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1 Le lundi 12 mars 2007
2 [Audience publique]
3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 21.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous. Madame la
6 Greffière, veuillez donner le numéro de l'affaire.
7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, affaire IT-04-84-T, le
8 Procureur contre Ramush Haradinaj et consorts.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame.
10 Avant de demander à l'Accusation de poursuivre l'interrogatoire du Témoin
11 58, j'aimerais aborder un certain nombre de questions.
12 D'abord au sujet des témoins, l'ordre de comparution des témoins. Si
13 je ne me trompe, sachant que nous ne savons pas justement si la situation
14 va encore évoluer.
15 Le témoin que nous entendons actuellement est le Témoin numéro 58. Le
16 témoin suivant, c'est le Témoin 19, si je ne m'abuse, Monsieur Re. Est-ce
17 bien le numéro 19 sur la liste que nous allons ensuite entendre…
18 M. RE : [interprétation] Non, 9.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Non, je me trompe. Le témoin suivant
20 c'est le 9, ensuite, c'est le 19, que nous entendrons, est-ce bien le cas ?
21 Puis, s'il nous reste du temps, même si la Défense n'est pas en
22 mesure de contre-interroger le témoin, elle accepterait qu'on entende le
23 Témoin 8, ensuite. Est-ce que j'ai bien compris ?
24 M. RE : [interprétation] Toutes mes excuses, Monsieur le Président, le
25 Témoin 19, enfin 19 c'est le pseudonyme du témoin. Ensuite, nous aurons le
26 Témoin 8. En fait, ici nous sommes en train de confondre le numéro d'ordre
27 des témoins sur la liste, puis le pseudonyme des témoins qui a été décidé
28 au moment de la mise en état quand les mesures de protection ont été
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1 débattues.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais je parle en ce moment de
3 l'ordre de comparution des témoins provisoires, tel qu'il existe
4 actuellement.
5 Le témoin suivant c'est le numéro 64 dont l'ordre de comparution pour
6 l'instant est le numéro 9.
7 M. RE : [interprétation] C'est tout à fait cela.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ensuite, nous aurons le numéro 29.
9 M. RE : [interprétation] Tout à fait.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est le témoin dont le pseudonyme est
11 le 19, puis 88 aussi, puisque ce témoin s'est vu attribuer pas moins de
12 trois numéros.
13 M. RE : [interprétation] Le témoin qui suivra c'est le Témoin 27 dans
14 l'ordre de comparution, en fait c'est le Témoin numéro 87. Son pseudonyme
15 c'est le 4.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'ai un nom différent pour le Témoin 27,
17 parce que son prénom commence par un A; alors que pour le 29, le prénom
18 commence par un R.
19 M. RE : [interprétation] C'est exact.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est le numéro 27 ?
21 M. RE : [interprétation] Oui, c'était l'ordre de comparution envisagé.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais, le pseudonyme c'est le 4 ?
23 M. RE : [interprétation] Oui.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Témoin 87. Ce n'est pas comme sur ma
25 liste, donc je vois que non seulement moi, mais aussi la Défense qui est un
26 petit peu perdu. Il faudrait que d'ici la pause suivante, vous précisiez un
27 peu les choses enfin qu'on ait toute une liste semblable et qu'on sache
28 bien de qui on parle.
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1 Puis nous avons le Témoin 8 dans l'ordre de comparution provisoire et pour
2 des questions de communication des pièces, la Défense n'est pas très chaude
3 pour l'entendre cette semaine, en tout cas, elle n'est pas en mesure de
4 contre-interroger.
5 M. EMMERSON : [interprétation] Nous avons pu nous mettre d'accord au sujet
6 de ce témoin, et bien entendu, sous réserve de l'opinion de la Chambre, ce
7 que nous nous proposons de faire, c'est de ne pas entendre ce témoin avant
8 jeudi, dans le cadre de l'interrogatoire principal, et si on termine sur
9 l'interrogatoire principal jeudi, on pourra directement passer au contre-
10 interrogatoire.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce qui signifie que --
12 M. EMMERSON : [interprétation] On pourrait entre le témoin à partir de
13 jeudi.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, contre-interrogatoire jeudi et
15 vendredi. On a prévu que son interrogatoire principal durerait deux heures,
16 on pourrait envisager même un contre-interrogatoire immédiat.
17 M. EMMERSON : [interprétation] C'est tout à fait possible, et je pense que
18 M. Re a également sous le coude un certain nombre de témoins sur les faits.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Puis vous avez essayé de vous mettre
20 d'accord sur le témoin dont le pseudonyme est 4 ou 19, ordre de comparution
21 27 ou 29, puis le témoin 87 ou 88, vous avez essayé de déterminer qui
22 passerait ensuite.
23 M. RE : [interprétation] Oui. 29 ensuite, puis après 27.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ensuite 27.
25 En fait, quand je donne ces numéros, je parle de la liste qui a été déposée
26 le 2 mars, et selon moi c'était la liste définitive.
27 M. RE : [interprétation] Permettez-moi aussi d'ajouter la chose suivante.
28 Je me suis entretenu avec au moins un des conseils de la Défense pendant le
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1 week-end, et j'ai envoyé aux autres un courrier. Actuellement, s'agissant
2 de la préparation des témoins, le rattrapage du retard, ce qui serait bon
3 c'est que nous ne siégions pas vendredi, ce qui permettrait à l'Accusation
4 de rassembler tous les témoins sur les faits, puis ensuite d'entendre les
5 autres de manière non pas peut-être "logique", mais --
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je vous entends bien, Monsieur Re,
7 et finalement, c'est à vous de décider quelle est la manière la plus
8 efficace de procéder. Mais vendredi, c'est quand même quatre heures
9 d'audience qui étaient mises à la disposition de l'Accusation plutôt pour
10 présenter ses moyens. On considère que les jours d'audience où il n'y a pas
11 audience, mais où les audiences étaient prévues, cela se déduit du temps
12 imparti à l'Accusation. Donc, ce sera quatre heures qui seront déduites des
13 125 accordées à l'Accusation, à moins qu'il n'y ait des raisons très
14 précises pour en déroger. Mais les heures qui ne sont pas utilisées, elles
15 sont considérées comme étant des heures qui doivent être décomptées du
16 temps imparti à la partie concernée.
17 M. RE : [interprétation] J'entends bien. Mais vous savez, nous avons eu des
18 difficultés au sujet de la venue des témoins, parce que certains témoins ne
19 sont pas venus. Autre difficulté, c'est qu'il y a des gens qui ne sont pas
20 venus tout simplement. Donc, il faut faire venir des témoins qui étaient
21 prévus pour venir après, comme cela, et faire en sorte que la Défense
22 puisse les contre-interroger correctement.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons voir ce que nous allons
24 pouvoir faire cette semaine. Ensuite, on y reviendra, et on verra s'il
25 convient de ne pas siéger vendredi.
26 Est-ce qu'il y a autre chose au sujet de l'ordre de comparution des
27 témoins ? Non. Dans ces conditions, je voudrais parler d'une requête aux
28 fins d'injonction à comparaître déposée le 9 mars, pour que le témoin
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1 vienne entre le 25 et le 29 mars. Si j'ai bien compris, votre injonction à
2 comparaître, vous voulez qu'on dise : Vous devez être ici, Madame,
3 Monsieur, entre telle date et telle date. Ensuite, libre à vous de dire
4 combien de temps sera nécessaire pour procéder à la déposition du témoin,
5 vous pouvez préciser la durée nécessaire dans le document. Est-ce que vous
6 pensez que vous pourrez faire venir ce témoin le 19 ? Est-ce que cela vous
7 agréerait ? Parce que vous nous dites qu'il doit être là entre le 19 et le
8 23 mars, donc forcément, il ne pourra pouvoir être là le 19.
9 M. RE : [interprétation] Nous, nous pouvons réagir face à un témoin qui
10 vient et qu'un délai d'une semaine -- enfin, après avis d'une semaine, mais
11 il y a toujours un retard quand on délivre une injonction à comparaître, ce
12 que nous ne pouvons pas contrôler, bien entendu. Il y a toujours un délai
13 entre le moment où la personne reçoit l'injonction et le moment où elle
14 arrive à La Haye. Donc, nous ne pouvons proposer qu'une fourchette
15 chronologique, si je puis dire.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais quand pensez-vous qu'il arrivera ?
17 Le 22, est-ce que cela serait bon ? Parce qu'il ne serait pas là le 19,
18 mais il respecterait quand même l'injonction à comparaître ?
19 M. RE : [interprétation] Le 22, le 23, nous avons un expert militaire
20 britannique. On ne peut pas changer la date de sa déposition.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais s'agissant du témoin en
22 question, s'il vient entre le 23 et le 29, c'est ce que vous souhaitez,
23 s'il vient à ce moment-là, est-ce qu'il se sera plié à l'injonction à
24 comparaître ? Pourquoi ne pas déterminer la date à laquelle vous souhaitez
25 qu'il vienne ici premièrement, date raisonnable pour espérer sa venue, puis
26 dire voilà, c'est à cette date que le témoin doit venir à La Haye. Puis
27 ensuite, vous dites au témoin : Nous entendrons votre déposition dans tel
28 délai.
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1 M. RE : [interprétation] Excusez-moi, je ne vous avais pas compris. Si je
2 me souviens bien, quand nous avons donné plusieurs dates, c'est que nous
3 voulons qu'ils comparaissent devant la Chambre le premier jour cité, et
4 qu'il dépose soit ce jour-là, soit dans le délai qui a été mentionné. Cela,
5 c'est la date à laquelle nous souhaitons qu'il soit là, puis ensuite
6 suivant les impératifs du procès, on décidera à quel moment il déposera.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, vous voulez une injonction pour le
8 voir comparaître le 19, puis ensuite, il déposera on ne sait pas exactement
9 quand, mais un peu plus tard ?
10 M. RE : [interprétation] C'est tout à fait cela.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous pensez qu'il est
12 possible qu'il vienne le 12, enfin, le 19 plutôt, sachant qu'aujourd'hui on
13 est le 12 ?
14 M. RE : [interprétation] Nous, cela nous ne pose pas de problèmes.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais si le témoin lui a des
16 difficultés à venir, c'est un problème pour l'Accusation.
17 Si vous me dites : Je pense que le témoin pourra venir le 19, toutes
18 les démarches pourront être réalisées dans ce délai. A ce moment-là nous
19 pouvons délivrer une injonction à comparaître, comme vous la demandez.Mais
20 il y a 60 % de chance qu'il ne soit pas le 19, mais plutôt le 20, à ce
21 moment-là pourquoi ne pas choisir la date du 20, que nous ferons figurer
22 sur l'injonction à comparaître. Voilà le genre de calcul, le genre
23 d'évaluation que je vous demande de mener.
24 M. RE : [interprétation] Je ne peux vous donner aucune garantie.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne vous demande aucune garantie. Je
26 vous demande une sorte d'évaluation. Si vous dites : Il serait vraiment
27 incroyable, extraordinaire qu'il n'arrive pas à venir le 19, et si vous
28 nous dites ce serait vraiment très étrange si on n'arrivait pas à régler
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1 tous ces problèmes en une semaine," mais si en revanche ce n'est possible
2 qu'à 50 %, on peut envisager une autre façon de faire.
3 M. RE : [interprétation] Je vous ai donné toutes les informations
4 concernant ce témoin. Nous ne pouvons apporter notre concours pour qu'il
5 obtienne tous les documents nécessaires à son déplacement. Nous pouvons les
6 transférer aux autorités serbes, ces documents, afin que le témoin soit là
7 le jour voulu, mais je ne peux pas aller plus loin que cela.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais si vous nous dites il y a 90 %
9 de chance que le témoin soit là, c'est différent d'un pourcentage de 30 %.
10 Nous hésiterions à délivrer une injonction à comparaître si la possibilité
11 de voir le témoin venir à la date donnée n'est que de 30 %, tandis que si
12 vous nous dites que c'est beaucoup plus probable, à ce moment-là c'est
13 beaucoup plus favorable.
14 Si bien que ce que j'aimerais que vous me disiez sur la base de votre
15 expérience, c'est cela. Si vous me dites : Il est très probable qu'il
16 arrivera à venir, ou j'ai de forts doutes quant à cette possibilité, voilà
17 ce que j'aimerais que vous me disiez.
18 M. RE : [interprétation] Je ne peux pas. Je ne peux pas.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous ne répondez pas ?
20 M. RE : [interprétation] Mais je ne peux pas vous répondre. Je ne peux pas
21 vous donner le pourcentage de la probabilité de voir ce témoin venir. Nous
22 allons faire tout ce que nous pourrons pour qu'il vienne.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous me dites que vous ne pouvez pas
24 répondre à ma question. C'est très clair.
25 M. RE : [interprétation] Enfin, il y a une forte probabilité que le témoin
26 soit là, si vous délivrez l'injonction aujourd'hui. Mais je ne peux pas
27 aller plus loin, je ne peux pas vous donner de pourcentage. Nous pouvons
28 faire tout ce qui est humainement possible pour qu'il vienne la semaine
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1 prochaine, qu'il vienne lundi.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Il y a une autre question en
3 suspens qui concerne la Défense. La Défense ne s'est pas encore prononcée
4 au sujet de l'injonction qui a été demandée par l'Accusation. Est-ce qu'il
5 y a des objections ou est-ce que vous avez besoin de plus de temps ?
6 M. EMMERSON : [interprétation] Nous ne nous opposons pas à cette injonction
7 s'agissant de la Défense de M. Haradinaj.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Fort bien. Je vois que les autres
9 équipes de la Défense vont dans votre sens, si bien que M. Re, il est
10 toujours envisageable que cette injonction soit délivrée aujourd'hui,
11 puisque la Défense ne demande pas à bénéficier d'un délai supplémentaire.
12 Nous allons réfléchir à cette question.
13 Dernière chose : 2 mars, notification des précisions relatives au
14 paragraphe 89 de l'acte d'accusation et demande d'autorisation d'ajout
15 d'une précision.
16 La Chambre sait qu'il reste encore deux jours à la Défense pour
17 répondre. Est-ce que vous avez l'intention de répondre ?
18 M. EMMERSON : [interprétation] Non.
19 M. GUY-SMITH : [interprétation] Non.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Harvey, vous allez dans le sens
21 de vos collègues. Donc, la Chambre ne va pas attendre de réponse de la
22 Défense avant de se prononcer sur la demande dont je viens de parler. Bien.
23 J'en ai terminé de l'examen de toutes les questions de procédure.
24 Monsieur Re, est-ce que vous êtes prêt à poursuivre l'interrogatoire
25 principal du Témoin 58 ?
26 M. RE : [interprétation] Oui.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que les mesures de protection
28 sont en place. Je vous rappelle qu'il s'agit d'altérations de l'image du
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1 témoin à l'écran et de l'octroi d'un pseudonyme. Bien.
2 Je vais demander à l'Huissière de bien vouloir aller chercher le témoin.
3 J'avais oublié de pointer sur ma liste une autre demande fort
4 récente, aux fins de mesures de protection. La Chambre ne va donner deux
5 semaines à la Défense pour répondre.Quand pensez-vous pouvoir répondre ?
6 M. EMMERSON : [interprétation] Nous pouvons répondre oralement aujourd'hui.
7 Nous nous opposons à cette demande.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et vous vous exprimez, là, au nom des
9 trois équipes ?
10 M. GUY-SMITH : [interprétation] Vous parlez de la dernière demande ?
11 (expurgé)
12 M. GUY-SMITH : [interprétation] Oui. Nous nous y opposons.
13 M. HARVEY : [interprétation] Tous les trois.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Tous les trois. Bien. Nous y reviendrons
15 un peu plus tard cet après-midi.
16 M. GUY-SMITH : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Est-ce
17 que vous souhaitez que nous présentions nos arguments au sujet de notre
18 position à cette demande ?
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Certes, mais j'ai demandé qu'on fasse
20 entrer le témoin. Donc, nous en parlerons un petit peu plus tard.
21 M. GUY-SMITH : [interprétation] D'accord.
22 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
23 LE TÉMOIN: TÉMOIN SST7/58 [Reprise]
24 [Le témoin répond par l'interprète]
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Témoin 58.
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous rappelle que vous êtes toujours
28 sous serment après la déclaration solennelle que vous avez faite au début
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1 de votre déposition vendredi.
2 M. Re va maintenant poursuivre l'interrogatoire principal.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Re, c'est à vous.
5 L'interrogatoire principal par M. Re : [Suite]
6 Q. [interprétation] Bonjour, Témoin 58.
7 R. Bonjour.
8 Q. Si vous vous souvenez bien, vendredi, je vous ai posé beaucoup de
9 questions au sujet de ce qui s'était produit en mai 1998, lorsque votre
10 famille est allée au moulin ?
11 R. Oui.
12 Q. On en était arrivé au moment où vous expliquiez qu'un certain Aslan
13 s'en était pris à des membres de votre famille, à qui il faisait subir de
14 mauvais traitements ?
