Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 18 août 2011

  2   [Déclaration liminaire de l'Accusation]

  3   [Audience publique]

  4   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 21.

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes ici

  7   présentes.

  8   Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire inscrite au rôle.

  9   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Affaire

 10   IT-04-84bis-T, le Procureur contre Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi

 11   Brahimaj.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 13   Les parties peuvent-elles se présenter, à commencer par l'Accusation.

 14   M. ROGERS : [interprétation] Oui. M. Rogers, Priya Gopalan, Daniela

 15   Kravetz, Barbara Goy et M. Aditya Menon font partie de notre équipe, avec

 16   Colin Nawrot qui est notre commis à l'affaire aujourd'hui.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 18   Et pour la Défense.

 19   M. EMMERSON : [interprétation] Ben Emmerson, qui défend les intérêts de M.

 20   Haradinaj, avec Me Rodney Dixon et d'Annie O'Reilley.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 22   Et pour M. Balaj.

 23   M. GUY-SMITH : [interprétation] Bonjour. Gregor Guy-Smith, je représente M.

 24   Balaj en présence de Me Colleen Rohan et M. Chad Mair.

 25   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

 26   Et pour M. Brahimaj.

 27   M. HARVEY : [interprétation] Je suis Richard Harvey, et je comparais en

 28   présence de Paul Troop, de Me Sophie Rigney et Me Luke Boenisch.


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  1   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

  2   Vous avez la parole, Monsieur Rogers.

  3   M. ROGERS : [interprétation] Il y a d'abord toute une série de documents à

  4   présenter. Ce sera une série de clichés que nous allons présenter au cours

  5   de notre propos liminaire cet après-midi. Parfois, il est plus facile de

  6   les voir dans leur version imprimée qu'à l'écran parce que la qualité n'est

  7   pas toujours parfaite et uniforme sur les différents écrans que nous avons

  8   dans ce prétoire. Donc, j'espérais que ceci vous serait utile.

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci de ce geste.

 10   M. ROGERS : [interprétation] Messieurs les Juges, les crimes allégués dans

 11   ce nouveau procès partiel couvrent une courte période, qui va d'environ la

 12   date du 19 mai 1998 à la fin du mois de juillet 1998. Les crimes dont

 13   doivent répondre les accusés sont des crimes qui ont tous été commis dans

 14   la prison de l'UCK à Jabllanice, qui se trouve dans la municipalité de

 15   Gjakove, dans le Kosovo occidental.

 16   Il y a parmi les chefs d'accusation les crimes de meurtre, torture, et

 17   traitement cruel, de violation des lois et coutumes de la guerre, qui ont

 18   tous été commis dans le cadre de l'exécution d'une entreprise criminelle

 19   commune impliquant les trois accusés, Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi

 20   Brahimaj, dont nous disons qu'ils ont estimé que les collaborateurs, les

 21   espions et tous ceux qu'ils soupçonnaient de trahison ou d'opposition à

 22   l'UCK ont été pris pour cible. Les victimes ont été tabassées, torturées

 23   et, parfois, certains ont été assassinés, quelle que soit leur appartenance

 24   ethnique, que ce soit des Serbes, des Rom, des Egyptiens/Ashkali, ou des

 25   Albanais du Kosovo, qu'ils soient Chrétiens ou Musulmans. Et aux chefs

 26   d'accusation 1 à 6 est retenue dans l'acte d'accusation la participation

 27   directe de chacun des trois accusés.

 28   Les faits incriminés se sont produits dans le contexte d'un conflit armé


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  1   qui a débuté dès le 22 avril 1998 dans tout le territoire du Kosovo et qui

  2   opposait les forces armées serbes à l'Armée de libération du Kosovo. Dans

  3   cette armée, les trois accusés étaient tous commandants.

  4   L'UCK menait ce qu'elle estimait être une guerre de libération, comme le

  5   dit son nom, Armée de libération du Kosovo. Et les accusés poursuivaient

  6   ces objectifs et, ce faisant, cherchaient à contrôler, en excluant les

  7   forces ennemies, la zone définie dans l'acte d'accusation comme la zone

  8   opérationnelle de Dukagjin, qui fait partie des municipalités de Decani,

  9   Decan, Pec Peje, Djakovica Gjakove, et Klina, Kline. Pour faciliter la vie

 10   des Juges, nous avons décidé de ne prendre que l'appellation kosovare de

 11   chacune de ces appellations.

 12   Et, ce faisant, menant cette guerre, l'UCK a utilisé une force

 13   légitime, mais elle a aussi utilisé des moyens illégaux pour parvenir à ses

 14   fins : mauvais traitements à l'égard de civils qui étaient opposés à l'UCK

 15   ou en donnaient l'impression. Et la présente affaire concerne la mise en

 16   œuvre de cet objectif commun dans le village de Jabllanice, dans la

 17   municipalité de Gjakove.

 18   Si vous le voulez bien, nous allons essayer de nous repérer sur une

 19   carte de géographie pour voir la zone qui fait l'objet de l'acte

 20   d'accusation. Vous avez maintenant à l'écran une carte de la totalité du

 21   Kosovo, qui montre toutes les municipalités et qui montre également les

 22   frontières nationales. J'espère que vous l'avez à l'écran. Merci.

 23   Vous voyez les frontières nationales. Nous commençons à la droite.

 24   Vous avez la Serbie; puis au sud, la Macédoine; nous passons à l'ouest, par

 25   rapport à l'Albanie; et au nord, le Monténégro. Vous le voyez, Messieurs

 26   les Juges, à l'ouest du Kosovo, sur la frontière entre l'Albanie et le

 27   Monténégro, on commence par le nord, dans la municipalité de Pec, vous

 28   voyez d'ailleurs la ville de Pec qui est pratiquement le centre de cette


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  1   municipalité. Puis on va vers le sud, vers Decan, ou Decani, vous avez la

  2   ville de Decani qui est indiqué en rose. Je poursuis ma route vers le sud

  3   pour arriver à Gjakove, à la ville de Gjakove qui est inscrite au centre de

  4   cette municipalité.

  5   Puis si nous reprenons la route vers le nord à partir de Gjakove, nous

  6   arrivons dans la municipalité de Kline. Ce qu'on ne voit pas sur ce cliché-

  7   ci c'est qu'il y a une route, et je vais vous montrer une autre carte qui

  8   vous montrera cette route reliant Gjakove à Kline.

  9   Cette zone du Kosovo fait à peu près un quart du territoire néerlandais,

 10   elle compte environ 2 millions d'habitants. Vous le voyez, grâce à cette

 11   carte montrant les municipalités, la zone qui nous intéresse constituant

 12   environ un quart du Kosovo. C'est une zone assez circonscrite qui nous

 13   occupe, au fond.

 14   Voyons la carte suivante. C'est une carte que l'Accusation a préparé pour

 15   essayer de mettre en relief les villages principaux, les villes principales

 16   dont vous allez entendre parler. Parce que quand on a une carte

 17   topographique très détaillée, elle est un peu encombrée, on ne s'y retrouve

 18   pas. Il y a beaucoup d'éléments et il est parfois difficile de discerner ce

 19   qui est, pour nous, important. Permettez-moi d'essayer de vous aider à vous

 20   repérer ici. Nous commençons par la gauche pour aller vers le haut, le coin

 21   supérieur gauche de la carte, vous voyez la ville de Peje. Si nous

 22   empruntons la route indiquée en rouge, ici nous avons les routes

 23   principales, les axes routiers principaux qui relient les villes

 24   principales, nous partons vers l'est. Imaginez-vous dans un véhicule qui va

 25   traverser Zahac, arriver à Zajmovo, qui se trouve là, en confluant deux

 26   rivières, et puis vous allez arriver juste au nord de Kline. Puis il y a le

 27   village de Dolac, puis nous remontons en voiture pour repartir vers le sud,

 28   nous passons par Dolovo, nous poursuivons notre route, nous longeons le lac


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  1   Radoniq pour arriver à Gjakove. Nous faisons une brève halte à Gjakove pour

  2   diriger le véhicule vers Peja et remontrer sur Decan. En route, à droite,

  3   on voit le village de Gllogjan. C'est dans ce village que M. Haradinaj a sa

  4   maison familiale et c'est celle-là qui a été un des QG de l'UCK. C'est en

  5   tout cas notre thèse. Mais ne faisons pas de confusion entre ce Gllogjan et

  6   un autre Gllogjan, qui est un village catholique lui, et je vous dirai sous

  7   peu où il se trouve.

  8   Nous disons de façon générale qu'à l'intérieur de cette zone circonscrite

  9   par les lignes tracées en rouge, au moment des faits incriminés, l'UCK

 10   détenait un contrôle substantiel. Le long de ces routes et en dehors, ce

 11   sont des zones de conflit. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y avait pas de

 12   conflits à l'intérieur de cette zone ainsi délimitée, surtout à l'ouest,

 13   près du village natal de M. Haradinaj ou autour de celui-ci ou près du lac

 14   Radoniq, mais on peut dire que l'UCK disposait d'un haut degré de contrôle

 15   dans cette partie centrale.

 16   Revenons, si vous voulez, au village de Zajmovo. Il se trouve tout juste au

 17   sud de Kline. Donc, nous sommes de retour sur la route, là, et vous voyez

 18   qu'à l'ouest de Zajmovo, sur l'autre rive de la rivière, qu'il y a un

 19   village qui s'appelle Grabanice. Et vous allez entendre beaucoup d'éléments

 20   concernant Grabanice et les événements qui y sont survenus. Puis nous

 21   prenons la route vers le sud et nous arrivons dans Gllogjan, village

 22   catholique, et au sud de ce village se trouve Jabllanice, qui va être

 23   véritablement le cœur même, le centre des éléments dont vous allez être

 24   saisis en l'espèce. Et puis au sud-ouest de Jabllanice, vous avez le

 25   village de Zhabel, dont vous entendrez parler également.

 26   Je pense que nous n'avons plus besoin de cette carte.

 27   J'aimerais maintenant m'attarder quelques instants sur ce que l'Accusation

 28   voit comme étant l'évolution de l'UCK dans cette zone délimitée de la façon


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  1   dont je vous l'ai présentée. Et après avoir parlé de cette étendue de la

  2   zone géographique dont l'UCK avait le contrôle, je parlerai du

  3   développement de l'organisation de l'UCK dans ce secteur de Dukagjin et je

  4   vous dirai comment s'est mieux assis le contrôle qu'avait Haradinaj dans la

  5   zone.

  6   Mais parlons d'abord du contrôle géographique.

  7   Les deux premiers QG de l'UCK établis dans la région de Dukagjin ont

  8   été établis d'abord à Jabllanice, dans la municipalité de Gjakove, c'est le

  9   plus ancien QG de l'UCK dans le Kosovo occidental, et il se trouvait sous

 10   contrôle de Lahi Brahimaj, alias Maxhup, ou Gitan, c'est l'oncle maternel

 11   de Ramush Haradinaj. Puis l'autre QG se trouve dans le village de Gllogjan,

 12   à Decan. Il est contrôlé par Ramush Haradinaj, surnommé Smajl.

 13   En 1998, le colonel John Crosland était l'attaché militaire britannique

 14   auprès de l'ambassade à Belgrade. Il a établi une carte du premier procès

 15   afin de vous montrer cette zone qu'on appelle la zone de Dukagjin, telle

 16   qu'elle se présentait entre mars et mai 1998. Je vais à l'instant même vous

 17   montrer cette carte préparée par le colonel. Il a tracé une ligne en noir

 18   qui se superpose en partie à la ligne bleue qui montre la délimitation de

 19   cette zone, et il a dit que dans tout le Kosovo il y avait plusieurs

 20   groupements de l'UCK et surtout dans cette zone de Dukagjin. Et la ligne

 21   bleue qu'il a tracée veut montrer la route Peje-Decan où il dit que là

 22   avait utilisé une méthode d'opération de coups de poing de la part de l'UCK

 23   contre les forces serbes. La route qu'il avait décrite, a-t-il dit, était

 24   devenue une espèce de ligne rouge très fine, une ligne de front pour les

 25   forces serbes qui essayaient d'endiguer l'afflux au Kosovo d'hommes et de

 26   matériel militaire venus d'Albanie où l'UCK s'armait, obtenait son

 27   armement. Rappelez-vous, je vous ai montré les frontières et la proximité

 28   qu'il y a entre, par exemple, la frontière avec l'Albanie et les


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  1   municipalités concernées.

  2   Le témoin a dit que les forces serbes n'avaient pas réussi à tenir les

  3   zones montagneuses le long de la frontière avec l'Albanie et que, du coup,

  4   elles s'étaient repliées sur cette route, et il a décrit les nombreuses

  5   batailles qui avaient été menées le long de cette route et autour de cette

  6   route. Et vous voyez qu'il y a le village de Ramush Haradinaj, et le QG de

  7   Gllogjan qui se trouve dans cette série de cercles, qu'on trouve juste à la

  8   droite de la partie inférieure de la ligne bleue. Vous voyez qu'il y a deux

  9   cercles bleus grossièrement esquissés, mais c'est à côté, ici ou à la

 10   droite de ces deux cercles, qu'on voit le village de Gllogjan. Ce n'est pas

 11   très facile à voir, mais je crois que vous avez ainsi une idée générale de

 12   la situation.

 13   Vous allez trouver toutes ces cartes dans votre classeur, dans votre

 14   album de cartes à la page 3.

 15   L'UCK se développe au cours de 1998 et, ce faisant, elle commence à

 16   prendre le contrôle de certaines parties du territoire du Kosovo. Et dans

 17   le cadre de cet acte d'accusation, lorsque arrive le mois d'avril, de mai

 18   1998, l'UCK dans la zone de Dukagjin avait établi ce qu'on peut appeler une

 19   zone libre, libre de contrôle serbe. Je ne veux pas dire par là qu'il n'y

 20   avait plus d'incursions, qu'il n'y avait plus d'attaques. Il n'en demeure

 21   pas moins qu'au fond cette zone était contrôlée par l'UCK.

 22   Le colonel Crosland, au cours du premier procès, a tracé une carte

 23   pour montrer la zone que contrôlait l'UCK entre mars et juin ou juillet

 24   1998. De façon générale, vous allez le voir, la zone indiquée en rouge, à

 25   l'intérieur de ces trois routes, c'est la zone dont le colonel Crosland dit

 26   que c'était au fond, là je le cite, "une zone de l'UCK." Il ajoutait que

 27   les Serbes restaient à l'extérieur de ces lignes et essayaient de dominer

 28   et d'influencer ces zones en les pilonnant de l'extérieur. Il a ajouté, je


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  1   le cite :

  2   " …que les Serbes ont pris une position où ils pouvaient, pour ainsi

  3   dire, contenir, retenir les combattants à l'intérieur de cette zone en

  4   dominant les routes. De cette façon, les forces de sécurité serbes

  5   s'écartaient de la route quelque peu, faisaient un raid, une incursion, et

  6   essayaient assez mal de réorganiser quelques maisons, puis se repliaient

  7   parce qu'ils ne se sentaient pas en sécurité dans la zone ainsi gagnée."

  8   Ici, je vous donne la référence du compte rendu d'audience s'agissant

  9   des positions de M. Crosland, 3029.

 10   On voit effectivement qu'il y a des poches, indiquées en bleu, de

 11   forces serbes qui longent cette partie de la route, notamment dans la

 12   partie méridionale de la route près du lac Radonjiq, ainsi que sur

 13   certaines des hauteurs qui se trouvent au sud de cette zone. Même s'il y a

 14   eu des incursions effectuées dans le secteur, et même plus tard de

 15   véritables assauts de la part des forces serbes, l'Accusation affirme que

 16   de façon générale, c'était la zone d'influence et de contrôle établie par

 17   l'UCK avec les Serbes qui étaient à l'extérieur de cette zone.

 18   De plus, vous entendrez Nebojsa Avramovic, un fonctionnaire de police

 19   qui travaillait dans les services de la police scientifique au SUP de

 20   Djakovica, dans la partie des forces de police serbe. Il occupait ce poste

 21   depuis 1996, et il a annoté des cartes montrant les routes considérées

 22   dangereuses par la police serbe entre avril et septembre 1998. Je pense que

 23   vous devez avoir cette carte à l'écran maintenant. Vous allez voir trois

 24   annotations de couleur, A, B et C. L'annotation C, c'est la route qui va de

 25   Djakovica à Prizren dans le bas de la carte, parce que Djakovica est en bas

 26   de la carte. J'espère que vous commencez à vous repérer dans ce qui est un

 27   triangle formé par ces routes de Djakovica-Peje-Kline. Djakovica se trouve

 28   dans le bas. Et puis, il y a la route donc de Djakovica à Prizren, la route


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  1   C, il estimait que c'était une route qui n'était pas dangereuse pour eux,

  2   pour les forces serbes. Ceci se trouve dans l'atlas, à la page 5. Peut-être

  3   que vous y verrez plus clair sur la version imprimée.

  4   Et puis, la partie indiquée comme étant la partie A, c'est la route

  5   Djakovica-Kline. Là, il dit que c'était une route où il n'était pas

  6   dangereux pour la police de se déplacer.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi, mais A, c'est sur

  8   la partie gauche ?

  9   M. ROGERS : [interprétation] Non, plutôt la partie droite du

 10   triangle, qui va de Djakovica à Kline. C'est pas très clair effectivement

 11   sur la carte. C'est indiqué en orange ou en rouge.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Maintenant, j'ai trouvé.

 13   M. ROGERS : [interprétation] Oui, c'est le tronçon de route qui va de

 14   Djakovica à Kline.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et là, c'était une zone sûre ?

 16   M. ROGERS : [interprétation] Oui. Rappelez-vous la carte que je viens de

 17   vous montrer, où on montrait les forces serbes indiquées par le colonel

 18   Crosland dans la partie méridionale. Donc, peut-être qu'il y a un lien

 19   entre ces deux faits-là, mais au nord dans la zone indiquée par la lettre

 20   B, le témoin en question a dit de cette route qu'elle était tout à fait

 21   bloquée par l'UCK et qu'elle l'avait été, en fait, d'avril à septembre

 22   1998. C'est ce qu'a déclaré ce témoin. Et, à notre avis, il est

 23   significatif de voir que dans cette zone indiquant comme étant une zone B,

 24   deux des victimes retenues dans l'acte d'accusation ont été enlevées. Je

 25   peux parler du Témoin 6 et du Témoin Nenad Remistar, un agent de la

 26   circulation serbe.

 27   Permettez-moi d'ajouter que cette carte-ci ne figure pas pour le moment

 28   dans la liste 65 ter, parce que nous l'avons par négligence omis dans le


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  1   cadre de la déposition ou de la déclaration préalable de M. Avramovic.

  2   M. GUY-SMITH : [interprétation] Mais effectivement, il faudrait préciser

  3   que ça fait partie de la déclaration 65 ter concernant ce témoin.

  4   M. ROGERS : [interprétation] Tout à fait.

  5   Nous affirmons que si l'on regarde les cartes du colonel Crosland, si

  6   l'on voit ce qu'il a déclaré, et vu aussi les autres cartes et éléments

  7   présentés par des commandants de l'UCK et par des commandants serbes, un

  8   consensus général se dégage entre toutes ces personnes pour délimiter de

  9   façon générale les zones de contrôle de l'UCK d'avril à septembre 1998 et

 10   quant aux lieux des lignes de confrontation. Finalement, on peut dire qu'il

 11   y avait une zone libre dans laquelle l'UCK avait davantage de liberté pour

 12   opérer, loin des lignes de confrontation.

 13   Parlons maintenant du développement de l'organisation de l'UCK. Le colonel

 14   Crosland a dit de l'organisation, telle qu'elle se présentait au début de

 15   l'année 1998, que c'était vraiment une organisation naissante qui n'en

 16   était qu'à ses balbutiements. Vous verrez, grâce à nos éléments de preuve,

 17   de mars 1998 à septembre, l'UCK se développait, devenait une force plus

 18   organisée. Ce n'était plus un commandement basé sur un village, c'était

 19   devenu des commandants régionaux, puis c'était devenu aussi une hiérarchie

 20   plus militaire.

 21   Les témoins, tels que Tetaj, Krasniqi, vous le montreront. De mars à

 22   avril 1998, les villageois dans beaucoup de villages de Dukagjin ont

 23   commencé à s'organiser pour soutenir l'UCK, se sont formés en unités de

 24   défense. Souvent, on désignait un commandant de village. On désignait des

 25   gardes chargés de monter la garde. On établit des barrages routiers ou des

 26   postes de contrôle à l'entrée des villages. L'UCK avait aussi un état-major

 27   général, mais en tout cas jusqu'à juin 1998, l'état-major général n'avait

 28   pas de lieu précis où il siégeait. Les trois accusés étaient tous des


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  1   commandants de l'UCK. Haradinaj était basé à Gllogjan; Brahimaj, à

  2   Rijelvesej [phon], et Balaj était passé de Jabllanice à Gllogjan et c'est

  3   lui qui avait été nommé commandant d'une unité spéciale appelée les Aigles

  4   noirs, il avait été nommé par Ramush Haradinaj.

  5   Alors que l'UCK commençait à mieux s'asseoir son contrôle du secteur

  6   de Dukagjin, parallèlement, Ramush Haradinaj affirmait asseoir mieux son

  7   contrôle de l'UCK.

  8   Et à notre avis, il est significatif de voir que Ramush Haradinaj, avec son

  9   oncle maternel, Lahi Brahimaj, avait été le fer de lance du développement

 10   de l'UCK dans le secteur de Dukagjin et, ceci, depuis le début du mouvement

 11   que constituait l'UCK en 1994. Dans le secteur de Dukagjin, qui fait

 12   l'objet de l'acte d'accusation, de l'avis de l'Accusation, l'organisation

 13   de l'UCK a été grandement facilitée par le fait que les deux QG principaux

 14   se trouvaient à l'intérieur d'une seule et même famille élargie. Gllogjan,

 15   contrôlé par Haradinaj, et Jabllanice, contrôlé par Brahimaj, son oncle

 16   maternel.

 17   Nous avons en Kosovo une culture de clan et, à notre avis, ces liens

 18   familiaux revêtent une signification importante. Effectivement, des témoins

 19   vous diront qu'ils sont mariés non pas à une autre personne, mais à un

 20   village tout entier.

 21   A notre avis, c'est manifeste, ces liens familiaux sont au cœur même du

 22   début de l'organisation de la zone opérationnelle de Dukagjin et de ses QG.

 23   Il y a eu plusieurs entretiens avec Ramush Haradinaj --

 24   M. EMMERSON : [interprétation] Excusez-moi, je l'avais averti que j'allais

 25   intervenir, parce qu'il va essayer maintenant de présenter, à notre avis de

 26   façon erronée pour vous induire en erreur, un document qui n'est qu'une

 27   série d'interviews. C'est un livre publié par Bardh Hamzaj, un journaliste.

 28   Rien ne prouve, et l'Accusation n'a aucun élément de preuve quant à


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  1   l'origine de ces éléments, aucun élément quant à la source des affirmations

  2   qu'on attribue à Haradinaj. Rien n'indique que l'ouvrage aurait été

  3   autorisé ou même accepté, écrit avec l'aval de M. Haradinaj. C'est la

  4   raison pour laquelle la première Chambre d'instance a, à juste titre,

  5   examiné la question et a rejeté le versement de ce document, car on n'en

  6   connaissait pas l'origine, la provenance, parce qu'il était impossible de

  7   faire la différence entre la propagande, l'hyperbole et le récit véridique,

  8   et que rien ne permettait de corroborer ces dires.

