Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 26 avril 2010

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   [Le témoin vient à la barre]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 02.

  6   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour à tous. Bonjour, Monsieur

  7   l'Ambassadeur.

  8   LE TÉMOIN : HERBERT OKUN [Reprise]

  9   [Le témoin répond par l'interprète]

 10    M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour, Monsieur Karadzic. C'est à

 11   vous de poursuivre votre contre-interrogatoire.

 12   On vient de me dire que l'équipe de Me Harvey comporte maintenant un

 13   nouveau membre.

 14   Maître Harvey, pourriez-vous nous la présenter --

 15   M. HARVEY : [interprétation] Oui. Je serai maintenant aidé par Me Colleen

 16   Rohan.

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. Je vous souhaite la

 18   bienvenue, Madame Rohan.

 19   Monsieur Karadzic, c'est à vous.

 20   M. KARADZIC : [interprétation] Merci, Votre Excellence.

 21   Contre-interrogatoire par M. Karadzic : [Suite]

 22   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur l'Ambassadeur.

 23   R.  Bonjour, Monsieur Karadzic.

 24   Q.  Avez-vous pu vous reposer ? Je vous ai probablement fatigué vendredi ?

 25   R.  Oui, oui. Je vous remercie.

 26   Q.  Je voudrais juste revenir sur un petit détail. Vous avez indiqué que

 27   vous avez été préoccupé par le fait qu'en 1991, au recensement, il n'y ait

 28   pas eu beaucoup de Yougoslaves et que cela a été un signe précurseur disant

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  1   que la Yougoslavie n'avait pas un avenir radieux; c'est bien cela ?

  2   R.  En fait, Monsieur Karadzic, ce n'est pas vraiment moi qui ai tenu ces

  3   propos et qui ai dit que j'étais inquiet, mais j'ai dit que les services de

  4   Renseignements les plus élevés, le Conseil national du renseignement, dans

  5   un rapport, leur avait déclaré que le pourcentage très réduit de personnes

  6   s'étant identifiées comme étant Yougoslaves semblait indiquer que cet Etat

  7   était prêt à subir des actions nationalistes. Ce n'était pas mon opinion.

  8   Q.  Merci. Oui, c'est exactement ce que vous avez dit. Je voudrais vous

  9   demander - parce que c'est encore l'une des raisons pour lesquelles j'envie

 10   M. Tieger d'avoir eu l'occasion de vous rencontrer à l'avance, et il a

 11   obtenu des réponses plutôt brèves - je vais vous demander donc de

 12   m'accorder le même traitement. Etes-vous d'accord ? Merci.

 13   Est-ce que vous seriez d'accord avec moi pour dire qu'en 1981, il y a eu le

 14   plus d'enthousiasme pour la Yougoslavie parmi les Serbes, et le moins parmi

 15   ceux qui avaient opté en faveur de la sécession, notamment le peuple

 16   slovène, croate, et les Musulmans ?

 17   R.  Ecoutez, je ne connais pas vraiment la réponse à cette question. En

 18   1991 [comme interprété], j'étais à Berlin, en Allemagne, et j'y suis resté

 19   plusieurs années, donc je ne suivais pas ce qui se passait en Yougoslavie

 20   de près, mais cela dit, ça aurait très bien pu être le cas.

 21   Q.  Merci. Cette réponse a été plus courte que la précédente. Mais je

 22   voudrais vous demander si, d'une certaine façon, du point de vue de

 23   l'éventail politique, était-ce là une espèce de désertion à l'égard de la

 24   Yougoslavie, comme en 1991, il y a eu un recensement qui l'a montré et il y

 25   a eu des désertions de l'armée populaire yougoslave ? Les Slovènes, les

 26   Croates et les Musulmans avaient quitté l'armée populaire yougoslave bien

 27   avant que la guerre

 28   n'éclate ?

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  1   R.  On me l'a fait savoir lorsque je suis arrivé en Yougoslavie.

