LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen, Président
M. le Juge Lal Chand Vohrah
M. le Juge Rafael Nieto-Navia
Mme le Juge Patricia Wald
M. le Juge Fausto Pocar

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
15 novembre 2000

LE PROCUREUR

c/

GORAN JELISIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS D’ADMISSION DE MOYENS DE PREUVE SUPPLÉMENTAIRES

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Le Bureau du Procureur :

M. Upawansa Yapa

Le Conseil de Goran Jelisic :

M. Jovan Babic
M. Michael Greaves

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (respectivement la «Chambre d'appel» et le «Tribunal international»),

VU le «Mémoire de la Défense aux fins de présentation de moyens de preuve supplémentaires» déposé par la Défense le 8 septembre 2000 (la «Requête de la Défense») par lequel, en vertu des articles 107 et 115 du Règlement de procédure et de preuve (le«Règlement»), l’Appelant sollicite l’admission des moyens de preuve supplémentaires suivants :

  1. un rapport d'expert rédigé par Mme Ljiljana Mijovic, professeur à l’académie de police de Banja Luka et assistant de recherche à la faculté de droit de Banja Luka, portant sur la position hiérarchique qu’occupait le défendeur au sein de la police et sur les pouvoirs qui en découlaient (le«Rapport d'expert»), et
  2. le rapport et/ou le témoignage de M. Timothy McFadden, commandant du quartier pénitentiaire des Nations Unies portant sur le comportement général de l’accusé pendant sa détention (le«Rapport de détention»),

VU les différents dépôts en l'espèce, et, en particulier, le Jugement écrit rendu le 14 décembre 1999 par la Chambre de première instance I à l'encontre de Goran Jelicic (le«Jugement écrit») et la «Réponse de l’Accusation à la requête de la Défense aux fins de présentation de moyens de preuve supplémentaires» déposée le 18 septembre 2000,

ATTENDU qu'aux termes de l'article 107 du Règlement, les dispositions du Règlement régissant les procédures devant les Chambres de première instance s'appliquent mutatis mutandis aux procédures devant la Chambre d'appel, mais que cela ne concerne pas la présentation de moyens de preuve en appel qui est, elle, régie par l'article 115,

ATTENDU que pour être admissibles en vertu de l'article 115 du Règlement, les moyens de preuve doivent remplir deux conditions, à savoir démontrer en premier lieu que l'appelant ne disposait pas de ces moyens lors du procès en première instance, et si tel est le cas, démontrer, en second lieu, que leur admission est dans l'intérêt de la justice,

ATTENDU que, s'agissant du Rapport d'expert, la Défense soutient qu'elle ne l'a pas présenté en première instance car elle a estimé «qu'il n'était plus nécessaire d'y revenir» puisque la question de la position hiérarchique du défendeur avait été suffisamment abordée dans l'«Accord sur les faits relatifs aux plaidoyers de culpabilité envisagés par Goran Jelisic»,

ATTENDU que cela ne démontre pas que ces moyens de preuve n'étaient pas disponibles lors du procès en première instance et que, partant, il n'est pas nécessaire de considérer si l'admission de ces moyens de preuve est ou non dans l'intérêt de la justice au sens de l'article 115 B) du Règlement,

ATTENDU toutefois que la Chambre d'appel, en vertu de son pouvoir inhérent, peut admettre des moyens de preuve quand bien même ceux-ci étaient disponibles en première instance, dans les cas où leur rejet est susceptible d'entraver le cours de la justice,

ATTENDU que le rejet du Rapport d'expert ne saurait entraver le cours de la justice, car on peut raisonnablement supposer que la question en jeu dans ce rapport a déjà été abordée devant la Chambre de première instance,

ATTENDU que la seconde question soulevée par la Requête de la Défense, celle du comportement général du défendeur pendant sa détention, a été examinée par la Chambre de première instance1,

ATTENDU que le Rapport de détention porte sur le comportement du défendeur avant et après le Jugement écrit et le prononcé de la sentence en l'espèce,

ATTENDU que les éléments du Rapport de détention concernant le comportement du défendeur avant sa condamnation étaient disponibles au sens de l'article 115 A) du Règlement, et que le rejet des moyens de preuve en la matière ne saurait entraver le cours de la justice, car on peut raisonnablement supposer que la question en jeu dans ce rapport a déjà été abordée devant la Chambre de première instance,

ATTENDU toutefois que les éléments du Rapport de détention concernant le comportement du défendeur après sa condamnation n'étaient pas disponibles lors du procès en première instance, et que, partant, il est nécessaire d'établir si leur admission est dans l'intérêt de la justice, en vertu de l'article 115 B) du Règlement,

ATTENDU que l'intérêt de la justice commande l'admission de moyens de preuve s'ils portent sur une question de fond, s'ils sont fiables et s'ils sont susceptibles de démontrer que la condamnation ou la sentence n'étaient pas justifiées,

ATTENDU que la Chambre d'appel peut examiner une sentence prononcée par la Chambre de première instance si elle estime que celle-ci s'est fourvoyée dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le Statut du Tribunal international et par le Règlement en matière de fixation des sentences,

ATTENDU que le comportement du défendeur après sa condamnation ne pouvait être pertinent au regard des questions soulevées devant la Chambre de première instance d'autant qu'il lui était impossible de se pencher sur ce comportement, et ne saurait démontrer en conséquence que la Chambre de première instance a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire,

ATTENDU qu'il n'a pas été démontré que l'intérêt de la justice commande l'admission du rapport de détention comme moyen de preuve supplémentaire,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
(signature)
Mohamed Shahabuddeen

Fait le 15 novembre 2000
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Jugement, le Procureur c/ Jelesic, affaire nº IT-95-10-A, 14 décembre 1999, paragraphe 127.