Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mercredi 28 octobre 2009

  2   [Audience d'appel]

  3   [Audience publique]

  4   [Les appelants sont introduits dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 01.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais demander au greffier de

  7   citer l'affaire inscrite au rôle.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges.

  9   Bonjour à tous. Affaire IT-04-84-A, le Procureur contre Ramush Haradinaj et

 10   consorts.

 11   M. LE JUGE ROBINSON: [interprétation] Monsieur Brahimaj, je dois vous

 12   demander si vous m'entendez et si vous suivez les débats grâce au service

 13   d'interprétation.

 14   L'APPELANT BRAHIMAJ : [aucune interprétation]

 15   M. LE JUGE ROBINSON: [interprétation] Je vous remercie.

 16   Je vais maintenant demander aux parties de se présenter, à commencer par

 17   l'Accusation.

 18   M. KREMER : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Peter

 19   Kremer au nom de l'Accusation, avec l'aide ce matin de Mme Martin Salgado

 20   et de M. Marwan Dalal, et à ma gauche notre commis à l'audience à

 21   l'affaire, Colin Nawrot.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

 23   Au nom de M. Haradinaj ?

 24   M. EMMERSON : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président.

 25   Ben Emmerson et mon co-conseil au nom de M. Haradinaj sera Rodney Dixon.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pour M. Balaj.

 27   M. GUY-SMITH : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

 28   Messieurs les Juges. Maître Guy-Smith avec Collen Rohan et Chad Mair. Nous

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  1   défendons les intérêts de M. Idriz Balaj.

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Excusez-moi d'avoir mal prononcé ce

  3   nom, Monsieur Balaj.

  4   Monsieur Brahimaj.

  5   M. HARVEY : [interprétation] Je m'appelle Richard Harvey et je défends les

  6   intérêts de M. Brahimaj avec Mme Trapani, Mme Jasini et M. Troop, ce matin.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Maître Harvey.

  8   Nous entamons l'audience d'appel dans l'affaire le Procureur contre Ramush

  9   Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj. Je vais tout d'abord procéder à un

 10   bref rappel des dossiers d'appel et vous dire de quelle façon l'audience va

 11   se tenir aujourd'hui. M. Brahimaj, tout comme l'Accusation, ont interjeté

 12   appel du jugement en première instance rendu le 3 avril 2008 par la Chambre

 13   de première instance numéro I, qui se composait du Juge Président Alphones

 14   Orie et des Juges Frank Hoepfel et Ole Bjorn Stole.

 15   La Chambre de première instance a estimé que les éléments de preuve qui lui

 16   avaient été présentés ne suffisaient pas à établir l'existence d'une

 17   entreprise criminelle commune à laquelle auraient participé les trois

 18   accusés. La Chambre a acquitté les trois accusés des chefs 6, 14, 20, 22,

 19   30, 36 et 37 de l'acte d'accusation. La Chambre de première instance a

 20   également acquitté M. Haradinaj et M. Balaj des chefs 28 et 32. Et la

 21   Chambre a jugé que M. Brahimaj n'était pas responsable des chefs retenus

 22   contre lui, des chefs 28 et 32 de l'acte d'accusation qui lui reprochaient

 23   d'avoir participé à une entreprise criminelle commune. La Chambre de

 24   première instance a acquitté M. Haradinaj et M. Balaj de tous les chefs

 25   subsidiaires de l'acte d'accusation.

 26   Elle a jugé que M. Brahimaj était coupable de torture, crimes

 27   consécutifs, de violation des lois et coutumes de la guerre, retenus au

 28   chef 28 de l'acte d'accusation et de torture et traitements cruels

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  1   constitutifs de violations des droits et coutumes de la guerre retenus au

  2   chef 32 de l'acte d'accusation. La Chambre de première instance a estimé

  3   que M. Brahimaj n'était pas coupable de tous les autres chefs contenus dans

  4   l'acte d'accusation et l'a condamné à une peine unique de six ans de

  5   réclusion.

  6   Je vais tout d'abord résumer l'appel interjeté par M. Brahimaj. Il a

  7   demandé l'annulation des condamnations prononcées par la Chambre de

  8   première instance pour ce qui est de la torture et du traitement des

  9   Témoins 3 et 6 compris aux chefs 28 et 32 de l'acte d'accusation. De plus,

 10   et à titre subsidiaire, M. Brahimaj demande une diminution de la peine

 11   imposée, et il présente 19 moyens d'appel.

 12   Premier moyen d'appel. M. Brahimaj fait valoir qu'en concluant à sa

 13   participation au traitement cruel et à la torture du Témoin 6, la Chambre

 14   de première instance a commis des erreurs de fait comme de droit en ne

 15   tenant pas compte ou en ne motivant pas correctement les rejets de

 16   questions fondamentales concernant la crédibilité du Témoin 6.

 17   Deuxième moyen d'appel, Brahimaj fait valoir que la Chambre a commis

 18   une erreur de droit comme de fait lorsqu'elle a conclu que le Témoin 6

 19   avait été torturé parce qu'on voulait le punir, étant donné qu'on le voyait

 20   comme étant un collaborateur des Serbes, et qu'il a été victime de

 21   discrimination pour des raisons politiques. Troisième et quatrième moyens

 22   d'appel, Brahimaj allègue que lorsqu'il a été jugé coupable de torture et

 23   de traitement cruel à l'encontre du Témoin 3, la Chambre de première

 24   instance n'a pas bien appliqué les critères régissant l'administration de

 25   la preuve au-delà de tout doute raisonnable, et que in dubio pro reo, la

 26   Chambre n'a pas bien tenu compte des contradictions qui étaient apparues

 27   entre les dépositions des Témoins 3 et 6.

 28   Cinquième moyen d'appel, M. Brahimaj soutient que la Chambre a commis

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  1   des erreurs de droit comme de fait en ne procédant pas à une juste

  2   évaluation de la fiabilité et de la crédibilité du Témoin 3.

  3   Sixième moyen d'appel, M. Brahimaj affirme que la Chambre de première

  4   instance a commis des erreurs de droit comme de fait lorsqu'elle a procédé

  5   à l'évaluation du Témoin 3 quant à son retour à Jablanica.

  6   Septième et huitième moyens d'appel, il affirme qu'en concluant à sa

  7   responsabilité pour traitement cruel et torture du Témoin 3, l'accusation

  8   retenue au chef 32 au chef d'accusation, la Chambre de première instance

  9   n'a pas précisé de façon suffisamment précise si elle avait l'intention de

 10   le déclarer coupable des premiers sévices présumés du Témoin 3, et dans

 11   l'affirmative, que la Chambre n'a pas dûment motivé sa conclusion, et

 12   commis aussi des erreurs de fait.

 13   Neuvième moyen d'appel, Brahimaj fait valoir que la Chambre s'est

 14   trompée en droit comme en fait en concluant que si le Témoin 3 avait été

 15   maltraité, c'était parce qu'on voulait le punir pour port d'armes et parce

 16   qu'on estimait qu'il avait des liens avec les Serbes. De surcroît, ou à

 17   titre subsidiaire, M. Brahimaj affirme que l'Accusation n'a pas réussi à

 18   apporter la preuve d'un ou de plusieurs des éléments matériels constitutifs

 19   de l'accusation de torture.

 20   Dans les moyens 10 à 19, il interjette l'appel de la peine de six ans

 21   qui lui a été imposée, aux motifs que la Chambre a commis de nombreuses

 22   erreurs de droit et de fait en jugeant qu'il s'agissait là d'une peine

 23   adéquate. Plus précisément, il affirme que la Chambre a eu tort,

 24   premièrement, de conclure que le poste de responsabilité qu'il avait occupé

 25   auparavant représentait une circonstance aggravante; deuxièmement, en

 26   concluant que le poste qu'il avait comme membre de l'état-major général de

 27   l'UCK était un poste de haut rang dans l'UCK, et que c'était ainsi une

 28   circonstance aggravante; troisièmement, en concluant que le fait qu'il

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  1   avait été auparavant commandant adjoint de la zone de Dukagjin équivalait à

  2   occuper un poste de haut rang au sein de l'UCK, et que c'était, par

  3   conséquent, une conséquence aggravante; quatrièmement, en concluant que sa

  4   présence devait nécessairement avoir pour effet sur les soldats de les

  5   encourager à commettre des crimes; cinquièmement, en concluant qu'il avait

  6   commis des crimes en présence de subalternes; sixièmement, en concluant que

  7   la vulnérabilité spéciale des Témoins 3 et 6 était une circonstance

  8   aggravante; septièmement, en concluant que le Témoin 6 avait toujours des

  9   séquelles de ses traumatismes physiques et que c'était là une circonstance

 10   aggravante; huitièmement, en concluant que le Témoin 3 souffrait toujours

 11   d'un traumatisme physique et mental; neuvièmement, en concluant qu'après

 12   avoir appris la mort de Skender Kuci, le Témoin 6 s'est senti de plus en

 13   plus menacé, ce qui constitue une circonstance aggravante; dixièmement,

 14   parce que la Chambre n'aurait pas exercé son pouvoir à bon escient en

 15   fixant une peine manifestement disproportionnée au vu des circonstances.

 16   Dans sa réponse, l'Accusation dit que l'appel interjeté par M.

 17   Brahimaj devrait être rejeté dans sa totalité.

 18   Passons maintenant à l'appel déposé par l'Accusation. L'Accusation

 19   demande à la Chambre d'appel d'annuler le verdict d'acquittement prononcé

 20   par la Chambre de première instance en ce qui concerne M. Haradinaj, M.

 21   Balaj et M. Brahimaj, qui étaient accusés de responsabilité individuelle

 22   pénale pour avoir participé à une entreprise criminelle commune, par le

 23   biais de crimes commis au QG de l'UCK et à la prison de Jablanica retenus

 24   au chefs d'accusation 24, 25, 28, 30, 32 et 34 de l'acte d'accusation,

 25   accusés également de responsabilité pénale individuelle au titre des chefs

 26   24 et 34 de l'acte d'accusation; demande aussi que la Chambre de première

 27   instance infirme la décision de la Chambre qui avait acquitté Brahimaj de

 28   sa responsabilité pénale individuelle au chef 26 de l'acte d'accusation.

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  1   Elle demande à la Chambre d'appel le renvoi de l'affaire en première

  2   instance devant une Chambre qui rejugera les faits concernés par ces chefs

  3   d'accusation.

  4   L'Accusation demande aussi à la Chambre d'appel d'affirmer

  5   l'acquittement prononcé, pour ce qui est de M. Balaj en matière de crime et

  6   de le déclarer coupable au titre du chef 14 de l'acte de l'accusation pour

  7   meurtre, un élément constitutif de violation des lois et coutumes de la

  8   guerre, au titre de l'article 3 du Statut, pour avoir aidé et encouragé à

  9   l'assassinat de la sœur S, de la mère du Témoin 4, de la sœur M et de lui

 10   imposer une peine correspondant à ces condamnations.

 11   De plus, l'Accusation demande à la Chambre d'appel d'infirmer

 12   l'acquittement de M. Balaj et de le déclarer coupable des chefs 36 et 37 de

 13   l'acte d'accusation pour viol, torture et traitement cruel du Témoin 61, et

 14   pour traitement cruel du Témoin 1, éléments constitutifs des violations des

 15   lois et coutumes de la guerre, en vertu de l'article 3 du Statut, et de lui

 16   imposer une peine correspondant à ces condamnations.

 17   L'Accusation présente trois moyens d'appel. Premier moyen d'appel.

 18   Elle fait valoir que la Chambre de première instance a commis une erreur de

 19   droit en n'accordant pas à l'Accusation le droit qu'elle a à un procès

 20   équitable, comme le dit l'article 21 du Statut, car la Chambre a refusé de

 21   lui donner un supplément de temps qui lui aurait permis d'épuiser toutes

 22   les mesures raisonnables lui permettant d'obtenir le témoignage de deux

 23   témoins capitaux, et parce que la Chambre a ordonné à l'Accusation de

 24   terminer la présentation de ses moyens avant que l'Accusation n'ait pu

 25   prendre ses mesures raisonnables.

 26   Deuxième moyen d'appel, l'Accusation affirme qu'en acquittant Idriz

 27   Balaj du fait qu'il aurait aidé et encouragé à la commission de

 28   l'assassinat de la sœur S, de la mère du Témoin 4 et de la sœur M, retenu

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  1   au chef 14 de l'acte d'accusation, la Chambre de première instance a commis

  2   une erreur de droit comme de fait lorsqu'elle a conclu que les éléments

  3   constitutifs, éléments moraux et matériels constitutifs, donc, de cette

  4   infraction n'avaient pas été constitués.

  5   Troisième moyen d'appel, l'Accusation affirme que la Chambre s'est

  6   trompée en droit comme en fait lorsqu'elle a conclu qu'Idriz Balaj n'était

  7   pas responsable de viol, torture et traitement cruel du Témoin 61 et de

  8   traitement cruel du Témoin 1.

  9   Les accusés répondent : Haradinaj, Balaj et Brahimaj font valoir que

 10   l'appel interjeté contre le verdict d'acquittement prononcé par la Chambre

 11   de première instance concernant chacun d'eux devrait être rejeté et que le

 12   jugement de la Chambre de première instance devrait être confirmé.

 13   Les parties ont, bien entendu, toute latitude pour présenter, comme

 14   bon leur semble, leurs moyens d'appel dans l'ordre qu'elles souhaitent,

 15   mais je les exhorte à ne pas répéter in extenso ce qui a déjà été présenté

 16   dans les mémoires et de ne pas trop les résumer, car la Chambre a

 17   connaissance de ces mémoires, elle les a déjà examinés.

 18   Nous allons procéder comme le prévoit l'ordonnance portant calendrier

 19   du 25 août 2009. L'Accusation va disposer ce matin d'une heure et 20

 20   minutes pour présenter ces moyens, nous aurons ensuite une pause de 30

 21   minutes, puis les avocats de M. Haradinaj auront un temps de réponse de 55

 22   minutes. Les conseils de M. Balaj disposeront du même temps de réponse.

 23   Après quoi nous ferons une pause d'une heure. Ensuite, les conseils de M.

 24   Brahimaj disposeront d'un temps de réponse de 55 minutes. L'Accusation aura

 25   30 minutes pour présenter sa réplique. Suivra une pause de 15 minutes,

 26   après laquelle les conseils de M. Brahimaj disposeront d'une heure 20 pour

 27   présenter leurs moyens. Nous aurons ensuite une pause de 30 minutes,

 28   l'Accusation aura 55 minutes pour répondre.

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  1   Ensuite les conseils de M. Brahimaj disposeront de 30 minutes pour

  2   présenter leur réplique et nous aurons 15 minutes qui sont prévues pour

  3   permettre à M. Brahimaj de faire une déclaration personnelle, s'il le

  4   souhaite.

  5   Nous allons maintenant donner la parole à l'Accusation. Vous avez la

  6   parole Monsieur Kremer.

  7   M. KREMER : [interprétation] Je vais présenter les arguments de

  8   l'Accusation s'agissant du moyen d'appel numéro 1 et mon collègue, Mme

  9   Martin Salgado, présentera les arguments relatifs au moyen d'appel numéro 3

 10   et elle sera disponible pour répondre à des questions s'agissant du moyen

 11   d'appel numéro 2.

 12   Moyen d'appel 1, violation du droit de l'Accusation à un procès équitable

 13   en vertu de l'article 20(1) des Statuts.

 14   Le mandat de la Chambre de première instance, conformément à l'article

 15   20(1) des Statuts, est de veiller à ce que le procès soit tant équitable

 16   que rapide. L'article 20(1) prévoit par ailleurs que le procès doit être

 17   mené en tenant dûment compte de la nécessité de protéger tant les victimes

 18   que les témoins. Il est laissé à l'appréciation de la Chambre de première

 19   instance de veiller à appliquer les règles de manière à ce que le procès

 20   soit effectivement équitable. Face aux éléments de preuve indiquant des

 21   intimidations de masse des témoins dans cette affaire, la Chambre de

 22   première instance aurait pu souhaiter attacher moins d'importance à la

 23   rapidité des procès afin de veiller à ce que le procès soit équitable; la

 24   Chambre de première instance ne l'a pas fait. Elle aurait pu être plus

 25   souple dans les délais de manière à ce que la justice puisse être

 26   administrée, la vérité puisse être établie; elle ne l'a pas fait. Elle

 27   aurait pu abandonner un cours rigide afin d'appliquer les règles de manière

 28   à veiller à ce que la participation soit efficace; et ça n'a pas été le

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  1   cas, en dépit des intimidations des victimes.

  2   Lorsque la Chambre de première instance a mis fin à la déposition de

  3   l'Accusation, et compte tenu de la situation inhabituelle de deux témoins

  4   cruciaux qui n'ont pas pu témoigner en raison d'intimidation, il y allait

  5   de l'intérêt de la justice de veiller à ce que la Chambre de première

  6   instance puisse recevoir les éléments de preuve sous forme écrite au titre

  7   de l'article 89(F) du Règlement. Ces déclarations étaient très crédibles,

  8   avaient valeur probatoire et étaient très pertinentes. La Chambre de

  9   première instance aurait pu avoir recours à l'article 92 quater du

 10   Règlement s'agissant des orientations, des conditions pour la présentation

 11   de ces moyens de preuve. La Chambre d'appel dans l'affaire Tadic a reconnu

 12   que la Chambre de première instance avait l'obligation de déterminer si les

 13   règles ou les Statuts pouvaient être utilisés afin de résoudre une

 14   situation dans laquelle les parties présentent des griefs liés à des

 15   difficultés relatifs à la participation de témoins au procès en Chambre de

 16   première instance. Tadic AJ 55. Nous estimons que cela est en conformité

 17   avec l'obligation de la Chambre de première instance qui doit utiliser les

 18   pouvoirs à sa disposition afin de veiller à ce que le procès soit équitable

 19   pour les deux parties.

 20   Le procès a commencé le 5 mars 2007. Les arguments de l'Accusation

 21   sont arrivés à leur conclusion six mois plus tard. Deux mois plus tard, le

 22   réquisitoire fut entendu, le jugement fut rendu quelque deux mois plus

 23   tard. La Chambre de première instance a agi de façon rapide, mais à ce

 24   moment-là, l'intimidation des témoins avait eu un impact négatif sur le

 25   procès et l'on n'a pas pu entendre un certain nombre d'éléments de preuve

 26   pour en tout cas deux témoins tout à fait essentiels. La Chambre de

 27   première instance devait veiller à ce que cette situation soit réglée afin

 28   que soit mis fin aux intimidations dont ont été victimes les témoins. La

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  1   Chambre de première instance n'a pas pris les mesures suffisantes afin de

  2   veiller à ce qu'il y ait procès équitable.

  3   Je commencerais par indiquer que le recours au titre de moyen d'appel

  4   numéro 1 est une volonté de procéder à un nouveau procès pour l'entreprise

  5   criminelle commune et la responsabilité des trois intimés pour les crimes

  6   sur le site du QG de l'UCK à Jablanica. Dans la présentation de mes

  7   arguments, j'entends faire référence à ces chefs d'accusation en les

  8   désignant comme étant chefs d'accusation de Jablanica. Ces deux témoins

  9   disposaient d'éléments de preuve pertinents et ayant valeur probatoire.

 10   Mais ils ont été intimidés et ont refusé de témoigner parce qu'ils

 11   redoutaient les conséquences de leur témoignage. Le 5 juin, Shefqet Kabashi

 12   est apparu à la barre, et après avoir refusé que s'appliquent des mesures

 13   de protection, a déposé en faisant part de la façon dont ce témoin estimait

 14   que s'appliquaient ces mesures de protection dans cette affaire. Il n'a pas

 15   nié le contenu des déclarations du bureau du Procureur et des enquêteurs,

 16   il a simplement refusé de déposer sachant que les faits incriminés dans

 17   l'acte d'accusation s'appliquaient à lui.

 18   Je vous invite à vous reporter à son témoignage du 5 juin 2007

 19   paragraphe 10. Il dit :

 20   "Je suis déçu, pas simplement déçu, mais certaines choses se sont

 21   passées et ne devraient pas se passer dans un monde moderne tel que celui-

 22   ci. Vous-même n'avez peut-être pas été confrontés à de telles situations,

 23   mais il y a un certain nombre de personnes qui n'apparaissent même pas sur

 24   la liste des témoins parce qu'ils ont été tués. Moi, je ne souhaite pas que

 25   s'applique à moi des mesures de protection parce que de telles mesures

 26   n'existent pas dans la réalité, ces mesures n'existent qu'au sein de ce

 27   Tribunal et non en dehors de ce Tribunal."

 28   Pages 5 439 à 5 440 du compte rendu en audience publique.

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  1   Ce que Kabashi indique c'est que l'intimidation est un moyen efficace

  2   et les protections mises en place par la Chambre de première instance ne le

  3   sont pas. Il en va de même de l'autre témoin. Dans une télécopie portant la

  4   date du 3 juillet 2007, il décrit des menaces qui ont eu une influence sur

  5   sa volonté de ne pas témoigner. Les contenus cités au paragraphe 14

  6   figurent dans le mémoire en appel confidentiel. Et je souhaiterais vous

  7   rappeler de ce qui figure dans ce texte. Peut-on passer à huis clos

  8   partiel.

  9   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 10   [Audience à huis clos partiel]

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 27   [Audience publique]

 28   M. KREMER : [interprétation] Les menaces de morts dirigées vers des témoins

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  1   ou contre des membres de leurs familles étaient un moyen utilisé de façon

  2   courante afin d'exercer des intimidations sur les témoins afin qu'ils ne

  3   déposent pas, et ceci a été indiqué à la Chambre de première instance. Dans

  4   le jugement Haraqija et Morina, la Chambre de première instance a discuté

  5   des moyens d'intimidation utilisés par Morina à l'encontre de témoins

  6   protégés, le Témoin 2, afin de veiller à ce qu'il ne dépose pas dans cette

  7   affaire. Les mesures de protection n'ont pas permis au Témoin 2 d'être

  8   protégé de ces contacts et intimidations devant l'emmener à retirer sa

  9   déposition dans l'affaire Haradinaj et consorts. On lui a indiqué, en

 10   effet, qu'il serait bon, et là je cite le paragraphe 42 de l'arrêt :

 11   "…puisque tous les témoins ont été tués."

 12   Le Témoin 2 a déposé. Cet appel porte sur deux témoins-clés qui n'ont

 13   pas déposé, Shefqet Kabashi et l'autre témoin. Leur déposition était

 14   essentielle s'agissant des chefs d'accusation ayant trait au site de

 15   Jablanica. Puisque Shefqet Kabashi était un ancien membre de l'UCK qui

 16   était stationné à Jablanica, et dans sa déclaration du 24 octobre 2004, il

 17   indiquait que Ramush Haradinaj s'était rendu sur le site des QG de l'UCK de

 18   Jablanica et dans la prison de Jablanica, et ce, à intervalles réguliers,

 19   accompagné d'Idriz Balaj. Il a vu deux individus hommes rom détenus parce

 20   qu'on les soupçonnait d'être des collaborateurs des Serbes à la prison de

 21   Jablanica, et a entendu Lahi Brahimaj indiqué qu'il devrait "être envoyé à

 22   Drenica," un euphémisme bien connu qui signifie exécuter. Lahi Brahimaj,

 23   Idriz Balaj et d'autres ont passé à tabac des détenus et ont fait subir des

 24   sévices corporels à la prison de Jablanica. Il a vu Lahi Brajimaj et Idriz

 25   Balaj faire subir des sévices aux prisonniers à la prison de Jablanica,

 26   Idriz Balaj ayant été particulièrement cruel et ceci était notoire.

 27   Je souhaiterais que nous passions à nouveau en huis clos partiel et ce sera

 28   la dernière fois que nous passerons en huis clos partiel.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, huis clos partiel.

  2   M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Messieurs

  3   les Juges, nous sommes en huis clos partiel.

  4   [Audience à huis clos partiel]

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 14   [Audience publique]

 15   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Monsieur Kremer, deux questions, si

 16   vous le permettez. A quel moment estimez-vous que la Chambre de première

 17   instance aurait eu le droit de mettre fin à cette tentative visant à

 18   s'assurer que les témoins, les deux témoins en question, des témoins

 19   récalcitrants, viennent témoigner ? Deuxièmement, pourriez-vous nous

 20   expliquer pourquoi vous estimez qu'en renvoi, la Chambre de première

 21   instance aurait pu obtenir le témoignage de ces deux témoins, à supposer

 22   qu'ils renvoient l'affaire devant eux ?

 23   M. KREMER : [interprétation] En réponse à votre première question, à savoir

 24   quand la Chambre de première instance aurait dû-t-elle mettre un terme à

 25   ces efforts visant à s'assurer que les deux témoins viennent déposer, je

 26   répondrais la chose suivante : tout cela dépend des circonstances. Dans

 27   cette affaire-ci, Shefqet Kabashi était encore en dialogue avec les

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  1   (expurgé) terme logique. Ce qui ne s'est pas

  2   fait parce que la Chambre de première instance a estimé qu'il n'y avait pas

  3   lieu de l'autoriser.

  4   Est-ce qu'en tout état de cause on aurait pu lui imposer une

  5   déposition, le forcer à témoigner, on ne peut pas le savoir. Mais l'accuser

  6   d'outrage aurait pu être une solution, mais on ne sait pas si dans ce cas-

  7   ci cela aurait pu fonctionner ou pas.

  8   La Chambre de première instance, je l'affirme, aurait pu prendre des

  9   mesures, dont la comparution forcée, par exemple, mais elle aurait pu

 10   s'octroyer un mois de délai pour mener tout cela à son terme logique,

 11   c'est-à-dire pour veiller à ce que le témoin vienne déposer.

 12   Pour ce qui est de l'autre témoin, nous voyons qu'effectivement les mêmes

 13   mesures n'ont pas été prises que pour M. Kabashi. Et nous affirmons

 14   clairement dans notre mémoire qu'à la fin du procès, la Chambre de première

 15   instance faisait preuve d'une telle hostilité face aux tentatives de

 16   l'Accusation visant à s'assurer le témoignage de ces témoins, parce qu'elle

 17   souhaitait mener à son terme le procès, qu'il aurait été inutile de faire

 18   quelle que demande, quelle qu'autre demande que ce soit. C'est ce que nous

 19   affirmons. Maintenant, à quel moment la Chambre de première instance a pris

 20   la décision de renoncer, tout cela dépend de l'information et des

 21   circonstances.

 22   Si la Chambre de première instance l'avait fait, si elle avait dit,

 23   Tout cela est une perte de temps, c'est-à-dire entendre ces témoins est une

 24   perte de temps, alors nous affirmons qu'à ce moment-là, la Chambre de

 25   première instance aurait dû, compte tenu des circonstances extraordinaires

 26   de cette affaire, où il y a eu effectivement intimidation des témoins, un

 27   mal qui avait contaminé l'ensemble du procès, à ce moment-là, la Chambre de

 28   première instance aurait dû envisager d'entendre ces dépositions suite aux

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  1   déclarations des témoins, au titre du 89(F), et aurait dû veiller à ce que

  2   ce témoignage ait lieu, dont elle aurait pu tenir compte dans ses

  3   conclusions. Ça n'a pas été le cas.

  4   Nous affirmons que lorsqu'une situation sérieuse d'intimidation,

  5   situation grave d'intimidation se présente, lorsqu'une affaire ne peut être

  6   traitée, alors il appartient à la Chambre de première instance, et c'est

  7   une obligation qui lui incombe, c'est l'article 20(1) qui le prévoit, la

  8   Chambre de première instance doit régler ce problème, ça n'a pas été le

  9   cas. Et suite à cela, l'Accusation n'a pas pu présenter tous ses arguments

 10   et tout cela a eu pour conséquence un acquittement, puisque les témoins-

 11   clés n'ont pas pu être entendus.

 12   Comment peut-on être certains que ces témoins auraient témoigné ? Je

 13   répondrais que nous nous sommes renseigné de façon informelle et formelle

 14   auprès des deux pays dans lesquels ces deux témoins résident. Je n'ai pas

 15   eu de réponse formelle. J'ai eu une réponse informelle de la part d'un des

 16   deux pays indiquant que le témoin est encore résident dans ce pays et qu'il

 17   est tout à fait possible de lui parler, ce que nous n'avons pas fait.

 18   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Kremer, vous dites que la

 19   Chambre de première instance a refusé de siéger une fois l'heure de 19

 20   heures arrivée, et au cours des jours qui ont suivi. Savez-vous pourquoi la

 21   Chambre de première instance a décidé de la sorte, vous privant ainsi,

 22   dites-vous, du droit que vous avez à un procès équitable ?

 23   Deuxième question, à ma connaissance, vous avez amplement eu l'occasion de

 24   soulever cette question. Vous auriez même pu déposer un appel

 25   interlocutoire de la décision rendue par la Chambre à cet égard, pourtant,

 26   vous ne l'avez pas fait. Vous le savez, une partie n'a pas le droit de

 27   garder le silence en première instance pour demander un nouveau procès au

 28   moment de l'appel. Voilà les deux questions que je veux vous poser.

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  1   M. KREMER : [interprétation] Je suis d'accord, Monsieur le Juge, pour dire

  2   qu'une partie n'a pas le droit de le faire. La jurisprudence est claire, un

  3   appel échouera si une partie s'était tourné les pouces et avait attendu

  4   l'appel pour soulever une question qu'elle aurait pu poser en première

  5   instance. A mon avis, ce n'est pas ce que nous avons fait. Une deuxième

  6   chance s'est présentée, les faits le prouvent, pour faire venir le deuxième

  7   témoin. Ça s'est passé le 26 novembre 2007. Ce jour-là, au lieu de faire

  8   venir le témoin à l'audience du pays d'où il venait, il a été hospitalisé.

  9   On ne savait pas quelle serait la durée possible de cette hospitalisation.

 10   Et la Chambre de première instance n'a pas tenu compte de ce fait, si

 11   ce n'est qu'elle a dit simplement, Voilà, terminez la présentation de vos

 12   moyens, bureau du Procureur, une chance vous a été donnée.

 13   Pour ce qui est du fait de siéger après 19 heures, la Chambre n'a pas

 14   expliqué pourquoi ce n'était pas possible; elle a dit simplement c'est

 15   impossible. On a dit, Mais pourquoi ne pas siéger vendredi ? La Chambre a

 16   refusé cela aussi.

 17   Ce que nous disons et ce que je vais dire pendant la présentation de

 18   mes moyens, c'est que la Chambre a fait preuve de rigidité dans la façon

 19   dont elle a abordé toutes les questions de calendrier, toutes les questions

 20   de déroulement de procédure. C'est la hâte qui a présidé au déroulement. On

 21   voulait faire un procès rapide, et c'était la chose la plus importante; et

 22   on a du coup perdu de vue l'obligation primordiale qui est d'assurer

 23   l'équité du procès, surtout en ce qui concerne le bureau du Procureur.

 24   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kremer.

 26   M. KREMER : [interprétation] Oui.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] M. le Juge Pocar a une question à

 28   vous poser.

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  1   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Excusez-moi.

  2   M. KREMER : [interprétation] Je pense qu'il faudra peut-être expurger un

  3   passage aux lignes 14 et 15; j'ai dit où M. Kabashi habitait quand on a

  4   parlé du lieu où se trouvait son avocat. Je pense qu'on pourra faire une

  5   ordonnance d'expurgation, que vous pourrez le faire.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce sera fait.

  7   M. KREMER : [interprétation] Je vous remercie.

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation]  Monsieur le Juge Pocar, votre

  9   question, s'il vous plaît.

 10   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur Kremer, vous avez fait

 11   référence à l'article 20(1) du Statut du Tribunal pénal international, si

 12   j'ai bien compris. Estimez-vous que la Chambre de première instance a bien

 13   appliqué et respecté l'obligation qu'elle a de veiller à un procès rapide,

 14   mais qu'elle n'a pas veillé à l'équité du procès ? Pourtant l'article 20(1)

 15   dit aussi ceci:

 16   "La Chambre veille à ce que le procès se déroule conformément aux

 17   Règles de procédures et de preuves."

 18   Estimez-vous ici aussi que le Règlement de procédure et de preuve a

 19   été violé ? Qu'avez-vous à dire de ce cette disposition qui dit aussi que

 20   la Chambre veillera à ce que les droits de l'accusé soient pleinement

 21   respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée ?

 22   Estimez-vous que la Chambre a estimé que la protection des témoins,

 23   en l'occurrence, ferait que la Chambre n'allait pas insister pour obtenir

 24   le témoignage de ces témoins ? Puisque vous avez mentionné cette

 25   disposition, je voulais que vos observations soient tout à fait complètes

 26   en la matière.

