Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mercredi 14 avril 2010

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 9 heures 01.

  5   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour.

  6   J'ai été informé du fait que l'accusé voulait mentionner quelque chose en

  7   l'absence du témoin. Pour ne pas perdre de temps à l'avenir, je voudrais

  8   que le témoin soit déjà assis dans le prétoire lorsque nous entrons, et si

  9   une partie souhaite évoquer un problème ou une question en l'absence du

 10   témoin, il faudrait le dire à l'avance au juriste de la Chambre ou au

 11   greffier d'audience.

 12   Ceci étant dit, je vous donne la parole, Monsieur Karadzic.

 13   Bonjour, tout d'abord.

 14   L'ACCUSÉ : [interprétation] Bonjour, Vos Excellences. Je m'efforcerai

 15   d'être très concis. Tout d'abord, je tiens à exprimer ma grande estime et

 16   mon respect pour la compréhension dont vous faites preuve et pour

 17   l'assistance que vous apportez du point de vue de mon interrogatoire. Je

 18   dois vous expliquer deux ou trois choses du point de vue technique qui

 19   rendent les choses plus difficiles. Au tout début, j'ai accepté la

 20   documentation électronique. Ça fait plus d'un million et 300 000 pages plus

 21   mes 700 000, ça fait deux millions de pages au total. Je crains que les

 22   possibilités techniques qui sont mises à ma disposition ne suivent pas le

 23   volume du procès en cours.

 24   Deuxième chose. Lord Bonomy a donné une ordonnance en été de l'an passé, et

 25   l'OLAD a promis que j'aurais un accès à un serveur, ce qui me permettrait

 26   de me débrouiller plus facilement. Malheureusement, mon accès au serveur,

 27   je ne l'ai eu que dimanche. Les deux derniers jours, mon ordinateur n'était

 28   pas chez moi, parce qu'on transférait les données de l'un à l'autre. Je

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  1   n'ai donc pas pu accéder à ces données ce matin pour en sortir les

  2   documents, que je sais où retrouver et dont j'ai besoin pour ce témoin-ci.

  3   J'apprécie hautement votre patience du point de vue de mon habilité

  4   au contre-interrogatoire, mais je me dois de vous dire en l'absence du

  5   témoin que c'est un témoin hautement entraîné ici, dont le grand nombre de

  6   déclarations a été peaufiné par le Procureur. Et moi, je ne suis pas sur un

  7   pied d'égalité, parce que le témoin n'est pas impartial et il n'est pas

  8   sincère. Ils sont participants aux événements de guerre, et il a des

  9   intentions qui visent à éviter des éléments afin que les déclarations

 10   soient maintenues comme étant des faits.

 11   Ensuite --

 12   M. TIEGER : [interprétation] Permettez-moi d'intervenir, Monsieur le

 13   Président.

 14   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.

 15   M. TIEGER : [interprétation] Il y a des procédures qui font que parfois il

 16   est nécessaire de présenter des conclusions dérivant d'éléments intervenus

 17   pendant le procès, et ça, nous l'acceptons. Mais nous n'acceptons pas

 18   d'arguments, surtout s'ils sont infondés, dirais-je, concernant les

 19   témoins. Aussi, si l'accusé veut présenter une requête, il ne faudrait pas

 20   que les présentations à l'audience priment sur le dépôt de conclusions

 21   juridiques, parce que ceci permet de répondre de façon opportune et dans

 22   les temps à l'Accusation. Donc je voudrais d'emblée exhorter à ce que l'on

 23   évite de remplacer les procédures déjà bien consignées et bien ancrées dans

 24   cette institution, qu'on les remplace par des présentations telles que

 25   celles-ci. Mais ce qui est très important à mes yeux, c'est surtout qu'on

 26   ne présente pas des arguments, en fait, sous forme de procédure.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Monsieur Tieger. Je comprends vos

 28   inquiétudes. J'ai laissé l'accusé parler, car il concentrait son

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  1   intervention sur les questions de procédure plutôt que sur la crédibilité

  2   du témoin.

  3   Mais n'oubliez pas ce qui vient d'être dit, Monsieur Karadzic. Ceci

  4   étant, que vouliez-vous dire ?

  5   L'ACCUSÉ : [interprétation] L'intervention de M. Tieger était tout à fait

  6   inutile. Je ne voulais pas disqualifier le témoin. Je voulais juste faire

  7   savoir quelle était la façon de procéder que j'allais adopter à l'avenir et

  8   pourquoi je ferai ainsi dans la poursuite de mon contre-interrogatoire.

  9   Quand à juste titre, hier, vous m'avez posé la question de savoir dans

 10   quelle direction j'allais quand je posais des questions au sujet des noms

 11   et des petits-enfants, je me dois de vous dire que c'est un témoin qui

 12   cherchera à biaiser, alors je ne peux pas être tout à fait sincère et

 13   exhaustif dans mes questions. Je veux l'emmener dans une situation pour

 14   qu'il évite d'esquiver, mais qu'il soit sincère. Ce n'est pas une

 15   disqualification du témoin. C'est une question qui est relative à

 16   l'explication de ma façon de procéder. Et avec votre autorisation, je me

 17   propose de présenter aujourd'hui, conformément à ce que Son Excellence M.

 18   Morrison a laissé entendre hier, à savoir avancer des allégations et je

 19   vais demander à ce que le témoin se prononce : oui, non ou je ne sais pas.

 20   Et je ne pense pas que je pourrai arriver à contester le tout aujourd'hui,

 21   mais pendant le procès, je le ferai aisément, parce qu'il y a des vérités

 22   que personne ne pourra contrecarrer, et cela portera une lumière tout à

 23   fait autre sur ce que le témoin, dans ses déclarations, a dit jusqu'à

 24   présent.

 25   C'est tout ce que je voulais dire. Je vous demande votre compréhension et

 26   je vous en remercie par avance. Je tiens également à dire que ça s'est

 27   présenté ainsi. Dites-nous : Oui, non ou je ne sais pas, parce que ses

 28   déclarations sont pleines d'affirmations apodictiques, qui, si je ne les

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  1   conteste pas et si je ne démontre pas que c'est erroné ou faux, cela pourra

  2   constituer un fondement pour un jugement en condamnation. Merci, Vos

  3   Excellences.

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, si vous souhaitez

  5   contester la crédibilité du témoin, la Chambre estime qu'il n'est pas

  6   nécessaire du temps que vous vouliez obtenir hier pour se faire. Bien

  7   entendu, vous aurez amplement l'occasion de faire venir vos propres témoins

  8   pendant la présentation des moyens à décharge. Mais il n'est pas nécessaire

  9   de tout présenter au témoin pour montrer qu'il n'est pas crédible. Il vous

 10   suffit de vous concentrer sur les éléments essentiels.

 11   Etant donné que l'Accusation a eu une heure et 20 minutes à peu près

 12   hier, et vous, vous avez eu à peu près une heure et 40 minutes, et vous

 13   aviez dit au départ que vous auriez besoin de quatre heures pour le contre-

 14   interrogatoire du témoin, la Chambre estime dès lors que si vous avez une

 15   heure et demie de plus pour terminer ce contre-interrogatoire, ceci devrait

 16   suffire. Gardez à l'esprit la leçon que vous avez reçue hier pour ce qui

 17   est de la façon de mener un contre-interrogatoire. Donc essayez de vous

 18   concentrer sur les éléments qui sont véritablement importants. Merci.

 19   Faisons entrer le témoin.

 20   [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

 21   [Le témoin vient à la barre]

 22   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour, Monsieur Zulic.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

 24   M. LE JUGE KWON : [interprétation] J'espère que vous avez bien dormi, que

 25   vous vous êtes bien reposé.

 26   Je vous rappelle que vous avez prononcé une déclaration solennelle

 27   qui reste toujours d'application aujourd'hui.

 28   LE TÉMOIN : AHMET ZULIC [Reprise]

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  1   [Le témoin répond par l'interprète]

  2   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, vous avez la parole.

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

  4   Contre-interrogatoire par M. Karadzic : [Suite]

  5   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Zulic.

  6   R.  Bonjour.

  7   Q.  Je m'efforcerai, moi aussi, de vous montrer aujourd'hui ma façon de

  8   voir, la façon de voir de la Défense sur certains points de  détails et

  9   vous allez pouvoir prononcer avec oui ou non, ou je ne sais pas; et je

 10   tiens à ce que vous compreniez que je ne vous accuse pas du tout. Nous

 11   voulons savoir ce que vous savez, vous-même, et quels sont les éléments sur

 12   lesquels vous pouvez témoigner. Nous avons terminé hier avec des

 13   allégations aux termes desquelles et avancées par des commandants musulmans

 14   auprès de cet auteur Zilhad Kljucanin qui disait qu'ils avaient des

 15   difficultés du point de vue de la mobilisation des combattants à l'époque,

 16   parce qu'un grand nombre de ces gens croyaient qu'il n'y aurait pas de

 17   conflit, que les Serbes ne leur feraient rien. Et lorsqu'ils ont créé une

 18   formation armée à Mahala, cela a été un problème à eux, et vous avez dit

 19   aussi que vous faisiez partie de ceux qui croyaient qu'il n'y aurait pas de

 20   conflit; c'est bien cela ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Je voudrais volontiers vous croire, mais mon problème c'est que vous

 23   vous étiez procuré une mitrailleuse, ce n'est pas une arme de chasse du

 24   tout, et vous ne l'avez pas restituée. Et à un moment donné, vous vous êtes

 25   couché dans un cimetière en tenant cette mitrailleuse, mais vous n'avez pas

 26   tiré, parce que vous aviez dit que les Serbes reviendraient ou risquaient

 27   de revenir pour vous tirer dessus; c'est bien cela ?

 28   R.  C'est exact. J'ai dit que je m'étais allongé dans un cimetière et que

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  1   personne n'a tiré sur les Serbes, parce que les Serbes risquaient de

  2   revenir et de tuer tous les villageois, et cela est exact; je ne m'en suis

  3   pas servi.

  4   Q.  Mais vous, vous avez pris position de tir ?

  5   R.  Oui, j'ai pris position de tir, mais qu'est-ce que cela a à voir ?

  6   Q.  Est-ce que le fait est qu'on a retrouvé chez vous des explosifs dont

  7   l'origine a été rattachée à votre travail dans une mine, et cela abonde

  8   dans la direction de votre opinion aux termes de laquelle il n'y aurait pas

  9   eu de conflit ?

 10   R.  Non, il n'y a pas eu d'explosif.

 11   Q.  Bon.

 12   L'ACCUSÉ : [interprétation] Mettons sur l'affichage électronique votre

 13   déclaration, 1D29, qui sera un document de la Défense. En attendant -- ça

 14   arrive.

 15   M. KARADZIC : [interprétation]

 16   Q.  Est-ce que vous avez connu Djordje Todorovic ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Qu'était-il ?

 19   R.  C'était un Serbe.

 20   Q.  Oui, mais quelle était sa fonction, sa situation ?

 21   R.  Je n'en sais rien.

 22   Q.  Est-ce que c'était un concessionnaire dans la mine où vous étiez

 23   employé ?

 24   R.  Oui, maintenant oui. Oui, maintenant, je sais. Oui.

 25   Q.  Est-ce que vous avez bien dit hier - et vous l'avez mentionné dans

 26   votre déclaration également - à savoir que du fait de la réponse apportée

 27   par les Serbes pour ce qui est des convocations à la mobilisation de la

 28   JNA, il n'est resté que les non-Serbes dans la mine, parce que les Serbes

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  1   sont partis en Croatie pour se battre ?

  2   R.  Je ne l'ai pas dit hier, mais j'ai dit que nous étions restés dans la

  3   mine à travailler.

  4   Q.  Mais est-ce que vous aviez refusé de partir en Croatie pour vous battre

  5   ?

  6   R.  Personne ne m'a convié à y aller.

  7   Q.  Mais est-ce qu'auparavant on vous avait fait venir à des exercices

  8   militaires ?

  9   R.  Non.

 10   Q.  Est-ce que les autres réservistes musulmans ont reçu des convocations

 11   pour des exercices ou des manœuvres militaires au sein de la JNA ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  Bon. Alors, est-ce que pendant la guerre en Croatie, on les a convoqués

 14   pour aller en Croatie ?

 15   R.  Ça c'est une très bonne question, et j'attendais avec impatience celle-

 16   ci pour y répondre. Oui, en 1991, au mois de juin, on les a convoqués, tous

 17   les réservistes ont été convoqués entre Ostra Luka et Koprivna, tant les

 18   Serbes que les Croates et les Musulmans, il fallait aller, comme ils ont

 19   dit, au champ de bataille en Croatie. Cependant, lorsqu'il n'y a plus eu

 20   d'armes qui, d'après ce que j'ai appris, ont été prises par un capitaine

 21   appelé Zeljaja, les Musulmans ont à ce moment-là quitté ces exercices

 22   militaires. Et les Serbes ont été envoyés au théâtre de combat, à Vukovar,

 23   les uns, et à Knin, les autres.

 24   Q.  Merci. Donc les Musulmans n'ont pas répondu présents à l'appel à la

 25   mobilisation ?

 26   R.  Non.

 27   Q.  Bien. Alors, de là à savoir si ce capitaine ou commandant Zeljaja était

 28   quelqu'un qui faisait partie de la chaîne de commandement de la JNA ?

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  1   C'était un officier d'active ?

  2   R.  C'était un officier d'active.

  3   Q.  Bien. Donc il se trouvait stationné essentiellement à Prijedor, lui ?

  4   R.  Je ne sais pas.

  5   Q.  Mettons de côté votre remarque qui disait qu'il avait pu prendre des

  6   armes, parce que lui, il faisait partie d'une filière de commandement. Si

  7   on lui a donné l'ordre d'emporter les armes ou de les envoyer quelque part,

  8   il a dû le faire. Mais ce qui m'intéresse, c'est autre chose. Les Serbes

  9   sont allés au théâtre de combat au lieu d'aller travailler à la mine,

 10   n'est-ce pas ?

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Combien de Musulmans et de Croates est-il resté dans la mine ?

 13   R.  Ça, je ne le sais vraiment pas.

 14   Q.  Mais la production s'est poursuivie ?

 15   R.  Oui, elle s'est poursuivie.

 16   Q.  Penchons-nous sur la déclaration de M. Djordje Todorovic recueillie par

 17   mon enquêteur à moi.

 18   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais à présent qu'on me montre une autre

 19   page, la page 2.

 20   M. KARADZIC : [interprétation]

 21   Q.  Voilà. Dites-nous en toute liberté : Je confirme, j'infirme, ou je ne

 22   sais pas.

 23   En temps de paix, sans partir au champ de bataille, la structure ethnique

 24   de la mine dont il était propriétaire de la concession était de 60 % de

 25   Musulmans, 10 % de Croates, et 30 % de Serbes. Et lorsque ces Serbes sont

 26   allés au front, les Musulmans et les Croates constituaient 100 % des

 27   effectifs, n'est-ce pas ?

 28   R.  Ça devait être le cas.

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  1   Q.  Penchons-nous maintenant sur ceci, il y avait deux exploitations en

  2   surface ?

  3   R.  Non.

  4   Q.  C'était une exploitation en surface, c'est une exploitation en puits ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Vous étiez en puits ou en surface ?

  7   R.  J'étais en surface --

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît. Je vous

  9   prie de ménager une pause entre la question et la réponse. Poursuivez.

 10   M. KARADZIC : [interprétation]

 11   Q.  Vous êtes d'accord ou vous niez le fait que Zijad Okanovic est

 12   Musulman, a été directeur technique ?

 13   R.  Je n'ai pas dit que je niais.

 14   Q.  Je n'ai pas dit que vous le disiez; oui ou non ?

 15   R.  Non, je ne le nie pas. Il était directeur technique.

 16   Q.  Est-ce que le chef de la production en ce terrain c'était un dénommé

 17   Salim, je ne me souviens plus de son nom ?

 18   R.  Non. Lui, c'était Strbac qui était chef de la production.

 19   Q.  Oui, mais Salim, c'était un responsable ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Et le directeur de l'exploitation surface c'était un Croate, il

 22   s'appelait Alija ?

 23   R.  Je peux confirmer qu'il a travaillé en exploitation de surface, mais de

 24   là à savoir s'il était directeur ou quelque chose, je ne sais pas.

 25   Q.  Mais c'était un responsable, un dirigeant, ce n'est pas un mineur ?

 26   R.  Non, il n'était pas mineur.

 27   Q.  Donc un dirigeant ?

 28   R.  Oui.

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  1   Q.  Est-ce que dans la production, c'était une Croate qui s'appelait Zdenka

  2   ?

  3   R.  Oui. De là à savoir ce que Zdenka était du point de vue de son

  4   appartenance ethnique, je pense vous l'avoir dit hier. Je ne m'aventurais

  5   pas à chercher à savoir. On ne le savait pas cela, on ne savait pas qui

  6   appartenait à quel groupe ethnique. On apprenait que l'individu en tant que

  7   tel.

  8   Q.  Bon, je veux bien. Est-ce que le chef de la comptabilité, c'était un M.

  9   Raif, qui était musulman ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Est-ce que le chef des affaires commerciales, c'était Enisa Vajzovic ?

 12   R.  Je ne sais pas. Je sais que c'était un chef quelconque.

 13   Q.  Mais est-ce une Musulmane ?

 14   R.  J'imagine que oui.

 15   Q.  Enfin, je m'excuse de poser la question, parce que nous, d'après les

 16   prénoms et les noms, nous savons déterminer, mais les Juges de la Chambre,

 17   eux, ne savent pas.

 18   R.  Oui, je veux bien.

 19   Q.  Vous avez dit dans votre déclaration que vous avez été contacté par la

 20   secrétaire du chef de la mine pour vous dire qu'il ne fallait pas venir au

 21   travail pendant un certain temps; c'est bien cela ? Mais elle ne vous a pas

 22   donné de démission ou de licenciement, elle vous a dit de ne pas venir ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Est-ce qu'elle s'appelait Sanja Grapcanovic ?

 25   R.  Non, c'est Zdenka.

 26   Q.  C'est la Zdenka qu'on a mentionnée tout à l'heure ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Allons de l'avant encore. Ici au point 8, M. Todorovic nous dit, tous

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  1   les autres responsables de niveau subalterne qui étaient à leurs postes de

  2   travail le sont restés grâce à leurs compétences professionnelles et non

  3   pas leur appartenance ethnique, ce qui est prouvé par les listes de

  4   personnel, parce que lui il ne prêtait pas attention à l'appartenance

  5   ethnique des uns et des autres ?

  6   R.  Je ne sais pas à quoi il prêtait attention. Il faudrait lui poser la

  7   question à lui.

  8   Q.  Certes, mais d'après la liste, vous voyez bien que cette liste montre

  9   que pour lui aussi cela n'avait aucune espèce d'importance de savoir qui

 10   appartenait à tel ou tel autre groupe ethnique.

 11   R.  C'est cela.

 12   Q.  Bon. Merci.

 13   L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce qu'on peut voir la page suivante, je

 14   vous prie. Ça c'est la page numéro 3. Est-ce qu'il y a une page numéro 2,

 15   s'il vous plaît. Non, c'est la page 3. Bon. Donnez-nous le bas de la page

 16   d'avant, parce que le bas on ne l'a pas vu. Le point 9 m'intéresse.

 17   M. KARADZIC : [interprétation]

 18   Q.  Le point 9, comme vous pouvez le voir, dit :

 19   "Le dénommé Zulic Ahmet n'a pas été arrêté, parce qu'il était employé par

 20   la mine de Kamengrad mais pour des raisons autres. Pour autant que je m'en

 21   souvienne, chez l'intéressé on a retrouvé une certaine quantité…"

 22   L'ACCUSÉ : [interprétation] Veuillez tourner la page, s'il vous plaît.

 23   M. KARADZIC : [interprétation]

 24   Q.  "…une quantité déterminée d'explosifs et une mitrailleuse. Les

 25   explosifs retrouvés tiraient leur origine de la mine de Kamengrad."

 26   Qu'en dites-vous, Monsieur ?

 27   R.  Ce qui est affirmé ici pour les explosifs, c'est un mensonge pur et

 28   simple. C'est un mensonge pur et simple. Parce que tout d'abord je dois

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  1   dire, Madame et Messieurs le Juge, que les explosifs, on ne pouvait pas les

  2   procurer en allant et en se servant. C'était hautement sécurisé par la mine

  3   de Kamengrad, où l'on entreposait les explosifs. Ces explosifs, en 1992,

  4   étaient contrôlés par la JNA et les Serbes, ce qui fait que ces explosifs

  5   et les tireurs de mine - et moi je n'étais pas tireur - si, par exemple ils

  6   prenaient dix kilos d'explosifs un jour, il fallait exactement qu'ils

  7   indiquent combien de trous ils ont percés pour les placer. Ensuite, il

  8   fallait exactement qu'ils informent qui de droit pour récupérer les amorces

  9   qui n'ont pas été utilisées afin de les restituer à l'entrepôt pour savoir

 10   exactement où les explosifs ont été utilisés. Donc il n'était pas facile de

 11   sortir des explosifs de la mine, pas même en temps de paix, et encore moins

 12   en temps de guerre, à l'époque je veux dire. Parce que --

 13   Q.  Merci. Merci. Je puis croire qu'il en était ainsi avant que tous les

 14   Serbes ne partent au champ de bataille. Mais que s'est-il passé alors qu'il

 15   n'est resté que des Musulmans et des Croates dans la mine ? Qui est-ce qui

 16   contrôlait cela ?

 17   R.  La JNA et la police serbe.

 18   Q.  Ils étaient dans la mine ?

 19   R.  Non, ils n'étaient pas dans la mine, mais ils étaient au niveau de

 20   l'entrepôt d'explosifs. L'entrepôt à explosifs, ça se trouvait à Dolnica

 21   [phon]. Il y avait cinq niveaux de fil de fer autour, il y avait des

 22   systèmes d'alarme et il y avait une garde qui était organisée par la police

 23   serbe et la JNA de l'époque.

 24   Q.  Merci.

 25   R.  Ce qui fait qu'il n'y avait pas la moindre possibilité théorique de

 26   sortir les explosifs pour cette raison-là.

 27   Q.  Merci.

 28   R.  Je tiens à dire ce qu'il a écrit ici, c'est du mensonge. Pour ce qui

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  1   est du fusil-mitrailleur, je le reconnais. C'est vrai.

  2   Q.  Bon. Dites-nous maintenant, est-ce que vous connaissez les noms de

  3   certains boutefeux ?

  4   R.  Strbac Mile, Mirsad --

  5   L'INTERPRÈTE : Inaudible.

  6   M. KARADZIC : [interprétation]

  7   Q.  Un Musulman ?

  8   R.  Oui, un Musulman.

  9   Q.  Encore ?

 10   R.  Je n'arrive pas à m'en souvenir, mais il y en avait dix boutefeux.

 11   Q.  Mais Burnic Mirsad, c'était un parent ou un cousin du Enver, du chef de

 12   la police ?

 13   R.  Non.

 14   Q.  Mais ils appartiennent à la même famille, ils portent le même nom de

 15   famille ?

 16   L'INTERPRÈTE : Le témoin a indiqué des noms de localité que l'interprète

 17   n'a pas entendu.

 18   LE TÉMOIN : [interprétation]

 19   R.  Ce sont deux localités qui se trouvent à 7 kilomètres l'une de l'autre.

 20   Q.  Merci --

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous chevauchez. Je l'ai constaté. Vous

 22   intervenez avant que le témoin n'ait terminé. N'oubliez pas d'attendre

 23   qu'il ait terminé avant de poursuivre. Continuez maintenant.

 24   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Je suis pressé de finir au plus vite.

 25   C'est la raison pour laquelle j'ai accéléré.

 26   M. KARADZIC : [interprétation]

 27   Q.  Est-ce que vous pouvez donner un autre nom de boutefeu à un moment où

 28   les Serbes sont partis au front ? Qui est-ce qui était boutefeu à ce

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  1   moment-là ?

