Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 25 juin 2012

  2   [Réquisitoires]

  3   [Audience publique]

  4   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 16.

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes dans le

  7   prétoire et à l'extérieur du prétoire.

  8   Monsieur le Greffier, veuillez citer l'affaire, s'il vous plaît.

  9   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Il s'agit

 10   de l'affaire IT-04-84bis-T, le Procureur contre Ramush Haradinaj, Idriz

 11   Balaj et Lahi Brahimaj.

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La présentation des parties, s'il vous

 13   plaît, à commencer par l'Accusation.

 14   M. ROGERS : [interprétation] Paul Rogers, avec Mme Aditya Menon, Barbara

 15   Goy, Daniela Kravetz, et notre commis à l'affaire Line Pedersen.

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Et pour Haradinaj ?

 17   M. EMMERSON : [interprétation] Pour M. Haradinaj, Ben Emmerson, Rodney

 18   Dixon, Andrew Strong, et Kerrie Rowan.

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Guy-Smith.

 20   M. GUY-SMITH : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Gregor Guy-

 21   Smith, Colleen Rohan, Holly Buchanan, Gentian Zyberi, et Ramon Barquero,

 22   représentant les intérêts de M. Balaj.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] M. Brahimaj.

 24   M. HARVEY : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Pour M.

 25   Brahimaj, Paul Troop, Luke Boenisch, Sylvie Kinabo, représentant les

 26   intérêts de M. Brahimaj.

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Maître Harvey. Nous

 28   savons tous pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, pour entendre les

 


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  1   réquisitoires et plaidoiries des parties.

  2   Monsieur Rogers, c'est à vous.

  3   M. ROGERS : [interprétation] Je vous remercie, Messieurs les Juges.

  4   Messieurs les Juges, pour votre information, je pense prendre entre une

  5   heure et deux heures pour présenter mes arguments. Et, Messieurs les Juges,

  6   j'ai essayé de faire en sorte que la plus grande partie de mes arguments

  7   puissent être entendus en audience publique. Cela étant dit, il y a une

  8   brève question que je souhaite aborder à huis clos partiel avant de

  9   présenter mes arguments.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que nous pouvons passer à huis

 11   clos partiel, s'il vous plaît.

 12   M. LE GREFFIER : [interprétation] Messieurs les Juges, nous sommes à huis

 13   clos partiel. Je vous remercie.

 14   [Audience à huis clos partiel]

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 11   [Audience publique]

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 13   Monsieur Rogers, c'est à vous.

 14   M. ROGERS : [interprétation] Messieurs les Juges, dans mes arguments, je

 15   vais vous présenter la partie générale de la thèse contre l'accusé.

 16   Ensuite, j'aborderai les crimes de Jabllanice. Et troisièmement, je vais

 17   faire quelques remarques sur l'évaluation de la déposition des témoins en

 18   général, et je parlerai des questions particulières eu égard au Témoin 3 et

 19   au témoin protégé. Quatrièmement, je vais aborder la question de la

 20   responsabilité pénale de l'accusé. Et, cinquièmement, je finirai par

 21   conclure avec quelques brèves remarques sur la peine.

 22   Messieurs les Juges, je vais parler de cet aperçu général de l'affaire qui

 23   nous intéresse, les crimes qui font l'objet du présent acte d'accusation,

 24   pour lesquels les trois accusés, Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi

 25   Brahimaj sont pénalement responsables, se sont produits dans le cadre de

 26   l'élimination violentes de l'opposition par l'UCK auquel l'UCK a souscrit.

 27   L'accusé était un officier supérieur et un commandant respecté au sein de

 28   l'UCK. Ensemble, avec les autres commandants ils ont procédé à

 


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  1   d'élimination de l'opposition en maltraitant, torturant, et tuant les

  2   personnes soupçonnées d'être des opposants à la prison de Jabllanice. Il

  3   s'agissait d'une petite installation située dans un petit bâtiment sur une

  4   petite parcelle de terrain aux abords du village de Jabllanice. En raison

  5   de sa taille, pour ce qui est des personnes qui s'occupaient de cet

  6   endroit, il est impossible de dire qu'ils n'étaient pas au courant de ce

  7   qui s'y passait.

  8   La coopération étroite entre les trois accusés, renforcée par les liens

  9   familiaux très étroits entre Haradinaj et Brahimaj, leur ont permis d'aider

 10   et d'encourager à continuer à utiliser la prison de Jabllanice pendant

 11   toute la durée de l'acte d'accusation pour poursuivre cette entreprise

 12   illégale.

 13   Ramush Haradinaj était, pendant tout ce temps, un commandant de l'UCK fort

 14   respecté dans le secteur de Dukagjin au Kosovo occidental. Sa maison

 15   familiale se trouvait à Glodjan. Sa défense exemplaire de cet endroit en

 16   mars 1998 contre l'attaque concertée des forces serbes lui a valu le statut

 17   d'un quasi-Dieu dans la région.

 18   Comme l'a dit Cufe Krasniqi, un soldat de l'UCK, page 54, paragraphes 40 à

 19   43 :

 20   "Cet incident a rendu Ramush Haradinaj très populaire au Kosovo." Citation

 21   à nouveau : "L'attaque de Glodjan était la première victoire publique de

 22   l'armée de la guérilla de l'UCK. Et après cet incident, le village de

 23   Glodjan est devenu le QG de l'UCK le plus important et le plus respecté

 24   après Jabllanice." Et pour finir : "Glodjan était reconnu comme l'endroit

 25   vers lequel convergeait l'ensemble de l'UCK sur le territoire de Peja et

 26   Decan, et Ramush Haradinaj était le commandant populaire des forces de

 27   l'UCK dans le secteur de Dukagjin."

 28   Non loin de Glodjan se trouvait la maison de l'oncle maternel de Ramush


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  1   Haradinaj, Lahi Brahimaj. Lui-même était un commandant puissant de l'UCK

  2   qui se trouvait dans un endroit plus éloigné et plus sûr de Jabllanice.

  3   Idriz Balaj commandait une unité spéciale connue sous le nom des Aigles

  4   noirs. C'était le lieutenant de confiance de Ramush Haradinaj, également

  5   connu sous le nom de Togeri, ce qui signifie lieutenant.

  6   En tant que lieutenant de confiance de Haradinaj, Balaj était un lien

  7   important entre Brahimaj et Haradinaj. En qualité de commandant des Aigles

  8   noirs redoutés, une unité placée sous le commandement immédiat de Ramush

  9   Haradinaj, Balaj rendait directement compte à Haradinaj. On les voyait

 10   régulièrement ensemble avec Haradinaj. Il était considéré comme quelqu'un

 11   de très proche de Haradinaj, un avis que partageaient à la fois ceux qui

 12   faisaient partie de l'UCK et les hommes des services de renseignement

 13   serbes. Cette relation était si étroite que des soldats de l'UCK avaient

 14   besoin d'une autorisation spéciale de Haradinaj pour rendre visite à Balaj

 15   et à ses Aigles noirs. Zoran Stijovic disait de Balaj qu'il était, en

 16   somme, le garde du corps de Ramush Haradinaj. Il a dit : "Lui et son groupe

 17   étaient en permanence au côté de Ramush Haradinaj." A la page 122, 9 073 du

 18   compte rendu d'audience.

 19   Même si les accusés menaient une guerre, en partie, pour assurer le

 20   contrôle du secteur de Dukagjin, dès le départ ils ont poursuivi cet

 21   objectif aux moyens, à la fois d'une action militaire légitime et d'une

 22   action illégitime et illégale, qui prenait pour cible les civils et les

 23   personnes soupçonnées d'être des espions et des collaborateurs de ces

 24   opposants de l'UCK. Pour que la responsabilité au terme de l'entreprise

 25   criminelle commune puisse être retenue, il suffit que l'objectif soit

 26   atteint par des moyens criminels.

 27   Je vais par la suite aborder la question de la position qu'occupait

 28   l'accusé et sa responsabilité.


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  1   Haradinaj, par le biais de sa position d'autorité qui découlait du respect

  2   qui lui était voué en tant qu'héro et commandant et par le biais des liens

  3   familiaux étroits, a pu influer sur le comportement d'autrui, et, en

  4   particulier, son oncle, Lahi Brahimaj; Idriz Balaj; et les soldats placés

  5   sous leur commandement individuel. Le fait qu'il est cautionné et soutenu

  6   l'élimination des membres de l'opposition par des moyens illégaux, doublé

  7   de sa position d'autorité et du respect dont il jouissait, a permis

  8   d'encourager de façon positive les auteurs des crimes commis à Jabllanice.

  9   Le fait de ne pas avoir utilisé ou exercé son autorité et son influence

 10   pour faire cesser les mauvais traitements, et, en particulier, après avoir

 11   officiellement assumé le commandement du centre en juin 1992 [comme

 12   interprété], tout en continuant à réprimer l'opposition et en interdisant

 13   toute activité politique d'un quelconque parti ou d'une quelconque

 14   association à caractère politique, en ordonnant à la police militaire

 15   d'éradiquer les collaborateurs sous le signe de son appui constant des

 16   objectifs répressifs de l'UCK. En qualité de commandant à partir du juin

 17   1998, il avait l'obligation de protéger ces personnes qui étaient sous la

 18   garde ce ses subordonnés.

 19   Lahi Brahimaj a joué un rôle central dans l'application des régimes

 20   oppressifs qui appliquait la torture, les mauvais traitements, les sévices,

 21   ainsi que les meurtres, dans la prison de Jabllanice. Il commandait cette

 22   installation, et les soldats qui se trouvaient à l'intérieur, et sa

 23   position influente au sein de l'UCK et de sa famille, en même temps que sa

 24   participation personnelle à la commission directe des crimes contre les

 25   victimes cités dans l'acte d'accusation, y compris et notamment le fait

 26   d'ordonner et d'inciter à commettre les meurtres, ne peut laisser planer

 27   aucun doute quant à sa responsabilité pénale en vertu de l'acte

 28   d'accusation et constitue la preuve la plus claire de la poursuite qui


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  1   était la sienne des objectifs répressifs de l'UCK.

  2   La présence régulière d'Idriz Balaj à la prison de Jabllanice, sa

  3   commission directe des crimes, et son goût évident pour la violence telle

  4   que pouvait le démontrer sa réputation d'un homme redouté, son comportement

  5   envers les différentes personnes au cours des incidents occasionnés par le

  6   FARK et exposés dans notre mémoire aux paragraphes 80 à 84, ainsi que son

  7   objet assigné et sa présence continue à Jabllanice pour "tuer des gens",

  8   comme l'attestent les témoins protégés, montrent également qu'il était

  9   engagé dans cette répression illégale de l'opposition pendant toute la

 10   durée de l'acte d'accusation dans le secteur de Dukagjin. Et il a ainsi

 11   encouragé les autres.

 12   L'intention qu'il partageait avec les trois accusés aux fins

 13   d'éliminer les collaborateurs, les espions et les opposants de tous bords

 14   est tout à fait évidente. A cette fin, dans le contexte du conflit armé,

 15   ceci comprenait la torture, les mauvais traitements et les meurtres.

 16   Les accusés ont travaillé étroitement ensemble. A Jabllanice et à

 17   Glodjan, pendant toute la période en question, ils ont coopéré étroitement

 18   ensemble. Pjeter Shala et Skender Rexhametaj ont témoigné et ont dit que

 19   les combattants de Jabllanice ont fourni leur aide à Glodjan pour éteindre

 20   les flammes dans la base de Haradinaj en mars 1998. Mémoire en clôture, 28,

 21   29. Zoran Stijovic a dit dans sa déposition que Haradinaj et d'autres

 22   combattants se sont retirés de Glodjan pour aller s'abriter à Jabllanice.

 23   P121, paragraphe 41; P151, page 3; et P31, page 2.

 24   L'appui mutuel que fournissaient ces bases familiales s'est avéré très

 25   précieux pendant toute la durée des conflits et a permis aux forces de

 26   l'UCK d'agir de façon coordonnée et cohérente.

 27   Lorsque Haradinaj a consolidé son commandement au niveau des deux quartiers

 28   généraux en juin 1998, il a donné des ordres pour marquer la poursuite de

 


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  1   ces mesures visant à prendre pour cible les opposants de l'UCK. Il a donné

  2   des ordres - P349 et P190 - instruisant la police militaire à traquer les

  3   collaborateurs et à donner des ordres aux commandants de l'UCK ainsi qu'à

  4   la population dans son ensemble pour empêcher toute activité, sous peine

  5   d'emprisonnement, qui pouvait être préjudiciable à leur guerre. P196.

  6   L'UCK, dans lequel ces accusés occupaient des postes d'influence, a pris le

  7   contrôle au moyen de différentes stratégies.

  8   Je souhaite maintenant demander à pouvoir passer à huis clos partiel.

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que la Chambre peut passer à

 10   huis clos partiel, s'il vous plaît.

 11   M. LE GREFFIER : [interprétation] Messieurs les Juges, nous sommes à huis

 12   clos partiel.

 13   [Audience à huis clos partiel]

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  9   [Audience publique]

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui,Monsieur Rogers.

 11   M. ROGERS : [interprétation] L'identification des collaborateurs, des

 12   espions et des personnes considérées comme étant des opposants était au

 13   cœur de la stratégie de l'UCK aux fins de prendre le contrôle du territoire

 14   pour lequel ils se battaient. En tant qu'organisation décente, elle avait

 15   besoin de se distinguer, d'être reconnue et d'être acceptée. Même si les

 16   stratégies comprenaient le fait de faire régner la peur et de faire

 17   appliquer un régime brutal de torture, de traitement cruel et de meurtre

 18   qui prenait pour cible les personnes soupçonnées d'être des traîtres, des

 19   espions, des collaborateurs et toutes personnes qui n'appuyaient pas l'UCK.

 20   Le témoin protégé a dit que :

 21   Le fait de ne pas rejoindre l'UCK était risqué pour lui parce qu'ils

 22   souhaitaient que ces personnes soient placées sous leur contrôle.

 23   La déposition cohérente des témoins en l'espèce montre que cette

 24   stratégie brutale a été mise en œuvre à Jabllanice et dans d'autres

 25   endroits du secteur de Dukagjin. Cela peut être démontré par les exemples

 26   suivants : les affrontements entre l'UCK et les soldats du FARK, par

 27   exemple, lorsque Ramush Haradinaj a attaqué et tiré sur les soldats FARK,

 28   et Idriz Balaj, avec d'autres personnes, a attaqué et frappait d'autres

 


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  1   soldats du FARK; ces événements se sont déroulés le 4 juillet 1998. En

  2   atteste également l'attaque contre les frères Stojanovic et d'autres

  3   personnes à Glodjan et l'élimination de Zenun Gashi. Pour d'autres détails,

  4   Messieurs les Juges, veuillez vous reporter aux paragraphes 79 à 85 de

  5   notre mémoire. Et, bien évidemment, en attestent la torture, le traitement

  6   cruel et le meurtre de victimes cités dans l'acte d'accusation à

  7   Jabllanice, où sont cités les différents crimes.

  8   Les communiqués de presse de l'UCK de l'époque qui datent d'avant le

  9   conflit armé ainsi qu'après le conflit armé, où les meurtres des

 10   collaborateurs ont été annoncés ainsi que la mise en place de listes

 11   noires, ne laissent planer aucun doute quant au sort réservé aux personnes

 12   soupçonnées d'être des collaborateurs. Encore une fois, nous vous demandons

 13   de vous reporter, Messieurs les Juges, aux paragraphes 52 à 61 de notre

 14   mémoire.

 15   Le fait que des listes noires existaient avant l'unification

 16   officielle du commandement de Ramush Haradinaj à Glodjan et Jabllanice et

 17   que les ressources partagées entre les deux commandements étaient utilisées

 18   pour prendre pour cible les opposants; par exemple, en mai 1998, Faton

 19   Mehmetaj de Glodjan et Pjeter Shala de Jabllanice ont interrogé Rrustem

 20   Tetaj, qui était soupçonné de collaboration, montre que l'unité idéale

 21   entre les accusés et la mise en commun de leurs ressources pour arriver à

 22   cette fin étaient également la preuve que leur intention est partagée.

 23   Le 4 mars 1998, avant le début du conflit armé, le but de l'UCK qui

 24   visait à tuer les personnes considérées comme étant des traîtres a été

 25   annoncé lors d'un communiqué qui déclarait : "Mort aux ennemis et aux

 26   traîtres." J. Krasniqi, P65, page 37, annexe 8, et P67.

 27   Cet objectif a été réitéré lorsque, le 6 juillet 1998, Jakup

 28   Krasniqi, alors porte-parole de l'UCK et qui faisait partie de l'état-major


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  1   général de l'UCK, a réitéré cet objectif en des termes très clairs. Il a

  2   envoyé un avertissement très clair à l'intention de la population dans leur

  3   ensemble déclarant que les collaborateurs, je cite : "Nous les tuerons

  4   s'ils continuent à s'engager sur la mauvaise voie." P67, référence 3 559 à

  5   63. L'accusé a certainement été au courant de cet avertissement.

  6   Evidemment, le fait de tuer ses opposants était si profondément ancré

  7   dans les secteurs de Jabllanice et de Dukagjin que l'euphémisme "homélie à

  8   Drenica" signifiait tuez-les et était connu des soldats de l'UCK. Ces

  9   menaces ont été exécutées à Jabllanice.

 10   Je vais maintenant aborder les crimes.

 11   Avant de commencer mon résumé, et il s'agit effectivement d'un résumé

 12   car les détails figurent dans notre mémoire et je ne veux pas répéter ce

 13   qui figure dans notre mémoire parce que vous disposez de mon mémoire. Mais

 14   avant de commencer, je souhaite clairement indiquer que l'Accusation n'a

 15   pas l'intention de se reposer sur la déposition du Témoin 81. Il demande

 16   aux Juges de la Chambre d'écarter cette déposition car elle n'est pas

 17   fiable et de considérer que cette déposition ne fait pas partie du dossier.

 18   La Chambre devrait, bien sûr, toujours évaluer le reste des éléments de

 19   preuve, et ce, de façon indépendante, sans tenir compte de cette

 20   déposition-là.

 21   Je vais maintenant parler des crimes commis à Jabllanice.

 22   Les éléments de preuve dans leur majorité en l'espèce confirment au-

 23   delà de tout doute raisonnable qu'il y avait une prison à Jabllanice entre

 24   au moins le mois d'avril 1998 et le mois de septembre 1998; que des

 25   personnes soupçonnées d'être des espions, des collaborateurs serbes, ou de

 26   toute autre manière étant des personnes qui n'appuyaient pas l'UCK, y ont

 27   été détenues; et que ces personnes comprenaient le Témoin 3, le Témoin ,

 28   Jah Bushati, Skender Kuqi, Pal Krasniqi, Naser Lika, Ivan Zaric, Agron


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  1   Berisha, Burim Betja, ainsi que d'autres personnes citées nombreuses dans

  2   l'acte d'accusation ont été violemment frappées et torturées, et que

  3   certaines de ces personnes ont été tuées; Lahi Brahimaj et sa famille ont

  4   été au cœur de ses mauvais traitements et de ces sévices; Idriz Balaj a

  5   torturé et fait subir des sévices aux personnes qui ont été détenues;

  6   Ramush Haradinaj a appuyé et encouragé, et de toute autre manière contribué

  7   à ces crimes.

  8   Messieurs les Juges, il ne peut y avoir aucun doute sur le fait qu'entre

  9   avril et septembre 1998, ceux qui n'ont pas appuyé les idéaux et les

 10   objectifs de l'UCK ont été torturés, maltraités et assassinés dans les

 11   locaux à Jabllanice, connus plus communément sous le nom de quartier

 12   général, la caserne et la prison. Les éléments de preuve cohérents des

 13   différents témoins en l'espèce identifient cet endroit et ces bâtiments de

 14   Jabllanice comme étant l'endroit où se trouvait la prison.

 15   Jabllanice était un endroit sûr et à l'abri qui convenait à une

 16   prison. Un endroit difficile d'accès, Jabllanice n'était pas occupé par les

 17   forces serbes avant le mois d'août 1998. Et non pas au mois de mai 1998,

 18   comme vous laissait entendre la Défense Haradinaj, au paragraphe 34 de leur

 19   mémoire, où ils citent deux rapports de combat de la VJ de la 125e Brigade

 20   motorisée, datés des 20 et 22 mai 1998, pour affirmer que les forces serbes

 21   avaient occupé Jabllanice au mois de mai, mais ni l'un ni l'autre de ces

 22   documents ne cite Jabllanice. La zone où s'est déroulée l'attaque est

 23   Grabanice, et les villages qui se trouvent bien à l'est de Jabllanice.

 24   Messieurs les Juges, vous vous souvenez peut-être du fait que l'attaque de

 25   Grabanice a eu lieu vers le 20 mai 1998, et ce qui est intéressant c'est

 26   que ces rapports de combat de la VJ de l'époque contiennent également des

 27   références à des enlèvements de Serbes, et un nombre croissant "d'écoutes

 28   téléphoniques d'enlèvements et d'attaques contre la population civile" ou


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  1   même des "terroristes", comme il a été dit de l'UCK, P115.