 27   M. KREMER : [interprétation] Oui, nous le concédons. L'article prévoit un

 28   procès tant équitable que rapide. Nous avons estimé que le procès fut

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  1   rapide sans être équitable. On dit effectivement que l'instance doit se

  2   dérouler conformément au Règlement de procédures et de preuves, et là, nous

  3   disons que la procédure a été respectée, mais pas dans sa totalité. Nous

  4   estimons que l'article 89(F) n'a pas été considéré comme étant un moyen de

  5   substitution permettant d'obtenir la déposition de ces témoins dans

  6   d'autres circonstances. On a mis fin abruptement au procès, ceci s'est fait

  7   le 26 novembre en fait. On avait déjà prévu la fin le 20 novembre lorsque

  8   la Chambre a dit, Voilà, la présentation des moyens à charge est terminée,

  9   à moins qu'on ait comme circonstance extraordinaire de déposition la

 10   déposition par vidéoconférence de cet autre témoin. Si vous examinez le

 11   déroulement de la procédure adoptée et suivie, effectivement oui, la

 12   procédure a été respectée, mais nous estimons que la Chambre l'a suivi trop

 13   au pied de la lettre. Vu qu'il y avait de plus en plus de preuves montrant

 14   que des témoins étaient intimidés, ça n'a pas empêché la Chambre

 15   d'appliquer ce qu'elle avait pris l'habitude d'appliquer pour la

 16   présentation des témoins. On disait que le témoin devait être prêt à

 17   témoigner, et puis il y avait des citations à comparaître, des comparutions

 18   forcées, des témoins ont été arrêtés parce qu'on les accusait au présumé en

 19   outrage. Il y a eu aussi des vidéoconférences; autant de modalités

 20   utilisées pour essayer d'obtenir la comparution de ces témoins. Mais nous,

 21   nous disons clairement et simplement ceci : lorsque l'intimidation des

 22   témoins devient omniprésente dans un procès, la Chambre doit faire plus que

 23   cela. Dès le moment où il devient visible et apparent qu'il y a eu

 24   intimidation d'un témoin, l'équité du procès est compromise. Le procès

 25   sera-t-il équitable, on ne le sait pas tant que le procès n'est pas

 26   terminé.

 27   Ici en l'occurrence, en fin de compte, on a entendu beaucoup

 28   d'éléments de preuve. La Chambre a été saisie d'éléments de preuve

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  1   nombreux, mais les éléments importants n'ont pas été entendus. La Chambre

  2   l'a dit elle-même, des éléments capitaux pour ce qui est des chefs

  3   concernant Jablanica. Et en fin de compte, la Chambre a déclaré

  4   l'acquittement, non pas parce que le Règlement n'a pas été appliqué, pas

  5   parce que la Chambre n'aurait pas accordé de mesures de protection, mais

  6   parce que les articles concernant les mesures de protection ne suffisaient

  7   pas à obtenir l'obtention des éléments importants. Et il y a un article qui

  8   aurait pu au moins permettre que ces éléments soient considérés, le 89(F),

  9   et pourtant la Chambre n'a jamais pensé à l'utilisation de ces

 10   dispositions.

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pour ce qui est de cette

 12   application, est-ce qu'il y a eu application de l'article 89(F) ? Mais vous

 13   avez demandé son utilisation ?

 14   M. KREMER : [interprétation] Non, l'Accusation n'a pas demandé le recours à

 15   cette clause, à cette disposition.

 16   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous estimez que la Chambre aurait

 17   dû agir d'office, proprio motu ?

 18   M. KREMER : [interprétation] Oui, il y aura à l'article 20(1), et je ferai

 19   référence à la jurisprudence dans un instant. A ce moment-là, la balle est

 20   dans le camp de la Chambre. Ce n'est plus le problème de l'Accusation.

 21   C'était toujours un problème pour l'Accusation parce qu'effectivement nos

 22   témoins se voyaient intimider, mais la Chambre de première instance dispose

 23   du pouvoir discrétionnaire lui permettant de trouver une solution au

 24   problème.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous dites qu'à ce moment-là ça

 26   devient l'affaire de la Chambre comme celle des parties ?

 27   M. KREMER : [interprétation] La Chambre est là pour veiller à l'équité du

 28   procès.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si j'ai bien compris ce que vous

  2   avez dit, c'était un élément de preuve capital pour la cause de

  3   l'Accusation. Et si ces éléments avaient été entendus au titre du 89(F), il

  4   n'y aurait pas eu de contre-interrogatoire, n'est-ce pas ?

  5   M. KREMER : [interprétation] C'est exact.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ceci étant, quel serait le poids que

  7   la Chambre aurait pu accorder à cet élément ?

  8   M. KREMER : [interprétation] Ça dépend du degré de corroboration qui

  9   existait, vu ce qui s'est dit. Vous avez des chefs isolés et puis les

 10   éléments concernant l'entreprise criminelle commune. En fonction de la

 11   nature et de la qualité de ces éléments apportés pour corroborer ces

 12   témoins, la Chambre de première instance aurait pu accorder énormément de

 13   valeur probante, de poids à ces dires. Mais elle ne l'a jamais fait.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je pense que vous vouliez plus tard

 15   nous dire quels étaient les éléments qui, à votre avis, viennent soutenir

 16   ce qu'auraient dit ces deux témoins qui n'ont pas comparu.

 17   Je ne veux pas ici vous détourner votre cap, mais je pense que ceci c'est

 18   une partie importante de vos moyens.

 19   M. KREMER : [interprétation] En bref, je peux dire que si l'on voit les

 20   déclarations préalables fournies, surtout les paragraphes concernant le

 21   camp prison de Jablanica, si on compare ceci au jugement et ce qu'ont dit

 22   les témoins qui sont effectivement venus à l'audience, il y a un degré

 23   suffisant de corroboration qui peut faire dire qu'on aurait pu donner un

 24   poids significatif à ces dires.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Juge Meron.

 26   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Dites-vous, Monsieur Kremer, que

 27   si on avait admis ces éléments de preuve dont vous parlez, éléments écrits,

 28   en appliquant le 89(F), est-ce que vous pensez que ceci aurait entraîné un

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  1   jugement différent à la fin du procès ?

  2   M. KREMER : [interprétation] Tout à fait. Il y avait un témoin initié

  3   de l'UCK et un détenu qui auraient pu témoigner, qui auraient pu parler de

  4   la participation de l'application de chacun des trois accusés, que ce soit

  5   pour les passages à tabac ou d'autres actions, qui auraient montré que M.

  6   Haradinaj, c'est lui qui avait la responsabilité de la zone de Dukagjin,

  7   qui auraient montré qu'il était présent lorsque avaient lieu ces passages à

  8   tabac, et que M. Balaj frappait des prisonniers dans les lieux de

  9   détention. Ça, c'est la modalité II de l'entreprise criminelle commune

 10   lorsqu'il s'agit de définir qui avait le contrôle de la prison, qui

 11   l'administrait et qui se trouvait à l'intérieur en train de participer aux

 12   activités criminelles. Et nous disons que ces éléments supplémentaires

 13   auraient suffi à faire que la Chambre aurait envisagé l'objectif commun de

 14   l'entreprise criminelle commune et aurait pu parvenir à d'autres

 15   conclusions qu'elle n'a pas tirées et qu'elle aurait dû tirer.

 16   Et qu'effectivement, il y a suffisamment d'éléments qui viennent apporter

 17   une corroboration montrant la responsabilité pénale individuelle au regard

 18   de certains passages à tabac. Je suis d'accord pour dire que, s'agissant de

 19   certains des chefs d'acte d'accusation, ils ne s'appliquent qu'au crime de

 20   l'entreprise criminelle commune parce qu'il y a déjà des conclusions

 21   positives que c'était des membres de l'UCK qui commettaient des crimes dans

 22   la prison sur les détenus. Mais en plus de ça, nous avons des éléments de

 23   preuve qu'auraient fournis ces deux témoins montrant que des crimes avaient

 24   été commis par les trois intimés.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame le Juge Vaz.

 26   Mme LE JUGE VAZ : Je vous remercie, Monsieur le Président.

 27   Je voudrais tout d'abord demander à M. Kremer s'il veut bien avoir

 28   l'obligeance de nous indiquer les références des paragraphes auxquels il se

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  1   réfère dans sa présentation. Ça nous aidera dans nos recherches.

  2   Et ensuite, je voudrais lui poser une petite question, parce que tout à

  3   l'heure il nous a dit que le Procureur avait pu identifier la résidence

  4   d'un des témoins, même deux, mais qu'en ce qui concerne celui-là, le pays -

  5   - enfin, là où il se trouvait, oui, on lui avait dit que c'était possible

  6   de le joindre, de joindre ce témoin et donc de l'interroger. Vous avez dit

  7   que vous ne l'avez pas fait sans nous dire pourquoi. Et j'aimerais bien que

  8   vous reveniez sur ce problème pour nous dire pour quelle raison vous n'avez

  9   pas pris contact avec ce témoin, puisque vous semblez dire qu'il s'agissait

 10   quand même d'un témoin important.

 11   M. KREMER : [interprétation] Il y a peut-être un problème d'interprétation.

 12   Pendant le procès, l'Accusation avait eu des contacts avec les deux

 13   témoins. Elle les avait interrogés, avait recueilli des déclarations

 14   préalables. Mais lorsque le moment vint de les faire venir à l'audience

 15   pour comparaître ou pour témoigner, en ce qui concerne M. Kabashi, ils

 16   n'ont pas voulu le faire.

 17   Ce dont je parlais - et c'est peut-être là la raison de cette confusion -

 18   s'attendant à cet appel, l'Accusation a essayé tout du moins de confirmer

 19   que ces témoins étaient bien en vie et qu'il était possible de les

 20   contacter au cas où vous alliez décider de renvoyer l'affaire en première

 21   instance. J'ai dit que nous avions présenté des requêtes officielles envers

 22   ces deux pays. L'un d'entre eux a répondu que le témoin est en vie. Le

 23   deuxième pays n'a pas répondu officieusement, si ce n'est qu'il a dit

 24   qu'ils examinent notre demande à laquelle ce pays répondra avant

 25   l'audience, et c'est ce que nous espérions. J'ai passé un coup de fil hier

 26   et je n'ai pas reçu de mise à jour, ne serait-ce qu'une mise à jour ou une

 27   réponse officieuse. Donc ce n'est pas que nous n'avons pas fait d'efforts

 28   pour savoir si les témoins étaient disponibles. Là, je ne parle pas stricto

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  1   sensu.

  2   Pourquoi est-ce que moi je n'ai pas été voir les témoins, pourquoi est-ce

  3   que je n'ai pas essayé de leur parler, je pensais qu'il ne convenait pas

  4   que je le fasse, que je fasse subir à ces témoins le traumatisme qu'il y a

  5   à subir comme ça à une séance de questions, si ce n'était pas nécessaire.

  6   Mais il est certain que nous allons communiquer directement avec ces

  7   témoins si vous décidez du renvoi. Soyez-en sûr.

  8   Je peux poursuivre, Monsieur le Président ?

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

 10   M. KREMER : [interprétation] Ces témoins, ils ont effectivement été

 11   intimidés, et ça a marché. Ils ont refusé de témoigner quant au fond de

 12   l'affaire, malgré la menace d'être poursuivi pour outrage. La Chambre a

 13   poursuivi, a passé au jugement, sans avoir entendu leur témoignage pourtant

 14   crédible et pourtant pertinent. Dans la façon dont elle a géré l'affaire,

 15   la Chambre a mal utilisé son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a décidé

 16   de mettre un terme à la présentation des moyens à charge. Nous l'avons dit

 17   dans notre mémoire. Si on examine le compte rendu d'audience d'octobre à

 18   novembre 2007, la Chambre tenait tellement à avoir un procès rapide qu'elle

 19   a perdu de vue la nécessité de l'équité du procès.

 20   Permettez-moi un instant de réflexion pour souligner que la Chambre accepte

 21   l'idée qu'on peut avoir un procès tant rapide qu'équitable. Mais ici, c'est

 22   ce que nous affirmons, lorsque l'intimidation du témoin devient un élément

 23   capital d'un procès, une des caractéristiques du procès, un procès rapide

 24   peut devenir inéquitable si la Chambre ne tire pas les conséquences

 25   lorsqu'elle constate intimidation des témoins.

 26   La disposition numéro 1 de l'article 20 du Statut est tellement

 27   importante que ça devient capital ici. Vous avez l'arrêt Tadic qui dit que

 28   : 

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  1   "Le droit à un procès équitable est essentiel dans l'application du

  2   droit; il permet une procédure équitable."

  3   La Défense a eu des difficultés dans l'appel Tadic parce qu'elle n'a

  4   pas eu suffisamment de coopération des autorités de la Republika Srpska.

  5   Ici, nous n'avons pas eu ces éléments parce que les témoins à charge

  6   avaient été intimidés et avaient peur de témoigner. A ma connaissance,

  7   c'est la première fois que la question de l'intimidation des témoins en

  8   application à l'article 20(1) devient une question abordée en appel.

  9   Pour rappeler ce que disait le paragraphe 55 de l'arrêt Tadic qui

 10   disait ceci :

 11   "La Chambre peut imaginer des situations où il n'est pas possible

 12   d'avoir un procès équitable parce que des témoins essentiels pour la cause

 13   de la Défense ne comparaissent pas parce que l'Etat s'y oppose et pose des

 14   bâtons dans les roues."

 15   Ici, au cours de cet appel, l'Accusation relève que des témoins

 16   essentiels pour la cause de l'Accusation n'ont pas comparu au motif

 17   d'intimidation et d'autres efforts d'obstruction. Ceci crée une situation

 18   similaire à celle prévue dans l'arrêt Tadic. Il n'est pas possible d'avoir

 19   un procès équitable vu ces circonstances. Sauf qu'ici, la différence est

 20   que ce n'est pas la Défense qui est concernée mais l'Accusation.

 21   Dans l'arrêt Jelesic, vous avez décidé, Madame et Messieurs les

 22   Juges, que l'article 20(1) s'appliquait à l'Accusation comme étant une des

 23   parties au débat. Paragraphe 27, vous avez dit ceci :

 24   "Le fait de ne pas entendre une partie envers laquelle la Chambre de

 25   première instance a une proportion provisoire ne correspond pas à la

 26   nécessité de voir un procès équitable… l'Accusation doit pouvoir disposer

 27   de ce droit, doit pouvoir l'exercer, c'est essentiel."

 28   L'Accusation était aussi la partie lésée dans l'arrêt Nahimana, c'est

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  1   l'arrêt du TPIR, paragraphe 173.

  2   Si vous souhaitez des références supplémentaires selon lesquelles

  3   l'Accusation a droit à un procès équitable, je fais référence également à

  4   l'arrêt Milutinovic, fin de non-recevoir opposée à la requête de

  5   l'Accusation pour la certification de l'article 73 bis du Règlement. Au

  6   paragraphe 10, la Chambre de première instance indique :

  7   "Certes, le terme 'équitable' dans le contexte d'un procès au pénal

  8   peut faire référence d'une manière générale au caractère équitable du

  9   procès d'un accusé, l'Accusation doit avoir la possibilité de présenter ses

 10   arguments. Le Statut du Tribunal impose à chaque Chambre de première

 11   instance 'de veiller à ce que le procès soit juste et équitable… en…

 12   respectant pleinement les droits de l'accusé,' et ne prévoit pas que seul

 13   l'accusé a droit à un traitement équitable."

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Puisque vous citez l'article 20,

 15   paragraphe 1, je constate que vous faites référence aux droits de l'accusé.

 16   Mais que nous dites-vous de la hiérarchie apparente établie par cet article

 17   qui semble privilégier "le respect plein des droits de l'accusé et la

 18   nécessité de tenir compte…" qui semble être à un niveau hiérarchique

 19   d'importance inférieure "tenir compte dûment de la protection des victimes

 20   et des témoins" ? Donc, certes, la Chambre de première instance doit

 21   veiller à ce que le procès soit juste, équitable et rapide, certes la

 22   Chambre de première instance reconnaît que l'Accusation a droit à un procès

 23   équitable, mais ceci ne peut en aucun cas se faire au détriment de

 24   l'exigence visant à ce qu'il y ait un respect plein et entier des droits de

 25   l'accusé. Il se peut fort bien que la Chambre de première instance ait eu

 26   le sentiment qu'elle était allée suffisamment loin dans ses efforts visant

 27   à ce que l'on tienne dûment compte de la nécessité de protéger les témoins

 28   et qu'elle avait estimé que dans le cas contraire, elle serait en violation

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  1   de son obligation de respecter de façon pleine et entière les droits de

  2   l'accusé.

  3   M. KREMER : [interprétation] La réponse à cette question est que la

  4   première obligation de la Chambre est de procéder à deux choses : veiller à

  5   ce qu'il y ait un procès équitable et deuxièmement, un procès rapide.

  6   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, mais vous ne pouvez pas faire

  7   fi des droits de l'accusé.

  8   M. KREMER : [interprétation] Non, je ne fais pas fi des droits de l'accusé.

  9   Les droits de l'accusé ont été respectés de façon tout à fait irréprochable

 10   dans cette affaire. Les témoins, en revanche, n'ont pas été protégés de

 11   façon pleine et entière. Ils ont été nombreux à être intimidés, nombreux à

 12   être menacés et certains ont même été tués, si l'on en croit les propos de

 13   certains témoins.

 14   L'évaluation du caractère équitable du procès doit tenir compte et tient

 15   compte de tous ces critères, et nous affirmons qu'à partir du moment où

 16   l'intimidation des témoins devient à ce point endémique, nous affirmons

 17   donc que les mesures de protection prises par la Chambre de première

 18   instance et les autres mesures de protection se révèlent inadéquates et ne

 19   permettent pas de veiller à ce que les éléments de preuve probants et

 20   pertinents soient entendus, et à ce moment-là, le procès devient

 21   inéquitable.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [aucune interprétation]

 23   M. KREMER : [interprétation] Je ne peux que le répéter, je ne souhaite pas

 24   le répéter davantage.

 25   Il me semble que nos arguments sont clairs, simples. Et je comprends

 26   tout à fait les préoccupations des Juges, s'agissant du droit de l'accusé,

 27   mais la Chambre de première instance et le Tribunal, d'une manière

 28   générale, a pris compte de circonstances exceptionnelles afin d'accoucher

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  1   de règlements veillant à ce que l'on puisse entendre les éléments de preuve

  2   qui sont pertinents, et ce, dans des circonstances dans lesquelles cela

  3   peut poser un problème, et j'ai parlé notamment du 92 quater.

  4   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Alors, à présent, vous nous avez dit

  5   que l'Accusation elle-même n'avait pas formulé de requête spécifique pour

  6   que puissent être entendus ces deux témoins au titre du 89 (F).

  7   M. KREMER : [interprétation] C'est exact.

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce n'est pas étonnant ?

  9   M. KREMER : [interprétation] Nous avons formulé une requête pour M.

 10   Kabashi, pour sa déposition au titre du 92 quater, et la Chambre de

 11   première instance a estimé que ceci ne correspondait pas au modèle

 12   classique et c'est tout, et nous n'avons pas fait d'autre demande.

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais pas 89(F).

 14   M. KREMER : [aucune interprétation]

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [aucune interprétation]

 16   M. KREMER : [interprétation] Je vous dis cela parce que cela a donné la

 17   possibilité à la Chambre d'appel de donner des orientations à la Chambre de

 18   première instance à partir du moment où ce problème risquerait de survenir

 19   à nouveau. C'est le cas dans d'autres affaires et cela permettra à la

 20   Chambre d'appel de fournir des orientations aux Chambres de première

 21   instance afin qu'elles mettent en place les conditions qui doivent

 22   permettre au procès d'être équitable, lorsqu'il est difficile de prévenir

 23   les actes d'intimidation des témoins.

 24   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous nous dites qu'il appartenait à

 25   la Chambre de première instance, dans le respect de ses obligations

 26   fondamentales, de veiller à ce que le procès soit équitable et donc qu'elle

 27   aurait dû veiller proprio motu de pouvoir entendre la déposition au titre

 28   du 89(F) ?

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  1   M. KREMER : [interprétation] Mais cela n'empêchait pas la Chambre de

  2   première instance de le faire.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Effectivement, c'est le cas.

  4   M. KREMER : [interprétation] Je souhaite que mon confrère ait suffisamment

  5   de temps pour…

  6   [Le conseil de l'Accusation se concerte] 

  7   M. KREMER : [interprétation] Dans ce cas, l'Accusation a présenté les

  8   intentions de la Chambre de première instance. Cette information a permis

  9   de mettre en place des mesures de protection pour un grand nombre de

 10   témoins. Ces mesures de protection ont assisté l'Accusation dès lors qu'il

 11   s'agissait de permettre aux témoins de déposer de vive voix. La Chambre de

 12   première instance a décrit l'ampleur des problèmes auxquels elle se

 13   heurtait comme étant "une part importante des témoins de l'Accusation dans

 14   cette affaire qui ont exprimé la crainte de déposer devant cette Chambre de

 15   première instance." Cette crainte avait trait à leur sécurité personnelle

 16   ou à la sécurité des membres de leur famille.

 17   Dans 34 cas, la Chambre de première instance a octroyé des mesures de

 18   protection, elle a accepté que la crainte était en fait un risque objectif

 19   suffisamment motivé pesant sur la sécurité, le bien-être des témoins ou des

 20   membres de la famille des témoins, si l'on devait dévoiler le fait que le

 21   témoin a déposé au Tribunal. Je fais référence au paragraphe numéro 2

 22   [comme interprété] de l'arrêt. Au paragraphe 6 de l'arrêt, la Chambre de

 23   première instance a accordé des mesures de protection aux témoins qui ont

 24   déposé devant la Chambre. Cependant, la Chambre elle-même a accepté que ces

 25   mesures de protection ne suffisaient pas à veiller à ce que l'on puisse

 26   entendre l'ensemble des éléments de preuve compte tenu de l'intimidation

 27   des témoins. Au paragraphe 28 la Chambre admet "qu'un certain nombre de

 28   témoins dont on pensait qu'ils allaient déposer relativement à un certain

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  1   nombre d'aspects essentiels à l'affaire n'ont jamais été entendus."

  2   Comme l'observe l'arrêt en appel Tadic dans son paragraphe 55 :

  3   "Il incombe à la partie requérante d'attirer l'attention de la

  4   Chambre sur les difficultés de manière à ce que cette Chambre puisse

  5   déterminer s'il y a lieu de mettre en place des mécanismes d'assistance

  6   devant permettre d'appliquer les règles ou les Statuts afin de remédier à

  7   cette situation. La partie ne peut rester silencieuse ou se taire sur cette

  8   question si ce n'est dans le cas où il y aurait renvoi du procès."

  9   L'accusation a satisfait à ces obligations, elle a attiré l'attention

 10   de la Chambre de première instance sur ces problèmes d'intimidation, elle a

 11   également indiqué qu'il y avait intimidation en masse des témoins. La

 12   Chambre de première instance, par conséquent, devait régler le problème et

 13   trouver une solution. La Chambre aurait dû veiller à ce qu'il y ait procès

 14   équitable. Dans le Procureur contre Goran Jelesic, dans son paragraphe 16,

 15   la Chambre d'appel observait :

 16   "… dans des procès longs et compliqués, tel que le sont la plupart

 17   des procès dont est saisi le Tribunal, la Chambre de première instance doit

 18   impérativement exercer un contrôle sur le procès. Ce contrôle doit parfois

 19   être vigoureux, bien entendu, ceci ne doit en rien entamer le droit des

 20   parties à un procès équitable."

 21   La discussion de la Chambre, paragraphes 22 à 28, portant sur la

 22   façon dont a réglé le problème des nombreuses intimidations de témoins ne

 23   satisfait pas aux critères de l'arrêt Jelesic. La Chambre, dans ses débats,

 24   n'a pas répondu à cette nécessité d'entendre des éléments de preuve

 25   critiques, elle n'a pas pris les mesures nécessaires.

 26   Au paragraphe 28, la Chambre de première instance a indiqué qu'elle

 27   avait "utilisé tous les moyens à sa disposition au titre du Règlement afin

 28   de faciliter la déposition des témoins sans aller au-delà de son rôle de

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  1   juge de faits impartial."

  2   Ceci étant dit, elle n'a pas satisfait à son obligation d'être un

  3   véritable guide, c'est-à-dire de veiller à ce que le procès soit équitable.

  4   Que devrait faire la Chambre de première instance afin qu'il y ait

  5   procès équitable dès lors que l'on se heurte à la difficulté d'une

  6   intimidation en masse des témoins au cours du procès ? Comme je vous l'ai

  7   dit, il faut suivre les orientations Jelesic et exercer un contrôle

  8   vigoureux sur le procès de manière à veiller à ce que des dépositions

  9   essentielles puissent être entendues, et ce, en dépit des campagnes

 10   d'intimidation.

 11   Dans ce cas-ci, un procès équitable devenait impossible puisque la

 12   Chambre de première instance n'a pas offert la possibilité d'entendre ces

 13   témoins tout à fait essentiels.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Afin que nous soyons parfaitement

 15   d'accord, le seul manquement dont vous accusez la Chambre est de ne pas

 16   avoir entendu les éléments de preuve au titre du 89(F). Est-ce que c'est la

 17   seule tâche dont la Chambre aurait dû s'acquitter ?

 18   M. KREMER : [interprétation] Nous estimons que les conclusions n'auraient

 19   dû intervenir, conclusions des arguments présentés par l'Accusation,

 20   n'auraient dû intervenir qu'une fois que les deux témoins avaient fait

 21   l'objet d'efforts supplémentaires devant les amener à déposer. Or, la cause

 22   de l'Accusation a été entendue dans son étape finale alors que les efforts

 23   n'avaient pas été menés à bien. Le 20 novembre, par conséquent, la

 24   présentation des moyens à charge a été conclue alors que les efforts visant

 25   à veiller à ce que le témoin puisse témoigner n'avaient pas été menés à

 26   bien.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Donc ce sont deux choses séparées.

 28   Vous montrez du doigt la Chambre de première instance pour ces deux

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  1   éléments ?

  2   M. KREMER : [interprétation] Oui.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais oui, mais il s'agit d'un procès

  4   sur la base du procès contradictoire. Je veux dire qu'il est étonnant que

  5   l'Accusation n'ait pas demandé à ce que soient reçus au titre de l'article

  6   89 ces éléments de preuve.

  7   M. KREMER : [interprétation] Tout ce que je peux confirmer c'est que la

  8   requête n'a jamais été formulée. Je n'en dirai pas davantage. Mais nous

  9   affirmons que s'il n'y a pas procès équitable en raison des intimidations

 10   des témoins présentées dès le départ, alors --

 11   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] En absence de requête formulée par

 12   l'Accusation, de requête spécifique allant dans ce sens, il vous est

 13   impossible de dire que la Chambre de première instance n'a pas envisagé

 14   l'application du 89(F). Il se peut fort bien qu'elle l'ait envisagée et

 15   qu'elle soit arrivée à la conclusion que ça ne valait pas la peine.

 16   M. KREMER : [interprétation] Ça n'apparaît nulle part dans l'arrêt, par

 17   conséquent, il ne s'agit que de conjectures. Et j'espère que vous n'allez

 18   pas vous livrer à des conjectures, Monsieur le Président, Madame, Messieurs

 19   les Juges.

 20   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] S'agissant de cela, au paragraphe 28 du

 21   jugement, le chapitre portant sur les difficultés d'obtenir les dépositions

 22   de témoins, la Chambre de première instance conclut "qu'elle peut utiliser

 23   tous les pouvoir à sa disposition au titre du Règlement afin de faciliter

 24   la réception des éléments de point sans aller au-delà de son rôle de juge

 25   de faits impartial."p34

 26   Est-ce que vous estimez que la Chambre de première instance aurait pu

 27   utiliser le 89(F) et que ce faisant, elle n'aurait pas été au-delà de ce

 28   rôle de juge de fait impartial, il n'aurait pas outrepassé ses pouvoirs ?

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  1   Est-ce que vous estimez que la Chambre ayant admis les moyens de preuve

  2   proprio motu aurait amené la Chambre justement à outrepasser son rôle ?

  3   Peut-être la Chambre a envisagé cela, mais qu'elle en est arrivée à la

  4   conclusion qu'en l'absence d'une requête spécifique émanant de

  5   l'Accusation, arriver à une conclusion différente aurait mis à mal, aurait

  6   compromis sa position de juge impartial des fait.

  7   Qu'en pensez-vous ?

  8   Donc la Chambre a mené une réflexion sur ce point, reconnaissez-le.

  9   M. KREMER : [interprétation] La déclaration de la Chambre trouve son

 10   explication dans ce qui apparaît dans la partie initiale du jugement qui

 11   indique que les Règlements et la procédures appliqués pour entendre les

 12   éléments de preuve ne fait pas référence à la 89(F) comme étant un véhicule

 13   de réception de moyens de preuve au cours de l'affaire. Et au paragraphe 28

 14   il est dit, la Chambre a eu recours à tous ses pouvoirs en respectant le

 15   Règlement afin de faciliter la déposition. Elle n'a pas appliqué le 89(F),

 16   donc sans outrepasser son rôle juge de fait impartial.

 17   La Chambre aurait pu appliquer le 89(F) sans outrepasser ses

 18   obligations en tant que juge de fait impartial s'il avait mis en place les

 19   garde-fous nécessaires quant à l'utilisation que l'on devait faire de cette

 20   déposition afin de ne pas compromettre les droits de la Défense. Et ces

 21   orientations sont issues du 92 quater en partie, et les déclarations

 22   écrites des témoins qui n'ont pas fait l'objet de contre-interrogatoire ont

 23   fait l'objet d'un traitement plein et entier dans la décision Haraqija et

 24   Morina.

 25   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Monsieur Kremer, vous présentez des

 26   arguments qui sont très difficiles à comprendre, parce que dans votre

 27   réponse apportée à la question que je vous posais précédemment, vous nous

 28   avez expliqué que les éléments de preuve 89(F) avaient été présentés, des

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  1   déclarations écrites, et que ça aurait pu être présenté, auquel cas cela

  2   aurait beaucoup changé le cours du procès. Or, il n'y a pas eu de demande

  3   formulée dans ce sens par l'Accusation. C'est l'argument qu'ils avancent

  4   devant la Chambre d'appel, dans les mémoires, et il est très difficile

  5   d'être sensible aux arguments que vous avancez sur cette question, sachant

  6   que l'Accusation avait cette possibilité et qu'elle ne s'en est pas saisie.

  7   M. KREMER : [interprétation] Je n'en disconviens pas.

  8   Le mémoire et l'acte d'appel examinent le jugement, et l'issue du

  9   jugement, à notre avis, était claire pour nous. Il n'y a pas eu de procès

 10   équitable car ces témoins n'ont jamais été entendus; et la Chambre de

 11   première instance n'a pas suffisamment lancé de mesures permettant

 12   d'entendre ces témoins. Au moment où je préparais cet appel, j'ai aussi

 13   compris que la Chambre de première instance aurait pu et aurait dû se poser

 14   la question de savoir si on aurait pu utiliser d'autres modalités pour

 15   entendre ces témoins, car la Chambre avait l'obligation de veiller à

 16   l'équité du procès. Et nous estimons que si elle n'avait pas la déposition

 17   de ces témoins, la Chambre n'aurait jamais pu avoir un procès équitable.

 18   Moi, je vous ai proposé ceci comme moyen de présentation. Autre

 19   possibilité, c'est que la Chambre d'appel dise aux Chambres de première

 20   instance ce qu'il faut faire face en de telles circonstances, s'il y a

 21   intimidation de témoins. Lorsqu'on pousse des témoins à ne pas venir

 22   déposer à l'audience, que faut-il faire ? Lorsque l'intimidation peut être

 23   prouvée, lorsqu'elle est véritable, lorsque les témoins disent, "J'ai peur

 24   de venir parce que des menaces ont été formulées contre ma famille, ou des

 25   gens que je connais ont été tués."

 26   Voilà. Pour moi, cet appel est en partie, tout du moins, une

 27   possibilité de faire avancer le droit sur des questions qui, jusqu'à

 28   présent, jusqu'à ce jour, n'ont pas véritablement été considérées comme

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  1   étant des points intéressants en appel. Et à mon avis, à mon humble avis,

  2   c'est quelque chose qui, véritablement, mérite un examen minutieux, quelle

  3   que soit l'issue de l'appel actuel.

  4   Si vous me donnez un instant pour voir la note qu'on vient de me remettre.

  5   On me rappelle ceci s'agissant des autres tentatives que nous avons

  6   effectuées en ce qui concerne M. Kabashi. Pour ce qui est de ses

  7   déclarations, nous avons essayé d'appeler l'enquêteur pour qu'il fasse une

  8   déclaration et dépose par ouï-dire la déclaration qu'il avait présentée au

  9   bureau du Procureur, mais cela aussi, ça a été rejeté par la Chambre. Donc,

 10   on aura tout essayé, sauf le recours à la disposition du 89(F). On a tout

 11   essayé s'agissant des procédures qui étaient du moins considérées à

 12   l'époque, au moment du procès, comme permettant d'entendre M. Kabashi. Mais

 13   la Chambre de première instance n'a pas été sensible à ces demandes et on

 14   n'a rien fait pour essayer d'obtenir la déposition de l'autre témoin.

 15   Pourtant, on avait fait les mêmes tentatives, car on savait déjà, on ne l'a

 16   pas fait car on savait, ayant essuyé un premier refus, que cette demande-là

 17   aussi serait rejetée.

 18   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

 19   M. KREMER : [interprétation] Pourriez-vous me dire, Monsieur le Greffier,

 20   de combien de temps je dispose encore ?

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Le greffier vient de me dire que

 22   vous avez utilisé une heure et trois minutes, et qu'au départ, une heure et

 23   20 minutes, je pense, vous avait été accordées. Il vous reste 17 minutes.