  9   Donc, avant que M. Rogers ne se lance dans ce qu'il appelle "ce rappel

 10   d'une série d'interviews", ce n'est rien de cela. Ce n'est que du déchet,

 11   du déchet judiciaire, et je pense qu'il ne faut pas retenir ceci, et nous

 12   servons de ce même argument qui a été entendu par la première Chambre

 13   d'instance pour que ces déchets se retrouvent là où c'est leur place, à

 14   savoir à la poubelle.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vouliez-vous répondre à cette

 16   objection ?

 17   M. ROGERS : [interprétation] Vous voudriez que je réponde ?

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Si vous voulez.

 19   M. ROGERS : [interprétation] Mais c'est un propos liminaire. En temps et en

 20   heure, il y aura une discussion sur la recevabilité de ce document. C'est

 21   assez bizarre de la part de la Défense que d'agir ainsi, car j'ai cru

 22   comprendre qu'il n'y avait pas eu de contestation dans le premier procès

 23   quant à l'authenticité ou à la recevabilité initiale du livre avant qu'il

 24   n'y ait une objection de la part de la Défense.

 25   M. EMMERSON : [interprétation] C'était faux.

 26   M. ROGERS : [interprétation] Je ne pense pas. De toute façon, nous en

 27   débattrons en temps et en heure.

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je trouve que ce propos liminaire


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  1   frise la déposition. Ici, on présente des pièces, presque, alors que ce ne

  2   sont pas encore pas des pièces. Ce sont des documents qui peuvent laisser

  3   une certaine impression dans l'esprit des Juges. A ce stade-ci de la

  4   procédure, il semble y avoir litige quant à l'authenticité, quant à la

  5   provenance, quant à la pertinence d'un livre dont vous êtes sur le point de

  6   parler. Ceci étant, la Chambre doit appliquer les règles régissant la

  7   recevabilité avant de vous laisser poursuivre. Vous devez authentifier un

  8   document, vous devez faire venir à la barre un témoin qui dira être

  9   l'auteur du livre. Il faut que soient remplies toutes les conditions

 10   régissant la recevabilité, car la Chambre ne saurait accepter d'entendre un

 11   livre qu'elle devra rejeter plus tard parce qu'elle déclare irrecevable,

 12   parce que l'impression, elle restera dans l'esprit des Juges, alors que le

 13   Règlement tient à ce que les Juges ne soient pas influencés par un élément

 14   qui pourrait, en fin de compte, être jugé irrecevable.

 15   M. ROGERS : [interprétation] Mais je crois comprendre que dans ce Tribunal,

 16   la pratique veut souvent que des documents, des éléments mentionnés dans la

 17   liste 65 ter soient mentionnés dans le cadre des propos liminaires, car

 18   vous êtes des professionnels et il vous est facile d'écarter de votre

 19   esprit des éléments qui pourraient, par la suite, ne pas être déclarés

 20   recevables. C'est la raison pour laquelle ce document ou ces documents sont

 21   autorisés, en tout cas leur mention est autorisée dans le cadre d'un propos

 22   liminaire. Si, par la suite, un élément ne doit pas être retenu, la

 23   décision est prise au cours du procès même, parce que bien des choses sont

 24   vivement contestées ici. Nombreuses sont les requêtes déposées quant à la

 25   recevabilité d'éléments de preuve et, ceci, à un stade très précoce du

 26   procès, et beaucoup de choses n'ont pas encore été tranchées.

 27   J'estime qu'il faudrait que vous entendiez mon propos liminaire, et

 28   ceci pourra, de toute façon, vous aider à trancher la question de la


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  1   recevabilité, car vous saurez dans quel contexte se situent ces éléments.

  2   Et de toute façon, vous jugerez en temps utile, car nous disons que les

  3   éléments que nous vous présentons sont très pertinents et que

  4   l'authenticité du document peut être établie et la discussion a eu lieu

  5   dans le premier procès, mais à mon avis --

  6   M. EMMERSON : [interprétation] C'est vraiment préoccupant. Maintenant,

  7   l'Accusation fait son propos liminaire et, apparemment, il donne au moins

  8   cinq extraits du livre et ne sait même pas, alors que nous, nous avons

  9   mentionné ceci dans notre mémoire préalable au procès, il ne sait même pas

 10   que le document a été exclu parce qu'il n'était pas probant. C'est quand

 11   même étourdissant, ahurissant.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Quelques commentaires. Je sais que la

 13   Chambre se compose de Juges professionnels qui savent trier le grain de

 14   l'ivraie. Mais quand même, nous sommes des êtres humains et vous comprenez

 15   que nous avons rendu des instructions, et la question des cotes provisoires

 16   a été évitée précisément pour cette raison, parce que, bien sûr, si vous

 17   présentez un document, nous allons oublier son contenu, mais si on en a

 18   150, comment voulez-vous vider notre tête de tous ces éléments ? C'est la

 19   raison pour laquelle la Chambre veut s'en tenir vraiment à des éléments

 20   dépouillés de tout détail superflu.

 21   Permettez-moi de terminer mon commentaire, Monsieur Rogers.

 22   Je veux réitérer ce que la Chambre a dit hier, il s'agit ici d'un nouveau

 23   procès. La preuve, elle doit être administrée ici. Des choses prouvées dans

 24   le procès précédent n'ont aucun sens ici. Le fait que si quelque chose a

 25   été déclaré irrecevable en premier procès doit l'être ici aussi, eh bien,

 26   ça n'a aucun sens. Laissez-moi terminer, Maître Emmerson.

 27   S'il y a des objections, il faut les faire par rapport à ce procès-

 28   ci. La décision sera prise dans ce procès. Nous n'allons pas prendre de


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  1   décisions en fonction de décisions prises dans le premier procès. Je

  2   voulais que ce soit clair, que ce soit limpide pour les deux parties.

  3   M. EMMERSON : [interprétation] Mais je pense que nous avons parfaitement

  4   compris.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais vous n'en donnez pas

  6   l'impression.

  7   M. EMMERSON : [interprétation] Mais quelle est votre position précise,

  8   Monsieur le Président ? Nous avons une décision de la Chambre d'appel qui

  9   dit que l'Accusation ne se voit pas interdite de mentionner des éléments

 10   exclus dans le premier procès, mais le fait que ça a été exclu dans le

 11   premier procès sera à prendre en considération par la nouvelle Chambre pour

 12   déterminer sa recevabilité, en fonction d'autres critères de pertinence.

 13   C'est le test, c'est le critère établi par la Chambre d'appel. On ne peut

 14   pas dire simplement que les décisions prises dans le premier procès sont

 15   sans importance. Ce qui est préoccupant, c'est qu'il y a un devoir minimum

 16   de la part de l'Accusation de savoir quel est le fait, quelles sont les

 17   situations factuelles des documents dont elle veut se servir.

 18   Je suppose que M. Rogers ne voulait pas vous induire en erreur

 19   intentionnellement, mais nous le disons dans notre mémoire, il sait que

 20   nous faisons objection à ce document. Nous disons aussi que le document

 21   avait été rejeté par la première Chambre, parce qu'elle estimait - disons

 22   que je vous donne une paraphrase - que c'était vraiment des sornettes

 23   judiciaires. Mais rappelez-vous la décision en appel. Vous devez voir si

 24   l'Accusation présente un fondement juridique différent qui justifie une

 25   démarche, parce que sinon, nous aurions deux Chambres de première instance

 26   qui parviennent à des décisions différentes sur les mêmes faits.

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais ça se passe tous les jours.

 28   M. EMMERSON : [interprétation] Oui, mais il faut d'abord, comme le disait


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  1   la Chambre, il faut que la deuxième Chambre prenne connaissance du premier

  2   dossier. Quoi qu'il en soit maintenant, M. Rogers essaie de vous dire

  3   d'abord qu'il n'y a pas eu d'objection dans le premier procès, et

  4   deuxièmement, que le document n'a pas été rejeté, mais au mieux, ça montre

  5   quand même un manque de professionnalisme, et ça m'amène à une inquiétude

  6   plus générale.

  7   Vous le voyez, à la page 22, une autre carte manuscrite tracée à la

  8   main. Ce sont les cartes que veut vous soumettre l'Accusation. C'est une

  9   carte tracée par Shefqet Kabashi dans le cadre de sa déclaration préalable.

 10   Il est censé déposer demain. M. Rogers le sait parfaitement, on a de bonnes

 11   raisons de croire qu'il sera en mesure de déposer demain. Alors maintenant,

 12   il essaie de vous présenter, comme si c'était un élément de preuve, quelque

 13   chose qui est en fait un élément d'une déclaration préalable d'un témoin

 14   dont il sait qu'il ne va peut-être pas comparaître --

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous interromps. Le moment n'est

 16   pas venu pour la Défense de présenter ses moyens --

 17   M. EMMERSON : [interprétation] Bien entendu que non.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Ecoutez, nous parlons de l'objection

 19   du livre.

 20   M. EMMERSON : [interprétation] Très bien.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous parlons de ce livre dont M.

 22   Rogers était sur le point de parler, et pour lequel vous faisiez objection.

 23   M. EMMERSON : [interprétation] Oui --

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Un instant.

 25   Vous avez demandé à faire quelques remarques, et vous êtes intervenu

 26   avant que je vous dise ma dernière remarque, qui allait répéter ce que

 27   j'avais déjà dit au départ à M. Rogers. Que faites-vous au fond, vous

 28   rabâchez le même sujet, vous le ressassez en vous servant du même document.


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  1   Ecoutez ce que j'ai à dire et la Chambre va prendre une décision.

  2   M. EMMERSON : [interprétation] Je me remets à vous totalement.

  3   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous rappelle, Monsieur Rogers, ce

  4   que je vous disais, il est important. S'il y a litige entre les parties

  5   quant à la recevabilité d'un document, il est important de demander le

  6   versement dans le cadre de la procédure. Je ne suis pas d'accord avec vous

  7   pour dire que la Chambre peut lire un document pour déterminer la

  8   recevabilité. C'est seulement lorsqu'on demande le versement d'un document

  9   qu'on peut voir s'il est recevable ou pas.

 10   M. ROGERS : [interprétation] Oui, je comprends, mais il est normal de

 11   soumettre à la Chambre des documents dont l'Accusation a l'intention de se

 12   servir pendant le procès, ça fait partie du propos liminaire de

 13   l'Accusation. Souvent, il y a contestation entre les parties sur le poids

 14   ou la recevabilité éventuelle d'un document.

 15   Mais je ne peux m'empêcher de revenir sur les allégations très graves

 16   et très nombreuses qu'a proférées Me Emmerson à mon égard. Tout à fait

 17   d'accord avec lui, un avocat, un procureur doit vérifier ses faits, je l'ai

 18   fait, et j'ai sous les yeux un courrier électronique de Me Emmerson et Me

 19   Dixon du 9 janvier 2007, dans le cadre du précédent procès qui parle

 20   précisément de ce livre, et qui dit ceci : la Défense Haradinaj admet que

 21   le livre intitulé "Une histoire de guerre et de liberté", dont je cite des

 22   extraits, a été établi sur la base d'une série d'interviews de Bardh

 23   Hamzaj. Il n'y a aucun litige quant à l'authenticité ou la recevabilité de

 24   la totalité du livre.

 25   Alors, comment, pourquoi la Chambre a-t-elle décidé de ne pas l'admettre,

 26   ça ne je sais pas. Bon, c'est la Chambre qui a décidé cela pour ses propres

 27   raisons --

 28   M. EMMERSON : [interprétation] Excusez-moi, mais il faut que le dossier


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  1   soit précisé, tout à fait faux. Il n'y a pas eu d'accord sur ce fait.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Il n'y a pas ici de faits.

  3   Supposément, il parle d'un courrier que vous avez adressé à l'Accusation.

  4   M. EMMERSON : [interprétation] Oui, une décision quant à la requête de

  5   l'Accusation pour ce document du 30 novembre 2007, cela a été exclu par la

  6   Chambre parce qu'il n'y a pas assez de valeur probante.

  7   M. ROGERS : [interprétation] Effectivement, c'est une décision qui fut

  8   étonnante, vu ce qu'avait admis elle-même la Défense et vu la valeur

  9   probante manifeste. Parce qu'ici, ce sont les dires mêmes de l'accusé sur

 10   ses rapports avec l'organisation, avec son oncle, Brahimaj, et tout ceci

 11   fait l'objet même de l'acte d'accusation. Essayer maintenant d'exclure ce

 12   livre à ce stade de la procédure serait erroné. Il faut d'abord que vous

 13   ayez à nous entendre, d'autant qu'il n'y a pas d'objection quant à

 14   l'authenticité. Quels que soient les arguments évoqués dans le premier

 15   procès, je m'étonne, je m'étonne de voir que maintenant Me Emmerson dit

 16   qu'il ne faut pas le déclarer recevable, alors qu'il a dit clairement le

 17   contraire dans ce courrier électronique.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Attendez un instant, Maître Guy-Smith.

 19   Je dois vous dire simplement : la Chambre ne dit pas que vous n'êtes pas

 20   autorisé à demander le versement du document. Elle dit vous devrez prouver

 21   la recevabilité du document avant d'en demander le versement. La pratique

 22   qui veut qu'on ne se contente pas de faire une référence à un document

 23   qu'on va utiliser mais d'en donner aussi la teneur dans un propos liminaire

 24   sape, sape le fondement même de la question de la recevabilité des éléments

 25   versés au dossier.La présente Chambre devra vous permettre, je pense, de

 26   faire référence à ce livre, vous permettre de dire qu'il sera utilisé

 27   lorsque vous aurez un témoin par le truchement duquel vous pourrez demander

 28   le versement du document, même si ça sera plus tard. Pour que ce soit plus


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  1   tard ne fait pas une différence avec le fait de l'entendre maintenant. La

  2   seule différence, c'est que maintenant vous voudriez que nous l'entendions

  3   maintenant avant même que ce soit une pièce du dossier. C'est là que le bât

  4   blesse pour moi. Alors, libre à vous de dire que vous allez demander le

  5   versement d'un livre qui va nous dire ce que la Chambre, à votre avis,

  6   devrait savoir à propos de M. Haradinaj, mais n'essayez pas d'en demander

  7   le versement maintenant.

  8   M. ROGERS : [interprétation] Oui. Je peux m'y prendre autrement --

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 10   M. ROGERS : [interprétation] A ce moment-là, je vais faire ceci --

 11   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui. Oui, Maître Guy-Smith.

 12   M. GUY-SMITH : [interprétation] Je crois que ceci a été déjà traité par M.

 13   Rogers.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 15   M. GUY-SMITH : [interprétation] J'allais proposer que l'on suggère de ne

 16   pas avoir d'arguments concernant la recevabilité à ce stade.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

 18   M. ROGERS : [interprétation] Durant le procès, l'Accusation fournira un

 19   document dans lequel l'Accusation dit que l'accusé Ramush Haradinaj a

 20   laissé penser que c'était une des premières personnes du groupe Dukagjin

 21   avec Lahi Brahimaj, son oncle. Et qu'avec ses autres parents, ils ont

 22   constitué le 1er Groupe Dukagjin de l'UCK. Nous avançons également qu'il

 23   parle également de son retour au Kosovo après avoir séjourné en Albanie, et

 24   l'Accusation avance que lorsqu'il est rentré pour le première fois il s'est

 25   rendu tout d'abord à Jabllanice, où il a passé quelques jours pour vérifier

 26   si le matériel fonctionnait bien, et il a accepté que des personnes

 27   rejoignent l'UCK, comme Lahi Brahimaj, Shkelzen Haradinaj, ainsi que Luan

 28   Haradinaj.


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  1   Ensuite, pendant un certain temps, il a continué à travailler hors du

  2   Kosovo entre 1994 et 1998, et puis il est revenu au Kosovo, et nous

  3   avançons qu'à ce moment-là il avait créé la première base, une base qu'il

  4   allait contribuer à créer à Jabllanice. Il a ensuite développé son réseau.

  5   Des documents laissent penser, selon nous, qu'il a contribué à créer le

  6   réseau dans la zone de Dukagjin et qu'il a travaillé encore en étroite

  7   collaboration avec son frère.

  8   Monsieur le Président, lorsque la propriété familiale à Gllogjan a

  9   été attaquée le 24 mars 1998 par les forces serbes, M. Haradinaj a été

 10   blessé grièvement. En fait, les soldats de Jabllanice ont été envoyés à

 11   Gllogjan pour essayer de contrer ces attaques, mais c'est à Jabllanice

 12   qu'il a essayé de trouver refuge avec d'autres. C'est chez Lahi Brahimaj, à

 13   un endroit qui se trouvait donc assez loin des lignes de confrontation et

 14   qui était donc en sûreté, qu'il a pu se rétablir de ses blessures. Et au

 15   fur et à mesure que le conflit armé a évolué, la nature de l'étroite

 16   coopération entre les deux QG et le réseau familial a changé. Rrustem

 17   Tetaj, un ancien officier d'artillerie de carrière dans la JNA, décrit la

 18   nature changeante de la structure de commandement de l'UCK. Il se souvient

 19   que lorsqu'il est allé à Gllogjan en avril 1998, quelque temps après

 20   l'attaque serbe contre la propriété familiale d'Haradinaj, afin de

 21   rejoindre l'UCK, il a été présenté par des soldats de l'UCK à Gllogjan à M.

 22   Haradinaj en tant que commandant. Et lors de cette réunion avec M. Ramush

 23   Haradinaj, il y avait également Idriz qui était présent et qui avait été

 24   présenté comme répondant au sobriquet de Togeri ou de Toger, et Ramush

 25   Haradinaj l'a décrit comme étant une personne qui avait beaucoup

 26   d'expérience dans le domaine de la guerre.

 27   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, M. Tetaj dit qu'il a été

 28   accepté en tant que membre de l'UCK et en tant que commandant dans la zone


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  1   à proximité du QG de Gllogjan. Et il décrit, avec un autre commandant de

  2   l'UCK, Shemsedin Cekaj, l'organisation de l'UCK qui était passée de

  3   commandements basés dans des villages, qui coopéraient entre eux, à une

  4   structure beaucoup plus officielle fonctionnant sous l'autorité de

  5   commandants de sous-zones. Ceci s'est produit durant la fin du mois de mai

  6   1998 lors d'une réunion organisée par M. Ramush Haradinaj durant laquelle

  7   Tetaj et Cekaj sont devenus les commandants de la sous-zone, ainsi que M.

  8   Ramush Haradinaj. Un autre commandant d'une sous-zone témoignera également

  9   en disant que les commandants des villages faisaient rapport aux

 10   commandants des sous-zones et que Ramush Haradinaj était responsable de ces

 11   zones. Ce qui est donc évident c'est que Ramush Haradinaj était considéré à

 12   cette époque comme la personne qui avait une influence significative dans

 13   la zone et qui jouissait d'un très grand respect au sein de la culture

 14   albanaise.

 15   Shemsedin Cekaj a préféré adopter ce qu'avait avancé M. Emmerson

 16   durant son contre-interrogatoire, à savoir que c'était Ramush Haradinaj qui

 17   essayait d'organiser les choses dans cette zone et que les liens à l'époque

 18   étaient tels que Ramush Haradinaj était primus inter pares. Cekaj a déclaré

 19   durant sa déposition que "Ramush Haradinaj était quelqu'un qui était très

 20   important et qui jouissait d'un très grand respect."

 21   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je voudrais maintenant vous

 22   présenter une carte qui montre la répartition des différentes sous-zones en

 23   mai 1998. Il s'agit d'une carte qui a été établie par M. Tetaj durant le

 24   premier procès, et il explique - je vous demande quelques secondes, il faut

 25   changer l'orientation de la carte, et que je la retrouve également dans

 26   votre livret - c'est à la page 9 de votre livret de cartes. Nous pourrons

 27   fournir également des versions agrandies pour que tout soit plus clair,

 28   mais si vous regardez sur la gauche de cette carte, il y a une zone où se


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  1   trouve le QG de Gllogjan. Vous voyez qu'il a tracé sur la carte les

  2   répartitions géographiques dans cette zone, et vous voyez qu'il y a des

  3   numéros, 1, 2, 3 et 4.

  4   En commençant par le bas de la page, ce n'est pas très clair mais

  5   vous avez un numéro 1 qui est au milieu du cercle. Vous voyez qu'il y a une

  6   zone hachurée sur la droite, et puis si vous arrivez au centre de ce cercle

  7   où il y a une partie hachurée, vous voyez qu'il y a le numéro 1. Au-dessus,

  8   vous avez les sous-zones 2, 3 et 4. M. Tetaj a expliqué qu'un accord avait

  9   été conclu pour que Ramush Haradinaj devienne le commandant de la sous-zone

 10   numéro 1, et que lui-même, c'est-à-dire Tetaj, serait le commandant de la

 11   sous-zone numéro 3; que Shemsedin Cekaj serait le commandant de la sous-

 12   zone numéro 2. Ce n'est peut-être pas important de savoir qui était le

 13   commandant de la sous-zone numéro 4, mais vous voyez que cette zone avait

 14   été divisée en sous-zones en 1998. Et cette organisation en sous-zones est

 15   restée en place jusqu'en mai 1998. Et nous avançons que Ramush Haradinaj,

 16   au vu de comptes rendus de différentes réunions qui se sont tenues, et au

 17   vu également de dépositions de témoins qui ont parlé de cela, nous avançons

 18   que M. Haradinaj avait reconnu que tandis qu'il avait établi un contrôle

 19   officiel des sous-zones dans les environs de Gllogjan, les liens familiaux

 20   au niveau du QG de Jabllanice n'étaient plus suffisants et, par conséquent,

 21   il fallait établir une structure plus officielle pour contrôler toute la

 22   zone.

 23   Et nous avançons que dans les éléments de preuve qui nous espérons

 24   seront versés au dossier le moment voulu et qui porteront sur ce que M.

 25   Haradinaj a dit à ce sujet, nous avançons que dès le 23 juin, il avait pu

 26   asseoir le contrôle de ces sous-zones à tel point qu'il avait pu, en fait,

 27   unifier les QG de l'UCK. Et ceci s'était produit dès le 23 juin 1998, et

 28   que ce processus avait commencé dès le 23 mai 1998. Et au fur et à mesure


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  1   que les choses ont évolué, il a ensuite contrôlé de manière beaucoup plus

  2   autoritaire les activités du QG de Jabllanice de façon à trouver un

  3   équilibre entre Jabllanice et Gllogjan.

  4   Cela signifie qu'à mi-parcours dans la période couverte par l'acte

  5   d'accusation, nous verrons dans les éléments de preuve que M. Haradinaj

  6   disait qu'à l'issue de la période couverte par l'acte d'accusation, il

  7   avait le contrôle complet des deux zones, c'est-à-dire des zones de

  8   Jabllanice et Gllogjan, et qu'à mi-parcours de la période couverte par

  9   l'acte d'accusation, il avait pu asseoir le contrôle sur les deux QG des

 10   deux zones susmentionnées.

 11   Et dans le compte rendu d'une réunion, on a consigné ses propos --

 12   c'est une réunion qui s'est tenue le 23 juin 1998 à Jabllanice. Ce document

 13   est à l'écran. Nous n'avons pas inclus tous les comptes rendus de toutes

 14   les réunions. Nous n'avons utilisé que des extraits qui étaient importants.

