

9 R. Cette expertise est conçue de la manière suivante : il y a une

10 introduction et sept chapitres. Dans l'introduction, on évoque le contexte

11 général, les informations générales qui concernent la Bosnie centrale; puis

12 suivre sept chapitres qui sont énoncés dans le sommaire et vont du petit

13 "a" au petit "g".

14 Au point (a), l'intitulé : "Le développement historique de la Bosnie-

15 Herzégovine du Xe siècle jusqu'en 1980".

16 Suit la partie (b), qui concerne les principaux processus du

17 démantèlement de la République socialiste fédérative de Yougoslavie de 1980

18 à 1991.

19 La partie (c), la troisième partie, donne les événements politiques

20 en Bosnie-Herzégovine de 1990 à 1992.

21 Le quatrième chapitre, sous la lettre (d), relate les événements

22 militaires et politiques en Bosnie-Herzégovine depuis sa reconnaissance

23 internationale le 6 ou le 7 avril, jusqu'à la fin de cette année-là.

24 Le cinquième chapitre, (e), concerne la Bosnie-Herzégovine et la

25 diplomatie internationale au cours de 1993. Ce chapitre recouvre aussi les

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1 événements politiques en Bosnie-Herzégovine en cette même année.

2 Le sixième chapitre, sous la lettre (f), parle de la Bosnie-

3 Herzégovine en 1994.

4 La dernière question, sous la lettre (g), fait état des relations

5 politiques en Bosnie centrale au cours des années 1992 et 1993.

6 Q. Monsieur Sehic, je vois à côté de vous trois classeurs. Pourriez-vous

7 nous dire de quoi il s'agit et si vous avez remis ces classeurs à la

8 Défense, avec votre expertise.

9 R. Oui. Ces trois classeurs portent sur les documents d'archives et les

10 documents tirés de la littérature utilisée lors de la rédaction de

11 l'expertise. Des documents mentionnés dans l'expertise sont corroborés

12 justement par les documents contenus dans ces classeurs.

13 Q. Docteur Sehic, mis à part le travail de la rédaction de l'expertise du

14 recueil de documents pertinents, avez-vous rédigé un autre document que

15 vous avez remis à la Défense avec l'expertise ?

16 R. Oui, avec l'expertise, j'ai également remis un jeu de 17 documents, à

17 savoir, des cartes historiques afin de permettre de mieux expliquer le

18 contenu de l'expertise et de fournir certaines explications

19 supplémentaires.

20 Q. Pouvez-vous nous dire quelles ont été les sources utilisées afin

21 d'établir cette série de cartes dont vous venez de parler ?

22 R. Afin de présenter cette série de cartes, j'ai eu plusieurs sources

23 parmi lesquelles l'atlas de la Bosnie-Herzégovine, à la préparation duquel

24 j'ai travaillé. Ensuite, j'ai utilisé les cartes qui ont été utilisées dans

25 l'affaire Celebici. Pour ce qui est de la période la plus récente après

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1 l'année 1992, j'ai utilisé la carte utilisée et publiée par le professeur

2 Kasim Begic qui l'a publiée dans son livre : "La Bosnie-Herzégovine depuis

3 l'époque du plan Vance-Owen jusqu'au Dayton."

4 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je souhaite demander à l'Huissier de

5 remettre au témoin la série de cartes. Le Greffe a préparé une photocopie,

6 et les documents peuvent être trouvés à la fin. Tout le monde aura les

7 documents. Nous avons fait cela afin de permettre au témoin de reconnaître

8 ces documents en tant que ses propres documents pour qu'il puisse les

9 utiliser pendant mon interrogatoire principal.

10 L'original a été remis à la Chambre de première instance, et nous, les

11 autres, nous avons tous des photocopies de ces 17 cartes.

12 Q. Monsieur Sehic, s'agit-il du document que vous avez élaboré ?

13 R. Oui, c'est le document que j'ai élaboré. Il s'agit de ces 17 cartes.

14 Q. Merci beaucoup. Monsieur Sehic, je vais vous demander maintenant de

15 passer à la page 5 de votre expertise, qui correspond à la page 5 de la

16 version en anglais.

17 Je vous prie de bien vouloir me dire dans quelle période on commence à

18 trouver des données fiables concernant la Bosnie-Herzégovine, et est-ce que

19 vous pouvez nous dire quel était son statut au XVe siècle ? Veuillez

20 accompagner votre récit par une présentation suivant la carte qui

21 correspond la période en question, à savoir, la carte numéro 1.

22 Il serait peut-être judicieux de la placer sur le rétroprojecteur.

23 Je ne sais pas si les moyens techniques nous permettront de montrer

24 l'intégralité de la carte sur le rétroprojecteur. Merci. Je pense que cela

25 nous suffit comme cela.

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1 Est-ce que vous pouvez répondre à ma question, Monsieur Sehic ?

2 R. En ce qui concerne la question de savoir à quel moment les premières

3 données concernant la Bosnie-Herzégovine ont été établies, on pourrait dire

4 que c'était au milieu du Xe siècle. L'empereur byzantin, Constantin

5 Porphyrogénète, dans son œuvre portant sur la gestion de l'empire,

6 mentionne pour la première fois la Bosnie-Herzégovine, en tant que petit

7 pays avec deux villes, Katera et Desnek.

8 Q. Que représente la carte qui est devant nous ?

9 R. La carte, qui est devant nous, représente les résultats de plusieurs

10 cartes historiques portant sur la période médiévale. Tout d'abord, nous

11 avons la première carte, la carte de la Bosnie originale au cours du Xe

12 siècle. La deuxième carte, dans sa deuxième partie, porte sur la Bosnie-

13 Herzégovine au cours du règne de Ban Kulin.

14 Q. Est-ce que vous pouvez montrer ces lignes sur le rétroprojecteur pour

15 que nous puissions suivre le propos ?

16 R. Voici le territoire. Le troisième territoire, c'est le territoire qui

17 existait au cours du règne de Stjepan Kotromanic. Le quatrième territoire

18 est la Bosnie-Herzégovine au cours du règne du roi Tvrtko.

19 Ici, nous avons le territoire de la Bosnie-Herzégovine au cours du XIVe

20 siècle. C'était l'époque au cours de laquelle la Bosnie-Herzégovine était

21 la plus grande car il faut savoir qu'en 1377, la Bosnie-Herzégovine est

22 devenue un royaume.

23 Q. Monsieur Sehic, est-ce que vous pouvez nous montrer ce que représentent

24 les lignes épaisses sur cette carte ? Ceci représente apparemment des

25 frontières ?

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1 R. Oui. Cette ligne-là représente les frontières actuelles de la Bosnie-

2 Herzégovine. Vous pouvez voir qu'il s'agit là des lignes vertes sur la

3 carte.

4 Q. Merci beaucoup. Est-ce que vous pouvez nous dire maintenant quels

5 changements ont eu lieu sur le territoire de la péninsule des Balkans et de

6 la Bosnie-Herzégovine au milieu du XVe siècle, et quel était le statut de

7 la Bosnie-Herzégovine après ces changements ?

8 Veuillez utiliser la carte suivante.

9 R. Dès la fin du XIVe siècle, avec la bataille de Kosovo, il y a eu des

10 changements car l'Empire ottoman a fait son apparition dans cette partie du

11 monde, et a commencé à être un acteur important dans cette partie,

12 notamment, dans les Balkans.

13 En ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine, ces événements vont avoir une

14 importance particulièrement importante car les ottomans ont fait leur

15 apparition à Zupa, à Bosna dans les années 30 du

16 XVe siècle, où ils ont construit leur fief. Ceci a été le cas jusqu'en 1463

17 lorsque la Bosnie est tombée sous le règne des ottomans.

18 Les Turcs ont continué leur percée vers l'Europe centrale depuis le

19 territoire de la Bosnie-Herzégovine, et la Bosnie-Herzégovine a été

20 organisée en tant qu'unité administrative afin de permettre la suite de la

21 percée des Turcs.

22 Dans ce but, le eyalet [phon], ou ce qu'on appelle également le pashalik

23 bosnien, a été créé en 1570. Nous pouvons voir sur cette carte les

24 frontières de l'eyalet de Bosnie en 1570. Nous pouvons voir que ceci allait

25 jusqu'à Virovitica. Nous pouvons voir que ceci englobait un territoire

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1 beaucoup plus grand par rapport à celui de la Bosnie médiévale.

2 Q. Merci beaucoup, Monsieur Sehic. S'il vous plaît, veuillez examiner

3 maintenant la page 6, les dernières trois phrases dans le texte en langue

4 bosniaque. Il s'agit des neuf dernières lignes dans la version en anglais,

5 à la page 3.

6 Veuillez nous expliquer quel était le principe de vie qui prévalait

7 en Bosnie-Herzégovine pendant des siècles.

8 R. La population était mixte. Nous pouvons dire que, compte tenu de cela,

9 sur le territoire de l'eyalet de Bosnie, une société, que l'on appellerait

10 en temps moderne "société multiethnique", a été créée. Il s'agissait d'une

11 mosaïque multiethnique de la population à laquelle se sont ajoutés les

12 Juifs séfarades, qui sont venus vers le milieu du XVIe siècle. Il faut dire

13 que le principe, qui était en vigueur à l'époque, était celui de cuius

14 regio et eius religio, à l'époque; cependant, la Bosnie constituait une

15 exception. La raison en était le fait, peut-être, qu'en Bosnie-Herzégovine,

16 sur un kilomètre carré, vous pouvez voir des édifices religieux appartenant

17 à tous les groupes religieux. Par exemple, à Sarajevo, dans une partie de

18 la ville qui s'étale sur un kilomètre carré, vous pouvez voir, à la fois,

19 une synagogue juive, une mosquée islamique, une église catholique et une

20 église orthodoxe. La Bosnie représentait une exception par rapport au

21 mouvement européen de l'époque.

22 Q. Merci. Est-ce que vous pouvez nous dire, Monsieur Sehic, de quelle

23 manière ces frontières de l'eyalet de Bosnie, au travers les

24 -- notamment au XVIIIe et XIXe siècles, ont été changées, et comment en est-

25 on arrivé jusqu'aux frontières de la Bosnie-Herzégovine d'aujourd'hui ?

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1 R. Le processus de l'établissement des frontières de la Bosnie-

2 Herzégovine, notamment, les frontières récentes, est un processus très

3 dynamique qui est parfois difficile à suivre dans tous ses détails. Vers la

4 fin du XVIIIe siècle, avec la paix de Karlovac, les frontières ont été

5 établies le long de la rivière Save. Un grand nombre d'accords

6 internationaux ont été enregistrés après des guerres différentes, et les

7 frontières de la Bosnie-Herzégovine ont été enregistrées. Nous avons eu le

8 traité de Karlovac, ensuite, le traité de Pozarevac, le traité de Belgrade

9 en 1739, et cetera. Tous ces changements, qui ont lieu au cours du XVIIIe

10 siècle se sont reflétés également par le biais du congrès de Vienne qui a

11 eu lieu en 1814 et 1815.

12 Les décisions du congrès de Vienne ont, de manière implicite, reconnu

13 les frontières de l'Empire ottoman, y compris pour ce qui est de la

14 péninsule des Balkans. Par ce biais, les frontières de l'eyalet de Bosnie

15 ont également été reconnues de manière implicite.

16 Q. Monsieur Sehic, je souhaite que l'on parle maintenant d'une autre

17 période historique. Il s'agit du contenu de votre expertise, des pages 7 et

18 8 ou page 7 dans la version en anglais. Est-ce que vous pouvez nous dire

19 quelque chose concernant le statut de la Bosnie-Herzégovine au cours du

20 règne de l'Empire austro-hongrois ?

21 R. La Bosnie-Herzégovine a été occupée en 1878, au bout de

22 415 ans d'influence islamique. La Bosnie-Herzégovine s'est ajustée aux

23 influences occidentales. Pour ce qui est de la position légale de la

24 Bosnie-Herzégovine, au cours de l'administration austro-hongroise de 1878 à

25 1918, il y avait plusieurs étapes. La Bosnie était occupée en 1878. Cette

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1 situation a continué jusqu'en 1908, année à laquelle la Bosnie a été

2 annexée. Elle a fini par être annexée à l'Empire austro-hongrois. Jusqu'à

3 cette année-là, le sultan était encore le commandant suprême ou le leader

4 suprême.

5 Des changements importants, malgré tous ces événements, malgré l'annexion,

6 n'ont pas eu lieu par rapport à l'Etat lui-même; sa position juridique est

7 restée la même.

8 La Bosnie-Herzégovine n'appartenait ni à la partie autrichienne, ni à la

9 partie hongroise de la monarchie, mais il était considéré que c'était une

10 partie à part entière de cet empire. C'est la raison pour laquelle les

11 habitants de la Bosnie-Herzégovine n'avaient ni la nationalité

12 autrichienne, ni hongroise, mais ils bénéficiaient d'un statut particulier.

13 Ils étaient considérés comme membres de l'Etat de Bosnie-Herzégovine.

14 Q. Merci.

15 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, puisque le témoin a

16 fourni un certain nombre de documents, la Défense n'a pas l'intention de

17 montrer tous ces documents au témoin. C'est la raison pour laquelle nous

18 avons fait une compilation que nous avons remise à la Chambre de première

19 instance et au Procureur. Je souhaite montrer cette série de documents au

20 témoin. Nous avons marqué ces documents avec les numéros de notre liste des

21 documents. Ceci nous aidera par la suite au moment du versement au dossier

22 de ces documents.

23 Je demanderais maintenant à l'Huissier de nous aider, de montrer cette

24 série de documents au témoin, à mes éminents collègues de l'Accusation, de

25 même qu'à la Chambre de première instance. Nous avons déjà fourni une série

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1 de documents à l'Accusation et à la Chambre de première instance.

2 Q. Monsieur Sehic, dans la première partie, nous avons le document de

3 votre première annexe A. Veuillez simplement nous confirmer que le premier

4 document est bien un extrait de l'atlas historique de la Bosnie-Herzégovine

5 dont vous êtes l'auteur.

6 R. Oui, c'est cela.

7 Q. Le deuxième document, dites-moi, s'il vous plaît, que représente-t-il,

8 et si ceci a un lien avec la position de la Bosnie-Herzégovine pendant le

9 règne ou l'administration de l'Empire austro-hongrois ? Il s'agit du

10 document 0350, qui faisait partie de votre annexe 4 -- A4.

11 R. Il s'agit ici de la constitution terrestre portant sur la Bosnie-

12 Herzégovine de 1909, qui essayait de réguler le statut juridique de Bosnie-

13 Herzégovine. Cette constitution a été adoptée pour la Bosnie-Herzégovine à

14 l'époque. On l'appelait : statut portant sur la Bosnie-Herzégovine à

15 l'époque.