  2   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la prison de Jabllanice se

  3   situe sur une petite parcelle de terrain et ne comportait que deux

  4   bâtiments. Nous devrions pouvoir voir cela à l'écran dans un instant. Je ne

  5   sais pas si vous pouvez voir.

  6   Vous vous en souviendrez, et peut-être que nous devrions nous

  7   rappeler l'aspect de cet endroit. Voici de quoi cela se compose. C'est très

  8   simple. C'est une enceinte très simple qu'ils ont; quatre pièces, une cave,

  9   et puis au dôme à l'arrière, un bâtiment allongé. Vous avez entendu parler

 10   de ce bâtiment où se trouvent une cuisine et un bureau. Et puis, nous avons

 11   une entrée qui donne sur la route, au bout du village. Ce n'est pas une

 12   enceinte très importante, pas beaucoup de bâtiments. C'est un endroit

 13   isolé, tout simple, tout petit.

 14   Ce n'est pas le type d'endroit, comme cela le soulignent les Défenses

 15   Balaj et Brahimaj dans leurs mémoires, où il serait possible de ne pas

 16   savoir ce qui s'y passe. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, et

 17   vous comprenez pourquoi. En effet, la réputation de cette prison était

 18   telle que les villageois du coin étaient au courant de son existence, ainsi

 19   que les services de renseignements serbes. Je vous renvoie de niveau au

 20   paragraphe 90 de notre mémoire en clôture. Vous y trouvez de plus amples

 21   détails.

 22   Nous pouvons enlever l'image.

 23   Les personnes interceptées, kidnappées et détenues dans cette prison

 24   témoignent de l'intolérance et de la brutalité indiscriminée des

 25   combattants de l'UCK envers les Albanais, les Roms, les Gitans et les

 26   Serbes.

 27   L'UCK tolérait si peu ceux qui étaient suspectés d'être ses opposants

 28   qu'il suffisait de suspecter quelqu'un pour que ces civils innocents soient


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  1   sans aucun égard embarqués dans des coffres de voitures, transportés à la

  2   prison pour être accusés, roués de coups pendant des jours entiers. Même

  3   ceux tels Pal Krasniqi, qui est mentionné au chef 5, qui s'est rendu à la

  4   prison pour s'engager dans les rangs de l'UCK, eh bien, il a suffi qu'on le

  5   soupçonne pour qu'il soit placé en détention et qu'il soit soumis à des

  6   sévices, et en l'occurrence, il a même perdu la vie.

  7   Alors ceux qui étaient détenus là étaient détenus dans des conditions

  8   qui correspondraient à détention d'animaux. Ils se souillaient, ils

  9   dormaient dans leur propre excrément, urine, les conditions étaient

 10   contraires à toute condition humaine. Ils étaient humiliés.

 11   Nous avons des témoignages réitérés des personnes détenues et rouées

 12   de coups dans la prison, qui placent Lahi Brahimaj au cœur de ces mauvais

 13   traitements. Lui et d'autres auteurs ont bénéficié d'un soutien et d'un

 14   encouragement des membres de la famille, y compris les frères Nazmi et

 15   Naser Brahimaj, et Ramush Haradinaj, qui est son neveu maternel, et ils ont

 16   reçu l'assistance et l'encouragement du lieutenant Idriz Balaj, à qui

 17   Haradinaj faisait confiance.

 18   Nous avons des preuves du système de sévices à Jabllanice, et qui

 19   s'étendent au printemps 1998, tout au long de l'été de cette année jusqu'à

 20   ce que les forces serbes ne prennent Jabllanice en août 1998.

 21   Au printemps 1998, Jah Bushati, qui était un civil musulman albanais

 22   kosovar a été enlevé par des membres de l'UCK près de Zhabel. Un autre

 23   témoin protégé confirme qu'il a vu Bushati à la prison de Jabllanice, qu'il

 24   a été sérieusement couvert de coups et qu'on l'a suspecté d'être un espion

 25   serbe. Shefqet Kabashi confirme que Jah a été détenu et roué de coups par

 26   Lahi Brahimaj. Il a subi des blessures graves et il s'est trouvé dans une

 27   condition atroce qui a été confirmé par deux autres témoins protégés.

 28   En mai 1998, comme visé au chef 1, Ivan Zric, Agron Berisha et Burim


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  1   Betja, trois jeunes hommes innocents qu'on décrit selon les différents

  2   témoins comme étant des enfants ou de jeunes garçons qui sont simplement

  3   allés faire moudre leur maïs, comme ils le faisaient régulièrement, eh

  4   bien, ils ont eu le malheur de croiser des soldats de l'UCK. Ils ont été

  5   enlevés, accusés d'être des espions. Ils ont été amenés à Jabllanice,

  6   accusés de nouveau d'être des espions, roués de coups par Lahi Brahimaj,

  7   Idriz Balaj et d'autres, torturés, terrifiés, humiliés. Idriz Balaj a

  8   assaini des coups à tous les trois, et il a tranché l'oreille de l'un de

  9   ces garçons. Les victimes appelaient à l'aide leur mère, ils urinaient dans

 10   leurs vêtements, et, d'après notre témoin protégé, ils ont été réduits en

 11   [inaudible], ils étaient complètement couverts des bleus. Et puis Lahi

 12   Brahimaj, Idriz Balaj ont donné l'ordre de les amener à Drenica, et c'est

 13   un euphémisme qui a été confirmé par Shefqet Kabashi ainsi que par le

 14   témoin protégé, comme quoi il a été confirmé que cette expression

 15   signifiait qu'ils allaient être tués. Et les trois ne seront jamais revus

 16   et leurs corps n'ont jamais été retrouvés.

 17   Egalement, vers mai 1998, les victimes mentionnées au chef numéro 2 ont

 18   disparu entre Dollovo et Grabanice. Ils se sont retrouvés, d'après nous,

 19   dans la prison de Jabllanice, d'où se perd leur trace. Ils n'ont jamais été

 20   revus.

 21   En juin 1998, le Témoin 6, victime du chef 3, un civil albanais kosovar de

 22   confession catholique, a été enlevé pendant qu'il se déplaçait avec sa

 23   famille, il a été emmené à la prison de Jabllanice et il y a été roué de

 24   coups sans pitié pendant des jours. Il avait un pistolet et une

 25   photographie d'un policier à la retraite albanais en uniforme, et ça a

 26   suffi pour qu'il soit détenu. Pendant six semaines, il a été détenu à

 27   Jabllanice. Lahi Brahimaj l'a accusé d'être un espion et a participé à des

 28   séances de passage à tabac. Le Témoin 6 décrit ces séances de coups de la


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  1   manière suivante :

  2   "Ils m'ont battu avec des battes de baseball, avec des poings, ils

  3   m'assénaient des coups de poing. Pendant deux semaines, je n'était

  4   absolument pas conscient de ce qui m'arrivait. Je ne savais pas où était

  5   mon visage, où était ma nuque. J'étais tout enflé à cause de ces coups."

  6   P84, page du compte rendu d'audience 5 217.

  7   Pendant qu'il était détenu à la prison, le Témoin 6 a déclaré également que

  8   les victimes du chef d'accusation 4, à savoir Nenad Remistar, avec qui il

  9   était détenu, eh bien, qu'il a fait l'objet de mauvais traitements. Il a vu

 10   qu'il a reçu -- qu'il a vu Nazmi Brahimaj lui asséner des coups de batte de

 11   baseball. Il a disparu et son corps n'a jamais été retrouvé. Un Bosniaque

 12   qui semblait travailler pour une compagnie de distribution d'électricité

 13   entre les mains des Serbes, et c'était son seul crime apparemment, ainsi

 14   que trois Monténégrins, ont été les victimes. Tous ces trois ou quatre ont

 15   été emmenés et ils n'ont jamais été revus après avoir été battus par des

 16   battes de baseball et reçu des coups de couteau.

 17   Vers le 13 juillet 1998, Lahi Brahimaj a arrêté le Témoin numéro 3,

 18   victime du chef d'accusation 5, un Musulman albanais kosovar. Lahi Brahimaj

 19   l'a emmené à la prison de Jabllanice, et c'est là qu'il l'a accusé d'être

 20   un partisan serbe. Le Témoin 3 a reçu des coups de batte de baseball et de

 21   bâton. Il a été battu si gravement qu'il ne pouvait pas tenir debout.

 22   Brahimaj a également ordonné à ses camarades et soldats de l'UCK de

 23   s'entraîner en assénant des coups au Témoin 3. Vous vous souviendrez peut-

 24   être ce témoignage.

 25   A un moment donné, Lahi Brahimaj a remis un revolver au Témoin 3 et

 26   lui a dit : "Prends ça, tue-toi, parce que je ne veux pas me salir les

 27   mains avec ton sang." Témoin 3, pages du compte rendu d'audience 1 567 et

 28   68.


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  1   Pendant qu'il était détenu, le Témoin 3 a vu Skender Kuqi et Pal

  2   Krasniqi, les deux civils, les deux Albanais kosovars et les deux victimes

  3   mentionnées au chef d'accusation numéro 5. Il a été attaché à ces hommes.

  4   Eux aussi ont reçu des coups très graves. Le Témoin 3 décrit Kuqi comme

  5   recevant des coups cinq ou six fois par jour de la part de Naser Brahimaj.

  6   Le Témoin 6 a également vu Kuqi complètement enflé à cause des coups qu'il

  7   avait reçus. Le témoin protégé a vu également dans quel état atroce se

  8   trouvait Skender Kuqi. Il l'a vu arriver dans le coffre de sa propre

  9   voiture, tout comme le Témoin 6.

 10   Donc nous affirmons que cela a dû se passer vers le 13 juillet 1998.

 11   Le Témoin 3 a confirmé que c'était à peu près le début de son martyr, page

 12   1 669 du compte rendu d'audience. Il y a également le Témoin 6 qui a

 13   déclaré que c'était à peu près deux semaines avant qu'il ne soit libéré et

 14   il a confirmé que sa date de libération était le 25 juillet 1998. Pièce

 15   P84, page 5 255 du compte rendu d'audience, il a déclaré que c'était vers

 16   deux semaines avant qu'il ne soit relâché, donc vers le 13 juillet ou

 17   légèrement avant cela, qu'il a vu cet homme, Kuqi, arriver dans le coffre

 18   d'une Mercedes. Pièce P84, compte rendu d'audience 2 531 [comme

 19   interprété]. Et cela a été confirmé par le témoin protégé. Plus tard, il a

 20   découvert qu'en fait c'était la voiture qui appartenait à la victime même,

 21   donc une Mercedes.

 22   Shefqet Kabashi, un soldat de l'UCK basé à Jabllanice, a également vu

 23   Skender Kuqi détenu à la prison. Lahi Brahimaj a dit à Kabashi que Kuqi

 24   était un espion serbe qui travaillait pour la Sûreté de l'Etat serbe. Le

 25   témoin protégé a également entendu Lahi Brahimaj et Nazmi Brahimaj accuser

 26   Kuqi d'être un collaborateur serbe. Nous affirmons que cela ne constitue

 27   pas une coïncidence, que le nom de Skender Kuqi se retrouve sur la liste

 28   noire des personnes recherchées, liste que faisait circuler l'UCK vers le

 


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  1   12 juillet 1998. Je vous renvoie à la pièce D212, pages 13 à 14.

  2   Kuqi et Krasniqi ont essayé de s'évader avec le Témoin 3, mais les deux ont

  3   été repris. Le Témoin 6 ainsi que le témoin protégé, ainsi que Shefqet

  4   Kabashi, entre eux, donc les deux confirment que Kuqi et Krasniqi ont été

  5   repris, qu'on les a remis à la prison et qu'ils ont été roués de coups sans

  6   pitié.

  7   Je souhaite que l'on passe très brièvement à huis clos partiel, s'il vous

  8   plaît.

  9   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Passons à huis clos partiel, s'il vous

 10   plaît, brièvement.

 11   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 12   [Audience à huis clos partiel]

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 22   [Audience publique]

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, reprenez, Monsieur Rogers.

 24   M. ROGERS : [interprétation] Le fait que Kuqi ait été placé en détention et

 25   qu'il ait essayé de s'évader, c'est quelque chose qui se trouve confirmé

 26   par Rrustem Tetaj. Kuqi a reçu des coups si sévères qu'il en est mort par

 27   la suite.

 28   Le témoin protégé a vu Kuqi dans un état si grave - vous vous souviendrez

 


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  1   son témoignage - qu'il a cru qu'il était mort. La Défense, bien sûr,

  2   conteste cela, faisant valoir que Kuqi n'était pas mort à ce moment-là.

  3   Mais tandis que la Défense essaie d'insister sur la manière dont le témoin

  4   décrit l'état du corps de Kuqi, eh bien, nous estimons qu'il est simplement

  5   en train de faire part de son opinion qui se fonde sur l'état absolument

  6   atroce du corps de Kuqi.

  7   Le Témoin 3 a réussi à s'évader, mais il a été repris quelques jours

  8   plus tard par Lahi Brahimaj. Celui-ci l'a forcé à monter dans le coffre

  9   d'une voiture. Nous avons entendu sa déposition faisant part d'une

 10   exécution feinte qu'on lui a imposée.

 11   Alors, je voudrais maintenant parler de Pal Krasniqi. Vers le 10

 12   juillet 1998, Pal Krasniqi était parti à Jabllanice pour rejoindre les

 13   rangs de l'UCK, mais il a été arrêté en tant qu'espion serbe. Il a été

 14   placé en détention avec le Témoin 3 et Kuqi dans la prison de Brahimaj à

 15   Jabllanice. Le Témoin 3 a vu Krasniqi et Kuqi, il a vu qu'on les a roués de

 16   coups sans arrêt avec des battes de baseball. Le Témoin 6 décrit également

 17   l'état de ces deux hommes comme étant "atroce". Krasniqi ne pouvait pas

 18   tenir debout et il se souillait dans les vêtements qu'il portait.

 19   Krasniqi a été détenu pendant assez longtemps, jusqu'après le 25 juillet

 20   1998 au plus tôt, puisque c'est le jour de la libération du Témoin 6, et il

 21   se rappelle Krasniqi encore en vie à ce stade-là dans la prison.

 22   Le 11 septembre 1998, le corps de Pal Krasniqi a été trouvé dans le canal

 23   qui mène au lac Radoniq, une zone qui est sous le contrôle de l'UCK.

 24   D'après les éléments que nous avons, nous affirmons qu'il a dû être exécuté

 25   par l'UCK à un moment donné qui a suivi le moment où il a été vu pour la

 26   dernière fois en vie, à savoir le 25 juillet 1998.

 27   A présent, je souhaite me pencher sur le chef d'accusation numéro 6, et

 28   j'ai besoin de passer à huis clos partiel brièvement.

 


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  1   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Passons à huis clos partiel, s'il vous

  2   plaît.

  3   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

  4   [Audience à huis clos partiel]

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 24   [Audience publique]

 25   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le

 26   Greffier.

 27   Monsieur Rogers.

 28   M. ROGERS : [interprétation] Vous avez peut-être la sensation que les

 


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  1   éléments de preuve les plus importants en l'espèce sont fournis par ceux

  2   qui ont fait l'objet de sévices en prison. Si l'on les prend ensemble, l'on

  3   se rendra compte qu'ils nous décrivent un système de sévices qui a été mis

  4   en place par les membres de l'UCK à Jabllanice et au-delà. Lorsqu'on les

  5   prend séparément et lorsqu'on les prend ensemble, vous vous rendrez compte

  6   qu'ils sont en fait conformes à la chronologie des événements.

  7   Ce qui m'incite à faire quelques observations sur la crédibilité des

  8   témoins, et je voudrais ensuite faire quelques observations sur la

  9   déposition du témoin protégé.

 10   Tout d'abord, quelques remarques d'ordre général. Peut-être que cela n'est

 11   pas absolument nécessaire, mais que cela ne sera pas non plus superflu.

 12   De toute évidence, nous avons vu quelques différences dans les récits

 13   que nous avons entendus. Beaucoup de temps s'est écoulé, cependant, depuis

 14   les événements de 1998 et 2012, 14 années, et ces différences tout à fait

 15   naturelles dans les récits, sont peut-être augmentées au vu du fait que les

 16   témoins ne connaissent pas cette procédure que nous avons ici devant le

 17   Tribunal et aussi qu'ils sont appelés à s'exprimer dans une langue qui

 18   n'est pas la leur. Inévitablement, le temps y a apporté aussi son taux de

 19   déformation, mais tandis que certains détails peut-être se sont perdus, les

 20   témoins, en fait, au fond, se rappellent les principaux événements assez

 21   clairement.

 22   Peut-être qu'il y a une certaine confusion dans l'esprit des témoins

 23   sur quelques dates ou sur quelques événements spécifiques, mais vous allez

 24   vous pencher sur d'autres éléments de témoignage pour comparer cela. Vous

 25   allez pouvoir prendre en compte aussi le stress et la peur des témoins

 26   albanais kosovars lorsqu'ils viennent déposer en l'espèce.

 27   Vous constaterez que pour la plupart des témoins les plus importants,

 28   ils ont bénéficié de mesures de protection. Ces mesures ont été mises en


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  1   place suite à une appréciation objective des questions de sécurité et de ce

  2   qui était nécessaire pour les protéger. S'il y a eu réinstallation d'un

  3   témoin, eh bien, c'est dû à une appréciation indépendante de la nécessité

  4   de le faire.

  5   S'agissant du témoin protégé maintenant, en particulier, vous vous

  6   rappellerez la durée de sa déposition et les conditions difficiles de sa

  7   déposition, ainsi que de son comportement. Il a déposé pendant plusieurs

  8   jours dans des circonstances difficiles. Vous allez voir, vous allez vous

  9   demander dans quelle mesure son angoisse a peut-être diminuée au cours de

 10   sa déposition lorsque vous allez examiner les discordances de sa déposition

 11   au début de son témoignage.

 12   Vous vous rappellerez comment il a parlé de ce qu'il a vu et de l'effet que

 13   cela a eu sur lui, en particulier pour ce qui est de son récit relatif aux

 14   événements qui concerne les trois jeunes hommes. Il a été contre-interrogé

 15   de manière tout à fait approfondie, et pendant ce contre-interrogatoire il

 16   a été accusé d'avoir monté de toutes pièces son récit et d'agir par

 17   l'espoir de gain financier.

 18   Vous vous rappellerez comment il a répondu, et vous vous rappellerez aussi

 19   comment cela a été reproché au Témoin 3 de manière analogue et comment il a

 20   répondu. Les deux témoins ont rejeté ces accusations.

 21   Et je voudrais maintenant que l'on voit cela de plus près à huis clos

 22   partiel, s'il vous plaît.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Passons à huis clos partiel.

 24   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 25   [Audience à huis clos partiel]

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 12   [Audience publique]

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Greffier

 14   d'audience.

 15   Monsieur Rogers.

 16   M. ROGERS : [interprétation] Messieurs les Juges, aucun de ces hommes ne

 17   souhaitait quitter leurs familles et leurs foyers, car leur cœur est

 18   toujours au Kosovo, là où avaient résidé leurs pères et leurs ancêtres. Ils

 19   ont vécu, ils ont été au sein de leurs familles élargies, comme le veut la

 20   culture albanaise. Maintenant, ils vivent très loin de tout cela. Ils ont

 21   été arrachés à leur culture qu'ils avaient appris à aimer et à connaître.

 22   Tout comme leurs épouses et leurs enfants. Alors, d'aucuns ont dit qu'ils

 23   avaient souhaité échanger tout cela pour des mensonges, qu'ils avaient

 24   voulu se compromettre par des mensonges si énormes que le retour chez eux

 25   n'est pas possible.

 26   Messieurs les Juges, la réalité est plutôt, en fait, qu'ils ont justement

 27   troqué, échangé leurs foyers, leurs familles, leurs survies, leur gagne-

 28   pain, parce qu'à leurs yeux, l'honnêteté, l'intégrité et la vérité étaient

 


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  1   beaucoup importantes, beaucoup plus importantes, d'ailleurs, que leur

  2   propre sécurité, plus importantes que leurs foyers, que leurs amis, et que

  3   les endroits où ils habitaient, et ce, pour répondre à une cause beaucoup

  4   noble qui consiste à faire ce qui est juste.

  5   Messieurs les Juges, je pense que vous serez en mesure d'accorder un poids

  6   positif à ces circonstances lorsque vous évaluerez la fiabilité de ces

  7   témoins.

  8   J'aimerais maintenant faire quelques remarques précises à propos du témoin

  9   protégé. Dans un premier temps, je parlerai de certains éléments relatifs

 10   au chef numéro 1; deuxièmement, je parlerai du nombre d'arrestations; puis,

 11   je ferai référence à Skender Kuqi; ainsi que le Témoin 6; et finalement, au

 12   Témoin 3 et à Shefqet Kabashi. Et je présenterai ensuite quelques remarques

 13   d'ordre général à propos de l'utilisation des documents qui n'ont pas été

 14   retenus comme éléments de preuve, et je conclurai par quelques remarques à

 15   propos de l'évaluation des éléments de preuve vus de façon globale.