 15   Vous voyez qu'il s'agit donc du 23 juin 1998, à Jabllanice. Vous avez la

 16   partie haute de cette page, et vous pouvez voir qui était présent lors de

 17   cette réunion. Sur le prétoire électronique, il s'agit de la référence

 18   00141, à la page 2. Vous voyez qui était présent. Ensuite, vous avez une

 19   traduction. Et puis vous avez une partie manuscrite avec, pour commencer,

 20   le nom "Ramush Haradinaj", et ensuite, vous avez une traduction où il est

 21   mentionné :

 22   "Afin de nous entraider à l'avenir, nous devrons fournir des armes aux

 23   populations qui ont plus de 16 ans."

 24   Et il mentionne également :

 25   "Nous devons être bien positionnés, nous devons être bien organisés. Nous

 26   devons avoir des liens familiaux et amicaux, mais ce n'est pas suffisant.

 27   Je peux aider un ami ou un parent, mais je ne peux pas m'assurer que

 28   quelqu'un d'autre en fasse de même."


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  1   Et il mentionne également le territoire en question, mais ce n'est pas

  2   vraiment important à l'heure actuelle.

  3   Donc, vous voyez qu'on voit bien la transition dans sa réflexion, à

  4   savoir qu'il fallait évoluer vers une organisation plus officielle et il

  5   fallait se départir des liens familiaux et avoir une organisation qui

  6   fonctionnait mieux, et ceci s'est produit le 23 juin 1998.

  7   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je voudrais parler un peu plus

  8   de l'accusé à proprement parler. J'ai déjà mentionné que M. Haradinaj

  9   était, selon nous, un des membres fondateurs du mouvement de résistance de

 10   l'UCK avec son oncle, Lahi Brahimaj, et après ces combats et ces fusillades

 11   qui ont eu lieu à proximité de la résidence familiale, sa réputation a

 12   grandi dans la zone, et des soldats de l'UCK ont décrit les actes de M.

 13   Ramush Haradinaj comme des actes de défiance héroïques, et vous avez le

 14   Témoin Hasanaj qui le décrit en disant : "Dieu est au ciel, et Ramush est

 15   sur terre."

 16   Ramush Haradinaj a continué à asseoir son organisation dans la zone ainsi

 17   que son contrôle le 26 mai 1998, et M. Haradinaj est devenu tout d'abord le

 18   dirigeant de l'Etat ou le chef de l'état-major régional de Gllogjan, qui

 19   regroupait toutes les sous-zones décrites précédemment et reprenait

 20   plusieurs villages. En cette qualité, il a exercé son autorité sur les

 21   questions tant militaires que civiles. Ensuite, il a continué à asseoir le

 22   contrôle de l'état-major régional, et M. Haradinaj à mi-parcours dans la

 23   période couverte par l'acte d'accusation, a été nommé comme commandant de

 24   l'état-major opérationnel de la plaine de Dukagjin, en formalisant ainsi le

 25   commandement général de toute la zone de Dukagjin, y compris Jabllanice, et

 26   le QG était basé à Gllogjan.

 27   Lahi Brahimaj, connu également sous le nom de Maxhup, était le commandant

 28   du bastion stratégique de l'UCK à Jabllanice durant la période couverte par


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  1   l'acte d'accusation. C'est ce qu'avance l'Accusation. Il est également

  2   membre de l'état-major général de l'UCK en tant que directeur financier.

  3   Différents témoins en parleront, y compris Petar Shala, Zoran Stijovic, et

  4   cetera.

  5   Lors de la réunion du 23 juin, M. Brahimaj est devenu pour une courte

  6   période le commandant en second sous les ordres de M. Haradinaj après avoir

  7   été remplacé par Nazmi Brahimaj, c'est-à-dire le frère de Lahi Brahimaj.

  8   Idriz Balaj, connu également sous le nom de Toger ou Togeri, a tout

  9   d'abord été recruté comme officier responsable de la formation de l'UCK,

 10   basé à Jabllanice, où il assurait l'entraînement de nouveaux soldats de

 11   l'UCK. Vous recevrez des confirmations de ceci par le biais de témoins.

 12   Après le 24 mars 1998, date où il y a eu des attaques contre la résidence

 13   familiale de Haradinaj, il est parti de Jabllanice et s'est rendu à

 14   Gllogjan. Ceci montre comment les QG coopéraient entre eux, même avant le

 15   23 juin 1998.

 16   Le 24 avril 1998, M. Ramush Haradinaj a nommé M. Balaj comme commandant des

 17   Aigles noirs, c'est-à-dire une unité de réaction rapide, et ceci est issu

 18   de plusieurs sources, M. Cekaj, M. Haskaj, et d'autres. Vous vous

 19   souviendrez que c'est lui qui a été présent, avec M. Haradinaj, lorsque M.

 20   Tetaj est venu pour lui proposer son expérience en tant qu'ancien officier

 21   de la JNA pour développer les capacités de combat de l'UCK. Et d'ailleurs,

 22   c'est M. Balaj qui se trouvait souvent en présence de M. Haradinaj durant

 23   toute la période couverte par l'acte d'accusation, et les témoins en

 24   parleront, le Témoin 17, 80, Kabashi, le Témoin 29, Stijovic et Pappas.

 25   C'est M. Tetaj qui parle de M. Togeri en disant que c'était, entre

 26   autres, un homme qui avait une réputation pour réaliser des enlèvements et

 27   tuer des Albanais, des Serbes et des Rom dans la zone de Dukagjin en 1998.

 28   Il a également dit que, personnellement, il n'avait pas été témoin de ces


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  1   exactions, mais que beaucoup de ces exactions étaient imputables à Togeri.

  2   Et, d'ailleurs, il disait : "Tout ce qui se passait était imputable à

  3   Togeri." Cela ne signifie pas bien sûr que M. Togeri a commis toutes ces

  4   exactions, mais des éléments de preuve liés à une réputation générale sont

  5   recevables.

  6   Il a confirmé, cependant, que Togeri et ses hommes rentraient dans

  7   différents villages en cherchant les personnes qui étaient recherchées et

  8   qu'il avait vu des noms qui figuraient sur le carnet de Togeri, mais il ne

  9   savait pas pourquoi ils étaient présents sur ces carnets. Il a confirmé

 10   qu'il y avait des listes de personnes qui étaient diffusées et qui avaient

 11   été établies pour compromettre différentes personnes.

 12   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la thèse de l'Accusation est

 13   que durant toute la période couverte par l'acte d'accusation, quelle que

 14   soit la question du contrôle officiel, l'accusé a travaillé en étroite

 15   collaboration avec les autres accusés pour mener à bien les objectifs de

 16   l'UCK dans la zone de Dukagjin, y compris la commission de crimes à la

 17   structure de détention de Jabllanice.

 18   Les témoins ont décrit MM. Haradinaj, Balaj et Brahimaj comme se trouvant

 19   ensemble à Jabllanice, c'est-à-dire l'endroit où se trouvait cette

 20   structure de détention. Cette propriété était celle d'un proche parent de

 21   Lahi Brahimaj.

 22   La thèse de l'Accusation est que ces accusés essayaient d'asseoir le

 23   contrôle de l'UCK dans la zone, pas uniquement par le biais d'une lutte

 24   armée contre les forces serbes, mais également par l'élimination brutale de

 25   toute opposition par des civils qui étaient effectivement ou qui était

 26   perçus comme étant des collaborateurs.

 27   Par conséquent, ils ont commis les crimes contre des personnes qui

 28   étaient considérées comme étant des collaborateurs des forces serbes, ou


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  1   qui étaient considérées comme ne soutenant pas assez l'UCK. Les membres de

  2   l'UCK ont enlevé, ont interrogé et ont maltraité ces personnes et les ont

  3   souvent tuées. Ces actes de violence ont créé une atmosphère de peur et

  4   d'intimidation au sein de la population dans la zone de Dukagjin, ainsi que

  5   dans d'autres parties du Kosovo où était présent l'UCK.

  6   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, au sein de la zone libre

  7   décrite par les témoins, l'UCK a pu agir de manière plus ouvertement. Comme

  8   Shemsedin Cekaj l'a mentionné : "Le long de la route principale allant de

  9   Peje à Decani et à Gjakove, les villages qui étaient à proximité de la

 10   route étaient à risque, et les soldats de l'UCK étaient positionnés dans

 11   ces villages. La situation était telle qu'il y avait également d'autres

 12   responsabilités familiales, ainsi que d'autres activités qui étaient menées

 13   par les membres de l'UCK."

 14   Mais, avec cette liberté plus grande, l'UCK et les accusés pouvaient

 15   asseoir encore mieux leur contrôle en s'assurant que l'opposition était

 16   mise sur la touche et ceux qui étaient soupçonnés de collaboration ou de

 17   trahison étaient pris à partie. A compter de 1994, l'UCK avait revendiqué

 18   publiquement les meurtres et les attaques contre les collaborateurs et

 19   contre d'autres personnes qui ne soutenaient pas l'UCK par le biais de

 20   communiqués. Vous avez toute une série de communiqués qui figurent dans la

 21   liste 65 ter. Vous avez des communiqués de l'UCK qui étaient publiés dans

 22   les médias entre 1994 et 1998.

 23   Je vous donne un exemple. Le 11 décembre 1997, l'UCK s'est présentée

 24   dans le communiqué numéro 40 en annonçant qu'ils avaient fait usage "de

 25   fusils contre tous ceux qui étaient considérés comme des traîtres ou tous

 26   ceux qui avaient envahi le territoire." On peut trouver ceci dans les

 27   documents de la liste 65 ter numéro 00953, 00931, 00340, pages 3324 à 3325.

 28   Durant toute l'année 1998, l'UCK a annoncé, a revendiqué les attaques et


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  1   les mesures punitives contre les collaborateurs et ont également revendiqué

  2   les attaques contre la police serbe. Le 4 mars 1998, l'état-major général a

  3   déclaré qu'il fallait donner la mort aux ennemis et aux traîtres. Ceci

  4   émane du témoin Jakub Krasniqi, numéro 65 ter 00328.

  5   Dans le communiqué numéro 42, il déclare que le 13 février 1998,

  6   Mustafe Kurti, un collaborateur a été liquidé. Le 19 février 1998, un

  7   criminel Nebojsa Cvejic, un membre des forces de la police serbe, a été

  8   liquidé à Luzhan à proximité de Podujeve.

  9   Dans un communiqué de décembre 1997, l'UCK a déclaré : "Durant la

 10   soirée du 28 novembre 1997, Dalip Dugolli, un collaborateur et un des

 11   hommes de confiance de Milosevic, a été tué."

 12   Et dans le communiqué numéro 39 de novembre 1997, l'UCK a déclaré :

 13   "La nation albanaise déteste les agresseurs et son terrorisme; elle déteste

 14   et méprise les traîtres et les trahisons qui mettent en danger l'avenir de

 15   la guerre de libération."

 16   Il est donc clair que les collaborateurs qui ont été éliminés et ont

 17   été pris à partie étaient menacés. Tout ceci a été encouragé dès le début

 18   des actions de l'UCK.

 19   Ceci est très clair jusqu'à l'année 1998, et d'ailleurs, dans le

 20   communiqué numéro 47 daté du 12 mai 1998 de l'UCK à Pristina, publié dans

 21   le journal Pristina Koha Ditore, en albanais, le 13 mai 1998, l'UCK donc

 22   déclare, et vous avez le document qui porte la référence sur le prétoire

 23   électronique 00328, et vous avez donc la partie ici qui est mise en

 24   exergue, et il est mentionné, donc :

 25   "Sur les ordres de l'état-major général de l'UCK, des opérations réussies

 26   contre les troupes d'invasion ont été menées dans la zone opérationnelle

 27   numéro 1, c'est-à-dire les sous-zones opérationnelles de Drenice, Erenik,

 28   Dukagjin, Pashtrik et Llap. Durant des combats très durs sur le front, les


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  1   forces d'invasion ont essuyé des pertes humaines et en matériel

  2   importantes. Durant cette période, les opérations ont été menées contre des

  3   collaborateurs albanais qui, malgré des mises en garde précédentes, n'ont

  4   pas abandonné leurs mesures qui allaient à l'encontre des objectifs

  5   nationaux."

  6   De plus, des rapports de la même époque des services de police et de

  7   sécurité confirment les actes de violence mentionnés. Bien sûr, je garde à

  8   l'esprit ce qui a été mentionné ici hier au sujet de ces rapports, mais

  9   quoi qu'il en soit, des rapports ont été publiés et vous avez des plaintes

 10   concernant les actes de violence et d'intimidation par les membres de l'UCK

 11   contre ceux qui n'étaient pas des supporteurs de l'UCK ou ceux qui étaient

 12   considérés comme étant des collaborateurs.

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je peux vous interrompre ? Est-ce que

 14   vous pensez que c'est le bon moment de faire une pause ?

 15   M. ROGERS : [interprétation] Cinq minutes, même pas cinq minutes, et

 16   ensuite on pourra faire la pause, ce sera le bon moment pour une

 17   transition.

 18   Le fait que ces prises à partie aient été réalisées dans la zone de

 19   Dukagjin en juillet 1998, font état -- sont mentionnées par le Témoin 17.

 20   Il décrit une liste de juillet 1998 établie par le commandant de l'UCK de

 21   la zone de la vallée de Baran, qui avait été nommé par Ramush Haradinaj. Et

 22   vous avez sur cette liste des personnes recherchées qui étaient en général

 23   décrites comme des collaborateurs. Parmi les personnes sur sa liste, vous

 24   aviez Zenun Gashi qui a également été enlevé par l'UCK et dont le corps a

 25   ensuite été retrouvé, entre autres, dans le lac de Radoniq, et vous aurez

 26   des éléments de preuve que nous vous présenterons concernant la mort de

 27   cette personne. Sur cette liste, vous aviez également un dénommé Skender

 28   Kuci qui est une victime citée nommément dans le chef d'accusation numéro


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  1   5. Il a été vu à Jabllanice. Il a été rué de coups, torturé, et il a

  2   ensuite été tué alors qu'il était détenu par l'UCK.

  3   Dans le contexte de ce conflit, qui est passé également par

  4   l'utilisation légitime de la force, l'Accusation avance que ces accusés ont

  5   adopté des moyens illégitimes pour asseoir leur contrôle. Ces moyens

  6   illégitimes, ou illégaux, sont décrits dans l'acte d'accusation et font

  7   l'objet de six chefs d'accusation, et c'est par le biais de l'adoption de

  8   ces moyens illicites que ces accusés sont devenus membres d'une entreprise

  9   criminelle commune ou ECC, et ensemble ils ont procédé à la torture, à des

 10   traitements cruels et à des meurtres contre ceux qu'ils considéraient comme

 11   les traîtres qui n'étaient pas complètement gagnés à la cause de l'UCK.

 12   Haradinaj, Balaj, Brahimaj ainsi que d'autres soldats de l'UCK, y compris

 13   d'autres membres de la famille Brahimaj, ont travaillé de concert afin

 14   d'éliminer les opposants, tels qu'ils étaient perçus, par le biais de

 15   meurtres, de traitements cruels et de tortures commis dans la structure de

 16   détention de la caserne de l'UCK à Jabllanice.

 17   Et maintenant, les crimes que je vais mentionner par la suite sont un

 18   exemple de l'élimination de l'opposition telle qu'elle était perçue par

 19   l'UCK. Et je crois que c'est un bon moment pour faire une césure.

 20   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous allons donc faire la pause et

 21   nous reviendrons à 16 heures.

 22   --- L'audience est suspendue à 15 heures 33.

 23   --- L'audience est reprise à 16 heures 01.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Rogers, avant que vous ne

 25   repreniez, je tiens à vous présenter nos excuses. Nous avons pris la pause

 26   sans vous demander si le moment s'y prêtait bien. Et si je puis présenter

 27   nos excuses à tous, c'est au sujet de l'heure du début. Je suis venu ici,

 28   l'on m'a dit que 30 minutes étaient absolument nécessaires pour une


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  1   diffusion retardée pour les corrections que les sténodactylographes

  2   allaient apporter. Donc la seule manière était de travailler pendant une

  3   heure, de faire une heure quinze minutes, et de faire 30 minutes de pause.

  4   Donc nous allons travailler jusqu'à 17 heures 15.

  5   M. ROGERS : [interprétation] Je vous remercie.

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous en prie.

  7   M. ROGERS : [interprétation] Je vais essayer de surveiller l'heure.

  8   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous y aiderai.

  9   M. ROGERS : [interprétation] Cela m'aidera, et j'aurai besoin d'aide.

 10   Prenons maintenant les différents chefs de l'acte d'accusation un par un.

 11   Au chef 1, les victimes auraient été des victimes d'actes de meurtre, de

 12   traitements cruels, de torture. Ivan Zaric, un Serbe; Burim Betja; et Agron

 13   Berisha, deux Rom égyptiens. Les témoins, nous déclarons au sujet de ce

 14   chef d'accusation, qu'ils font partie du conflit, conflit armé qui se situe

 15   à la date du 19 mai 1998, que les forces serbes ont attaqué le village de

 16   Grabanice - vous vous rappelez que j'en ai parlé, j'ai dit qu'il avait une

 17   certaine importance - et c'est la première fois qu'on en parle dans la

 18   municipalité de Kline. Donc les témoins décrivent la nature de l'attaque.

 19   Ils disent qu'il s'agissait de deux jours de bombardements, même si les

 20   bombardements se sont estompés le deuxième jour, et qu'il y a eu une

 21   attaque terrestre de grande envergure par la suite, et que malgré l'attaque

 22   et le conflit armé, ceux qui vivaient dans cette zone ont essayé de

 23   survivre et de maintenir un peu les gestes de base de la vie de tous les

 24   jours.

 25   A l'époque de cette attaque, vers le 19 mai 1998, trois jeunes hommes, les

 26   trois victimes, quittent leur village de Dollac, qui se situe à 10

 27   kilomètres de Grabanice à peu près, pour aller moudre leur maïs au moulin

 28   de Grabanice. A en juger d'après les témoins 31 et 66, ils sont partis


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  1   ensemble sur une charrette à chevaux. Et Ivan Zaric est l'un des deux, les

  2   deux autres sont les Rom que j'ai mentionnés. Donc ils viennent d'une

  3   petite communauté où il y a des Albanais catholiques et des Rom qui

  4   vivaient tous ensemble en bonne entente. Et normalement en deux heures ils

  5   seraient arrivés à leur destination, mais on ne les a plus jamais revus.

  6   Le Témoin 80 a décrit les avoir vus ce jour-là au moulin de Grabanice. Il

  7   dit qu'il y avait les deux Albanais, et il parle d'enfants âgés de 16 à 17

  8   ans, sur une charrette, qui sont arrivés au moulin. Et la troisième

  9   personne serait restée à dos de cheval, à l'extérieur. Et les deux Albanais

 10   auraient été des enfants, d'après lui. Et ils avaient des liens de parenté,

 11   ils étaient originaires du village de Dollac. Il dit qu'ils étaient

 12   gentils. Il les décrit comme ayant été emmenés du moulin par deux membres

 13   de l'UCK, Hazir Morina et Shaqir Krasniqi, qu'ils ont été emmenés à

 14   Grabanice, à côté, où on les aurait battu avec des bâtons. Les deux hommes

 15   par la suite ont déclaré qu'ils les emmenaient à Jabllanice. Quelques jours

 16   plus tard, le Témoin 80 décrit les avoir revus, cette fois-ci il dit que

 17   c'était à la prison de Jabllanice. Et, à ce moment-là, lui aussi il était

 18   détenu et il travaillait à la cuisine de cette prison dans les casernes, ou

 19   dans la caserne, ou c'était plutôt un QG. Et il dit que c'était sur la

 20   gauche de la route de Zhabel. Alors vous vous rappellerez peut-être que

 21   c'est au sud de Jabllanice que cela se situe, c'est près de la mosquée et

 22   du cimetière, et il y a un petit centre de santé, de secours.

 23   Alors je vais vous montrer une série de photographies du village de

 24   Jabllanice, l'endroit où le témoin de l'Accusation identifie la prison, le

 25   bâtiment de la prison, de la caserne, et nous avons quelques photos des

 26   bâtiments. En particulier, cela a été reconnu par les Témoins 6 et 3, comme

 27   l'endroit où ils ont été détenus à Jabllanice.

 28   Donc prenons maintenant cette première image, page 13 dans votre jeu de


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  1   documents. Il s'agit d'une photographie aérienne, une vue sur Jabllanice,

  2   et vous pouvez voir la route principale qui passe par Jabllanice, et cet

  3   angle de vue nous montre l'image depuis Gllogjan catholique vers l'endroit

  4   où se situerait Zhabel normalement. Et si vous suivez la route en

  5   commençant en bas sur la droite de la photographie, si vous continuez, vous

  6   voyez la mosquée sur la colline et puis un petit cimetière derrière, et sur

  7   le côté vous voyez des pierres tombales lorsque le virage continue sur la

  8   route. Et puis, au virage, vous voyez un bâtiment rouge, de briques rouges,

  9   quelques installations devant la zone du cimetière, et puis si vous

 10   continuez la route vous voyez qu'il y a un petit nombre de bâtiments aux

 11   toits rouges. Derrière, il y a cette installation pour laquelle -- enfin,

 12   ce bâtiment pour lequel nous affirmons qu'il a reçu les détenus.

 13   Alors, maintenant, la photographie qui représente la carte, une vue

 14   aérienne du village, et puis, page 2 du document 03036 dans le prétoire

 15   électronique, nous avons inscrit quelques annotations sur ce cliché pour

 16   que vous puissiez plus facilement vous orienter. Là, vous avez donc le

 17   Gllogjan catholique au nord, et Zhabel au sud, et puis l'endroit où nous

 18   affirmons que ces individus ont été détenus. Donc, c'est le bâtiment qui

 19   est sur le gauche de la route qui vient donc de Zhabel lorsque vous entrez

 20   dans le village de Jabllanice. Et vous voyez qu'il y a un cercle qui a été

 21   tracé à cet endroit. En fait, si vous suivez la route, vous continuez après

 22   le virage, où il y a cette zone boisée, vous arrivez au point où les deux

 23   routes se rencontrent.

 24   Alors, si l'on tourne maintenant la page, nous avons une première

 25   photographie du bâtiment. Vous pouvez comparer. Vous voyez la forme du

 26   bâtiment, et puis, vous pouvez distinguer cela un peu mieux, page 16 -- ou

 27   plutôt, page 2, 03037, sur la route qui va à Jabllanice, qui rentre dans

 28   Jabllanice. Ça, c'est la page 16, la photographie que nous sommes en train


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  1   de montrer. Nous voyons les murs, le bâtiment qui a un toit rouge sur la

  2   gauche, et puis vous allez voir comme une espèce de porte d'entrée un peu

  3   en mauvais état.

  4   Et si vous tournez la page pour montrer -- donc, la page 3 du document

  5   03037, vous verrez donc l'entrée en arrivant de Gllogjan catholique. Et en

  6   haut sur la gauche, vous voyez les tuiles rouges du toit du bâtiment

  7   précédent.

  8   Alors, la page suivante, document 00357 dans le prétoire électronique, à

  9   l'intérieur de la propriété -- excusez-moi.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Harvey.

 11   M. HARVEY : [interprétation] Je n'aime vraiment pas interrompre un collègue

 12   en plein exposé, mais nous avons échangé une correspondance assez nourrie

 13   au sujet de la manière d'étiqueter ces photographies. Alors, jusqu'à

 14   maintenant, je pense que cela a été fait correctement et de manière neutre.

 15   Or, pour les pages 18, 23, 25 et 26, les termes employés, d'après nous, ne

 16   sont pas acceptables parce qu'incendiaires. M. Rogers le sait, et nous

 17   avons opposé une objection à ce qu'il utilise les termes comme "prison" ou

 18   "centre de détention". Vous en avez parlé déjà, Monsieur le Président. Les

 19   termes ne doivent pas être potentiellement préjudiciables, les termes

 20   utilisés pour étiqueter les documents. Et tout simplement, je voudrais que

 21   l'on empêche l'emploi de ces termes comme "prison" ou "centre de

 22   détention".