  2   Pour répondre à votre question précédente, quant à savoir si cela

  3   signifiait une désertion, on pourrait peut-être voir si c'était le cas en

  4   se penchant sur les recensements précédents de 1961 et de 1971. Si au cours

  5   de ces recensements précédents un grand nombre de personnes se déclaraient

  6   Yougoslaves, dans ce cas-là, le recensement de 1981 aurait fait une grande

  7   différence. Malheureusement, je ne connais pas les résultats des

  8   recensements de 1961 ou de 1971, ou même de 1951 d'ailleurs, donc je ne

  9   peux pas vraiment vous répondre.

 10   Q.  Merci. Mais pouvons-nous tomber d'accord sur le fait de dire que du

 11   point de vue de l'appartenance yougoslave et de l'appartenance à l'armée

 12   populaire yougoslave, il n'est en majorité resté pour l'essentiel que des

 13   Serbes; non ?

 14   R.  Tout à fait.

 15   Q.  Etes-vous d'accord aussi pour dire qu'à l'occasion de ces premières

 16   élections démocratiques il y ait eu sept membres de la présidence à avoir

 17   été élus au niveau de la Bosnie-Herzégovine, deux Serbes, deux Croates,

 18   deux Musulmans, et un représentant des minorités ethniques, ceux qui ne

 19   sont ni Serbes ni Croates, ni Musulmans ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Merci. Savez-vous aussi que le Parti démocratique serbe, pour ce qui

 22   est du poste autre, avait proposé le chef de la communauté juive locale, M.

 23   Ceresnes, qui n'était pas membre de notre parti ?

 24   R.  Ça je n'étais pas au courant de cette chose.

 25   Q.  C'est un fait notoirement connu. Saviez-vous que le SDA avait déposé la

 26   candidature pour ce poste destiné aux minorités, au représentant des

 27   minorités, M. Ejub Ganic, qui est originaire du Sandzak, est, de notre

 28   avis, un extrémiste musulman ?

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  1   R.  Je suis au courant de cela. Je sais aussi qu'il s'était déclaré

  2   Musulman après avoir été élu sur une liste yougoslave.

  3   Q.  Donc est-il compréhensible de nous voir considérer que c'était une

  4   supercherie, nous étions fâchés et nous étions offensés ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Merci. Etant donné que vous êtes arrivé en Yougoslavie pour accomplir

  7   des fonctions au niveau du commandement de l'OTAN en votre qualité de

  8   conseiller politique suite aux grandes crises de 1971 et la révocation de

  9   la direction serbe, puis en 1972 le limogeage de la direction serbe, est-ce

 10   qu'à l'Occident on avait considéré qu'il serait intéressant de se pencher

 11   sur les forces d'opposition dans cette Yougoslavie à Tito de l'époque ?

 12   R.  Bien sûr, ces experts suivaient la situation de près, ces experts, des

 13   gens comme Mihajlo Mihajlov le sauraient, mais en ce qui concerne leur

 14   politique, ils soutenaient le maréchal Tito et l'intégrité territoriale de

 15   la Yougoslavie, parce que leur préoccupation principale c'était l'Union

 16   soviétique à l'époque.

 17   Q.  Aviez-vous su quoi que ce soit à l'époque au sujet d'Alija Izetbegovic

 18   ?

 19   R.  Non.

 20   Q.  Seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'à l'époque, les Musulmans,

 21   au niveau de l'Etat fédéral, avaient occupé des fonctions d'importance et

 22   avaient exercé une influence remarquable ?

 23   R.  Ils étaient bien représentés.

 24   Q.  Merci. Vous souvenez-vous du fait que le fondement idéologique de

 25   l'unité de la Yougoslavie, c'était la fraternité et l'unité que Tito avait

 26   promulguées aux fins de permettre l'existence de différences tout en

 27   assurant une unité ?

 28   R.  Oui.

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  1   Q.  Seriez-vous d'accord aussi pour dire que ce parti communiste de

  2   Yougoslavie était le tissu d'amalgamage [phon] des peuples et des

  3   républiques yougoslaves ensemble ?

  4   R.  Jusqu'à un certain point, mais pas totalement. Après tout, les partis

  5   communistes ne représentaient pas les masses, toutes les masses des gens

  6   dans ce pays. Ils le disaient, certes, mais cela dit, ce n'était pas la

  7   vérité.