 16   La Défense a attaqué le témoin protégé, a dit de cette personne qu'elle

 17   n'était pas fiable, qu'elle n'avait pas présenté des témoignages cohérents

 18   --

 19   M. EMMERSON : [interprétation] Excusez-moi, mais si M. Rogers commence à

 20   faire des références, je pense qu'il faudrait qu'il nous indique à quelle

 21   Défense il fait référence, parce qu'il n'est pas certainement en train de

 22   résumer des propos présentés par l'équipe de Défense de M. Haradinaj.

 23   M. ROGERS : [interprétation] Je m'exprime de façon générale. Il a été

 24   attaqué, il a été dit de lui qu'il ne présentait pas des témoignages

 25   homogènes, qu'il n'était pas fiable, qu'il était contradictoire et qu'il

 26   n'avait aucun soutien. Mais en vérité, il faut savoir que les éléments de

 27   preuve qu'il présente sont tout à fait cohérents, et sans oublier, en fait,

 28   le soutien apporté par d'autres témoins surtout lorsqu'on considère que 14

 


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  1   années se sont écoulées depuis qu'ils ont été témoins de tous ces

  2   événements.

  3   J'aimerais dans un premier temps, donc, parler du chef numéro 1, puisque je

  4   vais parler maintenant des cinq questions que j'ai mentionnées. Et je vais

  5   d'abord présenter trois éléments, ensuite nous devrons passer à huis clos

  6   partiel. Alors, il faut savoir dans un premier temps, qu'il est absolument

  7   indubitable d'après les éléments de preuve, que les trois jeunes hommes qui

  8   correspondent au chef numéro 1, qui étaient âgés de 22, 15 et 16 ans, sont

  9   partis du village de Dollc sur une charrette tirée par un cheval. Ils sont

 10   ensuite allés à Grabanice pour y faire moudre leur maïs. Et troisièmement,

 11   ils ne sont jamais revenus.

 12   Et j'aimerais maintenant que nous passions à huis clos partiel, je

 13   vous prie.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Est-ce que nous pouvons

 15   passer à huis clos partiel.

 16   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes maintenant à huis clos

 17   partiel.

 18   [Audience à huis clos partiel] 

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 13  Pages 2772-2780 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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 18   [Audience publique]

 19   M. GUY-SMITH : [interprétation] J'aimerais dire à propos de la dernière

 20   remarque de M. Rogers que c'est l'exemple parfait, s'il en fut, de la façon

 21   dont l'on modifie la charge de la preuve, et, en plus, on présente un

 22   argument qui ne peut absolument pas être retenu et autorisé.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]

 24   M. ROGERS : [aucune interprétation]

 25   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je pense que nous allons faire une

 26   pause, et nous reviendrons à 16 heures.

 27   --- L'audience est suspendue à 15 heures 34.

 28   --- L'audience est reprise à 16 heures 01. 


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  1   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Rogers, je vous en

  2   prie.

  3   M. ROGERS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   Messieurs les Juges, est-ce que nous pouvons passer brièvement à huis clos

  5   partiel.

  6   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Nous allons passer à huis clos

  7   partiel.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes maintenant à huis clos

  9   partiel.

 10   [Audience à huis clos partiel]

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 13   [Audience publique]

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, Monsieur Rogers.

 15   M. ROGERS : [interprétation] J'étais en train de vous parler de certaines

 16   questions relatives à la crédibilité du témoin protégé, et je voulais dire

 17   à propos de Shefqet Kabashi ce qui suit, car il y a certains membres de la

 18   Défense qui ont avancé ou suggéré que de façon absolument -- sans aucun

 19   élément de preuve, sans que cela ne se fonde sur quoi que ce soit, que le

 20   témoin protégé et Shefqet Kabashi avaient été de connivence et avaient été

 21   complices pour ce qui était de présenter des éléments de preuve. Alors, là,

 22   nous, nous voyons des éléments de preuve qui se recoupent; eux, ils voient

 23   une certaine connivence.

 24   Et pourtant, ce que nous avançons, c'est que nous, nous voyons un

 25   certain sentiment d'honnêteté, une fiabilité et une crédibilité.

 26   Je vais maintenant vous parler de l'utilisation qui a été faite de

 27   documents non versés au dossier et de certains documents qui ont été admis

 28   et versés au dossier dans un objectif très, très précis.

 


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  1   La Défense a fait référence à des éléments de preuve qui n'avaient

  2   pas été admis pour parler de la véracité de ces éléments de preuve, et ce,

  3   afin de récuser le témoin protégé. Mais il s'agit de questions tout à fait

  4   secondaires. Parce qu'il faut savoir que le fait de présenter un document à

  5   un témoin ne fait ni plus ni moins que donner la possibilité au témoin de

  6   présenter des observations. C'est la réponse apportée par le témoin qui est

  7   définitive. Le document, quant à lui, n'a aucune valeur et aucun poids ne

  8   peut lui être accordé à moins qu'il ne soit entériné par le témoin.

  9   Et puis, on fait référence aux déclarations hors audience de Fadil Fazliu

 10   et Nazir Fazliu. Il s'agit de documents relatifs à un contentieux

 11   professionnel et aux dossiers de la mission au Kosovo. Mais ces documents,

 12   en fait, n'ont aucune valeur intrinsèque à moins que les éléments de preuve

 13   permettent de déterminer la véracité quant à la teneur de ces documents

 14   qui, de toute façon, ont été réfutés par le témoin.

 15   Et je vais vous donner un autre exemple de l'utilisation qui n'est

 16   pas autorisée de déclaration hors audience. Vous avez, par exemple, Ramush

 17   Haradinaj qui fait référence à des documents qui n'ont pas été versés au

 18   dossier, et ce, afin de récuser la déclaration d'un témoin, paragraphe 185,

 19   note en bas de page 474. Il fait également référence au jugement lors de la

 20   première affaire pour essayer de déterminer les questions qui sont

 21   pertinentes en l'espèce, telles que, par exemple, la politique au sein de

 22   l'ALK pour cibler les collaborateurs. Paragraphe 175, note en bas de page

 23   446.

 24   Ce que nous avançons, c'est qu'il faut faire fi de ces déclarations

 25   hors audience, de ces déclarations et documents non admis et non versés au

 26   dossier et de conclusions qui ont été tirées par une Chambre différente.

 27   Et pour conclure, en ce qui concerne l'évaluation des éléments de preuve de

 28   manière générale, nous aimerions, avec tout le respect que nous vous


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  1   devons, Messieurs les Juges, vous rappeler que la Chambre de première

  2   instance ne va statuer sur les faits qui devraient être résolus, mais

  3   seulement ceux qui sont importants et qui découlent des chefs d'accusation

  4   figurant dans l'acte d'accusation. Bien sûr, forts de votre expérience

  5   collective lorsque vous passerez aux délibérations, vous pourrez évaluer

  6   les éléments de preuve des dépositions de témoins et vous pourrez décider

  7   de savoir si l'Accusation s'est acquittée de son rôle et de son devoir.

  8   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je voudrais maintenant parler

  9   de la responsabilité des accusés en ce qui concerne l'entreprise criminelle

 10   commune.

 11   Pour commencer, je vais parler de Lahi Brahimaj. Il était au centre de

 12   l'organisation des activités de l'UCK basée à Jabllanice et à partir de

 13   Jabllanice. Il répondait au surnom de Maxhup, en tant que commandant, et il

 14   était commandant du plus ancien QG de l'UCK. Avec d'autres membres de la

 15   famille, y compris Nazmi et Naser, Lahi Brahimaj a, en fait, administré son

 16   propre style de justice.

 17   Lahi Brahimaj dirigeait la prison où des actes de mauvais traitement

 18   et de maltraitance étaient commis. C'est dans cette prison qu'il a

 19   interrogé régulièrement les prisonniers en les accusant d'être des traîtres

 20   ou des espions, et il se livrait à des passages à tabac brutaux et à

 21   d'autres passages à tabac en utilisant des bâtons et d'autres objets, ainsi

 22   qu'en les frappant à l'aide de coups de pied ou à l'aide de poing. Il a

 23   également encouragé d'autres personnes à se livrer à des mauvais

 24   traitements et d'autres actes de maltraitance contre des détenus dans sa

 25   prison, ce qui, en fait, donnait l'exemple à suivre, et il a également

 26   empêché l'arrêt de ces actes de brutalité. J'en veux pour preuve les

 27   paragraphes 235 à 239 de notre mémoire.

 28   Les Témoins 3, 6 et Shefqet Kabashi, ainsi que le témoin protégé, ont tous


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  1   confirmé la présence quasi-constante de Lahi Brahimaj à proximité de

  2   Jabllanice et sa participation au passage à tabac de nombreux prisonniers.

  3   Le Témoin 6 a déclaré qu'il avait été détenu pendant six semaines, entre la

  4   mi-juin et le 25 juillet 1998. Il a dit : "Il ne se passait pas deux jours

  5   sans que l'on voie Lahi Brahimaj là-bas". C'est la pièce P84, et page du

  6   compte rendu d'audience T5218. Le Témoin 75 a confirmé également la

  7   présence régulière de Lahi Brahimaj au centre de détention, et compte tenu

  8   du fait que de nombreux témoins oculaires ont vu Lahi Brahimaj à Jabllanice

  9   durant la période couverte par l'acte d'accusation, vous pouvez en déduire

 10   ce qu'il est nécessaire d'en déduire. Et je fais référence au paragraphe 23

 11   de notre mémoire.

 12   Idriz Balaj était le commandant des Aigles noirs redoutés. Il était

 13   également un visiteur régulier de Jabllanice. Le Témoin 75, Shefqet

 14   Kabashi, ainsi que le témoin protégé ont tous confirmé sa présence à

 15   plusieurs reprises durant la période couverte par l'acte d'accusation.

 16   Idriz Balaj, avec Lahi Brahimaj et d'autres membres de la famille Brahimaj,

 17   ainsi que d'autres soldats de l'UCK ont battu et torturé sauvagement Ivan

 18   Zaric, Agron Berisha et Burim Betja et ont donné l'ordre de les tuer. En

 19   tant que commandant haut gradé, son comportement et son manquement à

 20   empêcher la commission de ces crimes brutaux a, en fait, contribué à la

 21   commission d'autres crimes.

 22   De nombreux témoins, y compris Stijovic, le Témoin 77 ainsi que

 23   Shefqet Kabashi, ainsi que d'autres témoins - et j'en veux pour preuve les

 24   paragraphes 16 à 19 et 80 à 84 de notre mémoire - ont confirmé la

 25   réputation de Balaj qui faisait montre d'une violence excessive. Les

 26   Témoins 77 et 29, ainsi que des soldats des forces armées de la République

 27   du Kosovo, ont fait état de son extrême violence. (expurgé)

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  4  (expurgé). Un autre

  5   soldat de l'UCK de Jabllanice a également confirmé que Balaj avait

  6   participé au passage à tabac de détenus au QG de Jabllanice.

  7   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous pouvez fermement rejeter

  8   la suggestion que Balaj ne pouvait pas avoir été présent à la prison. Les

  9   dépositions de Shefqet Kabashi, le témoin protégé, et du Témoin 75 ont tous

 10   confirmé que Balaj avait été vu là-bas. Ylber Haskaj semble mentionner le

 11   contraire, mais il a une raison très valable de témoigner en faveur de

 12   Balaj, compte tenu de son étroite relation qu'il entretenait avec Balaj, et

 13   ceci est confirmé à la pièce 40, paragraphe 29, où il dit qu'il a

 14   énormément de respect pour Balaj et qu'il lui rendait visite dès qu'il le

 15   pouvait, et qu'il était en contact régulier avec lui, et qu'ils avaient des

 16   contacts téléphoniques depuis qu'il est à La Haye.

 17   Et pour ce qui est des contributions de Balaj, je vous demande de vous

 18   référer aux paragraphes 229 à 234 de notre mémoire.

 19   Haradinaj et Balaj travaillaient en étroite collaboration et ont été vus

 20   ensemble à plusieurs reprises, tel que ceci est mentionné par les incidents

 21   liés au FARK, la confrontation entre Idriz Balaj, Ramush Haradinaj et les

 22   soldats des FARK à la caserne de Prapaqan. Le mémoire, paragraphes 80 à 84.

 23   La présence de Balaj et Idriz les 23 et 24 mai avec Ramush Haradinaj,

 24   lorsque Lahi Brahimaj a parlé aux villageois de Grabanice. Et de plus,

 25   c'est Balaj qui est parti à Glodjan. D'ailleurs, ils ont été observés sur

 26   place par de nombreux témoins durant la période couverte par l'acte

 27   d'accusation.

 28   Est-ce que l'on pourrait passer rapidement à huis clos partiel, s'il

 


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  1   vous plaît.

  2   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Allons-y.

  3   M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, nous sommes à huis

  4   clos partiel.

  5   [Audience à huis clos partiel]

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 17   [Audience publique]

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 19   Veuillez continuer, Monsieur Rogers.

 20   M. ROGERS : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

 21   Rrustem Tetaj a confirmé que Balaj était présent lorsque Tetaj a rencontré

 22   Ramush Haradinaj pour la première fois en avril 1998 - c'est la pièce P76,

 23   et page T3620 - et lorsque l'état-major régional à Glodjan a été constitué

 24   vers la fin du mois de mai 1998.

 25   Tout ceci est tout à fait cohérent avec les observations du témoin

 26   protégé ainsi que d'autres qui étaient présents à Jabllanice.

 27   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il est clair que durant toute

 28   cette période Ramush Haradinaj suscitait le respect chez ces pairs et parmi


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  1   la population. Les hiérarchies militaires strictes n'existaient pas à cette

  2   époque, et, par conséquent, c'était par une forme de respect populaire que

  3   l'autorité existait.

  4   Tout ceci était nécessaire pour asseoir son autorité, à savoir que

  5   l'on reconnaissait qu'une personne qui donnait des instructions avait

  6   suffisamment de poids pour dégager ce respect et de façon à ce que ces

  7   ordres soient respectés. Il s'agit donc au moins d'une position d'influence

  8   importante qui permet d'encourager ou de décourager un comportement donné.

  9   Le commandement officiel n'est pas un ingrédient nécessaire pour

 10   décider que l'on a contribué à la commission de crimes et que ceci donc est

 11   considéré comme une intention commune. Une pluralité de personnes et une

 12   contribution importante sont nécessaires. Et, Monsieur le Président,

 13   Messieurs les Juges, ces contributions en ce qui concerne Ramush Haradinaj

 14   sont présentées dans notre mémoire aux paragraphes 205 à 239 [comme

 15   interprété].

 16   Peut-on rapidement passer à huis clos partiel, s'il vous plaît.

 17   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Allons-y.

 18   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

 19   [Audience à huis clos partiel]

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 12   [Audience publique]

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. Monsieur Rogers, continuez.

 14   M. ROGERS : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

 15   Ramush Haradinaj, le neveu de Lahi Brahimaj, et un membre-clé des groupes

 16   naissant de l'UCK Dukagjin, était un dirigeant respecté basé à Glodjan. Ce

 17   respect a été renforcé lors de l'attaque de la maison familiale à Glodjan

 18   en mars 1998, où il a subi des combats intenses de la part des Serbes et il

 19   a pu y repousser.

 20   Il est mentionné dans -- ce témoin mentionne, donc :

 21   "Compte tenu de la résistance dont il avait fait preuve, cet incident a, en

 22   fait, été relaté dans tout le pays, il a été arrivé à asseoir cette

 23   résistance et à protéger sa famille et son village. Depuis ce jour-là, il

 24   est devenu célèbre. Tout le monde le connaissait, il avait gagné le respect

 25   de tous parce que, comme je l'ai dit, il était arrivé à résister et il

 26   avait protégé sa famille et son village".

 27   Il continue en disant :

 28   "Donc, compte tenu de ce que je viens de dire, les gens le respectaient, et

 


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  1   si vous faites l'objet de respect, vous faites objet également d'une

  2   certaine autorité. Et je ne parle pas d'autorité légale, mais je parle

  3   d'autorité qui émanait d'une personne qui était arrivée à protéger sa

  4   famille et son village ainsi que son peuple. C'est ainsi que je comprends

  5   les choses".

  6   Sa réputation dans toute la région était déjà bien assise dès avril-mai

  7   1998. Le Témoin 76 l'a décrit comme le Lord de Dukagjin. D'autres

  8   déclaraient que "Ramush vivait sur terre et que Dieu vivait au paradis".

  9   On peut le voir également parce que les commandants qui avaient été

 10   formés dans les rangs de l'armée des sous-zones qui avaient été constituées

 11   en 1990 avaient élu Ramush Haradinaj en tant que dirigeant. Alors, ils

 12   avaient bien sûr, apparemment, accepté le fait qu'il s'agissait de

 13   structures orientales, tel que Me Emerson l'a dit, mais en même temps, ils

 14   avaient décidé de nommer comme dirigeant une personne, à savoir Haradinaj,

 15   qui avait beaucoup moins d'expérience et de formation militaire qu'eux. Et

 16   nous pensons que ceci montre bien qu'il suscitait un profond respect de la

 17   part des populations civiles, mais également de la part des dirigeants

 18   militaires.

 19   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, Ramush Haradinaj avait la même

 20   intention que Lahi Brahimaj et Idriz Balaj de commettre des actes de

 21   cruauté, de mauvais traitements, et de torture, et de tuer ceux qui étaient

 22   opposés à l'UCK.

 23   Les trois accusés ont travaillé de concert avec les autres

 24   commandants locaux pour libérer le Kosovo et ce que l'UCK appelait "les

 25   occupants". Et ils sont arrivés à éliminer les opposants et ceux qui les

 26   soutenaient avec pour objectif de gagner le contrôle du territoire du

 27   Kosovo. Dans cette zone, on le mentionne dans l'acte d'accusation, c'est-à-

 28   dire la zone Dukagjin, et ces objectifs avaient pour objectif d'être mis en


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  1   œuvre en partie par la commission de crimes.

  2   Ramush Haradinaj a utilisé des moyens criminels pour arriver à ces fins, et

  3   ceci est clair d'après l'appui et l'encouragement qu'il a reçus des

  4   personnes qui lui étaient proches et d'autres personnes basées à Jabllanice

  5   dès le départ, et suite à ses actions également dans toute la zone à partir

  6   de juin 1998. Une de ses premières actions vers la fin du mois de juin 1998

  7   était de continuer à mener cette stratégie en promulguant des

  8   réglementations contenant des instructions à l'intention de la police

  9   militaire. C'était la première branche d'application de la loi de l'UCK,

 10   une organisation qui, cependant, ne fonctionnait pas dans le cadre d'une

 11   structure juridique que l'on pouvait reconnaître. Monsieur le Président,

 12   Messieurs les Juges, vous pouvez voir tous les détails de cela aux pièces

 13   P349 et P190. Ce sont ces puristes qui avaient "pris les mesures visant à

 14   débouter tous ceux qui travaillaient contre l'armée de l'UCK et de mener

 15   des enquêtes et de découvrir tous ceux qui collaboraient avec l'ennemi".

 16   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous vous souviendrez que la

 17   police militaire existait bien avant la présence de ces ordres. Paragraphes

 18   62 à 68.

 19   Nous pensons que Ramush Haradinaj a continué à utiliser la police

 20   militaire pour éliminer l'opposition, et cela faisait partie d'un objectif

 21   qui avait déjà été identifié. Rrustem Tetaj l'explique à la pièce P77,

 22   paragraphe 29, que Faton Mehmetaj, qui travaillait en étroite collaboration

 23   avec Ramush Haradinaj durant la période couverte par l'acte d'accusation et

 24   en mai et en juin 1998, il était basé au niveau du QG de Glodjan, et il

 25   avait fait diffuser des listes noires parmi les gardes villageoises. En mai

 26   1998, Tetaj avait été arrêté et interrogé par Mehmetaj et par Pjeter Shala

 27   après avoir son nom inscrit sur cette liste. Shala avait été nommé au sein

 28   de la police militaire par Lahi Brahimaj à partir du QG de Jabllanice.


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  1   Il s'agit donc d'un autre exemple d'une étroite collaboration entre

  2   l'UCK basée à Glodjan et le QG de Jabllanice, donc, pour utiliser Mehmetaj

  3   dans le cadre de l'état-major régional de Glodjan sous la direction de

  4   Ramush Haradinaj et Shala à partir de l'état-major de Jabllanice sous la

  5   direction de Brahimaj.