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Rogers, est-ce que vous

 24   souhaitez répondre ?

 25   M. ROGERS : [interprétation] Je pense que cela a été enlevé. Je ne m'étais

 26   pas rendu compte que c'était toujours là sur les photographies -- ou plutôt

 27   sur cette photographie en particulier, même si je pense que l'un des

 28   témoins a identifié cette photographie. Enfin, je pourrai peut-être


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  1   vérifier.

  2   M. HARVEY : [interprétation] Excusez-moi. Ce n'est pas ça qui pose

  3   problème, ce qui a été identifié par un témoin. Ce qui pose problème, c'est

  4   ce qui a été prouvé, et si par avance on désigne les documents de cette

  5   manière-là, c'est une manière de dire "ces hommes sont coupables", et je ne

  6   pense pas que l'on devrait agir de cette manière-là.

  7   M. ROGERS : [interprétation] Nous pouvons effacer le mot "prison".

  8   L'Accusation affirme qu'il s'agit d'une prison. Mais il reviendra aux Juges

  9   de la Chambre de déterminer ce qui en est.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Donc, c'est votre affirmation ?

 11   M. ROGERS : [interprétation] Oui. Je pense que je peux en parler de cette

 12   manière-là.

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Que vous l'appeliez prison ou non,

 14   nous allons chercher à savoir comment on a utilisé cet endroit ?

 15   M. ROGERS : [interprétation] Oui, tout à fait. La décision vous appartient

 16   en dernière instance. Nous savons que sur la droite, le bâtiment qui est

 17   représenté constitue la prison, et je vais vous montrer d'autres

 18   photographies qui ont été identifiées par des témoins qui ont dit qu'il

 19   s'agissait d'une prison. Et il y a eu déclaration de culpabilité pour ces

 20   affirmations.

 21   Donc, voyons maintenant un peu ce que nous voyons ici sur la gauche, un

 22   bâtiment allongé, comme une espèce de mur, où devant le mur, une espèce de

 23   bâtiment de brique rouge, un certain nombre de fenêtres, pas de toit. Il

 24   n'y avait pas de toit lorsque la photographie a été prise, et c'était en

 25   ruines à l'époque.

 26   Et puis, sur la droite, un bâtiment plus grand avec un toit de tuiles

 27   rouges, et en brique rouge. Et apparemment, il n'y a pas de crépis.

 28   En tournant la page, je vais essayer d'employer des termes neutres. Donc


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  1   document 03037, page 4, une autre prise de vue de ce bâtiment pour lequel

  2   nous affirmons qu'il a été utilisé comme prison, avec quatre pièces, deux

  3   devant et une derrière le buisson, et puis d'autres pièces derrière ces

  4   deux pièces. Et puis, j'attire votre attention sur l'homme sur cette

  5   photographie. Vous voyez qu'il est agenouillé sur la droite devant le

  6   bâtiment. Il y a deux ouvertures noires, semble-t-il, donc c'est un sous-

  7   sol, d'après nous, une cave, avec un espace, qui fait partie du récit de

  8   certains témoins, où ils affirment qu'ils ont été détenus. Et puis, sur la

  9   photographie suivante, alors, là où l'homme était agenouillé, nous avons

 10   soit des fenêtres soit des ouvertures, et c'était une cave qui était

 11   remplie d'eau.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Mais qu'est-ce qui vous permet de dire

 13   qu'il y avait de l'eau dedans ?

 14   M. ROGERS : [interprétation] Si vous prenez la photographie suivante,

 15   03052, page 1 dans le prétoire électronique, nous voyons ici que c'est

 16   rempli d'eau. Je ne dis pas que ça a toujours été plein d'eau, mais sur

 17   cette photographie, c'est bel et bien le cas, et nous avons une description

 18   faite par le témoin qui nous dit qu'à certains moments de l'année, cet

 19   espace se remplissait d'eau, mais que ce n'était pas toujours le cas.

 20   Donc, Monsieur le Président, maintenant que nous avons pris nos repères

 21   grâce à ces photographies, je vais vous dire ce qui en est des récits

 22   donnés par les témoins des événements qui se sont produits. Le Témoin 80

 23   décrit le bâtiment pour lequel nous affirmons donc que nous l'avons vu sur

 24   ces photographies. Il dit que le bâtiment avait des tuiles rouges, qu'il

 25   était près de la route, il y avait un mur et une porte d'entrée à deux

 26   battants avec un petit toit, qu'il y avait une cour, et il dit qu'il a vu

 27   les trois victimes dans cette cour. Et il dit qu'en fait, on les a battus

 28   si violemment qu'en fait il lui était difficile de les reconnaître.


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  1   Donc, il affirme, Monsieur le Président, que ce bâtiment, que cet endroit,

  2   qui est représenté sur la photographie, appartenait à un parent de Lahi

  3   Brahimaj. Il dit que lorsqu'on rentrait dans la cour, il y avait un

  4   bâtiment immédiatement sur la gauche qui avait des tuiles rouges à

  5   l'époque, et c'était un bâtiment long qui n'avait qu'un seul étage. Il dit

  6   que le mur près de la route faisait partie du bâtiment. Il dit que c'est là

  7   que se trouvait la cuisine ou la salle à manger. En plus, d'après lui, en

  8   plus de ce bâtiment, il y avait un autre bâtiment, et cet autre bâtiment,

  9   d'après lui, était la prison. Vous avez vu, Monsieur le Président,

 10   Messieurs les Juges, vous avez vu les photographies qui nous montrent les

 11   deux bâtiments. Et il dit que c'était un rectangle avec un toit qui

 12   descendait de quatre côtés, avec un sous-sol et quatre pièces, deux de

 13   face, deux à l'arrière, avec un couloir qui passait au milieu. Il était

 14   construit de briques rouges. Il n'y avait pas de crépi, donc on pouvait

 15   voir le mortier entre les briques.

 16   Donc, le témoin affirme qu'il a vu ces enfants emmenés du sous-sol, et il a

 17   vu les soldats de l'UCK les emmener du sous-sol, et nous affirmons que

 18   c'étaient les victimes. Et il dit que "les grands chefs" les ont vus

 19   également emmener. Et nous avons vu que ces grands chefs qu'il mentionne

 20   étaient Ramush Haradinaj, Idriz Balaj, connu comme Togeri, et Lahi

 21   Brahimaj.

 22   Il dit que les trois jeunes hommes ont été emmenés dans la cour,

 23   qu'ils ont été roués de coups pendant que les trois accusés ont regardé.

 24   L'un de ces garçons a parlé albanais, il a appelé au secours leurs mères en

 25   disant "kuku nana jeme", et demandaient de l'aide, suppliaient qu'on leur

 26   vienne en aide. Il dit qu'ils ont été battus avec des bâtons, et que leurs

 27   bras ont été brisés et qu'ils n'étaient pas sous une forme, une position

 28   normale, et qu'ils ont été meurtris, brisés, et c'est ce qu'au point que


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  1   l'un d'eux s'est uriné dessus. Tout cela pendant que les accusés ont

  2   regardé.

  3   Puis il dit qu'ils ont été attachés à ce qu'il décrit comme étant une

  4   sorte d'arbre ou de poteau en bois, qu'ils ont été emmenés devant cette

  5   zone, ou de cantine ou de cuisine. Il dit que c'était comme une cantine

  6   ouverte, et il dit qu'on les a attachés à ces poteaux en bois avec des fils

  7   de fer et que leurs vêtements étaient humides comme s'ils avaient été

  8   détenus dans le sous-sol de la prison, et ils tremblaient. Il décrit

  9   qu'Idriz Balaj et un homme appelé Bandash les ont roués de coups, torturés,

 10   que M. Haradinaj était installé dans la zone de la cuisine et que Lahi

 11   Brahimaj était debout.

 12   Il dit que Lahi Brahimaj, lui aussi, les a roués de coups à son tour,

 13   qu'il a utilisé tout, des chaussures, des bâtons, et il continue de parler

 14   d'eux en disant que c'étaient des "enfants". Donc, il dit qu'il ne pouvait

 15   pas faire en sorte que les enfants veulent pas arrêter d'uriner, et que

 16   c'étaient des enfants vraiment très jeunes. C'est sa description. Et un

 17   criait : "Mère, mère," en albanais.

 18   Il dit que pendant ces coups qu'il assénait, Lahi Brahimaj accusait

 19   les garçons d'avoir été envoyés par l'armée serbe. Ils auraient 100

 20   deutsche marks dans leurs proches qu'on leur aurait trouvés. Il dit que

 21   pour qu'ils se sauvent, ils disaient pendant les coups, ils disaient :

 22   "Oui, oui, oui, les soldats serbes le leur ont donné." Mais le témoin ne

 23   pense pas que c'était vrai. Il ne pensait pas que c'était le type de

 24   personnes que les Serbes auraient envoyées, qu'ils n'avaient pas passé un

 25   seul jour à l'école.

 26   Donc, ces coups ont continué pendant une vingtaine de minutes.

 27   Ensuite, il a vu Idriz Balaj prendre un couteau très aiguisé. Il l'a sorti

 28   d'un fourreau qu'il avait à sa ceinture, et il a dit : "Mais je suis ici


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  1   uniquement pour tuer des gens." Il a mis ce couteau sur l'oreille de l'une

  2   des trois personnes et il a coupé l'oreille dans sa totalité. Puis les deux

  3   autres garçons ont crié. Immédiatement après cela, les coups ont continué.

  4   Le Témoin 80 a entendu Lahi Brahimaj, Idriz Balaj, Toger, parler du fait de

  5   leur donner des papiers pour qu'ils se rendent à Drenica. Cette expression,

  6   d'après lui, signifie qu'on allait les exécuter.

  7   Puis il a dit qu'une fois que l'oreille a été coupée, il ne pouvait

  8   plus regarder. Il est allé à l'arrière du bâtiment, vers la cuisine ou la

  9   cantine, en prétendant qu'il était en train de faire autre chose.

 10   En plus du Témoin 80, l'Accusation affirme que le Témoin 81 corrobora

 11   le récit de ce témoin et fournira son propre récit de ce qu'il a vu.

 12   Nous savons qu'il y a des différences entre les deux récits de ces

 13   témoins dans leur contenu, et vous allez devoir décider vous-mêmes en temps

 14   voulu quel poids il convient d'accorder à chacune de ces dépositions. Mais

 15   elles ont une importance cruciale.

 16   Alors, le Témoin 81, d'après nous, corrobore en gros le récit du Témoin 80.

 17   Il était membre de l'UCK, mais il n'était pas basé à Jabllanice. Il a été,

 18   d'après ce qu'il dit, envoyé à la prison et c'est là qu'il a vu Nazmi

 19   Brahimaj et Lahi Brahimaj, il connaissait comme Maxhup. Il décrit la prison

 20   comme étant située sur la route à Zhabel, et à la fin de la route qui sort

 21   du village de Jabllanice lorsqu'on se rend vers Zhabel.

 22   Il décrit la prison comme un bâtiment à un étage, avec un toit et un

 23   sous-sol, une maison abandonnée qui n'aurait ni fenêtres ni portes, pas

 24   peinte et pas de crépi à l'extérieur. Il y avait quatre pièces de devant et

 25   deux à l'arrière, avec une cave qui était partiellement remplie d'eau. Et

 26   il affirme que dans cette cave il y avait sept prisonniers, trois jeunes

 27   hommes, un Serbe et deux Rom, et quatre personnes plus âgées, deux hommes

 28   et deux femmes -- attention lorsqu'on parle de "personnes âgées", âgées de


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  1   40 à 60 ans. Il a supposé que ces femmes étaient des Serbes parce qu'elles

  2   ne portaient pas la "shamija", donc le fichu qui traditionnellement est

  3   porté par les femmes albanaises. Les prisonniers semblaient tous avoir été

  4   battus et semblaient avoir perdu du poids.

  5   Plus tard ce même jour, le Témoin 81 a vu Lahi et il a vu Ramush

  6   Haradinaj et Idriz Balaj. Le témoin a dit que c'est depuis 1995 qu'il

  7   connaissait Ramush Haradinaj, et qu'il l'a rencontré plusieurs fois depuis

  8   mars 1998. Il dit qu'entre Ramush Haradinaj et Lahi Brahimaj il y avait une

  9   relation de parenté, que Lahi Brahimaj était appelé "dajko", donc oncle

 10   maternel par Haradinaj. Il dit qu'ils étaient basés à Jabllanice, les

 11   Brahimaj, et les Haradinaj à Gllogjan, mais en fait qu'ils constituaient

 12   une très grande famille, une seule grande famille.

 13   Alors, pendant la matinée, on lui a dit de sortir. C'est Lahi Brahimaj qui

 14   le lui a dit. Il a vu deux Rom et le Serbe emmenés depuis le sous-sol.

 15   Environ 12 soldats de l'UCK à l'extérieur, y compris les trois accusés. Il

 16   décrit les prisonniers comme étant placés dans une situation où on les a

 17   insultés et interrogés, roués de coups parce qu'on a estimé que c'était des

 18   espions serbes. Il dit qu'il a entendu Ramush Haradinaj les insulter et

 19   dire des choses telles que : Où sont vos forces serbes ? Je vais vous tuer

 20   et je vous nique votre mère. Il dit qu'ils ont été interrogés en albanais,

 21   surtout par Brahimaj et par les deux autres accusés, Togeri et Ramush

 22   Haradinaj, sur les endroits où étaient basées les forces serbes. Lahi

 23   Brahimaj et Idriz Balaj les ont insultés, mais ils les ont surtout roués de

 24   coups. Lahi Brahimaj aurait utilisé une batte de base-ball. Nazmi Brahimaj

 25   et Ramush Haradinaj les ont roués de coups également. Toger a dit : "C'est

 26   comme ça que l'on s'en prend à son ennemi." Haradinaj a donné des coups de

 27   poing à une des personnes rom plusieurs fois, jusqu'à ce que le garçon

 28   tombe par terre. Et il explique cela plus tard, plus tard en 1998, Ramush


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  1   Haradinaj lui a dit qu'il, lui, donc Haradinaj, haïssait les Rom.

  2   Les garçons rom criaient en albanais, suppliaient : "Ne nous tuez

  3   pas. Nous sommes avec vous."

  4   Vers la fin de cette séance de coups, il a vu Idriz Balaj couper

  5   l'oreille d'un des garçons serbes avec son couteau. Lahi Brahimaj a donné

  6   un coup au garçon, un coup sur la tête avec une batte de base-ball, et un

  7   de ses yeux a saigné de manière très importante par la suite. Il dit

  8   qu'Idriz Balaj a pris le garçon serbe par ses cheveux, à la nuque, et qu'il

  9   lui a arraché l'œil qui saignait avec son couteau. Ensuite, il s'est tourné

 10   vers les deux Rom et il les a poignardés plusieurs fois au niveau de la

 11   poitrine. Le Témoin 81 dit qu'il a entendu Ramush Haradinaj et Idriz Balaj

 12   dire aux soldats présents : "Emmenez-les à Drenica", et il dit que c'est

 13   une expression qu'utilisait l'UCK pour parler de liquidation, d'exécution

 14   de prisonniers, en particulier de Serbes, mais aussi des Albanais et des

 15   Rom qui étaient considérés comme des collaborateurs.

 16   Il dit que si cette phrase a été adoptée, c'était pour éviter que les

 17   prisonniers ne paniquent s'ils apprenaient le sort qui leur était réservé.

 18   Ramush Haradinaj lui a dit ensuite, donc à lui, Témoin 81, et aux autres

 19   qui se tenaient-là : "Emmenez-les à Drenica, au Père Adem." Et cela

 20   signifiait Adem Jashari, le commandant de l'UCK qui avait été tué lors

 21   d'une attaque menée par les forces serbes et qui était considéré comme l'un

 22   des premiers martyrs de l'UCK. Même si le Témoin 81 venait d'un autre

 23   commandement, il s'est exécuté parce qu'il respectait Ramush Haradinaj. Il

 24   a pris les prisonniers avec les autres membres de l'UCK. Ils ont été

 25   emmenés au poste de secours mais ils ne sont pas repartis de là en vie.

 26   Leurs corps ont été balancés par l'UCK. Les corps de ces trois victimes

 27   n'ont pas été retrouvés.

 28   Donc, le chef 2, le chef qui a à voir avec meurtre, traitement cruel,


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  1   torture, et les victimes sont Uke Rexhapaj et Nesret Alijaj, et deux

  2   Rom/Egyptiens.

  3   Les Témoins 54, 78 et 79 déposent que le 20 mai 1998, à peu près au

  4   même temps que les événements du chef 1 et l'attaque serbe sur Grabanice,

  5   deux civils Ashkali/Rom/Egyptiens, Uke Rexhepaj et Nesret Alijaj, qui

  6   étaient apparentés, ont été enlevés pendant qu'ils faisaient du vélo sur la

  7   route entre Grabanice et Dollovo. Ils allaient nourrir leur bétail. Leur

  8   famille ne les a plus jamais revus, même si en 2003, les vêtements d'Uke

  9   Rexhepaj ont été identifiés parmi les objets qui ont été présentés par le

 10   CICR pour pouvoir identifier les personnes portées disparues du Kosovo.

 11   Le Témoin 54 a affirmé qu'ils ont été enlevés par des soldats armés,

 12   emmenés dans un véhicule, emmenés à Jabllanice, et d'après les affirmations

 13   de l'Accusation, c'est Shefqet Kabashi qui les a vus à cet endroit, membre

 14   de l'UCK basé à Jabllanice depuis le 9 avril 1998. Il les décrit comme

 15   étant des Rom qui étaient liés par des liens de parenté, un beau-père et

 16   son gendre. Il dit qu'il les avait vus plus tôt dans la même matinée à

 17   Grabanice, détenus par des soldats de l'UCK avec d'autres dans une maison

 18   serbe, et il dit qu'on les a accusés d'être des collaborateurs serbes.

 19   Il dit qu'à Jabllanice, on leur a attaché les mains derrière leur dos

 20   avec des fils de fer, il les a vus à la prison de Jabllanice, et c'est

 21   juste pendant une journée qu'on les a détenus là. Il a parlé avec Lahi

 22   Brahimaj au sujet des prisonniers, et il le décrit comme étant le principal

 23   commandant de la structure de l'UCK à Jabllanice, avec Alush Agushi. Lahi

 24   Brahimaj lui a dit qu'ils étaient envoyés à Drenica et il confirme, tout

 25   comme les Témoins 80 et 81, que cette expression signifiait qu'on allait

 26   les exécuter. L'Accusation affirme que ces deux victimes ont été tuées

 27   pendant leur temps de détention par l'UCK.

 28   La prison, d'après Kabashi, était une maison qui était utilisée comme


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  1   une caserne, qui appartenait aux parents de Lahi Brahimaj, sur la route de

  2   Zhabel, à l'extérieur du village de Jabllanice, à 500 mètres, à peu près,

  3   de la maison qui appartenait à Lahi Brahimaj. Il a fait un croquis pour

  4   montrer où se situaient la prison et la caserne. Et c'est le croquis qui a

  5   déjà été mentionné par M. Emmerson, mais nous estimons qu'il montre ce qui

  6   est déjà clair, en fait, grâce aux photographies aériennes et la déposition

  7   des autres sur l'emplacement de cet endroit.

  8   Je pense que vous avez le croquis --

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Emmerson.

 10   M. EMMERSON : [interprétation] Pour les mêmes raisons que j'ai évoquées

 11   précédemment, je vais soulever mon objection. L'Accusation ne peut pas

 12   demander le versement de ce document à ce stade.

 13   M. ROGERS : [interprétation] Cela fait partie de sa déposition, nous nous

 14   attendons à ce qu'il dise cela dans le cadre de sa déposition.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La Chambre a déjà fait des remarques

 16   quant aux modalités de versement de documents sans passer par le truchement

 17   de témoins. Fort bien de votre part de dire que vous allez montrer ceci,

 18   mais --

 19   M. ROGERS : [interprétation] Ce n'est pas nécessaire de poursuivre,

 20   Monsieur le Président. Je n'insiste pas.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur.

 22   M. ROGERS : [interprétation] Kabashi explique qu'il a montré d'autres

 23   prisonniers détenus à cet endroit lorsqu'il est allé là la première fois

 24   début avril 1998. Il décrit deux hommes, Afrim Morina et un autre qu'il

 25   appelait Idriz, dont il ne connaissait pas le nom de famille, qui étaient

 26   là détenus parce que c'étaient des espions, et Lahi Brahimaj est passé par

 27   là et les a frappés.

 28   Il parle aussi d'un autre Rom du village de Budisalc près de Kline,


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  1   qui apparemment avait été victime de brutalité et qui avait été blessé à la

  2   baïonnette, et ses blessures étaient tellement graves qu'il en est mort. Et

  3   pour ce qui est de ce qu'on peut établir de Kabashi, son seul crime c'était

  4   d'avoir sur lui un appareil photo alors qu'il allait de Budisalc à Kralan.

  5   Il ne cessait de dire que c'était pour prendre des photos de son mariage,

  6   mais on l'a frappé parce qu'on le soupçonnait de prendre des photos des

  7   positions de l'UCK.

  8   Passons maintenant aux chefs 3, 4 et 5. Ici, il y a un tel recoupement

  9   entre ces différentes dépositions que j'essaie de les séparer pour que ce

 10   soit plus clair.

 11   Parce qu'ici, il s'agit aussi de torture, traitement cruel,

 12   assassinat. Ici, donc, on a le chef 3, la victime est le Témoin 6, un

 13   Albanais du Kosovo catholique. Chef 4, les victimes, Nenad Remistar, agent

 14   de la circulation serbe, puis un Bosnien qui travaillait pour la compagnie

 15   électrique serbe Elektrokosova, trois Monténégrins dont le nom n'est pas

 16   connu. Chef 5, les victimes sont le Témoin 3, un Albanais du Kosovo; Pal

 17   Krasniqi, un Albanais du Kosovo catholique; et Skender Kuci, lui aussi

 18   Albanais du Kosovo.

 19   Parmi les victimes mentionnées par Shefqet Kabashi, il y a un homme dont il

 20   a dit qu'il avait été enlevé quelque part entre Kline et Gjakove.

 21   Apparemment, cet homme avait une Mercedes qui a été confisquée par les

 22   commandants de l'UCK à Jabllanice. Kabashi donne son prénom, son lieu de

 23   naissance, données qui sont pareilles à celles concernant le Témoin 6.

 24   Kabashi dit de lui que cet homme a été victime de brutalité. Le témoin 6,

 25   c'est un Catholique civil qui avait été enlevé le vendredi 13 juin 1998

 26   pendant qu'il était avec sa famille dans sa Mercedes Benz, sur la route de

 27   Gjakove-Kline. Il était parti de chez lui vers 11 heures 30 ce matin-là

 28   pour aller à Kline. Ils avaient traversé Grabanice, mais ils avaient, en


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  1   fait, été stoppés par des soldats serbes, donc il avait dû faire demi-tour.

  2   De retour sur la route de Gjakove, on l'arrête de nouveau, lui et sa

  3   famille, à un endroit de la route principale qui se trouve entre Gjakove et

  4   Kline, mais cette fois ce sont dix soldats de l'UCK qui l'arrêtent qui

  5   portent des vêtements dépareillés, treillis et vêtements civils. Sa voiture

  6   a été fouillée et il a été retenu le long de la route quelque deux heures.