  8   Q.  Mais êtes-vous d'accord pour dire que dans une telle situation, le

  9   parti qui n'avait pas le soutien de ce parti-là ne pourrait régner que par

 10   le biais d'une dictature ?

 11   R.  Je suis plus ou moins d'accord avec ça. Soit on gouverne en tant que

 12   communiste ou alors en tant que dictateur. Je ne pense pas que ce soit une

 13   position que l'on puisse défendre, certes. Ce n'est pas acceptable. Cela

 14   dit, il y a un grand nombre de pays qui n'ont pas de dictateur communiste

 15   et de dictature communiste, mais qui en avaient précédemment et qui sont

 16   devenus parfaitement démocratiques. Ça peut arriver.

 17   Q.  Merci. Mais vous serez probablement d'accord pour dire que la crise qui

 18   a pris fin en 1971 en Croatie, c'était quelque chose d'éminemment

 19   sécessionniste, et les Croates à l'époque, s'ils avaient pu voter à ce

 20   moment-là, ils auraient quitté la Yougoslavie dès lors, n'est-ce pas ?

 21   R.  Oui, c'est possible. Mais je ne pense pas que nous puissions en être

 22   certains à 100 %.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, je suis en train de

 24   me demander quelle est la pertinence de vos questions. Pourriez-vous, s'il

 25   vous plaît, en venir rapidement à ce qui nous intéresse.

 26   L'ACCUSÉ : [interprétation] Si, Excellence. J'allais justement le faire.

 27   M. KARADZIC : [interprétation]

 28   Q.  Etes-vous d'accord pour dire qu'il importe énormément de savoir quel

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  1   est le profil politique des acteurs de la crise bosno-herzégovienne; c'est

  2   très important cela. Quelle est l'histoire politique et quelles sont les

  3   intentions politiques de ces intervenants-là ?

  4   R.  Oui, en effet, c'est important.

  5   Q.  Ma thèse, Monsieur l'Ambassadeur, est celle-ci : Alija Izetbegovic, dès

  6   1939, avait été parmi les fondateurs des jeunes Musulmans, qui est une

  7   organisation musulmane en Bosnie-Herzégovine qui est une espèce d'antenne

  8   des frères musulmans en Egypte; est-ce bien cela ?

  9   R.  Je n'en sais rien.

 10   Q.  Mais vous ne le niez pas non plus.

 11   R.  Non. Je ne peux ni le confirmer ni l'affirmer.

 12   Q.  Saviez-vous que le grand Mufti de Jérusalem, al-Husseini, en 1943, à

 13   deux reprises a rendu visite à la Bosnie-Herzégovine ? On dit qu'il est

 14   l'oncle de Yasser Arafat - qui n'a pas une grande importance - mais c'était

 15   un grand allié à Hitler, au Proche-Orient.

 16   R.  Je suis au courant de cela.

 17   Q.  Saviez-vous aussi qu'il a été reçu par Omer Behmen et Alija

 18   Izetbegovic, et ses visites avaient résulté par la création d'une, puis

 19   d'une deuxième division nazie, qui s'étaient composées de Musulmans de

 20   Bosnie ?

 21   R.  Oui, je sais qu'il y avait la division Handzak. "Handzak" signifiant

 22   scimitaire [phon], et ce, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, il y a

 23   66 ans.

 24   Q.  Merci. Est-ce que vous saviez que cette organisation des jeunes

 25   Musulmans, dirigée par Alija Izetbegovic et son groupe, avait continué à

 26   intervenir dans la clandestinité en Yougoslavie même après la Deuxième

 27   Guerre mondiale ?

 28   R.  Non, ça je ne suis pas au courant de cela, mais j'imagine que c'est

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  1   possible.

  2   Q.  C'est la raison pour laquelle ce groupe a été jugé et condamné à des

  3   peines de prison en 1947, me semble-t-il. Mais ce que je voudrais, c'est

  4   aller vers l'actualité.

  5   Seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'Alija Izetbegovic, un homme très

  6   tenace et très ferme dans ses opinions, a continué, une fois sorti de

  7   prison en 1970, à promulguer ses idées. Il a été l'auteur de "La

  8   déclaration islamique," et les autres qui ont participé n'étaient là que

  9   pour lui donner des conseils.