  6   L'objectif clair d'éliminer l'opposition était partagé par Ramush

  7   Haradinaj, Lahi Brahimaj et Idriz Balaj pendant toute la période couverte

  8   par l'acte d'accusation. Les instructions de Ramush Haradinaj à l'intention

  9   de la police continuent à cibler les opposants qui étaient soupçonnés,

 10   comme les instructions de Ramush Haradinaj qui ont été publiées le 24 juin

 11   1990 [comme interprété] à l'intention des commandants de l'UCK et de la

 12   population afin "d'éviter toute activité qui irait au détriment de notre

 13   guerre" sous peine d'emprisonnement pour opposition à l'ordre. P196. Le

 14   fait qu'il existait des listes noires avant l'unification officielle du

 15   commandement de Ramush Haradinaj, qui couvriraient donc les QG de Glodjan

 16   et Jabllanice et les ressources partagées des deux commandements pour

 17   identifier les opposants montrent bien ces idéaux unifiés entre les trois

 18   accusés et leur intention commune.

 19   Les activités qui ont continué à Jabllanice jusqu'en juillet 1998

 20   sont mentionnées par les Témoins 3, 6, et le témoin protégé, entre autres,

 21   qui montrent bien ce qui est advenu à ceux qui étaient considérés comme

 22   étant des opposants à l'UCK.

 23   Ramush Haradinaj était un visiteur régulier à Jabllanice durant toute

 24   la période couverte par l'acte d'accusation. Et d'ailleurs, au moins le 23

 25   juin 1990 [comme interprété], Haradinaj, à partir de ce moment-là, avait le

 26   commandement, de droit et de facto, de toute la structure de Jabllanice.

 27   Lahi Brahimaj était donc devenu ensuite le commandant en second. Les

 28   dépositions du témoin protégé confirment que Haradinaj, même avant sa


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  1   nomination officielle en juin, était le commandant suprême. Et compte tenu,

  2   en fait, de la région qui était limitée du point de vue géographique, il

  3   aurait été impossible de ne pas savoir ce qui se passait là-bas.

  4   Et nous savons, d'après les dépositions du témoin protégé, que Ramush

  5   Haradinaj était présent à Jabllanice les 23 et 24 mai 1998, ou dans cette

  6   période-là après l'attaque sur Grabanice lorsque 20 ou 30 villageois de

  7   Grabanice étaient également présents. A ce moment-là, Lahi Brahimaj, c'est-

  8   à-dire durant cette réunion, Lahi Brahimaj menaçait donc ces villageois et

  9   leur disait qu'ils devaient combattre; sinon, ils n'auraient nulle part où

 10   aller au Kosovo. Durant cette réunion, d'après la déposition d'un témoin

 11   protégé, Ramush Haradinaj a été présenté aux villageois qui étaient

 12   rassemblés en utilisant son nom, à savoir Ramush Haradinaj, et en le

 13   présentant comme étant le commandant de la zone de Dukagjin. Balaj était

 14   également présent avec Haradinaj.

 15   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la seule raison pour laquelle

 16   il était présent, il a été présenté aux villageois d'un village au nord de

 17   Jabllanice, c'est-à-dire que d'un point de vue géographique, il était loin

 18   de Glodjan, ça ne peut que signifier que l'on voulait montrer l'unité de

 19   l'UCK et que l'on voulait montrer la position importante qu'occupait Ramush

 20   Haradinaj en termes de commandement et d'autorité dans la zone, et de

 21   montrer qu'il soutenait visiblement son oncle et son camarade de combat de

 22   l'UCK, Lahi Brahimaj. Ceci, donc, est tout à fait cohérent avec sa position

 23   importante d'autorité à l'époque.

 24   Le fait qu'il avait été nommé commandant de l'état-major régional de

 25   Dukagjin à l'époque est étayé par la déposition de Rrustem Tetaj, un

 26   commandant d'une sous-zone qui était présent durant la réunion qui s'est

 27   tenue aux environs du 23 mai 1998, lorsque les sous-zones ont été créées et

 28   lorsque Ramush Haradinaj a été nommé en tant que commandant de l'état-major


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  1   régional de Glodjan qui couvrait la zone de la plaine de Dukagjin.

  2   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je ne suggère pas que

  3   Jabllanice à proprement parler faisait partie officiellement de l'état-

  4   major régional de Dukagjin à l'époque. Ceci s'est produit plus tard. Mais

  5   le fait qu'il avait déjà été nommé en tant que commandant de l'état-major

  6   régional de Dukagjin aux environs du 23 mai 1998 est un fait.

  7   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, nous avançons ici, et bien sûr,

  8   ce sera à vous, le moment voulu, de déterminer que c'était vraiment le cas,

  9   mais nous pensons fermement que le 23 ou le 24 mai, les victimes

 10   mentionnées au chef d'accusation numéro 1 ont également dû être présentes à

 11   Jabllanice, à la prison, lorsque Ramush Haradinaj s'y est rendu.

 12   Nous savons d'après la déposition du témoin protégé que ces victimes

 13   ont été aperçues à la prison de Jabllanice peu de temps après cette réunion

 14   qui s'est tenue aux environs du 23 ou 24 mai, donc c'est après

 15   l'arrestation à Bucan, et que ces victimes sont sorties du sous-sol de la

 16   prison où elles étaient détenues. Compte tenu de l'exiguïté du site en

 17   question, et des liens étroits familiaux et de l'étroite collaboration

 18   entre Lahi Brahimaj et Ramush Haradinaj, et des objectifs unis des accusés

 19   pour éliminer ce qui était perçu comme l'opposition dans la zone, il est

 20   clair que Ramush Haradinaj a pu savoir que des victimes étaient détenues

 21   là-bas.

 22   Compte tenu de son poste important et du respect de l'autorité dont

 23   il jouissait, le fait qu'il n'est pas intervenu et qu'il soutenait les

 24   mauvais traitements signifiaient un encouragement aux auteurs de ces

 25   crimes.

 26   Dans son mémoire de fin de procès, Ramush Haradinaj parle des différents

 27   moments où le témoin protégé a vu Ramush Haradinaj. Je parle ici de

 28   l'action du 23-24 mai lorsque Lahi Brahimaj a présenté Ramush Haradinaj en


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  1   tant que commandant de la zone de Dukagjin.

  2   Nous pensons que d'après ce témoin il est évident, et il est évident

  3   également pour d'autres témoins, que Haradinaj avait un poste qui lui

  4   conférait une autorité suffisante au sein de l'UCK et dans la zone locale,

  5   compte tenu également des liens familiaux très importants à Jabllanice et

  6   avec Lahi. Le fait que les crimes aient continué à être commis à Jabllanice

  7   lorsque Ramush Haradinaj était commandant montre qu'il a continué à

  8   soutenir l'élimination de l'opposition par des moyens illicites. Le rôle

  9   direct Lahi Brahimaj et d'Idriz Balaj dans la commission de ces crimes

 10   montre bien leur engagement à atteindre un objectif commun. L'encouragement

 11   très clair de la commission des crimes par Haradinaj peut être identifié,

 12   entre autres, par l'adoption d'une politique visant à cibler des opposants

 13   potentiels et par le fait qu'il ne prenait aucune mesure visant à punir

 14   ceux qui avaient joué un rôle dans la commission de crimes.

 15   Lorsqu'il a vu Skender Kuqi, et on a tous accepté qu'il l'avait vu,

 16   il l'a vu au centre de détention. D'autres, tels que le témoin protégé, le

 17   Témoin 6 et Pal Krasniqi étaient également détenus là-bas. Par conséquent,

 18   il est impossible qu'il n'ait pas pu les voir, notamment étant donné qu'il

 19   s'était occupé de Kuqi. Cependant, rien n'a été fait pour le devenir des

 20   autres détenus. Personne n'a été puni et leur détention s'est poursuivie.

 21   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, nous mentionnons ceci aux

 22   paragraphes 205 à 228, si vous voulez donc avoir toute une liste des

 23   contributions qui, selon, nous sont celles de Ramush Haradinaj.

 24   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, nous aimerions également vous

 25   référer aux autres éléments de formes de responsabilité contre chacun des

 26   accusés qui figurent aux paragraphes 248 à 266 de notre mémoire.

 27   Enfin, et très rapidement, je voudrais passer maintenant à la peine

 28   demandée.

 


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  1   L'Accusation avance que le rôle que chaque accusé a joué dans la

  2   commission de ces crimes, compte tenu de leur gravité, la peine minimale ou

  3   plancher qui devrait être imposée serait une peine de 20 ans de prison pour

  4   chacun des accusés. En ce qui concerne Lahi Brahimaj, Monsieur le

  5   Président, Messieurs les Juges, évidemment, vous calculerez cette peine en

  6   donnant un crédit à M. Brahimaj compte tenu du temps qu'il a déjà purgé

  7   pour les crimes pour lesquels il a déjà été condamné suite à son

  8   comportement à Jabllanice.

  9   Ceci met un terme à notre réquisitoire, Monsieur le Président, Messieurs

 10   les Juges.

 11   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Monsieur Rogers.Maître

 12   Emmerson, c'est à vous.

 13   [Plaidoiries]

 14   M. EMMERSON : [interprétation] Messieurs les Juges, c'est la première fois

 15   aujourd'hui que ce Tribunal ou tout autre tribunal pénal international a

 16   organisé la réouverture du procès sur l'ensemble des éléments de preuve que

 17   l'Accusation souhaitait présenter après que l'accusé ait été finalement

 18   acquitté sur la base des éléments de preuve présentés lors du procès

 19   initial, et à bien d'autres égards il s'agit d'une affaire, ici, tout à

 20   fait unique. Donc, avant que d'aborder mes arguments dans le détail, si

 21   vous me le permettez, je vais parler un petit peu de la manière dont nous

 22   sommes arrivés à notre raisonnement.

 23   Cela fait plus de sept ans maintenant que Ramush Haradinaj a été mis

 24   en accusation pour la première fois. A l'époque, il était premier ministre

 25   par intérim au sein de gouvernement autoproclamé créé sous les auspices de

 26   la MINUK au Kosovo, la Mission des Nations Unies au Kosovo. Il était perçu

 27   comme un excellent dirigeant politique, un homme à même d'assurer

 28   l'édification du Kosovo et qui recueillait l'appui de toute la communauté


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  1   internationale. Et ce qui est encore plus important, c'est quelqu'un qui

  2   s'était engagé à protéger les droits des minorités serbes qui se trouvaient

  3   dans des poches à l'intérieur des frontières du Kosovo après la guerre.

  4   Ainsi, il représentait une menace politique éventuelle aux yeux des

  5   Serbes qui, à l'époque, s'étaient engagés à empêcher que le Kosovo ne

  6   puisse faire sécession et arriver à son indépendance et qui s'étaient

  7   engagés sans faire de compromis à rechercher la déposition de ses

  8   dirigeants politiques.

  9   Il est de notoriété publique que les représentants officiels de haut

 10   rang ont présenté différents arguments au bureau du Procureur en ce sens

 11   pour que M. Haradinaj soit poursuivi en justice. Les crimes allégués contre

 12   lui dans l'acte d'accusation d'origine étaient fondés sur un dossier

 13   d'éléments de preuve qui a été rassemblé par les services de Renseignements

 14   serbes ainsi que la RDB, une organisation qui, comme tout un chacun le sait

 15   - à la fin de nos arguments, nous allons vous le démontrer - était passée

 16   maître dans le domaine de la manipulation des éléments de preuve. Il est

 17   remarquable de constater qu'à l'intérieur de ce procès, et en particulier à

 18   l'extérieur de ce prétoire, un homme respecté et un homme d'honneur, M.

 19   Ramush Haradinaj, premier ministre de surcroît et serviteur de l'Etat, ait

 20   été présenté par le bureau du Procureur lors du procès initial comme, et

 21   comme il a été dit par la Chambre de première instance, quelqu'un sur

 22   lequel on a pu mener des enquêtes. Ce sont les services de Renseignements

 23   serbes qui ont mené ces enquêtes.

 24   Cela est maintenant au dossier, ce sont des documents publics qui

 25   indiquent que les avocats qui ont nommé Carla Del Ponte dès le départ ont

 26   indiqué qu'il n'y avait pas d'affaire contre M. Haradinaj et lui ont

 27   conseillé de ne pas le mettre en accusation. Elle l'a dit elle-même. Et

 28   elle a dû changer son équipe de juristes plus d'une fois avant de pouvoir


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  1   trouver une équipe qui soit disposée à le poursuivre. Pour finir, elle l'a

  2   fait. Elle a réussi à créer une équipe qui s'est mise au devoir

  3   d'interroger ou d'enquêter sur cette affaire contre Ramush Haradinaj. Mais

  4   lorsque ceci a été fait lors du premier procès, comme on pouvait s'y

  5   attendre, ceci s'est effondré. Et comme on pouvait s'y attendre, ceci avait

  6   effectivement été prévu par les deux équipes d'avocats qu'elle avait

  7   nommées à l'origine pour le poursuivre.

  8   Messieurs les Juges, vous arriverez peut-être à la conclusion

  9   qu'après avoir entendu les éléments de preuve dans leur espèce, et en

 10   tenant compte des passages qui ont été versés au dossier et qui émanent

 11   d'autres affaires, que certains des crimes allégués dans cet acte

 12   d'accusation ont effectivement été commis. Et vous pourrez en conclure que

 13   certains de ces crimes avaient été commis à Jabllanice. Mais pour ce qui

 14   est des questions de savoir si Ramush Haradinaj est en cause, et c'est la

 15   seule question qui se pose, est de savoir s'il a participé, autorisé ou

 16   approuvé ces crimes ou s'il a été partie à une entreprise criminelle

 17   commune qui favorisait la commission de ces crimes.

 18   Rien ne laisse entendre et il ne pourrait pas y avoir d'élément au vu

 19   des éléments de preuve que Ramush Haradinaj ait eu un quelconque contrôle

 20   opérationnel au quotidien à Jabllanice. Rien ne permet de croire et rien ne

 21   permettrait de croire au vu des éléments de preuve, que Ramush Haradinaj

 22   ait jamais commis d'acte illégal à Jabllanice. Rien ne permet de laisser

 23   entendre au vu des éléments de preuve qu'il ait jamais été présent à

 24   Jabllanice au moment où les crimes allégués dans cet acte d'accusation ou

 25   d'autres actes ont été commis.

 26   Dans ce contexte, je vais maintenant avancer l'argument téméraire suivant :

 27   c'est qu'aucune personne qui a assisté à cette réouverture du procès ne

 28   peut avoir un quelconque doute sur l'issue de ce procès en ce qui concerne


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  1   Ramush Haradinaj. Il est apparu aux yeux de tous que dès le départ la thèse

  2   de l'Accusation reposait sur deux témoins-clés qui constituaient les

  3   piliers centraux de la thèse de l'Accusation, le Témoin 81 et le témoin que

  4   je vais décrire sous le nom du Témoin X, qui est le témoin protégé de M.

  5   Rogers et qui était en réalité protégé. Donc les deux éléments-clés qui

  6   sont au cœur de la thèse de l'Accusation étaient le Témoin 81 et le Témoin

  7   X. M. Rogers lui-même en a parlé à plusieurs reprises et a dit qu'il

  8   s'agissait de témoins vitaux, essentiels dans l'affaire contre Ramush

  9   Haradinaj, et ce, dès le début. Il s'agissait de témoins cruciaux. Et sans

 10   eux, la thèse ne pouvait être défendue.

 11   Bien évidemment, ces deux personnes étaient protégées, bénéficiaient

 12   de mesures de protection, et donc pouvaient déposer sans crainte, et ces

 13   deux témoins sont des témoins sur lesquels l'Accusation s'est fondée sans

 14   équivoque dès le départ pour étayer une allégation qui est précisée par

 15   l'acte d'accusation comme étant essentielle à sa thèse, à savoir que M.

 16   Haradinaj était à la fois présent et a participé directement aux crimes

 17   odieux qui constituent le fondement du premier chef d'accusation dans

 18   l'acte d'accusation, à savoir le meurtre et le fait d'avoir défiguré trois

 19   jeunes garçons adolescents. Ceci est essentiel à la thèse de l'Accusation.

 20   Messieurs les Juges, vous vous souviendrez qu'au moment où j'ai présenté ma

 21   thèse, j'ai dit que ces éléments de preuve ne pourraient absolument pas

 22   être retenus. Cela n'est absolument pas possible parce que cet homme qui

 23   est assis derrière moi est un homme d'honneur, et un homme d'honneur ne

 24   serait pas là les bras ballants alors que des crimes aussi épouvantables

 25   étaient commis sous ses yeux. Donc je vous ai laissé entendre que ces

 26   éléments de preuve ne pourraient aucunement être retenus, et c'est ainsi

 27   que les choses se sont passées.

 28   Le Témoin 81 est venu de son plein gré à La Haye. Il semblerait qu'il


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  1   y ait été poussé par les autorités serbes. A savoir, encore une fois, un

  2   exemple de la décision de l'Accusation à se fonder sur les renseignements

  3   fournis par les services de Renseignements serbes qui avaient mis en cause

  4   un premier ministre qui avait été élu de façon démocratique dans un Etat

  5   indépendant qui venait d'émerger au Kosovo.

  6   Dans son élément de preuve -- lorsqu'il est venu déposer, c'était si

  7   manifestement malhonnête de sa part parce qu'il a imaginé tous ces éléments

  8   de preuve, et ce, de toutes pièces. Il a passé 15 [comme interprété] jours

  9   à se contorsionner comme un serpent autour d'un bâton. C'était douloureux à

 10   voir. Et c'était un spectacle édifiant pour toutes les personnes qui ont

 11   été le témoin de ceci à l'intérieur et à l'extérieur du Tribunal. C'était

 12   un témoin qui dégoulinait des mensonges si visqueux et qui se prélassait

 13   dans la fange de la malhonnêteté qu'il avait besoin d'aller se laver les

 14   mains en quittant le prétoire. Ceci faisait froid dans le dos que de voir

 15   un témoin qui pouvait mentir si facilement, et ce, de façon aussi répétée

 16   et avec force de détails et qu'un Procureur responsable pouvait se fonder

 17   sur de tels éléments et qui constituaient, en réalité, la pierre angulaire

 18   de sa thèse.

 19   Cela ne surprend personne, donc, que M. Rogers a finalement adopté la

 20   position qui était la sienne aujourd'hui. Le premier témoin star contre M.

 21   Haradinaj -- avant que je n'en parle, M. Rogers a dit qu'il allait

 22   simplement prendre la première carte qui se trouvait dans son jeu de 52

 23   cartes, qu'il n'avait pas l'intention de se déposer sur la déposition du

 24   Témoin 81. J'enjoins les Juges de la Chambre à écarter les éléments de

 25   preuve qui sont aussi peu fiables et à les traiter comme s'ils ne faisaient

 26   pas partie du compte rendu d'audience.

 27   Mais c'est, malgré tout, M. Rogers qui a décidé de présenter ces

 28   éléments-là. Je vous demande enfin de vous souvenir du témoin sur lequel


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  1   s'est fondée l'Accusation et de maintenir en détention un homme sur la base

  2   d'éléments de preuve qui sont si manifestement fabriqués de toutes pièces

  3   que vous avez été conduits à ne plus vous reposer sur ces éléments de

  4   preuve malgré l'énormité et la gravité des allégations qui sont faites.

  5   M. ROGERS : [interprétation] Ceci est absolument inconvenant. Je demande à

  6   ce que les remarques personnelles de genre ne soient pas énoncées dans le

  7   cadre d'un réquisitoire, et je demande à ce que M. Emmerson cesse.

  8   M. EMMERSON : [interprétation] J'espère que -- M. Rogers préfère peut-être

  9   que je le tourne différemment. Il a besoin d'endosser la responsabilité

 10   pour une décision prise par l'Accusation de se fonder sur un témoin qui n'a

 11   rien pu prouver. M. Rogers, personnellement, a indiqué qu'il n'était

 12   absolument pas fiable. Combien de temps les Juges de la Chambre ont-ils

 13   pris pour se rendre compte que ce témoin ne connaît pas le sens du mot

 14   vérité ? Néanmoins, M. Rogers a passé des jours à l'interroger, et il a

 15   pris cette décision simplement pour mettre ces paroles-là dans sa bouche.

 16   Il s'agissait d'un témoin vital sur lequel se fonde l'ensemble de cette

 17   affaire. Donc, pardonnez-moi, je trouve ça difficile d'entendre ces propos

 18   -- c'est de sa responsabilité, ceci a été dit publiquement et il faut le

 19   condamner publiquement. Pas simplement parce que nous arrivons à la fin de

 20   cette affaire et de le dire en passant que c'est important. Il faut savoir

 21   si le témoin a dit la vérité ou non, et donc il faut y consacrer du temps.

 22   Pardonnez-moi. Il s'agit d'un témoin qu'il faut simplement écarter et ne

 23   pas aborder les autres éléments de preuve en ce qui le concerne.

 24   Alors, je vais maintenant parler du Témoin X, qui est le deuxième Témoin X

 25   qui au départ ne voulait pas venir témoigner à La Haye et que l'on a fait

 26   venir pour parler des crimes épouvantables cités au chef numéro 1. Et à

 27   l'origine, il n'avait pas voulu venir témoigner dans le cadre de ce procès.

