Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 2 novembre 2009

  2   [Déclaration liminaire de l'Accusation]

  3   [Audience publique]

  4   [L'accusé est absent]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 15.

  6   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour à tous.

  7   M. Karadzic est toujours absent de ces procédures et a indiqué aux

  8   Juges de la Chambre une nouvelle fois que c'est en raison du fait qu'il

  9   estime qu'il n'est pas préparé comme il se doit. Comme je l'ai déclaré

 10   précédemment, les Juges de la Chambre estiment que M. Karadzic, par son

 11   absence, fait ainsi fi de son droit à assister au procès. Par conséquent,

 12   les Juges de la Chambre entendront la suite des déclarations liminaires de

 13   l'Accusation.

 14   Vous pouvez poursuivre, Monsieur Tieger.

 15   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Madame,

 16   Messieurs les Juges,

 17   Nous reprenons aujourd'hui avec le pilonnage et la campagne de tirs

 18   embusqués contre la population civile de Sarajevo, après avoir déjà abordé

 19   le caractère et la durée de la campagne, les armes utilisées, la structure

 20   du commandement et du contrôle, les ordres donnés par Karadzic pour faire

 21   cesser la campagne de temps en temps, lorsque cela répondait à ses

 22   objectifs. Et les éléments de preuve sont clairs, Madame, Messieurs les

 23   Juges, l'accusé savait pendant toute la durée des 44 mois de siège que ses

 24   forces pilonnaient et tiraient sur les civils en créant des conditions de

 25   terreur pour les citoyens de Sarajevo. Par exemple, ses ordres

 26   opportunistes pour faire cesser le pilonnage révèlent non seulement qu'il

 27   assurait le commandement et le contrôle, mais qu'il était également au

 28   courant du caractère de la campagne. Souvenez-vous, par exemple, de l'ordre

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  1   qu'il a donné en juillet 1993, que nous avons vu la semaine dernière,

  2   lorsqu'il semblait que l'occasion se présentait de conclure un marché sur

  3   un partage ethnique de la Bosnie. En conséquence, il a ordonné aux SRK de

  4   faire cesser ce qui se passait, à savoir "les tirs inutiles et incontrôlés

  5   sur Sarajevo."

  6   Un autre exemple est un ordre que l'accusé a donné le 7 février 1994,

  7   deux jours seulement après qu'un obus bosno-serbe ait tué 61 personnes au

  8   marché de Markale de Sarajevo. Le pilonnage de Markale s'est produit dans

  9   le contexte d'une période particulièrement intensive de pilonnage. Dans les

 10   premiers 15 jours de janvier 1994, les observateurs militaires des Nations

 11   Unies ont enregistré 6 600 impacts d'obus tombés dans la partie de Sarajevo

 12   contrôlée par le gouvernement bosniaque. Ces attaques ont déclenché un

 13   tollé et des pressions supplémentaires de la part de la communauté

 14   internationale, qui ont atteint leur paroxysme au moment où il y a une

 15   menace de frappes aériennes pour prévenir les bombardements des Serbes de

 16   Bosnie. Face à ces pressions, Karadzic a décidé de réduire la campagne.

 17   "Des éléments semblent indiquer que les Serbes ne répondent pas aux

 18   provocations de l'artillerie musulmane dans la même mesure - quelquefois

 19   c'est 20, 30 ou 70 fois plus important. La communauté internationale ne

 20   s'oppose pas à ce que nous ripostions. C'est simplement l'ampleur de la

 21   riposte qui est beaucoup trop importante. De surcroît, les Musulmans ne

 22   provoquent pour que nous brûlions nos  munitions."

 23   Et Karadzic ordonne, et je cite :

 24   "…le contrôle le plus strict possible …" et de ne riposter "que

 25   contre des cibles militaires," et "dans les mêmes proportions," et

 26   "d'exclure la possibilité de pilonnage incontrôlé."

 27   Encore une fois, Madame, Messieurs les Juges, lorsqu'il exerçait son

 28   pouvoir de commandement aux fins de servir les intérêts serbes à ses yeux,

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  1   et dans ce cas pour minimiser la pression internationale, Karadzic a

  2   indiqué qu'il contrôlait ses forces et qu'il était au courant des

  3   pilonnages indiscriminés et massifs, ainsi que des pilonnages contre des

  4   cibles non militaires. Même sans ses ordres, les éléments de preuve

  5   montrent clairement que l'accusé était au courant des civils qui étaient

  6   pris pour cibles par ses forces parce que pendant la durée du siège, la

  7   FORPRONU et les membres de la communauté internationale n'ont cessé de lui

  8   répéter que ceci était en train de se passer. Par exemple, l'observateur

  9   militaire en chef des Nations Unies, après les pilonnages indiscriminés de

 10   Sarajevo à la fin de l'année 1992, s'est plaint directement auprès de

 11   Karadzic, ainsi qu'auprès de Plavsic et Mladic, simplement pour s'entendre

 12   dire que ce type de tir était légitime et qu'ils défendaient les Serbes.

 13   Ou cette lettre du commandement de la FORPRONU, à savoir la force de

 14   protection des Nations Unies, à l'accusé en octobre 1994 à propos du

 15   pilonnage, je cite :

 16   "Ces incidents constituent un crime contre l'humanité."

 17   Et il poursuite en disant :

 18   "…en violation directe de l'accord qui visait à éliminer les tirs embusqués

 19   dans la région de Sarajevo, signée le 14 août 1994."

 20   "Prenez tout de suite des mesures supplémentaires pour vous assurer

 21   que ceci ne se reproduise plus contre des civils innocents."

 22   L'assistant militaire du général Morillon, en 1992 et 1993, se

 23   souvient du fait que le général Morillon n'a cessé de dire à Karadzic et à

 24   Mladic à différentes réunions lorsqu'il se trouvait en Bosnie que

 25   l'histoire les jugerait et jugerait les Serbes de Bosnie sur la manière

 26   dont ils avaient utilisé leur artillerie contre les villes, les villages et

 27   les civils sans défense et qu'ils devaient cesser. Les alliés politiques de

 28   Karadzic à Belgrade étaient également au courant de ce qui se passait à

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  1   Sarajevo, et estimaient que ceci leur faisait du tort sur un plan politique

  2   et que c'était criminel, à commencer par Slobodan Milosevic, qui a décrit

  3   les premiers bombardements comme étant, "nom de Dieu, criminels."

  4   Et vous voyez sur cette diapositive une transmission où il dit

  5   exactement cela.

  6   Quoi qu'il en soit, Madame, Messieurs les Juges, l'accusé, comme le

  7   reste du monde, était au courant des attaques des Serbes de Bosnie contre

  8   les civils de Sarajevo de différentes sources, que ce soit Des médias, des

  9   journaux, de la télévision par satellite, qui diffusaient régulièrement des

 10   reportages sur le pilonnage et les tirs embusqués, quelquefois tous les

 11   jours dans le monde entier. Je souhaite vous montrer un exemple de ce que

 12   tout un chacun avait à sa disposition à l'époque, y compris l'accusé.

 13   [Diffusion de la cassette vidéo]

 14   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 15   "Ici à Sarajevo. Au milieu des anciens minarets de Sarajevo, les

 16   bombes tombent après une nuit de pilonnage intensif."

 17   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 18   [Diffusion de la cassette vidéo]

 19   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 20   "A Sarajevo, les croisements peuvent être très dangereux et doivent

 21   être traversés rapidement. Les avenues qui traversent la ville ici sont

 22   pilonnées par les Serbes qui se trouvent sur les collines. Ils sont des

 23   cibles. Ils constituent la nouvelle réalité dans Sarajevo."

 24   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 25   [Diffusion de la cassette vidéo]

 26   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 27   "Sarajevo brûle, dans le centre de la ville et dans la banlieue.

 28   Zijad Karindjic [phon] est en vie parce qu'il a décidé d'écouter les

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  1   nouvelles à 4 heures hier après-midi. Il a laissé sa famille dans les abris

  2   dans la cave, et il s'est rendu au premier étage. Ceci a été touché par des

  3   tirs de char. M. Karindjic a enterré sa femme, sa fille et deux de ses

  4   petits-enfants, ainsi qu'un ami de la famille qui était venu avec de

  5   l'aspirine. Un obus est tombé sur le cimetière au moment où il les

  6   enterrait.

  7   Il n'y a pas un endroit ou un moment où les citoyens peuvent se

  8   trouver en sécurité. Certains quartiers sont plus à l'abri, mais les tirs

  9   sont indiscriminés et tuent tous les jours quelqu'un."

 10   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 11   [Diffusion de la cassette vidéo]

 12   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 13   "La vie des habitants de Sarajevo devient plus difficile au fil des

 14   jours. Au moins la moitié de la ville se trouve sans eau. Ici un kiosque

 15   près a été détruit parce qu'il y a un tireur embusqué qui a tiré dessus.

 16   Ceci fait tellement partie de leur quotidien qu'ils le remarquent à peine."

 17   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 18   [Diffusion de la cassette vidéo]

 19   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 20   "Il y a eu une nuit épouvantable. Chaque point de lumière a touché un

 21   endroit de façon indiscriminée. Sans cesse des tirs de mortier avec des

 22   balles de fusil. Il y a plus de 300 000 habitants qui se trouvent dans

 23   l'obscurité. Une attaque de la part des Serbes s'endure en guise de

 24   représailles parce que les habitants de Sarajevo souhaitaient rompre le

 25   siège."

 26   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 27   [Diffusion de la cassette vidéo]

 28   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

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  1   "Ceci est censé être une zone de sécurité. Il devait y avoir un

  2   cessez-le-feu. Mais le pilonnage a empiré au cours des dernières 24 heures,

  3   et les habitants de Sarajevo ont souffert ce jour aujourd'hui comme tous

  4   les gens qui souffrent dans la guerre."

  5   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

  6   [Diffusion de la cassette vidéo]

  7   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  8   "Lorsque la guerre a commencé, les pilonnages de ce genre les

  9   envoyaient dans leurs caves. Aujourd'hui c'est différent. Ils savent se

 10   mettre à l'abri et savent comment il faut s'enfuir. Cela est toujours

 11   terrifiant et peut-être mortel, mais cela fait partie de leur quotidien,

 12   ils vont chercher de l'eau. C'est quelque chose avec lequel ils doivent

 13   vivre au quotidien."

 14   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 15   [Diffusion de la cassette vidéo]

 16   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 17   "Il s'agit là d'un pilonnage intensif. Un obus d'artillerie est tombé

 18   ici à l'extérieur d'une brasserie, alors que les gens sont allés chercher

 19   de l'eau. Dix-huit [comme interprété] ont été tués et d'autres très

 20   gravement blessés. Trois morts appartenaient à une même famille; le père,

 21   la mère et leur fille."

 22   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 23   [Diffusion de la cassette vidéo]

 24   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 25   "Le commandement des Nations Unies essayait de rassurer la

 26   population, mais ceci ne se fait pas sentir sur les rues, où les gens

 27   fuyaient d'un autre tir embusqué. On l'avait demandé combien de temps ceci

 28   a-t-il duré. Deux ans et demi, a-t-il répondu."

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  1   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

  2   [Diffusion de la cassette vidéo]

  3   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  4   "Les efforts pour essayer de retrouver une vie normale à Sarajevo

  5   sont remis en cause parce que les gens doivent trouver un abri dans les

  6   caves, comme ce matin un obus qui est tombé près de personnes qui se

  7   rendaient à l'hôtel Holiday Inn. Il s'agit d'explosions qui empêchent les

  8   gens d'aller à leur travail ici. Cinq personnes ont été blessées, il y a eu

  9   des tirs embusqués autour de la ville, ce matin."

 10   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 11   M. TIEGER : [interprétation] Il s'agit là simplement d'une illustration de

 12   cette campagne contre les civils de Sarajevo.

 13   Malgré le fait qu'il savait que ses troupes prenaient pour cible les

 14   civils, malgré les protestations fréquentes du personnel militaire

 15   international et des diplomates, malgré les condamnations répétées de la

 16   part de la communauté internationale et des médias du monde entier,

 17   Karadzic, à part quelques réductions sporadiques pour se procurer un

 18   avantage momentané, n'a pris aucune mesure pour empêcher la poursuite du

 19   pilonnage et des tirs embusqués contre les civils, et n'a pris aucune

 20   mesure pour punir les responsables. Loin d'empêcher les crimes qui étaient

 21   commis par le SRK contre la population civile de Sarajevo ou de punir ou de

 22   renvoyer les membres hauts placés du Corps de Sarajevo-Romanija, qui

 23   étaient responsables de ces crimes, l'accusé les a en fait promus. Le 16

 24   décembre 1992, l'accusé a, "à titre exceptionnel promu le commandant du

 25   SRK, Stanislav Galic, au rang de général de division."

 26   Le 24 mars 1994, l'accusé a promu à titre exceptionnel, Dragomir Milosevic,

 27   alors commandant adjoint du SRK, au grade de commandant. Le 7 août 1994, il

 28   a accordé une promotion anticipée au commandant à la retraite du SRK,

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  1   Stanislav Galic, le grade de lieutenant-général. Le 28 juin 1994, l'accusé,

  2   à titre exceptionnel a promu Ratko Mladic au grade de général de corps

  3   d'armée.

  4   Madame, Messieurs les Juges, en tant que commandant suprême des forces

  5   armées, en particulier dans ce cas, le Corps de Sarajevo-Romanija, Radovan

  6   Karadzic a mené une campagne de pilonnage et de tirs embusqués qui a touché

  7   des civils et des biens civils sur l'ensemble de Sarajevo, jour après jour,

  8   pendant 44 mois. Ce pilonnage, qui avait pris pour cible des civils, était

  9   indiscriminé et disproportionné, et la prise pour cible des civils par des

 10   tireurs embusqués n'avait pas d'objectif militaire. Cette attaque contre

 11   des civils déjà vulnérables en but à la privation, à l'isolement avait pour

 12   but de les terroriser, et intention qui était de plus en plus manifeste au

 13   fil des jours. L'ampleur, la durée, la cohérence, et le type de pilonnages

 14   et de tirs embusqués, à eux seuls, montrent que le pilonnage et les tirs

 15   embusqués étaient le résultat d'une structure de commandement et de

 16   contrôle serrée, dirigée par Radovan Karadzic. Les ordres donnés, la façon

 17   dont l'accusé a modulé la campagne de façon opportuniste, la défense de sa

 18   campagne et de Karadzic lorsqu'il a été confronté à sa condamnation, nous

 19   permet de conclure que pendant 44 mois Karadzic a mené une campagne de

 20   terreur contre la population civile qui avait été prise pour cible parce

 21   qu'elle vivait dans une capitale multiethnique qu'il vouait à la séparation

 22   ethnique.

 23   Madame, Monsieur les Juges, je souhaite maintenant aborder le chef numéro

 24   11, la prise d'otages en mai 1995, en juin 1995, qui révèle, de surcroît,

 25   que l'accusé ne respectait pas la loi lorsqu'il poursuivait les intérêts

 26   serbes.

 27   Comme le pilonnage et les tirs embusqués se sont poursuivis, une communauté

 28   internationale de plus en plus inquiète a tenté de déployer des efforts

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  1   pour prévenir ces attaques contre les civils. Le 24 mai 1995, les forces

  2   serbes de Bosnie ont enlevé des armes qui se trouvaient dans des points de

  3   rassemblement à Sarajevo, et malgré la demande faite par le commandant de

  4   la FORPRONU de les rendre, ceci n'a pas été fait. Et ce commandant était

  5   inquiet parce qu'il pensait que ces armes seraient encore utilisées contre

  6   la population de Sarajevo. Comme je l'ai indiqué, ces armes n'ont pas été

  7   rendues, et le 25 mai, l'OTAN a mené une frappe aérienne sur une casemate

  8   sur un dépôt de munitions à l'extérieur de Pale. Le lendemain, les forces

  9   serbes de Bosnie ont commencé à prendre pour otage les observateurs

 10   militaires des Nations Unies dans différents endroits.