 24   M. KREMER : [interprétation] Je vais en terminer. Peut-être me suis-je

 25   répété, mais je crois qu'on ne le dira jamais assez. La Chambre de première

 26   instance avait la possibilité, avait l'occasion de veiller à l'équité du

 27   procès en prenant davantage de mesures pour faire entendre ces témoins, ou

 28   du moins, pour que leurs dépositions soient versées au dossier. Mais elle

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  1   ne l'a pas fait et à notre avis, la Chambre d'appel devrait reconnaître le

  2   fait que le procès était entaché d'inéquité et devra décider d'un renvoi en

  3   première instance.

  4   Vous serez peut-être aidé dans votre décision par une motion plus précise

  5   des déclarations préalables qui sont importantes au regard de chacun des

  6   chefs de l'accusation comme l'a demandé Mme le Juge Vaz. Mais

  7   malheureusement, je n'ai pas le temps de le faire maintenant, car je crois

  8   ce ne serait pas juste d'empiéter sur le temps qui sera donné à ma collègue

  9   pour le moyen 3, car je pense que c'est un chef important ici.

 10   Vous aurez peut-être d'autres questions, si vous avez d'autres questions

 11   après l'avoir entendu, je suis, bien entendu, à votre disposition. Et s'il

 12   y a des questions suscitées par l'intervention de la Défense, je répondrai

 13   à vos questions éventuelles au moment de ma réplique.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.

 15   Il nous reste environ cinq minutes avant la pause. Mais je pense que

 16   nous allons faire la pause, une pause d'une demi-heure. Nous reprendrons

 17   les débats dans une demi-heure. M. le Greffier se chargera de noter ceci au

 18   compte rendu.

 19   Et nous entendrons ensuite M. Emmerson. L'audience est suspendue.

 20   --- L'audience est suspendue à 10 heures 25.

 21   --- L'audience est reprise à 10 heures 58.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous reprenons les débats.

 23   L'Accusation poursuit la présentation de ses moyens. C'est --

 24   Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] Mme Martin Salgado. Merci,

 25   Monsieur le Président.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est moi qui vous remercie, Madame

 27   Salgado.

 28   Il vous reste une quinzaine de minutes, 20 minutes au plus.

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  1   Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] Merci.

  2   Troisième moyen d'appel interjeté par l'Accusation, nous soutenons que la

  3   Chambre a commis une erreur de fait s'agissant du Témoin 61 et a commis une

  4   erreur de droit s'agissant du Témoin 1. Aujourd'hui, je vais m'intéresser à

  5   l'erreur de fait présumée. Mais auparavant, j'aimerais vous dire que le

  6   Témoin 61 est une femme victime de viol, alors que le Témoin 1 est un

  7   homme. Mais étant donné que les pseudonymes donnés se ressemblent, et étant

  8   donné que le Témoin 61 est la seule femme que je mentionnerai, je parlerai

  9   de la dame ou la femme ou j'utiliserai le féminin lorsque je parlerai

 10   d'elle.

 11   La Chambre n'a pas conclu que l'homme qui a violé cette femme était Idriz

 12   Balaj. Quatre hommes armés sont venus dans la maison où elle se trouvait

 13   avec le Témoin 1. Ils sont venus vers minuit et ils portaient un uniforme

 14   arborant l'insigne de l'UCK. Il y avait notamment Toger parmi eux. La dame

 15   a dit qu'il était entré dans la maison, elle a entendu les quatre autres

 16   soldats qui l'avaient appelé Toger. Toger, ça veut dire lieutenant en

 17   albanais. Les hommes armés ont emmené les témoins dans une maison dont ils

 18   savaient que c'était le QG de l'UCK à Rznic. Une fois sur place, les

 19   témoins ont été séparés. Deux des soldats ont placé le Témoin 1 dans un

 20   puits où on l'a laissé debout alors que l'eau lui parvenait à la taille.

 21   La dame a témoigné pour dire que deux des autres soldats l'avaient emmenée

 22   tout de suite dans une pièce de la maison, alors que le Témoin 1 a déclaré

 23   que c'était Toger qui l'avait emmené dans la maison. Le Témoin 1 a reconnu

 24   Toger car il le connaissait. La dame a été laissée seule dans la pièce en

 25   compagnie de ce soldat qu'elle connaissait comme étant Toger. Toger l'a

 26   interrogé, lui a demandé si son mari avait collaboré avec la police serbe;

 27   puis, il a procédé à un viol répété de la dame.

 28   Après cela, il a dit à la dame de partir. Et c'est à ce moment-là qu'on a

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  1   fait entrer son mari qui allait être interrogé. Ceci se trouve à la page du

  2   compte rendu 3 996, 4 024, 4 025 et 4 045. Peu de temps après avoir été

  3   relâchée, elle a dit à son mari et à des parents que Toger l'avait violée.

  4   Et ceci a été reporté à l'UCK local ce matin-là.

  5   Ces faits le prouvent, elle a identifié le violeur comme étant Toger,

  6   soldat de l'UCK. La Chambre a conclu que Toger était Idriz Balaj. Vu cette

  7   constatation, il était déraisonnable d'acquitter Balaj du chef d'accusation

  8   de viol. En ayant un doute raisonnable quant à l'identité de Toger comme

  9   étant le violeur, la Chambre a commis trois erreurs consécutives qu'on

 10   trouve au paragraphe 469 du jugement.

 11   D'abord, la Chambre a mal interprété la déposition du témoin lorsqu'elle a

 12   conclu qu'elle avait pu faire une erreur entre Toger et quelqu'un d'autre

 13   parce qu'il faisait trop sombre pour voir les soldats qui étaient venus

 14   chez elle. Deuxième erreur, la Chambre a eu tord de conclure que le fait

 15   que le Témoin 1 n'avait pas pu voir qui avait emmené la dame dans la pièce

 16   où elle a été violée soulevait des doutes quant à l'identité du violeur.

 17   Troisième erreur de fait, la Chambre n'a pas suffisamment insisté sur le

 18   fait que la dame se souvenait de l'aspect physique du violeur et a estimé

 19   que ceci semait le doute sur son identité. Si l'on fait la somme de ces

 20   trois erreurs, on comprend comment la Chambre s'est trompée lorsqu'elle a

 21   conclu qu'il y avait un doute et que c'était déraisonnable.

 22   Prenons chacune de ces erreurs de façon plus détaillée. La Chambre a mal

 23   interprété la déposition du témoin. Elle a conclu qu'il était "possible"

 24   qu'elle ait fait la confusion entre Toger et quelqu'un d'autre car "elle a

 25   déclaré qu'il faisait trop noir pour qu'elle voie les soldats qui étaient

 26   venus chez elle."

 27   Cette erreur, elle trouve sa cause dans le mauvais résumé que fait la

 28   Chambre au paragraphe 460 du jugement. Elle s'est appuyée sur la page du

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  1   compte rendu 4 043 pour conclure que l'obscurité avait empêché la dame de

  2   bien décrire les soldats. Mais la page du compte rendu 4 043 parle des

  3   trois soldats qu'elle a vus à l'extérieur de sa maison, et elle ne parlait

  4   pas de Toger qui était entré dans la maison.

  5   Elle a déclaré que Toger était entré chez elle, et c'est là qu'elle l'a vu.

  6   Elle a aussi entendu que les autres soldats l'appelaient Toger. Page du

  7   compte rendu 4 005 et page 4 001 du compte rendu d'audience.

  8   Elle a identifié Toger comme étant le soldat qui l'avait interrogée et

  9   l'avait violée. La Chambre avait accepté ce qu'elle avait déclaré, à savoir

 10   que les autres l'appelaient Toger. A la lumière de ce fait, la conclusion

 11   selon laquelle elle a peut-être fait la confusion entre Toger et quelqu'un

 12   d'autre fut une conclusion déraisonnable de la part de la Chambre.

 13   Deuxième erreur de la Chambre, elle a estimé qu'il y avait un doute

 14   raisonnable parce que le Témoin 1 n'avait pas pu voir qui avait emmené la

 15   dame dans la pièce où elle a été violée. Le Témoin 1 n'a jamais parlé de

 16   l'identité de la personne qui avait emmené la dame dans la pièce. Ce témoin

 17   a parlé de la personne qui l'avait emmenée dans la maison. Et la seule

 18   déclaration directe, le seul témoignage direct, c'est celui de la femme

 19   lorsqu'elle a parlé de façon tout à fait claire et cohérente de son

 20   violeur, de Toger. Le fait que le Témoin 1 n'a pas vu qui avait emmené la

 21   dame dans la pièce n'empêche pas que ce témoin ou que la dame ait fait une

 22   déclaration tout à fait claire, qui ne soulève aucun doute. Donc conclusion

 23   déraisonnable de la Chambre.

 24   La dame a dit qu'elle avait été séparée du Témoin 1, qu'elle avait

 25   été emmenée aussitôt dans une pièce où elle avait été laissée en la seule

 26   présence de Toger. Des soldats qui l'avaient emmenée de chez elle étaient

 27   restés à la porte, mais Toger lui a dit de partir. Elle était restée seule

 28   avec Toger. Toger l'a d'abord interrogée puis a procédé à son viol répété.

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  1   De plus, et c'est important pour la deuxième erreur, la dame a dit aussitôt

  2   au moment des faits que Toger l'avait violée. C'est ce qu'a dit le Témoin

  3   1, et ceci se trouve aussi aux pages du compte rendu d'audience 4 048, 7

  4   108 et 7 109. Puisqu'il y a eu cette communication, ses parents sont allés

  5   se plaindre aux chefs locaux de l'UCK ce jour-là, le matin, du fait que

  6   Toger avait violé cette dame.

  7   Troisième erreur, la Chambre a conclu que le souvenir qu'elle avait

  8   de l'aspect physique de son violeur ne suffisait pas ou ne correspondait

  9   pas aux caractéristiques de Balaj. Mais il était déraisonnable de penser

 10   que ceci semait le doute quant à la responsabilité de Balaj. Une fois de

 11   plus, elle a entendu les autres soldats appeler cet homme du nom de Toger,

 12   et elle l'a identifié au moment des faits comme étant Toger. Et cette

 13   évidence n'est pas contestée par le fait qu'elle n'a pas plus tard réussi à

 14   identifier quatre ans après le viol dans un tapissage Toger comme étant

 15   l'auteur du viol, ou le fait qu'elle ne l'a pas reconnu neuf ans après les

 16   faits, dans le prétoire.

 17   Et ce qu'elle dit, tout au long, à savoir que Toger l'a violée, ce

 18   n'est pas contesté par l'observation qu'elle fait quand elle l'a vu à la

 19   télévision ici, à La Haye, qu'il ne ressemblait pas à Toger, mais qu'il

 20   avait l'air plus vieux. Ce n'est pas surprenant. Ça se passe sept ans après

 21   les viols et il n'est pas surprenant qu'il ait l'air plus vieux que le

 22   violeur qui l'a violée à l'époque.

 23   Elle présente, dans sa description de Toger, six éléments dont quatre

 24   sont résumés au paragraphe 460 du jugement, et toutes ses caractéristiques,

 25   tous ses traits correspondent bien à Balaj.

 26   Je les présente : l'origine, elle dit qu'il n'était pas de son village,

 27   Balaj vient d'une autre municipalité; l'âge, elle dit qu'il avait 25 ans à

 28   peu près, à l'époque, Balaj devait avoir 26 ou 26 ans. La langue; la teinte

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  1   de ses cheveux; sa taille, elle a dit qu'il était un peu plus grand

  2   qu'elle, page du compte rendu 4 000, Balaj a 20 centimètres de plus que le

  3   témoin, mais ce n'est pas une différence essentielle, parce que c'est tout

  4   à fait subjectif quand on dit "un peu plus petit", et ce qui est important

  5   c'est qu'il est plus grand et pas plus petit qu'elle. Dernier élément,

  6   dernière caractéristique : le commandement. Ce qu'elle a déclaré prouve que

  7   Toger a agit comme étant la personne qui avait le pouvoir la nuit où elle a

  8   été violée. Et il avait le pouvoir des hommes, donc il avait une autorité

  9   sur les hommes qui l'accompagnaient. Il leur a dit d'apporter un bâton et

 10   leur a donné l'ordre de quitter la pièce. C'est lui qui a agit comme une

 11   personne investie de pouvoir par rapport à elle lorsqu'il l'a interrogée,

 12   lorsqu'il lui a dit de se coucher, de se déshabiller, et lorsqu'il lui a

 13   dit après l'avoir violée de ne pas le dire à son mari et de sortir.

 14   Toger avait le commandement au cours de ces événements, la Chambre n'a pas

 15   tenu compte des éléments identifiant le violeur. Et cet aspect montre que

 16   celui qu'elle appelait Toger, c'était bien Balaj.

 17   La Chambre, s'agissant d'un autre incident, a conclu que "Toger" ça

 18   veut dire "lieutenant" en albanais. La Chambre a conclu qu'il n'y avait

 19   qu'un Toger dans la zone de Dukagjin, pendant la période couverte par

 20   l'acte d'accusation. Elle a conclu que les éléments de preuve montraient

 21   bien, tout au long, que Balaj avait une position d'autorité dans l'UCK et

 22   portait un uniforme noir, tout comme les hommes qui étaient venus à la

 23   maison des témoins. Outre ces constatations, les éléments de preuve ont

 24   montré que Balaj avait le commandement des Aigles Noirs, unité de l'UCK

 25   cantonnée dans la maison où ont été emmené les témoins et où le Témoin 61 a

 26   été violé. Nous avons présenté des éléments de preuve à cet effet dans le

 27   paragraphe 53 de notre mémoire en appel.

 28   Pour en terminer des erreurs de fait, je dirais que le Témoin 61, cette

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  1   dame a été victime de viol et de torture. Pendant qu'elle était violée,

  2   elle avait tellement peur d'être tuée par son violeur qu'elle n'a pas osé

  3   crier. Et pendant trois ans après le viol, elle n'a pas pu avoir d'enfant

  4   et elle avait besoin d'être traitée par un médecin. En dépit de ces

  5   circonstances traumatiques, son témoignage fut tout à fait cohérent. Elle a

  6   toujours dit que c'était Toger qui l'avait violée. Ayant accepté ce qu'elle

  7   disait, à savoir qu'un des hommes à qui on s'adressait c'était Toger et

  8   après avoir conclu que Balaj c'était bien Toger, la Chambre a eu tort de ne

  9   pas condamner Balaj. La Chambre devrait corriger cette injustice et

 10   déclarer Idriz Balaj coupable de viol, torture et traitement cruel, et

 11   imposer une peine adéquate.

 12   Je n'ai pas abordé l'élément de l'erreur de droit. Je dirais deux

 13   choses. En ne concluant pas qu'il y a eu traitement cruel du témoin, la

 14   Chambre a commis une erreur de droit, car elle n'a pas englobé les

 15   constations faites dans la disposition du Statut et du Règlement qu'il

 16   fallait appliquer. Elle doit appliquer le droit adéquat à des

 17   constatations, et si on avait déterminé qu'il y avait traitement cruel, il

 18   fallait appliquer, s'agissant du Témoin 1, les dispositions juridiques

 19   s'imposant, ce qui n'a pas été fait. Les actes n'étaient pas limités au

 20   fait qu'il été placé dans un puits, ceci s'appliquait à tous les actes

 21   exécutés ce jour-là.

 22   La deuxième chose c'est que la Chambre s'est trompée en droit en ne

 23   tirant pas de conclusion de culpabilité s'agissant de Balaj. Nous disons

 24   que ce qu'il a fait est équivalent à un traitement cruel, notamment par

 25   l'interrogatoire du Témoin 1.

 26   Dans une autre affaire, la Chambre de première instance Limaj a

 27   condamné un accusé, au paragraphe 652 de son jugement, de traitement cruel

 28   de concert avec d'autres, a conclu à sa participation personnelle aux

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  1   éléments matériels de l'infraction. Et la Chambre d'appel, ici, devrait

  2   conclure que Balaj, avec d'autres soldats de l'UCK, a participé à un

  3   comportement qui représente un traitement cruel et devrait lui imposer la

  4   peine adéquate.

  5   Merci.

  6   Je ne sais pas si vous avez des questions.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, merci beaucoup.

  8   Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] Merci.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il revient maintenant à M. Emmerson

 10   -- Excusez-moi, M. le Juge Meron a une question à vous poser.

 11   M. LE JUGE MERON : [interprétation] La déclaration de Kabashi, à l'annexe A

 12   de votre mémoire en appel, lorsqu'il est fait référence à la disposition

 13   89(F).

 14   M. KREMER : [aucune interprétation]

 15   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je répète la question. Annexe A de

 16   votre mémoire en appel.

 17   M. KREMER : [interprétation] Oui.

 18   M. LE JUGE MERON : [interprétation] On y trouve une déclaration de Kabashi

 19   du 24 octobre 2004 et du 1e juin 2007.

 20   M. KREMER : [interprétation] Oui.

 21   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Est-ce qu'une de ces déclarations est

 22   la déclaration dont vous parliez ?

 23   M. KREMER : [interprétation] Oui, la déclaration du 24 octobre 2004 n'a pas

 24   été incluse dans notre écriture du départ et c'était un document supplétif,

 25   déposé peu de temps après le dépôt du mémoire.

 26   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Donc quand vous parlez du fait que la

 27   Chambre de première instance n'a pas eu recours au 89(F), c'est bien de

 28   cela dont vous parlez ?

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  1   M. KREMER : [interprétation] Oui, ce sont ces deux déclarations qu'on

  2   trouve à l'annexe A, corrigées par le document supplétif A, celui de

  3   Kabashi.

  4   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Et vous les utilisez ici ?

  5   M. KREMER : [interprétation] Oui.

  6   Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] Une correction du compte rendu, si

  7   vous me le permettez, lorsque j'ai parlé -- En français, la mention était

  8   correcte, 4045, mais en anglais, j'avais dit 4046.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Emmerson, vous avez la

 10   parole.

 11   M. EMMERSON : [interprétation] Monsieur le Président, Madame et Messieurs

 12   les Juges, ce que je vais dire au nom de M. Haradinaj se bornera à l'examen

 13   du premier moyen. En bref, les arguments présentés par l'Accusation sont

 14   fondamentalement mal présentés, car c'est une sélection tout à fait

 15   arbitraire des faits et qui ne tient pas compte des efforts entrepris par

 16   la Chambre pour (expurgé)

 17   disons que l'Accusation n'a pas, ne serait-ce que de loin, réussi à prouver

 18   que la Chambre a commis une erreur manifeste ou a mal utilisé le pouvoir

 19   qui est le sien.

 20   De plus, et c'est peut-être encore plus important, nous faisons

 21   valoir que ce que dit l'Accusation de ce qui constitue un procès équitable

 22   est erroné. Dire que ce procès n'aurait jamais pu être marqué d'équité si

 23   ces deux témoins n'avaient pas déposés, à mon avis, c'est tout simplement

 24   mal comprendre les éléments constitutifs d'un procès équitable. Que demande

 25   le Statut et que demande le Règlement ? Ils demandent qu'un procès

 26   équitable ce soit un procès mené équitablement et conformément aux

 27   Règlements de procédure et de preuve, tout en respectant pleinement ces

 28   règles qui veillent à la protection des droits de l'accusé.

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  1   Monsieur le Président, si on analyse bien les faits, c'est patent,

  2   disons-nous, la Chambre de première instance a donné à l'Accusation

  3   suffisamment de temps et suffisamment l'occasion d'obtenir la déposition du

  4   témoin.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Puis-je vous interrompre.

  6   M. EMMERSON : [interprétation] Oui.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si je comprends bien, vous faites

  8   référence à un témoin. Peut-être est-il utile de passer à huis clos

  9   partiel.

 10   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 11   [Audience à huis clos partiel]

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  4   [Audience publique]

  5   M. EMMERSON : [interprétation] Nous considérons qu'au vu des faits, il est

  6   évident que la Chambre de première instance a donné à l'Accusation toutes

  7   les possibilités d'obtenir le témoignage de ces deux témoins. Ces deux

  8   témoins ont toujours refusé de déposer pendant tout le procès en sachant

  9   extrêmement bien quelles étaient les conséquences de leurs actes, et ils

 10   bénéficiaient, cela dit, pourtant, d'un conseil juridique. Donc la Chambre

 11   de première instance a essayé d'obtenir leur déposition, de les obliger de

 12   déposer, et parce qu'ils ont refusé délibérément de testifier ici à La

 13   Haye, la Chambre de première instance a permis à l'Accusation de demander

 14   des injonctions de comparaître ou des comparutions par conférence vidéo.

 15   Donc pour ce qui est de Kabashi et pour les autres témoins, ceci a été

 16   fait, donc il y avait des demandes du comité rogatoire envoyées aux

 17   différents Etats et a autorisé à l'Accusation de proroger le temps qui lui

 18   avait été alloué, et ce, à trois reprises, afin de permettre à l'Accusation

 19   d'obtenir le témoignage de ces témoins.

 20   Donc pour parler simplement, la Chambre de première instance a fait tout ce

 21   qu'elle pouvait pour essayer d'obtenir ces dépositions. A la fin de la

 22   présentation des moyens de l'Accusation, il était impossible de penser que

 23   ces témoins allaient changer d'avis et allaient décider de témoigner. Etant

 24   donné qu'on était certains que les témoins n'allaient pas vouloir déposer

 25   dans un avenir proche, de ce fait, la Chambre de première instance a eu

 26   raison de se dire que l'Accusation avait eu toute la possibilité nécessaire

 27   d'obtenir ces témoignages et donc nous considérons que la conclusion de la

 28   Chambre de première instance est parfaitement raisonnable.

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  1   Maintenant, pour ce qui est des arguments présentés par M. Kremer, il y a

  2   deux points qui sont présentés en ce qui concerne les griefs de M. Kremer.

  3   Tout d'abord, la Chambre de première instance n'a pas admis les

  4   déclarations au titre de l'article 89(F) en absence de toute demande de

  5   l'application. Et ensuite, plus généralement, l'Accusation, dans son

  6   mémoire d'appel, a déclaré que la Chambre de première instance aurait dû

  7   leur donner plus de temps et aurait dû utiliser mieux le Règlement de

  8   procédure que ce qui a été fait.

  9   Mais c'est ce qu'ils disent dans leur mémoire d'appel, mais les arguments

 10   présentés ce matin par M. Kremer qui, d'après M. Kremer, étaient évidents

 11   pour obtenir un procès équitable, que la Chambre de première instance

 12   aurait dû le prendre en compte dans sa propre requête, en fait, ça n'a pas

 13   été du tout fait lors du procès, ça n'a même pas été fait dans le mémoire

 14   d'appel. Ça vient juste d'être présenté.

 15   Etant donné que les détails sont importants, bien sûr, il va falloir que je

 16   rentre dans le déroulement chronologique de la procédure, mais avant de ce

 17   faire, j'ai quelques propos liminaires à faire en ce qui concerne tout

 18   d'abord le temps alloué à l'Accusation pour présenter ses moyens. Dans le

 19   mémoire d'appel de l'Accusation, l'Accusation semble dire qu'ils n'ont pas

 20   eu assez de temps et ils semblent dire que la Chambre de première instance

 21   préférait la rapidité à l'équité.

 22   Mais lors de la Conférence de mise en état du 1er mars, l'Accusation a eu

 23   droit à 125 heures pour présenter ses moyens. M. David Re, le premier

 24   substitut du Procureur, à ce moment-là, n'a jamais déclaré, ni par la suite

 25   d'ailleurs, que ces 125 heures ne seraient pas suffisantes pour présenter

 26   les moyens de l'Accusation, et l'Accusation n'a jamais d'ailleurs demandé à

 27   la Chambre de première instance d'avoir plus de temps, et quand on regarde

 28   les comptes rendus du greffe, on voit qu'en tout, l'Accusation a utilisé

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  1   environ 128 heures pour la présentation de ses moyens et pour ses témoins.

  2   Alors pourquoi est-ce que c'est important ? Parce que dans le but de cet

  3   appel, nous faisons valoir que le temps qui a été donné à l'Accusation

  4   n'est finalement pas le problème en l'espèce. Parce que la Chambre de

  5   première instance a bien fait remarquer, dans toutes les décisions qu'elle

  6   a prises à propos de ces deux témoins, qu'elle était prête à autoriser

  7   l'Accusation à avoir plus de temps, elle était prête à leur allouer plus de

  8   temps, mais pour ce faire, il aurait fallu que l'Accusation puisse

  9   démontrer que ces deux témoins ou l'un au moins de ces témoins soit prêt à

 10   déposer. Alors, finalement, ils n'ont pas déposé, mais ce n'est pas parce

 11   que l'Accusation n'avait plus de temps, mais c'est uniquement parce que ces

 12   deux témoins, délibérément, ont refusé de déposer, et cela, jusqu'à la fin

 13   du procès, ils n'ont jamais changé d'avis.

 14   Shefqet Kabashi, comme l'a dit M. Kremer, a été d'abord cité par

 15   l'Accusation le 5 juin. Il a fait la déclaration solennelle et ensuite il a

 16   refusé de répondre à la moindre question posée par l'Accusation. Donc

 17   l'Accusation, dans son mémoire et dans ses arguments, semble dire qu'il ne

 18   voulait pas témoigner parce qu'il avait peur, mais ce n'est pas du tout ce

 19   qu'il a dit lors de l'audience. Lorsqu'on lit le compte rendu, il a donné

 20   toutes sortes de raisons pour expliquer pourquoi il ne voulait pas

 21   témoigner et ses raisons ont été un petit peu incohérentes, d'ailleurs.

 22   A un moment, il a dit qu'il devait certes remplir ses obligations civiques

 23   de témoigner, mais uniquement si la vie au Kosovo était normale; elle ne

 24   l'était pas à ce moment-là. Ensuite, il a dit que personne ne l'avait

 25   menacé, que personne ne l'avait obligé à déposer, donc qu'il ne voulait pas

 26   déposer, mais pas parce qu'il avait peur. En fait, c'est des allégations de

 27   menaces venant de la part de l'Accusation plutôt que de la Défense. Il a

 28   dit que de ce fait il ne voulait pas témoigner, il n'en était pas capable

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  1   ni moralement ni psychologiquement.

  2   Le Président de la Chambre l'a averti à plusieurs reprises qu'il risquait

  3   d'être accusé d'outrage, qu'il était passible de sept ans de prison. Mais

  4   M. Kabashi a bien expliqué qu'il comprenait quelles étaient les

  5   conséquences de son refus de témoigner et qu'il préférait aller en prison

  6   pour outrage plutôt que de témoigner. Il a reçu l'aide d'un conseil

  7   juridique du Tribunal, Me Karnavas, extrêmement expérimenté, très

  8   chevronné; donc il a parfaitement compris quelles étaient les conséquences

  9   de sa position. Ensuite, le Président de la Chambre lui a demandé de

 10   confirmer qu'il comprenait bien quelles étaient les conséquences qu'il

 11   encourrait s'il refusait de témoigner; il a dit que oui. Et Me Karnavas

 12   d'ailleurs a confirmé la réponse de M. Kabashi.

 13   Donc, la Chambre de première instance est passée à l'étape suivante, a

 14   décidé donc d'accuser M. Kabashi, de le citer pour outrage au titre de

 15   l'article 77(D). Il devait venir au Tribunal le 7 juin. Il a décidé de ne

 16   pas se rendre au Tribunal et a préféré rentrer dans son pays de résidence,

 17   et ce, sans autorisation. Ensuite, on est passé à l'étape suivante, c'est-

 18   à-dire à une demande d'arrestation. Un mandat d'arrêt a été lancé contre M.

 19   Kabashi pour qu'il se rende aux autorités compétentes aux Etats-Unis pour

 20   qu'on puisse le renvoyer au TPIY.

 21   Mais visiblement, la Chambre de première instance a laissé tomber ce

 22   mandat d'arrêt le 4 juillet parce que le greffe avait été informé par

 23   l'ambassade américaine de La Haye que M. Kabashi avait changé d'avis et

 24   était d'accord pour se rendre volontairement à La Haye. Mais lorsque le

 25   greffe a essayé de contacter directement M. Kabashi pour organiser son

 26   voyage, il leur a dit à ce moment-là qu'il n'était plus du tout prêt à

 27   venir. Donc la Chambre de première instance est passée encore à l'étape

 28   suivante, c'est-à-dire de remettre en vigueur le mandat d'arrêt.

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  1   Donc la Chambre de première instance a essayé d'obtenir l'arrestation

  2   de M. Kabashi aux Etats-Unis, mais malgré tous ces efforts déployés par la

  3   Chambre de première instance, il n'est jamais revenu au Tribunal pour

  4   comparaître dans le cadre de son procès pour outrage. Donc, il a continué

  5   de dire qu'il refusait de témoigner.

  6   L'Accusation, en ce qui la concerne, n'a rien fait après le 5 juin

  7   pour essayer d'obtenir sa déposition avant le 25 octobre, c'est-à-dire 12

  8   jours avant la fin de la présentation des moyens. Et c'est la première fois

  9   que l'Accusation a demandé qu'il y ait une ordonnance obligeant M. Kabashi

 10   à témoigner par conférence vidéo depuis les Etats-Unis. La Chambre de

 11   première instance a déclaré qu'elle était prête à faire droit à cette

 12   demande, parce que toutes les autres tentatives n'avaient pas réussi pour

 13   obtenir cette déposition. Donc tout a été fait pour que la conférence vidéo

 14   ait lieu avant la fin de la présentation des moyens, à deux reprises

 15   d'ailleurs, la conférence vidéo a été organisée.

 16   Donc, la Chambre de première instance a vraiment bien dit qu'elle

 17   n'allait pas mettre la forme avant la fond et qu'elle allait faire tout ce

 18   qu'elle pouvait pour que l'on puisse obtenir le témoignage de ce témoin.

 19   Ce qui fait que M. Kabashi a bel et bien témoigné le 20 novembre par

 20   conférence vidéo avec son commis d'office, M. Davidson, commis d'office de

 21   la cour de New York, qui avait été nommé d'office d'ailleurs pour

 22   représenter M. Kabashi dans le cadre de la citation pour outrage de M.

 23   Kabashi. Et il était aussi représenté de ce côté-ci de la conférence vidéo

 24   par Me Karnavas, qui le représentait. Et dès que l'audience a commencé, M.

 25   Kabashi a dit qu'il ne voulait pas témoigner, qu'il n'était pas prêt à

 26   témoigner, et M. Davidson l'a d'ailleurs confirmé. Donc, de ce fait,

 27   c'était la deuxième fois qu'une conférence vidéo avait été organisée ici

 28   dans le prétoire, et on a bien vu qu'il refusait encore de témoigner.

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  1   M. Davidson, choisissant très bien ses mots, a bien dit que M. Kabashi

  2   n'était pas prêt à témoigner ce jour-là, mais qu'éventuellement à l'avenir,

  3   il pourrait changer d'avis. Et l'Accusation semble dire que cela signifie

  4   que M. Kabashi était prêt à entrer en communication avec le Tribunal. Mais

  5   ça a quand même été dit par le conseil de M. Kabashi et non pas par M.

  6   Kabashi. Alors ça ne peut pas suffire pour déclarer en fait qu'il y a une

  7   base pour cette procédure d'outrage.

  8   La Chambre de première instance lui a demandé de faire la déclaration

  9   solennelle, il l'a fait en fin de compte, mais il a refusé de répondre à

 10   toute question posée par l'Accusation. L'Accusation a pu s'entretenir

 11   directement avec M. Davidson par conférence vidéo à New York et avec Me

 12   Karnavas en même temps afin de faire comprendre à M. Kabashi, par le biais

 13   de ces deux personnes, que s'il changeait d'avis et s'il acceptait de

 14   déposer, il ne risquerait plus l'outrage. Mais malgré qu'on lui ait

 15   expliqué cela, M. Kabashi a confirmé encore une fois qu'il ne voulait pas

 16   témoigner, et Me Karnavas et Me Davidson ont confirmé cela.

 17   Donc à ce moment-là, l'Accusation a essayé d'avoir un troisième report, et

 18   le Président de la Chambre, le Juge Orie, a bien fait remarquer qu'on était

 19   arrivé à un moment où la Chambre de première instance avait fait de son

 20   mieux pour obtenir la déposition, ça faisait des mois qu'on essayait

 21   d'obtenir cette déposition, et que cette personne avait toujours refusé de

 22   déposer. A un moment, il avait dit qu'il voulait bien revenir

 23   volontairement, mais il n'est pas revenu volontairement. Donc le Juge Orie

 24   a dit que si malgré cela il y avait un changement d'avis de M. Kabashi qui

 25   pourrait montrer un revirement d'opinion, qui pourrait montrer

 26   qu'éventuellement il pourrait témoigner, la Chambre de première instance

 27   était prête à faire tout ce qui était en son possible pour obtenir cette

 28   déposition. Mais le Président de la Chambre a bien dit que la Chambre de

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  1   première instance ne voulait pas qu'on arrive à une histoire sans fin en ce

  2   qui concerne ce témoin. Et c'est pour ça, nous en sommes là avec le moyen

  3   d'appel numéro 1 de l'Accusation.

  4   L'Accusation a écrit aussi à Me Davidson pour qu'il persuade M. Kabashi de

  5   venir déposer, mais il n'a jamais changé d'avis. Et malgré cela,

  6   l'Accusation a fait ensuite trois demandes, trois demandes qui, au vu des

  7   circonstances, étaient vouées à l'échec dès le départ.