  7   Il portait une arme, un pistolet qui a été saisi, comme l'ont été tous les

  8   papiers qu'il avait sur lui. Il dit qu'il avait un permis de port d'armes.

  9   Il a montré ce permis et que c'était une arme livrée par la police, donnée

 10   aux policiers de réserve, c'était l'arme de son père auparavant. Il avait

 11   aussi sur lui une photo de lui avec un policier albanais à la retraite en

 12   tenue. Après ces deux heures, il décrit une autre voiture qui passe par là,

 13   les soldats tirent quelques coups de feu et puis arrêtent -- amènent la

 14   voiture près de l'endroit où il était. C'était une Opel Kadett de couleur

 15   bleu clair avec une plaque minéralogique de Gjakove commençant par les

 16   lettres DJ. Les soldats ont demandé si elle a reconnu la voiture, elle dit

 17   que non. Peu de temps après, quelque 20 minutes plus tard, les soldats, le

 18   Témoin 6 et sa femme sont emmenés dans les deux véhicules, dans la Kadett

 19   et la Mercedes, en direction de Grabanice. A l'intérieur de la Kadett, il

 20   voit des photos. C'étaient des photos d'un policier qui travaillait à

 21   Gjakove qu'il connaissait sous le nom de Nenad. Nenad, il était du village

 22   du Binxh, dans la municipalité de Kline. Il travaillait à Gjakove. Le

 23   Témoin 6 pensait que Nenad était un Serbe ou un Monténégrin qui travaillait

 24   comme policier.

 25   Et l'Accusation dit que ce Nenad, c'est Nenad Remistar. C'est lui qui

 26   était le propriétaire d'une Kadett Opel - une Opel Kadett de couleur bleu

 27   clair - qui travaillait comme agent de la circulation, et c'est lui qui est

 28   la victime concernée par le chef 4 de l'acte d'accusation. Il a été enlevé


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  1   au moment où on a forcé la voiture Kadett à s'arrêter sur la route, parce

  2   que les soldats avaient tiré sur la voiture, ça s'est passé le 13 juin

  3   1998. Nenad était rentré chez lui le 13 juin 1998, vers 13 heures 30 -- ou

  4   plutôt, il avait quitté sa maison pour aller au travail. Et il devait

  5   effectivement passer par là, mais il n'est jamais rentré chez lui ce jour-

  6   là. On l'a décrit comme étant un homme aux cheveux brun clair, blond, aux

  7   yeux bleus, et rasé de près. On n'a jamais entendu parler de lui depuis.

  8   En route vers Jabllanice, le convoi s'était arrêté au village de

  9   Neople où sa femme et ses enfants ont reçu l'ordre de descendre des

 10   voitures. Le Témoin 6 n'a pas été autorisé à partir, le voyage s'est

 11   poursuivi en direction de Jabllanice. Quand ils sont arrivés à Jabllanice,

 12   le Témoin 6 a été emmené dans une pièce près de l'entrée de la propriété

 13   familiale que nous avons décrite. Au départ, a-t-il dit, on l'avait emmené

 14   dans ce bâtiment d'un seul étage en briques rouges où il avait ces quatre

 15   pièces au milieu de la cour, et il a identifié cette photographie que j'ai

 16   montrée. Ça représente en partie -- cette photo, vous avez vu l'homme qui

 17   était accroupi près de ces deux orifices.

 18   Il décrit la cave, il dit qu'il y avait de l'eau dans la cave, et il

 19   ajoute qu'il a été détenu dans ce bâtiment pendant six semaines. Il a été

 20   libéré le 25 juillet 1998.

 21   Lorsqu'on l'a fait entrer dans ce bâtiment, il a été placé dans une

 22   des pièces et frappé par des soldats jusqu'au moment où il était arrivé

 23   près de l'épuisement, a-t-il dit. Et ils se relayaient, certains le

 24   tapaient à la batte de baseball, d'autres se servaient d'autres moyens,

 25   tout ce qui pouvait leur tomber sous la main, a-t-il dit. Pendant ces six

 26   semaines, on l'a souvent frappé. Il y avait, parmi ceux qui l'ont frappé,

 27   Lahi Brahimaj, Maxhup, les autres étaient aussi Nazmi Brahimaj, son frère

 28   et son cousin Hamza. C'est eux qui commençaient les passages à tabac. Mais


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  1   le premier jour, la première nuit il l'a passée en détention dans un autre

  2   bâtiment où il s'est trouvé avec un certain Nenad qu'il avait vu dans les

  3   photographies qu'il y avait dans la voiture. Et, je pense que maintenant on

  4   peut montrer la photographie qui avait été montrée dans le premier procès

  5   où il avait indiqué l'endroit où il avait été placé en détention la

  6   première nuit, il s'agit du document de la liste 65 ter 0333. Vous voyez

  7   qu'ici on est dans ce bâtiment assez long qui se trouve à l'entrée de la

  8   propriété.

  9   Et il a dit que c'est là que Nazmi Brahimaj l'avait frappé jusqu'à ce qu'il

 10   perde conscience. Et on l'avait frappé avec une batte de baseball aux

 11   jambes et aux bras.

 12   Et puis il avait été attaché par une corde à Nenad dans la même pièce. Tous

 13   les deux ont été frappés, a-t-il dit. Il dit, je cite : "Nous sommes restés

 14   là toute la nuit. Nous avons été frappés, torturés, nous avons perdu

 15   connaissance, Nenad et moi." Nazmi et un groupe de soldats se relayaient

 16   pour les frapper. Il est resté avec Nenad 24 heures, puis Nenad a été

 17   emmené par deux soldats. Quand Nenad a été emmené, il était incapable de

 18   marcher. Il a dit que les deux, tous deux, avaient subi les mêmes

 19   blessures. Et puis on les a déménagés, après la première nuit, pour les

 20   placer dans l'autre bâtiment où il y avait quatre pièces. Ce Témoin 6 a été

 21   détenu dans cette pièce qui se trouve sur la gauche du bâtiment quand on

 22   vient de l'entrée. Il n'a pas été détenu avec Nenad. Il n'a plus revu

 23   Nenad, il ne sait pas ce qu'il lui est advenu.

 24   L'Accusation dit le récit de ce qui s'est passé, de ce qui est arrivé à

 25   Nenad Remistar est repris par le Témoin 81. Il décrit, celui-ci, le retour

 26   à Jabllanice quelque trois semaines après le moment de l'oreille coupée.

 27   L'Accusation dit que ceci correspond à l'enlèvement de Nenad Remistar, le

 28   13 juin 1998. Il dit qu'il avait été envoyé à la prison à Jabllanice, il


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  1   devait emmener deux Rom et un Albanais, des prisonniers, à Novo Selo où il

  2   y avait une autre prison de l'UCK. Il avait un ordre qu'il devait donner à

  3   Lahi Brahimaj, ce qu'il a fait. Et il a vu les trois prisonniers qu'il

  4   avait vus et il s'était dit qu'ils n'étaient pas trop mal en point. Il a

  5   ajouté qu'il avait, en tout, 15 prisonniers. Il était là lorsque Lahi

  6   Brahimaj a interrogé et frappé un policier appelé Nenad qui avait des

  7   cheveux blonds. Il l'a fait interrogé à propos des patrouilles, des postes

  8   de contrôle, il avait les mains ligotées dans le dos et il avait été frappé

  9   par Lahi sur tout le corps avec une batte de baseball. Et, déjà, il ne

 10   pouvait plus marcher avant l'interrogatoire.

 11   Le Témoin 81 a emmené ces trois prisonniers à Novo Selo, dans une

 12   prison de fortune qui se trouvait dans une église, et puis il a emmené ces

 13   prisonniers ailleurs, il est revenu le lendemain et il s'est rendu compte

 14   que le policier et les deux autres policiers serbes qui avaient été détenus

 15   dans la cave qui faisait fonction de prison étaient tous partis. Il n'a pas

 16   demandé à Maxhup ce qui s'était passé, ce qu'on avait fait d'eux, mais il a

 17   compris qu'ils avaient tous été tués, il ne fallait pas d'explications.

 18   Revenons au Témoin 6. Lui, il n'avait pas été détenu dans la cave, il

 19   avait été détenu dans les pièces. Pendant les quatre premières semaines, a-

 20   t-il dit, il était détenu dans cette pièce et il n'a vu que ceux qui

 21   étaient venus le torturer. Difficile de faire la différence entre la nuit

 22   et le jour parce qu'il était enfermé, interné dans cette pièce, frappé, on

 23   ne le laissait pas sortir, la fenêtre avait été condamnée avec des planches

 24   de bois, on lui donnait un bout de pain et de confiture à manger, un petit

 25   peu d'eau, de l'eau sale qui se trouvait dans des bocaux. Il était malade,

 26   souvent inconscient. On lui avait pris sa montre, il était pratiquement nu.

 27   Il ne pouvait pas dire combien il avait eu d'assaillants car ils étaient

 28   trop nombreux. Pendant les deux semaines d'après, il avait un peu plus de


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  1   liberté de mouvement, il a reçu quelque chose d'un peu mieux à manger, il a

  2   pu manger du pain et des haricots. Après quelque deux semaines de

  3   détention, quatre autres prisonniers ont été emmenés, un Bosniaque et trois

  4   Monténégrins.

  5   Alors on ne sait pas trop ici de quelle période on parle, on ne sait

  6   pas trop où ces six semaines se situent. Est-ce qu'il a eu un peu plus de

  7   liberté de mouvement pendant les premières ou les dernières semaines, mais

  8   vous verrez en temps utile, quand il viendra déposer, au fond, il relate le

  9   fait qu'il a eu de plus en plus de liberté et il dit que, pendant la

 10   période de sa détention, quatre autres prisonniers, un Bosniaque et trois

 11   Monténégrins, sont arrivés. 

 12   Le Bosniaque, c'était un Musulman qui travaillait à Decan, dans

 13   l'entreprise Elektrokosova, et les quatre nouveaux prisonniers, le

 14   Bosniaque et les trois Monténégrins, ont passé quelque trois jours avec le

 15   Témoin 6, selon les dires de celui-ci. Celui-ci relate que ces quatre

 16   hommes ont été frappés avec des battes de baseball pendant ces trois jours,

 17   poignardés, leurs vêtements étaient couverts de sang, on leur donnait des

 18   coups de poignard d'un centimètre de profondeur. Ils étaient sanguinolents,

 19   il y avait du sang qui giclait, il y avait du sang partout sur le sol. Et

 20   il dit que pendant ces passages à tabac, Nazmi Brahimaj et Hamza étaient

 21   présents.

 22   Vers 22 heures, le troisième jour, les quatre hommes furent emmenés.

 23   Il ne les a plus jamais revus. Lorsque l'homme qui travaillait à

 24   Elektrokosova a été tabassé, des soldats lui ont dit : "Mais tu travailles

 25   pour la Serbie, tu travailles pour Elektrokosova, et tu fais des coupures

 26   de courant tout le temps." C'est ce qui lui a été dit pendant tout le temps

 27   où il était tabassé par l'UCK.

 28   Pendant tout le temps de sa détention, le Témoin 6 a vu Lahi Brahimaj


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  1   de façon continue et régulière. Quand on lui a demandé ce que ça voulait

  2   dire, il a répondu ceci, je cite : "Mais il n'y avait pas deux jours qui se

  3   passaient sans qu'on le voie, Lahi Brahimaj."

  4   Et puis, il décrit les trois hommes qui venaient le passer régulièrement à

  5   tabac avec des battes de baseball et en lui donnant des coups de poing :

  6   "Pendant les deux premières semaines, je ne savais plus où se trouvait mon

  7   visage, où était mon cou. J'étais tellement tuméfié partout à cause des

  8   coups qu'on me donnait.

  9   Et ils ont aussi envoyé d'autres pour rouer les prisonniers de coups.

 10   Ils n'étaient pas tous là en même temps, Lahi, Nazmi et Hamza. On lui a

 11   posé des questions à propos de ses conditions de détention, et il a dit :

 12   "Eh bien, pendant les trois premières semaines, il n'y avait rien dans la

 13   pièce, rien au sol, aucune couverture, rien."

 14   Il dit que deux semaines avant d'être relâché, il avait un peu plus de

 15   liberté. Il pouvait aller dans le village, a-t-il dit. Et trois autres

 16   personnes ont été amenées, notamment un Albanais de Zahaq, qu'on avait

 17   amené dans le coffre d'une voiture, dans une Mercedes de couleur

 18   métallisée. D'après l'Accusation, cet homme a été battu et torturé à mort.

 19   A l'arrivée de cet homme, qui était arrivé dans le coffre de la voiture, on

 20   l'a sorti du coffre et on l'a frappé. Et quand je dis "on", je parle de

 21   Nazmi Brahimaj, de Lahi Brahimaj et d'autres. Il dit qu'il a fini par être

 22   envoyé pour être soigné, cet homme, mais qu'il est mort quand même. Il

 23   avait été détenu dans une autre pièce que celle où était détenu le Témoin

 24   6. Il avait été frappé par Nazmi et Hamza. L'Accusation dit que cet homme,

 25   l'homme qui était de Zahac et qui est arrivé dans le coffre de la voiture,

 26   c'était Skender Kuci, une victime mentionnée au chef numéro 5.

 27   Plus tard, on a amené deux autres prisonniers, Pal Krasniqi,

 28   mentionné aussi au chef numéro 5, qui était en vêtements sportifs, il avait


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  1   un survêtement bleu. Le Témoin 6 s'est vu présenter une photographie de Pal

  2   Krasniqi et l'a reconnu comme étant un des hommes qui avaient été amenés.

  3   C'était un Catholique. L'autre homme qui est arrivé en même temps, c'est,

  4   d'après l'Accusation, le Témoin 3, autre victime mentionnée au chef 5.

  5   Ces deux hommes, Pal Krasniqi et le Témoin 3, ainsi que Skender Kuci,

  6   ont été tous placés dans une seule pièce. Le Témoin 6 dit avoir vu Pal

  7   Krasniqi et l'autre homme, Skender Kuci, subir des coups de batte de

  8   baseball. Ils étaient dans un état horrible, a-t-il dit. Il n'a pas vu le

  9   moment où on a frappé le Témoin 3. Pal Krasniqi et Skender Kuci n'ont cessé

 10   d'être frappé le deuxième jour de leur détention. Le Témoin 6 dit que le

 11   Témoin 3 a essayé de prendre la fuite. Il a pu le faire, mais pas les deux

 12   autres, et on ne pouvait pas marcher assez vite, on les a rattrapés et ils

 13   ont été de nouveau battus et torturés. C'est Hamza Brahimaj qui l'a fait.

 14   Skender Kuci a été emmené à Irzniq mais Pal Krasniqi est resté là. Et,

 15   pendant que l'autre homme était présent, le Témoin 6 dit de lui qu'il était

 16   allongé par terre, les yeux fermés, et il a dit : "Il était gros, mais il

 17   était tout tuméfié à cause des coups qu'il avait reçus, alors ses yeux, il

 18   ne pouvait plus les ouvrir, il était tout gonflé. Il était gros mais à

 19   cause des coups reçus, il a dit, je cite : "J'ai pensé qu'il était trop

 20   petit pour ses vêtements à cause des coups et des gonflements qu'il avait

 21   subis."

 22   Le Témoin 6 a dit de Pal qu'il avait été sévèrement battu et qu'il

 23   lui était impossible de boire ou de manger. Le Témoin 6 se souvient avoir

 24   été relâché le 25 juillet 1998. Il a vu Pal Krasniqi peu de temps avant de

 25   quitter Jabllanice. Il dit qu'il était tuméfié. "Il crachait du sang. Il

 26   était par terre, je lui ai apporté un petit peu d'eau, et il est resté

 27   comme ça pendant toute une semaine. C'est à ce moment-là que j'ai été

 28   relâché. Moi, je suis parti de là. Je ne sais pas ce qui lui est advenu."


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  1   Il ne l'a plus jamais revu, et il ne savait pas pourquoi cet homme avait

  2   été emprisonné.

  3   Le corps de Pal Krasniqi a été retrouvé dans le canal du lac Radoniq

  4   par des enquêteurs serbes vers la date du 8 septembre 1998. C'est le corps

  5   étiqueté R9. Une autopsie a été réalisée et la cause du décès établit

  6   plusieurs blessures causées par arme à feu à la tête, au thorax et aux

  7   bras.

  8   Le témoin n'a jamais expliqué pourquoi lui, il avait été emprisonné,

  9   mais je crois que c'était Me Harvey qui avait contre-interrogé ce témoin

 10   pendant le premier procès, et on lui posait des questions pendant qu'on le

 11   frappait, et on lui avait demandé s'il devait rester en compagnie de

 12   Serbes. Le témoin a ajouté : "Oui, ils m'ont accusé de passer du temps avec

 13   les Serbes." D'autres questions lui furent posées, et il a répondu : "Lahi

 14   et Nazmi ont dit -- oui, ils m'ont accusé, Nazmi aussi, ils m'ont accusé de

 15   rester avec les Serbes."

 16   Le Juge Orie avait posé des questions et le témoin a répondu ceci, je cite

 17   : "Ce soir-là, quand ils ont posé toutes ces questions et ils ont continué

 18   de me torturer. Et puis les soldats sont venus et m'ont dit : Mais toi, tu

 19   es un espion pour la Serbie." Et il a expliqué, lui qui était Catholique,

 20   qu'il n'était pas considéré par eux comme étant comme un Albanais. Quand il

 21   a été relâché, on lui a donné des documents disant que l'état-major de la

 22   sous-zone de Dukagjin avait ordonné confiscation de son arme et de sa

 23   voiture. La signature était celle de Nazmi Brahimaj, commandant en second.

 24   De plus, il avait un document disant que lui, "l'accusé", était

 25   relâché de façon provisoire par l'état-major de la sous-zone et que s'il

 26   répétait ses "erreurs", il serait poursuivi. Il ne savait pas quelles

 27   erreurs il avait faites.

 28   Il a confirmé que Lahi Brahimaj et son frère n'avaient cessé de le


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  1   maltraiter, de lui faire subir de mauvais traitements. Effectivement, la

  2   Chambre a estimé que Lahi Brahimaj avait participé personnellement à ce

  3   crime de torture et de traitements cruels. Elle l'avait condamné à

  4   l'avenant.

  5   M. HARVEY : [interprétation] Je dois vous avertir que la Défense de Lahi

  6   Brahimaj fait objection à l'utilisation de toute référence à des

  7   condamnations déjà prononcées. Vous l'avez déjà dit à de nombreuses

  8   reprises, c'est un procès de novo. Si l'Accusation veut s'appuyer sur des

  9   condamnations, nous voulons réagir, parce que je crois que ceci serait tout

 10   à fait contraire à la jurisprudence établie par le Tribunal.

 11   M. ROGERS : [interprétation] J'avais déjà, à l'avance, averti Me Harvey. Je

 12   voulais parler de ces condamnations. Et, malheureusement, il n'avait pas

 13   réagi. De toute façon, le dossier est établi, il y a ces condamnations,

 14   mais parler de la valeur en tant que preuve que ceci peut avoir, mais nous

 15   en parlerons en temps utile.

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous avez terminé, Maître Harvey ?

 17   M. HARVEY : [interprétation] Une simple précision. Je crois que j'avais été

 18   parfaitement clair envers M. Rogers. Je suis surpris de sa surprise.

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Poursuivez, Monsieur Rogers.

 20   M. ROGERS : [interprétation] Je poursuis.

 21   Lorsque arrive la date du 25 juillet 1998, et après que Ramush Haradinaj

 22   ait été nommé commandant le 23 juin 1998, la zone de Dukagjin avait été

 23   organisée avec à sa tête le commandant Haradinaj. Lahi Brahimaj avait été

 24   au départ nommé commandant en second, mais à la date du 25 juillet 1998,

 25   Ramush Haradinaj l'avait remplacé. C'était Nazmi Brahimaj qui avait repris

 26   sa place, ce qui explique la signature qu'on trouve sur le document dont

 27   parlait le témoin, signature de Nazmi Brahimaj.

 28   Après avoir subi ces assauts, le témoin dit qu'il a toujours des problèmes


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  1   au bras gauche et il a mal aux reins.

  2   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je voudrais maintenant en

  3   parler un peu plus du Témoin 3, Skender Kuci, et Pal Krasniqi.

  4   Le Témoin 3 était un membre du LDK, c'est-à-dire un parti politique

  5   qui soutenait Ibrahim Rugova, qui était le dirigeant du LDK, et qui était

  6   en faveur d'une solution pacifique à la situation au Kosovo à l'époque. Le

  7   Témoin 3 était un garde villageois à Grabanice, et c'est à ce moment-là,

  8   c'est-à-dire lorsque les Serbes ont mené une attaque contre le village, et

  9   cela se passait donc le 19 mai 1998. Le 21 mai, il a dû se retirer du

 10   village de Jabllanice. Il a traversé Gllogjan, et en chemin il a rencontré

 11   Lahi Brahimaj. Il était très en colère. Il dit Alush Agushi l'accusait

 12   d'avoir été un traître en ayant abandonné son poste.

 13   Dans sa déposition dans le procès Limaj, Shefqet Kabashi a décrit

 14   comment les villageois de Grabanice s'étaient enfuis suite aux

 15   bombardements en direction de Gllogjan, c'est-à-dire le village catholique

 16   de Gllogjan. Il a décrit comment les dirigeants et il les a décrit comme

 17   étant Lahi Brahimaj et Alush Agushi, qui était un autre membre de l'UCK. Il

 18   a demandé donc aux villageois pourquoi ils s'étaient enfuis, pourquoi ils

 19   avaient quitté le village. Il a expliqué :

 20   "A ce moment c'était très difficile de partir de chez soi."

 21   Et on lui demandait ce qu'il entendait par là, il a répondu :

 22   "Mais parce que les temps étaient difficiles, il était difficile de

 23   partir de chez soi. Il était préférable de rester chez soi et dans ce cas-

 24   là de se faire tuer, plutôt que de s'enfuir."

 25   Le Témoin 3 a séjourné pendant environ une semaine à Jabllanice. Il a pas

 26   mal bougé. Il est resté donc à Jabllanice jusqu'au 31 mai. Ensuite, il a

 27   logé dans une maison à Zhabel dont le propriétaire s'appelait Tal Zekha.

 28   Très rapidement, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je


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  1   voudrais passer en audience à huis clos partiel, et ensuite nous pourrons

  2   revenir en audience publique.

  3   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Allons-y.

  4   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

  5   [Audience à huis clos partiel]

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 24   [Audience publique]

 25   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Madame la Greffière d'audience.

 26   Oui, Monsieur Rogers.

 27   M. ROGERS : [interprétation] Un autre homme étant également présent chez

 28   Tal Zekha. Il avait été forcé également de quitter Grabanice le 21 mai


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  1   suite à l'attaque serbe. Les soldats de l'UCK sont venus chercher cet autre

  2   homme, et l'autre homme a été forcé de partir de cet endroit par les

  3   soldats de l'UCK qui l'ont battu et lui ont donné des coups de pied.

  4   L'autre homme a été emmené dans un autre lieu par quelqu'un s'appelait

  5   Fadil Fazliu. L'Accusation montre qu'il s'agissait d'un membre de l'UCK, et

  6   un autre membre de l'ECC. Il portait un uniforme noir, et a proféré des

  7   insultes à l'autre homme et à Fazliu.