 11   Comme les Juges de la Chambre le savent peut-être, les observateurs

 12   militaires des Nations Unies étaient des observateurs non armés des

 13   factions belligérantes qui étaient responsables de la liaison entre les

 14   parties belligérantes ainsi qu'entre les parties et la FORPRONU. A terme,

 15   plus de 200 observateurs militaires des Nations Unies et soldats du

 16   maintien de la paix de la FORPRONU, hommes de différents pays, ont été

 17   emmenés et pris pour otage entre le 26 mai et le 19 juin. Quelques otages

 18   ont été menottés, attachés à des mâts, d'autres à des balises de radars ou

 19   à des paratonnerres. D'autres ont été contraints de rester entre des

 20   antennes de radars. Certains ont fait l'objet d'exactions. Certaines forces

 21   de Bosnie ont également pilonné les zones de sécurité ici. Une poignée

 22   d'hommes qui ont été pris pour otage, et comme vous pouvez voir, qui ont

 23   servi de boucliers humains.

 24   De surcroît, les forces serbes de Bosnie ont également pilonné toutes les

 25   zones de sécurité le 26 mai, y compris Tuzla où 61 [comme interprété]

 26   personnes ont été tuées sur la place du marché.

 27   Madame, Messieurs les Juges, l'accusé avait déjà dit très clairement qu'il

 28   était prêt à se servir du personnel des Nations Unies en tant qu'arme pour

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  1   faire pression sur la communauté internationale. Interrogé en 1994 quant à

  2   la possibilité pour le Président Clinton de lever l'embargo sur les armes

  3   et de distribuer des armes aux Musulmans, il dit, entre autres, je cite :

  4   "Nous prendrions les 'Casques bleus' pour otages … pour le bien de notre

  5   peuple, nous sommes prêts à faire tout ce qu'il faut faire, sans la moindre

  6   pitié."

  7   En effet, en avril et novembre 1994, des membres des Nations Unies avaient

  8   été pris en otage pour réagir à des frappes aériennes de l'OTAN. Et dans

  9   les semaines qui ont précédé immédiatement la prise d'otages en mai 1995,

 10   l'accusé a affirmé une nouvelle fois sa menace de faire des otages.

 11   D'abord, durant une réunion avec le commandant Smith de la FORPRONU, le 10

 12   mai, Karadzic a dit clairement qu'en cas d'attaque de l'OTAN, les Nations

 13   Unies seraient traitées comme un ennemi, "Nous vous traiterons comme un

 14   ennemi." Et puis, quelques jours avant le début des prises d'otages,

 15   Karadzic a renouvelé cette menace en déclarant, je cite :

 16   "Si l'OTAN devait nous attaquer, ils seront pris en otage. S'ils

 17   attaquent, ils deviendront notre ennemi … si l'OTAN nous attaque, nous

 18   considérerons les Nations Unies comme notre ennemi."

 19    Mais encore une fois, Madame, Messieurs les Juges, entendons ce qu'a dit

 20   l'accusé au sujet de ce qui s'est passé et des raisons de ces événements.

 21   Il a expliqué cela devant l'assemblée serbe de Bosnie, les 14 et 15 juin

 22   1995. Ceci montre bien sa détermination à dramatiser la situation en

 23   ordonnant le retrait des armes, puis la prise d'otages, je cite :

 24   "Il me faut dire que nous avons décidé d'opter pour une aggravation de la

 25   situation, et le commandement suprême ainsi que ma personne, en tant que

 26   commandant de concert avec l'état-major principal, avons décidé que pour

 27   nous, ce qu'il y avait de pire, c'était une guerre de faible intensité, de

 28   longue durée, et cetera, et qu'il nous faut raviver la situation, prendre

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  1   ce que nous pouvons prendre, créer un climat enflammé et dramatiser les

  2   choses en menaçant de procéder à une escalade, parce que nous avons

  3   remarqué que chaque fois que nous faisons un mouvement vers Gorazde, Bihac

  4   ou une autre localité, ou chaque fois qu'il y a escalade dans les environs

  5   de Sarajevo, les internationaux arrivent et l'activité diplomatique

  6   s'accélèrent. Nous l'avons fait dans les environs de Sarajevo, nous nous

  7   sommes emparés de ces pièces d'artillerie au nombre de quatre, peut-être

  8   n'avaient-elles pas une importance cruciale, mais le résultat, c'est le

  9   bombardement bien connu qui a malheureusement causé pour nous des dégâts

 10   matériels parce que nous n'avions pas dispersé ces armes."

 11   Et il poursuit en disant, je cite :

 12   "Nous avons ordonné l'arrestation. Nous ne sommes pas entrés dans le détail

 13   quant au moment où ces hommes seraient ligotés, mais ceci a eu un effet

 14   positif. Cela a choqué le monde entier. Maintenant, c'est facile lorsqu'ils

 15   nous demandent si c'était bien de faire ce que nous avons fait, nous leur

 16   demandons s'il est bien de bombarder les arrières serbes et de terroriser

 17   nos enfants et nos vieillards pour les forces à fuir, et à ce moment-là ils

 18   n'ont rien à répondre. Donc, on ne répond pas à la question. On pose une

 19   nouvelle question, et ils n'ont plus rien à dire. Comme vous le savez, ceci

 20   a conduit à une intensification horrible. Il y a eu des condamnations, même

 21   depuis la Yougoslavie. Cela leur a montré que si vous, Messieurs, prenez

 22   des mesures draconiennes, nous prendrons des mesures draconiennes. Voilà.

 23   Aucune mère ne veut voir son fils ligoté de cette façon, et un avion a même

 24   été abattu; Dieu nous est venu en aide cette fois-ci."

 25   De même, interrogé par un journaliste quant au fait de savoir si ce n'était

 26   pas une erreur terrible "d'avoir autorisé votre population à capturer des

 27   soldats des Nations Unies pour que le monde entier voit ces hommes

 28   enchaînés et voient des hommes tenant des fusils avec lesquels ils les

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  1   visaient à la tête, c'est terrible. Est-ce que ce n'était pas une erreur

  2   terrible ?"

  3   Karadzic répond, je cite :

  4   "Un geste draconien en provoque un autre … il nous fallait faire

  5   quelque chose de draconien, voyez-vous, pour empêcher de nouvelles frappes

  6   et pour montrer à la communauté internationale que nous sommes coincés et

  7   que toute personne coincée et prête, comme nous le sommes, à se défendre

  8   par tous les moyens."

  9   Ou encore comme Krajisnik le dit très simplement durant la même

 10   séance alors qui est discuté la demande de la FORPRONU de création d'une

 11   base dans la municipalité d'Ilijas et l'avantage possible que cela

 12   donnerait aux Bosno-Serbes, je cite :

 13   "Pour dire la vérité, nous éprouvons parfois la nécessité de capturer

 14   des otages."

 15   A présent, Madame, Messieurs les Juges, je vais aborder la troisième

 16   partie importante du procès intenté à Radovan Karadzic, à savoir sa

 17   responsabilité pour l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire de

 18   l'humanité, les crimes commis en vue d'éliminer les Musulmans de Bosnie de

 19   Srebrenica. Comme je le dirais, Radovan Karadzic a ordonné cette opération

 20   destinée à s'emparer de Srebrenica. C'était le point culminant des efforts

 21   déployés par lui pour nettoyer la Bosnie orientale. Il a été informé du

 22   progrès de cette opération par des sources très diverses au nombre desquels

 23   on trouve Mladic, des rapports de la VRS, des rapports de la sécurité

 24   d'Etat. Il avait des communications directes avec Mladic, il a maintenu des

 25   communications directes avec les commissaires civiles triées sur le volet.

 26   Il savait que la population était déplacée. Au moment où les déplacements

 27   se passaient, il a ordonné que les hommes soient enlevés du secteur où il y

 28   avait un risque, de façon à ce que la communauté internationale en soit

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  1   témoin. Il savait que des hommes étaient tués. Il a couvert les expulsions

  2   massives et les meurtres, et continue à le faire jusqu'à ce jour. Le seul

  3   regret qu'il a éprouvé au sujet de cette opération a consisté à dire que

  4   certains Musulmans hommes ne s'en étaient pas tirés.

  5   Voyons maintenant les éléments de preuve.

  6   Srebrenica était à l'époque simplement le nom d'une petite ville et

  7   d'une municipalité dans l'est de la Bosnie. En 1991, juste avant la guerre,

  8   la municipalité de Srebrenica avait une population de 37 000 habitants,

  9   dont 73 % environ étaient Musulmans. Srebrenica était connu dans la région

 10   pour son industrie minière et ses eaux thermales, mais était très peu connu

 11   en dehors de l'ex-Yougoslavie. En juillet 1995, Srebrenica est devenue

 12   synonyme d'infamie pour le monde entier. En quelques jours à peine, toute

 13   la population musulmane de Srebrenica a été déplacée de force hors de

 14   l'enclave de Srebrenica, et plus de 7 000 hommes musulmans et jeunes gens

 15   musulmans ont été assassinés à l'issue d'une opération massive à laquelle

 16   ont participé des membres de la VRS, le MUP, et les pouvoirs civils.

 17   En quelques semaines, des preuves des exécutions massives ont commencé à

 18   apparaître, notamment des photographies aériennes qui montrent des zones où

 19   la terre avait été déplacée dans des lieux où l'on pensait que s'étaient

 20   produites des exécutions. Vous voyez ici des images du secteur d'Orahovac.

 21   En réaction à cela, en septembre et octobre 1995, des éléments de la VRS,

 22   du MUP, ainsi que du pouvoir civil, ont procédé à une opération clandestine

 23   massive destinée à exhumer les fosses communes de la région de Zvornik et

 24   de Bratunac pour déménager les cadavres, des hommes musulmans assassinés,

 25   vers des fosses secondaires éloignées de tout, et ce, afin de dissimuler ou

 26   de tenter de dissimuler ces crimes.

 27   Vous voyez ici des images des fosses primaires et des fosses

 28   secondaires. A la simple vue de ces images, vous êtes en mesure de

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  1   déterminer l'importance numérique de cette opération.

  2   Madame, Messieurs les Juges, plus de 7 500 personnes ont été portées

  3   disparues après la chute de Srebrenica. Au jour d'aujourd'hui, plus de 5

  4   000 de ces personnes ont été exhumées des fosses communes et identifiées

  5   grâce à des analyses ADN. Comme je l'ai déjà dit il y a quelques instants,

  6   et comme cela a été évoqué il y a quelques jours, le meurtre de ces hommes

  7   et les expulsions massives dont ont été victimes les femmes, les enfants et

  8   les personnes âgées, ne sont pas tombés du ciel. Ces crimes ont constitué

  9   le point culminant de la volonté manifestée par l'accusé de nettoyer la

 10   Bosnie orientale afin de créer l'Etat serbe qu'il envisageait. J'ai déjà

 11   parlé de l'adoption et de la mise en œuvre des objectifs stratégiques, qui

 12   a commencé en mai 1992. J'ai parlé aussi de l'officialisation de ces

 13   objectifs, alors que leur application avait déjà commencé au moment dont

 14   nous parlons, au moment du nettoyage des Musulmans de la Bosnie orientale.

 15   Vous voyez ici une carte de la mise en œuvre des objectifs

 16   stratégiques, et notamment de l'objectif stratégique numéro 1 et de

 17   l'objectif stratégique numéro 3, qui consistait à supprimer la Drina en

 18   tant que frontière séparant plusieurs Etats serbes. Vous vous rappellerez

 19   ce qu'a dit l'accusé le 12 mai 1992 au sujet de ces objectifs stratégiques,

 20   et vous vous rappellerez que l'autre jour nous avons évoqué les actions que

 21   la VRS et les forces du MUP ont mené de concert dans le but d'appliquer ces

 22   objectifs stratégiques. Alors que la plus grosse partie de la Bosnie

 23   orientale était conquise et nettoyée à la fin de 1992, il restait encore

 24   quelques secteurs que les forces bosno-serbes n'étaient pas parvenues à

 25   conquérir, je veux parler de Cerska, Konjevic Polje, Gorazde, Zepa, et

 26   Srebrenica en particulier. Vous voyez Srebrenica sur les images que je vous

 27   montre en cet instant. Vous voyez également les enclaves de Zepa et de

 28   Gorazde juste en dessous, et en rouge vous voyez cette forme de fer à

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  1   cheval qui est l'illustration des zones sous le contrôle des Serbes de

  2   Bosnie, et vous constatez que la Bosnie orientale dans les zones qui ne

  3   sont pas en rouge était désormais nettoyée.

  4   Le 19 novembre 1992, Karadzic par le biais de Mladic et de l'état-major

  5   principal de la VRS émettait la directive numéro 4. Comme vous le savez,

  6   Madame, Messieurs les Juges, une directive est un document du haut

  7   commandement, qui évoque les questions générales relatives à la préparation

  8   et à l'exécution des opérations militaires sur une durée assez longue, en

  9   définissant les objectifs de cette opération et les missions à mener à

 10   bien. S'agissant de la Bosnie orientale, la directive numéro 4 ordonnait au

 11   Corps de la Drina de nettoyer de sa population musulmane les zones de

 12   Birac, Zepa et Gorazde. La zone de Birac, c'est la zone qui recouvre

 13   Bratunac, Vlasenica, Zvornik, Srebrenica et Cerska. J'aimerais maintenant

 14   appeler l'attention de la Chambre sur ce document, la directive numéro 4,

 15   qui définit les missions confiées au Corps de la Drina comme étant ce qui

 16   suit, je cite :

 17   "Il lui faudra épuiser l'ennemi, lui infliger les plus lourdes pertes

 18   possibles et le contraindre à quitter les zones de Birac, Zepa et Gorazde

 19   en même temps que la population musulmane."

 20   Cet ordre de nettoyage était signé par le général Mladic, et a été émis

 21   avec l'accord complet de Karadzic et son soutien plein et entier. Comment

 22   le savons-nous ? D'abord, adressons-nous à Karadzic lui-même encore une

 23   fois, car il reconnaît qu'il savait et approuvait les sept premières

 24   directives. C'est ce qu'il déclare en octobre 1995, je cite :

 25   "…j'ai examiné, approuvé et signé sept directives. Personne ne m'a soumis

 26   les directives huit et neuf." 

 27   Madame, Messieurs les Juges, comme vous le savez, ceci est exact sur le

 28   fond mais pas dans le détail. La plupart des directives ne semblent pas

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  1   avoir été signées par Karadzic. Ceci, Mladic le fait remarquer en avril

  2   1995, lorsqu'il confirme également que Karadzic connaissait ces directives

  3   et les approuvait. Voici ce que dit Mladic, je cite :

  4   "Certaines de ces décisions vous ont simplement été présentées, Monsieur le

  5   Président. Pour d'autres, vous avez participé à leur application en tant

  6   que membre du commandement Suprême. Pour d'autres encore de ces directives,

  7   vous les avez signées mais vous ne les avez pas toutes singées, c'est vrai.

  8   Tant que nous n'étions pas encore bien installés, que nous n'avions pas

  9   bien trouvé nos marques, c'est moi qui avais l'habitude de les signer."