  2   R.  En exploitation superficielle, je ne sais pas, mais au fond je sais

  3   qu'il y avait Mile et Mirsad, Mile Strbac et Mirsad.

  4   Q.  Merci. Vous nous avez dit hier que votre frère a travaillé à Kamengrad

  5   aussi ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Il est resté travailler là-bas toute la durée de la guerre, n'est-ce

  8   pas ?

  9   R.  Non.

 10   Q.  Jusqu'à quand a-t-il travaillé là-bas ?

 11   R.  Jusqu'à la fin de 1995, à peu près.

 12   Q.  Mais c'est la fin de la guerre, donc ?

 13   R.  Mais il n'a pas travaillé tout le temps, jusqu'au mois d'août. Il est

 14   resté jusqu'en août 1995.

 15   Q.  Merci. Ici au point 11 on dit, M. Todorovic dit :

 16   "J'indique qu'Ahmet Zulic n'a pas été expulsé de la société pour son

 17   appartenance ethnique, et en aidant sa mère j'ai négligé" -- non, non.

 18   Excusez-moi. Au point 10 il est dit :

 19   "Leur mère a eu une attaque cérébrale, et on m'a demandé de l'aide. J'ai

 20   pris leur mère personnellement à l'hôpital de Prijedor pour qu'elle se

 21   fasse soigner. Donc cela parle de mon attitude et de ma façon de voir à

 22   l'époque et maintenant."

 23   Alors, elle a eu une attaque cérébrale ?

 24   R.  Non.

 25   Q.  Elle était à l'hôpital de Prijedor ?

 26   R.  Non. Il ment. Moi, je vous dis, mon père avant la guerre, il avait --

 27   en 1981 ou 1982 a eu une attaque cérébrale. Ma mère n'a jamais eu d'attaque

 28   cérébrale, et il ne l'a jamais conduit là-bas. Je le connais bien

Page 1101

  1   personnellement ce Djordje, et j'aimerais bien lui dire en face qu'il ment.

  2   Q.  Merci. Veuillez me dire, je vous prie, et vous avez confirmé le fait

  3   que vous avez trois frères. Vous l'avez dit hier.

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Ils étaient à Betonirka ou à Manjaca ?

  6   R.  Non.

  7   Q.  Ils sont Musulmans comme vous ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Merci.

 10   R.  Mais c'est la raison pour laquelle ils ont été expulsés, chassés de

 11   chez eux. Les deux ont fait partie d'un convoi lorsqu'il y a eu nettoyage

 12   des autres, ils sont partis avec leurs familles.

 13   Q.  On y viendra. On y viendra. Ça, vous ne l'avez dit nulle part. Mais

 14   vous avez dit qu'il était difficile de quitter Sanski Most. Donc c'est

 15   suite à leur demande à eux qu'ils sont partis ?

 16   R.  Non, ce n'était pas difficile. Ne dites pas que j'ai dit qu'il était

 17   difficile de quitter Sanski Most. Ça ne tient pas debout. Je ne l'ai pas

 18   dit. Il était très facile de quitter Sanski Most.

 19   Q.  D'accord. Merci. Alors, je me réfère maintenant au paragraphe de votre

 20   déclaration où vous parlez de votre femme, qui a eu des difficultés à se

 21   procurer des autorisations pour ce qui est de quitter Sanski Most.

 22   R.  Oui, pour elle, c'est vrai. Je vais vous expliquer, Madame et Messieurs

 23   les Juges, pourquoi elle a eu des difficultés.

 24   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Madame Sutherland.

 25   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Je me suis retenue jusqu'à présent, mais

 26   est-ce qu'on peut donner le numéro de page, le numéro de paragraphe de la

 27   déclaration écrite si on y fait référence, ou si l'accusé fait référence à

 28   une déclaration autre ou un compte rendu d'audience, il faut donner la

Page 1102

  1   page, s'il vous plaît.

  2   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Effectivement. Merci.

  3   Donnez les numéros de paragraphes, s'il vous plaît, comme vient de le

  4   demander Mme Sutherland.

  5   L'ACCUSÉ : [interprétation] Votre Excellence, je le ferais volontiers si je

  6   m'attendais à ce que le témoin vienne à élargir ses propos pour ce qui est

  7   des difficultés ou facilités ou expulsions de Sanski Most. Nous savons qu'à

  8   Sanski Most - et on le verra tout à l'heure au compte rendu d'audience, il

  9   a confirmé la chose, et pour ce qui est de sa déclaration, il faut que je

 10   retrouve le passage. Je l'aurais préparée à l'avance si j'avais su qu'il

 11   serait question de la facilité ou difficulté à quitter Sanski Most, mais

 12   dans la suite, je retrouverai le paragraphe. Il a dit que sa femme avait eu

 13   de grosses difficultés pour ce qui est de se procurer tous les papiers

 14   qu'il fallait pour quitter Sanski Most, et nous avons des éléments de

 15   preuve à cet effet. Dans toute la Krajina de Bosnie, il y avait de gros

 16   problèmes pour les gens, on leur demandait des papiers et des attestations.

 17   Alors, je précise, il s'agit du paragraphe 140. Je le dis à l'intention de

 18   tout un chacun. Voyons donc ce que nous dit ce paragraphe 140. Il est dit :

 19   "En décembre 1992, ma femme a décidé de partir de la municipalité de Sanski

 20   Most. Elle pensait que j'avais été tué. Elle voulait emmener nos quatre

 21   enfants parce que la maison ne cessait d'être attaquée. Pour y parvenir, il

 22   fallait d'abord qu'elle aille voir les autorités municipales de Sanski Most

 23   afin de signer une déclaration par laquelle elle cédait notre maison aux

 24   autorités. Il a fallu aussi qu'elle paye toutes les différentes

 25   institutions. Il a fallu aussi qu'elle aille voir les responsables de

 26   réinstallation à Sanski Most pour obtenir un récépissé montrant qu'elle

 27   avait cédé ses biens aux autorités serbes. Un ami serbe de la famille est

 28   venu à Sanski Most et a emmené ma femme et mes enfants chez lui à Banja

Page 1103

  1   Luka. Pour qu'elle puisse quitter Banja Luka, elle a dû payer de l'argent à

  2   ce bureau chargé des réinstallations qui était administré par les autorités

  3   serbes. Elle a payé deux fois 22 500 dinars [comme interprété] pour les

  4   frais administratifs et 175 000 dinars pour les frais de transport. Mais il

  5   fallait malgré tout qu'elle paye pour le transport en autocar. Elle avait

  6   des copies de ces documents de cession de propriétés, mais à Bosanska

  7   Gradiska, les 'autorités douanières' ont pris tout ce qu'elle avait en sa

  8   possession, y compris les documents…"

  9   M. KARADZIC : [interprétation]

 10   Q.  Ce qui veut dire, Monsieur Zulic, votre épouse vous informe qu'elle a

 11   eu beaucoup d'obstacles et de difficultés pour ce qui est de son départ.

 12   Non seulement elle n'a pas été expulsée, mais on l'a découragée par des

 13   procédures variées de la part des autorités. Donc elle a été découragée

 14   pour ce qui était de quitter Sanski Most, et je le dis parce que vous avez

 15   élargi la thèse que vous aviez avancée.

 16   R.  Je n'ai pas élargi la thèse que j'avais avancée. Il faut que je vous

 17   apporte des explications, Madame et Messieurs les Juges. Voyez-vous, les

 18   Serbes ont organisé des convois à partir de Sanski Most. Et qu'il s'agisse

 19   d'un homme, d'une femme ou d'un enfant, ils les mettaient dans des convois

 20   et ils expulsaient tout un chacun. Ceux qui n'avaient pas, comme moi, qui

 21   étaient capturés par les autorités serbo-chetniks. Ils n'avaient aucune

 22   chance pour ce qui était de se caser dans ce convoi, parce que les gens du

 23   convoi étaient vérifiés, contrôlés. Donc au final, il a fallu qu'elle paye

 24   tout, qu'elle poursuive toutes les formalités pour se faire partir, elle et

 25   les enfants, et elle a fait l'objet de pression pour ce qui était de s'en

 26   aller. Donc mes frères n'avaient pas eu de problèmes, parce que les Serbes

 27   avaient organisé les choses comme ils les ont organisées, j'en ai parlé

 28   hier, s'agissant des départs des non-Serbes de Mahala et de Muhic, en

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  1   direction de Kladusa. Et de la même façon, ils ont organisé le départ des

  2   non-Serbes de Kamengrad, de Sanski Most, de Pobrijezje. C'étaient des

  3   convois organisés, et on emmenait les gens. On les faisait passer par

  4   Travnik, par Vlasic. D'autres, on les faisait passer je ne sais trop par

  5   où.

  6   Et il arrivait d'habitude que ceux qui étaient capturés, la famille de ceux

  7   qui étaient capturés ne pouvait pas partir. On leur jetait des grenades, on

  8   leur adressait des menaces au téléphone. Il fallait demander des

  9   autorisations de la part des autorités serbes pour ce qui était de quitter

 10   avec les enfants. Et elle, elle n'a pas eu l'autorisation de s'en aller

 11   pour des raisons qui sont les leurs. J'imagine que la raison principale

 12   c'est que j'ai été capturé. Ils ont fait avec ma famille ce qu'ils n'ont

 13   pas fait avec les autres. Ils avaient probablement compté sur une

 14   exécution. Parce que s'ils n'étaient pas partis, il est certain que ma

 15   famille aurait été abattue.

 16   Q.  Merci. On y viendra. On viendra sur le fait de savoir quelles sont les

 17   familles qui ont été abattues et si elles ont été effectivement abattues.

 18   Vous avez dit deux choses, vous avez dit que votre épouse, somme toute,

 19   n'avait pas de piston pour ce qui est de se faire monter à bord d'un

 20   autocar, parce que vous dites que ceux qui n'avaient pas de piston

 21   n'avaient aucune chance de se faire caser à bord d'un convoi. Alors comment

 22   se fait-il qu'elle n'ait pas eu l'opportunité de se faire monter à bord

 23   d'un autocar ? Monsieur Zulic, ils n'ont pas été expulsés. C'est ces gens-

 24   là qui ont demandé aux autorités à partir. Vous le dites dans votre

 25   déclaration; c'est la conclusion qui en découle ?

 26   R.  Non, ça ne découle pas de ce que j'ai dit. Vous pouvez dire ce

 27   que vous voulez, mais moi, je tiens à dire la vérité. Dans ma déclaration,

 28   il est dit quelque part que pour la première fois, on nous a fait savoir

Page 1105

  1   qu'il fallait que nous partions. Puis on nous a dit : Vous n'allez pas

  2   partir maintenant, mais la fois d'après, et lorsqu'ils ont récupéré les

  3   réfugiés pour Kladusa et -- d'abord, pour Jajce --

  4   Q.  Non, non, attendez, on reviendra sur ces événements.

  5   R.  Non seulement ils ont été expulsés, mais on leur a fait savoir quand

  6   est-ce qu'il y aurait des convois. Les autorités serbes ont fait savoir

  7   quand est-ce qu'il y aura des convois. Par exemple, Husinovci ou

  8   Pobrijezje, comme villages, là-bas on procédait à une sélection : Cette

  9   femme a un mari qui est au camp de Manjaca ou au camp de Betonirka, et

 10   elle, elle ne peut pas monter à bord d'un autocar ou à bord d'un camion.

 11   Mais dans le meilleur des cas, c'était des autocars, parce que d'habitude

 12   c'étaient des camions de transport, de fret.

 13   Q.  Vous nous avez dit qu'à la radio on faisait savoir qu'il y aurait des

 14   convois pour tel et tel village; c'est cela ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Alors, ils ont autorisé certains à monter et d'autres non ?

 17   R.  C'est cela.

 18   Q.  Merci. Deuxième élément qui doit découler de ceci pour qu'on jette de

 19   la lumière dessus : vous mentionnez les petites différences qu'il y a entre

 20   vous et vos frères, mais il y a une grosse différence qui saute aux yeux.

 21   Vos frères n'avaient ni mitrailleuses ni explosifs, tout le reste était

 22   pareil que pour vous. C'étaient des Musulmans, c'étaient des citoyens de

 23   Sanski Most. La seule différence - et vous êtes nés du même père et de la

 24   même mère - la seule différence c'est qu'eux n'avaient pas de mitrailleuses

 25   et d'explosifs, et vous, oui ?

 26   R.  D'abord, je n'avais pas d'explosifs, ne racontez pas cela.

 27   Q.  On va le prouver, cela.

 28   R.  Vous allez essayer de prouver, mais moi, le Djoko, je le connais bien.

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  1   Je n'ai jamais dit que j'avais des explosifs et j'aurais tout de suite

  2   reconnu le fait d'avoir eu des explosifs dans l'enquête. Je suis ici pour

  3   dire la vérité. Pourquoi voulez-vous que je ne la dise pas ? Ensuite, mes

  4   frères, s'ils n'étaient pas partis, ils auraient terminé leurs jours là où

  5   les autres ont terminé leurs jours.

  6   Q.  Comment pouvez-vous le savoir ?

  7   R.  Je le sais. Il est resté 42 hommes à Pobrijezje jusqu'à la fin de la

  8   guerre. Mon frère cadet qui travaillait à la mine, par un concours de

  9   circonstances, est resté vivant. Tous les autres ont été sortis par Arkan

 10   et ils ont été abattus au village de Sasin [phon] en 1995. Il y avait 64

 11   employés qui ont été tués à Sanski Most. A la libération de Sanski Most, on

 12   a retrouvé environ 300 à 400 femmes et enfants à Sanski Most et une dizaine

 13   de Serbes. De là à savoir s'il en est resté autant que cela, c'est une

 14   autre question. C'est ce que j'ai su.

 15   Q.  Monsieur Zulic, au fur et à mesure que vous allez élargir vos réponses

 16   avec des éléments nouveaux, vous m'amenez à prolonger mon contre-

 17   interrogatoire, et je vais demander aux Juges de la Chambre de vous faire

 18   revenir pour un contre-interrogatoire, parce que si vous nous dites que

 19   quelqu'un dans l'armée serbe, qu'il soit volontaire ou pas, mais sous les

 20   ordres de l'armée serbe, aurait abattu de sang-froid des civils. Moi, il

 21   faut que je fasse la lumière là-dessus. Donc je vous demande de vous en

 22   tenir à vos déclarations, parce qu'on n'aura jamais fini.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Poursuivez, s'il vous plaît. Concentrez-

 24   vous sur votre interrogatoire.

 25   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

 26   M. KARADZIC : [interprétation]

 27   Q.  Donc la seule différence ce n'est pas simplement les explosifs et le

 28   fusil-mitrailleur. Vous dites qu'il n'y avait que le fusil-mitrailleur.

Page 1107

  1   Comment concluez-vous que vos deux frères auraient été tués s'ils n'étaient

  2   pas partis de Sanski Most, alors que le troisième frère, lui, il a continué

  3   de travailler à la mine pratiquement jusqu'à la fin, jusqu'en 1995 ? Ça

  4   veut dire qu'il devait aller de chez lui à la mine. Il travaillait tous les

  5   jours et devait revenir tous les jours. Il n'a jamais été attaqué ni tué.

  6   Comment concluez-vous que vos deux autres frères auraient été tués s'ils

  7   étaient restés à Sanski Most ?

  8   R.  Mais même si ce frère cadet n'était pas un expert, ils ne l'auraient

  9   pas gardé. C'est par hasard qu'il est resté en vie, car en avril, ses

 10   enfants, c'était en 1995, ils l'ont caché. Il avait deux filles qui l'ont

 11   caché lorsque Arkan parcourait le village à la recherche d'hommes. Donc le

 12   fait qu'il n'a pas été tué c'est parce qu'en fait on avait besoin de lui

 13   pour qu'il travaille.

 14   Q.  Et on n'avait pas besoin de vous alors que vous étiez aussi expert ?

 15   R.  Si.

 16   Q.  Mais les Serbes étaient au front et ils avaient besoin de tous les

 17   hommes sur qui ils pouvaient mettre la main ?

 18   R.  Bien, ils n'avaient pas besoin de moi.

 19   Q.  Je vois. C'est pour ça qu'ils vous ont laissé partir et qu'ils vous ont

 20   arrêté, donc c'est pour ça, et pas parce que vous aviez un fusil-

 21   mitrailleur; c'est ça ?

 22   R.  Mais ils nous ont laissé partir -- ils ont licencié tout le monde.

 23   Q.  Et votre frère ?

 24   R.  Mais lui aussi il a été licencié. Après, il y a eu ces obligations de

 25   travail qui étaient imposées à tous.

 26   Q.  Monsieur Zulic --

 27   R.  Laissez-moi finir. J'attends que les interprètes finissent

 28   d'interpréter, mais moi aussi j'ai quelque chose à dire. Donc c'étaient des

Page 1108

  1   obligations de travail, et tout le monde devait se présenter pour creuser

  2   des tranchées, par exemple, pour faire ce dont avait besoin les combattants

  3   serbes, couper du bois, par exemple. C'est ce que j'ai appris après la

  4   guerre. Je tiens à le préciser. C'est ce que j'ai appris une fois la guerre

  5   terminée. Ce qui veut dire que ces gens, en général, ils étaient

  6   surveillés, ils étaient surveillés quand ils se rendaient sur place par la

  7   police ou les soldats serbes.

  8   Q.  Monsieur Zulic, je crains fort que nous n'allons pas terminer ce

  9   contre-interrogatoire même si on me donnait une semaine. Je dois préciser.

 10   Votre frère, est-ce qu'il a été enlevé de chez lui ou est-ce qu'il devait

 11   aller sous escorte de la police de chez lui à la mine ?

 12   R.  Jamais il n'est allé travailler seul.

 13   Q.  Alors qu'est-ce qui s'est passé ?

 14   R.  Il est allé avec d'autres Serbes.

 15   Q.  Vous voulez parler de ses voisins serbes ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Mais est-ce qu'il était escorté par la police ou par l'armée ou est-ce

 18   qu'il y avait une patrouille de police qui l'escortait chaque fois pendant

 19   le trajet ?

 20   R.  Il y avait toujours un Serbe qui l'accompagnait au travail et quand il

 21   en revenait. Je ne sais pas ce qu'il était exactement, ce Serbe. En tout

 22   cas, c'est ce qui m'a été dit. C'est le récit qui m'a été fait et que je

 23   vous transmets maintenant ici.

 24   Q.  Merci.

 25   Vous avez parlé d'un certain Simo Simetic ?

 26   R.  Effectivement.

 27   Q.  Dans ce contexte, vous avez aussi évoqué un policier qui a aidé les

 28   Musulmans. Comment s'appelait-il ? Milan Tontic ou Tonci ?

Page 1109

  1   R.  Moi, je le connaissais sous le sobriquet de Tonci.

  2   Q.  Et si on vous montrait une photo de cet homme, le reconnaîtriez-vous ?

  3   R.  C'est bien possible si c'était une photo prise à l'époque.

  4   L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce que nous avons une photographie de cet

  5   homme ? Il s'agit du document 1D27. Peut-on afficher cette photo à l'écran.

  6   Vos Excellences, il y a un certain doute ici. Nous ne savons pas si c'est

  7   disponible, en effet, car il y a certains documents qui n'ont pas pu être

  8   saisis dans le prétoire électronique par erreur.

  9   M. LE JUGE KWON : [aucune interprétation]

 10   M. KARADZIC : [interprétation]

 11   Q.  Est-ce bien l'homme en question ?

 12   R.  Je ne saurais vous le dire.

 13   [Le conseil de la Défense se concerte]

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne le reconnais pas. Il a l'air beaucoup

 15   plus âgé.

 16   M. KARADZIC : [interprétation]

 17   Q.  Mais est-ce que ça ressemble à l'homme que vous  connaissiez ?

 18   R.  Pas vraiment. Je pense qu'il avait une coupe de cheveux tout à fait

 19   différente à l'époque.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Voyons le document 1D24. Là, le document 1D24

 21   c'est une version papier.

 22   M. KARADZIC : [interprétation]

 23   Q.  Mais en attendant, vous avez confirmé hier que Tonci était en vie,

 24   alors que dans votre déclaration, vous dites que des Serbes l'ont tué -- ou

 25   plus exactement, au cours d'une déposition, vous avez dit qu'il avait été

 26   tué par des Serbes parce qu'il avait aidé les Musulmans ?

 27   R.  Voici ce que j'ai dit. J'ai dit que j'avais entendu dire qu'il avait

 28   été tué. Mais je ne l'ai pas confirmé. Je ne sais pas s'il est en vie ou

Page 1110

  1   pas. Il m'est impossible d'apporter une confirmation. J'ai dit que j'avais

  2   entendu dire qu'il avait été tué. C'est ce que j'avais entendu dire. Si

  3   vous dites qu'il est en vie, tant mieux.

  4   Q.  Paragraphe 63 de votre déclaration consolidée, la pièce 717, paragraphe

  5   18, mais aussi lorsque vous avez déposé dans le procès Milosevic, page du

  6   compte rendu 6 972, il est dit que le policier Tonci avait aidé les

  7   Musulmans et qu'il était le seul à ne pas les avoir battus, et c'est pour

  8   ça qu'il n'est plus en vie. C'est bien ce que vous avez affirmé ?

  9   R.  C'est ce que j'avais entendu dire, et c'est pour cela que j'avais

 10   déclaré ce que j'ai déclaré.

 11   Q.  Je pense que nous avons maintenant le document 1D24. Il s'agit d'un

 12   document qui confirme que Tonci est toujours en vie. Nous avons ici un

 13   extrait de l'état civil de Banja Luka qui montre qu'il est manifestement en

 14   vie et qu'il réside à Banja Luka.

 15   R.  J'en suis ravi. Je viens de vous dire qu'on m'avait dit après la guerre

 16   qu'il avait été tué. Je n'avais reçu aucune information disant le

 17   contraire. Si j'avais su qu'il était en vie, je lui aurais rendu visite,

 18   Madame et Messieurs les Juges.

 19   Q.  Monsieur Zulic, ne m'en voulez pas. Tout ce que je dis c'est que vos

 20   déclarations sont un peu trop péremptoires. Vous affirmez des choses qu'il

 21   vous est impossible de savoir. Votre déclaration dit quelque chose de tout

 22   à fait différent.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Dans sa déclaration, le témoin mentionne

 24   Tonci, un policier serbe, mais quand on voit le nom de la personne dont on

 25   a vu la photo, il s'agit d'un M. Tontic. C'est la raison dont je le lis

 26   tout du moins. Alors est-ce qu'il s'agit de la même personne ou pas ?

 27   L'ACCUSÉ : [interprétation] Tonci c'est un surnom, si vous voulez, ce n'est

 28   pas un patronyme. Chez nous, en général, on prend le patronyme pour faire

Page 1111

  1   un surnom, un sobriquet. La plupart d'entre nous porte un sobriquet. Et en

  2   général, il parle du patronyme, pas du prénom. Il n'y avait pas d'autres

  3   policiers dont le nom, le patronyme, aurait commencé par la syllabe "Ton."

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Etait-ce une question que vous me posiez ?M.

  5   KARADZIC : [interprétation]

  6   Q.  Non, non, c'était une explication que je voulais donner aux Juges.

  7   L'ACCUSÉ : [interprétation] Nous n'avons plus besoin de ce document.

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Fort bien. Poursuivons.

  9   M. KARADZIC : [interprétation]

 10   Q.  Monsieur Zulic, je voudrais maintenant vous soumettre quelques

 11   éléments. Je ne tiens pas à vous perturber, ce ne sont pas des accusations

 12   que je porte contre vous. Répondez simplement par oui, par non ou par je ne

 13   sais pas. Inutile de parcourir tous ces éléments aujourd'hui, mais il faut

 14   établir les faits. Je vais vous dire comment nous, nous voyons les choses,

 15   et vous répondrez par oui, par non ou par je ne sais pas.

