Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Vendredi 23 février 2001.)

2 (Procédure d'appel.)

3 (Audience publique.)

4 (L'audience est ouverte à 9 heures 30.)

5 M. le Président: Madame la Greffière, vous avez la parole pour annoncer

6 l'affaire.

7 Mme Taylor (interprétation): Affaire IT-95-10-A, le Procureur contre Goran

8 Jelisic.

9 M. le Président (interprétation): Les deux parties sont représentées de la

10 même façon qu'hier; nous pouvons donc poursuivre.

11 Nous sommes arrivés au moment où la défense va s'exprimer. Etes-vous prêt,

12 Maître Clegg?

13 M. Clegg (interprétation): Je suis prêt. J'aimerais indiquer à la Chambre

14 que Me Babic a certaines obligations ce matin. Il va en tout cas partager

15 avec moi ce matin le fardeau de la présentation de nos arguments au sujet

16 de la sentence.

17 Le Tribunal aura observé que le mémoire de l'appelant s'est concentré sur

18 la façon dont a été mené le procès. Durant les présentations des arguments

19 au sujet du génocide, qui a donné lieu à un acquittement de l'inculpé,

20 ainsi que pendant les très longues audiences relatives à la sentence au

21 cours desquelles un grand nombre de témoins ont été appelés pour démontrer

22 qu'avant le conflit dans l'ex-Yougoslavie, l'appelant n'avait manifesté

23 aucun préjudice racial contre les Musulmans et avait entretenu pendant

24 très longtemps de très bonnes relations avec des représentants de cette

25 communauté musulmane.

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1 Nous nous sommes appuyés, bien sûr, sur les éléments de preuve qui ont été

2 entendus au cours des audiences consacrées à la sentence pour établir ces

3 deux faits. Mais je n'insiste pas pour critiquer aujourd'hui les Juges de

4 la Chambre de première instance, durant les instances consacrées au

5 génocide, car bien sûr ce procès a été un procès où aucun des délits que

6 ce Juge a sanctionnés n'a été examiné par la Chambre de première instance.

7 La position sur les faits qui a abouti à la déclaration de culpabilité

8 devant la Chambre de première instance s'est appuyée sur un accord conclu

9 par les deux parties sur les faits après de très nombreuses et très

10 longues discussions. Ainsi a été rédigé un Acte d'accusation modifié, sur

11 la base duquel l'appelant a plaidé coupable.

12 Je suis certain que la Chambre d'appel va traiter de sa sentence en tenant

13 compte de cet accord sur les faits entre les parties et pas autrement.

14 Manifestement, il ne peut pas se voir défavorisé par le fait qu'un accord

15 ait été accompli dans ces conditions ou pour un délit autre que celui pour

16 lequel il est jugé ici et pour lequel il a été acquitté. Il a plaidé

17 coupable sur la base de l'accord conclu entre les parties et cet accord

18 doit donc continuer à être valable quand nous discuterons de la sentence.

19 Nous affirmons que la sentence de quarante ans d'emprisonnement est

20 excessive. Le premier motif d'appel consiste à dire que la Chambre de

21 première instance n'a pas accordé une attention nécessaire à la nécessité

22 de diversifier son barème de sentence, compte tenu des diverses positions

23 occupées par l'accusé dans diverses situations. Le jugement de la Chambre

24 de première instance a été prononcé en décembre 1999; il n'a pas bénéficié

25 de l'avis exprimé par la Chambre d'appel le mois suivant, c'est-à-dire en

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1 janvier 2000, dans l'affaire Dusko Tadic. Dans l'affaire Tadic, la Chambre

2 d'appel a réduit la sentence de Tadic à une durée de vingt ans

3 d'emprisonnement.

4 Et c'est principalement sur la base du deuxième motif d'appel de

5 l'appelant que cette sentence a été réduite aussi considérablement, à

6 savoir une erreur commise par la Chambre de première instance s'agissant

7 de la nécessité de présenter un vaste et large éventail de sentences, en

8 fonction des différents postes ou fonctions exercés par l'accusé. Nous

9 rappelons à la Chambre d'appel les pages 23, 24 et 25 du Jugement Tadic à

10 cet effet.

11 Au paragraphe 5, la Chambre d'appel exprime l'avis que la sentence

12 prononcée n'a pas pris en compte convenablement la nécessité pour les

13 sentences de rendre compte de l'importance du rôle joué par l'appelant

14 dans le contexte plus vaste du conflit qui a affecté l'ex-Yougoslavie.

15 Nous affirmons ici aujourd'hui que, si la Chambre de première instance

16 dans l'affaire qui nous intéresse avait pu bénéficier de l'avis exprimé

17 par la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic, elle n'aurait pas et n'aurait

18 pas pu prononcer la sentence qu'elle a prononcée, à savoir quarante ans

19 d'emprisonnement.

20 Tout examen des faits, à notre avis, montre que rien ne distingue les deux

21 affaires. Dans les deux cas, un certain nombre de meurtres ont été commis,

22 dont les victimes ont été des représentants d'un autre groupe ethnique ou

23 d'une autre communauté religieuse. Dans les deux cas, le nombre et le type

24 de meurtres commis est à peu près semblable; ces crimes ont impliqué

25 l'exécution violente de victimes sans défense et je suis sûr que la

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1 Chambre d'appel se rappellera que Tadic a été condamné notamment pour

2 avoir tué deux policiers en leur tranchant la gorge dans les villages que

3 lui-même avait pris avec d'autres.

4 La culpabilité de Tadic a été prononcée non seulement en raison du

5 nettoyage ethnique de plusieurs villages, mais également à cause des

6 mauvais traitements particulièrement cruels qu'ont subi les victimes dans

7 un camp de détention.

8 La cruauté en question correspond assez bien aux adjectifs utilisés pour

9 qualifier les actes de Jelisic dans l'affaire qui nous intéresse ici

10 aujourd'hui. Mais la cruauté de Tadic, si la comparaison est faite, ne

11 peut être faite considérée comme pire puisqu'elle a inclus des mauvais

12 traitements de nature sexuelle et sadique, et notamment le fait qu'un

13 homme a été contraint d'arracher les testicules d'un autre homme avec les

14 dents.

15 Nous avons affirmons, lorsque nous comparons les faits de ces deux

16 affaires, que le choix est assez difficile entre les deux. Il n'y en a pas

17 une pour racheter l'autre.

18 Aucun des deux hommes, dans ces deux affaires, n’avaient un poste de

19 commandement. Tous les deux était des hommes de basse extraction et se

20 sont vus affectés, de façon générale, par le conflit. Aucun n'était un

21 commandant ou un concepteur de la stratégie du nettoyage ethnique. Bien

22 entendu, chacun s'est avéré un bourreau qui a agi sans réticence.

23 L'un des faits qui ressort, lorsqu'on étudie les crimes de guerre, à la

24 fois crime contemporain et crime de l'histoire, c'est que chacun semble

25 manifester une grande capacité à agir en tant que gardien de camp ou en

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1 tant que bourreau.

2 Il suffit de penser aux mauvais traitements qui ont eu lieu dans les camps

3 au cours de la Deuxième Guerre mondiale contre les détenus un peu partout

4 en Europe pour en avoir la preuve flagrante.

5 Le fait que les deux hommes étaient tout à fait disposés à agir, sinon

6 enthousiastes, pour maltraiter les détenus est malheureusement un fait

7 assez constant dans l'histoire des crimes de guerre qui n'a rien de

8 remarquable ou d'inhabituel.

9 Néanmoins, aucun des deux n'occupait un poste de commandement, aucun n'a

10 été le concepteur ou l'architecte de la stratégie de nettoyage ethnique.

11 Et tous les deux étaient en fait de simples soldats qui n'exerçaient

12 aucune fonction de commandement.

13 La position de pouvoir sur les détenus est bien entendu quelque chose à

14 prendre en compte. Tout gardien est dans une position de pouvoir, mais

15 cette position est tout de même différente de celle d’un commandant.

16 Les sentences, en revanche, sont très différentes dans les deux affaires.

17 Tadic, qui est un homme mûr, qui n'a pas plaidé coupable et qui a contesté

18 avec véhémence les accusations retenues contre lui pendant tout son

19 procès, a été condamné au total à vingt ans d'emprisonnement. Jelisic, qui

20 est un homme jeune, âgé d'un peu plus de vingt ans, qui a plaidé coupable

21 depuis le début, a été condamné au double c'est-à-dire à quarante ans

22 d'emprisonnement.

23 Je n'appelle pas à l'aide les problèmes de Jelisic en impliquant que ces

24 problèmes constituent des conditions atténuantes, mais c'est tout de même

25 un fait à prendre en compte, le fait que des troubles de la personnalité

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1 aient été constatés chez lui. Aucune excuse de ce genre n'existait pour

2 justifier le comportement de Tadic.

3 Il y a des conditions aggravantes qui ont été définies dans l'affaire

4 Jelisic par la Chambre de première instance et qui toutes existaient

5 également dans l'affaire Tadic.

6 A notre, avis, il n'y a rien qui permette d'établir une différence notoire

7 entre les deux affaires.

8 Et avec le respect que nous devons au Tribunal, nous disons que,

9 s'agissant de la réputation à long terme de ce Tribunal, il serait tout à

10 fait important que des sentences comparables soient prononcées face à des

11 crimes comparables. Rien ne peut nuire davantage à la réputation d'un

12 système judiciaire que de constater que les sentences sont prononcées de

13 façon capricieuse, inconséquente ou en fonction de l'antipathie

14 personnelle que l'on peut avoir à l'égard d'un individu.

15 Bien entendu, toute personne qui a entendu les témoins s'exprimer sur la

16 charge de génocide peut inconsciemment avoir été influencée contre

17 l'accusé Jelisic au moment du prononcé de la sentence, puisque dans cette

18 partie du procès traitant du génocide douze meurtres ont été décrits,

19 ainsi que d'autres mauvais traitements et d'autres exactions.

20 Mais nous ne nous sommes pas appuyés uniquement sur le Jugement Tadic pour

21 démontrer les contradictions de la Chambre de première instance, les

22 inconséquences de la Chambre de première instance dans l'affaire qui nous

23 intéresse aujourd'hui.

24 Notre mémoire écrit montre l'analyse que nous faisons de certains éléments

25 de l'affaire Erdemovic, dans laquelle Me Babic a eu l'honneur de plaider.

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1 Je n'entends pas répéter ici tout ce qui figure dans notre mémoire écrit.

2 Mais nous aimerions appeler l'attention de la Chambre d'appel sur cette

3 partie de notre mémoire notamment.

4 D'autres décisions, celles du Tribunal du Rwanda notamment, permettent de

5 mettre en lumière le contraste entre les deux affaires qui ressort de

6 l'analyse du Jugement Tadic.

7 Dans l'affaire Serushago contre le Procureur, affaire dont le jugement a

8 été prononcé après le jugement de l'affaire qui nous rassemble ici

9 aujourd'hui, et donc affaire et jugement que la Chambre de première

10 instance n'a pas pu prendre en compte, une sentence de quinze ans

11 d'emprisonnement pour génocide a été revue par la Chambre d'appel.

12 Dans cette affaire jugée par le Tribunal du Rwanda, des crimes contre

13 l'humanité, meurtres, exterminations, tortures, assassinats de très

14 nombreuses personnes, beaucoup plus nombreuses que celles qui ont été

15 tuées dans l'ex-Yougoslavie, et évidemment encore plus nombreuses que les

16 personnes tuées par Jelisic, ont été jugées.

17 Dans l'affaire Serushago plus de 300 victimes ont été tuées au cours d'un

18 seul et même incident. Serushago bien sûr occupait un poste de

19 commandement, ce qui n'a rien à voir avec la position de Jelisic dans la

20 présente affaire.

21 En prononçant son jugement la Chambre d’appel a examiné la sentence de

22 quinze ans d'emprisonnement pour génocide et a déclaré, au paragraphe 33

23 du Jugement, "qu'il était dans le cadre de son droit discrétionnaire de

24 prononcer une telle sentence". Je parle du droit discrétionnaire de la

25 Chambre de première instance.

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1 Ce que nous demandons, s'il est considéré comme juste qu’une sentence de

2 quinze ans soit prononcé sur la base de l'exercice du droit

3 discrétionnaire d’une Chambre de première instance lorsque l’on juge un

4 crime de génocide, où des centaines et des milliers de personnes ont été

5 assassinées par une personne exerçant un poste de commandement, eh bien,

6 en théorie nous disons comment une sentence de quatorze ans peut-elle

7 s'avérer justifiée dans l'affaire qui nous rassemble aujourd'hui, si on

8 compare ces deux affaires?

9 Il n'y a vraiment aucune possibilité d'établir une comparaison équitable

10 dans ces conditions.

11 Dans les affaires Kayishima et Ruzindang, autres affaires jugées par le

12 Tribunal du Rwanda, le Tribunal a dû déterminer s'il y avait eu

13 planification, instigation, ordre pour assassiner de nombreuses personnes,

14 donc commettre des assassinats à grande échelle.

15 Les deux hommes accusés ont été condamnés de génocide et le Tribunal a

16 distingué entre les deux sur la base de leur grade.

17 Ruzindang, au paragraphe 543 du Jugement, est décrit de la façon suivante,

18 je cite: "Un homme qui a joué un rôle dirigeant dans le système, qui a

19 permis l'extermination des Tutsis ayant cherché refuge dans la région de

20 Besaro. Il a mené des attaques contre ces habitants et des milliers de

21 personnes ont été tuées". Fin de citation.

22 Je cite à présent le paragraphe 542 du même Jugement où l'on trouve les

23 mots suivants, je cite: "Ces personnes ont été tuées indépendamment de

24 leur sexe, de leur âge. Des hommes, des femmes, des vieux, des jeunes ont

25 été tués, sans pitié. Des enfants ont été massacrés sous les yeux de leurs

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1 parents, des femmes violées devant tous les membres de leur famille. Aucun

2 Tutsi n’a été épargné, même pas les plus faibles ou les femmes enceintes".

3 Pour avoir planifié et organisé un tel génocide, une sentence de vingt-

4 cinq ans a été prononcée contre Ruzindang.

5 Passons maintenant à l'ex-Yougoslavie.

6 L'affaire Celebici est très instructive également.

7 Le commandant du camp de Celebici a été condamné à sept ans pour meurtres

8 et traitements empreints de cruauté.

9 Delic à vingt ans pour meurtres, tortures, pour avoir causé volontairement

10 de grandes souffrances, et avoir gravement porté atteinte à l'intégrité

11 physique.

12 Landzo, un jeune homme, à peine 23 ans je crois, a été condamné à quinze

13 ans pour meurtres, tortures et comportements ayant infligé des

14 souffrances.

15 Il peut être utile et pertinent de se pencher sur les adjectifs qui ont

16 été utilisés par la Chambre pour décrire ce Landzo. Landzo, condamné à

17 quinze ans, a été décrit par le Tribunal dans les mots suivants, je cite:

18 "La nature de ses crimes montrent l'imagination importante et le plaisir

19 pervers que cet homme a pris à infliger de la souffrance et des douleurs

20 physiques". Fin de citation.

21 Il n'est jamais très agréable de choisir des adjectifs pour décrire le

22 genre de comportement que ce Tribunal, comme celui du Rwanda, doit juger.

23 En fait, aucun adjectif, dans aucune langue du monde, ne peut décrire

24 convenablement ce genre de comportement, et ne peut être suffisamment fort

25 pour condamner les éléments dont s'occupent ces deux Tribunaux.

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1 Donc la seule chose qui peut guider dans cette affaire, nous l'affirmons,

2 c'est de prendre en compte les autres affaires jugées par les mêmes

3 Tribunaux, ainsi que l'évolution du barème des peines et la comparaison de

4 ces peines les unes avec les autres.

