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1 Le mardi 22 janvier 2008
2 [Plaidoiries – Défense Haradinaj]
3 [Audience publique]
4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 19.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous.
7 Monsieur le Greffier, veuillez annoncer l'affaire.
8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs
9 les Juges. Bonjour à toutes les personnes présentes dans le prétoire. Il
10 s'agit de l'affaire IT-04-84-T, le Procureur contre Ramush Haradinaj et
11 consorts.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur le Greffier.
13 Maître Emmerson, êtes-vous prêt à poursuivre votre plaidoirie ?
14 M. EMMERSON : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
15 J'avais terminé avec les chefs accusation 3 et 4. Je souhaiterais parler
16 maintenant des chefs d'accusation 5 et 6, qui portent sur les mauvais
17 traitements infligés à Stanisa Radosevic, Novak Stijovic, motivés par des
18 raisons ethniques.
19 Il a répondu : -- c'est aussi la mienne. Rien ne montre non plus que les
20 violences infligées à Konstantin Stijovic et à ses compagnons étaient
21 motivées par des raisons ethniques. -- montre que quatre des six civils
22 serbes qui ont été détenus au carrefour de Pozar le 21 avril ont été
23 libérés sans qu'aucun mal ne leur ait été fait. Il en va de même des deux
24 autres civils serbes qui ont été brièvement détenus --
25 -- les ont choisis délibérément car ils pensaient qu'ils étaient impliqués
26 dans l'attaque de Gllogjan. On leur a posé des questions au sujet de leurs
27 rapports avec le MUP, et on leur a demandé précisément qui était
28 responsable des tirs contre les civils albanais le 24 mars.
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1 Là encore, la Défense ne laisse en rien entendre que cela excuse les actes
2 de violenc,e mais cela les replace dans leur contexte. Ces agressions
3 étaient des actes désorganisés, sans discipline, non autorisés de la part
4 des gardes de village. Ces actes ont été commis par des hommes non
5 identifiés et dont l'identité des chefs n'est pas véritablement connue. Les
6 deux témoins ont décrit l'absence d'organisation et de direction dans les
7 groupes qu'ils ont rencontré. Leurs témoignages indiquent que des
8 villageois armés sont descendus dans les rues sans but bien précis et sans
9 la moindre organisation. Rien ne laisse à penser que leurs actions ont été
10 autorisées ou tolérées de quelque manière que ce soit par M. Haradinaj ou
11 tout autre personne exerçant des fonctions d'autorité.
12 Je souhaite maintenant en venir aux six civils serbes de Ratishe et de
13 Dashinoc qui ont été par la suite tués ou qui ont disparus. L'Accusation
14 déclare de manière péremptoire que ces personnes ont dû être assassinées
15 par des membres de l'UCK, agissant sur ordre. En réalité, il n'existe aucun
16 élément de preuve fiable des circonstances du décès de ces personnes ni de
17 l'identité des auteurs de ces crimes ou des raisons pour lesquelles ces
18 personnes ont été tuées.
19 Les chefs 7 et 8 font état du meurtre de Vukosava Markovic et de Darinka
20 Kovac. La Chambre ne sait quasiment rien des circonstances de leurs
21 disparitions. Leurs corps ont été identifiés par ce que l'on appelle des
22 méthodes traditionnelles, un processus qui, comme il a été démontré, a
23 conduit à des identifications erronées, à hauteur de 50 % en espèce.
24 Les chefs 9 et 10 font état du meurtre de Milovan et de Milka
25 Vlahovic. Les seules preuves relatives aux circonstances de leur enlèvement
26 présumé tiennent à des déclarations indirectes non corroborées de Miloica
27 Vlahovic. Ce dernier a déclaré qu'un dénommé Madjun Arifaj lui avait dit
28 que ses parents avaient été emmenés par des hommes armés en uniforme, mais
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1 Arifaj ne connaissait pas l'identité de ces hommes. Il n'a fourni aucune
2 information concernant leur aspect, leur apparence ethnique, ni la date à
3 laquelle l'incident s'était produit. Il est étonnant de constater que
4 Miloica Vlahovic n'a posé aucune question à ce sujet. Son témoignage n'a
5 pas été corroboré et la Chambre n'a aucun d'apprécier la fiabilité de la
6 source.
7 Ce type de témoignage vague et non corroboré présente peu de valeur
8 probante. Selon nous, ce type de témoignage ne saurait être à l'origine de
9 la moindre constatation.
10 Les chefs d'accusation 11 et 12 font état du meurtre de Slobodan
11 Radosevic et de Milos Radunovic. Toutes les preuves disponibles tendent à
12 conclure que ces hommes ont succombé à des blessures mortelles à l'occasion
13 d'un échange de tirs. L'Accusation demande à la Chambre de juger que ces
14 décès sont liés à la commission d'un crime de guerre, et ce, sans pour
15 autant présenter de preuve fiable concernant les circonstances de cet
16 échange de feu, et n'indique pas non plus qui a tiré le premier coup de
17 feu. La Chambre a entendu des témoignages selon lesquels il s'agissait de
18 membres des forces de réserve du MUP animés d'intention hostile à
19 l'intention de l'UCK. Ces éléments de preuve cadrent pour le moins avec
20 l'hypothèse selon laquelle Slobodan Radosevic a tiré le premier, qu'il y a
21 eu une riposte, et que ces deux hommes ont succombé à des blessures
22 mortelles suite à cet échange de tirs. Selon nous, nous pensons qu'il est
23 impossible de tirer, de parvenir à la moindre conclusion solide sur la base
24 de ces éléments de preuve. Il appartient à l'Accusation de prouver que ces
25 décès étaient liés à la commission de crimes de guerre. Or, rien au vu de
26 l'ensemble des éléments de preuve ne permet de l'affirmer.
27 Il ne fait aucun doute que ces six personnes portées disparues
28 étaient originaires des villages de Dashinoc et de Ratishe, qu'elles ont
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1 disparu pendant la période couverte par l'acte d'accusation. Mais ceci ne
2 prouve aucunement que ces personnes aient été illicitement tuées par des
3 membres de l'UCK et encore moins qu'elles aient été tuées en exécution
4 d'une entreprise criminelle commune impliquant
5 M. Haradinaj.
6 Outre ces six personnes, l'acte d'accusation fait état du meurtre de
7 six autres Serbes. Or, les seuls éléments de preuve directs de
8 l'implication de l'UCK dans l'une quelconque de ces affaires tient à la
9 détention présumée de Nenad Remistar à Jabllanice. Je parlerai de
10 Jabllanice à un stade ultérieur de ma plaidoirie.
11 S'agissant des cinq autres personnes, l'Accusation n'a produit aucune
12 preuve fiable concernant les circonstances de leurs décès. Rade Popadic et
13 Nikola Jovanovic étaient des membres armés des PJP. Les deux hommes étaient
14 en service au moment de leur disparition. Ils portaient tous les deux des
15 armes automatiques, et ont disparu peu de temps après avoir quitté le
16 contingent des PJP cantonné au camp de réfugiés de Baballoq. Il n'existe
17 aucune preuve fiable que ces deux hommes ont été enlevés. L'Accusation n'a
18 pas prouvé que ces personnes fussent hors de combat au moment de leur
19 décès. Les éléments de preuve présentés cadrent pleinement avec l'hypothèse
20 selon laquelle ces hommes ont été tués lors d'un échange de tirs.
21 Ilija Antic a disparu de son domicile de Lloqan le 29 mai au matin.
22 Au moment de sa disparition, ce territoire faisait l'objet d'un différend
23 et la VJ a planifié une offensive de grande envergure dans ce secteur
24 offensif qui devait débuter le jour de la disparition d'Ilija Antic. Il y a
25 toute sorte de raisons qui peuvent expliquer le décès de M. Antic.
26 Zdravko Radunovic a disparu le 16 juillet entre Gjakove et Dobric.
27 Les seuls éléments de preuve impliquant l'UCK découlent des interrogatoires
28 menés par le MUP sur les personnes de Krist et Leke Pervorfi. La Chambre a
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1 exclu les déclarations signées par ces deux hommes en raison de leur
2 fiabilité très douteuse. Leke Pervorfi a déclaré qu'il avait été torturé et
3 les accusations de terrorisme portées à l'encontre des deux hommes ont été
4 retirées par la suite. Toute information recueillie à l'occasion de ces
5 interrogatoires doit être considérée comme manquant de fiabilité, et
6 l'Accusation ne saurait introduire ces déclarations en douce par le biais
7 de la déposition de Témoin 68, qui ne savait absolument rien des conditions
8 dans lesquelles les interrogatoires avaient eu lieu. Il n'existe aucune
9 preuve fiable concernant les circonstances de la disparition du décès de
10 Zdravko Radunovic.
11 Il en va de même de Velizar Stosic et d'Ivan Zaric. Ivan Zaric a été
12 vu pour la dernière fois alors qu'il se dirigeait vers Grabanice le 19 mai.
13 L'attaque serbe contre le village était alors imminente, et Velizar Stosic
14 a disparu à Loxha le 17 juillet. Il n'existe aucun élément de preuve
15 concernant l'identité des personnes qui auraient enlevé ou tué les deux
16 hommes, ni concernant les circonstances de leurs décès.
17 Afin d'étayer sa thèse, l'Accusation a soutenu que l'UCK avait pris
18 pour cible des véhicules civils serbes et lancé des attaques contre le camp
19 de réfugiés de Baballoq. Mais les faits sont là : rien ne démontre que des
20 civils auraient perdu la vie suite à une attaque menée contre un véhicule
21 circulant le long de la route principale. S'il était vrai que ces attaques
22 se produisaient de façon régulière, il y aurait des preuves irréfutables et
23 concrètes de ce fait, il y aurait eu des morts, il y aurait eu des blessés.
24 Or, les seuls éléments de preuve directs fournis par l'Accusation portent
25 sur les attaques lancées contre quatre policiers armés qui se servaient de
26 véhicules civils à titre de camouflage.
27 Il en va de même pour ce qui est de Baballoq. L'Accusation n'a
28 présenté aucune preuve relative au décès du moindre civil. La seule preuve
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1 d'une attaque menée contre une cible civile était le récit fait au Témoin
2 28 par deux hommes en qui a-t-elle déclaré elle n'avait pas confiance. Les
3 Albanais lui ont dit pour leur part que les forces serbes procédaient à des
4 tirs depuis le camp lui-même.
5 Tous les éléments de preuve concrets indiquent que les cibles des
6 attaques de l'UCK pendant la période couverte par l'acte d'accusation
7 étaient des forces des PJP serbes cantonnées dans le camp et autour de
8 celui-ci. Rade Repic a déclaré qu'une centaine de ces hommes avaient occupé
9 les maisons situées près de la route, et les documents de l'époque montrent
10 que chaque attaque était dirigée contre des membres du MUP. Si l'UCK avait
11 eu pour politique de prendre pour cible des civils au camp de réfugiés, il
12 y aurait eu des éléments de preuve en témoignant.
13 Et de façon générale, l'Accusation s'appuie sur des preuves générales
14 qui auraient été recueillies par le MUP et la RDB. Les méthodes utilisées
15 pour obtenir ces informations consistaient entre autres à soudoyer des
16 personnes, à les faire chanter, et à frapper les détenus placés sous la
17 garde de la police. Etant donné que les Serbes étaient l'un des
18 protagonistes au conflit, nous faisons respectueusement valoir que des
19 témoignages de nature générale de ce genre doivent être pris avec des
20 pincettes.
21 En conclusion, nous affirmons que l'allégation selon laquelle il existait
22 une entreprise criminelle commune visant à persécuter, déplacer, assassiner
23 des civils serbes n'est absolument pas étayée par les éléments du dossier.
24 J'en viens maintenant à la campagne présumée de persécution visant les
25 collaborateurs et opposants supposés. Il n'existe pas l'ombre d'une preuve
26 que M. Haradinaj n'ait jamais autorisé des crimes de ce genre. En réalité,
27 nous soutenons que le dossier nous prouve le contraire. Je regrouperais mes
28 arguments en quatre catégories.
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1 Tout d'abord, nous affirmons que l'interrogatoire, la détention, ou le
2 questionnement de collaborateurs soupçonnés lors d'un conflit armé interne
3 est licite à condition toutefois que les conditions de détention soient
4 humaines et conformes aux dispositions de l'article 3 commun et du
5 Protocole additionnel II. Cela n'est pas suffisant pour établir qu'il
6 existait une campagne d'investigation ni même de détention. L'Accusation
7 doit prouver qu'il existait un but criminel commun qui était de maltraiter
8 les collaborateurs soupçonnés en les torturant ou en procédant à des
9 exécutions sommaires.
10 Rien ne prouve que M. Haradinaj n'ait jamais dit ou fait quoi que ce soit
11 qui pourrait être interprété comme le fait qu'il tolérait ce type de
12 comportement, c'est là notre deuxième argument. Le seul document émis au
13 nom de M. Haradinaj qui mentionne des collaborateurs est l'ensemble de
14 règlements de la police militaire adoptés le 21 juin. Mais ce règlement ne
15 prône aucunement l'infliction de mauvais traitements; il prône la nécessité
16 d'investiguer, de procéder à des enquêtes. Ce règlement a été adopté lors
17 d'une réunion au cours de laquelle M. Haradinaj a parlé de la nécessité
18 d'exclure les éléments criminels de l'UCK. Il fallait que seules les
19 personnes de bonne moralité soient choisies, et on prévoyait dans ce
20 règlement que quiconque abuserait de ces fonctions serait révoqué. Rien
21 n'indique qu'il ait existé une campagne visant à maltraiter ou voir
22 exécuter de façon sommaire les collaborateurs.
23 Troisièmement, les communiqués émis au nom de l'état-major général entre
24 1994 et 1997 ne sont révélateurs d'aucune campagne particulière ou d'aucune
25 politique suivie par M. Haradinaj. Il s'agissait avant tout d'outils de
26 propagande, émis par des personnes non identifiées de la branche
27 opérationnelle autoproclamée de l'UCK, des années avant que la situation au
28 Kosovo ne débouche sur un conflit ouvert. Il est frappant qu'aucun de ces
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1 communiqués ne revendique la moindre attaque contre des collaborateurs tel
2 que reprochée dans l'acte d'accusation.
3 Personne ne sait qui a émis ces communiqués, qui ont fourni les
4 informations que contenaient ces communiqués. Certains de ces communiqués
5 contenaient des informations fausses ou des affirmations exagérées. Très
6 peu des attaques signalées menées contre des collaborateurs sont
7 corroborées, et dans les rares cas où il existe des éléments de preuve
8 indépendants corroborant ces faits, ils portent sur des événements qui se
9 sont déroulés bien avant la période couverte par l'acte d'accusation et
10 dans une région autre que celle visée par l'acte d'accusation.
11 L'Accusation n'a absolument pas prouvé l'existence du moindre lien. Rien ne
12 laisse à penser que M. Haradinaj ait jamais communiqué la moindre
13 information contenue dans ces communiqués ou qu'il en est approuvé le
14 contenu. En fait, rien, absolument rien ne laisse à penser ou ne prouve que
15 ces documents témoignent d'une politique particulière adoptée par M.
16 Haradinaj.
17 Je reviens maintenant à mon quatrième argument. Le simple fait que des
18 membres isolés de l'UCK aient pu maltraiter ou assassiner des
19 collaborateurs soupçonnés ne prouve pas qu'ils agissaient sur ordre où en
20 exécution d'un but criminel commun qu'aurait partagé
21 M. Haradinaj. Pour la majorité des victimes albanaises ou rom, rien ne
22 prouve l'identité des auteurs de ces crimes ni le mobile.
23 Malgré les tentatives de l'Accusation de déformer les faits pour les faire
24 rentrer dans cette théorie générale, il existe des éléments de preuve
25 directs de collaboration soupçonnée dans un nombre très rare de cas.
26 Les éléments du dossier nous montre qu'il y a en tout sept victimes visées
27 à l'acte d'accusation qui ont été emprisonnées pour collaboration
28 soupçonnée, et à deux endroits : quatre personne ont été emprisonnées à
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1 Jabllanice et trois à Baran.
2 Rien n'indique dans le dossier, rien ne prouve encore dans le dossier, que
3 M. Haradinaj ait autorisé ou ait toléré les mauvais traitements dont on
4 nous affirme qu'ils ont eu lieu dans ces installations. En fait, ces
5 interventions prouvent plutôt exactement le contraire. Le dossier nous
6 montre que chaque fois qu'on a signalé à M. Haradinaj qu'il y avait
7 disparition ou détention, il a pris des mesures.
8 L'Accusation qualifie ses interventions de superficielles, mais selon nous,
9 il est important de garder à l'esprit le fait qu'en espèce ce n'est pas la
10 responsabilité du supérieur hiérarchique qui est mis en cause. L'Accusation
11 fait valoir et l'Accusation doit prouver que ces crimes ont bien été commis
12 avec l'accord ou l'approbation de M. Haradinaj, et c'est dans ce contexte
13 qu'il convient de juger ses interventions.
14 Je vais commencer par évoquer Jabllanice. Les Juges de la Chambre le savent
15 maintenant pertinemment, Jabllanice était depuis des années avant la
16 période fixée à l'acte d'accusation un bastion de l'UCK. Après le 24 mars,
17 Jabllanice a continué à fonctionner de manière autonome, et se trouvait à
18 l'extérieur de la zone mise en place en mai, et relevant de l'état-major
19 régional, Jabllanice n'a été incorporée dans le cas d'une structure de
20 commandement conjointe que le 23 juin.
21 Jamais M. Haradinaj n'a été au commandement quotidien de Jabllanice et rien
22 n'indique au dossier qu'il ait été tenu informé des activités de ceux qui
23 l'étaient. En dehors de son intervention pour Skender Kuci, les éléments du
24 dossier nous montre qu'il est allé aux réunions du QG de l'état-major au
25 total trois fois pendant la période visée à l'acte d'accusation. Lors d'une
26 de ces réunions il y avait Bislim Zyrapi et d'autres membres de l'état-
27 major général. M. Zyrapi était en retard. Il était arrivé en retard parce
28 qu'il avait procédé à une inspection des positions de l'UCK dans le
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1 village. Or il n'a rien vu indiquant que qui que ce soit était détenu à cet
2 endroit.
3 Finalement, ce n'est peut-être pas si surprenant que cela. Le Témoin 6 a
4 déclaré qu'il avait été le seul à être détenu à Jabllanice pendant
5 l'essentiel de la période s'étendant du 13 au 25 juillet; et d'après les
6 dates qu'il a données, il est pratiquement sûr qu'il devait travailler dans
7 la cuisine à la mi-juillet lorsque Zyrapi est venu visiter les lieux.
8 Aucun de ces éléments de preuve n'indique que la détention et les mauvais
9 traitements qui auraient été infligés aux suspects à Jablanice auraient
10 immédiatement sauté aux yeux de tout commandant ayant participé à une
11 réunion au QG de l'état-major au centre du village.
12 Je vais maintenant évoquer la question de Skender Kuci. Les éléments du
13 dossier nous montrent que lorsque M. Haradinaj a été informé de la
14 détention de ce dernier, il s'est rendu immédiatement à Jabllanice avec
15 Rrustem Tetaj et il a ordonné à Nazmi Brahimaj de le libérer immédiatement.
16 L'Accusation avance que ceci prouve qu'il était au courant et qu'il
17 approuvait ces pratiques, mais ceci est complètement faux. Lorsque Nazmi
18 Brahimaj a déclaré que Skender Kuci avait été blessé, M. Haradinaj lui a
19 lancé un ultimatum. Il lui a dit qu'il ne fallait plus jamais que ce genre
20 de chose se reproduise parce que cela compromettait la cause même de l'UCK.
21 Ce ne sont pas là les propos d'un homme qui est d'accord avec ce qui vient
22 de se passer.
23 Le fait est que rien au dossier n'indique que M. Haradinaj ait jamais
24 été informé des mauvais traitements qui auraient été infligés à des
25 personnes détenues à Jabllanice, rien n'indique qu'il soit entré dans la
26 caserne qui se trouvait à l'extérieur du village. Il ne suffit pas à
27 l'Accusation de lancer des allégations extrêmement vagues en disant qu'il
28 devait savoir.