 10   Mais au-delà de la reconnaissance explicite que ceci démontre quant à la

 11   responsabilité de Karadzic vis-à-vis de cette directive, et au-delà de la

 12   confirmation de Mladic, de la responsabilité que Karadzic assumait par

 13   rapport à cette directive, les preuves révèlent également l'intérêt massif

 14   et actif manifesté par Karadzic vis-à-vis de l'application de la directive

 15   numéro 4. Le 20 novembre 1992, le lendemain de la parution de la directive

 16   numéro 4, Mladic, à la demande expresse de Karadzic, émet un ordre destiné

 17   au Corps de la Drina et lui ordonnant d'organiser un séminaire politico-

 18   militaire trois jours plus tard. Je cite :

 19   "Suite à la demande du commandement Suprême de l'armée de la Republika

 20   Srpska (président de la présidence, M. Radovan Karadzic) et en vue de

 21   procéder en temps utile à la préparation et à la tenue d'un séminaire

 22   militaro-politique au niveau du Corps de la Drina, j'ordonne ce qui suit…"

 23   L'ordre indiquait que Karadzic devait présider ce séminaire durant lequel

 24   "les missions affectées aux corps d'armée dans les jours qui viennent"

 25   seraient discutées. Par ailleurs, en dehors du fait de présider cette

 26   réunion, l'ordre du jour prévu pour la réunion indiquait que Karadzic

 27   prononcerait le discours d'ouverture et le discours de clôture et

 28   distribuerait les "missions assignées au Corps de la Drina pour la suite

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  1   des opérations ainsi que les missions relatives au gouvernement civil."

  2   Durant ce séminaire qui s'est tenu trois jours plus tard, le 23 novembre

  3   1992, le commandant du Corps de la Drina, le colonel Milenko Zivanovic a

  4   parlé des missions à venir du Corps de la Drina. Il a, en particulier,

  5   évoqué les missions confiées aux corps d'armée dans les secteurs de

  6   Srebrenica, Zepa, Gorazde et Cerska, qui sont précisément les zones

  7   énumérées dans la directive numéro 4 dont la population devait être

  8   expulsée. Le lendemain de cette réunion à laquelle le commandant suprême,

  9   M. Karadzic, assistait, dans le but de prononcer les discours que je viens

 10   d'évoquer et de distribuer les missions à venir au Corps de la Drina, le

 11   commandant du Corps de la Drina, Zivanovic, émet l'ordre suivant adressé au

 12   Corps de la Drina, en application de la direction 4, je cite :

 13   "Lancer une attaque grâce au gros des troupes et aux équipements lourds

 14   afin d'affliger à l'ennemi les pertes les plus lourdes possibles, épuiser

 15   l'ennemi, le briser ou le contraindre à se rendre, et forcer la population

 16   musulmane locale à abandonner le secteur de Cerska, Zepa, Srebrenica et

 17   Gorazde."

 18   Au-delà de cette déclaration d'intention très claire quant à la volonté de

 19   nettoyer ce qui restait de la population musulmane dans ce secteur, cet

 20   ordre démontre également quel était l'objectif plus générale de l'opération

 21   militaire en question, et ceci devient très clair lorsqu'il est question

 22   des préparatifs nécessaires au niveau moral et psychologique. Je cite :

 23   "Sur le plan des préparations morales et psychologiques, avant de lancer la

 24   moindre opération, informer les membres des unités quant à l'importance de

 25   l'objectif poursuivi dans cette opération et souligner que le résultat

 26   d'action mineure et de toute l'opération est d'une importance cruciale pour

 27   la réalisation de l'objectif du peuple serbe, à savoir la création et le

 28   maintien d'un Etat serbe dans ces régions."

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  1   Ainsi, au-delà du fait que ceci montre que Karadzic approuvait et

  2   connaissait les objectifs de la directive numéro 4, et d'autres directives

  3   également, sa participation à fond à la diffusion de cette directive montre

  4   clairement que sa responsabilité était engagée.

  5   Au début de 1993 déjà, en vertu de la directive numéro 4 et de

  6   l'ordre du Corps de la Drina que nous venons de voir, nous constatons que

  7   la VRS a mené toute une série d'opérations militaires violentes et

  8   destructrices dans toute la zone de Kamenica, Cerska, et Konjevic Polje

  9   dans la Bosnie orientale.

 10   Cette campagne, cette campagne militaire, s'est caractérisée par l'incendie

 11   de maisons musulmanes et par le pilonnage le plus aléatoire qui soit des

 12   civils musulmans. Il y a eu pour résultat le transfert de force de dizaine

 13   de milliers de Musulmans hors de leurs domiciles, dans les municipalités

 14   telles que Bratunac, Vlasenica et Zvornik, vers des territoires tenus par

 15   les Musulmans dans Srebrenica et Zepa et dans leurs environs.

 16   J'aimerais maintenant vous montrer quelques documents qui illustrent la

 17   véritable nature de cette campagne. Le premier document date du 8 février

 18   1993. C'est une écoute d'une conversation téléphonique entre le commandant

 19   du Corps de la Drina et un de ses subordonnés. Quand je dis commandant du

 20   Corps de la Drina, je parle de Zivanovic, qui dit ce qui suit, je cite :

 21   "Tenez fermement les positions … est-ce que les maisons des Turcs sont en

 22   feu ?"

 23   Son interlocuteur répond :

 24   "Elles brûlent, elles brûlent.

 25   "Zivanovic : Continuez, il en faut le plus possible."

 26   Puis maintenant j'aimerais appeler votre attention sur un rapport de combat

 27   de la Brigade de Birac, adressé au commandant du Corps de la Drina en date

 28   du 2 mars 1993. Je cite :

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  1   "Nos forces qui se déplacent dans le secteur général de Kamenica, Gajici,

  2   et Grobici ont appliqué le plan sans grands problèmes. Le village de

  3   Gobelji a été incendié, et demain, d'après le plan, il est prévu de faire

  4   Paljevine."

  5   Ce rapport de combat adressé au commandement du Corps de la Drina émane

  6   cette fois-ci du lieutenant-colonel Svetozar Andric, qui, lorsqu'il était

  7   commandant le 28 mai 1992, avait émis l'ordre que vous avez déjà eu sous

  8   les yeux, à savoir celui qui permettait l'organisation et la coordination

  9   entre plusieurs municipalités des déplacements de population. Dans cet

 10   ordre, il était spécifiquement indiqué que seuls les femmes et les enfants

 11   seraient autorisés à quitter les municipalités, alors que les hommes aptes

 12   au combat devaient être placés dans des camps pour servir de monnaie

 13   d'échange. Donc ça, c'est ce que vous avez vu dans l'ordre que je vous ai

 14   montré l'autre jour.

 15   Madame, Messieurs les Juges, alors que les nettoyages se poursuivaient en

 16   1994 [comme interprété], la communauté internationale a de plus en plus

 17   manifesté son inquiétude. Un rapport du 5 mai 1993, émanant du rapporteur

 18   extraordinaire des Nations Unies de la Commission des droits humains, rend

 19   compte des observations de la communauté internationale et de ce qu'elle

 20   savait. Je cite :

 21   "Des violations massives et répétées des conventions de Genève de 1949 ont

 22   été commises lors des récents combats en Bosnie orientale et dans

 23   l'Herzégovine. Ce sont les forces serbes de Cerska, Konjevic Pole et

 24   Srebrenica qui ont commis ces violations lors des attaques qui leur sont

 25   dues et des embuscades qu'ils ont tendu à des civils tentant de fuir

 26   l'encerclement, et pendant les attaques dont les villages ont été victimes

 27   également…"

 28   Pendant toute cette période, la communauté internationale est devenue de

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  1   plus en plus inquiète vis-à-vis de la catastrophe humanitaire qui se

  2   déroulait dans Srebrenica alors que des dizaines de milliers de Musulmans

  3   qui avaient été déplacés de force hors de leurs domiciles en Bosnie

  4   orientale convergeaient sur cette ville. La population de la ville avait

  5   enflé pour atteindre 50 000 à 60 000 habitants. Les images vidéo que je

  6   vous montre maintenant vous donneront une idée du sort terrible qu'a vécu

  7   cette population, victime des nettoyages, qui avaient trouvé refuge à

  8   Srebrenica.

  9   [Diffusion de la cassette vidéo]

 10       L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 11   "Mon premier souvenir en arrivant dans un village non loin de

 12   Srebrenica, c'est que les lieux étaient envahis par des centaines et des

 13   centaines de personnes. J'ai pensé que j'étais au milieu d'un film et je

 14   m'attendais à entendre quelqu'un dire : 'Coupez.' Toutes ces personnes

 15   avaient des visages hantés et émaciés, sans la moindre expression. C'était

 16   un peu comme si la vie les avait quittés, voyez-vous, comme un ressac de la

 17   vie. Les autorités ne semblaient manifester aucun souci vis-à-vis de ces

 18   nouveaux arrivants. Personne ne s'occupait des réfugiés. Ils étaient

 19   laissés pendant des jours et des jours dans les rues. Personne ne

 20   s'occupait d'eux. Lorsqu'ils sont arrivés, voyez-vous, nous avons suivi une

 21   famille et nous avons vu ce qui lui arrivait pendant 17 heures."

 22   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 23   M. TIEGER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, suite à

 24   l'intervention directe du représentant de la FORPRONU, le général Philippe

 25   Morillon, qui s'est rendu lui-même à Srebrenica en mars 1993 et a été ému

 26   par cette catastrophe humanitaire qu'il avait sous les yeux jusqu'à faire

 27   ce geste bien connu pour rassurer la population en lui disant qu'il ne les

 28   abandonnerait pas, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la

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  1   Résolution 819 le 16 avril 1993, qui exigeait que la zone de Srebrenica

  2   soit considérée comme une "zone protégée."

  3   Cette Résolution 819 du Conseil de sécurité des Nations Unies condamnait

  4   les actions des Bosna-Serbes jusqu'à ce moment-là, et elle se lit comme

  5   suit, je cite :

  6   "Le Conseil de sécurité condamne et rejette les actions délibérées de la

  7   part des Serbes de Bosnie en vue de contraindre à l'évacuation de la

  8   population civile de Srebrenica et des zones environnantes comme faisant

  9   partie d'une campagne abominable de 'nettoyage ethnique'."

 10   Deux jours plus tard, un accord de cessez-le-feu était signé entre le

 11   général Halilovic de l'ABiH et le général Mladic de l'armée des Serbes de

 12   Bosnie, accord qui prévoyait que Srebrenica serait démilitarisée. Et moins

 13   d'un mois plus tard, le 6 mai 1993, le Conseil de sécurité des Nations

 14   Unies votait la Résolution 824, qui confirmait le statut de Srebrenica en

 15   tant que zone de sécurité et déclarait que Sarajevo, Tuzla, Zepa, Gorazde

 16   et Bihac seraient également traitées comme des zones protégées. Ces zones

 17   de sécurité, surtout les zones de sécurité de Srebrenica, Zepa et Gorazde

 18   en Bosnie orientale, ont donné à la population musulmane un certain degré

 19   de protection par rapport aux forces bosna-serbes et ont retardé

 20   temporairement la réalisation des objectifs poursuivis par les Serbes de

 21   Bosnie, plus exactement en ce qui concerne les objectifs stratégiques 1 et

 22   3 et ceux de la directive numéro 4.

 23   Cependant, les Serbes de Bosnie, tout comme les Musulmans de Bosnie, ont

 24   violé cet accord portant sur les zones de sécurité, il faut le savoir. Les

 25   forces musulmanes présentes dans ces enclaves, souvent sont désespérées, et

 26   par la suite mieux équipées, mieux formées, mieux entraînées, avaient lancé

 27   des attaques sur les forces serbes, mais aussi sur des villages serbes,

 28   avaient tué des civils serbes, détruisant leurs biens également. Et même

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  1   après l'accord sur les zones de sécurité, l'enclave de Srebrenica n'a

  2   jamais été totalement démilitarisée. Les forces musulmanes n'ont fait que

  3   rendre des armes vieilles et défectueuses, alors qu'elles conservaient des

  4   armes en bon état de marche. De plus, des hélicoptères des Musulmans de

  5   Bosnie ont survolé l'enclave en violation de l'accord de non survol et ont

  6   fourni des armes aux enclaves et à l'armée bosno-musulmane. Même après la

  7   déclaration de Srebrenica devenant ainsi une zone de sécurité, les attaques

  8   se sont poursuivies depuis l'intérieur de l'enclave de Srebrenica contre

  9   les zones serbes environnantes.

 10   Ceci a intensifié le niveau d'animosité. De la part des Serbes, après

 11   l'établissement des zones de sécurité et des condamnations de la part de la

 12   communauté internationale que nous avons déjà constatés, il y avait une

 13   évolution de ces opérations militaires qu'on découvrait à grande échelle,

 14   on passait à quelque chose de plus subtil, on essayait de rendre la vie des

 15   Musulmans impossible, à priver les forces des Nations Unies de plus

 16   d'efficacité en restreignant les convois de ravitaillement. Et il y avait

 17   donc une campagne de pilonnage et de tirs embusqués qui se poursuivait

 18   ainsi qu'une restriction de l'aide humanitaire. L'idée, c'était de viser à

 19   ce qu'une fois mises en place les conditions propices à l'assaut définitif

 20   que pour relancer les Serbes de Bosnie sur les enclaves, la capacité de la

 21   FORPRONU à défendre ces enclaves serait réduite et la population musulmane

 22   allait fuir devant ce qui la tourmentait. L'objectif ultime qui avait été

 23   défini dans la directive numéro 4 demeurait; il fallait faire une percée,

 24   prendre le contrôle de ces enclaves et en chasser les Musulmans.

 25   Voyez un rapport de juillet 1994 émanant du commandant de la Brigade de

 26   Bratunac, adressé aux membres de sa brigade, après une visite du général

 27   Mladic, qui définit, de façon expresse, l'objectif qui est d'avoir une

 28   Drina propre et comment y parvenir, quelle stratégie adopter à cette fin.

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  1   Je cite :

  2   "Nous devons réaliser notre but final - une Podrinje totalement serbe.

  3   "Nous devons continuer d'armer, de former, de discipliner et de préparer

  4   l'armée de la Republika Srpska à l'exécution de cette tâche cruciale -

  5   l'expulsion des Musulmans de l'enclave de Srebrenica.

  6   "Pas question de battre en retraite devant l'enclave de Srebrenica; il nous

  7   faut avancer. La vie de l'ennemi doit être rendue insupportable, il faut

  8   qu'il leur soit impossible de rester ne serait-ce que peu de temps dans

  9   l'enclave pour qu'ils partent en masse de l'enclave dès que possible, car

 10   ils se rendront compte qu'il leur est impossible de survivre dans cette

 11   enclave."

 12   Et pendant cette même année de 1994, alors qu'on appliquait cette stratégie

 13   relativement subtile, avant le dernier assaut de Srebrenica, Karadzic comme

 14   Mladic ont continué de dire en termes non équivoques ce qu'il fallait faire

 15   aux Musulmans. En juillet 1994, Karadzic, parlant de cet objectif, dit

 16   qu'il revenait à faire ce que le gouvernement de Bosnie semblait vouloir le

 17   réserver à eux, aux Serbes. Voici ce qu'il a dit, je le cite :

 18   "Nous devons être prêts, nous devons accepter et être prêts tous les jours

 19   à mener une guerre à la vie, à la mort. C'est ce que veut notre ennemi,

 20   jusqu'à ce qu'il soit complètement battu, une défaite complète de leur part

 21   ou une défaite complète de notre part et une expulsion de ces territoires.