 10   R.  J'en ai parlé hier, d'ailleurs.

 11   Q.  Seriez-vous d'accord aussi pour dire qu'à partir de 1970 jusqu'en 1980,

 12   il a promulgué "La déclaration islamique" dans les milieux musulmans, et il

 13   a commencé à créer un noyau de l'organisation qui était censé mettre en

 14   œuvre ces déclarations islamiques, et il a été jugé, il a fait l'objet d'un

 15   procès au tribunal de Sarajevo pour cela ?

 16   R.  Oui, je le sais.

 17   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais qu'on nous montre maintenant le

 18   1D34, 0034, plutôt. J'aimerais qu'on nous le montre au niveau du prétoire

 19   électronique.

 20   M. KARADZIC : [interprétation]

 21   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, nous avons ici sous les yeux un jugement rendu

 22   en 1983. C'est le tribunal départemental de Sarajevo qui est composé de

 23   cinq juges musulmans. Non, excusez-moi, trois Musulmans, et un Serbe et un

 24   Croate, et c'est le jugement rendu pour les accusés dans l'affaire pénale

 25   contre Alija Izetbegovic et autres, pour délit au pénal d'association pour

 26   exercer des activités hostiles prévues au code pénal, article 36; et ça

 27   s'est tenu du 18 juillet jusqu'au 19 août 1983.

 28   Le 20 août 1983, ce conseil de juges a rendu un verdict, à savoir

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  1   l'accusé Izetbegovic Alija et Behmen Omer, ainsi que Hasan Cengic - ces

  2   deux-là, ils ont fait l'objet d'un procès en 1947 déjà - se trouvent à être

  3   coupables, parce qu'Alija Izetbegovic et Omer Behmen, en début 1974, à

  4   plusieurs reprises -- oui, enfin, j'avais espéré que les interprètes ont le

  5   texte sous les yeux - sous l'emprise de leur idée du renouveau musulman et

  6   l'islamisation des Musulmans s'étaient entretenus sur la nécessité de

  7   s'employer à la réalisation de cette idée, et cetera, et cetera. Puis une

  8   fois qu'Alija Izetbegovic a rédigé et publié plusieurs textes de cette

  9   nature, suite à des suggestions d'Omer Behmen, il a rédigé ce fameux texte

 10   de "La déclaration islamique." Donc "La déclaration islamique," c'est son

 11   ouvrage d'auteur et ils se sont associés pour exercer des activités

 12   hostiles au pays.

 13   Est-ce que vous avez eu connaissance de ce jugement rendu avant que d'être

 14   venu témoigner ici ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Est-ce que les services occidentaux qui procèdent à des échanges

 17   d'informations avec l'OTAN ont mis en garde, concernant l'existence de ce

 18   groupe, qui risquait de constituer une force susceptible de jouer un rôle

 19   important en cas d'évolution des événements de façon négative, du fait

 20   aussi de ce qui s'était passé en Union soviétique ?

 21   R.  Je n'en sais rien. Je n'étais pas du tout impliqué dans les affaires

 22   yougoslaves à l'époque.

 23   Q.  Merci. J'aimerais que nous passions maintenant à la page suivante. En

 24   page 7 du document et à l'affichage électronique, il y a une autre page

 25   encore. Page 7 dans le texte. Voilà. On y est à la page 7.

 26   Ici, dans le passage du milieu on dit, Omer Behmen - c'est le deuxième qui

 27   est surligné en serbe - a procédé à des compléments de ce texte pour ce qui

 28   est des Musulmans en Yougoslavie, et en début de 1982 il a restitué les

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  1   textes à Behmen, et a dit d'attendre avec la publication. Ce qui fait que

  2   les Musulmans de la Yougoslavie ont souligné dans ce texte que :

  3   "Dans les circonstances de la Deuxième Guerre mondiale, avec

  4   l'apparition des Partisans, cela avait menacé la survie spirituelle des

  5   Musulmans."

  6   Et envers le bas, il est dit, les Musulmans de la Yougoslavie considèrent

  7   la révolution islamique en Iran comme étant la leur et comme étant le début

  8   d'un renouveau véritable. Puis un plus bas, il est dit aussi que s'agissant

  9   de la révolution iranienne et du conflit de l'Iran et de l'Irak et la

 10   victoire de la révolution islamique dans cette guerre pour mettre un terme

 11   au régime corrompu dans les pays voisins constituerait un grand

 12   encouragement à l'intention des Musulmans de Yougoslavie, et que ça

 13   permettrait de tourner une page nouvelle dans leur histoire.