 16   Pendant l'année 1991, et surtout pendant les six premiers mois de cette

 17   année-là, et ceci, jusqu'en mai 1992, au niveau de la république, mais

 18   aussi des municipalités, des négociations ont été menées sur la

 19   transformation qu'allait vivre la Bosnie-Herzégovine dans l'attente de sa

 20   reconnaissance; oui ou non ?

 21   R.  Je ne sais pas ce que vous voulez dire par "transformation." Est-ce que

 22   vous auriez l'obligeance de répéter votre question ou de la formuler dans

 23   un autre contexte.

 24   Q.  Monsieur Zulic, les Serbes, ils avaient accepté que toute la Bosnie ne

 25   fasse plus partie de la Yougoslavie, qu'elle se sépare, acceptant la

 26   proposition faite par la communauté internationale qui disait qu'il y

 27   aurait désormais trois cantons sur une base ethnique, surtout en Bosnie.

 28   C'est un accord qui a été confirmé en 1992. Mais parallèlement s'était

Page 1112

  1   instauré un processus de négociations sur la façon de transformer les

  2   municipalités, ces pourparlers furent longs, et ils portèrent leurs fruits

  3   pendant tout un temps, notamment, à Sanski Most. Ils portaient sur la

  4   formation de deux municipalités, l'une serait serbe, l'autre musulmane. Et

  5   comme je vous disais, ces pourparlers ont duré assez longtemps.

  6   R.  Je ne savais pas qu'ils étaient en train de discuter de quelque chose.

  7   Ils parlaient bien de quelque chose dans la municipalité. Peut-être ils

  8   parlaient de sa division. Peut-être que ça s'est passé le 18 mars, mais je

  9   ne me souviens plus de la date. Il m'est impossible de la confirmer. Je

 10   sais qu'il y avait des pourparlers qui étaient menés.

 11   Q.  Merci. Vous avez dit que les Serbes avaient pris le pouvoir, avaient

 12   pris le contrôle de Sanski Most en 1990, et qu'en 1992 ils étaient

 13   puissants à tous égards. Ils étaient forts. Ils détenaient plus de pouvoir

 14   que n'en détenaient les Musulmans. Et les Serbes avaient insisté pour que

 15   les Musulmans, eux aussi forment leur municipalité à Sanski Most.

 16   R.  Je ne sais pas s'ils ont persisté ou pas. Je sais qu'il y a eu des

 17   négociations portant sur une éventuelle division. Je sais en tout cas que

 18   les forces de police ont été divisées à Sanski Most. Je le dis d'ailleurs

 19   dans une de mes déclarations préalables.

 20   Q.  D'accord. Voyons maintenant le compte rendu d'audience ou plus

 21   exactement le procès-verbal d'une séance du conseil du SDA à Sanski Most,

 22   qui va nous montrer qu'il y avait négociation et qui va nous montrer

 23   l'objet de ces négociations. Il s'agit du document D1 -- ou plus

 24   exactement, 1D9. Voici le document que j'aimerais qu'on affiche. Je crois

 25   que c'est affiché maintenant à l'écran.

 26   Cette réunion s'est tenue le 16 mars 1992. A cette date-là à Sarajevo, il y

 27   avait des négociations très intensives qui allaient se terminer en mars,

 28   plus exactement, le 18 mars 1993, avec ce fameux accord de Lisbonne, ce qui

Page 1113

  1   revenait à accepter le plan Cutileiro. Est-ce que j'ai dit 1992 ou 1993 ?

  2   Ça devrait être 1992, en tout cas.

  3   C'est le président du SDA de Sanski Most, M. Redzo Kurbegovic, qui préside.

  4   Sont invités à cette réunion les responsables du SDA de Sanski Most, le

  5   secrétaire -- attendez. On me dit de ralentir lorsque je lis. Et du centre

  6   de Sarajevo avait été envoyé Osman Brka. Vous avez entendu parler de lui ?

  7   R.  Non.

  8   Q.  C'était un haut responsable du SDA ?

  9   R.  Mais à quel niveau ? Je veux dire, à quelle hauteur ? Un mètre, 2

 10   mètres, 3 mètres ?

 11   Q.  Vous êtes très intelligent. Vous avez beaucoup d'humour.

 12   R.  Je ne sais pas quelle était sa taille.

 13   Q.  Mais vous connaissez Redzo, n'est-ce pas ?

 14   R.  Oui, je le connais.

 15   Q.  Vous voyez l'ordre du jour, information sur la situation actuelle en

 16   matière de sécurité et pour ce qui est de la situation politique sur le

 17   territoire de la république, et le fonctionnement du SDA. Alors, est-ce que

 18   c'est vous qui allez lire ce texte ?

 19   R.  Mais on est ici pour quoi faire ? Pour faire de la politique ? Monsieur

 20   le Président, Madame, Messieurs les Juges, ça fait je ne sais combien de

 21   fois que je dis que je n'ai aucune connaissance politique et que je ne me

 22   suis jamais occupé de politique.

 23   Q.  Merci.

 24   R.  Les gens que je connais, je peux en parler. Ceux que je ne connais pas,

 25   je n'en parlerai pas.

 26   Q.  Merci.

 27   R.  Mais qu'est-ce qui se passe là ? Je vois le mois de mars, on

 28   m'interroge sur le mois de mars. A ce moment-là, on avait qu'un droit,

Page 1114

  1   c'était d'aller au travail et rentrer tout droit et écouter la radio pour

  2   entendre les informations officielle. Voilà les informations que je

  3   recevais. Pour le reste, je ne sais rien.

  4   Q.  Merci, Monsieur Zulic. Maintenant, il faut que nous tirions au clair un

  5   certain nombre de points que vous-même avez introduits dans le débat. Qui a

  6   limité votre liberté de circulation en mars

  7   1992 ?

  8   R.  Les Serbes.

  9   Q.  Mais savez-vous qu'à l'époque, le président de la présidence de Bosnie-

 10   Herzégovine était Alija Izetbegovic; que le ministre des Affaires

 11   étrangères était un Musulman, Alija Delimustafic; que le ministre de la

 12   Défense était Jerko Doko; que le chef de la police de Sanski Most était M.

 13   Burnic; que le chef de la Défense territoriale était un Musulman aussi,

 14   Halilovic. Donc qui est-ce qui vous a limité votre liberté de déplacement

 15   au mois de

 16   mars ? La Yougoslavie existait encore à l'époque. La Bosnie fait partie de

 17   la Yougoslavie à ce moment-là. Alors, qui a restreint votre liberté de

 18   circulation en mars 1992 ?

 19   R.  Les Serbes.

 20   Q.  Quels Serbes, et de quelle façon ?

 21   R.  Très facilement. A partir du mois de janvier 1992, à tous les postes de

 22   contrôle - et d'ailleurs, cela figure, Monsieur le Président, Madame,

 23   Messieurs les Juges, dans ma déclaration écrite - à tous les postes de

 24   contrôle, il y avait des soldats serbes qui étaient là, debout, et qui

 25   arboraient toutes sortes d'uniformes. Ils exigeaient que l'on produise ses

 26   papiers d'identité, et s'ils voyaient que vous étiez Musulman, ils vous

 27   fouillaient et procédaient à une inspection plus détaillée. S'ils voyaient

 28   à la carte d'identité que la personne concernée était un Serbe, ils la

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  1   laissaient passer. Voilà comment ils fouillaient les voitures et tout le

  2   reste. Ils vous demandaient : Où est-ce que vous allez ? Et si c'était un

  3   véhicule de particulier, ils renvoyaient le véhicule et son chauffeur à la

  4   maison. Si c'était une voiture de fonction et que la personne se déplaçait

  5   pour son travail, elle l'a laissait passer mais disait : Vous devez revenir

  6   dans dix minutes exactement. Et réellement, il était impossible d'aller de

  7   l'autre côté. Tous les noms qui viennent d'être énumérés, je savais

  8   qu'Enver était chef de la police, mais il n'avait rien à dire, il n'avait

  9   aucun droit de parole à cette époque-là. Il ne jouait aucun rôle. Je ne

 10   vois pas pourquoi il me pose ces questions, quand j'ai dit clairement dans

 11   ma déclaration écrite que la situation était déjà ainsi au début du mois de

 12   janvier 1992. M. Karadzic insiste pour dire que la Republika Srpska

 13   fonctionnait sur certains territoires de façon complète, et le 8 mars est

 14   toujours fêté comme la fête de la Republika Srpska.

 15   Q.  Je vous remercie. Nous allons revenir sur cette déclaration. Mais je

 16   dois répondre à un point. La Republika Srpska ne fonctionnait pas avant le

 17   début de la guerre, et nous allons le prouver. Je voulais simplement être

 18   précis au sujet de ce que vous dites dans votre déclaration. Tout

 19   élargissement dû à vous me pose de nouveaux défis et m'impose de vous poser

 20   des questions supplémentaires. Mais revenons sur votre déclaration écrite.

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, je vous en prie, ne

 22   perdez pas de vue que ce n'est pas vous qui témoignez. Donc contentez-vous

 23   de poser les questions au témoin, je tiens compte du temps également.

 24   Concentrez-vous sur les questions les plus importantes. Je vous en prie,

 25   veuillez procéder.

 26   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Excellence. Je n'avais pas

 27   l'intention de poser le moindre problème --

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez poursuivre.

Page 1116

  1   L'ACCUSÉ : [aucune interprétation]

  2   M. KARADZIC : [interprétation]

  3   Q.  Revenons sur le paragraphe 9 de votre déclaration écrite. Je cite :

  4   "A partir de 1992, la police militaire tenait les postes de contrôle et il

  5   n'y avait plus de Musulmans parmi ces policiers militaires. S'ils

  6   arrêtaient un Serbe, ils ne le fouillaient pas, et se contentaient de le

  7   laisser passer mais ils fouillaient les Musulmans. Ils fouillaient leurs

  8   voitures, et cela m'est arrivé à plusieurs reprises."

  9   Et le reste est expurgé. Monsieur, c'est seulement lorsque la guerre a

 10   éclaté, donc à partir du 6 avril, selon votre déclaration, que, je cite,

 11   "il n'y a plus eu de postes de contrôle mixtes." Jusqu'au 6 avril, les

 12   patrouilles et les postes de contrôle qui étaient organisés par Enver

 13   Burnic étaient mixtes, et on y trouvait souvent davantage de Musulmans que

 14   de Serbes dans ces patrouilles; c'est bien cela ?

 15   R.  Non, ce n'est pas cela. Je sais qu'il n'y avait qu'un seul Musulman à

 16   Pobrijezje. D'après ce que je sais, il n'y avait qu'un seul Musulman à

 17   partir de 1991. C'était Hajro Oknic; donc un seul Musulman à un poste de

 18   contrôle ou quoi que ce soit, quel que soit le nom que vous lui donnez à

 19   cette chose-là. Est-ce que vous étiez, vous, à Sanski Most ? Est-ce que

 20   vous connaissez mieux la situation que moi ? Enes Burnic, vous avez dit que

 21   c'est lui qui organisait les patrouilles. Enes Burnic n'avait rien à voir

 22   avec tout cela. Personne ne lui a demandé quoi que ce soit. C'est Brane

 23   Sobot qui faisait tout ce qu'il y avait à faire. Après la guerre, on a

 24   découvert qui prenait les décisions.

 25   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Sutherland.

 26   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Monsieur le Président, c'est une question

 27   de procédure pour l'accusé. Le reste de ce paragraphe 9 a été expurgé, donc

 28   il y a trois autres expurgations également dans la déclaration écrite du

Page 1117

  1   témoin. Si l'accusé souhaite passer à huis clos partiel pour discuter des

  2   passages expurgés, c'est possible. Le document expurgé, le document 65 ter

  3   numéro 90111A --

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous voyez le document qui est sur

  5   l'écran ?

  6   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Oui.

  7   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il a été expurgé.

  8   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Je dis simplement que si l'accusé

  9   souhaite discuter des questions qui font partie des passages expurgés, il

 10   doit demander à passer à huis clos partiel, et nous pourrons nous pencher

 11   sur la pièce P717. P718 étant la version publique du document.

 12   J'avertissais simplement l'accusé par rapport à ce problème, parce que je

 13   pense qu'il ne peut pas s'occuper d'un document qui comporte des

 14   expurgations.

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je pense qu'il a compris. Je vous

 16   remercie de votre intervention.

 17   Veuillez poursuivre, Monsieur Karadzic.

 18   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Madame Sutherland. Mais je

 19   n'avais pas besoin imminent de ces passages, ce passage expurgé n'ayant pas

 20   grand-chose à voir avec le sujet qui m'intéresse. Je souhaitais donc éviter

 21   de passer à huis clos partiel.

 22   M. KARADZIC : [interprétation]

 23   Q.  Bien. J'aimerais maintenant que nous reparlions de cette réunion du SDA

 24   du 16 mars 1992. Je pense qu'il est tout à fait clair que jusqu'au mois

 25   d'avril - et d'ailleurs, c'est ce que vous affirmez dans votre déclaration

 26   - les patrouilles étaient mixtes. Nous pouvons donc passer à autre chose, à

 27   moins que vous ne souhaitiez continuer sur ce sujet. Mais voyons cette

 28   réunion qui est évoquée en page 2 du document.

Page 1118

  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Dont je demande l'affichage sur les écrans.

  2   1D9, page 2. C'est le document précédent. 1D9.

  3   M. KARADZIC : [interprétation]

  4   Q.  Je vais me contenter de lire quelques passages. Nous lisons donc dans

  5   ce texte que : 

  6   "Tout ce qui s'est passé ne pouvait pas ne pas se passer. M. Osman

  7   Brka déclare : "Je dois dire que tout cela était inévitable."

  8   Il dit qu'"il s'agit d'un éveil du peuple musulman qui est en plein essor,

  9   et il dit qu'avec l'aide d'Allah, il est très important -- avec l'aide

 10   d'Alija Izetbegovic également, il est très important d'agir, car nous

 11   sortirons en vainqueurs pleins et entiers de ce chaos."

 12   Et un peu plus loin dans le texte, il dit : "Il y aura de nouvelles

 13   victimes et il y aura des delaja [phon], mais en contrepartie, nous

 14   recevrons ce que nous voulons."

 15   Et un peu plus loin, il dit :

 16   "Alija Izetbegovic, Silajdzic, gèrent très bien la situation."

 17   Et maintenant, je demande l'affichage de la page suivante. La voici à

 18   l'écran. Peut-on déplacer un peu la version serbe. Bien.

 19   Donc c'est M. Brka qui dit qu'"il est important de s'organiser pour

 20   arriver au moment où l'armée sera notre armée légale. Jusqu'à ce moment-là,

 21   il faut que nous gagnions du temps en temporisant."

 22   Et un peu plus loin dans le texte, Salim Sabic déclare :

 23   "Je crois que nos gens à nous sont très bien organisés. Je crois que

 24   lorsque la situation devient difficile, notre peuple sait comment réagir.

 25   Nous avons accepté la proposition de signer une déclaration relative au gel

 26   de toutes les activités qui ont un rapport avec la proclamation de la

 27   municipalité serbe ou de la municipalité musulmane. Nous ne devons pas

 28   faire confiance, et cetera, et cetera."

Page 1119

  1   Je demande maintenant l'affichage de la page 3 de la version serbe. Page 3.

  2   Voilà. Donc Salim Sabic. Passons à la page 3, quoi qu'il en soit. Page 3,

  3   s'il vous plaît. Donc nous sommes au niveau des propositions, je cite :

  4   "Contacter le chef de la police, le commandant de la Défense

  5   territoriale, obtenir des armes pour les unités."

  6   Comme nous le savons, le chef de la police est M. Enver Burnic, celui

  7   dont vous dites qu'on ne lui demandait rien. Or, il est indiqué ici qu'il

  8   effectuait un certain nombre de tâches pour le travail. Et le commandant de

  9   la Défense territoriale est également Musulman. Osman Djukanovic, dans

 10   cette même page, déclare :

 11   "Je me suis mis d'accord avec le commandant pour que," puis il y a des mots

 12   illisible, "et il a dit que nous ne pouvions compter que sur

 13   l'autodéfense."

 14   Ensuite, nous voyons responsable de Vrhpolje, Kijevo et Capljina,

 15   "Emir et Haso." Pour Husinovci, le commandant P. Ibro, je ne sais pas ce

 16   que ça veut dire, est responsable. Pour Trnovo et Sehrevci, c'est quelqu'un

 17   d'autre qui est responsable -- enfin, le texte manuscrit est très difficile

 18   à lire. Mais quoi qu'il en soit, Monsieur, ce que je tiens à vous dire -

 19   peut-être ne savez-vous pas, dans ce cas-là il est tout à fait important

 20   que vous disiez : je sais, je ne sais pas, je confirme, j'infirme ou je

 21   n'ai absolument pas la moindre idée - le 16 mars, le SDA est en train de

 22   mettre au point un certain nombre de solutions destinées à ce que les

 23   Musulmans sortent vainqueurs de cette situation, grâce à l'accord de

 24   Lisbonne, et cetera, oui ou non ?

 25   R.  Je ne sais pas ce dont ils étaient en train de discuter. Je dois

 26   répéter encore une fois, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les

 27   Juges, que je ne suis pas expert en politique. J'ai dit cela hier. Je

 28   n'arrête pas de le dire. Je ne suis pas un spécialiste de la politique. Et

Page 1120

  1   alors, on me présente les choses de cette façon, je suppose que cela veut

  2   dire que nous, les Musulmans, aurions dû peut-être ne rien faire, baisser

  3   les bras, attendre qu'on nous égorge, parce qu'en décembre 1991, aux

  4   environs de Sanski Most -- enfin, Sanski Most est dans une vallée. La JNA

  5   avait déjà pris des positions d'artillerie tout autour de Sanski Most, ce

  6   qui veut dire, je suppose, qu'elle a réagi à la situation telle qu'elle

  7   était. Je ne sais pas, mais je suppose. Je ne sais pas ce qu'elle fait, ce

  8   que les uns ou les autres ont fait, je ne sais pas ce qui est écrit ici,

  9   qui a signé un accord avec qui, je ne sais pas. Mais je peux dire qu'Enver

 10   Burnic était le chef de la police et que cet autre dont on a parlé, Nijaz,

 11   était le commandant de la Défense territoriale. Je sais que Nijaz a été

 12   désarmé le 18 avril 1992. Ça je le sais. Et Enver Burnic a été désarmé le

 13   18 avril 1992. Je le sais parce qu'ils travaillaient tous les deux avec moi

 14   à Betonirka. Donc c'est à cause de cela que je l'ai su. Maintenant, ce sur

 15   quoi ils se sont mis d'accord, je ne saurais pas vous le dire.

 16   Q.  Très bien. Très bien. Quelle est la distance qui sépare la Croatie de

 17   Sanski Most à vol d'oiseau ?

 18   R.  A vol d'oiseau, bien, je ne sais pas vraiment. Quand on prend l'avion,

 19   on ne le dit pas. Et quand je prends la voiture, c'est à peu près 90

 20   kilomètres.

 21   Q.  Vous voulez dire lorsque vous longez la vallée de la Sana, en passant

 22   par Bosanski Dvor, par ce chemin-là ?

 23   R.  Je ne sais pas. En général, je prends la route de Kostajnica.

 24   Q.  Elle est plus courte, ça va plus vite ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  A cette époque où la guerre faisait rage en Croatie, Sanski Most était

 27   pratiquement le premier point en arrière pour la Croatie, n'est-ce pas ?

 28   R.  Oui, ça je le sais.

Page 1121

  1   Q.  Je vous remercie. Maintenant, Enver Burnic, l'homme dont vous avez

  2   parlé, est-ce qu'il était membre de la Ligue patriotique ?

  3   R.  Je ne sais pas. Je ne le sais pas, parce que je n'ai jamais été membre

  4   de quelque ligue que ce soit, et c'est ce que je m'efforce de vous dire. Je

  5   n'ai fait partie d'aucune représentation politique ou autre --

  6   Q.  Merci. Merci. Ce n'est pas ce que je prétendais. Alors, dites-moi la

  7   chose suivante : est-ce que la Ligue patriotique avait une section à Sanski

  8   Most ?

  9   R.  Je ne sais pas. Je ne sais pas parce que --

 10   Q.  Merci. Merci.Est-ce que vous saviez que la décision de créer la Ligue

 11   patriotique a été prise le 31 mars 1991 ?

 12   R.  Je ne sais pas.

 13   Q.  Très bien. Très bien. Cela me suffit.

 14   R.  Je ne sais pas. C'est la première fois que j'entends cela.

 15   Q.  Bon, c'est la première fois. Est-ce que vous avez entendu dire que la

 16   Ligue patriotique a commencé à exister à ce moment-là ?

 17   R.  J'ai entendu qu'il était question d'existence de la Ligue patriotique

 18   après la guerre quand je suis rentré à la maison. C'est à ce moment-là que

 19   j'ai entendu parler de la Ligue patriotique et de son existence.

 20   Q.  Oui, je vous remercie, je vous remercie. Alors, j'attends que les

 21   interprètes rattrapent.

 22   L'ACCUSÉ : [interprétation] Et je demande l'affichage du document 1D11.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Après l'examen de ce document, nous

 24   allons prendre la pause.

 25   M. KARADZIC : [interprétation]

 26   Q.  Nous voyons le document à l'écran. C'est un document qui a été émis par

 27   le tribunal municipal de Sanski Most en 1997, plus précisément à la date du

 28   14 juillet 1997, autrement dit à une date où Sanski Most faisait partie de

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  1   la fédération. Et nous parlons bien ici des autorités musulmanes, n'est-ce

  2   pas ?

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Je ne veux pas tout lire, mais je cite des passages. Vous pouvez

  5   vérifier en lisant le texte vous-même. Donc sont déclarés comme décédés,

  6   Burnic Enver, fils de Mustafa et de Fatima; c'est bien ce qui est écrit,

  7   n'est-ce pas ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Et Mme Burnic a soumis une proposition à ce tribunal pour obtenir un

 10   jugement de proclamation du décès de son époux. Selon ce qu'elle dit, après

 11   l'agression contre la Bosnie-Herzégovine, son mari était chef de la police

 12   de Sanski Most, comme il l'était déjà avant, et a eu un rôle important à

 13   jouer dans la défense de son pays -- on me demande de ralentir, mais je

 14   crois qu'il y a la traduction à l'écran. Quoi qu'il en soit, en sa qualité

 15   de chef de la police de Sanski Most, il a eu un rôle important à jouer dans

 16   la défense de son pays. Il a refusé de céder à l'ultimatum du SDA en

 17   décidant de rester fidèle aux autorités serbes, et cetera. Il est écrit que

 18   le SDS est fasciste, donc vous voyez, on nous appelait déjà des fascistes.

 19   Et un peu plus loin, on lit que des témoins vont attester du fait qu'Enver

 20   Burnic avait des idées patriotiques très clairement déclarées. Et au milieu

 21   du paragraphe, nous voyons qu'il a agi de façon importante pour préparer

 22   une résistance armée face à l'agresseur et que sur son uniforme et son

 23   couvre-chef il a accroché l'insigne de la Ligue patriotique, donc l'insigne

 24   à la fleur de lys.

 25   Est-ce qu'il vous apparaît clairement que la Ligue patriotique existait

 26   puisqu'elle avait déjà son insigne et qu'Enver Burnic a placé cet insigne

 27   sur son couvre-chef en sa qualité de chef de la police de la force

 28   policière conjointe et que c'est en arborant cet insigne qu'il circulait

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  1   dans les rues de Sanski Most ?