 22   Si notre ennemi gagne, il ne sera pas généreux, il ne sera pas clément, il

 23   sera impitoyable et prêt à nous exterminer. Par conséquent," dit-il, "les

 24   Serbes de Bosnie doivent," je cite :

 25   "Accepter la logique de notre ennemi." Et vous l'avez entendu dans le

 26   paragraphe précédent, la logique c'était l'expulsion, l'extinction. Et, je

 27   le cite : "Il faut les battre sans merci."

 28   Mladic le disait à l'assemblée en janvier 1994, lorsqu'il parlait de

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  1   l'ennemi de Srebrenica comme ailleurs, je le cite :

  2   "Ce qui m'intéresse, ce n'est pas qu'ils créent un Etat. Ce qui

  3   m'intéresse, c'est de les faire disparaître sans laisser de trace."

  4   Petit à petit, de façon inexorable, l'enclave de Srebrenica s'était

  5   étranglée. Il y avait de moins en moins de convois qui parvenaient à

  6   Srebrenica. Et au début de l'année 1995 et le 8 mars 1995, Radovan Karadzic

  7   délivrait la directive 7, la signait, afin de régler la question de

  8   l'enclave. Cette directive 7 donnait explicitement la stratégie qu'a

  9   poursuit par la VRS. Il fallait rendre insupportable la vie des habitants

 10   musulmans de Srebrenica et de Zepa au moyen d'opérations militaires et en

 11   limitant l'accès des convois d'aide humanitaire et de ravitaillement aux

 12   enclaves. Les missions confiées au Corps de la Drina étaient notamment, je

 13   cite :

 14   "Grâce à des opérations planifiées judicieuses, créer une situation

 15   insupportable d'insécurité absolue ne laissant aucun espoir de survie ni de

 16   vie aux habitants de Srebrenica et de Zepa."

 17   C'est ce que dit la directive numéro 7, délivrée et signée par l'accusé.

 18   Cette même directive définit, expose aussi les grandes lignes de la

 19   politique de Karadzic pour ce qui est d'empêcher que ne soit livrée à la

 20   population musulmane des enclaves l'aide humanitaire, et pour aussi

 21   empêcher le ravitaillement des forces de la FORPRONU dans les enclaves

 22   orientales tout en évitant le plus possible une condamnation de la part de

 23   la communauté internationale. Il s'agissait, et c'est des organes

 24   militaires, de faire ceci, je cite :

 25   "En réduisant de façon planifiée et discrète le nombre de permis délivrés,

 26   restreindre et limiter le soutien logistique qu'apporte la FORPRONU aux

 27   enclaves et leur ravitaillement en biens matériels afin qu'ils dépendent de

 28   notre bonne volonté tout en évitant d'être en butte à la condamnation de la

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  1   communauté internationale et de l'opinion publique internationale."

  2   La directive numéro 7, l'ordre donné par Karadzic autrement dit, a été

  3   transmise à tous les échelons de la hiérarchie. Le 20 mars 1995, le

  4   commandement du corps de la Drina rédige et envoie un ordre aux brigades en

  5   application de la directive numéro 7 et y reprend des éléments essentiels

  6   de cette directive, mot pour mot, je cite :

  7   "Grâce à des opérations de combat planifiées et judicieuses, créer une

  8   situation insupportable d'insécurité absolue, ne laissant aucun espoir de

  9   survie ni de vie aux habitants de Srebrenica et de Zepa."

 10   En application de la directive numéro 7, les ressources déjà maigres

 11   qu'avait la population civile musulmane sont encore plus amenuisées,

 12   réduites à peau de chagrin. Les forces de la FORPRONU postées dans

 13   l'enclave qu'on connaît comme étant le DutchBat, le bataillon néerlandais,

 14   commençaient à ressentir cruellement une pénurie, un manque de médicaments,

 15   de carburant. La situation devenait tellement critique et difficile que les

 16   soldats du DutchBat furent forcés de patrouiller l'enclave à pied. De plus,

 17   dans les mois qui ont précédé l'attaque, les unités de la VRS postées

 18   autour de Srebrenica ont soumis l'enclave à des actions de pilonnage et de

 19   tirs embusqués, notamment pour forcer la population à s'enfuir. Lorsque

 20   arrive le milieu de l'année 1995, la situation humanitaire dans l'enclave

 21   était tout à fait alarmante. Comme l'avait ordonné et prévu la directive

 22   numéro 7, début mai, des attaques planifiées conformément à la directive

 23   numéro 7 sont déclenchées, mais on les abandonne très rapidement car il n'y

 24   a pas suffisamment de forces disponibles, pas suffisamment d'hommes pour

 25   lancer ces attaques.

 26   Début juin 1995, le Corps de la Drina attaque et déloge les forces de la

 27   FORPRONU d'un point d'observation des Nations Unies en bordure orientale de

 28   l'enclave de Srebrenica, s'emparant ainsi d'un point stratégique pour la

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  1   défense de la zone et cet endroit allait devenir le point de ravitaillement

  2   pour l'attaque finale, l'assaut final sur l'enclave qui allait se dérouler

  3   juste un mois plus tard. Fin juin 1995, Radovan Karadzic et Momcilo

  4   Krajisnik vont au commandement du Corps de la Drina à Vlasenica où ils

  5   rencontrent Radislav Krstic qui est alors commandant adjoint et chef

  6   d'état-major du Corps de la Drina pour peaufiner le plan d'attaque de

  7   Srebrenica et de Zepa. Karadzic insiste vivement auprès de Krstic sur la

  8   nécessité de démarrer cette attaque le plus vite possible. Le 2 juillet, le

  9   commandant du corps de la Drina donne un ordre de combat appelé Krivaja 95.

 10   L'ordre de Krivaja 95 est donné en application de la directive numéro 7 et

 11   ordonne au corps de la Drina d'exécuter des opérations offensives, je cite

 12   :

 13   "Pour séparer les enclaves de Zepa et de Srebrenica et pour les réduire à

 14   leurs parties urbaines.

 15   "Pour créer des conditions permettant l'élimination de ces enclaves."

 16   Les enclaves étant déjà surpeuplées, les réduire à leurs parties urbaines

 17   allait entraîner une aggravation d'une situation humanitaire pourtant déjà

 18   catastrophique à la suite des pilonnages et des tirs embusqués et de la

 19   restriction de l'aide humanitaire, une politique qui rendait effectivement

 20   déjà insupportable la vie des Musulmans dans les enclaves.

 21   L'attaque de Srebrenica commence le 6 juillet 1995. Au cours des quelques

 22   jours qui vont suivre, l'armée des Serbes de Bosnie pilonne les civils et

 23   les cibles civiles dans les enclaves. Vous entendrez un des observateurs

 24   militaires des Nations Unies qui vous parlera de l'intensité du pilonnage

 25   et de la terreur qu'il a semé dans la population musulmane assiégée. Au

 26   cours des jours qui s'ensuivirent, après le 6 juillet 1995, les cinq postes

 27   d'observation de la FORPRONU sont tombés l'un après l'autre dans la partie

 28   méridionale de l'enclave, devant l'avancée des forces serbes de Bosnie.

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  1   Vous allez voir maintenant un des rapports des observateurs militaires des

  2   Nations Unies du 7 juillet :

  3   "L'armée, l'offensive des Serbes de Bosnie semble s'intensifier de façon

  4   systématique et constante. Quels que soient les objectifs poursuivis, ils

  5   semblent se concentrer davantage sur des lieux civils dans la ville de

  6   Srebrenica et à Potocari. Il y a des victimes civiles et on ne sait pas

  7   exactement le degré des dégâts provoqués aux biens civils. L'équipe demande

  8   qu'une action, que des mesures soient prises pour mettre fin à ce carnage

  9   et à l'endommagement des biens civils dans une zone qui est pourtant

 10   déclarée de sécurité."

 11   Le 9 juillet 1995, sans véritable résistance de la part de l'ABiH, ni des

 12   forces onusiennes à Srebrenica, les chefs de la VRS se rendent compte qu'il

 13   est désormais possible de terminer ce qui n'avait pas pu l'être en avril

 14   1993, à savoir la prise de contrôle d'un enclave et le déplacement de la

 15   population musulmane. Dans le respect de la hiérarchie militaire, la VRS a

 16   demandé l'accord du commandant suprême, accord qu'elle reçoit de ce

 17   commandant suprême, Radovan Karadzic, pour élargir l'objectif de

 18   l'opération Krivaja 95 pour y inclure la prise effective de l'enclave. Je

 19   cite ici un ordre de l'état-major principal du 9 juillet :

 20   "Le président de la Republika Srpska a été informé du fait que les

 21   opérations autour de Srebrenica ont été accomplies avec succès par les

 22   unités du corps de la Drina, ce qui a permis à ces unités d'occuper la

 23   ville même de Srebrenica."

 24   On lit ensuite :

 25   "Le président de la République est satisfait des résultats obtenus grâce

 26   aux opérations de combat autour de Srebrenica et est d'accord pour que ces

 27   opérations se poursuivent afin de prendre la ville de Srebrenica afin que

 28   les bandes terroristes musulmanes soient désarmées et pour terminer la

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  1   démilitarisation de l'enclave de Srebrenica."

  2   Cet ordre, vous allez le voir, Madame et Messieurs les Juges, demande "la

  3   protection pleine et entière" de la FORPRONU de la population musulmane et

  4   donne aussi l'ordre que les prisonniers de guerre et la population civile

  5   soient traités dans le respect des conventions de Genève. C'est quelque

  6   chose qui est purement superficiel et c'est profondément cynique, et vous

  7   le voyez quand on voit l'objectif de la directive 4 et l'objectif de la

  8   directive 7 qui est de nettoyer ces zones de leur population, mais on le

  9   voit aussi quand tout ceci se fait sous l'autorité ultime du commandant

 10   suprême. C'est conformément à l'ordre donné par Karadzic que s'ordonne la

 11   prise de l'enclave et le nettoyage longuement attendu de sa population

 12   musulmane, autre objectif de la directive numéro 3, objectif stratégique

 13   qui était enfin en route.

 14   Srebrenica est tombée dans l'après-midi du 11 juillet 1995. Pendant la

 15   conquête de la ville, Karadzic était informé de l'évolution de la situation

 16   sur le terrain par le général de la VRS, Gvero, qui lui a rapporté les

 17   plaintes formulées par la FORPRONU après que les forces de la FORPRONU

 18   eussent été attaqués, et il a dit à Karadzic pour le rassurer : 

 19   "Tout va comme sur des roulettes, comme on le prévoit, ne t'en fais

 20   pas."

 21   Peu de temps après, en fin d'après-midi, Gvero rapporte ceci à Karadzic, le

 22   drapeau serbe flotte sur l'église serbe de Srebrenica, je le cite :

 23   "L'argent serbe, l'église serbe, le drapeau serbe, Président."

 24   Dans l'après-midi du 11 juillet, le général Mladic et d'autres officiels de

 25   la VRS, dont le commandant du Corps de la Drina Zivanovic et le chef

 26   d'état-major du Corps de la Drina, Krstic, parcourent à pied les rues vides

 27   de Srebrenica savourant leur victoire. Ces hommes ont à leur côté un

 28   caméraman de l'état-major principal de la VRS, qui enregistre, qui filme

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  1   ces images, ce tour triomphal, notamment les mots qui donnent froid dans le

  2   dos et prescient du général Mladic. Vous allez voir ces images dans un

  3   instant. Ces mots sont en fin de séquence.

  4   [Diffusion de la cassette vidéo]

  5   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  6   "Nos hommes sont devant."

  7   "Oui, oui."

  8   "Oui, ils nettoient la ville."

  9   "On aurait pu entrer en voiture aussi."

 10   "Très bien, très bien. Je sais que c'est possible. Qu'ils me suivent

 11   lentement."

 12   "Allez, allez, Zile. Allez, Zile. Krstic, oui. Allez. Allez, Krle."

 13   "Filme leur drapeau là-bas. Baissez le drapeau. Descendez-le. Mettez-

 14   le par terre."

 15   "Nous voici ici, le 11 juillet 1995 dans une Srebrenica serbe. A la

 16   veille d'une grande fête religieuse serbe, c'est un cadeau que nous faisons

 17   à notre peuple serbe. Et après tout -- finalement après la rébellion contre

 18   les Dahis, le moment est venu de se venger des Turcs dans cette région."

 19   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 20   M. TIEGER : [interprétation] Le temps est venu de se venger des Turcs

 21   dans la région. Rappelez-vous ce qu'il est advenu des hommes de Srebrenica.

 22   Vous allez comprendre en voyant le sort réservé à deux groupes. Alors que

 23   la chute de Srebrenica n'était plus qu'une question de minutes, un groupe

 24   d'environ 15 000 Musulmans, hommes et adolescents et quelques femmes et

 25   quelques enfants, se sont rassemblés au village de Susnjari, environ 7

 26   kilomètres au nord-ouest de Srebrenica. Ces hommes avaient peur de ce qui

 27   leur arriverait s'ils se rendaient ou étaient capturés par les forces

 28   serbes de Bosnie et ils ont commencé à prendre la fuite en formant une

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  1   grande colonne, une longue colonne, pour passer à travers les bois pour

  2   aller vers Tuzla. Il y avait un tiers des hommes qui étaient armés. Le

  3   reste, c'était des soldats sans armes et des civils. J'y reviendrai dans

  4   quelques instants.

  5   Il y avait un deuxième groupe de Musulmans composé de milliers de

  6   femmes, d'enfants et de personnes âgées, accompagné d'un groupe de 1 000 à

  7   2 000 hommes en âge de combattre qui ont aussi pris la fuite et se sont

  8   dirigés vers la base de la FORPRONU à Potocari, environ 4 kilomètres au

  9   nord de Srebrenica, pour y chercher la protection de la FORPRONU. Je peux

 10   vous montrer rapidement une carte qui va vous montrer cette zone et

 11   l'endroit où se trouve Potocari par rapport à Srebrenica. Vous le voyez ici

 12   -- après Bratunac et Srebrenica. Regardez vers la gauche, les 15 000 hommes

 13   qui formaient cette colonne se dirigeaient par là, prenaient la fuite vers

 14   Kravica, Sandici. Voyez cette route. Je vous parlerai de ce lieu plus tard.

 15   C'est là que ces hommes finirent par être capturés ou ils se rendirent.

 16   Lorsque le soir tombe le 11 juillet, quelque 20 000 ou 25 000

 17   Musulmans se sont rassemblés au QG de la FORPRONU à Potocari, autour de

 18   cette base. Ces gens sont épuisés, manquent cruellement de nourriture,

 19   d'eau, de soins médicaux élémentaires, sans parler de toilettes. Le plan

 20   qui consistait à "réduire les enclaves à la partie urbaine" avait réalisé

 21   l'objectif recherché. Ces gens étaient terrifiés, épuisés et avaient perdu

 22   tout espoir de survie ou de vie à Srebrenica.

 23   Le jour où Srebrenica est tombée, Radovan Karadzic a vite pris des mesures

 24   pour consolider la victoire des Serbes de Bosnie. Le 11 juillet, il nomme

 25   officiellement Miroslav Deronjic, qui était président du SDS de Bratunac et

 26   un des nettoyeurs ethniques fidèles qui avaient fait ses preuves,

 27   commissaire civil de ce qui allait devenir la nouvelle municipalité serbe

 28   de Srebrenica et donne aussi l'ordre au chef du QG de la police régionale

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  1   de créer un poste de police à Srebrenica et de travailler avec Deronjic.