  8   La première a été faite le 23 novembre. L'Accusation a déposé une requête

  9   visant la prolongation de la présentation de ses moyens en disant qu'il y

 10   avait une véritable probabilité que M. Kabashi revienne sur sa décision si

 11   on lui donnait plus de conseil juridique. Mais l'Accusation n'a pas réussi

 12   à obtenir ce changement d'opinion de la part de M. Kabashi. Il n'y a aucune

 13   indication de ses conseils semblant indiquer qu'il allait changer d'avis.

 14   C'était en fait une demande qui était basée uniquement sur une hypothèse,

 15   et elle a été rejetée d'ailleurs par la Chambre de première instance trois

 16   jours plus tard, du fait qu'il n'y avait eu aucun changement dans les

 17   circonstances puisque M. Kabashi ne voulait toujours pas témoigner.

 18   L'Accusation a bien concédé dans sa demande que M. Kabashi, à l'époque, ne

 19   voulait toujours pas témoigner. Ensuite, le fait qu'il y ait possibilité

 20   qu'avec les conseils juridiques supplémentaires il décide peut-être de

 21   témoigner à l'avenir n'était pas une justification permettant à

 22   l'Accusation de continuer à poursuivre la présentation de ses moyens.

 23   La Chambre de première instance a d'ailleurs dit dans le jugement qu'elle

 24   était tout à fait prête à obtenir ce témoignage si M. Kabashi changeait

 25   d'avis à un moment ou un autre. Mais M. Kabashi, depuis le départ et

 26   jusqu'à la fin du procès, a toujours eu la même ligne, il a toujours refusé

 27   de témoigner.

 28   Donc, Monsieur le Président, nous faisons valoir que la Chambre de

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  1   première instance avait tout à fait raison de tirer cette conclusion. M.

  2   Kabashi n'a absolument pas changé d'avis pendant cinq mois et demi, et à

  3   aucun moment il n'y a eu des indications semblant dire qu'il pourrait

  4   changer d'avis. Dès le départ, il savait exactement ce qu'il risquait

  5   pénalement, il avait été conseillé de façon parfaitement compétente par des

  6   conseils chevronnés. L'Accusation avait déjà eu à deux reprises l'occasion

  7   d'obtenir son

  8   témoignage et avait donné toutes les informations nécessaires à ces

  9   conseils pour que ces conseils puissent le conseiller de façon avisée, et

 10   ce, non pas à une reprise, mais deux fois. La Chambre de première instance

 11   a ensuite permis à l'Accusation de proroger la présentation de ses moyens

 12   par deux reprises, ce qui est parfaitement adéquat; et finalement, elle a

 13   donné une troisième possibilité sans connaître la durée possible d'une

 14   prorogation.

 15   C'était tout à fait raisonnable, parce que l'Accusation, dans sa

 16   dernière requête, était vouée à l'échec. Une fois terminée la présentation

 17   de ses moyens et après l'ordonnance portant calendrier donnée par la

 18   Chambre pour la présentation des plaidoiries et réquisitoires, le 30

 19   novembre, l'Accusation a déposé une demande de sa motion d'appel refusée

 20   par la Chambre, au motif que celle-ci ne soulevait aucune question

 21   susceptible d'avoir un effet considérable sur l'issue du procès. Pourquoi ?

 22   La réponse, de l'avis de la Chambre, c'était que même si elle avait accordé

 23   une prorogation, M. Kabashi refuserait toujours de déposer, parce qu'il

 24   avait été prouvé qu'il n'avait jamais changé d'avis. Et faire droit à la

 25   demande de l'Accusation serait l'équivalent à maintenir indéfiniment la

 26   possibilité pour l'Accusation de présenter des moyens sans en avoir la

 27   justification ni le motif.

 28   La décision de la Chambre était manifestement correcte et respectait

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  1   parfaitement l'article 73(B), car l'Accusation n'avait pas prouvé à la

  2   Chambre de première instance qu'une erreur manifeste aurait été commise.

  3   Enfin, le 17 décembre, l'Accusation a demandé l'autorisation de

  4   rouvrir la présentation de ses moyens et de faire une demande aux autorités

  5   américaines. Replaçons cette demande dans son contexte. A cette date, à la

  6   date où a été faite la requête, ça faisait plus de deux semaines qu'elle

  7   avait terminé la présentation de ses moyens. Les parties se préparaient à

  8   la rédaction des mémoires de clôture. L'Accusation pensait qu'elle devait

  9   avoir le droit de demander la déposition de M. Kabashi et que ce serait

 10   possible si elle pouvait obtenir sa déposition à quelque moment que ce

 11   soit, avant le dépôt des mémoires de clôture, prévu le 14 janvier 2008.

 12   Mais une fois de plus, la demande a été faite sans qu'on n'indique

 13   nullement qu'il y aurait eu une modification significative des

 14   circonstances. L'Accusation n'a pas laissé entendre que M. Kabashi était

 15   prêt à déposer, ni non plus qu'il y aurait des indications montrant qu'il

 16   allait sans doute changer d'avis dans un avenir proche.

 17   Madame et Messieurs les Juges, rappelez-vous les documents et le

 18   document qui était annexe, qu'il y avait eu une demande et des commentaires

 19   dans une procédure judicaire déclanchée contre M. Kabashi pour outrage aux

 20   Etats-Unis, parce qu'il n'avait pas répondu à des questions pendant la

 21   vidéoconférence. Et les Juges estimaient qu'en vertu du droit fédéral, il

 22   n'était pas passible d'outrage, parce que quand la demande pour outrage

 23   avait été déposée, il n'y avait plus de procédure ici au Tribunal et qu'on

 24   ne pouvait avoir recours au droit fédéral que pour avoir une comparution

 25   forcée si une procédure était en cours. Par conséquent, le juge nous a dit

 26   qu'il n'y avait pas de procédure en cours qui aurait justifié sa

 27   comparution forcée. Mais il remarque entre parenthèses que si la Chambre

 28   décidait de donner le droit à l'Accusation de représenter des moyens et de

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  1   fixer une date précise pour la comparution de M. Kabashi, alors il était

  2   fort probable que le juge fédéral délivre une ordonnance de comparution

  3   forcée qu'il n'était pas prêt à délivrer, car la possibilité de voir se

  4   réouvrir la présentation des moyens de charge était plus que théorique.

  5   Et c'est partant de ces commentaires que l'Accusation a fait une

  6   nouvelle demande devant la Chambre, à un stade très tardif de la procédure,

  7   pour permettre la comparution à une date précise de M. Kabashi sans être

  8   sûr qu'il y aurait la possibilité d'avoir cette comparution.

  9   Et le 23 décembre, la Chambre a rejeté cette demande pour deux

 10   raisons qui font bien la synthèse de toute cette genèse. D'abord, M.

 11   Kabashi refusait toujours de comparaître et rien ne portait à croire qu'il

 12   allait changer d'avis. Deuxième raison évoquée par les Juges, le

 13   commentaire du juge n'entraînait pas de modification des circonstances,

 14   parce que M. Kabashi avait l'obligation légale de témoigner, et ceci depuis

 15   le début, et qu'il avait déjà été accusé d'outrage devant ce Tribunal. Par

 16   conséquent, la menace d'emprisonnement n'avait pas poussé M. Kabashi à

 17   changer d'avis. Il avait déjà dit, carrément, qu'il préférait aller en

 18   prison que de témoigner. Par conséquent, la Chambre a eu raison de conclure

 19   que la perspective de nouvelles poursuites d'outrage devant un tribunal

 20   national ne modifierait pas suffisamment les circonstances que pour

 21   justifier l'autorisation pour l'Accusation à ce stade tardif de la

 22   procédure de représenter des moyens.

 23   Nous faisons valoir que cette position, nous ne rappelons pas les

 24   motivations de la Chambre, mais qu'elle est tout à fait correcte.

 25   Pour ce qui est de M. Kabashi, dans chacune de ses décisions, la

 26   Chambre a accordé tout le poids voulu à l'examen des requêtes de

 27   l'Accusation et a veillé à l'équité de la procédure. La Chambre s'est vue

 28   face à un témoin qui n'a cessé de refuser de témoigner et connaissait

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  1   parfaitement les conséquences de son refus dès le départ. L'Accusation

  2   avait amplement l'occasion de citer ce témoin et la Chambre a eu raison de

  3   rejeter chacune des applications faite par l'Accusation après le 20

  4   novembre, car il n'y avait pas la moindre preuve que ce témoin allait

  5   changer d'avis et était prêt à témoigner.

  6   Et c'est toujours le cas aujourd'hui, Monsieur le Président.

  7   Je reviens à ceci à la fin de ma présentation. La donne est carrément la

  8   même aujourd'hui s'agissant de ces deux témoins. On vous demande maintenant

  9   d'infirmer une décision de la Chambre, d'ordonner un renvoi à la première

 10   instance, alors que l'Accusation n'a pas la moindre raison de croire que

 11   l'un ou l'autre des témoins serait prêt à témoigner s'il y avait un nouveau

 12   procès.

 13   Permettez-moi de passer à une situation subsidiaire. Voyons si un de

 14   ces témoins aurait pu déposer par voie documentaire. Mais voyons d'abord ce

 15   que l'Accusation a demandé. Le 25 octobre, elle dépose une requête

 16   demandant à titre subsidiaire de la comparution forcée par vidéoconférence,

 17   que les deux déclarations préalables de M. Kabashi et sa déposition dans le

 18   procès Limaj soient versées au dossier; demande faite d'abord en vertu du

 19   92 quater. Et puis pour ce qui est des seules déclarations préalables, à

 20   titre subsidiaire suivant les conditions prévues par le 92 quater, ce

 21   serait de citer l'enquêteur qui avait interrogé M. Kabashi, qui pourrait

 22   venir parler de la teneur de ces deux déclarations préalables. Dans sa

 23   décision du 25 novembre, la Chambre de première instance a débouté

 24   l'Accusation de ces deux domaines. Forcément, la Chambre a dit que les

 25   conditions du 92 quater ne pouvaient pas être réunies parce que M. Kabashi

 26   ne pouvait pas déposer, mort ou malade qu'il était. On ne trouvait pas non

 27   plus ses coordonnées. On ne savait pas où il était. Et par conséquent, il

 28   n'était pas possible d'évoquer un enquêteur pour verser au dossier sa

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  1   déclaration, car ceci concernait les actes et comportements de l'accusé et

  2   n'était vraiment pas corroboré.

  3   Par conséquent, la Chambre a procédé à une évaluation de ces éléments

  4   et a estimé que les faits évoqués n'étaient pas corroborés. Partant de

  5   cela, elle a conclu que si ces documents étaient versés, ils pouvaient

  6   nuire à la Défense, parce que la Défense n'aurait pas l'occasion de mettre

  7   à l'épreuve la véracité de ces déclarations.

  8   S'agissant des demandes faites par l'Accusation, nous disons que les

  9   conclusions de la Chambre étaient forcément correctes. Manifestement, le 92

 10   quater ne s'appliquait pas et la Chambre avait parfaitement le droit de

 11   juger, face à son pouvoir discrétionnaire, que puisqu'il s'agissait des

 12   déclarations portant sur les faits et comportements de l'accusé, il n'était

 13   pas correct de faire venir un enquêteur, que ce serait nuire à la Défense.

 14   Par conséquent, l'Accusation n'a pas du tout réussi à le prouver. Elle ne

 15   le dit d'ailleurs plus. Elle ne dit pas qu'il y a une erreur de droit dans

 16   les deux décisions de la Chambre. Si nous avons bien compris M. Kremer, il

 17   ne dit pas que ce furent des décisions erronées. Mais ce qu'il laisse

 18   entendre maintenant, et manifestement, il a formulé cet avis après le dépôt

 19   du mémoire d'appel. Il n'y a pas eu d'autres dépositions récemment. C'est

 20   qu'on évoque maintenant le 89(F) comme étant une autre façon séparée

 21   d'introduire et de verser au dossier les déclarations, sans le 92 bis et

 22   sans le 92 quater. Mais ça mérite un moment de réflexion pour penser au

 23   lien entre le 89(F) et la série des articles 92, qui précisent les

 24   modalités de versement de déclaration au dossier.

 25   Ce que nous faisons valoir c'est que si ceci permet le versement de

 26   déclaration préalable, dans l'intérêt supérieur de la justice, l'article

 27   89(F), c'est une disposition générale. Le 92 bis, le 92 ter, le 92 quater

 28   représentent la lex specialis pour déterminer si une déclaration préalable

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  1   est recevable ou pas. Soyons plus précis. La condition générale du 89(F)

  2   qui dit qu'il faut aussi l'intérêt de la justice, disons que c'est façonné

  3   beaucoup plus minutieusement pour voir l'équilibre entre les deux parties,

  4   équilibre précisé par les 92 bis, ter et quater.

  5   Le 92 bis permet la déposition s'il n'y a pas de témoignage à

  6   l'audience, mais uniquement si c'est une déclaration qui ne concerne pas

  7   les actes et comportements de l'accusé. Manifestement, M. Kremer semble

  8   dire que même si on ne peut pas faire venir le témoin, il faut demander un

  9   nouveau procès en première instance et la Chambre devrait accepter la

 10   déclaration en vertu du 89(F), mais en utilisant les dispositions du 92

 11   bis. A moins qu'on autorise le versement des déclarations préalables qui ne

 12   concernent pas les actes et comportements de l'accusé. C'est en fait

 13   contre-productif, ça voudrait dire qu'il faudrait renverser, infirmer le

 14   jugement de la Chambre pour permettre le versement des déclarations qui ne

 15   concernent pas les actes et comportements de l'accusé. C'est en fait ce que

 16   propose M. Kremer.

 17   Mais les 92 bis, ter et quater, si on les prend ensemble, c'est une

 18   façon bien précise de déterminer où est l'intérêt de la justice que demande

 19   le 89(F). Mais si ceci va susciter une décision, faites-là, s'il vous

 20   plaît. Il n'y a pas ici d'espace possible entre le 89(F) et les 92 parce

 21   que ça représente la lex specialis pour le 89(F). Vu de l'autre bout de la

 22   lorgnette, au minimum, l'interprétation exige l'examen complet du Règlement

 23   et il faut qu'il y ait concordance entre les différents articles du

 24   Règlement. Si on permet l'introduction par un autre article de quelque

 25   chose qui ne relève pas des 92, à ce moment-là, ces déclarations ne

 26   seraient plus nécessaires. Les dispositions ne seraient plus nécessaires

 27   si, effectivement, on donnait plus de latitude pour verser ces déclarations

 28   au dossier.

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  1   Mais il n'en demeure pas moins que l'Accusation n'a pas fait une

  2   telle requête et on ne s'arrête pas là. A mon avis, l'Accusation a renoncé

  3   à ce droit. Ce serait tout à fait neuf que d'avoir cette démarche,

  4   l'Accusation le concède à la dernière minute, au pied levé. Mais on ne peut

  5   pas reprocher à la Chambre de première instance de ne pas avoir tenu compte

  6   de cela, de quelque chose qu'on vient de trouver.

  7   De plus, la Chambre de première instance connaît bien les Règlements

  8   et leur interaction. Et manifestement, la Chambre tenait effectivement à

  9   bien tenir compte de ceci, s'agissant de la déposition de ces deux témoins

 10   concernés, et elle l'a fait connaissant parfaitement le fonctionnement des

 11   Règlements. En l'absence d'une demande précise de l'Accusation et cette

 12   déclaration qui a été rejetée, nous faisons valoir que la Chambre de

 13   première instance est tout à fait correcte s'agissant de Kabashi. Pour ce

 14   qui est de l'autre témoin, l'Accusation n'a jamais évoqué quelque article

 15   que ce soit pour demander le versement de sa déclaration préalable. J'y

 16   viendrai dans un instant.

 17   L'autre témoin avait dit à l'Accusation qu'il ne voulait pas

 18   témoigner avant le début du procès déjà. Le 9 janvier, ce témoin a dit à

 19   l'Accusation qu'il n'allait pas déposer et que c'était une décision

 20   définitive sans appel. On n'a pu le recontacter et ceci pendant près de

 21   cinq mois. Le 1er mai, l'Accusation lui a parlé et ce témoin a dit qu'il

 22   refusait de témoigner et que s'il y avait comparution forcée, il n'allait

 23   rien dire à l'audience. Il ne voulait aucunement coopérer avec le bureau du

 24   Procureur, a-t-il dit. Il ne voulait pas être recontacté. Et c'est ce qu'il

 25   a répété à un représentant de la Section des Victimes et des Témoins le 23

 26   mai, même s'il a apporté un complément d'information disant qu'il avait un

 27   problème cardiaque qui était finalement sans importance.

 28   Le 12 juin, la Chambre a fait droit à la demande de comparution

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  1   forcée présentée par l'Accusation (expurgé) le

  2   26 juin. La note de signification rappelle qu'il refusait toujours de

  3   comparaître, ce qu'il n'a pas fait; il n'a pas répondu à la convocation du

  4   26 juin.

  5   Le 7 juillet, le premier substitut du Procureur et (expurgé)

  6   (expurgé)

  7   (expurgé) témoigner, que ce soit de viva voce ou par "videolink"

  8   et il a dit qu'il n'allait pas coopérer avec le Tribunal --

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous avez mentionné en anglais

 10   le nom du témoin ou son pseudonyme.

 11   M. EMMERSON : [interprétation] Mes excuses.

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [aucune interprétation]

 13   M. EMMERSON : [interprétation] Il a aussi refusé, à ce stade, d'entrer dans

 14   un programme de protection de témoin. Le 16 août, l'Accusation a demandé

 15   une ordonnance exigeant que les autorités nationales de son pays de

 16   résidence le forcent à comparaître par vidéoconférence.

 17   La Défense a fait objection, mais la Chambre a quand même accordé cette

 18   requête le 14 septembre. Et pour pouvoir organiser la vidéoconférence,

 19   l'Accusation a demandé et obtenu une prorogation de la présentation de ses

 20   moyens de façon à avoir la vidéoconférence les 13 et 15 novembre. Mais le 9

 21   novembre -- je le rappelle au paragraphe 76 de notre mémoire, là, il y a

 22   une erreur, ce n'est pas le 9 septembre, comme c'est indiqué, mais le 9

 23   novembre. Ce jour-là, la Section des Victimes et Témoins a informé

 24   l'Accusation que cet autre témoin refusait de participer à cette

 25   vidéoconférence. Il avait reçu la visite d'un officier de la police qui lui

 26   avait signifié cette comparution forcée. Et cet officier a rappelé que

 27   c'était un refus catégorique de la part de cet autre témoin. Il était

 28   catégorique, il refuserait de se rendre sur les lieux où allait se faire la

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  1   vidéoconférence.

  2   On a quand même fait les préparatifs nécessaires à cette vidéoconférence

  3   comme prévu, et un officier instrumentaire est allé dans ce pays de

  4   résidence. Il fallait s'y attendre, le témoin ne s'est pas présenté le 13.

  5   Des dispositions étaient prises pour procéder à son arrestation pour le

  6   transférer là où allait se faire la vidéoconférence. Il a été arrêté dans

  7   la nuit du 14 novembre et placé en garde-à-vue. Un petit détail. Il a été

  8   arrêté dans la nuit du 14, il est placé en détention. Le lendemain matin,

  9   il a comparu dans un tribunal national avec l'aide d'un conseil. Et au

 10   cours de cette audience, il a donné son accord pour aller là où allait se

 11   faire la vidéoconférence, mais une fois conseillé par son avocat, il a dit

 12   qu'il n'allait de toute façon pas parler s'il y allait. Il faut voir ce

 13   contexte, c'est comme ça que s'est déroulée l'audience du 15. Le témoin

 14   avait dit qu'il allait aller là où la vidéoconférence allait se faire, mais

 15   qu'il refuserait de répondre aux questions.

 16   Le problème c'est qu'il y a eu toute une série de retards dans les vols et

 17   vu la différence dans les horaires, il a dit qu'il ne pouvait pas

 18   comparaître devant la Chambre avant 19 heures. Or, c'était à cette heure-là

 19   normalement que se terminait l'audience.

 20   Et là, je reviens à la question posée par le Juge Liu qui voulait savoir

 21   pourquoi il y avait eu cette suspension d'audience.

 22   Dans son mémoire en appel, mais aussi je pense dans les moyens présentés ce

 23   matin, M. Kremer critique la Chambre, dit qu'elle n'a pas pris les

 24   dispositions nécessaires pour avoir une audience qui se prolonge après 19

 25   heures pour entendre le témoin le 16. Si on ne vérifie pas les dispositions

 26   prises - là, je n'ai pas vérifié, je me trompe peut-être, je demanderai

 27   peut-être au greffe de vérifier - mais vraiment il y a eu des raisons

 28   convaincantes sur le plan administratif qui expliquaient pourquoi on ne

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  1   pouvait pas avoir l'audience le 16 parce qu'il y avait d'autres engagements

  2   qu'avait la Chambre. On peut voir ce qu'il en était, si c'est nécessaire.

  3   Mais on le disait dans notre mémoire en appel, lorsque l'Accusation a

  4   demandé, peu de temps après d'ailleurs une nouvelle prolongation du temps

  5   qui lui avait été donné, elle a accepté puisqu'il était impossible que les

  6   Juges prolongent l'audience après 19 heures et le 16 août aussi.

  7   L'Accusation n'a sûrement pas demandé la poursuite et la déposition de ce

  8   témoin qui devait durer trois jours, si on avait vraiment pu commencer sa

  9   déposition après 19 heures le 15.

 10   Mais laissons tout ceci de côté et laissons aussi les motifs de côté.

 11   Le grief est tout à fait infondé parce que la Chambre de première instance

 12   a donné une nouvelle occasion, une nouvelle chance à l'Accusation. Elle

 13   aurait pu citer ce témoin quelques jours plus tard. Pour le dire autrement,

 14   l'Accusation a fait une requête le 16, le lendemain de cet échec au niveau

 15   de la vidéoconférence, (expurgé)

 16   (expurgé)

 17   (expurgé).  Objection de la Défense, mais la

 18   Chambre fait droit à la demande de l'Accusation et des dispositions sont

 19   prises pour qu'il y ait une vidéoconférence le 26 novembre. Alors, quelle

 20   que fut la situation le soir du 15, ça n'a plus lieu d'être puisqu'on a

 21   quand même donné plus tard à l'Accusation la possibilité d'entendre ses

 22   témoins.

 23   Mais le 23 novembre, trois jours avant la date prévue pour la

 24   vidéoconférence, l'Accusation dit à la Chambre que ce témoin était

 25   hospitalisé pour des raisons psychiatriques et qu'il ne pourra pas déposer

 26   le 26. L'Accusation a dit que le psychiatre devait procéder à une nouvelle

 27   analyse sept ou dix jours plus tard. On est à trois jours de la

 28   vidéoconférence. Le témoin est hospitalisé dans un hôpital psychiatrique.

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  1   Tout indique qu'on va faire un bilan sept ou dix jours plus tard.

  2   Mais laissons même cette situation de côté. Nous avons à faire à un

  3   témoin qui refuse de comparaître, qu'il soit cité devant un tribunal ou

  4   pas. Je ne suis pas ici à même de vous dire s'il était vraiment malade sur

  5   le plan psychiatrique, mais ce qui a été dit c'est qu'il avait été

  6   hospitalisé. Est-ce que c'était une façon de ne pas comparaître ou est-ce

  7   que c'était vrai, on ne sait pas. Mais manifestement, l'Accusation, une

  8   fois saisie de cette information, se trouvait face à un dilemme.

  9   Plusieurs possibilités lui étaient offertes pour essayer d'obtenir sa

 10   comparution. Ils auraient pu demander une extension du temps pour avoir une

 11   preuve médicale. Elle l'a fait ? Non. Elle aurait pu demander aux Juges que

 12   sa déclaration soit versée au 92 quater parce qu'il n'était pas apte à

 13   comparaître. On l'a fait ? Non. L'Accusation s'est contentée de venir à

 14   l'audience le lundi 26 quand on devait avoir la vidéoconférence, et la

 15   Chambre a invité l'Accusation à faire le point sur la situation.

 16   Donc l'Accusation a eu vraiment toutes les possibilités. Et si

 17   l'équité exigeait la comparution du témoin, elle avait vraiment toute

 18   latitude de dire à ce moment-là, "On nous a dit qu'il a été hospitalisé,

 19   mais nous avons une bonne raison de croire qu'on va faire un bilan dans

 20   sept ou dix jours," et qu'il aurait pu quand même changer d'avis à ce

 21   moment-là, et pouvait demander à la Chambre un ajournement de sept à dix

 22   jours dans l'attente du bilan médical. Tout ce que le premier substitut du

 23   Procureur a pourtant fait ce jour-là, c'est de répéter l'information disant

 24   qu'il avait été hospitalisé et qu'il allait subir un nouveau bilan. Mais on

 25   n'a vraiment eu aucune véritable demande.

 26   On n'a pas demandé un ajournement pour obtenir sa déposition pour

 27   avoir des preuves médicales, alors que l'Accusation savait depuis trois

 28   jours ce qu'il en était. L'Accusation n'a pas demandé le versement de sa

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  1   déclaration. Sans même penser au 89, on aurait pu invoquer le 92 quater.

  2   Sauf le respect que je dois à M. Kremer, et bien sûr avec le recul, on peut

  3   toujours mieux savoir, mais j'ai l'impression que l'Accusation avait

  4   abandonné ce témoin en fin de présentation et s'était dit que ce témoin

  5   n'allait jamais vouloir témoigner.

  6   Une chose est claire tout du moins : l'Accusation a décidé de ne pas

  7   demander davantage de temps. Ce qui est aussi clair c'est que l'Accusation

  8   n'a jamais demandé à la Chambre la possibilité de rouvrir ses moyens. Et

  9   même à la date d'aujourd'hui, on ne vous dit pas alors que c'est un témoin

 10   qui est apte à comparaître et qui pourrait déposer. Maintenant, le grief

 11   c'est que la Chambre n'a pas donné suffisamment de temps à l'Accusation.

 12   Mais nous disons que c'est tout à fait surprenant étant donné que

 13   l'Accusation n'a jamais fait une telle demande. Si l'Accusation pensait que

 14   pour être équitable le procès exigeait plus de temps donné à l'Accusation

 15   ou demandait le versement d'une déclaration préalable, il y avait des

 16   moyens réglementaires de le faire. Il n'aurait même pas été nécessaire de

 17   trouver quelque chose de novateur, une nouvelle démarche destinée à créer

 18   une base indépendante qu'on aurait trouvée dans le 89(F), parce que

 19   l'Accusation, si elle avait voulu utiliser, avait le 92 quater. Sans doute

 20   l'Accusation s'était dit --

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Revenons à la question du lien

 22   que vous voyez entre le 89(F) et le 92 bis, le 92 ter et le 92 quater. Vous

 23   dites que le 89(F) ne constitue aucun fondement permettant de verser un

 24   document, ce n'est pas une base indépendante ?

 25   M. EMMERSON : [interprétation] Oui. Nous disons deux choses. Le 92

 26   bis, le 92 ter, quater sont lex specialis pour répondre aux critères de

 27   l'intérêt supérieur de la justice énoncés à l'article 89(F). Et si ce

 28   n'était pas le cas, ils ne serviraient à rien, ces articles, parce que le

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  1   89(F) permettrait à la Chambre de verser une déclaration chaque fois

  2   qu'elle la considère dans l'intérêt supérieur de la justice.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] J'essaie de me souvenir si la

  4   Chambre d'appel s'est déjà prononcée sur ce lien.

  5   Ceci va m'être rappelé sous peu.

  6   M. EMMERSON : [interprétation] Mais même si nous nous trompons ou

  7   nous forçons le trait en présentant les choses comme ça, c'est bien

  8   simplement dit, car ces 92 bis ter et quater seraient parfaitement inutiles

  9   si le 89(F) était une base indépendante permettant le versement de ces

 10   déclarations. Mais, même si nous nous trompons là-dessus, le 89(F) est

 11   qualifié par le critère de l'intérêt supérieur de la justice. Les trois

 12   articles 92, vous dites quand cet intérêt supérieur existe.

 13   Par exemple, il faut que le témoin puisse être contre-interrogé. Ça,

 14   c'est le 92 bis. Mais ça ne peut pas concerner les actes et comportements

 15   de l'accusé, parce qu'à ce moment-là, l'intérêt de la justice milite contre

 16   le versement. Si c'est par contre le 92 quater et s'il n'est pas là le

 17   témoin parce qu'il est malade, mort, ou n'est pas trouvable, à ce moment-

 18   là, l'interdiction ne serait pas absolue pour ce qui est des actes et

 19   comportements, mais ça milite contre le versement, comme le dit l'article.

 20   Donc, on façonne l'intérêt supérieur de la justice grâce à ces trois

 21   articles 92.

 22   Pour nous, c'est la lex specialis, et le 89(F) ne nous permet pas de

 23   verser des déclarations préalables en dehors de ces dispositions, et c'est

 24   bien ce que demande l'Accusation ici en utilisant des mécanismes

 25   subsidiaires, par exemple, pour penser à l'intimidation de témoin.

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kremer, dans votre

 27   réplique, vous reviendrez sur cette question, n'est-ce pas ?

 28   M. EMMERSON : [interprétation] Il faudrait à ce moment-là modifier le

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  1   Règlement.

  2   Mais pour répondre à votre question, si nous nous trompons sur la

  3   présomption assez brutale que nous faisons de ce lien, une chose est

  4   certaine, c'est un axiome, il faut lire le Règlement dans sa totalité. On

  5   ne peut pas utiliser le 89(F) pour verser une déclaration qui serait en

  6   conflit avec l'article 92. Si vous avez la déclaration d'un témoin dont la

  7   déposition concerne les actes et comportements de l'accusé, mais qu'on ne

  8   peut pas faire jouer le 92 quater, si le témoin ne peut pas être contre-

  9   interrogé, ce qui veut dire que ni le 92 ter ni le 92 quater ne s'applique,

 10   à ce moment-là, on ne saurait, à notre avis, faire verser une déclaration

 11   sous le 89(F) si cette déclaration concerne les actes et comportements de

 12   l'accusé, parce que ce serait en conflit absolu avec le 92 bis. C'est ce

 13   que nous disons.

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Donc, vous concédez que ces

 15   déclarations ont trait aux actes et comportements de l'accusé --

 16   M. EMMERSON : [interprétation] Tout à fait. La Chambre n'a pas voulu que

 17   l'Accusation permette que la déclaration de M. Kabashi soit lue par un

 18   enquêteur parce que ça avait à voir avec les actes et les comportements de

 19   l'accusé, et ce ne serait pas corroboré dans ce cas-là. Ce serait donc

 20   inéquitable en ce qui concerne la Défense. L'Accusation n'est pas en train

 21   de dire que c'est là qu'il y a une erreur. Mais nous considérons qu'on ne

 22   peut pas faire rentrer cette déclaration au titre du 89(F) parce que là

 23   aussi il faut un petit peu équilibrer les choses. Alors, si la Chambre de

 24   première instance a eu raison lorsqu'elle a déclaré qu'il ne fallait pas

 25   que l'enquêteur vienne déposer à la place du témoin parce que ce ne serait

 26   pas juste, puisque ça avait à voir avec l'acte et le comportement de

 27   l'accusé et que ça n'aurait pas été corroboré, nous considérons à notre

 28   avis que la même chose s'applique au 89(F); ce n'est pas dans l'intérêt de

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  1   la justice de l'admettre.

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Vous avez encore cinq

  3   minutes.

  4   M. EMMERSON : [interprétation] Très bien.

  5  (expurgé)

  6  (expurgé)

  7   M. EMMERSON : [interprétation] Donc pour réviser les choses, la Chambre de

  8   première instance en appel ne peut pas être blâmée parce qu'elle n'a pas

  9   fait des ordonnances que l'Accusation ne lui a pas demandé de faire lors du

 10   procès. La Chambre de première instance n'a jamais rejeté quoi que ce soit

 11   en ce qui concerne les demandes de l'Accusation. En ce qui concerne

 12   l'admissibilité des autres déclarations, la Chambre de première instance

 13   aurait été d'accord. La

 14   Chambre de première instance a toujours fait droit aux témoignages des

 15   autres témoins, mais c'est ce témoin qui ne voulait pas répondre. Il a

 16   refusé à trois reprises de répondre à une injonction de comparaître, et

 17   finalement, lorsqu'il a été presque obligé de venir, il a décidé de se

 18   faire admettre à l'hôpital.

 19   Donc, nous considérons que l'Accusation ne peut pas déclarer qu'il

 20   aurait fallu avoir un troisième ajournement. Elle n'a rien demandé de toute

 21   façon. Elle n'aurait demandé qu'un ajournement indéterminé, et c'était à

 22   une étape extrêmement tardive du procès, en se basant uniquement sur

 23   l'hypothèse éventuelle qu'un jour le témoin pourrait se remettre de son

 24   problème psychiatrique, et ensuite, en plus, changer d'avis et décider de

 25   comparaître, alors qu'il avait toujours catégoriquement refusé de le faire.