  8   Lahi Brahimaj a commencé à partir à la recherche du Témoin 3 aux environs

  9   du 30 juin 1998. Lahi est réapparu à la maison de Tal Zekha, et a demandé

 10   au Témoin 3 d'aller en voiture avec Lahi à Jabllanice. Le véhicule qu'il a

 11   utilisé était une Mercedes qui, d'après ce qu'on lui a dit, appartenait à

 12   Skender Kuci. Lahi a emmené le Témoin 3 à ce qu'il appelait le QG de

 13   l'état-major à Jabllanice, où il y avait une prison. Le Témoin 3 a

 14   identifié cette photo comme l'endroit où il a été détenu. Et je pense qu'il

 15   n'y a aucun problème à appeler cette photo "la prison de Jabllanice",

 16   puisque c'est ainsi que le témoin l'a identifié. Il a dit qu'il avait été

 17   prisonnier dans ce bâtiment qui est à droite sur la photo.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous n'avons pas de photo.

 19   M. ROGERS : [interprétation] Désolé.

 20   Voilà, nous y sommes. Il a dit qu'il était détenu dans le bâtiment qui

 21   était à droite sur la photo.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Maître Harvey.

 23   M. HARVEY : [interprétation] Je sais qu'en général qui ne dit, consent,

 24   mais j'ai cependant une objection. Et je vous prie de m'excuser de vous

 25   interrompre, mais je ne voudrais pas que l'on décrive plus en détail, ou

 26   que l'on donne en fait des définitions à des bâtiments qui sont sur cette

 27   photo.

 28   M. ROGERS : [interprétation] Très bien.


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  1   Donc, le témoin décrit avoir été détenu dans le bâtiment qui est à droite

  2   sur la photo. Le Témoin 3 a dit qu'il a été battu par des personnes qui

  3   utilisaient des battes de baseball, et qu'il a perdu conscience. Il dit

  4   qu'il a été détenu pendant deux nuits et trois jours. Il dit que Nazmi

  5   Brahimaj était un des attaquants qui l'a roué de coups, il a donné des

  6   coups de pied. Les autres attaquants ont donné des coups à Skender Kuci et

  7   à l'autre homme. Ils étaient grièvement blessés. Il a décrit les conditions

  8   de l'autre homme, que l'Accusation avance comme étant Pal Krasniqi. Il dit

  9   :

 10   "Il a été roué de coups, laissant son corps tuméfier de la tête aux pieds.

 11   Il ne pouvait plus marcher seul, et il urinait dans son pantalon."

 12   A un moment donné, le Témoin 3 a décrit une situation où il a été

 13   emporté dans une autre pièce par rapport à celle où il avait été roué de

 14   coups. Il a comparu devant Lahi Brahimaj, qui l'a accusé de soutenir la

 15   police serbe. Il y avait deux femmes dans la pièce. Lahi leur a dit de

 16   s'exercer sur lui, et les femmes ont commencé à le rouer de coups. Cela a

 17   duré cinq à dix minutes. Lahi ensuite a dit : J'ai un revolver. Et il a dit

 18   au Témoin 3 qu'il devrait l'utiliser pour le tuer. Un autre homme dans la

 19   pièce a dit au Témoin 3 de tout avouer. Il a dit : "Je vous couperai la

 20   gorge, et ensuite vous devrez vraiment devoir tout avouer." Le Témoin 3 a

 21   dit qu'il avait donc décidé de s'enfuir.

 22   Il est reparti dans l'autre pièce, et il a décidé que c'était le

 23   moment de s'enfuir. Il s'est évadé par le biais d'une fenêtre, et il n'a

 24   pas revu ni Skender Kuci, ni l'autre homme, c'est-à-dire Pal Krasniqi.

 25   Vous devriez avoir une photo, n'est-ce pas ? Très bien.

 26   Le témoin a apporté des annotations durant le premier procès, il a dit que

 27   la pièce sur la droite était la pièce d'où il s'était enfui, et vous avez

 28   l'annotation SK, pour Skender Kuci, et pour ce qui est de la pièce qui est


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  1   à gauche, qui porte la lettre L, il s'agit donc de la pièce où il a

  2   retrouvé Lahi Brahimaj et où il a été roué de coups.

  3   Il s'est enfui du bâtiment et il est parti en direction de ce que

  4   l'Accusation décrit comme étant un cours d'eau, qui est au bout de cette

  5   enceinte, et il s'est évadé. Il dit que Skender Kuci l'a suivi, mais que

  6   lui n'est pas arrivé à s'enfuir.

  7   Après s'être enfui, c'est-à-dire quelque temps plus tard, il a revu Lahi

  8   Brahimaj. Lahi Brahimaj l'a emmené chez lui, c'est-à-dire la maison de

  9   Lahi, et il a accusé celui-ci que Skender Kuqi lui avait promis 10 000

 10   deutsche marks pour l'aider à s'évader. Lahi a donné des claques au Témoin

 11   3 sur le visage et l'a forcé à rentrer dans le coffre de la Mercedes. Lahi

 12   est monté à bord du véhicule, a conduit le véhicule. A un moment donné, il

 13   a arrêté le véhicule, il a ouvert le coffre, et a fait semblant de procéder

 14   à une exécution, c'est ainsi que l'Accusation décrit les faits. Lahi a

 15   sorti un pistolet et a demandé au Témoin 3 d'appuyer sur la gâchette. Le

 16   Témoin 3 a dit oui. Lahi a ouvert le feu. Le Témoin 3 a vu une flamme

 17   sortant du pistolet, et il a ressenti une douleur, mais il s'est rendu

 18   compte qu'il n'avait pas été tué. Lahi Brahimaj a ensuite refermé le coffre

 19   et a continué son chemin en direction de Gllogjan, c'est-à-dire du domicile

 20   de Ramush Haradinaj.

 21   Kabashi décrit également avoir vu Skender Kuci et Pal Krasniqi, qu'il

 22   connaissait, il déclare les avoir vus à Jabllanice, c'était en juin ou en

 23   juillet 1998. Et d'ailleurs, autour du 10 juillet, Pal Krasniqi s'était

 24   rendu à Jabllanice pour rejoindre les rangs de l'UCK. Il avait déjà

 25   travaillé pendant quelques jours, et ensuite il a été arrêté comme étant

 26   accusé d'être un espion et a été détenu à la prison de Jabllanice. Skender

 27   Kuci a été enlevé de son domicile à Zahac, qui était également le village

 28   natal de Kabashi, il a été emmené dans l'enceinte de Jabllanice, dans sa


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  1   propre Mercedes, et il a été battu et détenu là-bas.

  2   Kabashi a vu Skender Kuci là-bas et Lahi Brahimaj a parlé de Kabashi de

  3   Kuci, et il lui a dit que c'était un gros bonnet, ce qui signifie, selon

  4   lui, que c'était un espion serbe. Kabashi a dit que ce n'était pas le cas.

  5   Lahi, donc, a dit que Skender avait travaillé pour les services secrets

  6   serbes. Kabashi a également vu Pal Krasniqi, qui semblait avoir très peur.

  7   Krasniqi lui a dit qu'il avait admis avoir été un espion sous la torture

  8   afin d'arrêter la torture. Il a dit qu'il avait rejoint l'UCK à Jabllanice,

  9   mais après quelques jours il avait été accusé d'être un espion et il avait

 10   été emprisonné. Kabashi est rentré chez lui ce jour-là et a parlé à sa

 11   famille de l'état de ces deux hommes. Lorsqu'il est revenu le lendemain,

 12   Skender Kuci était en très mauvais état, et son ventre était très gonflé.

 13   Il a demandé à ceux qui a emprisonné l'homme ce qui s'était passé. Il a dit

 14   que Skender et un homme de Grabanice avaient essayé de s'enfuir.

 15   Il semble, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, d'après les éléments

 16   de preuve, que le commandant de la sous-zone de l'UCK, Rrustem Tetaj, avait

 17   été au courant de la détention de Kuci, avait informé M. Haradinaj, et

 18   ensemble ils se sont rendus à Jabllanice afin d'obtenir la libération

 19   immédiate de Skender Kuci. Haradinaj a parlé à Nazmi Brahimaj, d'après

 20   Rrustem Tetaj, qui avait répondu que Kuci avait essayé de s'évader et qu'il

 21   avait été légèrement blessé, et qu'il serait libéré dès qu'il se serait

 22   remis de ses blessures. Haradinaj leur a ordonné de l'envoyer à l'hôpital,

 23   mais il est mort de ses blessures, et son corps a été enterré à proximité

 24   de la mosquée du cimetière de Jabllanice, et il a été ensuite exhumé. Dans

 25   un rapport de l'OMPF, on fait état de nombreuses fractures qu'il aurait

 26   subies.

 27   Kabashi fournit peu d'informations supplémentaires quant aux responsables

 28   de ces exactions. Il dit qu'en général, ceux qui battaient les prisonniers


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  1   étaient Lahi Brahimaj, un homme appelé Bandash, Pjeter Shala, répondant

  2   également au nom d'Ujku; Idriz Balaj, et deux autres personnes. Deux

  3   témoins protégés vont corroborer la thèse de l'Accusation et ce qu'a dit M.

  4   Kabashi, ou du moins dans une certaine mesure, puisque ces témoins

  5   expliqueront comment Jah Bushati a été détenu à la prison de Jabllanice aux

  6   environs du printemps 1998, et qu'il a fait l'objet d'actes de maltraitance

  7   extrêmes alors qu'il était en détention, tant est si bien qu'il pouvait à

  8   peine marcher. Et lui, à l'instar d'autres victimes dans cette affaire, a

  9   été détenu et a été maltraité par l'UCK à Jabllanice car il était soupçonné

 10   d'être un collaborateur serbe.

 11   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je regarde l'horloge. Je crois

 12   que c'est le moment de faire la pause, n'est-ce pas, si c'est le moment

 13   opportun.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Tout à fait.

 15   Nous allons faire la pause, et nous reviendrons à moins le quart.

 16   --- L'audience est suspendue à 17 heures 16.

 17   --- L'audience est reprise à 17 heures 45.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur Rogers.

 19   M. ROGERS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 20   Je voudrais passer maintenant au chef numéro 6. Il s'agit d'un chef

 21   d'accusation qui parle de torture, et je voudrais parler donc de ces

 22   aspects de torture et de traitement cruel.

 23   Je voudrais revenir donc à la détention de la victime à Jabllanice. Il a

 24   été donc détenu par l'UCK, et l'Accusation avance que c'est parce qu'il

 25   était un supporteur du LDK, c'est-à-dire Ibrahim Rugova, son dirigeant, et

 26   il avait refusé donc d'obéir. Lahi Brahimaj, Nazmi Brahimaj et Alush Agushi

 27   lui ont donné une liste de noms reprenant les membres du LDK et, sur cette

 28   liste, il y avait également le nom de son neveu Riza. Et ils lui ont


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  1   demandé de tuer tous ceux qui figuraient sur la liste, parce que de toute

  2   façon personne ne le soupçonnerait d'avoir fait cela.

  3   La victime a donc fui son propre village avec d'autres villageois suite à

  4   l'attaque serbe contre Grabanice le 19 mai 1998. L'UCK, y compris Lahi

  5   Brahimaj, a accusé les hommes issus de Grabanice d'être des traîtres parce

  6   qu'ils n'avaient pas défendu leurs positions contre l'attaque menée par les

  7   Serbes. Lorsque je dis "il dit", je parle en fait du Témoin 3, qui a fait

  8   valoir ces arguments.

  9   Vers la fin du mois de mai 1998, la victime a dit qu'il a été kidnappé

 10   alors qu'il se trouvait dans une maison à Zhabel, conformément à un ordre

 11   ou un mandat d'arrêt signé par Ramush Haradinaj. Et, selon le témoin, il a

 12   vu Ramush Haradinaj. Il dit qu'il a vu Pjeter Shala, connu également sous

 13   le nom d'Ujku ou le loup, ainsi qu'Arbnor Zejneli, ainsi que d'autres

 14   membres de l'UCK qui avaient participé à son enlèvement, enlèvement durant

 15   lequel la victime a été rouée de coups et a été accusée d'être un traître.

 16   Il a été emmené à Jabllanice, où il a vu d'autres villageois, environ une

 17   vingtaine, issus de Grabanice, qui avaient également été forcés de se

 18   rendre à Jabllanice. Lahi Brahimaj a proféré des insultes aux villageois

 19   qui étaient regroupés dans la cour. Il leur a dit que : si vous n'allez pas

 20   libérer votre village, nous allons vous tuer et vous n'aurez plus aucun

 21   endroit pour vous rendre au Kosovo. La victime a décrit les autres

 22   dirigeants de l'UCK, tels que Ramush Haradinaj, Nazmi Brahimaj, Alush

 23   Agushi, Naser Brahimaj, et Gani Brahimaj étaient également présents. Lahi

 24   Brahimaj a demandé aux villageois de rentrer au village et de faire sortir

 25   les Serbes. Certains ont appelé Lahi "oncle", de façon à ce qu'ils aient la

 26   vie sauve, mais Lahi leur a dit : Il n'y a pas d'oncle ici pour vous.

 27   Durant cette période dans la cour, Lahi Brahimaj a présenté Ramush

 28   Haradinaj aux personnes qui étaient rassemblées comme étant le commandant


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  1   Ramush Haradinaj.

  2   M. EMMERSON : [interprétation] Je suis désolé de vous interrompre. Je

  3   voudrais demander à M. Rogers de vérifier si à la page 69, ligne 1, il

  4   voulait vraiment dire le Témoin 3, ou il ne parlait pas de quelqu'un

  5   d'autre.

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Rogers, c'est à vous.

  7   M. ROGERS : [interprétation] Oui, je voulais bien dire le Témoin 3, puisque

  8   je parlais des personnes à Grabanice qui avaient été mentionnées comme

  9   étant des traîtres.

 10   M. EMMERSON : [interprétation] Mais est-ce que l'on pourrait préciser que

 11   l'origine de la déposition qui est résumée ici n'est pas le Témoin 3, mais

 12   que l'allégation qui est résumée ici porte sur le chef numéro 6 et qu'elle

 13   ne découle pas du Témoin 3.

 14   M. ROGERS : [interprétation] C'est exact.

 15   M. EMMERSON : [interprétation] Oui, mais on ne parle pas ici de -- la

 16   victime ne correspond pas au Témoin 3.

 17   M. ROGERS : [interprétation] Oui, tout à fait. Cette partie faisait

 18   référence au Témoin 3 de façon à -- j'avais mentionné ceci pour qu'on soit

 19   sûr que tout le monde comprenne bien cela et que je parlais bien de ce

 20   témoin.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Très bien. Merci.

 22   M. ROGERS : [interprétation] Est-ce que cela répond à vos attentes ?

 23   M. EMMERSON : [interprétation] Oui, tout à fait.

 24   M. ROGERS : [interprétation] Oui, je disais que M. Brahimaj avait présenté

 25   Ramush Haradinaj comme étant le commandant. Ils étaient assis dans le mess

 26   de la caserne et les villageois se trouvaient dans la cour. Et il dit que

 27   M. Haradinaj a averti les villageois qu'ils ne pouvaient pas quitter le

 28   Kosovo, à moins qu'ils commencent par libérer leur village des Serbes. Les


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  1   villageois ont quitté la cour après un certain temps. Et la victime,

  2   cependant, est restée à Jabllanice pendant une courte période avant d'être

  3   elle-même libérée. Mais il n'a pas été libéré pendant très longtemps. Il

  4   faut en fait relier cette partie de l'histoire à d'autres parties de

  5   l'histoire que l'on a entendues jusqu'à présent.

  6   La victime dit qu'à la fin du mois de juin ou au début du mois de

  7   juillet 1998, quatre soldats de l'UCK l'ont arrêté sur la route allant de

  8   Kosuriq au village catholique de Gllogjan. Ils l'ont menotté, ils l'ont

  9   placé dans le coffre d'un véhicule et ils l'ont transporté à Jabllanice. A

 10   Jabllanice, la victime a vu Ramush Haradinaj, Balaj, Lahi, ainsi que Nazmi

 11   Brahimaj et d'autres. Mais, à ce moment-là, Lahi Brahimaj lui a permis de

 12   rentrer chez lui et lui a dit qu'il devrait revenir dès que celui-ci,

 13   c'est-à-dire Lahi Brahimaj, lui demanderait de revenir.

 14   Quelque temps plus tard, c'est-à-dire entre la mi-juillet et août 1998, la

 15   victime a déclaré qu'il avait été arrêté encore une fois, et ceci fait

 16   partie du sujet principal du chef numéro 6. Lahi et Nazmi Brahimaj, et

 17   d'autres membres de l'UCK, l'ont enlevé alors qu'il se trouvait à

 18   Grabanice. Il dit qu'ils lui ont attaché les mains avec des fils, ils l'ont

 19   jeté dans le coffre d'une voiture et l'ont acheminé en direction de

 20   Jabllanice. Lahi Brahimaj a menacé la victime de l'exécuter s'il n'oubliait

 21   pas Ibrahim Rugova. Lahi Brahimaj a appelé Haradinaj et lui a dit de venir

 22   à Jabllanice parce qu'ils avaient arrêté la victime. La victime a dit

 23   qu'elle avait vu à Jabllanice Haradinaj, Balaj, Alush Agushi.

 24   Haradinaj a donné l'ordre de passer à tabac la victime. Il a dit : C'est

 25   vous qui l'avez amené, alors continuez à faire votre boulot.

 26   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

 27   M. EMMERSON : [interprétation] Je ne voudrais pas que les Juges de cette

 28   Chambre soient victimes d'un malentendu. Je ne sais pas si on devrait


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  1   passer à huis clos partiel. Je voudrais savoir si vous savez exactement de

  2   quel témoin il s'agit.

  3   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui.

  4   M. EMMERSON : [interprétation] Oui, en fait, parce que vous pourriez penser

  5   qu'il s'agit en fait de faits relatés par plusieurs victimes, alors qu'il

  6   s'agit en fait de faits relatés par une seule victime mais qui reprennent

  7   plusieurs chefs d'accusation.

  8   M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

  9   M. ROGERS : [interprétation] Je ne pensais pas que vous aviez cette

 10   impression, mais si vous l'aviez, je pense que ceci a été, de toute façon,

 11   rectifié.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

 13   M. ROGERS : [interprétation] Donc, je disais qu'à Jabllanice, la victime a

 14   dit qu'il avait vu Haradinaj, Balaj, Alush Agushi. La victime a dit :

 15   Haradinaj a donné l'ordre de ruer de coups la victime et il leur a dit :

 16   C'est vous qui l'avez amené ici, alors continuez à faire votre travail. La

 17   victime dit : Lahi Brahimaj, Nazmi Brahimaj, ainsi que d'autres soldats de

 18   l'UCK, y compris un qui s'appelait Bandash, ont roué de coups la victime.

 19   La victime dit qu'elle a reçu des coups de pied et qu'elle a été frappée

 20   avec des bâtons en bois et des battes de baseball.

 21   La victime dit que Balaj l'a menacé avec un pistolet qu'il a placé

 22   sur sa tempe et lui a dit : Je n'ai jamais battu qui que ce soit, je suis

 23   ici pour les tuer. Haradinaj a contrôlé la scène où la victime était passée

 24   à tabac. Il arrêtait et recommençait. La victime a été frappée. Après avoir

 25   été battue, la victime a été jetée dans un sous-sol rempli d'eau, dans un

 26   bâtiment composé de quatre pièces, et il a été battu régulièrement dans la

 27   cour. Suite à la détention dans ce sous-sol, Lahi Brahimaj a interrogé la

 28   victime. Quand il s'est rendu compte qu'on pouvait l'utiliser, c'est-à-dire


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  1   qu'il pouvait faire la cuisine, Lahi Brahimaj l'a forcé à travailler dans

  2   la cuisine à Jabllanice, dans ce lieu de détention.

  3   Quelques semaines plus tard, la victime est finalement arrivée à

  4   s'échapper de Jabllanice durant une attaque serbe qui allait se produire.

  5   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, pour conclure mes remarques

  6   liminaires, l'Accusation avance qu'après avoir considéré tous les éléments

  7   dans cette affaire et après avoir entendu toutes les opinions des parties,

  8   je suis sûr que vous serez convaincus ou, du moins, vous serez convaincus

  9   au-delà de tout doute raisonnable que chacun des accusés est coupable des

 10   crimes figurant dans cet acte d'accusation.

 11   Ceci conclut donc mes remarques liminaires.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur Rogers.

 13   Monsieur Emmerson, avant de commencer, je vois que M. Harvey s'est levé.

 14   M. HARVEY : [interprétation] Pour une seule raison, Monsieur le Président.

 15   C'est parce que je suis surpris. Normalement, au début d'un procès, on

 16   informe les Juges, et je sais que vous le savez pertinemment, il faut

 17   déterminer les chefs qui concernent tel ou tel accusé, et vous savez que M.

 18   Brahimaj n'est accusé que des chefs 1, 2, 4 et 6, n'a pas été dit pendant

 19   le propos liminaire de l'Accusation, et je pense qu'il fallait le préciser

 20   pour que ceci soit consigné au dossier.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La Chambre connaît l'acte

 22   d'accusation. Elle sait quels sont les chefs d'accusation retenus contre M.

 23   Brahimaj.

 24   M. HARVEY : [interprétation] C'est simplement que son nom a souvent été

 25   évoqué dans le cadre des autres chefs, les chefs 3 et 5.

 26   M. EMMERSON : [interprétation] Dans la même veine, Monsieur le Président,

 27   je suis préoccupé par une chose que je viens d'évoquer il y a quelques

 28   instants. C'est la façon dont l'Accusation a présenté des éléments


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  1   présentés par un seul témoin. Et, ce qui m'inquiète, c'est la façon dont

  2   ceci a été présenté. Ça a été fait de façon à ce qu'il n'y ait pas de

  3   références croisées dans l'acte d'accusation susceptibles de menacer les

  4   mesures de protection en place, mais ce sera très important pour vous de

  5   comprendre une chose en ce qui concerne M. Haradinaj, et je le dirai de

  6   façon plus détaillée dans quelques instants : il n'y a qu'un témoin pour

  7   chacun de ces chefs d'accusation qui profère les allégations que vous venez

  8   d'entendre qui, apparemment, seraient possiblement corroborées par un autre

  9   témoin. J'en parlerai plus tard. Mais on pourrait avoir l'impression qu'il

 10   y a plus qu'une seule source alors que, et ceci sera très important au

 11   moment de l'analyse finale, vous verrez qu'il n'y a vraiment très peu de

 12   bases, une base très circonscrite comme fondement à tout ce qui a été

 13   avancé par l'Accusation. Ce que je dis, je ne le dis qu'au nom de Ramush

 14   Haradinaj.

 15   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous le comprenons.

 16   M. EMMERSON : [interprétation] Et mon point de départ, ma prémisse sera

 17   celle-ci : nous avons ici un nouveau procès. Ce n'est pas comme vous l'avez

 18   dit plus d'une fois, Monsieur le Juge Moloto, l'enfant adoptif du procès

 19   initial. C'est, à toutes fins utiles, un nouveau procès. Pourtant, c'est un

 20   procès dans lequel l'Accusation essaie de ressasser de vieilles allégations

 21   pour lesquelles M. Haradinaj n'a pas été condamné dans le premier procès.

 22   Nous comprenons d'emblée que la Chambre actuelle n'est pas tenue par

 23   les constatations faites par la première Chambre saisie d'un premier

 24   dossier. Tout ce que je dis maintenant et tout ce que je dirai plus tard

 25   sera à comprendre comme étant conditionné par ce principe. Mais comme je le

 26   disais aussi, ça ne veut pas dire que ce qui s'est dit au moment du premier

 27   procès est sans importance. Par exemple, il y a des faits décidés. C'est

 28   une chose jugée de façon définitive après l'appel, res judicata. D'autres


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  1   éléments, notamment des questions de recevabilité, sont soumis aux

  2   instructions de la Chambre d'appel et sont donc ouvertes sans réponse.