  2   R.  Bien, je ne vois pas avec quoi je peux être d'accord ou pas d'accord.

  3   Est-ce que c'est cela que vous me demandez, si je suis d'accord ? Comment

  4   est-ce que je peux être d'accord, alors que je n'ai jamais vu Enver porter

  5   ce genre de couvre-chef ? J'ai vu Enver à Betonirka; quand on m'y a emmené,

  6   il y était déjà. Il était en chaussures de sport et il avait un vague tee-

  7   shirt sur le dos. C'est tout ce que je sais. Si quelqu'un écrit ce qui est

  8   écrit ici, ce n'est pas mon problème et il ne m'appartient pas d'en

  9   répondre. Je ne sais pas ce que je pourrais dire à ce sujet. Je ne saurais

 10   pas commenter. Tout ce que je peux dire c'est à quoi ressemblait Enver

 11   quand je l'ai rencontré à mon arrivée. Est-ce qu'il portait un couvre-chef

 12   ou un chapeau, je ne sais pas, mais il aurait bien aimé sans doute porter

 13   n'importe quoi sur la tête s'il l'avait pu, même des cornes.

 14   Q.  Je vous remercie. Au paragraphe 54 de votre déclaration --

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous allons faire une pause de 20

 16   minutes.

 17   Nous reprendrons donc nos travaux dans 20 minutes, et vous aurez 30

 18   minutes pour conclure votre contre-interrogatoire.

 19   --- L'audience est suspendue à 10 heures 23.

 20   --- L'audience est reprise à 10 heures 49.

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur Karadzic.

 22   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

 23   M. KARADZIC : [interprétation]

 24   Q.  Monsieur Zulic, j'espère que je n'aurai pas à demander du temps

 25   supplémentaire à la Chambre de première instance ou demander que vous

 26   reveniez un autre jour. Essayez de répondre par oui ou par non. Si vous le

 27   faites, nous pourrions peut-être terminer dans les temps. Nous parlons

 28   maintenant d'Enver Burnic. A Betonirka, pendant le temps de votre

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  1   détention, vous a-t-il parlé de ce qui fait l'objet de ce procès-verbal ?

  2   R.  Non.

  3   Q.  Merci. Dans bon nombre de villages autour de Sanski Most, est-ce que ce

  4   sont des villages musulmans ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Est-ce qu'il y a eu des combats dans ces villages ?

  7   R.  Oui. A Vrhpolje oui, mais pas ailleurs.

  8   Q.  Est-ce qu'il y a eu des combats à Hrustovo ?

  9   R.  Non. Pas à ma connaissance, du moins.

 10   Q.  Je vois. Je vais vous présenter ma théorie. Vous direz oui ou non. A

 11   Sanski Most, un grand nombre de villages avaient une population mixte. A

 12   Tomina c'était 50/50, Serbes et Musulmans, et à Tomina il n'y a pas eu de

 13   combats, n'est-ce pas ?

 14   R.  C'est exact.

 15   Q.  La mosquée n'a pas été détruite. Personne n'a été dérangé. Tout le

 16   monde -- ou plus exactement, les Musulmans ont continué de vivre là, pas

 17   les Serbes ?

 18   R.  Tous les Musulmans ont été expulsés, chassés de Tomina en 1992. La

 19   mosquée de Tomina a bien été détruite. Donc ce que vous dites n'est pas

 20   exact.

 21   Q.  Mais écoutez, nous allons apporter des éléments de preuve à ce propos

 22   plus tard. Nous avons aussi Zemina et sa déclaration dans laquelle elle

 23   évoque ces événements.

 24   Est-il vrai de dire que le conflit s'est concentré autour de Vrhpolje, de

 25   Hrustovo, de quatre villages en fait, Mahala, Vrhpolje, Hrustovo, et quel

 26   était le quatrième ? Un instant, s'il vous plaît. Pourriez-vous nous dire

 27   dans quel village il y a eu des

 28   affrontements ?

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  1   R.  Madame et Messieurs les Juges, je dois vous expliquer quelque chose. Il

  2   n'y a pas eu de conflit à Vrhpolje. A partir de Vrhpolje vers le haut, là

  3   il n'y a pas eu d'affrontements entre la TO et les formations

  4   paramilitaires. Il n'y a pas eu d'affrontements à Vrhpolje, pas plus qu'à

  5   Hrustovo, mais au-dessus de Vrhpolje il y a un autre lieu où étaient

  6   concentrés ces groupes, les groupes musulmans qui essayaient d'opposer une

  7   résistance. Mais à Vrhpolje et à Hrustovo, dans ces villages-là, il n'y a

  8   pas eu de combats. Je viens de me souvenir de l'autre endroit. C'est

  9   Galaja, donc à l'extérieur du village. C'est plus éloigné.

 10   Q.  Merci, Monsieur Zulic. Revenons au village de Hrustovo.

 11   L'ACCUSÉ : [interprétation] Peut-on afficher le document 1D30. Il a déjà

 12   été affiché, peut-être le remontrer.

 13   M. KARADZIC : [hors micro]

 14   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Branchez votre micro, Monsieur Karadzic,

 15   s'il vous plaît. Votre micro a été débranché.

 16   L'ACCUSÉ : [interprétation] Excusez-moi.

 17   Page 3. Non, ce n'est pas la page 3. Enfin, si, vers la fin de la page 3,

 18   il est dit que :

 19   "En plus de la présence de plus en plus importante d'unités régulières de

 20   l'ex-JNA."

 21   Nous sommes d'accord pour dire qu'elle a existé jusqu'au 19 mai, la JNA,

 22   n'est-ce pas ?

 23   R.  Non, non, je n'ai pas dit que j'étais d'accord.

 24   Q.  Mais c'est un fait de notoriété publique, n'est-ce pas ?

 25   "A l'initiative de certains individus du SDA, il y a eu rassemblement

 26   d'unités, de petites unités d'assaut surveillées par les Bérets verts. Ça a

 27   commencé dans la ville même, puis à Vrhpolje, Trnovo, Hrustovo, et une

 28   partie de Kamengrad, il y a eu intervention d'une telle unité."

Page 1126

  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Peut-on maintenant afficher la page 5. Nous

  2   avons maintenant la page 5.

  3   M. KARADZIC : [interprétation]

  4   Q.  C'est le troisième paragraphe, fin de page. 

  5   "Ça voulait dire que c'était le début de toute tentative de l'ennemi

  6   pour prendre le contrôle du village de Hrustovo et Vrhpolje. Parallèlement,

  7   à ce moment-là, il y a des activités d'artillerie fréquentes contre les

  8   villages de plusieurs positions tenues par l'agresseur. Les lignes de

  9   défense de l'unité de Vrhpolje étaient établies près du pont de Vrhpolje -

 10   et près du pont de Vrhpolje, c'est bien cela - et à cette date-là,

 11   l'agresseur ne pouvait pas y parvenir par une tactique d'affaiblissement

 12   des lignes et d'attaques fréquentes de l'artillerie, et a essayé chaque

 13   jour de réduire la résistance des défenseurs. En plus d'une partie de

 14   l'unité qui assurait la sécurité du pont de Vrhpolje, une partie de l'unité

 15   était stationnée dans les forêts de Vrhpolje, à Galaja, où il y avait les

 16   conditions nécessaires pour l'existence et la formation des unités de

 17   terrain qui avaient été créées."

 18   L'ACCUSÉ : [interprétation] Pourrait-on maintenant avoir le document 1D --

 19   ou plutôt, avant de passer à cet autre document, intéressons-nous à la page

 20   -- ou plutôt, au paragraphe 32 de votre déclaration consolidée. C'est là

 21   que vous dites que le 27 mai 1992, l'armée régulière et les réservistes

 22   avaient rassemblé la population de Mahala sur le terrain de football de

 23   Krkojevci. La population du Muhic avait été rassemblée sur le terrain de

 24   l'école de conduite qui se trouve sur la route allant à Kljuc, et cetera."

 25   "La population de Mahala a été priée de quitter son domicile afin que les

 26   forces serbes puissent s'occuper des Bérets verts. Ce même jour, j'ai aussi

 27   entendu dire par la radio que les Bérets verts avaient attaqué les forces

 28   serbes à Hrustovo. Mais ce n'était tout simplement pas vrai."

Page 1127

  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Nous avons maintenant le document 1D15, nous

  2   avons la liste des combattants serbes tués à Hrustovo.

  3   M. KARADZIC : [interprétation]

  4   Q.  A Hrustovo, des hommes sont tombés au combat, et ils sont répertoriés

  5   ici, dans cette liste, à partir du numéro 3, Cedo Lazic; numéro 4, Goran

  6   Rajlic; numéro 5, Vaso Stupar; numéro 6, Mirko Cicic; 7, Rade Malic; 8,

  7   Marko Ljubija; 9, Bogdan Rajic; 10, Milivoj Majkic; et 11, Milorad Panjak.

  8   Il y a donc eu des combats à Hrustovo, Monsieur. Neuf cents combattants

  9   armés, organisés, qui s'étaient préparés, même avant que la guerre

 10   n'éclate, ils étaient là. Le savez-vous ? Peut-être ne le savez-vous pas.

 11   Mais ne discutons pas. Moi, j'accepte la réponse que vous avez donnée,

 12   quelle qu'elle soit.

 13   R.  Mais écoutez, je ne peux pas simplement dire oui ou non. Je ne peux pas

 14   supporter que vous me souffliez des réponses. Je dois expliquer certaines

 15   choses, Madame et Messieurs les Juges. Parce qu'ici, il est fait

 16   explicitement mention de Hrustovo. Or, à Hrustovo, d'après ma déclaration,

 17   notamment, il est dit -- en tout cas, ce rapport disait -- enfin, ce que je

 18   veux dire, c'est que la défense se trouvait au pont de Vrhpolje et dans la

 19   forêt de Galaje. On ne parle donc pas de Hrustovo ni non plus de Vrhpolje

 20   même. On parle de la forêt de Galaje. Ce sont deux choses tout à fait

 21   différentes. Je ne sais pas qui a mené l'attaque là. Je me demande ce que

 22   faisaient les forces serbes dans des villages qui étaient exclusivement

 23   musulmans. Et l'épilogue de tout ceci, c'est que 300 personnes ont été

 24   tuées à Hrustovo. Ça, ça été le résultat à Hrustovo et à Vrhpolje lorsque

 25   la défense a été défaite. C'est ce que j'ai entendu, mais je ne l'ai pas vu

 26   moi-même.

 27   Q.  Monsieur Zulic, nous avons vu ce livre de Zilhad Kljucanin et il dit

 28   qu'à partir du moment où les forces militaires de Hrustovo, forces

Page 1128

  1   musulmanes ont décidé de mener une offensive, c'est à ce moment-là que les

  2   forces serbes ont répondu. Ce n'est pas avant, pas quand simplement on se

  3   contentait de monter la garde. On peut regarder un autre document mais je

  4   ne veux pas perdre de temps. Je reviens au paragraphe 32 de votre

  5   déclaration consolidée, et c'est là que vous dites qu'"il n'est pas exact

  6   de dire que les forces serbes ont été attaquées. Vous dites qu'il n'est pas

  7   juste de dire qu'il y a eu des combats."

  8   Alors que moi, je vous dis maintenant qu'à Kljuc, Bosanski Novi, Sanski

  9   Most, et donc la vallée de la Sana, il y avait une unité d'élites de la

 10   Ligue patriotique qui a provoqué des affrontements à partir du 23 mai, à

 11   Prijedor, et jusqu'à la fin du mois de mai il y a eu défaite. Et Mirza

 12   Mujagic, président du SDA de Prijedor, écrit qu'il n'est toujours pas clair

 13   aujourd'hui pourquoi il y a eu une défaite aussi rapide de cette unité de

 14   la Ligue patriotique à Prijedor. Je ne veux pas de débat avec vous. Je veux

 15   qu'on voie votre déclaration et le statut qu'elle revêt dans ce procès.

 16   C'est utilisé et elle a été utilisée pour causer une condamnation dans le

 17   procès Brdjanin, notamment, et dans le procès Krajisnik --

 18   M. LE JUGE KWON : [aucune interprétation]

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Et moi, je vous demande ceci : Pouvez-vous dire

 20   simplement "je confirme," "je conteste" ou "je ne sais pas."

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Mais écoutez, je n'ai rien lu de tout ça. Je

 22   n'en sais rien. Moi, j'ai inscrit ou fait inscrire dans ma déclaration ce

 23   que je savais, ce que j'ai entendu dire par des réfugiés. Et moi, je l'ai

 24   rédigé clairement, et j'ai dit, j'ai entendu dire ça par des réfugiés de

 25   Hrustovo, de Vrhpolje, par les rescapés, par ceux qui avaient réussi à

 26   s'échapper. Et c'est ce que j'ai écrit.

 27   M. KARADZIC : [interprétation]

 28   Q.  Au paragraphe 32 de votre déclaration, vous dites que - et ça

Page 1129

  1   termine le paragraphe : 

  2   "Ce n'est tout simplement pas vrai."

  3   R.  Ce n'est tout simplement pas vrai. Moi, je ne sais pas ce que

  4   vous voulez dire lorsque vous parlez d'une unité d'élites Combien y avait-

  5   ils d'hommes dans cette unité ? Une unité d'élites ça peut avoir dix, 100,

  6   15 000.

  7   Q.  Moi, je parle de votre paragraphe 32 qui se termine par les mots :

  8   "Ce n'est tout simplement pas vrai."

  9   R.  Ce n'est pas vrai.

 10   Q.  Fort bien. Passons à autre chose. Monsieur Zulic, puisque nous n'avons

 11   pas assez de temps, il nous faut aborder des éléments qu'il est impératif

 12   d'éclaircir. Il s'agit notamment des incidents survenus à Kriva Cesta.

 13   Voici ce que vous en dites, et je persiste à dire que vous avez monté ceci

 14   de toutes pièces. Vous avez déclaré qu'il y avait une commission très

 15   importante chargée d'abattre les gens, dont le président de la

 16   municipalité, Rasula. Mais vous dites que vous ne l'avez pas vu de vos

 17   propres yeux, mais que vous avez entendu sa voix dans un haut-parleur.

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Et grâce à sa voix, sa seule voix, vous l'avez reconnu ?

 20   R.  Oui, sa voix et ce qu'il portait comme vêtements.

 21   Q.  Est-ce que vous avez vu son visage ?

 22   R.  Non.

 23   Q.  Vous dites que le général Milan Daljevic était présent ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Est-ce que c'est ce général très connu de la Deuxième Guerre mondiale ?

 26   R.  Etait-il de la Deuxième Guerre mondiale ou pas, je n'en sais rien. Mais

 27   je sais d'où il vient, je sais quand il est venu à Sanski Most, et je

 28   connais cet homme.

Page 1130

  1   Q.  Mais vous dites, dans votre déclaration, qu'il y avait beaucoup de gens

  2   assis à cet endroit et qu'il y avait même beaucoup de membres de l'élite

  3   serbe qui se réjouissaient du spectacle lorsqu'on voyait Celo qui abattait,

  4   qui égorgeait des Musulmans. Il y avait Milan Daljevic et Rasula,

  5   notamment, dont je ne partage pas les avis politiques et qui avait un avis

  6   aussi critique sur le SDS que sur le SDA. Est-ce que Daljevic était là ?

  7   R.  Pourriez-vous me montrer ce paragraphe où je dis que Daljevic était

  8   présent ?

  9   Q.  Ecoutez, vous avez ici votre déclaration. C'est écrit dans votre

 10   déclaration. Je vais vous dire dans quel paragraphe.

 11   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Paragraphe 79.

 12   M. KARADZIC : [interprétation]

 13   Q.  Paragraphe 79, Monsieur. Répondez, s'il vous plaît. Est-ce que Daljevic

 14   était présent ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Vous avez énuméré plusieurs Serbes. Ils sont même plus nombreux que

 17   ceux qui ont été abattus; donc, ils faisaient partie de ce parterre qui

 18   assistait à l'égorgement de toutes ces personnes ?

 19   R.  Oui.

 20   Q.  Est-ce que ce Simetic a vraiment égorgé 20 personnes ?

 21   R.  Il a égorgé des personnes. D'autres ont tué les autres.

 22   Q.  Que diriez-vous si Simetic était dans le corridor, dans son unité ? Et

 23   c'était un policier, ce n'était pas un soldat. Qu'est-ce que vous diriez si

 24   je vous disais que nous avons des preuves et qu'il va vous poursuivre en

 25   justice pour diffamation, pour faux témoignage parce qu'il a prouvé que

 26   lui, il se trouvait à ce moment-là au sein de son unité ?

 27   R.  Il peut obtenir tous les certificats qu'il veut. Même moi, si je donne

 28   de l'argent, je peux avoir un certificat à propos de n'importe quoi. Madame

Page 1131

  1   et Messieurs les Juges, moi, j'ai une cicatrice ici, regardez ici. Vous

  2   voyez le coup de couteau qu'il m'a donné, ce Simetic, et ici, j'ai une

  3   croix qui a été gravée au couteau dans ma peau. Vous voyez cette croix que

  4   je porte à la poitrine. Alors, qu'il me poursuive en justice. Je suis

  5   impatient d'être traduit en justice par lui.

  6   Q.  Très bien.

  7   L'ACCUSÉ : [interprétation] Peut-on montrer le document 1D32.

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que ça va, Monsieur Zulic ? Vous

  9   êtes en mesure de poursuivre ? Je vous remercie.

 10   L'ACCUSÉ : [interprétation] Document 1D32.

 11   M. KARADZIC : [interprétation]

 12   Q.  Il s'agit ici d'un document de la municipalité de Prijedor, autorité de

 13   l'Etat, chef du service administratif et service chargé des invalides de la

 14   guerre. Ce n'est pas traduit. Je vais le lire :

 15   "Certificat attestant que Simo Simetic," puis on a son numéro d'identité

 16   qui, lui, est unique, "qui résidait à Prijedor," à tel ou tel endroit,

 17   "était membre des forces armées de la RSFY de la Republika Srpska pendant

 18   la durée pendant laquelle il y avait menace imminente immédiate de guerre,

 19   à savoir du 17 août 1991 jusqu'au 10 décembre 1996, poste militaire 7421,

 20   Sanski Most, et à partir du 11 décembre 1996 jusqu'au 10 avril 1996,

 21   période pendant laquelle il était à notre poste militaire à Prijedor."

 22   Comment se fait-il qu'un événement aussi tragique auquel aurait assisté

 23   l'élite politique, notamment dirigée par un héros national qui critiquait

 24   aussi le SDS, comment se fait-il que personne n'en a parlé, que personne

 25   n'a été traduit en justice et que cet événement est resté dans l'obscurité

 26   de l'histoire ?

 27   R.  Mais personne n'a été jugé. Il y a un autre élément de preuve du bureau

 28   du Procureur qui concerne cet individu. Je ne sais pas comment il se fait

Page 1132

  1   que vous ne l'ayez pas reçu. Si ce certificat est important, je ne sais pas

  2   dans quelles circonstances il l'a obtenu. Parce qu'il n'était pas à

  3   Prijedor, il était à Sanski Most. Il est venu pratiquement chaque nuit avec

  4   Danilusko Kajtez. Ils sont venus nous frapper pratiquement tous les soirs,

  5   à Betonirka. Là, on a des preuves à ce propos aussi. Et il y a un autre

  6   élément de preuve, c'est l'autopsie d'un Musulman qu'on a trouvé en 1995 ou

  7   en 1996, je ne sais plus exactement, mais qui coïncide parfaitement avec

  8   tout ce que j'ai dit dans ma déclaration.

  9   Q.  Sauf qu'il n'a pas été égorgé. Il a été abattu par balle.

 10   R.  Mais je pense que l'autopsie, le rapport d'autopsie le dit, et je l'ai

 11   eu entre les mains, ce rapport dit que le corps est en bon état. Et je vais

 12   demander au bureau du Procureur de présenter ce document ici, notamment ce

 13   rapport d'autopsie établi par un médecin de Sanski Most; il s'appelle Ibro

 14   Eminic, et je vais demander aussi qu'on donne lecture de la déclaration de

 15   son fils.

 16   Q.  Je vais maintenant donner lecture de ce que nous, nous avons :

 17   "En ce qui concerne les événements survenus le 22 juin, ou vers cette date,

 18   près du cimetière des partisans, c'est tout à fait monté de toutes pièces.

 19   Simetic est prêt à déposer. C'est un boucher de Sanski Most, apparemment;

 20   il y a aussi deux autres témoins oculaires qui sont prêts à venir déposer.

 21   Tout ce qui est vrai, c'est qu'à cet endroit" --

 22   L'INTERPRÈTE : Est-ce que l'accusé peut ralentir lorsqu'il donne lecture ?

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Les interprètes demandent que vous

 24   ralentissiez lorsque vous lisez un texte.

 25   L'ACCUSÉ : [interprétation] Excusez-moi.

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que ceci se trouve dans la

 27   déclaration préalable du témoin ?

 28   L'ACCUSÉ : [interprétation] Non. C'est notre enquêteur qui a obtenu ceci,

Page 1133

  1   et le rapport d'autopsie dit que les deux victimes ont été abattues par

  2   balles et qu'ils ont été trouvés à deux extrémités de Sanski Most. Et sur

  3   la route, il n'y avait pas d'autres traces, pas la moindre trace du fait

  4   qu'il y aurait eu des gens égorgés, un massacre. Il n'y aucune preuve et il

  5   n'y en a jamais eu à cet effet.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] J'aimerais demander à l'Accusation de donner

  7   lecture du rapport d'autopsie établi par le médecin. M. Karadzic, lui, il

  8   fait lecture d'un rapport établi par des gens qui sont tous des auteurs non

  9   identifiés. Parce que tous ces gens, apparemment, ont été tués à des

 10   différents endroits. Dans ma déclaration, je dis qu'il était impossible

 11   d'enterrer qui que ce soit parce que c'était simplement une espèce de

 12   ruisseau. Tous ces rapports ont été falsifiés.

 13   M. KARADZIC : [interprétation]

 14   Q.  Ecoutez, nous allons trouver des preuves ailleurs, à un autre moment.

 15   Vous déclarez que les Serbes ont annoncé les endroits où il y aurait des

 16   pilonnages ou bombardements, qu'ils ont regroupé les civils de Mahala dans

 17   le stade et qu'ils ont dit qu'ils devaient s'occuper des Bérets verts qui

 18   se trouvaient aussi bien à Mahala qu'à Hrustovo ou Vrhpolje, et que votre

 19   belle-mère, notamment, a aussi été convoquée. Tout ceci a été annoncé à la

 20   radio, les civils étaient invités à se regrouper dans un endroit précis;

 21   est-ce exact ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Merci.

 24   L'ACCUSÉ : [interprétation] Votre Excellence, combien de temps me reste t-

 25   il encore ?

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous pourriez terminer en

 27   l'espace de cinq minutes ?

 28   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je m'efforcerai de le faire. Merci.

Page 1134

  1   M. KARADZIC : [interprétation]

  2   Q.  Monsieur, vous nous avez dit que vous avez été transportés à bord d'un

  3   camion. Combien étiez-vous lorsque vous êtes allé à Manjaca, 60 ?

  4   R.  Soixante-quatre.

  5   Q.  Quelle était la position que vous aviez adoptée ?

  6   R.  Assise, debout.

  7   Q.  Est-ce qu'on pouvait s'asseoir à 60 dans un camion ou est-ce qu'on

  8   devait forcément rester debout ?

  9   R.  Je l'ai dit, assis et debout. Certains s'étaient assis, d'autres qui

 10   n'ont plus pu s'asseoir étaient debout.

 11   Q.  Mais comment à 60 pouvait-on être debout et assis ? Il est difficile à

 12   60 de rester debout, l'un à côté de l'autre. Il n'y a pas assez de place

 13   pour faire tenir 60 personnes, Monsieur Zulic.

 14   R.  Ça aussi, je dois vous l'expliquer. Lorsqu'on nous a fait monter,

 15   personne n'a dit : Assieds-toi ou reste debout. Certains étaient assis, et

 16   les autres étaient debout en gardant la personne assise entre les jambes,

 17   vous comprenez. On ne nous a pas dit : S'il vous plaît, Monsieur, veuillez

 18   vous asseoir. On nous a bousculés.

 19   Q.  Merci.

 20   R.  Ne me remerciez pas avant que j'aie terminé. Donc on nous a bousculés

 21   et à coup de bâtons et à coup de câbles, on nous a entassés. Ce qui fait

 22   que c'est ce que j'essaie de vous dire, comment on nous a bousculés sans

 23   nous donner d'eau, sans nous donner quoi que ce soit.