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1 Le Témoin 6 a expliqué qu'il n'avait jamais vu M. Haradinaj à
2 Jabllanice. A la fin de sa détention, alors qu'il jouissait d'une relative
3 liberté, le Témoin 6 a essayé de déterminer quels étaient les noms des
4 principaux membres de l'UCK qui étaient là, et il a été en mesure
5 d'observer tout ce qui se passait à la caserne et tous ceux qui allaient et
6 venaient. Si M. Haradinaj avait été un participant à la détention, aux
7 mauvais traitements infligés aux suspects détenus à Jabllanice, certains
8 éléments de preuve auraient dû forcément apparaître dans la présentation
9 des moyens à charge, mais ça n'a pas été le cas.
10 Les éléments fournis par le Témoin 3 le confirment. Il a déclaré que
11 lorsque l'on a emmené à Gllogjan, lorsqu'il a été emmené là par Lahi
12 Brahimaj à la fin juillet, le commandant qui s'est occupé de lui l'a bien
13 traité dès le début. On lui a donné à manger, puis on lui a demandé s'il
14 avait des parents à Gllogjan chez qui il pourrait passer la nuit. Lorsqu'il
15 a répondu que non, on lui a indiqué un endroit où il pourrait dormir et on
16 l'a mis en garde, on lui a dit qu'il ne fallait pas s'approcher des
17 fenêtres au cas où les Serbes lancent une attaque. Peu de temps après, on
18 lui a expliqué que des dispositions avaient été prises pour qu'il rejoigne
19 sa famille, et après une intervention du commandant à Gllogjan, il a
20 expliqué qu'il ne lui était plus rien arrivé du tout.
21 Dans son mémoire en clôture, l'Accusation avance que ce commandant
22 qui se trouvait à Gllogjan, c'était forcément Ramush Haradinaj. Si c'est
23 véritablement le cas, cela ne conforte en rien la théorie avancée par
24 l'Accusation; au contraire, ceci nous montre que M. Haradinaj a pris les
25 dispositions permettant la mise en liberté immédiate de M. le Témoin 3, il
26 l'a traité humainement, il a fait en sorte qu'il rejoigne très vite les
27 membres de sa famille. Ce ne sont pas là les agissements d'un commandant
28 qui approuve les mauvais traitements infligés à ceux qui sont considérés
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1 comme ces opposants ou des collaborateurs.
2 Mais prenons un peu de recul pendant quelques instants, la situation
3 se présente comme suit : vous avez quatre personnes qui figurent au dossier
4 et qui avaient été accusées de collaboration et qui ensuite ont été détenus
5 à Jabllanice. Si on se rapporte aux preuves présentées par l'Accusation,
6 sur ces quatre personnes M. Haradinaj est intervenu pour faire libérer deux
7 d'entre eux et la troisième de ces personnes a déclaré que M. Haradinaj
8 n'avait rien à voir avec sa détention ni avec les mauvais traitements dont
9 elle aurait fait l'objet.
10 Je vais maintenant passer à Baran. Au cours de la première partie de
11 la période visée à l'acte d'accusation, la vallée de Baran fonctionnait de
12 manière autonome elle aussi. Elle ne relevait pas de l'état-major régional
13 et elle n'a été incorporée dans le cadre d'une structure de commandement
14 conjointe que le 23 juin. Moins de trois semaines plus tard, les états-
15 majors villageois de la vallée de Baran avaient cessé d'exister et les
16 volontaires de l'UCK s'étaient déplacés, s'étaient installés dans les
17 nouvelles casernes de la FARK.
18 Trois des victimes figurant à l'acte d'accusation ont été
19 emprisonnées à Baran à plusieurs dates après la mise en place de la Brigade
20 de FARK : Kemajl Gashi, Zenun Gashi, et Sanije Balaj. Voilà leurs noms. Les
21 éléments du dossier montrent que Mete Krasniqi a participé directement à
22 l'emprisonnement de ces trois hommes. Il a arrêté et interrogé Kemalj Gashi
23 dans son propre bureau à proximité de la caserne des FARK. Il a ordonné
24 l'arrestation de Zenun Gashi, qui ensuite a été emmené à la caserne des
25 FARK par Vesel Dizdari, et il a joué un rôle actif dans la détention
26 initiale de Sanije Balaj alors que les soldats de la FARK ont pu le voir de
27 leurs yeux à l'extérieur de la caserne.
28 Il est intéressant et nécessaire de se pencher sur certains des
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1 détails du rôle de M. Krasniqi et de ses relations avec les officiers
2 placés sous le commandement du Témoin 17. Il existe des éléments de preuve
3 contradictoires quant au fait de savoir si Mete Krasniqi était membre de
4 l'Unité de la Police militaire établi par le Témoin 17 le 12 juillet. Cufe
5 Krasniqi, qui a contribué à la mise en place de cette unité, a déclaré
6 qu'aussi bien Mete et Avni Krasniqi en étaient des membres et étaient sous
7 le commandement de Hasan Gashi. Dans la mesure où l'on peut s'appuyer sur
8 les éléments apportés par Avni Krasniqi, et rappelons que celui-ci déclare
9 que lui-même et son frère Mete étaient membres de la police militaire des
10 FARK et qu'ils étaient placés sous le commandement du Témoin 17.
11 Mais Rrustem Tetaj, qui avait été le vice-commandant de la zone ou un de
12 ces commandants dans cette zone, et Sadri Selca lui-même a déclaré que Mete
13 Krasniqi n'avait été nommé par personne. D'autres témoins ont dit qu'ils
14 s'étaient autoproclamés commandant. Quelle que soit la situation exacte et
15 officielle, tous les éléments du dossier montrent que Mete et Avni Krasniqi
16 se présentaient comme officiers de la police militaire après l'arrivée du
17 Témoin 17. Ils étaient à Baran et les éléments du dossier montrent qu'ils
18 travaillaient en collaboration étroite avec les officiers des FARK placés
19 sous le commandement du Témoin 17.
20 Dans ce contexte, les efforts intéressés du Témoin 17 pour se distancer des
21 actions de Mete Krasniqi, ces efforts entrepris pour montrer qu'il y avait
22 une sorte de structure de commandement parallèle à Baran, ces efforts sont
23 bien peu convaincants. Il est important ici de mettre en évidence certains
24 points-clés.
25 C'est le Témoin 17 qui a permis à Mete Krasniqi de travailler à partir d'un
26 bureau qui se trouvait à quelques mètres seulement de son QG et qui lui
27 permettait d'entrer dans la caserne de la FARK à sa guise. C'est l'adjoint
28 du Témoin 17, Musa Dragaj, qui a emmené Medin Gashi au bureau de Mete
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1 Krasniqi quand son père y était détenu. C'est le Témoin 17 qui disposait de
2 notes relatives à l'interrogatoire de Kemajl et Medin Gashi dans son propre
3 cahier. C'est le Témoin 17 qui personnellement a autorisé l'emprisonnement
4 et l'interrogatoire de Sanije Balaj une fois qu'elle avait été interceptée
5 par Mete et Avni Krasniqi à l'extérieur de la caserne. Et c'est le Témoin
6 17 qui avait dans son cahier une liste où figurait le nom de Zenun Gashi
7 dans la liste des personnes disparues et recherchées. Tout ce qu'il a à
8 dire au sujet de cette liste est assez évasif et défensif, mais il y a une
9 chose qui est claire, jamais il n'a parlé à Ramush Haradinaj de l'existence
10 de cette liste.
11 Globalement, ces éléments nous montrent un niveau de coopération bien plus
12 étroit entre Mete Krasniqi et la Brigade des FARK à Baran que le Témoin 17
13 n'a été prêt à le reconnaître. En revanche, il n'y a rien qui indique qu'il
14 y ait eu une quelconque relation de subordination entre Mete Krasniqi et
15 Ramush Haradinaj.
16 Les éléments de preuve nous montrent que Mete Krasniqi étaient un élément
17 incontrôlé qui n'était commandé par personne. Il a emprisonné ces trois
18 personnes sous le nez même du Témoin 17. Et si la responsabilité de
19 quelconque est engagée de s'assurer que des crimes ne soient pas commis
20 dans la caserne des FARK au cours de la deuxième moitié du mois de juillet
21 et en août, c'est bien celle du Témoin 17. Et maintenant quand il affirme
22 que la responsabilité des actes de Mete Krasniqi, elle incombe à Ramush
23 Haradinaj, ceci manque totalement de logique.
24 A cet égard, je voudrais ajouter trois choses au sujet de l'enlèvement et
25 du meurtre de Sanije Balaj.
26 En premier lieu, chacun des arguments de l'Accusation est tributaire
27 de la crédibilité d'Avni Krasniqi et de son frère Mete, aujourd'hui décédé.
28 Avni et Mete Krasniqi sont les seules sources d'information qui permettent
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1 de faire l'allégation selon laquelle Idriz Gashi avait l'intention
2 d'emmener Sanije Balaj à Gllogjan. L'affirmation non confirmée selon
3 laquelle Idriz Balaj a déplacé le corps, c'est également Avni et Mete
4 Krasniqi qu'ils la font.
5 Quant à nous, nous avançons que la Chambre de première instance ne saurait
6 nullement ajouter foi aux affirmations d'Avni Krasniqi qui n'ont été
7 confirmées par personne. Il est manifeste, selon nous, qu'il a délibérément
8 menti de manière répétée au sujet de sa participation à l'emprisonnement et
9 à l'interrogatoire de Sanije Balaj. Il a également menti au sujet de la
10 participation de son frère Mete et de son cousin Iber. Les déclarations de
11 Shaban Balaj, du Témoin 72, Vesel Dizdari, de Cufe Krasniqi, et même du
12 Témoin 17 montrent au-delà de tout doute raisonnable que c'est Mete et Avni
13 Krasniqi qui ont emprisonné Sanije Balaj et qu'Avni et Iber Krasniqi
14 étaient présents et sont intervenus au cours de son interrogatoire
15 principal. Les démentis présentés par Avni Krasniqi à ce sujet sont faux,
16 c'est évident.
17 Une fois qu'il est manifeste qu'un témoin a menti au sujet de questions
18 d'une telle importance, il faut se méfier de la totalité de sa déposition.
19 Nous avançons qu'il convient d'examiner avec le plus grand soin la
20 crédibilité des affirmations d'Avni Krasniqi. C'est lui qui était un des
21 premiers suspects de ce meurtre. Il a d'ailleurs été précédemment condamné
22 pour toute une série d'attaques à main armée extrêmement violentes, et sa
23 version des faits est tout à fait intéressée et ne saurait nous convaincre,
24 elle est totalement en contradiction avec d'autres éléments de preuve.
25 Pour les raisons qui sont expliquées dans notre mémoire en clôture, nous
26 estimons qu'il avait toutes les raisons de mentir, non seulement à cause de
27 sa participation au meurtre mais parce qu'il a participé à l'élimination du
28 corps.
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1 Deuxièmement, nous faisons valoir qu'il n'a aucun élément de preuve
2 crédible indiquant qu'Idriz Gashi était commandant de l'UCK ou qu'il avait
3 été nommé à un poste de responsabilité quelconque par Ramush Haradinaj. Le
4 simple fait qu'il ait demandé au Témoin 17 d'être transféré pour devenir un
5 de ses soldats à la caserne des FARK à Baran contredit l'affirmation selon
6 laquelle il aurait eu une responsabilité de supérieur hiérarchique
7 ailleurs. Mais l'ordre de transfert signé par Ramush Haradinaj le 7 juillet
8 supprime tout doute à ce sujet, puisque Idriz Gashi est décrit comme un
9 "luftetari," c'est-à-dire un simple soldat. Il est possible que tout comme
10 Mete et Avni Krasniqi, il se soit présenté comme une sorte de chef de
11 commandant, mais il existe des éléments de preuve tout à fait clairs, tout
12 à fait objectifs, qui montrent que ce n'était pas le cas.
13 Le troisième point sur lequel je souhaite insister porte sur les actions de
14 M. Haradinaj. Les éléments du dossier nous montrent qu'il est intervenu
15 personnellement, qu'il s'est intéressé personnellement à l'enquête menée au
16 sujet de la mort de Sanije Balaj. Accompagné de Gani Gjukaj, il a été
17 présenté ses condoléances à sa famille, et ce qui est peut-être encore plus
18 important, il a demandé lui-même des comptes à Mete Krasniqi, il a essayé
19 de déterminer qui avait tué cette jeune femme.
20 Au bout de quelques jours, Fadil Nimonaj, alias Tigri, s'est vu
21 donner la responsabilité d'enquêter au sujet de la disparition de cette
22 femme. Il est important de souligner qu'il s'agissait là d'une enquête de
23 l'UCK. Fadil Nimomaj était membre de l'état-major opérationnel de la plaine
24 de Dukagjini, il avait été nommé par M. Haradinaj au poste de chef de la
25 police militaire le 25 juillet.
26 Le 21 août, M. Haradinaj était déjà basé à Prapaqan, et c'est là que le
27 bureau chargé de l'enquête a été mis sur pied. Tous les témoins concernés
28 ont été interrogés, à l'exception d'Idriz Gashi, qui à ce moment-là avait
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1 déjà pris la fuite. Les éléments du dossier nous montre que M. Haradinaj a
2 participé à au moins une réunion avec les autres commandants pour parler de
3 l'évolution et de l'avancement de l'enquête. Ce ne sont pas là les actes de
4 quelqu'un qui approuve ce qui s'est produit. L'Accusation le sait
5 pertinemment, c'est pourquoi elle est contrainte d'affirmer que tout ceci
6 n'est qu'un simulacre, mais il n'y aucune élément de preuve qui conforte
7 cette thèse.
8 Si l'on oublie quelques instants les personnes qui ont été détenues à
9 Jabllanice et Baran, j'affirme qu'il n'existe aucun élément de preuve
10 relatif aux autres Albanais et Rom visés à l'acte d'accusation et dont on
11 nous dit qu'ils ont été pris pour cible parce que c'étaient des personnes
12 soupçonnées de collaboration. Je vais prendre deux exemples.
13 Dans le cas de Nurije et Istref Krasniqi, l'Accusation parle de rumeurs de
14 collaboration, mais il existe une hypothèse qui est tout aussi plausible
15 pour expliquer ce qui s'est passé : c'est ce que ces personnes aient été
16 enlevées et tuées dans le cadre d'une dispute dans la famille, d'une
17 dispute de longue date avec la famille de Brahim et Avdi Krasniqi, qui
18 avait déjà coûté la vie à deux personnes et entraîné de nombreux blessés.
19 Conformément au Kanun, s'il y a un meurtre commis pour des raisons privées,
20 de vengeance, ceci tombe en dehors des allégations d'entreprise criminelle
21 commune dans l'acte d'accusation. Peu importe que les coupables soient des
22 membres de l'UCK. Les preuves démontrent que les victimes venaient de
23 familles membres de l'UCK également. Et comme cela a été dit par Rrustem
24 Tetaj, ces familles étaient impliquées dans des cas très graves, il n'y
25 avait rien qui puisse les empêcher de s'entretuer.
26 Le fait de suggérer que ce couple a été enlevé sous les ordres de Tetaj et
27 ensuite emmené à Gllogjan est fondé sur des preuves qui ne tiennent pas. Il
28 s'agit de preuves de ouï-dire qui n'ont pas été confirmées et de sources
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1 qui ne sont pas fiables. Ceci a été renié par M. Tetaj et il n'y a aucune
2 preuve fiable pour étayer ces affirmations.
3 Ce qui est démontré par les preuves, c'est le fait que Ramush Haradinaj
4 s'est engagé à procéder à des enquêtes en ce qui concerne la disparition du
5 couple et que Fadil Nimonaj a été nommé pour procéder à cette enquête. Il
6 n'a rien qui puisse être considéré comme étant compatible avec l'allégation
7 comme quoi Ramush Haradinaj aurait approuvé ce qui s'était produit.
8 Un autre exemple de ce que j'appellerais de la spéculation de la thèse de
9 l'Accusation concerne le meurtre par balle de Tush et Illira Frrokaj. Il
10 n'y a aucune preuve qui puisse étayer le fait qu'il s'agisse de
11 collaborateurs ou opposants à l'UCK. Au moment où le couple a disparu, il y
12 avait déjà eu des combats aux alentours de Gllogjan, conformément à ce qui
13 a été dit par Radovan Zlatkovic, il y avait un poste de contrôle serbe
14 fortement armé à Irzniq. Il aurait été tout à fait possible que ce couple
15 soit tué pendant leur trajet en voiture, et d'ailleurs les balles auraient
16 pu être tirées d'un côté ou de l'autre.
17 Au moment de la disparition de Tush et Illira Frrokaj, Ramush
18 Haradinaj avait déménagé à Prapaqan. Pendant son absence, son frère
19 Shkelzen avait répondu aux questions posées par le Témoin 21 qui demandait
20 des photographies du couple, et avait dit en réponse que l'UCK aiderait à
21 les rechercher. Dans sa déposition, le Témoin 21 a dit qu'il essayait
22 vraiment d'aider. Il n'y a rien qui puisse suggérer que la direction de
23 l'UCK de Gllogjan était impliquée dans le meurtre de ce couple; plutôt le
24 contraire.
25 L'Accusation persiste à dire que M. Haradinaj a autorisé
26 l'utilisation du QG de l'UCK à Gllogjan comme centre de détention et de
27 torture de civils, mais il n'y a aucune preuve crédible pour étayer cette
28 allégation.
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1 Le Témoin 17 a dit qu'il avait entendu dire que des personnes étaient
2 "envoyées à Gllogjan," et que d'après lui, ceux qui partaient à Gllogjan
3 n'en revenaient que trop rarement. Pendant le contre-interrogatoire
4 cependant, nous avons très clairement vu qu'il s'agit d'encore un exemple
5 de ces déclarations péremptoires qu'il a faites dans le cadre de sa
6 déclaration conformément à l'article 92 ter, et qu'il n'a pas pu étayer ces
7 allégations par des preuves irréfutables.
8 En fait, il n'y a eu qu'une seule conversation avec un commandant de
9 village qui n'a pas été identifié, et qui n'a fourni aucune information
10 concrète. Le Témoin 17 ne pouvait même pas identifier le village dont cette
11 personne était originaire.
12 En dehors des éléments que j'ai déjà mentionnés, il y avait un autre
13 élément de preuve mentionné par l'Accusation, à savoir la détention des
14 observateurs de la MOCE, Pappas et Wolfgang Kaufmann, et du fait que leur
15 interprète a été malmené. Mais si l'on regarde les éléments du dossier,
16 l'on voit très bien que M. Haradinaj s'est comporté d'une façon exemplaire
17 envers ce groupe. M. Papas a dit que M. Haradinaj lorsqu'il leur a posé des
18 questions était extrêmement courtois et très doux. Il s'est comporté d'une
19 façon calme et raisonnable pendant tout la durée. Il a fait en sorte qu'ils
20 puissent être escortés au moment où ils devaient quitter la région, et ceci
21 dans une sécurité totale.
22 L'agression dont a été victime l'interprète n'aurait bien sûr pas dû avoir
23 lieu, mais il n'y a rien qui puisse suggérer que M. Haradinaj était présent
24 au moment de cette agression, ni qu'un membre de l'équipe de la MOCE lui en
25 aurait parlé.
26 Rien qui puisse suggérer qu'il aurait autorisé cette agression. Il y
27 a encore moins d'éléments qui puissent prouver que M. Haradinaj a autorisé
28 cette agression.
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1 Je pense qu'il serait utile de rappeler à ce stade que la situation
2 sur le terrain à Gllogjan et Irzniq le 11 août, le jour de cet incident a
3 été montré dans un film vidéo de la BBC. La Chambre de première instance a
4 déjà eu à plusieurs reprises la possibilité de voir ce film. La décision
5 très dangereuse avait été prise par la MOCE, c'est-à-dire de conduire un
6 véhicule, une Land Rover directement dans la zone de l'offensive, et
7 d'ailleurs c'était un véhicule qui ressemblait fortement à un véhicule
8 militaire serbe, et ceci, quelques jours après que l'UCK exprime ses
9 préoccupations en ce qui concerne le fait que des interprètes qui
10 voyageaient avec des personnes étrangères abusaient leur liberté de
11 mouvement pour donner des informations concernant les déploiements et
12 cibles aux forces serbes.
