Affaire n° : IT-01-48-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
17 décembre 2004

LE PROCUREUR

c/

SEFER HALILOVIC

____________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS D’AUTORISATION DE MODIFIER L’ACTE D’ACCUSATION

____________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Philip Weiner
Mme Sureta Chana

Les Conseils de l’Accusé :

M. Peter Morrissey
M. Guénaël Mettraux

 

I. Écritures des parties

1. La Chambre de première instance est saisie d’une requête déposée par l’Accusation le 29 septembre 2004, par laquelle celle-ci demande l’autorisation de modifier l’acte d’accusation (Prosecutor’s Motion Seeking Leave to Amend the Indictment) (la « Requête »). Le 18 octobre 2004, la Défense a déposé sa réponse à laquelle était jointe une annexe confidentielle (Response to Prosecution Motion to Amend the Indictment) (la « Réponse »). Ce document dépassait le nombre maximal de pages fixé par la Directive pratique relative à la longueur des mémoires et des requêtes (la « Directive pratique »)1. L’Accusation a déposé le 22 octobre 2004 sa réplique (Reply to Defence Response to Prosecution Motion to Amend Indictment) (la « Réplique ») dans laquelle, avant d’entreprendre de réfuter les arguments de la Défense, elle demande l’autorisation, en application de l’article 126 bis du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), de répondre à la Défense. La Chambre de première instance est convaincue qu’un examen de l’ensemble des arguments soulevés par les parties lui sera utile pour rendre sa décision. En conséquence, elle autorise l’Accusation à répondre à la Défense et accepte la Réponse déposée par celle-ci, bien qu’elle excède le nombre de pages fixé.

II. Acte d’accusation et rappel de la procédure y afférente

2. Le 30 juillet 2001, l’Accusation a déposé un acte d’accusation établi à l’encontre de Sefer Halilovic (l’« Accusé »), accompagné de pièces justificatives. Le 10 septembre  2001, l’Accusation a modifié et complété cet acte d’accusation (« Acte d’accusation actuel »)2. Le 12 septembre 2001, l’Acte d’accusation actuel a été examiné et confirmé par un juge qui a estimé qu’au vu des pièces justificatives présentées par l’Accusation, il y avait lieu d’engager des poursuites contre l’Accusé pour des violations des lois ou coutumes de la guerre 3. Dans l’Acte d’accusation actuel, l’Accusé est en particulier tenu individuellement responsable, en tant que supérieur hiérarchique, du meurtre par ses subordonnés de soixante-deux civils et d’un prisonnier de guerre. Le paragraphe-clé de l’Acte d’accusation actuel est le suivant :

34. Faisant fi de ses responsabilités de commandant, telles qu’elles sont exposées ci-dessus, Sefer HALILOVIC n’a pas pris de mesures effectives pour empêcher le massacre de civils à Grabovica. En outre, en dépit de l’ordre de Rasim Delic daté du 12 septembre 1993, Sefer HALILOVIC n’a pas pris les mesures pour qu’une enquête adéquate soit menée afin d’identifier les auteurs des massacres de Grabovica et d’Uzdol et, en sa qualité de commandant de l’Opération, pour les punir.

Par ces actes et omissions en rapport avec les massacres de Grabovica et d’Uzdol, Sefer HALILOVIC s’est rendu coupable de :

CHEF 1 : meurtre, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE sanctionnée par les articles 3 et 7 3) du Statut, et reconnue par l’article 3) 1) a) des Conventions de Genève4.

3. La comparution initiale a eu lieu le 27 septembre 2001 et l’Accusé a plaidé non coupable du seul chef retenu à son encontre5. Le 13 décembre 2001, la présente Chambre de première instance a fait droit à sa demande de mise en liberté provisoire6. La phase préalable au procès s’est poursuivie, même si, depuis la comparution initiale, plusieurs conseils se sont succédés pour représenter l’Accusé.

4. Le 13 mars 2003, la Défense a présenté une requête en application de l’article  65 ter K) du Règlement, par laquelle elle demandait au juge de la mise en état de lever la renonciation et d’accorder des mesures en application de l’article  72 du Règlement (Defence Motion Pursuant to Rule 65 Ter (K) Requesting the Pre -Trial Judge to Grant Relief From Waiver and to Grant Relief Pursuant to Rule 72 ) (« Requête en application de l’article 65 ter K) »). Ce fut là la seule exception préjudicielle pour vices de forme de l’acte d’accusation soulevée par la Défense. Dans cette requête déposée plus de quinze mois après l’expiration du délai imparti pour le dépôt des exceptions préjudicielles, le conseil nouvellement commis à la défense de l’Accusé se plaint de ce que l’acte d’accusation n’est pas « précis et suffisamment circonstancié », et demande à la Chambre d’ordonner à l’Accusation de « déposer un acte d’accusation modifié dans lequel seraient précisés, pour chacun des meurtres présumés, les nom et prénom de la victime ainsi que le nom de son père, les lieu et date du meurtre, la cause du décès et l’identité de l’auteur présumé du crime »7. Le 1er avril 2003, la Chambre de première instance a rejeté cette requête au motif que la Défense n’avait pas présenté des arguments convaincants de nature à justifier que la Chambre accepte de prendre en compte une exception préjudicielle déposée après l’expiration du délai fixé par le Règlement8.

5. La Requête de l’Accusation est la première demande de modification de l’acte d’accusation déposée en l’espèce.

III. Arguments des parties

6. L’Accusation souhaite modifier le paragraphe-clé de l’acte d’accusation (cité supra) en y ajoutant deux mots, de manière à ce qu’il se lise ainsi (les deux mots ajoutés sont en gras et soulignés) :

Faisant fi de ses responsabilités de commandant, telles qu’elles sont exposées ci -dessus, Sefer HALILOVIC n’a pas pris de mesures effectives pour empêcher le massacre de civils à Grabovica et Uzdol. [...]9

7. L’Accusation fait valoir que la modification proposée n’ajoute rien à l’accusation de meurtre déjà existante, mais vise à « clarifier les choses et à remédier à ce qui pourrait être perçu comme une imprécision de l’acte d’accusation dans son état actuel10 ». En outre, l’Accusation affirme que « l’acte d’accusation renferme bien l’allégation (et de fait, c’est ainsi qu’il a été compris) que l’Accusé n’a pas pris des mesures effectives pour empêcher le meurtre de civils à Uzdol. Lu à la lumière du paragraphe 43 de l’acte d’accusation, le chef 1, tel qu’il est rédigé, montre sans équivoque que l’Accusé est mis en cause pour manquement à l’obligation de prévenir et de punir les meurtres commis à la fois à Grabovica et à Uzdol11  ».

8. L’Accusation s’appuie également sur les mémoires préalables au procès déposés par les parties pour faire valoir que « les paragraphes 108 à 117 de son mémoire préalable au procès [...] informent clairement l’Accusé qu’il lui est reproché d’avoir manqué à l’obligation de prévenir les meurtres commis à Uzdol. De même, les paragraphes  108 à 113 du mémoire préalable au procès de la Défense concernent précisément cette allégation12 ». Enfin, l’Accusation soutient que la modification qu’elle propose ne porterait pas préjudice à l’Accusé apparemment parce que celle-ci « se fonde sur des faits exposés tous ou presque dans l’acte d’accusation initial13  ». Selon l’Accusation, dans la mesure où cette modification ne constitue pas une nouvelle accusation, une seconde comparution de l’Accusé ne s’impose pas et le calendrier des audiences préalables au procès, ainsi que le calendrier éventuel du procès, ne devraient pas être modifiés14.