  3   Pourquoi ? C'est parce que, effectivement, des questions de pertinence

  4   pourront se poser. S'il n'y a pas de modifications quant à la pertinence --

  5   ou plutôt, si l'Accusation n'avait pas décidé d'interjeter appel pour ce

  6   qui est de la procédure précédente, il serait difficile pour l'Accusation

  7   de vous convaincre que ce n'est pas une chose déjà jugée, un dossier clos.

  8   Donc, on ne peut pas simplement ignoré le procès précédent. Beaucoup de

  9   choses en dépendront. Mais ce sera tout particulièrement pertinent pour le

 10   témoin Shefqet Kabashi et pour le Témoin 80, qui ont constitué le socle sur

 11   lequel l'Accusation s'est reposée pour interjeter appel et qui font l'objet

 12   ou sont la cause de ce nouveau procès partiel.

 13  (expurgé)

 14  (expurgé)

 15  (expurgé)

 16  (expurgé)

 17  (expurgé)

 18   Comprenons bien une chose : si ces deux témoins avaient témoigné dans le

 19   premier procès, nous ne serions pas ici dans ce prétoire aujourd'hui. La

 20   Chambre d'appel a estimé qu'on aurait dû faire davantage pour obtenir

 21   l'audition de ces deux témoins. Du coup, la Chambre d'appel a ordonné ce

 22   nouveau procès partiel limité à quelques allégations concernant les QG de

 23   l'UCK à Jabllanice, un bastion séparé de l'UCK qui était en dehors de la

 24   zone immédiatement contrôlée par M. Haradinaj.

 25   Je voudrais montrer cette carte qui, d'un accord conjoint, est versée

 26   au dossier. Nous parlons ici d'une carte qui vous a déjà été montrée. C'est

 27   la pièce 0026 [comme interprété].

 28   Dans la liasse de cartes que vous avez reçue en version imprimée, ça


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  1   se trouve à la page 9. Donc c'est I000/0026. Voici l'aspect que ceci a.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Nous l'avons.

  3   M. EMMERSON : [interprétation] M. Rogers vous l'a montrée, et il vous a

  4   montré des chiffres figurant sur cette carte.

  5   Alors moi, j'ai la page 9 --

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Page 9.

  7   M. EMMERSON : [interprétation] -- carte annotée par Rrustem Tetaj, un des

  8   commandants de sous-zone qui avait été nommé au tout début, aux

  9   balbutiements de cette armée. C'étaient, certes, des structures de

 10   commandement au sein l'UCK pendant la période couverte par les faits, mais

 11   c'était une structure horizontale plutôt que verticale. L'organisation

 12   était vraiment à ses tous débuts. Elle ne faisait que prendre forme pendant

 13   la période des faits incriminés. Et vous avez ici une tentative

 14   d'organisation dans la toute première étape de sa formation. Nous parlons

 15   ici du 23 mai, ou de cette date approximative. M. Rogers vous l'a dit, et

 16   ce n'est pas contesté, il y avait quatre sous-zones et quatre commandants

 17   de sous-zone. M. Haradinaj en était un, M. Tetaj en était un autre,

 18   Shemsedin Cekaj, les autres.

 19   Alors ce qui compte pour vous maintenant, ce qu'il vous faut noter

 20   dans cette carte, et c'est important dès le début de ce procès, c'est

 21   l'endroit où se trouve Jabllanice. Regardez à peu près vers le milieu, dans

 22   la partie inférieure de la carte, là où on l'a pliée, vous avez ici, juste

 23   à droite du centre, vous voyez Jabllanice. C'est de l'autre côté de la zone

 24   de Dukagjin, et là je parle d'une des quatre sous-zones créées le 23 mai.

 25   C'est tout à fait en dehors des quatre sous-zones créées le 23 mai, et

 26   c'est tout à fait à l'extérieur de toute zone de responsabilité qu'on

 27   pourrait attribuer à M. Ramush Haradinaj.

 28   Et ce n'est pas sans raison que l'Accusation n'a jamais cherché à


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  1   invoquer la responsabilité du supérieur hiérarchique en l'espèce. Pourquoi

  2   ? C'est parce qu'il n'y avait pas de structure de commandement effective en

  3   place à quelque moment que ce soit de l'acte d'accusation, ce qui aurait

  4   permis l'Accusation d'invoquer la responsabilité pour omission ou acte,

  5   s'agissant de la prévention des crimes.

  6   Donc ici, nous avons quand même un procès hors norme. Il s'agit d'une

  7   organisation qui ne commence qu'à prendre forme, qui cherche à regrouper

  8   des commandants de village, à les placer sous un contrôle unifié sur une

  9   période de neuf mois. C'est important de le dire parce qu'à un moment

 10   donné, tôt ou tard, vous devrez vous pencher sur la nature de cette

 11   organisation, sur ce qu'elle était réellement sur le terrain. Que vous dit

 12   cette carte, et M. Rogers vous demande de l'examiner, il faut comprendre

 13   que, du moins à cette date, Jabllanice agissait de façon tout à fait

 14   indépendante par rapport aux quatre sous-zones qui s'étaient créées fin

 15   mai. Certes, plus tard on a essayé d'accroître la coordination entre les

 16   différentes poches d'activités de l'UCK dans le Kosovo occidental et

 17   ailleurs, mais dire qu'il y avait un ou des dirigeants qui auraient

 18   maîtrisé, dirigé une structure verticale, ce serait erroné, et ce n'est

 19   d'ailleurs pas évoqué par l'Accusation. Ce n'est pas ce qu'elle affirme, et

 20   c'est là un point de départ important.

 21   Vous pourrez penser, conclure, après avoir entendu les éléments de

 22   preuve, qu'il y a, en tout cas, certains crimes qui ont été commis. Peut-

 23   être conclurez-vous qu'il y a eu des crimes qui furent commis, par exemple,

 24   à Jabllanice, mais en ce qui concerne Ramush Haradinaj, il faut se demander

 25   s'il a participé, s'il a autorisé ou toléré ces crimes, ou s'il faisait

 26   partie d'une entreprise criminelle commune ou aurait autorisé que dans ce

 27   cadre ces crimes soient commis.

 28   On n'a pas suggéré, et les éléments de preuve rendent impossible


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  1   l'idée de dire qu'il aurait eu un contrôle opérationnel quotidien à

  2   Jabllanice. On ne saurait suggérer ni tenter de prouve qu'il aurait été

  3   présent à Jabllanice, sauf en des moments bien précis. A l'exception de

  4   deux témoins auxquels je vais m'intéresser aujourd'hui, et M. Rogers le

  5   sait bien, c'est eux qui vont faire ou défaire ce procès, nous parlons ici

  6   des Témoins 80 et 81, rien ne suggère que M. Haradinaj aurait jamais fait

  7   quoi que ce soit, aurait même jamais été présent quand il s'est passé

  8   quelque chose de louche à Jabllanice.

  9   Le Témoin 6 sur lequel M. Rogers a insisté, il a passé six semaines de

 10   détention à Jabllanice. Jamais, pas une seule fois il n'a vu M. Haradinaj.

 11   Le Témoin 3, une fois de plus M. Rogers s'est longtemps attardé sur lui, il

 12   a dit qu'il avait subi une détention illégale et des mauvais traitements à

 13   Jabllanice, entre autres endroits, mais vous voyez, on l'a emmené à

 14   Gllogjan; non pas chez M. Haradinaj, c'était faux de l'affirmer, mais au QG

 15   de l'UCK à Gllogjan, où il a rencontré le commandant. A ce moment-là, bien

 16   sûr, effectivement, Gllogjan se trouvait sous le commandement de Ramush

 17   Haradinaj. Et apparemment, ce commandant dont il a dit qu'il avait été

 18   maltraité, il l'a nourri, il lui a donné un lieu sûr où il pouvait rester

 19   jusqu'au lendemain matin, et lui a dit que rien ne se passerait qui

 20   pourrait nuire à sa sécurité, et effectivement il avait raison.

 21   Skender Kuci, on a trouvé ses restes plus tard. Il a trouvé la mort à

 22   Jabllanice -- ou plutôt, je devrais dire qu'il est mort après avoir été

 23   détenu à Jabllanice, c'est du moins ce qu'affirme l'Accusation, et M.

 24   Rogers a effleuré la question, la déposition de Rrustem Tetaj, qui a fait

 25   l'objet d'un accord entre les parties. Effectivement, c'était un commandant

 26   sous-zone de l'autre côté de Jabllanice, et il a appris qu'un certain

 27   Skender Kuci était détenu à Jabllanice, et il dit qu'il l'a dit à Ramush

 28   Haradinaj. Qu'est-ce que Haradinaj a répondu ? Aussitôt, il est parti. Il a


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  1   traversé la zone pour savoir ce qu'il en était, pour discuter de la

  2   situation, d'après ce qu'a dit M. Tetaj, avec Nazmi Haradinaj [comme

  3   interprété]; pour donner l'ordre aussi que Skender Kuci soit hospitalisé

  4   dans un hôpital militaire pour être soigné --

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous interromps. La Chambre apprend

  6   qu'il faudra sans doute procéder à une expurgation, lignes 22, 23, 24, 25

  7   de la page 75, ligne 1 de la page 76, en raison de ce que vous avez dit,

  8   Maître Emmerson --

  9   M. EMMERSON : [interprétation] Je ne sais pas s'il s'agit de référence aux

 10   Témoins 80, 81. Vous savez, sans parler d'eux, il ne sera pas possible

 11   d'avoir ce procès. Je pense que c'est à peu près tout, ou quoi, rien de

 12   plus, non ?

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je ne sais pas.

 14   M. EMMERSON : [interprétation] Je ne sais pas qui fait cette suggestion

 15   d'expurgation, donc comment voulez-vous que j'y réponde. Est-ce qu'on en

 16   parlera en fin d'audience ou faut-il le faire maintenant ?

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] On pourrait le faire -- mais le

 18   problème, vous savez que si on le fait en fin d'audience, ça veut dire que

 19   ce sera passé dans le domaine public --

 20   M. EMMERSON : [interprétation] Peut-être que quelqu'un pourrait me dire où

 21   se situe le problème.

 22   [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

 23   M. ROGERS : [interprétation] Il serait peut-être utile d'en discuter

 24   brièvement à huis clos partiel maintenant in situ, plutôt que d'en parler

 25   plus tard.

 26   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous en prie.

 27   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 28   [Audience à huis clos partiel]


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  6   [Audience publique]

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.

  8   Poursuivez.

  9   M. EMMERSON : [interprétation] C'est la première fois que ce Tribunal ou un

 10   tribunal international ait ordonné un nouveau procès après un acquittement.

 11   Et à bien d'autres égards c'est aussi un procès unique. Avant de nous

 12   lancer dans cette procédure sans précédent, ne pourrais-je pas dire

 13   quelques mots de la genèse et des étapes qui nous ont menés à ce point. Ça

 14   fait plus de six ans que M. Haradinaj a été mis en accusation pour la

 15   première fois. A l'époque, il était premier ministre en fonction dans les

 16   institutions provisoires d'administration autonome établies sous les

 17   auspices de la MINUK, la Mission des Nations Unies au Kosovo. On le

 18   considérait généralement comme un excellent leader politique, un homme

 19   susceptible de créer l'unité au Kosovo, d'obtenir le soutien de la

 20   communauté internationale, un homme qui tenait à assurer la protection des

 21   droits de ces quelques poches de minorités nationales serbes qui restaient

 22   au Kosovo après la guerre.

 23   En tant que tel, il représentait une grande menace politique pour la

 24   Serbie, qui à l'époque était radicalement décidée à empêcher le Kosovo de

 25   parvenir à la sécession et à l'indépendance et qui cherchait à décapiter

 26   ses dirigeants politiques. C'est de notoriété publique des haut commis de

 27   l'Etat serbe ont adressé de vigoureuses protestations auprès de l'ancienne

 28   procureur, Mme del Ponte, pour que M. Haradinaj soit l'objet de poursuites.


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  1   Les crimes allégués contre lui ont été rassemblés par la Sûreté de l'Etat

  2   serbe, le service du Renseignement serbe, lui-même, une organisation bien

  3   connue pour ne pas reculer devant l'emploi des plus viles méthodes pour

  4   trafiquer des éléments de preuve.

  5   Et ça peut sembler étonnant pour quelqu'un qui n'est pas dans ce

  6   prétoire, mais le deuxième établi contre M. Haradinaj, tel qu'il a été

  7   présenté dans le premier, comme dans le procès actuel, eh bien, était fondé

  8   en premier lieu sur une enquête menée par le service secret serbe en

  9   personne. C'est désormais un fait de notoriété publique. Les avocats

 10   chargés de conseiller Mme del Ponte lui ont dit, d'entrée de jeu, qu'il n'y

 11   avait pas véritable de dossier solide contre M. Haradinaj. Elle a dû

 12   changer de conseiller plus d'une fois pour finalement trouver quelqu'un qui

 13   était prêt à préparer un acte d'accusation contre M. Haradinaj. Mais,

 14   lorsque ce dossier est arrivé au stade du procès, eh bien, il s'est

 15   écroulé. Il fallait s'y attendre. Je dis "il fallait s'y attendre" parce

 16   que ses propres conseillers juridiques le lui avaient dit.

 17   Il y a eu cinq témoins qui ont déposé de façon directe contre M.

 18   Haradinaj dans le premier procès. Quatre d'entre eux ont témoigné lors du

 19   premier procès. S'agissant de deux de ces quatre témoins, la Chambre de

 20   première instance a estimé qu'ils étaient sans aucune fiabilité pour des

 21   aspects essentiels de leur déposition, à savoir l'identification supposée

 22   de M. Haradinaj. Les Juges l'ont d'ailleurs dit dans le jugement. Pour ce

 23   qui est des deux autres témoins, après avoir entendu ces témoins, la

 24   Chambre a même décidé de ne pas les acter au dossier parce qu'ils étaient à

 25   ce point manifestement dépourvus de fiabilité et leur déposition tellement

 26   fantaisiste que leur déposition a dû être interrompue et stoppée par la

 27   Chambre avant même qu'il n'ait pu y avoir un véritable contre-

 28   interrogatoire. Voici le type d'éléments préparés par ce service secret


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  1   corrompu de Serbie et ce qu'il fait encore aujourd'hui, et je suis content

  2   de voir qu'aucun de ces deux témoins n'est utilisé par l'Accusation

  3   maintenant dans ce deuxième procès, mais il faut bien comprendre que deux

  4   des témoins qui avaient, à l'époque, été présentés comme des preuves

  5   directes de la participation de M. Haradinaj dans le premier procès, ne

  6   sauraient aucunement être des témoins disant la vérité, deux sur un très

  7   faible nombre, puisqu'on parlait de cinq.

  8   Alors, c'est un contexte qui est manifestement -- c'est un procès mal

  9   constitué, un dossier mal ficelé, basé sur rien de fiable, et c'est dans ce

 10   contexte qu'il faut voir ce qu'a pensé la première Chambre de première

 11   instance du cinquième témoin à charge contre M. Haradinaj, ce fameux Témoin

 12   X. C'était le numéro 5. Et, en fait, il n'a pas témoigné. Je vais revenir à

 13   lui dans quelques instants.

 14   Inexorablement, la dernière fois, le dossier à charge est parti à vau

 15   l'eau, et il est devenu de plus en plus clair qu'il devait y avoir un non-

 16   lieu. C'est la raison pour laquelle la Défense a décidé de ne pas présenter

 17   de moyens à décharge, fait unique dans ce Tribunal. En acquittant M.

 18   Haradinaj de tous les chefs retenus contre lui, en constatant que

 19   l'entreprise criminelle commune alléguée n'existait pas, la première

 20   Chambre d'instance a finalement conclu à un non-lieu, a dit que la cause de

 21   l'Accusation était sans fondement. Rien n'aurait pu prouver plus clairement

 22   l'innocence de M. Haradinaj que la décision d'acquittement de la Chambre

 23   sans que la Défense ait eu à présenter des moyens à décharge.

 24   La Chambre d'appel fut d'un avis différent. Elle a estimé que

 25   l'absence de deux témoins cruciaux, dont je ne vais pas donner le nom,

 26   avait, de façon manifeste et erronée, sapé les fondements de la décision du

 27   jugement en première instance. En ce qui concerne les six chefs de

 28   Jabllanice, cette décision a surpris tout le monde, et non des moindres


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  1   l'Accusation, car celle-ci, avant la décision en appel, n'avait même pas

  2   été capable d'affirmer que l'un ou l'autre de ces témoins aurait été prêts

  3   à témoigner s'il y avait eu éventuellement un nouveau procès. Alors,

  4   c'était surprenant de prendre ça comme base des décisions d'un nouveau

  5   procès, ça a surpris la Défense comme l'Accusation, et nous revoilà ici. Il

  6   fallait s'y attendre, nous sommes de retour à la case départ, sans l'un ni

  7   l'autre de ces témoins qui se seraient déclarés prêts à déposer maintenant.

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 12   Bon, Kabashi l'a indiqué, il ne veut pas témoigner et, ceci, pour

 13   plusieurs raisons. Il l'a dit clairement et il l'a répété à maintes

 14   reprises. Il n'est pas prêt à témoigner, non pas parce qu'il a peur de qui

 15   que ce soit, non pas parce qu'on l'aurait incité à ne pas le faire, mais

 16   parce qu'il estime que l'Accusation n'a pas agi de façon équitable. Et ce

 17   qui est encore plus important, c'est que si jamais il devait témoigner, il

 18   ne dirait rien d'un comportement répréhensible qu'il imputerait à M.

 19   Haradinaj. Dans son entretien récemment avec M. Rogers, il a dit de façon

 20   très virulente que c'était injustice de remettre M. Haradinaj au banc des

 21   accusés. Lors du premier procès, il a eu souvent l'occasion de venir

 22   témoigner, il a refusé de le faire. Nous verrons demain si cela a changé.

 23   Mais, chose importante en ce qui le concerne, c'est qu'il a fait son choix

 24   pour des raisons qui sont les siennes et qui n'ont rien à voir avec la peur

 25   ou par une intimidation quelconque.

 26   (expurgé) Excusez-moi. Je demande

 27   une expurgation.

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Il faudrait une expurgation. Deux


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  1   fois.

  2   M. EMMERSON : [interprétation] Mais le Témoin X est doté d'une autre paire

  3   de manches. Je vous l'ai dit, l'Accusation se fonde sur des déclarations

  4   faites par ce témoin qui incluent des allégations concernant les actes ou

  5   comportements directs de M. Haradinaj pour plusieurs des chefs se trouvant

  6   dans l'acte d'accusation modifié. Celui-ci, comme ce fut le cas pour M.

  7   Kabashi, a maintes fois eu l'occasion de se présenter pour témoigner, et il

  8   a trouvé un salmigondis, une panoplie de raisons pour ne pas le faire. On a

  9   essayé de le forcer à témoigner par visioconférence. Il a quand même

 10   refusé. Et on peut dire qu'il a de très bons motifs pour ne pas vouloir

 11   témoigner, non pas parce qu'il a de bonnes raisons d'avoir peur des

 12   conséquences qu'il aurait de dire la vérité. C'est parce que toute sa

 13   déposition, c'est cousu de fil blanc. On aurait tâche aisée à contester la

 14   crédibilité de ce qu'il raconte parce qu'il raconte tout et n'importe quoi,

 15   notamment, vous savez que M. Rogers insiste beaucoup sur le Témoin 6, dont

 16   il dit qu'il a passé six semaines à Jabllanice. On lui a montré une

 17   photographie. Il a dit qu'il n'a jamais été là, alors qu'il n'a jamais été

 18   dans la pièce où, manifestement, le Témoin 6 a été détenu.

 19   Il y a une autre personne mentionnée aujourd'hui par M. Rogers qui a

 20   témoigné dans le premier procès, M. Fadil Fazliu, présenté comme victime au

 21   chef 6. Au procès, il a dit que les allégations du Témoin X, il les aurait

 22   vues si ça s'était passé, mais que ça ne s'était pas passé. Comment réagit

 23   l'Accusation ? Comment réagit un Procureur honnête ? Eh bien, il retire

 24   Fadil Fazliu de la liste des témoins, parce que tout simplement, ça ne les

 25   arrange pas de l'avoir. A vous de voir comment rectifier cela. Mais on le

 26   cite comme victime, et M. Rogers n'a pas le courage de l'appeler à la barre

 27   des témoins.

 28   Mais on ne s'arrête pas là. Nous avons des preuves judiciaires irréfutables


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  1   qui montrent que ce que raconte le Témoin X ne peut pas être vrai. Je ne

  2   vais pas en parler ici en audience publique, mais nous avons des éléments

  3   de médecine légale indépendante qui montrent que les modalités de blessures

  4   n'auraient pu être apportées de la façon qu'affirme ce monsieur. Alors, il

  5   n'est pas étonnant de voir qu'il répugne à venir témoigner ici dans un

  6   tribunal international.

  7   Bon, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles un témoin ne veut pas

  8   témoigner. Ça pourrait être notamment parce qu'un témoin a vraiment peur de

  9   dire la vérité. Mais, et j'insiste, j'insiste j'y reviendrai d'ailleurs, en

 10   début de certaines rumeurs, de certaines étiquettes qu'on a voulu apposer à

 11   ce procès, jamais on a affirmé que M. Haradinaj aurait intimidé de façon

 12   directe ou indirecte des témoins, et il y a de nombreuses conclusions

 13   juridiques aujourd'hui, à ce jour, qui le disent.

 14   Mais nonobstant ce fait, une rumeur s'est répandue selon laquelle si

 15   le premier procès a échoué, c'est en raison d'intimidation. Alors, inutile

 16   d'insister. Mais nombreuses sont les raisons pour lesquelles le Témoin X ne

 17   veut pas déposer sous serment, pour étayer ce qu'il a déclaré à

 18   l'Accusation. Il comprend sans doute, notamment, qu'il a menti et que ses

 19   mensonges vont être révélés au monde entier. A notre avis, c'est ça la

 20   vérité le concernant, ce Témoin X. Il a traîné des pieds, il a donné toute

 21   une raison pour ne pas témoigner, mais la raison véritable, elle va

 22   apparaître si jamais il arrive à la barre des témoins. C'est que, s'il

 23   dépose, on ne sait toujours pas, on peut avoir des doutes vu son

 24   comportement antérieur et sa situation actuelle, eh bien on va le démasquer

 25   en tant que menteur.

 26   Pour faire bref, nous commençons ce procès, ce nouveau procès,

 27   précisément à l'endroit où s'est arrêté le procès précédent. Je pense qu'il

 28   est sans doute préférable de demander une explication plutôt que de passer


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  1   à huis clos partiel.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous demandez un huis clos partiel ?

  3   M. EMMERSON : [interprétation] Oui.

  4   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Passons à huis clos partiel.