5 Je sais -en conscience- que ce Tribunal comprend bien de quelle façon il

6 appartient de juger et de punir les crimes commis.

7 Mais le rôle du Tribunal doit intervenir pour permettre la récupération de

8 cette partie de l'Europe où le conflit s'est déroulé.

9 Nous pouvons, je crois, à présent parler de l'affaire Blaskic, affaire

10 dans laquelle le Tribunal avait à juger un commandant, un décideur, qui

11 était tout près du commandement suprême, un général sous les ordres duquel

12 de très nombreuses personnes ont été tuées. Il a été admis, par le

13 Tribunal, qu'il avait ordonné l'extermination massive de Musulmans et

14 notamment le massacre d'Ahmici, mais pas seulement celui-ci.

15 La Chambre de première instance a décrit ce massacre dans les mots

16 suivants: "Attaque préparée avec soin, au cours de laquelle de nombreux

17 enfants, de nombreuses femmes, de nombreux adultes musulmans ont été

18 systématiquement massacrés, parfois brûlés vifs à leur domicile. Des

19 maisons ont été pillées et incendiées. Des mosquées et des monuments du

20 culte ont été détruits". Fin de citation.

21 Dans l’affaire Kupreskic à présent, il y avait six accusés. Cette affaire

22 également était liée au massacre d'Ahmici, en date du 16 avril 1993,

23 massacre au cours duquel 116 personnes ont été tuées. Je parle de

24 l'attaque dont je viens de parler il y a un instant.

25 Le Tribunal, dans l'affaire Kupreskic, a déclaré que le village d'Ahmici

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1 était entré dans l'histoire comme l'une des illustrations les plus nocives

2 de l'inhumanité de l'homme vis-à-vis de l'homme; il a comparé le nom de ce

3 village à celui du camp de Dachau et à My Lai.

4 Les peines prononcées contre ceux qui ont pris part à cette attaque de

5 façon active: à savoir Zoran Kupreskic, qui a été condamné à huit ans, son

6 frère Vlatko à six ans, Puschi à quinze ans. Santic, alors que ce dernier

7 était le commandant de la compagnie qui avait attaqué, a été condamné à

8 vingt-cinq ans.

9 C'est dans ce contexte que nous faisons valoir que la peine infligée ici,

10 une peine de quarante ans, est manifestement disproportionnée si on la

11 compare à d'autres peines prononcées dans d'autres affaires par ce

12 Tribunal. Il faut conclure que c'était excessif aussi par rapport aux

13 crimes commis au Rwanda.

14 Si l'on applique ce passage que je viens de citer du Jugement Tadic, nous

15 pensons que la peine prononcée ne s'inscrit pas du tout dans la grille de

16 peines qui s'est développée au Tribunal de façon plus claire depuis ce que

17 Jugement Jelisic a été rendu.

18 Si l'on compare ce procès Jelisic au procès Tadic, on peut dire qu'il y a

19 beaucoup d'analogies, de similitudes. Et nous avons l'audace de faire-

20 valoir devant cette Chambre que si l'on a imposé pour Tadic une peine

21 appropriée de vingt ans, nous estimons qu'il serait injustifiable

22 d'imposer une peine plus longue que cela, vu la similitude des

23 circonstances au niveau de l'appel pour M. Jelisic.

24 Parlons un instant des grades. Jelisic n'était pas un gradé, ce n'était

25 pas un commandant. Son plaidoyer a été accueilli sur cette base et c'est

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1 la raison pour laquelle, selon nous, il faut tenir compte de l'accord qui

2 était à la base du plaidoyer de culpabilité. Lorsqu'il a comparu pour la

3 première fois devant la Chambre, l'Acte d'accusation, au paragraphe 10,

4 alléguait ceci: au cours de mai 1992, il avait eu la fonction de

5 commandant au camp de Luka. Cette question a été contestée par M. Jelisic

6 et il fut convenu d'ôter ces termes de la base factuelle qui était à la

7 base de son plaidoyer de culpabilité.

8 Une fois ces accords établis, nous pensons qu'on ne peut pas plus revenir

9 sur cet accord qui avait été passé. C'est dans cette lumière qu'il faut

10 voir le paragraphe 95 du Jugement, qui n'est pas très bien rédigé, dont la

11 rédaction est assez malencontreuse. On dit ceci: "Il n'est pas non plus

12 établi au-delà de tout doute raisonnable que l'accusé a tué sur ordre au

13 camp de Luka. En effet, Goran Jelisic se serait présenté aux détenus comme

14 étant le commandant du camp de Luka". La conclusion de ce paragraphe est

15 celle-ci: "La Chambre ne doute pas que l'accusé exerçait une autorité de

16 fait sur le personnel du camp et sur les détenus dans ce camp". Fin de

17 citation.

18 Mais en vérité, qu'en est-il? On a allégué qu'il était en situation de

19 commandement, mais ces allégations avaient été ôtées de façon délibérée de

20 la base factuelle qui était à la base de son plaidoyer de culpabilité.

21 Selon nous, ce que ce paragraphe 95 rappelle, à quoi il fait allusion,

22 c'est que quiconque se trouvant dans un tel camp à une fonction de garde

23 détient de ce fait une position de pouvoir, d'autorité sur les détenus. Ce

24 sont des positions ou des fonctions qu'ont utilisées des hommes comme

25 Jelisic, notamment dans le passé, et quiconque détient une fonction de

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1 pouvoir sera considéré comme ayant un pouvoir de commandement par ceux sur

2 lesquels cet homme exerce un pouvoir, sur cette autorité. C'est là une

3 réaction parfaitement naturelle et humaine.

4 En fait, ceci ne signifie pas que cet homme serait vraiment le commandant

5 du camp, au sens où il aurait le pouvoir d'ordonner et d'organiser les

6 mauvais traitements et sévices infligés aux détenus davantage que ce pour

7 quoi il y a une responsabilité personnelle. Et les charges qu'il a

8 reconnues ne portaient que sur les sévices et mauvais traitements qu'il

9 avait lui-même infligés personnellement et ne concernaient pas du tout ce

10 que d'autres ont peut-être fait dans ce même camp, à d'autres occasions.

11 Selon nous, la distinction qu'il faut faire entre quelqu'un qui occupe une

12 position de commandement et quelqu'un qui ne l'est pas. Cette distinction

13 avait été acceptée et reconnue de façon tout à fait cohérente par ce

14 Tribunal, lorsque celui-ci a envisagé la question des peines à prononcer.

15 L'homme que vous avez devant vous, vous devez le considérer comme n'ayant

16 aucune fonction de commandement ni aucun grade.

17 Parlons maintenant du plaidoyer de culpabilité qu'il a fait.

18 Ce plaidoyer devrait entraîner une réduction de sa peine puisque ce

19 plaidoyer de culpabilité, il l'a formulé contre l'avis que lui avait

20 prodigué son avocat. Son avocat ou ses avocats avaient eu tort,

21 d'ailleurs, à mon avis, de lui dire qu'il pouvait se défendre des crimes

22 prononcés contre lui, crimes contre l'humanité. Mais malgré l'avis donné

23 par ses avocats, il a plaidé coupable.

24 Un plaidoyer de culpabilité, dans la plupart des systèmes juridiques de ce

25 monde, entraîne en général une diminution de la peine.

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1 Pourquoi? Pour des raisons d'ordre pratique notamment. Puisque la plupart

2 des systèmes de justice rétributive, justice pénale, ne peuvent se

3 maintenir que s'il y a un certain nombre de personnes qui reconnaissent

4 être coupables, sinon ces systèmes de justice pénale, dans le monde

5 entier, risqueraient de s'effondrer étant donné la charge de travail

6 considérable dont ils auraient à connaître.

7 Vous connaissez l'idée de la négociation du plaidoyer de culpabilité aux

8 Etats-Unis: c'est une procédure qui, au départ, est déclenchée pour des

9 raisons pragmatiques. Nous estimons qu'ici, la Chambre d'appel devrait

10 aussi faire comprendre à ceux qui sont en détention préventive, à ceux qui

11 ne sont pas encore arrêtés que s'il y a plaidoyer de culpabilité; ceci

12 devrait emporter une réduction de la peine. Et ce serait d'autant plus

13 vrai si l'accusé a agi en dépit des conseils donnés par ses avocats.

14 Plaider coupable, ce n'est pas nécessairement exprimer un remords. On peut

15 peut-être plaider coupable parce que c'est plus logique. On peut

16 d'ailleurs décider une réduction de la peine pour des raisons d'ordre

17 pratique. Il ne faut pas en conclure nécessairement, parce qu'on a plaidé

18 coupable, qu'on manifeste du remords; je le reconnais.

19 Dans un système de common law, il n'est jamais facile pour un accusé de

20 convaincre la Chambre de la réalité du remords qu'il ressent. Ici, en

21 l'espèce, au cours du procès, j'allais presque dire que l'accusé s'était

22 refusé l'occasion de déposer. Il n'en a pas eu la possibilité puisque le

23 procès s'est terminé après la présentation des moyens à charge. En

24 d'autres termes, la Chambre de première instance n'a jamais eu l'occasion

25 de juger par elle-même de ce que représentait, de ce que disait l'accusé

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1 puisqu'elle n'a pas entendu son témoignage.

2 Il est, à maints égards, difficile de croire que quelqu'un qui a agi de la

3 façon dont l'accusé l'a fait pourrait ressentir du remords. Cependant,

4 nous pensons que la Chambre a versé dans l'erreur s'agissant du fardeau,

5 du fardeau que la preuve qu'elle pensait faire reposer sur l'accusé, dans

6 la mesure où elle attendait de l'accusé qu'il manifeste son remords.

7 Paragraphe 27 du Jugement: c'est là, à notre avis, que la Chambre a versé

8 dans l'erreur. Voici comment se lit la première phrase: "La Chambre n'est

9 pas convaincue que le remords apparemment exprimé par les experts

10 psychiatriques soit sincère". Fin de citation.

11 Mais je dirai que, dans la grande majorité des cas, que ce soit dans des

12 systèmes nationaux ou au niveau international, une Chambre, un Tribunal ne

13 sera que rarement convaincu du remords d'un accusé. Tout le monde, bien

14 sûr, va manifester du remords si cette personne reconnaît être coupable

15 d'un crime ou d'une infraction. Un accusé n'a pas à convaincre la Chambre

16 de la sincérité de son remords. Nous faisons valoir que, dans telles

17 circonstances, telles que celles qui prévalaient ici dans l'affaire

18 Jelisic, une Chambre de première instance devrait accueillir des

19 expressions de remords qui sont considérés comme sincères par un

20 psychiatre expert. A moins que ce psychiatre ne soit convaincu du

21 caractère erroné de la manifestation du remords. Si vous voulez, il faut

22 prendre le contre-pied de ce qu'a dit la Chambre de première instance au

23 paragraphe 127 pour ce qui est de l'administration de la preuve.

24 La Chambre de première instance a dit que le remords s'était exprimé de la

25 façon dont ceci se fait dans les systèmes de common law, par l'entremise

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1 et les paroles de l'avocat, et par le fait que l'accusé a plaidé coupable

2 des chefs retenus dans l'Acte d'accusation, du fait qu'il ait admis trois

3 meurtres pour lesquels pourtant il n'avait pas été mis en accusation, par

4 le fait qu'il a accordé de son plein gré des entretiens très approfondis

5 aux représentants de l'accusation, et par le fait que les témoins,

6 notamment les témoins DQ, DF et DA, ont fait la déposition qu'ils ont fait

7 devant les Juges de la Chambre de première instance. On fait référence à

8 ces dépositions dans les mémoires écrits.

9 Enfin, s'agissant des points que je voulais vous soumettre avant de passer

10 la parole à Me Babic, il y a question de la jeunesse de l'accusé. A

11 l'époque des faits, il avait 23 ans.

12 Il va de soi que ceci, en soi, ne constitue pas un moyen de défense. Mais

13 ce Tribunal, tout au long de ses activités, a reconnu que l'élément de

14 jeunesse pouvait être retenu comme circonstance atténuante.

15 On l'a retenu en tant que telle pour Landzo qui avait 19 ans, pour

16 Erdemovic qui avait, au moment des faits, 23 ans et pour Furundzija qui,

17 lui aussi, avait 23 ans au moment des faits. Je cite ici la note de bas de

18 page n°1696, à la page 255 du Jugement Blaskic: "Le TPIY estime que les

19 accusés âgés de 19 à 23 ans au moment des faits considère que cet âge des

20 accusés est un âge qu'il faut considérer comme étant jeune".

21 Et cet élément de jeunesse a été retenu de façon explicite et expresse

22 dans le Jugement Blaskic comme une circonstance atténuante. La Chambre de

23 première instance elle-même a exprimé l'espoir très clair qu'avec une aide

24 psychiatrique et médicale pendant l'exécution de la peine, ceci

25 permettrait à Jelisic d'être considéré comme capable d'être réinséré dans

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1 la société, et les Juges ont recommandé pour lui un traitement

2 psychiatrique là où il va exécuter cette peine.

3 Voilà les arguments que je voulais vous soumettre au nom de l'accusé. Je

4 vais demander maintenant à Me Babic de prendre la relève pour évoquer les

5 autres motifs d'appel.

6 M. Pocar (interprétation): Maître Clegg, j'aimerais vous demander une

7 précision.

8 Vous avez mentionné, entre autres arguments, le fait que la Chambre de

9 première instance aurait peut-être été influencée par les témoignages

10 entendus lors du procès portant sur le génocide, au moment où la Chambre a

11 déterminé la peine qu'il fallait infliger, eu égard aux crimes dont M.

12 Jelisic s’est déclaré coupable.

13 Pourriez-vous m'éclairer sur ce point: estimez-vous que la Chambre de

14 première instance n'aurait pas dû tenir compte de tels éléments de preuve?

15 Et que, si la Chambre l'a fait, ceci a peut-être entraîné une erreur, soit

16 de fait soit de droit, soit de droit et de fait, ce que devrait prendre en

17 compte la Chambre d'appel en vertu de l'Article 25 du Statut?

18 Quel est votre avis à cet égard?

19 M. Clegg (interprétation): Le crime de génocide et le procès portant sur

20 le génocide ont englobé des faits qui sont bien plus vastes que ceux pour

21 lesquels il s'était déclaré coupable.

22 Dans la mesure où les éléments de preuve présentés à la Chambre de

23 première instance concernaient les chefs de l'Acte d'accusation, pour

24 lesquels il s'était déclaré, il avait plaidé à ce moment-là, j’accepterai

25 le fait que la Chambre de première instance pourrait tenir compte de ces

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1 éléments de preuve, mais elle devrait le faire avec prudence puisqu'il n'y

2 a pas eu contre-interrogatoire sur la question de la réduction de la

3 peine.

4 Le contre-interrogatoire a porté uniquement sur la question de savoir si

5 ceci était applicable à l’allégation de génocide.

6 Mais je concède que la Chambre pourrait examiner la question ou les moyens

7 de preuve entendus pour chacun des chefs individuellement.

8 Mais le procès de génocide a porté sur des faits bien plus vastes et, en

9 fait, est revenu sur les faits convenus en affirmant qu’il y avait une

10 position factuelle. Or, la position factuelle avait été abandonnée au

11 moment du procès du plaidoyer. La Chambre de première instance ne devrait

12 pas être influencée par un quelconque élément de ceux présentés alors. La

13 Chambre devrait se limiter aux faits convenus.

14 En guise d'illustration, je vous donne cet exemple: le fait qu'on a

15 allégué qu'il était commandant du camp. Même si cette allégation a été

16 abandonnée par l'accusation dans la base factuelle convenue, et même si le

17 plaidoyer de Jelisic a été convenu sur cette prémisse, lorsque les témoins

18 sont venus déposer, ils ont dit de lui qu'il était commandant du camp.