13 Comme le dit Wolfgang Kaufmann dans son livre, ceux qui étaient
14 responsables de l'agression contre l'interprète étaient victimes de tirs
15 serbes depuis quelques jours déjà; ils étaient à bout de nerf, ils avaient
16 pété les plombs. Il a dit à juste titre que M. Haradinaj a réussi à sortir
17 l'équipe de la MOCE d'une situation extrêmement difficile. Ce ne sont pas
18 des agissements d'un commandant qui approuve les allégations en ce qui
19 concerne les mauvais traitements.
20 Je vais maintenant passer à l'allégation faite comme quoi M.
21 Haradinaj aurait mis sur pied et maintenu la force des Aigles noirs en tant
22 que moyen d'intimider le public et de malmener les civils.
23 Les éléments du dossier démontrent que les Aigles noirs ont été créés
24 en tant que force de réaction rapide. A l'origine, ils étaient basés à
25 Gllogjan, et par la suite à Irzniq. Ils se déployaient vers la ligne de
26 front où avaient eu lieu les combats les plus intenses. Mais l'Accusation
27 n'a même pas commencé à fournir des preuves comme quoi les Aigles noirs
28 auraient été impliqués dans un schéma de crimes perpétrés contre les
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1 civils. L'Accusation a présenté des éléments de preuve qui allèguent
2 l'implication personnelle d'Idriz Balaj en ce qui concerne deux chefs de
3 l'acte d'accusation.
4 Comme nous l'avons dit dans notre mémoire en clôture, nous acceptons,
5 nous nous fondons sur les arguments de Me Guy Smith en ce qui concerne la
6 question d'identification. Mais qui que ce soit qui ait commis ces crimes,
7 il n'y aucune preuve que ce soit M. Haradinaj qui les aurait autorisés,
8 tolérés ou qui en était même conscient.
9 En ce qui concerne les chefs 13 et 14, le Témoin 4 a dit dans son
10 témoignage qu'il n'avait jamais vu M. Haradinaj à Ratishe pendant la
11 guerre. Tout ce qu'il savait lui était qu'il était bon soldat, bon
12 commandant, et qu'il n'avait jamais tué ni mis en prison des civils. Il n'y
13 aucun élément pour prouver que ces crimes aient été commis conformément à
14 un dessein criminel plus large. En fait, pour des raisons qui sont
15 explicitées plus en détail dans notre mémoire en clôture, à notre avis le
16 motif de cette campagne allégée contre la famille du Témoin 4 n'est
17 toujours pas clair.
18 Je passe maintenant aux chefs 35 et 36. D'après la Défense, il n'y a
19 aucune preuve crédible comme quoi le viol du Témoin 61 soit une information
20 qui aurait été donnée à Ramush Haradinaj. Les déclarations du Témoin 1 par
21 rapport à cette question sont tout à fait non confirmées, incohérentes et
22 incompatibles par rapport à d'autres éléments du dossier. En ce qui
23 concerne la décision prise par la Chambre de première instance en
24 application de l'article 92 quater, la Défense estime qu'il n'y a aucune
25 constatation qui puisse être fondée sur cette allégation non confirmée.
26 Néanmoins, l'Accusation s'appuie sur un certain nombre d'autres
27 occasions où elle allègue qu'il y a eu des plaintes formulées auprès de
28 Ramush Haradinaj en ce qui concerne la conduite, le comportement d'Idriz
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1 Balaj. Mais l'allégation que M. Haradinaj n'a pas imposé de sanction ou de
2 punition en ce qui concerne la commission de crime de guerre est une
3 allégation qui ne résiste pas à un examen serré.
4 Tout d'abord, l'Accusation s'appuie sur un incident de tir allégué
5 qui aurait eu lieu à Irzniq auquel Adem Hulaj aurait été blessé. C'est un
6 incident qui n'est pas inclus dans l'acte d'accusation, et il n'y a aucune
7 preuve directe qui aurait été présentée au Tribunal. Il y a des preuves
8 d'ouï-dire qui suggéraient qu'il s'agissait d'un accident ou d'un
9 malentendu. En l'absence de preuve contraire, on ne peut pas conclure que
10 M. Haradinaj n'a pas réussi à prendre des mesures en ce qui concerne un
11 incident de façon appropriée dans les circonstances.
12 Deuxièmement, nous avons les preuves fournies suite à la déposition
13 du Témoin 17 concernant un incident d'insubordination envers M. Haradinaj.
14 C'est un incident qui s'est produit en juillet à Irzniq, et M. Balaj aurait
15 demandé au Témoin 17 de présenter ses papiers d'identification. Le témoin a
16 répondu en produisant, en montrant un fusil, une arme automatique en disant
17 que c'était tout ce dont il avait besoin en tant qu'autorisation. A notre
18 avis, il n'y a pas de raison de prendre des actions disciplinaires contre
19 Idriz Balaj suite à cet incident; au contraire, c'est plutôt le Témoin 17
20 qui aurait provoqué le conflit étant donné que d'après lui il s'agissait
21 d'un questionnement de sa propre autorité. De toute façon, il ne s'agit
22 aucunement d'un acte qui pourrait être considéré comme un crime.
23 Troisièmement, l'Accusation s'appuie sur les preuves fournies par le
24 Témoin 17 concernant la réorganisation du commandement du secteur aux
25 alentours du 21 août. Lui-même et Tahir Zemaj auraient averti M. Haradinaj
26 qu'Idriz Balaj était en train de commettre des crimes contre les civils.
27 Cependant, lors du contre-interrogatoire, le Témoin 17 a avoué que ni lui-
28 même ni Tahir Zemaj était au courant des détails spécifiques, et qu'il n'y
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1 avait eu aucune allégation concrète qui aurait été communiqué à M.
2 Haradinaj, qu'il aurait pu ensuite examiner par la suite ou qui aurait pu
3 donner lieu à des actions disciplinaires à l'encontre de M. Balaj. Il
4 s'agissait tout simplement de répétition de rumeurs généralisées.
5 Il est également infondé de dire, de suggérer que M. Haradinaj a fait
6 preuve d'indifférence dans sa réponse. Sa réponse a été la seule et unique
7 réponse qu'un commandant puisse avoir face à des rumeurs généralisées
8 concernant un de ses hommes. Il a dit qu'il allait se pencher sur la
9 question. C'est une conversation qui a eu lieu vers la fin de la période
10 visée par l'acte d'accusation au moment où M. Haradinaj avait déjà passé le
11 commandement à M. Zemaj. Il n'y a rien pour étayer les allégations comme
12 quoi M. Haradinaj aurait toléré que des crimes soient perpétrés contre des
13 civils.
14 Je vais maintenant passer à la troisième partie de mes arguments. Etant
15 donné que ce travail est assez dur pour les interprètes, je ne sais pas si,
16 Monsieur le Président, vous souhaitez faire une interruption à ce stade ou
17 est-ce que vous souhaitez que je continue encore un peu. Je suis tout à
18 fait disposé à poursuivre si vous le souhaitez.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Emmerson, je pense que nous
20 devrions poursuivre. Nous travaillons depuis presque une heure, et je pense
21 qu'on peut continuer pendant une heure et demie, donc je vous demande de
22 continuer. Je pense que vous avez constaté que la traduction française,
23 l'interprétation française a du mal à suivre à cette vitesse, donc je vous
24 demande de garder cela à l'esprit.
25 Est-ce que vous avez donné une version écrite aux interprètes ?
26 M. EMMERSON : [interprétation] Oui.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, parce que quelquefois quand il y a
28 un retard je constate qu'il y a des choses qui ne changent pas le fondement
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1 peut-être de ce que vous dites mais, par exemple, en ce qui concerne ce que
2 vous avez dit en ce qui concerne l'action disciplinaire à l'encontre de M.
3 Balaj, le nom a été répété. Et c'est un des risques s'il y a un retard de
4 la part des interprètes, et d'ailleurs je ne les critique pas, parce qu'il
5 est parfois difficile pour eux de les suivre. Donc je vous demande de
6 ralentir un tout petit peu, et je demanderais à tout le monde de suivre de
7 près pour voir si l'interprétation suit. Il y a parfois des petites
8 différences entre les deux versions, ce que j'ai entendu jusqu'à maintenant
9 ne change rien en ce qui concerne ce que vous avez dit.
10 Je m'adresse maintenant à la cabine française, ce n'est aucunement
11 une critique.
12 Je vous demande, Maître Emmerson, de poursuivre.
13 M. EMMERSON : [interprétation] Je vais maintenant passer à la
14 troisième partie principale de nos arguments, c'est-à-dire les dépouilles
15 qui ont été trouvées près du canal du lac Radoniq et les conclusions que
16 l'on peut tirer de ces preuves.
17 Pour être bref, nous disons que ces preuves ne démontrent pas que ce canal
18 a fonctionné comme site d'exécution, ni qu'il s'agissait d'une décharge
19 dans un territoire sous le contrôle exclusif de l'UCK. Le fait que la
20 dépouille d'un individu soit trouvée dans le canal ou près du canal ne
21 permet pas de tirer la conclusion que l'individu concerné avait été tué par
22 des membres de l'UCK dans le cadre d'une entreprise criminelle commune.
23 Nous avons huit arguments principaux en ce qui concerne cette partie du
24 dossier de l'Accusation.
25 Tout d'abord, et c'est peut-être une évidence de le dire, mais nous disons
26 que chacun de ces individus disparus ou est mort dans des endroits
27 différents de la région visée par l'acte d'accusation, et ceci à des
28 moments différents pendant la période visée par l'acte d'accusation.
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1 Personne ne suggère qu'il s'agisse de preuves d'une exécution de masse.
2 Beaucoup de ces morts sont survenus dans des circonstances qui n'ont pas
3 encore été élucidées. Il n'y a pas de preuves irréfutables en ce qui
4 concerne un éventuel lien entre ces morts.
5 Une façon importante qui permet de comprendre la thèse de l'Accusation est
6 la position prise par rapport aux cinq dépouilles qui n'ont pas été
7 identifiées. L'Accusation demande au Tribunal, à la Chambre de première
8 instance de dire qu'ils ont prouvé au-delà de tout doute raisonnable que
9 ces cinq personnes auraient été tuées par l'UCK dans le cadre d'un projet
10 lié à l'entreprise criminelle commune fondé sur l'argument que leurs morts
11 s'intègrent dans un schéma quelconque. Mais l'Accusation ne sait pas qui
12 est toutes ces personnes, quelle était leur appartenance ethnique, d'où ces
13 personnes venaient, où elles sont mortes, comment elles sont mortes, qui
14 les auraient tuées. La seule chose en commun c'est que ces cinq personnes,
15 ces cinq cadavres ont été trouvés près du canal.
16 Alors, il s'agit ici d'un procès pénal et non pas d'un exercice de
17 spéculation. Mais si je dis que ces individus sont importants c'est parce
18 que c'est à ce point-ci que la thèse de l'Accusation tombe, parce que
19 l'Accusation suit la même démarche en ce qui concerne la majorité de ces
20 cadavres. Le fait qu'il y ait des éléments de preuve concernant le nom d'un
21 individu ou des évidences en ce qui concerne l'endroit où on aurait vu
22 telle ou telle personne en vie pour la dernière fois, cela ne change rien
23 en ce qui concerne le fait qu'il n'y a pas de preuves en ce qui concerne
24 qui les aurait tuées. C'est pour cela que j'ai dit d'emblée qu'il est
25 essentiel d'examiner les preuves dans le cadre de chaque chef d'accusation
26 individuellement, et c'est pour cela que M. Re a essayé d'orienter
27 l'analyse de la Chambre de première instance dans le sens opposé.
28 Deuxièmement, nous faisons valoir que rien ne permet de dire quand ni
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1 comment ces corps se sont retrouvés à un endroit où ils ont été retrouvés.
2 En ce qui concerne les corps retrouvés dans la partie naturelle de la
3 gorge, les éléments du dossier nous montrent que ces corps ont très
4 certainement été charriés par les eaux jusqu'à l'endroit où ils ont été
5 retrouvés en raison des courants particulièrement forts qui ont animé le
6 canal pendant toute l'année 1998. Ces corps ont pu entrer dans l'eau
7 n'importe où entre les écluses de Lluka e Eperme et l'endroit où les corps
8 ont été retrouvés. Il existe des éléments de preuve qui ne sont absolument
9 pas équivoques indiquant que les forces terrestres serbes étaient
10 stationnées à proximité de Lluka e Eperme à partir au moins du début du
11 mois de mai.
12 S'agissant des corps qui ont été retrouvés près de la paroi du canal, la
13 situation est plus complexe. La Chambre se trouve face à des témoignages
14 d'experts contradictoires concernant la durée pendant laquelle ces corps se
15 trouvaient là. Le Pr Lecomte était d'avis qu'il était très probable que ces
16 corps avaient été déplacés juste avant d'être retrouvés. Le Pr Aleksandric
17 pour sa part était d'avis qu'au moins certains des corps avaient sans doute
18 été tués sur place, mais il fonde son opinion exclusivement sur le fait
19 qu'aucun projectile n'a été retrouvé sur les parois du canal. Je reviendrai
20 sur la question des projectiles un peu plus tard.
21 Mais au bout du compte, aucun des experts n'a pu dire avec la moindre
22 certitude, et certainement pas avec le degré de certitude requise au pénal,
23 que l'un quelconque des corps des victimes avait été tué au canal, et n'a
24 rien pu dire au sujet des circonstances dans lesquelles ces décès se
25 seraient produits ni quand. Le Pr Aleksandric convient qu'il est impossible
26 d'affirmer avec la moindre certitude que la moindre victime avait été
27 abattue au canal, il convient que la moindre tentative visant à établir une
28 distinction reviendrait à se livrer à des conjectures.
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1 Pris séparément ou dans leur ensemble, les témoignages d'expert ne
2 sauraient prouver que l'un quelconque des individus retrouvés au canal ait
3 été exécuté à cet endroit.
4 Si l'on met de côté les témoignages d'experts, la déposition du
5 Témoin 21 laisse fortement à penser qu'au moins certains corps ont été
6 déplacés peu de temps avant l'arrivée des experts médico-légaux serbes. Il
7 s'est rendu à deux reprises sur les lieux, ces visites ont eu lieu
8 probablement fin août ou début septembre. Il affirme avoir vu le cadavre
9 d'un enfant ainsi que le cadavre de plusieurs hommes, des adultes dans
10 l'une des étables de la ferme Ekonomija. Si son témoignage sur ce point est
11 fiable, alors ces corps ont très certainement été déplacés entre le moment
12 de sa visite et l'arrivée des experts médico-légaux. Il est important de
13 noter qu'il a traversé le canal dans les deux sens à deux reprises, et ceci
14 très près de l'endroit où les corps ont par la suite été retrouvés. Il a
15 reconnu les deux cadavres qui apparaissaient sur la photographie comme ceux
16 qui flottaient dans la partie bétonnée du canal et a indiqué qu'ils se
17 trouvaient à proximité de l'endroit où les autres corps avaient été
18 retrouvés.
19 Mais même si ses visites visaient à retrouver des dépouilles
20 humaines, il n'a observé la présence d'aucun corps près de la paroi ou sur
21 le terrain situé près de la paroi du canal lors de l'une quelconque de ses
22 visites.
23 Troisième point. Nous affirmons que la théorie de l'Accusation
24 concernant le contrôle global de la zone, nous pensons que cette théorie ne
25 se fonde sur absolument rien. Les forces serbes étaient présentes et
26 opérationnelles dans toute la région pendant toute la période visée par
27 l'acte d'accusation, et il existe des preuves directes indiquant qu'à
28 différents moments elles ont participé à des affrontements armés dans le
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1 secteur où les corps ont été retrouvés. Nous n'avons pas suffisamment de
2 temps pour parcourir de façon détaillée l'ensemble des éléments de preuve,
3 mais je souhaiterais revenir sur quelques points-clés.
4 Branko Gajic, chef du renseignement de la VJ, a déclaré qu'à partir
5 du début de la période visée par l'acte d'accusation les forces serbes
6 étaient stationnées en formation ressemblant à un fer à cheval autour du
7 lac. Il a déclaré que ces forces incluaient une position avancée à la base
8 de Suka Radoniq.
9 Dragan Zivanovic, commandant de la 125e Brigade, a déclaré que les
10 forces serbes qui se trouvaient dans cette zone faisaient installer ce
11 qu'il appelait des camps mobiles, c'est-à-dire en réalité qu'il menait à
12 bien des exercices de manœuvres sur le terrain. Les distances qui sont
13 concernées ne sont pas très importantes. Comme l'a indiqué le colonel
14 Crosland, il serait extrêmement surprenant ou il aurait été très surprenant
15 que les forces serbes sur le terrain n'aient pas mené justement des
16 opérations dans cette zone; parce qu'après tout, c'était un itinéraire
17 potentiel de retraite pour l'UCK. M. Re nous a rappelé hier que le colonel
18 Crosland avait également déclaré que les forces serbes menaient des
19 opérations jusqu'à 5 ou 6 kilomètres à l'intérieur du territoire se
20 trouvant à l'est de la route principale.
21 Mais les éléments de preuve sont encore beaucoup plus spécifiques.
22 Zarko Bajcetic, l'adjoint du chef de la RDB à Gjakove, a déclaré qu'à
23 partir du moment où il est arrivé au début du mois de juillet, on a
24 enregistré de fréquents affrontements entre les forces serbes et l'UCK dans
25 la zone, et certains de ces affrontements avaient lieu à la fin de la
26 section en béton du canal. On lui a demandé très directement si selon lui
27 il y avait eu des conflits armés dans la zone précise où on avait fini par
28 trouver les corps, et il a confirmé que c'était effectivement le cas. Les
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1 éléments qu'il a pu nous fournir sur ce point ne seraient être plus clairs.
2 De même, il n'y a aucun doute quant au fait que les forces serbes se
3 trouvaient dans toute la zone du canal au cours de l'offensive d'août
4 contre Gllogjan. Le colonel Zivanovic a dessiné une carte de cette
5 offensive, il apparaît clairement à partir de cette carte que les forces
6 des PJP menaient des observations à la ferme économique, ainsi que sur le
7 canal même. Il a tracé une flèche qui traversait le territoire entourant la
8 ferme, et ces forces des PJP ne se contenaient pas de traverser la zone,
9 non, elles étaient engagées dans des combats au corps à corps. Shemsedin
10 Cekaj a déclaré qu'un soldat de l'UCK avait été tué au niveau du canal à
11 l'époque.
12 Le canal, bien sûr, traverse Irzniq, et comme je l'ai déjà expliqué,
13 Radovan Zlatkovic a déclaré qu'il y avait un point de contrôle serbe avec
14 beaucoup d'armes et qui s'est toujours trouvé à Irzniq à partir du 12 août.
15 Le Témoin 21 a vu un char serbe sur le côté du canal se trouvant vers
16 Ratishe au moment où il s'est rendu pour la deuxième fois dans la zone.
17 L'Accusation s'est accrochée à la théorie selon laquelle les forces serbes
18 n'étaient pas présentes dans la zone, mais les éléments du dossier nous
19 montrent qu'en réalité c'est bien le cas.
20 La quatrième partie de notre argumentation découle de la troisième.
21 Le fait qu'il ait eu des traces de projectile sur les parois du canal et
22 qu'on ait trouvé des munitions chinoises à proximité ne prouve rien du
23 tout. Une fois que l'on accepte qu'il y a eu des combats armés dans la zone
24 même où les corps ont été trouvés, ces éléments de preuve-là cessent
25 d'avoir quelque importance que ce soit.
26 Je souhaiterais attirer votre attention sur trois points à cet égard.
27 En premier lieu, on a trouvé des dégâts occasionnés par des projectiles sur
28 les deux parois du canal dans des directions opposées, ce qui correspond
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1 tout à fait avec des échanges de tir ayant eu lieu des deux côtés du canal.
2 En deuxième lieu, il n'existe aucuns éléments de preuve scientifiques
3 permettant de faire le lien entre les traces des projectiles sur les parois
4 et les projectiles qui ont été trouvés à l'intérieur des restes humains
5 trouvés à proximité.