 26   Donc, ceci paraît évident, et dans la jurisprudence nous savons que

 27   c'est une constante juridique qu'un appel de ce type n'est là uniquement

 28   que pour décider si une Chambre de première instance a abusé de son pouvoir

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  1   discrétionnaire et a commis une erreur manifeste. Alors, nous considérons

  2   qu'en ce qui concerne les décisions prises par Chambre de première instance

  3   pour ce qui est de ces deux témoins, la Chambre de première instance a

  4   utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon parfaitement adéquate. Nous

  5   considérons que la Chambre de première instance a eu une approche

  6   parfaitement adéquate en ce qui concerne les témoignages de ces deux

  7   témoins. Et comme je l'ai dit précédemment, cela montre - et c'est pour ce

  8   faire justement - qu'on se retrouve dans la situation où nous sommes

  9   aujourd'hui. Même aujourd'hui, l'Accusation est incapable de vous dire que

 10   l'un ou l'autre de ces témoins est prêt à témoigner, si on décidait

 11   éventuellement de procéder à un nouveau procès. Au vu de ce qui s'est passé

 12   jusqu'à présent, même s'il y avait un nouveau procès, il est presque

 13   évident que ces deux témoins continueront à refuser de déposer.

 14   Et la solution de recours de M. Kremer, si c'est le cas, c'est que

 15   l'on pourrait peut-être admettre leurs déclarations au titre du 89(F) et du

 16   92 bis en les combinant. Mais comme je vous l'ai dit, comme je vous l'ai

 17   démontré, l'Accusation semble suggérer qu'il faut infirmer le verdict de la

 18   Chambre de première instance sur la spéculation même que ces déclarations

 19   ne portent pas sur l'acte et les comportements de l'accusé, alors que c'est

 20   le cas.

 21   Maintenant, puis-je répondre à d'autres questions ?

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Non, nous avons

 23   parfaitement compris. Nous vous remercions de vos arguments.

 24   Monsieur Guy-Smith.

 25   M. GUY-SMITH : [interprétation] Si nous pouvons avoir une minute, c'est Mme

 26   Rohan qui va présenter nos arguments.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

 28   M. GUY-SMITH : [interprétation] Je vous remercie.

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  1   Mme ROHAN : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Merci

  2   de me permettre de vous parler du moyen d'appel numéro 3. Mais avant de ce

  3   faire, la Défense de M. Balaj est tout à fait d'accord avec les arguments

  4   présentés par Me Emmerson en ce qui concerne le moyen d'appel numéro 1.

  5   L'Accusation n'a présenté aucun argument en ce qui concerne le moyen

  6   d'appel 2. Maintenant donc, ce qui est écrit est consigné dans notre

  7   mémoire d'appel, et nous considérons que l'acquittement était parfaitement

  8   correct en ce qui concerne ce chef.

  9   En ce qui concerne le moyen d'appel numéro 3, avant de rentrer dans

 10   le fond de la chose, j'aimerais faire un commentaire sur l'examen des

 11   éléments en appel, en ce qui concerne les erreurs de fait.

 12   Vous connaissez bien évidemment les critères, mais au titre de la

 13   jurisprudence de ce Tribunal, il est évident que lorsqu'une erreur de fait

 14   est trouvée lors d'un appel, il ne peut pas y avoir de procès de nouveau.

 15   Les conclusions factuelles ne vont pas être remises en cause lors de

 16   l'appel. Ce n'est pas le but de la Chambre d'appel. Ils ne sont pas là pour

 17   juger de la substance. Et il est évident que parfois des juges raisonnables

 18   ne sont pas du même avis, donc parfois ils peuvent tirer des conclusions

 19   différentes. Ça paraît parfaitement naturel.

 20   Alors, quel est le critère de cette constatation raisonnable ? Il faut,

 21   pour obtenir une erreur factuelle lors d'un appel, trouver que cette

 22   conclusion factuelle n'était pas raisonnable. Et donc le test c'est

 23   qu'aucun juge raisonnable n'aurait pu tirer cette conclusion ou il faudrait

 24   aussi trouver un cas où l'évaluation des moyens de preuve a été

 25   parfaitement erronée.

 26   Donc c'est un test qui existe en conjonction avec l'hypothèse de

 27   départ que la Chambre de première instance a pris en compte tous les

 28   éléments de preuve qui doivent être présentés, à moins que l'on puisse

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  1   prouver qu'elle n'a pas tout pris en compte. Or, en l'espèce, je pense que

  2   la Chambre de première instance a clairement défini les principes

  3   juridiques, a bien analysé les faits tels qu'ils ont été présentés par les

  4   témoins et a correctement analysé ces faits et le droit s'appliquant à ces

  5   faits. Donc les éléments de preuve ont été parfaitement analysés par la

  6   Chambre de première instance.

  7   Alors, quelle est la charge de l'Accusation maintenant que nous en

  8   sommes au stade de l'appel ? La charge de l'Accusation c'est que s'ils

  9   peuvent montrer qu'il y a bel et bien eu erreur factuelle - or je fais

 10   valoir qu'ils ne peuvent pas - s'ils peuvent prouver qu'il y a eu une

 11   erreur de fait, ils doivent aussi pouvoir démontrer qu'une fois que l'on

 12   prend en compte cette erreur, tout doute raisonnable a été éliminé. Or, je

 13   tiens à dire que ce critère n'est pas satisfait en l'espèce, en ce qui

 14   concerne en tout cas le moyen d'appel numéro 3, c'est-à-dire le viol du

 15   Témoin 61 et le traitement cruel infligé au Témoin 1.

 16   L'historique, maintenant, de ce moyen d'appel. Ce matin, nous avons

 17   parlé du fait, tout d'abord, que le viol n'a pas été remis en cause lors du

 18   procès. Le seul problème qui reste, en fait, c'est l'identité du violeur.

 19   Je trouvais étrange que l'Accusation ne se penche que là-dessus dans son

 20   mémoire d'appel. Il semblerait que le point contesté était de savoir si le

 21   violeur était M. Balaj ou un autre soldat du l'UCK. Or, ce matin, on a dit

 22   que la Chambre de première instance avait mis un accent trop important sur

 23   le fait que le Témoin 61 n'avait pas pu identifier M. Balaj. Je vais y

 24   revenir d'ailleurs. C'était visiblement le seul problème. Donc c'est tout à

 25   fait normal que la Chambre de première instance se soit principalement

 26   préoccupée du fait que le Témoin 61 ne puisse pas identifier M. Balaj. En

 27   fait, cela suffit pour permettre qu'il y ait doute raisonnable. C'est un

 28   critère tout à fait raisonnable.

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  1   Maintenant, quels étaient les moyens de preuve que la Chambre de

  2   première instance a pris en compte dans son jugement ? Tout d'abord,

  3   principalement, le fait que le Témoin 61 a dit que lorsqu'elle est arrivée

  4   au QG et arrivée dans la chambre où les choses sont arrivées, que la

  5   lumière était allumée, qu'elle était assise en face de l'homme qui l'a

  6   violée, et qu'elle a été questionnée pendant 30 minutes --

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous interromps un petit

  8   peu.

  9   Maître Emmerson, j'ai quand même un point à vous demander. Plus tard,

 10   j'aimerais entendre vos arguments ainsi que les arguments de l'Accusation à

 11   propos de la question de la relation entre les deux jeux de ces articles du

 12   Règlement, au vu de la décision Slobodan Milosevic et de la décision Galic.

 13   Mais vous pouvez reprendre, Madame Rohan.

 14   Mme ROHAN : [interprétation] Je vais donc parler des éléments de preuve.

 15   Quels étaient les éléments de preuve présentés par le Témoin 61 ?

 16   Elle était dans la pièce avec l'homme qui l'a violée. Elle était dans une

 17   pièce allumée pendant 30 minutes avec cet homme, pendant qu'il lui posait

 18   des questions. Et la Chambre de première instance a interrompu d'ailleurs

 19   l'interrogatoire à propos de tout cela à un moment et a dit : Nous

 20   comprenons bien ce que vous êtes en train de nous dire. Et la Chambre de

 21   première instance sait bien, en fait, que le Témoin 61 a pu voir cet homme.

 22   Elle ne remet pas ça en question et d'ailleurs c'est au compte rendu à la

 23   page 4 039.

 24   Ensuite, elle a passé 30 minutes avec lui dans une pièce parfaitement

 25   allumée et ensuite, elle a passé du temps avec lui dans une pièce où il n'y

 26   avait pas de lumière mais où il y avait la télévision. Nous savons très

 27   bien que lorsqu'on est dans une pièce où il y a une télévision, on peut

 28   quand même arriver à voir les choses. La pièce est dans la pénombre, mais

Page 98

  1   elle quand même suffisamment éclairée pour que l'on puisse reconnaître qui

  2   que ce soit.

  3   Donc après, elle dit qu'elle a vu à nouveau son violeur dans le village.

  4   Elle l'a vu au volant d'une voiture. Et lors de son interrogatoire

  5   principal, elle a dit que c'est arrivé une seule fois. Mais elle a confirmé

  6   par la suite qu'elle avait dit au bureau du Procureur dans une déclaration

  7   avant le procès qu'elle l'avait vu très souvent dans le village après

  8   l'événement, ce qui semble bien indiquer qu'elle était parfaitement capable

  9   de reconnaître cet homme. Mais elle n'a jamais identifié M. Balaj comme

 10   étant cet homme, alors qu'elle a eu l'occasion de le faire à plusieurs

 11   reprises.

 12   On lui a montré un tas de photographies en 2002, peu de temps après

 13   l'événement, bien que le témoin ait dit que pour elle, elle se souviendrait

 14   toujours de ce jour-là, de ce jour de son viol. Ça paraît évident. Mais en

 15   2002, peu de temps après, on lui montre la photo de M. Balaj dans un tas de

 16   photographies et elle ne le reconnaît pas. En 2005, sa famille et elle

 17   étaient en train de regarder la télévision, M. Balaj, tout d'un coup, est

 18   aux nouvelles à la télévision, accusé de crimes. Et c'est là, en fait, que

 19   son nom est joint au nom de Toger, et sa famille lui dit: Voici Toger, donc

 20   c'est cet homme-là. Et que dit-elle ? Cet homme-là ne ressemble pas à

 21   Toger, il a l'air plus vieux que Toger.

 22   Ce matin, on a dit qu'il avait peut-être l'air plus vieux parce que du

 23   temps s'était écoulé, mais lorsqu'elle a témoigné, elle a dit que l'homme

 24   qui l'avait violée avait environ 20 à 21 ans. A l'époque, M. Balaj avait 25

 25   ou 26 ans. Et en plus, elle l'a décrit comme étant jeune. Elle voit M.

 26   Balaj à la télévision et elle dit: Il a l'air beaucoup plus vieux que

 27   l'homme qui m'a violée. Alors, pourquoi est-ce que nous ne croyons pas

 28   cette femme ? Après tout, c'est elle qui a vu l'homme qui l'a violée, il

Page 99

  1   n'y a qu'elle qui l'a vu, et elle dit que ce n'est pas M. Balaj. Donc vous

  2   pensez qu'on ne devrait pas la croire. A mon avis, c'est parfaitement

  3   illogique et ce n'est pas la façon dont la justice doit opérer. Il y a donc

  4   doute raisonnable à propos de l'identification de M. Balaj, surtout du fait

  5   qu'elle n'ait pas reconnu M. Balaj.

  6   Ensuite, elle a dit que l'homme qui l'avait violée avait des cheveux noirs,

  7   parlait albanais; c'est 90 % de la population qui peut remplir ces

  8   critères, à l'époque, en tout cas. Et pour la taille, on a dit ce matin que

  9   la taille n'était pas importante mais moi, je considère que la taille est

 10   importante, mais ce n'est pas la question ici. La question c'était de

 11   savoir si la Chambre a été déraisonnable en considérant que la différence

 12   de taille était telle qu'il y avait maintenant un doute raisonnable à

 13   propos de l'éventualité de la commission du crime par M. Balaj.

 14   Et nous considérons que la Chambre a été parfaitement raisonnable en

 15   disant cela. Le Témoin 61 était une femme de très petite taille. Elle a dit

 16   que l'individu qui l'avait violée n'était qu'un petit peu plus grand

 17   qu'elle, alors que M. Balaj n'est pas un homme de petite taille; il est de

 18   taille nettement supérieure à celle décrite par le témoin.

 19   Donc à mon avis, la Chambre de première instance a pris en compte des

 20   éléments de preuve pour lesquels aucun doute ne pouvait être soulevé. M.

 21   Balaj ne correspond pas à la description physique de l'assaillant, la

 22   victime a pu voir l'homme qui l'avait violée; l'Accusation, d'ailleurs, est

 23   tout à fait d'accord avec cela dans son mémoire en appel.

 24   Donc la victime a pu voir l'assaillant et c'est quand même elle qui a

 25   vu son violeur. Il est donc tout à fait normal que la Chambre de première

 26   instance n'ait pas pris en compte des rumeurs qui ont été rapportées à ce

 27   témoin. Elle n'a pas identifié M. Balaj, elle était très affirmative

 28   lorsqu'elle a dit que M. Balaj ne ressemblait pas à Toger, ne ressemblait

Page 100

  1   pas à l'homme en tout cas qu'elle pensait être Toger. Et il y avait

  2   d'autres personnes sur le site qui auraient très bien pu procéder à ce

  3   viol.

  4   Et le droit demande que lorsqu'il y a des preuves indirectes, il faut

  5   pouvoir tirer des conclusions raisonnables pour en arriver à une

  6   condamnation. Et à mon avis, nous considérons que la Chambre de première

  7   instance a eu parfaitement raison de considérer qu'il n'y avait pas eu

  8   suffisamment de preuves permettant de prouver que M. Balaj était bien le

  9   violeur.

 10   Maintenant, parlons un peu de la théorie présentée par l'Accusation en

 11   appel pour expliquer que l'assaillant ne pouvait être que Toger et M.

 12   Balaj. Tout d'abord, sachez que nous ne vous demandons pas ici de revoir

 13   les faits et l'Accusation, en revanche, vous demande de réinterpréter les

 14   éléments de preuve présentés et ils n'ont pas montré qu'il y ait eu soit de

 15   décisions déraisonnables, soit de nouveaux faits. Il y a différentes

 16   façons, certes, d'interpréter les éléments de preuve mais ce n'est pas ce

 17   qu'on vous demande ici.

 18   De plus, ils se basent sur certains aspects du compte rendu qui, à mon

 19   avis, sont incorrects. Bien sûr, on peut toujours interpréter les mots.

 20   Mais à mon avis, il s'agit quand même d'une interprétation tout à fait

 21   différente. Le Témoin 61 a vu Toger dans sa maison avant que ces personnes

 22   ne soient emmenées au QG. Mais ce n'est absolument pas ce qui est dit. A la

 23   page 3 982, il est écrit : "Ils sont rentrés." C'est tout ce qui est dit et

 24   c'est assez ambigu au niveau du compte rendu. Il est écrit : "Ils sont

 25   rentrés." Ensuite, à la page 4 043, elle dit qu'elle a entendu le nom de

 26   Toger pour la première fois lorsqu'elle était à l'extérieur de la maison.

 27   Il y a donc ambiguïté ici en ce qui concerne ce qu'elle a vu ou ce qu'elle

 28   n'a pas vu dans la maison. L'ambiguïté aurait pu être levée, bien sûr, lors

Page 101

  1   de l'audience, lorsque le Témoin 61 était ici, dans le prétoire. On aurait

  2   pu lui dire : L'assaillant, l'homme qui vous a violée était-il l'un des

  3   hommes que vous avez vus à l'intérieur de votre propre maison ce jour-là ?

  4   Mais on ne lui a jamais posé cette question. Le dossier restera donc à tout

  5   jamais ambigu. Par conséquent, ce dossier n'apporte pas la preuve de ce

  6   point au-delà de tout doute raisonnable. La Chambre a eu amplement les

  7   raisons de constater et de conclure à un doute raisonnable.

  8   Je pense qu'en ce qui concerne le dernier chef concernant le troisième

  9   moyen, il concerne le traitement cruel allégué du Témoin 1. L'Accusation

 10   dit qu'il y a une erreur de droit qui est ici commise. A mon avis, c'est

 11   une erreur de fait qui se dissimule sous une erreur de droit. Quand on voit

 12   les critères d'examen en appel ou je ne sais pourquoi, la Chambre de

 13   première instance savait parfaitement quel était le droit applicable et

 14   qu'est-ce qui constituait un traitement cruel. Elle le dit dans son avis.

 15   Elle a estimé, partant des faits, que le fait que le Témoin 1 a été placé

 16   dans un puits n'était pas constitutif de traitement cruel en vertu de la

 17   jurisprudence du Tribunal. Nous avons tous vu des exemples de traitements

 18   cruels. L'utilisation dans Blaskic de personnes comme boucliers humains,

 19   des conditions de prison, de camps en prison, pilonnage de villes civiles,

 20   voilà des exemples de traitements cruels. Le fait d'être placé dans un

 21   puits, ce n'est sûrement pas agréable, mais est-ce que ceci remplit les

 22   éléments constitutifs d'un traitement cruel ? C'est une question qui a

 23   trouvé une bonne solution de la part de la Chambre, car elle a dit non.

 24   On a aussi fait valoir qu'il y avait eu un traumatisme mental et

 25   psychologique grave provoqué. Là, c'est de l'hypothèse pure. Le Témoin 1

 26   n'a jamais explicité quel était son état mental. Au moment avant le début

 27   du procès, il aurait pu s'expliquer. Il n'était pas présent ou disponible

 28   au moment du procès. Il ne donne pas d'explication sur son état mental,

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  1   celui qu'on lui attribue aujourd'hui. Mais le dernier point, peut-être le

  2   plus important, M. Balaj est acquitté du chef d'entreprise criminelle

  3   commune, alors maintenant on dit que sa responsabilité est encourue pour ce

  4   chef, au titre qu'il l'aurait commis ou planifié. Rien ne prouve qu'il a

  5   commis ce crime, en fait, le Témoin 1 mentionne deux autres personnes. Et

  6   le dossier est tout à fait muet sur ce point.

  7   Je ne sais pas si vous avez des questions à me poser, mais je pense

  8   que les conclusions de la Chambre qui estime qu'il y a un doute raisonnable

  9   quant au chef 36, celui du viol, ce n'est pas une constatation

 10   déraisonnable qui est à la base de cette conclusion, et par conséquent,

 11   l'acquittement doit être maintenu pour ce qui est de ce chef d'accusation

 12   en ce qui concerne le Témoin 1.

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Maître Rohan.

 14   Mme ROHAN : [interprétation] Merci.

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Le Juge Meron a une question, je

 16   pense.

 17   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Etant donné le contexte prévalant au

 18   Kosovo au moment des faits, n'est-il pas pratiquement certain que le Témoin

 19   1 avait des craintes pour sa vie s'il se trouvait à l'intérieur d'un puits,

 20   alors qu'elle était emmenée dans la maison de l'UCK ? A votre avis, est-ce

 21   que ceci n'est pas constitutif d'une détresse mentale profonde ?

 22   Mme ROHAN : [interprétation] Je suis sûre qu'il était inquiet. Mais ce qui

 23   me gêne dans l'argument présenté c'est qu'aucune preuve n'a été apportée.

 24   On aurait pu poser la question au témoin avant le début du procès. Le

 25   témoin aurait pu présenter des preuves, mais il n'a rien dit, en tout cas,

 26   rien dit qui ressemble à ce que propose l'Accusation aujourd'hui. Alors

 27   est-ce que nous aurions ces sensations, ces sentiments dans une telle

 28   situation; oui, beaucoup d'entre nous auraient ces sensations, mais on ne

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  1   peut pas supposer ce qu'a ressenti le Témoin 1. Bien sûr, on peut

  2   s'imaginer, on peut émettre des hypothèses, est-ce qu'il y a une

  3   probabilité raisonnable, oui. Mais pour faire la preuve d'un crime, il faut

  4   une preuve au-delà de tout doute raisonnable. Or, c'est ce qui manque ici à

  5   mon avis, outre le fait que le mode de responsabilité n'a pas été prouvé.

  6   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie.

  7   [La Chambre d'appel se concerte]

  8   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons maintenant faire une

  9   pause d'une heure.

 10   M. HARVEY : [interprétation] Monsieur le Président, il vous sera peut-être

 11   utile de savoir qu'en ce qui concerne M. Lahi Brahimaj sur ce point, pour

 12   ce qui est d'une réponse que nous pourrions faire à l'appel interjeté par

 13   l'Accusation, nous faisons nôtre tout ce qui a été si bien dit par Me

 14   Emmerson, nous comprenons les préoccupations de la Chambre, elle se pose

 15   une question sur les liens éventuels entre le 89(F) et les différents

 16   articles 92, vous avez mentionné les décisions Milosevic et Galic, la

 17   décision Milosevic en première instance et l'arrêt Galic. Nous savons que

 18   Me Emmerson est tout à fait au courant de ces questions et nous sommes tout

 19   à fait prêts à le laisser parler en notre nom. Nous n'aurons rien à

 20   ajouter. Ceci pourra au moins écourter votre journée de 55 minutes.

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous en remercie et je suis

 22   content de voir que vous avez pleinement confiance en Me Emmerson. Je suis

 23   sûr que c'est une confiance bien placée.

 24   Maître Emmerson, vous avez donc les deux affaires ?

 25   M. EMMERSON : [interprétation] Est-ce que je peux prendre un peu du temps

 26   qui avait été prévu pour Me Harvey.

 27   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, tout à fait.

 28   L'audience est suspendue.

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  1   --- L'audience est levée pour le déjeuner à 12 heures 32.

  2   --- L'audience est reprise à 13 heures 35.

  3   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Emmerson.

  4   M. EMMERSON : [interprétation] Oui.

  5   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Avant que vous ne commenciez,

  6   Monsieur Kremer, la Chambre s'est penchée sur la question des deux

  7   déclarations qui figurent en annexe. Or, il se peut que vous souhaitiez que

  8   la Chambre se penche sur ces deux déclarations; auquel cas il serait peut-

  9   être bon, Monsieur, que vous formuliez une requête au titre de l'article

 10   115 du Règlement pour que soit admises et versées au dossier comme pièces

 11   supplémentaires ces deux déclarations. Bien entendu, il y a lieu de

 12   procéder à une requête, et nous nous réunirons brièvement et entendrons ce

 13   que disent les autres parties de cette question. Bien entendu, c'est à vous

 14   qu'il appartient d'en décider.

 15   M. KREMER : [interprétation] Toutes mes excuses. Si les Juges de la Chambre

 16   demandent qu'il y ait une requête qui soit formulée à un stade précoce, je

 17   pourrais le faire au début du procès. Sinon, si vous souhaitez que je le

 18   fasse par écrit, je pourrais le faire assez prochainement et sans délai. Au

 19   moment de déposer l'acte d'appel, je souhaitais replacer ces déclarations

 20   dans le contexte, j'estimais qu'effectivement ça permettait de mettre en

 21   lumière les intimidations dont est victime le témoin.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il aurait fallu peut-être que cela

 23   soit présenté comme moyen de preuve au titre du 115.

 24   M. KREMER : [interprétation] J'aurais demandé à ce que ce soit le cas

 25   effectivement versé au dossier en vertu de l'article 115 du Règlement et

 26   demandé à la Cour l'autorisation de formuler une requête écrite dans les

 27   sept jours à laquelle répondra la Défense dans les délais que jugera

 28   opportun la Chambre.

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  1   [La Chambre d'appel se concerte]

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, nous préférerions que vous

  3   formuliez votre requête oralement et nous entendrons ce qu'en pense la

  4   partie adverse. Nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de procéder de la

  5   manière que vous avez proposée.

  6   M. Emmerson aura certainement la possibilité de répondre ultérieurement.

  7   Ceci étant dit, je ne vous invite pas à vous exécuter immédiatement.

  8   M. KREMER : [interprétation] Ah, excusez-moi je pensais que vous me

  9   demandiez de m'exécuter là sur le champ.

 10   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, non, ça n'est pas du tout le

 11   cas. Vous avez le temps.

 12   M. KREMER : [interprétation] Peut-être à la fin de l'audience.

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

 14   M. KREMER : [interprétation] Oui.

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Maître Emmerson.

 16   M. EMMERSON : [interprétation] Puis-je me réserver le droit de me prononcer

 17   sur le fond de cette demande --

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

 19   M. EMMERSON : [interprétation] -- et la procédure à laquelle on aura

 20   recours parce que ceci nécessitera peut-être que l'on s'intéresse à la

 21   question de savoir si ces moyens de preuve sont considérés comme ayant été

 22   disponibles au moment de l'audience, s'ils sont considérés comme étant

 23   crédibles - nous ne pouvons pas nous en assurer personne car l'Accusation

 24   n'a pas encore terminé cette requête. Bien entendu, ceci constituerait une

 25   requête préalable avant qu'une demande soit formulée oralement à la Chambre

 26   et l'article ne semble envisager que la possibilité d'une requête formulée

 27   avant ou au cours de l'audience, et par conséquent, compte tenu du

 28   paragraphe (C) de l'article 115 du Règlement --

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous réglerons cela.

  2   M. EMMERSON : [interprétation] Bien entendu, avec tout le respect que je

  3   vous dois, je souhaiterais savoir pourquoi l'on formule cette requête.

  4   J'imagine que l'objectif est de veiller à ce que de nouveaux moyens de

  5   preuve soient présentés, l'Accusation n'a jamais proposé et ne peut pas le

  6   faire d'ailleurs, que ceci figure dans le dossier sur la base de laquelle

  7   l'appel ira de l'avant parce que, bien entendu, la Défense n'a jamais eu

  8   l'occasion d'y répondre, puisque ceci n'a pas été formulé par l'Accusation

  9   au cours du procès.

 10   C'est une question assez complexe et il faudra voir dans la mesure où

 11   l'Accusation n'a pas formulé cette requête à l'avance, sur une question de

 12   nature assez complexe au cours de l'audience. Tout cela est juste, bien

 13   entendu, et ne change rien au fond de l'argument, à savoir que la Chambre

 14   de première instance a agi de façon opportune ou pas.

 15   Je souhaiterais en revenir à ce qui peut être pourrait être extrêmement

 16   important, en fait, dans l'arrêt Galic et la décision Milosevic, il est dit

 17   très clairement que le premier argument que j'avance est exact, à savoir

 18   que ces deux articles du Règlement ont une relation telle que celle qui lie

 19   lex generalis à lex specialis et la déclaration en lieu et place d'une

 20   déposition, c'est-à-dire une situation dans laquelle le témoin peut

 21   témoigner, peut déposer et parler des faits. Si l'on admet une déclaration

 22   écrite en lieu et place d'une déposition, je répondrais que ça ne peut se

 23   faire que si l'on respecte les règles prévues au 92 bis ou 92 quater.

 24   Le 89(F) ne fournit aucun moyen permettant de substituer à une déposition

 25   une déclaration écrite, et à la lecture de cette décision on s'aperçoit que

 26   les articles du Règlement à l'époque l'avaient utilisé de cette manière-là.

 27   En d'autres termes, si une déclaration écrite peut relever du 92 bis ou du

 28   92 quater parce qu'il s'agit d'une déclaration écrite dont l'Accusation

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  1   demande le versement au dossier en lieu et place d'une déposition orale

  2   sans que le témoin ne soit présent pour attester des faits, alors à ce

  3   moment-là il faut que l'une ou l'autre de ces deux dispositions soit

  4   respectée indépendamment du fait que l'on a recourt au 89(F) ou pas.

  5   Je souhaitais également ajouter une chose. On a dit très clairement quelles

  6   étaient les positions des uns et des autres s'agissant de ces deux

  7   décisions et je souhaiterais peut-être que l'on évoque cela rapidement à

  8   présent.

  9   Tout d'abord, il s'agit de l'arrêt Galic le 7 juin 2002, à ce stade

 10   l'article 92 prévoyait que la seule exception qui pouvait permettre le

 11   versement d'une déclaration écrite en lieu et place d'une décision orale

 12   était le 92 bis et non pas le 92 ter. Il n'y avait pas de 92 ter ou de 92

 13   quater d'ailleurs. Et ces questions ont trait à un témoin de faits et à un

 14   témoin expert, les deux étant décédés à ce moment-là. Par conséquent, on se

 15   posait la question de savoir si les actes et comportements de l'accusé

 16   étaient mis en cause, or il est évident qu'à l'heure actuelle tout cela

 17   relèverait strictement des exigences du 92 quater, puisque le témoin est

 18   mort. Et par conséquent, la Chambre de première instance pouvait s'y

 19   intéresser parce qu'il s'agissait d'actes et de comportements, et ceci

 20   n'est pas recevable.

 21   La Chambre de première instance a présenté des déclarations écrites

 22   au titre du 92 bis. Mais la Défense dans son appel indique que la Chambre a

 23   fait une erreur dans la mesure où elle a conclu que ça ne portait pas sur

 24   les actes et comportements, donc l'appel portait sur des questions d'actes

 25   et de comportements. Mais dans sa réponse, l'Accusation dit oui même si

 26   cela avait trait à des actes et comportements, et par conséquent, le 92 bis

 27   s'applique de façon erronée, à ce moment-là de toute façon les déclarations

 28   écrites pouvaient être versées au titre du 89(C). L'admission des

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  1   déclarations écrites pouvait être rejetée même si le 92 bis ne s'appliquait

  2   pas mais les dispositions de l'arrêt le prévoient.

  3   Nous n'avons pas les documents à l'écran, permettez-moi de lire très

  4   brièvement les deux passages qui me semblent être particulièrement

  5   pertinents.

  6   Au paragraphe 28 la Chambre d'appel discute de Kordic et observe que

  7   :

  8   "Avant l'ajout du 92 bis, la déclaration écrite à un Procureur mort

  9   depuis le procès est admise au dossier au titre du 89(C)," donc 89(C) pour

 10   Kordic. En fait, il s'agit d'une version précédente du 92 bis puisqu'il n'y

 11   avait pas de 92 bis à ce moment-là, rappelez-vous, donc la disposition

 12   générale du 89(C) était appliquée et avait été invoquée au niveau du

 13   procès, je poursuis la citation :

 14   "La Chambre a rejeté cette décision au motif que les témoignages sur

 15   base du ouï-dire devaient être en harmonie avec le Statut et autres

 16   Règlements dans la plus large mesure possible et uniquement à partir du

 17   moment où la Chambre de première instance estimait qu'effectivement ces

 18   éléments de preuve étaient fiables."

 19   Au paragraphe 28, dernière phrase, la Chambre signale :

 20   "Le 92 bis dans l'ensemble porte sur les preuves indirectes

 21   auparavant admissibles en vertu de l'article 89(C), mais il s'agit de

 22   preuve par ouï-dire d'un type très particulier avec des questions très

 23   sérieuses qui se posent quant à leur fiabilité."

 24   Ensuite il y a un passage qui est essentiel il s'agit du 31 :

 25   "Une partie ne peut s'engager à verser au dossier une déclaration

 26   écrite faite par un témoin au bureau du Procureur au titre de l'article

 27   89(C) afin d'éviter que s'applique de façon très sévère le 92 bis."

 28   Il est impossible de se fonder sur le generalis, il faut passer au

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  1   specialis puisqu'il y a des garde-fous. Ensuite il est dit :

  2   "L'objectif du 92 bis est de limiter la recevabilité de ce type très

  3   particulier de témoignages indirects qui relèvent de ces termes."

  4   En d'autres termes, il est possible de le verser.

  5   "Par analogie le 92 bis est la lex specialis" dit l'arrêt, "qui

  6   indique que la recevabilité des déclarations des témoins et des

  7   déclarations écrites des témoins potentiels et des comptes rendus de

  8   témoignage, même si les allégations générales figurent implicitement dans

  9   l'article 89(C); à savoir que l'élément d'une preuve est recevable

 10   uniquement s'il est pertinent et qu'il est pertinent uniquement c'est la

 11   valeur probante."

 12   Enfin la dernière phrase de ce paragraphe indique qu'il s'agit des

 13   arguments de l'Accusation qui indiquent une disposition d'ordre général qui

 14   pourrait résoudre le problème.

 15   "L'argument de l'Accusation selon lequel les deux déclarations

 16   versées au dossier étaient en tout état de cause admissibles en application

 17   de l'article 89(C) ne se voyaient pas appliquées les restrictions de

 18   l'article 92 bis est rejeté."

 19   En d'autres termes, telles que s'appliquaient les Règles à l'époque,

 20   il n'était pas possible d'appliquer les dispositions générales de l'article

 21   89 dans les cas où le 92 bis constituait la lex specialis. Et par

 22   conséquent, il était indispensable de prendre une décision sur ces

 23   déclarations écrites qui avaient trait aux actes et comportement de

 24   l'accusé.

 25   Voilà qui constitue le point de départ sur lequel on s'est fondé pour

 26   une décision Milosevic. En appel, Milosevic s'intéresse simplement à ce que

 27   l'on appelle d'habitude la 92 quater et la procédure en la matière qui

 28   existe et qui est à la disposition -- c'est-à-dire que le témoin est

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  1   présent et il peut faire l'objet d'un contre-interrogatoire, mais pour

  2   gagner un temps on invite le témoin à lire sa déclaration écrite et à

  3   confirmer le contenu ou la teneur.

  4   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] 92 ter.