19 La Chambre de première instance n'aurait pas le droit de le condamner à

20 partir de ces moyens de preuve selon lesquels il aurait une fonction de

21 commandement, parce que ceci reviendrait sur la base factuelle convenue

22 qui était à l’origine de son plaidoyer de culpabilité.

23 Mais si les témoins décrivaient un acte de cruauté pour lequel Jelisic

24 s’est déclaré coupable, à ce moment-là, les Juges pourraient avoir recours

25 à la qualification factuelle de cet épisode.

Page 182

1 Je ne sais pas si j'ai ainsi répondu à la question que vous m’avez posée?

2 M. Pocar (interprétation): Oui, oui, vous l'avez fait. Maître Clegg, je

3 vous remercie.

4 Mme Wald (interprétation): J'enchaîne sur cette question.

5 Pourriez-vous donner une complément d'information sur cette position, sur

6 la question de savoir si cette position que vous venez de présenter est

7 une norme universelle?

8 Je sais qu'on s’écarte de cette norme. C'est le cas aux Etats-Unis où la

9 Cour suprême a dit, dans les faits, que "les moyens de preuve présentés

10 dans un procès d'acquittement, sur un chef ou même sur un crime, peut être

11 retenu lorsqu'on prononce une peine sur d’autres crimes".

12 C’est controversé bien sûr, mais ceci a déjà été appliqué.

13 Je ne sais pas si la réponse que vous avez fournie au Juge Pocar peut être

14 étoffée et si vous pensez que cette position est davantage universelle que

15 celle que je viens de présenter.

16 M. Clegg (interprétation): Cette position que je viens de vous soumettre

17 me paraît plus universelle. Et c'est d'ailleurs la seule qui soit dans le

18 droit fil de la Convention européenne des droits de l'homme.

19 Nous faisons valoir qu’il n’est pas possible d’avoir un procès équitable

20 -Article 5 ou 6 de la Convention européenne-, si la Chambre devait revenir

21 sur un accord qui a été passé à propos des faits qui étaient à l'origine

22 d'un plaidoyer de culpabilité. En tout cas, c'est ce qui vaut en matière

23 de droit européen.

24 Mais je crois que, dans la plupart des juridiction de common law, cette

25 position que je viens de vous exposer est la base sur laquelle la Chambre

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1 s'appuiera pour déterminer la peine infligée.

2 Je crois que je dois, en toute honnêteté, vous confesser que je n'avais

3 pas ce jugement de la Cour Suprême américaine à l’avant-plan de mes

4 préoccupations lorsque je vous parlais de cette question. Si l’on examine

5 de façon superficielle cette question, il semblerait qu'un jugement ne

6 serait pas retenu en appel devant la Cour européenne des droits de l’homme

7 s’il était formulé de la sorte.

8 Je ne sais pas si je vous ai été utile, Madame la Juge?

9 Mme Wald (interprétation): Oui, vous l'avez été.

10 M. le Président (interprétation): Je crois que tous les juristes

11 répondraient de façon favorable à votre argument principal, qui consiste à

12 dire qu'une Chambre ne devrait pas donner l'impression d'agir par caprice

13 ou de façon futile.

14 Vous reconnaîtrez, je pense, qu'au fond, la peine est fonction de l'avis

15 qu'a une Chambre, au vu des circonstances et des éléments de preuve qui

16 lui sont présentés à chacune des affaires dont elle est saisie.

17 Si je vous ai bien compris, vous dites que la Chambre dispose d'un pouvoir

18 discrétionnaire au niveau de l'élaboration de la peine, mais que ce

19 pouvoir discrétionnaire doit s'exercer dans le respect des principes

20 confirmés du droit.

21 Vous avez procédé à une analyse des différentes affaires dont ce Tribunal

22 a connues, et ceci vous a permis d'extraire un principe qui dit, grosso

23 modo, que la sentence, la peine doit se situer dans une certaine

24 fourchette, fourchette qui n’est pas nécessairement arrêtée de façon

25 définie mais qu'il est possible de discerner. Si ce pouvoir

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1 discrétionnaire ne s'exerce pas en respectant ce principe de loi qui,

2 selon vous, se dégage de chacune des affaires, à ce moment-là vous dites

3 que la décision, la peine décidée, est erronée.

4 Même si cette fourchette est étroite, est-ce qu’elle empêche que la

5 Chambre soit compétente, par exemple, pour imposer une sentence, une peine

6 à perpétuité? Et je pense qu'elle l'a fait d'ailleurs s'agissant du

7 Tribunal du Rwanda.

8 M. Clegg (interprétation): Ceci n'empêche aucunement qu'on inflige une

9 peine à perpétuité, pour autant que les circonstances l'exigent, les

10 circonstances de l'espèce l'exigent.

11 Je pense que pour le TPIR, cette peine a été infligée pour une infraction

12 de génocide. L'accusé était soit le Premier ministre, soit en tout cas un

13 haut dignitaire du Gouvernement qui avait orchestré l'extermination de

14 dizaines de milliers de Tutsis.

15 Et loin de moi l'idée de vous laisser entendre qu'une peine à perpétuité,

16 dans de telles circonstances, eût été inappropriée.

17 Lorsque le Règlement du Tribunal prévoit de façon expresse qu'il y ait une

18 peine infligée à perpétuité, il en découle que, si les circonstances d'un

19 procès et d'une affaire l'exigent, cette peine est appropriée. Mais il

20 faut la réserver pour les crimes les plus odieux! Selon nous, en pratique,

21 on va sans doute réserver une telle peine à ceux qui ont commandé,

22 orchestré, qui ont décidé du génocide.

23 J'espère ainsi avoir répondu à votre question.

24 M. le Président (interprétation): Oui, vous l'avez fait.

25 Si je vous ai bien compris, vous disiez que, dans des affaires de ce type,

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1 il y a un certain éventail de peines et que la peine qui a été ici imposée

2 sortait de la fourchette, de la norme admise. C'est bien ce que vous

3 dites?

4 M. Clegg (interprétation): Effectivement, oui. Parce que je pense que

5 quarante ans, cela équivaut presque à une peine de réclusion à perpétuité,

6 quand on voit l'âge qu'aurait l'accusé une fois la peine purgée et si l'on

7 voit l'attente de vie.

8 M. le Président (interprétation): Je donne la parole à Me Babic.

9 M. Babic (interprétation): Monsieur le Président, Madame et Messieurs les

10 Juges, comme Me Nice est un élément de continuité dans l'accusation, moi,

11 je suis un élément de continuité dans la défense.

12 Mais je n'essaie pas de profiter de cette position, comme l'a fait hier M.

13 Nice, pour susciter certaines réflexions de la part de la Chambre d'appel

14 sur la base des affirmations non pas vérifiées dans le compte rendu. Là,

15 je fais allusion à la mention de 2.000 morts comme fait incontesté, alors

16 qu'il s'agit là d'un fait tout à fait contesté. Et Maître Nice a mentionné

17 plusieurs autres faits qui n'ont pas été totalement vérifiés.

18 Monsieur Nice a également parlé d'une liste qui avait été remise à la

19 direction de la prison, aux gardes, en disant que toutes ces personnes ont

20 été tuées, alors que ceci n'est pas vrai. Pour un grand nombre de ces

21 personnes, il a été établi qu'elles sont vivantes.

22 Il a également parlé du témoin IBR, du témoin Ralston. Cette personne, M.

23 Ralston, je vais rappeler aux Juges qu'il avait indiqué que, dans

24 l'ensemble de la Bosnie-Herzégovine, pendant la guerre, 3.000 civils ont

25 été tués. Je souligne: 3.000 civils. Donc ceci ne peut pas du tout

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1 constituer une preuve de ce que M. Nice disait hier.

2 C'est l'observation que je voulais faire pour commencer.

3 Compte tenu du temps, je souhaite simplement m'attarder sur les éléments

4 que je considère importants pour que l'on puisse profiter du temps qui

5 nous a été alloué et pour éventuellement garder la possibilité d'ajouter

6 certains autres éléments dans la réplique.

7 Je souhaite faire une partie de ma présentation de manière publique, mais

8 je demanderai à la Chambre de m'accorder la possibilité d'aborder certains

9 autres sujets, à la fin, à huis clos.

10 Monsieur Clegg a parlé de l'aveu en tant qu'élément qui doit être pris en

11 considération au moment du prononcé de la sentence. Je souhaite ajouter la

12 chose suivante: la conscience de sa propre responsabilité a été exprimée

13 par l'accusé, même avant sa comparution devant la Chambre de première

14 instance, même avant qu'il ne vienne comparaître devant ce Tribunal.

15 Devant les témoins DO, DS, DA et DQ, il a clairement dit qu'il était

16 conscient de ce qu'il faisait et il a fait preuve de remords.

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21 (expurgée)

22 (expurgée)

23 Un autre point que je souhaite soulever...

24 M. le Président (interprétation): Maître M. Babic, je suis informé du fait

25 que le témoin, dont vous êtes en train de parler, a déposé à huis clos.

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1 Est-ce que ceci vous pose un problème?

2 M. Babic (interprétation): Puisque je n'ai nullement identifié ce témoin-

3 là, je suppose qu'à ce moment-là, cela ne devrait pas poser de problème?

4 M. le Président (interprétation): Non. Merci de cette remarque, je suppose

5 que vous allez poursuivre sachant qu'il n'y aura pas d'élément

6 d'identification?

7 M. Babic (interprétation): Je n'ai pas l'intention de les identifier; je

8 ferai attention à cela. Lorsque je parle de l'aveu, je souhaite dire la

9 chose suivante: je ne sais pas si Me Clegg l'a déjà mentionné, mais si

10 jamais je répète, il n'y aura pas de problème.

11 L'accusé, malgré le conseil de la défense, a avoué trois autres crimes

12 pour lesquels il n'a même pas été mis en accusation. Cela, c'est

13 important.

14 Concernant l'aveu, il faut savoir que le résultat de l'aveu a été un

15 accord sur les faits non contestés, sur la base desquels le deuxième Acte

16 d'accusation modifié a été rédigé. Donc, c'était la base pour arriver à

17 cet autre Acte d'accusation modifié, sans citer à la barre les témoins et

18 sans traverser toute une procédure lourde et coûteuse.

19 S'agissant des remords, M. Clegg en a parlé et moi, je vais m'appuyer sur

20 ce que les témoins ont dit pour corroborer l'affirmation concernant le

21 remords.

22 D'après la Chambre de première instance, l'accusé n'a pas fait preuve

23 sincèrement de remords devant la Chambre de première instance. Mais je

24 vais attirer l'attention de la Chambre d'appel sur les déclarations de

25 l'accusé. Lors de son nouveau plaidoyer de culpabilité, ayant avoué les

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1 crimes, il a dit devant la Chambre de première instance qu'il a fait son

2 plaidoyer de culpabilité de son propre gré, sans ambiguïté -et je

3 souligne- "parce qu'il souhaite ainsi purifier son âme". Ceci s'est

4 produit le 29 septembre 1998.

5 A la question du Président de cette Chambre d'appel, lors de la conférence

6 de mise en état du 4 avril, la question de savoir à quoi ressemble son

7 séjour dans la prison, l'accusé a répondu "la tristesse, la misère et la

8 honte". Ce qui indique clairement comment il se sent par rapport à ses

9 remords.

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1 Je souhaite également ajouter une note que j'ai faite lors de ma

2 discussion avec M. McFadden, le 7 septembre de l'année dernière, McFadden

3 qui est donc le directeur de l'unité de détention. Nous avons eu une

4 discussion sur la conduite de M. Jelisic. Je lui ai posé la question de

5 savoir dans quel état se trouvait M. Jelisic maintenant.

6 Voici ce que M. McFadden m'a dit, et j'ai pris des notes: "Jelisic est une

7 victime à beaucoup de points de vue. Il souffre de troubles émotionnels

8 puisqu'il sait que ce qu'il a fait était une mauvaise chose. S'il pouvait

9 se purifier, il le ferait; ou se racheter, il le ferait. J'en suis

10 convaincu". Il s'agit là d'un témoignage portant sur les remords de M.

11 Jelisic. C'est pour cela que j'ai souhaité attirer votre attention sur ce

12 que M. McFadden a dit.

13 D'autres témoins de la défense parlaient de ceci en parlant de la manière

14 dont Goran Jelisic a commis ses crimes. Excusez-moi, je suis un peu perdu

15 dans mes notes.

16 Tout ceci montre sans aucun doute raisonnable que M. Jelisic a sincèrement

17 des remords pour ce qu'il a fait. Parce que la personne qui a sincèrement

18 des remords ne demande ni aux dieux ni à ce Tribunal de lui éviter de

19 purger sa peine. Il souhaite purger sa peine mais je considère et il

20 considère qu'il n'a pas mérité une peine aussi sévère.

21 M. le Président (interprétation): Pour mon information, quel est le texte

22 que vous lisez en ce moment?

23 M. Babic (interprétation): Il s'agit de mes notes manuscrites.

24 M. le Président (interprétation): J'avais l'impression que vous étiez en

25 train de lire une déclaration donnée par quelqu'un.

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1 M. Babic (interprétation): Non, je lisais ce que M. McFadden m'avait dit

2 lors de ma visite à la prison. Je souhaite simplement ajouter que tous ces

3 témoins que j'ai mentionnés, et notamment le témoin...

4 M. Nieto Navia (interprétation): Excusez-moi, j'ai l'impression que ce que

5 vous venez de dire ne fait pas partie du compte rendu d'audience.

6 M. Babic (interprétation): Non, ce n'est pas dans le compte rendu

7 d'audience mais j'ai demandé à M. McFadden s'il allait envoyer un rapport

8 au Tribunal concernant le comportement de M. Jelisic dans la prison.

9 Monsieur McFadden m'a répondu que personne ne lui a demandé cela, mais

10 s'agissant de lui, il a dit qu'il avait l'intention de dire ce qu'il

11 pensait. C'est ce qu'il m'a dit à moi.

12 M. le Président (interprétation): Je pense, Maître Babic, qu'en réalité la

13 Chambre d'appel peut suivre vos propos seulement sur la base du compte

14 rendu d'audience, sur la base du dossier. Donc s'agissant de la question

15 posée par mon collègue, le Juge Nieto Navia, la question était de savoir

16 si ce que vous êtes en train de nous expliquer fait partie du dossier. Si

17 j'ai bien compris, la réponse est non.

18 M. Babic (interprétation): Devant la Chambre de première instance, M.

19 McFadden a remis un rapport concernant le comportement de M. Jelisic ce

20 jour-là, dans la prison. Moi, j'étais allé le voir pour poser la question

21 pour savoir s'il allait remettre un rapport au bout d'un an, concernant

22 l'année qui s'était écoulée.

23 M. le Président (interprétation): Peut-être que c'était le cas. Mais ce

24 que mon collègue se trouvant à ma gauche souhaitait savoir, c'était si un

25 quelconque de ces éléments que vous êtes en train de nous présenter fait

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1 partie du dossier. Et si oui, est-ce que vous pourriez nous indiquer dans

2 quelle page ce dont vous êtes en train de parler est reflété? Notamment

3 donc, les pièces et les éléments de preuve sur lesquels vous êtes en train

4 de vous appuyer?

5 M. Babic (interprétation): Je n'ai pas participé au travail, surtout

6 pendant les dernières semaines du travail de la Chambre de première

7 instance, conformément aux instructions du Greffe, mais j'ai appris que le

8 directeur de la prison avait remis le rapport concernant le comportement

9 de l'accusé jusqu'à la date de la rédaction de ce rapport. Je pense que ce

10 rapport fait partie du dossier.