 28   Il ne souhaitait pas venir à La Haye --

 


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  1   M. ROGERS : [interprétation] Messieurs les Juges, est-ce que nous pouvons

  2   passer à huis clos partiel, s'il vous plaît ?

  3   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que nous pouvons passer à huis

  4   clos partiel.

  5   M. LE GREFFIER : [interprétation] Messieurs les Juges, nous sommes à huis

  6   clos partiel.

  7   [Audience à huis clos partiel]

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 13  Pages 2806-2809 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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  9   [Audience publique]

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le

 11   Greffier.

 12   Maître Emmerson.

 13   M. EMMERSON : [interprétation] Alors, je vais maintenant passer au deuxième

 14   témoin star qui a été appelé par M. Rogers comme un témoin essentiel à sa

 15   thèse et qui répondait à l'allégation essentielle qui consistait à dire que

 16   M. Haradinaj était présent et a participé aux crimes allégués au chef

 17   numéro 1.

 18   Comme vous le savez, Messieurs les Juges, le témoin que nous appelons le

 19   Témoin X ne souhaitait pas se rendre à La Haye pour témoigner. Et donc,

 20   après avoir tenté d'obtenir sa déposition, la Chambre de première instance

 21   ainsi que tous les avocats dans cette affaire se sont rendus dans un

 22   endroit éloigné hors siège pour entendre sa déposition. Après quelque

 23   hésitation, il a fourni son récit. Il a parlé des crimes qui ont fait

 24   l'objet du chef numéro 1 et du chef numéro 6 de l'acte d'accusation, et ce,

 25   avec force détails, et il a dit que Ramush Haradinaj n'avait rien à voir ni

 26   avec l'un ni avec l'autre. Il a insisté à de maintes reprises pour dire que

 27   quoi qu'ait consigné l'Accusation eu égard à des déclarations incohérentes

 28   qu'il avait signées et qui n'ont pas été versées au dossier, le récit qu'il

 


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  1   fournissait aux Juges de la Chambre sous serment correspondait à la vérité.

  2   Il n'était manifestement pas timide lorsqu'il s'agissait de faire des

  3   allégations sur la commission de crimes à Jabllanice ou à propos de membres

  4   haut gradés de l'Armée de libération du Kosovo. Il a fait de très graves

  5   allégations sous serment contre M. Balaj, M. Brahimaj et d'autres personnes

  6   qu'il a citées. Il ne me revient pas de répondre de ces allégations ou de

  7   faire des commentaires dessus. Cela revient à d'autres. Mais pour ce qui

  8   est de M. Haradinaj, sa déposition était claire et cohérente, et M. Rogers,

  9   en réalité, a accepté cela. Le Témoin X n'a jamais vu M. Haradinaj à aucune

 10   de ces occasions à Jabllanice où il a vu des crimes qui ont été commis et

 11   il ne prétend jamais avoir vu M. Haradinaj entrer dans l'enceinte de

 12   l'endroit où ces crimes présumés ont été commis. Il ne l'aurait vu que dans

 13   un bâtiment dont il donne le nom et qui se trouve au centre de Jabllanice.

 14   Une fois, il a aperçu, vers le 23 ou 24 mai, M. Haradinaj, dit-il, au

 15   QG de l'UCK à Jabllanice. Mais d'après sa déposition, si l'on estime que la

 16   date est celle de la fin mai, il est clair qu'il était -- et il vous l'a

 17   dit, Messieurs les Juges, qu'il n'a pas eu de contact direct avec M.

 18   Haradinaj. M. Haradinaj était tellement entouré de gens qu'il avait du mal

 19   à le voir et il ne savait pas ce que faisait Haradinaj à cet endroit-là. Il

 20   ne lui a pas été présenté comme étant le commandant, malgré ce qu'a dit M.

 21   Rogers, parce qu'il n'a jamais été commandant à Jabllanice. Et Jabllanice

 22   ne faisait pas partie d'un commandement conjoint, mais plutôt, Lahi

 23   Brahimaj a dit au Témoin X que l'homme qui se trouvait au centre de la

 24   foule était Ramush Haradinaj, et c'est tout pour ce qui est de cette

 25   première occasion. 

 26   Alors, pour ce qui est du deuxième exemple, il dit avoir vu M.

 27   Haradinaj qui faisait des remontrances à Lahi Brahimaj sur le mauvais

 28   traitement de Skender Kuqi. J'y reviendrai un peu plus tard, mais le Témoin


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  1   X a dit qu'il a vu, après que les blessures de M. Kuqi lui aient été

  2   infligées, que M. Haradinaj est arrivé sur les lieux et qu'il y avait un

  3   problème entre M. Haradinaj et M. Brahimaj. Il dit qu'il a constaté que M.

  4   Haradinaj était très préoccupé par rapport à ce qui était arrivé à Skender

  5   Kuqi, et il a dit que M. Haradinaj insistait auprès de Lahi Brahimaj pour

  6   qu'il lui fournisse une explication. Il lui a dit : "Pourquoi lui as-tu

  7   fait cela ?"

  8   Si cela est vrai et si l'Accusation présente ce témoin qui n'est pas

  9   qualifié, d'après eux, comme étant un témoin susceptible de dire la vérité,

 10   et ce qui est encore plus important eu égard à ce détail et cet exemple de

 11   faire des remontrances par rapport à ces blessures qui ont été infligées,

 12   et ceci est corroboré par un autre témoin, Rrustem Tetaj, qui était

 13   également présent et dont je vais aborder la déposition un peu plus tard,

 14   donc si cela est vrai, il est difficile de croire qu'il s'agit de la

 15   réponse d'un commandant qui était partie à une entreprise criminelle

 16   commune aux fins de maltraiter et de tuer les détenus de Jabllanice. Ceci

 17   ne permet même pas d'étayer une allégation de responsabilité pénale qui

 18   impliquerait une intervention de ce type où un commandant avec un lien ténu

 19   avec l'armée devrait agir ainsi. Donc, en réalité, les éléments de preuve

 20   prouvent tout à fait l'inverse de ce qu'avance la thèse de l'Accusation.

 21   Donc, d'après les éléments de preuve, et le seul élément de preuve

 22   dont on dispose à propos de M. Haradinaj repose sur le deuxième témoin star

 23   de l'Accusation, les deux piliers de la thèse de l'Accusation. Pour autant

 24   que cela soit utilisé pour se fonder sur une thèse pour accuser M.

 25   Haradinaj, eh bien, ceci s'est tout simplement effondré au moment où

 26   l'Accusation a abandonné son Témoin 81, lorsque le Témoin 81 est venu dire

 27   la vérité sur Ramush Haradinaj. Donc l'ensemble de la thèse de l'Accusation

 28   s'est totalement effondré. Peut-être que vous ne l'avez pas repris sur ce


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  1   point lorsque M. Rogers a présenté son argument. Il n'a pas dit que

  2   l'ensemble de sa thèse s'était effondré. Il souhaite maintenant se reposer

  3   sur l'entreprise criminelle commune, une thèse subsidiaire, ou qu'il essaie

  4   de mettre sur pied -- il essaie, en filigrane, d'y indiquer quelles sont

  5   les dates, et il veut présenter le Témoin X pour que la Chambre de première

  6   instance puisse faire des déductions à partir de cela.

  7   Le fait est que l'Accusation a dû abandonner son allégation-clé qui

  8   constituait la pierre angulaire de sa thèse contre M. Haradinaj, à savoir

  9   qu'il était présent et qu'il a participé aux crimes odieux qui figurent au

 10   chef d'accusation numéro 1. Si c'eut été le cas, évidemment, il aurait pu

 11   être condamné au chef 1, car tout commandant qui aurait été le témoin de

 12   cela sans réagir serait accusé de ces actes. Mais il n'y a pas un seul

 13   élément de preuve pour attester de cela, et c'est tout à fait l'inverse en

 14   ce qui concerne les éléments de preuve présentés par l'Accusation.

 15   Donc, malgré les tentatives faites par M. Rogers de se reposer sur

 16   des éléments de preuve mal définis et nébuleux pour indiquer que M.

 17   Haradinaj ait participé d'une manière assez indéfinie à l'entreprise

 18   criminelle commune, M. Rogers a, en fait, admis qu'il n'avait pas d'élément

 19   de preuve dans son mémoire écrit ou que les éléments fournis par

 20   l'Accusation coïncident avec un acquittement.

 21   Aux paragraphes 202 et 243 du mémoire en clôture de l'Accusation, il

 22   propose une thèse subsidiaire, une analyse subsidiaire de leur propre

 23   thèse, et les éléments de preuve sur lesquels il se fonde, à savoir que les

 24   éléments de preuve permettent de montrer d'après l'acte d'accusation, et

 25   ce, au-delà de tout doute raisonnable, que M. Brahimaj et M. Balaj ont

 26   participé à l'entreprise criminelle commune avec les autres membres de la

 27   famille de Brahimaj ainsi que d'autres soldats de l'UCK pour commettre les

 28   crimes qui figurent dans cet acte d'accusation sans que M. Haradinaj ait


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  1   été une partie à cet accord. En d'autres termes, l'Accusation laisse

  2   entendre, et les termes sont tout à fait clairs, puisqu'il s'agit d'un

  3   élément subsidiaire à sa thèse, à savoir que M. Haradinaj n'est pas

  4   coupable. Aux paragraphes 202 et 243.

  5   Cette concession est inévitable et elle est juste, mais elle peut

  6   également être perçue comme une reconnaissance implicite de la part de

  7   l'Accusation du verdict rendu contre M. Haradinaj et qui est quasi-

  8   inévitable. Comment l'Accusation peut-elle dire que les éléments de preuve

  9   concordent et vous dire d'une même voix qu'elle peut prouver sa culpabilité

 10   au-delà de tout doute raisonnable ?

 11   Messieurs les Juges, à la fin du premier procès, la thèse de l'Accusation

 12   contre M. Haradinaj a été mortellement touchée, et la Chambre de première

 13   instance, au vu des éléments de preuve dont elle disposait, l'a à juste

 14   titre acquitté. A la fin de cette réouverture de procès, la thèse de la

 15   Défense [comme interprété] n'est pas simplement mortellement touchée, mais

 16   fort heureusement est simplement disparue dans le fossé, ce qui rassure bon

 17   nombre de personnes au Kosovo.

 18   Cela ne signifie pas nécessairement qu'il a été erroné d'ordonner la

 19   tenue d'un nouveau procès. En fait, la conséquence de cette décision a été

 20   de prolonger cette agonie d'incertitude pour M. Haradinaj et pour sa

 21   famille. Bien sûr, cela l'a privé de sa liberté pour très longtemps et a

 22   privé le Kosovo de son dirigeant politique le plus efficace pendant la

 23   période-clé de son histoire, et c'est exactement ce que souhaitaient les

 24   autorités serbes, bien entendu.

 25   Mais un objectif très important a été finalement atteint par cette

 26   décision dans l'affaire contre M. Haradinaj. A la fin du premier procès, il

 27   y avait des gens, c'était certain, qui ne souhaitaient pas ce procès dans

 28   un premier temps, c'étaient ceux qui n'étaient pas prêts à reconnaître le


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  1   verdict, et nous le savons, c'est monnaie courante au sein de la communauté

  2   diplomatique, au sein de la communauté judiciaire, devant les tribunaux

  3   pénaux internationaux. De manière réitérée, les responsables serbes

  4   briefaient les médias et d'autres, faisant valoir que ce jugement

  5   d'acquittement a été obtenu de manière incorrecte, injuste, que les

  6   éléments de preuve pertinents n'ont pas pu être présentés. Au moins, on ne

  7   pourra jamais dire chose pareille de ce nouveau procès. La Chambre de

  8   première instance a entendu absolument tous les éléments de preuve. Elle a

  9   cherché à présenter, à entendre, à être saisie de tous les éléments.

 10   L'Accusation a eu l'autorisation de citer tous les témoins qu'elle a

 11   souhaité.

 12   Tous les témoins de l'Accusation, que l'Accusation a souhaité citer,

 13   ont finalement été entendus d'une manière ou d'une autre. Il y a eu des

 14   reports d'audience pendant des mois et des mois afin d'entendre les

 15   dépositions des témoins qui n'étaient pas disponibles immédiatement, en

 16   dépit de toutes les difficultés que cela a représenté. La Chambre de

 17   première instance a fait tout ce qu'elle a pu pour rendre service à

 18   l'Accusation pour qu'elle -- elle est allée au bout du monde,

 19   littéralement, pour pouvoir entendre la déposition des témoins. Donc

 20   personne ne pourra critiquer ce nouveau procès d'avoir omis de présenter

 21   des éléments de preuve.

 22   Lorsque M. Haradinaj aura été déclaré innocent, non coupable, cette

 23   fois-ci, comme il doit l'être, eh bien, on ne pourra pas remettre en

 24   question l'équité de ce jugement. Et je vais vous demander dans votre

 25   jugement non seulement de préciser que l'Accusation n'a pas pu démontrer sa

 26   cause, mais aussi d'aller au-delà, d'aller au-delà, de préciser tout ce qui

 27   par le biais des témoins biaisés au cours des sept années de procès n'a pas

 28   été démontré, à savoir que mon client est innocent des crimes qui lui sont


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  1   reprochés. Donc le mensonge que M. Haradinaj a été complice dans ces

  2   crimes, dans la commission des crimes de guerre, finalement a été entendu

  3   devant cette Chambre de première instance. Mais tous les coins obscurs de

  4   la cause de l'Accusation ont finalement été exposés à la lumière du jour,

  5   tous les témoins évasifs ont pu être interrogés et contre-interrogés, tous

  6   ces témoins que les autorités serbes ont remis à l'Accusation, en essayant

  7   d'obtenir la déclaration de culpabilité de M. Haradinaj. Donc au cours de

  8   ces deux procès, nous avons pu bénéficier de la présentation des preuves

  9   devant des Juges indépendants, et finalement la vérité a pu être entendue.

 10   Et cette vérité constitue la conclusion des éléments de preuve qui, tous,

 11   convergent vers une même conclusion, la conclusion qui a été atteinte par

 12   toute une série de Procureurs expérimentés du bureau du Procureur, qui ont

 13   dit d'ores et déjà en 2005 à Carla Del Ponte qu'il n'y avait pas de cause

 14   contre Ramush Haradinaj. Et parlons-en, parlons du Témoin 81. Quelle honte.

 15   Ils lui ont dit, ceux qui ont été ses conseillers d'emblée, que ces

 16   éléments de preuve ne constituaient même pas l'ombre d'une preuve contre M.

 17   Haradinaj, comme quoi il aurait commis ou approuvé la commission de crimes

 18   déshonorants contre des prisonniers vulnérables, non il s'est conduit, il a

 19   été guidé par des principes nobles; il a été une figure très populaire au

 20   Kosovo. C'est quelqu'un qui a fait preuve de courage, qui a déployé des

 21   efforts, qui s'est sacrifié, lui et ainsi que des membres de sa famille,

 22   pour protéger son peuple. Il adorait le Kosovo, il est populaire à cause de

 23   ses qualités en tant que soldat.

 24   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pourriez, s'il vous

 25   plaît - excusez-moi de vous interrompre - est-ce que vous pourriez arrêter

 26   d'appuyer sur votre crayon.

 27   M. EMMERSON : [interprétation] Ce que l'Accusation cherche à faire

 28   conclure, en s'appuyant donc sur cette image très positive qu'avait M.


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  1   Haradinaj auprès de sa population, c'est que d'une certaine manière c'était

  2   une brute qui aurait intimidé une population entière. Mais la réalité est

  3   toute contraire. Il est aimé, il est populaire à cause de ses qualités de

  4   soldat et d'homme politique. On ne devient pas un dirigeant aimé et

  5   populaire parce qu'on commet des crimes contre des civils vulnérables. Et

  6   les gens le savent. Ils connaissent la différence.

  7   Tous les héros de guerre ne sont pas des criminels de guerre. M.

  8   Haradinaj est un homme intègre, qui s'est battu de manière honorable.

  9   Je vois l'heure, nous devrions peut-être faire une pause.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Oui, tout à fait. Nous reviendrons à

 11   17 heures 45. Merci.

 12   --- L'audience est suspendue à 17 heures 14.

 13   --- L'audience est reprise à 17 heures 45.

 14   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Emmerson.

 15   M. EMMERSON : [interprétation] Comme, Messieurs les Juges, le savent,

 16   l'acte d'accusation en l'espèce couvre la période de l'année 1998, c'est le

 17   moment où l'UCK essayait de se constituer.

 18   Pendant la première moitié de l'année 1998, l'UCK était constitué

 19   d'un petit nombre de combattants déterminés tout comme M. Haradinaj, avec

 20   un nombre toujours croissant de volontaires qui n'étaient pas formés, pas

 21   entraînés, qui étaient mal équipés. Et, un élément important qui émerge des

 22   éléments de preuve que nous avons entendus est la structure de cette

 23   organisation naissante. Elle a été décrite pendant le premier procès par le

 24   colonel Crosland, l'attaché militaire de l'ambassade britannique à

 25   Belgrade. Donc c'était une structure qui était surtout horizontale plutôt

 26   que verticale.

 27   Et on sait parfaitement que l'UCK ne saurait absolument pas être

 28   comparé à une force militaire conventionnelle, et n'avait absolument pas


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  1   une structure de commandement comme l'ont les forces conventionnelles. M.

  2   Rogers l'a affirmé précédemment lui-même, les hiérarchies militaires au

  3   sens strict du terme n'étaient simplement pas encore en place. Et c'est la

  4   raison pour laquelle sans aucun doute l'Accusation n'a jamais formulé ces

  5   chefs d'accusation au titre de l'article 7(3), donc ces accusations contre

  6   M. Haradinaj.

  7   La réalité est qu'il n'y avait pas de structure de commandement

  8   effectivement en place pendant la période couverte par l'acte d'accusation.

  9   La plupart de ceux qui ont combattu dans les rangs de l'UCK étaient des

 10   villageois, qui revenaient simplement à leurs occupations régulières en

 11   tant qu'agriculteurs lorsqu'ils ne combattaient pas. Donc c'était en fait

 12   des agriculteurs, ils n'avaient pas d'uniforme pour la plupart d'entre eux,

 13   ils n'avaient pas suffisamment d'armes. Vous avez entendu parler de cela eu

 14   égard à un village qui a été attaqué par les Serbes; il y avait quatre

 15   hommes qui devaient se servir d'une seule et même arme. Ils n'avaient

 16   absolument pas de technologie moderne militaire, absolument pas de systèmes

 17   de transmission moderne. C'étaient simplement des combats asymétriques avec

 18   un nombre croissant de civils d'un côté, une sorte de garde patriotique,

 19   qui a pris des armes pour défendre leurs propres villages, leurs

 20   communautés, face à une armée serbe bien supérieure. Il n'y avait pas du

 21   côté albanais d'armée professionnelle, pas de conscription, pas de

 22   commandement unifié, rien qui pourrait être comparable à une armée

 23   conventionnelle, pas d'autorité centralisée.

 24   Et M. Haradinaj, donc c'est l'homme qui a survécu à l'attaque serbe

 25   du 24 mars, donc c'est lui en fait qui devient de fait le commandant de

 26   ceux qui cherchent à le suivre, qui décident de le suivre.

 27   Et donc ce deuxième procès, nous nous sommes en fait polarisés avant tout

 28   sur les détails très noirs de tout ce qui s'est passé à l'intérieur d'une


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  1   petite enceinte située à Jabllanice. Les crimes visés à l'acte

  2   d'accusation, en fait, ne concernent que les événements qui se sont

  3   produits à l'intérieur de ces quatre murs. Mais afin d'essayer d'établir un

  4   lien entre M. Haradinaj, le commandant qui se situe aux côtés opposés de la

  5   zone Dukagjini, le Procureur en fait a fait un choix très sélectif

  6   d'éléments pour, en fait, s'appuyer sur une analyse beaucoup plus large des

  7   relations de commandement au sein de l'UCK et pour nous montrer que M.

  8   Haradinaj, en fait, était censé exercer une influence sur ceux de

  9   Jabllanice. Donc, ce que je vais essayer c'est un peu de changer d'angle de

 10   vue maintenant. Je voudrais qu'on ait une vue d'ensemble du conflit au

 11   Kosovo occidental pendant la période visée à l'acte d'accusation pour que

 12   nous comprenions quelle est l'importance de ces crimes qui ont été commis à

 13   l'intérieur de cette petite enceinte. Comment est-ce qu'ils correspondent à

 14   la réalité des événements au moment où M. Haradinaj, en fait, est déployé à

 15   l'autre côté de cette même région.

 16   Alors, une vue d'ensemble serait la meilleure façon de faire voler en

 17   éclat ce mythe qui essaie laborieusement de propager l'Accusation. Donc

 18   lorsqu'ils affirment que --

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Vous êtes en train de nous dire que M.