  5   M. EMMERSON : [interprétation] Toutes mes excuses. J'ai fait un lapsus.

  6   Oui, je voulais dire 92 ter et on pas quater. Le témoin atteste de la

  7   véracité de la déclaration écrite dans sa déclaration orale, et ensuite

  8   répond à des questions dans le cadre d'un contre-interrogatoire. Bien

  9   entendu, au moment du jugement en première instance et de l'arrêt

 10   Milosevic, le 92 ter n'existait pas. Par conséquent l'on se posait la

 11   question de savoir si le 89(F) pouvait permettre qu'une déclaration écrite

 12   soit retenue comme moyen de preuve en interrogatoire principal. La question

 13   consistait à dire que oui, c'est tout à fait possible, et c'est ce qui

 14   figure au 92 ter. C'est ainsi qu'on peut interpréter les procédures, c'est-

 15   à-dire avoir recours au 89(F), la raison en étant que ceci, dit la Chambre

 16   d'appel, n'envisage pas une situation dans laquelle les dispositions du 92

 17   bis s'appliquent.

 18   Si le 92 bis devait s'appliquer parce que ce qu'on souhaite c'est que

 19   soit reçue une déclaration en lieu et place d'une déposition orale, c'est-

 20   à-dire une déclaration qui se substitue à une déposition, alors à ce

 21   moment-là il faut avoir recours au 92 bis, qui est la seule exception

 22   acceptable à ce moment-là. La raison pour laquelle la lex specialis ne

 23   s'applique pas à ce qu'on appelait maintenant la procédure 92 ter, qui

 24   n'existait pas à l'époque, c'est parce que cette procédure existait. Donc

 25   ça ne relevait pas du champ d'application du 92 ter, mais ça ne relevait

 26   pas du principe lex specialis 92 bis, qui permettait de l'exclure du 89(F).

 27   Par conséquent, ceci a pour conséquence que si ça relève du 92 bis parce

 28   qu'il s'agit d'une déclaration écrite en lieu et place, alors le principe

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  1   excluant s'applique comme dans l'arrêt Galic.

  2   Et pour la décision Milosevic, et d'ailleurs avec tout le respect que

  3   je vous dois, dans nos arguments tout cela est présenté parfaitement

  4   clairement, la présentation de tout cela est dite très clairement. En fait,

  5   on ne peut le contester, si l'Accusation avait souhaité le soulever ça

  6   n'aurait pas été permis au titre du Règlement, et là je me réfère au

  7   paragraphe 60 [comme interprété] du jugement :

  8   "La Chambre d'appel estime que le fait que le témoin comparaisse au procès

  9   et atteste oralement de l'exactitude de sa déclaration écrite va exclure la

 10   requête de l'Accusation du champ d'application d'article 92 bis. Lorsque le

 11   témoin se présente à l'audience et atteste oralement l'exactitude de sa

 12   déclaration, on ne saurait considérer les éléments de preuve versés au

 13   dossier comme étant présentés exclusivement sous la forme d'une déclaration

 14   écrite au sens de l'article 92 bis. Le témoignage est alors une combinaison

 15   d'une déclaration orale et d'une déclaration écrite. La comparution du

 16   témoin pour certifier le contenu de la déclaration écrite est un élément

 17   essentiel qui rend inapplicable l'article 92 bis. Cette conclusion reste

 18   valable même dans le cas où le témoin se borne à faire à l'audience une

 19   brève déclaration dans laquelle il atteste l'exactitude de la déclaration

 20   écrite."

 21   En d'autres termes, ce qui rendait inapplicable le 92 bis était le

 22   fait précisément que le témoin était présent pour justement déposer

 23   oralement quant à l'exactitude de sa déclaration et qu'il y avait

 24   possibilité de contre-interrogatoire. Puisque le 92 bis n'était pas

 25   applicable, la règle lex specialis excluait l'approche généraliste du

 26   89(F), qui est une lex generalis.

 27   Ensuite, on poursuit au paragraphe 17 en indiquant :

 28   "En outre, considérer ce témoignage comme une déclaration écrite au sens de

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  1   l'article 92 bis nonobstant la comparution du témoin relèverait d'une

  2   interprétation excessivement formaliste. Si par exemple la Chambre

  3   autorisait un témoin à lire mot pour mot sa déclaration écrite, la

  4   déposition en question serait considérée comme un témoignage oral et ne

  5   serait pas soumise aux restrictions prévues par l'article 92 bis.

  6   "De fait," et je passe au paragraphe 18, "même si la déclaration écrite a

  7   été établie aux fins de la procédure, cela ne suffit pas en soi à rendre

  8   exclusivement admissible en vertu de l'article 92 bis, sauf dans le cas où

  9   l'on envisage d'admettre cette déclaration en lieu et place du témoignage."

 10   Je vais faire lecture de ce paragraphe une deuxième fois, parce que ça me

 11   paraît essentiel.

 12   "De fait, même si la déclaration écrite est établie aux fins de la

 13   procédure," donc c'est le cas ici, "cela ne suffit pas en soit à la rendre

 14   exclusivement admissible en vertu de l'article 92 bis, sauf dans le cas où

 15   l'on envisage de l'admettre en lieu et place, en d'autres termes si la

 16   déclaration écrite doit être versée en lieu et place d'une déposition

 17   orale."

 18   Alors ça ne peut être recevable qu'en vertu de l'article 92 bis en l'état

 19   actuel des choses.

 20   Si l'on applique cette interprétation dans le cas qui nous intéresse ici,

 21   il est impossible d'avoir une disposition générale qui s'applique et qui

 22   permettrait l'introduction d'une déclaration écrite sans tenir compte du 92

 23   bis ou du 92 quater, à moins de modifier le règlement.

 24   J'en arrive maintenant à la décision de Milosevic au paragraphe 20,

 25   où l'on envisage différentes questions de nature ou à caractère politique,

 26   pourquoi est-ce qu'il est bon de passer à la procédure 92 ter par exemple

 27   entre autres, et la Chambre d'appel observe que :

 28   "Certes, ces faits constituent une question de politique importante. Elle

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  1   ne s'intéresse pas de près à la question de savoir si cet élément de preuve

  2   constitue une preuve écrite au titre du 92 bis et si la requête relève du

  3   champ d'application de cet article. Toutefois, ces points se révèlent

  4   pertinents pour déterminer si l'intérêt de la justice commande selon les

  5   termes de l'article 89(F) d'admettre de telles déclarations."

  6   Alors, parce que les choses doivent être parfaitement claires, nous

  7   affirmons qu'en l'état des règles à l'époque, si la déclaration pouvait

  8   être admise au titre du 92 bis, ça n'était qu'au titre du 92 bis, et non

  9   pas du 89(F) comme on pouvait le faire, et par conséquent ceci signifie que

 10   ça n'a pas trait aux actes et comportements de l'accusé. C'était le cas

 11   pour l'arrêt Galic, et par conséquent, il faut estimer que la jurisprudence

 12   inscrit les choses dans le marbre, et par conséquent il faut tenir compte

 13   du rapport entre le lex generalis et lex specialis.

 14   Bien entendu, à la lueur de la décision Milosevic, 92 ter a été introduit,

 15   et puis ensuite Galic a emmené à l'introduction du 92 quater. Finalement,

 16   les choses sont très simples. Quelles sont les questions ?

 17   Première question que doit se poser la Chambre de première instance : est-

 18   ce que nous sommes dans une situation dans laquelle l'on souhaite le

 19   versement d'une déclaration écrite en lieu et place d'une déposition ou

 20   est-ce qu'au contraire on invite un témoin à lire sa déclaration, et est-ce

 21   que le témoin est disponible pour répondre aux questions en contre-

 22   interrogatoire. Si la réponse est un cas dans lequel on admet en lieu et

 23   place le versement écrit, alors il faut que s'applique le 92 bis ou le 92

 24   quater. Or ici, l'Accusation répond en se saisissant de l'argument du 92

 25   quater pour Shefqet Kabashi mais n'a formulé aucune requête pour ce qui est

 26   de l'autre.

 27   Mais ceci étant, ce qui est parfaitement clair c'est que jamais ils

 28   n'auraient pu verser les déclarations écrites au titre du 92 bis parce que

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  1   cela pourrait avoir trait aux actes et comportements de l'accusé, et

  2   l'approche de la Chambre, si elle avait appliqué l'article 92 bis, nous le

  3   voyons en examinant les requêtes alternatives de demandes de versement au

  4   dossier des déclarations écrites de Kabashi, en demandant à l'enquêteur de

  5   prendre la déclaration et d'en faire la lecture. Cela devrait nous

  6   convaincre de l'opportunité de tout cela. Si nous lisons le compte rendu

  7   d'audience 10 978 à 10 979, la Chambre de première instance indique que

  8   l'autre possibilité présentée est d'appeler à déposer Barney Kelly,

  9   l'enquêteur présent au moment où a formulé sa déclaration écrite M.

 10   Kabashi, et l'on peut considérer que cela constitue une preuve indirecte.

 11   La Chambre estime que la façon dont ont été introduits les éléments de

 12   preuve ont trait aux actes et comportements de l'accusé. Tout ceci

 13   constitue quelque chose qui est non seulement inopportun, mais qui est

 14   préjudiciable à la Défense, puisque la Défense n'a pas eu la possibilité de

 15   s'assurer de la véracité des propos tenus dans la déclaration écrite. C'est

 16   la raison pour laquelle la requête de l'Accusation se voit opposer un état

 17   de non-recevoir par la Chambre.

 18   En d'autres termes, la Chambre de première instance estime qu'admettre au

 19   dossier serait injuste et ce serait préjudiciable. Même si l'Accusation

 20   avait raison, il serait tout simplement impossible de le faire.

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Et la requête a été formulée au 92 ?

 22   M. EMMERSON : [interprétation] Non. L'une a été formulée au titre du 92

 23   quater, la déclaration écrite pour Limaj. Cela a été rejeté parce qu'il

 24   n'était ni mort, ni décédé, ni malade, ni indisponible; l'autre possibilité

 25   aurait été de l'inviter à lire sa déclaration, ce qui constituerait une

 26   preuve indirecte. Je ne sais pas exactement si l'on a formulé la requête au

 27   titre du 89(F) ou pas, mais quoi qu'il en soit, c'était une demande qui

 28   avait été faite et l'on évoquait la question d'une preuve par ouï-dire.

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  1   S'agissant de la décision que devait prendre la Chambre de première

  2   instance, c'était de savoir si c'était servir l'intérêt de la justice que

  3   d'autoriser l'Accusation à le faire, c'est-à-dire en ayant recours au

  4   89(F). Or, le 89 ne s'applique pas du tout ici pour cette requête,

  5   puisqu'il s'agit d'une déclaration écrite en lieu et place d'une déposition

  6   orale. Donc, il fallait que s'applique le 92 bis ou le 92 quarter.

  7   Par conséquent, même si nous nous appuyons sur cette thèse principe,

  8   grosso modo, l'Accusation n'a formulé aucune requête au titre du 89(F) et

  9   n'a jamais souhaité, par exemple, indiquer qu'il était possible d'évoquer

 10   les intimidations pour indiquer que l'on pourrait demander à ce qu'il y ait

 11   une déposition, sans évoquer le 92 bis ou 92 quater. En fait, il n'y avait

 12   aucun élément de preuve indiquant que Kabashi avait fait l'objet

 13   d'intimidation. Bien au contraire, il a dit lui-même que personne ne

 14   l'avait jamais menacé.

 15   En ce qui concerne l'autre témoin, aucun fait n'a permis de conclure

 16   qu'il avait fait l'objet d'intimidation. En fait, c'est un témoin qui, pour

 17   des raisons que je n'évoquerai pas ici, avait une crédibilité qui était

 18   sérieusement mise à mal, puisque son témoignage était en contradiction

 19   patente avec les dépositions de deux témoins appelés par l'Accusation sur

 20   des questions cruciales du dossier. Par conséquent, c'était un témoin très

 21   contestable. Et par conséquent, la Chambre n'a jamais estimé que le fait

 22   que l'on prétende qu'il ait été victime d'intimidation soit justifié.

 23   D'ailleurs, l'on ne peut en aucun cas dire qu'il était responsable de

 24   quelque acte d'intimidation contre qui que ce soit. Dans toutes les

 25   requêtes de mise en liberté provisoire, la Chambre a indiqué très

 26   clairement que rien ne permettait d'affirmer que des actes d'intimidation

 27   avaient été réalisés par l'un quelconque des accusés. Par conséquent, tout

 28   ce que l'on vous a dit vous dresse un portrait très inexact de la

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  1   situation. Mais si l'on accepte l'exception au 89(F), même si l'on accepte

  2   cela, il se trouve que la requête n'a pas été formulée. Par conséquent, il

  3   aurait fallu faire des déterminations de faits, et ce n'était pas possible.

  4   D'ailleurs, ça n'a pas été fait.

  5   Mais si vous permettez que je conclue sur ce point, je vous dirais

  6   ceci : même si tout cela constituait des réponses à cet appel formulé par

  7   l'Accusation, pour les raisons que j'ai prélevées dans les décisions dont

  8   je viens de faire un résumé, la Chambre ne pouvait évoquer ces questions

  9   sans qu'il y ait possibilité de contre-interrogatoire. Ce serait inique. Ce

 10   ne serait pas un procès équitable. Et par conséquent, avec tout le respect

 11   que nous vous devons, nous affirmons que l'Accusation ne conteste pas la

 12   conclusion. Il n'y a aucun appel fait contre la décision de la Chambre de

 13   première instance refusant d'autoriser l'enquêteur à lire la déclaration

 14   écrite, parce que cela a trait à des actes et comportements et que ce n'est

 15   pas corroboré. L'Accusation ne conteste pas.

 16   En fait, M. Kremer dit lui-même que si l'on applique correctement les

 17   articles du Règlement, on serait amenés à rejeter toutes les requêtes

 18   faites. Par conséquent, ils auraient dû envisager une autre façon de faire

 19   les choses, par exemple, le 89(F). Donc l'Accusation l'admet elle-même --

 20   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, mais vous dites que la Chambre

 21   de première instance a manifestement pris la décision indiquant que sans

 22   contre-interrogatoire on ne pouvait pas admettre le versement au dossier

 23   des déclarations écrites.

 24   M. EMMERSON : [interprétation] Oui, pour Kabashi --

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais sur quelle base, alors, sont-

 26   ils arrivés à cette décision à la Chambre de première instance ?

 27   M. EMMERSON : [interprétation] Pour les raisons que j'ai évoquées tout à

 28   l'heure. Tout d'abord, les déclarations écrites de Kabashi ont trait aux

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  1   actes et comportements de l'accusé; et deuxièmement, il n'y avait pas

  2   corroboration par d'autres éléments de preuve dans une large mesure. Et

  3   puis, troisièmement, en l'absence de la possibilité de procéder à un

  4   contre-interrogatoire, pour ces raisons-là, cela porterait préjudice à la

  5   Défense que de verser au dossier ces documents et de demander à ce que

  6   l'enquêteur du bureau du Procureur soit admis à déposer. C'est une décision

  7   de la Chambre de première instance, et l'Accusation ne la conteste pas.

  8   Sous quelle déposition [comme interprété] a-t-il été fait.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

 10   M. EMMERSON : [interprétation]  Nous avons trouvé la requête. C'était au

 11   titre de l'article 89, mais généralement, sans préciser d'alinéa.

 12   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.

 13   M. EMMERSON : [interprétation] Cela dit, voici en résumé le problème, il

 14   est simple : s'il y avait un nouveau principe en ce qui concerne la

 15   jurisprudence des éléments de preuve admis par le Tribunal qui autoriserait

 16   à une déclaration de témoin de servir en lieu et place d'une déposition

 17   orale, du fait que le témoin aurait été intimidé et que ceci aurait été

 18   prouvé, tout d'abord, à notre avis, il conviendrait d'amender le Règlement.

 19   Ensuite, il faudrait faire extrêmement attention au libellé même de

 20   l'amendement. Il faudrait faire très attention aussi à prendre en compte

 21   les actes et comportements de l'accusé, pour qu'ils soient parfaitement

 22   exclus de cela. Mais à notre avis, ce n'est pas à la Chambre de première

 23   instance d'inventer cette nouvelle règle, puisqu'ils n'ont pas besoin de se

 24   servir de la lex generalis, puisqu'il y a la lex specialis qui existe. Mais

 25   en fin de compte, jusqu'à présent, personne n'a demandé cet amendement.

 26   C'est ça le problème.

 27   Donc j'ai fini de présenter mes arguments.

 28   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.

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  1   [La Chambre d'appel se concerte]

  2   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kremer, qu'avez-vous à

  3   répondre ?

  4   M. KREMER : [interprétation] Pour répondre à la question qui a été posée en

  5   ce qui concerne l'applicabilité de l'article 89(F), notre position est la

  6   suivante. Nous sommes d'accord avec Me Emmerson sur un point. L'article

  7   89(F) est une règle générale et les articles 92 bis, ter et quater, eux,

  8   relèvent de la lex specialis. Cela dit, nous ne sommes pas d'accord avec Me

  9   Emmerson lorsqu'il dit que l'article 89(F) n'a aucune signification en ce

 10   qui concerne les éléments qui ne sont pas pris en compte dans l'article 92

 11   bis, ter ou quater. Comme le montre la décision Milosevic, la genèse de

 12   l'article 92 ter a été l'arrêt interlocuteur pris pour le 92 quater. A

 13   l'époque, le 92 ter a été présenté et aussi le 92 quater, suite à une

 14   décision prise par la Chambre d'appel, selon laquelle il y avait d'autres

 15   circonstances qui permettaient d'autoriser le versement de preuves écrites,

 16   dans l'intérêt de la justice.

 17   Donc notre position est simple. Les articles du Règlement définissent

 18   quels sont les exemples qui ont été déterminés par le Tribunal comme

 19   relevant de l'intérêt de la justice et permettant donc d'admettre des

 20   éléments de preuve par écrit, et donnent des consignes à ces faits stricts

 21   et clairs aux Chambres de première instance pour savoir quand elles peuvent

 22   autoriser ce type d'éléments de preuve. Cela ne signifie pas que les

 23   éléments de preuve qui n'ont pas été pris en compte et qui n'ont pas été

 24   pris en compte dans les Règles ne retombent pas sous l'article 89(F).

 25   Sinon, pourquoi dirait-on si l'intérêt de la justice le commande ? Ça

 26   n'aurait aucun sens. Donc, de notre avis, l'intimidation des témoins n'est

 27   pas prise en compte dans les articles 92, ni le bis, ni le ter, ni le

 28   quater. L'intimidation des témoins est un problème qui a émergé dans cette

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  1   affaire même en l'espèce, et la Chambre de première instance aurait du

  2   savoir mieux gérer comment arriver à incorporer les moyens de preuve qui

  3   étaient écartés du fait d'intimidation. La Chambre de première instance a

  4   préféré mettre un terme au procès et ne pas entendre ces témoins. Mais de

  5   ce fait, il manque énormément de moyens de preuve au dossier.

  6   Me Emmerson nous suggère, et cette remarque montre bien qu'il

  7   souhaite en fait que ces témoins, que leur preuves soient caractérisées

  8   comme étant des témoins réticents. Mais quand on lit le compte rendu, il

  9   est évident que c'était des témoins qui n'étaient pas réticents. Ils ne

 10   voulaient pas témoigner pour une raison bien simple, c'est parce qu'ils

 11   avaient peur. Même si Kabashi dit, "Je n'avais pas peur", il dit quand même

 12   dans le compte rendu qu'il a eu des menaces, qu'il a été influencé par

 13   certaines menaces et que c'est pour cela qu'il a refusé de témoigner. La

 14   Chambre de première instance a admis d'ailleurs que la peur de ce témoin

 15   pour sa propre vie et la vie de sa famille a fait partie de tout ce qui a

 16   été présenté dans le cadre de ce procès et a été essentiel dans le cadre de

 17   tous les éléments de preuve présentés dans le procès.

 18   Donc notre position est simple. En interprétant de façon très étroite

 19   la règle 89(F), et en disant que 92 bis, 92 ter et 92 quater ne répondent

 20   pas à la situation en l'espèce, situation où nous avons des témoins

 21   intimidés qui ont peur de témoigner et qui, de ce fait, ne témoignent pas,

 22   donc, de ce fait, leurs éléments de preuve ne sont pas présentés au

 23   dossier. De ce fait, c'est l'intimidateur qui gagne. Et voici que Me

 24   Emmerson demande que l'on admette cela. Or, c'est un problème selon nous.

 25   Nous sommes un Tribunal pénal international. Si on peut intimider les

 26   témoins, si on peut se permettre d'écarter des éléments de preuve et si on

 27   interprète les règles de façon trop stricte pour ne pas arriver à obtenir

 28   d'une façon ou d'une autre ces éléments de preuve qui sont essentiels au

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  1   dossier, les choses ne sont pas correctes. Nous ne disons pas qu'il faut

  2   accepter les éléments de preuve directement. La décision doit être prise,

  3   bien sûr, en prenant en compte tous les éléments de preuve qui sont

  4   présentés. Il faut prendre en compte aussi certaines restrictions.

  5   Mais comment peut-on servir les intérêts de la justice en présentant

  6   ces éléments de preuve ? Pour ce qui est des actes et comportements de

  7   l'accusé, il faut que les éléments de preuve soient corroborés. Ça suffit.

  8   On peut essayer de trouver des informations dans le 92 quater à ce propos.

  9   Les témoins qui déposent par écrit au titre du 92 quater ne sont pas

 10   contre-interrogés, mais leurs éléments de preuve qui portent sur l'acte et

 11   le comportement peuvent être un facteur d'exclusion ou d'inclusion. Comme

 12   Me Emmerson l'a dit, notre demande au titre du 89(F) pour appeler Barney

 13   Kelly, l'enquêteur pour qu'il dépose, a été rejetée. Et la Chambre a dit

 14   qu'elle avait pris cette décision dans l'intérêt de la justice et nous

 15   n'avons pas fait appel. Certes, mais la Chambre n'a pas pris en compte

 16   l'intimidation des témoins. Elle a pris en compte le fait de savoir si, par

 17   le biais de l'enquêteur Barney Kelly, on ne pourrait pas obtenir ces

 18   preuves qui seraient des preuves obtenues par des preuves indirectes,

 19   uniquement. Et selon nous, cet article 89(F) peut devenir une règle

 20   judiciaire permettant de restreindre l'intimidation des témoins parce que

 21   cette intimidation de témoins empêche la Chambre de première instance

 22   d'entendre la totalité des dossiers.

 23   Pour répondre à la réponse de Me Emmerson, j'ai certaines choses à dire.

 24   Tout d'abord, Me Emmerson semblait dire que notre demande au titre de

 25   l'article 89(F) et de la prudence qui doit l'accompagner, si cette règle

 26   devient finalement une règle judiciaire, devraient suivre ce qui a été

 27   incorporé dans l'article 92 bis. Mais je n'ai jamais dit ça. J'ai dit qu'il

 28   faudrait plutôt utiliser ce qui est consigné dans l'article quater parce

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  1   que c'est, en fait, l'article le plus proche de ce que nous avons ici avec

  2   intimidation. Dans l'article quater, la personne n'est pas disponible, soit

  3   parce qu'elle est malade, décédée ou introuvable. Donc, c'est beaucoup plus

  4   proche de l'intimidation que l'article 92 bis.

  5   Dans sa réponse, Me Emmerson a soulevé un certain nombre d'erreurs que

  6   l'Accusation a faites lorsqu'elle a essayé de présenter ses moyens de

  7   preuve. Au fait, ce sont plutôt des manquements de l'Accusation dont Me

  8   Emmerson aurait parlé. Il considère que la Chambre a permis à l'Accusation

  9   de présenter ses moyens et que l'Accusation a pu présenter ses moyens en ce

 10   qui concerne ces deux témoins. Le compte rendu est très clair. Un grand

 11   nombre d'efforts ont été consentis pour essayer d'obtenir la présence de M.

 12   Kabashi devant la Chambre de première instance. Il est venu témoigner une

 13   fois à La Haye, avant d'être libéré. En fait, il s'est enfui, il est rentré

 14   dans son pays de résidence. La Chambre de première instance a pris les

 15   choses en main ensuite et est restée saisie de l'affaire pendant quelque

 16   temps avant de la rendre aux parties. Et c'est à ce moment-là que

 17   l'Accusation a essayé d'obtenir la déposition par vidéoconférence. La

 18   Chambre de première instance y a fait droit.

 19   Mais en fin de compte, les mesures qui auraient pu les obliger à

 20   témoigner - j'admets, certes, qu'il a été assez catégorique, surtout

 21   lorsqu'il a dit qu'il préférait aller en prison plutôt que de témoigner,

 22   là, c'était très catégorique quand même - mais on n'a pas tout fait pour le

 23   faire témoigner.

 24   Pour ce qui est de l'autre témoin, il était malade et cela a retardé le

 25   processus et finalement l'Accusation a abandonné plutôt que de continuer.

 26   Ici, nous n'avons pas de témoins hostiles ou de témoins réticents. Nous

 27   avons un témoin intimidé. Et de notre avis, la Chambre de première instance

 28   aurait dû en faire plus vis-à-vis des témoins qui étaient intimidés. S'il

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  1   ne s'était agi que de deux témoins réticents, il n'y aurait pas cet appel à

  2   l'heure actuelle. Mais c'est parce que la Chambre de première instance a

  3   reconnu elle-même que la peur régnait dans le cadre de cette affaire que

  4   nous sommes ici en appel. L'intimidation d'un témoin ne doit pas être

  5   autorisée à gagner. Et c'est pour cela que nous présentons nos arguments,

  6   arguments au titre de l'article 89(F). C'est pour cela que nous disons que

  7   le procès n'a pas été équitable parce que l'Accusation considère que dans

  8   cette affaire, malheureusement, c'est l'intimidation de témoins qui a gagné

  9   et c'est pour cela qu'au moins deux des accusés ont été acquittés; et pour

 10   un grand nombre des chefs, les trois d'ailleurs ont été acquittés, alors

 11   que la Chambre de première instance aurait dû se concentrer sur autre

 12   chose.

 13   Elle n'aurait pas dû se concentrer sur le fait qu'ils ne voulaient

 14   pas témoigner et qu'ils étaient réticents à témoigner. Elle aurait dû se

 15   pencher, en fait, sur les causes de cette résistance. Pourquoi est-ce

 16   qu'ils ne voulaient pas témoigner ? Parce qu'on menaçait leurs familles, on

 17   les menaçait eux-mêmes.

 18   Me Emmerson voudrait vous faire croire qu'il faut prendre en compte

 19   le fait qu'ils ne voulaient pas témoigner, mais nous considérons qu'il y a

 20   autre chose à prendre en compte.

 21   Et finalement, pour ce qui est du pouvoir discrétionnaire de la Chambre de

 22   première instance, nous considérons que le test final c'est de savoir si le

 23   procès a bel et bien été équitable. Et si une Chambre de première instance

 24   ne peut pas assurer un procès équitable, elle ne peut pas se baser sur son

 25   pouvoir discrétionnaire ou sur le Règlement pour essayer d'infirmer le

 26   résultat. En ce qui concerne les mémoires des répondants pour ce qui est du

 27   moyen d'appel numéro 1, vous avez tout le détail de ce que la Chambre de

 28   première instance a fait. Nous considérons que la Chambre de première

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  1   instance n'a pas vraiment tout fait pour essayer d'obtenir les dépositions

  2   de ces témoins et le compte rendu montre bien que c'est la rapidité qui a

  3   prévalu; et nous nous retrouvons surtout dans ce qui s'est passé lors des

  4   audiences du 20 et du 26 novembre. Ce qui était important pour la Chambre

  5   de première instance, c'était de terminer le procès, et ceci, sans prendre

  6   en compte l'équité et la protection des témoins.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien. Donc vous êtes en train de

  8   nous dire que bien que la Chambre de première instance, et à de nombreuses

  9   reprises, essayait d'obtenir le témoignage de ce témoin, vous ne prenez pas

 10   ça en compte ?

 11   M. KREMER : [interprétation] Je vais essayer d'être simple. Le problème

 12   c'est l'intimidation des témoins. C'était ça qui devait être géré par la

 13   Chambre de première instance. L'Accusation avait les Règlements de

 14   procédure et de preuve pour essayer d'obtenir des moyens de preuve à

 15   présenter à la Chambre. Il est évident qu'en ce qui concerne ces deux

 16   témoins, ces procédures ne suffisaient pas, elles ne marchaient pas, en

 17   fait, c'est comme ça. C'est simple à dire, mais ça ne marchait pas avec ces

 18   deux témoins. Le procès s'est arrêté, donc on ne saura jamais si cette

 19   fameuse sanction d'outrage éventuelle contre ces deux témoins, si on les

 20   avait vraiment mis au pied du mur, si ça aurait marché, oui ou non. On sait

 21   que pour certains autres témoins ça a marché, pour ces deux-là, de toute

 22   façon, le processus qui aurait dû être poursuivi, au vu du fait qu'ils

 23   n'étaient pas sur le territoire néerlandais est devenu compliqué et a été

 24   retardé par toutes sortes de problèmes qui n'étaient pas prévisibles, ni

 25   par l'Accusation ni par la Chambre de première instance. Mais en fin de

 26   compte, il y avait certes des problèmes de procédure parce que ces témoins

 27   n'étaient pas sur place et malheureusement, c'est l'Accusation qui en a

 28   fait les frais. Et c'est aussi la Section des Victimes et des Témoins qui

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  1   en a fait les frais puisque le résultat de tout cela c'est que les accusés

  2   ont été acquittés.

  3   Dans son jugement, la Chambre de première instance a parlé de

  4   l'intimidation en intitulé "des difficultés à obtenir la déposition des

  5   témoins." C'est au paragraphe 22. Et je pense que les mots mêmes employés

  6   dans la discussion exposent la faiblesse même de l'approche employée par la

  7   Chambre de première instance pour traiter de l'intimidation de témoin. Ils

  8   considèrent qu'il s'agit d'une difficulté qui doit être surmontée alors

  9   qu'ils auraient dû, au contraire, le prendre comme un problème fondamental

 10   empêchant le procès équitable.

 11   L'Accusation dit que cette Chambre va pouvoir revenir sur l'injustice

 12   du procès équitable en ce qui concerne les chefs au titre de Jablanica. Des

 13   victimes, au titre de ces chefs d'accusation, n'ont pas reçu justice, parce

 14   qu'on n'a pas pu obtenir d'éléments de preuve à leur propos. Et donc ce

 15   n'est pas parce que l'Accusation a essayé de ne pas utiliser le 92 bis,

 16   non. Il s'agissait de circonstances sur lesquelles l'Accusation n'avait

 17   aucune maîtrise. Et au compte rendu, on voit même que la Chambre de

 18   première instance elle-même n'avait aucune maîtrise de ces circonstances.

 19   C'est là la différence essentielle entre les décisions Milosevic et Galic

 20   dont nous avons entendu parler et l'application de la règle, qui d'après

 21   nous, montre la différence entre le moment où il faut appliquer le 92 bis

 22   ou le quater et quand appliquer le 89(F). Le quater n'était pas disponible,

 23   mais de notre avis, le 89(F) aurait dû être employé pour servir de recours

 24   et pour résoudre ce problème qui était absolument essentiel au cours de ce

 25   procès.

 26   La Chambre d'appel va pouvoir montrer à la communauté internationale

 27   qu'elle peut gérer le problème de l'intimidation des témoins et qu'elle ne

 28   permettra pas que l'on se serve de l'intimidation de témoin pour faire

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  1   obstacle à la justice internationale.

  2   L'article 89(F) peut servir de vecteur pour permettre à ces témoins de

  3   s'exprimer, pour qu'ils puissent raconter ce qui leur est arrivé. Quant à

  4   savoir le poids à accorder à ces éléments de preuve, comment l'utiliser

  5   dans l'intérêt de la justice et pour un procès équitable, c'est à cette

  6   Chambres d'appel d'en décider, ou au moins de nous donner des lignes

  7   directrices à ce propos. Et vous êtes ici en fait pour donner à toutes les

  8   Chambres de première instance de ce Tribunal quelle est la conduite à tenir

  9   en cas de procès où il y a intimidation de témoin, tout en permettant à la

 10   Défense de bénéficier d'un procès équitable.

 11   Il s'agit donc d'un point essentiel et nous demandons à la Chambre

 12   d'appel de procéder de façon prudente, de faire attention, mais de garder à

 13   l'esprit à tout moment qu'ici on ne parle pas d'une situation normale; on

 14   parle d'une situation anormale et la Chambre de première instance l'a même

 15   reconnu que cette situation était anormale. Mais malheureusement, elle n'a

 16   pas trouvé la bonne solution pour régler ce problème.

 17   Avez-vous des questions ? En tout cas, j'en ai terminé avec mes remarques à

 18   propos du premier moyen d'appel, et je crois que Mme Martin Salgado a

 19   quelques remarques à faire en ce qui concerne les réponses concernant le

 20   moyen d'appel numéro 3.

 21   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Kremer.

 22   Nous allons maintenant entendre votre collègue.

 23   Mme MARTIN SALGADO : [interprétation] J'ai trois points à soulever en

 24   réponse à la Défense de M. Balaj concernant les erreurs de fait et trois

 25   points à soulever en ce qui concerne les erreurs de droit. Mais je serai

 26   rapide.

 27   En ce qui concerne le premier point, nous n'avons pas inventé une nouvelle

 28   théorie ou mal cité le compte rendu. Selon nous, le compte rendu à la page

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  1   4 043 parle des soldats qui se trouvaient à l'extérieur de la maison de la

  2   femme, et la Chambre a eu tort d'interpréter ces éléments.