16 Q. Merci. Monsieur Sehic, veuillez nous expliquer qu'est-ce qui a changé

17 en Bosnie-Herzégovine suite à la Première guerre mondiale, et veuillez nous

18 expliquer le contenu de la carte numéro 3.

19 R. La Première guerre mondiale, pour ce qui est des peuples yougoslaves, a

20 infligé beaucoup de souffrance et de destruction, mais, en même temps, ceci

21 a ouvert la porte vers la création d'un Etat commun. L'initiative de la

22 création de ce nouvel Etat est venue surtout du gouvernement et du comité

23 yougoslave.

24 Déjà, au cours de la guerre, il était possible d'entrevoir deux

25 concepts différents de solutions à la question yougoslave. D'un côté, le

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1 territoire administré par la monarchie austro-hongroise devait être,

2 éventuellement, considérée comme une troisième entité en cas de la victoire

3 des puissances centrales. Il y avait une autre solution qui devait être

4 adoptée en cas de la victoire des puissances de l'entente.

5 En 1918, des changements importants ont eu lieu, notamment, vers la fin de

6 la guerre. Cette troisième entité a été formée qui englobait les

7 territoires qui avaient été placés sous l'administration austro-hongroise.

8 Puisque la fin de la guerre approchait et puisque les 14 points, qui

9 faisaient partie de la déclaration du président américain Wilson, portant

10 sur le droit des nations et des peuples et des Etats à disposer d'eux-

11 mêmes, puisque ce document avait déjà été publié, le conseil croate avait

12 coupé ses liens juridiques avec la Hongrie. Après cela, l'Etat des Serbes,

13 Croates et Slovènes a été formé, un Etat qui englobait les zones qui

14 avaient été placées auparavant sous l'administration austro-hongroise.

15 Q. Dr Sehic, est-ce que cela veut dire que la Bosnie-Herzégovine a

16 commencé à faire partie de cet Etat dans son intégralité ?

17 R. Oui. La Bosnie-Herzégovine, dans son intégralité, faisant partie de

18 cette nouvelle entité qui existait ainsi pendant deux mois, jusqu'au 1er

19 décembre 1918, par le biais d'un décret, a été créé le royaume des Serbes,

20 Croates et Slovènes. De toute façon, la Bosnie-Herzégovine avait ses

21 propres représentants dans son Etat, de Slovènes, Croates et Serbes. Elle

22 avait également son assemblée populaire ou le conseil et tous les autres

23 organes de pouvoir.

24 Q. Merci beaucoup. Je souhaite maintenant que vous nous disiez comment les

25 choses ont évolué dans le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, et

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1 quelle était la position de la Bosnie-Herzégovine dans ce royaume,

2 notamment, pour ce qui est de la protection de ses territoires

3 historiques ?

4 R. Il s'agissait d'un moment d'euphorie en 1918, et on avait l'impression

5 que les Slaves du sud s'étaient unifiés. A la fin de l'année 1918, la

6 monarchie Austro-hongroise s'est désintégrée et, sur les ruines de cette

7 monarchie, a été établi le nouveau pays des Serbes, Croates et Slovènes; ce

8 royaume des Serbes, Croates et Slovènes.

9 Q. Veuillez maintenant, s'il vous plaît, examiner la carte 4 et nous

10 expliquer ce que nous voyons sur cette carte.

11 R. Cette carte porte sur la création du royaume des Serbes, Croates et des

12 Slovènes, le 1er décembre 1918. S'agissant du statut de la Bosnie-

13 Herzégovine, il est possible de voir qu'elle représente une entité

14 territoriale à part.

15 Q. Est-ce que vous pourriez, s'il vous plaît, maintenant examiner le

16 document qui fait partie de votre annexe A, le numéro 0351. Il s'agit de la

17 constitution du royaume des Serbes, Croates et Slovènes, et veuillez nous

18 dire si une garantie, portant sur la protection du territoire de la Bosnie-

19 Herzégovine, y était prévue.

20 R. Oui, il s'agit de la constitution du jour Saint-Vitus, qui a été

21 adoptée le 28 juin 1921, puisque l'organisation bosniaque musulmane a

22 réussi œuvrer pour la protection de l'intégrité territoriale de la Bosnie-

23 Herzégovine. L'Article 135 de cette constitution de Saint-Vitus disait que

24 les parties du territoire, qui existaient sous le règne Austro-hongrois,

25 devaient être préservées en tant que districts différents, donc la Bosnie-

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1 Herzégovine a préservé son intégrité territoriale.

2 Q. M. Sehic, veuillez maintenant passer à vos conclusions contenues dans

3 les pages 11 à 14, ce qui correspond aux pages 9 à 12 dans la version en

4 anglais. Est-ce que vous pouvez nous dire quels événements, au cours de la

5 période entre les deux guerres, ont eu une influence importante sur la

6 position de la Bosnie-Herzégovine, et quels étaient les impacts de ces

7 événements ?

8 R. La création du royaume des Serbes, Croates et Slovènes a déstabilisé,

9 dans une grande mesure, le rapport existant dans le pays. Le point

10 culminant a été instant en 1928 lors d'un meurtre commis dans l'assemblée

11 nationale. Le roi Aleksandar a trouvé une issue à cela, en introduisant, le

12 6 janvier 1929, la dictature dont la conséquence a été la centralisation de

13 l'Etat et les divisions administratives territoriales.

14 Q. Nous voyons l'image numéro 5 à l'écran. Est-ce que vous pouvez nous

15 dire ce que ceci représente par rapport au territoire de la Bosnie-

16 Herzégovine ?

17 R. Cette carte montre la démarcation administrative et territoriale

18 dans le cadre du royaume de Yougoslavie, par le biais de la loi relative à

19 l'aménagement du territoire du 3 octobre. Le pays a été divisé en neuf

20 banovina et a commencé à s'appeler la Yougoslavie.

21 S'agissant de la Bosnie-Herzégovine, sur cette carte, nous pouvons

22 voir qu'elle a été totalement décomposée sur le plan territorial. Quelle en

23 était la raison ? La raison était que son territoire historique a été

24 réparti en cinq banovina. Pour la première fois, après de nombreuses

25 années, la Bosnie-Herzégovine s'est vue décomposée sur le plan territorial

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1 entièrement et cette situation a duré pendant un certain temps, jusqu'en

2 1939.

3 Les rapports difficiles, qui prévalaient dans le royaume de

4 Yougoslavie et, notamment, les rapports entre les Serbes et les Croates,

5 allaient vers la solution finale de la question croate, et ces rapports

6 sont devenus encore difficiles après l'introduction de la dictature en

7 1929. Le point culminant a été atteint après 1935. Il s'agissait là d'une

8 période au cours de laquelle on a essayé de trouver une solution,

9 notamment, compte tenu de la menace des puissances fascistes, à savoir,

10 italiennes et allemandes, ce qui poussera les autorités, notamment, de

11 Belgrade à trouver un accord avec les Croates. Cet accord a été signé en

12 août 1939 et, par le biais de cet accord, la banovina de Croatie a été

13 établie.

14 Q. Est-ce que vous pourriez indiquer, sur la carte numéro 06,

15 l'illustration des propos que vous venez de tenir ? Pouvez-vous nous dire

16 quelles sont l'importance et l'incidence pour Bosnie-Herzégovine de cette

17 réalité dans le passé, mais également plus récemment ?

18 R. Sur la carte, on voit la division qui a été faite en 1939. Nous voyons

19 ici les banovina, donc division territoriale de la Croatie et de la Bosnie.

20 Le territoire restant, c'est le territoire des autres banovina, qui ne font

21 pas parties des banovina bosniaques et croates, à ce moment-là, intervient

22 une conception des terres serbes qui englobent tous les territoires situés

23 hors des banovina bosniaques et croates. Ces territoires devaient être

24 réunis avec une capitale à Sarajevo, réunis sous la dénomination de terres

25 serbes.

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1 Q. Pouvez-vous nous montrer cela sur la carte 07 ? Est-ce que c'est bien

2 la carte des terres serbes dont vous venez de parler ?

3 R. Oui. Vous voyez ce territoire se situe ici, et il devait englober tous

4 les territoires qui ne faisaient pas partie de la banovina croate.

5 Q. Docteur Sehic, en Bosnie-Herzégovine, y a-t-il des forces qui se sont

6 opposées à cette segmentation, à cette fragmentation des territoires qui

7 leur appartenaient depuis des siècles ?

8 R. Par cet accord, signé par Macek-Cvetkovic, par cette division

9 territoriale de 1939, des changements interviennent en Bosnie-Herzégovine

10 également. En effet, la politique, qui menait à l'époque, les rapports

11 mutuels en vigueur à l'époque, celles par un combat, une guerre destinée à

12 obtenir la propriété de la Bosnie-Herzégovine, la situation est ce qu'elle

13 est, et un certain nombre de personnes considèrent qu'un mouvement pour

14 l'autonomie de la Bosnie-Herzégovine doit se créer, et ce mouvement voit le

15 jour, à la fin du mois de décembre 1939.

16 Toutes ces divisions vont avoir une grande influence sur les événements

17 futurs puisqu'elles vont créer un débat très important au sujet du fait de

18 savoir à qui appartient la Bosnie. Ce débat trouve son point culminant en

19 1941. En tout cas, les plans de divisions territoriales proposés, le plan

20 de division du territoire de la Bosnie va également, dans une grande

21 mesure, jouer un rôle dans les événements qui auront lieu après le début de

22 la guerre.

23 Q. Monsieur Sehic, j'aimerais maintenant vous demander d'examiner la carte

24 08, et de nous dire ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine durant la Seconde

25 guerre mondiale, c'est-à-dire, quelles sont les forces qui restituent la

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1 Bosnie-Herzégovine dans ses limites territoriales traditionnelles, et qui

2 rétablissent une situation passée ?

3 R. Sur la carte, on voit la division de la Yougoslavie après l'occupation

4 de 1941. Que remarque-t-on ici ? On voit, en jaune, l'Etat indépendant de

5 la Croatie, créé à Zagreb en 1941, et les autres régions qui dépendent de

6 diverses forces, à savoir, des forces de collaboration.

7 Q. Je ne crois pas qu'il soit indispensable que vous nous en disiez

8 beaucoup plus long sur cette période, mais pouvez-vous tout de même me dire

9 si, en Bosnie-Herzégovine, c'est une période où il y a des souffrances, des

10 pertes humaines, et pouvez-vous nous dire également quelles sont les forces

11 qui ont provoquées cela en dehors, bien sûr, des forces fascistes

12 allemandes et italiennes ?

13 R. Très peu de temps après l'occupation de la Yougoslavie, et après sa

14 division en plusieurs sphères d'intérêt, la ligne de démarcation est créée.

15 On traverse tout le territoire yougoslave et le système de Quisling est mis

16 en place. Ce sont des systèmes qui ont des objectifs différents selon les

17 régions, mais l'objectif commun était de participer à l'organisation de

18 puissance occupante.

19 Dans le cadre de ce projet, a été créé ce que j'ai évoqué tout à l'heure, à

20 savoir, l'Etat indépendant de Croatie ainsi que le mouvement Oustacha. Sur

21 le territoire de Serbie, c'est le mouvement chetnik qui fait son

22 apparition. Tous ces systèmes étaient intégrés aux structures du pouvoir

23 italien et allemand.

24 Q. Quels étaient leurs rapports avec les forces bosniennes musulmanes et

25 avec la population de Bosnie-Herzégovine ?

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1 R. A partir de 1941, à partir du mois d'octobre 1941, plus précisément, la

2 Bosnie fait partie de l'Etat indépendant de Croatie. La dénomination

3 Bosnie-Herzégovine n'apparaît plus dans les médias, pas plus que dans les

4 allocutions publiques.

5 Une fois que l'Etat indépendant de Croatie est créé, une partie de la

6 population bosniaque se joint à cet Etat et une autre partie rejoint

7 l'opposition. Les intellectuels majoritairement, les travailleurs

8 également, font partie de l'opposition au pouvoir oustachi et à l'Etat

9 indépendant de Croatie. Le résultat de tout cela, c'est la rédaction des

10 fameuses résolutions anti-oustachi adoptées à partir de 1941 dans diverses

11 villes de Bosnie-Herzégovine.

12 Q. Je vous prierais de vous pencher sur le document que l'on trouve au

13 numéro 4. C'est une liasse de documents qui regroupe quatre documents. Je

14 vous demanderais s'il s'agit bien de ces résolutions dont vous venez de

15 parler à l'instant, résolutions qui incarnaient la résistance à la terreur

16 oustachi, c'est-à-dire, la résistance exprimée par les mouvements

17 d'opposition musulmans contre les Oustachi ?

18 R. Oui. Ce sont bien ces résolutions. Elles ont été adoptées dans un

19 certain nombre de villes de Bosnie. Comme vous le constatez, une de ces

20 résolutions a été traduite en anglais. Il s'agit de la résolution adoptée

21 par la ville de Mostar, mais les autres résolutions étaient pratiquement

22 identiques. Fondamentalement, ce sont des résolutions qui condamnent les

23 crimes commis à l'époque, qui condamnent les crimes commis par les

24 Oustachi, et qui condamnent un certain nombre de Musulmans pour peur que

25 ceux-ci aient commis de tels crimes.

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1 Q. Monsieur Sehic, encore une question. Comment se comporte l'Etat

2 indépendant de la Croatie par rapport à la nation musulmane ? Est-ce

3 qu'elle reconnaît cette nation comme une nation à part entière, et quelle

4 est l'attitude également du mouvement chetnik par rapport à cette partie de

5 la population de Bosnie-Herzégovine ?

6 R. S'agissant de l'attitude de cette force à l'égard des Musulmans de

7 Bosnie-Herzégovine, plus particulièrement, j'ai déjà dit que la population

8 s'était divisée en deux parties, une partie qui soutenait les Oustachi, et

9 l'autre qui avait rejoint les rangs de la résistance. Mais les Oustachi

10 estimaient que tous les Croates devaient vivre dans le territoire de l'Etat

11 indépendant de Croatie, et que les Musulmans, qui défendaient des idées

12 nationalistes, devaient être déclarés la fleur de l'entité croate.