 20   Haradinaj, d'après ce que nous avons entendu, ne s'est jamais rendu sur

 21   place dans cette enceinte ?

 22   M. EMMERSON : [interprétation] Oui, tout à fait. Il n'y a pas de preuve ou

 23   d'élément de preuve présentés ici que M. Haradinaj se soit jamais rendu

 24   dans cette enceinte où étaient détenus les prisonniers, d'ailleurs, à

 25   Jabllanice.

 26   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Excusez-moi. Je vous ai mal compris.

 27   M. EMMERSON : [interprétation] C'est un point très important.

 28   M. LE JUGE MOLOTO : [aucune interprétation]


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  1    M. EMMERSON : [interprétation] Le seul élément qui le montre se rendant au

  2   QG de l'UCK dans la maison familiale de Brahimaj, montre qu'il est allé

  3   donc dans cette maison familiale et non pas dans l'enceinte où étaient

  4   détenus les prisonniers.

  5   Donc, nous n'avons absolument pas de preuve qu'il n'a été jamais présent là

  6   où les crimes ont été commis, et on a pas démontré qu'il s'y soit rendu. Il

  7   était à des kilomètres de distance par un terrain très accidenté, et il a

  8   essayé péniblement de s'opposer aux forces serbes là-bas. Donc, je vais

  9   essayer maintenant de résumer un peu les pierres de touche de cette pièce.

 10   Donc je vais peut-être m'intéresser un petit peu rapidement au contexte

 11   politique. Pendant la décennie qui a précédé le conflit qui a éclaté au

 12   début de 1998, nous avons vu apparaître, se manifester un certain nombre de

 13   dirigeants politiques albanais, des Kosovars de souche, et nous avons

 14   entendu parler de la Ligue démocratique du Kosovo, la LDK, constituée en

 15   1989, sous la direction d'Ibrahim Rugova, et vous avez entendu parler

 16   également de l'attitude pacifique de la LDK qui cherchait à prôner une

 17   solution non violente, donc qui cherchait la voie du dialogue avec

 18   Belgrade. Et c'est particulièrement pertinent en l'espèce. Vous vous

 19   rappellerez un témoin - et je ne vais pas en parler en audience publique -

 20   un témoin qui a témoigné à huis clos - et il vous a dit que dans son

 21   village les gens supportaient surtout Rugova et sa LDK, et il a dit que

 22   c'est pour cette raison que Lahi Brahimaj ne les aimait pas, et qu'ils ont

 23   été punis ainsi que ceux de Jabllanice. Je veux simplement vous démontrer

 24   qu'il n'y a absolument pas d'élément de preuve démontrant que Ramush

 25   Haradinaj, qui agissait de l'autre côté de la zone de Dukagjin, considérait

 26   que la LDK constituait un adversaire politique pour lui. D'ailleurs, quand

 27   il est devenu premier ministre kosovar, il a formé un gouvernement de

 28   coalition avec la LDK de Rugova.


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  1   Puis vous avez une autre tendance politique au Kosovo qui s'est

  2   articulée, c'était le Mouvement populaire kosovar, qui prônait une

  3   résistance directe aux Serbes par voie de soulèvement armé, y compris, et

  4   c'était par organisation de poches de résistance armée qu'ils ont procédé.

  5   Mais c'est uniquement à la fin de 1997, donc quelques mois avant le début

  6   de la période couverte par l'acte d'accusation, que l'Armée de libération

  7   kosovar, l'UCK, se manifeste pour la première fois publiquement au Kosovo.

  8   Et cela vous donne une idée de la durée de son existence.

  9   Alors, le président Milosevic et ses partisans, à ce moment-là, avaient

 10   décidé à procéder à l'étape suivante dans leurs plans pour le Kosovo, à

 11   savoir ils allaient détruire les villages albanais qui étaient perçus comme

 12   constituant le cœur de la résistance armée, résistance opposée au régime

 13   serbe. Et au début de l'année 1998, on commence donc avec le début de la

 14   mise en œuvre de ce plan par Belgrade.

 15   Et nous avons les premières attaques serbes qui se produisent fin

 16   février, début mars 1998. Le 28 février 1998, les Serbes lancent une

 17   attaque sans avertissement aucun sur deux villages dans la région de

 18   Drenica; Kiroz et Likoshan. Donc, ils attaquent en ouvrant le feu de

 19   manière indiscriminée contre les civils, hélicoptères, véhicules blindés

 20   militaires, des mortiers, des mitrailleuses sont utilisées. A la fin de la

 21   journée, nous avons 26 Albanais, y compris une femme enceinte, qui ont été

 22   tués, et parmi eux il y en a beaucoup qui ont été tués quasiment à bout

 23   portant. Et 12 de ces personnes, au moins, ont été tuées après avoir été

 24   arrêtées par la police serbe. Donc ça, ça a été le premier jalon.

 25   Puis le 5 mars 1998, juste trois semaines avant l'attaque sur

 26   l'enceinte Haradinaj, les forces serbes ont attaqué la famille à  Adem

 27   Jashari. Après que les forces spéciales de la police ont pilonné l'enceinte

 28   de la famille Jasari, les forces terrestres sont entrées, investies


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  1   l'endroit et simplement ont tiré sur tous ceux qui respiraient encore.

  2   Cinquante-huit personnes ont été tuées dont 18 femmes et 10 enfants qui

  3   avaient moins de 16 ans. Et à peu près au même moment, il y a eu une

  4   attaque qui a été lancée contre le village de Laushe. En tout, 80 Albanais

  5   de souche, donc Albanais kosovars ont été tués dans ces opérations

  6   brutales, y compris non seulement des femmes mais aussi des enfants en bas

  7   âge et des personnes âgées. Et il est tout à fait évident quel impact cela

  8   pouvait avoir sur la population albanaise à la campagne, donc vivant au

  9   Kosovo occidental. Et d'ailleurs, nous avons compris que c'est un sentiment

 10   d'insécurité, une situation très instable, donc, qui est amorcée à partir

 11   de ce moment-là pour tous ceux qui vivent dans les endroits isolés et qui

 12   ont la sensation de pouvoir être des victimes suivantes.

 13   Et ça c'est le contexte dans lequel trois semaines plus tard, en mars

 14   1998, se produit à Glodjan ce qui est le premier événement majeur, donc, au

 15   début de la période couverte par l'acte d'accusation.

 16   Les forces serbes avancent dans les jours qui précèdent le 24 mars,

 17   avancent vers leur cible suivante, à savoir la famille Haradinaj de

 18   Glodjan. Donc ce seront les Jashari, numéro 2, et le colonel Crosland, qui

 19   se trouve sur place à l'époque et qui a vu comment les forces serbes ont

 20   apporté des renforts, a déposé à cet effet et il nous a parlé de cette

 21   arrivée massive de militaires et de policiers dans la zone autour de

 22   Glodjan. Et il était clair à ses yeux que quelque chose allait se produire

 23   et que les forces serbes étaient en train de se rassembler pour lancer une

 24   nouvelle attaque de taille. Et alors, c'est ce qui se passe dans la matinée

 25   du 24 mars, essentiellement. La tactique appliquée par les Serbes est en

 26   fait la même que ce qui s'était passé à Prekaz, mais cette fois-ci à

 27   Glodjan on est prêt à tous les accueillir, et en fait c'est une résistance

 28   farouche qui leur est opposée par M. Haradinaj et ses frères.


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  1   Et donc, les forces serbes - et il est important de le savoir - les

  2   forces serbes se sont déployées et ont ouvert le feu sur l'enceinte

  3   Haradinaj depuis la propriété qui se trouve juste à côté, à savoir il y a

  4   une ferme qui est la propriété de leur voisin le plus proche, à savoir la

  5   famille serbe de Glodjan, les Stojanovic. Parce qu'en fait, l'Accusation

  6   avance quelque chose à propos de ce qui est advenu de cette famille

  7   Stojanovic. Mais vous avez certainement entendu dire que quelques jours

  8   après le 24 mars, cette famille a été attaquée par les villageois de

  9   Glodjan qui croyaient à tort ou à raison et probablement d'ailleurs à

 10   raison que la famille Stojanovic avait relayé des informations ou des

 11   renseignements aux forces serbes afin de leur permettre de lancer cette

 12   opération foudroyante.

 13   Mais lorsque les tirs ont commencé, en fait, les éléments de preuve

 14   démontrent que les hommes de la famille Haradinaj ont riposté. Et en fait,

 15   ils se déplaçaient d'une fenêtre à l'autre pour donner l'impression qu'ils

 16   étaient beaucoup plus nombreux qu'ils ne l'étaient en réalité. Ils ont

 17   réussi à avoir suffisamment de tirs pour permettre et à donner un appui feu

 18   aux femmes et aux enfants de la famille qui ont pu s'échapper par

 19   l'arrière, et ils ont réussi à tenir à distance les forces serbes jusqu'à

 20   pouvoir eux-mêmes, lorsque la nuit fut tombée, s'échapper.

 21   Et M. Haradinaj a été très sérieusement blessé lors de cette attaque.

 22   Et au cours de cette journée, les forces serbes avaient utilisé des

 23   armes lourdes, notamment un Praga 30 millimètres, de véhicules blindés

 24   ainsi que des hélicoptères militaires à Glodjan. La police militaire est

 25   entrée dans le village. Il y a eu des combats de tirs rapprochés. De

 26   nombreux civils ont été rassemblés, raflés, détenus, de grandes parties du

 27   village ont été détruites, et trois adolescents du village ont été tués par

 28   les forces serbes alors qu'ils essayaient de s'enfuir pour se protéger.


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  1   Des rapports ont suggéré que des enfants en âge scolaire ont été

  2   utilisés par les forces serbes comme étant des boucliers humains et qu'un

  3   couple de personnes âgées a été bombardé chez eux. Des attaques simultanées

  4   ont été lancées contre les villages avoisinants, notamment le village

  5   d'Irzniq. Ces villages, en fait, étaient complètement vides, parce que la

  6   population civile s'était enfuie à ce moment-là.

  7   Finalement, les forces serbes ont fini par se retirer sans parvenir à

  8   massacrer la famille Haradinaj comme ils avaient massacré la famille des

  9   Jashari. Et M. Rogers a raison lorsqu'il a dit un peu plus tôt que la

 10   survie de la famille Haradinaj, envers et contre tous, est devenue très,

 11   très rapidement le symbole, un symbole pour la population albanaise, le

 12   symbole suivant lequel il était tout à fait possible de résister aux forces

 13   serbes et de gagner. Il a raison, M. Rogers, lorsqu'il avance que cela est

 14   à l'origine du sentiment de popularité pour M. Ramush Haradinaj, car pour

 15   eux, c'était le signe que quelqu'un était tout à fait prêt et disposé à les

 16   protéger contre les Serbes. Et il y a un témoignage qui a été admis dans le

 17   cadre du premier procès et suivant lequel la population du Kosovo

 18   occidental l'adorait et continue, d'ailleurs, à l'adorer.

 19   Alors, vous avez donc cette première attaque vouée à l'échec du 24

 20   mars, qui est le premier grand jalon de la période couverte par l'acte

 21   d'accusation, mais en fait, ce ne fut pas la seule attaque militaire serbe

 22   à ce moment-là dans cette partie occidentale du Kosovo, car il faut savoir

 23   qu'il y a eu trois grandes offensives serbes entre mai et septembre. La

 24   première de ces offensives se situe vers la fin du mois de mai, la deuxième

 25   à la fin du mois de juillet et au début du mois d'août, et la troisième au

 26   début du mois de septembre. Et je vais, si vous m'y autorisez, en parler

 27   brièvement, parce qu'elles vous permettront de comprendre les priorités

 28   militaires de M. Haradinaj et d'autres personnes qui se trouvaient donc sur


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  1   la ligne de front ou dans la partie occidentale de la zone de Dukagjin, et

  2   cela nous permettra de mieux évaluer les moyens à charge qui ont été

  3   présentés par rapport à ce qui se passait véritablement sur le terrain, car

  4   vous verrez que l'Accusation fait très souvent référence à cette zone

  5   placée sous le contrôle de l'ALK.

  6   Alors, j'aimerais que nous commencions par nous intéresser à cette

  7   première offensive serbe de la deuxième quinzaine du mois de mai. Elle a

  8   été lancée dans la région de Dukagjin, et nous avons une carte qui vous

  9   permettra de mieux comprendre ce dont il s'agit. Vous voyez donc au bas de

 10   la carte la zone bleue, le lac Radoniq. Vous avez Peje en haut, au nord. Et

 11   vous avez en fait l'axe routier Peje-Gjakova, qui se trouve du côté gauche,

 12   quasiment perpendiculaire, donc. Donc, vous avez eu dans un premier temps

 13   quelques attaques à l'ouest de cette route, donc tout près de la frontière

 14   albanaise, puis les forces albanaises [comme interprété] ont attaqué un

 15   village qui s'appelle Grabanice dont M. Rogers a parlé un peu plus tôt. Et

 16   cette attaque a eu lieu le 19 et le 20 mai. Est-ce que nous voyons

 17   Grabanice sur cette carte ? Bien. Donc, la date de cette attaque est

 18   extrêmement essentielle, car M. Rogers essaie d'étoffer ses arguments qui

 19   gravitent autour de cette date.

 20   M. ROGERS : [interprétation] Pour que je comprenne bien, est-ce qu'il

 21   s'agit d'une pièce qui a été versée au dossier ? Si c'est le cas, est-ce

 22   que nous pourrions avoir la cote de ce document, P ou D, ou est-ce que

 23   c'est juste un document que vous vous proposez d'utiliser maintenant ?

 24   M. EMMERSON : [interprétation] Non, non, je pense que c'est une carte

 25   versée au dossier dans le premier procès. Donc, je pense que c'est une

 26   carte utilisée lors du premier procès. Donc, si elle a été versée au

 27   dossier, bien entendu je vais vérifier et je vous fournirai la cote de la

 28   carte.


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  1   Mais je vous disais donc que vous avez cette attaque contre Grabanice

  2   le 19 et le 20 mai. Un certain nombre de civils ont été tués avant que

  3   Grabanice ne soit vaincue par les Serbes et un certain nombre de personnes

  4   -- enfin, la population locale, plutôt, l'ensemble de la population locale

  5   qui s'enfuit pour essayer de trouver refuge dans les villes et villages

  6   avoisinants, certains étant d'ailleurs allés à Jabllanice.

  7   Alors, le 25 mai, les forces spéciales serbes ont attaqué les

  8   villages de Lybeniq et de Strelle, des bâtiments ont été brûlés, 11

  9   villageois perdent la vie. Le 28 mai, les forces serbes continuent leur

 10   progression vers le sud-ouest à partir de Peje et lancent des attaques dans

 11   les zones autour de Vranoq et de Baran. Ces dates, ainsi que les noms de

 12   ces villes, sont extrêmement importantes, car Baran devait par la suite

 13   devenir l'endroit où se trouvait la caserne des FARK commandée par le

 14   Témoin 17. Le Témoin 17 était le commandant de la caserne des FARK à Baran,

 15   et cela a son importance parce que lorsque nous allons étudier certains des

 16   documents qui ont été utilisés par M. Rogers, qui nous a indiqué qu'il

 17   s'agissait de listes -- de listes noires, de listes de cibles -- de

 18   personnes visées dressées par l'ALK, en fait, il s'agit de documents qui

 19   ont été compilés par le Témoin 17.

 20   M. ROGERS : [interprétation] Est-ce que nous pourrions passer à huis clos

 21   partiel, rapidement.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bien. Je souhaiterais que la Chambre

 23   passe à huis clos partiel.

 24   Monsieur Rogers.

 25   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes maintenant à huis clos

 26   partiel.

 27   [Audience à huis clos partiel]

 28  (expurgé)

 


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  1  (expurgé)

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 17   [Audience publique]

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 19   M. EMMERSON : [interprétation] Je vous parlais donc de l'attaque du 28 mai

 20   contre Vranoq et Baran.

 21   Nous avons, le même jour, des attaques semblables contre Junik,

 22   Cerrebreg, Preljep, et à Isniq également, ainsi qu'à Rastavica.

 23   Alors, Messieurs les Juges, il faut savoir que pendant toute cette

 24   période, à savoir le mois de mai et le mois de juin, les forces serbes

 25   continuent à exercer des pressions constantes sur tous les villages

 26   entourant Glodjan, et ils bombardent régulièrement à partir de trois

 27   endroits élevés vers le sud. Ils avaient l'appui d'une unité de police

 28   paramilitaire qui procédait à des incursions sur le terrain. Et nous allons

 


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  1   vous présenter ces trois endroits, mais il faut savoir, en fait, que ces

  2   trois endroits formaient en quelque sorte un arc autour du côté sud du lac

  3   Radoniq.

  4   Et avant que nous regardions ce document, je vous dirai que la

  5   deuxième grande offensive serbe a été lancée à la fin du mois de juillet et

  6   au début du mois d'août dans la région de Dukagjin. Les villages attaqués

  7   lors de cette phase de la campagne incluaient, notamment, Junik, Rastavica

  8   et Prejlep. Le 2 août, les forces serbes sont entrées dans Jabllanice et

  9   l'ont investie. Gramocel est tombé le 8 août, et le village de Shaptej et

 10   Rastavica sont tombés aux mains des Serbes le 9 août. Les forces serbes ont

 11   alors - et vous allez voir, Messieurs les Juges, les différents lieux - les

 12   forces serbes se sont alors déplacées vers Glodjan et Irzniq et ont pris le

 13   contrôle de Glodjan le 12 août.

 14   Et c'est une date qui a son importance pour deux raisons :

 15   premièrement, parce que l'Accusation l'a beaucoup utilisée et s'est

 16   beaucoup appuyée lors de ses arguments sur la déposition de M. Achilleas

 17   Pappas, membre de la Mission d'observation de l'Union européenne dont le

 18   groupe d'observateurs avait justement été détenu par des soldats de l'ALK

 19   le 11 août à Irzniq, alors que les forces serbes se rapprochaient. Ils

 20   avaient été arrêtés parce qu'ils avaient conduit à partir de Pec, seuls,

 21   sans armes, dans cette zone de conflit autour de Glodjan, une décision

 22   particulièrement imprudente s'il en fut.

 23   M. Haradinaj a été appelé alors qu'il se trouvait sur la ligne de

 24   front pour essayer de régler le problème. Mais apparemment, l'Accusation

 25   s'appuie pour cet incident pour étayer une allégation suivant laquelle M.

 26   Haradinaj avait tendance à brutaliser les civils, et cela, donc, pour

 27   renforcer l'argument suivant lequel il faisait partie de cette entreprise

 28   criminelle commune alors qu'il avait été appelé pour essayer de régler la


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  1   situation. Et, en fait, d'après les éléments de preuve fournis par M.

  2   Pappas, vous verrez et vous comprendrez que lorsque M. Haradinaj est

  3   arrivé, nous voyons que c'est tout à fait l'inverse de ce que propose

  4   l'Accusation qui s'est passé, parce qu'à partir du moment où M. Haradinaj

  5   est arrivé, c'est ce que M. Pappas nous a dit, alors qu'on l'avait fait

  6   venir de la ligne de front pour régler le problème d'un groupe de personnes

  7   qui de façon tout à fait irréfléchie et irresponsable avaient conduit et

  8   étaient arrivées droit dans une zone de conflit, il les a traités de façon

  9   extrêmement professionnelle et a fait en sorte qu'ils puissent repartir à

 10   une époque où ils devaient quand même être plutôt sous pression.

 11   Donc je vous demanderais de ne pas l'oublier. Et regardez les trois

 12   positions qui avaient été investies par les forces serbes à partir du 24

 13   mars.

 14   Donc vous avez les commandants militaires serbes qui étaient

 15   stationnés dans cet endroit, dans ces villages autour de Glodjan, et cela a

 16   la forme d'un sabot de cheval. Ces villages étaient constamment sous

 17   surveillance. Je vais vous donner le nom de ces villages. Il s'agit de Suka

 18   Babolloq, Suka Bitesh et Suka Cermjan.

 19   Alors, pour reprendre les propos de Branko Gajic, qui était le chef du

 20   renseignement militaire pour la VJ, propos qui ont été retenus comme

 21   élément de preuve dans le cadre du premier procès, les troupes qui étaient

 22   stationnées sur ces trois endroits qui étaient surélevés près de Glodjan

 23   faisaient fonction "d'arrête dans la gorge" de l'ALK.