15 R. Oui.
16 Q. Avant de poursuivre, j'aimerais que vous disiez aux Juges quelle était
17 la météo pendant que tout cela se produisait ?
18 R. Il pleuvait et il faisait froid.
19 Q. Pouvez-vous décrire la pluie qui tombait ?
20 R. Est-ce que vous pouvez répéter votre question ?
21 Q. Est-ce que vous pourriez décrire cette pluie ? Est-ce que c'était une
22 pluie fine ? Est-ce que c'était un crachin ? Est-ce que c'était une pluie
23 diluvienne ? Est-ce qu'il pleuvait tout le temps, est-ce qu'il pleuvait un
24 petit peu de temps à autre ? Est-ce qu'il y avait des nuages ?
25 R. Il pleuvait. Il faisait froid.
26 Q. Vendredi, je vous ai interrogé au sujet de ce dénommé Aslan que vous
27 avez vu au moulin.
28 R. Oui. Oui, oui, il est venu.
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1 Q. Est-ce qu'avant vous connaissiez déjà Aslan ?
2 R. Oui.
3 Q. Comment se faisait-il que vous le connaissiez avant ?
4 R. Je le connaissais avant parce qu'il habitait un endroit, c'est juste
5 avant l'entrée à Gregovisht, je le connaissais.
6 Q. Savez-vous s'il porte un autre nom ?
7 R. Aslan Luluni, c'était son nom.
8 Q. Est-ce qu'il était membre de l'UCK ?
9 R. Oui.
10 Q. Quand vous l'avez vu au moulin ce jour-là, est-ce qu'il était armé ?
11 R. Oui, oui, oui. Oui.
12 Q. Quelle arme --
13 M. GUY-SMITH : [interprétation] Excusez-moi d'interrompre l'interrogatoire
14 principal, mais j'aimerais que M. Re ne dicte pas les réponses du témoin.
15 M. RE : [interprétation] Je ne vois pas très bien comment cette question
16 revient à guider les réponses du témoin. Le témoin, quand je lui demande si
17 l'homme était armé ou pas, peut répondre oui ou non.
18 M. GUY-SMITH : [interprétation] J'en reste là pour l'instant, mais je suis
19 sûr que M. Re comprend parfaitement pourquoi j'interviens de la sorte et de
20 quoi il retourne.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On va rester là pour l'instant.
22 Monsieur Re, reprenez.
23 M. RE : [interprétation]
24 Q. Il y a un instant, j'allais vous demander quelle arme ils portaient ?
25 R. Ils avaient tout type d'armes, des grandes, des petites. Je n'ai pas
26 fait attention vraiment. J'avais beaucoup de choses à l'esprit. Il fallait
27 que je m'occupe de mes enfants, et cetera. Ils pleuraient, je pleurais, ma
28 deuxième belle-sœur pleurait. Nous pleurions tous. Je ne m'en souviens plus
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1 très bien. Je ne peux pas vous le dire avec précision.
2 Q. Qu'a-t-il fait à votre belle-soeur ?
3 R. Ils nous ont encerclé dans un champ devant le moulin, et il a dit :
4 Nous devons vous fouiller pour voir si vous portez des armes ou d'autres
5 choses. Nous avons répondu que nous n'avions rien du tout.
6 M. EMMERSON : [interprétation] Lorsque des questions telles que celles-ci
7 sont posées au témoin, je demanderais à M. Re de bien préciser de quelle
8 belle-sœur il parle pour que les choses soient tout à fait claires.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Re, votre question portait-elle
10 sur les deux belles-sœurs ou sur l'une ou l'autre précisément ? Nous avons
11 le Témoin 38 je vous le rappelle et la deuxième belle-sœur.
12 M. RE : [interprétation] Non, je parlais soit de la belle-sœur qui porte le
13 numéro 38 ou de l'autre.
14 Q. Je lui ai demandé en réalité de laquelle elle parlait.
15 R. Je parlais des deux, la plus âgée et la plus jeune.
16 Q. Leurs pères étaient-ils présents ?
17 R. Oui.
18 Q. Lui est-il arrivé quoi que ce soit, et si oui, quoi ?
19 R. Il essayait de leur expliquer, de leur parler, et en fait, il criait
20 sur lui.
21 Q. Lorsque vous dites "ils" criaient de qui parlez-vous ?
22 R. Ils étaient nombreux. Je n'ai entendu qu'Aslan crier. Je crois que je
23 vous l'ai déjà dit, ils étaient très nombreux, mais je ne les ai pas tous
24 reconnus parce que, comme je vous l'ai dit, je m'occupais de mes enfants et
25 j'étais très apeurée moi-même.
26 Q. Vous avez dit qu'Aslan avait fouillé le sac de votre deuxième belle-
27 sœur. Est-ce qu'Aslan a fait quoi que ce soit au père de cette deuxième
28 belle-soeur ?
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1 R. Oui.
2 Q. Qu'a-t-il fait ?
3 R. Il voulait violer ma deuxième belle-sœur, mais je ne l'ai pas laissé
4 faire. J'ai crié. Il a fouillé son sac. Ensuite, j'ai ramassé les
5 différents objets et j'ai pris mes enfants et la femme de mon beau-père et
6 ma belle-sœur et nous nous sommes éloignés un peu. Mais je ne me souviens
7 plus très bien parce que j'avais peur.
8 Q. Vous avez dit qu'il voulait violer votre deuxième belle-sœur.
9 M. GUY-SMITH : [interprétation] Monsieur le Président, excusez-moi. La
10 question qui a été posée au témoin n'a pas reçu réponse. Je comprends bien
11 que ce sont des informations que M. Re cherche à obtenir de la bouche du
12 témoin, et je ne m'y oppose pas. Toutefois, aux fins du compte rendu, il
13 faut veiller à ce que les choses soient conformes les unes avec les autres
14 lorsqu'une question est posée et que la réponse donnée n'est pas la réponse
15 à cette question, ceci a tendance à semer la confusion. Je ne vais pas me
16 lever et dire que cette réponse ne convient pas, mais lorsque cela se
17 produit, j'aimerais que M. Re amène le témoin à répondre à la question de
18 manière appropriée.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais y a-t-il une règle quelle
20 qu'elle soit, selon laquelle, si un témoin ne répond pas directement à la
21 question, la partie posant les questions doit poursuivre tant qu'elle
22 n'aura pas reçu réponse, et pensez-vous qu'il y ait obligation à le faire
23 pour la partie en question ?
24 M. GUY-SMITH : [interprétation] Non, je ne connais aucune règle qui oblige
25 la partie à le faire. Toutefois, pour que le compte rendu soit cohérent et
26 reflète la nature des arguments que les parties entendent présenter
27 s'agissant de cette question-ci, il me semble qu'il faudrait préciser
28 puisque la question posée, portée sur le beau-père, il me semble la
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1 question n'a pas reçu réponse.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, bien. Nous allons voir dans quelle
3 mesure effectivement il incombe à la partie interrogeant le témoin
4 d'obtenir une réponse à la question posée.
5 J'aimerais également revenir sur quelque chose que vous avez dit tout
6 à l'heure. Vous avez dit que vous n'aviez pas insisté à savoir le caractère
7 directif de la question qui avait été posée, question de savoir si telle ou
8 telle personne était armée. Je vous renvoie la page 883, ligne 27 - un
9 témoin, vendredi, alors qu'il parlait des membres de l'UCK a dit qu'ils
10 étaient armés, et je ne comprends pas très bien dans quelle mesure le
11 témoin aurait pu être séduite par une question de nature directive et
12 aurait utilisé cette question pour introduire quelque chose que le témoin
13 n'aurait pas présenté dans un autre cas de figure. Cela m'échappe
14 complètement.Monsieur Guy-Smith, vous n'avez pas insisté, donc il n'y aura
15 pas décision de notre part. Je voulais simplement vous dire que je ne
16 voyais pas quel était le sens de votre objection.
17 Monsieur Re, veuillez poursuivre, et pour l'instant, nous l'avons pas
18 vous obliger à essayer d'obtenir une réponse de la part du témoin. Nous
19 verrons plus tard quelle est l'importance de cette question et quels sont
20 vos devoirs en la matière.
21 Veuillez poursuivre.
22 M. RE : [interprétation]
23 Q. Monsieur le Témoin, vous avez dit il y a un instant qu'il voulait
24 violer votre deuxième belle-sœur. Qu'a-t-il fait ?
25 R. Vous me parlez de la plus âgée ou de la plus jeune ? Pour que les
26 choses soient tout à fait claires.
27 Q. La deuxième belle-sœur, pas le Témoin 38, celle dont vous avez parlé
28 tout à l'heure.
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1 R. Oui. Je vous ai dit le premier jour aussi, je ne lui ai pas permis
2 qu'il la viole, mais il a essayé, mais je ne l'ai pas laissé faire, donc il
3 ne l'a pas violée.
4 Q. Mais que l'avez-vous vu faire ?
5 R. Je ne l'ai pas vu faire quoi que ce soit d'autre. J'ai pris mes enfants
6 et je suis partie. Ils n'ont rien tenté contre elle par la suite.
7 Q. Vous avez dit qu'il avait essayé de la violer. Pourquoi dites-vous cela
8 ? Qu'est-ce que vous avez vu qui vous a poussé à croire qu'effectivement il
9 avait tenté de la violer ?
10 R. Je n'ai pas dit qu'il l'avait violée. Ils ont essayé de la violer, mais
11 je ne l'ai pas laissé faire. Je n'ai pas dit qu'elle avait été violée; j'ai
12 juste dit qu'ils avaient essayé de la violer.
13 Q. Qu'est-ce qu'il lui a fait qui vous a donné à croire qu'il allait la
14 violer ?
15 R. Je ne l'ai pas laissé -- elle a remis ses vêtements, et je l'ai amenée
16 avec moi. Et j'ai crié, j'ai hurlé, je ne l'ai pas laissé faire. Elle a
17 remis ses vêtements. Mais précisons bien les choses, ils ne l'on pas
18 violée; ils ont simplement tenté de la violer. Je suis ici pour dire la
19 vérité, pour dire ce qui s'est vraiment passé.
20 Q. Je comprends, mais vous avez dit qu'elle avait remis ses vêtements ?
21 R. Oui, c'est ce que j'ai dit.
22 Q. Vous dites qu'elle a mis ses vêtements. Est-ce qu'elle ne les portait
23 plus sur elle ?
24 R. Pourriez-vous répéter ? Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur Re.
26 Madame, vous avez dit que votre belle-sœur avait mis ses vêtements. Alors,
27 pourriez-vous nous dire si elle avait enlevé ses vêtements elle-même ou si
28 c'est quelqu'un d'autre qui l'avait fait ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Elle a mis ses vêtements elle-même. Ils
2 voulaient la violer mais je ne les ai pas laissé faire.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je comprends. Ce n'est sans doute pas
4 facile pour vous d'en parler, parce que ceci a, sans doute, été pour vous
5 une situation gênante. Mais nous aimerions en savoir davantage sur ce qui
6 s'est passé. Si vous dites : Ma sœur a mis ses vêtements, et vous voulez
7 essayer d'éviter son viol, pouvez-vous nous dire --
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Elle n'a pas été violée par eux. Elle
9 portait ses vêtements. Ils voulaient la déshabiller, mais je n'ai pas
10 permis qu'ils la déshabillent. Je n'ai pas dit qu'ils avaient enlevé ses
11 vêtements. J'ai dit qu'ils ont essayé, mais qu'ils ne l'ont pas fait. Ils
12 n'ont rien fait d'autre contre elle. Je vous dis ce qui s'est vraiment
13 passé, pas ce qu'il ne s'est pas passé.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce qu'ils l'ont touchée, est-ce
15 qu'ils essayé de lui enlever ses vêtements ou est-ce qu'ils lui ont ordonné
16 d'enlever ses vêtements ? Pouvez-vous nous donner davantage de détails sur
17 ce qui s'est passé exactement ?
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Ils ont dit cela oui, mais je ne l'ai pas
19 laissée se déshabiller et elle n'a pas enlevé ses vêtements. Ils ont
20 simplement vidé son sac pour en fouiller le contenu, mais rien d'autre. Ils
21 n'ont rien fait d'autre à ma belle-sœur. Je vous dis vraiment là ce qui
22 s'est passé et rien de plus. Ensuite je me suis un peu éloignée avec mes
23 enfants et ma belle-sœur et nous y sommes restées un moment.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous interromps un instant. Vous avez
25 dit : "Ils n'ont rien fait d'autre à ma deuxième belle-sœur."
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, effectivement.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'aimerais maintenant passer au Témoin
28 38, l'autre belle-sœur. Elle n'a jamais été déshabillée, elle a toujours eu
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1 ses vêtements sur elle ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai déjà dit cela la première fois. Je ne
3 sais pas ce qu'elle a dit, mais je suis venue ici dire ce que je sais.
4 C'est tout ce que je dis.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Une question simple : à quelque
6 moment que ce soit au moulin avez-vous aperçu votre belle-sœur, le Témoin
7 38, sans vêtements, qu'elle se soit déshabillée elle-même ou qu'elle ait
8 été forcée à le faire ?
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas fait attention. Je suis partie
10 pendant dix minutes, un quart d'heure. C'est tout ce que je souhaitais vous
11 dire.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Je vous pose cette question
13 maintenant : pour vous, serait-il gênant d'avoir aperçu votre belle-sœur
14 nue ou seriez-vous embarrassée de le reconnaître devant nous ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Je vous dis la vérité. Je ne sais pas ce
16 qu'elle a dit. Je vous ai dit ce que j'ai vu. Je ne peux pas dire ce que je
17 n'ai pas vu. Nous sommes restés sur place un instant, ensuite nous nous
18 sommes dirigés vers les montagnes, nous avons traversé les buissons, passé
19 des haies et d'autres choses encore. A part de cela, je ne sais rien. Je ne
20 peux pas vous parler de choses que j'ignore ou des choses qui ne sont pas
21 arrivées. Ce qu'elle vous a dit, je ne le sais pas. Ce dont je ne me
22 souviens pas, je n'en parle pas.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est tout à fait sage.
24 Monsieur Re, poursuivez.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas si c'est exact ou pas, mais je
26 vous dis ce que je sais.
27 M. RE : [interprétation]
28 Q. Parmi ce groupe d'individus, y avait-il quelqu'un qui était ligoté ?
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1 R. Je n'ai pas fait attention. Je n'ai pas fait attention. Comme je vous
2 l'ai dit, je me déplaçais le long d'une route où il y avait également des
3 buissons, des haies. Je m'occupais de mes enfants qui avaient faim, donc je
4 n'ai pas fait attention.
5 Q. Il y a quelques instants, je vous ai demandé ce qu'ils avaient fait au
6 père de votre belle-sœur et vous avez dit qu'ils avaient tenté de violer
7 votre deuxième belle-sœur. J'aimerais maintenant que vous vous concentriez
8 sur le père. Qu'ont-ils fait au père ?
9 R. Ils lui ont crié dessus. Ils maltraitaient ces deux-là. Mais comme je
10 l'ai dit, je ne faisais pas vraiment attention, mais ils le maltraitaient.
11 Il y avait beaucoup de gens et je ne me souviens pas de tout avec
12 précision. J'étais malade --
13 Q. Essayez de vous concentrer sur la question que je vous pose, d'accord ?
14 R. Oui. Allez-y.
15 Q. Vous avez dit qu'ils maltraitaient les deux. J'aimerais que vous
16 expliquiez aux Juges comment ils les maltraitaient. Qu'est-ce qu'ils leur
17 faisaient ?
18 R. Je ne sais pas vraiment du tout comment décrire la chose. J'ai oublié
19 certaines choses et beaucoup de temps a passé. Ils lui criaient dessus.
20 Ensuite, ils nous ont emmenés quelque part dans les montagnes, à un endroit
21 où nous sommes restés.
22 Q. Très bien. Tout ce qui m'intéresse ici c'est le père, d'accord ?
23 J'aimerais savoir combien de temps vous êtes restés aux environs du
24 moulin ? Combien de temps ?
25 R. Pas très longtemps. Je ne sais plus très bien, mais pas très longtemps.
26 Jusqu'au 6 ou au 7. Je ne sais plus très bien. Je n'ai pas beaucoup étudié
27 à l'école vous savez.
28 Q. D'accord. Ce qui m'intéresse c'est de savoir à quoi correspondent ces 6
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1 ou 7, des minutes, des heures, des jours. Combien de temps êtes-vous restés
2 à côté du moulin ?
3 R. Pas très longtemps. De 8 heures du matin je pense, ensuite vers 4 ou 5
4 heures ou peut-être 7 heures ou 8 heures, nous sommes partis vers les
5 montagnes Jasiq. C'est ce que je sais. Nous ne sommes pas restés longtemps
6 à côté du moulin.