13 Par ailleurs, s'agissant des Musulmans, d'autres forces de collaboration

14 ont adopté une attitude un peu différente, par exemple, les Chetniks. De

15 nombreux crimes ont été commis en 1941 et 1942, et ces crimes ont eu une

16 influence sur l'apparition d'un nouveau comportement de la part des

17 Musulmans, des Croates et des Serbes. Si, en 1941, une révolte a été

18 conduite par la direction communiste de Yougoslavie -- une rébellion, ces

19 crimes ont contribué, dans une certaine mesure, à réduire le pouvoir des

20 forces collaborationnistes et à renforcer le pouvoir des partisans.

21 Q. Monsieur Sehic, pourriez-vous examiner la carte numéro 10 et nous dire

22 si elle représente -- si, dans le cadre du mouvement anti-fasciste, elle

23 illustre la position de la Bosnie-Herzégovine.

24 R. Cette carte représente -- illustre le concept de Grande Serbie.

25 Q. Excusez-moi, nous avons actuellement sous les yeux la carte qui a été

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1 commentée il y a un instant, à savoir la carte de la Serbie et de l'Etat

2 indépendant de Croatie, NDH, alors que je souhaitais vous soumettre la

3 carte numéro 10, la carte qui montre le mouvement anti-fasciste et la

4 position de la Bosnie-Herzégovine par rapport à ce mouvement, c'est-à-dire,

5 par rapport à la première et à la deuxième séance de l'armée populaire,

6 décrétée, à l'époque, conseil populaire anti-fasciste de libération de la

7 Yougoslavie.

8 R. En parallèle avec la guerre, menée contre l'occupant en 1941, 1942, les

9 pouvoirs populaires ont commencé à se construire, c'est-à-dire que, dans

10 certaines régions du pays, des conseils anti-fascistes voient, le jour,

11 conseils qui ont pour tâche la libération nationale. Ainsi, dans la nuit du

12 25 au 26 novembre 1943, à Mrkonjic Grad, un tel conseil est créé en Bosnie-

13 Herzégovine. Quelle est l'importance de ce conseil et des résolutions

14 adoptées par lui ? Avant tout, la guerre a eu pour conséquence légalisation

15 d'un certain nombre de décisions prises jusqu'à ce moment-là. La résolution

16 du conseil anti-fasciste du peuple, dans le cadre du mouvement de

17 libération, confirme la création de la Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat,

18 et confirme l'idée que la Bosnie-Herzégovine renaît en tant qu'Etat. Cette

19 décision est complétée par la suite et, en fait confirmée lors de la

20 deuxième séance du conseil populaire de libération anti-fasciste de la

21 Yougoslavie qui se tient à Jajce en 1943. Ce processus de création de

22 l'Etat de Bosnie-Herzégovine se poursuit en 1944 avec la deuxième session

23 de ce conseil de libération populaire anti-fasciste de la Yougoslavie, qui

24 se tient pour la Bosnie-Herzégovine. En avril 1945 a lieu la deuxième

25 session à Sarajevo qui met la dernière main à ce processus.

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1 Q. Monsieur Sehic, de quelle façon les problèmes de la population de

2 Bosnie-Herzégovine sont-ils réglés par ces déclarations de ZAVNOBiH et

3 AVNOJ ? La Bosnie-Herzégovine appartient à qui ?

4 R. Dans la résolution, il est dit que la Bosnie-Herzégovine n'est ni

5 serbe, ni croate, ni musulmane, mais qu'elle est serbe et musulmane et

6 croate.

7 Q. Je vous prierais maintenant d'examiner le document que l'on trouve au

8 niveau numéro A14.

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Il est 15 heures 30. Le mieux, c'est de faire la

10 pause maintenant, et nous continuerons aux environs de 16 heures.

11 --- L'audience est suspendue à 15 heures 33.

12 --- L'audience est reprise à 16 heures 02.

13 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez la parole.

14 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci bien, Monsieur le Président.

15 Q. Monsieur Sehic, je vous demanderais dans la liasse de documents, à

16 l'annexe A, d'examiner les numéros 5, 6 et 7. On les trouve à la fin de

17 l'annexe A, et je vous demande s'il s'agit bien des résolutions de l'AVNOJ

18 et du ZAVNOBiH de Bosnie-Herzégovine, dont vous avez parlées dans votre

19 déposition il y a quelques instants, et s'il est bien dit dans ces

20 documents que la Bosnie-Herzégovine doit être, en tant qu'Etat, sur un pied

21 d'égalité avec la RSFY, à savoir, la République fédérative de Yougoslavie ?

22 R. Oui. Ce sont des documents qui traitent de la création de la Bosnie-

23 Herzégovine; pour être plus précis, qui décrivent son organisation en tant

24 qu'Etat. Ce sont les résolutions adoptées lors de la première et deuxième

25 session du conseil anti-fasciste de Bosnie-Herzégovine. On y trouve

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1 également les résolutions de l'AVNOJ qui, à Mrkonjic Grad, lors de la

2 session tenue dans cette ville, ont acquis un pouvoir de loi.

3 Q. Merci beaucoup. Monsieur Sehic, j'aimerais maintenant que nous prêtions

4 attention à la partie de votre rapport que l'on trouve en version anglaise,

5 des pages 19 à 25, et dans la version originale, des pages 23 à 30.

6 Pouvez-vous nous dire, s'agissant de la République fédérative socialiste de

7 Yougoslavie, quels sont les événements qui ont entraîné le démantèlement de

8 la Yougoslavie ? Pourriez-vous nous dire également quelles sont les

9 conséquences de ces événements au cours des années 1991 et 1992 pour la

10 Bosnie-Herzégovine ?

11 R. Les événements, qui auront une influence d'ensemble dans la période

12 allant de 1980 à 1992, commencent avec le décès de Josip Broz Tito, qui est

13 un personnage tout à fait charismatique, qui a dirigé la République

14 fédérale yougoslave pendant de nombreuses années. On peut dire qu'avec le

15 décès de Tito, une nouvelle phase est ouverte dans l'histoire yougoslave,

16 et une phase s'achève. La phase s'achevant peut-être être qualifiée de

17 phase pacifique.

18 Ceci a des conséquences tout à fait importantes en 1980, et des

19 modifications interviennent dans cette République de la Yougoslavie qui ont

20 un caractère tout à fait historique. Selon la constitution de 1974, toutes

21 les Républiques yougoslaves se voient octroyer, dans une certaine mesure,

22 un caractère d'Etat.

23 La crise générale qui éclate en Yougoslavie à partir de 1980 s'exprime dans

24 un ralentissement de la production industrielle, dans le mécontentement

25 social, dans une inflation galopante, dans des difficultés financières

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1 importantes, et elles se manifestent dans le niveau de vie qui diminue

2 considérablement pour retourner à ce qu'il était à la fin des années 1960.

3 Ces éléments ont une influence tout à fait importante sur l'étape

4 ultérieure. La crise sociale généralisée s'accompagne d'une disparition de

5 l'idéologie dominante qui fait suite à ce que l'on peut appeler une période

6 de tabou ayant durée 40 ans. Ceci crée de nouvelles conditions au niveau

7 des forces nationalistes avec création d'un terrain très fertile pour le

8 développement de l'expression de ces forces.

9 Les troubles nationalistes ne surviennent pas uniquement en périphérie de

10 la Yougoslavie, mais bien au cœur de celle-ci, à savoir, en Serbie. Il est

11 permis de dire que cette crise aboutit à la destruction, à l'écroulement de

12 la construction yougoslave.

13 Deux documents importants illustrent cette nouvelle idéologie nationaliste.

14 Ce sont deux pétitions, dont l'une date de 1986, et qui concerne les

15 persécutions de Serbes au KOS, et il y a le mémorandum de l'Académie serbe

16 des arts et des sciences, deux documents qui établissent la base de

17 l'expansion nationaliste.

18 Il importe également de souligner que le mémorandum de l'Académie serbe des

19 arts et des lettres, qui date de 1986, représente la base même de cette

20 idéologie qui suit trois objectifs principaux; d'abord, l'action populaire,

21 ensuite la création de la Grande Serbie, et troisièmement, la mise en œuvre

22 de cette idée dans la pratique.

23 Tout cela commence à partir de 1977, avec l'arrivée sur la scène

24 politique de Slobodan Milosevic, qui a décidé d'utiliser la question du

25 Kosovo pour créer une atmosphère favorable pour ses objectifs. Il se lance

Page 10974

1 dans cette politique en utilisant toutes les grandes institutions du pays

2 dans le but premier d'une plus grande centralisation au niveau de la

3 Serbie. Il fallait, pour ce faire, supprimer l'autonomie de la Vojvodine et

4 du Kosovo, deux régions autonomes qui, selon la constitution de 1974, se

5 soustrayaient au contrôle de Belgrade. Tito, au vu de la réalité en

6 question, avait accordé l'autonomie à la Vojvodine et au Kosovo.

7 Dans le mémorandum de 1986 déjà, il est stipulé que la Serbie

8 n'exerçait pas le plein pouvoir sur son territoire, raison pour laquelle il

9 fallait supprimer cette autonomie de la Vojvodine et du Kosovo.

10 Q. Monsieur Sehic, nous n'allons pas rentrer dans les détails de ces

11 événements de Serbie. Veuillez nous dire simplement de quelle façon ces

12 événements influent sur ce qui se passe dans d'autres régions de la

13 Yougoslavie. Quels sont les mouvements qui voient le jour dans d'autres

14 républiques et si, à un certain moment au cours de 1991, des guerres

15 éclatent ?

16 R. Ce qui est en cause ici, c'est l'existence de deux conceptions

17 antagonistes; l'une fédérale, l'autre confédérale. Ces deux conceptions

18 existent d'abord en Slavonie et en Croatie. Des accords sont conclus en

19 1989 et 1990, qui rendent encore plus tendue la position entre ces deux

20 conceptions, de sorte qu'à un certain moment, il apparaît que la conception

21 d'un pays qui serait susceptible de satisfaire tout le monde ne peut

22 exister. La Slavonie et la Croatie décident de déclarer leur indépendance

23 en 1991. C'est là que se situe le début de tous les affrontements qui se

24 développeront sur le territoire de l'ex-Yougoslavie.

25 Q. Ces événements de Slavonie et de Croatie ont-ils eu une influence sur

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1 la Bosnie-Herzégovine, et les documents, les matériaux que vous avez eus à

2 votre disposition vous permettaient-ils de tirer une conclusion déterminée

3 au sujet de cette influence ?

4 R. Tous ces événements, en particulier, la guerre qui éclate en Slavonie

5 et en Croatie en 1991, ont une influence importante sur le territoire de la

6 Bosnie-Herzégovine également. Lorsqu'en 1991 la paix revient sur le

7 territoire de la Slavonie, toutes les unités militaires qui, auparavant,

8 étaient déployées en Slavonie, sont redéployées sur le territoire de la

9 Bosnie-Herzégovine. Une grande partie du corps d'armée se déploie en

10 Bosnie-Herzégovine. A cette époque-là, il est courant d'entendre dire que

11 la Bosnie-Herzégovine est la plus grande caserne du monde.

12 Sur le plan politique, l'influence est importante également avec des

13 transformations importantes, à savoir, la création des régions autonomes

14 serbes, en particulier, qui ne cessent de voir le jour au cours de 1991. En

15 dehors de la création de ces régions autonomes serbes, il se crée également

16 des régions autonomes croates, de sorte que, sur le territoire de la

17 Bosnie-Herzégovine, ces deux conceptions s'affrontent.

18 Q. Monsieur Sehic, la communauté internationale observe-t-elle cette

19 transformation et réagit-elle à ces transformations en temps voulu ?

20 R. Il est permis de dire qu'au début, la communauté internationale n'était

21 pas prête à réagir aux événements qui étaient sur le point de se dérouler

22 sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. C'est une réalité, c'est un fait que

23 toutes les puissances les plus importantes insistaient pour qu'avant tout,

24 la structure existante soit conservée d'une façon ou d'une autre. Ceci par

25 le biais d'une aide matérielle destinée à permettre à la Yougoslavie de

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1 s'intégrer aux processus politiques et économiques mondiaux. Il est permis

2 de dire que rien n'aurait pu être fait qui serait aller au-delà de ce qui a

3 effectivement été fait. Finalement, la communauté internationale réagit de

4 sorte qu'à la fin du conflit en Slavonie et en Croatie, un certain nombre

5 de résolutions sont adoptées, et la communauté internationale s'implique de

6 façon un peu plus active. Une résolution est adoptée, notamment, qui

7 décrète l'embargo sur toutes les livraisons d'armes destinées à l'ex-

8 Yougoslavie.

9 Q. Monsieur Sehic, vous venez de dire, qu'à ce moment-là, un certain

10 nombre de régions autonomes serbes et de régions autonomes croates sont

11 créées. Pouvez-vous nous dire, à cette époque, quelle était la structure

12 démographique de la Bosnie-Herzégovine, et pouvez-vous illustrer votre

13 propos à l'aide des cartes que vous avez établies et l'on trouve sous les

14 numéros 11 et 12.

15 R. Pour ce qui est de la population et de la répartition de la population

16 sur le territoire de la Bosnie, le dernier recensement a été fait en 1991.

17 Permettez-moi de remonter un petit peu dans le temps d'un point de vue

18 historique.

19 Au cours du siècle dernier, dans une large mesure, la répartition de la

20 population en Bosnie-Herzégovine a changé. D'après un recensement, un

21 exemple d'un recensement de 1885, du temps de l'Autriche-Hongrie, il y a

22 plus de 50 % de localités mixtes en Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire, le

23 même nombre de localités mono-ethniques. Ces chiffres ont changé. D'après

24 le dernier recensement de 1991, l'on voit que le nombre de localités mixtes

25 sur le territoire de Bosnie-Herzégovine constitue 80 %.

Page 10977

1 En 1991, on disait souvent que la répartition de la population en

2 Bosnie-Herzégovine rappelle une peau de léopard. Il n'y avait pratiquement

3 pas de territoires ethniquement purs, mis à part l'Herzégovine occidentale.

4 Q. Les cartes, au 11, au 12 ainsi que les résultats officiels du

5 recensement reflètent ce que vous venez de nous préciser.

6 R. Oui, c'est la conclusion que l'on est en droit de tirer à l'examen de

7 ces cartes. On voit la répartition de la population en 1991, et l'on voit

8 quelle est la part qui revient à chacun des peuples dans la structure

9 globale de la population. Sur cette carte-ci, l'on voit également quels

10 sont les endroits où l'on voit des populations majoritaires se dégager; au-

11 delà de 50 % d'habitants.

12 Q. Vous venez de dire à l'instant que deux visions nationalistes ou deux

13 politiques nationalistes opposées se manifestent et que, sous leur

14 influence, sur le territoire de Bosnie-Herzégovine, l'on voit la création

15 de diverses régions autonomes qui se constituent selon les lignes

16 d'appartenance nationale.