9. En réponse, la Défense soutient que « le manquement à l’obligation de prévenir et le manquement à l’obligation de punir, s’ils engagent l’un et l’autre la responsabilité aux termes de l’article 7 3) [...], sont toutefois distincts tant sur le plan des principes que sur celui des faits. Cette modification a donc pour effet de faire reposer la responsabilité de Sefer Halilovic, pour les nombreux crimes qui auraient été commis à Uzdol, sur une base entièrement nouvelle15  ». À l’Accusation qui affirme que les paragraphes cités de son Premier mémoire informent l’Accusé qu’il lui est reproché, dans le cadre de l’accusation générale de meurtre figurant au chef 1, d’avoir manqué à l’obligation de prévenir les meurtres commis à Uzdol, la Défense répond qu’il ressort de la jurisprudence de ce Tribunal et de celle du Tribunal pénal international pour le Rwanda (le « TPIR ») que les accusations et les faits essentiels sous-jacents sur lesquels l’Accusation se fonde doivent être exposés expressément dans l’acte d’accusation16. La Défense fait valoir que dans l’Acte d’accusation actuel, « il n’est pas indiqué que Sefer Halilovic devrait être tenu pénalement responsable d’avoir manqué à l’obligation de prévenir les meurtres commis dans le village d’Uzdol », et que la modification proposée donne naissance à un chef d’accusation nouveau au sens de l’article 50 du Règlement17.

10. La Défense conteste vigoureusement l’affirmation de l’Accusation selon laquelle la modification envisagée ne porterait pas préjudice à l’Accusé18. Si, toutefois, la Requête devait être accueillie, la Défense fait savoir qu’elle ne saurait se ranger à l’opinion de l’Accusation et estimer inutiles une seconde comparution de l’Accusé et une nouvelle confirmation de ce qui constitue à ses yeux un nouveau chef d’accusation19. La Défense prévient en outre que vu l’importance que revêt la modification proposée, la procédure accuserait immanquablement un retard, car l’Accusé est en droit de se voir accorder, en application de l’article 21 4) b) du Statut et de l’article  50 C) du Règlement, un délai supplémentaire pour se préparer à répondre à l’accusation de manquement à l’obligation de prévenir les crimes d’Uzdol20.

11. Dans sa Réplique, l’Accusation soulève un nouvel argument selon lequel le paragraphe  43 de l’Acte d’accusation actuel, « lu à la lumière de l’ensemble des paragraphes précédents21 », et en particulier des paragraphes 4 et 24, fait clairement état de cette accusation, s’agissant des meurtres commis à Uzdol22. Dans ces deux paragraphes, il est allégué respectivement que l’Accusé était le plus haut responsable militaire de l’opération dans le cadre de laquelle s’est inscrite l’attaque contre Uzdol, et qu’avant cette attaque, il avait reçu l’ordre de faire tout ce qui était possible pour empêcher que des crimes similaires à ceux commis à Grabovica ne se reproduisent.

EXAMEN

IV. Présentation de l’Acte d’accusation

12. À l’appui de sa Requête, l’Accusation avance un argument principal selon lequel la modification envisagée ne porterait pas préjudice à l’Accusé, puisque l’allégation de manquement à l’obligation de prévenir les crimes commis à Uzdol figure déjà dans l’Acte d’accusation actuel23. Afin de déterminer si les références faites à Uzdol dans l’Acte d’accusation actuel suffisent à alléguer une telle omission de la part de l’Accusé, la Chambre de première instance doit tout d’abord examiner le droit applicable en matière de présentation de l’acte d’accusation.

13. La présentation de l’acte d’accusation est régie principalement par les articles  18 4) et 21 4) a) du Statut et par l’article 47 C) du Règlement24. Selon la jurisprudence du Tribunal, ces dispositions imposent « à l’Accusation de présenter les faits essentiels [mais non les éléments de preuve] qui fondent les accusations portées dans l’acte d’accusation25 ». L’acte d’accusation doit exposer les faits essentiels de manière, certes concise, mais suffisamment circonstanciée « pour informer clairement l’accusé de la nature et des motifs des accusations portées contre lui afin qu’il puisse préparer efficacement sa défense26 ». En règle générale, un fait essentiel doit être énoncé expressément27, bien qu’il suffise, dans certains cas, qu’il soit « forcément sous-entendu dans l’acte d’accusation28 ». Dans l’Arrêt Kupreskic, la Chambre d’appel a, en outre, indiqué que l’acte d’accusation était le « principal instrument de mise en accusation » et qu’il devait présenter, de manière suffisamment détaillée, les points essentiels de l’argumentation de l’Accusation29.

14. Lorsque la responsabilité pénale individuelle d’un accusé est mise en cause, comme c’est le cas en l’espèce, sur la base de l’article 7 3) du Statut, les faits essentiels qui doivent être impérativement exposés dans l’acte d’accusation ont été résumés ainsi par une autre Chambre de première instance :

a) i) l’accusé était le supérieur hiérarchique ii) de subordonnés suffisamment identifiés iii) sur lesquels il exerçait un contrôle effectif  c’est à dire qu’il avait la capacité matérielle d’empêcher ou de punir un comportement criminel de leur part - et iv) il est présumé responsable de leurs actes ;

b) i) l’accusé savait ou avait des raisons de savoir que ces personnes avaient commis des crimes ou s’apprêtaient à le faire, et ii) était informé de leur conduite dont il est présumé responsable. Les faits se rapportant aux actes commis par ces tierces personnes seront généralement exposés de façon moins précise, parce que les détails de ces actes (leurs auteurs et leurs victimes) sont souvent inconnus et, plus encore, parce que, souvent, les actes eux mêmes ne sauraient guère prêter à controverse ; et

c) l’accusé n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels actes ne soient commis ou pour en punir les auteurs30.

15. Tous les faits essentiels énumérés au point a) ci-dessus – lien de subordination, contrôle effectif et responsabilité de l’Accusé pour les crimes de ses subordonnés – sont expressément énoncés dans l’Acte d’accusation actuel31. S’agissant du manquement présumé de l’Accusé à son obligation de punir les crimes commis à Grabovica, tous les faits essentiels énumérés aux points b) et c ) ci-dessus – connaissance des crimes, crimes sous-jacents et omission de prévenir ou de punir les crimes – sont soit exposés expressément ou forcément sous-entendus dans l’Acte d’accusation actuel32. Hormis l’accusation explicite figurant au paragraphe 34, les seules allégations factuelles concernant le manquement présumé de l’Accusé à son obligation de prévenir les meurtres commis à Grabovica se trouvent dans la dernière phrase du paragraphe  10 où il est dit que « Sefer HALILOVIC a fait savoir qu’il désapprouvait les propos de Vehbija Karic [appelant les soldats à tuer les Croates de Bosnie qui refusaient de coopérer], mais n’a rien dit pour empêcher les soldats de [s’y conformer] », et au paragraphe 15 qui énumère les mesures nécessaires et raisonnables qui auraient dû être prises pour protéger les civils survivants33.

16. Seule la référence figurant au paragraphe 24 de l’Acte d’accusation actuel à l’ordre qu’aurait donné Rasim Delic à l’Accusé de « tout faire pour empêcher que pareils événements ne se reproduisent » laisse entendre que l’Accusation a l’intention de mettre en cause l’Accusé pour manquement à l’obligation de prévenir les meurtres d’Uzdol. À ce propos, l’Acte d’accusation actuel ne fait état d’aucune omission spécifique de l’Accusé, et la seule allégation mettant clairement en cause sa responsabilité pénale pour les actes commis à Uzdol se trouve au paragraphe 34 où il est dit qu’il « n’a pas pris les mesures pour qu’une enquête adéquate soit menée afin d’identifier les auteurs des massacres [...] d’Uzdol et, en sa qualité de commandant de l’Opération, pour les punir34  ».