7 Q. Etaient-ce les membres de votre famille dont vous nous avez parlé
8 vendredi qui sont allés avec vous vers le mont Jasiq ?
9 R. Oui, il y avait des Rom, un certain Jusuf, et un autre avec son épouse;
10 et l'épouse de mon beau-père et c'est tout, personne d'autre.
11 Q. Et vos deux belles-sœurs et les enfants ?
12 R. Et les enfants, oui, et ma belle-sœur. Nous étions tous ensemble.
13 Q. Pourquoi vous êtes-vous dirigés vers le mont Jasiq ?
14 R. Nous avions peur. Nous nous sommes dit que nous pourrions nous abriter
15 là-bas. Nous avons passé la nuit dehors dans le froid, dans la pluie, la
16 faim au ventre, sans rien à manger. Nous y avons passé la nuit, et le
17 lendemain, ensuite nous avons repris la route.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Re, votre question, et j'invite
19 le témoin à vous écouter avec attention, était la suivante : "Qu'en est-il
20 de vos deux belles-sœurs et des enfants ?" Et vous, Témoin 58, vous avez
21 répondu : "Et les enfants et ma belle-sœur" et pas mes belles-sœurs. Je
22 vous pose la question : étaient-elles toutes les deux présentes au moment
23 où vous êtes partis vers le mont Jasiq ou n'y en avait-il seulement
24 qu'une ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Les deux étaient là. Nous étions tous
26 ensemble. Les deux étaient avec nous.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.
28 Monsieur Re, veuillez poursuivre.
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1 M. RE : [interprétation]
2 Q. Vous avez dit être allée vers le mont Jasiq parce que vous aviez peur.
3 De quoi aviez-vous peur ?
4 R. J'avais peur parce que mes enfants pleuraient. Je ne me sentais pas
5 très bien à ce moment-là. Nous étions tous dans le même état, et nous avons
6 donc passé la nuit sur le mont Jasiq, et nous sommes partis le lendemain.
7 Q. Quelle était la cause de votre peur ?
8 R. Il y avait beaucoup de gens de l'UCK. Nous avions peur. Nous avions
9 faim. Nous n'avions ni pain ni eau. Rien du tout.
10 Q. Aviez-vous peur de l'UCK ?
11 R. Oui. Grand Dieu, oui.
12 Q. Pourquoi ?
13 (expurgé)
14 (expurgé)
15 (expurgé)
16 Q. Mais quelle raison y avait-il pour que vous ayez peur ?
17 R. Il y avait beaucoup de gens de l'UCK et j'avais peur. Nous sommes
18 restés dans les montagnes, je l'ai dit, nous avions faim, nous n'avions
19 rien à manger. J'avais peur, mes enfants aussi; tout le monde parce qu'ils
20 étaient très nombreux.
21 Q. Vous avez dit avoir passé la nuit sur le mont Jasiq et être partis le
22 lendemain. Où êtes-vous allée et avec qui ?
23 R. Je suis partie avec toute ma famille, la famille de mon mari, mon beau-
24 père, et nous sommes allés à Gjocaj, près d'un magasin ou d'une maison, je
25 ne sais pas très bien. Là, il y en avait beaucoup. Ils voulaient tirer et
26 un certain Gani d'Istog les en a empêchés.
27 Q. J'aimerais que vous disiez à la Chambre de manière très précise ce qui
28 est arrivé ensuite, mais dans un instant. D'abord, vous avez dit qu'ils
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1 voulaient tirer. Cela s'est-il produit le lendemain de la nuit que vous
2 avez passés sur le mont Jasiq ? Oui ou non.
3 R. Oui, effectivement, après notre départ du mont Jasiq.
4 Q. Etait-ce le lendemain ou un autre jour ?
5 R. Non, c'était le lendemain, le matin même nous sommes partis du mont
6 Jasiq. A quelle heure, je ne sais pas exactement.
7 Q. Alors cet incident au cours duquel on a essayé de vous tirer dessus, à
8 votre connaissance, s'est-il produit ce même jour au cours de la matinée ?
9 R. A Jasiq ? Vous parlez de Jasiq ou de Gjocaj ?
10 Q. A Gjocaj.
11 R. Oui. Ils voulaient tirer à cet endroit-là, ce Gani d'Istog a dit : Ne
12 tirez pas. Et les autres ont répondu : Si, on devrait tirer, on devrait
13 tous les tuer.
14 Q. Chaque chose en son temps, et nous allons comprendre ce dont vous
15 parlez; d'accord ? D'abord, était-ce le matin, l'après-midi ou le soir, si
16 toutefois vous vous en souvenez ?
17 R. Non. C'était le matin, tôt le matin vers 6, 7 ou 8 heures du matin.
18 Q. Où êtes-vous allés ?
19 R. Nous sommes allés vers les montagnes. Gani ne les a pas laissé faire.
20 Nous avons atteint Batusha. Nous pouvions à peine marcher.
21 Q. Si vous parvenez à vous souvenir de cela, combien de temps vous a-t-il
22 fallu pour aller de la montagne jusqu'à l'endroit où cet incident s'est
23 produit ?
24 R. Je ne sais pas si c'était 7 heures ou 8 huit heures du matin. Il nous a
25 fallu -- je ne sais pas. Peut-être qu'il était 5 heures ou 2 heures. Je
26 n'en sais rien du tout.
27 Q. Comment êtes-vous allés du mont Jasiq jusqu'à Gjocaj ? Y êtes-vous
28 allés à pied, dans un véhicule ? Comment y êtes-vous arrivés ?
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1 R. Non, non, à pied. Nous sommes allés à pied jusqu'à Batusha. Nous
2 n'avions pas de voiture. Nous étions à pied en suivant les sentiers de
3 montagne.
4 Q. Où étiez-vous lorsqu'ils ont voulu vous tirer dessus ? J'aimerais que
5 vous nous donniez une description de cet endroit où vous êtes allés.
6 R. Vous parlez de Gjocaj ? C'était à Gjocaj qu'ils ont voulu nous tirer
7 dessus. C'est ce que j'ai dit tout à l'heure. Ce Gani d'Istog ne les a pas
8 laissé tirer. Il leur a dit : Ne faites pas cela. Ils ont répondu : Si, ils
9 devraient être tués, mais lui a répliqué : Non, ne tirez pas et il les a
10 fait s'éloigner.
11 Q. Revenons à Gjocaj et à ce qui s'est passé là-bas. S'il vous plaît,
12 donnez une description de l'endroit à la Chambre. Y avait-il des maisons ?
13 Y avait-il des arbres ? Etiez-vous près d'une rivière ? Etiez-vous dans la
14 montagne ? Dites aux Juges ce à quoi ressemblait le paysage ?
15 R. Vous devez savoir que je ne sais pas très bien si c'était un magasin ou
16 une maison, mais je peux vous dire qu'il y en avait beaucoup. Combien
17 exactement, je ne sais pas. Comme je vous l'ai dit, cet homme, ce Gani ne
18 les a pas laissé tirer et nous avons réussi à arriver jusqu'à Batusha.
19 Q. Ne parlez pas de Gani. Je veux simplement que vous disiez aux Juges où
20 ceci s'est produit. Vous avez dit que c'était peut-être un magasin ou une
21 maison ?
22 R. Oui. C'est Gani d'Istog.
23 Q. Etait-ce dedans ou dehors que l'on a failli vous tirer dessus ?
24 R. Est-ce que vous voulez parler de Gjocaj ou d'un autre endroit ou de la
25 maison ?
26 Q. Je parle de Gjocaj. Je parle du moment où c'était Gjocaj, n'est-ce pas
27 ? Rien d'autre.
28 R. Alors tout concerne Gjocaj. C'est seulement au sujet de Gjocaj. Ils
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1 étaient à l'extérieur, ils n'étaient pas à l'intérieur. Tous étaient à
2 l'extérieur.
3 Q. Et qui était là ?
4 R. Ils étaient nombreux. Je ne sais pas. Je ne les regardais pas. J'étais
5 en train d'entourer mes propres enfants et je n'essayais pas de les voir.
6 Je ne les regardais pas du tout.
7 Q. Vous dites qu'ils étaient nombreux ? C'était quoi, c'étaient des civils
8 ou des soldats ?
9 R. C'étaient des soldats. Ils étaient tous de l'UCK. Je ne les connais
10 pas, mais ils étaient nombreux. Je ne les connaissais pas. Cette personne
11 d'Istog ne leur a permis de tirer. Il leur a dit : N'osez pas les
12 emprisonner ou leur faire quoi que ce soit.
13 Q. Veuillez dire aux Juges quelle était l'apparence des lieux, comment
14 était le paysage, la terre, là où vous vous trouviez. Y avait-il des
15 arbres, des montagnes, des rivières, des clôtures, des rochers ? Cela avait
16 l'air de quoi juste autour ? Pourriez-vous le décrire pour les membres de
17 la Chambre.
18 R. Il y avait une sorte de route. Je ne faisais pas attention pour savoir
19 s'il y avait des pommiers ou d'autres arbres. Mais c'était une route qui
20 conduisait à Batusha. Il y avait bien des arbres, il y avait un magasin, il
21 y avait une maison, mais je ne faisais pas attention sur la question de
22 savoir s'il y avait des arbres alentour. Tout ce que je voulais faire
23 c'était pouvoir suivre cette route et partir.
24 Q. Vous nous avez parlé quelquefois de la personne d'Istog qui avait
25 empêché les membres de l'UCK de tirer. Je voudrais que vous disiez aux
26 Juges, que vous décriviez où vous vous trouviez et où se trouvaient les
27 membres de l'UCK. Que s'est-il passé ?
28 Pour commencer, à quelle distance se trouvaient les membres de l'UCK,
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1 les soldats de l'UCK par rapport à vous ?
2 R. C'était à trois ou cinq pas de nous. Ils n'étaient pas très éloignés.
3 Q. Qu'est-ce qu'ils ont fait ?
4 R. Ils voulaient tirer, donc cette personne d'Istog leur avait dit : Ne
5 tirez pas.
6 Q. Bien. Ils voulaient tirer. Qu'est-ce qui vous a fait penser qu'ils
7 voulaient tirer ? Que faisaient-ils qui vous a donné l'impression ou qui
8 vous a fait comprendre qu'ils voulaient tirer ?
9 R. Ils ont braqué leurs armes vers le haut. C'est comme cela que cela
10 s'est passé.
11 Q. Avec qui vous trouviez-vous là ?
12 R. Nous voulions aller à Batusha. Nous étions tous là, mes belles-sœurs,
13 mon beau-père --
14 Q. Ce que j'essaie de savoir, c'est --
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Emmerson.
16 M. EMMERSON : [interprétation] Je crois qu'il y a une indication ici qu'il
17 se peut qu'il y ait un problème d'interprétation. Puis-je demander de quoi
18 il s'agit et voir si c'est important pour qu'on puisse corriger en temps
19 utile ?
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, certainement. Mais vous avez pour
21 instruction de ne pas éclaircir des problèmes en présence du témoin quand
22 le témoin porte des écouteurs, parce que ceci pourrait avoir pour effet de
23 suggérer que --
24 Non, non, non. Le témoin peut -- je ne sais pas dans quelle langue M.
25 Haradinaj parle à ce moment, mais --
26 M. EMMERSON : [interprétation] Il parle en anglais et il est capable de
27 suivre.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez vous consulter avec lui. Il
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1 n'y a pas de problème.
2 M. EMMERSON : [interprétation] Je vous remercie.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur Re.
4 M. RE : [interprétation]
5 Q. Témoin, vous avez dit : "Nous étions tous là, mes belles-sœurs, mon
6 beau-père." Qui d'autre ?
7 R. Il y avait des gens de Junik, Jusufa et Mihani, mais ils les ont
8 arrêtés. Ils ont dit : Vous pouvez rester ici, mais eux ne peuvent pas.
9 Donc ils se sont arrêtés là et nous avons poursuivi, nous avons continué.
10 Q. Qui des membres de l'UCK ont essayé -- enfin, qu'est-ce qui donnait
11 l'impression qu'ils allaient tirer ?
12 R. Nous étions, toute la famille était là avec la belle-sœur plus âgée.
13 Q. Lorsqu'ils ont --
14 R. C'était seulement notre famille.
15 M. GUY-SMITH : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, mais je
16 voudrais élever une légère objection à ce stade.
17 M. Re a de façon répétée parlé de "l'UCK" faisant ceci comme, par exemple,
18 de tirer ou d'essayer de faire d'autres choses. Il y a des personnes qui
19 sont mêlées, qui sont impliquées dans cette affaire. Ces personnes n'ont
20 pas été identifiées. Je pense qu'aux fins des débats dans ce procès, et je
21 comprends qu'il y a toute une hypothèse qui est en train d'être présentée
22 ici, je pense qu'on aura besoin d'un peu plus d'éléments d'identification
23 en ce qui concerne les individus qui sont concernés de façon à ce que la
24 Chambre puisse déterminer sur le point de savoir si, oui ou non, la
25 caractérisation qui est faite ou la qualification qui est faite par M. Re,
26 en fait, est en fin de compte exacte, précise, lorsque l'on réexaminera
27 l'ensemble de la déposition. Je comprends que ce terme était utilisé
28 pendant assez longtemps, mais je pense qu'il serait important que la
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1 Chambre puisse avoir une idée de quelles sont les identités de ces
2 personnes, ou une autre forme qui leur permette de comprendre qui étaient
3 les personnes avec lesquelles elle s'est trouvée mêlée à ce stade, à ce
4 moment-là, de façon à ce que la Chambre puisse se déterminer de façon
5 indépendante sur le point de savoir si, oui ou non, il s'agissait bien
6 d'activités de l'UCK, ce qui est quelque chose qui est essentiel pour la
7 présente affaire.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
9 Monsieur Re, jusqu'à maintenant le témoin vous a expliqué à plusieurs
10 reprises qu'elle ne connaissait pas ces personnes, mais qu'elle les
11 identifiait pour des raisons qu'elle a indiqué comme étant de l'UCK ou des
12 membres de l'UCK. Si nous entrons maintenant dans un nouveau contexte qui
13 concerne un nouveau groupe, pourriez-vous, s'il vous plaît, vérifier si la
14 base sur laquelle le témoin parle de l'UCK est la même que tout à l'heure
15 ou s'il se trouve qu'elle connaissait des personnes qui étaient là. Oui.
16 Incidemment, Maître Guy-Smith, je pense que vous avez ici pris environ 18 à
17 20 lignes de temps. Je pense qu'on pourrait dire la même chose en trois
18 lignes.
19 Veuillez poursuivre, Monsieur Re.
20 M. GUY-SMITH : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
21 M. RE : [interprétation]
22 Q. Juste pour aider les Juges de la Chambre, vous avez dit que tous
23 étaient de l'UCK. Comment savez-vous qu'ils étaient de l'UCK ?
24 R. Vous pouvez les reconnaître, parce qu'ils parlaient albanais et qu'ils
25 portaient des insignes de l'UCK. Il n'y avait pas de Serbes qui étaient là.
26 Pas un seul Serbe ne restait; tous étaient partis.
27 Q. Retournons à la question de savoir ce qu'ils vous ont fait. Vous avez
28 dit qu'ils avaient des armes et que votre famille se trouvait là. Qu'est-ce
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1 qu'ils ont dit ou qu'est-ce qu'ils ont fait ? Est-ce que vous-même et votre
2 famille - vous vous trouviez exactement où et où se trouvaient-ils eux-
3 mêmes ? Est-ce que vous pouvez décrire ces points, ces différents points ?
4 R. Vous parlez de ma propre famille ou de la famille de mon mari ? Je
5 crois que vous voulez parler de la famille de mon mari. Nous étions tous
6 ensemble. Je me trouvais avec la famille de mon mari. Il y avait ce cousin
7 de ma belle-sœur et personne d'autre. J'ai dit quelles étaient les
8 personnes qui se trouvaient avec nous dans ce groupe. Personne d'autre
9 n'était là. Je vous ai dit ce que je savais. Je ne peux pas vous dire ce
10 que je ne sais pas. Je vous dis ce que je me rappelle.
11 Q. Simplement, vous dites qu'ils avaient des armes. Les membres de votre
12 famille se trouvaient là, il y avait des gens de l'UCK qui étaient là.
13 Qu'est-ce qu'ils ont fait ?
14 R. Ils se trouvaient là. Il y en avait qui étaient là assis. Je ne sais
15 pas ce qu'ils faisaient. Que puis-je vous dire de plus ? Ils sont venus
16 jusqu'à nous, encore une fois, en disant ce qu'il fallait faire : Vous
17 devez faire ceci, vous devez faire cela. Je ne sais pas. Puis, nous sommes
18 partis dans la direction de Batusha.
19 Q. Témoin, vous avez dit un peu plus tôt que vous pensiez qu'ils
20 essayaient de vous tirer dessus. Je souhaiterais que vous disiez aux Juges,
21 vous disiez quelque chose à ce sujet. Qu'est-ce qu'ils ont fait ? Essayez
22 de vous concentrer sur ce point. Dites au Juges ce qui s'est passé. Qu'est-
23 ce qui fait que vous avez pensé qu'ils allaient essayer de vous tirer
24 dessus ?