 24   Q.  Alors, dans cette situation, pour ne pas aller plus loin, restons-en à

 25   cela. Soixante personnes, soit, d'après moi, ils n'étaient pas 60, soit ils

 26   étaient forcément debout, tous, l'un contre l'autre. Et vous, vous avez

 27   réussi avec -- enfin, à uriner dans un petit flacon de pitralon [phon], qui

 28   est une autre toilette, et comment avez-vous pu, dans ces conditions-là,

Page 1135

  1   uriner dans un petit flacon ?

  2   R.  C'est simple.

  3   Q.  On va apporter un flacon comme ça, et on va essayer. Merci.

  4   Alors, Monsieur Zulic, vous nous avez dit --

  5   R.  Vous pouvez le faire si vous le souhaitez.

  6   Q.  Vous nous avez dit que vous aviez un bloc à Manjaca ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Il y avait un docteur, Dervis Kadic ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  C'est un Musulman ?

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Est-ce qu'on a trouvé une aiguille sur un prisonnier ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Comment se fait-il qu'on n'ait pas trouvé un bloc sur

 15   vous ?

 16   R.  [inaudible]

 17   Q.  Comment avez-vous --

 18   R.  Un instant, un instant. Apportons un éclaircissement. Ce bloc, je l'ai

 19   obtenu au mois d'août de la part d'un Serbe, et sur ce bloc il y avait des

 20   numéros de téléphone, si jamais je sortais vivant, pour contacter la

 21   famille en Allemagne, à l'étranger. Et ce bloc, je l'avais enterré, j'avais

 22   uriné dessus. Et c'est ainsi qu'il était resté. Et eux ils voulaient me

 23   niquer ma mère, comme ils disaient, parce que j'avais uriné sous moi.

 24   Q.  Ça, vous ne l'avez dit jamais jusqu'à présent ?

 25   R.  Ecoutez, je ne l'ai pas dit, mais vous me demandez comment cela pouvait

 26   se faire, et je vous explique.

 27   Q.  Les trois ou quatre blocs, vous les avez remplis ailleurs ?

 28   R.  Oui.

Page 1136

  1   Q.  Où ?

  2   R.  Au camp, lorsque j'ai quitté Karlovac.

  3   Q.  Bien. Mais est-ce que c'est un journal ou c'est des mémoires ?

  4   R.  Ce sont mes mémoires qui ont été recopiés à partir de ce que j'ai noté

  5   dans le bloc.

  6   Q.  Vous, vous avez copié du bloc rien que les noms ?

  7   R.  Oui, les noms, et après, j'ai rédigé en partant de mes souvenirs.

  8   Q.  Donc nous sommes d'accord pour dire que c'est des souvenirs, et non pas

  9   un journal consigné à l'époque, à l'époque où vous auriez consigné les

 10   événements lorsqu'ils s'étaient produits ?

 11   R.  Non, je n'ai pas consigné lorsque ça s'est produit, mais lorsque je

 12   suis allé à Cologne.

 13   Q.  Merci. Vous nous avez dit que vous avez fait la marine à Split, n'est-

 14   ce pas ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Vous nous avez précisé, ici, que votre aptitude amoindrie à faire quoi

 17   que ce soit découlait des passages à tabac à Manjaca ou à Betonirka, n'est-

 18   ce pas ?

 19   R.  Oui.

 20   Q.  Pourquoi, dans l'armée, on vous a désigné comme étant incapable ou

 21   inapte au service ?

 22   R.  J'avais un ulcère à l'estomac.

 23   Q.  Ici, ce n'est pas dit, ce n'est pas ce qui est indiqué.

 24   R.  Je ne sais pas, mais moi, je sais qu'on avait dit ulcus duodenum acuta

 25   [phon], ulcère au duodénum.

 26   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais qu'on nous montre à l'affichage

 27   électronique le document 1D, pour dire Défense --

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous allez demander

Page 1137

  1   l'affichage du 22 ?

  2   L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, c'est le 1D22.

  3   Merci, Excellence.

  4   M. KARADZIC : [interprétation]

  5   Q.  Au numéro 608, alors, dans le document, on dit Zulic Ahmet, fils d'Azem

  6   -- d'Aziz, et dans la dernière rubrique, on dit "inapte, cessation de

  7   l'obligation de faire son service à telle date.

  8   Alors, vous êtes allé faire votre service, et là-bas on a établi que

  9   vous étiez inapte, et il n'y a pas de diagnostic ici ?

 10   R.  Je ne sais pas pourquoi ça n'a pas été indiqué. Moi, je sais pourquoi

 11   j'ai été déclaré inapte. Ils ne pouvaient pas m'assurer une alimentation

 12   particulière pour l'ulcère au duodénum et qu'il n'y avait pas de médicament

 13   pour me soigner, et c'est la raison pour laquelle ça s'est passé.

 14   Q.  Quand est-ce que ça s'est produit au juste ?

 15   R.  En 1967 ou en 1966. Ne me prenez pas au mot maintenant.

 16   Q.  Bon.

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais, Monsieur Zulic, vous êtes d'accord

 18   que c'est bien un rapport vous concernant ?

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je suis d'accord pour dire que ça se

 20   rapporte à moi. Je suis en train de vous indiquer quel est le diagnostic en

 21   raison duquel j'ai été relâché du service. On dit duodenum ulcus acuta, et

 22   en langue bosniaque, quand on traduit du latin, ça veut dire ulcère sur le

 23   duodénum.

 24   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais je crois que vous en êtes très bien

 25   sorti, puisque depuis 40 ans se sont écoulés.

 26   Est-ce que vous avez d'autres questions, Monsieur Karadzic ?

 27   L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, j'en aurais beaucoup, Votre Excellence,

 28   parce que sa déclaration est pleine d'éléments, mais je ne vais pas entamer

Page 1138

  1   de nouveaux sujets. Alors, je vous demanderais, si besoin venait à

  2   s'avérer, que nous reconvoquions une fois de plus, le cas échéant, et là je

  3   pourrais dire que j'aurais épuisé les questions.

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Sutherland, avez-vous des

  5   questions supplémentaires ? Je le suppose.

  6   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

  7   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.

  8   Nouvel interrogatoire par Mme Sutherland :

  9   Q.  [interprétation] Monsieur Zulic, ce matin, page 43 du compte rendu

 10   d'audience pendant le contre-interrogatoire de M. Karadzic, il parlait de

 11   meurtres survenus à Kriva Cesta. Vous avez dit que vous aviez reconnu

 12   Rasula à sa voix et aux vêtements qu'il portait sans avoir vu son visage.

 13   Vous en souvenez ?

 14   R.  Je m'en souviens.

 15   Q.  Hier, page 33 du compte rendu d'audience, vous avez dit que vous le

 16   connaissiez depuis plus de 30 ans, Rasula, n'est-ce pas ? Vous en souvenez

 17   ?

 18   R.  Je n'ai pas besoin de voir son visage ni ses vêtements. Il avait un

 19   costume à petits carreaux et il avait une cravate rouge et les cheveux --

 20   enfin, je l'aurais reconnu même si je ne voyais pas son visage, mais rien

 21   qu'en entendant sa voix.

 22   Q.  Vous nous avez dit qu'il portait toujours ce costume particulier. Alors

 23   comment appelez-vous ce costume dans votre langue à vous ?

 24   R.  Nous appelions cela pied de poule. Ce sont des tout petits carrés un

 25   peu de travers en noir. Ça fait des espèces de losanges et des petits cubes

 26   blancs de même forme.

 27   Q.  Vous nous dites qu'il portait toujours ce type de veston.

 28   R.  Non. Le costume était entièrement comme cela.

Page 1139

  1   Q.  Il n'y a pas longtemps, on vous a posé une question au sujet de vos

  2   incapacités ou des suites des blessures vous concernant. Quelles sont les

  3   blessures que vous avez eues de façon durable suite à ces passages à tabac

  4   dans Betonirka et pour ce qui s'est produit à l'incident de Kriva Cesta ?

  5   R.  Je pense avoir indiqué dans ma déclaration que j'avais sept vertèbres

  6   endommagées, que j'ai mes côtes qui ont été cassées, et je l'ai montré ici.

  7   Ça peut se voir. J'ai ce doigt de cassé, parce qu'on m'avait marché dessus

  8   afin que je puisse garder trois doigts entiers pour pouvoir faire un signe

  9   de croix. Donc c'est visible. Ces autres doigts ont été cassés. Je pouvais

 10   faire aussi des pompes. Et comme je vous l'ai dit, j'ai des cauchemars, je

 11   rêve des personnes qui ont été tuées qui se mourraient à côté de moi. Ça

 12   s'est produit même la nuit passé, mais bon, c'est un problème qui est le

 13   mien et je dois faire face à ce fait.

 14   Q.  Quand vous étiez à Kriva Cesta, est-ce qu'on vous a placé le canon d'un

 15   pistolet dans la bouche ?

 16   R.  Oui.

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] C'est une question directrice cela.

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] On m'a emmené deux fois à Kriva Cesta. La

 19   première fois lorsqu'on m'a pris de chez moi et la deuxième fois lorsque je

 20   suis allé avec ce groupe de personnes.

 21   Mme SUTHERLAND : [interprétation]

 22   Q.  Monsieur Zulic, est-ce que vous avez de fausses dents ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Alors comment en êtes-vous venu là ?

 25   R.  Bien, quand on m'a sorti le canon du pistolet de la bouche, on m'a

 26   cassé les dents de devant.

 27   Q.  Et c'est ce qui s'est passé lors de l'incident de Kriva Cesta le 22

 28   juin 1992, n'est-ce pas ?

Page 1140

  1   R.  Oui.

  2   Q.  On vous a aussi posé des questions au sujet de Simo Simetic. Combien de

  3   temps aviez-vous connu cet individu avant que de l'avoir vu le 22 juin 1992

  4   ?

  5   R.  Il avait commencé à travailler en qualité de boucher dans Sanski Most.

  6   Je le connaissais depuis dix ans, sinon plus déjà.

  7   Q.  Est-ce que vous l'avez connu avant la guerre en sa qualité de boucher ?

  8   R.  C'est ce que je viens de vous dire, dix ans avant le début de la

  9   guerre. Et le dénommé Simo Simetic avait été considéré par toute la ville

 10   de Sanski Most comme étant quelqu'un d'incontrôlable sur le plan mental, un

 11   peu dérangé.

 12   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Donnez-moi un instant, Monsieur le

 13   Président.

 14   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

 15   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Je n'ai plus de questions à poser,

 16   Monsieur le Président.

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Madame Sutherland.

 18   Ceci met un terme à votre témoignage, Monsieur Zulic. Une fois de plus, au

 19   nom du Tribunal et de cette Chambre de première instance, je tiens à dire

 20   que nous apprécions hautement votre assistance et votre contribution aux

 21   activités de ce Tribunal. Merci d'être venu à La Haye pour fournir un

 22   témoignage. Vous pouvez à présent vous en aller.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

 24   [Le témoin se retire]

 25   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Avant que de passer au témoignage du

 26   témoin suivant, nous devons nous pencher sur les pièces à conviction de la

 27   Défense, et en premier lieu il nous convient de vérifier si vous avez

 28   l'intention de proposer des documents pour versement au dossier, certains

Page 1141

  1   des documents que vous avez utilisés avec ce témoin, Monsieur Karadzic.

  2   Mais avant que d'en venir à cela, je crois qu'il faudrait que je fournisse

  3   à l'Accusation quelques lignes directrices pour ce qui est de la façon dont

  4   nous allons proposer des pièces à conviction pour versement au dossier, et

  5   ce, à la lumière de notre expérience avec M. Zulic hier. Etant donné que

  6   c'était le premier témoin, nous avons laissé faire, mais ce régime de

  7   versement au dossier doit s'appliquer également à la Défense.

  8   S'agissant de témoins venant témoigner en application du 92 ter, une fois

  9   qu'on aura passé outre les formalités d'admission de la déclaration 92 ter

 10   ou c'est-à-dire au témoignage antérieurement effectué, je voudrais demander

 11   à l'Accusation de proposer pour versement au dossier cette déclaration,

 12   voire le compte rendu d'audience, comme cela a été fait par Mme Sutherland

 13   hier. Puis l'Accusation doit donner lecture d'un bref résumé de la

 14   déclaration ou du compte rendu déjà versé. Une fois que cette lecture a été

 15   donnée, l'Accusation pose des questions au témoin. Pendant cet

 16   interrogatoire, toute pièce à conviction accompagnant l'interrogatoire en

 17   application du 92 ter peut être montrée au témoin, comme cela a d'ailleurs

 18   été le fait hier. Tout de suite après les échanges avec le témoin

 19   concernant les différentes pièces à conviction, l'Accusation est requise de

 20   procéder au versement au dossier de ce document, et les Chambres entendront

 21   de la part de M. Karadzic si objection il y a de sa part et rendront une

 22   décision pour ce qui est de l'admission ou non-admission. Dans le cas

 23   contraire, l'admission sera décidée une fois que l'on utilisera les

 24   différents documents auquel cas lors de l'interrogatoire en tant que tel.

 25   A la fin de l'interrogatoire, s'il y a des pièces d'accompagnement dont il

 26   n'a pas été question avec le témoin même, il y aura proposition de

 27   versement au dossier de ces documents, et le Procureur aura l'opportunité

 28   de demander le versement et la Chambre entendra l'opinion de l'accusé avant

Page 1142

  1   que de rendre une décision pour savoir donc si cela est acceptable ou pas.

  2   C'est une façon plus cohérente et plus efficace de procéder, plutôt que de

  3   demander à l'Accusation de proposer des versements au dossier avant que

  4   d'avoir posé des questions aux témoins à leur sujet, comme cela s'est

  5   produit hier.

  6   Y a-t-il des questions ?

  7   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Monsieur le Président, est-ce que je peux

  8   tirer au clair la situation avec ce témoin ?

  9   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.

 10   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Bien que la totalité des documents liés à

 11   sa déclaration aient été versés au dossier, je ne me suis pas penchée pas

 12   sur chacune des pièces à conviction, parce que cela a déjà été versé au

 13   dossier ou cela faisait partie de la déclaration en tant que tel.

 14   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, mais si vous allez vous en servir

 15   dans le courant de votre interrogatoire, il est préférable de procéder au

 16   versement au cours de l'interrogatoire en tant que tel.

 17   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, mais

 18   s'agissant de certains de ces documents, je ne les ai pas montrés à M.

 19   Zulic hier, pas plus que je ne l'ai fait à la fin de mon interrogatoire au

 20   principal.

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, cela peut être versé de la sorte.

 22   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Oui. Merci.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ce régime s'applique également à vous,

 24   Monsieur Karadzic. Donc nous attirons votre attention sur le fait qu'il

 25   convient de proposer des documents au versement en parallèle à leur

 26   utilisation lors de votre contre-interrogatoire. Et là, vous demanderez aux

 27   Juges de la Chambre, et c'est la Chambre qui rendra une décision concernant

 28   la recevabilité ou non-recevabilité.

Page 1143

  1   M. TIEGER : [interprétation] Oui, vous avez dit s'il y avait des questions

  2   --

  3   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.

  4   M. TIEGER : [interprétation] -- alors, juste un petit point de

  5   clarification. Si j'ai bien compris la procédure à adopter telle que

  6   conviée à être respectée, il n'est donc pas nécessaire de redébattre de

  7   documents qui ont déjà été abordés dans le détail dans la déclaration en

  8   application du 92 ter, mais ceci fournit aux Juges de la Chambre

  9   l'opportunité de prendre connaissance à part entière de certains documents

 10   pour voir dans quelle mesure ceci se trouve être couvert ou non couvert à

 11   la fin de la présentation de la totalité des éléments de preuve, et cela

 12   s'appliquerait aux éléments de preuve en l'application du 92 ter ainsi

 13   qu'aux éléments de preuve versés lors de l'interrogatoire dans le prétoire.

 14   Est-ce que cela est la finalité, pour l'essentiel ?

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je crois que vous avez bien compris la

 16   chose.

 17   M. TIEGER : [interprétation] Fort bien.

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais cela fait partie de votre droit

 19   discrétionnaire pour ce qui est de savoir si vous allez poser des questions

 20   au témoin s'agissant de certains de ces documents ou pas.

 21   M. TIEGER : [interprétation] Oui, j'ai compris. Merci.

 22   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bon, Monsieur Karadzic, j'ai une liste

 23   de vos pièces à conviction que vous avez utilisées avec le témoin

 24   précédent. Vous vous êtes servi du 8, 9, 10, 11, 15, 22, 24, 27, 29, 30,

 25   31, 32. Alors, lesquels de ces documents avez-vous l'intention de demander

 26   à faire verser au dossier ?

 27   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Votre Excellence. Pour rendre

 28   les choses plus courtes et plus faciles, je demanderais très aimablement à

Page 1144

  1   ce que tous ces documents qui ont été montrés au témoin soient admis. Je

  2   voudrais également, si j'ai bien compris la chose, et les possibilités qui

  3   ont été accordées à la partie adverse pour ce qui est d'inversement au

  4   dossier de documents qui n'ont pas été montrés, je déposerais la

  5   candidature pour versement au dossier de la totalité des documents allant

  6   du 1 au 32. Je précise également que cela sera toujours actualisé et

  7   reconfirmé, parce que pour l'essentiel, il s'agit de documents émanant

  8   d'autorités de l'Etat que nous n'avons pas encore eu l'occasion d'examiner

  9   en présence du témoin, mais cela se rapporte aux éléments évoqués par le

 10   témoin. Bien qu'il ne les ait pas commentés, on retrouve des faits

 11   matériels qui se rapportent au témoignage du témoin de tout à l'heure.

 12   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Sutherland, est-ce que vous avez

 13   des observations à formuler ?

 14   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, nous ferions

 15   objection pour ce qui est de la totalité des documents qui ont été versés

 16   ou qui ont été introduits dans l'affichage électronique par les soins de

 17   l'accusé par le biais de ce témoin. Nous estimons qu'il convient de verser

 18   seulement les documents qui ont été montrés au témoin, et c'est les numéros

 19   dont vous avez donné lecture.

 20   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.

 21   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Donc en corrélation avec le document

 22   numéro 9, nous voudrions qu'il lui soit accordé une cote à des fins

 23   d'identification en ce moment jusqu'au moment où nous ne viendrions dans la

 24   position de pouvoir l'examiner en totalité, parce que nous n'avons qu'une

 25   traduction partielle. Donc il s'agit d'avoir un résumé de la traduction du

 26   document tout entier.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je dois vérifier s'il s'était servi du

 28   numéro 8 ou pas. Il s'agit probablement de mon erreur. Ce n'est pas le cas.

Page 1145

  1   Si, quand même. On me dit que cela a été utilisé par l'accusé.

  2   L'ACCUSÉ : [hors micro]

  3   M. TIEGER : [aucune interprétation]

  4   Mme SUTHERLAND : [interprétation] C'est M. Tieger qui va parler de ce

  5   document.

  6   M. TIEGER : [interprétation] Je ne veux pas me pencher sur des documents

  7   particuliers, mais comme c'est la première fois que nous sommes en train

  8   d'évoquer la totalité de ces questions et que cela risque d'avoir des

  9   implications à long terme, je me dois de formuler quelques observations et

 10   tirer au clair certaines des lignes directrices avancées par les Juges de

 11   la Chambre pour formuler les remarques de l'Accusation.

 12   M. LE JUGE KWON : [interprétation] On va vous donner une certaine latitude

 13   pour ce qui est de l'accusé et de vous-même.

 14   M. TIEGER : [interprétation] Oui, j'apprécie la chose grandement.

 15   L'Accusation est d'avis qu'il convient de fournir aux Juges de la Chambre

 16   un maximum d'information utile et pertinente afin de pouvoir prendre des

 17   décisions. Nous estimons également qu'il faut qu'il y ait un équilibre de

 18   mise en place et que les Juges de la Chambre doivent déterminer où faut-il

 19   tracer une ligne pour qu'il n'y ait pas inondation d'information. Et nous

 20   voudrions que les Juges de la Chambre obtiennent un maximum d'information,

 21   certes.

 22   Mais pour ce qui est d'un certain nombre de ces documents, je tiens à dire

 23   qu'ils ont été montrés au témoin, et le témoin n'avait aucune espèce de

 24   connaissance en la matière. Par conséquent, le versement de ces documents

 25   au dossier est une chose qui devrait être faite par le biais des conseils

 26   sans la présence du témoin. Nous ne voulons pas décourager cette façon de

 27   procéder, mais si les documents sont non pertinents ou s'ils ont une valeur

 28   probante, c'est les éléments qui doivent être indiqués de façon claire.

Page 1146

  1   Mais il faut que l'on indique quels sont les documents en question. Donc

  2   lorsqu'il s'agit de ce type d'opportunité concrète, lorsque l'on veut

  3   établir l'équilibre entre le souhait de fournir le plus possible

  4   d'information utile et la nécessité de placer une limite quelque part, la

  5   Chambre devra procéder à des évaluations à certains endroits. Je tiens à

  6   préciser qu'un certain nombre de ces documents ne comportent pas une telle

  7   valeur probante, et peut-être ne conviendrait-il pas de déterminer leur

  8   poids, parce qu'il y a bon nombre de documents que l'Accusation a présenté

  9   pour admission sans la présence du témoin. Il s'agit de notes consignées ou

 10   d'éléments consignés par les participants eux-mêmes, et qui couvrent bon

 11   nombre de questions pertinentes.

 12   Donc nous ne voudrions pas qu'il y ait une ligne ferme, non souple de

 13   tracée, mais nous estimons que certains de ces documents se trouvent en

 14   limite des critères susmentionnés, et l'Accusation tient à le souligner.

 15   Il y a bon nombre de documents où nous n'avons pas obtenu de

 16   traduction du tout ou des traductions partielles, et il faut que

 17   l'Accusation ait l'opportunité de se pencher sur la totalité de ces

 18   documents pour voir si certaines parties des documents doivent également

 19   être versées au dossier ou si elles comportent une teneur appropriée sous-

 20   tendant le témoignage qui est proposé pour versement en accompagnement de

 21   documents. Donc un certain nombre de documents devraient être proposés avec

 22   une cote à des fins d'identification avant que de prendre une décision dans

 23   un sens ou dans l'autre.

 24   Ce que je voulais dire à titre préliminaire c'était cela, parce que

 25   cela risque de nous aider dans le cours du procès. Nous sommes en train de

 26   demander des versements de documents, tant l'Accusation que la Défense.

 27   Nous allons parler des lignes directrices où nous allons soumettre ce type

 28   de documents à des tests pour déterminer s'il y a ou non un test général

Page 1147

  1   qui sera appliqué pour la totalité des documents. Il y aura des facteurs

  2   variés à intervenir. Nous voulons fournir aux Juges de la Chambre la

  3   totalité des informations nécessaires pour qu'ils puissent prendre leur

  4   décision et faire en sorte que les Juges de la Chambre soient informés de

  5   façon appropriée pour ce qui est de l'attitude à adopter au cas le cas par

  6   détermination, donc à titre individuel. J'ai indiqué certains facteurs, et

  7   il faudra que nous procédions de la sorte, mais lorsqu'il y aura

  8   appréciation de certains documents que l'accusé a proposés pour versement

  9   au dossier, je crois qu'il convient de prendre en considération ces

 10   facteurs.

 11   Et pour ce qui est de documents qui n'ont pas été utilisés par la

 12   Défense, s'il s'agit de voir l'accusé verser au dossier des documents sans

 13   la présence d'un témoin, il faut définir la procédure appropriée et

 14   identifier un minimum de pertinence.

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Sutherland, est-ce que vous

 16   avez des commentaires additionnels ?

 17   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Ce que

 18   M. Tieger a abordé, ce sont des aspects généraux, mais pas les documents

 19   particuliers.