17. Le paragraphe 43 de l’Acte d’accusation actuel ne permet pas d’étayer l’argument de l’Accusation selon lequel, tel qu’il est rédigé, ce document fait état d’un manquement à l’obligation de prévenir les crimes d’Uzdol. Dans ce paragraphe, l’Accusation se contente de mettre en cause, en termes généraux, la responsabilité de l’Accusé en tant que supérieur hiérarchique et de rappeler la disposition applicable à la responsabilité du supérieur hiérarchique, sans dire mot de Grabovica ni d’Uzdol. Voici ce paragraphe dans son intégralité :

Dans la mesure où il exerçait les responsabilités décrites aux paragraphes précédents, Sefer HALILOVIC est, en vertu de l’article 7 3) du Statut, pénalement responsable des actes de ses subordonnés. Un supérieur est responsable des actes de ses subordonnés s’il savait ou avait des raisons de savoir que ceux-ci s’apprêtaient à commettre ces actes ou l’avaient fait, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis ou en punir les auteurs.

18. Il ressort clairement des décisions rendues par une autre Chambre de première instance et par la Chambre d’appel concernant des actes d’accusation antérieurs que l’exposé général de la responsabilité du supérieur hiérarchique figurant au paragraphe 43 n’informe pas suffisamment l’Accusé qu’il doit répondre du manquement à l’obligation de prévenir des crimes35. Dans la deuxième des quatre décisions relatives aux vices de forme de l’acte d’accusation établi dans l’affaire Brdjanin, la Chambre de première instance II a estimé qu’« un acte d’accusation doit informer équitablement l’accusé de la nature des accusations portées contre lui et en indiquer les grandes lignes, ainsi que les faits sur lesquels l’Accusation se fonde pour établir sa responsabilité. [...] La véritable nature de la responsabilité de l’accusé pour les événements rapportés est un fait [...] essentiel qui doit être exposé dans l’acte d’accusation36  ». La Chambre de première instance saisie de l’affaire Krnojelac a affirmé que « s’agissant de la responsabilité individuelle, le Procureur doit clairement préciser les agissements de l’accusé lui-même ou la ligne de conduite qui sont censés engager cette responsabilité37  ». Dès 1996, la Chambre d’appel a rappelé que le fait qu’un accusé doive répondre tout à la fois d’un « manquement à l’obligation de prévenir » et d’un « manquement à l’obligation de punir » ne rendait pas l’acte d’accusation nul du fait de son imprécision, « même si le Procureur devrait autant que possible indiquer clairement les agissements et attitudes incriminés38  ».

19. Compte tenu des décisions précitées, il est manifeste que l’exposé que fait l’Acte d’accusation actuel de la responsabilité de l’Accusé pour les crimes commis à Uzdol ne saurait être interprété comme couvrant une allégation spécifique de manquement à l’obligation de prévenir les meurtres commis dans ce village. Le renvoi que fait l’Accusation dans sa Réplique aux paragraphes 4 et 24 renforce quelque peu son argument, mais il n’en reste pas moins que seul un paragraphe de l’Acte d’accusation actuel – le paragraphe 34 – expose clairement et précisément les omissions soustendant la responsabilité pénale présumée de l’Accusé pour les crimes commis par ses subordonnés. Pour autant qu’il porte sur Uzdol, ce paragraphe ne dit mot du manquement à l’obligation de prévenir les crimes et se limite au manquement à l’obligation d’en punir les auteurs. Guidée par les décisions relatives aux vices de forme des actes d’accusation, la Chambre de première instance conclut qu’aucun des paragraphes que cite l’Accusation, à savoir les paragraphes 4, 24 et 43, considéré isolément ou conjointement avec les deux autres, ne satisfait à la condition selon laquelle, s’agissant du manquement à l’obligation de prévenir les crimes d’Uzdol, la ligne de conduite de l’Accusé doit être exposée expressément dans l’acte d’accusation.39

20. En conséquence, contrairement à ce qu’affirme l’Accusation, la modification proposée ne constitue pas un simple éclaircissement ; il s’agit d’une nouvelle allégation concernant un fait essentiel que l’Accusation doit exposer dans l’acte d’accusation si elle compte le prouver au procès.

V. Modification d’un acte d’accusation

21. La modification d’un acte d’accusation est régie par l’article 50 du Règlement qui dispose dans les parties qui nous intéressent :

A) i) Le Procureur peut modifier l’acte d’accusation :

[...]

c) après l’affectation de l’affaire à une Chambre de première instance, sur autorisation de la Chambre ou de l’un de ses membres statuant contradictoirement.

ii) Indépendamment de tout autre facteur entrant en ligne de compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, l’autorisation de modifier un acte d’accusation ne sera accordée que si la Chambre de première instance ou le juge saisi est convaincu qu’il existe à l’appui de la modification proposée des éléments de preuve répondant au critère défini à l’article 19, paragraphe 1), du Statut40.

iii) Il n’est pas nécessaire de confirmer à nouveau l’acte d’accusation dont la modification a été autorisée.

[...]

B) Si l’acte d’accusation modifié contient de nouveaux chefs d’accusation et si l’accusé a déjà comparu devant un juge ou une Chambre de première instance conformément à l’article 62, une seconde comparution aura lieu dès que possible pour permettre à l’accusé de plaider coupable ou non coupable pour les nouveaux chefs d’accusation.

C) L’accusé disposera d’un nouveau délai de trente jours pour soulever, en vertu de l’article 72, des exceptions préjudicielles pour les nouveaux chefs d’accusation et, si nécessaire, la date du procès peut être repoussée pour donner à la défense suffisamment de temps pour se préparer.

22. Même si l’article 50 n’énumère pas les « facteur[s] entrant en ligne de compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire » de la Chambre de première instance, la présente Chambre a déjà fait observer que « la question fondamentale à se poser lorsque l’on autorise la modification d’un acte d’accusation est de savoir si les modifications portent un préjudice quelconque aux accusés », et que, « pour déterminer si les accusés sont lésés en quoi que ce soit par la modification de l’acte d’accusation, il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce41 ». Comme l’a précisé la Chambre de première instance saisie de l’affaire Brdjanin dans une décision préalable au procès, la véritable question est celle de savoir si la modification pénalisera injustement l’accusé :

Le terme « injustement » est employé pour souligner qu’une modification ne sera pas refusée au seul motif qu’elle aide passablement l’Accusation à obtenir une condamnation. Pour que l’on puisse véritablement parler de préjudice, il faut que l’équité du procès de l’accusé soit remise en question. Lorsqu’une modification est demandée pour garantir que les questions réellement en jeu dans l’affaire seront tranchées, la Chambre de première instance, usant de son pouvoir discrétionnaire, l’autorisera normalement, dans la mesure où elle ne pénalise pas injustement l’accusé dans la conduite de sa défense. L’accusé ne subira en principe aucune injustice s’il se voit accord[er] la possibilité de préparer comme il convient une défense efficace sur le point en question42.

La présente Chambre approuve cette opinion et conclut qu’avant de se prononcer sur une demande d’autorisation de modifier l’acte d’accusation, il convient de déterminer si les modifications en question pénaliseront injustement l’accusé.

23. À propos de la possibilité qu’a l’accusé de préparer comme il convient une défense efficace sur les points modifiés de l’acte d’accusation, la décision préalable au procès rendue dans l’affaire Brdjanin précise que la question de la notification de ces points est l’un des facteurs à prendre en compte pour décider s’il y a lieu ou non d’autoriser le dépôt d’un acte d’accusation modifié. Pour décider si pareille autorisation pénaliserait injustement l’accusé, il faut également considérer si son droit à « être jugé sans retard excessif » prévu par l’article 21 4) c) du Statut ne sera pas bafoué43. Saisie d’un appel interlocutoire formé contre une décision rendue par une Chambre de première instance du TPIR, la Chambre d’appel a observé que les Chambres de première instance doivent mettre en balance le retard probable de la procédure et les avantages que l’accusé et la Chambre pourraient tirer d’une amélioration de l’acte d’accusation  :

Pour déterminer si le retard résultant de la requête serait « excessif », la Chambre de première instance a pris en considération, à juste titre, le déroulement de la procédure jusqu’alors, notamment la diligence avec laquelle le Procureur avait fait avancer l’affaire et la question de savoir si la requête avait été présentée en temps voulu. Cependant, […] une Chambre de première instance doit également s’attacher à déterminer l’effet que l’acte d’accusation modifié aurait sur la procédure dans son ensemble. Bien que la modification d’un acte d’accusation occasionne souvent un retard dans l’immédiat, la Chambre d’appel estime que cette formalité peut aussi avoir pour effet général de simplifier la procédure […] en permettant à l’accusé et au Tribunal d’être mieux éclairés sur la thèse du Procureur, ou en prévenant les contestations éventuelles de l’acte d’accusation ou des éléments de preuve présentés au procès. La Chambre d’appel estime qu’un acte d’accusation plus clair et plus précis profite à l’accusé, […] parce que l’accusé peut adapter sa préparation à un acte d’accusation qui cerne avec davantage de précision les faits à lui reprochés, d’où une défense plus utile44.