  3   De plus, le compte rendu n'est pas ambigu, car il est clair que Toger

  4   est venu à la maison. Au compte rendu, page 3 982, à laquelle la Défense a

  5   déjà fait référence, et ainsi qu'aux pages 3 984 et 4 045. Surtout en ce

  6   qui concerne la page 4 045, le compte rendu montre bien qu'elle l'a vu là.

  7   Pourquoi dirait-elle qu'elle ne pouvait pas le reconnaître si elle ne

  8   l'avait pas vu ? Donc il faut bien lire le compte rendu pour comprendre ce

  9   qu'elle voulait dire.

 10   De plus, on lui a demandé de décrire quelle arme portaient les

 11   soldats cette nuit-là, et elle a pu le faire, et on le trouve aux pages 3

 12   987 et 3 988. Enfin, la Défense n'a pas pris en compte les éléments de

 13   preuve sur lesquels elle avait fait référence à cet homme comme étant

 14   Toger, mais à la page 4 043, on voit qu'elle a entendu parler de cet homme

 15   comme étant Toger à l'extérieur de la maison. Mais ce n'est absolument pas

 16   au compte rendu 4 043. C'est au compte rendu à la page 4 001, et c'est là

 17   que la Chambre a accepté les éléments de preuve selon lesquels les autres

 18   soldats s'étaient adressés à cette personne comme étant Toger, et c'est ça

 19   qui montre que cette femme savait quel était le soldat qui s'appelait

 20   Toger.

 21   Ensuite, concernant le fait qu'elle aurait vu Toger après son viol,

 22   mais ce, au volant d'une jeep noire. Selon nous, ça montre bien que Toger

 23   était Balaj, puisqu'il a une jeep noire. Et au paragraphe 85 du mémoire en

 24   appel de l'Accusation, vous trouverez d'ailleurs les éléments de preuve

 25   montrant que Toger conduisant bien une jeep noire.

 26   Maintenant, nous avons aussi réussi à éliminer tout doute rendant

 27   Balaj responsable du viol du Témoin 61, car elle a dit à ses parents à ce

 28   moment-là que c'était bien Toger qui l'avait violée. Elle a entendue parler

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  1   de cette personne comme étant Toger.

  2   Maintenant, pour ce qui est des erreurs de droit concernant le Témoin

  3   1. Nous continuons à déclarer que le fait de ne pas prendre en compte les

  4   éléments factuels est une erreur de droit. En effet, la Chambre n'a pas

  5   apprécié la souffrance mentale qui a suivi les actes auxquels a été soumis

  6   le Témoin 1. D'après nous, cela a commencé lorsque cinq hommes armés, y

  7   compris Toger, ont emmené les témoins en plein milieu de la nuit. Cela se

  8   poursuit lorsque le Témoin 1 a été séparé de force de sa femme, a vu sa

  9   femme emmenée par Toger. Il a été ensuite mis dans un puits avec de l'eau

 10   jusqu'à la taille, sans savoir ce qui allait lui arriver, ce qui allait

 11   arriver à sa femme et sans savoir s'il mourrait dans ce puits.

 12   Et cela a continué alors que le témoin était dans le puits et que sa

 13   femme était interrogée et violée, et c'était uniquement pour l'intimider,

 14   en fait.

 15   Maintenant, en ce qui concerne la responsabilité de Balaj par rapport au

 16   traitement cruel du Témoin 1, Balaj a participé aux comportements dont je

 17   vous ai parlé et qui correspondent à un traitement cruel parce qu'il l'a

 18   sorti de chez lui en plein milieu de la nuit, il l'a interrogé et lorsque

 19   je l'ai dit, je tiens à ajouter qu'au compte rendu à la page 4 045, on voit

 20   qu'on a posé les mêmes questions aux deux témoins et qu'ils ont bel et bien

 21   été interrogés par le même homme. Donc nous considérons que vous devez le

 22   déclarer coupable d'avoir commis un traitement cruel à l'encontre du Témoin

 23   numéro 1.

 24   [La Chambre d'appel et le Juriste se concertent]

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Harvey, c'est à vous

 26   maintenant.

 27   M. HARVEY : [interprétation] Vous aviez précisé que vous aviez l'intention

 28   de faire une pause. Moi, je suis prêt dès que vous le serez.

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  1   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je crois qu'il est trop tôt pour

  2   faire une pause.

  3   M. HARVEY : [interprétation] Très bien.

  4   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous aurez peut-être besoin de vous

  5   arrêter pour des raisons techniques, d'après ce que j'ai compris.

  6   M. HARVEY : [interprétation] Bien sûr.

  7   Puis-je simplement prendre le pupitre, s'il vous plaît.

  8   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'avais confiance en Me

  9   Emmerson. Je savais qu'il allait aborder toutes les questions que vous lui

 10   aviez posées eu égard aux articles 92 bis et 89(F). Et il est vrai que

 11   j'avais toute confiance en lui et j'ai eu raison.

 12   Dès le départ, vous avez demandé à ce que nous ne nous répétions pas. Je

 13   pense que vous allez m'arrêter si je fais quelque chose de la sorte. Vous

 14   nous avez demandé de ne pas lire ce que nous vous avons déjà remis sous

 15   forme d'écritures. Je crois qu'ici la lumière est devenue tout à coup moins

 16   forte mais j'arrive encore à lire. Je vous remercie.

 17   Je vais aborder, si vous me le permettez, directement la question de la

 18   crédibilité. Il s'agit là d'une question qui est essentielle pour notre

 19   appel de la condamnation, et ceci commence au paragraphe 22 de notre

 20   mémoire en appel. Et si vous me le permettez, toutes les questions liées à

 21   la crédibilité soulevées par M. Brahimaj portent sur les Témoins 3 et 6.

 22   Nous disons à propos de ces deux témoins que les incohérences nombreuses

 23   dans leur témoignage individuel en ont fait des témoins non fiables. Nous

 24   avons présenté des indices de non-fiabilité et nous estimons qu'il s'agit

 25   là de motifs fondés qui permettent d'annuler la décision. Les points

 26   distincts doivent être abordés de façon cumulée également. Cela étant fait,

 27   nous estimons qu'aucun tribunal raisonnable digne de ce nom n'aurait pu

 28   conclure que les Témoins 3 ou 6 étaient des témoins sur lesquels on aurait

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  1   pu conclure qu'il s'agissait là de témoins crédibles sur lesquels on aurait

  2   pu prendre une décision au-delà de tout doute raisonnable.

  3   Nous espérons, par rapport aux points-clés de ces témoins, ils

  4   auraient pu être corroborés et auraient pu dire la même chose; mais en

  5   réalité, il est impossible de concilier leurs dires. De surcroît, dans

  6   certains cas où les Juges de la Chambre ont été confrontés aux réelles

  7   faiblesses d'un des témoins, ils ont souhaité, au contraire, mettre en

  8   avant le témoignage non fiable de ce témoin en acceptant le témoignage de

  9   l'autre, à tel point que la condamnation se fondant sur les témoignages de

 10   ces témoins n'est pas sûre.

 11   Donc je vais maintenant aborder tout de suite la question du Témoin 6 et je

 12   vais aborder - Madame, Messieurs les Juges, vous estimerez qu'il s'agit là

 13   peut-être du moyen le plus important - le manquement de l'Accusation à

 14   remplir ses obligations eu égard à l'article 68 de communiquer les

 15   documents en temps et en heure pour permettre à la Défense de se préparer

 16   comme il se doit pour le procès. A ce moment, je demanderais de bien

 17   vouloir regarder le mémoire en appel déposé par M. Balaj qui aborde

 18   plusieurs détails la question de la violation de l'article 68, qui était un

 19   phénomène récurrent pendant toute la durée de ce procès, aux paragraphes 47

 20   à 55 en particulier du mémoire en appel de Balaj. Pardonnez-moi, Madame,

 21   Messieurs les Juges.

 22   [Le conseil de la Défense se concerte]

 23   M. HARVEY : [interprétation] Je me suis peut-être trompé. Je faisais peut-

 24   être référence au dernier mémoire. Si vous me le permettez, je vais revenir

 25   là-dessus si je me suis trompé.

 26   Je vais résumer brièvement. Ceci est exposé plus avant dans notre mémoire

 27   en réponse aux paragraphes 2 à 10.

 28   Pour l'essentiel, il s'agit de ceci : le Témoin 6 a commencé son témoignage

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  1   à la fin de la journée, le jeudi 31 mai. Il a poursuivi son témoignage le

  2   vendredi suivant, le 1er juin, et il a terminé son témoignage le lundi 4

  3   juin. Pendant mon contre-interrogatoire de ce témoin, il a nié avoir jamais

  4   fait partie des réservistes de la police. Il a expliqué qu'il avait une

  5   trop grande famille et trop nombreuse pour avoir le temps de faire cela. Il

  6   a nié connaître certains officiers de police. Il a déclaré de façon

  7   affirmative qu'il était "un simple agriculteur et je n'avais rien à voir

  8   avec eux, ni avec la police, ni avec l'armée."

  9   Lors des questions supplémentaires posées par l'Accusation, on lui a posé

 10   la question et on lui a demandé ce qu'il avait compris de ce que l'UCK lui

 11   avait dit. Ils lui ont dit - c'est ce qu'il a dit - qu'il était resté avec

 12   les Serbes. A cette question particulière, il a répondu comme suit --

 13   pardonnez-moi, la question précise qui lui a été posée par M. Di Fazio du

 14   côté de l'Accusation était celle-ci : 

 15        "Monsieur le Témoin, je ne vous demande pas si quelque chose qu'ils

 16   ont dit à votre propos est vrai ou non. Ça n'est pas la question que je

 17   vous pose. Vous nous avez déjà parlé de cela et nous vous avons entendu sur

 18   ce point très clairement. Oubliez cela, cela n'est pas ce qui m'intéresse.

 19   Ce que je souhaite savoir, c'est comment avez-vous compris cette allégation

 20   ? Qu'est-ce que vous étiez censé faire ? Comment avez-vous compris cela ?"

 21   Le témoin a répondu qu'il pensait qu'il lui disait qu'il pensait que

 22   c'était un "espion des Serbes". Et qu'il n'estimait pas qu'il était

 23   Albanais et "ils essayaient en quelque sorte de se moquer de moi."

 24   L'élément important ici c'est que quelque chose dont je n'étais pas au

 25   courant et mon équipe non plus, à ce stade de mon contre-interrogatoire et

 26   à l'époque où il y avait les questions supplémentaires de l'Accusation vers

 27   la fin de mon contre-interrogatoire -- en réalité, il ne restait plus que

 28   huit minutes, à 12 heures 52, l'Accusation a envoyé une notification de

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  1   communication à la Défense par message électronique reçue le 4 juin 2007.

  2   Cette communication n'a pas attiré notre attention particulièrement, mais

  3   elle contenait un document qui alléguait que le Témoin 6 n'était pas

  4   seulement un officier de police, mais avait pris part directement aux

  5   actions de la police.

  6   La production tardive de cette information violait très clairement

  7   l'obligation de l'Accusation conformément à l'article 68, et à cause de

  8   cela, nous n'avons absolument pas pu confronter le Témoin 6 avec ces

  9   éléments d'information. Ce qui était encore plus troublant, c'est que

 10   pendant les questions supplémentaires posées par l'Accusation, M. Di Fazio

 11   ne s'est concentré que sur la question de ce que le témoin avait compris,

 12   et a clairement dit : "Je ne souhaite pas que vous nous disiez si ceci est

 13   vrai ou non." Lorsque l'Accusation, à ce moment-là, était en possession

 14   d'information qui pouvait laisser entendre le contraire.

 15   Donc nous faisons valoir que l'Accusation à ce moment-là avait un

 16   vrai devoir et devait corriger le témoignage si cela s'avérait nécessaire.

 17   Mais plutôt que de faire cela, les questions supplémentaires ont été

 18   préparées pour éviter d'obtenir l'information de la bouche du témoin.

 19   Nous avançons qu'en omettant de communiquer ce document, il s'agissait là

 20   d'un document qui aurait pu permettre aux Juges de la Chambre de conclure

 21   que ce témoin, premièrement, prenait part aux hostilités, et deuxièmement,

 22   mentait lorsqu'il a dit qu'il ne prenait pas part à ces actions. Nous

 23   estimons que l'obligation de l'Accusation consistait à communiquer ce

 24   document en temps et en heure. Compte tenu du fait qu'ils étaient au

 25   courant de la teneur de ce document et que nous ne l'étions pas, ils

 26   n'auraient pas dû autoriser son faux témoignage. C'est ce que nous disons,

 27   le fait qu'il ait nié tout contact avec la police ou lien avec la police,

 28   et que ceci ne soit pas corrigé au compte rendu d'audience. Il ne faudrait

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  1   pas les récompenser pour leur manquement. Et dans ce cas-ci, il s'agit

  2   d'une condamnation.

  3   Leur réponse dans leur mémoire aux paragraphes 21 et 22 rejette tout

  4   simplement la pertinence de ce point. Et ils l'abordent de façon générale,

  5   leur manquement, en indiquant qu'ils se sont conformés à leurs obligations

  6   le 31 mai, le premier jour de la déposition du témoin, en communiquant le

  7   document à la Défense, quand bien même ce document n'avait pas été traduit

  8   dans des langues qu'aucun membre de mon équipe ne parle. Ensuite, ils ont

  9   communiqué ce document traduit huit minutes avant la fin de la déposition

 10   du témoin, à un moment où, comme l'Accusation le sait fort bien, nous

 11   étions tous sous une certaine pression parce que nous devions finir les

 12   interrogatoires et contre-interrogatoires de ce témoin, puisque nous

 13   n'avions pas d'autre temps accordé par la Chambre. Le témoin n'allait pas

 14   revenir le lendemain pour d'autres questions. Et le lendemain, j'ai posé la

 15   question et on m'a indiqué que le témoin était déjà rentré chez lui. Ils

 16   ont communiqué ce document traduit au moment où il était trop tard pour

 17   nous, au nom des équipes de la Défense, d'utiliser à bon escient ce

 18   document.

 19   Le contre-interrogatoire d'un témoin, comme vous le savez fort bien,

 20   Madame, Messieurs les Juges, prend des semaines. Il faut analyser très

 21   attentivement le document et les préparer, surtout lorsqu'il s'agit d'un

 22   témoin-clé, comme c'est le cas de l'Accusation. Il faut utiliser l'ensemble

 23   des éléments de preuve communiqués par l'Accusation lorsque nous préparons

 24   notre contre-interrogatoire. Et tout document, quel qu'en soit la source,

 25   qui tend à montrer qu'un témoin comme celui-ci avait directement et

 26   indirectement un lien avec la police ou les services de Sécurité, était

 27   tout à fait essentiel lorsqu'il s'agissait de poser la question de la

 28   crédibilité.

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  1   Lorsque l'Accusation [comme interprété] a peu de temps pour son

  2   contre-interrogatoire et lorsque des informations pertinentes pour leur

  3   contre-interrogatoire étaient entre les mains de l'Accusation jusqu'au

  4   moment où c'était trop tard, nous estimons que les droits de l'accusé sont

  5   violés dans ce cas. Les droits qui sont inscrits dans le Statut du Tribunal

  6   à l'article 21(4)(e), et donc pour ce qui est de la crédibilité des témoins

  7   : il était important de savoir si les événements dont il s'est plaint, il

  8   était comme il l'avance, un simple agriculteur, un civil innocent aussi,

  9   effectivement, c'était un agent armé des services de Sécurité à l'intérieur

 10   du Kosovo, et peut-être éventuellement un espion chargé de collecter les

 11   renseignements. Si à l'époque où il était ici, dans ce prétoire, dans cette

 12   même pièce, en train de faire sa déposition, s'il était ou aurait pu être

 13   encore un agent, ou s'il était là pour plaire aux forces serbes qui se

 14   trouvaient à l'extérieur du Kosovo. Ceci n'est pas tiré par les cheveux.

 15   La Défense était en possession de deux éléments de preuve concrets

 16   qui indiquent qu'il y avait des liens avec les forces serbes et que ces

 17   liens existaient jusqu'au jour du procès. Les liens qu'il avait par le

 18   passé : il portait un pistolet qui avait été délivré par la police, qui

 19   était un pistolet de l'armée yougoslave, qu'il ait un permis de port d'arme

 20   lorsqu'il a été arrêté par l'UCK. Bien qu'il y avait des élément de preuve

 21   de la part d'Albanais du Kosovar qui vivaient dans les zones rurales à ce

 22   moment-là et qui étaient en possession légitime de fusil de chasse, le fait

 23   qu'il ait l'autorisation et un permis de port d'arme délivré par les

 24   autorités serbes, le fait qu'il avait le droit d'avoir sur lui cette arme

 25   de poing était vraiment très suspect. Il conduisait une voiture chère, une

 26   Mercedes, et avait sur lui ce pistolet et ce permis de port d'arme, bien

 27   qu'il ait avancé qu'il était là pour conduire sa famille.

 28   La police serbe, lorsqu'elle est venue le chercher, lorsqu'il a

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  1   quitté Jablanica, la police ne lui a jamais demandé comment ce pistolet

  2   était tombé entre les mains de l'UCK. Nous avons entendu des éléments de

  3   preuve qui évoquaient ces contacts plutôt amicaux avec les membres de la

  4   police, pas seulement les policiers qui se trouvaient dans la rue de son

  5   village. A l'époque où il a été arrêté, il était en possession d'une

  6   photographie dans sa voiture, photographie de lui prise ensemble avec un

  7   ancien commandant de la police serbe de sa région. Ce commandant de la

  8   police, disait-il, portait un uniforme. Il était d'accord pour dire qu'il

  9   avait des contacts fréquents avec ce comandant de la police serbe dans sa

 10   région. Et ensuite, lorsqu'il a été remis en liberté, il a eu une

 11   conversation amicale, non seulement avec un simple policier serbe, mais

 12   avec le chef des services de la Sûreté serbe à Gjakove, et ils se

 13   tutoyaient. Il a eu cette conversation au moment même où les Serbes avaient

 14   prévu d'entrer dans Jablanica, chose qu'ils ont faite peu de jours après

 15   pour détruire le bâtiment de l'UCK, ce qu'ils ont fait, et de tuer avec

 16   brutalité des personnes âgées qui habitaient dans le village, chose qu'ils

 17   ont faite.

 18   Après les quelques jours qui ont suivi son départ de Jablanica, ce

 19   témoin rencontre le chef des services de la Sûreté serbe et donc il faut

 20   soupeser sa crédibilité, ce qu'un tribunal raisonnable serait en droit

 21   d'entendre dans ces circonstances.

 22   "Qu'avez-vous dit lorsque vous l'avez trouvé et lorsque vous l'avez

 23   rencontré ?"

 24   Lorsqu'il a rencontré ce chef des services de la Sûreté. Il a répondu

 25   :

 26    "Rien. Il m'a demandé comment cela s'est-il passé à Jablanica. Je

 27   lui ai dit, Ils ont pris mes papiers, et ensuite il m'a dit, Viens demain,

 28   apporte les documents nécessaires et tu auras un exemplaire de nouveaux

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  1   papiers."

  2   C'est une conversation incroyable. A aucun moment il n'a dit qu'il

  3   avait été torturé, qu'il avait été maltraité d'une manière ou d'une autre.

  4   Il n'a à aucun moment dit qu'il y avait eu une quelconque discussion. La

  5   seule chose dont il s'est plaint c'est le fait qu'on lui avait pris ses

  6   papiers. Ce n'est pas le genre de conversation qui se déroulerait

  7   normalement entre un commandant serbe et un Albanais du Kosovar qui venait

  8   d'être remis en liberté, de ce qui devait être, semble-t-il, un camp de

  9   détention de l'UCK, une prison. Est-ce une conversation à laquelle on

 10   s'attend s'il s'agit d'un agriculteur, il s'agissait peut-être d'un espion

 11   qui souhaitait communiquer avec son chef du renseignement.

 12   Je vais maintenant passer aux liens qu'il a eus en permanence avec ce

 13   dernier jusqu'au premier jour du procès. Compte tenu du fait que le procès

 14   s'est déroulé huit ans après les événements dont s'est plaint ce témoin.

 15   Moins de 11 mois avant sa venue ici pour témoigner, il a entrepris un long

 16   voyage. Il s'est rendu à Jagodina, au cœur de la Serbie, à bord d'un

 17   véhicule depuis le Kosovo pour, disait-il de façon très ostentatoire,

 18   renouveler son permis de conduire, son permis de conduire serbe. Dans son

 19   témoignage, il avait dit qu'il avait déjà un permis de conduire de la

 20   MINUK. Dans son témoignage, il a dit qu'il n'a pas obtenu un permis de

 21   conduire serbe en Serbie lorsqu'il s'est rendu à Jagodina. On lui a

 22   rétorqué qu'il pouvait obtenir son permis de conduire s'il revenait dans

 23   trois semaines. Il n'est jamais revenu. Il a continué à utiliser ce permis

 24   de conduire délivré par la MINUK. Donc pour quelle raison s'est-il rendu en

 25   Serbie ? C'est la question que nous posons.

 26   En ayant fait ce voyage coûteux et long pour se rendre en Serbie, plutôt

 27   que d'obtenir un document de Serbie, c'est lui qui leur a remis un

 28   document. Après ses mauvais traitements allégués, il a remis une

Page 141

  1   déclaration détaillée sur ce qui lui était arrivé à Jablanica. Deux

  2   officiers de Jagodina qui étaient censés être responsables de la zone de

  3   Dukagjin. Il a prétendu que c'était la première fois qu'il ait jamais donné

  4   une déclaration à quelqu'un qui faisait partie de la police serbe sur son

  5   enlèvement présumé, torture et traitement cruel. Dans cette déclaration, il

  6   dit que la première chose qu'il a faite en quittant Jablanica c'est d'aller

  7   voir tout de suite le chef des services de Sécurité de Gjakove pour faire

  8   un rapport sur ce qui s'est passé à Jablanica.

  9   Ce qui était en contradiction avec ce qu'il allait dire aux Juges de

 10   la Chambre après cette déclaration qu'il avait faite à Jagodina. Et on peut

 11   vraisemblablement poser la question pourquoi cette personne serait-elle

 12   d'un tel intérêt aux yeux des autorités serbes, des intérêts serbes, parce

 13   qu'en fait, ce pauvre agriculteur, qui est-il ? Ceci a un lien avec les

 14   événements politiques. L'année dernière, au mois de juin, le statut

 15   international du Kosovo allait encore une fois devenir une question très

 16   contestée. La Serbie s'est opposé violemment à l'indépendance du Kosovo, et

 17   à ce moment-là, on aurait pu penser que tout peut être fait pour donner

 18   l'impression que l'UCK était à l'origine des crimes de guerre, eh bien, que

 19   ceci aurait pu être perçu par les officiers serbes comme étant une question

 20   fort importante pour les Serbes, s'il s'agissait de résister à cette

 21   demande internationale pour l'indépendance du Kosovo.

 22   Donc nous estimons que le comportement de l'Accusation en violation

 23   de l'article 68 nous a privés lors de nos contre-interrogatoires de

 24   documents importants, ainsi que les Juges de la Chambre, qui auraient pu

 25   changer d'avis sur la crédibilité de ce témoin vital.

 26   Et les Juges de la Chambre sont confrontés à ce manquement étant donné

 27   qu'on a considéré que ce témoin était crédible, ceci correspond à notre

 28   demande, à savoir d'annuler la décision par rapport à ce Témoin 6. Nous

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  1   avons énuméré les différentes raisons pour lesquelles nous estimons qu'il

  2   ne faut pas se reposer sur ce témoin ou qu'il n'aurait pas fallu se reposer

  3   sur ce témoin.

  4   Lorsque ce témoin a dit, comme il prétend avoir dit au frère de notre

  5   client, Nazmi Brahimaj, il y aura une effusion de sang à cause de cette

  6   voiture. Nous avons invoqué le concept du canon de Dukagjin qui établit les

  7   fondements d'une vendetta. Pourquoi avons-nous fait cela ? C'est une

  8   remarque absolument extraordinaire venant d'un homme qui, si on doit le

  9   croire, a la chance d'avoir eu la vie sauve après un enfer de torture. Il

 10   met en cause l'homme qui l'a remis en liberté, lui donne un reçu pour sa

 11   voiture et lui dit, Il y aura une effusion de sang. Et nous estimons qu'il

 12   s'agit là d'une déclaration de guerre contre la famille Brahimaj, contre le

 13   clan Brahimaj, comme c'était à leurs yeux, et sa déposition ici est la

 14   poursuite de cette guerre par d'autres moyens.

 15   Madame, Monsieur les Juges, si vous m'accorder quelques instants, je vais

 16   sauter quelques pages parce que je crois que tous les éléments ont été

 17   exposés pleinement eu égard à ce témoin dans nos mémoires.

 18   Je vais maintenant aborder la question du Témoin 3.

 19   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous pouvez poursuivre.

 20   M. HARVEY : [interprétation] Je vous remercie.

 21   Et plus particulièrement, je vais aborder ce qui d'après nous est le

 22   raisonnement truffé d'imperfections du paragraphe 445 du jugement de la

 23   Chambre de première instance. Nous disons dans notre mémoire en appel, du

 24   paragraphe 75 à 82, qu'il y a une contradiction qu'il est impossible de

 25   concilier entre le témoignage du Témoin 3 et du Témoin 6. Le Témoin 6 a dit

 26   dans sa déposition qu'il était présent lorsque le Témoin 3 a été emmené

 27   dans la caserne de fortune de Jablanica. Qu'il - le Témoin 3 - n'a pas été

 28   passé à tabac à aucun moment à Jablanica. Le Témoin 6 n'a pas dit qu'il

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  1   n'était pas sûr et qu'il ne savait pas si le Témoin 3 avait été battu. Et

  2   il n'a pas dit qu'il n'était peut-être pas présent lorsqu'il est arrivé à

  3   la caserne. Il a dit qu'il était présent, en réalité. Il ne dit pas qu'il

  4   s'est peut-être trompé, il dit en réalité qu'il y avait une très bonne

  5   raison pour laquelle le Témoin 3 n'aurait pas été frappé, parce qu'il avait

  6   des contacts familiaux, des liens familiaux à Jablanica. Il s'agit des

  7   pages 5336.4 à 5336.13 du témoignage du Témoin 6.

  8   Le Témoin 3 ne dit pas s'être trompé lorsqu'il prétend avoir été frappé

  9   lorsqu'il est arrivé à Jablanica. Et aucun raisonnement ne permet de dire

 10   que la teneur du paragraphe 445 du jugement de la Chambre de première

 11   instance peut concilier les contradictions entre les dépositions des

 12   Témoins 3 et 6 sans laisser au témoin ce sentiment diffus que les Juge de

 13   la Chambre ont dû avoir une idée préconçue des éléments de preuve et

 14   qu'ensuite, ils ont eu du mal et eu beaucoup de difficulté à concilier les

 15   éléments. Et on fait fi des éléments de preuve qui étaient très clairs à

 16   leurs yeux. Donc nous estimions que le principe avancé auparavant est

 17   important et in dubio pro reo. Le doute profite à l'accusé et ceci doit

 18   être résolu en faveur de l'accusé.

 19   Comme nous poursuivons dans notre mémoire en appel, entre les paragraphes

 20   84 à 88, le fait que le Témoin 3 n'a jamais été frappé à aucun moment

 21   pendant son séjour à Jablanica est corroboré par le témoignage du Témoin 6

 22   lorsqu'il raconte sa fuite aux pages 5390.9 à 5390.17. Le Témoin 6 n'est

 23   pas fiable et lorsqu'il prétend avoir vu le Témoin 3, ceci n'est pas fiable

 24   non plus. Et ceci est corroboré par un autre témoin dont la crédibilité n'a

 25   jamais été remise en doute, Fadil Fazliu. Comme nous disons dans notre

 26   mémoire en appel au paragraphe 95. Les Juges de la Chambre n'ont fourni

 27   aucune explication pour dire pourquoi les éléments du Témoin 3 ont été

 28   choisis plutôt que ceux du Témoin Fazliu. A aucun moment on a indiqué que

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  1   le témoignage de Fazliu était truffé d'imperfections et n'était pas fiable.

  2   Et encore une fois, nous sommes face à une contradiction qu'il est

  3   impossible de résoudre.

  4   Un des éléments le plus inquiétants en ce qui concerne le Témoin 3, comme

  5   nous l'indiquons aux paragraphes 96 à 100 de notre mémoire en appel, c'est

  6   qu'il s'est très bien débrouillé lorsqu'il est venu témoigner ici. Dans son

  7   témoignage, il nous a dit qu'il n'avait aucun problème avec Lahi Brahimaj,

  8   qu'il n'avait aucun problème avec les habitants de son village. Mais il a

  9   réussi à convaincre de bureau du Procureur que ce serait impossible pour

 10   lui de témoigner sans obtenir une réinstallation dans un pays très

 11   favorable pour lui et pour toute sa famille. L'Accusation, dans son mémoire

 12   en réponse, indique que différents témoins dans cette affaire ont demandé

 13   des mesures de protection. Oui, effectivement, c'est le cas. Très peu se

 14   sont débrouillés aussi bien que ce témoin qui prétendait avoir besoin de

 15   protection.

 16   Lorsqu'un témoin ne fournit aucun élément aux Juges de la Chambre sur

 17   des menaces ou des craintes fondées de persécution et qu'il recherche des

 18   avantages personnels lorsqu'il témoigne, nous estimons qu'à ce moment-là,

 19   il faut faire acte de prudence avant d'accepter son témoignage comme étant

 20   un témoignage fiable. Les Juges de la Chambre n'ont pas pris en compte ce

 21   sujet d'inquiétude à aucun moment lorsque la Chambre a rendu son jugement.

 22   Aux paragraphes 101 à 112 de notre mémoire en appel, nous exposons

 23   différents points illogiques et incohérents de la déposition du Témoin 3

 24   qui nous rendent perplexes au plan individuel. Mais c'est l'ensemble de ces

 25   éléments qui, à nos yeux, signifie que ce témoin est quelqu'un sur lequel

 26   on ne peut pas se reposer. On ne peut pas se reposer sur ses dires. Aucun

 27   tribunal ne peut le faire. Aux paragraphes 113 à 119, nous donnons un autre

 28   exemple où la Chambre fournit son explication pour un comportement

Page 146

  1   inexplicable et bizarre. L'opinion de la Chambre est en contradiction avec

  2   l'explication bizarre fournie par le témoin. La Chambre de première

  3   instance a affirmé qu'il était reparti à Jablanica après son premier

  4   mauvais traitement présumé, où il était question d'un Kalashnikov qu'on ne

  5   lui avait pas rendu. Et l'Accusation, lorsqu'elle nous fournit ce

  6   commentaire dans son mémoire en réponse, nous dit que notre argument n'a

  7   pas à montrer comment les Juges de la Chambre, lorsqu'ils rendent leur

  8   conclusion, auraient pu avoir une incidence sur la condamnation. S'il

  9   fallait répondre à ce commentaire, la réponse est très claire, à savoir

 10   qu'une condamnation ne peut pas se fonder sur un témoin dont la déposition

 11   n'est absolument pas plausible et n'est pas fiable. Aucun élément n'indique

 12   qu'il y a eu torture de la part du Témoin 3, aucun mauvais traitement,

 13   parce qu'il y avait des liens présumés avec les Serbes. La raison qu'il a

 14   avancée c'est parce qu'il n'avait pas rendu son Kalashnikov. Le fusil, par

 15   la suite, lui a été rendu. Par conséquent, il devait accepter le fait qu'il

 16   n'y avait plus d'élément en suspens. Les Juges de la Chambre ont pris leur

 17   décision en se fondant là-dessus, et cela est très difficile à comprendre,

 18   en ce qui nous concerne.

 19   Pour conclure pour qui est des condamnations, nous avançons que ces

 20   deux témoins, le Témoin 6 et 3, étaient manifestement faibles. Il y a des

 21   incohérences internes dans leurs récits. Les contradictions entre eux

 22   étaient si graves qu'il y avait obligation de la part de la Chambre de

 23   première instance de fournir une opinion motivée, pourquoi et dans quelles

 24   mesures elle estimait que l'un et l'autre étaient fiables. La Chambre de

 25   première instance a manqué à cela et n'a pas expliqué pourquoi elle

 26   préférait un récit par rapport à d'autre, alors qu'ils se contredisaient,

 27   ce qui laisse un sentiment gênant, parce que ce verdict n'est pas justifié

 28   par les éléments de preuve et que ces condamnations, par conséquent, ne

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  1   doivent pas être retenues.