25 R. Oui, ils voulaient nous tirer dessus. Ils ont dit : Qui est la famille
26 de ma belle-sœur la plus âgée, nous voulons les tuer, ont-ils dit. Puis, il
27 y a cet homme d'Istog qui a dit : Non, vous ne devez pas les tuer, et ils
28 ne l'ont pas fait. A ce moment-là, nous avons quitté les lieux. C'est comme
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1 cela que cela s'est passé.
2 Q. Que faisaient-ils avec leurs armes lorsqu'ils faisaient mine de vous
3 tirer dessus ?
4 R. Que faisaient-ils ? Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu'ils faisaient.
5 Ils nous menaçaient. Puis, je vous ai expliqué que cet homme d'Istog nous a
6 sauvés. Ensuite, nous avons pris la route de la montagne, nous sommes allés
7 à Batusha et ils ne nous ont pas tiré dessus. Puis l'armée à Batusha nous a
8 emmenés jusqu'à Gjakov, ensuite personne d'autre ne nous a rien fait parce
9 que personne ne leur a permis.
10 L'INTERPRÈTE : Le témoin répète la même phrase. Elle a répété deux fois la
11 même phrase, trois fois la même phrase.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Témoin 38 [comme interprété], essayons
13 d'éclaircir ce point. Vous nous avez dit qu'ils voulaient vous tirer
14 dessus. Est-ce que c'était simplement par des paroles qu'ils ont dites ou
15 est-ce qu'ils ont fait quelque chose de plus ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Ils n'ont rien fait, parce que cet homme ne
17 leur a pas permis. Ils voulaient nous tirer dessus mais ils ne l'ont pas
18 fait. Cette personne a dit : Non, vous ne devez pas les tuer. Ils nous ont
19 laissés tranquilles, et nous sommes partis dans la direction de Batush.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que je peux, à ce moment-là,
21 considérer qu'ils n'ont pas braqué leurs armes envers vous lorsqu'ils ont
22 été arrêtés, ils ne vous avaient pas mis en joue.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Ils ne nous ont rien fait. Nous sommes partis
24 dans la direction de la montagne de Batush. Ils nous ont laissés
25 tranquilles. Nous avons traversé la montagne et nous sommes arrivés à
26 Batush. C'est tout ce que je me rappelle, ce que je vous dis maintenant.
27 Batush.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Re, veuillez poursuivre.
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1 M. RE : [interprétation]
2 Q. Le Président Orie, le Juge qui se trouve au milieu, vient juste de vous
3 demander, vous poser la question de savoir s'ils avaient braqué leurs armes
4 vers vous. Je voudrais que vous pensiez plus particulièrement à cela. Vous
5 dites qu'ils avaient des armes, est-ce qu'ils ont --
6 R. Ils ont pointé leurs armes, mais cette personne ne leur a pas permis de
7 nous tirer dessus. Alors, ils ont abaissé leurs armes et ils ne nous ont
8 rien fait. C'est un fait.
9 Q. Est-ce que vous pouvez vous rappeler --
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, peut-être je souhaiterais vérifier
11 cela.
12 Plus tôt, j'avais dit : "Est-ce que je peux considérer qu'ils
13 n'avaient pas pointé leurs armes envers vous," maintenant vous semblez dire
14 qu'ils ont effectivement pointé les armes vers vous, mais qu'ils ont été
15 arrêtés, empêchés de faire quoi que ce soit de plus par cette personne.
16 C'est important, si vous me regardez pendant un instant, je voudrais que
17 vous me regardiez un instant.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je vous en prie.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Regardez-moi, s'il vous plaît. Si ceci
20 était une arme, mon bras, est-ce que c'était comme ceci, est-ce qu'ils ont
21 pointé dans votre direction, est-ce qu'ils ont été à ce moment-là empêchés
22 de tirer ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Ils ont pointé leurs armes. Peut-être que vous
24 ne m'avez pas entendue, vous n'avez pas écouté avec soin. Je vous l'ai dit
25 plus tôt. Ils ont rabaissé leurs armes seulement lorsque cette personne
26 leur a dit de ne pas nous tirer dessus. Peut-être que vous ne m'avez pas
27 bien comprise. Je me répète de façon à ce que ce soit parfaitement clair.
28 Ensuite, ils nous ont laissés tranquilles, et après cela nous avons pris
Page 918
1 cette route de montagne, nous sommes allés à Batush et, à ce moment-là,
2 l'armée serbe nous a pris en charge.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Re.
4 M. RE : [interprétation]
5 Q. Peut-être que vous pourriez nous montrer par des gestes. Pourriez-vous
6 vous lever ? C'est cela, levez-vous, s'il vous plaît, et tenez, par
7 exemple, comme si c'était un fusil de l'UCK par rapport à votre famille.
8 Montrez-nous ce qu'ils ont fait.
9 R. Comme ceci, puis à ce moment-là, cet homme leur a crié quelque chose.
10 Nous, nous nous tenions comme ceci, nous étions assis comme cela, et il ne
11 les a pas laissé tirer sur nous, et ils ne nous ont rien fait.
12 Q. Vous dites qu'ils ont pointé leurs armes. Montrez au Juge, qui vient
13 juste de vous poser des questions, avec vos bras, comme si vous teniez une
14 arme à feu, faites semblant d'avoir un fusil ou un pistolet à la main.
15 Bien. Maintenant qu'est-ce qu'ils ont fait ?
16 R. C'était comme ceci. Ils voulaient tirer, ensuite cet homme leur a crié
17 quelque chose, et les premiers ont relevé leurs armes et les avaient
18 pointées vers nous, puis ils ont rabaissé leurs armes.
19 Q. Faites-le encore une fois, un petit peu, s'il vous plaît. Je voudrais
20 que l'on puisse décrire ce que vous venez de faire.
21 R. Ils voulaient nous tirer dessus. C'est comme cela qu'étaient leurs
22 mains. Ils ont élevé leurs armes, puis ils ont abaissé à nouveau puis, ils
23 nous ont laissés tranquilles.
24 M. RE : [interprétation] Est-ce que le compte rendu pourrait indiquer que
25 c'était une position classique pour ce qui est de tirer en épaulant.
26 [La Chambre de première instance se concerte]
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, c'est cela la difficulté, parce
28 qu'il n'y a pas seulement déformation des traits du visage, mais également
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1 du reste du corps dans une certaine mesure. Je pense que ceci est
2 suffisamment expliqué que le témoin a montré avec ses mains au moins
3 comment ils ont levé en quelque sorte, je dirais, une position tout à fait
4 horizontale, mais au moins, pendant un moment, il y avait une sorte de
5 mouvement horizontal, puis les armes ou les bras seraient redescendus.
6 C'est tout ce que nous pouvons dire.
7 Monsieur Re, vous pouvez poursuivre. Je ne sais pas combien de temps il
8 vous faut encore pour finir votre interrogatoire principal.
9 M. RE : [interprétation] J'espère pas longtemps.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
11 M. RE : [interprétation]
12 Q. Veuillez vous asseoir. Maintenant, combien d'entre eux ont pointé leurs
13 armes vers vous de la façon que vous venez de nous montrer ?
14 R. Comment pourrais-je vous le dire ? Je ne me rappelle pas bien. Ils
15 étaient à quelques pas de nous. Je ne sais pas, c'était il y a longtemps,
16 puisqu'en fait, j'étais inquiète pour mes enfants.
17 Q. Mais lorsque je parle de nombres, nous parlons de 5, 10, 20, 100, 5 ?
18 Combien étaient-ils ?
19 R. La famille de ma belle-sœur la plus âgée ?
20 Q. Non. Je vous demande combien d'hommes de l'UCK ont pointé leurs armes
21 vers vous ? Y avait-il plus d'un ?
22 R. Ils étaient nombreux. Non, non, ils étaient nombreux, je ne sais pas
23 exactement combien ils étaient. Je ne les connaissais pas.
24 Q. Bien. Maintenant, à côté de vous il y avait votre famille et vous --
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Re, je voudrais qu'on obtienne
26 une réponse à votre dernière question.
27 Témoin, vous avez dit qu'il y avait de nombreux hommes de l'UCK. Pourriez-
28 vous nous dire combien il y en avait qui avaient pointé leurs armes vers
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1 vous et/ou vers votre famille ? Est-ce que tous l'ont fait ? Est-ce que --
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Ils étaient quatre, cinq, dix, je ne le sais
3 pas. Mais je sais qu'ils étaient plusieurs. Beaucoup de temps s'est écoulé
4 depuis lors et je ne peux pas vous dire exactement combien ils étaient. De
5 trois à cinq. Je n'ai pas fait très attention. J'étais terrifiée. J'avais
6 peur.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Re, veuillez poursuivre.
8 M. RE : [interprétation]
9 Q. Pendant qu'ils faisaient cela, en train de pointer leurs fusils vers
10 vous et qu'ils voulaient vous tirer, où se trouvait votre famille ? Est-ce
11 que les membres de votre famille étaient assis, debout, à genou ? Qu'est-ce
12 que vous étiez en train de faire ?
13 R. Nous étions debout. Ils ne nous ont pas pris beaucoup de temps. Ils
14 nous ont permis de partir. Enfin, peut-être que ceci a duré en tout de dix
15 à 20 minutes.
16 Q. Pourquoi étiez-vous debout ?
17 R. Nous étions sur le point de partir, de quitter cet endroit Jasiq, parce
18 que nous avions peur, parce qu'ils criaient, ils hurlaient, nous avions
19 peur et nous sommes partis. Cet homme ne leur a pas permis de tirer sur
20 nous, donc ils nous ont laissé partir.
21 Q. Lorsqu'ils étaient en train de pointer --
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Re, juste pour votre
23 information, la Chambre souhaite que vous terminiez l'interrogatoire
24 principal avant la suspension de l'audience, donc cela laisse encore neuf
25 minutes.
26 M. RE : [interprétation] Je m'efforce vraiment de le faire.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, oui. Juste pour que vous sachiez
28 que la Chambre a décidé que cela ne devrait pas durer plus longtemps.
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1 M. RE : [interprétation]
2 Q. Lorsqu'ils étaient en train de pointer leurs fusils vers vous, leurs
3 armes vers vous, vous dites que vous étiez debout. Est-ce que vous étiez en
4 cercle, est-ce que vous étiez sur un rang, sur une ligne, simplement
5 regroupés ? Pouvez-vous décrire comment vous étiez en vous tenant debout
6 là ?
7 R. Nous étions sur un rang, alignés.
8 Q. Bien.
9 R. Toute la famille.
10 Q. Bien. Comment étiez-vous alignés et comment se fait-il que vous vous
11 soyez trouvés alignés ?
12 R. On nous a fait nous aligner. Nous étions sur le point de partir,
13 ensuite ils ont fait ce qu'ils ont fait. Ils nous ont empêchés de partir,
14 ils voulaient nous tirer dessus. Cette personne ne leur a pas permis de
15 tirer sur nous et ils se sont arrêtés sans tirer. C'est cela.
16 Q. Est-ce qu'ils vous ont fait vous aligner ?
17 R. Oui, oui, c'est cela. Ils nous ont dit : Nous voulons vous tuer, nous
18 voulons vous tuer tous.
19 Q. Qu'est-ce qui --
20 R. Parce que ceci c'était la famille de -- ils ont mentionné le nom de ma
21 belle-sœur la plus âgée. Nous voulons vous tuer tous parce qu'elle a
22 travaillé avec les Serbes. Ensuite, cet homme d'Istog est venu, est
23 intervenu et …
24 Q. Parlons simplement de l'alignement, le fait qu'on a fait vous aligner.
25 Qu'est-ce qu'ils ont fait pour que vous ayez à vous mettre en ligne, à vous
26 aligner ?
27 R. Mais, ils voulaient nous tirer dessus. Je vous ai expliqué cela pour la
28 énième fois : cette personne ne leur a pas permis de tirer, et à ce moment-
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1 là, ils nous ont laissé partir, traverser par les montagnes en direction de
2 Batush.
3 Q. Bien. Arrêtez-vous un instant.
4 R. Nous avons trébuché, nous avons parlé.
5 Q. Arrêtez-vous. Je veux simplement parler du fait de vous aligner. Est-ce
6 qu'ils vous ont dit de vous aligner, de vous mettre sur une ligne ?
7 R. Oui. Ils ont dit : Alignez-vous, vous, tous les membres de la famille
8 de ma belle-sœur la plus âgée, parce que nous allons vous tuer, nous
9 voulons vous tuer. C'est cet homme d'Istog qui ne leur a pas permis de le
10 faire.
11 Q. Quelle a été votre impression, vos sentiments lorsqu'on vous a fait
12 vous aligner et qu'ils ont braqué leurs armes sur vous et qu'ils voulaient
13 vous tuer ?
14 R. Je les ai entendu dire : Nous devons tuer toute la famille. Ils étaient
15 nombreux, mais cet homme ne leur a pas permis de le faire.
16 Q. Bien. Ce n'est pas ce que je vous demande, pourtant. Je vous demande
17 quelle impression, comment vous vous sentiez à ce moment-là ?
18 R. Moi ? Comment je me sentais ?
19 Q. Oui.
20 R. Après cela, rien ne nous est arrivé.
21 Q. Mais quelles étaient vos impressions, vos sentiments à ce moment-là ?
22 C'était bon, c'était mauvais, c'était entre les deux ?
23 R. Que puis-je vous dire ? Je ne me sentais pas bien. Je me sentais
24 malade. Je pleurais. J'étais très inquiète pour mes jeunes enfants.
25 Q. Vos enfants étaient avec vous ?
26 R. Oui, ils étaient avec moi. Oui, nous étions tous ensemble, l'ensemble
27 de la famille.
28 Q. Est-ce qu'ils se trouvaient sur la ligne des personnes que l'UCK
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1 voulait fusiller ?
2 R. Oui, tous, nous tous. Je les tenais tous par la main et je les tenais
3 tout près de moi, et ils pleuraient, ils avaient peur.
4 Q. Bien. Voyons pour cette question rapidement. Où êtes-vous allée après
5 cela, après que l'homme d'Istog soit intervenu ? Dites-nous très rapidement
6 où vous êtes allée ?
7 R. Nous sommes allés en traversant les montagnes à Batush, jusqu'à la
8 montagne de Batusha.
9 Q. Vous avez à ce moment-là rencontré les Serbes. Est-ce que vous avez
10 rencontré des membres de l'armée serbe, là, qui se sont occupés de vous ?
11 R. Oui. Vous voulez dire l'UCK ? Non. Nous avons traversé la partie
12 montagneuse. C'était une marche très dure. Nous avons entendu tirer des
13 coups de feu mais nous avons continué de marcher et nous sommes allés
14 jusqu'à Batush.
15 Q. Bien. Enfin, pour finir, je voudrais vous demander, vous poser une
16 question concernant votre maison à Ponosevac et l'endroit où se trouvait
17 votre belle-sœur, c'est-à-dire le Témoin 38 à Junik. Est-ce que vous êtes
18 retournée à Ponosevac ou à Junik depuis ce jour ?
19 R. Je n'y suis pas retournée, ni à Ponosevac ni à Junik. Nous n'y sommes
20 jamais retournés.
21 Q. Pourquoi pas ?
22 R. Parce que j'avais peur. Parce qu'elle travaillait, comme je l'ai dit,
23 avec des Serbes et je n'y pas retournée. Je ne sais pas si ces maisons ont
24 été incendiées ou non. Je ne sais rien.
25 Q. Pourquoi aviez-vous peur d'y retourner ? Que craigniez-vous qu'il vous
26 arriverait si vous retourniez là-bas ?
27 R. J'avais peur d'aller là. Ils ne vous laissaient pas y retourner, mais
28 peut-être qu'elles avaient été incendiées, volées. Je ne sais pas. J'avais
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1 tout simplement peur et j'ai refusé d'y retourner.
2 Q. Combien de membres de votre famille sont retournés à Ponosevac, à votre
3 maison là-bas ?
4 R. Non, ils ne l'ont pas fait. Personne n'y est retourné. Je suis restée à
5 Gjakov. Nous n'y sommes pas retournés du tout.
6 Q. Est-ce que vous avez quitté le Kosovo ? Excusez-moi. Quand avez-vous
7 quitté Kosovo ?
8 R. Cela fait plus de cinq ans, cinq ans et cinq mois.
9 Q. Est-ce que maintenant vous vivez en Suisse ?
10 R. Oui, oui, effectivement.
11 Q. Est-ce que vous demandez un statut de réfugié ou est-ce que vous
12 demandez asile là-bas ?