24. En l’espèce, pour décider si la modification proposée pénaliserait injustement l’Accusé, la Chambre de première instance doit déterminer si elle donnerait naissance à un chef d’accusation nouveau, ce qui entraînerait automatiquement, pour la procédure, les conséquences prévues par les articles 50 B) et 50 C) du Règlement. L’exigence d’une seconde comparution et d’un nouveau délai de dépôt pour les exceptions préjudicielles entraîne immanquablement un retard si le point modifié constitue une nouvelle accusation. Ce retard, compte tenu du déroulement de la procédure jusqu’à ce jour, pourrait être excessif et pénaliser injustement l’Accusé. Pour décider si elle devait ou non faire droit à la Requête, la Chambre de première instance a donc examiné trois questions distinctes :

1) La modification proposée constitue-t-elle une nouvelle accusation ?

2) L’autorisation de modifier l’acte d’accusation pénaliserait-elle injustement l’Accusé dans la mesure où il n’aurait pas été informé suffisamment tôt du point modifié ou parce que cela retarderait excessivement la procédure ?

3) Si oui, la notification tardive ou le retard excessif l’emporteraient-ils sur l’intérêt quelconque qu’il y aurait à modifier l’Acte accusation actuel, et pénaliseraient donc injustement l’Accusé ?

A. Qu’entend-on par « nouvelle accusation » ?

25. S’il est clair que le manquement à l’obligation de prévenir les crimes et le manquement à l’obligation de punir leurs auteurs sont des faits essentiels distincts qui doivent l’un et l’autre être exposés dans l’acte d’accusation dès lors que le Procureur s’appuie sur ces deux points dans son argumentation, il n’est pas certain que la nouvelle allégation selon laquelle l’Accusé n’aurait pas empêché les meurtres commis à Uzdol constitue une nouvelle accusation, entraînant, pour la procédure, les conséquences prévues par les articles 50 B), 50 C) et 62 du Règlement.

26. Les sources sur lesquelles s’appuie l’Accusation pour étayer ses arguments dans la Requête se limitent à trois citations d’une décision rendue par la présente Chambre de première instance dans l’affaire Le Procureur c/ Mejakic et consorts. L’Accusation se fonde sur cette décision pour soutenir que « lorsque de nouvelles accusations ou modifications sont fondées sur des faits qui étaient tous ou pour la plupart exposés dans l’acte d’accusation initial, on reconnaît généralement qu’elles ne portent pas préjudice à l’accusé45  ». La Chambre de première instance note que le Procureur semble reconnaître qu’en alléguant un manquement à l’obligation de prévenir les crimes, il porte une accusation et qu’au lieu de le contester, il s’attache à démontrer que l’accusation de manquement à l’obligation de prévenir les crimes commis à Uzdol n’est pas nouvelle car elle figure dans l’Acte d’accusation actuel, et que les conséquences que comporte automatiquement pour la procédure l’ajout d’une « nouvelle accusation » ne s’appliquent donc pas en l’espèce46. La Chambre a déjà rejeté l’idée que l’Acte d’accusation actuel faisait état du manquement de l’Accusé à l’obligation de punir les crimes commis à Uzdol47, et considère qu’elle ne peut s’appuyer utilement ni sur l’aveu implicite de l’Accusation ni sur la Décision Mejakic citée par celle-ci, pour déterminer si la modification proposée constitue une « nouvelle accusation » aux fins de l’article 50 du Règlement. Même si, dans l’affaire Mejakic, de nouvelles accusations ont bien été portées dans l’acte d’accusation conjoint contre la plupart des coaccusés, elles étaient exposées séparément en tant que nouveaux chefs et introduisaient trois autres crimes sanctionnés par différents articles du Statut48. La Décision Mejakic n’examine pas — et ne tranche donc pas — la question posée à la Chambre en l’espèce : Est-ce qu’une nouvelle allégation qui ne donne pas lieu à l’introduction d’un nouveau chef dans l’acte d’accusation et ne se fonde pas sur un autre article du Statut, mais qui concerne une autre omission de l’Accusé, la forme de responsabilité étant inchangée, constitue néanmoins une « nouvelle accusation » aux fins de l’article 50 ?

27. La jurisprudence du TPIY offre peu d’éclaircissements sur le critère qu’il convient d’appliquer pour décider si une nouvelle allégation figurant dans un projet d’acte d’accusation modifié constitue une « nouvelle accusation » aux fins des articles 50 B) et 50 C) du Règlement. Dans l’affaire Le Procureur c/ Niyitegeka, une Chambre de première instance du TPIR a considéré « le projet d’adjonction de Snouvelles accusationsC à un Acte d’accusation modifié comme étant une demande visant à SnotammentC SiCnvoquer une théorie juridique supplémentaire de la responsabilité sans qu’il y ait des faits nouveaux », mais l’exemple qu’elle donne ensuite porte sur la différence existant entre la responsabilité directe engagée sur la base de l’équivalent de l’article 7 1) et la responsabilité du supérieur hiérarchique engagée sur la base de l’équivalent à l’article 7 3)49. De même, dans la plupart des autres décisions rendues par le TPIY concernant de nouvelles accusations ou sur les fondements de la responsabilité exposées dans l’acte d’accusation, l’examen porte exclusivement soit sur la différence entre responsabilité directe et responsabilité du supérieur hiérarchique, soit sur l’ajout de nouveaux chefs à raison des mêmes faits, soit encore sur l’ajout de nouvelles accusations ou de nouveaux chefs sur la base de faits nouveaux 50.

28. La notion de « nouvelle accusation », selon différentes décisions, recouvre a) une modification visant à alléguer un nouveau crime sanctionné par le Statut51, b) l’ajout d’une infraction sous-jacente à un crime déjà allégué, sanctionné par le Statut52, et c) l’ajout d’une disposition du droit conventionnel qualifiant de violation du droit international un crime déjà allégué, sans que de nouvelles allégations factuelles soient formulées, qu’un autre article du Statut soir invoqué ou que d’autres modifications soient apportées au chef visé53.

29. Puisque, en l’espèce, l’Accusation ne reproche formellement qu’un seul crime à l’Accusé sur la base du Statut (le meurtre, qualifié de violation de l’article  3 commun aux Conventions de Genève), qu’elle ne met en cause qu’une forme de responsabilité individuelle (la responsabilité du supérieur hiérarchique, reconnue par l’article 7 3) du Statut) et qu’elle n’entend ajouter aucune allégation se rapportant à de nouvelles infractions sous-jacentes, la modification proposée n’entre dans le cadre d’aucune des catégories susmentionnées d’allégations nouvelles qui ont été considérées comme constituant de nouvelles accusations.