6 Troisièmement, il existe des éléments de preuve documentaires
7 montrant que quelques mois à la fin de la période visée à l'acte
8 d'accusation les forces des PJP qui étaient basées à Gjakove se sont vus
9 remettre des munitions chinoises en plus des munitions qu'elles utilisaient
10 habituellement et c'était manifestement une tentative de faire peser la
11 responsabilité sur l'UCK.
12 L'Accusation avance que le canal servait à l'UCK pour y mener à bien
13 des exécutions et l'Accusation essaie de le prouver. Mais nous estimons que
14 l'Accusation ne l'a pas fait.
15 Cinquième partie de notre argumentation, il s'agit des corps qu'on a
16 trouvés à la ferme économique. Les éléments du dossier nous montrent que
17 ces personnes ont disparu entre le 30 août et le
18 6 septembre. Les éléments de preuve recueillis au cours des autopsies
19 correspondent à ces dates. L'Accusation n'a jamais essayé d'expliquer
20 pourquoi elle avait enlevé les noms de ces personnes de l'acte d'accusation
21 mais selon nous la raison est tout à fait simple et claire. C'est parce que
22 ces personnes-là elles sont décédées au moment de l'offensive de septembre
23 menée par les Serbes.
24 Mais il y a un de ces corps, le corps RE-1 qui a été récupéré par
25 l'équipe médico-légal serbe le 11 septembre avant qu'aucun autre des corps
26 n'ait été récupéré. Nous faisons valoir que le fait qu'on ait supprimé ce
27 corps RE-1 de l'acte d'accusation consiste à reconnaître de manière tout à
28 fait justifiée que l'idée force qui sous-tend la thèse de l'Accusation est
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1 erronée. Le simple fait que l'on ait trouvé des restes humains dans cette
2 zone ne prouve pas que les personnes en question aient été tuées par l'UCK.
3 S'agissant des autres corps portant les numéros de référence RE, la
4 déposition du Pr Lecomte nous incite à penser que ces personnes avaient été
5 -- étaient déjà morte depuis une période huit à 15 jours au moment où elles
6 ont été trouvées le 23 septembre. Et si ceci est bien conforme à la
7 réalité, ceci signifierait que ces personnes ont été tuées et placées à
8 l'endroit où elles ont été trouvées entre le 8 et le 15 septembre, à une
9 époque où la zone était totalement contrôlée par les Serbes.
10 L'Accusation fait valoir que les corps de la ferme économique ne sont
11 pas à prendre en compte puisqu'ils ne figurent pas à l'acte d'accusation
12 mais selon nous ces corps ont leur importance puisqu'ils font apparaître la
13 possibilité assez bien réelle que les corps des personnes qui ont été tués
14 pendant l'offensive serbe de septembre ont été laissés à la ferme
15 économique pour essayer de faire reposer la responsabilité sur l'UCK.
16 Le sixième volet de notre argumentation a trait aux deux corps qui
17 ont disparu de la partie en béton du canal entre le 8 et le 11 septembre,
18 et je vais être rapide sur ce point. Dans son mémoire en clôture,
19 l'Accusation reconnaît que ces corps n'ont jamais été récupérés par
20 l'équipe médico-légale serbe. L'Accusation tente de faire valoir que ces
21 corps ont sans doute dû être emportés par le courant pour arriver
22 finalement jusqu'au lac. Cette explication est contraire au rapport de
23 l'équipe des plongeurs du MUP qui sont allés inspecter ce canyon et qui ont
24 exclu la possibilité que les corps aient pu être emportés jusqu'au lac. Le
25 Pr Aleksandric, qui a été sur le terrain, a reconnu que c'était exact.
26 Si ces deux corps n'ont pas été emportés par le courant jusqu'au lac,
27 la question est maintenant de savoir ce qu'il est advenu de ces corps. On
28 peut au moins au minimum penser que la scène où a eu lieu ce crime a fait
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1 l'objet d'une intervention, mais ceci peut également être conforme à
2 l'hypothèse selon lesquels ces corps ont été enlevés parce qu'on savait que
3 c'étaient les victimes des forces serbes.
4 Ce ne serait pas la première fois que les forces serbes auraient
5 enlevé des corps pour dissimuler des crimes de guerre. La présence de
6 Vlastimir Djordjevic dans la première équipe qui s'est rendue sur place
7 nous rappelle qu'il est toujours nécessaire de faire preuve de prudence
8 pour évaluer la validité de cette enquête et sa fiabilité.
9 La septième -- le septième volet de notre argument repose sur ou a
10 trait aux déclarations qui auraient été faites par Bekim Kalamashi, Zenel
11 Alija, et Lujlj Musaj quand ils ont été interrogés par le MUP et les RDB.
12 Quant à nous, nous faisons valoir que ces déclarations ne sont qu'un
13 prétexte, un prétexte préalable à la découverte du canal. Il existe des
14 éléments de preuve crédibles entre les mains de la Chambre montrant que ces
15 déclarations, elles ont été obtenues suite à des mauvais traitements. Ce
16 sont d'ailleurs des allégations qui ont surgi pour la première fois au
17 cours du procès de Zenel Alija et Bekim Kalamashi au cours du mois de
18 janvier 2000, et il y a des points de détail dans les éléments fournis par
19 les policiers serbes qui confortent ces allégations.
20 Cependant, on constate qu'il existe des anomalies graves et
21 totalement inexplicables au sein de ces déclarations même. Nous avançons de
22 manière tout à fait claire que si l'on passe en revu le compte rendu, on en
23 arrivera forcément à la conclusion que les explications données à la
24 Chambre pour expliquer ces anomalies qui ont été données par Radovan
25 Zlatkovic, Bogdan Tomas et autres; tout ceci est faux, manifestement faux.
26 Et même le procureur, Zoran Babic, qui s'est rendu au canal le 10 septembre
27 et qui aurait normalement dû recevoir la totalité du dossier dans
28 interrogatoires par le MUP, a expliqué dans un document officiel au
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1 tribunal de Pec, en date du 9, que Zenel Alija et Bekim Kalamashi étaient
2 en liberté alors qu'en fait, ils étaient détenus par le MUP depuis une
3 semaine environ.
4 Je n'ai pas l'intention de passer ceci au crible dans le cadre de ma
5 plaidoirie, tout ceci est expliqué de manière très claire et très
6 exhaustive dans notre mémoire en clôture. Mais nous avançons que la
7 falsification, le changement des dates sur les documents, le fait
8 d'affirmer que des gens étaient en liberté alors qu'en réalité, ils étaient
9 en détention, et le fait que de manière tout à fait inexpliquée on ait
10 ajouté certains passages aux déclarations, tout ceci ne saurait mener qu'à
11 une seule et unique conclusion. C'est qu'il s'agissait en l'occurrence d'un
12 simulacre d'enquête en tout cas pour ce volet de l'enquête. Nous avançons
13 quant à nous qu'on a fait dire certaines choses à ces hommes, qu'on les a
14 roués de coups afin qu'ils acceptent de signer des déclarations qui avaient
15 été rédigées pour eux.
16 Tout ceci, selon nous, est tout à fait compatible avec les autres
17 anomalies et fait surgir l'idée que les personnels du MUP ont participée à
18 la fabrication des éléments de preuve.
19 Il n'y a aucun doute quant au fait que la découverte du canal faisait
20 partie d'une manœuvre de propagande menée par les Serbes et les
21 responsables qui se trouvaient sur le terrain ont fait preuve d'une
22 célérité inexplicable dans leur explication de tout cela. Dans les heures
23 mêmes, qui ont suivi cette soi-disant découverte, des journalistes, des
24 observateurs internationaux et même des hommes politiques serbes de haut
25 niveau venant de Belgrade sont arrivés sur place. Ce qui est le plus
26 important à cet égard, c'est qu'ils sont arrivés au canal avant que la
27 découverte n'ait été signalée à Zarko Bajcetic, celui qui avait envoyé
28 l'équipe en mission de connaissance. Personne n'a été en mesure d'expliquer
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1 cela. M. Bajcetic a confirmé que l'équipe de reconnaissance n'était pas en
2 contact avec eux parce qu'il n'y avait pas de couverture radio ou de
3 couverture téléphonique dans la zone.
4 Mais je regarde l'horloge. Il me reste cinq ou dix minutes que je pourrais
5 aborder à la fin de mon intervention. Je peux peut-être faire une pause
6 maintenant.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce serait mieux de finir si vous pouvez
8 le faire en sept minutes, et à ce moment-là on pourra faire la pause.
9 M. EMMERSON : [aucune interprétation]
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Continuez, je vous prie.
11 M. EMMERSON : [interprétation] Le huitième volet de notre argumentation au
12 sujet du canal a trait aux éléments de preuve balistiques. Pour les raisons
13 qui sont mentionnées dans notre mémoire en clôture, nous avançons que
14 l'Accusation n'a pas prouvé que les cartouches qu'on a retrouvées au canal
15 avaient un lien avec les douilles dont on nous dit qu'elles auraient été
16 récupérées à Gllogjan le 24 mars. Ni l'opinion de Milutin Visnjic, ni la
17 déposition de Nebojsa Avramovic ne permettent d'établir le lien qui est
18 avancé par l'Accusation. Il n'y a aucune justification pour interpréter le
19 rapport de balistique de manière totalement contradictoire avec son
20 contenu, et mi -- même si c'était le cas, il y a des éléments de preuve
21 incontestables selon lesquels il y a eu des combats dans la zone du canal,
22 et ceci vous permet de trouver une explication tout à fait logique à la
23 présence de douilles dans cette zone.
24 Avant de quitter la question du canal, je souhaiterais dire encore quelques
25 mots au sujet du récit fait par le Témoin 17 de la réunion tenue le 21 août
26 à Prapaqan, et au sujet de son affirmation selon laquelle l'une des
27 personnes présentes avait fait une observation, et déclarait que les
28 poissons du lac de Radoniq s'engraissaient à force de manger la chair
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1 humaine.
2 Nous affirmons qu'il y a des raisons valables de douter de la fiabilité du
3 Témoin 17 sur ce point. Dans les notes personnelles qu'il a prise à
4 l'occasion de cette réunion, il n'en parle absolument pas, et le fait que
5 cela n'a suscité aucune réaction a été ignorée en réponse à une question
6 directe posée par la Chambre. Il a dit qu'il ne saurait répondre, ni par la
7 négative, ni par l'affirmative.
8 L'Accusation n'a présenté aucun élément permettant de corroborer son
9 témoignage sur ce point. Même si Zoran Stijovic a déclaré que cette
10 observation a été rapportée à la RDB, il n'a pas été en mesure d'exclure la
11 possibilité que le Témoin 17 ait été la source de son information. Il a dit
12 que cette observation avait été
13 -- n'avait été rapportée que par l'une des sources du RDB à cette réunion.
14 Il a confirmé que parmi ces sources se trouvaient des membres des FARK.
15 Avant de conclure, je souhaiterais évoquer brièvement quelques points
16 de droit. Tous nos arguments sont présentés de façon détaillée dans notre
17 mémoire en clôture, et je peux en traiter en quelques mots. Nous affirmons
18 que les chefs d'accusation se rapportant à des crimes contre l'humanité ne
19 sont pas fondés. Les crimes reprochés, même s'ils avaient été prouvés, ne
20 sont -- ne sauraient être qualifiés d'attaques systématiques ou généralisés
21 à l'encontre de la population civile serbe. Ils n'ont pas été commis à
22 grande échelle de façon suffisamment fréquente, et ne constituent donc pas
23 une attaque contre une population civile en tant que telle.
24 On ne saurait affirmer non plus que les Albanais ou les Rom
25 mentionnés dans l'acte d'accusation sont au nombre suffisamment important
26 pour constituer une population civile. Leur nombre est assez limité par
27 rapport à la population civile dans son ensemble, et on ne saura affirmer
28 que la population civile en soit a été l'objet d'une attaque, ou que les
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1 collaborateurs supposés constituaient une catégorie suffisamment importante
2 pour constituer une population civile. Je vous renvois sur ce point à
3 l'analyse faite par la Chambre de première instance dans Limaj.
4 En ce qui concerne le conflit armé, nous pen-- nous affirmons que les
5 éléments du dossier montrent que la fin du mois de mai a constitué un
6 tournant. C'est à ce moment-là que des engagements -- des affrontements
7 armés, sporadiques et intermittents se sont transformés en un conflit armé
8 de grande échelle. En conclusion, nous faisons valoir que l'Accusation n'a
9 pas prouvé l'existence d'une entreprise criminelle commune, telle
10 qu'allégué dans l'acte d'accusation. L'Accusation n'a pas prouvé la
11 participation personnelle de M. Haradinaj à l'un quelconque des crimes
12 reprochés. L'Accusation n'a pas prouvé qu'il avait ordonné, autorisé ou
13 toléré l'un quelconque de ces crimes. Aucune des allégations concernant sa
14 contribution alléguée à l'entreprise criminelle commune n'a été prouvée.
15 Nous pensons qu'il de -- doit être purement et simplement acquitté.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Emmerson.
17 Nous allons maintenant suspendre l'audience. Pouvez-vous nous dire, je vous
18 prie, si votre plaidoirie -- si les plaidoiries se poursuivront avant la --
19 après la pause et dans quel ordre ? Vous avez passé 100 -- vous avez
20 consacré 128 minutes à votre plaidoirie jusqu'à présent --
21 M. EMMERSON : [aucune interprétation]
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] -- donc. un peu plus de deux heures.
23 Combien de temps reste-t-il pour les autres ?
24 M. GUY-SMITH : [interprétation] Il nous reste un peu moins de deux heures
25 et demi.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, vous allez vous repartir de façon
27 équitable le temps --
28 M. GUY-SMITH : [interprétation] Nous allons nous répartir ce temps.
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1 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]
2 M. GUY-SMITH : [interprétation] Mais peut-être que votre question était
3 quelque peu différente. Est-ce que vous pensez que nous en terminons --
4 terminait-on pour poursuivre ?
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il nous reste environ deux heures, ce
6 qui devrait nous amener à la fin de l'audience d'aujourd'hui. Je me demande
7 si la prochaine pause se fera après votre intervention ou après celle de Me
8 Harvey. Cela dépend de qui commencera. Peut-être que l'une de vos
9 plaidoiries sera plus longue. Peut-être que vous pourriez consacrer une
10 question et déborder sur la session suivante. Je me demande si cela
11 conviendrait aux interprètes et aux techniciens.
12 M. GUY-SMITH : [interprétation] Selon toute vraisemblance, c'est moi qui
13 prendrais la parole en premier. Je terminerais ma plaidoirie peu avant la
14 prochaine pause.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Nous allons faire la pause,
16 et nous reprendrons à 16 heures 20.
17 --- L'audience est suspendue à 15 heures 52.
18 --- L'audience est reprise à 16 heures 29.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Guy-Smith, tout d'abord je
20 tiens à présenter mes excuses au nom de la Chambre à cause de ce petit
21 retard.
22 Vous avez la parole.
23 M. GUY-SMITH : [interprétation] Un critère, un fil d'or doit être toujours
24 être vu dans le temple de la justice, et il est du devoir de l'Accusation
25 de prouver la culpabilité des accusés conformément à ses engagements au-
26 delà de tout doute raisonnable. Ce sont les éléments de preuve présentés au
27 procès et eux seuls qui doivent être examinés par les Juges du fait, en
28 l'occurrence vous, les membres de cette Chambre de première instance. C'est
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1 vous qui devez examiner ce qu'il en est. Aucune conjecture, aucune
2 hypothèse, aucun sous-entendu, aucune spéculation n'ait acceptable. Il faut
3 qu'en cas de doute raisonnable concernant la culpabilité de l'un quelconque
4 des accusés, sur la base des éléments de preuve produits, contradictoires
5 ou absents, qu'il faut s'intéresser. L'Accusation doit prouver sa thèse au-
6 delà de tout doute raisonnable. Or, elle ne l'a pas fait.
7 Vous devez donc conclure l'innocence des trois accusés et c'est la
8 seule conclusion à laquelle vous devez parvenir.
9 Je souhaiterais revenir un petit peu sur ce qui s'est passé pendant
10 le procès, à commencer par l'interrogatoire d'un témoin en particulier
11 concernant la question de l'apartheid. L'Accusation a soulevé une objection
12 quant à l'utilisation du terme apartheid. Le terme apartheid définit une
13 politique, une pratique de discrimination pour des raisons politiques, je
14 veux dire économiques ou sociales.
15 Dans son introduction, dans l'introduction du mémoire en clôture de
16 l'Accusation et au début de son exposé hier, M. Re a déclaré que les
17 autorités serbes se livraient entre -- utilisaient des moyens de plus en
18 plus répressifs du point de vue juridique. Comme si ceux qui combattaient,
19 qui luttaient, qui protestaient contre ces mesures répressives étaient à
20 blâmer. Si l'on se penche sur des éléments de preuve et le témoignage de
21 nombreux témoins, nous constatons que tel était leur attitude par rapport à
22 leurs adversaires. Je reviendrai un peu plus tard sur la notion de moyens
23 répressifs au point de vue juridique. Je vous rappellerai la législation
24 d'apartheid adoptée en Afrique du Sud dans les années 40, 50 et suivantes.
25 Je vous rappellerais les lois de Nuremberg. Je vous rappellerais les lois
26 de 1882 lorsque le tsar Aleksandar III a interdit aux Juifs l'accès à
27 certains domaines, et établit des quotas pour ce qui est des écoles -- ils
28 sont supérieurs, et du nombre d'hommes et de femmes qui pouvaient être
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1 instruits. Mon arrière grand-père a été roué de coups, il en est mort, et
2 ce, parce qu'il a refusé de renoncer au quota pour mon grand-père. Mon
3 grand-père et le reste de la famille après cela ont quitté la Russie.
4 Utiliser l'expression "moyen répressif" du point de vue juridique, de cette
5 manière, et lui accorder la moindre crédibilité est très préoccupant.
6 Quelle était la réalité des faits ? Que s'est-il passé au
7 juste ? Un petit groupe de personnes a essayé de rassembler autour d'eux
8 leur communauté afin de se libérer de ces lois de plus en plus répressives,
9 et ces hommes ont cherché à obtenir des armes pour se libérer de ces lois.
10 Ils ont cherché à obtenir des uniformes et des moyens pour se libérer de
11 ces lois. Ils ont essayé d'organiser une armée pour combattre, pour se
12 libérer de ces lois. Ils ont établi des hôpitaux pour soigner les blessés
13 et s'occuper des personnes qui ont succombé au combat. Tous ceux qui sont
14 tombés au champ d'honneur pour essayer de se libérer de ces lois de plus en
15 plus répressives du point de vue juridique.
16 Vous avez entendu des témoignages au sujet de ce qui se passe à
17 Prekaz, Likoshan, et Gllogjan. Nombreux étaient ceux qui soutenaient cette
18 cause. Il y a des raisons à cela, rien -- il n'y a aucune raison dans une
19 telle situation de chercher à intimider des personnes en faveur de la cause
20 que vous défendez. Il n'y a aucune raison de faire cela, même si
21 l'Accusation dans le quatrième acte d'accusation modifié a parlé de
22 consolider le contrôle sur la zone de Dukagjin et c'est ce qui est d'après
23 l'Accusation le but criminel commun.
24 Ce but criminel commun n'est plus le même si l'on garde à l'esprit
25 leur réquisitoire présenté hier par l'Accusation. J'y reviendrais dans un
26 moment.
27 D'après nous, la position de l'Accusation intellectuellement et dans
28 les faits est pour le moins erronée. L'Accusation a ignoré la réalité de la
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1 situation sur le terrain dans la région et la réalité des conditions de vie
2 de la population. L'Accusation a présenté sa thèse de façon fragmentaire et
3 de la manière dont cela l'arrangeait. L'Accusation a fait des affirmations
4 non corroborées et en réalité d'après nous, l'Accusation a cherché à
5 atteindre une cible mouvante, cherchant à tirer son épingle du jeu et non
6 pas à s'appuyer sur les éléments de preuve présentés.