13 R. Oui.
14 Q. Lorsque vous dites que vous aviez peur et que vous refusiez de
15 retourner là-bas, de quoi aviez-vous peur ? Pourquoi aviez-vous peur de
16 retourner à Ponosevac ? Qu'est-ce qui vous causaient ces craintes de
17 retourner là-bas ?
18 R. Mais où pouvais-je aller ? Où pouvais-je retourner ? Toute ma famille
19 se trouvait avec moi. Donc, pourquoi aurais-je dû retourner ? Où aurais-je
20 pu retourner ? Nous ne pouvions plus vivre là-bas ?
21 Q. Pourquoi ne pouviez-vous plus vivre là-bas ?
22 R. Mais je n'ai rien à faire là-bas. Personne de ma famille n'y vit.
23 Pourquoi devrais-je y aller ? Je n'ai aucune raison d'y aller.
24 Q. Pourquoi demandez-vous asile en Suisse ? Quelle est la raison de cela ?
25 R. Je suis avec ma famille. Je n'ai aucun endroit où aller maintenant,
26 maintenant, que les maisons sont brûlées. Je ne suis pas avec mon mari,
27 avec mes enfants. Où pensiez-vous que je puisse aller ? Où puis-je aller ?
28 Il n'y a pas d'espoir de retour pour moi. Il n'y a pas de place pour moi
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1 là-bas.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Re.
3 Témoin 58, l'heure est venue de suspendre la séance. Après cette
4 suspension, les conseils de la Défense vont procéder à votre contre-
5 interrogatoire.
6 Nous allons reprendre l'audience à 4 heures 10.
7 [Le témoin quitte la barre]
8 --- L'audience est suspendue à 15 heures 45.
9 --- L'audience est reprise à 16 heures 15.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La Chambre prononcera premièrement une
11 décision relative au Témoin 58. Il s'agit d'une décision portant aux
12 mesures de protection pour le Témoin 58.
13 Le 9 mars 2007, l'Accusation et la Défense ont ensemble demandé des
14 mesures de protection pour un témoin qui avait comparu sans que des mesures
15 de protection aient été prévues. Ce même jour, la Chambre de première
16 instance a oralement accordé un pseudonyme au témoin, le numéro 58, ainsi
17 que l'altération de son image. La Chambre donne par la présente les motifs
18 de cette décision.
19 Une partie qui demande des mesures de protection au bénéfice d'un
20 témoin doit établir objectivement qu'il existe un risque réel pour la
21 sécurité ou le bien-être du témoin ou de sa famille, si l'on devait
22 apprendre que le témoin a déposé devant le Tribunal. En l'espèce, la
23 Chambre a été informée que des menaces directes et manifestes ont été
24 prononcées à l'encontre de la famille du témoin.
25 La Chambre de première instance reconnaît qu'il existe un risque, que la
26 famille du témoin subisse une atteinte à son intégrité physique si
27 l'identité du témoin devait être rendue publique. La Chambre fait droit à
28 la requête de pseudonyme et d'altération de l'image du témoin.
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1 Voilà ce qui en est de cette décision.
2 Maintenant, la décision suivante qui porte sur une requête déposée le 7
3 mars 2007 par l'Accusation, et qui concerne les témoins 4 et 19, requête
4 déposée le 7 mars 2007. Dans sa requête, l'Accusation demande que soient
5 maintenus les pseudonymes déjà accordés et que soit accordée la mesure
6 d'altération de la voix et de l'image des témoins.
7 La Chambre a été informée par les trois conseils de la Défense qu'ils ne
8 s'opposent à cette demande.
9 Dans sa requête, l'Accusation fait valoir que la famille des témoins
10 continue à vivre sur le territoire concerné et qu'il existe un risque réel
11 qu'il soit porté atteinte à leur intégrité physique si l'identité de témoin
12 était révélée. La Chambre est convaincue que si l'identité des témoins
13 était révélée, cela pourrait occasionner un risque pour leurs familles
14 respectives.
15 La Chambre de première instance fait donc droit à la requête de
16 l'Accusation, mais aux fins de maintien des pseudonymes déjà accordés et
17 l'octroi de la mesure d'altération de la voix et de l'image.
18 J'en ai terminé de la lecture de la décision de la Chambre de première
19 instance portant mesures de protection pour les témoins 4 et 19.
20 Avant de demander à l'huissière de bien vouloir faire entrer le témoin dans
21 le prétoire, je voudrais me tourner vers la Défense pour leur donner
22 quelques consignes, quelques lignes directrices. Je dois dire que la
23 Chambre de première instance va tenir compte de sa déposition au même titre
24 que les autres éléments présentés en rapport aux chefs 1 et 2 de l'acte
25 d'accusation. Nous engageons la Défense à tenir compte de la chose suivante
26 : la Chambre de première instance, à la différence peut-être d'un jury, est
27 à même de faire la distinction entre des éléments de preuve vagues ou
28 précis. La Chambre de première instance est à même de faire le distinguo
Page 927
1 entre des éléments relatifs à l'incohérence ou à la cohérence d'une
2 déposition d'un témoignage, enfin la Chambre de première instance est à
3 même de prendre compte de tout ce qui est essentiel pour évaluer les
4 éléments de preuve qui lui sont présentés, et même si l'on n'attire pas
5 l'attention de la Chambre de première instance sur chacun des éléments qui
6 entrent dans la catégorie que je viens de définir, la Chambre peut le faire
7 elle-même. Je souhaitais vous donner ces quelques informations avant que
8 vous ne contre-interrogez le témoin.
9 Je vais demander à l'huissière de bien vouloir faire entrer le témoin dans
10 le prétoire.
11 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
12 LE TÉMOIN: TÉMOIN SST7/58 [Reprise]
13 [Le témoin répond par l'interprète]
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Témoin 58, c'est d'abord
15 Me Emmerson, l'avocat de M. Haradinaj qui va vous contre-interroger.
16 Maître Emmerson, vous avez la parole.
17 Contre-interrogatoire par M. Emmerson :
18 Q. [interprétation] Bonjour, Témoin 58. Je vous pose des questions et je
19 suis ici --
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Témoin 58, vous avez là
21 Me Emmerson qui va vous poser des questions. Il est debout. Est-ce que vous
22 pouvez le regarder ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne le connais pas. Non, je ne le connais
24 pas.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il est inutile que vous le connaissiez.
26 Au moins si vous le regardez, vous verrez qu'il vous pose des questions. Il
27 est là-bas, Me Emmerson. Donc, s'il vous pose des questions, vous pouvez le
28 regarder. Comme cela, vous saurez qui vous pose des questions.
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne le connais pas.
2 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]
3 M. EMMERSON : [interprétation]
4 Q. Témoin 58, je n'ai que quelques questions à vous poser. Cela ne prendra
5 pas beaucoup de temps. Je voudrais insister sur le fait qu'à plusieurs
6 reprises vous avez déclaré ce que vous avez vu, vous, de vos yeux.
7 R. Je ne le connais pas. Je ne le connais pas.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Témoin 58, je vais vous expliquer ce qui
9 est en train de se passer et comment cela se passe ici.
10 Précédemment, vous avez rencontré le représentant de l'Accusation.
11 Ces personnes vous ont interrogé. Nous, nous sommes les Juges. Nous sommes
12 là pour vous écouter, parce que c'est à nous qu'il appartiendra de trancher
13 en l'espèce. L'Accusation vous a posé des questions. De la même manière, le
14 conseil de la Défense, les conseils de la Défense, même si vous ne le
15 connaissez pas, ont le droit, eux aussi, de vous poser ces questions, de
16 même que l'Accusation vous a posé des questions.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Ils peuvent me poser des questions, mais
18 je ne peux parler que de ce que je sais.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, cela va sans dire. Ils vont vous
20 poser des questions sur ce que vous savez. Peut-être pourriez-vous tourner
21 le visage vers Me Emmerson. Nous comprenons tous ou nous savons tous que
22 vous comprenez que Me Emmerson vous pose des questions et que vous lui
23 répondez.
24 Allez-y, Maître Emmerson.
25 M. EMMERSON : [interprétation]
26 Q. Je vais vous dire très clairement que je ne vais vous poser aucune
27 question sur ce que vous n'avez pas vu. Je ne vais vous poser aucune
28 question sur ce qu'ont pu vous dire certains membres de votre famille. Je
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1 veux simplement vous poser des questions sur ce que vous avez vu, vous, de
2 vos yeux. D'accord ?
3 R. Je ne l'ai jamais vu. Je ne me souviens pas l'avoir vu.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Posez vos questions, Maître Emmerson.
5 M. EMMERSON : [interprétation]
6 Q. Première chose, quand vous êtes allée au moulin avec les membres de
7 votre famille, est-ce que quelqu'un vous a forcée --
8 M. EMMERSON : [interprétation] On n'a pas eu de traduction.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je n'ai pas eu de traduction.
10 L'INTERPRÈTE : Les interprètes n'ont pas entendu le témoin.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous venez de dire quelque chose qui n'a
12 pas été interprété. Les interprètes ne vous ont pas entendu. Pouvez-vous
13 répéter ?
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne me souviens pas de lui. Je ne le connais
15 pas. Il était peut-être là, mais je ne l'ai pas vu. Je ne le connais pas.
16 Je ne l'ai pas vu. Il était peut-être là, mais je ne l'ai pas vu.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne sais pas de qui vous parlez.
18 Témoin 58, il est possible que vous parliez de M. Haradinaj, que vous nous
19 disiez que vous ne l'avez pas vu là-bas. Mais --
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je ne l'ai pas vu et je ne le connais
21 pas.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez avoir l'amabilité d'écouter les
23 questions qui vous sont posées par Me Emmerson. Je ne pense pas qu'en ce
24 moment ils sont en train de vous poser la question à laquelle vous avez
25 déjà répondu. Je pense que --
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Je peux peut-être dire quelque chose, mais je
27 ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Témoin 58, essayez d'abord d'écouter la
Page 930
1 question que vous pose Me Emmerson, ensuite dites-moi si vous comprenez la
2 question. Si vous comprenez la question vous pouvez y répondre. Il se peut
3 très bien qu'il s'agisse d'une question qui n'a rien à voir avec ce que
4 vous attendez de lui.
5 Maître Emmerson, veuillez poser votre première question.
6 M. EMMERSON : [interprétation]
7 Q. Témoin 58, la question que je vous posais est la suivante : quand vous
8 êtes allée avec votre famille au moulin, est-ce que quelqu'un vous a forcée
9 à aller au moulin ou est-ce que vous-même et votre famille vous avez choisi
10 d'aller au moulin parce que vous pensiez que c'était plus sûr là-bas ?
11 R. On nous a dit de partir de la maison, donc on est parti et on allait au
12 moulin. Je ne le connais pas. Je ne l'ai jamais vu. Il était peut-être là
13 mais je ne l'ai pas vu.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On va s'arrêter là pour l'instant. Un
15 petit instant.
16 Témoin 58, vous dites : "On nous a dit de quitter la maison, on est parti
17 et on est allé au moulin." Nous ne sommes en train de parler de personne en
18 particulier pour l'instant. Je voudrais savoir si vous avez décidé vous-
19 même - parce que vous avez bien le sentiment que vous n'étiez pas dans la
20 sécurité - d'aller ou moulin ou est-ce que quelqu'un, je ne sais pas qui,
21 vous a dit que c'était là qu'il fallait que vous alliez ? Quelle est la
22 réalité ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Ils sont venus. Ils nous ont dit qu'il fallait
24 partir et on est parti. Je ne sais pas qui ils étaient. Je ne me souviens
25 pas. Ils étaient très nombreux. Nous sommes partis.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Continuez, Maître Emmerson.
27 M. EMMERSON : [interprétation]
28 Q. Témoin 58, c'est votre famille qui a décidé d'aller au moulin pour
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1 votre sécurité, n'est-ce pas ?
2 R. Non, pas nous. Ils nous ont dit qu'il fallait partir et nous sommes
3 partis. Ils tiraient. Les fenêtres étaient cassées. Ils nous ont dit de
4 partir et on est parti. Ils nous ont forcés à partir. Je ne sais pas qu'ils
5 étaient. Je ne me souviens pas d'eux. Je ne les connais pas.
6 Q. Est-ce que quelqu'un vous a dit concrètement qu'il fallait aller au
7 moulin plutôt qu'ailleurs ?
8 R. Oui. C'est ce que je suis en train de dire. Ils sont venus, l'UCK est
9 venue et ils nous ont dit qu'il fallait partir et nous sommes partis. Ils
10 nous ont dit : Il n'y a pas de place pour vous ici. Nous sommes partis
11 parce qu'ils nous ont dit qu'il fallait partir.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais essayer de vous demander de vous
13 concentrer sur la chose suivante. Me Emmerson vous a posé des questions sur
14 ce qui s'est passé quand on vous a dit de partir, parce que cela peut se
15 passer de plusieurs manières différentes. Cela peut très bien s'être passé
16 de la manière
17 Suivante, on vous a dit : Il faut partir, allez au moulin, ou : Il faut
18 partir, et vous pouviez vous-même décider où aller. Qu'est-ce qui s'est
19 passé ? Est-ce qu'ils vous ont dit : Vous devez partir, et vous êtes
20 partis, ou est-ce qu'ils vous ont dit : Il faut aller au moulin ?
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Ils ont dit : Partez d'ici, et nous sommes
22 allés à Tofaj. Je crois que c'est comme cela que s'appelle cet endroit.
23 M. EMMERSON : [interprétation]
24 Q. Vous avez dit à plusieurs reprises il y a quelques
25 instants : "Je n'ai jamais vu cette personne. Il était peut-être là, mais
26 je ne sais pas."
27 R. Non, je ne le connais pas. C'est exact, je ne le connais pas. C'est ce
28 que j'ai déjà dit.
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1 Q. A qui faites-vous référence ?
2 R. Je ne sais pas qui étaient ces gens qui sont venus et qui nous ont dit
3 de partir. Donc, nous sommes partis. Ils nous ont dit de partir, mais comme
4 je l'ai dit, je ne sais pas qu'ils étaient. Je ne les connais pas.
5 Q. Merci. Quand vous étiez au moulin, est-ce que vous-même ou un autre
6 membre de votre famille ou de la famille de votre mari est entré ou êtes
7 entrés dans un bâtiment à un moment quelconque ou est-ce que vous êtes
8 toujours restés dehors ?
9 R. Dehors, dehors. On est resté dehors. On est resté dehors. Dites-leur
10 qu'on est resté dehors.
11 Q. Quand vous avez quitté la zone du moulin, vous dites que vous êtes
12 allés jusqu'au mont Jasiq où vous avez passé la nuit; est-ce bien exact ?
13 R. Oui, c'est exact. C'est exact. Il faisait froid et il pleuvait. C'est
14 exact.
15 Q. En allant du moulin de Tofaj jusqu'au mont Jasiq, je voudrais savoir
16 si, quand vous êtes allée du moulin jusqu'à la montagne, si vos deux
17 belles-sœurs étaient avec vous pendant tout ce temps ?
18 R. Les enfants, les deux belles-sœurs, la femme de mon beau-père, mon
19 beau-père, nous sommes allés à pied jusqu'au mont Jasiq.
20 Q. Je voudrais qu'on parle plus particulièrement pendant quelques instants
21 de vos deux belles-sœurs. Vos deux belles-sœurs, elles sont restées avec
22 vous pendant tout ce trajet jusqu'en haut de la montagne, n'est-ce pas ?
23 R. Oui. Oui, c'est comme cela. On était tous ensemble.
24 Q. Vous souvenez-vous du nombre de nuits que vous avez passées au même
25 endroit dans la montagne ? Est-ce que vous avez dormi là une nuit ou deux
26 nuits ?
27 R. Non, une nuit. Pas exactement une nuit. C'était sept heures ou huit
28 heures, je ne me souviens pas exactement. Nous avons passé la nuit là.
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1 C'était la nuit.
2 Q. C'est le lendemain matin, c'est-à-dire le matin qui a suivi cette
3 première nuit que vous êtes partis et repartis vers Gjocaj, n'est-ce pas ?
4 R. Oui, c'est exact.
5 Q. Est-ce que vos deux sœurs étaient avec vous cette nuit-là sur le mont
6 Jasiq au cours de cette nuit que vous avez passée à la belle étoile. Est-ce
7 que vos deux belles-sœurs ont passé la nuit avec vous ?
8 R. Oui, on était tous ensemble là, tous ensemble. On est resté là. On
9 n'avait pas d'eau. On n'avait rien à manger.
10 Q. Est-ce que vous étiez tous habillés pendant cette nuit-là ?
11 R. Les habits qu'on avait, il faisait froid. On n'avait pas de vestes. On
12 n'avait rien à manger, rien à boire. Il pleuvait. On grelottait de froid.
13 Q. Mais aucun ou aucune d'entre vous n'était complètement nue pendant ce
14 trajet vers la montagne et pendant cette nuit. Personne n'était
15 complètement nu ?