30. Or, rien dans l’article 50 ni dans les décisions de cette Chambre ou d’une autre ne dit que la notion d’« accusation nouvelle » doit se limiter aux catégories précitées. L’article 50 précise seulement, au paragraphe B), qu’une seconde comparution aura lieu pour permettre à l’accusé de plaider coupable ou non coupable54. Il en va ainsi car l’accusé est alors confronté à un acte d’accusation qui contient un nouvel élément sur la base duquel il risque d’être déclaré coupable. Comme l’a noté la Cour européenne des Droits de l’Homme — quoique dans un contexte différent, le mot « accusation » a une portée très générale et la nature fondamentale du droit à un procès équitable devrait conduire les tribunaux à opter pour une « conception matérielle, et non formelle » de ce terme55. Pour déterminer si une modification proposée se traduira par l’inclusion d’une «  nouvelle accusation », il faut donc s’attacher à savoir si l’accusé peut être tenu pénalement responsable sur la même base qu’avant. De l’avis de la Chambre de première instance, la véritable question est donc de savoir si la modification ouvre la possibilité de déclarer l’accusé coupable sur la base d’éléments factuels ou juridiques qui n’étaient pas exposés dans l’acte d’accusation.

31. Selon cette approche, puisque un accusé peut être tenu responsable sur la base de l’article 7 3) pour deux types d’omission, l’ajout de l’allégation d’une nouvelle omission devrait en toute logique être considéré comme l’inclusion d’une nouvelle accusation dans l’acte d’accusation. Il est de jurisprudence constante au Tribunal que la conjonction disjonctive « ou » figurant dans la dernière partie de l’article 7 3) — « le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs » — signifie que l’obligation de prévenir les crimes et l’obligation de punir leurs auteurs sont deux responsabilités distinctes en droit international. Saisie d’un appel interlocutoire dans l’affaire Le Procureur c/ Hadzihasanovic et consorts, la Chambre d’appel a ainsi noté que l’on peut dissocier les devoirs d’un supérieur hiérarchique à savoir, d’une part, prévenir les crimes et, d’autre part, en punir les auteurs56. Dans une décision sur la forme de l’acte d’accusation dans la même affaire, la Chambre de première instance  II a conclu : « L’emploi de l’alternative [l’une ou l’autre forme de responsabilité] n’est pas du tout ambigu – l’Accusation est en droit d’alléguer les deux versions et la Défense est suffisamment et clairement informée qu’elle doit être en mesure de répondre aux deux.57 » Dans une décision rejetant l’exception d’incompétence soulevée conjointement par les accusés aux fins de rejeter les parties de l’acte d’accusation modifié mettant en cause leur responsabilité pour manquement à l’obligation de punir, la Chambre de première instance saisie de l’affaire Le Procureur c/ Kordic et Cerkez a conclu que le manquement à l’obligation de prévenir les crimes et le manquement à l’obligation de punir ceux-ci sont deux causes indépendantes de responsabilité pénale58. Récemment, dans l’Arrêt Blaskic, la Chambre d’appel a rejeté l’argument de l’appelant selon lequel le manquement à l’obligation de punir ne constituait qu’une autre forme du manquement à l’obligation de prévenir, ayant noté que ces manquements « supposent que des crimes différents ont été perpétrés à des époques différentes  » et conclu que chacun constitue une cause de responsabilité distincte59.

32. Le manquement à l’obligation de punir et le manquement à l’obligation de prévenir sont donc distincts non seulement en droit, mais aussi en fait dans la mesure où chacun des deux fondements de la responsabilité du supérieur hiérarchique suppose une connaissance particulière. Le manquement à l’obligation de prévenir suppose que le supérieur disposait d’informations avant les faits (il « savait ou avait des raisons de savoir » que des crimes étaient commis ou allaient l’être) tandis que le manquement à l’obligation de punir suppose qu’il en ait eu connaissance après coup (il « savait ou avait des raisons de savoir » que des crimes avaient été commis)60.

33. Puisqu’il existe deux fondements distincts de la responsabilité du supérieur hiérarchique et que chacun suppose une connaissance différente, un accusé peut être déclaré coupable pour une omission même si l’autre n’a pas été prouvée. Ainsi, si l’Accusation prouve que l’Accusé savait que ses subordonnés avaient commis des crimes à Uzdol et si tous les autres éléments du crime sont établis, l’Accusé peut être déclaré coupable pour avoir manqué à son obligation de punir ces crimes même s’il ne disposait d’aucune information avant les faits et n’était donc pas en mesure de prévenir les crimes. Si, en revanche, l’Accusation prouve que l’Accusé savait que ses subordonnés s’apprêtaient à commettre des crimes à Uzdol et si tous les autres éléments du crime sont établis, l’Accusé peut être déclaré coupable pour avoir manqué à son obligation de prévenir les crimes de ses subordonnés même s’il a cessé d’être leur supérieur après coup et qu’il n’était donc pas en mesure de les en punir61.

34. La Chambre de première instance considère que, dans la mesure où la nouvelle allégation pourrait constituer le seul acte ou omission dont l’Accusé pourrait être déclaré coupable, cette modification constitue une « nouvelle accusation » donnant lieu à un chef d’accusation « nouveau » au sens de l’article 50 du Règlement. Dans l’Acte d’accusation actuel, l’Accusé peut être déclaré coupable : 1) l’omission de prévenir les crimes commis à Grabovica, 2) celle de punir les crimes commis à Grabovica et 3) celle de punir les crimes commis à Uzdol. Si l’Accusation était autorisée à ajouter la nouvelle allégation proposée, l’Accusé pourrait être déclaré coupable d’une quatrième omission, celle de prévenir les crimes commis à Uzdol. Si l’Accusation ne parvient à imputer aucune des trois premières omissions à l’Accusé, mais prouve la quatrième, l’Accusé pourra encore être déclaré coupable de meurtre sur la base des articles 3 et 7 3) du Statut. La modification proposée entraînerait l’introduction dans l’acte d’accusation d’une « nouvelle accusation » aux fins de l’article 50 puisque l’Accusé pourrait être déclaré coupable de meurtre en application de l’article 3 du Statut pour un comportement engageant sa responsabilité pénale sur une base qui n’apparaît pas l’Acte d’accusation actuel, et sur cette seule base62.

35. Cette analyse de l’expression « nouvelle accusation » — qui n’est pas limitée par les conditions de forme posées pour la présentation d’un acte d’accusation devant le Tribunal — cadre avec le souci d’équité envers l’accusé inspirant la jurisprudence relative à l’article 50 mentionnée plus haut dans la présente décision. En outre, cette analyse n’est ni trop large ni trop restrictive : elle n’inclurait pas au nombre des nouvelles accusations des nouvelles allégations qui ne feraient pas courir à l’accusé un risque additionnel d’être déclaré coupable, mais celles qui constituent clairement de nouvelles accusations d’après la jurisprudence du Tribunal. Ainsi une modification visant à remplacer dans l’acte d’accusation une simple référence à un nombre de victimes indéterminé par la mention d’un nombre précis de victimes, ne constitue pas une nouvelle accusation, mais simplement une nouvelle allégation factuelle car l’accusé ne court pas de ce fait un plus grand risque d’être déclaré coupable. En revanche, une modification visant à alléguer un autre crime sanctionné par le Statut ou une autre infraction sous-jacente, même si elle n’est pas assortie de nouvelles allégations factuelles, constitue une nouvelle accusation puisque l’accusé risque être déclaré coupable sur cette seule base juridique.

B. L’Accusé serait-il injustement pénalisé ?

36. Comme exposé plus haut aux paragraphes 22 et 23, il a été souligné, dans des décisions précédentes relatives à des demandes de modification de l’acte d’accusation, que deux facteurs entraient en ligne de compte pour décider si la modification envisagée pénaliserait injustement l’accusé : 1) le fait qu’il n’ait pas été informé suffisamment tôt du point modifié ou, autrement dit, qu’il n’ait pas eu « la possibilité de préparer comme il convient une défense efficace sur le point en question63  » et 2) le retard excessif que pourrait prendre la procédure64. Ces éléments peuvent, l’un ou l’autre, suffire pour conclure que la modification proposée pénaliserait injustement l’accusé et justifier le rejet d’une demande de modification de l’acte d’accusation.