7 Lorsque l'Accusation a eu la possibilité de confronter ses propres
8 témoins et je répète lorsque je dis ses propres témoins, je rappelle à la
9 Chambre que chacun de ces témoins a été appelé à la barre par l'Accusation.
10 Chacun des témoins entendus en l'espèce a été entendu, voire récolé par un
11 enquêteur avant sa déposition. Dans ce contexte, lorsque l'Accusation a la
12 possibilité de confronter ses témoins et de leur soumettre -- les mettre en
13 face à leur contradiction et à leur divergence par rapport à ce qu'ils
14 avaient déclaré plus tôt, il s'agissait d'éléments contradictoires
15 importants. L'Accusation disais-je a évité -- refusait d'obtenir ces
16 informations alors que le témoin témoignait viva voce, sous serment,
17 l'Accusation au contraire a cherché à récuser certains de ces témoins ou à
18 discréditer leur témoignage.
19 En fait, avec le recul, on pourrait dire que l'Accusation s'est
20 montrée sélective, notamment en ce qui concerne l'information des Aigles
21 noirs et le témoignage de Ylber Haskaj sur lequel je reviendrai dans un
22 instant.
23 L'un des éléments important à prendre en considération ici, tient au
24 fait que toutes les parties en présence doivent reconnaître que l'Armée de
25 libération du Kosovo était un groupe en plein développement qui luttait
26 pour mettre en place une force de combat efficace et on a essayé de se
27 livrer à un exercice ici qui consistait à faire entrer un carré dans un
28 trou rond. Au paragraphe 172 du mémoire en clôture de l'Accusation, nous
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1 trouvons un exemple frappant de ce fait.
2 L'UCK était composé de jeunes hommes, des hommes âgés d'une vingtaine
3 d'années qui n'avaient pas beaucoup d'expérience, voire qui n'avaient
4 aucune expérience dans ce qu'on appelle l'art et dans ce que d'aucuns
5 appelleraient l'horreur de la guerre. Il ne s'agisse pas d'une armée au
6 sens propre du terme. Alors qu'est-ce qui est en jeu ici ? Outre l'enjeu
7 habituel dans les procès au pénal, ce qui est en jeu ici selon nous c'est
8 l'intégrité du système. La Chambre ne saurait prononcer une déclaration de
9 culpabilité alors que la thèse de l'Accusation se fonde essentiellement sur
10 des conjectures, des rumeurs non corroborées, des témoignages manquants de
11 fiabilité, des preuves scientifiques manquants elles aussi de fiabilité,
12 des éléments de preuve fabriqués et inventés, parfois totalement inventés
13 de toute pièce comme nous l'avons entendu par le MUP. Parfois certains de
14 ces témoignages ont été obtenus sous la torture. Je dirais que c'est un
15 cancer qui ronge cette affaire. C'est ce que montrent les éléments de
16 preuve présentés en l'espèce si on les examine patiemment, soigneusement,
17 scientifiquement, logiquement, méthodiquement, et selon nous, on ne saurait
18 prononcer une déclaration de culpabilité dans de telles circonstances. Il y
19 a un doute raisonnable important qui plane sur cette affaire. Nous avons
20 mis à jour ces éléments qui sèment le doute. Nous n'avons pas à les
21 prouver, le dossier lui l'a fait.
22 Dans sa déclaration liminaire et dans son réquisitoire, M. Re a dit
23 la chose suivante : parce que les corps ont été retrouvés près du mur en
24 béton, il s'agissait d'un site d'exécution. Je rappelle que le corps R-1
25 était retrouvé près du mur. D'après l'Accusation, cela prouve qu'il
26 s'agissait d'un lieu d'exécution. Lorsque l'on a fait cette observation et
27 si l'on se souvient des observations faites hier par l'Accusation, il
28 s'agit d'une tromperie du point de vue logique : "Post hoc ergo propter
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1 hoc." Cette tromperie se fonde sur -- l'idée est fausse que simplement
2 parce que les choses se sont passées les unes après les autres, il y a un
3 lien de cause à effet.
4 Cet argument a été admis comme point de départ pour énormément
5 d'erreurs et pour énormément de défaillance en ce qui concerne les preuves.
6 De surcroît, à notre avis, il y a eu des représentations erronées qui
7 figurent dans le compte rendu et je vais vous en citer deux. M. Balaj était
8 déjà un personnage proéminent. Et là, l'on fait référence au fait qu'il
9 aurait été repéré quelque part après le 24 mars lors d'un enterrement à
10 Gllogjan. Il s'agit du paragraphe 237. Cette affirmation n'ait étayé nulle
11 part dans les éléments de preuve. Il s'agit d'une affirmation de la part du
12 Témoin 1, qui proviendrait d'un villageois albanais dont on ne connaît ni
13 le nom ni l'identité. Le Témoin 1 a dit que ce villageois lui aurait
14 indiqué du doigt Idriz Balaj lors d'un enterrement. Donc, c'est bel et bien
15 une information non fiable qui a été utilisée de façon généralisée pour
16 créer une impression -- une affirmation de preuve, comme quoi il était bien
17 connu à l'époque.
18 Un autre exemple se trouve au paragraphe 482 où il aurait été participant
19 lors d'une exécution et là on fait référence à des preuves qui n'ont jamais
20 été versées au dossier.
21 Je vais maintenant me concentrer sur quelques questions qui méritent notre
22 attention. Par la suite, je vais me concentrer sur certains chefs
23 d'accusation, en particulier.
24 On a fait valoir qu'Idriz Balaj aurait intimidé le Témoin 17. Voilà
25 l'intimidation dont a été victime le Témoin 17 qui se trouve aux pages 7
26 572 et 7 573 du compte rendu d'audience.
27 "Au début" - et là, je commence à la ligne 22 - "au début, j'ai essayé de
28 le prendre comme une blague mais lorsqu'il a insisté, j'ai réagi et je lui
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1 ai dit -- je lui ai demandé : 'S'il me connaissait, s'il savait qui
2 j'étais.' Il a dit : 'Non, je ne vous connais pas.' Ensuite, je lui ai
3 montré une arme automatique et quelques grenades et je lui ai dit que :
4 'J'étais commandant d'une brigade et que personne ne pourrait m'empêcher de
5 me rendre à l'hôpital militaire pour voir un ami,' et c'est pour cela que
6 j'ai demandé à Ramush soit de le démettre de ses fonctions soit d'imposer
7 des sanctions disciplinaires car de tels incidents risquent de mener à des
8 conséquences plus importantes."
9 Là, il ne s'agit pas d'intimidation; c'est la réaction d'un militaire
10 professionnel qui proteste face à un jeune qui ose mettre en cause son
11 autorité.
12 L'Accusation nous a présenté les faits en ce qui concerne le cas d'un
13 interprète qui aurait été passé à tabac, et je puis vous dire que je ne
14 trouve aucunement tolérable une telle agression d'un personnage - que ce
15 soit interprète ou quelqu'un d'autre - l'interprète était plus grand
16 qu'Idriz Balaj, il le frappe, puis il lui donne des coups de pied, il est à
17 bout de nerfs. Il a une préoccupation il pense qu'il y a quelque chose qui
18 va pas bien, et l'incident est résolu sans trop d'éléments supplémentaires.
19 Ils ont été arrêtés dans une zone de guerre à une époque particulièrement
20 atroce pour les membres de l'UCK, c'était une époque où ils étaient
21 victimes d'une des attaques les plus terribles de la part des forces
22 serbes.
23 Si l'on lit le mémoire de l'Accusation et si on garde à l'esprit les
24 remarques formulées hier, je dirais qu'à mon avis, il ne serait pas injuste
25 de dire qu'ils essayent de prouver la culpabilité d'Idriz Balaj sur la base
26 d'un mauvais caractère, sur la base de rumeurs, sur la base de commérages,
27 mais cela ne peut pas être admis à la place de preuve et d'aucune façon
28 cela ne démontres sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable.
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1 En essayant de s'appuyer sur cette sorte de preuve, ces rumeurs, il y a
2 trois choses incorrectes qui sont faites : il y a tout d'abord le fait que
3 l'Accusation bafoue la règle fondamentale d'équité et ceci contrairement à
4 l'article 21 qui empêche l'utilisation de tel témoignage.
5 Comme je l'ai déjà dit, il y a une tentative de démontrer la
6 culpabilité de M. Balaj sur la base de commérages, du ouï-dire, et sans
7 pouvoir démontrer des témoignages fiables et crédibles.
8 Troisièmement, on le laisse dans une situation où il ne peut pas se
9 défendre. Comment est-ce qu'on peut définir la rumeur, c'est une méchante
10 histoire qui avance sur des roues et ces roues sont huilées au fur et à
11 mesure de leur avancement. C'est comme un virus. C'est un virus incontrôlé
12 depuis des années en ce qui concerne des rumeurs, l'on dit que les ennemis
13 emportent une version totalement différente de l'original, on commence par
14 l'invention, et ensuite, on construit le reste sur cette base. Une
15 véritable boite de Pandore est ouverte par des rumeurs, avec des éléments
16 de diffamation. Il ne s'agit aucunement de preuves pertinentes qui puissent
17 être invoquées pour prouver un fait. Il ne s'agit aucunement de témoignages
18 fiables quand il s'agit de commentaires de récits provenant d'individus non
19 identifiés et quand il s'agit de ouï-dire et des commérages généralisés.
20 A la ligne 1 007, cette Chambre a dit : "Si vous n'avez plus d'informations
21 quant à la source de ces rumeurs, je vous demanderais de les -- et ensuite,
22 en supprimant le nom de passer à votre prochain point parce que vous allez
23 comprendre que devant un tribunal parce que c'est là où nous siégeons. Nous
24 ne sommes pas dans un café, dans un bar. Nous ne sommes pas attablés donc
25 dans des endroits et des situations où toutes sortes de remarques
26 pourraient être faites. Nous sommes ici devant un tribunal et les rumeurs
27 s'il y a un rôle à jouer 0n'ont qu'un tout petit rôle limité.
28 Des questions ont été posées, des affirmations ont été faites. Ça a été la
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1 personne la plus notoire. Ça a été la personne la plus brutale mais aucun
2 fait n'a été présenté pour étayer ces affirmations.
3 En fait, lorsqu'à plusieurs reprises, on a posé la question au Témoin
4 17, ce dernier n'avait aucune information. M. Tetaj a dit : ah, oui, quand
5 il vient, on l'aime. Les gens l'aiment s'il y a une attaque serbe parce que
6 qu'est-ce qu'il fait après tout, il protège les gens, et lorsque les Serbes
7 ne sont pas là, on le craint. On craint sa présence lorsque le fait est de
8 savoir qu'il est présent dans la région suffit pour faire revenir au
9 village la chose dont on a peur, c'est-à-dire la guerre. Sa tâche était de
10 commander une Unité d'Intervention rapide spéciale pour se rendre là où on
11 avait besoin de lui pour se battre dans des batailles pour entraîner des
12 jeunes hommes qui donneraient leur vie dans le combat contre les moyens
13 répressifs du point de vue juridique qui leur a été imposé par les
14 autorités serbes.
15 Enfin, toujours en ce qui concerne la question de rumeurs. On dit
16 dans plusieurs cultures d'ailleurs que, si on essaie de faire taire une
17 rumeur, c'est essayé d'attraper le vent ou d'attraper de l'eau avec un
18 filet les rumeurs; les commérages sans fondement vont réussir à trouver un
19 moyen de passer d'une façon ou d'une autre.
20 Je vous fais valoir que. si l'on regarde les éléments du dossier en
21 ce qui concerne Idriz Balaj, vous devriez accorder une attention
22 particulière à ce que l'on vous demande de faire, c'est-à-dire de le
23 condamner pour sa réputation plutôt que de vous demander d'analyser les
24 faits réels.
25 Je vais maintenant passer plus spécifiquement aux chefs 13 et 14. Là,
26 il s'agit d'une allégation concernant M. Balaj qui aurait été
27 personnellement impliqué dans ces chefs. Un procès pénal essaie entre
28 autres de reconstruire ce qui s'est passé et de déterminer ce qui s'est
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1 véritablement produit. Des preuves physiques donc de traces physiques
2 telles que les empruntes digitales, des fibres ou du sang sont souvent
3 utilisées pour aider le Tribunal dans cette reconstruction. Suite à leur
4 collecte et analyse de telles preuves peuvent aider à décider de la nature
5 des événements et de l'identité des coupables. Des preuves de témoins
6 oculaires peuvent être comprises de la même façon car il y a une trace
7 laissée au cerveau du témoin oculaire, donc, la mémoire fonctionne
8 également comme preuve, et l'implication de ces preuves est nombreuse. On
9 peut aussi modifier ces traces de mémoire -- ces preuves. On peut les
10 contaminer, on peut les perdre -- détruire ou on peut faire en sorte que
11 les résultats produits mènent à une reconstruction erronée de l'événement.
12 La façon de collecter ces preuves est importante également et peut avoir
13 des conséquences importantes en ce qui concerne la précision des résultats
14 obtenus.
15 L'on sait très bien lorsqu'il s'agit de la mémoire, il n'y a rien de
16 tel pour obscurcir la mémoire que le passage du temps. Il n'y a rien de
17 plus dangereux que de s'appuyer sur une mémoire qui de façon objective a
18 été démontrée comme ayant été influencée par des facteurs qui ont altéré la
19 réalité de ce qui s'est produit. Ceci est particulièrement vrai quand il
20 s'agit des faits réels concernant la jeunesse d'un témoin. On ne peut pas
21 se fier à un tel témoignage sauf si d'autres éléments de preuve objective
22 ont été fournis.
23 Il existe une étude bien connue, que vous connaissez sûrement dans
24 cette Chambre, Messieurs les Juges, nous ont démontré leur compréhension de
25 ce qui existe dans le domaine de l'identification par des témoins
26 oculaires, et je parle de l'étude : "Perdu dans le mail," et des jeunes
27 gens où on leur a demandé s'ils étaient perdus dans un centre commercial et
28 ils ont dit : non, non. Ensuite, ils ont reçu des informations de la part
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1 d'autres, des personnes auxquelles normalement ils pourraient faire
2 confiance, comme par exemple, des professeurs, des mères, des oncles, et
3 qui avaient tous dit qu'ils s'étaient perdus dans un centre commercial. A
4 l'origine, il y avait ceux qui avaient nié un tel événement, et par la
5 suite, plus de 25 % de ceux qui l'avaient nié, une fois qu'ils avaient
6 entendu des suggestions élémentaires, ont dit qu'ils étaient d'accord
7 qu'ils avaient participé à un événement qui, en fait, n'avait jamais eu
8 lieu avec des personnes qui n'avaient jamais été présentes.
9 Si je vous soumets ces éléments à ce stade liminaire, c'est parce que
10 vous savez que la cause la plus courante en ce qui concerne des erreurs de
11 justice est liée à des erreurs d'identification de la part des témoins
12 oculaires. Il n'y a rien de nouveau là-dedans. Quelqu'un qui travaille dans
13 le droit, que ce soit de la police, les procureurs, la défense, tous les
14 juges, tout le monde était au courant. Et d'ailleurs, c'est quelque chose
15 qui est connue depuis 1932. Il y a un livre qui a été écrit par le Pr Edwin
16 Borchard. Par la suite, d'autres études ont été effectuées. Il y avait une
17 étude surtout faite aux Etats-Unis, et dans cette étude, il s'agit
18 d'exonération, et dans 64 % des cas, exonérés entre 1989 et 2003. Il y
19 avait au moins un témoin oculaire qui avait commis une erreur en ce qui
20 concerne l'identification de l'accusé. Dans près de 90 % de toutes les
21 affaires de viol, il y a eu une erreur d'identification.
22 Quelle est l'importance de tout ceci dans cette affaire ? Je pense que les
23 raisons en sont manifestes. Pour comprendre ce qui s'est passé -- pour
24 comprendre ce qui s'est passé dans l'esprit du Témoin 4, je vais commencer
25 par lui, et je fais observer par ailleurs qu'il -- le Témoin 19 n'a pas été
26 mentionné. Donc, j'imagine que cela signifie que le bureau du Procureur a
27 reconnu qu'il n'avait identifié personne et procédé à aucune
28 identification. Si nous reprenons la chronologie suivante, voilà ce que
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1 nous allons constater.
2 Slobodan Praskevi a été abattu le 2 mars. Sa mère revient deux semaines
3 plus tard, le 16 mars. Première visite à la maison, elle a lieu le 30 mars,
4 deux semaines plus tard d'après la déposition du Témoin 4. Première visite
5 à la maison, c'est une visite où il y a des gens habillés en noir, et le
6 Témoin 4 dit très clairement qu'à ce moment-là, il ne voit personne, encore
7 moins celui dont il dit qu'il s'agit de Toger, le 30. Il est vaguement
8 question d'autre chose, le 30 mars. Il y a une Unité spéciale qui
9 intervient la nuit, donc, ça doit forcément être les Aigles noirs. Mais
10 nous, nous avons des informations venant de Haskaj selon lesquelles l'Unité
11 des Aigles noirs, il a fallu attendre le 14 mai pour qu'elle soit établie.
12 Une à deux semaines plus tard, c'est-à-dire entre le 7 et le 14 avril, la
13 sœur S qu'on a emmenée au cours de la première nuit revient. A ce moment-
14 là, d'après les informations dont nous disposons le Témoin 4, n'a pas pu la
15 voir, c'est impossible. Enfin, n'a pas pu le voir, je me reprends, n'a pas
16 pu le voir parce qu'il se trouvait à une distance de 50 à 60 mètres à côté
17 d'une voiture ou dans une voiture. Troisième fois où l'Accusation nous dit
18 qu'on voit Toger, enfin, c'est elle qui le di, ça se passe une à deux
19 semaines après, et une fois encore à ce moment-là, il ne le voit pas. Il ne
20 voit pas cet homme dont il nous dit, dont il affirme que c'est Idriz Balaj.
21 Mais lorsqu'il s'est produit mais ça c'est essentiel et c'est un passage de
22 sa déposition qu'il faut que vous preniez en compte. C'est que quand cet
23 homme revient après avoir amené la sœur S à la maison, quand il revient à
24 40 minutes plus tard, il dit qu'il y a deux personnes qui sont venues en
25 voiture, et quand on lui demande qui était-ce, que portaient-ils, et il a
26 dit c'est le même qu'il y en a un, je l'ai déjà vu chaque fois, à chaque
27 visite. Mais c'est impossible. C'est impossible, c'est totalement
28 impossible puisqu'il ne l'a pas vu.
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1 Alors, qu'est-ce qui s'est passé, en réalité ? Qu'en est-il de la mémoire
2 de ce jeune homme ? Non, je ne suis pas en train de le traiter de menteur,
3 rassurez-vous. Je dis simplement qu'il se trompe. Ce que je vous dis,
4 Messieurs les Juges, c'est que, vous, vous savez bien ce qui s'est passé.
5 Sa mémoire, elle a été affectée. Pourquoi ? Influencée. Pourquoi ? Parce
6 qu'il a vu Idriz Balaj à la télé. Il a vu le nom de Toger, que l'on
7 connecté à Idriz Balaj à la télévision.
8 Cela s'était passé lorsqu'on a essayé de l'assassiner notamment et
9 pas au cours d'une autre affaire bien connue. Ce jeune homme veut essayer
10 de trouver un exutoire à sa douleur, je le comprends très bien. Il veut que
11 quelqu'un soit responsable de ce qui lui est arrivé. Mais à partir des
12 éléments dont dispose la Chambre, je pense qu'il ne convient pas que l'on
13 ne peut pas arriver à cette conclusion.
14 Vous pouvez vous appuyer peut-être sur des éléments de preuve
15 indirects, alors quels sont-ils ? Les uniformes noirs. Mais qui -- qui dans
16 le cadre de cette affaire ne portait pas d'uniforme noir. Il y avait des
17 habitants des villages qui circulaient en uniforme noir pour imiter ceux
18 qu'ils soutenaient. Pjeter Shala, et l'Accusation s'appuient sur son
19 témoignage au sujet des uniformes. Pjeter Shala nous dit que M. Balaj
20 portait un uniforme marron, une tenue de camouflage. Et puis, bien entendu,
21 il y a la fameuse Jeep noire. Ça, c'est un peu étrange parce que celui qui
22 a amené la sœur S à la maison, il est venu dans une voiture blanche, une
23 Niva blanche.
24 Quels sont les autres facteurs objectifs dont vous pouvez vous servir
25 ? Bon, il y a sa taille. On ne sait pas parce qu'on n'a jamais posé la
26 question : quelle était sa corpulence, la couleur de ses cheveux ? Est-ce
27 qu'il avait de la barbe, de la moustache ? Est-ce qu'il avait des
28 cicatrices ? Oui, oui, le Témoin 19 en a parlé. Il a parlé d'une vieille
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1 cicatrice, une grosse cicatrice.