17 Tout d'abord, Monsieur le Professeur Sehic, à en juger d'après ces deux

18 cartes que nous avons vues, était-il possible de procéder à ce genre de

19 partage ou de répartition en Bosnie-Herzégovine, selon les lignes

20 ethniques ?

21 R. Ce genre de partage, selon les critères nationaux, ne pouvait se

22 produire que par la force, par la violence, et contrairement à tous les

23 principes de ceux qui se sont dessinés, dégagés, au cours de l'histoire de

24 la Bosnie-Herzégovine.

25 Q. Monsieur Sehic, je vous avais dit également que la création de ces

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1 régions autonomes serbes ou croates résultait aussi de certaines

2 aspirations nationales de milieux nationalistes. C'est la raison pour

3 laquelle je vous demande, à l'époque, vos voisins, discutaient-ils de

4 l'avenir ou de la Bosnie-Herzégovine ? D'après eux, quelle position devait

5 revenir à la Bosnie-Herzégovine par rapport aux autres ? Finalement, que

6 veulent-ils laisser au peuple majoritaire de Bosnie-Herzégovine ? Quelle

7 est la part qui, d'après eux, doit lui revenir ? Je vous prierais de vous

8 rapporter à la carte numéro 13 pour qu'elle vous aide dans votre réponse à

9 cette Chambre de première instance.

10 R. Oui. Pour ce qui est de cette carte, l'on y voit précisément ces

11 visions nationalistes des régions autonomes serbes. C'est à peu près cette

12 partie-ci du territoire. Celles-ci, en bleu, ce sont les régions autonomes

13 croates. C'est ce territoire-ci.

14 Si on examine la carte, la partie qui est en blanc, ou plutôt qui n'est pas

15 colorée, ce sont les territoires qui sont censés revenir aux Musulmans ou

16 restés aux Musulmans, donc au peuple majoritaire de Bosnie-Herzégovine.

17 D'après le recensement de 1991, ils ont constitué 43 % de la population,

18 3,52 % seul du territoire devaient leur revenir.

19 Q. Merci. Dr Sehic, à un moment donné, la communauté internationale,

20 commence-t-elle à se pencher de manière plus approfondie sur la question de

21 l'ex-Yougoslavie, sur la question de son avenir ? Quel est le statut, ou

22 quelles sont plutôt les opinions que l'on entend au sujet de la Bosnie-

23 Herzégovine ?

24 R. La communauté internationale commence à s'y intéresser dès octobre 1991

25 et, de manière plus approfondie, à partir du mois de décembre, c'est la

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1 commission de Badinter qui a été constituée.

2 M. Badinter était le président de la cour constitutionnelle française. Le 7

3 décembre 1991, sa commission, la commission qu'il a présidée, a constaté

4 que l'accès à l'indépendance des Républiques yougoslaves ne constituait pas

5 un acte de sécession, mais qu'il s'agissait de l'effondrement de l'Etat

6 fédéral yougoslave.

7 Le 16 février 1991, la Communauté européenne a précisé les conditions de

8 reconnaissance de ces nouveaux états; en Europe de l'Est, en URSS

9 également, des Etats qui se constituent sur des bases démocratiques.

10 Puisque la présidence de Bosnie-Herzégovine, lors de sa session du 25

11 décembre 1991, a présenté une demande aux fins de reconnaissance

12 internationale, le 10 janvier 1992, une réponse lui a été donnée.

13 La commission, qui a été saisie de cette demande, dans son opinion numéro

14 4, du 11 janvier 1992, constate que la Bosnie-Herzégovine remplit les

15 conditions requises, demandées aux républiques qui cherchent la

16 reconnaissance internationale. La constitution de la Bosnie-Herzégovine

17 garantissait les droits à tous ses citoyens et aux minorités, et aucune

18 prétention envers les républiques voisines ne se dégageait de sa politique.

19 La commission a estimé que la Bosnie-Herzégovine remplissait les conditions

20 pour une reconnaissance internationale. Comme la veille, la République

21 serbe de Bosnie-Herzégovine venait d'être proclamée, et la commission a

22 estimé qu'il était souhaitable de vérifier cette décision lors d'un

23 référendum. C'est le 29 février que ce référendum a eu lieu ainsi que le 1er

24 mars en 1992, le référendum de Bosnie-Herzégovine. Plus de

25 60 % de la population s'est prononcée favorable à l'indépendance de la

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1 Bosnie-Herzégovine.

2 Q. Docteur Sehic, à quel moment la Bosnie-Herzégovine a-t-elle été

3 reconnue en tant qu'Etat souverain ?

4 R. Oui, le 6 avril 1992, la Bosnie-Herzégovine a été reconnue de la part

5 de la communauté Européenne. Le lendemain, le 7 avril, elle a été reconnue

6 également par les Etats-Unis d'Amérique.

7 La décision prise par l'Union Européenne, le 6 avril, a été reportée au 7

8 avril. On a pu considérer que c'était la date de l'indépendance de la

9 Bosnie-Herzégovine puisque l'attaque lancée sur la Yougoslavie, le 6 avril,

10 était toujours dans les esprits. On a aussi pensé qu'il valait mieux

11 reporter cette date, la date de la reconnaissance au 7.

12 Q. Monsieur, je vous demanderais maintenant de vous reporter au document

13 0378 ainsi qu'au document 0385. Je vous demanderais s'il s'agit là de

14 l'opinion formulée par la commission Badinter et, pour le deuxième

15 document, si c'est bien l'acte de reconnaissance prononcé le 6 avril au

16 Luxembourg, l'acte de reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine.

17 Les avez-vous retrouvés ? C'est le dernier document sur la lettre C et le

18 premier sous D.

19 R. J'ai ici l'opinion de la commission d'arbitrage du

20 11 janvier 1992; l'opinion numéro 4. J'ai aussi le document sous D,

21 déclaration de la proclamation de la Bosnie-Herzégovine en tant qu'un Etat

22 indépendant. La date de ce document est celle du 6 avril 1991.

23 Q. Entre les pages 37 et 51 de votre rapport, Dr Sehic --

24 M. LE JUGE ANTONETTI : Maître, je vous rappelle que vous aviez une heure et

25 demie. Théoriquement, dans cinq minutes, c'est terminé. Essayez

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1 d'accélérer.

2 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, vous avez décidé

3 que nous avions une heure et demie à notre déposition. J'accélérerai, mais

4 je ne peux pas en avoir terminé en cinq minutes. Il me faudra peut-être 15

5 à 20 minutes. Seriez-vous prêt à m'accorder ce temps ?

6 M. LE JUGE ANTONETTI : Allez-y.

7 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci.

8 Q. Docteur Sehic, aux pages de 37 à 51 de votre rapport, vous précisez

9 quels sont les événements politiques principaux qui se sont produits au

10 cours de l'année 1992 et de l'année 1993. Pouvez-vous nous dire, s'il vous

11 plaît, ce qui caractérise l'année 1992 après le 6 avril ?

12 R. Après le 6 avril 1992, en Bosnie-Herzégovine, ce sont les opérations

13 militaires qui commencent. En particulier, l'armée yougoslave y participe

14 au cours du mois d'avril ainsi qu'au cours du mois de mai. Cette armée est

15 transformée, réorganisée pour devenir l'armée de la République serbe de

16 Bosnie-Herzégovine. Par une série d'opérations militaires auxquelles ont

17 pris part également des forces paramilitaires, une grande partie du pays a

18 été conquise, plus de

19 70 %. 30 %, à peu près, et constituait cette espace de la Bosnie centrale

20 et autour de Bihac, mais, pendant cette première attaque, toute la partie

21 de la Bosnie orientale a été conquise.

22 Une série de décisions et de résolutions prises par les Nations Unies et

23 par les organisations internationales nous permettent de voir clairement

24 leur implication. Plusieurs résolutions ont été votées au cours de l'année

25 1992. Ces résolutions explicitent la responsabilité des instances

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1 politiques et militaires de Belgrade. C'est la raison pour laquelle

2 plusieurs résolutions ont été adoptées au cours de l'année 1992 portant

3 sanctions contre la Serbie, c'est-à-dire, de l'ex-Yougoslavie.

4 Pour ce qui est du reste des événements politiques en Bosnie-Herzégovine,

5 l'on voit toujours s'affronter deux options immédiatement après le début de

6 la guerre en 1992. Puisqu'il s'agit d'un territoire, comme nous l'avons

7 déjà dit, un territoire qui était occupé par des régions autonomes croates,

8 c'est là que l'on commence à mettre sur pied la communauté d'Herceg-Bosna,

9 qui a tous les attributs d'un Etat auto-proclamé, non reconnu par les

10 instances officielles. Le 14 septembre, la Cour constitutionnelle de Serbie

11 juge qu'il s'agit d'une instance ou d'une entité illégale.

12 Q. Docteur Sehic, puisque vous avez examiné la question du rôle joué par

13 la diplomatie internationale, la Bosnie-Herzégovine s'est vue reconnaître

14 l'indépendance. Elle est devenue membre des Nations Unies. Dites-moi,

15 quelles sont les mesures prises par la communauté internationale afin

16 d'aider l'un de ses pays membre afin de préserver son indépendance et son

17 intégrité territoriale ?

18 R. Le 22 mai 1992, la Bosnie-Herzégovine est devenue membre de l'ONU.

19 D'après la charte des Nations Unies, les Nations Unies étaient tenues de la

20 secourir sur tous les plans. Or, ici, dans une grande mesure, cela ne s'est

21 pas produit.

22 Q. La Bosnie-Herzégovine pouvait-elle s'aider elle-même, ou y avait-il des

23 instruments que la communauté internationale pouvait employer pour limiter

24 ce droit ?

25 R. Il y avait également de ce genre d'instruments. Je pense que la Bosnie-

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1 Herzégovine a été puni par cette décision de 1991, notamment, par l'embargo

2 sur l'importation des armes.

3 Il faut savoir aussi que la JNA constituait la troisième ou la quatrième

4 puissance militaire dans les Balkans, très bien armée. La Bosnie-

5 Herzégovine, sans armes, sans protection, n'a eu pour toute aide que

6 principalement l'aide humanitaire.

7 Q. Merci. C'est la carte 014 qui m'intéresse maintenant. Dites-moi, s'il

8 vous plaît, si elle nous montre cette création dont vous avez parlé il y a

9 un instant, à savoir, qu'ils s'appelaient la communauté croate d'Herceg-

10 Bosna ?

11 R. Oui. C'est la carte de l'Herceg-Bosna, qui comprend 30 districts.

12 D'après la structure du territoire, elle nous rappelle la banovina croate

13 datant de 1939.

14 Q. Docteur Sehic, dites-moi si vers la fin de l'année 1992, ainsi qu'en

15 1993, la communauté internationale essaie de résoudre par d'autres moyens

16 la question de la guerre en Bosnie-Herzégovine. Dites-nous comment se

17 terminent ces initiatives.

18 R. Au cours de la deuxième moitié de 1992, les Conférences de Genève sont

19 mises en place. Un certain nombre de résultats seront obtenus. Vers la fin

20 de l'année 1992, début 1993, les fruits de cela sera le plan Vance-Owen de

21 janvier 1993, qui suscitera des changements très importants et aura un

22 impact sur les événements en Bosnie-Herzégovine et, en particulier, en

23 Bosnie centrale.

24 Q. Pouvez-vous nous dire quelle est la raison pour laquelle ce plan a eu

25 ce genre de conséquences ?

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1 R. Le plan Vance-Owen, qui a été annoncé pour la première fois le 2

2 janvier 1993, comprend quatre documents. Ces quatre documents ont été

3 signés successivement entre janvier et mars 1993. Pour l'essentiel, la

4 raison pour laquelle le plan Vance-Owen a eu un impact, c'est la chose

5 suivante : d'après l'accord obtenu, la signature de tous les chapitres, de

6 toutes les parties du plan Vance-Owen devaient permettre l'entrée en

7 vigueur de ce plan. Mais il s'est avéré qu'en janvier, février, les Croates

8 ont signé toutes les parties du plan. Les Musulmans, quant à eux, ont signé

9 en janvier une partie, et la deuxième partie en février, et uniquement en

10 mars, la troisième et la quatrième partie du plan.

11 Cependant, la République serbe n'a jamais signé ce plan de paix. Tout

12 d'abord, le 2 avril à Bileca, ils ont refusé de le signer, puis également,

13 le 26 avril, ils ont réitéré leur refus. De fait, ce plan n'a jamais été

14 traduit dans les faits.

15 Q. Devant cette Chambre de première instance, on a vu de nombreuses

16 preuves portant sur l'ABiH, sur le HVO. Peut-on affirmer que les documents

17 que vous avez examinés vous ont permis de voir quelle était l'approche de

18 l'Herceg-Bosna ou du HVO, eu égard à la mise en œuvre de ce plan ?

19 R. Pour ce qui est des documents, plus de documents m'ont été communiqués

20 qui le montrent. Quant au plan Vance-Owen et l'impact qu'il a eu, à la

21 fois, sur les événements politiques et militaires, je pense que deux

22 documents ont une importance-clé. Le premier document du 15 janvier 1993,

23 c'est la réunion qui s'est tenue à Mostar. Cinq ou six points d'accord ont

24 été signés portant sur la mise en œuvre du plan Vance-Owen. En fait, c'est

25 uniquement de façon unilatérale qu'on a commencé à le mettre en œuvre.

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1 Q. Excusez-moi. Qui a participé à cette réunion ?

2 R. C'étaient les plus hauts dirigeants militaires et politiques de

3 l'Herceg-Bosna.

4 Q. A l'issue de cette réunion, que s'est-il passé ?

5 R. Suite à la réunion, il y a eu exacerbations des oppositions entre

6 l'ABiH et le HVO, ce qui a eu pour point culminant la réunion de Mostar, le

7 3 avril 1993. Lors de cette réunion de fait, un ultimatum a été imposé à

8 l'ABiH de se retirer des provinces qui, d'après le plan Vance-Owen,

9 devaient revenir à la composante croate.

10 Par conséquent, il fallait mettre en œuvre ce plan même avant la fin du

11 processus de paix, même avant la signature du contrat dans sa totalité.

12 Q. Docteur Sehic, pouvez-vous vous reporter à la carte 015. Pouvez-vous

13 nous dire ce qu'elle représente ?