  5   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

  6   [Audience à huis clos partiel]

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 28   [Audience publique]


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  1   M. EMMERSON : [interprétation] En ce qui concerne M. Haradinaj, il n'y a

  2   qu'un nouveau témoin qui pourrait faire de nouvelles allégations contre

  3   lui, c'est le Témoin 81. La première fois que ce témoin a été mis en

  4   contact avec l'Accusation, ce fut en octobre 2010, plus de deux ans et demi

  5   après l'acquittement de M. Haradinaj. Lorsqu'il présente sa première

  6   version des faits, les allégations, préparées par l'Accusation basées sur

  7   la déposition du Témoin X, étaient bien connues, on en avait beaucoup

  8   parlé, étaient connues du grand public. Elle était donc facile à imiter, et

  9   pourtant quand on voit le détail, ces tendances, cet effet d'imitation

 10   échoue. C'est quand même étonnant en l'espèce qu'apparemment des nues tombe

 11   quelque chose après l'appel, l'Accusation a maintenant tout d'un coup un

 12   nouveau témoin qui, apparemment, viendrait corroborer les dires du Témoin

 13   80. M. Rogers l'a bien vu, il sait ce qui l'attend, il y a d'énormes

 14   contradictions.

 15   Oui, c'est là le problème, parce que M. Rogers a dit aussi ce que je dis

 16   moi, là, le fait que les dires du Témoin 80 sont corroborés. Alors, vous

 17   savez, là c'est vraiment pas possible de travailler.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bon, est-ce que nous pouvons faire

 19   comme sur les bases de ce que nous sommes convenus auparavant.

 20   M. EMMERSON : [interprétation] A quel moment, dans quelles circonstances le

 21   bureau du Procureur prend-il connaissance de ce nouveau témoin ? Eh bien,

 22   tout ceci, ces circonstances, jette un doute sérieux sur son intégrité et

 23   sa crédibilité. C'est vrai, M. Rogers le disait, ses déclarations sont

 24   criblées de contradictions, il ne cesse de faire des affirmations qui sont

 25   manifestement fausses. Alors, on verra au contre-interrogatoire. Mais

 26   comprenez dès le début quel genre d'homme c'est.

 27   C'est le seul témoin, d'ailleurs, qui devrait témoigner directement contre

 28   M. Haradinaj dans ce nouveau procès. Il a un long casier judiciaire, dont


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  1   condamnation pour malhonnêteté, et un tribunal international a jugé que ce

  2   n'était pas un témoin à charge fiable. Lors de poursuites au Kosovo, je ne

  3   vais pas le citer de l'affaire pour ne pas l'identifier, devant des juges

  4   internationaux désignés par la MINUK, il a fait un déclaration affirmant

  5   qu'il avait été victime de mauvais traitements graves, qu'il avait été

  6   enlevé. Ces déclarations faites à un juge d'instruction ont d'abord été

  7   admises au procès. On n'a pas demandé à ce qu'il vienne témoigner à

  8   l'audience parce qu'il a affirmé qu'il avait été victime d'intimidation. Et

  9   ceci illustre parfaitement le danger qu'il y a à croire, à prendre pour

 10   argent comptant des allégations d'intimidation venant de tels témoins.

 11   Parce qu'il y a eu un appel devant la Cour suprême, qui se compose, elle

 12   aussi, de juges internationaux, notamment, désignés par les Nations Unies.

 13   Il a été conclu que ses déclarations étaient dépourvues de crédibilité et

 14   on a ordonné un nouveau procès pour veiller à ce qu'on puisse l'entendre de

 15   viva voce. Et ce moment-là, l'Accusation, plutôt que de lancer de nouvelles

 16   poursuites se basant sur sa déposition, a retiré les charges retenues

 17   contre lui. D'autres témoins dans ce même procès avaient allégué qu'ils

 18   avaient été manipulés par la police serbe, caractéristique qui marque aussi

 19   cette procédure.

 20   Les Juges de cette Chambre devrait également savoir que le Témoin 81 a été

 21   également, entre autres, condamné dans un procès pénal pour avoir fait de

 22   fausses déclarations à la police au sujet d'un comportement pénalement

 23   répréhensible.

 24   En d'autres termes, il semble avoir l'habitude de mentir, de mentir

 25   devant les autorités pour garantir la condamnation de quelqu'un d'autre. Et

 26   c'est exactement ce qu'il semble vouloir faire ici. Par conséquent, il est

 27   fort surprenant qu'un Procureur responsable soit disposé à se fier à des

 28   dépositions de quelqu'un comme cela devant un tribunal international et de


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  1   mettre en danger sa réputation en utilisant un témoin aussi douteux. Et il

  2   semble que c'est encore plus surprenant puisqu'il s'agit du seul témoin

  3   auquel l'Accusation peut se fier. En fait, c'est un témoin à qui l'on ne

  4   peut attribuer aucune crédibilité.

  5   Pour le reste des accusations ou des chefs d'accusation sur lesquels se

  6   base l'Accusation dans la même entreprise commune, il n'y a jamais eu de

  7   preuves qui ont été établies durant le procès, le premier procès. Il semble

  8   qu'il y ait eu des témoins qui n'étaient pas du tout fiables et qui

  9   semblent en même temps être utilisés comme un prétexte pour cacher des

 10   défauts de l'Accusation qui n'aurait jamais dû les faire comparaître en

 11   premier lieu. Et il semble, encore une fois, que cette raison soit utilisée

 12   et que M. Rogers continue dans cette tradition.

 13   Pour ce qui est des autres chefs d'accusation, je voudrais vous

 14   parler d'une citation du département d'analyses du RDB, c'est-à-dire en

 15   fait le département d'analyses. Il s'agit d'une personne dénommée Zoran

 16   Stijovic. Et à la surprise de la précédente Chambre de première instance,

 17   cet homme avait admis à des questions, émanant de moi-même et du Juge Orie,

 18   que la méthodologie utilisée pour obtenir ce genre de document avait

 19   utilisé donc la torture, le chantage, les pots-de-vin, et cetera, et M.

 20   Rogers finalement vous a dit : Eh bien, je vous le soumets, et c'est à vous

 21   de voir ce que vous pouvez en faire. Mais il est difficile d'imaginer un

 22   Procureur qui ferait montre d'encore moins d'enthousiasme que M. Rogers en

 23   la matière, ou qu'un autre procureur en la matière, à savoir je vous le

 24   livre. A vous de faire ce que vous voulez en faire.

 25   Deuxièmement, les communiquées de l'UCK sembleraient penser qu'il

 26   s'agissait d'une entreprise criminelle commune impliquant M. Haradinaj dans

 27   les communiquées de l'UCK. Pour comprendre comment cela se passe, il est

 28   important de se pencher sur les documents pour voir comment l'UCK a vu le


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  1   jour, et ce qu'on appelle l'état-major général est une organisation qui est

  2   plus ou moins composée de personnes qui étaient basées à l'extérieur du

  3   Kosovo, qui avaient très peu de contacts avec ces responsables sur le

  4   terrain et qui n'étaient pas directement en mesure de donner des ordres

  5   dans le cadre d'une structure de commandement pour ce qui était des actions

  6   de l'Armée de libération du Kosovo, au Kosovo occidental, et dans la région

  7   de Dukagjin en général.

  8   Il y a un porte-parole, Jakup Krasniqi, qui est l'auteur de ces

  9   communiqués. Aucun de ces documents ne sont signés par M. Haradinaj, ni il

 10   en est l'auteur et ni ces documents n'ont été publiés sous son autorité.

 11   Ils ne reflètent pas la politique de M. Haradinaj ni de l'UCK dans la

 12   région de Dukagjin, et il n'y a aucun élément qui est lié à un incident

 13   dans l'acte d'accusation concernant Jabllanice. Et on pourrait avoir donc

 14   des doutes importants sur l'affabilité, sur l'exactitude des contenus. Et

 15   la Chambre de première instance précédente a décidé qu'il s'agissait des

 16   outils de propagande peu fiables et qui ne faisaient que recenser ce qui

 17   s'était passé. Par conséquent, on ne peut pas considérer qu'il s'agit d'une

 18   politique de mauvais traitement ou d'enlèvement ou de meurtre de civils, et

 19   on ne peut pas non plus en déduire qu'il y avait une structure de

 20   commandement, et que M. Haradinaj était à la tête de cette structure.

 21   Les listes noires constituent le troisième exemple que M. Rogers a

 22   donné, et il dit qu'il y avait des éléments de preuve qui laissaient penser

 23   que l'UCK avaient dressé la liste noire de civils qui étaient pris à

 24   partie, et nous a dit également que vous pourriez donc envisager la

 25   déposition du Témoin 17 qui avait reçu une liste noire contenant une liste

 26   de noms, y compris le nom de Skender Kuci, une des victimes dans les six

 27   chefs d'accusation et dont les restes ont été ensuite retrouvés.

 28   Le Témoin 17 était le responsable d'une brigade de soldats qui sont


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  1   entrés sur le territoire du Kosovo sous l'abréviation FARK. Il s'agissait

  2   d'une armée indépendante de l'Armée de libération du Kosovo, de l'UCK, et

  3   après avoir traversé les montagnes en Albanie, ils sont arrivés au Kosovo.

  4   Ensuite, il y a eu un processus d'intégration qui s'est produit et il y a

  5   eu une trêve qui a été conclue, même si elle n'a pas été conclue toujours

  6   de bon gré. Et la caserne à Baran, qui est au nord de la zone mentionnée

  7   dans l'acte d'accusation et qui fait partie de ces quatre sous-zones, était

  8   commandée par le Témoin 17 pour le compte du FARK. Il a reçu une liste de

  9   noms. Il ne sait pas qui lui a donné. Il ne sait pas quel était l'objectif

 10   final de cette liste. Selon lui, et il ne savait pas vraiment d'où cela

 11   venait, mais une chose était sûre, c'est qu'il ne l'avait jamais mentionné

 12   à Ramush Haradinaj, et que, par conséquent, ce n'était jamais passé par

 13   Ramush Haradinaj, ni par qui que ce soit qui était associé à Ramush

 14   Haradinaj.

 15   Donc, nous sommes devant une situation où vous avez un homme qui a

 16   reçu une liste avec, sur cette liste, le nom d'une victime qui semble

 17   ensuite être une victime, qui avait été détenue, mais qui ensuite est

 18   décédée. Il s'agit en fait de Skender Kuci. C'est l'homme que Rrustem Teqaj

 19   avait mentionné à Ramush Haradinaj comme étant détenu, et Ramush Haradinaj

 20   s'était immédiatement rendu dans cette zone pour obtenir sa libération.

 21   Ceci n'est pas vraiment cohérent avec une allégation d'entreprise

 22   criminelle commune. Et, par conséquent, il n'est pas surprenant que des

 23   avocats ont mentionné que ceci ne devrait pas vraiment être mentionné et

 24   que la Chambre de première instance précédente a abandonné ceci.

 25   Deuxièmement, il y a une partie dans le mémoire préalable au procès

 26   de l'Accusation où il est mentionné qu'il y a un incident qui a eu lieu le

 27   18 avril à Gllogjan, où des membres de la famille Stojanovic ont été battus

 28   par un groupe, et ceci faisait partie de l'acte d'accusation d'origine,


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  1   acte d'accusation qui ensuite a permis l'acquittement de M. Haradinaj. Mais

  2   ceci, en fait, précède la date qui a été considérée comme étant le début du

  3   conflit armé et, par conséquent, ne fait pas l'objet des événements qui

  4   nécessitent la prise en compte du droit humanitaire international, et de

  5   plus, ceci n'a rien à voir avec Jabllanice. On ne peut pas se fier, parce

  6   que quoi qu'il en soit, il s'agissait d'une attaque spontanée par des

  7   villageois en réponse au fait que les forces serbes avaient utilisé cette

  8   maison pour lancer une attaque qui avait ensuite vu la mort de trois

  9   personnes. Ceci n'a rien à voir donc avec cette affaire, mais encore une

 10   fois l'Accusation semble essayer de rassembler tout ce qui est nécessaire,

 11   et par conséquent ils essaient de faire les fonds de tiroirs, ce qui est un

 12   exemple classique encore.

 13   Le FARK est entré par l'Albanie au Kosovo. Il y a eu une période de

 14   conflit et un certain nombre d'incidents entre les deux forces à partir du

 15   moment où les brigades du FARK sont rentrées. Ceci a été résolu avec

 16   l'intégration des deux forces, et la répartition des responsabilités, et

 17   d'après cette toile de fond, l'Accusation n'a choisi qu'un seul incident

 18   qui s'est produit le 4 juillet. Encore une fois, Gllogjan, c'est-à-dire de

 19   l'autre côté de la zone de Dukagjin, en disant qu'il y avait eu en fait une

 20   confrontation et qu'un des soldats du FARK avait été tué. Même si ceci est

 21   exact, la raison pour laquelle il n'y a aucune référence dans le jugement

 22   de la première Chambre de première instance, c'est que ceci n'a rien à voir

 23   avec les allégations qui figurent dans l'acte d'accusation, et ceci relève

 24   d'une tentative désespérée. Ceci n'a rien à voir avec les allégations qui

 25   figurent dans l'acte d'accusation, et ceci n'a rien à voir avec les civils

 26   ou avec des opposants. C'était en fait un conflit militaire entre deux

 27   forces armées. Ceci n'a rien à voir avec le fait que des civils étaient

 28   impliqués, et ceci se produisait à des kilomètres de ceci à Gllogjan, et


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  1   ceci faisait partie d'un conflit entre deux forces armées au Kosovo. Et

  2   comme je disais, ceci était à des kilomètres d'un endroit qui nous

  3   intéresse, donc rien à voir avec l'affaire en l'espèce. En fait, cette

  4   tentative assez peu douée de faire les fonds de tiroirs signifie qu'il n'y

  5   a en fait aucun élément de preuve crédible contre M. Haradinaj pour montrer

  6   que des crimes ont été commis à Jabllanice, et c'est la raison pour

  7   laquelle on devrait avoir ce nouveau procès.

  8   Comme vous le savez, il y a énormément d'éléments concernant les structures

  9   de commandement et je voudrais vous mentionner quatre thèmes importants.

 10   Tout d'abord, les éléments de preuve montrent que dans la période couverte

 11   par l'acte d'accusation, l'UCK a eu du mal à asseoir son autorité. Durant

 12   la première moitié de 1998, l'UCK était composée d'un nombre limité de

 13   combattants dévoués, tel que Ramush Haradinaj, ainsi qu'un nombre important

 14   de volontaires qui étaient très peu dotés en matériel et qui étaient mal

 15   formés. Le point essentiel dans cette structure, c'est que cette structure

 16   était horizontale, je l'ai mentionné dès le départ, et non verticale. C'est

 17   la raison pour laquelle il n'y a aucune allégation qui relèverait de

 18   l'article 7.3 des Statuts. A ce moment dans l'histoire de l'UCK, cette

 19   organisation n'avait aucune structure de commandement effective ni

 20   officielle, et il est mentionné des crimes qui ont été commis en l'absence

 21   de Ramush Haradinaj, dans la zone de Dukagjin.

 22   La plupart de ceux qui combattaient étaient, en fait, des villageois

 23   qui rentraient chez eux le soir. Et comme un des témoins l'a dit dans le

 24   procès de départ, M. Haradinaj était en réalité le commandant de ceux qui

 25   choisissaient de le suivre à un jour donné. Le niveau de coordination entre

 26   les différents villages où l'UCK pouvait mettre en place des dispositifs de

 27   défense villageoise était minimal. Il faut prendre en compte le fait que

 28   tout ceci a eu lieu durant des attaques répétées par les forces serbes sur


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  1   les zones qui sont couvertes dans l'acte d'accusation.

  2   Ce qui était intéressant dans les propos liminaires de M. Rogers,

  3   c'est qu'il suggérait qu'il y avait une zone libre au sein de laquelle

  4   l'UCK était libre de fonctionner. Dans le premier procès, l'Accusation a

  5   appelé une zone de contrôle total, et ils se sont fiés à la carte du

  6   colonel John Crosland pour déterminer les frontières de cette zone de

  7   contrôle total, jusqu'à ce que M. Crosland dépose, et il a déposé -- je

  8   suppose que M. Rogers a lu le compte rendu d'audience, donc il sait ce qu'a

  9   dit le général Crosland, à savoir qu'on ne pourrait pas du tout laisser

 10   penser que les frontières qui sont tracées représentaient une zone de

 11   contrôle total. Bien au contraire, et je vais essayer de trouver les termes

 12   appropriés : "Les paramilitaires terrifiaient la population civile, et

 13   j'aurais été surpris que ces forces soient rentrées comme, en fait, des

 14   mouches sur du miel."

 15   En fait, il s'agissait d'une situation qui était poreuse. Il y avait

 16   des conflits qui impliquaient des forces serbes qui étaient très peu dotées

 17   en matériel, qui étaient très peu entraînées, pas du tout entraînés pour

 18   certains, il s'agissait de volontaires villageois qui essayaient plus ou

 19   moins de créer une structure plus ou moins coordonnée. C'est le contexte

 20   qui, selon M. Rogers, devrait signifier que M. Haradinaj était responsable

 21   de crimes qui avaient été commis en son absence dans une structure de

 22   l'autre coté de la zone de Dukagjin, pour laquelle il n'était pas le

 23   commandant effectif.

 24   Et on peut voir, par le biais des éléments de preuve, qu'il n'y avait

 25   pas d'accord commun pour la commission de crimes dans ces structures de

 26   détention par l'UCK, et il n'y avait pas non plus d'accord qui avait été

 27   conclu en ce qui concerne Jabllanice. Et mis à part ces deux témoins,

 28   c'est-à-dire le Témoin X et le Témoin 81, il n'y a pas d'éléments de preuve


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  1   directs qui impliquent la responsabilité de M. Haradinaj. M. Haradinaj

  2   semblait, d'après les éléments de preuve, très peu présent, et il ne

  3   pouvait certainement pas exercer un commandement et un contrôle au

  4   quotidien, et les deux [comme interprété] témoins qui ont déposé en parlant

  5   de son intervention directe, c'était M. Tetaj qui a déposé en parlant de sa

  6   détention à Jabllanice pour garantir la libération d'une personne qui était

  7   détenue, et le deuxième c'était le Témoin numéro 3, qui était protégé et

  8   qui était assuré qu'il [imperceptible]. Et puis, vous avez une autre

  9   tentative désespérée de l'Accusation qui porte sur un homme appelé

 10   Achilleas Pappas, qui était un membre de la Mission de surveillance de

 11   l'Union européenne, qui a été détenu de l'autre côté de Jabllanice alors

 12   qu'il se rendait dans une zone de guerre. En d'autres termes, il y avait

 13   une offensive serbe qui avait lieu là-bas, et il était donc à bord d'une

 14   Land Rover, et il a été arrêté par des soldats de l'UCK, et il a été traité

 15   d'une manière qui, d'après sa déposition, n'était pas appropriée, était

 16   très brutale, et était également très peu polie. Et jusqu'à ce que M.

 17   Haradinaj arrive, il avait été traité comme ça, et ensuite, quand il est

 18   arrivé, M. Pappas a été traité avec beaucoup de courtoisie, avec beaucoup

 19   de professionnalisme, et il a décrit M. Haradinaj comme ayant eu une action

 20   tout à fait professionnelle, et ceci, pendant toute la période avec

 21   laquelle il a traité avec lui.

 22   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, en tant que soldat, nous

 23   ne nous cachons pas du fait que M. Haradinaj était courageux, efficace, et

 24   ses cibles étaient les combattants et non les civils. Il devait faire face

 25   à une puissance de frappe très supérieure des forces serbes, il est arrivé

 26   à plus ou moins mettre en place une force qui avait une force de frappe

 27   suffisante pour défendre les enclaves civiles dans une zone qui faisait

 28   l'objet d'une politique de terre brûlée de la part des Serbes, pour ainsi


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  1   dire. Il a toujours dirigé en montrant l'exemple, et il n'attendait jamais

  2   de qui que ce soit que ceux-ci combattent s'il n'est pas préparé lui-même à

  3   combattre. Il est arrivé à monter cette résistance avec très peu de

  4   personnes, et vous avez un des moments-clés qui est celui de Gllogjan, dans

  5   la lutte de libération du peuple kosovar contre la domination serbe, et il

  6   a toujours été un combattant empreint d'honneur. La prise à partir des

  7   civils n'a jamais été un des objectifs militaires de M. Haradinaj, et il

  8   n'a jamais ordonné ni encouragé le mauvais traitement des détenus. Ce type

  9   de manquement à l'honneur est à l'opposé des principes qui sous-tendaient

 10   le comportement de Ramush Haradinaj.

 11   En tant que premier ministre du Kosovo après la guerre, il a fait

 12   l'objet de beaucoup de propos positifs de la part de la communauté

 13   internationale durant ses 100 premiers jours au pouvoir. Il était considéré

 14   comme le dirigeant qui pouvait vraiment essayer d'incorporer la population

 15   serbe et de créer un futur intégré pour le Kosovo, mais son temps au

 16   pouvoir a été réduit par l'acte d'accusation du bureau du Procureur.

 17   C'était exactement ce que souhaitaient les autorités serbes.

 18   Il a démissionné dès que l'acte d'accusation a été rendu public, et

 19   il s'est rendu volontairement au TPIY, et ceci est totalement différent de

 20   l'attitude d'autres dirigeants qui ont été frappés d'actes d'accusation par

 21   ce Tribunal. Il est intéressant, puisque nous allons commencer à nous

 22   pencher sur les éléments de preuve, et je pense que vous devriez prendre

 23   ceci en compte, Monsieur le Président, Messieurs les Juges. C'est quelqu'un

 24   qui a cru en son pays. Il s'est battu pour cela. Il a fait des sacrifices

 25   personnels. Il a transporté le corps de son propre frère sur plus de 20

 26   [comme interprété] kilomètres dans un terrain montagneux du Kosovo vers

 27   l'Albanie. Sa famille a fait énormément de sacrifices, et lorsqu'on lui a

 28   demandé de répondre de certains actes devant un tribunal international, il


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  1   a décidé de démissionner immédiatement, il a fait un appel au calme dans

  2   les rues du Kosovo. Ce n'est pas surprenant de dire qu'il en a gagné

  3   beaucoup de crédit. Il a été libéré sous caution et il a continué à exercer

  4   des activités politiques, mais seulement en privé.

  5   Je dis cela parce que je parle de son engagement, je parle du respect

  6   qu'il a montré vis-à-vis de ce Tribunal. Nous nous trouvons dans une

  7   situation où un nouveau procès est monté de manière bancale, et je demande

  8   à cette Chambre de première instance de l'approcher avec toute la

  9   robustesse qui est nécessaire. Présenter des témoins tels que le Témoin X,

 10   qui n'ont pas accordé le temps nécessaire à cette Chambre de première

 11   instance ou qui ne se sont pas déclarés disponibles pour un contre-

 12   interrogatoire parce qu'ils veulent se cacher derrière des mensonges. Et

 13   malgré le fait qu'ils aient proféré des allégations très graves contre un

 14   dirigeant politique honorable.

 15   Tout ceci pris en compte, et je ne veux pas demander à revenir à huis

 16   clos partiel - mais je dirai qu'il y a deux témoins dans ce procès sans

 17   lesquels nous ne serions pas là, et si l'on reprend la toile de fond de la

 18   frustration de la précédente Chambre de première instance, je suis sûr que

 19   vous, Monsieur le Président, et vous, Messieurs les Juges, ferez ce qui est

 20   nécessaire et vous donnerez la possibilité à ces témoins de déposer.

 21   Mais pour utiliser un langage de profane, la coupe est pleine. Ces

 22   deux témoins ne devraient pas être utilisés comme un prétexte pour ralentir

 23   la tenue de ce procès et peut-être le reporter aux calendes. J'en ai

 24   terminé.

 25   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. L'heure est venue, me semble-t-

 26   il, de lever l'audience. Nous reprendrons l'audience demain après-midi, à

 27   14 heures. L'audience est levée.

 28   L'audience est levée à 19 heures 00 et reprendra le vendredi 19 août


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  1   2011, à 14 heures 15.

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