16 R. J'ai pris mes enfants dans mes bras. Je les ai serrés dans mes bras. On
17 est resté là. Il y avait beaucoup, beaucoup de gens dans la montagne. Tout
18 ce qui m'intéressait c'était moi, puis mes enfants.
19 Q. Mais aucune de vos belles-sœurs n'était nue lors de ce trajet en haut
20 de la montagne ou pendant la nuit que vous y avez passée, n'est-ce pas ?
21 R. Comme je l'ai dit précédemment, je ne faisais pas attention à cela. On
22 était tous ensemble. Je n'ai pas fait attention à cela. J'ai pris mes
23 enfants dans mes bras. Ils pleuraient. Ils demandaient à manger. On n'avait
24 rien à leur demander. On n'avait rien, pas d'eau. Vous dire si elle avait
25 été habillée ou pas, je ne sais pas. Je ne faisais pas attention à cela. Je
26 me sentais complètement perdue. J'étais terrorisée.
27 Q. Y avait-il d'autres personnes en dehors de vous-même, de votre famille,
28 de la famille de votre mari, y avait-il d'autres personnes à cet endroit où
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1 vous avez passé la nuit ?
2 R. Vous parlez des Rom ? Vous parlez des Rom ?
3 Q. Non, pas forcément. Est-ce qu'il y avait quelqu'un d'autre ?
4 R. Oui, il y en avait beaucoup. Je ne regardais pas, je ne faisais pas
5 attention mais il y avait beaucoup de monde.
6 Q. Est-ce que vous-même et votre famille, la famille de votre mari, vous
7 étiez tous ensemble, vous formiez un petit groupe à cet endroit ?
8 R. Oui. On est resté ensemble, tous ensemble à Jasiq. On grelottait à
9 cause du froid, c'était affreux. Il n'y avait rien à manger. On n'avait
10 rien à boire non plus. On a parlé. Nous étions --
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pourriez-vous, je vous prie, répéter la
12 dernière chose que vous avez dite ? Vous dites : "On n'avait rien à boire.
13 On a parlé." Ensuite, vous avez dit : "Nous étions --". Pourriez-vous
14 répéter ce que vous avez dit ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] On n'avait rien à manger, on n'avait rien à
16 boire. On n'avait pas d'habits. On pleurait. On avait très peur. J'ai déjà
17 dit tout cela.
18 M. EMMERSON : [interprétation]
19 Q. Oui. Je comprends bien ce que vous êtes en train de me dire, mais
20 j'aimerais vous poser la question suivante : vous dites que vous vous êtes
21 parlé. Est-ce que vous étiez suffisamment proches, les uns des autres, pour
22 parler à votre belle-sœur, la plus âgée, le numéro 38 ?
23 R. Où ? Ici ? Pouvez-vous nous le dire ? Vous voulez dire à la montagne ?
24 Q. Oui.
25 R. Oui. On était ensemble sur cette montagne, mais ici non. On est restés
26 sur cette montagne, on était terrorisés, on avait froid. Il pleuvait. On
27 n'avait rien à manger, rien à boire. Avec mon beau-père, sa femme, les
28 enfants.
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1 Q. J'ai encore une chose à vous dire à ce sujet, Témoin 58.
2 Vous étiez à cet endroit, vous étiez à une distance qui vous permettait de
3 parler avec votre belle-sœur, donc forcément vous l'auriez remarqué si elle
4 était complètement nue dans cet endroit, dans ce champ, pendant cette nuit-
5 là.
6 R. Je n'ai pas vu si elle avait ou non ses vêtements. Je m'occupais de mes
7 enfants. On était là tous ensemble. Je ne me souviens pas. Je suis désolée
8 mais je m'occupais de mes enfants. C'était la nuit. Je peux parler des
9 choses que je sais mais je ne peux pas vous parler des choses que je ne
10 sais pas. Voilà tout ce que je peux vous dire. Voilà ce que je sais et ce
11 que j'ai vu.
12 Q. Le lendemain matin, vous-même et votre famille ainsi la famille de
13 votre mari, vous avez quitté cet endroit, vous nous l'avez dit, et vous
14 êtes partis en direction de Gjocaj, n'est-ce pas ?
15 R. Oui, c'est exact.
16 Q. Vous nous avez parlé de choses qui, selon vous, se sont produites à cet
17 endroit. Je voudrais vous interroger au sujet de l'homme dont vous nous
18 dites qu'il est intervenu pour vous protéger.
19 R. Oui, il nous a protégés. Ils voulaient nous abattre, mais lui il ne les
20 a pas laissé faire. Il nous a protégés. Cela c'est un fait.
21 Q. Cet homme était d'Istog, d'après ce que vous nous dites ?
22 R. C'est exact, il est d'Istog, c'est exact. C'est un fait.
23 Q. Savez-vous comment il s'appelle ?
24 R. Il s'appelle Gani. Il est d'Istog.
25 Q. Est-ce que le nom de Gani Nimonaj vous dit quelque chose ? Est-ce que
26 c'est son nom.
27 R. Oui. Celui-là je le connais très bien. C'est Gani Nimonaj et je le
28 connais. C'est un fait, je le connais. Il nous a sauvé la vie.
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4 Q. Vous nous avez expliqué qu'à un moment donné vous étiez tous alignés,
5 et qu'au départ vous vous apprêtiez à quitter l'endroit où vous étiez,
6 n'est-ce pas ?
7 R. Oui, c'est exact et on est allé jusqu'à la montagne de Batusha. C'est
8 un fait.
9 Q. Vous souvenez-vous si Gani Nimonaj portait un uniforme ou pas ?
10 R. Non, il était en civil. Il ne portait pas d'uniforme.
11 Q. Vous souvenez-vous s'il portait une arme ou pas ?
12 R. Non. Il n'avait rien. Il portait des vêtements civils et il ne portait
13 pas d'uniforme. Je ne vous dirais rien qui ne soit pas vrai. Il ne portait
14 pas d'uniforme.
15 Q. Merci. Lorsque vous l'avez entendu parler aux hommes qui étaient armés,
16 vous trouviez-vous face à ces hommes ou le dos tourné ?
17 R. Je leur faisais face. J'ai baissé la tête. J'ai serré mes enfants
18 contre moi. Ils pleuraient; je pleurais. Nous avions tous peur. Ils
19 voulaient nous tirer dessus et il ne les a pas laissé faire. Ils lui ont
20 dit : C'est leur famille et nous allons les tuer, mais il ne les a pas
21 laissé faire.
22 Q. C'est un civil qui ne portait pas d'arme qui leur a dit qu'il ne devait
23 pas vous tirer dessus ?
24 R. Oui. Il ne les a pas laissé tirer et il était habillé en civil.
25 Q. Vous-même, votre famille et la famille de votre époux ont été autorisés
26 à partir sans que personne ne vous tire dessus, ni même une fois que vous
27 avez quitté les lieux ?
28 R. Oui. Ils ont tiré mais nous avons essayé de nous enfuir, et nous sommes
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1 allés à Batusha.
2 Q. J'aimerais tirer au clair cette dernière réponse que vous venez de
3 donner. Personne ne vous a tirés dessus, n'est-ce pas ?
4 R. Ils ne nous ont pas tirés dessus, mais ils ont tiré quand même vers où,
5 je ne le sais pas. Nous sommes partis et nous sommes allés à Batusha.
6 M. EMMERSON : [interprétation] J'aimerais que l'on passe en audience à huis
7 clos pour un instant, Monsieur le Président, si vous le permettez.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Tout à fait, passons à huis clos
9 partiel.
10 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes en audience à huis
11 clos partiel, Monsieur le Président.
12 [Audience à huis clos partiel]
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11 [Audience publique]
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame la Greffière.
13 M. EMMERSON : [interprétation]
14 Q. Enfin, Témoin 58, j'aimerais revenir au début de votre témoignage.
15 J'aimerais revenir sur ce dont vous nous avez parlé, notamment l'arrivée
16 des Serbes à Ponosevac.
17 R. Vous pouvez me poser des questions. Ils nous ont dit de partir.
18 Q. Tous les habitants de Ponosevac et des villages environnants ont-ils
19 été contraints au cours de ces quelques jours à quitter les lieux et à
20 chercher refuge à Junik, s'abriter des forces serbes ?
21 R. D'abord, il y a eu les Serbes. Nous ne sommes pas partis. Ensuite l'UCK
22 est arrivée et nous a dit de partir. Ils ont dit que nous devions partir
23 parce que nous étions avec les Serbes. C'est à ce moment-là que nous avons
24 quitté les lieux. Ils sont arrivés après les Serbes.
25 Q. Je ne parle pas seulement de votre famille; je parle de tous les gens
26 qui vivaient à Ponosevac et dans les villages environnants.
27 R. Il n'y avait que nous là-bas, moi et la famille de mon époux. Personne
28 d'autre. Les autres maisons étaient désertées. Il n'y avait que nous. Il y
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1 avait d'autres gens, mais ils étaient plus loin, à 20 ou 30 minutes peut-
2 être de l'endroit où nous nous trouvions. (expurgé)
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4 Q. Lorsque vous êtes allés à Junik, vous y êtes allés précisément parce
5 que vous pensiez que vous y seriez en sécurité, n'est-ce pas ?
6 R. D'abord, nous n'avons pas rencontré de difficultés. Ensuite nous avons
7 entendu des tirs. Ils sont venus et je vous ai dit ce que je savais.
8 Q. Non, ce que j'essaie de vous dire, Témoin 58, c'est que des milliers, 3
9 000 personnes de Ponosevac et des villages environnants ont toutes fuit les
10 forces serbes au cours des semaines se situant entre le 5 et le 28 mai, et
11 au moment où la guerre a éclaté à Junik, il y avait 3 000 réfugiés qui
12 tentaient de fuir les forces serbes dans le village albanais de Junik, et
13 qui tentaient d'y trouver refuge et parmi ces 3 000 personnes se trouvait
14 votre famille.
15 R. Quelle famille ? Pouvez-vous m'expliquer ? Il n'y avait que nous, notre
16 famille, la famille de mon mari. Nous étions à Ponosevac. Il y en avait
17 d'autres, mais ils étaient en bas. Nous étions, disons isolés. La maison
18 était assez à l'écart.
19 Q. Ce que je suggère ici, c'est que vous n'avez pas été la seule famille à
20 quitter votre maison pour vous abriter à Junik, et qu'il y avait des
21 milliers d'autres personnes qui venaient de Ponosevac et des villages
22 environnants, des milliers de personnes qui fuyaient les forces serbes pour
23 tenter de trouver refuge à Junik.
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27 M. EMMERSON : [interprétation] Je n'ai plus de questions, Monsieur le
28 Président.
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Emmerson.
2 Un instant, s'il vous plaît.
3 [La Chambre de première instance et la Greffière se concertent]
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Guy-Smith.
5 M. GUY-SMITH : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je n'ai pas
6 de questions à poser à ce témoin.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Harvey.
8 M. HARVEY : [interprétation] Je n'ai pas de questions à poser à ce témoin
9 non plus, Monsieur le Président.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le Juge Hoepfel a une autre question à
11 vous poser, Témoin 58. Ecoutez-le attentivement.
12 Questions de la Cour :
13 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Voici quelle est ma question. Combien
14 d'enfants avez-vous ?
15 R. Deux filles.
16 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Et quel est leur âge aujourd'hui ?
17 R. L'aînée va avoir 21 ans au mois d'août; l'autre 15.
18 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Merci beaucoup.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je n'ai pas de questions à vous poser.
20 Avez-vous des questions supplémentaires à poser au témoin, Monsieur Re ?
21 M. RE : [interprétation] Non, Monsieur le Président.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous n'avez pas de questions.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Si vous me le permettez, j'aimerais vous dire
24 quelque chose.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Dites-nous tout ce que vous voulez
26 nous dire à ce stade, si c'est quelque chose que vous savez que vous avez
27 vu de vos yeux.
28 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, j'allais vous dire quelques mots sur mes
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1 enfants.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Allez-y. Allez-y.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce que je voulais vous dire, c'est que je suis
4 restée avec mes enfants même si mon mari s'est remarié de nouveau. Puis,
5 j'ai vécu de nombreuses souffrances pour elles, et c'est la raison de mon
6 malaise. J'aimerais que vous fassiez quelque chose pour la cadette, si vous
7 le pouvez.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Témoin 58, je comprends que c'est une
9 demande tout droit sortie du cœur d'une mère. Toutefois, je dois vous dire
10 que ce Tribunal a pour mission d'entendre des affaires qui lui sont
11 présentées par le bureau du Procureur et nous n'avons pas compétence pour
12 intervenir particulièrement en faveur de vos enfants.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'excuse d'avoir formulé une telle demande.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je comprends qu'une mère tentera tout ce
15 qui est possible pour assurer le bien-être de ses enfants. Je l'ai bien
16 compris.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ceci met un terme à votre déposition
19 devant ce Tribunal, Témoin 58.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie beaucoup d'avoir
22 répondu à toutes les questions qui vous ont été posées par l'Accusation et
23 par la Défense.
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie beaucoup. Merci à tous.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous inviterais de bien vouloir
26 suivre Mme l'Huissière, qui va vous escorter à l'extérieur de ce prétoire.
27 [Le témoin se retire]
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je pense que nous allons pouvoir
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1 maintenant entendre les arguments de la Défense sur la demande de mesures
2 de protection adressée à la Cour, et je pense que pour ce faire nous
3 devrions passer en audience à huis clos partiel, Madame la Greffière.
4 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes en audience à huis clos
5 partiel, Monsieur le Président.
6 [Audience à huis clos partiel]
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6 [Audience publique]
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Re, j'ai été informé du fait
8 que vous souhaitiez évoquer une question.
9 M. RE : [interprétation] Oui, brièvement. Merci. Le témoin de demain, le
10 Témoin 19, en ce qui concerne la communication -- non pas la communication,
11 mais le fait de fournir à la Chambre de première instance l'exemplaire de
12 la déclaration et des notes de récolement, nous avons fourni les notes de
13 récolement, je crois, à la Défense à 14 heures vendredi, et nous attendons
14 encore leur feu vert pour les fournir à la Chambre de première instance.
15 D'après ce que j'ai compris, nous allons siéger demain à 9 heures. Donc
16 peut-être que la Chambre de première instance pourrait demander à la
17 Défense --
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Guy-Smith.
19 M. GUY-SMITH : [interprétation] La réponse serait que M. Re, on va lui
20 donner une réponse dans une demie heure.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que ce serait pour une
22 communication ou de ne pas communiquer à la Chambre ?
23 M. GUY-SMITH : [interprétation] Les chances sont que ce sera une
24 communication au nom de la Chambre.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Alors, maintenant, nous
26 savons que vous allez y veiller.
27 Maintenant est-ce que l'Accusation est prête à faire entendre le
28 témoin suivant. Je voudrais y jeter un coup d'œil, il s'agit de M. Stanisa
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1 Radosevic.
2 M. RE : [interprétation] L'Accusation est prête. Le témoin est à
3 l'extérieur, et c'est M. Dutertre qui l'interrogera pour l'interrogatoire
4 principal.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
6 Madame l'Huissière, pouvez-vous aller chercher le témoin et le faire entrer
7 dans la salle d'audience.
8 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Monsieur Stanisa Radosevic.
10 Avant de faire votre déposition devant cette Chambre, le Règlement de
11 procédure et de preuve exige que vous fassiez une déclaration solennelle
12 selon laquelle vous direz la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
13 La greffière d'audience va maintenant vous tendre le texte de la
14 déclaration solennelle, et je voudrais vous inviter à faire cette
15 déclaration solennelle.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
17 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
18 LE TÉMOIN: STANISA RADOSEVIC [Assermenté]
19 [Le témoin répond par l'interprète]
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez vous asseoir, Monsieur
21 Radosevic. Vous allez d'abord être interrogé par M. Dutertre pour
22 l'Accusation.
23 Monsieur Dutertre, c'est à vous.
24 M. DUTERTRE : Je vous remercie, Monsieur le Président.
25 Interrogatoire principal par M. Dutertre :
26 Q. Bonjour, Monsieur Radosevic. Vous vous appelez Stanisa Radosevic. vous
27 êtes né le 21 novembre 1974 à Decan; Est-ce exact ?
28 R. Oui.
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1 Q. Monsieur Radosevic, quelle est votre profession actuelle ?
2 R. Depuis l'an 2000, je suis fonctionnaire de police. Sinon, je suis
3 expert dans le domaine des communications.
4 Q. Merci. Monsieur Radosevic, où était situé votre domicile familial en
5 1998 ?
6 R. Dans le village de Lasinac, municipalité de Decani.
7 Q. Je vous demanderais de répéter. Vous avez dit le village de Lasinac ?
8 R. C'est le village Dasinovac, dans la municipalité de Decani.
9 Q. Entendu. Quel type d'agglomération est-ce ? Est-ce qu'il s'agit d'un
10 village, d'une ville, d'une banlieue ?