 24   Donc, regardez les positions adoptées par les militaires serbes. Vous

 25   avez donc Suka Babolloq, vous avez donc -- et cela, c'est pour la zone

 26   Glodjan-Irzniq.

 27   Si vous prenez la vue à partir de Suka Bitesh, donc là c'est vers

 28   l'est, il y avait des forces serbes qui étaient également stationnées à cet


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  1   endroit, et vous voyez, en fait, ils voyaient Glodjan, et puis ils voyaient

  2   Irzniq un peu plus loin. Et vous avez le schéma numéro 5 qui vous montrera

  3   la vue à partir de Suka Cermjan, donc de l'autre côté du lac, où vous avez

  4   Glodjan et Irzniq qui sont encore dans leur point de mire. Et puis,

  5   finalement, le schéma numéro 6 qui vous montre la vue à partir de la rive

  6   sud du lac, vous voyez donc Glodjan et Irzniq toujours, et vous avez Suka

  7   Bitesh. Donc, si vous reprenez le schéma numéro 5, vous constaterez que

  8   cela leur donnait la possibilité de maîtriser le terrain, d'observer tous

  9   les mouvements dans ce secteur et de déployer à la fois des artilleries de

 10   longue portée, des troupes, et il y a des éléments de preuve du premier

 11   procès qui nous ont permis de comprendre que c'est justement ce qu'ils ont

 12   fait pendant toute la période retenue par l'acte d'accusation.

 13   Donc, comme M. Gajic l'indique si bien avec son analogie de l'arrête dans

 14   la gorge, le but des commandants militaires serbes était littéralement

 15   d'étouffer, d'étrangler l'ALK à Glodjan, de complètement limiter leur

 16   capacité à opérer, de leur rendre la tâche extrêmement difficile lorsqu'ils

 17   se déplaçaient sur le terrain et de pouvoir les cibler lorsqu'ils se

 18   déplaçaient. Et c'est la raison pour laquelle vous avez entendu à quel

 19   point il était difficile de se déplacer entre la ligne de front à Glodjan

 20   et le village de Jabllanice où les crimes allégués ont eu lieu. Alors,

 21   certes, les distances n'étaient pas immenses, mais il était absolument

 22   impossible de se déplacer en utilisant les routes principales ou en le

 23   faisant pendant la journée.

 24   Alors il fallait, en fait, passer par le nord, contourner le lac,

 25   puis ensuite passer par l'est où vous aviez donc trois postes de

 26   surveillance qui étaient élevés. Et n'oubliez pas que les Serbes

 27   disposaient de matériel de vision, qu'ils avaient des armes de longue

 28   portée ainsi que des forces de police paramilitaire qui pouvaient se


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  1   déployer extrêmement rapidement et qu'ils pouvaient utiliser dès que

  2   quelqu'un pénétrait dans leur ligne de vision.

  3   Donc, pour aller de Glodjan à Jabllanice, ou vice versa, les soldats de

  4   l'ALK devaient se déplacer furtivement, en se cachant, lentement, pour

  5   éviter les troupes qui étaient cantonnées sur ces lieux élevés. Et vous

  6   avez M. Bizlim Zyrapi et d'autres qui ont décrit comment cela se faisait.

  7   En règle générale, ces déplacements avaient eu lieu pendant la nuit. Ils

  8   n'empruntaient pas les routes principales, mais des routes secondaires où

  9   ils passaient à travers champs sur des terrains accidentés, et en plus il

 10   fallait que les phares ne soient pas allumés, les phares de leur véhicule.

 11   Donc ce n'était pas véritablement des déplacements que les gens faisaient à

 12   moins qu'ils n'aient d'excellentes raisons pour ce faire. Et vous pourrez

 13   peut-être comprendre puisqu'il a été dit pendant ce procès que M. Haradinaj

 14   ne s'est rendu à Jabllanice qu'à quatre reprises. Il n'a fait donc ce

 15   déplacement qui était si difficile que quatre fois pendant neuf mois,

 16   pendant toute la période reprise par l'acte d'accusation. Donc, quatre fois

 17   en neuf mois.

 18   Mais cela vous permet d'avoir le cadre parce que l'Accusation dit de

 19   façon assez fantaisiste qu'il doit être considéré comme responsable pour

 20   les événements qui se sont déroulés à Jabllanice, qui se trouvait hors de

 21   sa zone de commandement, alors qu'il n'y était même pas et qu'il n'y a même

 22   pas d'élément de preuve indiquant qu'il a fermé les yeux sur ce qui s'y est

 23   passé.

 24   J'aimerais maintenant vous permettre de comprendre l'intensité de la

 25   campagne menée par les Serbes sur la ligne de front, où se trouvaient M.

 26   Haradinaj et d'autres, donc du côté ouest de la région de Dukagjin.

 27   Car, en fait, on retrouve à chaque fois le même modus operandi pour

 28   les deux offensives d'été. Premièrement, les villages sont entourés avec


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  1   force véhicules blindés et artillerie lourde.

  2   Puis, il y avait une deuxième phase, une phase destructrice, de

  3   bombardements, alors que les civils étaient encore dans le village. Puis,

  4   la police paramilitaire de sinistre réputation entrait dans le village à

  5   pied et tirait sur les gens qui étaient encore dans les villages. Ils

  6   pillaient tous les biens des Albanais, tuaient le bétail et incendiaient

  7   tout ce qui leur tombait sous la main, qu'il s'agisse d'écoles, de bottes

  8   de foin ou de bâtiments, et les maisons étaient pillées. Et c'est ce que,

  9   par euphémisme, ils appelaient des opérations de nettoyage.

 10   Dans bien des cas, les villages ont été complètement rasés. Ces

 11   opérations serbes se caractérisaient, et ce, de façon absolument invariable

 12   par l'utilisation de la force excessive de façon tout à fait indiscriminée,

 13   et aucune distinction n'était établie entre les combattants et les civils.

 14   L'objectif était de nettoyer de façon ethnique la zone de toute sa

 15   population albanaise et d'empêcher coûte que coûte leur retour.

 16   Alors, j'aimerais maintenant que nous nous intéressions à deux éléments de

 17   preuve. J'ai donné aux Juges de la Chambre un jeu de documents auxquels

 18   j'aimerais faire référence directement. Mais plutôt que de vous faire lire

 19   ces papiers, j'aimerais vous montrer les vidéos de ces témoins qui

 20   déposent, le premier étant le colonel Crosland qui décrit ce qu'il a vu. Il

 21   décrit en fait cette attaque qui se passe dans la partie occidentale du

 22   Kosovo. Il s'agit de la pièce P508. J'aimerais donc que nous puissions

 23   visionner ce passage.

 24   M. ROGERS : [interprétation] J'aimerais savoir s'il y a déformation de

 25   traits, avant que cela ne commence.

 26   M. EMMERSON : [interprétation] Pour la déposition du colonel Crosland, il y

 27   a déformation de la voix mais non pas du visage.

 28   [Diffusion de la cassette vidéo]


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  1   L'INTERPRETE : [voix sur voix]

  2   "Question : Alors, dans l'une de vos déclarations, voilà ce que vous

  3   dites, et je cite : 'J'ai vu moi-même entre 200 et 300 villages incendiés,

  4   brûlés, pendant les années 1998 et 1999. Les récoltes étaient brûlées de

  5   façon tout à fait aléatoire. Les commerces tels que les stations d'essence

  6   et les magasins étaient pillés. Dans des villes telles que Decani, Pec et

  7   Djakovica, les zones albanaises ont été complètement incendiées. Et cela

  8   incluait des dégâts pour les mosquées. Il y a certains villages qui ont été

  9   pillés et brûlés à trois reprises au moins. La population civile est partie

 10   et n'est revenue que lorsqu'elle pensait qu'elle pouvait le faire en toute

 11   sécurité.'

 12   Vous avez fait d'autres déclarations qui indiquaient en fait la même chose.

 13   Alors, avant que vous nous parliez de la population civile qui partait et

 14   qui revenait, est-ce que vous pourriez résumer à l'intention des Juges

 15   comment ces opérations ont été effectuées, avec quelles forces et quelles

 16   forces faisaient quoi ?

 17   Réponse : Donc la déclaration porte sur 200 à 300 villages, Monsieur le

 18   Juge, et je l'ai fait dans plusieurs rapports établis pendant les années

 19   1998 et 1999, et ce, afin d'essayer de convaincre la communauté

 20   internationale et les différents protagonistes qui étaient intéressés, pour

 21   les convaincre, disais-je, que le comportement des forces de sécurité

 22   serbes n'était absolument pas acceptable par rapport à la situation dans

 23   laquelle se trouvait le Kosovo. Il a été question de nettoyage ethnique --

 24   alors, je ne suis pas autorisé à utiliser ce terme, parce que lorsqu'on

 25   parle de nettoyage ethnique il y a une connotation juridique.

 26   Question : Ce n'est pas ce que je vous ai demandé de faire. Je vous

 27   ai demandé de décrire ce que vous avez vu.

 28   Réponse : Eh bien, j'ai vu, et cela est indiqué dans ce paragraphe,


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  1   exactement ce que Me Emmerson a lu.

  2   Question : Quelle sont les troupes qui ont participé et quels ont été leurs

  3   rôles pour ce qui est de la destruction, des incendies et des pillages des

  4   groupes que nous avons décrits, la VJ, la SAJ, les PJP, les JSO, les

  5   paramilitaires ? Qui faisait quoi lorsque vous vous trouviez au Kosovo ?

  6   Réponse : Toutes ces formations ont participé à cette destruction de

  7   villages, de commerces, de magasins, de récoltes, de maisons, de mosquées,

  8   et cetera.

  9   Question : Est-ce que vous avez vu des biens ou des propriétés se

 10   faisant piller ?

 11   Réponse : Oui, tout à fait.

 12   Question : Et qui était responsable de ces pillages, est-ce qu'il

 13   s'agissait d'hommes portant l'uniforme ou d'hommes en civil ?

 14   Réponse : J'ai vu des hommes portant l'uniforme le faire.

 15   Question : Et qu'est-ce qu'ils prenaient des maisons des gens ?

 16   Réponse : A Rakovina, sur la route qui vient de Djakovica, j'ai vu un PJP

 17   qui avait une brouette avec une télévision dedans.

 18   Question : Et lorsqu'ils pillaient les maisons, est-ce qu'ils les brûlaient

 19   après les avoir pillées ?

 20   Réponse : Ecoutez, cela se faisait en continu. C'était un projet --

 21   excusez-moi, c'était ce qui se passait dans la plupart des opérations.

 22   En fait, moi, j'ai mentionné ce fait à plusieurs reprises en 1998, je

 23   l'ai mentionné au général Ojdanic notamment et à d'autres personnes. J'ai

 24   indiqué justement que le comportement des forces de sécurité serbes était

 25   tel qu'il propulsait, en quelque sorte, la population albanaise entre les

 26   mains de l'Armée de libération du Kosovo, qu'ils le veuillent ou non

 27   d'ailleurs. Et le comportement de nombreux soldats était tel que les forces

 28   de sécurité serbes nous ont tiré dessus - et lorsque je dis 'nous', c'est


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  1   moi-même et certains de mes collègues - et ce, à plusieurs reprises.

  2   Question : Et pour que nous comprenions précisément ce qui s'est passé,

  3   est-ce que vous les avez vus tirer sur des animaux, brûler des récoltes ou

  4   détruire des récoltes ?

  5   Réponse : Oui.

  6   Question : Et pourquoi est-ce qu'ils tuaient le bétail et détruisaient le

  7   foin de ces animaux pour l'hiver ?

  8   Réponse : Eh bien, vous venez juste de mentionner le mot 'hiver'. Il faut

  9   savoir que pendant l'année 1998, alors que de plus en plus de personnes,

 10   essentiellement des Albanais mais des Serbes également, fuyaient leurs

 11   domiciles, le problème était de savoir comment ces personnes allaient

 12   survivre pendant l'hiver alors que toutes leurs récoltes avaient été

 13   brûlées, tous leurs vivres avaient été détruits et tout leur bétail tué."

 14   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 15   M. EMMERSON : [interprétation] Voilà un passage de la déposition du colonel

 16   Crosland. Je pense en fait qu'il s'agit de l'intercalaire numéro 2 dans

 17   votre jeu et de la pièce P508. Et je poursuis la diffusion.

 18   [Diffusion de la cassette vidéo]

 19   L'INTERPRETE : [voix sur voix]

 20   "Question : J'aimerais vous indiquer quelque chose et j'aimerais vous

 21   demander des observations. Vous avez dit à plusieurs reprises que le rôle

 22   de la VJ lors de ces opérations mixtes était de faire en sorte de

 23   bombarder, en d'autres termes, il s'agissait d'une phase destructrice de

 24   bombardement avant le début des incendies, bien que vous ayez dit que sur

 25   le terrain il y avait de nombreux officiers de la VJ qui aient participé à

 26   mettre le feu, n'est-ce pas ?

 27   Réponse : Oui, malheureusement, cela semble être exact. D'après ce que je

 28   comprends, en 1998, des tirs indirects ont été fournis en quelque sorte par


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  1   la VJ, par son artillerie, lors des opérations du MUP. Malheureusement, en

  2   1999, nous avions dû partir à cause de la campagne de bombardement de

  3   l'OTAN, et il semblerait que la VJ, là, a participé de façon un peu plus

  4   directe à ce type d'action.

  5   Question : Je pense que vous avez dit hier - et il me semble que vous vous

  6   êtes corrigé ou peut-être que c'était une erreur, et si tel était le cas,

  7   le moment est venu de nous le dire - je pense que hier vous nous avez dit

  8   que lorsque vous conduisiez et que vous êtes passé par Prilep et Irzniq

  9   alors que vous alliez vers le canal, vous avez assisté à une opération

 10   totalement destructrice qui était menée à bien sur le terrain par la VJ et

 11   par les forces du MUP, n'est-ce pas ?

 12   Réponse : Oui, je pense que c'est exact. Il y avait des chars qui étaient

 13   responsables de cette destruction également.

 14   Question : Pour revenir à ma question, est-ce que la participation de la VJ

 15   dans ce type d'opération aurait pu se passer sans l'autorité et

 16   l'approbation de Bozidar Delic et Dragan 

 17   Zivanovic ?

 18   Réponse : A mon avis, non."

 19   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 20   M. EMMERSON : [interprétation] Bozidar Delic et Dragan Zivanovic étaient,

 21   bien entendu, les commandants de la VJ cantonnés dans la zone. Il y en

 22   avait un qui était responsable pour le déploiement des troupes dans les

 23   trois zones que je vous ai présentées, ces trois zones élevées.

 24   Et lorsque le colonel Crosland décrit comment les PJP et la VJ mènent

 25   une opération mixte et pillent à Prilep et à Irzniq, il a, bien entendu, vu

 26   cela se passer dans ces villages qui se trouvent de part et d'autre de

 27   Glodjan, et vous voyez comment il indique que ces villages ont été rasés

 28   littéralement.


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  1   Donc, voilà le type d'opération auquel devait faire face M.

  2   Haradinaj. Et je vous ai dit un peu plus tôt que le jour où M. Pappas et

  3   son groupe d'observateurs de l'Union européenne ont été très brièvement

  4   détenus, et M. Rogers insiste lourdement là-dessus, les forces serbes

  5   étaient en train de se rapprocher de Glodjan et autour d'Irzniq et étaient

  6   prêtes à lancer la toute dernière offensive par laquelle Glodjan est tombé

  7   aux mains des Serbes le 12 août. Et cela a fini par forcer M. Haradinaj à

  8   abandonner son QG à Glodjan le 12 août, et cela l'a forcé également à

  9   démissionner en tant que commandant de la zone de Dukagjin pendant une

 10   certaine période, et il a été remplacé par Tahir Zimaj, qui était à

 11   l'époque commandant des FARK.

 12   Et le 11 et le 12 - en fait, une équipe de reportage de la BBC se

 13   trouvait à Glodjan et à Irzniq et ils ont filmé des images de l'assaut

 14   qu'ont mené les forces serbes. Et ceci représentera beaucoup plus que des

 15   mots, ce qui s'est passé sur place. C'était donc la situation dans laquelle

 16   se trouvaient M. Pappas et son groupe. Ils sont arrivés directement dans le

 17   vif de cette situation le 11 août. C'est à l'intercalaire numéro 3, à

 18   l'attention des interprètes, si je ne m'abuse, et c'est la pièce D97. 

 19   [Diffusion de la cassette vidéo]

 20   L'INTERPRETE : [voix sur voix]

 21   "Les Serbes savent qu'ils ont l'avantage et ils ont l'intention de

 22   l'utiliser. Cette fois-ci, c'est le village de Glodjan qui est en flammes,

 23   qui a été bombardé et qui a dû se soumettre sous le feu des mitraillettes.

 24   Et de l'autre côté, l'UCK a pu avoir un accès exclusif à leur nouvelle

 25   ligne de front. Mais ils sont nerveux. Certains de ces hommes viennent de

 26   ce village. Ils savent ce qui s'est passé là-bas, et ils sont maintenant

 27   directement dans la direction de l'offensive serbe. L'attente est donc

 28   tendue. Mais il est déjà clair qu'ils ne vont pas devoir attendre bien


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  1   longtemps. Les obus tombent maintenant sur Irzniq. Et très peu de choses

  2   peuvent être faites par l'UCK contre une artillerie. Tout ceci se passe

  3   alors que les deux parties essaient de trouver une proposition de paix avec

  4   l'aide de la communauté internationale. Malgré la diplomatie

  5   internationale, la situation sur le terrain n'a pas changé. Les Serbes

  6   continuent leur offensive, l'UCK continue à défendre ses villages et ses

  7   communautés. Les Serbes, bien sûr, ne le voient de cette manière. Ils

  8   insistent pour dire que ce sont les rebelles qui constituent le problème,

  9   et sans eux beaucoup de destructions auraient pu être évitées. Ici, il

 10   s'agit de la police paramilitaire qui est en combat avec l'UCK. Dans

 11   d'autres endroits, il s'agit en fait d'unités très armées de l'armée de

 12   Yougoslavie. Les Serbes ont dit qu'ils considèrent ceci comme une opération

 13   de nettoyage. Pour l'UCK, il s'agit d'une bataille pour la survie. Et il y

 14   a plus de 200 000 personnes qui sont sans abris suite à ce conflit. Les

 15   agences humanitaires espéraient que ces personnes pourraient rentrer dans

 16   leurs villages. Mais ce qui s'est passé aujourd'hui signifie que cela est

 17   fort peu probable. Jeremy Cook, BBC News, Irzniq, au Kosovo."

 18   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 19   M. EMMERSON : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

 20   j'espère que ceci vous donne une bonne idée de ce qui se passait durant la

 21   période couverte par l'acte d'accusation pour ce qui est, bien sûr, des

 22   mouvements de M. Haradinaj. En même temps, j'espère que ceci aura replacer

 23   dans son contexte certaines des déductions assez fantaisistes que

 24   l'Accusation souhaiterait que vous fassiez. Mais je reviendrai un peu plus

 25   dans les détails un peu plus tard. Mais ce que j'aimerais faire également,

 26   c'est de maintenant arriver à ma conclusion en ce qui concerne donc les

 27   différents chefs d'accusation.

 28   Je voudrais donc identifier cinq ou six points-clés concernant


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  1   l'offensive, les crimes commis et l'organisation telle qu'elle existait, et

  2   je parle de l'organisation de l'UCK. Et je vais donc aborder les aspects-

  3   clés qui figurent aux paragraphes 19 et 21 de notre mémoire en clôture.

  4   Entre mars et mai, au vu des menaces, des défenses rudimentaires ont surgi

  5   de manière spontanée dans de nombreux villages du Kosovo occidental. Le 26

  6   mai 1998, les dirigeants de certains villages dans la zone du Kosovo

  7   occidental se sont réunis pour la première fois afin de coordonner leurs

  8   efforts. Ca, c'est la réunion du 26 mai qui a été mentionnée par M. Rogers.

  9   Et donc, les états-majors régionaux ont été constitués avec cinq sous-zones

 10   ou sous-sections.Messieurs les Juges, vous avez vu les cartes de ces cinq

 11   sous-zones ou sous-sections, et vous vous souviendrez des différentes

 12   personnes responsables. Mais pour les besoins de notre affaire, Jabllanice

 13   se trouvait bien loin de ces zones. Donc le 26 mai 1998, les états-majors

 14   régionaux ont été constitués avec ces cinq sous-zones. Jabllanice n'a pas

 15   été intégré dans cette structure et a continué à fonctionner comme de par

 16   le passé, c'est-à-dire un regroupement indépendant de combattants de l'UCK

 17   hors de cette structure qui avait été constituée le 26 mai 1998.

 18   Ce n'est que le 23 juin que la zone de Dukagjin, du commandement

 19   opérationnel, a été constituée, c'est-à-dire Jabllanice a été donc

 20   incorporée de cette manière. Messieurs les Juges, vous avez le compte rendu

 21   de la réunion à Irzniq qui parle de l'incorporation de Jabllanice dans une

 22   structure commune pour les besoins d'amélioration et de coordination des

 23   opérations. C'est la pièce P190. Ce qui est important, et pour que ce soit

 24   très clair, c'est qu'avant le 23 juin, Jabllanice n'était même pas

 25   coordonnée avec les quatre autres sous-zones ou sous-sections.

 26   Je passe maintenant à la période du mois de mai-juin, et nous savons que

 27   Jabllanice a continué de fonctionner comme une zone distincte, et c'est

 28   bien sûr durant cette période que les crimes mentionnés dans les chefs 1,


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  1   2, 3 et 4 ont prétendument été commis.