11 M. le Président (interprétation): (Hors micro.)

12 Nous permettrons à l'accusation de s'exprimer à ce sujet par la suite.

13 M. Babic (interprétation): (expurgée)

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15 (expurgée)

16 Je souhaite maintenant dire quelque chose sur le fait que Jelisic agissait

17 suite aux ordres, ordres en tant que moyens de contrainte dans la mise en

18 œuvre des principes fondamentaux de l'organisation militaire et policière

19 se basant sur la subordination.

20 Le témoin DF en a parlé en disant entre autres choses –je cite-: "On

21 s'attendait à ce que nous soyons complètement obéissants par rapport aux

22 ordres que nous recevions. Les conséquences étaient des peines sévères".

23 Il a ajouté –je cite-: "Vers le 15 mai 1992, j'ai rencontré à Brcko Goran.

24 Il m'a dit qu'il avait dû commettre certaines mauvaises choses, qu'il

25 avait dû tuer suite aux ordres donnés par d'autres personnes, sinon il

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1 allait être tué lui-même. Les sanctions suite au refus d'exécuter des

2 ordres étaient rigoureuses: il aurait été fusillé s'il avait refusé

3 d'exécuter l'ordre". Fin de citation.

4 Le témoin DG, (expurgée), dans sa déposition a déclaré

5 –je cite-: "J'ai entendu parler des crimes de Goran Jelisic à Brcko. Il

6 m'a avoué que c'était la vérité. Il a dû le faire, il a été incité à le

7 faire, il a été contraint à le faire, il risquait d'être tué. Il a

8 mentionné quelques noms mais je ne les ai pas retenus".

9 Et pour terminer, l'enquêteur du Procureur, O'Donnell, devant la Chambre

10 de première instance, a déclaré –je cite-: "Monsieur Goran Jelisic a dit

11 qu'il avait reçu des instructions de commettre des meurtres et qu'il

12 recevait des menaces d'être tué, à moins de les commettre. Il a déclaré

13 qu'il avait commis tous les crimes parce qu'il avait reçu l'ordre de le

14 faire et parce qu'il n'était pas à même, il ne détenait pas le pouvoir de

15 dire non. Donc, il a déclaré que d'autres personnes étaient responsables

16 pour ces actions et qu'il s'agissait de personnes qui lui étaient

17 supérieures au sein du camp de Luka". C'était la réponse de M. O'Donnell à

18 la question posée par le Juge Riad, la question de savoir ce que ça

19 voulait dire que "d'autres personnes étaient responsables pour ses actes".

20 D'autres témoins parlent de ces mêmes faits.

21 Donc, la Chambre de première instance a commis une erreur en concluant que

22 l'accusé n'agissait pas suite aux ordres. Ceci a certainement eu une

23 influence sur la peine prononcée. L'issue de la situation personnelle dans

24 laquelle se trouvait Goran Jelisic, il l'a trouvée en se tirant une balle

25 dans les jambes et en fuyant l'ex-Yougoslavie.

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1 Les preuves concernant ce fait existent dans le dossier. Il souhaitait

2 éviter de devoir commettre quelque activité policière ou militaire que ce

3 soit. C'était son choix, son choix moral.

4 Maître Clegg a fait une analyse comparative des peines prononcées dans le

5 cadre de plusieurs affaires différentes.

6 Je vais ajouter un point: s'agissant de la peine prononcée, j'ai devant

7 les yeux un article publié dans le "Vecerni List' de Zagreb, en date du 9

8 octobre 2000, où il est dit que, dans l'affaire contre Vinko Cakic, pour

9 les crimes commis en 1941, dans le camp notoire de Jasenovac, donc durant

10 la période entre 1941 et 1945, la Cour Suprême de Croatie a prononcé à

11 l'encontre de cette personne une peine de vingt ans. Je considère qu'il

12 s'agit là d'un fait qui devrait être pris en considération par la Chambre

13 d'appel.

14 S'agissant de la pratique judiciaire des tribunaux en ex-Yougoslavie, la

15 défense a pu s'adresser au Pr Zvonimir Tomic de Sarajevo pour qu'il lui

16 remettre un rapport d'expert portant sur la pratique générale des

17 tribunaux en ex-Yougoslavie, durant la période de l'existence de l'ex-

18 Yougoslavie et, par la suite, dans les parties différentes.

19 Je possède ce rapport et je peux le remettre aux Juges de la Chambre

20 d'appel. Je ne souhaite pas faire de commentaires au sujet de ce rapport

21 puisqu'il est extrêmement explicite.

22 S'agissant du prononcé de la sentence, je pense que les dispositions du

23 Statut de Rome sont importantes, notamment l'Article 77, paragraphe 1 A):

24 "la durée en prison d'un certain nombre d'années qui ne peut pas aller au-

25 delà de trente ans"; et alinéa B): "une peine d'emprisonnement à vie

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1 lorsque cette peine est justifiée par la gravité du crime et les

2 circonstances liées à la personnalité de l'accusé".

3 Je souhaite souligner le fait que M. Goran Jelisic ne peut pas être

4 identifié à la situation stipulée dans le paragraphe B) de cet article.

5 Pour terminer, je souhaite ajouter certains points à huis clos; je

6 souhaite notamment aborder le sujet de la coopération.

7 (Audience à huis clos.)

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22 (Audience publique.)

23 Il s'agit des pétitions adressées à ce Tribunal et cette Chambre d'appel.

24 Je suppose que ces pétitions sont arrivées ici. Je souhaite les montrer

25 pour montrer à quel point le public s'intéresse au travail de ce Tribunal

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1 et le public exprime son souhait de voir la justice satisfaite dans le

2 cadre du travail de ce Tribunal.

3 M. le Président (interprétation): Nous nous trouvons face à une

4 difficulté. Vous proposez de nous présenter des documents qui ne font pas

5 partie du dossier. Nous ne pouvons examiner que le dossier à mon avis. Ce

6 que vous pouvez faire, si vous le souhaitez, c'est exprimer des opinions

7 qui figurent dans les documents dont vous disposez. Je ne sais pas de

8 quelles opinions il s'agit. Vous pouvez faire un commentaire sur ces

9 documents mais vous ne pouvez pas remettre des documents à la Chambre

10 d'appel. Vous pouvez, si vous le souhaitez, vous appuyer sur les

11 documents, exprimer une opinion au sujet des documents, mais vous ne

12 pouvez pas soumettre les documents.

13 M. Babic (interprétation): Avec tout le respect que je vous dois, je vais

14 parler très brièvement.

15 Je suis d'accord avec votre opinion. Toutes les opinions se résument à la

16 chose suivante: les citoyens suivent le travail du Tribunal et les

17 décisions prises par le Tribunal. Les citoyens qui se sont adressés au

18 Tribunal considèrent que la peine prononcée à l'encontre de Jelisic est

19 trop sévère, drastique. Je souhaite ajouter que cette pétition a été

20 signée par 4.198 personnes, dont 47 Musulmans, 45 Croates et, au total,

21 130 non-Serbes. Je souhaite ajouter le fait que les citoyens de ce pays,

22 du pays hôte de ce Tribunal, se sont adressés eux aussi au Tribunal. Je

23 souhaite que ceci soit pris en considération par la Chambre d'appel.

24 Je vous remercie.

25 M. le Président (interprétation): Je souhaite remercier Maître Babic.

Page 199

1 A moins qu'il n'y ait des questions de la part des Juges de la Chambre

2 d'appel, je considère que le moment est opportun pour procéder à une pause

3 de quinze minutes.

4 (L'audience est suspendue à 11 heures et reprise à 11 heures 25.)

5 M. le Président (interprétation): Maître Clegg, allez-y. Je crois pouvoir

6 comprendre que les arguments de l'appelant ont été tous présentés, n'est-

7 ce pas?

8 M. Clegg (interprétation): Oui.

9 M. le Président (interprétation): Puisque vous êtes debout, Maître Clegg,

10 j'aimerais, si vous le permettez, vous demander votre aide sur un point.

11 La Chambre d'appel va très bientôt commencer l'élaboration de son arrêt,

12 et nous souhaiterions connaître dans la plus grande précision les motifs

13 sur lesquels se fondent les deux parties. Nous avons reçu de votre part un

14 plan, alors pouvons-nous estimer que les motifs de votre appel se trouvent

15 tous dans ce plan ou, sinon, y en a-t-il d'autres dans votre mémoire

16 écrit? Nous aimerions savoir quels sont ceux de votre mémoire écrit qui se

17 retrouvent de façon complète dans votre plan?

18 M. Clegg (interprétation): Les motifs d'appel sont définis dans notre plan

19 et, si nous avions disposé d'un temps plus important, j'aurais préparé un

20 mémoire en appel qui aurait pu remplacer ce plan. Mais le temps dont je

21 disposais ne me l'a pas permis. Si la Chambre d'appel souhaite que je

22 développe un petit peu les arguments du plan, je le ferai sans difficulté.

23 Sinon, peut-être la Chambre peut-elle admettre que notre plan est certes

24 assez limité mais que tout de même il couvre l'essentiel des questions que

25 nous voulions développer dans nos arguments oraux.

Page 200

1 M. le Président (interprétation): La question que je pose n'est pas une

2 contrainte pour vous, mais nous arrivons à la fin de cette audience et la

3 rédaction de l'arrêt va commencer très bientôt. Nous aimerions savoir si

4 nous devons nous en tenir au mémoire déjà soumis par la défense, ou s'il y

5 aura des modifications par la suite? Donc je vous demande si les arguments

6 présentés par l'appelant, au cours des deux dernières audiences, se

7 retrouvent bien dans votre plan?

8 M. Clegg (interprétation): Oui.

9 M. le Président (interprétation): Très bien. Merci. Je peux donc à présent

10 redonner la parole à l'accusation. J'aimerais vous rappeler, au préalable,

11 les dispositions qui ont été rappelées hier, à savoir que vous disposez

12 d'un temps un peu plus important compte tenu du temps que vous n'avez pas

13 utilisé hier. J'aimerais que vous teniez compte également du fait que

14 l'appelant n'a pas utilisé les deux heures qui lui étaient imparties.

15 M. Yapa (interprétation): Oui. Merci, Monsieur le Président. Je me

16 rappelle la demande que je vous ai demandée hier et soyez sûr que nous

17 nous en tiendrons au temps qui nous est imparti. Je vous remercie.

18 M. Guariglia (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Madame et

19 Messieurs les Juges. Je serai très bref et je respecterai l'engagement

20 pris par nous de nous en tenir au temps qui nous est imparti.

21 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, il est possible que

22 j'ai à vous ennuyer quelque peu en vous parlant de quelque chose que vous

23 connaissez déjà, mais nous aimerions tout de même revenir sur ce point

24 particulier, à savoir quel est le champ auquel peuvent s'intéresser les

25 arguments de l'appelant au sujet de la sentence prononcée par la Chambre

Page 201

1 de première instance.

2 Le Procureur estime que la défense a sans doute versé dans l'erreur

3 s'agissant de son champ d'action exact en rapport avec la sentence.

4 D'emblée, et cela a été vu très clairement, récemment, dans l'affaire

5 Celebici, dans l'arrêt de la Chambre d'appel au sujet de l'affaire

6 Celebici, l'appelant avait pour but de demander à la Chambre d'appel de

7 faire autre chose que de revoir les éléments de preuve et les différents

8 critères utilisés par la Chambre de première instance.

9 Deuxièmement, l'appelant n'a pas pour objectif de donner une nouvelle

10 chance au Tribunal de remédier aux éventuelles erreurs commises dans le

11 prononcé de la sentence, c'est-à-dire au cours de la procédure.

12 Troisièmement, votre pouvoir de réexaminer les choses est limité au fait

13 de décider si une Chambre de première instance, lorsqu'elle a prononcé une

14 sentence, a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de certains

15 facteurs établis dans les dispositions qui régissent les travaux du

16 Tribunal Pénal International, c'est-à-dire l'Article 24 du Statut,

17 l'Article 101 du Règlement de procédure et de preuve et, dans l'affaire

18 qui nos intéresse, de déterminer également si la Chambre de première

19 instance a versé dans l'erreur du point de vue du droit, ou encore si elle

20 a abusé de pouvoir discrétionnaire prévu dans ces mêmes dispositions.

21 Dans les deux cas, cette erreur peut être appréciée par la partie qui vous

22 parle sur la base de l'appel Tadic, qui a été confirmé dans les affaires

23 Furundzija et, aujourd'hui, désormais dans l'arrêt de l'affaire Celebici.

24 Si l'on ne démontre pas qu'il y a eu erreur importante de la part de la

25 Chambre de première instance dans le prononcé de la sentence, c'est la

Page 202

1 conclusion de la Chambre de première instance, c'est-à-dire la sentence

2 prononcée qui demeure inchangée. Et on devrait pas vous demander d'aller

3 au-delà des limites qui sont celles de votre pouvoir strict de révision.

4 Ce qui est au cœur de la procédure d'établissement de la sentence et du

5 prononcé de la sentence dans cette Institution, c'est que la Chambre de

6 première instance exerce son pouvoir discrétionnaire dans une mesure assez

7 considérable, même si ce n'est pas sans limite pour déterminer quelle sera

8 la sentence la plus appropriée.

9 C'est le cœur même du processus intellectuel qui permet de prononcer une

10 sentence en fonction de la gravité du crime imputé à l'accusé et pour

11 lequel l'accusé a été condamné.

12 Ceci m'amène aux premiers arguments de mes collègues, à savoir l'argument

13 selon lequel il faudrait qu'existe un barème très varié de sentences

14 devant ce Tribunal International. Je dis, avec le respect que je dois au

15 Tribunal, que cette nécessité n'existe pas. Et nous ajoutons, compte tenu

16 de l'arrêt récemment rendu par la Chambre d'appel dans l'affaire Celebici,

17 que la Chambre d'appel a refusé d'accepter d'établir une liste fondée sur

18 des principes de base et censée créer un barème de peines.

19 Le raisonnement de la Chambre d'appel a consisté à dire qu'une telle liste

20 n'aurait aucune valeur et que les Chambres de première instance doivent

21 remplir pleinement leurs obligations en prononçant des peines

22 correspondant individuellement à la gravité des crimes commis. Je cite le

23 paragraphe 717 de l'arrêt Celebici. La Chambre d'appel, dans cet arrêt, a

24 fait remarquer que compte tenu de l'arrêt précédemment rendu dans

25 l'affaire Furundzija, il était prématuré de parler de l'établissement d'un

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1 barème de peines. La Chambre d'appel, dans son arrêt Celebici, je le

2 répète, a estimé qu'il était sans doute prématuré d'imposer aux Chambres

3 de première instance de cette Institution, de ce Tribunal, un corpus de

4 lois qui les obligerait à respecter un barème très varié de sentences

5 mais, néanmoins, un barème défini.

6 La logique de tout cela, c'est que ce sont les Chambres de première

7 instance, en application du Statut et du Règlement de procédure et de

8 preuves, qui doivent prononcer la sentence en fonction de la gravité des

9 crimes commis par un accusé et de l'évaluation faite par elles de la

10 culpabilité de l'auteur de ces crimes. Ceci signifie également que si l'on

11 compare différentes affaires et les sentences prononcées dans différentes

12 affaires, un tel processus n'aurait qu'une valeur très limitée. C'est ce

13 qu'a déclaré également cette Chambre d'appel dans son arrêt récent dans

14 l'affaire Celebici.

15 Manifestement, il est plus important de prendre en compte les différences

16 entre les différentes affaires, plutôt que leurs similitudes Les

17 conditions aggravantes et atténuantes jouent un rôle important.

18 Donc comparer différentes affaires jugées par ce Tribunal international

19 est un exercice qui, à notre avis, a une valeur tout à fait limitée, en

20 tout cas, si l'on s'en tient aux exemples fournis par la défense

21 aujourd'hui et, sauf le respect que nous devons au Tribunal, nous pensons

22 même que ce processus peut induire en erreur.