11 R. Il s'agit d'un village.
12 Q. Qui habitait au domicile familial à cette époque-là avec vous ?
13 R. Mon père, ma mère, mon frère et sa femme habitaient avec moi.
14 Q. Pouvez-vous nous donner le nom de votre père ?
15 R. Mon père s'appelait Slobodan Radosevic.
16 Q. A cette époque, étiez-vous membre d'une quelconque organisation armée ?
17 R. Non.
18 Q. Quelle était votre occupation professionnelle en ce moment-là ?
19 R. Je travaillais comme vigile chargé de la sécurité pour une entreprise à
20 Decani. J'étais employé chargé de sécurité.
21 Q. De quelle entreprise s'agissait-il ?
22 R. Non. Je n'ai pas eu de traduction.
23 Q. Je vais répéter la question. De quelle entreprise s'agissait-il ? Vous
24 avez indiqué que vous travailliez pour une entreprise à Decani.
25 R. Il s'agissait de l'entreprise Decanski Borovi. C'était un centre de
26 vacances où des personnes déplacées qui venaient d'Albanie avaient été
27 hébergées.
28 Q. Quelle était l'origine ethnique de ces personnes ?
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1 R. Vous voulez savoir qui étaient ces personnes déplacées d'Albanie ou
2 avec qui je travaillais ? Vous parlez de qui ?
3 Q. C'était de savoir l'origine ethnique des personnes déplacées d'Albanie,
4 effectivement.
5 R. C'était des Serbes qui venaient d'Albanie. Ils avaient été déplacés
6 dans les années 1990, d'abord à Podgorica, puis ensuite on les avait
7 installés à Decani.
8 Q. Entendu. Quelle était la composition de la population dans votre
9 village familial de Dasinovac, quelle était la répartition entre Serbes,
10 Albanais, Monténégrins, et autres personnes d'autres nationalités ?
11 R. Les Serbes, les Monténégrins et les Albanais habitaient là en voisins.
12 Q. Combien y avait-il d'habitants serbes dans ce village plus précisément,
13 dans ce village de Dasinovac ?
14 R. Il y avait environ 20 foyers. Cela fait à peu près 60 habitants.
15 Q. Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de l'Armée de
16 libération du Kosovo ?
17 R. En 1998. C'est là que j'en ai entendu parler dans les médias, à la
18 télé. C'était à peu près au début du mois de mars 1998.
19 Q. Qu'aviez-vous entendu dire à propos de l'Armée de libération du Kosovo
20 à travers ces médias et à la télévision ?
21 R. On a entendu dire qu'ils se déplaçaient uniquement pendant la nuit,
22 qu'ils tendaient des embuscades, qu'ils patrouillaient la région et qu'ils
23 attaquaient les maisons des Serbes.
24 Q. Avez-vous connaissance d'incidents particuliers parmi vos connaissances
25 ayant impliqué l'Armée de libération du Kosovo ?
26 R. On avait un ami, Culafic, qui était du village de Ratis, le village
27 voisin et sa maison avait été bombardée par l'UCK.
28 Q. Comment l'avez-vous appris ?
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1 R. On l'a appris à la télévision. On a appris que sa maison avait été
2 pilonnée par l'UCK. C'était un ami de la famille. On est allé là-bas voir
3 ce qui s'était passé, voir s'ils avaient besoin d'aide, si leur maison
4 était vraiment détruite. On voulait leur proposer de venir s'installer avec
5 nous. C'est la raison pour laquelle on est allé là-bas.
6 Q. Qu'est-ce que vous avez vu en arrivant sur place ? Que vous ont-ils
7 dit ?
8 R. Ils avaient très peur. Ils nous ont dit qu'il y avait eu un pilonnage
9 pendant la nuit, vers 2 ou 3 heures du matin, que leur maison avait été
10 bombardée.
11 Q. Qu'est-ce que vous avez remarqué vous-même sur cette maison ?
12 R. J'ai remarqué qu'une partie de la maison avait été détruite. Là où se
13 trouvait la fenêtre du hall d'entrée, la maison était détruite et il y
14 avait une partie de la maison qui était détruite. Elle avait été touchée
15 par un obus.
16 Q. Vous avez dit qu'il y avait eu une attaque vers 2, 3 heures du matin,
17 la nuit. Est-ce que vous pouvez approximativement tout au moins indiquer
18 quelle date cela était, quelle date cette attaque a eu lieu ?
19 R. Je ne connais pas la date exacte, mais en tout cas c'est sûr que
20 c'était au mois d'avril 1998.
21 Q. L'origine ethnique de cette famille, quelle est-elle ?
22 R. Ils étaient Serbes.
23 Q. Avez-vous connaissance d'autres incidents avec l'Armée de libération du
24 Kosovo dans lesquels des connaissances à vous ont pu être impliquées ou
25 victimes ?
26 R. Oui. J'ai des amis qui ont été fait prisonniers dans les villages de
27 Glodjane et Dubrava --
28 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent au témoin de répéter le nom des
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1 personnes qui ont été faites prisonnières.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez répéter le nom des personnes
3 qui ont été faites prisonnières.
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Dragoslav Stojanovic, Mijat Stojanovic, Ciqa
5 c'était son surnom, et Veselin Stijovic.
6 M. DUTERTRE :
7 Q. Qui vous a raconté cet événement ?
8 R. Personne ne m'en a parlé, mais je suis allé voir Vesko Stijovic à
9 l'hôpital avec une autre personne, et j'ai vu de mes yeux qu'ils avaient
10 été fait prisonniers.
11 Q. Qu'est-ce que ce dernier vous a dit précisément ?
12 R. Ils m'ont dit qu'ils avaient été fait prisonniers par l'UCK dans leurs
13 maisons; qu'on avait tiré sur leurs maisons; qu'on avait bombardé leurs
14 maisons; qu'ensuite on les avait fait prisonniers, puis ils avaient été
15 maltraités et frappés. Ensuite, il les avait libérés au bout d'un certain
16 temps. Leurs maisons étaient à Dubrava, mais ils ont été relâchés, puis on
17 leur a dit d'aller à Decani.
18 Q. Quand cela a-t-il eu lieu approximativement ? Pouvez-vous le situer
19 dans le temps ?
20 R. Je crois que c'était vers le 15 avril jusqu'au 18, à peu près à ce
21 moment-là. Je ne suis pas sûr de la date exacte.
22 Q. Ces personnes étaient de nationalité serbe, n'est-ce pas ?
23 R. Oui.
24 Q. Le jour du 22 avril 1998, qu'est-ce que vous avez fait, Monsieur
25 Radosevic ?
26 R. Je ne suis pas sûr de la date. Le 21, je suis venu au village, parce
27 que je suis venu voir mes parents. J'ai emmené ma mère voir un médecin à
28 Decani. Ce jour-là j'ai dormi chez mon oncle dans sa maison à Decani.
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1 Q. Où était votre mère à ce moment-là ?
2 R. Elle était à la maison. Ce jour-là je suis allé là-bas puisqu'elle
3 était malade. Je l'ai emmenée voir un médecin à Decani. Je l'ai emmenée au
4 dispensaire de Decani.
5 Q. Le jour suivant, qu'est-ce que vous avez fait ?
6 R. Le lendemain, le matin vers 9 heures, 9 heures et demie du matin, je
7 suis parti avec ma mère en direction du village de Dasinovac pour aller
8 chez moi. J'y suis allé avec mon frère, Novak Stijovic. On est parti dans
9 deux voitures et quand nous sommes arrivés au village de Pozare, nous avons
10 été interceptés par les terroristes. Ils nous ont stoppés.
11 Q. Est-ce que vous venez d'indiquer que vous avez été interceptés par des
12 terroristes ? Est-ce que vous pouvez nous indiquer comment ils vous ont
13 interceptés ?
14 R. Ils m'ont fait m'arrêter. J'étais le premier dans ma voiture, une Lada.
15 Novak était derrière moi dans sa Yugo, et à côté du village de Pozare, au
16 croisement de Donja Juka et Rznic, ils étaient quatre ou cinq, ils étaient
17 habillés en civil et ils sont sortis sur la route et ils ont pointé leurs
18 fusils automatiques sur moi. L'un deux a fait signe de la main pour que je
19 m'arrête.
20 Q. Ils sortaient d'où ?
21 R. Ils sont sortis d'une sorte d'abri. Il y avait une sorte de tranchée en
22 béton, une sorte d'abri, et on ne pouvait pas voir à 300 mètres ou 400
23 mètres. On ne pouvait pas voir qu'il y avait quelque chose, là. Ils sont
24 sortis de cette tranchée.
25 Q. Est-ce que vous pouvez décrire de façon plus précise leurs vêtements,
26 et notamment, est-ce que vous avez vu des uniformes ?
27 R. Trois d'entre eux portaient des vêtements civils et deux portaient des
28 uniformes. L'un des uniformes était un uniforme du genre OTAN, et l'autre
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1 était un uniforme noir et rouge avec des points et des galons, de minces
2 galons. Sur les manches, ils avaient un emblème de l'Armée de libération du
3 Kosovo.
4 Q. Est-ce que vous pouvez décrire cet emblème ?
5 R. Que voulez-vous que je vous décrive, la couleur ou quoi, l'apparence,
6 la forme ?
7 Q. Les inscriptions qu'il y avait sur cet emblème et ce que vous avez pu
8 voir sur ce badge, si vous avez pu le voir de façon détaillée ?
9 R. Il y avait un aigle noir bicéphale comme emblème, et au-dessus de la
10 tête il y avait trois lettres majuscules, KLA, qui voulait dire UCK, et au
11 bas de l'emblème, il y avait écrit en albanais, Armée de libération du
12 Kosovo.
13 M. DUTERTRE : J'aimerais afficher à l'écran "l'exhibit" numéro 9.
14 Q. Monsieur Radosevic, est-ce que vous voyez ce document sur votre écran ?
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous voudrions voir la pièce P9, s'il
16 vous plaît.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est bien cela l'emblème.
18 M. DUTERTRE : Je vous remercie.
19 Q. Vous avez mentionné qu'ils avaient des armes. Est-ce que vous pourriez
20 décrire ces armes ?
21 R. C'étaient des fusils semi-automatiques et automatiques.
22 Q. Qu'est-ce que ces individus appartenant à l'Armée de libération du
23 Kosovo ont fait lorsque vous avez arrêté votre voiture, vous-même et votre
24 frère -- vous-même et Novak Stijovic ?
25 R. Ils nous ont arrêtés. Les cinq nous ont approchés, et l'un d'entre eux
26 m'a demandé : Où allez-vous ? Je leur ai dit que je rentrais chez moi. Il a
27 dit : Est-ce que vous ne pouvez pas voir que vous ne pouvez pas aller là-
28 bas ? J'ai dit : Je ne savais pas cela. Alors il m'a dit de sortir de la
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1 voiture. Il m'a demandé si je portais une arme; j'ai dit que je n'en avais
2 pas. Puis il m'a dit : Si je trouve une arme, je vais te tuer. J'ai dit :
3 Allez-y, tuez-moi.
4 Puis cet homme a fouillé la voiture. Il a pris un couteau et il a ouvert
5 les coussins de la voiture pour essayer de trouver des armes.
6 Q. Est-ce que vous pourriez décrire cette personne ?
7 R. Je ne sais pas son nom. Je le connais de vue. Je sais que c'était un
8 ancien policier à Prizren. Il faisait environ 1 mètre 80. Il était bien
9 bâti, blond. Il avait un gilet rouge sur lui et portait des vêtements
10 civils.
11 Q. En quelle langue s'est-il adressé à vous ?
12 R. Là, pendant qu'il me parlait lorsqu'il était seul près de ma voiture,
13 il a parlé à moitié en albanais, moitié en serbe.
14 Q. Quelle raison vous a-t-il donné pour vous expliquer que vous ne pouviez
15 pas retourner à votre village de Dasinovac ?
16 R. La raison qu'il nous a donnée, c'est que ce n'était plus a à nous. Nous
17 n'avions plus rien à chercher là-bas. C'était à eux maintenant. Ils avaient
18 établi un point de contrôle là-bas et que les Serbes ne pouvaient plus y
19 vivre là-bas, ne pouvaient plus y avoir une vie paisible là-bas.
20 Q. Pendant que vous étiez occupé avec ce soldat, que se passait-il avec
21 Novak Stijovic ?
22 R. Ils se sont également approchés de lui. L'un d'entre eux était en
23 uniforme, l'autre était en civil. Quant à ce qu'ils lui ont dit, cela je ne
24 peux vraiment rien en dire, parce que c'étaient à peu près à trois mètres
25 de moi, et je ne sais pas ce dont ils ont parlé. Je ne sais pas de quoi ils
26 ont parlé.
27 Q. Après cette recherche qu'il a conduite dans votre véhicule et dans la
28 mesure où vous ne pouviez plus continuer votre chemin vers Dasinovac,
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1 qu'est-ce que ces individus vous ont dit de faire ?
2 R. Ils ont dit de garer la voiture et de nous retourner en direction de
3 Rznic dans notre voiture et de nous arrêter là, qu'ils nous emmèneraient
4 peut-être au quartier général à Glodjane.
5 M. DUTERTRE : J'aimerais afficher à l'écran la pièce avec le numéro 65 ter
6 1007.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière, quel sera le
8 numéro ?
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera le numéro P10, marqué pour
10 identification.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.
12 M. DUTERTRE : Il s'agit d'une carte qui est un peu longue à charger.
13 Q. Monsieur Radosevic, vous voyez cette carte maintenant ?
14 R. Oui.
15 Q. Vous avez un écran tactile devant vous, et je vais vous demander de
16 bien vouloir marquer la ville de Decani, votre village de Dasinovac,
17 ensuite de tracer l'itinéraire en provenance de Decani jusqu'au point où
18 ces hommes vous ont arrêté.
19 R. Voici Decani ici. Nous avons été fait prisonniers ici au croisement des
20 routes qui conduisent à Donja Luka et Pozare.
21 Q. Est-ce que vous pouvez également entourer votre village, le village de
22 Dasinovac où vous avez votre maison familiale ?
23 R. [Le témoin s'exécute]
24 Q. Je vous remercie.
25 M. DUTERTRE : Je souhaiterais sauvegarder cette carte et la soumettre comme
26 élément de preuve.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière, avons-nous besoin
28 d'un numéro distinct ou de cote distincte pour les cartes sans annotation,
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1 et maintenant une carte annotée ?
2 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce à conviction P11,
3 marque provisoire pour identification, Monsieur le Président.
4 M. DUTERTRE :
5 Q. Je vous remercie, Monsieur Radosevic, pour cette carte. Quelle distance
6 y avait-il entre l'endroit où ils vous ont stoppé sur la route de Decani et
7 l'endroit où ils vous ont dit de vous garer sur la route en direction de
8 Rznic ?
9 R. Quarante-cinq kilomètres. Quarante-cinq kilomètres, c'est la distance
10 entre Decani et le village de Pozare.
11 Q. Non. Je vais répéter ma question. Quelle distance y avait-il entre
12 l'endroit où vous avez été arrêté par les soldats à Pozare et l'endroit où
13 ils vous ont dit de vous garer ensuite ?
14 R. J'avais mal compris votre question. Je dirais, qu'après environ 3
15 mètres, j'ai quitté la route principale, puis il y avait un virage pour
16 aller vers le village de Rznic.
17 Q. C'est à cet endroit que vous vous êtes garé ?
18 R. Oui.
19 Q. Combien de temps êtes-vous resté à cet endroit ?
20 R. A cet endroit, on a passé environ une demi-heure. Ils sont sortis de
21 l'abri. Ils étaient environ 40, tous armés. Ils ont commencé à discuter
22 pour savoir qui allait aller avec nous, nous escorter jusqu'à Glodjane.
23 Donc, on y a passé environ une demi-heure.
24 Q. Est-ce que vous pouvez décrire les vêtements que portaient ces
25 personnes, ces 40 autres personnes qui sont arrivées à ce moment-là ?
26 R. Un grand nombre d'entre eux portaient des vêtements civils avec des
27 insignes de l'UCK sur la manche ou sur leur chapeau ou leur casquette, et
28 certains portaient des uniformes, comme je vous l'ai dit.
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1 Q. Est-ce que vous connaissiez l'origine de ces personnes, de quelle
2 région, de quel village ils provenaient ?
3 R. La plupart d'entre eux étaient de Donja Luka, Pozare, Lubarda, et un
4 autre village. La plupart d'entre eux étaient de là;
5 70 % étaient de ces villages.
6 Q. Comment est-ce que vous saviez qu'ils étaient originaires de ces
7 villages ?
8 R. Vous voulez dire si je le savais ?
9 Q. Comment vous le saviez ?
10 R. Je le savais, parce que j'avais vécu là-bas pendant 23 ans. Je suis
11 allé à l'école, au travail. Je les ai conduits; ou ils m'ont conduit au
12 travail. On se connaissait de vue. On se connaissait les uns des autres.