  2   Après la chute de Srebrenica, le soir du 11 juillet et dans la

  3   matinée du 12, Mladic a tenu trois réunions à l'hôtel Fontana de Bratunac

  4   pour discuter du sort de l'enclave de Srebrenica. Il a d'abord rencontré le

  5   DutchBat. Les deuxième et troisième réunions se sont tenues avec le

  6   DutchBat et des représentants des Musulmans. Vous allez voir pendant ce

  7   procès des séquences de ces trois réunions. Mais voyons une séquence de la

  8   deuxième réunion qui s'est tenue dans la soirée du 11 juillet, réunion à

  9   laquelle assistait Nesib Mandzic, représentant des Musulmans. Voici ce que

 10   dit Mladic et ce qu'il dit se passe de commentaire :

 11   [Diffusion de la cassette vidéo]

 12   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 13   "Les Musulmans vont survivre, rester ou disparaître. Pour rendre une

 14   décision d'homme et de commandant," dit-il, "je dois dire clairement aux

 15   représentants de votre peuple que c'est à vous de décider, à vous de voir

 16   si vous voulez survivre, rester ou disparaître. Je suis prêt à recevoir

 17   ici, demain, à 10 heures du matin, une délégation de responsables des

 18   Musulmans avec qui je peux discuter de la survie, du salut de votre peuple

 19   qui peut partir de l'enclave, de l'ancienne enclave de Srebrenica. Je vais

 20   donner l'ordre de cesser les opérations jusqu'à demain matin, 10 heures. Si

 21   vos combattants déposent les armes, nous les traiterons dans le plein

 22   respect des conventions internationales, et nous garantissons à chacun

 23   qu'il vivra, même s'il a commis un crime contre notre peuple. Est-ce que

 24   j'ai été clair ? Nesib, l'avenir de votre peuple est entre vos mains, pas

 25   seulement sur ce territoire-ci. J'en ai terminé. Vous pouvez disposer.

 26   Accompagnez-les."

 27   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 28   M. TIEGER : [interprétation] Mladic répétera cet ultimatum lors de la

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  1   troisième réunion, le lendemain matin. A ce moment-là, l'armée des Serbes

  2   de Bosnie avait reçu des renseignements à propos de cette colonne musulmane

  3   qui essayait de sortir de l'enclave, je vous en ai parlé. Au cours de cette

  4   troisième réunion, il a aussi annoncé, dans une partie qui n'a pas été

  5   filmée ou dont la séquence a ensuite été supprimée, que tous les hommes de

  6   16 à 60 ans seraient séparés pour vérifier s'ils avaient commis des crimes

  7   de guerre. Je vous le dirai dans un instant, il n'y a pas eu de sélection

  8   de vérification quelle qu'elle soit. On ne voulait pas en faire d'ailleurs.

  9   Des hommes qui furent séparés, il y avait parmi eux de très jeunes

 10   adolescents et des hommes qui avaient plus de 70 ans.

 11   A peu près à l'heure où se tient cette dernière réunion, dans la

 12   matinée du 12 à l'hôtel Fontana, les forces de la police et de l'armée

 13   serbe avaient déjà pénétré dans Potocari où se trouvaient rassemblés 20 à

 14   25 000 Musulmans apeurés. Certains Musulmans furent abattus, d'autres

 15   frappés et terrorisés par les forces de Bosnie, confiantes que leurs actes

 16   seraient sans conséquences. En quelques heures, il y a eu l'expulsion de la

 17   population musulmane, certains, on allait les laisser vivre; d'autres, on

 18   les a séparés pour les assassiner.

 19   Vous entendrez dire par des journalistes que les Musulmans pouvaient

 20   rester à Srebrenica s'ils le voulaient, mais tout comme la plupart des

 21   choses que Karadzic dit à propos de Srebrenica est très éloignée de la

 22   vérité. Voyons les remarques de Mladic à propos des personnes qui pouvaient

 23   partir et de celles qui pouvaient rester. 

 24   "Allez-y, Général.

 25   "Mladic : Est-ce que ces bus et ces camions sont partis ?

 26   "Réponse : Oui, ils sont partis.

 27   "Mladic : Quand ?"

 28   Son interlocuteur : "Il y a dix minutes.

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  1   "Mladic : Bien. Excellent. Continuez à surveiller la situation. Ne

  2   permettez pas à de petits groupes de se faufiler. Ils ont tous capitulé,

  3   ils se sont rendus. Nous allons tous les évacuer, ceux qui le souhaitent et

  4   ceux qui ne le souhaitent pas."

  5   A cet effet, des bus de différentes municipalités voisines ont été

  6   mobilisés par l'état-major principal par le biais du ministère de la

  7   Défense de Pale. Il s'agissait d'une opération logistique très importante à

  8   laquelle participaient de très nombreuses municipalités et des départements

  9   de la Défense. Les femmes, les enfants et les personnes âgées ont été

 10   chassés vers les territoires tenus par les Musulmans à Kladanj. Dans

 11   l'intervalle, tous sauf une poignée d'hommes et des garçons qui avaient

 12   plus ou moins l'âge de porter les armes ont été séparés par la force de

 13   leurs familles et détenus. La séparation et la détention de ces hommes

 14   n'avaient rien à voir avec un quelconque "processus de sélection." Je cite

 15   : "Les forces serbes de Bosnie ainsi que le MUP ont détenu à Potocari et

 16   séparé et détenu tout homme ou garçon qui semblait être en âge de porter

 17   les armes. Aucun effort n'a été fait pour établir une distinction entre les

 18   soldats et les civils. Quelques hommes en âge de porter les armes ont

 19   réussi à intégrer le premier convoi, mais après, tous les hommes ont été

 20   séparés et détenus."

 21   [Diffusion de la cassette vidéo]

 22   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 23   "Allez, allez. Suivez-les.

 24   "Non, vous, vous allez là; vous, vous allez vers la gauche.

 25   "Allez, allez, montez, allez dans la colonne un à un.

 26   "Ne vous bousculez pas comme ça, à gauche.

 27   "Il y a des hommes qui partent dans cette direction, les femmes et les plus

 28   jeunes.

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  1   "Non, ceci n'est pas bien. Je crois que les gens sont trop

  2   serrés, là où on emmène les hommes. C'est trop encombré. Il y a trop

  3   d'hommes. Ils sont assis --

  4   "Il y a des gens qui ont essayé de se cacher et de se cacher dans le convoi

  5   et qui sont consignés comme étant des criminels."

  6   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

  7   M. TIEGER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, Mladic a indiqué

  8   de façon erronée qu'ils avaient été séparés pour être sélectionnés parce

  9   qu'il s'agissait de crimes de guerre qu'il avait l'intention d'occulter le

 10   sort qui allait être réservé à ces hommes. Son excuse est quelque chose qui

 11   peut être étayé par un certain nombre de facteurs. Il n'y a pas eu

 12   d'efforts véritables pour soit enregistrer ou établir la liste des

 13   prisonniers musulmans lorsqu'ils ont été incarcérés, comme cela aurait été

 14   le cas s'il avait l'intention de les emprisonner ou de les échanger. Bien

 15   au contraire, après les avoir placés en détention, leurs documents

 16   d'identité ont été détruits. De surcroît, les rares effets personnels dont

 17   ils disposaient qui étaient transportés dans des sacs et des sacs à dos ont

 18   été mis sur des tas et brûlés par la suite. Il n'y a pas eu

 19   d'interrogatoire de ces hommes et de ces garçons qui a été organisé pour

 20   voir s'il s'agissait d'éventuels criminels. A Potocari, ces hommes

 21   musulmans et ces garçons n'ont reçu aucune nourriture, aucuns soins

 22   médicaux ou premiers soins. Il n'y avait pas de mesures d'hygiène et bon

 23   nombre d'entre eux ont été frappés sauvagement et massacrés. Ils ont été

 24   séparés et transportés dans des sites à Bratunac. Dans ce site de

 25   détention, il y avait plus de 50 hommes musulmans qui ont été tués le 12 et

 26   le 13. Dans ces circonstances, Madame, Messieurs les Juges, on ne veut pas

 27   s'y méprendre, le terme de "sélection" dans ce contexte ne peut

 28   malheureusement que figurer sur la liste des euphémismes honteux. Dans ce

Page 647

  1   cas, il s'agit d'un euphémisme qui indique que "tout les destinait à la

  2   mort."

  3   Je remarque l'heure. Peut-être qu'il serait approprié de faire une pause.

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Dès que cela vous convient. Nous allons

  5   faire une pause maintenant de 25 minutes.

  6   --- L'audience est suspendue à 15 heures 35.

  7   --- L'audience est reprise à 16 heures 03.

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Tieger.

  9   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 10   Madame, Messieurs les Juges, les 12 et 13 juillet 1995, environ 25 000

 11   civils musulmans de Bosnie ont été emmenés à bord d'autocars pour quitter

 12   l'enclave de Srebrenica en direction du territoire qui était contrôlé par

 13   le gouvernement bosniaque. Au fil de cette opération, le commandant

 14   suprême, Karadzic, a été informé du fait que Krivaja 95 se déroulait comme

 15   prévu. Comme Mladic l'a déclaré dans les coups téléphoniques du 12 juillet

 16   que nous avons vus il y a quelques instants, la VRS a transféré toutes les

 17   femmes, enfants et personnes âgées musulmanes, ceux qui souhaitaient partir

 18   et ceux qui ne souhaitaient pas. Comme ceci avait été prévu et ordonné dans

 19   les directives 4 et 7. Voici un rapport du 12 juillet de l'état-major

 20   principal envoyé à Karadzic. Il décrit la situation au sein du corps :

 21   "Toutes les unités du corps sont au niveau de préparation de combat

 22   le plus élevé pour assurer que tout se déroule comme prévu, qu'il n'y ait

 23   pas de surprises. Les unités sont engagées dans l'opération Krivaja 95, et

 24   doivent mener toutes les opérations de combat d'après ce qui a été prévu."

 25   Il poursuit en précisant certaines de ces actions, et poursuit en

 26   disant pour ce qui est de la situation dans ce territoire :

 27   "Dans le Corps de la Drina et la zone de responsabilité de cette

 28   dernière, la population est emmenée de l'enclave de Srebrenica à Kladanj

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  1   d'une façon organisée. On estime que ce jour-ci il y a environ 10 000

  2   Musulmans qui doivent être transportés."

  3   Entre-temps, Madame, Messieurs les Juges, l'armée serbe de Bosnie et les

  4   forces de police avaient terminé la séparation des hommes et des garçons à

  5   Potocari, environ 1 000 à 2 000 hommes et garçons, et les avaient

  6   transportés à Bratunac, qui se trouvait dans la municipalité voisine à

  7   quelques kilomètres de là, et cela le 13 juillet.

  8   Je vais maintenant évoquer un groupe plus important d'hommes et de garçons,

  9   ceux qui avaient été rassemblés à Susnjari et qui avaient commencé à

 10   s'enfuir vers le territoire contrôlé par les Musulmans à Tuzla. Ce jour-là,

 11   le 13 juillet, des milliers d'hommes ont été capturés ou se sont rendus aux

 12   forces de la VRS ou du MUP. Je souhaite vous montrer une séquence vidéo

 13   d'hommes de la colonne qui se rendait, et une vidéo qui a été tournée par

 14   un journaliste serbe qui accompagnait un commandant de police. Vous verrez

 15   qu'un homme est contraint à appeler son fils et que d'autres Musulmans sont

 16   appelés à se rendre, et vous verrez que ces hommes se rendent dans les

 17   faits.

 18   [Diffusion de la cassette vidéo]

 19   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pardonnez-moi, nous entendons le

 20   français une nouvelle fois. Nous pouvons poursuivre.

 21   [Diffusion de la cassette vidéo]

 22   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 23   "Nermin, venez ici. Je suis ici. C'est sûr avec les Serbes. Allez,

 24   venez. Allez tous. Dites-leur tous. Venez tous. Dites-leur à nouveau.

 25   Dites-leur qu'ils doivent venir. Nermin. Ils apporteront du pain. Venez

 26   ici. C'est sûr avec les Serbes. Venez vous tous, tous tant que vous êtes.

 27   "Je ne sais pas, de quelque désert.

 28   "Combien de temps vous y avez passé ?

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  1   "Deux jours, deux nuits, complètement encerclé.

  2   "Où sont vos fusils ?

  3   "Je n'ai pas de fusil. Je n'en ai pas. Je suis un civil.

  4   "Un civil, vous êtes sûr ?

  5   "Je ne me bats pas.

  6   "Et vous avez peur ?

  7   "Comment ne pourrais-je pas avoir peur.

  8   "Comment, allez, n'ayez pas peur. Je ne sais pas de quoi vous avez

  9   peur, bon Dieu ? Allez, allez, n'ayez pas peur.

 10   "Est-ce que vous entendez le bruit ici ?

 11   "Hé, journaliste. Ils sont déjà arrivés avant eux.

 12   "Enlève ce tee-shirt.

 13   "Celui-là ?

 14   "Oui."

 15   "Mon Dieu, où est-ce que tu as eu ce tee-shirt ? Allez, enlève-le. Merde."

 16   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 17   M. TIEGER : [interprétation] Madame et Messieurs les Juges, cet homme qu'on

 18   contraint à appeler son fils était un homme qui répondait au nom de Ramo

 19   Osmanovic. Ses restes ont été retrouvés dans une fosse commune. Son fils

 20   adolescent, Nermin, que Ramo a dû appeler sous la contrainte en indiquant

 21   que "c'était sûr de venir vers les Serbes", ses restes ont également été

 22   trouvés dans une fausse commune. Dans l'après-midi du 13 juillet, l'armée

 23   serbe de Bosnie et les forces de police serbe retenaient prisonniers

 24   environ 5 à 6 000 hommes, à trois endroits le long de la route que vous

 25   avez vue, à savoir Nova Kasaba, Konjevic Polje et Sandici.

 26   Pendant toute l'opération, le commandant suprême, Radovan Karadzic, était

 27   tenu au courant des actions menées dans et autour de Srebrenica, y compris

 28   la reddition à grande échelle des hommes musulmans de la colonne. Dans la

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  1   nuit du 13 juillet, la VRS a envoyé un rapport "urgent" à Karadzic qui a

  2   déclaré ce qui suit, je cite :

  3   "L'ennemi de l'ancienne enclave de Srebrenica est en pleine débâcle, et les

  4   troupes se rendent en grand nombre à la VRS."

  5   Et vous apprendrez que les rapports de la VRS envoyés à Karadzic au fil des

  6   jours suivants l'avaient également informé de la capture des Musulmans par

  7   la VRS. Mais je vais me concentrer sur la date du 13. Dans l'après-midi du

  8   13, environ 1 000 prisonniers musulmans qui s'étaient rendus ou qui avaient

  9   été fait prisonniers ont été placés à bord de bus et conduits à Sandici

 10   près de l'entrepôt de Kravica. Dans cet entrepôt, ces prisonniers ont été

 11   exécutés par l'armée serbe de Bosnie et par les forces de police serbe.

 12   D'autres exécutions organisées ont été menées ce jour-là par les forces de

 13   la police sur la rivière Jadar et dans le pré de Sandici.

 14   En fin d'après-midi et dans les premières heures de la soirée - -

 15   pardonnez-moi, du 13 juillet, les prisonniers qui restaient et qui avaient

 16   été capturés le long de la route ont été transportés à Bratunac où ils ont

 17   été détenus dans des bâtiments, dans des autocars, dans des camions, dans

 18   toute la ville, avec les autres hommes musulmans qui avaient été séparés de

 19   leurs familles à Potocari. Ces milliers de prisonniers ont été détenus dans

 20   des conditions épouvantables la nuit du 13, sans nourriture, sans soins

 21   médicaux et sans eau en quantité suffisante. Bon nombre d'entre eux ont été

 22   tués dans le centre Bratunac, dans le centre de la ville, et d'autres ont

 23   été battus sauvagement. Dans l'intervalle, le commandant suprême était

 24   toujours tenu au courant de tous les événements. J'ai parlé des rapports

 25   réguliers qu'il recevait en permanence, mais il était également en contact

 26   direct avec Mladic.