2 Soudain, eureka, quant à la lumière, il n'y en avait pas parce qu'il
3 n'avait pas de courant dans la maison. Vous ne disposez d'aucun élément
4 objectif quand il s'agit de la description de la personne. Mais vous avez
5 été saisi de bien des éléments qui suscitent des doutes quant à la question
6 de savoir si il, c'est-à-dire le Témoin 4 a été exact.
7 A cet égard, je crois que c'est assez important. Les témoins de
8 l'Accusation, les enquêteurs, qui ont essayé de déterminer qui était
9 responsable, savaient quelles étaient les règles qu'ils devaient suivre
10 mais ils ne les ont pas respectées, D120 et D119.
11 Qu'en est-il de la pièce D120, rapport d'intensification à partir de
12 série de photographies. Première question : "Vous avez dit que vous avez
13 assisté à un certain nombre de crimes. Vous dites avoir vu une personne
14 responsable de ces crimes. Je vais vous montrer des photographies, mais
15 avant que je ne le fasse, dites-moi si vous avez revu cette personne en
16 personne ou à la télévision ou dans un journal ou ailleurs. Si oui, dites-
17 moi dans quelle circonstance."
18 Voici les questions qui apparaissent dans cette directive.
19 M. Quiroz a dit très clairement qu'il était au courant, il a dit également
20 très clairement qu'il n'avait pas respecté le règlement qu'il devait
21 suivre. L'enquêteur, je le cite : "Doit déterminer si le suspect a -- si le
22 témoin a vu le suspect à la télévision ou dans les journaux." A ce moment-
23 là, une identification sur la base de photographies est peut-être mal
24 venue. Il convient de consulter une équipe compétente pour savoir si une
25 telle identification est appropriée. On indique quelle est l'autre forme
26 d'identification ces reconnaissances, on le voit dans la pièce 119, c'est
27 lorsque quelqu'un reconnaît une personne à partir d'une photographie une
28 personne qui ou elle connaît précédemment dans d'autres circonstances qui -
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1 et j'insiste sur ce fait - qu'ils n'ont strictement aucun rapport avec les
2 crimes allégués. Ainsi, par exemple, il pourrait s'agir d'un voisin, d'un
3 voisin qu'on connaissait avant la guerre. Mais ce n'est pas ce qui s'est
4 passé ici. Ils n'ont pas observé le règlement qui était les leurs. Nous
5 n'avons pas d'information fiable nous permettant d'affirmer avec certitude
6 que celui qui a participé à cette série d'incidents c'était bien Idriz
7 Balaj.
8 Nous savons qu'au moins une fois quelqu'un a utilisé ce nom de Ramush dans
9 cette famille, avec cette famille, et c'était un mensonge.
10 Je ne veux pas ici m'acharner sur le Témoin 4, mais il y a d'autres
11 éléments qu'il faut mentionner. L'Accusation avance que tout ce qui a été
12 dit était vrai. Mais il y a des choses qui ne sont peut-être pas vraies.
13 Comme, par exemple, le fait de savoir si Toger a menacé sa mère, ou bien si
14 c'est quelqu'un d'autre, quelqu'un d'autre dont a donné le nom et que les
15 villas -- un ancien habitant du village qu'il connaissait. Mais maintenant
16 si on examine la déposition en question elle nous montre que la sœur S leur
17 a dit qu'elle était à Irzniq pendant la période concernée avant le 22
18 avril. Pourquoi est-ce que c'est important ? C'est important parce que nous
19 savons que le 22 avril c'est la date à laquelle les Serbes ont quitté
20 Irzniq. Nous le savons. C'est une donnée objective.
21 Le fait suivant ne fait l'objet d'aucune contestation. Lorsque les Aigles
22 noirs ont été mis sur pied que l'on adopte la date du
23 14 avril et ça je pense que ça n'a nullement été prouvé. Vous allez pouvoir
24 vous en convaincre. Mais. Bon. Mettons que ce soit le
25 14 avril et partons de cette date. Admettons le 14 avril, il y a 500
26 personnes qui se sont réunis à Irzniq. On a appelé tous ces gens, on les a
27 convoqué pour qu'ils se rassemblent. Il y en a 120 qui ont été
28 sélectionnés, et la police n'avait alors pas encore quitté Irzniq. Ils
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1 étaient encore sur place. Non, ça n'a pas eu lieu. C'est totalement
2 impossible, totalement inconcevable. Donc, quel que soit celui qui est
3 emmené la sœur, la sœur S, ce n'était pas un Aigle noir, et celui qui a
4 participé à tous ces agissements ne faisait partie du groupe d'Idriz Balaj.
5 Pourquoi ? Parce que le groupe n'existait même pas. Il n'avait pas encore
6 été mis en place.
7 Ce sont des éléments de preuve objectifs qui vous ont été communiqués,
8 Messieurs les Juges.
9 Il n'y a aucun élément de preuve permettant de conclure avec certitude à
10 l'identification d'Idriz Balaj.
11 Autre argument avancé par l'Accusation maintenant. Elle nous parle de la
12 formation -- de l'entraînement et du centre de Formation ou d'Entraînement.
13 Il existe des éléments au dossier et il y en a un que j'aimerais porter à
14 l'attention de la Chambre. Il s'agit de la pièce P1217. Il s'agit d'une
15 photographie. Une photographie que
16 M. Ylber Haskaj a annotée en parlant de la question de l'entraînement des
17 hommes. Il a tracé un cercle sur cette photographie. Vous constaterez --
18 vous vous rappellerez qu'il nous a dit que l'endroit où il avait tracé un
19 cercle était le secteur à Gllogjan où il s'entraînait, et l'Accusation nous
20 dit qu'il s'agissait d'un lieu qui était à proximité de la ferme économique
21 adjacente. C'est le mot même qu'ils ont utilisé. Vous remarquerez sur cette
22 photographie qu'il y a une flèche avec la mention YH. Cette flèche a permis
23 au témoin pendant sa déposition de nous indiquer que c'était là la
24 direction de la ferme Ekonomija. Il ne se souvient pas d'être allé
25 s'entraîner là-bas, ni d'être allé. Là où il s'est entraîné c'est là où il
26 a tracé un cercle.
27 Ceci vous pourrez le trouver à la page 10 323 du compte rendu d'audience de
28 sa déposition.
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1 Si on examine les éléments de preuve et là je pense à Ylber Haskaj parce
2 que c'est une déposition importante. L'Accusation a dit qu'il -- que quand
3 il affirme que les Aigles noirs avaient été constitués le 14 mai, il se
4 trompe. Et quand la déclaration 92 ter d'Ylber Haskaj a été présentée
5 lorsqu'il a déposé et lorsqu'ils ont eu la possibilité de contester son
6 affirmation, ils ne l'ont pas fait.
7 Alors, maintenant, qu'il n'est plus là - et d'ailleurs, je le rappelle,
8 c'est le seul témoin qui ait parlé de la formation des Aigles noirs - il a
9 dit qu'il était un des leurs, qu'il en est devenu membre le jour même de la
10 création de l'unité, qu'il était fier d'en être un des membres.
11 Alors, pourquoi est-ce qu'on ne lui a pas posé toutes ces questions à ce
12 moment-là ? Pourquoi ? On peut se poser pas mal de questions au sujet de
13 l'Accusation et de sa volonté réelle de présenter tous les faits à la
14 Chambre de première instance.
15 Je vais maintenant passer à Sanije Balaj. Si vous décidez ou si -- qu'Idriz
16 Balaj était impliqué dans ces événements, il faut que vous croyiez ce que
17 disait Avni Krasniqi parce que Avni Krasniqi c'est le seul qui dit que M.
18 Balaj était présent. Nous savons que c'était un repris de justice, qu'il
19 avait déjà été condamné pour attaques à main armée, il a été arrêté par le
20 bureau du Procureur contraint à déposer ici. Il a bénéficié d'un certain
21 nombre d'avantages, notamment on n'a pas informé la Suisse de son statut,
22 et cetera. Pour le croire -- pour croire ce qu'il dit au sujet d'Idriz
23 Balaj il faut croire qu'il n'a aucun motif, aucune raison de modifier la
24 réalité. Il faut également croire à Shaban Balaj -- ou plutôt, il ne faut
25 pas y ajouter foi. Il vous a dit qu'il s'agissait en réalité que ce groupe
26 n'était qu'une armée de voleurs.
27 Il faut passer sous silence ce qu'a dit l'Accusation. L'Accusation qui nous
28 a révélé qu'Avni interceptait les civils, leur volait leurs voitures. Il
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1 faut, à ce moment-là, aussi passer sous silence, c'est oublié la réalité de
2 la chronologie dans lequel s'inscrit cet incident. On nous parle du 12,
3 peut-être le 11. Ce n'est pas sûr, peut-être trois jours plus tard, c'est
4 ce que dit
5 M. Avni Krasniqi. Si c'est deux jours plus tard, à ce moment-là il suffit
6 de se pencher sur la pièce D69 parce qu'on voit que ça c'est la date à
7 laquelle les Serbes ont envahi Irzniq. Moi, je vous dis que c'est du
8 ridicule de penser que le chef des Aigles noirs, le lendemain bon si vous
9 vous attachez à ces dates, si vous les croyez ces dates, le lendemain donc
10 soit allé jusqu'à Baran et emmené le corps pour aller ensuite s'en
11 débarrasser ailleurs.
12 Il vous faut également croire ce qu'a dit Avni Krasniqi au sujet de Sanije
13 Balaj. Il a déclaré qu'elle voulait s'arrêter dans les bois pour parler.
14 Vous devez n'accordé aucun crédit au propos de son frère Mete qui a dit à
15 Shaban : je ne veux rien dire au sujet de mon frère, je ne jure pas de lui
16 car il est impliqué. Vous devez ignorer ce qu'a dit Shaban à savoir que la
17 dette n'avait pas été payée et qu'un criminel se trouvait en liberté. Tôt
18 ou tard cette dette sera payée toutefois et soit les frères s'en
19 chargeront, soit quelqu'un d'autres.
20 Il vous faut croire Avni Krasniqi lorsqu'il déclare qu'il n'y a pas de
21 vendetta entre lui et cette famille ce qui contredit directement ce qu'il
22 vous a, ce que vous avez entendu ici. Vous devez n'accorder aucun crédit à
23 une autre possibilité tout à fait plausible et démontrable à notre sens
24 selon laquelle Avni Krasniqi a participé à un cambriolage, qu'il a enterré
25 Sanije Balaj dans les montagnes et qu'il a été pris -- la main dans le sac
26 car des enfants ont été témoins de ce qu'il avait fait, de ce qui s'était
27 produit et c'est lui avec d'autres et certainement pas M. Balaj qui ont
28 déplacé le corps.
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1 Vous devez également croire pour ce qui est de la manière dont le corps a
2 été déplacé vous souviendrez qu'il vous a dit que le corps a été entouré
3 dans une couverture. Ce corps, qui avait été enveloppé dans une couverture,
4 vous devez le croire pour croire qu'Idriz Balaj a été impliqué dans tout
5 cela. Il aurait fallu retirer le corps de la couverture et le placer dans
6 un sac, dans deux sacs en l'occurrence car c'est ainsi que l'on a retrouvé
7 le corps.
8 Si vous souhaitez vous rallier à la thèse défendue par l'Accusation, selon
9 laquelle elle a été tuée car il s'agissait d'une collaboratrice, il vous
10 faut écarter la déposition de Cufe Krasniqi qui a déclaré qu'il avait
11 examiné ce qui s'était passé et qui avait conclu que tel n'avait pas été le
12 cas. Vous devez vous poser une question. La question de savoir ce qu'il est
13 advenu de l'argent et du carnet car c'est dans le carnet que se trouve la
14 preuve de sa collaboration. Ce carnet est l'élément de preuve qui aurait dû
15 être communiqué par toute personne responsable afin de se pencher sur cette
16 question, afin de déterminer ce qui s'était passé, afin de voir quelles
17 informations elle avait données, afin de déterminer quels étaient ses
18 contacts. Or ce carnet est introuvable. Il a disparu.
19 M. Re hier a dit : qu'après le départ d'Avni Krasniqi, après que ce dernier
20 ait quitté M. Balaj, la voiture s'est rendue dans le secteur du canal, mais
21 ce n'est pas ce qu'il a déclaré. Vous souviendrez peut-être qu'on l'a
22 laissé à Bishtrica. A la page 10 748 du compte rendu d'audience, il en
23 parle mais vous devez croire que Toger a été impliqué, qu'il a participé au
24 déplacement du corps, donc, quel rôle Toger a-t-il joué lorsqu'il vous a
25 emmené à
26 Bishtrica ?
27 Il a dit : "Qu'il y avait une fourche, une route qui conduisait à Baran et
28 l'autre vers la maison, mais je ne sais pas très bien s'ils sont allés vers
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1 Gllogjan ou vers Baran, je ne sais pas très bien." Voilà ce qu'il a dit.
2 Ceci illustre bien la manière dont M. Re, le bureau du Procureur dans son
3 ensemble présente les éléments de preuve, en les déformant comme bon leur
4 semble. Si vous examinez les éléments de preuve dans leur globalité, si
5 vous les étudiez de façon minutieuse, tout cela ne cadre pas. Or, les
6 éléments de preuve dans un procès au pénal ne prouvent rien en soi. Il faut
7 qu'il y ait une certaine logique à l'appui de la théorie. Ce n'est pas le
8 cas ici. Là encore, il y a une raison tout à fait logique au fait qu'Avni
9 Krasniqi mente car s'il reconnaît ce qu'il a fait, il va être tué.
10 Je trouve que c'est une raison assez convaincante. Vous l'avez
11 entendu ici non seulement de la bouche de Shaban Balaj mais également de la
12 bouche d'Avni Krasniqi. Il a dit : je n'ai rien fait de mal. Je n'ai pas de
13 sang sur les mains. Pouvez-vous imaginer une raison plus convaincante
14 d'inventer un tissu de mensonge de semer la confusion dans votre esprit.
15 Vous l'avez entendu, vous avez entendu Rrustem Tetaj, qui est Idriz Balaj ?
16 C'est un étranger pour la communauté, c'est quelqu'un qui a débarqué pour
17 combattre. Il est facile de lui coller une étiquette puisqu'il ne fait pas
18 partie de cette communauté. Et pourquoi pas le blâmer lui ? Tout le monde
19 l'a fait.
20 Enfin, pour terminer je souhaiterais évoquer le cas du Témoin 61 et
21 du Témoin 1 --
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Guy-Smith, je regarde
23 l'horloge. Je vous ai demandé si vous alliez répartir équitablement le
24 temps alloué. Nous avons commencé un peu tard, mais si nous n'avions pas
25 commencé plus tard que prévu dans deux ou trois minutes, vous auriez --
26 vous en seriez à la moitié de votre plaidoirie. Donc, il vous resterait un
27 peu plus d'une heure. Me Harvey a besoin de plus d'une heure, lui aussi.
28 Comme nous avons commencé avec un peu de retard, je propose que l'on
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1 continue si les interprètes sont d'accord jusqu'à 19 heures 10, donc, pour
2 que vous ayez le même temps à votre disposition, cela signifie qu'il vous
3 reste sept minutes à compter de maintenant.
4 Veuillez poursuivre.
5 [Le conseil de la Défense se concerte]
6 M. GUY-SMITH : [interprétation] Merci, Richard.
7 Partons de l'hypothèse la plus simple. Le Témoin 61 n'a pas reconnu Idriz
8 Balaj comme étant Toger ou l'homme qu'il l'a violée. Point. C'est tout.
9 Voilà. Alors, les choses vont un peu plus loin, bien sûr. Il ne correspond
10 pas à la description faite de l'homme qui l'a violée, et c'est la deuxième
11 fois et ce n'est que la deuxième fois que nous avons des éléments de preuve
12 objectifs concernant l'aspect physique de l'homme en question. Elle a
13 déclaré que c'était un homme de petite taille, à peine plus grand qu'elle,
14 ce n'était pas un homme grand. Les Juges se souviendront sans doute qu'à
15 l'époque, j'ai posé beaucoup de questions sur ce qu'elle avait vu, quand,
16 comment, il ne fait aucun doute qu'elle a eu la possibilité de voir l'homme
17 en question. Les preuves objectives présentées en l'espèce ont établi
18 qu'elle mesurait un mètre 50, cinq pieds, deux pouces. Idriz Balaj lui
19 mesure un mètre 78. Il s'agit là d'une différence considérable en mon sens.
20 Ce n'est pas un homme petit, ou à peine plus grand qu'elle. De plus, elle
21 nous a dit que lorsqu'elle l'avait vu à la télévision il ne ressemblait pas
22 à l'homme qui l'avait violée, mais sa famille lui a dit cela, sa famille
23 lui a dit que l'homme à la télévision c'était Idriz Balaj également connu
24 sous le surnom de Toger, C'est Toger, c'est l'homme qui t'a violée. Mais
25 aucun élément de preuve objectif autonome n'existe sur ce point.
26 Je ne m'appesantirais pas sur le témoignage du Témoin 1. Nous en avons
27 parlé dans notre mémoire et je pense que la Chambre comprend notre
28 position, nous n'avons pas eu la possibilité de contre-interroger ce
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1 témoin, par conséquent, nous n'avons pas pu contester des informations
2 fournies. Mais objectivement parlant, je vous rappelle que le Témoin 1, et
3 ce document est mentionné dans le mémoire en clôture de l'Accusation, ce
4 document n'est pas signé, il n'est pas annoté, si l'on examine ce document
5 il ne contient aucune information M. Versonnen a parlé de la personne qui
6 l'a montrée du doigt. Mais ces éléments d'information ne sont pas
7 corroborées et je vous renvoie à l'affaire Galic, et vous rappelle que l'on
8 saurait se fonder sur la déposition de Versonnen pour corroborer cela, ce
9 ne serait pas convenable.
10 Rien ne prouve l'implication personnelle d'Idriz Balaj dans cet incident
11 aucun élément de preuve ne montre que le viol n'a été commis -- a été
12 commis pour punir la victime d'avoir collaboré pour l'empêcher de
13 collaborer davantage.
14 J'ai un certain nombre d'autres points à soulever, mais je vois l'heure et
15 par égard pour mon collègue et pour les Juges de la Chambre, je resterais
16 là. L'Accusation n'a pas prouvé qu'Idriz Balaj avait personnellement commis
17 les crimes qui lui sont reprochés et l'Accusation n'a absolument pas prouvé
18 qu'il avait planifié à citer à commettre, ordonner, commis ou de tout -- et
19 aider à encourager à planifier, préparer, ou exécuter les crimes énoncées
20 au titre l'entreprise criminelle commune. Nous sommes convaincus que les
21 Juges de la Chambre après avoir examiné attentivement et soigneusement les
22 éléments de preuve, et après s'être livré à un examen méthodique, logique,
23 et scientifique des éléments de preuve, acquitteront M. Balaj des chefs qui
24 lui sont reprochés.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Guy-Smith, je vous remercie.
26 Nous allons maintenant suspendre l'audience. Après la pause, Maître Harvey,
27 c'est vous qui présenterez votre plaidoirie, mais avant cela, Maître
28 Emmerson, si je suis dans mon droit, je n'insisterais pas. A la page 35,
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1 ligne 19, vous parlez de la réunion du 21 août à Prapaqan pour ce qui est
2 des poissons qui s'engraissaient, mais d'après mes souvenirs de la
3 déposition du Témoin 17 et s'agissant des questions posées par M. Kearney
4 et par vous-même, il a été fait référence au 20 août. Je ne sais pas si
5 c'est une erreur ou pas.
6 M. EMMERSON : [interprétation] Absolument, il s'ait de cette réunion peut-
7 être que ma langue a fourché.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. La confusion est levée.