14 R. L'on voit sur cette carte le plan Vance-Owen ainsi que la répartition

15 du pays en dix provinces. L'on voit sur la carte de quelle manière on a

16 procédé à cette répartition. Les provinces

17 1, 5 et 9 reviennent aux Musulmans. Aux Croates, les provinces 8 et 10,

18 ainsi que la province 3, tandis que les 2, 4 et 6 ont été attribuées aux

19 Serbes.

20 Q. Vous venez de nous dire que ce plan n'a jamais été mis en œuvre. Vous

21 avez également dit qu'il y a eu des conséquences très importantes après cet

22 ultimatum adressé à l'ABiH. J'aimerais savoir si la diplomatie

23 internationale a essayé d'agir par d'autres moyens pour résoudre cette

24 question. J'aimerais savoir si, en 1993 et au début de 1994, on a fini par

25 trouver une solution pour mettre fin au conflit entre l'armée et le HVO.

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1 R. A la mi-1993 et pendant la deuxième moitié de cette année, ce qui était

2 caractéristique pour les rapports existants, c'était l'existence de

3 plusieurs plans, après l'échec du plan Vance-Owen sur lequel on a insisté

4 jusqu'au mois de juin. Au cours des mois de juin et juillet, on a songé à

5 d'autres plans. Au mois d'août, il y a le plan Owen-Stoltenberg, et c'est

6 le plan qui ne sera pas achevé que vers la fin de 1993, début 1994;

7 cependant, les Etats-Unis d'Amérique commence à jouer un rôle plus actif en

8 1994, et c'est cela qui a constitué un tournant. C'est sur l'initiative

9 américaine, précisément, que l'on met sur pied la Fédération de Bosnie-

10 Herzégovine. On met fin à ces conflits-là et l'on voit par la création de

11 la Fédération, pourrait-on dire, une solution apportée aux problèmes

12 dominants sur le territoire de Bosnie-Herzégovine. Jusqu'à ce moment-là,

13 avant tout, c'était le conflit entre l'ABiH et le HVO.

14 Q. Ce sont les cartes au 16 et au 17 qui nous intéressent à présent.

15 Pouvez-vous nous dire ce qu'elles représentent ?

16 R. Sur la carte au 16, l'on voit le plan Owen-Stoltenberg, le plan du mois

17 d'août 1993. Quant à ce plan-ci, l'on pourrait dire que, d'une certaine

18 façon, il constitue un départ du plan Vance-Owen. Les participants eux-

19 mêmes en connaissent le mieux les raisons. Au cours de 1993, trois ou

20 quatre accords ont été passés sur les pourcentages devant revenir aux

21 différentes provinces. Ce que je peux supposer en toute certitude, c'est

22 que les résultats des opérations militaires y ont contribué au découpage de

23 ce territoire.

24 Si l'on examine ce plan, l'on voit que 25,6 % du territoire revient

25 aux Croates. Dans le plan Vance-Stoltenberg, seule 17,5 % leur revient.

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1 Pour ce qui est des Musulmans, d'après le plan Vance-Owen, ils ont 26 % du

2 territoire. Dans le plan Owen-Stoltenberg, ils en ont 28 %, voire plus, et

3 33 % à la fin de l'année.

4 Q. Docteur Sehic, vous avez dit au début de votre déposition, qu'il était

5 pratiquement impossible de découper la Bosnie-Herzégovine suivant les

6 lignes d'appartenance ethnique. Vous avez vu ces différentes initiatives de

7 la communauté internationale qui cherchait à aider à résoudre le conflit de

8 Bosnie-Herzégovine. Dites-nous, quelle a été la lacune ou le défaut

9 principal de ces initiatives, à votre avis ?

10 R. Puisque je me suis intéressé davantage à la diplomatie internationale

11 qu'à autre chose, je peux dire que ce sont précisément les rapports entre

12 les grandes puissances qui ont eu un impact sur cela. Leurs relations ont

13 fait qu'il n'y a pas eu une approche conséquente dans l'application des

14 principes adoptés dès 1992.

15 Q. Merci. A présent, nous avons la carte au 17. Pouvez-vous nous dire ce

16 qu'elle représente ?

17 R. Au 17, l'on y voit la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Ce sont les

18 Etats-Unis d'Amérique, qui ont eu le plus grand impact sur la création de

19 cette fédération. C'est leur engagement qui a donné lieu à la

20 réconciliation entre les parties belligérantes et d'autres parties

21 belligérantes en 1994, entre l'ABiH et le conseil croate de Défense.

22 L'accord de Washington a créé la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Il a été

23 prévu que le reste du territoire, la partie serbe, soit intégré au futur

24 Etat de Bosnie-Herzégovine, et la structure constitutionnelle prévue, ainsi

25 que l'organisation du pouvoir prévu en témoignent. La présidence de la

Page 10988

1 Fédération devait exercer les attributions de la présidence de l'Etat en

2 même temps.

3 Q. Seules quelques questions pour en terminer, au sujet des deux chapitres

4 qui figurent à la fin de votre étude. Vous vous êtes également intéressé au

5 patrimoine culturelle, religieux. Je voudrais vous demander, dans ce cadre-

6 là, pour quelle raison cette question a mérité une place dans votre étude.

7 R. Au cours de presque mille ans de son histoire, la Bosnie n'a jamais eu

8 l'expérience qu'elle a eue pendant cette dernière guerre concernant le

9 niveau de destruction des édifices culturels. Tous les monuments culturels

10 étaient justement présents pendant longtemps sur ce territoire et

11 témoignaient de la présence de sa population sur le territoire; cependant,

12 au cours de cette guerre, il y avait la tendance visant, d'une certaine

13 manière, à éliminer la racine des autres, visant à purifier le territoire

14 et d'éliminer les traces de l'existence de certains groupes.

15 Dans mon expertise, je me suis penché en profondeur aux rapports des

16 membres de l'ABiH et des citoyens de la Bosnie-Herzégovine vis-à-vis des

17 édifices culturels et religieux.

18 Dans leur histoire, les Musulmans de Bosnie n'ont jamais détruit les

19 édifices religieux. Bien au contraire, ils ont participé à leur

20 construction, ce qui signifiait qu'ils souhaitaient faire preuve de leur

21 souhait de coexister avec d'autres nations, d'autres peuples, et d'autres

22 groupes religieux.

23 Sur la base des documents qui sont en annexe et, notamment, une

24 expertise qui était élaborée par l'expert Collins, pour la commission de

25 l'UNESCO de 1995, nous pouvons voir que cette question constituait une

Page 10989

1 question-clé s'agissant du rapport de la Bosnie-Herzégovine envers la

2 patrimoine culturelle.

3 Q. Merci. Vous avez également mentionné, à la fin de votre expertise, une

4 question très importante, question du nettoyage ethnique et des

5 déplacements de la population qui, comme nous avons pu le voir, en 1991,

6 était mélangée sur l'ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine.

7 Dites-nous pour quelle raison vous avez considéré qu'il était important

8 d'introduire également ce volet-là dans le cadre d'un contexte historique

9 de l'existence de la Bosnie-Herzégovine.

10 R. Je pense que ceci est important parce que ceci montre justement que la

11 Bosnie-Herzégovine, dans sa longue histoire, n'a jamais eu des territoires

12 définis sur le plan ethnique ou religieux. Si, par moment dans son

13 histoire, ceci s'est produit, c'était introduit par la force et sans

14 respect pour tous les principes historiques de ce pays.

15 Pour ce qui est du nettoyage ethnique, il s'agit ici d'un euphémisme pour

16 désigner un génocide. Je pense que cette idée est anachronique par rapport

17 au temps dans lequel nous vivons; cependant, cette idée a joué un rôle

18 extrêmement important dans tous les événements qui se sont produits au

19 cours de l'année 1992, 1993 et 1994. Parmi de nombreux documents que j'ai

20 analysés, j'ai pu sélectionner un certain nombre parmi lesquels une étude

21 qui a été envoyée aux représentants des Nations Unies et de l'UNESCO,

22 ensuite, une étude qui porte sur les faits de base et les intentions liées

23 au nettoyage ethnique sur un certain territoire, notamment, sur le

24 territoire de la Bosnie centrale.

25 Q. Monsieur Sehic, pour terminer en tant que scientifique qui étudie

Page 10990

1 l'histoire de la Bosnie-Herzégovine depuis de nombreuses années, en tant

2 qu'homme qui s'occupe de ces questions sur le plan professionnel, est-ce

3 que vous pouvez tirer les parallèles entre un certain nombre de tendances

4 et les événements plus ou moins récents d'un côté, et ce qui se passait au

5 cours de la période 1992 à 1995 sur le territoire de la Bosnie-

6 Herzégovine ?

7 R. Il est possible de tirer plusieurs parallèles historiques. Je pense que

8 ceci ressemblait le plus à ce qui se passait au cours de la période de 1992

9 à 1995, ressemblait le plus à ce qui avait été établi suite à la période

10 après l'année 1939, à savoir, juste avant la Deuxième guerre mondiale. La

11 création de la banovina croate, le projet de la création de la Grande

12 Serbie, la lutte des Musulmans pour l'autonomie de la Bosnie-Herzégovine,

13 je pense que, justement, ce genre de projets historiques ont vu le jour de

14 nouveau au cours de la guerre de 1992 à 1995.

15 Q. Merci beaucoup, Monsieur Sehic.

16 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai terminé

17 l'interrogatoire principal du Témoin Zihad Sehic. Merci.

18 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Maître.

19 Est-ce que les avocats du général Kubura veulent poser des questions au

20 témoin expert ?

21 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Nous

22 n'avons pas de questions pour ce témoin.

23 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci. Je vais maintenant me tourner vers

24 l'Accusation pour le contre-interrogatoire du témoin expert.

25 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président.

Page 10991

1 Bonjour à tout le monde dans ce prétoire.

2 Contre-interrogatoire par Mme Henry-Benjamin :

3 Q. [interprétation] Bonjour, Docteur. En répondant à la question posée par

4 -- est-ce que vous m'entendez ?

5 R. Oui.

6 Q. En répondant à la question de ma collègue, vous avez indiqué que ce

7 domaine n'est pas un domaine qui fait l'objet de, je cite : "Votre intérêt

8 académique stricto sensu." Compte tenu du fait que vous avez dit vous-même

9 que ceci ne fait pas partie de votre domaine académique au sens strict du

10 terme, est-ce que vous seriez d'accord avec moi pour dire que certaines

11 suggestions contenues dans le rapport ne sont peut-être pas tout à fait

12 précises ou fiables ?

13 R. J'aimerais entendre de quelles suggestions vous parlez avant de

14 répondre.

15 Q. Très bien. Commençons par la liste. Vous nous avez dit que vous avez

16 examiné une liste de documents qui vous a été présentée par la Défense pour

17 atteindre vos conclusions; cependant, avez-vous indiqué dans vos annexes

18 quelles étaient les sources de ces documents ?

19 R. Oui, s'agissant de chaque source, il est indiqué, la provenance est

20 indiquée.

21 Q. Je suppose que vous avez fourni une liste des documents, par exemple,

22 les documents tirés de l'affaire Celebici; est-ce que ceci figure sur votre

23 liste ?

24 R. Oui, ceci fait partie de la liste.

25 Q. Lors de la rédaction de votre rapport d'expert, est-ce que vous vous

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1 êtes penché sur les documents émanant des sources croates telles que les

2 transcriptions présidentielles qui ont été versées au dossier devant ce

3 Tribunal, et qui font partie du domaine public ? Est-ce que vous avez

4 utilisé ces documents lors de la rédaction de votre rapport ?

5 R. De tels documents ne m'ont pas été accessibles. Je ne les ai pas

6 consultés.

7 Q. Qu'en est-il des documents liés aux dirigeants de la Bosnie-

8 Herzégovine, comme par exemple, les procès-verbaux des assemblées des

9 réunions de la présidence également ? Est-ce que vous avez pris en

10 considération ces documents-là lors de l'élaboration de votre expertise ?

11 R. Oui, en partie.

12 Q. Je souhaite que l'on parle maintenant de la répartition de la

13 population puisque vous en avez parlé en détail. Ai-je raison de dire que

14 les Croates de Bosnie-Herzégovine bénéficiaient de moins d'avantages dans

15 la répartition de la population démographique ?

16 R. Oui, c'est ce que j'ai déjà dit. L'analyse a été lancée du recensement

17 de 1991. Un grand pourcentage de population croate était présent dans une

18 seule partie, puisque la population croate était concentrée dans trois

19 régions séparées; d'un côté, la Bosnie du Nord, ensuite, la Bosnie

20 centrale. La troisième zone était une telle concentration en Herzégovine.

21 Si l'on analyse la structure de la population en 1991, nous pouvons

22 constater que les Musulmans avaient le plus haut niveau de concentration de

23 la population, jusqu'à 82 %. Pour ce qui est des Serbes, leur concentration

24 était de 62 % alors que pour les Croates, ce niveau de concentration était

25 inférieur à 50 %, à environ 45 %.

Page 10993

1 Un élément défavorable pour la répartition démographique de la population

2 croate était lié aux zones dans lesquelles ils étaient majoritaires. J'ai

3 donné quatre raisons de cela dans mon expertise. Tout d'abord, il

4 s'agissait d'un territoire qui était le plus arriéré en Bosnie-Herzégovine

5 sur le plan économique. Ensuite, l'Herzégovine est le territoire qui est le

6 moins peuplé. J'ai dit également que c'est une zone où il n'y a pas de

7 centre politique ou économique en Bosnie-Herzégovine. La quatrième raison,

8 que j'ai énoncée, est le fait que les monuments culturels croates restaient

9 en dehors du territoire où la population croate était majoritaire. Ce sont

10 justement les raisons pour lesquelles la situation, sur le plan

11 démographique, était la moins avantageuse pour les Croates, selon le

12 recensement de le l'année 1991.

13 Q. Au fond, les Musulmans étaient majoritaires dans l'ensemble. Ai-je

14 raison de dire cela ?

15 R. Oui. Selon le recensement de l'année 1991, les Musulmans représentaient

16 plus de 43 % de la population. A travers les trois derniers recensements,

17 l'on pouvait remarquer une croissance démographique permanente chez les

18 Musulmans, ce qui a eu pour résultat le fait qu'ils allaient représenter

19 plus que 50 % de la totalité de la population de la Bosnie-Herzégovine.

20 Q. Au printemps 1992, comment décririez-vous le rapport entre l'armée

21 croate et l'ABiH ? Je parle ici du printemps de 1992.

22 R. Cette question n'est pas clairement définie. Que voulez-vous dire par

23 le rapport de l'armée croate et l'ABiH ?

24 Q. Peut-être je peux reformuler ma question. Est-ce que l'armée croate --

25 au cours de cette période, au printemps 1992, est-ce que l'armée croate

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1 était la bienvenue en Bosnie-Herzégovine ?