23 Je vais vous donner un exemple très simple sans perdre de temps sur ce

24 point. S'appuyer sur l'affaire Erdemovic, en disant que c'est une affaire

25 semblable, consiste à laisser de côté les différences gigantesques dans la

Page 204

1 nature même des deux affaires ainsi que dans le comportement de l'accusé

2 et dans les conclusions tirées dans les Chambres de première instance.

3 Dans l'affaire Erdemovic, il existe une différente subjective avec

4 l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui. Erdemovic a été qualifié "de

5 bourreau réticent", on l'a décrit comme quelqu'un qui avait été soumis

6 très largement à la coercition, lorsqu'il a commis les actes criminels

7 qu'il a commis. On l'a décrit comme quelqu'un de tourmenté par le remord,

8 un remord sincère et donc comme quelqu'un également qui a avoué ses

9 crimes, avant même que des poursuites soient lancées contre lui.

10 Alors les conclusions de la Chambre de première instance dans l'affaire

11 Erdemovic, ainsi que la sentence prononcée par cette Chambre ne peuvent

12 pas être comparées ou applicables à l'affaire de l'accusé que nous avons

13 devant nous aujourd'hui, car cet accusé a été qualifié de "répugnant", de

14 "bestial" et "de criminel qui a agi de sang-froid lorsqu'il a commis ces

15 meurtres ou ces exactions" contre un certain nombre de personnes qui,

16 toutes, ont témoigné de son manque d'humanité et de son sentiment d'avoir

17 un droit entier sur leur existence.

18 Nous avons un paragraphe du Jugement qui traite de ce point. C'est

19 quelqu'un qui s'est conduit devant des victimes sans défense comme un être

20 ayant le droit de juger, à lui seul, de qui devait vivre et de qui devait

21 mourir. Donc nous disons qu'il est impossible de s'engager dans les

22 arguments qui viennent d'être entendus s'agissant de juger de la nature

23 criminelle d'un bourreau comme celui-ci, en le comparant à quelqu'un qui a

24 agi avec réticence, qui est agité par le remord et je parle d'Erdemovic.

25 Ce qui montre bien que les affaires jugées par le Tribunal international

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1 doivent toutes être prises comme des affaires distinctes, et que le

2 pouvoir discrétionnaire des Chambres de première instance qui leur est

3 octroyé en vertu du Statut et du Règlement doit être la base de toute

4 sentence.

5 La même chose peut être dite des allégations au sujet de la façon dont les

6 Chambres de première instance appliquent le droit dans ce Tribunal. "Plus

7 on juge quelqu'un qui est élevé dans la hiérarchie, plus la sentence doit

8 être importante. Et plus on est en bas de la chaîne de commandement, plus

9 la sentence devrait être faible", est-il dit.

10 Nous disons que la mention que fait l'appelant de la sentence Tadic et de

11 l'arrêt de la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic est impropre. La

12 décision de la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic ne doit pas être prise

13 en compte comme constituant un système automatique de réduction des

14 sentences, lorsque l'auteur du crime est inférieur dans la hiérarchie. Là

15 encore, nous disons que ce point a été développé de façon très claire dans

16 le récent arrêt Celebici de la Chambre d'appel dont je vais donner lecture

17 en partie. Nous voyons, en effet, que l'arrêt de la Chambre d'appel dans

18 l'affaire Tadic n'a, nulle part, affirmé que les sentences en appel, dans

19 toutes les affaires jugées par ce Tribunal, s'agissant du conflit en ex-

20 Yougoslavie devaient se comparer à ce que des accusés de rangs plus élevés

21 dans la hiérarchie ont fait ailleurs. Donc la sentence n'est pas réduite

22 automatiquement lorsque l'accusé est de rang inférieur.

23 "Une sentence doit toujours rendre compte du niveau de gravité inhérent à

24 un crime. Dans certains cas, la gravité du crime peut être si importante

25 que, même après prise en compte des conditions atténuantes et même en

Page 206

1 tenant compte du fait que l'accusé n'occupait pas un rang très élevé dans

2 la hiérarchie ou dans la structure de commandement, une peine sérieuse est

3 néanmoins justifiée." Fin de citation.

4 Voilà donc ce que nous lisons dans l'arrêt le plus récent de la Chambre

5 d'appel.

6 M. le Président (interprétation): J'aimerais que vous citiez le paragraphe

7 car nous avons du mal à vous suivre. Nous pourrions dans ce cas lire le

8 compte rendu et déterminer avec précision le passage que vous êtes en

9 train de citer.

10 M. Guariglia (interprétation): Oui, Monsieur le Président, il s'agit du

11 paragraphe 847. J'allais le dire à l'instant.

12 Donc, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, le Procureur

13 affirme quelque chose de tout à fait clair, je crois. La Chambre de

14 première instance, dans son jugement, a tenu compte de toutes les

15 conditions atténuantes en appliquant le Statut et les Articles pertinents

16 du Règlement. L'appelant semble se plaindre du fait que la Chambre de

17 première instance n'aurait pas accordé un poids suffisant à ces conditions

18 atténuantes.

19 Mais nous disons, pour notre part, que le poids à accorder aux conditions

20 atténuantes relève du pouvoir discrétionnaire de la Chambre de première

21 instance et qu'il ne peut donc pas être question d'un abus de ce pouvoir

22 discrétionnaire. S'il n'y a pas eu abus, la sentence doit demeurer la

23 même. Il ne fait aucun doute que la Chambre de première instance a bel et

24 bien pris en compte ces conditions atténuantes.

25 Prenons, par exemple, la jeunesse de l'accusé. Elle est expressément

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1 traitée par la Chambre de première instance dans le paragraphe 124 de son

2 Jugement et elle a été discutée au moment des plaidoiries et

3 réquisitoires. La défense a appelé l'accusé "un jeune homme", à plusieurs

4 reprises dans sa plaidoirie. Et donc nous ne sommes pas ici dans une

5 audience de la Chambre d'appel au cours de laquelle il devrait être

6 possible de reprendre la discussion sur ces éléments déjà discutés

7 abondamment par la Chambre de première instance.

8 Enfin, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, j'ajouterai

9 deux points.

10 L'accusation a eu quelque part mal à déterminer de quelle nature étaient

11 les erreurs invoquées par l'appelant, s'agissant de la prise en compte des

12 pratiques de l'ex-Yougoslavie et de son système judiciaire en matière de

13 sentence.

14 Nous avons répondu par écrit longuement aux arguments invoqués par

15 l'appelant à l'époque dans son mémoire et, aujourd'hui, nous nous

16 contenterons de répéter ce qui constitue la jurisprudence constante de

17 cette Chambre d'appel. Les Chambres de première instance ne sont pas liées

18 par les sentences prononcées dans le système judiciaire de l'ex-

19 Yougoslavie.

20 Ce principe est repris dans l'arrêt Celebici aux paragraphes 813 et 816,

21 mais s'applique à des crimes commis avant la création de ce Tribunal. Nous

22 répétons également que cet argument a longuement été débattu avec la

23 défense devant la Chambre de première instance, puisque l'appelant a

24 produit un certain nombre de sentences prononcées par des tribunaux de

25 l'ex-Yougoslavie. La Chambre de première instance a donc eu ces documents

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1 sous les yeux et a accordé le poids qu'elle a jugé convenable à leur

2 contenu.

3 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, le cœur des

4 arguments de la défense a consisté à dire que les circonstances

5 atténuantes avaient été prises en compte telles qu'établies dans le Statut

6 et le Règlement, et que l'accusation, elle, a démontré l'existence de

7 circonstances aggravantes qui ont également été prises en compte par la

8 Chambre de première instance. Le résultat final aux yeux de la Chambre a

9 consisté à penser que les circonstances aggravantes dépassaient et

10 l'emportaient grandement sur les circonstances atténuantes.

11 C'est donc là que l'on trouve la base de la sentence prononcée par la

12 Chambre de première instance contre l'accusé et l'appelant.

13 Nous affirmons qu'il est impossible de démontrer une erreur importante sur

14 ce plan, que cette erreur n'a pas été démontrée, qu'il n'y a pas eu non

15 plus démonstration d'un abus de recours à son pouvoir discrétionnaire par

16 la Chambre de première instance et que la sentence prononcée par elle doit

17 donc demeurer inchangée.

18 J'en suis arrivé au terme de mes arguments, Monsieur le Président. Je

19 crois pouvoir donner la parole à M. Geoffrey Nice, qui traitera d'autres

20 aspects liés à ce même motif d'appel. Merci.

21 M. le Président (interprétation): Merci. Monsieur Nice, vous pouvez

22 procéder.

23 M. Nice (interprétation): J'espère également pouvoir être bref et, bien

24 entendu, nous ne nous plaignons pas, mais nous avons à traiter aujourd'hui

25 des arguments un peu différents de ceux qui ont été présentés par écrit,

Page 209

1 dans un mémoire très volumineux, par l'appelant, à une date antérieure.

2 Notre position consiste à dire que nous maintenons intégralement les

3 réponses que nous avons faites par écrit au mémoire de l'appelant et que

4 nous allons ajouter par oral quelques remarques suscitées par les

5 arguments présentés ce matin par la défense.

6 J'ai un certain nombre de points de détail à présenter. Donc je voudrais

7 ne pas les perdre de vue et c'est la raison pour laquelle, très

8 rapidement, je vous rappellerai que Me Babic a repris un certain nombre de

9 points qui ont été traités au cours de l'audience d'hier. Je pense pour ma

10 part qu'il est tout à fait capital que ces questions soient réglées de la

11 façon la plus complète qui soit.

12 Au paragraphe 4.62 de notre mémoire sur le génocide, nous avons parlé des

13 éléments de preuve qui indiquent qu'il y aurait eu 2000 à 3000 morts. Et

14 sur ce point, sur le point de ce nombre, je maintiens totalement ce que

15 j'ai dit hier.

16 Maître Babic a repris également mes propos au sujet des listes. Sur ce

17 point, il semble qu'il ait assez mal compris la façon dont ces listes

18 fonctionnaient. Je n'ai pas procédé à des vérifications approfondies, car

19 je ne savais pas que ce point reviendrait dans nos débats mais, pour

20 autant que ma mémoire me serve fidèlement, je me rappelle que Me Babic

21 déclare que toutes les personnes en question ne sont pas mortes.

22 La liste la plus longue, celle qui comporte 100 noms, est tirée d'une

23 liste fournie par les autorités serbes sur laquelle figure le nom de plus

24 de 200 personnes dont les corps de certaines ont été retrouvés dans des

25 fosses communes, pendant des fouilles qui ont duré quelques jours. Je

Page 210

1 pense qu'il y avait donc 200 noms et plus sur la liste fournie par les

2 autorités serbes, et 100 corps ont pu être identifiés par leurs noms. Et

3 ces noms ont été soumis à de très nombreux témoins par la défense. Je

4 pense que l'un de ces noms était celui d'une personne encore en vie. Je me

5 rappelle, je crois, que c'était un boucher qui exerçait dans une autre

6 ville.

7 Alors, s'il y a confusion au sujet des noms ou si deux personnes avaient

8 éventuellement le même nom, mais pas le même prénom, je ne me rappelle

9 plus exactement les détails mais, en tout cas, l'ensemble des listes a été

10 élaboré pour montrer qui était encore en vie. Je pourrais vérifier plus

11 complètement mais je vous le dis d'emblée, aujourd'hui, je maintiens sur

12 ce point ce qui a été dit hier.

13 J'en arrive maintenant à des questions qui ont été discutées ce matin.

14 D'abord, le fait que les deux parties n'ont pas pu pleinement présenter

15 leurs arguments au sujet de la sentence devant la Chambre de première

16 instance, avec présentation de témoins, notamment de la part de la

17 défense. Manifestement, la Chambre d'appel peut, si elle le souhaite, lire

18 les arguments présentés par les deux parties. Je crois me rappeler que

19 c'est Me Greaves qui défendait à l'époque M. Jelisic. Je vois qu'aucune

20 plainte n'est avancée sur la base des documents présentés à la Chambre de

21 première instance; donc aucune remise en cause des documents. Je

22 reviendrai sur ce point dans quelques instants.

23 Les documents fournis par l'accusation comprenaient un plan assez

24 détaillé, qui résumait les arguments de l'accusation. Ce texte n'a pas été

25 versé au dossier du procès. C'était un texte de référence et il devait, je

Page 211

1 crois, être laissé de côté en temps utile. Mais ce texte comportait une

2 annexe, qui était une analyse de ce qu'ont dit certains témoins de la

3 défense; puis, il y avait également des tableaux qui analysaient également

4 les témoignages entendus par la Chambre en rapport avec le plaidoyer de

5 culpabilité de l'accusé. Il mettait donc côte à côte les réponses fournies

6 par l'accusé aux représentants du Bureau du Procureur pendant les

7 interrogatoires préalables au procès, et les arguments présentés en

8 rapport avec le crime de génocide en audience.

9 Alors, deux remises en cause ont été faites à ce sujet par la défense.

10 Premièrement, que les accords conclus entre les parties ont été remis en

11 cause s'agissant du plaidoyer de culpabilité. Il est vrai qu'il existait

12 un document, très court, qui indiquait uniquement quels seraient les

13 plaidoyers qui seraient choisis et où l'on trouvait une phrase, à peu

14 près, dans laquelle il était stipulé que l'accusé avait eu, en face de

15 lui, deux frères et qu'il les avait fait sortir. En tout cas, il en avait

16 fait sortir un et l'avait tué. Mais à ce sujet, les documents matériels

17 n'étaient pas suffisants pour que ce fait puisse être pris en compte dans

18 le prononcé de la sentence.

19 Lorsque ce document a été officiellement déposé en 1998, il a ensuite été

20 assorti d'une annexe. Et M. Bowers, un autre représentant qui s'occupait

21 de cette affaire pour la Chambre de première instance, à l'époque, M.

22 Tochilovsky, pour l'accusation, ont ajouté une autre annexe qui, elle

23 aussi, a été déposée au dossier et qui indique quels sont les crimes

24 commis par l'appelant et admis par lui, pour lesquels il a avoué. On y

25 trouvait également la liste complète des témoins qui traiteraient de ce

Page 212

1 sujet particulier dans une annexe confidentielle.

2 Donc la Chambre de première instance a eu, pour se prononcer sur la

3 sentence, l'ensemble de ces documents sous les yeux, tous les documents

4 présentés par l'accusation, en application de l'Article 100 du Règlement

5 et susceptibles de l'aider dans son travail. Elle a eu tous les arguments

6 disponibles également sur la question du génocide.

7 Parlons maintenant des outils d'analyse que j'ai déjà évoqués en quelques

8 mots il y a un instant. Je peux vous dire, Monsieur le Président, Madame

9 et Messieurs les Juges, et j'espère que la Chambre d'appel admettra cet

10 argument, car ces outils d'analyse n'ont pas été versés au dossier, mais

11 constituent la majorité des documents utilisés dans le plaidoyer de

12 culpabilité et, également, une majorité des éléments de preuves utilisés

13 ou entendus durant les audiences réservées au crime de génocide. Donc, il

14 n'y a pas d'autres éléments de preuve et il n'y a aucun risque, en tout

15 cas aucun risque important, que la Chambre de première instance ait été

16 détournée de son devoir par des éléments matériels émanant des audiences

17 réservées au génocide.

18 Car il faut dire d'abord que la Chambre de première instance, j'en suis

19 sûr, connaît son travail et qu'en tout cas, tous les documents qui lui ont

20 été soumis l'ont été après que l'appelant ait plaidé coupable. Donc les

21 outils d'analyse étaient, je crois, uniquement une aide pour les Juges de

22 la Chambre de première instance dans le prononcé de leur sentence.