 14   Est-ce que vous estimez --

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ralentissez, s'il vous plaît.

 16   M. KARADZIC : [interprétation]

 17   Q.  Est-ce que vous considérez que cela a constitué une matière à

 18   préoccupation du côté des Serbes ?

 19   R.  Je peux, bien sûr, imaginer que les gouvernements communistes exagérant

 20   cette préoccupation empêcheraient que l'on s'occupe de quoi que ce soit qui

 21   soit de nature religieuse. Nous savons que les régimes communistes

 22   officiellement de régime athée, donc toute déclaration religieuse forcément

 23   agiterait forcément le gouvernement communiste. Alors, que ce soit

 24   important, que ça ait une portée importante ou non, ça c'est autre chose.

 25   Q.  Merci. Page suivante, je vous prie.

 26   Ici, Alija Izetbegovic, Omer Behmen et Kasumagic Ismet :

 27   "En été 1982 à Sarajevo, Alija Izetbegovic et Omer Behmen ont convenu

 28   par l'intermédiaire de Teufik Velagic, un membre de l'émigration ennemie à

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  1   Vienne et membre de cette initiative islamique, réalisent ou au procès d'un

  2   des contacts avec l'ambassadeur iranien à Vienne dans l'objectif de

  3   communiquer à ces autorités islamiques un exemplaire de la "déclaration

  4   islamiste" pour demander un soutien aux opinions qui y sont présentées et

  5   convenir d'un départ d'un groupe de nationalistes musulmans de Bosnie-

  6   Herzégovine vers l'Iran aux fins d'établir des contacts, et cetera, et

  7   cetera.

  8   Est-ce que ceci n'est pas seulement de la religion; c'est aussi de la

  9   politique, non ?

 10   R.  Oui, oui. C'est de nature politique. Comme vous le savez, Monsieur

 11   Karadzic, et comme je le sais aussi, cela représentait une branche du SDA,

 12   mais c'était une branche minoritaire, et de loin.

 13   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Ça, c'était dans les années 80. Les

 14   années 90, le même groupe ont créé ce parti justement, et on y arrive.

 15   En page 12 de cette version serbe, ici, on dit qu'à partir du début

 16   de 1979 à --

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Attendez que le document s'affiche en

 18   anglais pour que M. l'Ambassadeur puisse suivre.

 19   Nous pourrions peut-être n'utiliser que l'anglais, puisqu'il semble que M.

 20   Karadzic n'utilise pas l'affichage sur le prétoire électronique en serbe.

 21   Pourriez-vous au moins aider le témoin à se trouver dans la page.

 22   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je suis d'accord.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

 24   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. J'essayerai de me référer à la version

 25   anglaise.

 26   Il est dit ici, chapitre 5 :

 27   "A partir du début de 1979 à 1983," et ainsi de suite, "devant un tel un

 28   tel, Alija Izetbegovic aurait affirmé que l'Islam doit être établi dans

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  1   l'état dans tous les pays où il y a une population islamique, et il

  2   convient de créer des conditions pour que la Bosnie-Herzégovine à l'avenir

  3   devienne une république islamique avec des lois islamiques."

  4   M. KARADZIC : [interprétation]

  5   Q.  Alors, ma question pour vous, Monsieur l'Ambassadeur, est celle-ci :

  6   d'après vos journaux, vous avez rencontré à plusieurs reprises M.

  7   Izetbegovic. Est-ce qu'à l'occasion de ces rencontres il vous aurait

  8   communiqué son intention de faire de la Bosnie une république islamiste

  9   avec des lois islamistes en vigueur ?