  2   Dès le départ, Monsieur le Président, vous avez résumé de façon très

  3   claire et précise les éléments que nous avons présentés concernant nos

  4   arguments, eu égard au prononcé de la peine. Je ne vais pas reparler de

  5   cela. Nous avons dit et nous disons aujourd'hui que l'Accusation n'a pas

  6   démontré que M. Brahimaj n'est autre qu'un membre de l'état-major général

  7   de l'UCK. Il ne s'agit pas d'un commandant, et il est clair qu'il n'a

  8   jamais officiellement occupé le poste de commandant adjoint du secteur de

  9   Dukagjin.

 10   En conclusion, il a déjà purgé deux tiers de la peine qui lui a été

 11   imposée, et comme on lui a accordé une remise en liberté provisoire, il

 12   étudie actuellement la sociologie et l'anglais à l'Université de Pristina,

 13   avec, à terme, l'idée d'obtenir un diplôme de droit à cette université. Il

 14   a l'intention de se consacrer à la lutte contre toute forme de corruption,

 15   lorsqu'il aura son cabinet. Il est fier d'avoir joué un rôle dans son pays

 16   et de s'être battu pour l'indépendance de son pays. Il a toujours respecté

 17   les droits de chaque homme et n'a jamais fait preuve de discrimination, que

 18   ce soit pour des raisons politiques, des raisons de croyance, des raisons

 19   d'appartenance ethnique, de genre ou de situation socioéconomique.

 20   C'est tout ce que j'avais à dire. C'est un homme également qui, dans le

 21   domaine militaire, s'est toujours comporté de façon exemplaire.

 22   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Maître

 23   Harvey.

 24   L'Accusation maintenant.

 25   M. DALAL : [interprétation] Marwan Dalal pour l'Accusation.

 26   Bonjour à tous. Je vais donc présenter la réponse à l'appel de

 27   Brahimaj concernant sa condamnation au titre des chefs 28 et 32.

 28   Cette affaire porte sur la conduite sadique et brutale de Lahi

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  1   Brahimaj, personne de haut rang au sein de l'UCK, contre deux individus de

  2   sa propre communauté. Brahimaj a persécuté des personnes vulnérables et

  3   sans défense qui étaient détenues par lui. Au cours de ces passages à

  4   tabac, il était visiblement ravi de procéder à cela. Il a abusé de

  5   l'intégrité physique de ses victimes. Il employait principalement une batte

  6   de baseball pour infliger des souffrances à ses captifs. Il a utilisé la

  7   violence mentale aussi, par exemple, en mettant en scène le meurtre par

  8   arme à feu de l'une de ses victimes après lui avoir demandé de se suicider.

  9   Il a poursuivi cette conduite violente malgré le fait que ces témoins

 10   soient sans défense.

 11   Brahimaj a été déclaré coupable d'avoir torturé le Témoin 6 et a été

 12   condamné aussi pour torture et traitement cruel du Témoin 3. Il a été

 13   condamné à une peine unique de six ans de prison. Et son appel, en fait,

 14   porte sur le fait que, d'après son conseil, ses victimes 6 et 3 n'étaient

 15   pas des témoins crédibles. Mais je vais tout d'abord parler de ce qui a été

 16   pris en compte par la Chambre lorsqu'elle a évalué les témoignages des

 17   Témoins 6 et 3 et je vais démontrer qu'ils ont suivi la jurisprudence de la

 18   Chambre d'appel.

 19   Ensuite, je répondrai plus précisément à certains des arguments

 20   présentés par Brahimaj qui conteste sa condamnation au titre des chefs 22,

 21   28 et 32, en gardant à l'esprit le fait que l'Accusation a fourni dans ses

 22   écritures des éléments suffisants.

 23   Evaluation maintenant des témoignages des Témoins 6 et 3. La Chambre

 24   de première instance a évalué de façon correcte la crédibilité du Témoin 6

 25   et du Témoin 3. Elle a suivi la jurisprudence de la Chambre d'appel et a

 26   pris en compte les éléments pertinents lorsqu'elle a évalué la crédibilité

 27   de ces témoins, comme par exemple, l'attitude de ces témoins, le fait de

 28   savoir s'ils avaient un motif sous-jacent pour donner une version bien

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  1   précise des événements, savoir si leurs éléments de preuve présentés

  2   étaient cohérents entre eux et corroboraient. La Chambre de première

  3   instance a donné le poids tout à fait adéquat aux légères différences qui

  4   existaient entre les dépositions des témoins et leurs déclarations

  5   préalables. Cela concorde parfaitement avec la jurisprudence de la Chambre

  6   d'appel dans l'affaire Celebici, paragraphes 484, 485 et 496, 498. La

  7   Chambre a aussi accepté certains des passages des témoignages des témoins

  8   et en a rejeté d'autres, en suivant les arrêts Kupreskic, paragraphe 333,

  9   de l'appel Blagojevic et Jokic, paragraphe 82.

 10   Ensuite, la Chambre a accepté correctement les éléments de preuve sur les

 11   faits matériels fournis par les Témoins 6 et 3, et a suivi donc la

 12   jurisprudence de l'appel Tadic, paragraphe 65; Aleksovski, paragraphe 62;

 13   Celebici, paragraphe 394; et Kupreskic, paragraphe 33. Dans ce contexte, la

 14   Chambre de première instance a été extrêmement prudente en prenant en

 15   compte toutes les circonstances entourant le témoignage de ces témoins, y

 16   compris des motifs sous-jacents qui auraient pu les motiver. Et vous verrez

 17   cela en pages 13 et 14 du jugement en première instance. Evidemment, vous

 18   connaissez bien cette jurisprudence, mais du fait --

 19   Madame, Messieurs les Juges, une Chambre de première instance n'a pas

 20   besoin d'expliquer son raisonnement à tout moment dans son jugement pour

 21   expliquer comment elle est arrivée à certaines conclusions. Ceci comprend

 22   les conclusions en matière de crédibilité portant sur certains témoins où

 23   l'on peut prendre en compte certaines incohérences mineures qui pourraient

 24   arriver dans le cadre de leurs témoignages. La jurisprudence, d'ailleurs,

 25   se trouve soit au Celebvici, paragraphe 481, 498; Kvocka, paragraphe 23;

 26   Kordic et Cerkez, paragraphe 382, et d'autres.

 27   De plus, la Chambre d'appel a une certaine marge de manœuvre en ce qui

 28   concerne les conclusions obtenues par la Chambre de première instance.

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  1   Et ce n'est que lorsque les éléments de preuve auxquels s'est fié la

  2   Chambre de première instance, alors que ces éléments de preuve n'auraient

  3   pas pu être acceptés par un juge raisonnable que la Chambre d'appel peut

  4   substituer ses propres conclusions. Deux juges, tous deux raisonnables,

  5   peuvent très bien arriver à une conclusion différente après tout. Ça se

  6   voit d'ailleurs à l'arrêt Tadic, paragraphe 64; arrêt Furundzija,

  7   paragraphe 63; et un grand nombre d'autres arrêts.

  8   Je vais maintenant passer à la condamnation de Brahimaj au titre de chef 28

  9   et je vais répondre à certains des arguments soulevés portant sur le moyen

 10   1, motif 1, et motif 2.

 11   Brahimaj a torturé le Témoin 6 pour ses liens présumés avec les autorités

 12   serbes et son affiliation politique. Paragraphes 391, 392, 395. Le Témoin 6

 13   a été passé à tabac par des soldats de l'UCK le 13 juin 1998 à Jablanica.

 14   Les membres de l'UCK l'ont battu à plusieurs reprises avec une batte de

 15   baseball. Le Témoin 6 a été détenu à Jablanica six semaines. Brahimaj a

 16   rendu visite au Témoin 6 à plusieurs reprises. Et lorsqu'il venait, il

 17   venait avec Nazmi Brahimaj et battait le Témoin 6, soit avec ses poings,

 18   soit avec la batte de baseball. Brahimaj est aussi présent lorsque d'autres

 19   membres de l'UCK ont passé à tabac le Témoin 6.

 20   Au moyen d'appel numéro 1, motif 1, Brahimaj a fait valoir que l'Accusation

 21   n'a pas respecté ses obligations de communication au titre de l'article 68

 22   en ne communiquant que tardivement la traduction anglaise d'un document qui

 23   indiquait que le Témoin 6 avait des liens avec la police serbe.

 24   Mais il n'y a pas eu d'infraction aux règles, ici. En fait, comme M. Harvey

 25   l'a dit d'ailleurs, "l'original en albanais a été fourni extrêmement tôt,"

 26   le 6 juin.

 27   Et ceci se trouve lors de l'audience du 5 juin 2007, page du compte

 28   rendu 5 475.

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  1    L'Accusation, donc, a agi conformément à ses obligations puisqu'elle a

  2   donné le document dans une langue comprise par l'accusé.

  3   En ce qui concerne le moyen d'appel 1-4, Brahimaj conteste le fait que le

  4   Témoin 6 l'ait identifié comme étant la personne l'ayant maltraité.

  5   Au moyen d'appel 1, motif 4 de son appel, Brahimaj a contesté

  6   l'identification faite par le Témoin 6 comme étant la personne l'ayant

  7   maltraité. Mais le Témoin 6 a bien identifié Brahimaj comme étant celui qui

  8   l'avait torturé. La Chambre de première instance a posé des questions au

  9   Témoin 6 à propos de cela. J'aimerais que l'on puisse montrer la page du

 10   compte rendu. Il s'agit donc de l'audience du 4 juin 2007, compte rendu

 11   page 5 372. Le Juge Orie lui demande, je cite :

 12   "Essayons d'aller au fond de choses. La question était, M. Harvey vous a

 13   affirmé que Lahi Brahimaj ne vous avait jamais touché physiquement. Et vous

 14   avez répondu : "Je savais qu'il était là," mais la question était de savoir

 15   s'il vous avait touché physiquement."

 16   Le témoin : "Oui, oui."

 17   Le Président : "A-t-il --"

 18   Le Témoin 6, interrompant : "Oui. Il m'a maltraité lui et son frère, et ce,

 19   sans cesse."

 20   Dans son moyen 2 d'appel, Brahimaj conteste les raisons pour lesquelles le

 21   Témoin 6 aurait été torturé. Au paragraphe 69 de son mémoire en appel,

 22   Brahimaj fait valoir que la Chambre de première instance a fait une erreur

 23   lorsqu'elle a considéré qu'il avait l'intention de maltraiter le Témoin 6

 24   du fait de ses liens présumés avec les Serbes. Brahimaj a déclaré que la

 25   Chambre de première instance avait considéré que Maxhupi avait exprimé

 26   l'intention de le maltraiter mais n'a pas conclu que Maxhupi était bel et

 27   bien Brahimaj. Contrairement à ce que dit Brahimaj, la Chambre de première

 28   instance a bel et bien identifié Maxhupi comme étant Brahimaj et le témoin

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  1   aussi l'a identifié en tant que tel. Cela se trouve au paragraphe 395 du

  2   jugement.

  3   Ensuite, le Témoin 6 a été extrêmement clair lors de son témoignage à

  4   propos des accusations que Brahimaj avait lancées contre lui pour ses liens

  5   présumés avec les autorités serbes. Lors du contre-interrogatoire, le

  6   Témoin 6 a réitéré les raisons pour lesquelles il avait été torturé. 4 juin

  7   2007, compte rendu 5 351 à 5 352. Les questions du conseil de la Défense

  8   sont les suivantes :

  9   "Question : Vous nous avez dit hier qu'on ne vous a jamais donné de raisons

 10   pour vos passages à tabac. Vous le confirmez ?"

 11   "Réponse : Non.

 12   "Question : Ils vous ont posé des questions ?

 13   "Réponse : Oui, ils ont posé des questions. Ils m'ont dit: 'Tu es resté

 14   avec les Serbes parce qu'eux, ils restaient avec les Serbes jour et nuit.'

 15   Et ils m'ont accusé de rester avec les Serbes. Moi, je suis agriculteur."

 16   Et c'est toujours les mêmes comptes rendus du 4 juin 2007, pages 5 397 à 5

 17   400. Le traitement brutal par Brahimaj du Témoin 6 et les conditions

 18   dégradantes lui ont infligé des souffrances qui ont duré longtemps. Il a

 19   quitté Jablanica avec des hématomes dans le dos, une fracture du poignet et

 20   une blessure sur son bras droit. Du fait de la torture infligée par

 21   Brahimaj au Témoin 6, il ne peut plus faire de travail physique, ni même

 22   porter de poids, ni même porter quoi que ce soit.

 23   Donc, la Chambre de première instance a examiné de près la condition

 24   physique du Témoin 6, et ça se trouve d'ailleurs au transcript, page 5 471,

 25   le Juge Hoepfel :

 26   "J'ai une question à propos de votre santé. Vous avez dit que vous avez de

 27   problèmes avec vos reins et vos poumons, du fait de votre détention.

 28   J'aimerais que vous me décriviez vos problèmes physiques et m'en donner la

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  1   cause."

  2   Réponse :

  3   "C'est parce que j'étais à Jablanica. Avant cela, je n'avais aucun

  4   problème de santé."

  5   Le Juge Hoepfel :

  6   "Veuillez, s'il vous plaît, décrire rapidement ce dont vous souffrez."

  7   "Réponse : J'ai mal partout. J'ai mal dans mes bras, j'ai mal aux jambes,

  8   j'ai mal aux poumons, j'ai mal aux reins. Comme je vous l'ai dit, j'ai mal

  9   partout."

 10   Le Juge Hoepfel :

 11   "Et vous avez encore mal ?

 12   "Réponse : Oui. Je dois prendre des médicaments."

 13   Le Juge Hoepfel : "Je vous remercie."

 14   Donc, au cours du contre-interrogatoire, le Témoin 6 a déclaré au conseil

 15   de Brahimaj qu'il était prêt à lui montrer quelles étaient les blessures

 16   qui avaient été infligées du fait de torture. Il l'a dit, d'ailleurs, au

 17   compte rendu page 5 331, je cite :

 18   "Témoin 6 : Je peux vous montrer les blessures qui m'ont été provoquées par

 19   la batte de baseball. Je peux vous montrer ma blessure. Je suis ici."

 20   Le conseil, M. Harvey, dit :

 21   "Nous y viendrons."

 22   Sachez que nous n'y sommes jamais revenus, en fait, Messieurs, Madame les

 23   Juges.

 24   Je vais maintenant parler de la condamnation de Brahimaj au titre du chef

 25   32 et répondre à certains des points contestés au titre des moyens d'appel

 26   5, 7 et 8.

 27   Brahimaj et d'autres membres de l'UCK ont torturé le Témoin 3 et l'on

 28   traité cruellement. Aux environs de la mi-juillet 1998, Brahimaj a emmené

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  1   le Témoin 3 d'une maison de la municipalité de Djakovica pour l'emmener au

  2   QG du l'UCK à Jablanica et il a été placé dans une pièce. Quelques minutes

  3   plus tard, plusieurs membres de l'UCK sont entrés dans la pièce et ont

  4   battu le Témoin 3 extrêmement violemment avec des battes de baseball. Le

  5   Témoin 3 a perdu conscience, du fait de cette attaque vicieuse, et il est

  6   resté dans la pièce deux jours et trois nuits. Paragraphe 440.

  7   A un moment, Brahimaj a fait venir le Témoin 3 dans une pièce pour

  8   l'interroger en présence d'autres membres de l'UCK. Au cours de cette

  9   rencontre, Brahimaj et d'autres membres de l'UCK ont battu le Témoin 3 et

 10   l'on torturé à la fois physiquement et mentalement. Brahimaj a accusé le

 11   Témoin 3 d'avoir des liens avec la police serbe et d'avoir une arme

 12   automatique. D'autres membres de l'UCK l'ont accusé d'avoir collaboré avec

 13   les Serbes et l'ont menacé de l'égorger. Brahimaj a demandé à deux membres

 14   de l'UCK de s'exercer sur le Témoin 3. Ils l'ont frappé avec leurs poings

 15   pendant cinq à dix minutes, et ensuite avec un télescope. Brahimaj a donné

 16   une arme au Témoin 3 pour qu'il se suicide. Paragraphe 441.

 17   Le Témoin 3 ne pouvait plus tolérer ces mauvais traitements et a

 18   décidé de s'échapper. Environ dix jours plus tard, le Témoin 3 a rencontré

 19   Brahimaj à nouveau à Jablanica. Brahimaj, avec l'aide d'une autre femme, a

 20   à nouveau battu le Témoin 3 et l'a torturé mentalement. Brahimaj a obligé

 21   le Témoin 3 à le rejoindre dans la voiture, en le menaçant d'une arme, et

 22   ce, au paragraphe 442.

 23   Ensuite, Brahimaj a arrêté la voiture et a mis le Témoin 3 dans le

 24   coffre pour le sortir du coffre un peu plus tard, et ensuite, mettre en

 25   scène de façon sadique son meurtre. Il a pointé une arme sur lui et lui a

 26   demandé s'il devait le tuer. Le Témoin 3 a dit oui et Brahimaj, de ce fait,

 27   a tiré, mais il n'a pas atteint le Témoin 3. Paragraphe 442.

 28   En ce qui concerne le moyen 5(1) de l'appel, Brahimaj fait valoir que

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  1   les témoignages du Témoin 3 et Témoin 6, en ce qui concerne la torture du

  2   Témoin 3, se contredisent et ne sont pas cohérents parce que le Témoin 6 a

  3   déclaré dans son témoignage que le Témoin 3 n'avait pas été battu. Mais

  4   cela ne se tient pas.

  5   En effet, la Chambre de première instance a pris en compte cette

  6   contradiction entre les deux témoignages et en a conclu de façon

  7   raisonnable, que cela ne sapait pas la crédibilité du Témoin 3.

  8   Le Témoin 6 n'a pas vu les premiers passages à tabac du Témoin 3 et n'était

  9   pas en position de savoir si le Témoin 3 avait été battu ou non.

 10   Au titre du moyen d'appel numéro 7, Brahimaj fait valoir que la

 11   Chambre de première instance n'a pas motivé sa conclusion selon laquelle le

 12   premier passage à tabac du Témoin 3 par les membres de l'UCK à Jablanica

 13   faisait partie des deux incidents pour lesquels il a été condamné.

 14   L'article au moyen 8, Brahimaj fait valoir que lorsque le premier

 15   passage à tabac du Témoin 3 à Jablanica a été inclus dans la condamnation,

 16   la Chambre de première instance a fait une erreur lorsqu'elle n'a pas

 17   motivé la responsabilité pénale de Brahimaj dans ce premier passage à

 18   tabac, alors qu'il n'était pas dans la pièce où ce passage à tabac a eu

 19   lieu.

 20   En ce qui concerne le moyen numéro 7, l'Accusation fait valoir que ces deux

 21   incidents auxquels il fait référence par la Chambre de première instance au

 22   paragraphe 481 du jugement sur la torture à Jablanica, y compris les

 23   passages à tabac initiaux ainsi que les traitements cruels qui ont eu lieux

 24   par la suite.

 25   Le Témoin 3 a été maltraité à Jablanica et ceci est un incident qui

 26   ne peut pas être séparé du reste. Brahimaj a emmené le Témoin 3 dans

 27   l'enceinte, il l'a mis dans la pièce où il a été battu, où il a été ensuite

 28   interrogé et torturé.

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  1   En ce qui concerne maintenant le moyen d'appel numéro 8, la Chambre

  2   d'appel [comme interprété] a eu raison de condamné Brahimaj pour avoir

  3   commis des actes de torture à Jablanica, du fait que l'incident ne pouvait

  4   pas être séparé étant donné qu'il s'agissait de la même place et du même

  5   endroit et du même contexte. Donc Brahimaj n'a pas seulement physiquement

  6   torturé la victime, mais c'est aussi lui qui l'a emmenée au centre de

  7   détention. Et peu de temps après, le premier passage à tabac à eu lieu.

  8   Pour conclure, Madame et Messieurs les Juges, Brahimaj n'a montré aucun

  9   respect, aucune pitié pour ses victimes. Il les a brutalisées physiquement

 10   et mentalement, et pour ce fait, il mérite sa peine. Et de ce fait, son

 11   appel devrait être rejeté.

 12   J'en ai terminé avec la présentation de mes arguments.

 13   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je pense que nous allons maintenant

 14   faire une pause d'une demi-heure.

 15   --- L'audience est suspendue à 15 heures 25.

 16   --- L'audience est reprise à 16 heures 02.

 17   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Harvey.

 18   M. HARVEY : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, je ne vais pas

 19   prendre trop de votre temps. Je souhaite simplement aborder deux questions

 20   auxquelles a fait allusion M. Marwan dans sa réponse. Le premier porte sur

 21   la question des blessures présumées du Témoin 6 et M. Marwan s'est reposé

 22   sur les questions qui ont été posées par M. le Juge Hoepfel. La question

 23   qui se pose avec tout ce type d'éléments de preuve c'est ceci : si ceci

 24   n'est pas corroboré, comme c'est le cas ici, avec aucun rapport médical,

 25   aucun certificat médical, aucun document d'époque fiable -- pardonnez-moi.

 26   M. Dalal. J'ai dit M. Marwan.

 27   Lorsque ceci n'est pas corroboré, il n'y a pas de rapport de médecin, il

 28   n'y a pas de certificat médical, pas d'élément de preuve qui corrobore

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  1   cela, documents d'époque, pas de photographies des blessures, c'est une

  2   allégation qu'il est très facile de faire et qu'il est très difficile de

  3   récuser, à savoir que le témoin a subi des blessures à l'époque et qu'il

  4   ressent encore des douleurs et qu'il demeure, sur le plan psychologique --

  5   qu'il a des difficultés sur le plan psychologique. On n'a aucun élément

  6   portant sur les médicaments ou quelque chose de ce genre qui ait été donné

  7   au témoin. Encore une fois, ces questions-là concernant le Témoin 6 ne sont

  8   pas corroborées et ceci n'est absolument pas fiable.

  9   Simplement pour en terminer sur ce point. L'Accusation est passée là-dessus

 10   très rapidement, me semble-t-il, d'une façon qui me semble peu appropriée

 11   par rapport à ce qui est leur devoir manifeste. J'attends et cette Chambre

 12   attend une explication digne de ce nom pour ce qui, d'après moi, est un

 13   affront que l'on fait à la justice. J'ai dit, il est vrai, mardi le 6 juin

 14   2007, que nous avons eu cette déclaration. Cette déclaration, nous l'avons

 15   reçue le jeudi précédent dans une langue que nous ne pouvions pas lire.

 16   Et la question qui doit être posée à l'Accusation, me semble-t-il, qui a

 17   fait preuve de désinvolture, c'est à quel moment étaient-ils au courant de

 18   l'existence de ce document ? Quelles mesures ont-ils prises pour essayer

 19   véritablement de le porter à l'attention de la Défense ? Parce que s'ils

 20   ont communiqué cela le jeudi avant la déposition du témoin, ils devaient

 21   certainement le communiquer en sachant que la teneur du document était

 22   importante et en sachant pertinemment que nous ne pouvions pas évaluer la

 23   teneur de ce document.

 24   Pourquoi le Procureur n'est-il pas venu me voir pour me dire, M.

 25   Harvey, ce document peut vous intéresser parce que ceci pourrait suggérer

 26   l'idée que ce témoin était impliqué dans la police ? Pourquoi n'ont-ils pas

 27   communiqué ce document traduit à ce moment-là ? Parce qu'ils savaient que

 28   la teneur de ce document était importante pour nous. L'impression que cela

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  1   laisse et l'impression que cela laisse entendre, c'est comme s'il y avait

  2   un combat entre nous. Et vous saurez certainement que la source que je cite

  3   est une source canadienne sur l'obligation en matière de communication,

  4   Regina contre Stinch Combe, 1991, sur les devoirs de communication de

  5   l'Accusation, la Cour Suprême du Canada, page 326, où la cour l'a exprimé

  6   très clairement :

  7   "Les fruits de l'enquête qui sont en la possession du conseil de la

  8   couronne ne constituent pas le bien de la couronne à être utilisés pour

  9   obtenir une condamnation, mais constituent la propriété du public pour

 10   s'assurer que justice soit faite."

 11   Et c'est le manquement de l'Accusation à cet égard qui d'après nous

 12   démontre que justice n'a pas été faite.

 13   C'est tout ce que j'ai à dire, à moins, Monsieur le Président, que vous ou

 14   les autres Juges de la Chambre ayez une question à me poser.

 15   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non. Je vous remercie.

 16   M. HARVEY : [interprétation] Je vous remercie.

 17   [La Chambre d'appel se concerte]  

 18   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous devons encore aborder la

 19   question de savoir si l'Accusation envisage de déposer une demande

 20   conformément à l'article 115 pour que ces deux déclarations figurent dans

 21   les annexes.

 22   M. KREMER : [interprétation] Il y a quatre déclarations dans les annexes,

 23   deux qui portent sur Shefqet Kabashi et deux qui portent sur l'autre

 24   témoin. Je me suis entretenu avec Me Emmerson pendant la pause et les

 25   parties sont tombées d'accord pour dire qu'il est approprié pour que vous

 26   preniez en considération ces déclarations lorsque vous déciderez de

 27   l'appel, lorsqu'il s'agira de décider si oui ou non ces déclarations, si

 28   elles sont admises, auraient eu une quelconque incidence. Pour l'essentiel,

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  1   c'est la même considération dont vous tiendrez compte si une demande est

  2   faite en vertu de l'article 115 et les déclarations qui ont une incidence.

  3   La Défense, vous vous en souviendrez, n'a pas décidé de se fonder sur la

  4   thèse proposée par l'Accusation à l'époque. Et avec le recul et compte tenu

  5   des examens et considérations du bureau du Procureur au moment de l'appel,

  6   nous estimons qu'il serait injuste envers la Défense de communiquer ces

  7   éléments de preuve conformément à l'article 115, et que ceci serait utilisé

  8   comme ça l'est d'habitude en vertu de l'article 115 par la Chambre. Ce

  9   serait injuste de faire verser ces déclarations sans qu'ils puissent

 10   décider si oui ou non il faut présenter les moyens pour répondre à ces

 11   déclarations, et peut-être à la lumière de ces déclarations, demander à ce

 12   que d'autres témoins soient rappelés à nouveau ou contre-interrogés. Il y a

 13   certains éléments ou changements que je ne peux pas évoquer ici parce que

 14   je n'ai pas toujours été membre du bureau du Procureur et je ne suis pas un

 15   membre de la Défense.

 16   Donc, après réflexion, il était peut-être un petit peu prématuré de

 17   proposer le dépôt d'une requête en vertu de l'article 115 et je ne vais pas

 18   faire une telle demande. Et étant donné que toutes les parties sont

 19   d'accord, nous demanderions aux Juges de la Chambre de regarder les

 20   déclarations dans le cadre de l'impact que ces dernières pourraient avoir,

 21   et si vous êtes d'accord avec les arguments de l'Accusation, la voie que

 22   vous pourrez suggérer c'est un procès à nouveau ou rien.

 23   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Emmerson, est-ce que les

 24   parties, en fait, je voulais vous demander --

 25   M. EMMERSON : [interprétation] Ecoutez, oui, je peux --

 26   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] -- des parties, en fait,

 27   conformément au Règlement.

 28   M. EMMERSON : [interprétation] Je peux très facilement vous dire notre

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  1   position pour ce qui est de la Défense. Pour toutes les raisons que j'ai

  2   déjà évoquées, nous avons dit que la Chambre de première instance a pris la

  3   décision qu'elle a prise. Elle n'a jamais été confrontée avec une demande

  4   qui maintenant devient sans objet si elle est présentée par l'Accusation

  5   parce que ceci était considéré d'office. Mais s'ils disposaient avant des

  6   déclarations lorsqu'ils devaient examiner la question de savoir si les

  7   témoins devaient être forcés à venir comparaître, s'il y avait eu une

  8   injonction à comparaître, et les autres demandes de l'admission des

  9   déclarations de M. Kabashi en vertu des 92 ter, puisqu'il s'agissait à ce

 10   moment-là d'éléments de preuve par ouïe-dire.

 11   Et d'après nous, rien ne peut être avancé comme raison lorsque la Chambre

 12   de première instance [comme interprété] reverra la décision des Juges de la

 13   Chambre de première instance devrait être empêchée de voir tous les

 14   documents qui ont été présentés à la Chambre de première instance. Le fait

 15   est que ces déclarations ne feront pas partie du dossier dans cette

 16   affaire. Ce sera toujours le cas et la Chambre de première instance a

 17   décidé, a examiné ces derniers et a décidé de ne pas les admettre. Donc ils

 18   ne font pas partie du dossier et l'Accusation ne demande pas à ce que ces

 19   déclarations fassent partie du dossier. Et donc, sauf votre respect, nous

 20   estimons que l'approche de l'Accusation est exacte.

 21   Ce qui ne signifie pas pour autant que la Chambre d'appel ne peut pas

 22   examiner les déclarations qui ont été présentées devant la Chambre de

 23   première instance dans le seul but de décider si oui ou non la Chambre

 24   pouvait décider comme il se doit la demande qui lui avait été présentée.

 25   Mais les deux parties sont d'accord pour dire qu'il ne serait pas approprié

 26   à ce stade que les déclarations soient admises au dossier comme éléments

 27   importants et faisant partie du dossier. Ceci ne pourrait faire partie que

 28   d'une matrice, d'un ensemble d'autres éléments qui portent sur les chefs

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  1   d'accusation qui ont un lien avec ces témoins qui sont venus. Et ceci

  2   pourrait être fait s'il y a un procès à nouveau.

  3   Je ne sais pas si on pourrait les introduire et ceci pourrait peut-être

  4   prêter à confusion. A moins que M. Kremer nous dise que la Défense serait

  5   d'accord pour dire que les Juges de la Chambre d'appel pourraient analyser

  6   ces déclarations pour voir si ces déclarations auraient une incidence sur

  7   l'issue du procès. Pour nous, c'est tout à fait clair, la question qui se

  8   pose à la Chambre d'appel, c'est effectivement la question qui est posée

  9   par l'Accusation dans cet appel, de savoir si oui ou non la Chambre de

 10   première instance a commis une erreur dans l'exercice de ses pouvoirs

 11   discrétionnaires de savoir s'il faut obliger quelqu'un à venir témoigner

 12   par vidéoconférence, puisqu'une demande avait été faite dans ce sens.

 13   Il n'y a pas d'autre question qui est soulevée par l'Accusation lorsqu'elle

 14   présente ses moyens en appel, ce qu'elle a recherché à faire - je ne sais

 15   pas si elle est en droit de le faire sans l'autorisation de la Chambre

 16   d'appel à ce stade - c'est de présenter un nouveau moyen d'appel, à savoir

 17   que l'Accusation aurait dû, en tout cas -- la Chambre de première instance

 18   aurait dû agir proprio motu, d'office, en créant un 89 (F), une décision

 19   des Juges, et c'est ce qui est présenté pour la première fois oralement,

 20   sans que les parties en soient notifiées. Cela ne fait pas partie des

 21   moyens d'appel et ça n'est pas une des questions ou des moyens qui ont été

 22   présentés à la Chambre d'appel. Ce sont des moyens qui ont été présentés

 23   pendant la présentation des arguments.

 24   M. Kremer le dit à juste titre, il ne s'attend pas à ce que la Chambre

 25   d'appel avalise la décision de la Chambre de première instance. Il utilise

 26   cela pour inviter la Chambre d'appel à nous donner des conseils pour

 27   l'avenir, en admettant que cette question n'a jamais été posée aux Juges de

 28   la Chambre d'appel [comme interprété]. Il ne s'agit pas ici de récuser une

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  1   décision qui aurait été prise par la Chambre d'appel [comme interprété] par

  2   le passé.

  3   M. GUY-SMITH : [interprétation] Si vous me le permettez…

  4   [La Chambre d'appel se concerte]

  5   M. GUY-SMITH : [interprétation] Je suis tout à fait d'accord avec les

  6   remarques faites par Me Emmerson à l'instant. Je pense que ceci clarifie

  7   complètement la position de la Défense pour ce qui est de la façon dont ces

  8   éléments de preuve pourraient être considérés.

  9   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que Me Harvey a quelque chose

 10   à dire sur ce point ?

 11   M. HARVEY : [interprétation] Encore une fois pour être d'accord avec les

 12   propos de Me Emmerson.

 13   [La Chambre d'appel se concerte]

 14   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Les Juges de la Chambre ne rendront

 15   pas leur décision maintenant sur la dernière question qui a été abordée.

 16   Nous aborderons cette question-là lorsque nous rendrons l'arrêt.

 17   M. EMMERSON : [interprétation] Pour ce qui est de ce point-là, nous

 18   avançons sur la base du fait qu'aucune demande n'a été faite en vertu de

 19   l'article 115. Si une demande est faite par la suite, bien sûr, ceci se

 20   conforme au Règlement, et dans ce cas-là, nous souhaiterions présenter des

 21   arguments pour savoir si oui ou non, si je puis le dire, si on peut faire

 22   démarrer cela, compte tendu du fait que l'article 115(B) ne peut

 23   s'appliquer qu'à des éléments de preuve qui n'étaient pas disponibles au

 24   moment du procès.

 25   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ceci était tout à fait clair d'après

 26   les arguments présentés par M. Kremer.   

 27   L'autre point de procédure porte sur le droit de M. Brahimaj de faire une

 28   déclaration personnelle s'il le souhaite. Je dois donc demander à M.

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  1   Brahimaj ceci : est-ce que vous souhaitez faire une déclaration ? Si vous

  2   le souhaitez, vous pouvez le faire, mais ceci ne doit pas durer plus de 15

  3   minutes.

  4   L'APPELANT BRAHIMAJ : [interprétation] Merci, Madame, Messieurs les Juges.

  5   Je n'ai rien d'autre à ajouter par rapport à ce qu'ont déjà indiqué

  6   mes conseils.

  7   M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie beaucoup.

  8   Dans ce cas, l'audience est levée.

  9   --- L'audience est levée à 16 heures 20.

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