23 Je dois dire que parler de circonstances atténuantes et de leur importance

24 dans un procès est quelque chose qui n'est pas chose courante pour un

25 juriste de common law.

Page 213

1 Il est assez étonnant que ni les enquêteurs qui auraient dû aider à

2 déterminer la gravité des crimes, ni ceux d'entre nous qui ont présenté

3 les arguments de l'accusation n'avaient le moindre désir de présenter une

4 image, de dépeindre une scène plus grave que ce qu'elle était dans la

5 réalité. Notre seul objectif à l'époque était de corriger la description

6 globale pour qu'elle corresponde au mieux, et de la façon la plus

7 détaillée qui soit, à la réalité.

8 J'en arrive maintenant aux questions qui sont très liées des

9 interrogatoires dont je peux traiter en public, et d'une autre question

10 dont je traiterai à huis clos partiel, si vous me le permettez, mais les

11 deux questions sont intimement liées.

12 Il y a d'abord la question de l'entretien fourni à M. O'Donnell le jour

13 n°19 et je pense, si je ne me trompe pas dans la numérotation des pages,

14 qu'il s'agit d'un entretien qui commence à la page 2066. En deux endroits,

15 ce sont les deux pages concernées: là, il parle des questions de

16 l'assistance à donner à la Chambre de première instance dans le cadre de

17 ses entretiens. Je ne vais pas ici vous relater ses réponses exactes. Je

18 vous invite à les lire car ce sont des réponses assez courtes mais

19 intéressantes. Et la Chambre conclura peut-être que son avis était tout à

20 fait équilibré.

21 Il a d'abord expliqué, tout d'abord s'agissant des entretiens,

22 qu'effectivement l'appelant semblait donner une version aseptisée.

23 L'accusation voulait s'entretenir avec l'accusé, auquel il donnait

24 beaucoup de temps pour réfléchir, parce qu'elle voulait voir ce qu'il

25 disait et le comparer avec d'autres documents indépendants dont

Page 214

1 l'accusation disposait. Comme des déclarations préalables des témoins qui

2 contrastaient les propos de l'accusé. Un des problèmes qu'a posé cet

3 entretien, même s'il était long, en fait c'est que c'était Jelisic qui

4 déterminait ce dont on allait parler. Il a refusé d'intervenir sur

5 certains sujets, il a refusé carrément de parler du génocide en

6 particulier et il a imposé d'autres limites. Et apparemment, dans la

7 dernière partie de l'entretien lorsqu'il parlait d'autres incohérences qui

8 avaient surgi, c'était l'appelant qui avait interrompu le processus de

9 l'entretien.

10 Il n'en demeure pas moins que, dans le cadre de cet entretien, l'enquêteur

11 a décelé des contradictions que ce soit dans l'entretien, des

12 contradictions telles qu'on pouvait avoir un, doute sur la sincérité de

13 l'appelant et puis d'autres véritables contradictions dans ce que disait

14 l'accusé pour atténuer son rôle si on comparait ce qu'il disait avec des

15 sources indépendantes.

16 Nous avons donc toute raison de croire et on peut comprendre pourquoi la

17 Chambre a agi avec la prudence qu'elle a démontré. Ceci intervient dans

18 l'aspect de la coopération dont nous parlions maintenant.

19 Mais maintenant, je voudrais pour évoquer l'autre aspect de la coopération

20 passer à huis clos partiel. Nous allons revenir sur ce qu'a soulevé Me

21 Babic.

22 (Audience à huis clos partiel.)

23 (expurgée)

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12 (Audience publique.)

13 M. le Président (interprétation): Allez-y.

14 M. Nice (interprétation): Je voudrais parler du plaidoyer de culpabilité.

15 A notre avis, la Chambre de première instance a eu tout à fait raison

16 d'accorder peu de poids à cette question. A la lumière de ce qu'elle a pu

17 constater, grâce à l'examen de la séquence de la série de photographies,

18 où l'on voit l'appelant exécuter quelqu'un. Il y a plusieurs

19 photographies, et on voit comment il a procédé, il a été impossible à

20 l'appelant de nier cela. Et la Chambre d'appel comprendra aisément que, du

21 fait qu'on lui a présenté au cours de l'entretien des déclarations

22 préalables de témoins qui identifiaient au-delà de tout doute raisonnable,

23 l'accusé a sans doute pensé qu'il n'a fait aucun moyen de défense au

24 regard de pratiquement tous les points faisant l'objet de son plaidoyer de

25 culpabilité. Il n'y a pas de déclenchement automatique de ce droit, et

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1 ceci peut être diminué par des circonstances aggravantes. Quand Bunda

2 appelait des coupables, il a néanmoins reçu la peine maximale

3 d'emprisonnement à vie.

4 J'aimerais examiner rapidement quelques autres points. D'abord, la

5 question de savoir s'il était considéré, s'il a jamais été et si on

6 n'aurait jamais dû le considérer comme étant un commandant. On n'a jamais

7 affirmé qu'il était le commandant effectif du camp de Luka, le troisième

8 lieu où l'on l'a vu. On l'a vu d'abord au poste de police, puis à la

9 société de transport et puis au camp de Luka. On a n'a jamais suggéré

10 qu'il était le commandant de ce camp. Au contraire, au moment du procès,

11 lors de la présentation des moyens à charge, on a fait valoir qu'il

12 agissait dans l'exécution d'un plan et que, comme il était subordonné,

13 subalterne d'autres, il était effectivement subalterne aux concepteurs du

14 plan. Nous nous sommes basés sur le fait qu'au cours de l'entretien, il a

15 parlé lui-même de la façon dont il a été recruté, de la façon dont ses

16 supérieurs surveillaient son travail. Nous n'avons jamais affirmé qu'il

17 eût été le commandant effectif du camp de Luka. Il est vrai que certains

18 témoins ont pensé qu'il l'était, et il se peut même que certains aient

19 prononcé des paroles qui l'eussent laissé entendre. Mais je crois que, ce

20 que l'accusé lui-même a dit, et ce que les victimes sont venues vous dire

21 en tant que témoins, c'est qu'il travaillait en même temps que d'autres;

22 d'autres qui étaient des inspecteurs qui procédaient à de cours

23 interrogatoires.

24 Et ceci montrait que tous travaillaient et fonctionnaient dans le cadre

25 d'un régime particulier. Nous n'avons jamais laissé entendre qu'il aurait

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1 été le chef. Il avait, effectivement, des pouvoirs considérables de fait

2 dans le cadre de ce régime et il avait des fonctions de commandement -cela

3 c'est certain, au moins lorsqu'il avait le pistolet en main- sur d'autres

4 qui lui prêtaient assistance.

5 Mais nous n'avons jamais laissé entendre qu'il aurait été le commandant du

6 camp, que ceci ne présentait aucune importance et nous pensons que la

7 Chambre de première instance a parfaitement compris la situation.

8 Quelques mots encore sur sa personnalité, sur la question du remord dont

9 il aurait fait preuve. Soit dit en passant, il a été suggéré qu'il était

10 impossible à Jelisic de déposer. Nous ne pensons pas que ce soit tout à

11 fait exact, car la procédure établissant la peine est une procédure

12 importante. Il aurait eu le temps de déposer et rien n'aurait empêché

13 l'accusé de déposer pour s'expliquer sur les accords auxquels il avait

14 participé. Rien ne l'aurait empêché de déposer.

15 Pour ce qui est du remords, les documents le concernant n'étaient sans

16 doute pas limités uniquement aux moyens de preuve présentés par le biais

17 de témoins, parce qu'une Chambre a l'occasion d'observer un homme, même

18 s'il se tait. Et je suis sûr que la Chambre de première instance aura

19 procédé à une évaluation de la personnalité de l'accusé, que ce soit au

20 moment où il était présent en audience ou s'en était absenté.

21 Pour ce qui est des moyens de preuve oraux ou documentaires, mis à part ce

22 qu'ont dit certains témoins, et j'y reviendrai d'ailleurs dans un instant,

23 quand je parlerai de la peine, mis à part ces témoins, pour ce qui est

24 d'autres moyens de preuve écrits ou oraux, c'était assez clair. Tout

25 allait dans un seul sens. Il y a bien une brève référence pour ce qui est

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1 du rapport psychiatrique du Dr Van den Bussche, et d'ailleurs ceci a été

2 mal cité dans une note en bas de page des conseils de la défense, "Aucun

3 remords ne se manifeste". Nous n'avons un document qui ne comporte que 17

4 pages et on fait état de la page 22. Il s'agit, ici, du rapport d'un autre

5 docteur, qui avait procédé à un examen plus court de l'appelant et qui

6 auraient dit ceci: "Il semblerait manifester davantage de remords

7 maintenant que dans le passé".

8 Ce même rapport de ce médecin, qui est versé au dossier d'ailleurs, vous

9 pourrez l'examiner ce rapport, ce rapport montrait clairement, et de

10 diverses manières, que les inquiétudes de l'appelant se bornaient aux

11 inquiétudes qu'il avait en ce qui concerne son propre sort.

12 Divers exemples sont fournis de ce qu'aurait dit l'appelant à propos du

13 fait qu'il pleurait souvent en détention. Mais il apparaît qu'il ne se

14 préoccupe que de son propre sort et ne vient donc aucunement appuyer ce

15 qui aurait été dit à propos de son remord apparent, mais ceci vient étayer

16 ce qui a été dit à propos de sa personnalité et des limitations qu'avaient

17 cette personnalité.

18 La Chambre n'avait donc pas de raisons de se prononcer autrement qu'elle

19 ne l'a fait s'agissant du remord, puisqu'elle en a tenu compte de la façon

20 qui convenait. Je ne veux pas, maintenant, vous importuner en vous

21 demandant de rechercher certains éléments du compte rendu d'audience mais

22 je crois que c'est au cours de la dernière journée d'audience qu'il y a eu

23 interrogatoire et contre-interrogatoire des deux médecins.

24 Si vous avez des hésitations sur la question du remords, dans le cadre des

25 rapports psychiatriques, je vous demande d'examiner lesdits rapports; ce

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1 que je ne peux manifestement pas faire ici davantage.

2 Le remords ou l'idée que Jelisic avait ressenti du remords, ceci est

3 contredit par une pièce à conviction que je dois évoquer mais à huis clos.

4 M. Nice (interprétation): Ceci concerne le témoin K. Il s'agit d'une

5 femme. Ceci s'ajoute aux pièces présentées au moment de la confirmation de

6 l'Acte d'accusation. Le témoin K a déposé pour parler du comportement

7 d'autres personnes que Jelisic, dans le camp, et par rapport aussi au

8 comportement de Jelisic

9 Il est intéressant de constater que Jelisic s'est dispensé d'être présent

10 à l'audience pour des raisons de santé. Le témoin voulait que Jelisic soit

11 présent au moment de sa déposition et, finalement, elle a eu gain de

12 cause.

13 Elle a dit diverses choses. Et ceci intervient au niveau de remords qui

14 peut être une expérience plus actuelle que celle ressentie à l'époque des

15 faits. Et aussi, elle a parlé de l'idée qui avait été soumise selon

16 laquelle il n'a fait qu'agir sur des ordres qui lui avaient été imposés.

17 Elle a dit qu'après les meurtres au camp, après que les crimes ont été

18 commis, Jelisic est rentré au camp, il est revenu au camp. On le voit dans

19 les documents que nous avons soumis. Il a fait irruption dans le camp, il

20 s'est rué sur des personnes encore emprisonnées, il était enragé, il était

21 déterminé à poursuivre la tâche qu'il avait commencée. Elle le dit elle-

22 même. Pour ce qui est de la réserve dont il aurait fait preuve, elle dit

23 qu'il n'a pas osé faire ce qu'il voulait faire, mais qu'il était vraiment

24 enragé, car c'était manifeste, il avait la bave aux lèvres.

25 Voilà, je n'ai pas trouvé encore le passage pertinent. Mais ce sont des

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1 éléments importants. Et ceci permettait à la Chambre de première instance

2 de tirer les conclusions qu'elle a tirées à propos de la personnalité de

3 l'accusé et de son remords éventuel.

4 J'aimerais maintenant, à huis clos partiel, parler encore des trois

5 témoins à décharge dont la déposition a été mentionnée par la défense.

6 (Audience à huis clos partiel.)

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16 (Audience publique.)

17 M. Nice (interprétation): Je vous remercie.

18 Sans m'attarder démesurément, je dirai qu'il y a une autre caractéristique

19 des moyens de preuve, qui explique peut-être pourquoi la Chambre de

20 première instance a rejeté certaines circonstances atténuantes.

21 En dépit du long entretien que Jelisic a accordé, en dépit de la

22 possibilité qui était donnée à la défense de citer certains témoins, si

23 l'on voit ce que cet homme, Jelisic, a fait, avant son arrivée à Brcko, un

24 an ou deux avant cette arrivée, lorsque nous savons qu'il avait été

25 condamné pour des infractions mineures, et si l'on voit ce qu'il a fait

Page 226

1 après Brcko, avant son arrestation, si l'on voit tout cela, on n'a pas une

2 idée très précise très cohérente très claire.

3 M. le Président (interprétation): D'après l'écran, nous sommes toujours à

4 huis clos.

5 M. le Président (interprétation): Poursuivez Monsieur Nice.

6 M. Nice (interprétation): Si l'on essaie de voir ce qu'était Jelisic et

7 avant Brcko, c'est très peu clair. Lorsque l'on voit la situation au

8 moment de son recrutement, en très peu de temps, il a pris de l'importance

9 jusqu'à devenir quelqu'un qui a commis ces crimes. C'est le premier

10 instantané. Si vous prenez l'instantané après les événements, il aurait pu

11 manifester du remord, il aurait pu se livrer. Mais lorsque l'on voit ces

12 deux instantanés, le rapport est loin d'être clair.

13 M. le Président (interprétation): Poursuivez.

14 M. Nice (interprétation): Effectivement, et ceci concorde tout à fait bien

15 avec ce que disait l'accusation et ce qu'a dit la Chambre de première

16 instance, à savoir que ce n'était pas un homme honnête, surtout au vu de

17 ce qu'il a fait et dit au cours de son entretien. Il a dit, par exemple,

18 qu'il ne regardait pas les gens lorsqu'il les tuait et il a dit: "Si

19 quelqu'un m'avait demandé de ne pas le tuer, je ne l'aurais pas tué". Tout

20 ceci est contredit par les témoignages que nous avons entendus où nous

21 avons vu des gens le conjurer de ne pas les tuer; ce qu'il a refusé.

22 Nous avons des preuves attestant du fait qu'il n'était pas honnête, qu'il

23 n'était pas sincère. La Chambre de Chambre de première instance a été

24 saisie de nombreuses preuves soutenues par des argumentations précises, et

25 nous le voyons très bien dans le Jugement: même si c'est de façon

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1 sommaire, les Juges en ont tenu compte. Les Juges ont procédé à une bonne

2 évaluation de la peine à infliger, fort des documents dont il avait pris

3 connaissance, ils ont ainsi pris une décision factuelle irréprochable.

4 Monsieur Guariglia vous a rappelé la jurisprudence de ce Tribunal. Elle

5 était d'ailleurs présentée déjà dans notre mémoire, et ceci prouve que la

6 peine infligée était la peine qu'il fallait infliger à l'époque et qui

7 doit être maintenue aujourd'hui. C'est tout ce que j'aurais à vous dire

8 Madame et Messieurs les Juges.

9 Mme Wald (interprétation): J'ai deux questions pour M. Guariglia et, en

10 fait, j'en ai aussi pour M. Nice. Puisque vous êtes debout, je vais

11 commencer par vous.