 10   R.  Il n'a pas dit cela, et les autres dirigeants musulmans non plus, aucun

 11   de ceux avec qui nous traitions très souvent. Haris Silajdzic, par exemple,

 12   et d'autres étaient parfaitement laïcisés. Ejub Ganic, dont nous venons de

 13   parler, finalement, s'est déclaré Musulman après avoir fait campagne comme

 14   Yougoslave dans le cadre des élections de 1990. Mais il avait une opinion

 15   extrêmement laïque. Et Zulfikarpasic, qui était l'un des fondateurs du

 16   parti, l'un des financiers aussi du parti, qui était un homme d'affaires

 17   extrêmement riche, lui aussi avait un point de vue parfaitement laïc.

 18   Abdic, Fikret Abdic, le candidat du SDA qui a obtenu le plus de voix dans

 19   les élections présidentielles de 1990, était aussi une personne qui avait

 20   une opinion totalement laïque des choses. Donc vous rentrez dans des

 21   détails, des détails qui sont fort intéressants, certes, du point de vue

 22   historique, en tout cas, mais tous ces détails ne représentent pas l'état

 23   des choses telles qu'elles étaient au sein du SDA à l'époque.

 24   Q.  Merci. Vous allez voir que c'est bien le cas. Alors, quand ils se

 25   présentaient comme étant laïcisés, est-ce que vous les avez crus ? Je ne

 26   parle pas de Zulfikarpasic et autres, mais je vous parle d'Izetbegovic et

 27   de son groupe à lui. Pensez-vous qu'ils ont été sincères à votre égard ?

 28   R.  Izetbegovic n'a jamais dissimulé sa religiosité. Notre président à

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  1   l'époque, George W. Bush, lui non plus il ne le cachait pas. On l'a souvent

  2   accusé de ce type de chose, parce qu'on l'a accusé d'être un chrétien

  3   extrêmement religieux, un chrétien -- ça arrive souvent dans nos pays.

  4   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Au chapitre 5 -- enfin, je crois qu'il

  5   faut soit changer la page, soit descendre le texte pour ce qui est de la

  6   version anglaise. Ça doit être sûrement la page d'après. En page 3 :

  7   "En été 1982," dans une résidence secondaire de quelqu'un, "il a dit que

  8   nos Musulmans devraient être armés pour interpréter et mettre en œuvre

  9   l'Islam à l'image des imams chiites en Iran."

 10   Est-ce que vous le voyez cela ?

 11   R.  Oui.

 12   L'ACCUSÉ : [interprétation] Peut-on nous montrer la page 16, s'il vous

 13   plaît, chapitre 7; pages 13 et 14 pour ce qui est de l'affichage

 14   électronique, version anglaise de l'affichage électronique, toujours

 15   s'agissant de ce document-ci.

 16   Alors, ça commence en page 13, ça se finit en page 14 -- 14, s'il vous

 17   plaît. Celle d'après. Descendez un peu vers les petits traits, 1, 2 ,3 --

 18   cinquième petit trait.

 19   M. KARADZIC : [interprétation]

 20   Q.  "Le renouveau islamique commence --"

 21   Et là, il est question des points de vue de l'un des membres les plus

 22   importants de ce groupe, M. Hasan Cengic, que vous avez probablement eu

 23   l'occasion de rencontrer vous aussi. Il a toujours souligné que ce

 24   renouveau islamique commence par un renouveau religieux, et ça se termine

 25   par une révolution politique et la mise en place d'un gouvernement

 26   islamique.

 27   Paragraphe suivant :

 28   "L'objectif de la révolution islamique dans notre pays est la création d'un

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  1   état islamiste unifié, englobant la Bosnie-Herzégovine, le Sandzak et le

  2   Kosovo."

  3   Etes-vous d'accord avec moi pour dire qu'à l'époque, entre 1977 et 1981, le

  4   Sandzak et le Kosovo, c'était en Serbie, et le Sandzak, en partie, ça

  5   s'étend sur le Monténégro aussi ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Merci. Passage suivant :

  8   "Le Djihad devrait être poursuivi jusqu'aux limites extrêmes pour

  9   exterminer l'ennemi et les infidèles."