37. En l’espèce, la question de la notification des modifications à l’Accusé revêt toutefois une moindre importance. Compte tenu du déroulement de la procédure sur ce point, la Défense ne saurait affirmer qu’elle n’avait en aucun cas été informée que l’Accusation avait l’intention d’alléguer que l’Accusé avait manqué à son obligation de prévenir les crimes commis à Uzdol. Six paragraphes dans la version initiale du mémoire préalable déposé par l’Accusation et les six paragraphes correspondants du mémoire préalable de la Défense sont consacrés à cette allégation65. En outre, en dépit de son opposition catégorique à la modification proposée, l’équipe actuelle des conseils de l’Accusé a récemment avisé la Chambre qu’elle s’en tenait à la version initiale de son mémoire préalable au procès66. Dans sa notification, la Défense ne dit rien des six paragraphes susmentionnés, lesquels indiquent apparemment qu’elle a pris note de l’intention de l’Accusation de mettre en cause l’Accusé pour manquement à son obligation de prévenir les crimes commis à Uzdol et qu’elle a répondu à ce point67.

38. Étant donné que la modification proposée constitue une nouvelle accusation, si elle devait être autorisée, il s’ensuivrait, aux termes du Règlement, trois conséquences directes pour la procédure, entraînant chacune un retard : 1) l’Accusé devrait, conformément aux articles 50 B) et 62 du Règlement, comparaître une seconde fois afin de plaider coupable ou non coupable du nouveau chef d’accusation ; 2) en application de l’article 50 C) du Règlement, l’Accusé devrait disposer d’un nouveau délai de trente jours, à compter de la date de communication de toute nouvelle pièce justificative par l’Accusation, afin de lui permettre de déposer toute exception préjudicielle concernant le nouveau chef d’accusation ; et 3) toujours conformément à l’article  50 C), la date actuellement prévu du procès serait reportée puisqu’un ajournement se révèlerait nécessaire ne serait-ce que pour permettre à l’Accusé de soulever des exceptions préjudicielles et à la Chambre de les trancher, ainsi que le prévoit le Règlement68.

39. À l’origine, le procès en l’espèce devait s’ouvrir en janvier 2004, il y a presque un an. Il est prévu actuellement qu’il débute le 24 janvier 2005. Tout retard notable pris à ce stade dans la préparation du procès aurait concrètement pour effet de reporter son ouverture de plusieurs mois car un nouveau procès dans une autre affaire s’ouvrirait à sa place. L’ajournement du procès qui en résulterait, pendant plusieurs mois au moins, après une très longue période de mise en état ayant duré plus de trois ans, pourrait constituer un retard excessif qui pénaliserait injustement l’Accusé69.

40. La Chambre de première instance doit mettre en balance le retard qu’occasionnerait la modification de l’acte d’accusation et le bénéfice qui pourrait en résulter. L’autorisation de modifier l’acte d’accusation ne profiterait pas à l’Accusé car elle aurait pour effet d’augmenter ses chances d’être déclaré coupable. En l’état actuel de l’Acte d’accusation, le Procureur dispose de trois bases distinctes sur lesquelles il peut établir la culpabilité de l’Accusé pour les actes de ses subordonnés. La Chambre de première instance qui jugera l’affaire ne trouverait aucun intérêt à autoriser la modification de l’acte d’accusation — du moins pas pour les raisons avancées par la Chambre d’appel du TPIR dans la Décision Karemera70 — car celle-ci ne contribuerait pas à améliorer sa compréhension de l’argumentation de l’Accusation telle qu’elle ressort de l’Acte d’accusation actuel — lequel ne met expressément en cause l’Accusé que pour trois omissions. Quant à l’effet sur la procédure dans son ensemble71, le dépôt d’un acte d’accusation modifié n’offrirait aucun avantage sachant qu’il retarderait encore une procédure qui dure déjà depuis plus de trois ans.

41. La Chambre de première instance conclut que l’intérêt qu’il pourrait y avoir à autoriser le dépôt d’un acte d’accusation modifié ne pourrait l’emporter sur le préjudice notable qu’occasionnerait l’ajournement du procès, et estime, en conséquence, que les circonstances de l’espèce commandent le rejet de la Requête72.

VI. Dispositif

42. Par ces motifs et en application des articles 50, 54 et 126 bis du Règlement et du paragraphe C) 7) de la Directive pratique, la présente Chambre de première instance ordonne :

a) La Défense est autorisée à déposer la Réponse dépassant le nombre de pages limite,

b) L’Accusation est autorisée à déposer la Réplique,

c) La Requête est rejetée.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
___________
Patrick Robinson