12 Si je comprends bien les arguments de l'appelant, j'aimerais avoir votre

13 réaction à cet argument justement. Il nous dit que bien qu'il ait présenté

14 son plaidoyer de culpabilité sur la base d'un accord de fait, donc

15 concernant un deuxième acte d'accusation impliquant des crimes contre

16 l'humanité, donc en dépit de ce fait, certains des éléments qui ont été

17 présentés pendant les plaidoyers relatifs au génocide, certains des

18 aspects les plus horribles des crimes qui ne figuraient pas dans le

19 document d'accord, donc ces éléments ont été pris en compte au moment du

20 prononcé de la détermination de la peine. Je voudrais avoir votre réaction

21 à ce sujet.

22 M. Nice (interprétation): Eh bien, je souhaiterais revenir à ce que j'ai

23 déjà dit précédemment. Et c'est moi, sans doute, qui n'ait pas été

24 suffisamment clair. L'accord sur les faits, signé et daté le 9 septembre

25 1998, était extrêmement court. Un exemple, chefs 6 et 7: "Goran Jelisic

Page 228

1 plaidera coupable au titre des chefs 6 et 7 et reconnaîtra que, le 6 ou le

2 7 mai 1992, il a escorté un homme inconnu, un détenu, le long d'une rue

3 près du poste de police de Brcko et lui a tiré dans la tête avec un

4 pistolet de marque Scorpion".

5 Voici la manière dont les différentes infractions ont été résumées dans ce

6 document. En dehors de cela, il n'y avait, dans ce document, aucune

7 explication, aucun développement permettant de donner un contexte à ces

8 infractions. Et comme je l'ai avancé, précédemment, ce matin, tout ce qui

9 figure dans ce document est extrêmement limité, beaucoup trop limité pour

10 permettre une évaluation de la culpabilité. Il s'agit de résumés

11 extrêmement concis des crimes au titre desquels il allait plaider

12 coupable. Cela servait également de base à la présentation par

13 l'accusation de ces éléments à charge, mais cela ne suffisait pas.

14 C'est pourquoi, le 29 septembre, nous avons déposé un autre document

15 auprès de la Chambre. Je vais vous en donner lecture car je ne pense pas

16 que vous l'avez sous les yeux: "Conformément à la demande du Juge Riad, au

17 cours de la conférence de mise en état du 2 septembre, demandant aux

18 parties de trouver un accord au sujet des faits admis, Jelisic a

19 expressément déclaré qu'il souhaitait plaider coupable (paragraphe 2).

20 L'accusation et la défense ont soumis un document sur les faits admis, en

21 regard des plaidoyers de culpabilité (paragraphe 3, et c'est le seul

22 paragraphe où l'on en parle autrement), que pour aider la Chambre à

23 évaluer les plaidoyers de culpabilité, le Procureur a soumis les extraits

24 de déclarations de témoins relatifs aux chefs d'accusation pour lesquels

25 Jelisic souhaite plaider coupable. D'autre part, en Annexe 2, nous faisons

Page 229

1 figurer un document complémentaire".

2 Donc en plus de ce document extrêmement concis dont je vous ai parlé, il y

3 a un autre document beaucoup plus circonstancié. C'est vrai, il n'a jamais

4 été signé par la défense mais l'accusation a toujours fait savoir, très

5 clairement, que c'était son intention de présenter ces documents et ces

6 éléments à la Chambre, en tout cas les éléments nécessaires pour compléter

7 le document extrêmement concis qui énonçait les faits sur lesquels les

8 parties s'étaient mises d'accord.

9 Et si vous me permettez, je vais vous renvoyer à la page 27 de notre

10 mémoire en réplique. Encore faut-il que je le trouve. Donc ce qui s'est

11 donc passé, paragraphe 4.6, page 27, ce qui s'est passé ce jour-là, c'est

12 que j'ai dit à la Chambre qu'il existait un document important qui

13 comprenait des déclarations de témoins et qui avait été fourni au moment

14 du plaidoyer de culpabilité; il s'agit de déclarations de témoins ou

15 d'extraits de déclarations de témoins.

16 Et j'ai déclaré que nous allions nous appuyer sur ces documents -sans

17 appeler ces témoins à la barre- dans le cadre de la détermination de la

18 peine. Et de ceci, personne ne s'est plaint.

19 En d'autres termes, les parties au procès savaient pertinemment qu'on

20 n'allait pas appeler des témoins uniquement pour les chefs d'accusation et

21 que nous allions nous appuyer sur ces documents écrits.

22 Quand on nous dit que nous avons eu recours à des documents qui allaient

23 au-delà du document d'accord sur les faits, pour répondre à votre

24 question, eh bien, il y avait donc ces éléments de documents écrits, ces

25 documents écrits auxquels la Chambre pouvait se référer. C'est une partie

Page 230

1 de votre question: ce qui s'est passé pendant le procès.

2 Mais nous pouvons partir du principe que la Chambre a peut-être décidé de

3 ne pas les prendre en considération parce qu'elle ne pouvait pas le faire.

4 Mme Wald (interprétation): J'ai une question pour M. Guariglia également.

5 Vous nous avez dit, Monsieur Guariglia, que la Chambre est en droit

6 d'appliquer un pouvoir discrétionnaire au moment de la détermination de la

7 peine parce que chaque affaire est différente de l'autre. Et vous avez

8 parlé d'Erdemovic: vous avez signalé quelles étaient les différences entre

9 Erdemovic et Jelisic.

10 Mais cependant, étant donné le fait que Me Clegg s'est appuyé beaucoup

11 plus sur Tadic, qui me semble d'ailleurs beaucoup plus ressembler à

12 l'autre affaire et, bien entendu, je suis d'accord avec vous: je sais bien

13 que la Chambre d'appel n'a pas obligation d'examiner toutes les affaires

14 jugées devant ce Tribunal, cependant je serais très intéressé de savoir

15 quelle est votre argumentation quant au changement de la peine, dans

16 Tadic, par la Chambre d'appel.

17 Et au-delà, une question un peu plus théorique: est-ce que vous êtes peut-

18 être en train de nous dire que deux Chambres d'appel dans le Tribunal si,

19 par hypothèse, elles étaient placées devant des crimes qui s'étaient

20 déroulés dans les mêmes circonstances, avec des auteurs qui avaient le

21 même âge, est-ce que, nonobstant ce fait, elles pourraient rendre des

22 sentences tout à fait différentes dans l'une et l'autre affaire, sur la

23 base de la révélation des éléments de preuves présentés?

24 M. Guariglia (interprétation): Il est un petit peu risqué de déclarer deux

25 affaires sans avoir sous les yeux tous les éléments de preuve afférents à

Page 231

1 ces affaires et sans pouvoir déterminer si le niveau de culpabilité est le

2 même.

3 Mme Wald (interprétation): Mais vous l'avez fait dans Erdemovic!

4 M. Guariglia (interprétation): En effet, mais nous avançons quant à nous

5 que si, dans Erdemovic, apparemment, il y avait une différence subjective,

6 il est manifeste, du moins pour nous,…

7 M. le Président (interprétation): Il faut apporter une correction au

8 compte-rendu d'audience: en face du nom du Juge Wald, on peut lire: "Je

9 l'ai fait avec Erdemovic". En fait, elle vous a dit: "Vous l'avez fait

10 avec Erdemovic".

11 M. Guariglia (interprétation): C'est exact. Mais pour en revenir à ce que

12 j'étais en train de vous dire, en ce qui concerne Erdemovic et Jelisic, on

13 peut dire qu'il y a des différences subjectives, puisque vous avez deux

14 auteurs de crimes qui sont différents. Maintenant, si l'on regarde ce qui

15 se passe entre Tadic et Jelisic, il y a une différence objective

16 importante: le nombre de victimes. Pour Tadic, il y a eu deux meurtres et

17 Tadic a participé à de nombreux passages à tabac. En ce qui concerne

18 l'appelant en l'espèce, vous avez quelqu'un qui a participé activement à

19 un nombre très important de meurtres qui ont été exécutés de façon

20 bestiale et brutale, dans un camp, dans le camp de Luka, ou bien au poste

21 de police. Nous estimons donc que le nombre de victimes est différent, la

22 nature des souffrances est différente et que la Chambre de première

23 instance avait la possibilité, était en droit d'évaluer de manière

24 différente ou de décider d'une sentence différente dans l'affaire Tadic.

25 Je ne sais pas si je réponds à votre question.

Page 232

1 Mme Wald (interprétation): Merci.

2 M. Guariglia (interprétation): Maintenant, en ce qui concerne votre

3 deuxième question, il est indéniable qu'il serait souhaitable que les

4 peines, dans des affaires qui se ressemblent énormément, que dans ce cas-

5 là, il n'y ait pas de différences énormes entre les peines prononcées.

6 Mais il peut tout à fait y avoir certaines différences puisque cela relève

7 du pouvoir discrétionnaire des Chambres de première instance et qui leur

8 est accordé par le Statut et par le Règlement.

9 Mais, de la même façon que deux Juges agissant de manière raisonnable

10 peuvent examiner les éléments de preuve et arriver à une conclusion

11 différente, et du moment que ces deux Juges agissent de manière

12 raisonnable du point de vue juridique, eh bien, il faut l'accepter.

13 Et nous estimons qu'il faut en conclure de même en ce qui concerne le

14 prononcé de sentences. Du moment que la Chambre de première instance s'est

15 conformée au Statut et au Règlement, et a utilisé son pouvoir

16 discrétionnaire de manière raisonnable, eh bien, il est tout à fait

17 possible que la Chambre de première instance B, dans une affaire très

18 semblable, prononce une peine différente.

19 Mais nous estimons que, du moment que ces Chambres de première instance,

20 respectent le Statut et le Règlement, eh bien, il ne convient pas de

21 toucher à ces deux peines.

22 Mme Wald (interprétation): Merci.

23 M. le Président (interprétation): Monsieur Guariglia, j'aimerais que vous

24 m'apportiez une précision.

25 Nous avons cité à de très nombreuses reprises l'affaire Erdemovic. Je

Page 233

1 souhaiterais vous demander si vous avez la même impression que la mienne

2 en ce qui concerne l'affaire Erdemovic, même si je ne m'en souviens peut-

3 être pas aussi bien que vous. Il me semble me rappeler que, dans cette

4 affaire, il y avait deux choses.

5 Premièrement, Erdemovic s'est livré au Tribunal, alors que le Tribunal

6 n'était même pas au fait de son existence ou de la possibilité que des

7 allégations soient portées à son encontre. Deuxièmement, l'accusation a

8 reconnu qu'il avait agi sous la contrainte. Et la question a été examinée

9 par la Chambre d'appel sur cette base, sur la base du fait qu'en ce qui

10 concerne Erdemovic, la contrainte était un moyen de défense complet. Mais

11 la Chambre d'appel a déclaré que ce n'était pas le cas et a déclaré que la

12 contrainte pouvait être prise en compte au moment de l'examen des

13 circonstances atténuantes.

14 C'est sur cette base qu'Erdemovic s'est vu condamné à cinq ans de prison.

15 Est-ce que ce genre de facteurs ont été pris en compte dans l'espèce? Est-

16 ce qu'ils existent dans cette affaire?

17 M. Guariglia (interprétation): Non. C'est justement notre position.

18 Subjectivement parlant, ces deux affaires n'ont absolument rien à voir.

19 M. le Président (interprétation): Maître Clegg, allez-vous finir avant 13

20 heures?

21 M. Clegg (interprétation): Je pense n'en avoir que pour peu de temps après

22 13 heures, mais je voudrais vous demander cinq minutes. Monsieur Jelisic

23 souhaite échanger quelques mots avec moi, mais je ne parle pas sa langue:

24 cela représente quelque difficulté.

25 Mais je pense en tout cas en avoir fini à 13 heures 15, ou largement

Page 234

1 avant.

2 M. le Président (interprétation): Permettez-moi de consulter mes

3 collègues.

4 (Les Juges se consultent sur le siège.)

5 Monsieur le Juge Nieto Nadia estime que, par principe, il convient que

6 nous observions la pause, du moment que vous nous dites que vous allez

7 avoir encore besoin d'un peu de temps après 13 heures.

8 Donc, même avec cette pause de cinq minutes, si nous vous l'accordons, de

9 combien de temps allez-vous avoir besoin après 13 heures?

10 M. Clegg (interprétation): J'espère en avoir terminé en l'espace de quinze

11 minutes ou de moins de quinze minutes. Ensuite, Me Babic traitera des

12 questions auxquelles il s'est intéressé plus particulièrement dans le

13 cadre de l'examen de cet appel.

14 M. le Président: Eh bien, dans ces conditions, il convient que nous

15 observions la pause maintenant.

16 Vous aurez donc ces fameuses cinq minutes pendant la pause déjeuner.

17 M. Clegg (interprétation): Donc, de cette façon, je ne suis soumis à

18 aucune pression de temps en ce qui concerne les communications avec mon

19 client.

20 M. le Président (interprétation): L'audience est levée.

21 (L'audience, suspendue à 12 heures 50, est reprise à 14 heures 33.)

22 M. le Président (interprétation): L'audience est reprise et je voudrais

23 présenter nos excuses pour le léger retard que nous avons pris.

24 Maître Clegg, vous avez la parole.

25 M. Clegg (interprétation): Selon nous, la démarche adoptée par

Page 235

1 l'accusation n'est d'aucune utilité pour le présent Tribunal. L'accusation

2 fait valoir -et je la cite- que le besoin allégué de reconnaître une

3 grille de peines à appliquer en matière de peines, que ce besoin n'existe

4 pas.

5 En tant que fait, c'est là une argumentation qu'il est impossible de

6 soutenir. Nous pensons que, si l'accusation a avancé cet argument à partir

7 de cette prémisse, c'est parce qu'elle comprend que, si l'on voit la peine

8 imposée en l'espèce, n'importe quelle grille de peines serait

9 inappropriée.

10 Pour bien illustrer cette question de la diplomatie qui s'est effectuée

11 après la décision, il suffit de voir le Jugement Celebici: c'est là qu'est

12 montré exactement l'inverse de ce qui est avancé aujourd'hui. Au

13 paragraphe 715 du Jugement de Celebici, l'accusation a avancé l'argument

14 inverse de ce qu'elle fait aujourd'hui. Ce que l'accusation a dit à

15 l'époque, c'est ceci: c'est qu'elle estimait que "la Chambre d'appel

16 devrait déterminer -et je cite- quels sont les principes fondamentaux en

17 matière de détermination de la peine qui devraient être appliqués par la

18 Chambre". Et la Chambre d'appel remarque que l'accusation a présenté des

19 arguments analogues devant elle, en donnant des détails d'autres affaires.

20 La Chambre dit que de tels principes seraient utiles pour qu'il y ait

21 harmonisation des peines imposées en première instance par le Tribunal.

22 Ces termes, je me permets de le relever, ne correspondent pas du tout à la

23 réponse qui a été donnée à la réponse de la question du Juge Wald ce

24 matin, avant la pause déjeuner. Les arguments avancés par l'accusation

25 dans l'affaire Celebici ont bien sûr été avancés dans un appel qui

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1 s'oppose à la peine, qui aurait pu être soutenu par l'application d'une

2 grille analogue.

3 Et je pense que si, aujourd'hui, on prend le point de vue opposé, cela

4 montrait que la sentence imposée contre Jelisic est à ce point

5 disproportionnée par rapport à ce qui se fait normalement au Tribunal pour

6 l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, que l'accusation montre par là qu'elle

7 est consciente de la situation insoutenable dans laquelle elle se trouve.

8 Au paragraphe 55 du Jugement Tadic, page 24: si je me souviens bien, c'est

9 le seul motif qui a entraîné une atténuation de la peine au fond, par

10 contraste avec le moment à partir duquel devait courir la peine. Et là,

11 l'appel a été accueilli, la peine a été réduite parce qu'on estimait qu'il

12 fallait que la peine traduise le peu d'importance qu'avait le poste occupé

13 par l'appelant dans l'ex-Yougoslavie au cours du conflit.