 20   Pour ce qui est du document 1D10, nous voudrions qu'il lui soit

 21   accordé une cote à des fins d'identification en ce moment. Pour ce qui est

 22   du 1D11, nous voudrions également une cote provisoire à des fins

 23   d'identification. Pour ce qui est du document 1D15, nous n'avons pas

 24   d'objection, parce qu'il s'agit d'une partie de l'un des documents qui

 25   figurent à notre liste en application du 65 ter et qui est consigné au

 26   17757. Pour ce qui est du 1D22, nous n'avons pas d'objection non plus. Pour

 27   ce qui est du 1D27, nous avons une objection, et nous avons une objection

 28   pour ce qui est du 1D29. S'agissant du 1D27, une des raisons pour

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  1   lesquelles nous estimons ne pas devoir le faire, c'est que le témoin n'a

  2   pas reconnu la personne en question. Nous ne savons pas si la personne est

  3   bel et bien celle qu'on dit qu'elle est, parce que le témoin ne l'a connue

  4   que par son surnom. Nous ne savons donc pas si c'est la bonne personne dont

  5   il s'agit. Pour ce qui est maintenant du 1D29, nous ferions objection pour

  6   ce qui est du versement au dossier de ces déclarations. Nous émettons donc

  7   une objection par rapport au fait de verser au dossier des déclarations qui

  8   ne respectent pas strictement la procédure du versement au titre de

  9   l'article 92 bis du Règlement, à moins que le témoin ne soit appelé à

 10   témoigner de vive voix. Par rapport au 1D30 et 1D31, qui sont des extraits

 11   d'un document comptant environ 400 pages, nous demandons que ces documents

 12   soient enregistrés aux fins d'identification tant que nous n'aurons pas pu

 13   les lire dans le détail et les resituer dans leur contexte, étant donné

 14   qu'il s'agit de pages volantes qui ont été téléchargées. Et par rapport au

 15   document 1D32, nous demandons qu'il soit enregistré aux fins

 16   d'identification tant que nous n'avons pas reçu la traduction anglaise.

 17   [La Chambre de première instance se concerte]

 18   L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, pourrais-je dire

 19   quelques mots, je vous prie.

 20   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Karadzic.

 21   L'ACCUSÉ : [interprétation] Puis-je le faire ?

 22   Avant toute chose, je tiens à dire que l'on voit ici manifestement

 23   dans quelle difficulté se débat la Défense. Si on convoque ici un témoin

 24   qui, au préalable, a fait une déclaration très longue, une déclaration de

 25   159 paragraphes dont chacun représente pratiquement un élément de preuve à

 26   lui seul, la Défense devrait disposer d'un temps de préparation beaucoup

 27   plus long et d'un temps beaucoup plus long pour procéder à son contre-

 28   interrogatoire en vue de contester tous ces paragraphes. C'est la position

Page 1149

  1   de Mme Sutherland, que chacun connaît. Pour ma part, je suis entre le roc

  2   et la terre, parce que le temps de contre-interrogatoire qui m'est imparti

  3   est limité, et nous ne sommes pas habitués à cette démarche assez

  4   unilatérale que l'on pratique ici. Si nous avions un juge d'instruction ici

  5   ou si l'Accusation avait fait son travail de façon tout à fait impartiale

  6   et avait communiqué tous les éléments de preuve en application de l'article

  7   68 du Règlement à l'accusé, nous ne serions pas confrontés à ce problème.

  8   Mais nous le sommes, en réalité. La Défense doit faire son travail, ou

  9   plutôt, le travail qui incombe dans notre système judiciaire au juge

 10   d'instruction.

 11   Par ailleurs, je ne puis comprendre que les 32 documents venant de moi, y

 12   compris certains que je n'ai pas eu le temps de soumettre au témoin, mais

 13   qui correspondent très clairement au contenu d'un des paragraphes de la

 14   déclaration préalable du témoin, je ne puis comprendre qu'ils ne soient pas

 15   admis au dossier de l'espèce. Cela signifie que j'aurais vraiment besoin de

 16   beaucoup plus de temps pour conduire mes contre-interrogatoires.

 17   En troisième lieu, je cite à ce sujet le document numéro 8 de la Défense à

 18   titre d'exemple, ce document a été confisqué par la FORPRONU ou l'OTAN au

 19   moment ou l'une ou l'autre de ces institutions a procédé à la fouille d'un

 20   certain nombre d'endroits en Republika Srpska. Nous avons donc ici un

 21   rapport d'un officier opérationnel qui n'avait aucun rapport avec le milieu

 22   politique ou avec une quelconque obligation de propagande ou avec les

 23   médias. Il rend simplement compte à son centre hiérarchique des

 24   renseignements opérationnels très pertinents par rapport aux déclarations

 25   d'un certain nombre de témoins qu'il a pu obtenir. Il le fait dans une

 26   déclaration écrite. Qu'est-ce que nous allons admettre au dossier si nous

 27   refusons l'admission du document numéro 8 de la Défense, document que

 28   l'Accusation nous a communiqué et qu'elle a elle-même reçu suite à une

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  1   perquisition conduite par l'OTAN sur le terrain ? Quant au document numéro

  2   29, par exemple --

  3   M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] Monsieur Karadzic --

  4   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Monsieur le Président, je suis désolée

  5   d'interrompre. Je n'avais pas parlé du document 1D008. Nous n'avons aucune

  6   objection par rapport à l'admission de ce document, qui, en fait, est le

  7   document 65 ter numéro 20943. Toutes mes excuses pour ne pas l'avoir cité

  8   il y a quelques instants.

  9   M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] J'étais sur le point de dire,

 10   Docteur Karadzic, que ce n'est pas la seule occasion qui vous sera donnée

 11   de demander le versement au dossier de ces documents. Tout document peut

 12   être versé au dossier pendant la présentation des moyens de la Défense dès

 13   lors que sa provenance et sa pertinence sont avérées. Donc le fait qu'ils

 14   n'ont pas été admis aujourd'hui n'empêche pas leur admission à un moment

 15   ultérieur.

 16   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous avez encore quelque

 17   chose à dire, Monsieur Karadzic ?

 18   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Excellence. Merci beaucoup.

 19   Mais simplement par rapport à ce que vous venez de dire, malheureusement,

 20   parmi les accusés mis en accusation dans notre région du monde, c'est-à-

 21   dire dans les Balkans, il y a une règle très concrète qui est que dès lors

 22   que l'Accusation a présenté sa thèse, une attention bien inférieure est

 23   accordée à la thèse de la Défense. Mais j'aimerais appeler votre attention

 24   sur la déclaration préalable du témoin Djordje Todorovic. Ce témoin a

 25   confirmé un certain nombre d'éléments émanant de la déclaration de M.

 26   Todorovic. Il a dit : Oui, c'est exact, c'est exact, mais je ne suis pas le

 27   seul qui peut répondre. Tout le reste est confirmé, en réalité, que son

 28   frère a travaillé jusqu'à la fin de 1995 pratiquement, et cetera. C'est la

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  1   raison pour laquelle je crois que cette déclaration préalable est

  2   importante. De façon générale, je pense que toutes les déclarations

  3   préalables devraient être admises, ou en tout cas qu'un certain temps et

  4   une certaine attention devraient leur être consacrés.

  5   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.

  6   La Chambre va --

  7   M. TIEGER : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, encore un

  8   point assez général qui, je crois, découle clairement de ce qui vient

  9   d'être dit et qui devrait être appliqué pendant la présente procédure, à

 10   savoir que la procédure 92 bis doit l'emporter s'agissant du versement au

 11   dossier des déclarations préalables, et le fait qu'un témoin dit quelque

 12   chose dans une déclaration écrite ne rend pas cette déclaration écrite

 13   automatiquement admissible en l'absence de respect des conditions 92 bis

 14   quant à la comparution d'un témoin.

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie. La Chambre va

 16   suspendre pendant 30 minutes et rendra sa décision sur l'admissibilité des

 17   documents à la reprise des débats.

 18   --- L'audience est suspendue à 11 heures 56.

 19   --- L'audience est reprise à 12 heures 29.

 20   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Maître Harvey.

 21   M. HARVEY : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Vous aviez

 22   demandé que nous vous présentions une nouvelle personne si elle

 23   apparaissait ici, et je peux vous dire que j'ai à mes côtés Mme Mirjana

 24   Vukajlovic.

 25   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie. Et bienvenue, Madame

 26   Vukajlovic.

 27   Et vous aussi, semble-t-il, Monsieur Tieger, vous devez présenter

 28   quelqu'un.

Page 1152

  1   M. TIEGER : [interprétation] Effectivement, Monsieur le Président. M.

  2   Gaynor, ce sera lui qui va procéder à l'interrogatoire du prochain témoin.

  3   Je pense qu'il a déjà travaillé dans ce Tribunal, mais je voulais vous le

  4   présenter ici, dans ce procès.

  5   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie. Bienvenu,

  6   Monsieur Gaynor.

  7   Tout d'abord, une décision en ce qui concerne la recevabilité des

  8   documents utilisés par la Défense pendant le contre-interrogatoire mené par

  9   M. Karadzic du témoin Zulic. Je vous donne les numéros : 8, 15 et 22, ces

 10   documents sont reçus et versés au dossier. Les numéros 8 et 15 n'ont pas

 11   été confirmés par le témoin, mais étant donné que ces pièces n'ont pas

 12   suscité d'objections de la part de l'Accusation, nous les versons au

 13   dossier.

 14   Les documents 9, 10, 11, 24, 27, 29, 30, 31, 32 ne sont pas versés au

 15   dossier. Ils ne sont pas recevables aux motifs suivants : Le témoin n'a pas

 16   du tout confirmé leur teneur. Il n'a pas non plus présenté d'éléments

 17   concernant l'authenticité ou la justification de ces documents. En

 18   particulier, Monsieur Karadzic, s'agissant de la déclaration d'un témoin ou

 19   d'une tierce personne, ça ne peut pas être déclaré recevable de façon

 20   abstraite. M. Tieger l'a bien dit, un article du Règlement prévoit les

 21   conditions d'admission. Vous aurez l'occasion d'invoquer le 92 bis ou le 92

 22   ter plus tard.

 23   S'agissant de la photographie, comme le témoin n'a pas reconnu la

 24   personne qu'elle représentait, ce document n'a aucune valeur probante.

 25   S'agissant du livre, le témoin n'a pas confirmé la teneur du livre, mais

 26   outre cela, des parties précises ayant été soumises au témoin, inutile de

 27   déclarer recevable la totalité. L'Accusation a proposé de donner une cote

 28   provisoire en attente d'une traduction, mais la Chambre estime qu'il n'est

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  1   pas nécessaire de traduire ce livre puisqu'il n'a pas été déclaré

  2   recevable. Cependant, cette décision ne signifie pas pour autant que vous

  3   n'aurez pas la possibilité de demander le versement de ce document par le

  4   truchement d'autres témoins, lorsque vous allez les contre-interroger ou

  5   lorsque vous allez présenter vos propres moyens.

  6   J'aimerais préciser une chose à cet égard. Si le témoin est en

  7   désaccord sur la teneur d'un document ou ne la confirme pas, il n'est pas

  8   nécessaire de revenir à la charge sur la teneur même du document. Rappelez-

  9   vous ce que vous a dit M. le Juge Morrison hier.

 10   Autre chose, Monsieur Tieger ou Madame Sutherland. C'est à propos de

 11   la déclaration consolidée visée par l'article 92 ter de M. Zulic. Si j'ai

 12   bien compris, il y a deux moutures, l'une est confidentielle, l'autre a été

 13   expurgée document public. Pourquoi cette dernière version publique ? C'est

 14   parce qu'une partie de cette déclaration consolidée repose aussi sur les

 15   dires du témoin, faits à huis clos partiel dans un autre procès, n'est-ce

 16   pas ?

 17   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Exact.

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais il y avait des mesures de

 19   protection accordées alors qui ont été levées par une décision de la

 20   présente Chambre. De ce fait, si les raisons pour lesquelles le témoin

 21   avait déposé à huis clos partiel auparavant, et c'était notamment pour

 22   protéger son identité, je ne pense pas qu'il soit nécessaire aujourd'hui de

 23   garder ces passages confidentiels. Pourriez-vous nous rappeler pourquoi il

 24   avait déposé à huis clos partiel ?

 25   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Je peux vous le faire tout de suite,

 26   Monsieur le Président.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Volontiers.

 28   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît.

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  1   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Si vous voulez que nous passions à huis

  2   clos partiel, nous pourrons aisément le faire.

  3   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Il y avait quatre segments. P717, et je

  4   pense qu'il ne faut pas afficher ceci à l'extérieur de ce prétoire.

  5   Paragraphe 9, les quatre dernières phrases avaient été expurgées parce

  6   qu'elles avaient été évoquées à huis clos partiel dans le procès Krajisnik.

  7   Et à la lecture du compte rendu d'audience --

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je pense que nous n'avons pas ce

  9   document sous les yeux, ici -- ici, moi j'ai la version qui n'avait pas été

 10   expurgée.

 11   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Ça avait été abordé à huis clos partiel.

 12   C'est la raison pour laquelle j'avais expurgé cette partie de la

 13   déclaration, mais à la lecture du compte rendu d'audience, il semblerait

 14   que ceci avait été dit à huis clos partiel simplement, parce que la Chambre

 15   Krajisnik avait oublié de demander de revenir en audience publique. Donc ça

 16   n'aurait pas identifié le témoin, mais comme ça avait été dit à huis clos

 17   partiel, moi, j'avais retiré ceci de la version consolidée. Mais ça ne doit

 18   pas être fait. Mais comme nous n'avions pas de décision de la Chambre

 19   Krajisnik, il était nécessaire de procéder à l'expurgation d'éléments qui

 20   avaient été présentés à huis clos partiel.

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Si la Chambre Krajisnik était passée à

 22   huis clos partiel, c'était pour assurer la protection de M. Zulic ?

 23   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Oui, son identité, mais la Chambre

 24   n'était pas revenue en audience publique, lorsqu'elle avait abordé ce

 25   point-ci, évoqué au paragraphe 9.

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

 27   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Moi, ça ne me pose pas problème. Puis au

 28   paragraphe 70, c'était en audience publique, et le témoin avait demandé

Page 1155

  1   qu'on passe à huis clos partiel, parce qu'il ne voulait pas évoquer le

  2   contenu du paragraphe 70 en audience publique.

  3   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Et le témoin l'a répété aujourd'hui. Il

  4   a dit que si on voulait qu'on en parle, il demanderait qu'on passe à huis

  5   clos partiel.

  6   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Effectivement. Je demanderais donc que

  7   ceci reste expurgé.

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] D'accord.

  9   Mme SUTHERLAND : [interprétation] S'agissant du paragraphe 80, quatrième et

 10   cinquième phrases, là aussi ce fut dit dans le procès Krajisnik en audience

 11   publique, mais il y a eu expurgation ultérieure sur ordonnance du Président

 12   de la Chambre, car ceci risquait de donner l'identité du témoin. Ceci vaut

 13   également pour le paragraphe 84, deuxième phrase -- excusez-moi, ça c'était

 14   à huis clos partiel. Mais c'était pareil, pour ces deux raisons, ça

 15   risquait de divulguer l'identité du témoin, et je pense que pour les

 16   paragraphes 80 et 84, il n'y aurait pas de problème à ce que l'expurgation

 17   soit levée.

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie, Madame Sutherland.

 19   [La Chambre de première instance se concerte]

 20   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous vous donnerons des instructions

 21   après avoir réfléchi à la question.

 22   Autre question d'intendance.

 23   Madame Sutherland, la Chambre n'avait pas déclaré recevable le document

 24   22038, la liste des personnes arrêtées et placées en détention, visée par

 25   l'article 65 ter, car rien n'avait été dit quant à l'authenticité de ce

 26   document ou à sa base.

 27   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Oui.

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais je n'ai pas donné de décision sur

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  1   votre requête aux fins d'ajout à la liste 65 ter de ce document. Donc je ne

  2   voulais pas exclure la possibilité qui vous est donnée d'essayer de verser

  3   cet élément de preuve par le truchement d'un autre témoin. Votre requête

  4   aux fins d'ajout de ce point à la liste 65 ter est déclarée recevable, elle

  5   y est fait droit.

  6   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Merci. Oui, j'allais vous demander une

  7   précision à ce propos d'ailleurs en fin d'audience.

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous pouvons maintenant faire entrer le

  9   témoin.

 10   M. TIEGER : [interprétation] Permettez-moi d'évoquer rapidement un point.

 11   M. LE JUGE KWON : [interprétation] D'accord.

 12   M. TIEGER : [interprétation] J'ai parlé avec Me Harvey et M. Sladojevic

 13   quant à la possibilité de dire déjà maintenant au Témoin KDZ-064 qu'il

 14   pouvait rentrer à l'hôtel. Ils ont marqué leur accord. Je ne sais pas si Me

 15   Sladojevic a eu l'occasion d'en parler avec M. Karadzic, préférable qu'il

 16   parte plutôt que d'attendre inutilement.

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, je pense que ça semble logique.

 18   M. TIEGER : [interprétation] Merci.

 19   M. LE JUGE KWON : [aucune interprétation]

 20   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Me permettez-vous de quitter le prétoire,

 21   Monsieur le Président ?

 22   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Merci.

 23   Mme SUTHERLAND : [interprétation] Merci.

 24   M. TIEGER : [interprétation] En attente de l'arrivée du témoin, puis-je

 25   vous demander une précision à propos des documents. Quand les documents

 26   sont plus volumineux et lorsque certains extraits en auront été traduits,

 27   lorsqu'on demandera le versement, nous ne voulons pas dire que la totalité

 28   du document doit être soumise à traduction, mais on demande d'avoir

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  1   l'occasion de parcourir les parties qui n'auront pas été traduites pour

  2   voir s'il y a tel ou tel élément dont on devrait demander le versement.

  3   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

  4   L'ACCUSÉ : [interprétation] Vos Excellences, pendant que nous attendons,

  5   est-ce que je peux évoquer un ou deux points ?

  6   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Allez-y.

  7   L'ACCUSÉ : [interprétation] Il me semble que votre décision du point de vue

  8   de la langue, de la langue serbe pour mes besoins, se rapportait au compte

  9   rendu, à savoir qu'il n'y a pas lieu de me traduire les comptes rendus

 10   d'audience. Pour autant que je m'en souvienne, cela ne se rapportait pas

 11   non plus ou pas aussi aux déclarations de base, de départ. Et si j'ai

 12   raison, je vous demanderais fort aimablement de faire en sorte que les

 13   déclarations de témoin qui servent de base pour le 92 ter me soient

 14   communiquées en langue serbe. Deuxièmement, nous avons eu des problèmes

 15   techniques pour ce qui est du chargement de certains documents de façon

 16   électronique, et sans notre responsabilité en quoi que ce soit, hors de

 17   notre contrôle, j'imagine que cela sera résolu d'ici à demain. Il semble

 18   que c'est déjà résolu. Tant mieux.

 19   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 20   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vais demander au témoin de prononcer

 21   la déclaration solennelle.

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 23   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 24   LE TÉMOIN : SULEJMAN CRNCALO [Assermenté]

 25   [Le témoin répond par l'interprète]

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur. Veuillez

 27   vous asseoir.

 28   Avant que M. Gaynor vous pose des questions, je dois vous fournir quelques

Page 1158

  1   informations. Tout d'abord, au nom du Tribunal et des Juges de la Chambre,

  2   je tiens à vous remercier d'être venu en qualité de témoin dans ce procès.

  3   La Chambre vous est gré d'être venu; elle sait que c'est la troisième fois

  4   que vous vous déplacez à La Haye pour déposer. Nous espérons que vous

  5   comprendrez les raisons pour lesquelles nous n'avons pas eu l'occasion de

  6   vous entendre les deux premières fois.

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Je comprends.

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous savons qu'il n'est pas simple de

  9   revenir plusieurs fois et que vous avez dû prendre des dispositions pour

 10   répondre à notre invitation. Je tenais à vous manifester notre

 11   reconnaissance.

 12   LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

 13   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Gaynor, vous avez la parole.

 14   M. GAYNOR : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 15   Interrogatoire principal par M. Gaynor :

 16   Q.  [interprétation] Je vais vous demander de décliner votre identité,

 17   Monsieur.

 18   R.  Je m'appelle Crncalo, Sulejman.

 19   Q.  Le 1er novembre 2009, vous avez signé une déclaration préalable

 20   consolidée, n'est-ce pas ?

 21   R.  C'est cela.

 22   M. GAYNOR : [interprétation] Le numéro de la liste 65 ter, 90014 peut-il

 23   être affiché, et plus exactement la page 16 du document.

 24   Q.  Vous avez sous les yeux, en dessous de la déclaration, votre signature.

 25   C'est bien la vôtre ?

 26   R.  Oui.

 27   Q.  Vous avez d'ailleurs signé ou paraphé chaque page de la déclaration,

 28   n'est-ce pas ?

Page 1159

  1   R.  C'est exact.

  2   Q.  Je pense que vous voulez apporter une correction dans un mot de la

  3   déclaration.

  4   M. GAYNOR : [interprétation] Pourrait-on à cet effet afficher la page 9.

  5   Madame, Messieurs les Juges, à la quatrième ligne du paragraphe 52 de la

  6   déclaration, le témoin parle de jeunes soldats à Pale qui "portaient des

  7   brassards et des rubans chetniks au bras ou à la tête." M. Crncalo voudrait

  8   qu'on ait à la place du mot "chetniks," le mot "rouges."

  9   Q.  Est-ce exact, Monsieur Crncalo ?

 10   R.  Oui. Si je peux vous expliquer. Il n'y avait aucune espèce d'insigne

 11   dessus. C'était juste des rubans attachés aux deux manches au-dessus du

 12   coude et il y avait un bandana attaché au niveau de la tête, et ces

 13   bandanas étaient rouges.

 14   Q.  Sous réserve de cette correction, confirmez-vous que la version

 15   consolidée traduit bien vos propos et que si on vous reposait les mêmes

 16   questions, vous y répondriez de la même façon sous   serment ?

 17   R.  Oui, bien sûr, c'est ma déclaration et je la maintiens.

 18   M. GAYNOR : [interprétation] Monsieur le Président, je demanderais

 19   maintenant le versement de cette déclaration consolidée au dossier. Il

 20   s'agit du document 90014.

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Le document est versé.

 22   Quelle sera la cote ?

 23   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce P733.

 24   M. LE JUGE KWON : [interprétation] J'ai oublié de donner une cote aux trois

 25   documents de la Défense que nous avons déclarés recevables. Nous avons les

 26   cotes ?

 27   M. LE GREFFIER : [interprétation] D5, 6 et 7, respectivement.

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

Page 1160

  1   Poursuivez, Monsieur Gaynor.

  2   M. GAYNOR : [interprétation] Je vais maintenant lire un résumé de la

  3   déposition du témoin.

  4   M. Crncalo est un Musulman de Bosnie qui est né, a vécu et a travaillé à

  5   Pale.

  6   En 1991 et au début de l'année 1992, M. Crncalo a constaté qu'il y

  7   avait de plus en plus de manifestations publiques du nationalisme serbe à

  8   Pale, distribution clandestine d'armes à la population serbe locale ainsi

  9   qu'une mobilisation des travailleurs serbes qui travaillaient avec lui. La

 10   réaction des Musulmans qui se sont sentis menacés, c'est qu'ils ont

 11   commencé à monter la garde autour de chez eux.

 12   Le 3 mars 1992, le témoin est arrêté par des policiers alors qu'il

 13   montait la garde de sa maison. Il a été emmené au poste de police de Pale,

 14   où il a été interrogé par la police, notamment par le chef de la police,

 15   Malko Koroman. Il a été menacé de mort et il a été tabassé pendant trois

 16   heures.

 17   Peu de temps après, Malko Koroman a lancé une annonce à la télévision

 18   adressée aux non-Serbes leur ordonnant de rendre leurs armes à la police.