 27   Ce soir-là, le l3 juillet, vers le moment où les derniers Musulmans étaient

 28   mis à bord d'autobus et de camions et quittaient l'enclave aux mains de la

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  1   VRS, du MUP et des autorités civiles, Karadzic, de son bureau à Pale, s'est

  2   entretenu avec Mladic pendant une heure environ, avec un téléphone avec des

  3   écouteurs. Leur conversation était cordiale. Un témoin l'a entendu parler

  4   de la promotion de Radislav Krstic, condamné pour avoir encouragé le

  5   génocide. Un autre témoin dira que Mladic rendait compte directement à

  6   Karadzic que "c'en était terminé" de Srebrenica et que "Zepa serait le

  7   suivant."

  8   Cet appel téléphonique s'est déroulé environ au moment où les derniers bus

  9   ont quitté les lieux, emmenant les femmes et les enfants et les derniers

 10   Musulmans qui restaient à Srebrenica, comme Mladic a rendu compte à

 11   Karadzic en disant que c'en était terminé avec Srebrenica.

 12   Il est clair que la chaîne de commandement fonctionnait comme elle devait

 13   le faire à ce moment-là et Mladic ainsi que d'autres éléments de la VRS qui

 14   rendaient des comptes au commandant suprême. Le 13, ce commandant suprême,

 15   Karadzic, savait que des exécutions en masse avaient été organisées et que

 16   Srebrenica, comme je l'ai indiqué entre guillemets, "c'en était terminé,"

 17   qu'un nombre important de Musulmans avaient été fait prisonniers. Il

 18   s'entretenait également avec son nouveau commissaire chargé des affaires

 19   civiles qui venait d'être nommé ce soir-là; il s'agit de Miroslav Deronjic.

 20   Deronjic aurait pu passer cet appel téléphonique depuis son bureau, mais il

 21   s'agissait d'une ironie de l'histoire, Deronjic a quitté son bureau et

 22   s'est rendu au quartier général de la brigade de Bratunac parce qu'il

 23   souhaitait que cette conversation ne soit pas entendue. Ce qu'il ne savait

 24   pas, c'est que les transmissions militaires étaient moins sûres que les

 25   lignes fixes dont il disposait dans son bureau. En conséquence, nous savons

 26   que Karadzic était non seulement au courant des prisonniers, mais avait

 27   ordonné leur transfert à l'extérieur de Bratunac qui se trouvait beaucoup

 28   trop près des internationaux, effectivement suffisamment près pour que les

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  1   internationaux puissent entendre des coups de fusil, comme vous l'entendrez

  2   d'après un rapport du bataillon néerlandais.

  3   Au cours de cette conversation, Karadzic a demandé :

  4   "…combien de milliers ?"

  5   Je cite :

  6   "Le président nous demande combien de milliers ?"

  7   "Deronjic : Deux, pour l'instant."

  8   Cette conversation interceptée s'est déroulée avec un intermédiaire. Il y a

  9   Deronjic d'un côté, Karadzic de l'autre et un intermédiaire :

 10   "Deux, pour l'instant.

 11   "Deux, Monsieur le Président (c'est ce qu'on entend derrière).

 12   "Deronjic : Mais il y en aura davantage pendant la nuit." Et Karadzic

 13   lui a dit : "Que devons-nous faire de ces prisonniers ?"

 14   "Deronjic : Le président dit : 'Toutes les marchandises doivent être

 15   placées à l'intérieur des entrepôts avant midi, demain.'

 16   "Deronjic : Bien.

 17   "Deronjic : Non pas dans les entrepôts là-bas, mais ailleurs."

 18   Il s'agit d'un endroit différent. Ce n'est pas Bratunac.

 19   Bien que Karadzic ait tenté de dissimuler cette conversation en

 20   utilisant un langage codé, les marchandises des entrepôts, il ne peut pas

 21   cacher ce que cela révèle. Karadzic savait que des prisonniers musulmans

 22   étaient retenus à Bratunac et a donné l'ordre que ceux-ci soient

 23   transportés dans des entrepôts ailleurs, c'est exactement ce qui s'est

 24   passé. Cela a commencé ce soir-là, très peu de temps après la fin de cet

 25   appel téléphonique, et cela s'est poursuivi jusqu'au lendemain matin. Les

 26   prisonniers ont été transférés de Bratunac à des centres de détention

 27   provisoire autour de Zvornik où ils ont été retenus avant leur exécution.

 28   Pendant les 72 heures qui suivirent, ils ont tous été, à l'exception d'une

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  1   poignée de survivants qui ont survécu par miracle, massacrés.

  2   Vous entendrez, Madame et Messieurs les Juges, des témoignages de ces

  3   personnes qui ont survécu. Ils ont attendu pendant des heures, sous cet

  4   amas de corps, feignant la mort, jusqu'à ce qu'ils puissent s'enfuir.

  5   Souvenez-vous du fait que pendant que ce massacre se déroulait, le

  6   camp dirigé par la VRS à Batkovic, à savoir à Bijeljina, fonctionnait

  7   encore trois ans après que Mladic l'ait créé pour pouvoir gérer l'excédent

  8   de civils qui étaient nettoyés de leurs maisons. Ce centre pouvait traiter

  9   des milliers de prisonniers, se trouvait à 60 kilomètres de Zvornik par la

 10   route goudronnée. Batkovic était l'endroit où les prisonniers qui avaient

 11   été capturés auraient dû être envoyés et retenus jusqu'au moment où ils

 12   auraient été échangés. Mais ces hommes-là ne sont pas allés à Bratunac. Ils

 13   ont été envoyés dans la zone de Zvornik parce qu'ils n'allaient pas être

 14   échangés, mais parce qu'ils allaient être tués.

 15   Madame et Messieurs les Juges, vous entendrez que Miroslav Deronjic a

 16   laissé entendre que Karadzic avait l'intention d'envoyer les prisonniers de

 17   Bratunac à Batkovic pour les protéger, mais les éléments de preuve

 18   démontrent le contraire. Non seulement Karadzic a ordonné que les

 19   prisonniers soient envoyés dans les entrepôts plutôt que dans le camp de

 20   Batkovic, non seulement les prisonniers en réalité ont été envoyés dans des

 21   écoles et des centres de détention de fortune sur les ordres de Karadzic,

 22   mais Karadzic a également fait en sorte que ces meurtres en masse ne soient

 23   pas connus et qu'on ne sache pas qui s'est passé à ce moment-là et après.

 24   Mais avant de parler de ce thème-là, je souhaite parler de quelques-

 25   unes des conversations qu'il a eues avant les efforts qu'il avait déployés.

 26   Je dois vous rappeler que le 14 juillet, Deronjic a rencontré Karadzic dans

 27   le bureau du président à Pale et s'est entretenu avec lui à propos des

 28   massacres qui s'étaient déroulés dans l'entrepôt de Kravica. Plus tard, le

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  1   même jour, le 14, après avoir rencontré Deronjic, Karadzic a rencontré un

  2   visiteur américain, Bob Djurdjevic; ensemble, ils ont regardé la CNN et

  3   SkyNews sur la situation à Srebrenica. Karadzic, parlant à Djurdjevic,

  4   s'est attribué le mérite de la directive numéro 7 et de l'attaque de

  5   Srebrenica et dans les notes de Djurdjevic à l'époque, lors de cette

  6   réunion, il a écrit :

  7   "RK," Karadzic, "a dit que les attaques sur Srebrenica et Zepa

  8   faisaient partie de ce qu'il appelait, je cite, 'mon ordre numéro 7.' Il a

  9   dit que leur objectif consistait à 'porter la température au point

 10   d'ébullition.'"

 11   A cette réunion, Karadzic a également reçu un appel téléphonique d'un

 12   de ses commandants sur le terrain près de Srebrenica concernant l'action

 13   militaire qui s'était déroulée autour de Konjevic Polje et Kasaba. Cet

 14   appel téléphonique était une des sources d'information qui permettait au

 15   commandant Suprême, l'homme qui avait donné l'ordre de cette opération,

 16   d'être informé pendant toute sa durée, encore un autre exemple au-delà des

 17   rapports réguliers, au-delà de Mladic, du commissaire civil de Karadzic,

 18   des appels téléphoniques directs des commandants sur le terrain, Karadzic a

 19   également reçu des informations à propos de la situation sur le terrain de

 20   la police et des services de la Sûreté de l'Etat.

 21   Dans cette conversation du 16 juillet 1995, un officier de permanence de

 22   l'état-major principal de l'armée serbe de Bosnie indique que Mladic vient

 23   d'appeler l'état-major principal serbe de Bosnie parce que Karadzic avait

 24   reçu des éléments de la police serbe et en particulier de l'homme chargé de

 25   la Sûreté de l'Etat et que le commandant de Zvornik avait ouvert un

 26   corridor sur les lignes de la VRS et la colonne des Musulmans traversait ce

 27   couloir pour passer dans le territoire contrôlé par les Musulmans.

 28   "Le président a appelé il y a quelques instants. Il a dit avoir été informé

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  1   par Karisik," qui s'occupait des services de Sûreté de l'Etat, "que

  2   Pandurevic avait organisé le passage des Musulmans en direction de ce

  3   territoire."

  4   Je vais parler de ceci un peu plus tard, comment cet élément d'information,

  5   à savoir l'évasion des Musulmans, a mis Karadzic en colère.

  6   Donc, qu'a fait le commandant Suprême avec la connaissance que ces hommes

  7   musulmans avaient été capturés, détenus et massacrés ? Il a fait en sorte

  8   que l'opération puisse continuer à se poursuivre et à être couronnée de

  9   succès et a donné des garanties fausses aux médias, qui devenaient de plus

 10   en plus soupçonneux et d'une communauté internationale de plus en plus

 11   inquiète. Dès le début de l'opération de Srebrenica et longtemps après que

 12   le monde entier soit tenu au courant de ces meurtres en masse, Karadzic a

 13   dissimulé ce qui s'est passé ou ce qui s'était produit. Il a insisté pour

 14   dire que la population musulmane "était partie de son plein gré," il a

 15   menti aux médias lorsqu'il s'agissait de la capture et de l'exécution des

 16   garçons et des hommes musulmans.

 17   Mais la nuit du 13 juillet 1995, comme je l'ai décrit, Karadzic était

 18   parfaitement au courant du transfert forcé de la population. Il savait

 19   qu'il y avait des milliers de Musulmans qui avaient été détenus à Bratunac

 20   et il avait donné l'ordre qu'ils soient transférés dans des entrepôts. Plus

 21   tard, cette nuit-là, vers 21 heures 30, Karadzic a donné une interview à un

 22   journaliste du journal espagnol El Pais. Lorsqu'on lui a posé des questions

 23   à propos de Srebrenica, Karadzic a déclaré :

 24   "Srebrenica est maintenant libre.

 25   "Malheureusement, très peu de Musulmans peuvent rester à Srebrenica parce

 26   que maintenant, ils se rendent compte du fait que Srebrenica va appartenir

 27   à l'état serbe et étant donné qu'il est manifeste que les Musulmans

 28   souhaitent vivre dans un état musulman et qu'ils ont exprimé leur désir de

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  1   se rendre dans l'état musulman, la partie de la Bosnie qui est contrôlée

  2   par les Musulmans et qui deviendra un état musulman ou une fédération

  3   musulmane et croate."

  4   Il a poursuivi en niant les allégations de nettoyage ethnique, en déclarant

  5   :

  6   "Toute personne qui souhaitait rester pouvait rester."

  7   Il était très confiant, bien sûr, parce qu'il pensait que les médias

  8   n'avaient pas accès, par exemple, à la directive numéro 4, l'ordre donné

  9   pour le nettoyage des enclaves ou la directive numéro 7, l'ordre qui

 10   indiquait "qu'il fallait créer une situation intolérable d'insécurité

 11   totale sans autre forme de vie ou de survie pour les habitants."

 12   Quatre jours plus tard, Karadzic est à nouveau interviewé, mais cette fois

 13   par David Frost, un journaliste britannique. Cette interview se déroule au

 14   moment où les victimes des massacres de Zvornik étaient en train d'être

 15   enterrées dans des fosses communes. Quand on l'interroge aux fins de savoir

 16   s'il pense avoir commis une erreur en prenant Srebrenica, étant donné

 17   l'immensité de la condamnation internationale, Karadzic répond : "Pas du

 18   tout," et il justifie sa position à l'aide d'un commentaire dans lequel il

 19   déclare que Srebrenica n'a jamais été une zone de sécurité, mais bien un

 20   fief. Quand interrogé par Frost afin qu'il explique les allégations selon

 21   lesquelles 15 000 hommes de Srebrenica sont portés disparus et qu'on ne

 22   sait rien à leur sujet, Karadzic nie qu'il y a des portés disparus en

 23   dehors de ceux qu'on trouve dans la colonne qui est toujours en route vers

 24   Tuzla. Voici une partie de l'interview.

 25   [Diffusion de la cassette vidéo]

 26   "David Frost : La question relative au nombre de personnes que nous avons

 27   découvertes ou quoi qu'il en soit, qu'en est-il des chiffres que nous avons

 28   lus dans les médias, votre activité favorite, dans les médias, il est

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  1   question de 15 000 hommes portés disparus dont on ne sait rien, originaires

  2   de Srebrenica et il est dit que vous les avez entre vos mains, quelque

  3   part. C'est ce que nous avons lu."

  4   "Karadzic : Eh bien, hier et aujourd'hui encore, nous avons ouvert nos

  5   lignes et nombre d'entre eux ont pénétré dans le territoire musulman.

  6   Nombre d'entre eux étaient des combattants et notre commandant local les a

  7   autorisés à traverser notre territoire et ils l'ont traversé, même la nuit

  8   dernière encore. Nombre d'entre eux sont dans les forêts, ils essaient de

  9   rejoindre le territoire sous contrôle musulman et nous ne nous interposons

 10   pas. Nous ne souhaitons pas nous battre contre eux parce qu'ils n'ont pas

 11   l'intention de s'emparer de notre territoire. Ils veulent quitter notre

 12   territoire.

 13   "David Frost : Et il n'y a pas 15 000 hommes à peu près qui sont portés

 14   disparus à Srebrenica ?

 15   "Karadzic : Pas du tout, absolument pas. Nombre d'entre eux ont rejoint

 16   leur peuple hier et aujourd'hui et demain, ils le feront encore. Il y en a

 17   encore beaucoup d'autres qui passeront les lignes serbes."

 18   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 19   M. TIEGER : [interprétation] Voici ce qui s'est effectivement passé,

 20   Madame, Messieurs les Juges, ce qui se passait à l'époque. Je ne vais pas

 21   rentrer dans le détail des horreurs de ces exécutions méticuleuses qui ont

 22   fait plus de 7 000 victimes parmi les hommes et jeunes gens musulmans

 23   pendant toutes ces journées. Je vais simplement vous énumérer rapidement

 24   les massacres les plus importants.

 25   Le 13 juillet, entrepôt de Kravica, près de 1 000 personnes exécutées aux

 26   fusils automatiques et à la grenade à main. Dans les jours qui ont suivi,

 27   du 14 au 16 juillet, l'école d'Orahovac et dans les champs entourant cette

 28   école, près de 1 000 personnes exécutées. L'école et le barrage de

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  1   Petkovici, dans l'après-midi et la soirée du 14 juillet et aux premières

  2   heures de la matinée du 15 juillet 1995, près de 1 000 personnes exécutées.