Le 17 décembre 2004
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - IT/184/Rev.1 (5 mars 2002), par. C 5).
2 - Le Procureur c/ Halilovic, affaire n° IT-01-48-I, Acte d’accusation, 10 septembre 2001 (« Acte d’accusation actuel »).
3 - Ordonnance relative à l’examen de l’Acte d’accusation en application de l’article 19 du Statut et ordonnance de non-divulgation, 12 septembre 2001.
4 - Acte d’accusation actuel, supra, note de bas de page 2, par. 34 [non souligné dans l’original].
5 - Compte rendu de l’audience du 27 septembre 2001, p. 3.
6 - Décision relative à la requête aux fins de mise en liberté provisoire avant l’ouverture du procès, 13 décembre 2001.
7 - Requête en application de l’article 65 ter K), par 3 et 1 respectivement.
8 - Décision relative à la requête déposée par la Défense en application de l’article 65 ter K) du Règlement demandant au juge de la mise en état de lever la renonciation et d’accorder des mesures en application de l’article 72 du Règlement, 1er avril 2003.
9 - Requête, par. 7 [non souligné dans l’original].
10 - Ibidem, par. 2.
11 - Ibid., par. 8 [souligné dans l’original].
12 - Requête, par. 9 renvoyant à Submission of Prosecution Pre-Trial Brief, Witness List and Exhibit List Pursuant to the Direction of the Pre-Trial Judge, 17 juin 2002 (« Premier mémoire de l’Accusation »). Ce document a été depuis remplacé par une version finale (Prosecutor’s Pre-Trial Brief Pursuant to Rule 65 ter E) i)) déposée le 13 octobre 2004. La Défense a confirmé par une notification déposée le 27 octobre 2004 que son mémoire préalable au procès déposé le 22 mars 2003 ne serait pas modifié.
13 - Requête, par. 5 et 10.
14 - Ibidem, par. 2 et 10.
15 - Réponse, par. 5.
16 - Ibidem, par. 9 citant Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par Radoslav Brdjanin pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié, 23 février 2001 (« Deuxième Décision Brdjanin »), par. 11 ; Le Procureur c/ Nyiramasuhuko, affaire n° ICTR-97-21-I, Decision on the Preliminary Motion by Defence Counsel on Defects in the Form of the Indictment, 4 septembre 1998, par. 13 ; Le Procureur c/ Krnojelac, affaire n° IT-97-25-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle de la Défense pour vices de forme de l’acte d’accusation, 24 février 1999 (« Première Décision Krnojelac »), par. 12.
17 - Réponse, par. 11.
18 - Réponse, par. 12 à 25 et 26 à 31.
19 - Ibidem, par. 32 à 40.
20 - Ibid., par. 41 à 45. Par ailleurs, la Défense fait remarquer que Sefer Halilovic « ne compte pas renoncer au droit à être jugé sans retard excessif », ibid., par. 45.
21 - Réplique, par. 4.
22 - Dans sa Réplique, l’Accusation fait référence au paragraphe 23. Toutefois, si l’on considère le contenu du paragraphe tel qu’elle le décrit (et tel qu’elle l’invoque à l’appui de son argument), il s’agirait plutôt du paragraphe 24. Cette erreur vient vraisemblablement de ce que le paragraphe 25 de l’Acte d’accusation actuel porte à tort le numéro 24, une erreur typographique qui n’a pas été rectifiée dans la version modifiée proposée par l’Accusation.
23 - Requête, par. 8 ; Réplique, par. 4 et 5.
24 - La Chambre d’appel a également jugé que conformément aux articles 21 2) et 21 4) b) du Statut, toute personne accusée a droit « à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement » et « à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense » ; ces droits élémentaires doivent également être respectés s’agissant de la notification à l’accusé des crimes retenus contre lui et sont, en conséquence, pertinents pour l’examen de la présentation de l’acte d’accusation. Voir Le Procureur c/ Kupreskic, affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001 (« Arrêt Kupreskic »), par. 88.
25 - Ibidem. Voir aussi Le Procureur c/ Deronjic, affaire n° IT-02-61-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle pour vices de forme de l’acte d’accusation, 25 octobre 2002 (« Décision Deronjic »), par. 4 ; Le Procureur c/ Hadzihasanovic, Alagic et Kubura, affaire n° IT-01-47-PT, Décision relative à la forme de l’acte d’accusation, 7 décembre 2001 (« Décision Hadzihasanovic »), par. 8.
26 - Décision Deronjic, supra, note de bas de page 25, par. 4.
27 - Décision Deronjic, supra, note de bas de page 25, par. 9 citant Décision Hadzihasanovic, supra, note de bas de page 25, par. 10 ; Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle pour vices de forme du quatrième acte d’accusation modifié, 23 novembre 2001 (« Quatrième Décision Brdjanin »), par. 12 ; Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par Momir Talic pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié, 20 février 2001 (« Première Décision Brdjanin »), par. 48.
28 - Quatrième Décision Brdjanin, supra, note de bas de page 27, par. 12 [souligné dans l’original]. La Chambre a estimé qu’« exiger [qu’un tel fait matériel] soit explicité [dans l’acte d’accusation] relèverait d’un formalisme superflu, car l’Accusé ne pourrait jamais faire valoir qu’il n’avait pas été informé des accusations mises à sa charge », ibidem. La Chambre a ajouté que le fait contesté n’était pas « forcément sous-entendu » dans l’acte d’accusation étant donné que ce document était rédigé en termes généraux. Voir ibid., par. 14 à 16. Voir aussi Décision Deronjic, supra, note de bas de page 25, par. 9 dans lequel il est dit qu’« un acte d’accusation qui se contenterait de présumer l’existence des conditions [juridiques] préalables [requises pour les infractions, telle que l’existence d’un conflit armé] ne respecterait pas [la] règle fondamentale de présentation des accusations ».
29 - Arrêt Kupreskic, supra, note de bas de page 24, par. 114.
30 - Décision Deronjic, supra, note de bas de page 25, par. 7 [non souligné dans l’original].
31 - Voir Acte d’accusation actuel, supra, note de bas de page 2, par. 1, 3 à 5, 35 à 39 et 43.
32 - Ibidem, par. 15, 19, 22 à 24.
33 - Toutefois, au paragraphe 15, l’Accusation ne dit pas expressément que l’Accusé n’a pas pris ces mesures, mais l’emploi du conditionnel passé laisse entendre que tel a été le cas. Seul le paragraphe 34 fait explicitement état du manquement à l’obligation de prévenir les meurtres commis à Grabovica. Voir ibid.
34 - Non souligné dans l’original.
35 - Le manquement à l’obligation de punir les crimes d’Uzdol est, en revanche, clairement exposé au paragraphe 34 de l’Acte d’accusation actuel.
36 - Deuxième Décision Brdjanin, supra, note de base de page 16, par. 13 et 14 [non souligné dans l’original].
37 - Première Décision Krnojelac, supra, note de bas de page 16, par. 13 [non souligné dans l’original] ; voir aussi, dans le cadre de l’affaire Krnojelac, Décision relative à l’exception préjudicielle pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié, 11 février 2000 (« Troisième Décision Krnojelac »), par. 19 qui rappelle et confirme que « la ligne de conduite » de l’accusé revêt une importance particulière lorsque la responsabilité du supérieur hiérarchique est mise en cause.
38 - Le Procureur c/ Delalic et consorts, affaire n° IT-96-21-AR72.5, Décision relative à la demande d’autorisation d’interjeter appel (vices de forme de l’acte d’accusation) formée par Hazim Delic, 6 décembre 1996, par. 31 ; voir aussi Arrêt Kupreskic, supra, note de base de page 24, par. 98 : L’Accusation doit [...] préciser les aspects essentiels du comportement criminel de l’accusé qui [...] touche au rôle qu’il a joué dans le crime commis. Sinon, l’acte d’accusation serait d’une imprécision inacceptable, car la capacité de l’accusé de préparer sa défense s’en trouverait diminuée.
39 - La Chambre de première instance fait également observer que dans les deux versions du paragraphe 34, l’Accusation s’abstient de faire mention d’au moins une expression technique que l’on retrouve généralement dans des paragraphes de même teneur dans d’autres actes d’accusation : elle n’allègue pas que Sefer Halilovic « savait ou avait des raisons de savoir » que ses subordonnés commettaient des crimes à Grabovica ou à Uzdol. Il convient de comparer l’Acte d’accusation actuel, supra, note de bas de page 2, par. 34 avec Le Procureur c/ Mejakic et consorts, affaire n° IT-02-65, Acte d’accusation consolidé (camps d’Omarska et de Keraterm), [5 juillet 2002] (« Acte d’accusation Mejakic »), par. 27 et 42.
40 - L’article 19 du Statut qui régit l’examen de l’acte d’accusation dispose en son paragraphe 1) que l’acte d’accusation ne peut être confirmé que si le Procureur a établi qu’au vu des présomptions, il y avait lieu d’engager des poursuites.
41 - Le Procureur c/ Mejakic et consorts, affaire n° IT-02-65, Décision relative à l’acte d’accusation conjoint, 21 novembre 2002 (« Décision Mejakic »), p. 5 citant Le Procureur c/ Naletilic et Martinovic, affaire n° IT-98-34-PT, Décision relative à l’opposition de Vinko Martinovic et à l’exception préjudicielle de Mladen Naletilic concernant l’acte d’accusation modifié, 14 février 2001 (« Décision Naletilic »), p. 4 à 7.