9 Nous reprendrons à 18 heures.
10 --- L'audience est suspendue à 17 heures 41.
11 --- L'audience est reprise à 18 heures 02.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Harvey, est-ce que vous êtes
13 disposé à présenter votre plaidoirie ?
14 M. HARVEY : [interprétation] Tout à fait, Monsieur le Président.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.
16 M. HARVEY : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
17 notre plaidoirie comme l'appelle César se divise en trois parties.
18 Tout d'abord, l'affirmation de l'Accusation que Lahi Brahimaj a été
19 commandant à Jablanica, et la deuxième partie concerne le fait qu'il aurait
20 été participant à une entreprise commune, criminelle commune et enfin les
21 conclusions que nous pensons pouvoir à tirer en ce qui concerne Lahi
22 Brahimaj et le rôle qu'il aurait joué dans le secteur de Dukagjin au moment
23 en question.
24 Je vais commencer, si vous voulez bien, avec une question de droit.
25 Il y avait une défaillance de la part de l'Accusation qui est surprenante
26 et fatale, c'est-à-dire de demander l'amendement de l'acte d'accusation
27 lors des différentes opportunités qui se sont présentées. Vous vous
28 souviendrez sans doute la disparité entre les paragraphes 32(B) et 43 de
Page 11175
1 l'acte d'accusation. Dans le 32(B), l'on dit que M. Brahimaj était
2 responsable d'un centre de détention de l'UCK à Jablanica, et je cite :
3 "D'avril 1998 au moins au 5 juillet 1998, ou vers cette date." Ensuite, au
4 paragraphe 43, qu'un centre de détention improvisé aurait été aménagé à mi-
5 mai 1998 et que ce centre de détention était installé dans un bâtiment de
6 quatre pièces attenant à la propriété familiale de Lahi Brahimaj, où se
7 trouvait le quartier général de l'UCK de Jabllanice. En ce qui concerne le
8 bâtiment de quatre pièces, en ce qui concerne les éléments de preuve qui
9 ont été présentés ce bâtiment se trouvait à une distance de pied de cinq,
10 six minutes de la propriété la famille Brahimaj, mais peu importe pour
11 l'instant.
12 Dans le paragraphe 32 du mémoire au préalable de l'Accusation,
13 l'Accusation dit que Brahimaj était au commandement du centre de détention
14 de Jabllanice pendant la durée de la période visée par l'acte d'accusation,
15 et là, il y a une note en bas de page pour dire que : "Cette allégation, en
16 ce qui concerne le commandement par Brahimaj du centre de détention de
17 Jabllanice pendant la période visée par l'acte d'accusation, est différente
18 par rapport et corrige la position de l'Accusation quant à l'allégation se
19 trouvant dans le paragraphe 32 de l'acte d'accusation."
20 Dans notre mémoire au préalable, nous avons immédiatement soulevé une
21 objection, datée du 12 février 2007, et nous avons informé l'Accusation du
22 fait que nous avions une objection en ce qui concerne toute tentative. La
23 vieille du procès d'élargir de façon radicale le dossier en ce qui concerne
24 notre client étant donné que pour cela il faudrait procéder à d'autres
25 enquêtes et cela pourrait être très justiciable en ce qui concerne sa
26 défense. Nous nous attendions à ce que l'Accusation soumette une demande de
27 modification de l'acte d'accusation et d'une décision de la part des Juges.
28 Aucune demande de cette sorte n'a été formulée.
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1 Nous disons qu'en ce qui concerne les actes d'accusation il faut
2 qu'ils soient interprétés de façon stricte, conformément au Règlement du
3 Tribunal il y a en ce qui concerne l'article 50 un mécanisme qui permet de
4 modifier un acte d'accusation qui n'a pas été énoncé clairement. En fait,
5 dans sa décision du 5 septembre 2007, cette Chambre les trois décisions qui
6 gouvernent son pouvoir discrétionnaire d'accepter de tels amendements. Je
7 ne vais pas les lire en détail, mais en ce qui concerne le dernier, la
8 troisième condition dit : "Qu'il ne faut pas qu'il y ait des préjudices
9 excessifs à l'accusé au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire,
10 dans son ensemble."
11 Ici, nous sommes confrontés à la quatrième version de l'acte
12 d'accusation. La première fois que l'acte a été modifié est intervenu moins
13 de trois semaines après que le mémoire au préalable ait été présenté par
14 l'Accusation. Quelques jours avant d'apporter la note en bas de page qui
15 corrigeait l'acte d'accusation. A deux reprises, pendant ce procès,
16 l'Accusation a demandé et obtenu l'autorisation pour procéder à des
17 amendements, mais il n'y a eu aucune demande en ce qui concerne
18 l'autorisation d'amender leur dossier par rapport à ce que nous considérons
19 comme étant un aspect crucial de leur dossier contre Lahi Brahimaj. Ce vice
20 à notre avis ne peut pas être résolu par la position tout simple d'une note
21 en bas de page dans le mémoire au préalable. Cette erreur a été aggravée
22 par le paragraphe 84 du mémoire en clôture, ainsi que dans la note en bas
23 de page numéro 685 -- 95.
24 Plus important encore est le fait que l'Accusation ne fournit aucun
25 élément de preuve pour étayer leur affirmation que Lahi Brahimaj était
26 responsable du centre de détention supposé à Jablanica pendant la durée de
27 la période visée par l'acte d'accusation. Comme ailleurs, dans leur mémoire
28 en clôture, cette affirmation n'est étayée par aucune preuve et maintenue
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1 par le simple fait de la répétition, comme si cela suffisait. Il ne s'agit
2 aucunement d'un point de détail.
3 Lahi Brahimaj a pris les décisions importantes en ce qui concerne
4 l'organisation de sa défense. Par exemple, faire appel à son droit de ne
5 pas témoigner et de ne pas appeler à la barre des témoins en son nom. Il a
6 pris ces décisions sur la base de l'acte d'accusation présenté à la Chambre
7 et sur la base des preuves appelées par l'Accusation.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Harvey, vous faites
9 référence au paragraphe 84; je pense qu'il s'agit de la page 84 et vous
10 parlez aussi d'une note en bas de page. Vous avez dit 695; s'agit-il plutôt
11 de 697 ? Je ne souhaitais pas vous interrompre, mais si on n'apporte pas la
12 correction à ce stade du compte rendu de l'audience, il y a un risque de
13 l'oublier ou l'omettre par la suite.
14 M. HARVEY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, de cette
15 précision et de cette correction. Effectivement, j'ai essayé de faire
16 plusieurs choses, j'ai écouté le français pour ne pas aller trop vite et
17 c'est pour cela que je n'ai pas fait attention à ce que j'ai dit. Mais vous
18 avez tout à fait raison.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre.
20 M. HARVEY : [interprétation] Comme j'étais en train de vous dire, Lahi
21 Brahimaj a pris cette décision importante en fonction de l'acte
22 d'accusation devant la Chambre et en fonction des éléments de preuve
23 invoqués par l'Accusation.
24 Donner la possibilité à l'Accusation de réinterpréter l'acte d'accusation à
25 ce stade, porterait gravement préjudice à M. Lahi Brahimaj.
26 D'un point de vue factuel, aucune preuve n'a été présentée à cette
27 Chambre pour suggérer quiconque aurait été fait prisonnier à Jabllanice
28 avant le milieu du mois de juin 1998. encore une fois du point de vue
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1 factuel, aucune preuve n'a été présentée en ce qui concerne la moindre
2 action à Jabllanice après le mois de juillet 1998, à l'exception des
3 attaques des forces serbes visant le village le 2 et le 3 août 1998. C'est
4 lors de cette attaque que la mère et la grand-mère de Lahi Brahimaj sont
5 tombées victimes d'un meurtre atroce et brutal.
6 Il y a aussi des éléments de preuve en ce qui concerne l'attaque
7 suivante, au début du mois de septembre 1998. Donc, du point de vue
8 juridique l'Accusation doit se limiter à ce qui est présenté dans ces
9 arguments, à savoir que Lahi Brahimaj aurait été commandant de Jablanica au
10 début du mois de mai, mi-mai et jusqu'à la fin de la première semaine de
11 juillet 1998.
12 Ensuite, au paragraphe 32(c) de l'acte d'accusation, il est reproché
13 d'avoir toléré ou encore encouragé une conduite criminelle de la part
14 d'autres à ce centre de détention à Jabllanice jusqu'au moins mi-septembre.
15 Il n'y a aucun fait pour étayer cette affirmation mais du point de vue des
16 aspects juridiques nous acceptons que nous ayons été informés de cela par
17 l'Accusation. Lahi Brahimaj n'était pas commandant mais qu'il aurait toléré
18 des mauvais traitements de la part d'autres.
19 Nous vous demandons de garder ces questions juridiques à l'esprit au moment
20 où je passe au deuxième aspect en ce qui concerne sa position allégé en
21 tant que commandant, c'est-à-dire les faits que vous pourriez estimer comme
22 étant fiables.
23 Alors, je vous invite à suivre le test sourcil, comme je l'appelle.
24 Certains aspects du mémoire en clôture de l'Accusation sont plutôt
25 surprenants. C'est le moins que l'on puisse dire. Par exemple, qu'il s'agit
26 d'une affaire de similitude, s'agit-il peut-être d'un faux syllogisme ?
27 Est-ce que vous sourcillez -- commencer à froncer en entendant cette
28 suggestion ?
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1 Lorsque l'Accusation a consacré sept pages de son réquisitoire hier, au cas
2 de Lahi Brahimaj et à l'affirmation de l'Accusation comme quoi il aurait
3 été commandant de Jabllanice. A peu près un dixième, 10 % aurait été
4 consacré à cette affirmation-là, et l'Accusation s'est contentée de lire
5 six de ces sept pages des 16 paragraphes de son mémoire en clôture. Il n'y
6 a eu aucune tentative d'expliquer ce qui a été la teneur de ces sept
7 paragraphes. L'Accusation a tout simplement répété ce que vous aviez déjà
8 eu l'occasion de lire avec le soin et la précaution qui vous caractérise.
9 Je sais que vous avez lu notre mémoire en clôture, c'est votre habitude et
10 je ne vais pas perdre votre temps en répétant ce que vous savez déjà.
11 Quels sont les faits établis en ce qui concerne Lahi Brahimaj et Jabllanice
12 ? Au-delà des éléments de rumeurs des forces serbes, il est très
13 consternant de constater qu'il y a peu de preuves fiables et crédibles en
14 ce qui concerne ce que faisait Lahi Brahimaj, où se trouvait-il à l'époque
15 pendant toute la période visée par l'acte d'accusation ? Vous avez sûrement
16 constaté qu'il semblerait que l'Accusation sous-estime l'importance du
17 Témoin 3. D'ailleurs, hier, lors de la présentation au PowerPoint vous
18 aurez sûrement remarqué que l'Accusation nous a montré une diapositive qui
19 indiquait deuxième enlèvement du Témoin 3. Tout d'un coup - et c'était
20 peut-être une décision sage - l'Accusation est passée à autre chose sans y
21 faire d'autres références.
22 Nous faisons valoir qu'il s'agit que cela a été fait parce qu'au mieux le
23 Témoin 3 est un témoin peu fiable, et d'ailleurs, il suffit de consulter le
24 paragraphe 183 de notre mémoire en clôture. Le Témoin 3 avait un mobile,
25 c'est-à-dire de rechercher une possibilité de relogement avec sa famille.
26 Il n'avait aucunement peur de Lahi Brahimaj mais dans son récit qui couvre
27 une période de quelques mois, son témoignage était tellement fantaisiste et
28 bourré d'histoires et de récits de bravoure que nous nous sommes posés la
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1 question de savoir à plusieurs reprises si nous n'étions pas en train
2 d'écouter un récit du Baron von Munchausen.
3 Quant au Témoin 6, nous avons déjà dans notre mémoire en clôture
4 traité en détail la question de son manque de fiabilité. Il s'agit des
5 paragraphes 86 à 122. Je vais me limiter à ce stade à mentionner quelques
6 indications importantes quant à ce témoin qui ne disait pas la vérité, qui
7 était évasif et qui n'était pas du tout fiable.
8 Là, on commence à froncer les sourcils lorsqu'il affirme qu'un officier de
9 police lui a déclaré le 30 juillet, c'est-à-dire plus d'un mois avant que
10 les autorités serbes n'affirment avoir découvert des restes humains au lac
11 Radoniq et, entre parenthèses, (nous reprenons ici tout ce qu'a dit Me
12 Emmerson au sujet de la fabrication d'éléments de preuve qui ont eu lieu à
13 ce moment-là), il affirme donc que le 30 juillet on lui a dit que le corps
14 de Nenad Remistar n'avait pas été abandonné au lac, comme beaucoup
15 d'autres, mais était peut-être enterré dans les montagnes. Page 5 312 du
16 compte rendu d'audience.
17 Selon nous, ceci conforte l'affirmation qui est la nôtre et selon laquelle
18 il ment délibérément et il embellit la réalité par haine des Brahimaj.
19 Quand il répond au sujet de ses relations avec le chef de la RDB à Gjakove,
20 on peut dire qu'il n'a pas vraiment été satisfaisant et qu'il n'a pas
21 vraiment preuve de franchise. L'idée selon laquelle il aurait rencontré par
22 hasard dans le café de l'hôtel Pashtrik cet homme, alors, même que les
23 forces serbes préparaient une attaque de grande envergure contre Jabllanice
24 et que Sreten Camovic lui ait simplement demandé : alors, comment ça va à
25 Jabllanice ? Cette idée ne résiste à aucun test et fait indéniablement
26 froncer les sourcils là.
27 Il faut se poser la question suivante : est-ce que vous pouvez -- est-ce
28 que l'on peut -- est-ce que vous pouvez chasser de votre esprit le soupçon
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1 très constant selon lequel le témoignage de cet homme a été acheté par ses
2 maîtres à Jagodina, qu'il va voir si souvent ? Nous affirmons qu'il était à
3 tout moment un agent des forces serbes. Comment sinon expliquer ce qu'il
4 dit parce qu'il déclare que, même après avoir pu quitter Jabllanice alors
5 qu'il était libre de le faire, il a décidé de ne pas le faire mais de
6 rester sur place et d'essayer de se renseigner sur les uns et les autres.
7 Il est clair que quand il est arrivé dans ce prétoire, il avait des
8 motivations, il voulait se venger parce qu'il avait été humilié. On l'avait
9 accusé de collaboration. On l'avait également accusé de port d'armes non
10 autorisé. Il s'agissait d'un pistolet et ce pistolet ainsi qu'une voiture
11 suspecte, vu son caractère luxueux, lui ont été confisqués, donc, il avait
12 une raison de se venger. Il l'a dit très clairement quand il a affirmé
13 qu'il avait dit à Nazmi Brahimaj qu'il y aurait du sang versé à cause de
14 cette voiture.
15 Ce n'est pas là la déclaration de quelqu'un qui a peur. En fait, c'est la
16 déclaration qui ouvre une vendetta contre la famille Brahimaj, il faut leur
17 faire payer parce que ce qu'ils ont fait, parce qu'ils ont pris la voiture,
18 et quand il est venu dans ce prétoire, c'était justement pour leur faire
19 payer ça. On voit cette obsession sur ce point quand il vous demande à
20 vous, Juges de la Chambre, à la fin de sa déposition : est-ce que vous
21 pourriez me dédommager ou me dire comment je peux me faire dédommager pour
22 cette voiture ? Est-ce qu'il s'agit là véritablement d'un témoin sur lequel
23 on peut s'appuyer au-delà de toute doute raisonnable ? Nous, nous répondons
24 que non, et nous répondons que lorsqu'on a affaire à un témoin de ce type,
25 il faut chercher des confirmations de ces dires. Or, il n'y en a aucune
26 d'après nous. Il faut que nous nous posions la question suivante : au sujet
27 des blessures très graves dont il dit avoir été victime, est-ce que,
28 véritablement, il a été passé à tabac par qui que ce soit ? Si c'est le
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1 cas, il n'a pas pu être battu avec la fréquence ou la gravité qu'il affirme
2 parce que, sinon, il aurait été blessé extrêmement grièvement. Pouvons-nous
3 véritablement croire que Lahi Brahimaj encourageait et tolérait ce genre de
4 mauvais traitement ? Est-ce que véritablement cet homme a eu des fractures,
5 comme il l'affirme ? Si c'est le cas, il est très étonnant de constater que
6 les enquêteurs du bureau du Procureur n'ont jamais cherché les radios, qui
7 était censé avoir ramenés à la maison, et qui, maintenant, mystérieusement
8 ont disparu. Nous avons posé la question à ce sujet le 12 novembre, nous
9 avons demandé à ce que l'on cherche ces radios, à ce qu'on les présente, et
10 nous attendons toujours.
11 Maintenant, en ce qui concerne les Témoins 3 et 6, on constate des
12 incohérences entre ce qu'ils ont dit et je vais me contenter de donner que
13 quelques exemples à ce sujet.
14 Le Témoin 2 affirme qu'il se trouvait à la caserne et qu'il y est resté
15 pendant trois jours et deux nuits.
16 Le Témoin 6 déclare que le Témoin 3 n'est resté sur place que quelques
17 heures seulement.
18 Le Témoin 6 affirme qu'il n'y avait qu'une seule personne sur place en
19 provenance de Grabanice, et vu les éléments qui nous ont été communiqués,
20 forcément ça doit être le Témoin 3.
21 Mais le Témoin 6 nous dit que cet homme n'a pas été passé à tabac, on ne
22 l'a même pas touché. Pourquoi ? Parce que son épouse venait de Jabllanice.
23 Le Témoin 6 affirme que Nazmi et Hamz ont frappé Pal Krasniqi. Le Témoin 3
24 lui déclare que non. C'était Naser, a.k.a. Rusi. Le Témoin 6 dit que deux
25 personnes ont essayé de s'échapper de ce centre de détention dont on nous
26 dit qu'il existait à ce moment-là, et le Témoin 3 nous dit qu'il y avait
27 qu'une seule personne qui a essayé de s'évader et que c'était Skender Kuci.
28 Les éléments relatifs aux événements de Jabllanice sont bien loin d'être
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1 satisfaisants. Ils sont bien maigres, mais les éléments montrant que Lahi
2 Brahimaj aurait été le commandant de cet endroit ces éléments n'existent
3 pas.
4 L'élément de preuve le plus convaincant peut-être dont dispose l'Accusation
5 qu'il est présenté à ce sujet il vient de Jakup Krasniqi.
6 Je souhaiterais vous renvoyer, Messieurs les Juges, à la page
7 5 010 du compte rendu d'audience. On l'a interrogé assez longuement sur
8 cette question, et finalement, qu'a-t-il fini par nous dire ? Il l'a dit,
9 je cite : "Moi, dans la zone de Dukagjin, c'était celui que je connaissais.
10 C'était celui avec lequel je communiquais. Je crois qu'il était responsable
11 de la zone à l'époque." Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce qu'il s'agit
12 là d'une preuve indiquant que Lahi Brahimaj était un officier qui
13 commandait des soldats dans la zone de Dukagjin ou même à Jabllanice ?
14 Selon nous, le bon sens doit nous indiquer, comme l'a dit d'ailleurs Jakup
15 Krasniqi, que les deux, lui-même et Lahi, collaboraient à l'époque dans les
16 montagnes de Berisha. Krasniqi savait très bien que Lahi venait de la
17 région, et s'il avait besoin de se renseigner au sujet du terrain, au sujet
18 des gens qui habitaient dans le secteur, bien entendu, qu'il allait
19 s'adresser à celui qui travaillait en collaboration étroite avec lui.
20 En juin, il n'existe aucun élément indiquant que Jakup Krasniqi ait
21 eu des contacts à Dukagjin même. La seule personne à laquelle il pouvait
22 s'adresser c'était celui dont tout le monde disait qu'il était fréquemment
23 dans les montagnes de Berisha, à savoir Lahi Brahimaj.
24 Il a également déclaré qu'il s'est rendu fréquemment à la caserne
25 avec lui, la caserne de Jabllanice, et qu'il n'a jamais vu de prison à cet
26 endroit.