 19   Des paramilitaires serbes ont fouillé les maisons de Musulmans.

 20   Au début du mois de mars 1992, la cellule de Crise de la municipalité

 21   de Pale a été créée. Elle contrôlait toutes les activités de la

 22   municipalité. Elle avait son siège au QG de la police et se composait des

 23   dirigeants du SDS, notamment le président du SDS, le chef de la police et

 24   le président de la municipalité.

 25   A la mi-mars 1992, les autorités serbes ont entamé une campagne

 26   destinée à convaincre les Musulmans de la nécessité de quitter la

 27   municipalité. Un policier serbe et un chef militaire d'unité paramilitaire,

 28   Radomir Kojic, est venu dans la rue où habitait le témoin pour dire aux

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  1   Musulmans qu'il était préférable de vivre en paix, et donc d'éviter qu'il y

  2   ait des ennuis plus tard.

  3   Dans la deuxième quinzaine du mois de mars, une délégation musulmane

  4   de la municipalité, dont faisait partie M. Crncalo, a rencontré Nikola

  5   Koljevic et le chef de la police de Pale, Malko Koroman. Koljevic a dit à

  6   la délégation que les Serbes de la région ne voulaient pas que les

  7   Musulmans continuent de vivre à Pale. Koroman a dit à la délégation, en

  8   présence de Koljevic, qu'il ne pouvait plus garantir la sécurité des

  9   Musulmans, car, a-t-il dit, il ne pouvait plus contrôler les Bérets rouges

 10   qui étaient arrivés dans la municipalité.

 11   La population musulmane a été de plus en plus intimidée par des

 12   Serbes armés en avril 1992. Des postes de contrôle qui avaient été érigés

 13   sur ordre et sur le contrôle de la cellule de Crise du SDS, tenus par des

 14   paramilitaires et des réservistes de l'armée, ont très sérieusement limité

 15   la liberté de mouvement des Musulmans et les ont isolés des communautés

 16   musulmanes environnantes.

 17   En mai 1992, la cellule de Crise a ordonné de déconnecter les

 18   téléphones appartenant aux Musulmans. Vers la mi-mai, le témoin et d'autres

 19   travailleurs non-serbes ont été licenciés.

 20   En mai-1992 aussi, M. Crncalo a vu qu'il y avait trois camions de

 21   transport civil remplis d'hommes musulmans civils de Bratunac qui sont

 22   arrivés à Pale escortés par des paramilitaires serbes. Le président de la

 23   municipalité, Starcevic, a donné l'ordre d'emmener les Musulmans au cinéma,

 24   et c'est là qu'ils ont été placés en détention.

 25   En mai et en juin 1992, il y a eu renforcement des effectifs serbes

 26   paramilitaires et réguliers dans la municipalité. Des arrestations

 27   aléatoires de Musulmans, et en juin comme en juillet, plusieurs musulmans

 28   ont été arrêtés chez eux par des paramilitaires serbes et ont été tués.

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  1   En juin 1992, après que des soldats serbes eussent été tués près de Zepa,

  2   Radovan Karadzic a fait un discours à une foule amassée devant la maison de

  3   la culture à Pale. M. Crncalo a assisté à une partie du discours. Il a

  4   entendu Karadzic dire des choses qui revenaient à dire que la meilleure

  5   façon de défendre des maisons serbes c'était d'attaquer celles des

  6   Musulmans.

  7   Fin juin et début juillet, les autorités serbes ont organisé des

  8   convois pour forcer les non-Serbes à quitter Pale. Un avis a été écrit et a

  9   été affiché dans le quartier du témoin, qui disait à la population

 10   musulmane où elle devait se réunir et à quel moment elle devait le faire

 11   pour quitter la municipalité, pour être transportée à l'extérieur de la

 12   municipalité. Les Musulmans se sont rassemblés à l'endroit indiqué et ils

 13   ne pouvaient emporter que ce qu'ils pouvaient porter. C'est ainsi qu'ils

 14   ont été transportés dans des convois d'autocars sous escorte de la police à

 15   Sarajevo.

 16   Le témoin a été obligé de signer un contrat de cession de ses biens à

 17   une femme serbe. Il a été aussi obligé d'abandonner sa voiture ainsi que

 18   les papiers de sa voiture.

 19   Avec sa famille, il a quitté Pale dans le troisième des trois convois

 20   qu'il y eut. Les trois convois se composaient en tout de 18 cars. Dans

 21   chaque car, il y avait de 90 à 100 personnes, et chaque bus était rempli de

 22   non-Serbes.

 23   M. Crncalo a vu quatre documents qui ont tous été délivrés par les

 24   autorités serbes de Bosnie en 1992. Deux ont été délivrés par le SJB du MUP

 25   serbe de Bosnie à Pale, l'un par le comité exécutif de la municipalité de

 26   Pale et l'autre par la présidence de la République serbe de Bosnie-

 27   Herzégovine. Ces quatre documents indiquent que les Musulmans qui ont

 28   quitté la municipalité de Pale l'ont quittée de bon gré, volontairement. Et

Page 1163

  1   M. Crncalo dit qu'il n'a connaissance d'aucun Musulman ni d'aucun Croate

  2   qui aurait, de son propre gré, quitté la municipalité de Pale en juillet

  3   1992.

  4   Après avoir été expulsé de Pale, M. Crncalo a appris que les trois

  5   mosquées de la région de Pale avaient été détruites entre juillet et

  6   septembre 1992. Il a aussi appris que plusieurs Musulmans qui avaient

  7   refusé de quitter la région de Pale en juillet 1992 avaient été tués.

  8   Le convoi dans lequel se trouvait le témoin est allé à Sarajevo, et

  9   c'est là que le témoin et sa famille ont passé plus de trois ans demi.

 10   Pendant le siège, les conditions de vie étaient difficiles à Sarajevo. Il

 11   n'y avait pas de chauffage, il n'y avait pas d'eau courante là où ils

 12   habitaient. C'est seulement lorsqu'il y avait une urgence médicale qu'on

 13   pouvait demander l'intervention d'un médecin, car les médecins étaient trop

 14   surchargés pour s'occuper de tout ce qui n'était pas vraiment une blessure

 15   sérieuse.

 16   Il n'y avait beaucoup à manger non plus. Lorsque les Serbes ont coupé

 17   l'approvisionnement humanitaire à Sarajevo, le témoin et les autres ont dû

 18   manger ce qu'ils trouvaient, notamment de l'herbe qu'ils faisaient bouillir

 19   et des feuilles qu'ils faisaient cuire.

 20   Il était difficile de vivre, mais en plus de ça, il y avait cette

 21   angoisse provoquée par la vue du sang dans les rues, les cadavres qu'on

 22   n'allait pas rechercher pour les enterrer.

 23   Les pilonnages et les tirs de tireurs embusqués étaient une cause

 24   constante et terrifiante, un élément constant de la vie. Souvent, il s'est

 25   trouvé près de civils tués. Ainsi, pendant ces trois ans qu'il a vécu là à

 26   Sarajevo sous le siège, il y vivait dans la peur constante de voir sa

 27   famille ou lui-même tuer par pilonnage ou tirs de tireurs embusqués.

 28   Lorsqu'il quittait sa maison, il n'était jamais sûr d'y rentrer en vie. Il

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  1   n'était pas non plus sûr qu'il allait retrouver en vie ceux qu'il laissait

  2   dans la maison au moment de partir.

  3   Le 28 août 1995, la femme de M. Crncalo s'est rendue au marché de

  4   Markale, car elle avait entendu dire que ce jour-là il y aurait du lait en

  5   poudre à acheter. Elle a été tuée lorsque le marché a été pilonné.

  6   M. Crncalo, son fils et sa fille sont restés à Sarajevo jusqu'à la

  7   fin du siège. Jamais pendant le siège il n'a eu l'occasion de quitter

  8   Sarajevo ni non plus les membres de sa famille.

  9   J'ai plusieurs questions à poser au témoin. Elles viseront uniquement

 10   à faire la lumière sur certains aspects de sa déposition.

 11   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Allez-y.

 12   M. GAYNOR : [interprétation] Le premier sujet, c'est à propos des

 13   paragraphes 36 à 41, page 7 de la déclaration consolidée.

 14   Q.  M. Crncalo, rappelez-vous une réunion qui a eu lieu au mois de mai

 15   1992. Vous faisiez partie d'une délégation musulmane d'une quinzaine de

 16   personnes qui a assisté à une réunion avec M. Nikola Koljevic et Malko

 17   Koroman dans un café à Pale, n'est-ce pas ? Vous vous souvenez de cette

 18   réunion ?

 19   R.  Oui, je m'en souviens bien.

 20   Q.  Est-ce que vous avez vu personnellement Nikola Koljevic à cette réunion

 21   ?

 22   R.  Oui, je l'ai vu en personne. Et si je peux vous étoffer mon propos et

 23   vous dire pourquoi il était venu. Nous avions demandé au chef de la police

 24   qu'un responsable de haut niveau du gouvernement vienne pour nous expliquer

 25   ou pour nous donner des assurances pour ce qui était de continuer à vivre

 26   dans Pale aux côtés de nos voisins, les Serbes. Nikola Koljevic m'a répondu

 27   : Rien ne sert de le vouloir. C'est les Serbes qui ne veulent pas. Ils ne

 28   veulent pas continuer à vivre avec les Musulmans. Ensuite, Marko Koroman,

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  1   le chef de la police de la municipalité de Pale, a probablement étayé ses

  2   propos, parce qu'il n'a cessé d'approuver et de dire que lui en sa qualité

  3   de chef de la police, donc Marko Koroman, il ne pouvait plus garder sous

  4   contrôle les Bérets rouges qui étaient arrivés de Knin, et ces Bérets

  5   rouges étaient venus là pour faire leur travail. Or, leur travail, on a

  6   bien vu comment ils l'avait fait à Knin. A Knin et à Gospic, les flammes

  7   ont tout englouti. On a pillé tout ce qu'il y avait à piller, on a tué tout

  8   ce qu'on avait pu tuer. Et l'intention était probablement de faire pareil à

  9   Pale. C'est la raison pour laquelle Marko Koroman ne pouvait pas longuement

 10   encore les garder sous contrôle.

 11   Q.  Merci. Est-ce que vous pouvez dire aux Juges de la Chambre pourquoi

 12   vous estimez pour sûr que la personne que vous avez dit être Nikola

 13   Koljevic était bel et bien Nikola Koljevic ? Comment savez-vous que c'était

 14   bien lui ?

 15   R.  Je n'étais pas seul. Nous tous qui étions là, à plusieurs reprises, on

 16   a eu l'occasion de voir Nikola Koljevic à la télévision. Et c'était un

 17   membre du gouvernement, au sens restreint du terme, au sein de la Republika

 18   Srpska. Donc quand il devait venir à cette réunion, un policier, Stanar

 19   Novica, a disparu. Il n'est pas resté longtemps. Il est revenu en compagnie

 20   d'un autre policier, Predrag Jovicic [phon], et ils ont ammené Nikola

 21   Koljevic. Il portait une espèce de blouson vert. Nous l'avons tous reconnu,

 22   nous qui étions là. Il n'y avait aucune espèce de dilemme pour savoir si

 23   c'était lui ou pas. C'était lui pour sûr.

 24   Q.  Est-ce que M. Koljevic a émis d'une façon quelconque des réserves vis-

 25   à-vis des propos tenus par M. Koroman ?

 26   R.  Il n'a pas émis de réserve du tout. Ils ont versé un verre de boisson

 27   forte, d'alcool, je ne sais pas ce que c'était trop, et ils sont restés à

 28   boire. Nous, nous n'avions ni le courage ni les modalités de dire quoi que

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  1   ce soit. On a dû quitter le restaurant. Donc les gens qui étaient venus

  2   demander une sécurité pour leur vie, eux, ils sont restés dans le

  3   restaurant, et nous, nous avons quitté ce restaurant. 

  4   M. GAYNOR : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, je voudrais

  5   maintenant passer au paragraphe 78, qui se trouve tout au haut de la page

  6   14 de cette déclaration consolidée.

  7   Q.  Monsieur Crncalo, vous avez mentionné dans votre témoignage précédent

  8   le discours tenu par Radovan Karadzic à Pale en juin 1992. Vous souvenez-

  9   vous d'avoir témoigné de cela la fois passée ?

 10   R.  J'ai fait des déclarations, mais je n'ai pas témoigné dans un prétoire

 11   auparavant.

 12   Q.  Oui, vous avez raison. Merci d'avoir rectifié ce que j'ai dit. Vous

 13   avez absolument raison.

 14   Alors, s'agissant de ce discours tenu par Karadzic, dites-nous, où est-ce

 15   que vous vous teniez lorsqu'il a parlé ?

 16   R.  J'étais à côté de l'un des piliers d'éclairage de la rue.

 17   Q.  Et Karadzic, il se trouvait où ?

 18   R.  Karadzic était debout au milieu de la foule de gens qui étaient des

 19   personnes qui avaient perdu quelqu'un de proche et qui étaient en deuil.

 20   Q.  Est-ce qu'il s'est servi d'un micro ?

 21   R.  Je n'ai pas vu de microphone.

 22   Q.  A quelle distance vous trouviez-vous de lui ?

 23   R.  D'après moi, ça pouvait faire 15 à 20 mètres.

 24   Q.  Est-ce que vous pouvez dire aux Juges de la Chambre les mots que vous

 25   avez entendu Karadzic prononcer lors de cette allocution, celle que vous

 26   avez eue l'occasion d'entendre.

 27   R.  Comment dirais-je, c'étaient des propos graves. Il voulait remonter le

 28   moral de ceux qui étaient là. Il a dit qu'il fallait attaquer chaque maison

Page 1167

  1   musulmane et que c'était la façon de procéder à la défense des maisons

  2   serbes.

  3   M. GAYNOR : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, pour ce qui est

  4   du dernier sujet à entamer, je voudrais me référer aux paragraphes finaux

  5   de la déclaration, à savoir aux événements du 20 août 1995. Je me réfère

  6   aux paragraphes 94 à 97 de la page 15.

  7   Q.  Monsieur Crncalo, pouvez-vous vous concentrer maintenant sur les

  8   événements du 28 août 1995. Pouvez-vous nous dire aussi où est-ce que vous

  9   vous trouviez ce matin-là ?

 10   R.  Ce matin-là, j'étais dans ma maison en compagnie de ma femme et de mes

 11   enfants.

 12   Q.  Et votre femme a quitté la maison, n'est-ce pas ?

 13   R.  Le soir d'avant, on a entendu des rumeurs disant qu'au marché de

 14   Sarajevo on pouvait acheter du lait en poudre, et à l'époque, le lait

 15   c'était très important, en particulier pour les enfants. Et ma femme a

 16   décidé d'aller acheter du lait. Elle a quitté la maison vers 8 heures et

 17   demie. On a bien convenu qu'elle ne devait pas rester longtemps et qu'il

 18   fallait qu'elle rentre au plus tard à 11 heures. On espérait qu'on la

 19   reverrait à l'heure convenue. A 11 heures, elle n'était pas rentrée et j'ai

 20   trouvé la chose louche. Alors, je me suis dirigé vers le marché pour aller

 21   à sa rencontre. A mi-chemin, j'ai rencontré des gens et on s'est parlé. Ils

 22   m'ont dit : Où est-ce que tu vas ? Alors, je leur ai dit, puis ils m'ont

 23   dit : Mais c'est une catastrophe là-bas. J'ai demandé ce qui s'est passé,

 24   et ils m'ont dit : Il y a un obus qui est tombé et il y a tué beaucoup de

 25   gens. J'ai continué mon chemin. Je suis arrivé sur place et j'ai constaté

 26   le massacre.

 27   Q.  Je voudrais vous demander de décrire à l'intention des Juges la scène

 28   que vous avez trouvée sur la place du marché lorsque vous êtes arrivé là-

Page 1168

  1   bas.

  2   R.  Oui, je vais le faire. Lorsque je suis arrivé à cet endroit, même avant

  3   d'arriver à l'endroit, j'ai vu un grand remue-ménage et désordre. Je suis

  4   arrivé au lieu précis où cela s'était produit, il y avait du sang plein la

  5   rue. Toute la rue était pleine de sang. Des bouts de chair humaine étaient

  6   éparpillés, des bouts de vêtements arrachés partout, des parties de

  7   chaussures, des fois entières, des fois découpées. Là où il y avait eu des

  8   rails de trams aménagés pour qu'on puisse traverser, c'était comme si on

  9   avait badigeonné en rouge toute la clôture, c'était tout couvert de sang.

 10   Je n'ai pas vu de cadavres sur place, parce que tous ces cadavres ont été

 11   emportés. Et je leur ai demandé : Mais où sont-ils ? Alors, on m'a dit

 12   d'aller à l'hôpital de Kosevo. En espérant que le pire n'était pas survenu,

 13   j'ai d'abord cherché à voir les listes des blessés. J'ai réexaminé à

 14   plusieurs reprises ces listes-là, et il n'y avait pas son nom à elle. Et

 15   j'ai demandé à un docteur, j'ai dit qu'il n'y avait pas la personne que je

 16   cherchais sur la liste. On m'a dit d'aller à la morgue. Et arrivé à la

 17   morgue, j'ai trouvé ma femme. Elle était morte.

 18   Q.  Ma toute dernière question pour vous, Monsieur Crncalo : quel est

 19   l'impact que la mort de votre femme a eu sur vous ?

 20   R.  D'abord, une grande tristesse. Ensuite, jusque-là, je m'étais efforcé

 21   d'assurer de l'argent, de la nourriture et des vêtements pour mes enfants.

 22   Après cela, j'ai dû être un père et une mère. Je n'ai jamais cuisiné à

 23   manger avant cela. A partir de ce moment-là, j'ai dû le faire. J'ai dû

 24   cuisiner, j'ai dû laver les vêtements des enfants, les préparer pour

 25   l'école, exercer un contrôle à leur égard pour aller à l'école et pour

 26   revenir de l'école à la maison. Avec mon fils, il était possible de parler

 27   encore, mais c'était très difficile avec ma fille. Mais il fallait bien.

 28   Que vouliez-vous que je fasse ? Que pouvais-je faire d'autre, les garder

Page 1169

  1   auprès de moi ? Il fallait qu'ils m'obéissent, qu'ils aillent à l'école  --

  2   Q.  Merci.

  3   R.  -- il fallait qu'ils continuent à aller à l'école. Ils m'ont obéi. Ils

  4   ont fini leurs études. Maintenant, ils travaillent.

  5   Q.  Merci, Monsieur.

  6   M. GAYNOR : [interprétation] Monsieur le Président, ceci met un terme à mon

  7   interrogatoire au principal. Je vais vous demander maintenant de procéder

  8   au versement de six pièces à conviction au dossier. Il s'agit de la partie

  9   intégrale de cette déclaration consolidée, conformément aux directives des

 10   Juges de la Chambre, en application du 65 ter, et j'en donnerais les

 11   numéros.

 12   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne pense pas que ce soit nécessaire

 13   puisque nous avons la liste 65 ter.

 14   M. GAYNOR : [interprétation] Très bien, Monsieur le Président.

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais avant de passer à cela, Monsieur

 16   Crncalo, je vous demande si vous vous sentez bien ? Si vous souhaitez, nous

 17   pouvons faire une pause, une brève pause. Comment vous sentez-vous ?

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai réussi à tenir le coup pendant la plus

 19   grosse partie de ma déposition. Donc si vous le souhaitez, je peux

 20   poursuivre.

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.

 22   Monsieur Karadzic, avez-vous des observations à faire au sujet de ces

 23   documents ?

 24   Vous avez bien proposé six documents au versement, n'est-ce pas,

 25   Monsieur Gaynor, dans votre notification ?

 26   M. GAYNOR : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Qui sont toutes annexées et font partie

 28   de la déclaration écrite du témoin ?

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  1   M. GAYNOR : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président.

  2   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je n'ai pas d'observation, Monsieur le

  3   Président.

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous avons rapidement passé en revue ces

  5   différents éléments. Nous estimons qu'ils sont tous pertinents et dotés

  6   d'une valeur probante, et la Chambre estime également qu'ils font tous

  7   partie de façon indispensable et intégrale de la déclaration écrite du

  8   témoin. Donc nous allons procéder à l'affectation d'un numéro de pièce à

  9   chacun de ces documents, qui sont au nombre de six. Je commencerais par les

 10   numéros 734 à 739 dans l'ordre --

 11   M. LE GREFFIER : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président.

 12   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Donc dans l'ordre de la numérotation que

 13   l'on trouve dans la liste 65 ter.

 14   M. LE GREFFIER : [interprétation] C'est cela, Monsieur le Président. Ce

 15   sera fait.

 16   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Donc le document 01511 de la liste 65

 17   ter devient la pièce 734, pour que tout soit clair.

 18   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

 19   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Un mémo devrait être déposé en temps

 20   utile pour que tous ces points soient précisés à l'attention de tous, des

 21   parties en particulier.

 22   M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, un mémo sera

 23   déposé en temps utile.

 24   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Gaynor.

 25   M. GAYNOR : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, votre tour est donc

 27   venu de procéder au contre-interrogatoire de M. Crncalo.

 28   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Excellence.

Page 1171

  1   Contre-interrogatoire par M. Karadzic :

  2   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Crncalo.

  3   R.  Bonjour.

  4   Q.  Le dernier sujet abordé il y a quelques instants suscite une très

  5   grande émotion chez vous, ce qui est tout à fait compréhensible. C'est donc

  6   d'emblée que je viens à vous faire part de mes condoléances pour la lourde

  7   perte que vous avez subie. Il me paraît d'autant plus important de

  8   m'efforcer de démontrer aux Juges de la Chambre qui est l'auteur des actes

  9   commis le 28 août au marché de Markale, actes qui ont eu pour résultat la

 10   très lourde perte subie par vous. Ce que je viens de dire n'est pas une

 11   question. C'est simplement une façon de vous exprimer mes condoléances et

 12   ma compassion, et je m'engage devant vous à ce que soit démontré et prouvé

 13   qui est l'auteur de ces actes, sur qui vous pouvez donc faire peser vos

 14   reproches.

 15   M. GAYNOR : [interprétation] Monsieur le Président, objection. Exprimer des

 16   condoléances c'est très joli, mais le reste du contenu du propos de

 17   l'accusé n'était qu'un argument qu'il serait plus opportun d'exprimer par

 18   voie d'écriture.

 19   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je suis d'accord.

 20   Arrivez-en à votre question, Monsieur Karadzic.

 21   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je suis d'accord. Je vous remercie. Mais nous

 22   avons ici devant nous un homme qui a subi une très lourde perte.

 23   M. KARADZIC : [interprétation]

 24   Q.  Alors, j'aimerais vous poser la question suivante, Monsieur Crncalo :

 25   où résidiez-vous le 28 août ?

 26   R.  A Pofalic.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Une seconde. Nous n'avons pas entendu

 28   l'interprétation de la réponse du témoin. Monsieur Crncalo, pourriez-vous,

Page 1172

  1   je vous prie, répéter votre réponse.

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai rencontré des gens quand j'étais à mi-

  3   chemin, après avoir quitté Pofalic.

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Non, non, la question consistait à vous

  5   demander où vous résidiez le 28 août.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] A Pofalic.

  7   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

  8   M. KARADZIC : [interprétation]

  9   Q.  Quelle est la distance qui sépare Pofalic du marché de Markale, à peu

 10   près ?

 11   R.  [aucune interprétation]

 12   L'INTERPRÈTE : Note des interprètes : ils n'entendent absolument pas le

 13   témoin, qui est beaucoup trop loin des micros.

 14   M. KARADZIC : [interprétation]

 15   Q.  [aucune interprétation]

 16   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Crncalo, pourriez-vous, je vous

 17   prie, vous rapprocher des micros qui sont devant vous. Merci beaucoup.