  3   L'école de Rocevic et Kozluk, plus de 1 000 exécutées, plusieurs à Rocevic

  4   et plus de 1 000 à Kozluk. Je vous montrerai des photographies de plusieurs

  5   de ces victimes après exhumation dans quelques instants. La première

  6   photographie que je vous montre est celle d'une fosse commune. Deuxième

  7   photo. La suivante, s'il vous plaît. Vous voyez le bandeau sur les yeux,

  8   n'est-ce pas ?

  9   Photo suivante. Vous voyez ici les mains de cet homme ligotées dans

 10   le dos.

 11   Photo suivante. Madame, Messieurs les Juges, vous entendrez des témoins -

 12   je demande la diapositive suivante sur les écrans - vous entendrez donc des

 13   témoins de Kozluk vous parler de ces hommes qui s'agrippaient à des

 14   mauvaises herbes et à des ronces alors que l'exécution les concernant était

 15   en cours sur les rives de la Drina. Voici une nouvelle photographie des

 16   cadavres exhumés à Kozluk.

 17   Je poursuis l'énumération des lieux de massacres, l'école de Kula non loin

 18   de la ferme de Pilica Branjevo, plusieurs personnes exécutées dans l'école,

 19   les autres au nombre d'environ 1 200 exécutées à la ferme de Branjevo. Vous

 20   voyez ici sur cette photographie quelques-uns des cadavres de Branjevo. Le

 21   centre culturel de Pilica, près de 500 personnes exécutées.

 22   Madame et Messieurs les Juges, ces massacres nécessitaient des moyens

 23   matériels énormes; des camions, des munitions, des engins lourds pour

 24   creuser les fosses, et des milliers de litres de carburant, ainsi que des

 25   effectifs humains en grand nombre pour assurer la sécurité des sites de

 26   détention et d'exécution, et procéder en tant que tel aux exécutions et aux

 27   enterrements dans les fosses communes. Ces actes ont été réalisés

 28   rapidement et avec efficacité. Ils nécessitaient une planification et une

Page 660

  1   coordination importante entre la VRS, le MUP et les autorités civiles qui

  2   ont participé. La liste de ceux qui savaient ou devaient savoir ce qui

  3   était en train de se passer est longue, depuis Mladic, Tolimir et les

  4   autres membres de l'état-major principal, en passant par les officiers et

  5   les soldats du Corps de la Drina, par les autres brigades, celles de

  6   Zvornik, de Bratunac, et d'autres faisant partie du Corps de la Drina, pour

  7   aboutir au ministre de l'Intérieur et à ces subordonnés du MUP, et - en

  8   premier lieu - au commandant suprême.

  9   En dehors de ces massacres gigantesques dans toute cette période, il y a eu

 10   des tueries organisées de moindre importance sur les rives de la rivière

 11   Jadar, dans la vallée de la Cerska, à Sandici, dans l'école de Luke non

 12   loin de Tisca, à Snagovo, Trnovo et Bisina. Les tueries ponctuelles visant

 13   les hommes musulmans se poursuivent au-delà du mois de juillet. Comme les

 14   rapports de la VRS le montrent, après le 17 juillet des hommes musulmans

 15   qui s'étaient échappés ont été pourchassés et exécutés sur place dans les

 16   environs de Srebrenica et de Zepa.

 17   Pendant toute cette période, à partir de la chute de Srebrenica, des

 18   articles ont paru dans les médias et ont largement circulé. Il y était

 19   question de nettoyage ethnique massif à Srebrenica, et indiquait que des

 20   massacres avaient été commis par les forces serbes. Le 17 juillet 1995, le

 21   jour même où Karadzic accordait son interview à Frost, un journal

 22   britannique rend compte de piles de cadavres découvertes devant l'entrepôt

 23   de Kravica. Je cite :

 24   "Les cadavres s'empilent dans l'horreur à Srebrenica."

 25   Le même jour, la télévision Studio B de Belgrade diffuse une vidéo où

 26   l'on voit des piles de cadavres devant l'entrepôt de Kravica. Vous verrez

 27   ces images rapidement pour le moment, mais ensuite elles vous seront

 28   diffusées une nouvelle fois au ralenti.

Page 661

  1   [Diffusion de la cassette vidéo]

  2   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  3   "Attends, attends. Reste ici.

  4   "Ce n'est jamais la bonne séquence."

  5   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

  6   M. TIEGER : [interprétation] Pourtant, Karadzic continue à nier que le

  7   moindre crime aurait été commis par les forces serbes à Srebrenica.

  8   Interrogé plusieurs mois plus tard par un journaliste de CNN au sujet des

  9   allégations faisant état de crimes massifs commis à Srebrenica et de la

 10   nécessité d'une enquête, Karadzic insiste sur le fait qu'il a déjà lancé sa

 11   propre enquête. Il prétend que la FORPRONU a suivi toute l'opération et

 12   qu'il "n'y a pas eu de massacre ou quelque tuerie que ce soit ici." A ce

 13   moment-là, des milliers de cadavres de victimes avaient été exhumés et

 14   transférés vers des fosses secondaires par la VRS, le MUP et les autorités

 15   civiles.

 16   [Diffusion de la cassette vidéo]

 17   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 18   "Vous dites que vous êtes favorable à une enquête ou un procès lié à des

 19   allégations d'atrocités. Qu'en est-il des questions qui n'ont pas encore

 20   obtenu réponse au sujet de Srebrenica ? Est-ce qu'il y aura une espèce

 21   d'enquête qui va être menée ? Est-ce que vous vous engagez à ce qu'une

 22   telle enquête soit menée ?

 23   "Karadzic répond : J'ai déjà ordonné une enquête au sujet des allégations,

 24   entre autres, relatives à Srebrenica. On m'a dit que les responsables de la

 25   FORPRONU avaient suivi toute l'affaire, qu'il n'y avait pas eu de massacre,

 26   pas de tuerie de masse, pas de tuerie de façon générale; que les Musulmans

 27   avaient augmenté leur nombre de réfugiés à Srebrenica pour obtenir que leur

 28   armée les aide davantage."

Page 662

  1   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

  2   M. TIEGER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, il y a quelques

  3   instants j'ai appelé votre attention sur les mots prononcés par Karadzic

  4   devant l'assemblée serbe de Bosnie le 6 août 1995, alors qu'il félicitait

  5   le mérite de l'opération de Srebrenica. J'appelle maintenant une nouvelle

  6   fois votre attention sur ces propos, avec l'aide d'une diapositive cette

  7   fois-ci. Je cite :

  8   "Le moment est venu, et j'ai signé la directive numéro 7, visant à la

  9   capture de Teocak, Srebrenica, Zepa et Gorazde. La directive a été signée

 10   et nous nous sommes engagés dans l'action. J'étais favorable à toutes les

 11   décisions que nous avons prises et je les soutiens toujours. Toutes ces

 12   décisions sont enregistrées au commandement Suprême. J'ai ordonné

 13   verbalement et par écrit d'attaquer Zepa et Srebrenica."

 14   Il ajoute qu'ils n'ont pas encore pu prendre Gorazde à ce moment-là,

 15   mais, je cite :

 16   "…qu'il y aura un bon moment pour la prise de Gorazde, comme il y a

 17   eu un bon moment pour la conquête de Srebrenica. Il y aura un bon moment

 18   pour l'attaque et la destruction de Gorazde."

 19   A d'autres occasions, il désignait nommément des commandants dignes

 20   de félicitations, en particulier Krstic, ceci durant l'interview du 4 août

 21   1995, en particulier, où il déclare, je cite :

 22   "Krstic, par exemple, qui a planifié tout cela devant moi, et j'ai

 23   approuvé cette mission pour Srebrenica, il l'a fait exceptionnellement

 24   bien. Bien entendu, l'état-major principal, Mladic et les autres ont

 25   apporté leur concours, mais il faut savoir que Krstic est un grand

 26   commandant militaire."

 27   La seule préoccupation que Karadzic n'ait jamais exprimée au sujet de

 28   Srebrenica est due au fait que l'un de ses commandants ait laissé échapper

Page 663

  1   des Musulmans. Il était furieux que quelques Musulmans aient pu s'en

  2   sortir. Voilà comment Karadzic décrit la fuite de ce qu'il appelait les

  3   Turcs à l'époque, parlant des personnes qui avaient fui vers les

  4   territoires tenus par les Musulmans. Et il le fait devant la 52e Assemblée

  5   bosno-serbe. Je cite :

  6   "9 000 Turcs en armes dans les forêts et les montagnes auraient pu

  7   reprendre Srebrenica. Ils auraient pu brûler Milici, Vlasenica et Zvornik.

  8   Les gens de cette région peuvent vous en parler, parce que ceci aurait pu

  9   se passer s'ils avaient eu suffisamment d'intelligence et s'ils avaient eu

 10   un bon commandement. C'est une division terrestre qui compte 9 000 hommes.

 11   Ça aurait dû être une opération terrestre. Nos hommes, eux seuls, auraient

 12   pu le faire, et Dieu nous a sauvés. Près de 50 à 60 de nos hommes ont été

 13   tués là-bas en essayant de les encercler, mais plusieurs milliers de

 14   soldats ont fini par réussir à passer, et aujourd'hui la division de

 15   Srebrenica a été créée, elle a été déployée à Tuzla, elle a reçu l'ordre de

 16   retourner à Srebrenica. Nous n'avons pas pu encercler et détruire l'ennemi

 17   parce que nous étions trop pressés de prendre Zepa, et nous avons affecté

 18   deux généraux à Zepa pour qu'ils perdent 15 jours à des négociations avec

 19   des jacasseurs et des imbéciles qui perdaient leur temps, au lieu de

 20   laisser Rajko Kusic finir le travail, ou peut-être le général Krstic qui

 21   s'est avéré très, très bon."

 22   Qui étaient Krstic et Kusic qui auraient dû "finir le travail" ? Krstic

 23   était le lieutenant-colonel. C'est celui qui a dirigé le nettoyage de

 24   Novoseoci à Sokolac en 1992, nettoyage au cours duquel les hommes ont été

 25   séparés des femmes et des enfants, les femmes et les enfants expulsés et

 26   les hommes exécutés.

 27   Je cite :

 28   "Pendant la journée, le village de Novoseoci a été 'ciscenje,' c'est le mot

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  1   utilisé en langue originale, donc nettoyé ou ratissé, "à Glasinacko Polje."

  2   En 1995, Krstic était général, et pendant l'opération de Srebrenica, comme

  3   je l'ai déjà dit, il a été nommé commandant du Corps de la Drina par

  4   Karadzic. Voici une écoute téléphonique où l'on entend Krstic et le chef

  5   d'état-major de la Brigade de Zvornik, Dragan Obrenovic. C'est un poste

  6   qu'il occupe depuis le 2 août 1995, qui montre bien que Krstic poursuit ses

  7   efforts pour nettoyer la Bosnie orientale, efforts commencés en 1992. Voici

  8   la conversation :

  9   "Krstic : Est-ce que vous travaillez là-bas ?

 10   "Réponse de l'interlocuteur : Bien sûr, nous travaillons.

 11   "Krstic : Bien.

 12   "L'interlocuteur : Il y en a quelques-uns de plus qui ont été pris.

 13   "Krstic : Hm-hm.

 14   "L'interlocuteur : Soit à coup de fusil, soit en sautant sur des mines.

 15   "Krstic : Tuez-les tous, bon Dieu.

 16   "L'interlocuteur : Tout se déroule selon le plan.

 17   "Krstic : N'en laissez pas un seul vivant.

 18   "L'interlocuteur : Oui ?

 19   "Krstic : N'en laissez pas un seul vivant.

 20   "L'interlocuteur : Tout se déroule conformément au plan, tout."

 21   Et Kusic, qui était-ce ? Kusic était une personnalité politique et

 22   militaire de haut rang, originaire de Rogatica, membre de l'état-major

 23   principal du SDS, qui avait été à la tête des opérations de nettoyage de

 24   Rogatica en 1992. Voici un rapport qui date d'août 1995, et qui montre que

 25   lui aussi, comme Krstic, était en train de finir le travail à Srebrenica.

 26   "Le 7 août 1995, dans l'après-midi, dans les gorges de la rivière Praca,

 27   cinq balija qui restaient là," balija étant un terme péjoratif destiné à

 28   désigner les Musulmans de Bosnie, "cinq balija qui étaient toujours là et

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  1   qui, après la chute de Zepa, s'étaient mis en marche selon l'itinéraire

  2   suivant, Luka, traversée en bateau de la Drina, Kamenic [phon], Kipotok

  3   [phon], Babinagora [phon], Gradina [phon], Kapetanovici [phon], traversée

  4   de la Drina sur des troncs d'arbres, Snvrkapito [phon], Medjedja [phon] ou

  5   Stipraca [phon], sont descendus sur les rails de chemins de fer à Dub et

  6   ont essayé d'atteindre Renovica à pied en longeant les rails. Ils ont été

  7   liquidés.

  8   "Ce groupe a été séparé, son voyage a duré dix jours.

  9   "Le même jour, non loin de Luke, un Oustachi sans arme, né à Srebrenica,

 10   âgé de 24 ans, a été liquidé. Avant de mourir, il a dit qu'il avait suivi

 11   les autres parce qu'il cherchait à manger."

 12   En bref, Madame, Messieurs les Juges, Karadzic, le commandant suprême,

 13   était directement responsable des directives 4 et 7, deux directives dont

 14   le but était de chasser les Musulmans de Srebrenica; il voulait que les

 15   choses avancent. Il poussait Krstic à faire avancer le plan encore plus

 16   loin. Une fois que les forces de Karadzic ont commencé l'attaque, il a

 17   approuvé très manifestement que l'on s'écarte un peu des plans

 18   opérationnels immédiats pour envoyer ses forces à Srebrenica. Dès que ses

 19   forces ont pris Srebrenica, elles l'en ont informé sur-le-champ. Il a

 20   également été informé du fait que les choses se déroulaient conformément au

 21   plan et que les Musulmans étaient chassés en grand nombre au cours de

 22   l'opération qui exigeait une coordination avec plusieurs municipalités. Il

 23   a été aussi informé du fait que des Musulmans étaient capturés en grand

 24   nombre.

 25   Mladic le lui a dit dès que tous les civils ont été entassés à bord

 26   des autobus à Srebrenica, il lui a dit que Srebrenica, "c'est fait," entre

 27   guillemets. Karadzic a transmis sous forme codée un ordre visant à la prise

 28   de prisonniers de Bratunac et à ce qu'on les emmène vers des "entrepôts."

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  1   Ses commissaires civils triés sur le volet lui ont rapporté que des

  2   prisonniers musulmans avaient été assassinés dans l'entrepôt de Kravica. Il

  3   a appelé le QG de l'état-major principal qui lui a appris que les hommes

  4   musulmans étaient en train de fuir vers le territoire tenu par l'ABiH.

  5   C'est le seul aspect de l'opération qui a provoqué chez lui l'expression de

  6   regret. Et il a dissimulé tout cela auprès de la presse, il a couvert le

  7   fait que la VRS avait des prisonniers et qu'elle était en train de les

  8   exécuter. Et il continue toutefois à dire que tout cela ne s'est pas passé.