2 R. En 1992, au printemps, il n'y avait pas encore d'opérations militaires

3 sur le territoire de Bosnie-Herzégovine, donc au printemps. Par la suite,

4 après qu'un conflit armé a éclaté en Bosnie-Herzégovine, pour ce qui est de

5 l'armée croate, il faut savoir que la résolution de l'ONU, adoptée le 18

6 mai 1992, celle-ci faisait appel aux forces armées de la JNA et de l'armée

7 croate, pour qu'elles se retirent du territoire de la Bosnie-Herzégovine ou

8 qu'elles se placent sous le commandement des organes légitimes du pouvoir

9 de Bosnie-Herzégovine, donc la présidence.

10 Quant à la question de savoir si elle était la bienvenue, si l'armée croate

11 était la bienvenue sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, vous savez,

12 c'est une question qui relève des rapports internationaux et des accords

13 entre deux états puisqu'il s'agissait de deux Etats.

14 Sur la base de cela, nous pouvons conclure que toute aide visant à

15 préserver la République de Bosnie-Herzégovine était la bienvenue.

16 Q. Est-ce que l'on avait l'impression que l'armée croate luttait contre

17 l'agresseur, donc les Serbes, à l'époque ?

18 R. Oui, il est possible de dire que, d'une certaine manière, l'armée

19 croate a participé, depuis avril 1992, sur le territoire de la Bosnie-

20 Herzégovine, à ces activités-là. Si l'on pense à la création des formations

21 militaires différentes, comme les forces armées croates, qui étaient

22 actives, notamment, sur le territoire de l'Herzégovine et dans une certaine

23 mesure à Zenica en Bosnie centrale, il s'agit là des forces armées de

24 Bosnie-Herzégovine, quant à la question de savoir si l'armée croate était

25 présente en Bosnie-Herzégovine et ce que ceci signifiait compte tenu du

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1 fait qu'il s'agissait là des armées des deux Etats, internationalement,

2 reconnus.

3 Q. Corrigez-moi si je me trompe; cependant, à un moment donné, au

4 printemps 1992, il y a eu une tentative, de la part des deux armées, de

5 constituer ensemble un front consolidé; est-ce exact ?

6 R. Oui. Elles l'essayaient. Je pense que, tout d'abord, au niveau

7 politique, plusieurs accords ont été passés entre le président Tudjman et

8 le président Izetbegovic concernant les relations entre la Bosnie et la

9 Croatie. Ces genres d'accords ont été passés à plusieurs reprises. Ils

10 contenaient le fait que la République de Croatie allait aider la Bosnie-

11 Herzégovine à résister à l'agression à laquelle elle était soumise. Ils ont

12 également déclaré que la Croatie allait continuer à fournir de l'assistance

13 à la Bosnie-Herzégovine. De tels accords ont été passés à plusieurs

14 reprises, le 16 juin 1992, la première fois, ensuite le 21 juillet 1992, et

15 la dernière fois, c'était le 23 septembre 1992 à New York.

16 Concernant la question de la participation de l'armée croate sur le

17 territoire de la Bosnie-Herzégovine, cette question-là devait faire l'objet

18 des accords passés au niveau d'Etat.

19 Q. Est-ce que j'ai raison de conclure que les rapports, faute de meilleurs

20 termes, n'ont pas été réalisés car les dirigeants musulmans, concernant

21 tous les accords dont vous avez mentionnés, ont refusé de signer cela et

22 ont refusé d'accepter cela ?

23 R. Je pense qu'il s'agirait là d'une interprétation unilatérale d'un

24 accord entre deux Etats. Des accords, portant sur la coopération,

25 existaient, mais, si deux Etats indépendants doivent signer un accord

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1 militaire, c'est une autre chose.

2 Q. Très bien. Peut-être nous pouvons clarifier cela ensemble. A la page 35

3 de votre rapport, dans la version en anglais, au fond de la page, en bas de

4 la page, il est dit : "L'influence croate sur le conflit en Bosnie-

5 Herzégovine est de plus en plus visible."

6 Peut-être mes collègues de la Défense peuvent vous aider pour retrouver ce

7 passage dans la version B/C/S. Il s'agit de la page 35, de la version en

8 anglais, dernier paragraphe. C'est dans la partie portant sur "La situation

9 militaire et politique en Bosnie-Herzégovine."

10 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je réponds à votre demande à vous aider.

11 Ceci figure à la page 44 de la version en langue bosniaque, paragraphe 2 :

12 "L'influence croate sur le conflit en Bosnie-Herzégovine devenait de plus

13 en plus visible."

14 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation]

15 Q. [aucune interprétation]

16 L'INTERPRÈTE : Le micro n'est pas ouvert.

17 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Excusez-moi.

18 Q. Est-ce que vous pourriez nous clarifier ce que vous voulez dire par

19 cela, et sur la base de quoi avez-vous fait cette déclaration ?

20 R. Cette partie de mon rapport d'expert porte sur les événements en juin

21 et juillet 1992. Lorsque j'ai parlé de cela tout à l'heure, j'ai parlé des

22 accords passés, accords relatifs à la coopération passée entre le président

23 Izetbegovic et le président Tudjman. A ce moment-là, j'ai dit que, parmi

24 d'autres points, ces accords contenaient un point concernant toute forme

25 d'assistance; cependant, dans mon rapport d'expert, j'ai posé une question.

Page 10997

1 Parmi les questions-clé était la question liée à l'armée croate qui venait

2 en Bosnie-Herzégovine sans que les organes légaux de Bosnie-Herzégovine le

3 sachent.

4 Q. Je vais demander de l'aide de mon éminente collègue de la Défense pour

5 trouver l'équivalent de la page 33, de la version en anglais, notamment, la

6 note en bas de page numéro 76.

7 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Il s'agit de la page 41.

8 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation]

9 Q. L'avez-vous trouvée ?

10 R. Oui.

11 Q. Pouvez-vous nous expliquer cela ? Il s'agit d'une note assez longue.

12 Tout d'abord, est-ce que vous pouvez expliquer la source ou la base sur

13 laquelle vous avez rédigé cette note en bas de page ?

14 R. Pour ce qui est de la note en bas de page numéro 76, ceci fait

15 référence à une explication sur l'organisation des unités militaires

16 qualifiées de musulmanes. Ceci n'est pas une nouvelle chose. J'ai cité

17 plusieurs exemples ici, compte tenu du fait que je me suis penché en

18 profondeur sur l'histoire militaire, notamment, en ce qui concerne la

19 période autrichienne.

20 Dans cette organisation, s'agissant de la participation de la population

21 musulmane dans une armée à dominance chrétienne telle que l'armée

22 autrichienne à l'époque, l'on respectait entièrement la tradition de la

23 population musulmane. Il s'agissait du respect des libertés et coutumes

24 religieuses, ce qui n'était pas caractéristique seulement pour l'armée

25 autrichienne, mais ceci s'est poursuivi dans la Yougoslavie après l'année

Page 10998

1 1918. On respectait dans le cadre de l'armée les besoins religieux des

2 Musulmans. Ceci a été réglé par le biais de la législation.

3 Cette tradition a été respectée au cours de la Deuxième guerre mondiale

4 également. Par conséquent, à plusieurs reprises, plusieurs unités des

5 partisans ont été créées, qui contenaient le significatif musulman. Même

6 des brigades ont été constituées ainsi, comme par exemple, la 16e Brigade

7 musulmane, qui était l'une des unités les plus importantes. Il y avait

8 toute une série d'unités musulmanes qualifiées ainsi.

9 Par la suite, dans la Yougoslavie socialiste, cette tradition s'est

10 poursuivie jusqu'au démantèlement de la Yougoslavie. Ces faits figurent

11 justement dans cette note en bas de page numéro 76.

12 Je peux dire qu'il s'agit là du résultat des recherches relatives à un

13 grand nombre de documents lorsque je me préparais pour soutenir ma thèse de

14 doctorat également.

15 Q. Si je vous ai bien compris, est-ce que vous dites que la 7e Brigade

16 musulmane constituait simplement un effort visant à respecter les besoins

17 religieux des Musulmans, ou est-ce que vous dites que cette brigade s'est

18 fondée sur les besoins des Musulmans ? Est-ce que c'était la raison d'être

19 de la 7e Brigade musulmane ?

20 R. Ce dont il est question ici, ce sont uniquement les principes qui ont

21 été utilisés pour créer les unités, c'est-à-dire, que la liberté religieuse

22 a été mise en exergue. Il importe de savoir, dès le début, que la tradition

23 historique, à savoir, ce qui existait, et ce, uniquement depuis 1945, a été

24 supprimée.

25 C'est-à-dire qu'on n'insiste plus sur la liberté religieuse au sein de

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1 l'armée yougoslave et au sein de cette armée puisque, finalement, c'est

2 avant tout une armée athée dont nous parlons. Toutes les libertés

3 religieuses ont été mises sous les boisseaux. Je pense que, compte tenu que

4 cette période a duré longtemps puisqu'elle a duré

5 45 ans à peu près, il y a eu réaction à cela, réaction à cette suppression

6 de tous les éléments spécifiques des religions. Je pense que c'est dans ces

7 conditions que se sont créées ces unités, ce qui a constitué à

8 l'aboutissement d'un processus à long terme.

9 Q. Suis-je en droit de partir du principe ou même de dire que la 7e

10 Brigade musulmane était la brigade de la race musulmane, à savoir que les

11 Musulmans étaient automatiquement recrutés au sein de la 7e Brigade

12 musulmane. Ai-je raison de penser cela ?

13 R. Je pense que c'est une interprétation un peu simpliste des choses.

14 Q. Selon votre théorie et selon la note en bas de page numéro 76, on a

15 essayé, au sein de cette unité, de mettre en œuvre la pratique religieuse

16 qui, en l'espèce, était une pratique musulmane dans cette 7e Brigade

17 musulmane. Sur la base de votre théorie, ai-je raison de penser que les

18 membres de la religion islamique qui voulaient rejoindre ce qu'il est

19 convenu d'appeler l'armée, à savoir, l'ABiH, étaient automatiquement

20 orientés vers la 7e Brigade musulmane, et ce, en raison de leur pratique

21 religieuse, bien entendu ?

22 R. Je ne dirais pas que tel était le cas concrètement parce que, bien sûr,

23 l'élément religieux était mis en exergue. C'était un élément sur lequel on

24 insistait plus particulièrement, mais je ne dirais pas que cela signifiait

25 qu'automatiquement les Musulmans sont allés uniquement au sein de cette

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1 brigade.

2 Q. Cela ne signifie pas qu'ils rejoignaient automatiquement les rangs de

3 cette brigade, mais cela pourrait signifier qu'ils estimaient que c'était

4 la brigade la plus adaptée pour eux, compte tenu de leur conviction

5 religieuse.

6 R. Je pense que ce n'était pas la seule unité au sein de laquelle les

7 coutumes et les traditions religieuses étaient respectées. Je ne pense pas

8 que cela se passait uniquement au sein de la 7e Brigade musulmane. En

9 effet, c'était une tradition de la population musulmane que de respecter

10 les fêtes religieuses et de pratiquer les activités religieuses, les

11 devoirs religieux. Je ne pense pas que l'interprétation que l'on fait

12 puisse être aussi simplifiée. Il y a certains préjugés qui existent

13 également. Il y avait des coutumes religieuses comme aller à l'église, par

14 exemple, qui, je pense, n'existaient pas qu'au sein de cette unité. Je

15 pense qu'une telle interprétation est une interprétation fondée sur un

16 certain degré de préjugés.

17 Q. Avançons. Pourriez-vous expliquer aux Juges de la Chambre ce qu'est

18 exactement l'accord de Celebici ?

19 R. Dans mon rapport d'expert, il est rapidement question de cet accord de

20 Celebici conclu en juin 1993 et qui est un accord rendu public par les

21 médias internationaux. De quoi s'agissait-il ? Les Serbes et les Croates

22 avaient conclu un accord au sujet d'un transfert de la population dans les

23 conditions humaines. Vous constaterez que j'ai utilisé un titre dans mon

24 rapport, qui est issu du journal français le Figaro, titre d'un article du

25 Figaro, qui explique que cet accord était un moyen d'aboutir au nettoyage

Page 11001

1 ethnique de la population.

2 Q. Si je devais vous dire que, compte tenu de ce que vous avez fait savoir

3 précédemment, à savoir que ce sujet n'était pas le sujet central de vos

4 intérêts professionnels, si j'associe à cette remarque au fait que vous

5 avez indiqué dans votre rapport, le 16 juin 1993, que tous les médias ont

6 cité cet accord de Celebici, alors que vous ne citez qu'un seul journal, à

7 savoir, le Figaro, journal français, et si j'ajoutais que compte tenu de

8 tout cela, votre -- vos déclarations ne sont pas entièrement précises, est-

9 ce que vous seriez d'accord avec moi ?

10 R. S'agissant des articles de presse, il y en a eu un certain nombre qui

11 se sont penchés, avec un intérêt tout à fait important sur l'accord de

12 Celebici, qui portait sur le transfert dans des conditions humaines de la

13 population. Pour se faire une idée tout à fait précise de la situation, il

14 faut tenir compte d'une autre annonce qui a été faite par le président de

15 la Croatie, M. Tudjman, en 1995. Il est également cité ici. Dans ce qu'il

16 dit, il est également question d'un transfert de la population qui devrait

17 se faire de façon humaine. Tudjman en parle dans une interview, et dit que

18 cette conception a déjà été débattue à la Conférence internationale de

19 Genève, et que les premiers accords, sur ce transfert dans des conditions

20 humaines de la population, ont déjà été conclus. Il continue en expliquant

21 de quelle façon ces échanges entre population pourraient se faire dans la

22 pratique. Il évoque également les raisons pour lesquelles il serait bon de

23 pratiquer de tels transferts.

24 Q. Anto Valenta est évoqué dans le rapport, quelques lignes à peine avant

25 l'accord de Celebici, puisqu'il est question de lui dans cet accord. Vous

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1 dites, en parlant de lui, qu'il était président de la communauté croate

2 d'Herceg-Bosna. Alors, conviendriez-vous avec moi que vous vous trompez sur

3 le fait ici ? Que diriez-vous si je vous disais que les recherches

4 effectuées montrent qu'Anto Valenta n'était que vice-président du HVO, et

5 que c'était Kordic qui présidait à la communauté croate d'Herceg-Bosna ?

6 Seriez-vous d'accord avec moi ?

7 R. Dans le rapport d'expertise, le mot utilisé est vice-président. C'est

8 quelqu'un qui vient après le président. Le mot utilisé est vice-président.