  2   Et si l'on avance maintenant jusqu'au 23 juin, c'est-à-dire au moment

  3   où M. Haradinaj a été élu commandant de la nouvelle zone de Dukagjin, ou

  4   zone opérationnelle de la plaine de Dukagjin, et c'est mentionné dans les

  5   paragraphes 100 à 118 de notre mémoire, les éléments de preuve montrent

  6   clairement que même après le 23 juin, rien de laisse penser que M.

  7   Haradinaj ait été tenu informé des actions de ceux qui se trouvaient à

  8   Jabllanice ou qu'il était en fait le commandement effectif au jour le jour

  9   ou qu'il contrôlait cette zone.

 10   Durant la période du mois de juillet, il est avancé que les crimes

 11   mentionnés dans les chefs 5 et 6 de l'acte d'accusation ont été commis,

 12   même si le Témoin X a confirmé dans sa déposition que les crimes mentionnés

 13   dans le chef 5 ont eu lieu à une date antérieure.

 14   Chacune de ces étapes de l'évolution a été ponctuée par des attaques

 15   des Serbes nourries avec des effets dévastateurs sur la population civile.

 16   Donc, quelle était la situation de l'UCK en termes d'organisation

 17   durant cette période ? Eh bien, M. Zyrapi vous a dit dans sa déposition

 18   qu'il y avait au moins trois centres indépendants de résistance de l'UCK au

 19   Kosovo occidental : la famille Jashari à Prekaz, la famille Haradinaj à

 20   Glodjan et la famille Brahimaj à Jabllanice. Aucune de ces familles, il

 21   vous a dit, n'avait l'autorité ni la possibilité d'imposer leur volonté sur

 22   les autres familles. Et il a confirmé que les Brahimaj ne pouvaient pas

 23   dire ce que devaient faire les Haradinaj, et vice versa.

 24   L'Accusation a également cité à la barre Skender Rexhametaj qui était

 25   un des commandants de l'un des commandements qui avaient été créés le 26

 26   mai afin de renforcer le fait que M. Haradinaj avait participé aux chefs

 27   d'accusation liés à Jabllanice. Mais en fait, ce témoin a dit que

 28   Jabllanice n'était pas incluse dans la première tentative de constitution


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  1   d'un état-major régional le 26 mai et qu'en fait, l'état-major de

  2   Jabllanice a continué à agir de manière indépendante. Et il a dit que

  3   c'était lui, M. Rexhametaj, donc ce témoin, qui avait proposé que des

  4   mesures soient prises afin d'incorporer Jabllanice afin d'améliorer la

  5   coordination des opérations. Et d'ailleurs, ce qui est très important, il

  6   vous a dit, Messieurs les Juges, que même après le 23 juin, c'est-à-dire

  7   après l'accord de la création du commandement de la zone de Dukagjin et de

  8   la nomination de M. Haradinaj comme commandant, et après l'incorporation de

  9   Jabllanice dans cette nouvelle structure, M. Rexhametaj vous a dit,

 10   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que l'organisation continuait à

 11   avoir une structure horizontale, en réalité, même après le 23 juin, que

 12   personne ne pouvait vraiment donner des ordres aux autres et que tout

 13   devait être fait par le biais de consensus et de consultations, et que les

 14   commandants des différentes sous-zones, il l'a dit, ont continué à agir de

 15   manière indépendante avec des volontaires qui renforçaient les troupes. Il

 16   vous a dit donc que la structure de Dukagjin était en fait un modèle à

 17   suivre pour une organisation militaire qui à terme, ils espéraient,

 18   pourrait être créée.

 19   Voilà donc ce que l'on peut déduire des dépositions des différents témoins.

 20   Compte tenu du temps qu'il nous reste, j'aimerais, si vous me le

 21   permettez, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, passer en revue les

 22   trois incidents qui constituent des éléments de preuve durant lesquels M.

 23   Haradinaj aurait soi-disant joué un rôle direct. Je ne vais pas pour

 24   l'instant parler des confrontations avec les FARK, j'y reviendrai, parce

 25   que là je dirais que M. Haradinaj n'a vraiment rien à voir avec cela. Mais

 26   il y a trois points-clés dans ces éléments de preuve où il est mentionné,

 27   et nous devons donc les consulter de près pour voir quelles déductions

 28   logiques on peut tirer.


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  1   Tout d'abord, vous avez les éléments de preuve concernant son

  2   intervention suite aux graves blessures qui ont mené à la mort de Skender

  3   Kuqi. Si vous vous souvenez, Skender Kuqi faisait partie d'une tentative

  4   d'évasion de Jabllanice le 17 et le 18 juillet avec le Témoin 3 et Pal

  5   Krasniqi. Il était également détenu à Jabllanice, c'est le Témoin 6 qui a

  6   confirmé cela. Donc, tout ceci pour replacer ces événements dans leur

  7   contexte.

  8   Avant de revenir aux éléments de preuve qui déterminent la

  9   participation de M. Haradinaj dans ce qui est advenu de Skender Kuqi, je

 10   voudrais revenir sur ce qu'a fait M. Rogers. Il a fait une proposition qui

 11   est très dangereuse et qui illustre tout à fait la manière dont les

 12   éléments de preuve ont été présentés par l'Accusation. Il a mentionné qu'il

 13   y avait en fait une liste de personnes cibles qui figuraient sur des listes

 14   noires de l'UCK, qui étaient diffusées par l'UCK, et ça incluait le nom de

 15   Skender Kuqi. Alors j'aimerais, s'il vous plaît, et cela figure à

 16   l'intercalaire numéro 4, mais il y a un numéro de cote. Donc j'aimerais que

 17   l'on affiche cette pièce à l'écran, il s'agit de la pièce D146.

 18   Malheureusement, ce n'est pas très clair sur les écrans. Est-ce qu'on

 19   a peut-être une meilleure version de la version 

 20   dactylographiée ? Quoi qu'il en soit, Monsieur le Président, Messieurs les

 21   Juges, vous avez ceci à votre intercalaire numéro 4. Vous verrez qu'il y a

 22   une liste de dix groupes de personnes. Dans certains cas, il s'agit d'une

 23   personne. Pour d'autres, il s'agit de groupes de personnes. Ce sont des

 24   personnes portées disparues, donc pas nécessairement une liste noire. Donc

 25   je vois qu'au compte rendu d'audience il est mentionné "Wanted" en anglais.

 26   En fait, c'est des personnes qui étaient soit recherchées, soit portées

 27   disparues. Donc "wanted" ou "portées disparues". Vous avez au numéro 5

 28   Zenun Gashi. Nous y reviendrons dans quelques instants. Au numéro 8, vous


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  1   avez deux femmes qui ne sont pas citées nommément mais qui sont considérées

  2   comme des collaboratrices. Donc, au moins, celles-ci sont identifiées comme

  3   étant, en fait, des collaboratrices potentielles. Pour les autres, il

  4   s'agit de personnes portées disparues, puis au numéro 10 vous avez Skender

  5   Sali Kuqi --

  6   L'INTERPRETE : Avec une localité mentionnée.

  7   M. EMMERSON : [interprétation] Donc, compte tenu de la hiérarchie qui

  8   existait au niveau de l'UCK, le fait que l'UCK recherchait des

  9   collaborateurs présumés n'illustre pas une intention criminelle. Ceci

 10   semble tout à fait licite dans une situation de conflit interarmées et

 11   d'essayer de voir qui sont les personnes qui transmettent les informations

 12   à l'ennemi et les détenus. C'est seulement si, après leur détention, ces

 13   personnes sont traitées de manière illicite ou ces personnes sont torturées

 14   ou tuées ou maltraitées qu'un crime peut être déduit de cette situation.

 15   Donc ça, c'est la première chose. Donc le fait qu'il y ait probablement eu

 16   une intention à différentes étapes dans ce processus d'identifier des

 17   personnes qui auraient pu passer des informations aux Serbes n'est pas un

 18   signe d'une intention illicite et ne peut pas être caractérisée par une

 19   entreprise criminelle commune. Et ce qui est important pour cette liste,

 20   c'est ce que ce n'est pas une liste qui émanait de l'UCK. C'est la raison

 21   pour laquelle il est très dangereux de prendre pour argent comptant les

 22   éléments de preuve présentés par l'Accusation, parce que, malheureusement,

 23   vous reverrez par le menu afin de mes plaidoiries que l'Accusation ne

 24   semble pas avoir vraiment eu les dépositions du premier procès parce que

 25   cette liste figurait dans un carnet du Témoin numéro 17. Et le Témoin 17

 26   était en fait un commandant des FARK à Baran, et on trouve ceci dans le

 27   carnet juste après les noms des membres de la police militaire des FARK

 28   qu'il venait de nommer. Donc il s'agit d'une liste des FARK et non de


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  1   l'UCK. Et lorsqu'il a déposé, j'ai procédé au contre-interrogatoire et j'ai

  2   demandé donc au témoin si c'étaient des personnes que la police militaire

  3   des FARK recherchait, et, en fait, il a répondu qu'il n'avait aucune idée

  4   des raisons pour lesquelles il avait établi cette liste.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce qu'il vous a dit qu'il ne

  6   savait pas pourquoi il avait établi cela, ou est-ce qu'il vous a dit qu'il

  7   ne savait pas qui lui avait donné ces noms ?

  8   M. EMMERSON : [interprétation] Eh bien, de toute façon, je vais répondre à

  9   votre question en vous demandant de vous référer à l'intercalaire numéro 5

 10   dans votre classeur. Vous avez en fait un compte rendu d'audience de la

 11   déposition de ce témoin : 

 12   [Diffusion de la cassette vidéo]

 13   L'INTERPRETE : [voix sur voix]

 14   "M. le Juge Orie : Vous arrivez à votre liste, mais ce qui m'intéresse en

 15   fait, c'est de savoir quel était l'objectif de cette liste ?

 16   M. le Témoin : J'ai consigné les noms sur cette liste par quelqu'un qui

 17   m'avait proposé ces noms. Je ne sais pas qui m'a donné ces noms, mais il y

 18   a une note à cet effet dans mon carnet.

 19   M. le Juge Orie : Oui. Surtout si vous consignez des notes le lendemain,

 20   vous ne consignez les notes que si elles sont pertinentes, n'est-ce pas ?

 21   M. le Témoin : Je n'étais pas en mesure de faire deux choses à la fois,

 22   c'est-à-dire de faire une activité et en même temps d'établir cette liste.

 23   Donc j'ai pris des notes, et ensuite j'ai remis ceci au propre dans mon

 24   carnet officiel le lendemain. Mais j'ai, en fait, consigné sur ce carnet

 25   les événements les plus importants.

 26   M. le Juge Orie : Oui, mais ce n'est pas un événement à proprement parler,

 27   mais c'est plutôt une activité.

 28   M. le Témoin : Je ne vois pas vraiment la différence entre un événement et


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  1   une activité. Je ne vois pas comment on pourrait caractériser ceci par le

  2   terme d'activité.

  3   M. le Juge Orie : Eh bien, il s'agissait en fait de rechercher certaines

  4   personnes.

  5    Maître Emmerson, continuez.

  6   M. Emmerson :

  7   Question : Pour être clair, Monsieur le Témoin 17, d'après vous, qui allait

  8   retrouver ces personnes ?

  9   Réponse : Je ne pensais pas vraiment à cela à l'époque. Ce n'est pas

 10   quelque chose qui me préoccupait à l'époque. Ce qui me préoccupait était de

 11   constituer une brigade, de trouver des sites, des sites appropriés, et de

 12   constituer d'autres structures.

 13   Question : Mais vous saviez au moins qu'au moins deux personnes sur cette

 14   liste étaient recherchées parce qu'elles étaient accusées d'être

 15   collaboratrices ? Ce sont les deux femmes qui sont mentionnées au niveau du

 16   numéro 8.

 17   Réponse : J'ai pris note d'informations telles qu'elles m'ont été données

 18   par une personne donnée.

 19   Question : Est-ce que vous pensiez qu'il y avait quelque chose, peut-être,

 20   d'inapproprié concernant cette liste qui vous avait été transmise ? Est-ce

 21   que vous pensiez, par exemple, que cela signifiait que cela relevait d'un

 22   plan visant à commettre des crimes ?

 23   Réponse : Non.

 24   Question : Par conséquent, est-ce que l'on peut en déduire que vous n'avez

 25   jamais présenté cette liste à Ramush Haradinaj en disant : 'Regardez, ces

 26   hommes de mon commandement recherchent cette personne qui figure sur cette

 27   liste' ?

 28   Réponse : Non, effectivement, c'est vrai, je ne lui ai pas présenté cette


Page 2849

  1   liste.

  2   M. EMMERSON : [interprétation] Donc, encore un bijou de l'Accusation, à

  3   savoir que cette liste n'est pas une liste de l'UCK mais une liste des FARK

  4   et ce n'est pas une liste de collaborateurs supposés mais de personnes --

  5   on ne sait pas, en fait, d'où cette liste vient ni quel était l'objectif de

  6   cette liste, et ça n'a jamais été porté à la connaissance de M. Haradinaj.

  7   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Est-ce que vous pensez que vous

  8   pourriez peut-être ralentir un peu ?

  9   M. EMMERSON : [interprétation] Oui.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Parce que je crois que notre

 11   sténotypiste a du mal à vous suivre.

 12   M. EMMERSON : [interprétation] J'ai bientôt fini pour aujourd'hui.

 13   Donc, M. Rogers dit qu'on peut en déduire que M. Ramush Haradinaj faisait

 14   partie d'une conspiration visant pas uniquement à arrêter mais également à

 15   détenir Skender Kuqi et également à maltraiter des collaborateurs à

 16   Jabllanice dans le cadre d'une entreprise criminelle commune, et ceci est

 17   typique de cette approche qui manque de professionnalisme et qui a été

 18   utilisée pour présenter des éléments de preuve, et je pense que vous,

 19   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous allez devoir être très,

 20   très prudents pour évaluer ces éléments parce qu'il faut que ceci reflète

 21   exactement les événements qu'ils sont censés refléter, et les Juges de la

 22   Chambre -- enfin, je voudrais être très clair que je ne cherche pas à

 23   essayer de faire porter le chapeau à qui que ce soit, mais cela semble

 24   être, en fait, l'œuvre de quelqu'un qui n'est pas très expérimenté et qui

 25   essaie, en fait, de marquer de mauvais points en essayant d'avoir des

 26   éléments parcellaires qui permettront ensuite d'amener à des conclusions

 27   qui n'en sont pas. Voilà donc pour ce qui est de cette liste de personnes

 28   recherchées, et voilà ce que cela signifie vraiment.

 


Page 2850

  1   Qu'en est-il maintenant de Skender Kuqi ? Je voudrais maintenant que l'on

  2   commence par la déposition du Témoin 80, que vous trouverez à

  3   l'intercalaire numéro 6. Cette partie du compte rendu d'audience devra être

  4   diffusée à huis clos partiel.

  5   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Peut-on passer à huis clos partiel,

  6   s'il vous plaît.

  7   [Audience à huis clos partiel]

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 21   [Audience publique]

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

 23   Allez-y, Maître Emmerson.

 24   M. EMMERSON : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

 25   ce que j'ai mentionné dans les éléments de preuve en audience à huis clos

 26   partiel sont corroborés par la déposition de Tetaj dans le premier procès,

 27   et ceci vous donne un aspect global de l'intervention de M. Haradinaj, et

 28   ceci ne contredit pas uniquement ce qui laisse penser que ce serait une

 


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  1   entreprise criminelle commune, mais ça vous donne une bonne idée de la

  2   personne à qui vous avez affaire.

  3   Donc, j'aimerais que l'on diffuse la partie de la déposition de

  4   Rrustem Tetaj que l'on trouve à l'intercalaire numéro 6 et qui porte la

  5   cote P521, et ceci nous amènera à l'issue de l'audience d'aujourd'hui.

  6   [Diffusion de la cassette vidéo]

  7   L'INTERPRETE : [voix sur voix]

  8   "Question : En juillet 1998, est-ce qu'il est venu vous dire quelque

  9   chose au sujet de Skender Kuqi ?"

 10   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 11   M. EMMERSON : [hors micro] 

 12   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Micro, s'il vous plaît.

 13   M. EMMERSON : [interprétation] Désolé. Le témoin vient de décrire comment

 14   un parent de Skender Kuqi est venu lui dire que M. Kuqi avait disparu.

 15   Peut-on revenir au début du passage que je souhaitais diffuser.

 16   [Diffusion de la cassette vidéo]

 17   L'INTERPRETE : [voix sur voix]

 18   "Question : En juillet 1998, est-ce qu'il est venu vous parler de Skender

 19   Kuqi ?

 20   Réponse : Oui.

 21   Question : Que vous a-t-il dit ?

 22   Réponse : Il est venu me voir chez moi et il m'a dit que Skender Kuqi avait

 23   été enlevé par l'UCK et qu'il était détenu à Jabllanice. Je n'avais pas vu

 24   cela auparavant mais j'ai pris note de ce qu'il m'a dit et j'ai contacté

 25   Faton Mehmetaj à ce sujet.

 26   Question : Et qu'a dit Faton Mehmetaj à ce sujet ?

 27   Réponse : Faton Mehmetaj m'a dit que je devais parler à Ramush Haradinaj.

 28   Donc je suis allé le voir et je lui ai rapporté les paroles de la personne


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  1   qui était venue me voir. Il n'était pas au courant de ce que je lui disais,

  2   et ensemble nous sommes allés à Jabllanice.

  3   Question : Où avez-vous vu Ramush avant d'aller à Jabllanice ?

  4   Réponse : A Jabllanice, nous sommes allés chez Nazmi Brahimaj.

  5   Question : Est-ce que c'était le QG local de l'UCK ou un site différent ?

  6   M. le Juge Orie : Monsieur Re, je suis un peu surpris par votre

  7   question. Vous avez dit : 'Où avez-vous vu Ramush avant d'aller à

  8   Jabllanice," et la réponse est : 'A Jabllanice, nous sommes allés chez

  9   Nazmi Brahimaj.' Alors --

 10   Maître Re : Je n'avais pas beaucoup de temps. C'est la raison pour laquelle

 11   j'ai décidé de ne pas développer. Mais si vous le souhaitez, si vous

 12   considérez que c'est important, je peux lui poser la question.

 13   M. le Juge Orie : Non, mais je suis un peu surpris. Mais maintenant, je

 14   comprends mieux pourquoi vous avez considéré que ce n'était pas vraiment

 15   pertinent et vous avez décidé de poursuivre cette série de questions.

 16   Veuillez continuer.

 17   M. Re :

 18   Question : Est-ce que c'était le QG de l'UCK où vous êtes allé à

 19   Jabllanice ?

 20   Réponse : Nous sommes allés là-bas avec Ramush. C'était une maison. La

 21   population locale l'appelle 'infor' [phon]. C'est l'état-major local qui se

 22   trouvait là-bas.

 23   Question : Qui avez-vous vu là-bas, vous et Ramush ?

 24   Réponse : Avec Ramush, nous avons rencontré Nazmi Brahimaj.

 25   Question : Est-ce que vous lui avez parlé ?

 26   Réponse : Oui. Nous avons parlé à Nazmi Brahimaj. Nous n'avions pas

 27   beaucoup de temps parce que la situation sur le terrain était très grave,

 28   et Ramush lui a dit que cette personne devait être libérée immédiatement,


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  1   et ensuite, nous sommes repartis.

  2   Question : Est-ce que Nazmi Brahimaj vous a dit à vous et Ramush pourquoi

  3   cette personne, pourquoi Skender Kuqi était détenu ?

  4   Réponse : Ramush Haradinaj ne savait rien de tout cela avant que je

  5   l'informe, et immédiatement après cela, Ramush a donné cet ultimatum. Il a

  6   dit que cette personne devait être libérée immédiatement. Il a dit que ce

  7   genre de chose ne devait plus se produire parce que ceci minait notre

  8   cause."

  9   M. EMMERSON : [interprétation] Merci.

 10   "Ramush Haradinaj", je vous cite, "n'en savait rien avant que je l'en

 11   informe. Immédiatement après cela, Ramush a donné un ultimatum à savoir que

 12   cette personne devrait être libérée immédiatement, et il a dit que rien de

 13   ce genre ne devrait se reproduire parce que ceci minait notre cause."

 14   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 15   M. EMMERSON : [interprétation] Et cela, c'est ce qu'avance

 16   l'Accusation, à savoir qu'il s'agit d'une entreprise criminelle commune,

 17   Messieurs les Juges, Messieurs les Juges.

 18   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci, Maître Emmerson. D'après ce que

 19   je peux voir, vous en avez terminé pour aujourd'hui.

 20   M. EMMERSON : [interprétation] Effectivement.

 21   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La séance est levée jusqu'à demain, 9

 22   heures, dans ce même prétoire.

 23   --- L'audience est levée à 19 heures 03 et reprendra le mardi 26 juin 2012,

 24   à 9 heures 00.

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