 10   On souligne notamment qu'il ne faut pas attendre des provocations ou une

 11   justification.

 12   "Les Musulmans doivent inventer cette provocation ou ce défi. Ils

 13   doivent être ceux inventeront le défi et l'objectif se révélera de lui-

 14   même."

 15   Alors, est-ce que ceci est une raison pour ce qui est de voir la population

 16   non musulmane de Bosnie en Yougoslavie profondément bouleversée ou pas ?

 17   R.  Oui, éventuellement si ces personnes avaient du pouvoir ou

 18   représentaient une majorité au sein de leur parti, mais aucune de ces deux

 19   options n'étaient, en fait, en cours. Donc ce n'était pas vraiment un

 20   souci. Tout le monde a des fanatiques, dans chaque pays, il y a des

 21   fanatiques à droite, la droite extrême ou la gauche, extrême d'ailleurs.

 22   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Mais vous êtes d'accord pour dire que si

 23   ce type de personne venait au pouvoir, ce serait quand même assez dangereux

 24   ?

 25   R.  Oui, s'ils avaient tous les pouvoirs et s'ils continuaient de croire ce

 26   genre de chose, cela pourrait devenir dangereux. Mais en ce qui concerne la

 27   Bosnie-Herzégovine, en 1990 et 1991 qui, après tout, est la période qui

 28   nous intéresse, les Musulmans déjà n'avaient pas d'armée, n'avaient rien,

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  1   ils n'avaient rien qui puisse ressembler de près ou de loin à des forces

  2   militaires. Ils étaient en minorité par rapport aux Croates de Bosnie et

  3   aux Serbes de Bosnie qui étaient bien mieux organisés, et qui eux étaient

  4   appuyés par leur pays. Nous en avons déjà parlé d'ailleurs, on a souvent

  5   parlé des objectifs. Donc faire de ce drôle de rêve une réalité, on était

  6   très, très loin quand même de tout cela. Enfin, bien sûr, il s'agit de mon

  7   avis.

  8   Q.  Merci.

  9   L'ACCUSÉ : [interprétation] Page 16 dans l'affichage électronique, pour

 10   enchaîner. Non, c'est la page 15 en version anglaise. Alors, page 15,

 11   chapitre 7. Montrez-nous la version anglaise. Je crois que c'est bien.

 12   M. KARADZIC : [interprétation]

 13   Q.  On dit que les Musulmans -- enfin, ce sont les opinions avancées par M.

 14   Hasan Cengic qui est une figure proéminente, et il dit que les Musulmans

 15   doivent s'opposer à tous les non Musulmans et Communistes.

 16   Passage suivant :

 17   "Les Musulmans doivent être prêts au sacrifice d'eux-mêmes pour réaliser

 18   leurs objectifs."

 19   Puis deux paragraphes plus bas, vers le milieu du passage, on parle du

 20   "Coran" :

 21   "Ne dis pas bonjour aux infidèles. Tue l'infidèle. Les infidèles sont ceux

 22   qui ne sont pas Musulmans."

 23   Il a souligné qu'il ne faut pas se marier avec des non musulmanes ou

 24   épouser un non-Musulman, parce que ceci permet l'assimilation et la

 25   destruction de la population musulmane.

 26   Passage suivant :

 27   "Une Musulmane ne doit pas allaiter un enfant venu d'une non Musulmane, et

 28   celle-là ne doit pas non plus allaiter un enfant musulman. Un Musulman ne

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  1   doit pas prendre du sang d'un infidèle, pas plus que de lui donner du sang.

  2   Les Musulmans doivent être supérieurs à l'égard de tous les autres, et il

  3   faut qu'ils mettent en place un environnement qui sera musulman pur-sang." 

  4   Est-ce que vous êtes d'accord pour dire que ceci est bel et bien un langage

  5   de haine, je dirais même de racisme ?