42 - Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative à la forme du nouvel acte d’accusation modifié et à la requête de l’Accusation aux fins de modification dudit acte, 26 juin 2001 (« Troisième Décision Brdjanin »), par. 50 citant Décision Naletilic, supra, note de bas de page 41, p. 4 et 7.
43 - Quatrième Décision Brdjanin, supra, note de bas de page 27, par. 17 ; Le Procureur c/ Karemera et consorts, affaire nº ICTR-98-44-AR73, Décision relative à l’appel interlocutoire interjeté par le Procureur de la décision rendue le 8 octobre 2003 par la Chambre de première instance III refusant d’autoriser le dépôt d’un acte d’accusation modifié, 19 décembre 2003 (« Décision Karemera »), par. 13.
44 - Décision Karemera, supra, note de bas de page 43, par. 15.
45 - Requête, par. 5, citant la Décision Mejakic, supra, note de bas de page 41.
46 - Requête, par. 8 ; Réplique, par. 4 et 5.
47 - Voir supra, par. 12 à 20.
48 - Décision Mejakic, supra, note de bas de page 41, p. 6, note de bas de page 12, notant qu’un nouveau chef, [persécutions, fondé sur l’article 5 h) du Statut] a été introduit dans l’acte d’accusation conjoint à l’encontre de Zeljko Mejakic, Momcilo Gruban et Dusko Knezevic, et deux autres chefs [actes inhumains, fondé sur l’article 5 i) et traitements cruels, fondé sur l’article 3] contre l’accusé Momcilo Gruban. Voir Acte d’accusation Mejakic, supra, note de bas de page 39.
49 - Le Procureur c/ Niyitegeka, affaire nº ICTR-96-14-I, Décision relative à la requête du Procureur en modification d’un acte d’accusation, 21 juin 2000, par. 33 1) a) ii), citée en l’approuvant dans la Décision Naletilic, supra, note de bas de page 41, p. 7.
50 - L’utilisation du mot « charge » dans les autres articles de la version anglaise du Règlement ne permet pas de répondre à la question posée. Les paragraphes B) et C) de l’article 40 bis disposent que le Procureur doit préciser « the provisional charge » (« le chef d’accusation provisoire ») pour toute demande de transfert et de détention provisoire d’un suspect, mais il s’agit plutôt d’un acte d’accusation préliminaire qui peut regrouper plusieurs allégations pour des crimes différents. Les paragraphes B) et C) de l’article 87 du Règlement, qui traitent des délibérations des Chambres de première instance et prévoient que celles-ci décident de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé pour chaque « charge » (« chef ») visé dans l’acte d’accusation, donnent à penser que les termes « charge » (couramment traduit dans d’autres contextes par « accusation ») et « count » (toujours traduit par « chef d’accusation ») sont employés de manière synonyme ; toutefois, dans la pratique, les Chambres de première instance n’utilisent pas le mot « charge » de façon aussi restrictive. Voir par exemple infra, notes de bas de page 51 à 53 et les observations de la Chambre.
51 - Dans la Décision Mejakic, par exemple, il était question de l’introduction de nouveaux chefs et de nouveaux crimes sanctionnés par le Statut. Voir supra, note de bas de page 48 et les observations de la Chambre.
52 - Appliquant l’article 50 du Règlement, une Chambre de première instance, au moins, a exigé qu’un accusé plaide de nouveau coupable ou non coupable après l’ajout de nouvelles allégations d’infractions sous–jacentes alors qu’aucun chef n’avait été modifié dans l’acte d’accusation. Le Procureur c/ Hadzihasanovic, Alagic et Kubura, affaire nº IT-01-47-I, compte rendu d’audience [en anglais], (« Nouvelle Comparution de Kubura »), p. 261 à 263.
53 - Décision Naletilic, supra, note de bas de page 41, p. 2 et 4. En outre, une autre Chambre de première instance a déjà estimé que la présence ou non de nouveaux chefs [dans un acte d’accusation modifié] ne permet pas de déterminer le Procureur entend introduire de nouvelles accusations. Le Procureur c/ Krnojelac, affaire nºIT-97-25-PT, Décision relative à la réponse du Procureur concernant la Décision du 24 février 1999, 20 mai 1999, (« Deuxième Décision Krnojelac »), par. 19 : [L]a Chambre de première instance a eu l’impression que [l’Accusation] pouvait avoir usé de la possibilité qui lui était donnée d’ajouter de nouveaux chefs d’accusation alors même qu’elle aurait dû, aux termes de l’article 50 A) demandé pour cela une autorisation. Il est vrai, comme le fait remarquer l’Accusation, qu’il n’a été ajouté à l’acte d’accusation aucun nouveau chef. Cependant, c’est uniquement à cause du mode de présentation adopté par elle en l’espèce ; l’exposé de chaque chef d’accusation reprend les termes du Statut et est donc d’une absolue généralité. C’est donc l’exposé des faits matériels qui s’y rapporte qui donne les détails nécessaires […] et non pas le chef d’accusation lui-même comme ce devrait être le cas.
54 - L’article 50 C) traite du caractère nouveau des chefs d’accusation : puisqu’il prévoit que l’accusé disposera d’un nouveau délai de trente jours pour répondre aux nouveaux chefs, cela suppose que ce dernier n’a pas pu auparavant soulever d’exception préjudicielle à ce sujet.
55 - Deweer c. Belgique, Cour européenne des Droits de l’Homme, 27 février 1980, par. 42 et 44.
56 - Le Procureur c/ Hadzihasanovic et consorts, affaire nº IT-01-47-AR72, Décision relative à l’exception d’incompétence (responsabilité du supérieur hiérarchique), 16 juillet 2003 (« Décision Hadzihasanovic relative à l’appel interlocutoire »), par. 55.
57 - Décision Hadzihasanovic, supra, note de bas de page 25, par. 23.
58 - Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, affaire nº IT-95-14/2-PT, Decision on the Joint Defence Motion to Dismiss for Lack of Jurisdiction Portions of the Amended Indictment Alleging ‘Failure to Punish’ Liability, 2 mars 1999, par. 13 et 14.
59 - Le Procureur c/ Blaskic, affaire nº IT-95-14-A, Arrêt, 29 juillet 2004 (« Arrêt Blaskic »), par. 78 à 85.
60 - Voir par exemple Le Procureur c/ Delalic et consorts, affaire nº IT-96-21-A, Arrêt, 20 février 2001 (« Arrêt Celebici »), par. 223, 234, 235, 238 et 241 ; Arrêt Blaskic, supra, note de bas de page 59, par. 62 ; Le Procureur c/ Galic, affaire nº IT-98-29-T, Jugement et Opinion, 5 décembre 2003, par. 173, 176, 702, 720, 721 et 723.
61 - Décision Hadzihasanovic relative à l’appel interlocutoire, supra, note de bas de page 56, par. 55 : « Bien que l’on puisse dissocier les devoirs d’un supérieur hiérarchique, d’une part, prévenir les crimes et, d’autre part, en punir les auteurs, chacune de ces obligations commence et s’éteint avec l’exercice du commandement. »
62 - Voir Le Procureur c/ Hadzihasanovic et consorts, affaire nº IT-01-47-PT, Décision relative à la forme de l’acte d’accusation, par. 24 à 26, où la Chambre de première instance II a observé que la question de savoir si une nouvelle allégation constituait ou non une nouvelle accusation était sans intérêt puisque l’Accusation avait souligné qu’elle ne chercherait pas à mettre en œuvre la responsabilité pénale des accusés sur la base de cette nouvelle allégation. Les accusés n’ont pas plaidé coupable ou non coupable des faits nouvellement allégués, ce qui tend une fois de plus à démontrer que pour savoir si une allégation constitue ou non une « nouvelle accusation », il faut déterminer si elle pourrait engager la responsabilité pénale de l’accusé. Voir Nouvelle Comparution de Kubura, supra, note de bas de page 52.
63 - Troisième Décision Brdjanin, supra, note de bas de page 42, par. 50.
64 - Voir supra, notes de bas de page 43 et 44, et les observations de la Chambre.
65 - Voir supra, note de bas de page 12 et les observations de la Chambre.
66 - Defence Notice Concerning its Pre-Trial Brief, 27 octobre 2004, par. 3.
67 - L’Accusé étant en liberté provisoire depuis décembre 2001 (voir supra, note de bas de page 6), la Chambre ne prendra pas en considération la durée d’une quelconque période de détention préventive pour déterminer s’il a subi un préjudice.
68 - Même si l’article 72 A) prévoit que la Chambre se prononce sur les éventuelles exceptions préjudicielles dans les soixante jours de leur dépôt, ce délai expirerait après la date prévue d’ouverture du procès.
69 - Voir par exemple Quatrième Décision Brdjanin, supra, note de bas de page 27, par. 17.
70 - Voir supra, par. 23.
71 - Décision Karemera, supra, notes de bas de page 43 et 44 et les observations de la Chambre.
72 - La Chambre de première instance s’étant prononcée pour le rejet de la Requête, il est inutile qu’elle examine si, au vu des pièces justificatives fournies par le Procureur lors de la confirmation de l’Acte d’accusation actuel, les présomptions contre l’Accusé sont suffisantes en ce qui concerne cette nouvelle accusation. Voir article 50 A) ii) du Règlement et article 19 1) du Statut.