9 Le mot utilisé est le mot croate "dopredsjednik" plutôt que le mot qui

10 serait plus adapté de "potpredsjednik".

11 Q. Dites-moi si je me trompe, peut-être me suis moi-même trompée au cours

12 de mes recherches, mais le poste de vice-président du HVO, n'est-il pas un

13 poste différent du poste de vice-président de la communauté croate

14 d'Herceg-Bosna ? Ces deux postes, ne sont-ils pas deux postes différents,

15 de fonction différente ?

16 R. Je crois qu'à la date du 10 mai, c'est-à-dire, à la date à laquelle a

17 été écrite cette lettre envoyée à Anto Valenta, je pense qu'à cette date-

18 là, il était vice-président de la communauté croate d'Herceg-Bosna et non

19 vice-président du HVO.

20 Q. Mais vous dites : "Je pense," ce qui peut donner l'impression que vous

21 n'êtes pas tout à fait sûr de cela.

22 R. Bien sûr, il est toujours possible que je me sois trompé, mais si tel

23 est le cas, je pense que ceci est tout à fait facile à vérifier

24 immédiatement dans les documents pertinents.

25 Q. Dans ces conditions, je me permettrais de vous dire qu'il y a un

Page 11003

1 certain nombre d'autres erreurs similaires à celle-ci dans le rapport, pour

2 la période allant de 1990 à 1995. Donc, en tenant compte, notamment, du

3 fait que ce sujet n'est pas votre sujet central sur le plan professionnel,

4 je vous demande s'il est envisageable que ce rapport comporte d'autres

5 erreurs ?

6 Vous avez entendu la question ?

7 R. Oui. Je ne pense pas qu'il y ait des erreurs. Eventuellement, une faute

8 de frappe, qui peut s'être glissée, mais vous dites que je ne m'occupe pas

9 de ce thème sur le plan professionnel, je vous répondrais que je m'en

10 occupe car j'ai publié un certain nombre de documents sur ce qui s'est

11 passé en 1992 et 1993. J'ai mené des recherches assez longues pendant mon

12 séjour en République allemande, donc je me considère totalement compétent

13 pour donner un avis sur cette période s'agissant de la Bosnie-Herzégovine.

14 Je dispose également de tous les documents nécessaires et, s'il y a une

15 erreur, comme vous semblez le laisser entendre, je ne pense pas que vous

16 ayez raison de l'affirmer. Je pense qu'il n'y a pas d'erreurs dans mon

17 rapport.

18 Q. Si vous m'avez comprise comme ayant dit que votre rapport n'était pas

19 un rapport d'un professionnel, je vous prie de m'en excuser. Ce n'était pas

20 mon intention d'affirmer cela. Mais vous avez vous-même fait savoir aux

21 Juges de la Chambre de première instance que ce sujet n'entrait pas dans

22 votre activité professionnelle principale, donc je vous demanderais, compte

23 tenu de ce que vous avez vous-même déclaré, s'il est éventuellement

24 possible que certaines inexactitudes se soient glissées dans votre rapport.

25 Je n'en parle qu'en tant qu'éventualité.

Page 11004

1 R. Lorsque j'ai parlé du domaine dont je m'occupe sur le plan

2 professionnel, je pensais, avant tout, à la période qui était l'Empire

3 austro-hongrois parce que c'est le sujet qui a fait l'objet de ma thèse de

4 doctorat, mais la politique du XXe siècle fait également partie de mon

5 domaine de compétence. L'objet de mes recherches a été précisément la

6 période qui a suivi le démantèlement de la Yougoslavie et les événements

7 qui se sont déroulés en Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995.

8 Puisque je m'occupe d'histoire, mon domaine d'intérêt professionnel et

9 l'histoire du monde, ceci fait intégralement partie de mon domaine de

10 compétences. Les événements qui se sont déroulés après 1918 jusqu'à présent

11 en font partie, et je crois que j'ai pleine compétence pour donner un avis

12 d'expert sur cette période historique.

13 Q. Merci.

14 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai plus

15 de questions.

16 M. LE JUGE ANTONETTI : Il sera 18 heures dans vingt-cinq minutes. Nous

17 reprendrons à 18 heures.

18 --- L'audience est suspendue à 17 heures 35.

19 --- L'audience est reprise à 18 heures 01.

20 M. LE JUGE ANTONETTI : Madame Benjamin, avez-vous d'autres

21 questions ?

22 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

23 M. LE JUGE ANTONETTI : Est-ce que les Défenseurs, suite aux questions

24 posées par l'Accusation, ont-elles -- les Défenseurs ont-ils des questions

25 supplémentaires ?

Page 11005

1 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Merci bien, Monsieur le Président, nous

2 n'avons pas de questions supplémentaires.

3 M. LE JUGE ANTONETTI : Les autres Défenseurs ?

4 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, pas de questions.

5 Questions de la Cour :

6 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur, j'ai quelques questions à vous poser

7 qui émanent -- la première est une question que l'Accusation vous a posée

8 sur les problèmes religieux. Vous avez indiqué, dans votre rapport, une

9 note de bas de page, la note 76, et vous avez fait une référence à la

10 question des Unités musulmanes. Vous indiquez, dans votre note de bas de

11 page, qu'en 1944, des Musulmans avaient rejoint les rangs des partisans et

12 qu'une unité -- que des unités avaient été créées, et vous citez la 16e

13 Brigade musulmane de Tuzla. Vous indiquez, dans votre note de bas de page,

14 que ces Musulmans avaient rejoint ce type d'Unité de Partisans parce que

15 c'était en vue du futur. Ce que j'aimerais savoir c'est, dans la

16 Yougoslavie socialiste, après 1945, dans l'armée yougoslave, y avait-il

17 dans l'armée un sentiment religieux, ou l'idéologie socialiste avait fait

18 que les questions religieuses s'étaient estompées totalement et que ce

19 n'était plus un problème d'actualité ? En tant que témoin expert, que

20 pouvez-vous nous dire ?

21 R. La tradition qui existait auparavant, depuis la création de l'Etat

22 yougoslave en 1945, a disparu. A partir de ce moment-là, on peut dire que

23 l'idéologie était l'élément dominant, et tous les symboles religieux ont

24 été supprimés parce que l'Etat était un Etat athée, donc l'expression

25 religieuse, au sein de l'armée populaire yougoslave, et tous les

Page 11006

1 comportements qui l'exprimaient étaient interdits.

2 Par conséquent, tous les comportements traditionnels qui existaient par le

3 passé ont disparu. Ces comportements spécifiques ont été remis à l'honneur

4 par la suite, mais supprimé à partir de 1945.

5 Moi-même, j'ai servi dans les rangs de la JNA, donc je peux vous

6 donner un certain nombre d'exemples. L'alimentation, par exemple. On sait

7 bien, et on savait bien, que certains soldats ne mangeaient pas certains

8 aliments. Or, au sein de l'armée populaire yougoslave, ils étaient

9 contraints de manger ces aliments car ils n'avaient pas le choix, soit ils

10 mangeaient, soit ils restaient sur leur faim.

11 Donc l'idéologie était au premier plan -- au premier rang, la religion

12 était totalement séparée et de l'Etat et de l'armée.

13 M. LE JUGE ANTONETTI : Si je vous comprends bien, l'idéologie de l'ex-

14 Yougoslavie faisait en sorte que tous les signes distinctifs d'une religion

15 ne devaient pas apparaître dans le fonctionnement régulier de l'armée. Vous

16 nous indiquez que vous-même vous avez fait votre service dans la JNA et

17 vous citez des exemples.

18 En vous suivant dans votre analyse, est-ce dire, à ce moment-là, que

19 lorsque la Bosnie-Herzégovine est devenue un Etat, le sentiment religieux

20 est revenu très vite et a pris, à ce moment-là, une importance en raison

21 des quelques décennies écoulées où la religion n'avait pu s'exprimer ? Est-

22 ce que vous voyez une relation de cause à effet entre le fait que, dans

23 l'armée de la Bosnie-Herzégovine, l'ABiH, il y ait eu, à ce moment-là, des

24 unités où on a eu, d'ailleurs pas plus tard que la semaine dernière, un

25 témoin qui était chargé de la morale et de la question religieuse ?

Page 11007

1 Est-ce que vous voyez une relation de cause à effet ?

2 R. Monsieur le Président, je considère qu'il y a une certaine relation de

3 cause à effet, car notamment, lorsqu'on parle des signes distinctifs

4 religieux, il s'est passé une période assez prolongée, de pratiquement un

5 demi-siècle où certaines choses se sont faites, et cela a eu une influence

6 dans une certaine mesure sur les événements à partir de 1992, année au

7 cours de laquelle l'expression des convictions religieuses a refait

8 surface.

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Sur un autre sujet. Il a été indiqué lors des

10 questions, la naissance de mouvements de type nationaliste, les Serbes,

11 avec la création de cette république serbe en Bosnie-Herzégovine. La

12 question des Croates, également, qui se crée l'Etat de Bosnie-Herzégovine à

13 composante musulmane.

14 Est-ce que -- là aussi, entre l'idéologie socialiste et le sentiment

15 national, est-ce qu'il n'y avait pas eu la disparition de sentiments

16 nationaux, raison même de la présence d'une idéologie dans l'Etat, comme

17 vous l'avez indiqué, athée, mais également d'un Etat où les sentiments

18 nationaux n'avaient pas cours, que pouvez-vous nous dire sur ce point ?

19 R. S'agissant des idéologies nationales sur le territoire de la Bosnie-

20 Herzégovine, il faudrait remonter longtemps en arrière. Il faudrait revenir

21 à la deuxième moitié du XIXe siècle pour examiner la signification du

22 processus de développement du nazisme sur le territoire des Balkans et,

23 plus particulièrement, sur le sud-est de l'Europe. Il y avait un certain

24 nombre d'idées qui avaient cours à l'époque en Europe, notamment, l'idée de

25 Herder, une Europe, un peuple, un Etat, qui s'est incarnée dans tous les

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1 programmes nationaux dans cette partie de l'Europe, à savoir, dans les

2 Etats balkaniques. Ceci est particulièrement typique de la deuxième moitié

3 du XIXe siècle. Les mouvements nationaux qui existaient à l'est de

4 l'Europe, notamment, en Bosnie-Herzégovine, étaient des mouvements

5 nationalistes, très similaires à ceux des Etats voisins, à savoir, la

6 Serbie et la Croatie. Ces mouvements nationalistes se sont déplacés vers le

7 territoire de la Bosnie-Herzégovine dans les années 1960 et 1970 du XIXe

8 siècle. Par la suite, sous l'Empire austro-hongrois, il y a eu une certaine

9 libéralisation avec une version plus libérale du nationalisme qui passait

10 par la création d'écoles spécifiques par l'élaboration d'un certain nombre

11 de symboles nationaux. A partir de la décennie des années 1990, le combat

12 pour l'autonomie religieuse et nationale a démarré en Bosnie-Herzégovine.

13 Ce combat s'est achevé avant 1910, date à laquelle l'Empire austro-hongrois

14 a, dans une certaine mesure, donné la liberté nationale et religieuse à la

15 population, et donc un certain nombre de mouvements se sont créés en

16 Bosnie-Herzégovine.

17 Par la suite, lorsque nous parlons de rapports interethniques, j'en arrive

18 à la période entre les deux guerres, et là, deux conceptions apparaissent,

19 à savoir, le mouvement nationaliste serbe, et le mouvement nationaliste

20 croate. Entre ces deux mouvements, on trouvait les Musulmans de Bosnie-

21 Herzégovine qui exprimaient toujours leur idée nationale par le biais de

22 leur religion.

23 Après la Deuxième guerre mondiale, il est permis de dire, disons à partir

24 de 1949, après la suppression de toutes les organisations ethniques et de

25 toutes les alliances, on peut dire que puisque la plupart des organisations

Page 11009

1 détruites étaient de nature religieuse, l'idéologie du système dominant l'a

2 emporté, et tous les symboles nationalistes ou nationaux ont disparu.

3 L'idée yougoslave était l'idée qui prévalait à l'époque, qui a été mise en

4 avant. Ceci a été le cas jusqu'à la mort de Josip Broz Tito. D'une certaine

5 façon, on peut dire que les symboles nationaux ont été supprimés, mais, à

6 partir de la mort de Josip Broz Tito, c'est une crise générale qui éclate,

7 crise qui va conduire à la mise en place des conditions qui ont fait

8 renaître ces sentiments nationalistes.

9 Tout cela a commencé, comme je l'ai déjà expliqué, au cœur même de la

10 Yougoslavie, pas du tout en périphérie de la Yougoslavie, mais en son cœur

11 même en Serbie. Ce processus a démarré en 1986 et culminé en 1992 avec les

12 éléments qui en ont découlé.

13 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie pour cette précision. Je vais

14 passer à un autre sujet en vous demandant de regarder la carte 15 et la

15 carte 16. La carte 15 est le plan Vance-Owen, et la carte 16, c'est le plan

16 Owen-Stoltenberg.

17 Lorsqu'on fait une comparaison de ces deux cartes, on constate que les

18 localités de Travnik et Bugojno qui, dans le plan Stoltenberg sont

19 rattachées à la Bosnie-Herzégovine, donc n'étaient pas rattachées puisque,

20 dans le plan Vance-Owen, Travnik et Bugojno étaient rattachées à l'entité

21 croate. On s'aperçoit, en comparant les deux plans, que, dans le plan Owen-

22 Stoltenberg, on fait basculer la zone Bugojno et Travnik dans la zone de la

23 Bosnie-Herzégovine musulmane. Comment expliquer ce basculement, alors que,

24 dans le document que vous nous avez également fourni qui est le recensement

25 de 1991, qui est le document avec la liste des municipalités et la

Page 11010

1 population, on constate en réalité qu'à Bugojno, la population bosniaque,

2 il y avait 19 697 habitants, les Croates étaient 16 000, et les Serbes,

3 8 000, et les autres 2 004 ? On constate que Bugojno n'était pas

4 majoritairement musulman. De même à Travnik, même situation, puisqu'il y

5 avait 31 813 habitants bosniaques, 26 000 Croates, et 7 000 Serbes; ces

6 deux localités n'étaient pas majoritairement musulmanes. Comment expliquer,

7 à ce moment-là, qu'elle bascule dans le plan Owen-Stoltenberg dans une

8 appartenance musulmane ? Est-ce que vous avez une explication à donner ?