14 Les motifs que j'avais présentés, s'agissant de l'affaire Tadic, avant la

15 pause, étaient les suivants.

16 La Chambre de première instance avait versé dans l'erreur pour ce qui

17 était de la nécessité de mettre au point une grille de peines tenant

18 compte de la position relative occupée par l'accusé. Et j'ajoute à cela:

19 au regard du rôle qu'a joué l'accusé.

20 Nous invitons dès lors la Chambre d'appel à voir comment l'accusation a

21 répondu aux arguments que nous avons présentés s'agissant de la peine. Et

22 que la Chambre pensera que cette réponse de l'accusation a été très

23 économique et très limitée.

24 Et lorsqu'on voit le Jugement Erdemovic, l'accusation a montré que ce

25 principe de la grille de peines ne s'appliquait pas. Et s'il n'y avait pas

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1 eu la question du Juge Wald, l'accusation n'aurait rien dit du tout à

2 propos du Jugement Tadic. alors que moi, je me suis appuyé sur ce jugement

3 au cours de mes plaidoiries.

4 Et ce qui a été dit au Juge Wald était erroné. Il n'est pas juste de dire

5 que Tadic n'a été accusé que de deux meurtres. La Chambre d'appel a en

6 fait annulé deux acquittements qui avaient été déclarés pour le meurtre de

7 deux policiers dans le village en question -je ne me souviens plus du nom

8 de ce village-, deux personnes que Tadic avait égorgées. Mais il y a

9 d'autres meurtres à imputer à cet homme: il y a cinq meurtres dans le

10 village de Jecica -je m'excuse d'avoir mal prononcé ce nom.

11 J'invite la Chambre à se pencher sur le jugement initial rendu dans

12 l'affaire Tadic, s'agissant de la peine, si la Chambre veut avoir une idée

13 précise des crimes dont a été accusé Tadic. Il faut voir les conclusions

14 de l'appel qui ont déclaré Tadic coupable de crimes dont il avait été

15 acquitté au départ.

16 Et puis il faudra voir quel est l'appel au niveau de la peine pour voir si

17 l'affirmation selon laquelle on peut faire une distinction très nette

18 entre les deux affaires peut être maintenue.

19 Nous pensons que si la Chambre prend la peine -et je sais qu'elle va le

20 faire- d'examiner ces documents, elle devra inévitablement en arriver à la

21 conclusion qu'il ne peut pas y avoir de distinction opérée entre ces deux

22 affaires. Ce serait manquer de logique quand on pense à la façon dont on a

23 répondu à la question du Juge Wald.

24 Voyons ce que disait l'accusation elle-même dans l'appel Tadic en matière

25 de peine. Voici ce qu'elle a dit -je la cite-: "L'intimé affirme que,

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1 lorsqu'il s'agit d'évaluer les circonstances concernant l'appelant, la

2 Chambre de première instance a tenu compte également de la brutalité avec

3 laquelle il a commis ces actes et de la volonté qu'il avait de participer

4 au nettoyage ethnique qui se produisait dans la région" Fin de citation.

5 Un argument bien étayé par des éléments descriptifs du comportement de

6 l'appelant aujourd'hui.

7 Le grade: il a été dit, lors des plaidoiries, que ceci n'avait pas

8 d'importance. On a même été jusqu'à suggérer que le fait que Jelisic soit

9 d'un grade subalterne, ou plutôt qu'il n'en avait aucun, n'était pas un

10 élément qu'il fallait prendre en compte. C'est tout à fait en porte-à-faux

11 avec ce que dit la Chambre d'appel dans l'arrêt Tadic. Et la Chambre

12 d'appel avait bien sûr raison de dire qu'il fallait qu'une personne soit

13 punie pour les crimes qu'elle a commis et non pas pour le grade qu'elle

14 occupait.

15 C'est la raison pour laquelle on fait une différence dans la peine, eu

16 égard au grade. Si Hitler avait été vivant à la fin de la guerre, il est

17 certain qu'il aurait été puni plus sévèrement que l'un quelconque des

18 membres du Einsatzkommando, commando qui était responsable de nettoyages

19 ethniques en Europe orientale. Pourtant Hitler n'a jamais tué personne de

20 ses propres mains, du moins pour autant que nous le sachions. Mais il

21 aurait été puni par la peine la plus grave parce que c'est lui, du fait de

22 la structure de commandement qu'il avait mise en place, qui imposait aux

23 autres de commettre ces actes. C'est son poste de commandement qui

24 comptait et non pas le fait que lui n'avait jamais touché au moindre

25 cheveu du moindre juif. C'est du fait du poste qu'il occupait. Et la

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1 raison pour laquelle une personne de rang plus élevé n'est pas punie

2 davantage pour un même acte, c'est parce qu'il se trouve dans cette

3 position de supériorité et, qu'en tant que tel, il peut avoir une

4 influence sur les événements bien plus vastes que ceux qui n'ont pas de

5 grade.

6 C'est l'utilisation de cette influence qui est essentielle si l'on veut

7 mettre en place un plan de nettoyage ethnique et c'est l'utilisation de ce

8 grade qui fait qu'on peut donner des peines plus lourdes à des personnes

9 occupant un grade élevé. C'est une distinction que l'accusation refuse de

10 reconnaître pour les mêmes raisons que celles qui l'ont poussée à rejeter

11 l'idée d'une grille de peines parce que ces raisons montreraient que

12 l'accusation a tort.

13 Encore quelques mots à propos des éléments de preuve, avant de passer la

14 parole à Me Babic.

15 La base factuelle convenue entre les deux parties va bien sûr être étoffée

16 par les témoignages apportés au regard de chacun des chefs d'accusation.

17 Là, j'accepte tout à fait les propos de M. Nice sur ce point.

18 Toutefois, dans la mesure où les moyens de preuve englobent des

19 allégations qui n'ont pas fait l'objet d'admission de culpabilité et qui

20 n'ont pas entraîné de condamnation à ce moment-là, il faut que la Chambre

21 ne les prenne pas en considération au moment où elle va déterminer la

22 peine.

23 Et dans la mesure où les éléments de preuve englobent une allégation

24 criminelle bien plus grave, celle de génocide, nous estimons qu'elle doit

25 être ignorée, à moins qu'elle n'ait un pertinence directe pour les chefs

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1 dont l'accusé s'est déclaré coupable.

2 Nous n'acceptons pas non plus le résumé qu'a fait M. Nice des moyens de

3 preuve. Nous ne pensons pas que le résumé qu'il a fait soit ni juste ni

4 exact.

5 Il y a trop de problèmes pour que je retienne à votre attention l'un ou

6 l'autre des passages qu'il a cités.

7 Nous allons simplement inviter la Chambre à réexaminer la déposition assez

8 brève de six témoins.

9 Avant que la Chambre ne décide de l'effet qu'on eût les témoins évoqués

10 par Me Nice, il s'agit des témoins DA, DE, DH, DK, DO et DQ.

11 Vous voudrez bien, Madame et Messieurs les Juges, examiner le compte rendu

12 de ces dépositions et vous verrez que l'interprétation de ces dépositions

13 offertes par M. Nice ne peut pas être retenue.

14 C'est tout ce que j'avais à dire en guise de réponse. Mais je laisse à Me

15 Babic le soin de poursuivre.

16 M. le Président (interprétation): Merci, Maître Clegg.

17 Vous avez la parole, Maître Babic.

18 M. Babic (interprétation): Nous nous efforcerons de respecter le temps qui

19 nous a été imparti par la Chambre d'appel et je serai le plus concis

20 possible.

21 Nous n'avons pas fait remarquer une inexactitude dans ce qui a été dit. Je

22 crois que c'est nécessaire. Au compte rendu d'audience, les paragraphes 37

23 et 38 du jugement affirment que Goran a tué les deux frères Zahirovic.

24 C'est ce qui est affirmé également dans l'introduction du premier Acte

25 d'accusation, alors que l'Acte d'accusation modifié indique que Goran n’a

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1 tué que l'un des deux frères Zahirovic, et ceci est indiqué également dans

2 l’accord conclu entre les parties.

3 Donc je demanderai à la Chambre d’appel de bien tenir compte de ces faits

4 et de leur exactitude, et de lier ce fait à la sentence qui sera prononcée

5 par elle.

6 Deuxièmement, le document invoqué par la défense, nous admettons qu'il n'a

7 pas été signé par elle, comme l'a dit le Procureur, parce que nous avons

8 toujours dit qu'il s'agissait d'un document commun. C’est ce que l'on

9 trouve au paragraphe 18 et en note de bas de page n°9 dans le jugement.

10 Et à cet égard, j'invite également la Chambre d'appel à tenir compte de ce

11 fait.

12 Par ailleurs, ce qui me paraît, à moi, particulièrement intéressant c'est

13 la raison pour laquelle l'accusation n'a pas mentionné les témoins de la

14 défense.

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17 (expurgée)

18 (expurgée)

19 Si, à en juger par les objectifs poursuivis dans les jugements de ce

20 Tribunal, la fin recherchée est le rétablissement de la paix et la

21 réconciliation, eh bien, dans ce cas, il était du devoir de l'accusation

22 comme de la défense de comprendre cet objectif et de comprendre que les

23 gens peuvent tout de même vivre ensemble, qu'ils peuvent tout de même

24 faire l'expérience de quelque chose de valable qui ensuite pourrait

25 devenir la base d'une espèce de coexistence renouvelée. J'insiste sur ce

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1 fait que je tiens à rappeler.

2 La constatation de l'accusation selon laquelle il n'a jamais été dit que

3 Jelisic était commandant du camp est très facile à démentir.

4 Le premier acte d'accusation et l'acte d'accusation amendée contenaient

5 les points 50 et 51. Et dans ces points 50 et 51, nous lisons ce qui suit:

6 "Goran Jelisic, lorsqu'il exerçait les fonctions de commandant du camp, a

7 créé une atmosphère de terreur en tuant, en maltraitant et en menaçant les

8 détenus et, de cette façon, il les a soumis à un traumatisme psychologique

9 extrême, ainsi qu’à des pratiques dégradantes, à la peur et à la peur de

10 blessures physiques et de la mort". Fin de citation.

11 Ces chefs d'accusation, ces descriptions et allégations ont ensuite été

12 modifiés par l'accusation. Et dans l'Acte d'accusation modifié, on ne les

13 trouve pas.

14 Nous admettons donc que l'accusation reconnaît que Jelisic n'était pas

15 commandant du camp.

16 L'accusation prétend aujourd'hui qu'il n'y a eu qu'un plaidoyer de

17 culpabilité.

18 Mais j'ajouterai que, dans le contexte de l'accord entre les parties sur

19 les faits, donc dans l'accord de certains éléments admis par le Procureur

20 et la défense, un certain nombre de réunions se sont tenues et que c'est

21 seulement lorsque l'accusation a accepté le plaidoyer de Goran Jelisic,

22 selon cet accord, que l'accord a été conclu. Donc l'accusation ne peut pas

23 se permettre aujourd'hui de remettre en cause le premier document conclu

24 entre nous.

25 A mon avis, ce qui passe, c'est que le Procureur semble avoir voulu dire:

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1 "Eh bien, d'accord, maintenant que l'accord est conclu, nous en prenons

2 acte mais nous continuerons à travailler su la base de l'ancien document,

3 c'est-à-dire du premier Acte d'accusation."

4 Nous pensons du côté de la défense que ceci n'est pas convenable et ne

5 correspond pas aux instructions fournies par le Juge Jorda aux parties,

6 lors de la Conférence de mise en état du 23 septembre 1998, où l'accord a

7 été finalement négocié.

8 Je demanderai donc aux Juges de cette Chambre d'appel de reprendre le

9 compte rendu d'audience de cette Conférence de mise en état du 23

10 septembre 1998.

11 Enfin je demande un huis clos partiel, Monsieur le Président.

12 (Audience à huis clos partiel.)

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22 (Audience publique.)

23 M. le Président (interprétation): Nous sommes en audience publique.

24 Je suppose que ceci met un terme aux plaidoiries représentant les intérêts

25 de M. Jelisic?

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1 M. Clegg (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

2 M. le Président (interprétation): Avant que la Chambre ne se retire pour

3 délibération, j'aimerais faire état de quelques éléments.

4 Il y a d'abord une question relative au plan de l'argumentaire de la

5 défense, le "skeleton argument", en anglais. Nous en avons parlé déjà mais

6 nous allons en avoir besoin, nous allons peut-être avoir besoin de ce

7 document pour préparer l'arrêt.

8 Pourriez-vous nous dire, Maître Clegg, si le document a été officiellement

9 soumis à la Chambre? Est-ce qu'il fait désormais partie du dossier?

10 M. Clegg (interprétation): Je pense que c'est le cas puisque ceci a été

11 diffusé à toutes les parties concernées.

12 M. le Président (interprétation): C'est alors devenu partie du dossier.

13 Autre chose, Maître Clegg, vous avez fait référence au Jugement Celebici

14 et, plus exactement, à la partie qui parlait du cumul des condamnations.

15 L'accusation n'a-t-elle pas dit qu'elle avait l'intention de déposer une

16 déclaration? Mais j'avais cru comprendre que l'accusation voudrait

17 procéder à un tel dépôt seulement si, vous, vous insistiez sur cette

18 question.

19 Et je ne sais pas si vous voulez insister pour que ce soit maintenu?

20 M. Clegg (interprétation): Oui, ce point, nous l'avons maintenu puisque

21 nous avons soulevé la question.

22 Et l'interprétation que j'ai du jugement semblerait indiquer que ceci

23 s'appliquait aussi aux peines infligées dans l'affaire Jelisic également.

24 Nous maintenons donc cet argument.

25 M. le Président (interprétation): Quel est le délai qui paraîtrait

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1 raisonnable à l'accusation pour lui permettre le dépôt d'écritures sur ce

2 point?

3 M. Yapa (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

4 Comme le dit la partie adverse, c'est une question qui intervient en

5 appel. Peut-on appliquer le Jugement Celebici aux questions soulevées en

6 l'espèce? Je crois que pour répondre à ça, il nous faut une dizaine de

7 jours.

8 M. le Président (interprétation): Dix jours, je vois.

9 Il vous faudrait combien de temps pour votre réponse, Maître Clegg?

10 M. Clegg (interprétation): Dix jours.

11 M. le Président (interprétation): Dix plus plus dix, cela fait vingt

12 jours. D'accord, vous recevez ce délai.

13 Et puis j'ai une liste que le secrétariat m'a présentée et d'autres

14 questions. Celles qui figurent dans la liste maintenant vous concernent,

15 Maître Clegg.

16 On avait demandé aux deux parties de publier des versions publiques de

17 documents. Ceci en application de l'ordonnance portant calendrier du 30

18 janvier.

19 Apparemment, vous ne vous êtes pas encore acquitté de ces tâches. Il y a

20 d'abord le mémoire de l'appelant dans l'appel incident du 7 août 2000 et

21 il y a la réponse en date du 6 octobre 2000.

22 M. Clegg (interprétation): J'ai reçu une copie non annotée de chacun de

23 ces documents.

24 Le Greffe a eu la gentillesse de me les fournir hier. Nous allons déposer

25 dans les dix jours qui suivent une version expurgée.

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1 M. le Président (interprétation): Eh bien, que ceci soit consigné au

2 dossier.

3 Nous arrivons ainsi au terme de l'audience.

4 Les Juges de la Chambre d'appel veulent ainsi exprimer leurs

5 remerciements aux deux parties pour les arguments très utiles que celles-

6 ci ont présenté.

7 Nous allons nous retirer pour délibération. Vous serez informés en temps

8 utile des dates retenues pour le jugement.

9 L'audience est levée.

10 (L'audience est levée à 15 heures.)

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