27 L'INTERPRÈTE : Correction de l'interprète, il s'est rendu tout seul.
28 M. HARVEY : [interprétation] Il y a deux éléments de preuve qui font la
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1 lumière sur Lahi Brahimaj et sur le fait qu'il n'exécutait aucune fonction
2 de commandement de supérieur hiérarchique dans la région. Non. Et ces
3 éléments nous montrent qu'il avait d'autres responsabilités qui étaient
4 bien différentes.
5 Au début du mois de juin, le 8 juin, et je ne vais pas demander à ce qu'on
6 présente la pièce à conviction à l'écran. Il précise simplement qu'il
7 s'agit de la pièce 126 dans sa traduction en anglais page 7. Il est fait
8 référence à Dushkaja, qui fait l'objet de pression. Qu'est-ce que c'est
9 Dushkaja ? Dushkaja c'est la région où se trouve Jabllanice. Un nouveau
10 front est en train de se constituer et il est nécessaire de trouver des
11 officiers, des commandants et de la farine. On parle de la nécessité de
12 trouver des officiers, des commandants. Il n'est nullement dit là que Lahi
13 Brahimaj contrôle tout, qu'il passe, c'est Lahi qui contrôle le tout.
14 Pièce 206, maintenant, P206. Elle nous mène au 15 juillet. Il s'agit d'une
15 protestation faite par Lahi Brahimaj parce qu'il a été brutalisé par des
16 gardes à Gllogjan. Or, l'ironie veut que ça se soit déroulé sur la rue
17 Jabllanice, alors qu'il accompagnait un groupe qui venait d'Albanie et qui
18 se rendait dans Dashinoc. S'il était aussi connu qu'on nous le dit, s'il
19 était véritablement le commandant, est-ce que quiconque -- est-ce qu'aucun
20 soldat l'aurait traité de la sorte ? Est-ce qu'il aurait dû soulever sa
21 question à plusieurs reprises, comme nous l'indique cette pièce à
22 conviction ? Est-ce qu'il aurait dû véritablement produire une protestation
23 écrite ?
24 Dans la mesure où la thèse de l'Accusation repose sur des rumeurs et sur
25 des preuves par ouï-dire il faut que l'Accusation nous explique pourquoi le
26 Témoin 38 a expliqué qu'elle avait entendu dire que le commandant de
27 Jabllanice avait une longue barbe blanche ?
28 J'en arrive maintenant au deuxième volet de ma plaidoirie. Il s'agit de
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1 cette entreprise criminelle commune qui aurait existé. Je sais que vous
2 n'avez pu manquer de remarquer que l'on a un petit peu changé les données
3 du jeu. Au départ, on nous disait que l'objectif de l'entreprise criminelle
4 commune c'était de contrôler la zone. Puis ça évolué. Maintenant, on nous
5 dit que l'objectif de cette entreprise criminelle commune c'est le
6 nettoyage ethnique. Le nettoyage ethnique des Serbes qui se trouvaient dans
7 ce secteur. Or, il n'existe aucun élément de preuve crédible ou fiable qui
8 en atteste, aucun élément nous indiquant que des agissements de ce type
9 auraient eu lieu à Jabllanice.
10 Il est vrai que l'objectif des membres de l'UCK de Jabllanice, l'objectif
11 de tous ceux qui se battaient pour l'indépendance du Kosovo c'était bien
12 sûr de contrôler la zone, mais non pas en utilisant des mesures aussi
13 abjectes.
14 Tout comme l'a dit Me Emmerson au sujet de M. Haradinaj,
15 M. Haradinaj, qui n'avait aucune raison de penser qu'il y avait quoi que ce
16 soit qui clochait à Jabllanice, parce qu'il n'était pas là, il ne s'est
17 jamais rendu à cet endroit ou ne s'y est rendu que très rarement. Bien,
18 dans la même manière, il n'existe aucun élément indiquant que Lahi Brahimaj
19 s'y soit trouvé, sauf à de très rares occasions.
20 Soyons précis. On vous a parlé de deux de ces journées. Il s'y est rendu
21 une fois à la fin du mai lorsque Fadil Fazliu dit qu'il y ait, nous ne le
22 contestons pas. Puis, il y a une autre visite d'environ trois jours pendant
23 une période qui précède le 19 juillet. Pourquoi est-ce que j'évoque ceci ?
24 Parce que Bislim Zyrapi a dû partir des montagnes Berisha en compagnie de
25 Lahi Brahimaj qui travaillait au QG général -- de l'état-major général avec
26 lui, donc, ils ont fait ce déplacement à la mi-juillet jusqu'à d'abord à
27 Jabllanice, là, ils ont une réunion et après cette réunion M. Zyrapi s'est
28 rendu à Gllogjan et ça dans un certain nombre d'autres localités.
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1 Sa déposition indique qu'il s'est absenté pendant deux, voire trois jours.
2 Ensuite, on l'a rappelé de manière urgente à Jabllanice. Lahi Brahimaj lui
3 attendait avec des ordres.
4 Il lui a ordonné de l'emmener à Rahovec où les Serbes étaient en train de
5 mener une attaque, si bien que Lahi était à Jabllanice pendant deux ou
6 trois jours vers la fin -- fin juillet, enfin, son séjour s'est fini le 19
7 juillet.
8 Il devait emmener Bislim Zyrapi à Rahovec et ceci nous indique une vois
9 encore que ses fonctions étaient celles d'un officier d'état-major à
10 l'état-major général et pas d'un officier qui commandait à Jabllanice parce
11 que s'il y avait eu quand il y a une attaque serbe, il faut que le
12 commandant -- le chef reste à Jabllanice.
13 En dehors de cela, il n'existe aucuns éléments de preuve indiquant au-delà
14 de tout doute raisonnable que Lahi Brahimaj se soit trouvé à Jabllanice au
15 moment où Skender Kuci y aurait été amené, d'après ce que l'on nous a
16 affirmé.
17 La Chambre de première instance ne dispose d'aucune date fiable relative à
18 l'enlèvement de Skender Kuci. On ne sait pas très bien si M. Kuci a été
19 d'abord enlevé par des Serbes, peut-être maltraité par ces deniers avant
20 d'aller à Jabllanice. Si l'on part du principe que le Témoin 6 est en parti
21 du moins digne de foi et dit la vérité à ce sujet, malgré tout il reste
22 impossible de dire à quelle date l'homme de Zahaq est arrivé à Jabllanice
23 dans le coffre d'une voiture.
24 Lui, il nous dit que c'est une semaine ou deux avant qu'il ne soit remis en
25 liberté. Est-ce qu'il s'agit là de preuves au-delà de tout doute
26 raisonnable indiquant que Lahi Brahimaj se trouvait là à ce moment-là ? Et
27 bien, non.
28 De même pour ce qui est de Pal Krasniqi, nous ne disposons pas d'éléments
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1 indiquant au-delà de tout doute raisonnable que Lahi Brahimaj se trouvait
2 sur place au moment où cet homme aurait été emprisonné. Les éléments du
3 dossier nous indiquent la chose suivante : d'après Ded Krasniqi, Mahir
4 Demaj et Pal Krasniqi a quitté leur maison le 10 juillet à peu près. Il a
5 été passé à tabac par des Serbes ou -- ils ont été passés à tabac par des
6 Serbes cette nuit-là. Ils n'ont pas pu arriver à Jabllanice avant le 11 et
7 nous ne savons pas si c'est plus tard.
8 D'après la déclaration 92 bis de Mahir Demaj, nous savons qu'on les a
9 emmenés dans un hôpital de fortune à Jabllanice afin qu'ils récupèrent
10 suite à leur passage à tabac par la police serbe.
11 Mahir Demaj a précisé qu'on leur avait donné des uniformes cinq jours après
12 leur arrivée si bien que nous n'avons pas de date. Nous ne savons pas
13 quelle est la date précise à laquelle Pal Krasniqi aurait été présenté
14 comme un informateur ou un collaborateur. Et soit dit en passant,
15 permettez-moi d'ajouter que, lorsqu'on affirme que Pal Krasniqi a été
16 abattu près de la paroi du canal, il s'agit d'une simple supposition.
17 Cette affirmation ne serait être prouvée au-delà de tout doute raisonnable.
18 Les éléments de preuve médico-légaux nous montrent qu'il a été abattu et
19 qu'il a été tué quelque temps avant et son corps y a été amené
20 ultérieurement. Il était impossible d'exclure la possibilité, une
21 possibilité qui est tout à fait envisageable que cet homme qui était encore
22 en train de se remettre de ses blessures d'après le Témoin 6 s'il faut
23 ajouter foi à ses propos, cet homme, donc, le 25 juillet, il est, donc - je
24 le répète - impossible d'exclure la possibilité tout à fait envisageable
25 qu'il se trouvait toujours à Jabllanice au moment de l'attaque des Serbes
26 le 2 ou 3 août. Il est impossible d'exclure la possibilité ou que ce soit
27 peut-être les Serbes qui l'aient tué après l'avoir fait prisonnier ou
28 immédiatement et qu'ils se soient ensuite débarrassés de son corps à leur
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1 guise.
2 S'agissant du bureau du soi-disant bureau dont on nous dit que c'était
3 celui de Lahi Brahimaj dans la caserne de Jabllanice. Ici, encore,
4 l'Accusation affirme qu'il était toujours responsable de la zone de
5 Jabllanice parce qu'il avait un bureau à cet endroit. Or, ceci ne saurait
6 manquer de nous faire froncer les sourcils. C'est totalement dénué de
7 crédibilité.
8 Pjeter Shala a dit que -- qu'il dormait dans une sorte de bureau
9 enfin parce qu'il y avait une table. Pages 9 951, 9 953 du compte rendu
10 d'audience. Il dit que les officiers dormaient dans ce bureau. Or cette
11 affirmation, l'affirmation selon laquelle Lahi Brahimaj aurait été au
12 commandement de Jabllanice, cette affirmation repose sur -- une approche
13 que nous qualifierions d'antihistorique ou d'à historique adoptée par
14 l'Accusation.
15 L'Accusation a rassemblé vite fait quelques éléments d'information
16 provenant des services de Renseignements serbes, éléments rassemblés entre
17 1995 et 1997. A cela, l'Accusation a ajouté des morceaux éparts venant de -
18 - tout différents moments situés entre 1997 et 1998, peu importe que ces
19 éléments datent de la période précédent ou suivant l'acte d'accusation ou
20 qu'ils datent de la période de l'acte d'accusation lui-même.
21 Ensuite, l'Accusation a jeté tout cela dans une marmite. Elle a
22 mélangé cela. Elle a mis le feu et c'est tout. Ce n'est pas ainsi sur une
23 telle base que le Tribunal peut déterminer quel a été le rôle joué par Lahi
24 Brahimaj.
25 L'Accusation va même plus loin. Elle dit qu'il s'agit d'une affaire
26 fondée sur les similitudes, les ressemblances. Il ne s'agit pas à ses yeux
27 d'une affaire où toutes ces affirmations doivent être testées à la lumière
28 de la norme du doute raisonnable. L'approche pas à pas prônée par Me
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1 Emmerson est la seule approche possible. Je suis convaincu que ce sera
2 l'approche suivie par la présente Chambre de première instance.
3 L'affirmation, l'Accusation affirme que Lahi Brahimaj contrôlait
4 Jabllanice à tout moment, y compris pendant la période couverte par l'acte
5 d'accusation et cette affirmation s'affirme -- se repose sur la seule
6 affirmation selon laquelle il disposait d'un bureau, d'une pièce dans la
7 caserne. Cette caserne improvisée. Il s'agit d'une allégation tout à fait
8 pathétique.
9 Nous avons entendu de nombreux récits faits par de nombreux témoins
10 et comme l'a indiqué à juste titre Me Guy-Smith nombre de ces témoins ont
11 fait leur déclaration de nombreuses années après les faits. Ce n'est pas
12 une affaire instruite par un juge d'instruction qui aurait recueilli des
13 déclarations sous témoin. Un certain nombre de déclarations initiales ont
14 été démolies, ont disparues lorsque les témoins ont été appelés à la barre,
15 notamment en ce qui concerne l'identification qui est un détail tout à fait
16 important. La déclaration préalable d'un témoin en particulier n'a pas été
17 versée au dossier car elle n'a pas été testée dans son contre-
18 interrogatoire pour des raisons manifestes. Il s'agit de la pièce P1248, la
19 déclaration faite en application de l'article 92 quater du père du Témoin
20 6. Nous affirmons que cette déclaration ne saurait corroborer les
21 affirmations du Témoin 6 contre Lahi Brahimaj, notamment parce que le
22 Témoin 6 était présent dans la pièce au moment où la déclaration a été
23 recueillie. Il était tout à fait en mesure d'en influencer le contenu.
24 Je renvoie les Juges au paragraphe 173 de notre mémoire. Nous parlons des
25 doutes importants qui subsistent quant à l'affirmation de Pjeter Shala
26 quant à laquelle la police militaire a été créée dès le mois de mars 1998.
27 Cela ne peut pas être le cas si comme il affirme Hashim Thaqi a contribué à
28 sa nomination et l'a recommandé pour être chef de la police militaire --
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1 pour être membre de la police militaire.
2 Je m'excuse, j'ai renvoyé les Juges de la Chambre au paragraphe 173 de
3 notre mémoire; en fait, j'avais à l'esprit le paragraphe 173 du mémoire en
4 clôture de l'Accusation. Il s'agit à notre sens d'une affirmation tout à
5 fait erronée. Nous appelons l'attention des Juges de la Chambre au
6 paragraphe 617 du mémoire en clôture de l'Accusation concernant la
7 dépouille de [imperceptible], et les conclusions qui peuvent être tirées de
8 cette découverte.
9 Nous faisons observer l'utilisation du terme probablement par l'Accusation
10 et tout Juge du fait doit en conclure que l'on ne peut pas se fonder sur ce
11 qui est probable.
12 La pierre d'achoppement de notre argumentation c'est que nous vous
13 demandons d'adopter une approche guidée par le bon sens. A votre sens,
14 quelle était véritablement la situation dans la zone à l'époque à
15 Jabllanice, compte tenu des conditions où se trouvait l'UCK dans sa
16 première phase qui était constamment harcelée, attaquée, menacée
17 d'arrestation et de meurtre, c'est ainsi qu'opéraient les membres de l'UCK.
18 Nous disposons de quelques éléments historiques sur la manière dont ont
19 évolué les mouvements de libération nationale, les combats victorieux menés
20 par l'ANC en Afrique du Sud. Nous savons que Nelson Mandela a commencé son
21 action avec un petit groupe de personnes. Ils ont suivi une formation
22 militaire, ils sont revenus au pays. Ils ont essayé de changer les choses.
23 Ils ont commencé par mener des attaques de sabotage. Ils ont attaqué des
24 installations de la police. Très rapidement, ils ont été arrêtés,
25 condamnés, d'autres ont pris leur place et petit à petit ils ont fait des
26 avancées à certains endroits. Ils ont perdu du terrain ailleurs, et
27 toujours, ils ont dû réagir face aux tactiques utilisées par l'ennemi.
28 En 1960, la branche armée de l'ANC au bout de 30 ans a finalement créé en
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1 1960, a finalement obtenu gain de cause, à la libération de Mandela en
2 1990. Il a fallu encore quatre années pour arriver au pouvoir. L'UCK s'est
3 développé de façon encore plus rapide mais les circonstances erratiques ont
4 fait de cette révolution, une révolution douloureuse. Donc, nous vous
5 demandons d'adopter une approche guidée par le bon sens. Et les choses ne
6 sont pas aussi simples que l'Accusation voudrait vous le faire croire. Nous
7 vous demandons de tenir compte de la situation probable dans laquelle se
8 trouvait Lahi Brahimaj, lorsque les gens disent à son sujet qu'il était
9 commandant ou le commandant de Jabllanice. Je vous invite à examiner toutes
10 les références faites à ce sujet par les témoins, tels que Zoran Stijovic.
11 Tous se fondent sur des sources datant de 1996, 1997 et février 1998 au
12 plus tard.
13 Nous convenons que Lahi Brahimaj était sans doute la personnalité la plus
14 importante à Jablanica à l'époque mais les circonstances changent. Ramush
15 Haradinaj arrive plus ou moins à cette époque dans la région. Nazmi
16 Brahimaj lui aussi revient au pays à cette époque, et c'est là que le
17 combat commence à changer. Plus tard, d'autres chefs reviennent au pays
18 notamment à la fin du mois de mai. Hashim Thaqi, et alors ce qui compte
19 vraiment c'est de consolider l'état-major général à l'intérieur du pays,
20 car le bon sens nous dit et des témoins ont confirmé qu'il y avait un
21 certain mécontentement au sein du mouvement dans le pays. Mécontentement au
22 sujet des chefs qui se trouvaient ailleurs en Albanie ou ailleurs. Il a
23 reconnu que c'était pour cela qu'il était important qu'il revienne au pays
24 et qu'il porte le combat plus loin.
25 Ce faisant, pour cela, ils avaient besoin avant tout de l'aide de l'un des
26 rares membres de l'état-major général qui était resté au pays, Lahi
27 Brahimaj. Il ne devait pas se retrouver isoler à Jabllanice, il fallait
28 qu'il se retrouve avec eux dans les montagnes de Berisha à consolider,
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1 renforcer l'état-major.
2 Quelles étaient ses fonctions, alors ? Il s'agissait d'organiser les
3 axes de ravitaillement, comme il a été indiqué dans la plainte mentionnée à
4 la pièce P206, et il devait également s'occuper du financement de l'UCK, de
5 l'aspect financier des choses. Donc si vous dirigez une organisation de ce
6 type, il ne faut pas que l'officier chargé des finances soit en vadrouille
7 et fasse -- mène à bien des activités tout à fait distinctes de celles
8 menées par l'état-major général. Le bon sens nous dit que les propos du
9 colonel Crosland sont tout à fait fiables et que l'on peut s'appuyer sur
10 son témoignage. La situation à l'époque au cours de la période visée par
11 l'acte d'accusation était très changeante. Un mouvement de libération
12 national en plein développement ne pouvait pas être statique lorsque de
13 nouveaux commandants prenaient les choses en main dans une zone, par
14 exemple, Nazmi comme nous le savons a pris les choses en main à Jabllanice.
15 Il était inutile que Lahi reste là. Il avait des capacités, une expérience
16 trop importante pour être gâchée. Il ne se trouvait absolument pas dans le
17 secteur du lac Radoniq ni à Jabllanice. Ses fonctions ne consistaient pas à
18 commander les soldats sur le terrain et n'avait rien à voir avec les
19 personnes soupçonnées de collaboration. Tout cela ne relevait pas de sa
20 compétence. Ses connaissances au sujet des axes de ravitaillement en
21 provenance d'Albanie, axe dont il s'occupait depuis des mois, voire des
22 années. D'après les documents du renseignement sur lesquels se fonde avec
23 insistance l'Accusation ces connaissances, disais-je, sont primordiales
24 pour l'état-major général au moment où celui-ci cherche à renforcer sa
25 lutte à un moment -- à un tournant du processus de libération du Kosovo.
26 Voilà ce qui se passait.
27 Il ne nous a appartient pas de prouver tout cela.
28 Nous avons fait usage du droit qui est celui de notre client de mettre
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1 l'Accusation face au mur. L'Accusation n'a absolument à prouver ces thèses,
2 nous faisons valoir que notre client doit être déclaré coupable - excusez-
3 moi - non, bien sûr, il ne doit pas être déclaré coupable; selon nous,
4 notre client doit être acquitté de tous les chefs d'accusation.
5 Je remercie les Juges de la Chambre de l'attention qu'ils nous ont portée
6 pendant toute la durée du procès.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Maître Harvey.
8 Monsieur Re, je pense qu'il est inutile de vous inviter à présenter votre
9 réplique. Nous allons donc lever l'audience et nous reprendrons demain, le
10 23 janvier, à 14 heures 15 dans cette même salle d'audience. Vous aurez
11 alors une heure, Monsieur Re. Les conseils de la Défense auront en tout une
12 heure et demie pour leur duplique. S'il reste des questions à poser, nous
13 nous adresserons directement au conseil.
14 L'audience est levée.
15 --- L'audience est levée à 18 heures 57 et reprendra le mercredi 23 janvier
16 2008, à 14 heures 15.
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