13 Q. Est-ce que vous pourriez décrire le type d'armes que ces soldats qui
14 sont arrivés à ce moment-là - vous avez parlé d'une quarantaine d'autres
15 soldats - est-ce que vous pouvez décrire les armes que ces soldats
16 avaient ?
17 R. C'était des armes semi-automatiques et automatiques.
18 Q. Est-ce que vous avez noté également des moyens de communication ?
19 R. Je n'ai pas vu qu'ils utilisaient des moyens de communication.
20 Q. Au bout d'une demi-heure et après qu'ils ont discuté des moyens de vous
21 emmener à Glodjane, qu'est-ce qui s'est passé exactement et qu'est-ce
22 qu'ils ont finalement décidé de faire ?
23 R. Celui qui m'avait arrêté - je ne sais pas son nom - a pris la voiture
24 de Novak et il s'est mis devant ma voiture. Ma mère, on lui a dit de
25 s'asseoir devant, Novak, on lui a dit de s'asseoir derrière, puis il y
26 avait un homme avec un fusil automatique qui était derrière moi. On m'a dit
27 de suivre la Yugo, et nous sommes allés à ce moment-là au village de Rznic.
28 Q. Quelle route avez-vous prise ?
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1 R. Nous avons pris la route de Pozare à Rznic et nous avons poursuivi vers
2 Glodjane.
3 Q. Entendu.
4 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Est-ce que nous pourrions voir cela
5 également sur la carte ?
6 M. DUTERTRE : Je vous remercie d'anticiper, Monsieur le Juge.
7 M. LE JUGE HOEPFEL : [aucune interprétation]
8 M. DUTERTRE :
9 Q. Comment décriviez-vous vos chances de fuir à ce moment-là ?
10 R. Il n'y avait aucun moyen pour nous de nous échapper. De Pozare, sur
11 toute la route, tous les 100 mètres, il y avait des hommes armés aux
12 principaux croisements. Ils avaient creusé des tranchées, fait des
13 fortifications, mis des casemates de sorte qu'il n'y avait aucune façon
14 pour nous de s'échapper. Je ne voulais pas risquer la vie de ma mère et la
15 vie de Novak.
16 Q. Combien vous avez vu de tranchées, globalement ?
17 R. Je ne sais pas combien de tranchées il y avait globalement, mais a
18 l'intersection de la route allant vers Decani, il y avait des tranchées,
19 c'est sûr, et des fortifications. Combien exactement ? Je n'en suis pas
20 certain. Mais je sais que c'est là qu'il y avait un virage vers Decani et
21 il y avait des bunkers et des fortifications.
22 Q. Combien de soldats avez-vous vus le long de la route ?
23 R. Comment vous le décrire ? A ce moment-là, je ne les ai pas
24 particulièrement comptés. Je n'ai pas eu l'occasion de le faire, mais ils
25 étaient très nombreux. J'avais simplement peur pour ma vie et pour la vie
26 des membres de ma famille.
27 Q. Vous diriez que vous en avez vu une cinquantaine, une centaine ?
28 R. Une centaine, c'est sûr, oui.
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1 Q. Comment décrirez-vous leur comportement, si vous avez pu en juger
2 naturellement, leur moral ?
3 R. Ils avaient l'air contents. Chaque fois qu'ils voyaient que l'on était
4 arrêté, ils se réjouissaient, ils levaient leurs poings, ils chantaient des
5 chansons, ils chantaient, oui, "l'UCK."
6 Q. J'aimerais afficher à nouveau "l'exhibit" numéro 10, s'il vous plaît.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pour être tout à fait pragmatique, nous
8 pourrions peut-être trancher sur le statut de cette pièce sans attendre, je
9 parle de la carte annotée. Je pense qu'il n'y a pas d'objection. Il s'agira
10 donc de la pièce P10.
11 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Pourrait-on avoir un agrandissement
12 de cette carte, s'il vous plaît, pour que l'on voie bien la partie gauche,
13 donc Decani, puis pour que l'on ait vers la droite le village de Dasinovac
14 et que l'on voie également le lac en bas à droite. Est-ce possible ?
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Au cas où il y aurait encore quelques
16 doutes dans l'esprit de Mme la Greffière, il s'agit maintenant des pièces
17 P10 et P11, elles ont été versées au dossier.
18 M. DUTERTRE :
19 Q. Sur cette carte, Monsieur Radosevic, est-ce que vous pouvez, en
20 utilisant toujours le crayon qui est à droite de l'écran tactile, est-ce
21 que vous pouvez indiquer l'itinéraire que vous avez suivi entre l'endroit
22 où les soldats vous avaient arrêté jusqu'au village de Glodjane où ils vous
23 ont escortés ?
24 Q. Oui, je peux.
25 Q. Merci. Peut-être, j'ai encore quelque chose à marquer éventuellement.
26 Qu'est-ce que vous avez vu en arrivant à Glodjane ?
27 R. L'endroit que j'ai indiqué c'est l'endroit que j'ai remarqué en allant
28 de Rznic à Glodjane, sur la droite. C'est là que j'ai remarqué la
Page 970
1 fortification avec des armes de fort calibre et deux soldats en uniforme
2 noir.
3 Q. Est-ce que vous pourriez décrire ces armes de fort calibre ?
4 R. Je ne saurais pas les décrire. Il s'agissait d'armes de fort calibre,
5 c'est tout. Ce n'était pas des armes de petit calibre, mais de gros
6 calibre.
7 Q. Entendu.
8 M. DUTERTRE : Est-ce qu'on peut sauvegarder cette carte, je souhaite la
9 soumettre comme pièce.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Avant cela, peut-être qu'on
11 pourrait tirer au clair un point. Le témoin a dit : "L'endroit que j'ai
12 indiqué c'est l'endroit où j'ai vu, en allant de Rznic vers Glodjane, sur
13 la droite, les fortifications …"
14 Il m' semblé que le témoin a indiqué un itinéraire plutôt qu'un lieu.
15 Alors, je crois que là ce n'est pas tout à fait clair. On ne sait pas très
16 bien s'il parlait de l'endroit, enfin du dernier point de cette ligne
17 Glodjane, enfin –
18 Est-ce que vous pourriez nous dire, s'il vous plaît, précisément et
19 peut-être éventuellement placer une petite croix à côté de cet endroit,
20 nous dire précisément l'endroit où vous avez vu cette fortification.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, nous sommes arrivés à
22 ce point-ci et 5 mètres après à peu près la voiture est tombée en panne, à
23 10 mètres à peu près de cette fortification.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'était en arrivant à Glodjane ou --
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui, à l'entrée même de Glodjane. Peut-
26 être, je ne sais pas, à 200 ou à 300 mètres de l'entrée de Glodjane.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Maintenant c'est clair.
28 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Pourrait-il apposer une croix à côté
Page 971
1 de cet endroit.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, c'est vrai. Apposez une croix à
3 côté du lieu en question.
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je l'ai mise un petit peu plus en bas, mais
5 c'est au bord vraiment de la carte.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Cela ira. Au moins au comprend bien
7 que c'est au bout de la ligne.
8 Madame la Greffière, il s'agira de la pièce P12, je suppose.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il s'agira de la pièce P12.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je suggère que nous tranchions
11 immédiatement sur la recevabilité de cette pièce. Il n'y a pas d'objection.
12 Il s'agira donc d'une pièce versée au dossier.
13 M. DUTERTRE : Je vous remercie pour cette précision fort utile, Monsieur le
14 Président.
15 Q. Combien de fois vous êtes allé à Glodjane dans votre vie, Monsieur
16 Radosevic ?
17 R. Je ne saurais vous le dire exactement, mais à de nombreuses reprises
18 pour aller voir mon ami Stojanovic.
19 Q. Vous nous avez indiqué qu'une voiture était tombée en panne. A qui
20 appartenait cette voiture ? C'était la vôtre ? C'était celle de votre ami ?
21 R. C'était la voiture de Novak Stijovic, mon ami.
22 Q. A ce moment-là que s'est-il passé ?
23 R. Après la panne, l'homme qui nous avait amené jusque-là nous a dit de
24 sortir. A ce moment-là, une Niva et une Mercedes sont arrivées, suivies de
25 quelques hommes avec un tracteur. Ensuite, ils ont commencé à me frapper,
26 particulièrement Novak. Ils ont commencé à le frapper. Il est tombé par
27 terre sur l'asphalte et ils ont commencé à lui donner des coups de pied. Je
28 n'ai plus pu regarder. Au bout d'un moment, j'ai fini par partir.
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1 Q. Vous avez indiqué qu'ils le frappaient. Combien étaient-ils à frapper
2 votre ami Novak Stijovic ?
3 R. Au départ et pendant tout ce moment où j'étais là à regarder, il y en
4 avait de trois à cinq qui se succédaient.
5 Q. Sur quelle partie du corps exactement ils le frappaient votre ami Novak
6 Stijovic ?
7 R. Ils le frappaient partout, à la tête, à la poitrine, dans les côtes. Et
8 une fois qu'il était tombé à terre, ils lui ont donné des coups de pied
9 partout sans choisir et sans se demander s'ils allaient provoquer des
10 blessures. C'était complètement irraisonnable.
11 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Je suis un peu perdu. Qui sont
12 "ils ?" Monsieur le Témoin, j'aimerais que vous nous en disiez davantage.
13 Vous nous avez dit qu'il y avait eu une Niva et une Mercedes qui étaient
14 arrivées et qui étaient suivies par des hommes avec un tracteur. J'aimerais
15 savoir qui est arrivé. Ce ne sont pas les voitures toutes seules, je
16 suppose qu'il y avait des occupants dans ces véhicules. Puis une fois
17 qu'ils sont descendus, vous avez dit : "Ils ont commencé à nous frapper."
18 Là encore, j'aimerais savoir qui est sorti, de quelle voiture et qui
19 a participé à ce passage à tabac ? M'avez-vous compris ? C'est un peu trop
20 vague pour moi, cette description.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Un homme de 35 ans à peu près est sorti de la
22 Niva. Il avait un fusil à lunette et un fusil automatique. Ils portaient
23 tous des uniformes. Il y en avait deux ou trois, peut-être qui portaient
24 des vêtements civils, mais tous les autres portaient des uniformes.
25 C'étaient tous des membres de l'Armée de libération du Kosovo.
26 M. LE JUGE HOEPFEL : [interprétation] Je vous invite à reprendre vos
27 questions, Monsieur Dutertre et je voudrais que les choses soient un peu
28 plus précises.
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1 M. DUTERTRE :
2 Q. Vous avez indiqué qu'ils frappaient Novak Stijovic. Est-ce qu'ils
3 utilisaient des objets, des armes pour frapper Novak Stijovic, ou ils
4 utilisaient leurs mains et leurs pieds uniquement ?
5 R. Au départ, ils ont frappé avec les mains et les pieds jusqu'à ce que je
6 le protège avec mon dos parce que je ne supportais plus de le voir sous ces
7 coups. Je me suis tourné. J'ai essayé de le soulever et c'est à ce moment-
8 là qu'ils ont commencé à me frapper à la tête. J'ai reçu un coup de poing à
9 la tête et ils ont commencé à me donner des coups de pied. Pendant un
10 instant j'ai perdu connaissance. Ensuite, lorsque je me suis remis, je me
11 suis retrouvé à terre, mais j'ai vu que Novak s'était levé et ils m'ont
12 remis sur pied.
13 Q. Allons pas à pas. Est-ce que vous pourriez décrire les blessures qu'a
14 subies Novak Stijovic et dans quel état il était ?
15 R. Son état était critique. Il avait reçu de nombreux coups. Une fois à
16 terre, il avait reçu de nombreux coups de pied à l'abdomen.
17 Q. Pour en venir aux coups que vous avez subis, vous avez indiqué que vous
18 avez essayé de protéger Novak en faisant rempart avec votre corps. Pour
19 revenir aux coups que vous avez subis, qui donnait ces coups ? C'étaient
20 les mêmes soldats qui frappaient Novak Stijovic ?
21 R. Oui, oui. Je me suis placé entre ces soldats et Novak, afin de les
22 distraire, de distraire leur attention et afin qu'ils dirigent leurs coups
23 vers moi plutôt que vers Novak, et pour essayer de le protéger de nouveaux
24 coups, vu qu'il était déjà en mauvaise état, qu'il avait été frappé au dos
25 et colonne vertébrale.
26 Q. Qu'est-ce que ces hommes disaient pendant qu'ils vous frappaient, s'ils
27 parlaient toutefois ?
28 R. Oui, ils ont parlé. Ils ont prononcé des jurons à l'intention de nos
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1 mères serbes. Ils nous ont demandé : Qu'est-ce que vous voulez ? Est-ce que
2 vous savez qui nous sommes ? Ce genre de choses. Mais surtout, ils
3 prononçaient des jurons à l'encontre de nos mères serbes en disant que
4 c'était leur terre. Ils nous demandaient ce qu'on faisait là, et cetera.
5 Q. Vous avez indiqué que vous-même étiez frappé, également même question
6 que pour Novak : comment vous frappaient-ils, à la main ou en utilisant des
7 objets ?
8 R. Quand j'ai essayé de protéger Novak, ils m'ont frappé aux poings
9 jusqu'à ce que je tombe. Lorsque j'ai repris connaissance, ils nous ont
10 jetés sur la voiture et ils ont continué à nous frapper en utilisant aussi
11 la crosse de leurs fusils. J'ai aussi reçu un coup de crosse de pistolet
12 sur la tête et je saignais de la tête. A ce moment-là, ils ont pris le
13 répertoire et pour chaque numéro ou nom qui y figurait, qu'il s'agisse d'un
14 Serbe, d'un Gitan ou qui que ce soit d'autre, j'étais frappé. Ils voulaient
15 tout savoir sur tous ces gens.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Dutertre, je regarde l'heure.
17 J'ai une, deux, voire même trois observations à formuler. Il vous reste
18 deux minutes. Si cela vous convient, nous pourrions peut-être interrompre.
19 Bien sûr, cela interrompt le flux de vos questions, mais --
20 Monsieur Radosevic, nous devons conclure pour aujourd'hui. Nous nous
21 reverrons demain, demain matin cette fois-ci, à 9 heures dans le même
22 prétoire. Mme l'Huissière va vous faire sortir de ce prétoire, mais je
23 tiens avant cela à vous indiquer qu'il ne faut parler à qui que ce soit de
24 la déposition que vous avez faite jusqu'à présent et de la déposition que
25 vous ferez demain. Veuillez suivre Mme l'Huissière, s'il vous plaît.
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
27 [Le témoin quitte la barre]
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Quelques observations d'abord.
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1 Les annotations sur les cartes. Je crois que marquer une carte pour
2 trois kilomètres et en marquer une autre pour les cinq kilomètres suivants
3 n'est pas très logique. Bien entendu, s'il y a d'autres pièces qui
4 interviennent entre les unes et les autres, nous serons peut-être obligés
5 de recourir à cette méthode.
6 Monsieur Dutertre, deuxième chose. Il n'y a pas d'échelles sur cette carte.
7 Les échelles sur les cartes présentent un avantage. Si vous devez agrandir
8 les cartes, ou au contraire en réduire la taille, l'échelle est agrandie ou
9 réduite proportionnellement. Regardez la carte 7. On voit une petite
10 échelle 1 : 100 000. Mais la carte 6, qui semble être prise du même
11 ensemble, est réduite ou élargie mais l'échelle est toujours la même. Il
12 est impossible vraiment, sur la base de l'échelle que vous avez
13 communiquée, d'évaluer les distances.
14 Pourriez-vous informer la Chambre de la chose suivante : l'échelle
15 sur la carte 7, qui est maintenant la pièce P10, je crois, et 11 et 12,
16 version annotée, si cette échelle est bien de une cent millième ou s'il y a
17 eu déjà agrandissement ? Vous êtes invité donc à nous communiquer des
18 cartes avec des cartes montrant bien l'échelle de ces cartes-ci plutôt que
19 de nous le dire à part.
20 Troisième observation. Vous avez passé environ 55 minutes avec ce témoin.
21 Une heure était prévue pour ce témoin-ci. Nous avons reçu la déclaration de
22 témoin. Nous savons sur quel incident il doit déposer. J'ai peur que vous
23 n'allez pas terminer dans les cinq minutes qui vous restent. Toutefois, il
24 n'y a pas d'objections de la part de la Défense. Il semble que le témoin
25 réponde à un rythme disons supérieur à la moyenne. Par conséquent, je me
26 permets d'exprimer certaines préoccupations par rapport à l'évaluation que
27 vous avez faite de la durée nécessaire de la déposition de ce témoin.
28 Toutefois vous avez 125 heures, mais je préférais vous le dire maintenant,
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1 de préférence à vous le dire à la fin de ces 125 heures.
2 Nous allons lever l'audience et nous reprendrons demain matin à 9 heures.
3 --- L'audience est levée à 19 heures 02 et reprendra le mardi 13 mars
4 2007, à 9 heures 00.
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