 18   M. KARADZIC : [interprétation]

 19   Q.  Je vous ai demandé quelle était la distance séparant Pofalici de

 20   Markale. Vous avez répondu 3 kilomètres; c'est bien

 21   cela ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Je suis assez d'accord avec vous, et puisque j'ai passé moi-même 50 ans

 24   de ma vie à Sarajevo, je crois que nous pouvons tous les deux dénombrer le

 25   nombre d'arrêts de tramway entre ces deux lieux. Il est possible que cette

 26   distance soit de 4 kilomètres, enfin plutôt 4 que 2, n'est-ce pas ?

 27   R.  Bien, j'ai dit 3 kilomètres, pas 2.

 28   Q.  Très bien. Donc où est-ce que vous avez rencontré cet homme ce matin-

Page 1173

  1   là, cet homme qui vous a dit ce qui se passait à Markale ?

  2   R.  A côté du bâtiment hygiène.

  3   Q.  Pouvez-vous nous dire ce qu'est ce bâtiment hygiène ? Vous pouvez à

  4   l'institut sanitaire ?

  5   R.  Oui, à l'institut sanitaire, c'est cela, là où il travaillait.

  6   Q.  Comment avez-vous atteint cet endroit après avoir quitté Pofalici ?

  7   Est-ce que vous avez marché à pied ?

  8   R.  Oui, à pied. Je n'avais aucun autre moyen de transport.

  9   Q.  Et à quel moment avez-vous rencontré cet homme non loin de l'institut

 10   sanitaire ?

 11   R.  Bien, je marchais assez vite, parce que j'avais plus d'énergie que je

 12   n'en ai aujourd'hui, et il m'avait fallu à peu près 20 minutes.

 13   Q.  Vingt minutes à partir de quel endroit ?

 14   R.  A partir de ma maison jusqu'à cet endroit-là. J'ai atteint cet endroit

 15   en une vingtaine de minutes.

 16   Q.  Quand aviez-vous pris la route ?

 17   R.  J'étais parti à peu près à 11 heures.

 18   Q.  Je vous remercie. Donc vous avez rencontré cet homme avant 11 heures et

 19   demie; c'est bien cela ?

 20   R.  Oui, c'est à peu près ça.

 21   Q.  Je vous remercie. Donc combien de temps vous a-t-il fallu pour couvrir

 22   la distance séparant l'institut sanitaire de Markale ?

 23   R.  Je n'ai pas regardé ma montre. Mais je peux essayer d'y réfléchir

 24   maintenant, cela dit, ma réponse ne sera pas exacte. Il m'a fallu à peu

 25   près une heure à partir de mon domicile, donc de l'endroit où j'habitais,

 26   pour arriver à l'endroit en question.

 27   Q.  Donc vous y êtes arrivé aux environs de midi; c'est bien cela ?

 28   R.  Oui.

Page 1174

  1   Q.  Je vous remercie. Vous dites que lorsque vous y êtes arrivé, vous

  2   n'avez rien trouvé de concret sur place, pas de cadavres, pas de parties de

  3   corps ou quoi que ce soit de ce genre ?

  4   R.  C'est exact.

  5   Q.  Y avait-il d'autres personnes présentes ?

  6   R.  Oui, il y avait des personnes qui étaient ébahies par ce qui venait de

  7   se passer.

  8   Q.  Y avait-il d'autres personnes à cet endroit ?

  9   R.  Mais qu'est-ce que vous voulez dire par d'autres   personnes ?

 10   Q.  Bien, des passants qui s'arrêtaient parce qu'ils étaient surpris de

 11   voir ce qui se passait. Est-ce que vous avez vu autre chose que des

 12   passants ?

 13   R.  Vous voulez dire quelqu'un qui aurait filmé ou quelque chose comme cela

 14   ? Non, non, il n'y avait rien de tout cela quant je suis arrivé sur place.

 15   Q.  Je vois. Est-ce que vous voulez dire qu'à midi il n'y avait aucun

 16   représentant d'un quelconque organe d'investigation ou aucun responsable

 17   officielle sur place ?

 18   R.  Bien, je n'en ai pas vu. Je n'en ai vu aucun.

 19   Q.  Je vous remercie. Et vous vous êtes trouvé à quelle distance du site ?

 20   R.  J'ai dû enjamber des flaques de sang.

 21   Q.  Je vous remercie. Et ces flaques de sang, quel était leur aspect exact

 22   ? Quelles étaient leurs dimensions ? Vous avez dit que tout était baigné

 23   dans le sang.

 24   R.  Je n'ai pas dit "baigné dans le sang," mais oui, tout était couvert de

 25   sang. Alors qu'ils étaient en train de retirer les corps des blessés, ainsi

 26   que les cadavres des personnes tuées, il y a des traces de sang qui sont

 27   apparues qui étaient aussi larges qu'un corps humain, une dizaine de mètres

 28   d'un côté et une dizaine de mètres de l'autre côté. Je suppose qu'il y a eu

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  1   une voiture qui est venue ramasser ces cadavres qui étaient allongés sur le

  2   sol. Donc lorsqu'on a tiré et déplacé ces cadavres, tout a été couvert de

  3   sang. Est-ce qu'on baignait dans le sang ou pas, je ne sais pas, mais tout

  4   était rouge. Et comme je l'ai dit, on voyait des parties de corps humain,

  5   des parties de vêtements, ce genre de choses un peu partout.

  6   Q.  Je vous remercie. J'attendais simplement que les interprètes

  7   rattrapent.

  8   Pouvez-vous me dire qui a décidé de retirer ces cadavres et ces corps de

  9   personnes blessées, de les tirer sur le sol de la  rue ? Comment ceci est-

 10   il arrivé ? Vous avez dit que tout était rouge, mais comment est-ce qu'il

 11   s'est passé que ces personnes soient tirées comme ça sur le sol dans la rue

 12   ?

 13   R.  Les gens de Sarajevo éprouvaient un sentiment de solidarité par rapport

 14   à toute personne blessée ou tuée. Immédiatement, les habitants se mettaient

 15   à courir pour essayer de leur sauver la vie s'ils voyaient un blessé ou

 16   quelque chose de ce genre. Et plus tard, j'ai entendu que les habitants ont

 17   commencé par s'intéresser à toute personne donnant le moindre signe de vie

 18   pour ramasser son corps et l'emmener jusqu'à l'hôpital de Kosevo. Ceux qui

 19   ne manifestaient aucun signe de vie étaient emmenés directement à la

 20   morgue, et je suppose que des voitures s'en sont chargées. Les gens n'ont

 21   pas attendu un ordre venant de quelque part. Les gens ont fait cela de leur

 22   propre chef pour essayer de sauver ceux qui pouvaient être sauvés.

 23   Q.  Toutefois, Monsieur Crncalo, cela me paraît un peu bizarre à moi que

 24   des gens tirent sur le sol des blessés en pleine rue. Je ne pense pas que

 25   ce soit un geste d'amitié ou de solidarité. Je dirais plutôt que c'est un

 26   geste hostile et assez étonnant de voir quelqu'un tirer comme ça le corps

 27   d'un blessé à même le sol alors que celui-ci est en train de perdre son

 28   sang dans la rue. Vous êtes d'accord avec moi ?

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  1   R.  Non, je ne suis pas d'accord avec vous, et je vais vous dire pourquoi.

  2   Il s'est passé beaucoup de choses et beaucoup de personnes ont été tuées;

  3   43 personnes ont été tuées à ce moment-là. Je ne sais pas combien de

  4   personnes étaient blessées exactement. Mais en tout cas, les gens ont

  5   essayé de sauver les gens qui pouvaient l'être et qui ne pouvaient pas se

  6   déplacer eux-mêmes. Les corps c'est lourd, et donc il a fallu les traîner,

  7   les pousser, les tirer dans la rue. Quant à un geste hostile, oui, cela

  8   peut paraître comme un geste hostile, c'est vrai. Mais les enquêtes et les

  9   mesures qui ont été prises l'ont été plus tard par des experts des Nations

 10   Unies qui voulaient déterminer d'où l'obus était venu et qui avait tiré.

 11   Mais ce jour-là, au moment même des faits, personne n'avait encore eu

 12   le temps de procéder à quelque mesure que ce soit ou quoi que ce soit de ce

 13   genre au moment où je suis arrivé sur place. Plus tard, les experts des

 14   Nations Unies ont mené une enquête en bonne et due forme et ont procédé à

 15   toutes les mesures. Mais quand ils sont arrivés, tout avait été nettoyé,

 16   lavé. Il y avait juste les traces d'obus.

 17   Q.  Monsieur Crncalo, est-il habituel pour des enquêteurs d'intervenir

 18   après que tout a été lavé et remis en ordre d'une certaine façon ?

 19   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il n'appartient pas à ce témoin de

 20   répondre à cette question. Quelle est votre question suivante ?

 21   L'ACCUSÉ : [interprétation] Voici ma question suivante :

 22   M. KARADZIC : [interprétation]

 23   Q.  Monsieur Crncalo, vous venez de décrire un certain nombre d'actes

 24   destinés à sauver des vies humaines. Vous l'avez fait de façon très vivante

 25   en décrivant la forme d'aide qui a été apportée à ces personnes. Comment

 26   savez-vous que cela s'est passé ainsi puisque vous n'étiez pas présent sur

 27   les lieux à ce moment-là ?

 28   R.  Bien, il n'est pas difficile d'imaginer ce qui s'est passé et que les

Page 1177

  1   choses se sont passées comme je les ai décrites. L'obus était tombé, je

  2   l'ai entendu aux environs de 11 heures, et il a provoqué ce qu'il a

  3   provoqué. A mon arrivée, les résultats n'étaient pas visibles, mais on a

  4   besoin de rester organisé et il fallait plusieurs heures pour organiser et

  5   accomplir tout le travail nécessaire. Donc ce ne sont que des gens qui

  6   éprouvent des sentiments qui, notamment, ressentent de la solidarité, qui

  7   peuvent être efficaces dans ce genre de situation.

  8   Q.  Donc pendant ce temps, tous les blessés et tous les morts ont été

  9   retirés, et ce que vous avez vu c'était les traces qui avaient été laissées

 10   par le fait que les corps avaient été tirés à même le sol dans la rue. Que

 11   ces personnes aient été vivantes ou mortes, du sang aurait coulé de leurs

 12   corps et se serait réparti un peu partout dans la rue ?

 13   R.  C'est exact, mais on ne pouvait pas tirer les corps par-dessus les

 14   rails du tram. Il y avait encore sur les rails des morceaux de vêtements

 15   déchirés.

 16   Q.  A votre avis, quelle était l'étendue recouverte par le sang, quelle

 17   était la dimension de cette étendue ?

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Une seconde.

 19   Monsieur Gaynor.

 20   M. GAYNOR : [interprétation] Bien, objection, Monsieur le Président. C'est

 21   davantage une question qu'il conviendrait de poser à l'un des enquêteurs ou

 22   à des témoins qui auraient enquêté sur le site même à Sarajevo. Il n'est

 23   pas opportun de troubler M. Crncalo avec cette question.

 24   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce qu'il ne peut pas répondre à

 25   cette question sur la base de ses souvenirs ou de ce qu'il a vu ?

 26   M. GAYNOR : [interprétation] Comme la Chambre le voudra, Monsieur le

 27   Président.

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Crncalo, est-ce que vous êtes

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  1   capable de répondre à cette question ?

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui, je le suis.

  3   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez répondre, je vous prie.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne saurais vous le dire avec une totale

  5   exactitude, mais j'ai bien l'image en mémoire. Je peux revoir les

  6   événements. La rue avait une largeur d'environ 4 mètres, à partir des

  7   premières traces et jusqu'aux dernières. Alors, 30 mètres à peu près au

  8   total, disons, ça c'est la longueur de la zone concernée, à peu près. Je

  9   vois où l'obus est tombé. La plus grande partie de cette superficie était

 10   recouverte de sang. Ça faisait donc sur 20 mètres, à peu près. Vous pouvez

 11   calculer vous-même et vous représenter la quantité de sang qu'il y avait.

 12   M. KARADZIC : [interprétation]

 13   Q.  Si je vous ai bien compris, toute la largeur de la rue était recouverte

 14   de sang, et en longueur, la longueur concernée était de 30 mètres -- non,

 15   pas 30 mètres, 50 mètres. Vous avez dit 20, je crois -- oui, 20 plus 30,

 16   50. Donc 30 mètres dans un sens et 20 mètres dans l'autre. C'est ça que

 17   vous vouliez dire, je pense.

 18   R.  Non, non, pas 50 mètres au total. Au total 30 mètres. Il y avait du

 19   sang sur une longueur de 30 mètres. Mais il n'y avait pas beaucoup de gens

 20   là où l'obus est tombé. Les gens étaient rassemblés un peu plus loin.

 21   Q.  Je vous remercie. Nous n'allons pas insister. Alors, vous êtes allé à

 22   l'hôpital. Quand est-ce que vous êtes arrivé à

 23   l'hôpital ?

 24   R.  Bien, vous savez où se trouve l'hôpital, vous savez également où

 25   l'événement s'est produit, donc il m'a fallu plus d'une heure pour arriver

 26   jusqu'à l'hôpital.

 27   Q.  Bien, je ne dirais pas --

 28   R.  A pied, il faut tout de même arriver jusqu'au carrefour, puis continuer

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  1   le chemin.

  2   Q.  J'ai été étudiant dans cet hôpital et j'y ai travaillé pendant 50 ans.

  3   R.  Je sais bien que normalement vous devez très bien connaître cet

  4   endroit.

  5   Q.  Mais ce que je voudrais dire c'est que l'hôpital est beaucoup plus près

  6   de Markale que ne l'est Pofalici de l'institut sanitaire, deux fois plus

  7   près, n'est-ce pas ?

  8   R.  Vous pouvez imaginer un homme qui a vu ce qu'il a vu, qui se trouve au

  9   milieu du sang et qui cherche quelqu'un qu'il n'a pas encore trouvé, alors

 10   il n'a pas la même énergie au moment où il se met à chercher cette personne

 11   que l'énergie qu'il avait avant d'arriver sur place. Ça, il faut bien le

 12   comprendre.

 13   Q.  Je le comprends. Mais bon, voyons d'un peu plus près. Vous vous êtes

 14   trouvé à l'hôpital aux environs de 13 heures.

 15   R.  Oui.

 16   Q.  D'accord. A ce moment-là, la liste des blessés avait déjà été établie.

 17   Qui vous l'a donnée ?

 18   R.  Je ne l'ai pas reçue. Personne ne me l'a donnée. Elle était affichée

 19   sur le mur, collée sur la porte.

 20   Q.  Merci. Ensuite, on vous a conseillé d'aller à la morgue, n'est-ce pas ?

 21   R.  Pas tout de suite. Je suis resté là à peu près une demi-heure en

 22   cherchant à gauche et à droite, parce qu'il n'y avait pas qu'une seule

 23   liste. Il y en avait plusieurs. Je cherchais le nom de mon épouse, et je

 24   n'ai pas trouvé le nom de mon épouse. A ce moment-là, j'ai rencontré un

 25   médecin, je lui ai posé la question, et c'est lui qui m'a conseillé d'aller

 26   à la morgue.

 27   Q.  Je vous remercie. Quelle était cette morgue? La morgue de l'hôpital de

 28   Kosevo ?

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  1   R.  Quand on arrive sur le terrain de l'hôpital et qu'on fait face à "cum"

  2   [phon], sur la gauche, en contrebas, vous voyez, il y a ce grand bâtiment

  3   de forme semi-circulaire, la morgue est tout près de ce bâtiment, en

  4   contrebas.

  5   Q.  J'attends que les interprètes rattrapent.

  6   Est-ce que la morgue dont vous parlez se trouve tout près de l'une des

  7   sorties de l'hôpital encore aujourd'hui, la sortie qui permet de se diriger

  8   vers la faculté d'architecture; c'est bien   cela ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  Je vous remercie. Qu'avez-vous vu quand vous êtes arrivé à la morgue ?

 11   Combien y avait-il de cadavres ? Dans quelle position physique étaient-ils

 12   ?

 13   R.  Quand je suis arrivé à la morgue, je ne me rappelle pas aujourd'hui le

 14   nombre absolument exact, mais je dirais que j'y ai trouvé à peu près neuf

 15   cadavres qui étaient tous étendus sur le dos. Et ma femme avait par-dessus

 16   son cadavre le bras de la femme dont le cadavre se trouvait à côté du sien.

 17   Donc quand je suis arrivé, j'ai simplement retiré ce bras. Et je me suis

 18   mis à pleurer, à hurler. Dès que quelqu'un a entendu ma voix, quelqu'un qui

 19   se trouvait dans une autre salle, il y a trois hommes qui sont sortis de

 20   cette pièce et qui m'ont demandé ce qui se passait, est-ce que j'avais

 21   reconnu ma femme, et j'ai dit : Oui, c'est elle, c'est celle qui est ici. A

 22   ce moment-là, ils ont pris note de cela et ils m'ont montré les blessures

 23   qu'elle avait subies, les endroits de son corps où elle avait été touchée,

 24   et je n'ai pas demandé à ce qu'on me donne tout de suite un document

 25   officiel qui déclarait dans le cadre de quel massacre ma femme avait été

 26   tuée. Mais ils n'ont pas non plus souhaité me le donner tout de suite.

 27   Q.  Qui étaient les huit autres cadavres ? Est-ce que c'était des cadavres

 28   d'hommes ou de femmes ?

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  1   R.  Majoritairement de femmes.

  2   Q.  Si cela n'est pas trop difficile pour vous, est-ce que vous pourriez

  3   m'en dire un peu plus au sujet des blessures subies par votre femme ?

  4   R.  Elle a été blessée à l'épaule gauche, un éclat d'obus l'a touchée à

  5   l'épaule gauche, à l'omoplate gauche.

  6   Q.  Votre femme était, bien sûr, habillée, elle avait des vêtements sur

  7   elle ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Et qu'en est-il des autres cadavres ? Les 40 autres morts se trouvaient

 10   où ?

 11   R.  Dans une autre salle, celle d'où étaient sortis les trois hommes dont

 12   je parlais tout à l'heure.

 13   Q.  Mais dans la même morgue ?

 14   R.  Oui, dans la même morgue.

 15   Q.  Je vous remercie.

 16   L'ACCUSÉ : [interprétation] Avec l'autorisation de chacun, j'aimerais

 17   revenir sur ce sujet demain et je demanderais l'autorisation de présenter

 18   un élément de preuve supplémentaire à ce sujet de façon à faire un peu plus

 19   de clarté sur ce sujet que vient d'aborder M. Crncalo. D'ailleurs, je

 20   remercie M. Crncalo de l'avoir fait au mépris des souffrances que provoque

 21   en lui le souvenir des moments très difficiles qu'il a vécus. Est-ce que

 22   nous avons encore un peu de temps, Excellence ?

 23   M. GAYNOR : [interprétation] Une précision, je vous prie. Cet élément de

 24   preuve supplémentaire, l'accusé pourrait-il nous dire s'il figure sur la

 25   liste des éléments de preuve que la Défense souhaitait utiliser pendant son

 26   contre-interrogatoire ou si c'est un élément complètement nouveau ?

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je m'apprêtais à poser la même question.

 28   Nous disposons encore de cinq, sept minutes. Donc si vous avez encore des

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  1   questions à poser au témoin, vous pouvez le faire, Monsieur Karadzic, et

  2   nous aimerions également que vous précisiez un peu plus le sens exact que

  3   vous donnez à l'expression ajout d'un nouvel élément de preuve.

  4   L'ACCUSÉ : [interprétation] Volontiers. C'est tout à fait exact. Il s'agit

  5   d'un document qui n'avait pas été annoncé et qui est nécessaire parce que

  6   M. Crncalo nous a décrit une situation dont il a été le témoin oculaire, et

  7   il l'a fait de façon plus circonstanciée qu'il ne l'a fait dans sa

  8   déclaration préalable. Il nous a relaté ce qu'il avait vu, où il s'était

  9   rendu, d'où il venait, ce qu'il avait observé sur les lieux mêmes. Il faut

 10   dès lors que la Défense présente un autre élément de preuve. Si nous avions

 11   su à l'avance que M. Crncalo allait parler des lieux mêmes comme il l'a

 12   fait aujourd'hui, nous nous serions préparés. Mais je peux vous dire que

 13   cet élément de preuve sera présenté d'autres fois également. Nous allons

 14   seulement lui montrer quelques passages demain.

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous devriez avertir aujourd'hui encore

 16   l'Accusation de la nature de ce document. Nous entendrons ce qu'a à dire

 17   l'Accusation, et le cas échéant, nous allons autoriser l'utilisation de ce

 18   document.

 19   Y a-t-il d'autres questions que vous souhaitez poser au témoin aujourd'hui,

 20   Monsieur Karadzic ?

 21   L'ACCUSÉ : [interprétation] Si vous voulez, je pourrais revenir au début,

 22   si nous avons le temps, au début de sa déclaration préalable. Je ne veux

 23   pas insister sur ce sujet le plus pénible pour M. Crncalo, mais s'il nous

 24   reste quelques minutes, je peux revenir au début de la déclaration ou nous

 25   pouvons reprendre demain ? Comme vous voulez.

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il nous reste cinq minutes. Tirons le

 27   meilleur parti du temps que nous avons à notre disposition.

 28   M. KARADZIC : [interprétation]

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  1   Q.  Monsieur Crncalo, vous avez dit qu'au tribunal de Sarajevo, le 23 août

  2   1995, vous avez fourni une déclaration. Vous avez déposé. C'était cinq

  3   jours avant la mort de votre femme, n'est-ce pas ?

  4   R.  Vous voulez dire --

  5   Q.  C'était bien cinq jours avant que votre femme ne soit tuée, n'est-ce

  6   pas ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Ou est-ce que ça s'est passé après la mort de votre femme ?

  9   R.  Je pense qu'on m'a demandé dans quelles circonstances ma femme avait

 10   trouvé la mort cette année-là. C'est ce qu'ils m'avaient demandé.

 11   Q.  Vous voulez dire dans le cadre de cette déclaration ?

 12   R.  Oui.

 13   Q.  Ce qui veut dire que cette déclaration ne suffit pas ?

 14   R.  Est-ce que vous me permettez d'ajouter quelque chose ? Si rien n'est

 15   dit de la mort de ma femme dans cette déclaration, cela veut dire que j'ai

 16   fait cette déclaration avant.

 17   Q.  D'accord. Quoi qu'il en soit, nous avons besoin de cette déclaration si

 18   nous voulons établir les circonstances. Je vais demander à la partie

 19   adverse de nous fournir cette déclaration, car dans cette version amalgamée

 20   de sa déclaration nous n'avons pas mention de ce fait. Ce qui veut dire que

 21   nous avons besoin de l'autre déclaration.

 22   Maintenant, je voudrais revenir au début de votre déclaration écrite --

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Gaynor.

 24   M. GAYNOR : [interprétation] Oui, une précision à propos de la déclaration

 25   du témoin, déclaration fournie le 23 août 1995. Pour autant que je sache,

 26   elle a déjà été communiquée en anglais et dans la version originale à

 27   l'accusé.

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.

Page 1184

  1   M. GAYNOR : [interprétation] C'est du moins ce que je crois savoir. Je vais

  2   vérifier une fois de plus, mais je suis assez certain de ce que je dis.

  3   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous pourriez quand même

  4   faire une nouvelle copie et la communiquer aujourd'hui à l'accusé ?

  5   M. GAYNOR : [interprétation] Si tel est votre souhait, Monsieur le

  6   Président, je le ferai.

  7   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vois l'heure qu'il est. Nous allons

  8   lever l'audience. Elle reprendra demain, à 9 heures. Mais n'oubliez,

  9   Monsieur Crncalo, que pendant cette interruption, vous n'êtes pas censé

 10   parler à qui que ce soit de la teneur de votre déposition. Je vous

 11   remercie.

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je suis au courant. Je vous remercie.

 13   M. LE JUGE KWON : [interprétation] L'audience reprendra à 9 heures demain

 14   matin.

 15   --- L'audience est levée à 13 heures 44 et reprendra le jeudi 15 avril

 16   2010, à 9 heures 00.

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