  9   Madame, Messieurs les Juges, les crimes de Srebrenica, les expulsions

 10   massives de femmes et d'enfants, les massacres visant les hommes, ces faits

 11   atroces ont été prouvés à de très nombreuses reprises lors d'autres procès

 12   menés devant ce Tribunal. Bien entendu, il y a certaines personnes qui, par

 13   ferveur nationaliste, avec entêtement ou par naïveté, continuent d'affirmer

 14   que Srebrenica ne s'est jamais passé. Mais lorsque l'homme qui était

 15   commandant suprême des forces responsables de ces crimes, l'homme qui a

 16   reconnu qu'il avait mis ces forces en action, lorsque l'homme qui était en

 17   contact avec ses forces du début à la fin, lorsque cet homme nie que cela

 18   se soit passé, c'est parce qu'il sait que la vérité le condamne. Mais

 19   s'agissant des victimes en vie, des survivants, femmes, personnes âgées ou

 20   personnes qui étaient des enfants à Potocari en juillet 1995, il n'est pas

 21   question de savoir si cela s'est passé. Il n'est question que de la durable

 22   douleur qu'entraîne le deuil. Pour ces survivants, il n'y a pas de

 23   récupération possible, pas de récupération des vies qui ne sont plus et qui

 24   ne peuvent pas renaître. Je veux parler de la vie de leurs maris, de leurs

 25   pères, de leurs frères qui ont été emmenés et assassinés. Leur tragédie

 26   permanente fait partie de ce long héritage dû aux crimes commis par

 27   l'accusé et que prouveront les éléments de preuve plus que convaincants qui

 28   seront soumis à la Chambre. Ces éléments prouveront qui l'emporte avec

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  1   force sur les dénis de l'accusé.

  2   Madame, Messieurs les Juges, je conclurai rapidement, mais avant de le

  3   faire, je tiens à dire quelques mots de la façon dont Karadzic a dissimulé

  4   ces crimes. Pour couvrir les massacres organisés, les expulsions massives

  5   de Srebrenica, il a fallu que Karadzic franchisse un pas de plus dans son

  6   comportement régulier consistant à dissimuler, minoriser, justifier ou nier

  7   la réalité des choses, et ce comportement se poursuit au jour

  8   d'aujourd'hui. Il se présente sous forme de déni vis-à-vis des médias

  9   internationaux et d'autres qui évoquent le nettoyage ethnique et les crimes

 10   commis, je veux parler de négociateurs internationaux, de représentants de

 11   la FORPRONU, du CICR, du HCR, du rapporteur spécial des Nations Unies, des

 12   résolutions du Conseil de sécurité, de la presse écrite, de la télévision.

 13   Face à tout ce qui se passait sous les yeux du monde, les allégations

 14   proférées étaient très souvent anxieuses et explicites. Par exemple,

 15   deuxième rapport datant d'octobre 1992, le premier datait du mois d'août du

 16   rapporteur spécial des Nations Unies suite à sa dernière mission en Bosnie.

 17   Dans son rapport du 27 octobre, M. Mazovijetski [phon] disait, je cite :

 18   "Comme indiqué dans mon premier rapport, la population musulmane est la

 19   principale victime et elle est pratiquement menacée d'extermination."

 20   Comme Karadzic le dit à un de ses commissaires, je cite :

 21   "Nous sommes en train de scalper le chat vivant sous les yeux du monde

 22   entier."

 23   Mais dans cette citation, Karadzic n'avait pas besoin que la communauté

 24   internationale lui parle du sort terrible vécu par les Musulmans et Croates

 25   de Bosnie dans les territoires revendiqués par les Serbes de Bosnie, en

 26   dehors des rapports qui évoquent ce fait, rapports de son armée et de sa

 27   police, en dehors des aveux et reconnaissance provenant du cercle de ses

 28   intimes, certaines de ses déclarations, nous les avons entendues, il suffit

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  1   de jeter un simple coup d'œil à ce qui se disait à l'Assemblée pour prendre

  2   toute la mesure du fait qu'il avait pleinement connaissance de la campagne

  3   menée contre les non-Serbes. Ici, par exemple, une protestation par rapport

  4   à la norme projetée pour accorder la citoyenneté de la Republika Srpska en

  5   fonction de la naissance qui est très révélatrice, même si ce n'était pas

  6   voulu. Je cite :

  7   "Deuxièmement, la citoyenneté de la Republika Srpska sera acquise, entre

  8   autres, par le droit du sol dans le territoire de la Republika Srpska. Ceci

  9   fait référence à tous les Musulmans et Croates que nous avons expulsés. En

 10   réalité, ils sont tous citoyens de la Republika Srpska."

 11   En conséquence, le projet de loi était renvoyé au ministère pour réexamen à

 12   l'initiative de Krajisnik.

 13   Ou bien, voyons ce commentaire qui date de 1995 et émane d'un député de

 14   l'assemblée, je cite :

 15   "Parfois, Monsieur le Président, il ne faut pas écouter le patriarche.

 16   C'est un homme saint et nous sommes des hommes pragmatiques, des hommes

 17   pragmatiques qui veulent créer un état. Un état est créé par l'assassinat,

 18   l'égorgement, l'emprisonnement et l'arrestation d'êtres humains, tout état

 19   du monde, y compris le nôtre, est créé de cette façon."

 20   Ou pour dire les choses plus simplement afin d'en terminer, je cite :

 21   "Croyez-moi quand je dis que nous ne pouvons pas vivre ensemble. Je ne sais

 22   pas dans quelles conditions nous pourrions vivre ensemble aujourd'hui. Je

 23   dois être honnête et dire qu'ils nous ont infligé tant de mal," ceci est

 24   une référence à la Seconde Guerre mondiale et à l'occupation ottomane, "que

 25   cette fois-ci, nous leur avons causé un mal au moins égal."

 26   A de très nombreuses reprises, encore une fois, Karadzic a fait de son

 27   mieux pour couvrir le caractère atroce de ces actes. Prenez les camps, par

 28   exemple. Nous avons déjà vu certaines preuves relatives aux civils et aux

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  1   camps, notamment le rapport du ministre de l'intérieur de Karadzic à la mi-

  2   juillet, adressé à Karadzic, selon lequel, je cite :

  3   "Les cellules de Crises et présidences de guerre ont demandé que l'armée

  4   regroupe ou capture le plus grand nombre de Musulmans civils possible."

  5   Que dans les camps, je cite :

  6   "Certains individus ne respectent pas parfois les normes internationales."

  7   Mais il ne voulait pas que le monde soit au courant de cela.

  8   Par exemple, voici une lettre au "Guardian" qui date du 30 juillet

  9   1992, je cite :

 10   "Votre article à la une du journal d'aujourd'hui," dit-il "recherche la

 11   sensation. Il est complètement faux de laisser entendre que les Serbes de

 12   Bosnie auraient pu organiser des camps de concentration ou que nous

 13   détenons des prisonniers civils."

 14   Cet effort visant à masquer la campagne menée contre les non-Serbes ou à la

 15   présenter sous un jour acceptable va jusqu'à émettre des ordres

 16   prétendument destinés à garantir le respect du droit international. J'ai

 17   déjà parlé d'un ces ordres au début de l'attaque de Srebrenica. Il apparaît

 18   aussitôt qu'ils sont destinés à l'opinion publique. On en trouve un en

 19   anglais qui dit que :

 20   "Des transferts forcés de personnes et autres mesures illégales à

 21   l'encontre de la population civile doivent être empêchés, interdits."

 22   Autre exemple. On a un télégramme de juillet 1992 adressé aux résidents des

 23   municipalités de la zone de Gorazde, qui dit que les présidents des

 24   municipalités sont chargés d'assurer la protection des villages où habitent

 25   des Croates et des Musulmans qui remettent leurs armes et ne veulent pas

 26   combattre. Ceci, à un moment où son armée et sa police étaient occupées à

 27   faire le nettoyage ethnique de ces villages. Intéressant de voir qu'il y a

 28   un président municipal qui a eu le cran de répondre directement à Karadzic

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  1   par une lettre dans laquelle il dit que ce n'est pas lui qui contrôle la

  2   police ni l'armée. Mais même au-delà du caractère apparemment transparent

  3   de temps à autre de ces ordres, ils n'avaient aucune signification dans

  4   l'abstrait. Si on les replace dans le contexte de crimes massifs,

  5   systématiques, qui répondaient à des objectifs stratégiques, des crimes qui

  6   n'ont pas été punis, mais au contraire qui ont permis à certains, aux

  7   auteurs de ces crimes d'être récompensés par des promotions, il ne fait

  8   aucun doute qu'ils devaient servir de prétexte.

  9   Aucun officier, aucun commandant n'a été puni pour avoir nettoyé des

 10   villages croates ou musulmans; au contraire, l'accusé a promu, a récompensé

 11   et encouragé les coupables de ces crimes. Le 9 janvier 1994, par exemple,

 12   Karadzic organise une cérémonie au cours de laquelle il annonce que :

 13   "Contrairement à tous les mensonges, à toutes les calomnies des marchands

 14   de propagande internationaux, l'armée serbe a su préserver son caractère

 15   chevaleresque et son honneur militaire dont elle est digne," et il a décoré

 16   ses chefs militaires et politiques, Radoslav Brdjanin, Vojo Kupresanin,

 17   Ratko Mladic, Dragomir Milosevic, Miroslav Deronjic, Stanislav Galic, ainsi

 18   qu'une unité tristement célèbre comme celle des Panthères de Mauzer de la

 19   région de Bijeljina.

 20   Les ordres de Karadzic diligentant des enquêtes sur les crimes sont tout

 21   aussi symboliques. Il a fallu attendre une équipe de la télévision ITN qui

 22   a révélé l'horreur des camps qui allait occuper la une des médias du monde

 23   entier dans les jours qui suivirent ce premier reportage pour qu'une

 24   enquête soit ordonnée sur ces crimes. Vous aurez l'occasion de voir ces

 25   documents, mais vous voyez, ici, ce que représente le rapport, la totalité

 26   des rapports d'enquête sur les camps de la SAO de Krajina, moins de deux

 27   pages. Les rapports sur les camps de la RAK étaient tout aussi minces.

 28   Manjaca, le camp de Manjaca où 3500 personnes ont été détenues, fut bouclé

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  1   en moins de 300 mots. Le camp de Keraterm où se trouvèrent 4000 personnes,

  2   moins de 60 mots. Pas un seul mot sur les crimes qui y furent commis.

  3   Il y avait aussi un rapport du ministère de l'Intérieur qui

  4   s'appuyait notamment sur ce que disait Simo Drljaca, le chef de police

  5   locale qui administrait le camp d'Omarska. Ce rapport a été envoyé à une

  6   commission qui comptait parmi ses membres un des interrogateurs du camp. Là

  7   aussi, pas un seul mot sur les crimes. Drljaca, fidèle à la tradition qui

  8   voulait qu'on allait accorder des promotions à ceux qui avaient réussi le

  9   nettoyage ethnique, loin d'être démis de ses fonctions, a été décoré et

 10   promu.

 11   Mais les enquêtes, les dénis servaient à soutenir ce qu'affirmait

 12   faussement Karadzic à la communauté internationale lorsqu'il disait que

 13   non, il n'y avait pas de nettoyage ethnique. Toutes ces dénégations

 14   faisaient partie de ses efforts de dissimulation absolue car Mladic disait,

 15   en mai 1992 et je cite ce qu'il a dit à la 16e séance de l'assemblée

 16   lorsqu'il fut nommé chef de l'état-major principal et lorsque les objectifs

 17   stratégiques furent énoncés par Karadzic, je le cite :

 18   "Ce que nous sommes en train de faire doit se faire dans le secret le

 19   plus absolu. Et ce que nos représentants vont dire aux médias lors de

 20   pourparlers et de négociations politiques, ils doivent présenter nos

 21   objectifs avec des paroles qui plairont à ceux que nous voulons gagner à

 22   notre cause, sans nuire à la cause de notre peuple serbe. Nos gens, nos

 23   hommes doivent savoir comment lire entre les lignes."

 24   Madame et Messieurs les Juges, en 1994, l'accusé a dit à ses

 25   parlementaires à l'assemblée :

 26   "Aujourd'hui, nous nous trouvons à l'endroit où nous étions au moment

 27   de la conférence de Lisbonne, à la veille de la guerre. La seule

 28   différence, c'est le nombre de victimes énorme dans les trois camps. Nous

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  1   avons ruiné des villes et quelqu'un en est responsable, mais la question de

  2   la responsabilité ne se pose pas maintenant."

  3   Alors, qui est responsable de ces villes dévastées, des mosquées et

  4   des églises détruites, des vies perdues, des familles brisées, des

  5   survivants traumatisés ? Est-ce que les responsables sont seulement les

  6   gardiens de camps qui battaient les prisonniers ou les regardaient subir

  7   des sévices commis par d'autres ? Est-ce que ce sont les commandants de

  8   camps qui surveillaient ou supervisaient ces crimes commis chaque jour ?

  9   Est-ce que ce sont les chefs municipaux comme Deronjic ou Stakic qui ont

 10   créé des camps, coordonné et soutenu les forces militaires et supervisé

 11   l'opération de nettoyage ethnique ? Est-ce que ce sont les chefs régionaux

 12   comme Brdjanin qui ont exhorté les Serbes à laisser le moins de Musulmans

 13   possible dans la région et ont supervisé l'effort de séparation ethnique

 14   forcée ? Est-ce que ce sont des chefs militaires comme Galic et Milosevic

 15   qui ont mené des campagnes de terreur contre les civils et qui ont

 16   supervisé la capture et l'exécution de milliers de Musulmans ? Est-ce que

 17   c'est seulement le commandant de l'état-major principal de la VRS, Mladic,

 18   qui a dirigé les opérations de l'armée de nettoyage ethnique, qui a

 19   terrorisé Sarajevo, qui a massacré les hommes et les garçons de Srebrenica

 20   ? Ou est-ce que c'est aussi leur chef, le commandant suprême de la VRS, le

 21   président du SDS, l'homme qui a créé les institutions, qui a créé et

 22   appliqué les politiques, qui a dirigé ses hommes et défendu leurs actions ?

 23   Les éléments de preuve que vont vous apporter les victimes et les

 24   autres témoins, les représentants de la communauté internationale, les

 25   documents officiels de la Republika Srpska, le témoignage des associés de

 26   l'accusé, le témoignage de l'accusé en personne démontrent que la réponse à

 27   ces questions, au-delà de tout doute raisonnable, c'est un oui catégorique.

 28   La déclaration liminaire de l'Accusation est ainsi terminée. Je vous

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  1   remercie, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges.

  2   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Monsieur Tieger.

  3   L'accusé a décidé de ne pas assister à l'audience pendant trois journées

  4   consécutives, alors que nous l'avions plusieurs fois mis en garde. Nous lui

  5   avons dit qu'un tel comportement qui faisait obstruction à la bonne

  6   administration de la justice ne serait pas toléré. Je l'avais annoncé la

  7   semaine dernière, la Chambre doit déterminer les modalités de déroulement

  8   du procès une fois la déclaration liminaire terminée et nous entendrons les

  9   arguments des parties demain après-midi.

 10   Demain nous n'entendrons pas d'éléments de preuve. Il n'y aura pas de

 11   témoignage. Nous voulons entendre tant l'accusé que l'Accusation qui auront

 12   l'opportunité de présenter leurs arguments respectifs avant que la Chambre

 13   ne rende sa décision. Mais je voudrais répéter ceci à l'attention de M.

 14   Karadzic, je voudrais lui transmettre une fois de plus notre mise en garde

 15   et je demanderais au Greffe de transmettre la bande son comme le compte

 16   rendu d'audience à M. Karadzic et à ses conseillers juridiques. S'il décide

 17   de ne pas assister à l'audience, nous allons peut-être décider de

 18   poursuivre en son absence et décider de commettre un conseil qui le

 19   représentera. Qu'il réfléchisse longuement à cette situation avant de

 20   présenter ses arguments à l'audience de demain.

 21   L'audience est levée.

 22   --- L'audience est levée à 17 heures 00 et reprendra le mardi 3

 23   novembre 2009, à 14 heures 15.

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