9 R. Comme on peut le voir sur la carte qui reprend le plan Vance-Owen,

10 Travnik, comme Bugojno, faisait partie des provinces croates, comme prévu

11 de par le plan Vance-Owen. Le deuxième plan, qui fait l'objet des débats

12 ici, c'est le plan Owen-Stoltenberg, qui intervient à peu près à huit mois

13 et demi après les premières cartes d'après le plan Vance-Owen.

14 Pendant ce laps de temps, entre le mois de janvier et le mois

15 d'octobre, des activités militaires ont eu lieu, donc, cela explique les

16 changements. La raison des changements a été la suivante : au mois d'août,

17 le mois du plan Stoltenberg, ces villes, la Bugojno et Travnik, étaient

18 placées sous le contrôle des Unités de l'ABiH.

19 M. LE JUGE ANTONETTI : L'explication, en qualité d'expert, c'est

20 qu'en réalité, ce plan a pris en compte la présence des forces de l'ABiH

21 dans ces localités, ce qui explique ce plan.

22 Avec ce raisonnement, s'ils avaient été jusqu'à Jajce ou Kupres,

23 peut-être que ce plan aurait concrétisé l'action militaire. C'est

24 l'interprétation que vous donnez. C'est que le plan Stoltenberg-Owen, en

25 réalité, concrétisait une situation du terrain militaire.

Page 11011

1 J'ai une autre question à vous poser dans le même ordre d'esprit.

2 Dans le classeur que la Défense vous a remis, à la pièce 520, il y a une

3 déclaration du colonel Kordic. Il dit ceci, le colonel Kordic, lors de la

4 prise de serment : "Le territoire croate de Zenica est croate." Comment

5 peut-il dire cela alors même que, lorsque l'on regarde le recensement de

6 1991, on s'aperçoit qu'à Zenica, il y a 80 359 Bosniaques, et les Croates

7 ne sont que 22 000 ? Comment peut-on affirmer que Zenica est croate alors

8 même que le recensement dit le contraire ? Quelle explication pouvez-vous

9 donner à ce propos ?

10 R. Monsieur le Président, l'explication serait la

11 suivante : naturellement, compte tenu du fait qu'à Zenica la population est

12 majoritairement musulmane et que les Croates constituent la minorité, la

13 question est de savoir comment peut-on expliquer cela ? Il faudrait

14 remonter un petit peu dans le temps.

15 Dès le mois de mars 1992, et ce, dans le cadre de la communauté

16 croate d'Herceg-Bosna, une question s'est posée. Qu'adviendrait-il des

17 territoires où les Musulmans sont majoritaires, et comment faut-il que les

18 Croates s'organisent sur ces territoires-là ?

19 Il me semble qu'il y a un document du 17 mars qui porte la conclusion

20 où il est dit que sur le territoire de la municipalité de Zenica, il

21 convient de séparer, d'isoler une portion du territoire où la population

22 croate serait majoritaire. Dans ce sens, il convenait de mettre sur pied

23 des Unités militaires spécifiques au sein du HVO, donc des Unités du HVO

24 sur le territoire de la municipalité de Zenica.

25 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous interprétez cette déclaration comme une volonté

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1 du HVO de couper la zone de Zenica en deux en fonction de la présence ou

2 pas des communautés musulmanes ou croates. C'est l'interprétation que vous

3 donnez de ces propos.

4 Un dernier sujet. A la page 39 de votre rapport, vous évoquez la Conférence

5 islamique de Jeddah. Les ministres des Affaires étrangères de pays arabes,

6 et vous mentionnez qu'était présent, lors de cette conférence, Lord Owen.

7 Au cours des débats, c'est ce que vous indiquez vous-même, vous indiquez

8 qu'à ce moment-là, il y avait été question d'un lifting de la résolution

9 sur l'embargo des armes, et que les co-présidents de la conférence, Lord

10 Owen et M. Vance, s'y étaient opposés. Mais, vous nous dites, et je vous

11 lis : "Les participants à cette conférence n'ont pas exclu l'utilisation de

12 la force militaire sur le fondement de l'Article 42 de la charte des

13 Nations Unies."

14 Est-ce que, d'après les études que vous avez effectuées et vos recherches,

15 est-ce que vous avez pu avoir le sentiment que les pays arabes, nonobstant

16 l'opposition de Lord Owen et de M. Vance, aient pu, d'une manière directe

17 ou indirecte, contourner l'embargo sur les armes par l'envoi d'armement aux

18 troupes musulmanes en Bosnie-Herzégovine ? Vous êtes vous-même arrivé à

19 quelle conclusion dans vos recherches et études ?

20 R. Monsieur le Président, à l'examen des documents que j'ai eus à ma

21 disposition et dont je me suis servi pour rédiger ce chapitre-là de mon

22 expertise, je précise que je me suis servi des documents, en fait, d'une

23 revue qui, aujourd'hui, est considérée comme l'une des revues les plus

24 réputées en la matière de la politique internationale.

25 Cette revue reprend les faits que l'on retrouve dans mon rapport. Quant à

Page 11013

1 la question qui est de savoir si ceci aurait pu inciter les pays islamiques

2 à lever eux-mêmes l'embargo et à fournir des armes à la Bosnie-Herzégovine,

3 il faudrait tenir compte d'une chose, même si on en venait à prendre ce

4 gendre de décision, comment la traduire dans les faits. Les routes étaient

5 bloquées, coupées en Bosnie-Herzégovine, dans leur ensemble. Il était très

6 difficile de traduire dans les faits ce genre de décision. Ceci n'aurait

7 servi à rien si on ne pouvait pas garantir des voies d'accès à

8 l'approvisionnement et, compte tenu de la situation qui prévalait, à ce

9 moment-là en Bosnie-Herzégovine, compte tenu de l'encerclement total, ceci

10 était totalement irréalisable.

11 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. A la suite de ces questions, est-

12 ce que les uns ou les autres auraient des questions nouvelles à poser au

13 témoin ?

14 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai que deux

15 questions à poser.

16 Nouvel interrogatoire par Mme Residovic :

17 Q. [interprétation] Docteur Sehic, le président de la Chambre de première

18 instance vous a montré les cartes de Vance-Owen et Owen-Stoltenberg. A ce

19 sujet, je souhaite vous demander la chose suivante : le principe ethnique

20 que l'on retrouve dans chacun des plans de paix et qui constitue la base

21 même de chacun de ces plans, dans quelle mesure correspondait-il à la

22 nature profonde de la Bosnie-Herzégovine, ou plutôt dans quelle mesure

23 attisaient-ils les tendances qui cherchaient à détruire cet Etat ?

24 R. Il faudrait remonter un petit peu dans le temps. Il faudrait repartir

25 en prenant pour le point de départ l'année 1992. Quelles sont les bases qui

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1 auraient dû être les bases des négociations à la recherche d'une solution

2 pour la Bosnie-Herzégovine ? Comme je l'ai dit, par cette décision du

3 21 décembre, la communauté internationale, par la décision de sa

4 commission, dont le président a été le président de la Cour

5 constitutionnelle de France, M. Robert Badinter, par sa décision, il a

6 souligné que les résultats de la guerre ne seraient jamais acceptés ou

7 admis.

8 Pour ce qui est des principes ethniques, on les retrouve à tout moment,

9 tout au long de la période, dans tous les accords internationaux. Avant

10 tout, évoquons le premier plan de paix, le plan de Cutileiro. Mais les deux

11 conférences, qui se sont tenues à Lisbonne, vu que la guerre a éclaté, ce

12 plan a perdu toute son importance. Mais aussi, tous les plans que l'on voit

13 par la suite, à commencer par le plan Vance-Owen, puis le plan Stoltenberg,

14 se fondent sur le principe ethnique.

15 Quant à ce principe ethnique, le gouvernement de Bosnie-Herzégovine n'a eu

16 de cesse de refuser les délimitations et tout accord si un accord de paix

17 et de délimitation devait se fonder uniquement sur des principes ethniques.

18 Dès le mois de juin 1992, d'ailleurs, le gouvernement de Bosnie-Herzégovine

19 a adopté une plateforme. Tout au long de la guerre, cette plate-forme est

20 restée en vigueur, et on a respecté les principes soulignés dans la

21 plateforme, à savoir que tous les peuples constitutifs de Bosnie-

22 Herzégovine, ainsi que les minorités nationales, devaient bénéficier des

23 mêmes droits.

24 Or, ces principes que l'on voit dans tous ces accords, tous ces plans de

25 paix, sont contraires à la nature même de Bosnie-Herzégovine. C'est une

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1 tentative de dessiner des lignes de séparations ethniques. Il suffit de

2 consulter la carte démographique de 1991. On disait toujours que cette

3 carte rappelait la peau de léopard. La population était tellement mélangée.

4 Ce n'était que par recours à la force qu'on pouvait les départager, les

5 séparer.

6 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Je vous remercie. Je n'ai pas d'autres

7 questions.

8 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Je n'ai pas de questions, Monsieur le

9 Président.

10 M. LE JUGE ANTONETTI : Est-ce que l'Accusation a des questions ?

11 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Juste une question, Monsieur le

12 Président.

13 Contre-interrogatoire supplémentaire par Mme Henry-Benjamin :

14 Q. [interprétation] Docteur, si vous aviez eu la possibilité ou si vous

15 aviez la possibilité de consulter d'autres sources, par exemple, des

16 documents croates qui constituent des pièces à conviction devant ce

17 Tribunal, est-ce qu'à votre sens, ceci pourrait modifier les conclusions

18 auxquelles vous êtes arrivé pendant la rédaction de votre rapport ?

19 R. Je l'ai déjà dit. J'ai déjà précisé quelles ont été mes sources, le

20 corpus selon lequel j'ai travaillé. En plus des documents, des articles de

21 référence, des textes de référence, comme je l'ai dit, je me suis servi des

22 documents qui m'ont été communiqués par le bureau de la Défense. Avant

23 tout, c'étaient des documents de l'ABiH, des documents du conseil croate de

24 Défense. Ensuite, j'ai consulté les affaires déjà terminées : Celebici,

25 Kordic, Blaskic. Quant à savoir si de nouveaux documents me feraient

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1 changer d'opinion, je vous dirais que je ne le pense pas.

2 J'ai étudié chacun des documents. J'ai appliqué la méthode comparée

3 pour vérifier la validité de chacun d'entre eux. Autrement dit, je ne me

4 suis pas permis de tirer des conclusions en me fondant uniquement sur des

5 interprétations unilatérales ou partiales. C'est à ce genre de conclusions

6 qu'on arrive lorsqu'on ne s'applique que sur une source. Je me suis appuyé

7 sur les documents de différentes provenances, bosniennes, croates, voire,

8 mêmes des documents internationaux.

9 Q. Je vous remercie, Docteur.

10 Mme HENRY-BENJAMIN : [interprétation] Monsieur le Président, j'en ai

11 terminé.

12 M. LE JUGE ANTONETTI : Docteur, votre journée en qualité de témoin expert

13 vient de s'achever. Je vous remercie, au nom de la Chambre, des réponses

14 que vous avez apportées à toutes les questions qui vous ont été posées,

15 tant par la Défense qu'à l'Accusation que par moi-même. Nous formulons,

16 bien entendu, nos meilleurs vœux de réussite dans l'exercice de votre

17 métier d'enseignement, et nous vous souhaitons un bon voyage de retour.

18 Je vais demander à M. l'Huissier de bien vouloir vous raccompagner à

19 la porte de la salle d'audience.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

21 [Le témoin se retire]

22 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais me tourner maintenant vers l'Accusation pour

23 la question du versement des pièces dites annexes, à savoir, les pièces qui

24 étaient dans le rapport du témoin expert, voire, des pièces qui sont dans

25 votre classeur et dont vous nous avez dit que c'étaient des extraits de

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1 pièces. Que demandez-vous afin que les documents soient versés ?

2 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Tout d'abord, Monsieur le Président, à la

3 page 72, ligne 19, je pense qu'il y a un lapsus. Je pense que vous avez

4 souhaité vous adresser à la Défense.

5 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous ai regardée, cela ne peut être que vous.

6 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, en ce qui concerne

7 ce témoin expert, tout d'abord, nous souhaitons proposer le versement au

8 dossier de son rapport d'expert car je pense qu'en répondant aux questions

9 de la Défense, de l'Accusation et de la Chambre de première instance, il a

10 rendu son rapport fiable. Donc, je propose son versement au dossier.

11 Je propose également le versement au dossier de la série de cartes de 1 à

12 17, compte tenu du fait que ce témoin a confirmé le fait que lui-même avait

13 élaboré le catalogue de ces cartes, et il a indiqué les sources dont ces

14 cartes proviennent.

15 Pour ce qui est des documents que nous souhaitons proposer en tant que

16 pièces à conviction de la Défense, la Défense ne souhaite pas proposer,

17 parmi tous les documents que nous avons reçus de la part de ces documents,

18 aucun document portant sur les faits. Donc, la Défense ne proposera pas les

19 documents portant sur les documents de l'ABiH, par exemple, car nous allons

20 effectuer cela par le biais des autres témoins, ni les documents du HVO,

21 car nous demanderons d'abord confirmation de la part des témoins qui sont

22 au courant de ces événements-là. La Défense souhaite proposer seulement une

23 partie des documents de nature professionnelle et scientifique, donc des

24 livres, des études, des projets scientifiques, qui font partie du corpus de

25 documents auxquels s'est appuyé le Dr Sehic. Puisque nous n'avons pas fini

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1 la rédaction de cette liste, je propose que nous finissions cela demain, et

2 que nous fassions un passage en revue de ces documents demain, et nous

3 allons, à ce moment-là, proposer leur versement au dossier.

4 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Vous nous dites qu'en l'état, vous

5 préparez une fiche récapitulative de tous les documents. Quoiqu'il en soit,

6 il y aura le rapport d'expert, les 17 cartes, et plus les documents que

7 vous allez sélectionnés. Mais, si vous n'êtes pas prêt, donc vous nous le

8 direz demain ou après demain.

9 Ce n'est pas la peine de recueillir l'avis du Procureur tant qu'il n'a pas

10 encore l'ensemble de la liste. Je vous remercie. Ce point, nous le

11 reverrons demain ou après demain.

12 Concernant les témoins à venir, quelles sont les bonnes nouvelles ou les

13 mauvaises nouvelles à nous annoncer.

14 Mme RESIDOVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je propose que l'on

15 passe à huis clos partiel maintenant.

16 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, à huis clos partiel.

17 M. LE GREFFIER : Nous sommes à huis clos partiel, Monsieur le Président.

18 [Audience à huis clos partiel]

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21 (expurgée)

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23 (expurgée)

24 ---L'audience est levée à 18 heures 53 et reprendra le mardi 2

25 novembre 2004, à 9 heures.