  6   R.  Ça ressemble à du millénarisme. Il y a, bien sûr, des extrémistes dans

  7   toutes les religions. C'est assez déplaisant à lire, mais il faudrait

  8   savoir exactement à quoi cela correspond en

  9   réalité : Le papier, vous savez comme l'a dit Staline --

 10   Q.  Merci.

 11   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, n'arrêtez pas

 12   l'ambassadeur lorsqu'il répond à vos questions.

 13   Posez votre question suivante.

 14   L'ACCUSÉ : [interprétation] Ce qui me préoccupe, c'est le temps que j'ai à

 15   ma disposition.

 16   M. KARADZIC : [interprétation]

 17   Q.  Hasan Cengic était un prêtre islamique, mais il est intervenu en

 18   matière politique. Est-ce que vous n'estimez pas que c'est un langage de

 19   racisme et de haine, ceci ?

 20   R.  Il met l'accent sur le fait que les mariages mixtes ne devraient pas

 21   avoir lieu, mais un grand nombre de chrétiens, de juifs, d'Hindous pensent

 22   la même chose. Donc, moi, je ne pense surtout pas que cela soit un discours

 23   de haine.

 24   Q.  Monsieur l'Ambassadeur : ne dis pas bonjour aux infidèles, tue

 25   l'infidèle, les infidèles, c'est tous ceux qui ne sont pas Musulmans.

 26   Comment qualifieriez-vous cela ?

 27   R.  Ça, se sont des déclarations extrémistes.

 28   Q.  Et comment qualifieriez-vous ceci : s'efforcer de créer un

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  1   environnement qui sera musulman pur-sang ?

  2   R.  Comme je l'ai dit, c'est un type de document d'inspiration

  3   millénariste. Moi, je ne le prendrais pas au sérieux.

  4   Q.  Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, Monsieur l'Ambassadeur.

  5   Il ne parle pas de la déchéance du monde musulman. Il parle de la déchéance

  6   du reste du monde. Et il parle de la supériorité des Musulmans et leur

  7   prospérité. Il ne parle pas de la déchéance du monde musulman. Etes-vous

  8   d'accord ?

  9   R.  Oui, mais c'est très certainement un nationaliste musulman. Mais il y a

 10   des déclarations qui sont parfaitement ridicules. Quatrième paragraphe, par

 11   exemple :

 12   "Que la situation économique dans notre pays est l'expression spécifique de

 13   la colère de Dieu…"

 14   Enfin, si on commence à croire à ça, on peut croire à tout.

 15   Q.  Merci.

 16   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais qu'on nous montre maintenant un

 17   document de la Défense 1D94.

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Maître Tieger --

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais que le document précédent soit

 20   versé au dossier, le jugement rendu par ce Tribunal. Mais je crois que la

 21   traduction n'a pas encore été terminée.

 22   M. LE JUGE KWON : [interprétation] 34. Monsieur Tieger, avez-vous quelque

 23   chose à dire ?

 24   M. TIEGER : [interprétation] Pas d'objection. Le poids à accorder à ce

 25   document, ça, c'est encore autre chose. Mais enfin, nous sommes d'accord.

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bien. Donnons-lui une cote.

 27   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cela recevra la cote D73.

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.

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  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je tiens à rappeler aux Juges de la Chambre le

  2   fait qu'il s'agit d'un jugement rendu par la grande chambre du tribunal de

  3   district de Sarajevo.

  4   Je voudrais maintenant qu'on nous montre la pièce 1D94, s'il vous plaît.

  5   Je tiens à rappeler aux Juges de cette Chambre aussi le fait que le

  6   président de cette chambre était un Musulman, la plupart des Juges étaient

  7   Musulmans, et 90 % des témoins qui ont comparu étaient également des

  8   Musulmans.

  9   M. KARADZIC : [interprétation]

 10   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, je vous suis reconnaissant de votre observation

 11   disant que ceci ne devrait pas être si dangereux que cela si cet homme

 12   n'avait pas le pouvoir en main. Mais comme ce document est daté du 4

 13   décembre 1993, on va voir quel est le pouvoir que cet homme-là s'est

 14   arrogé. Etat-major du commandement Suprême des forces armées, et il donne

 15   l'ordre :

 16   "Pour ce qui est des missions de guerre dans les unités de l'ABiH pour ce

 17   qui est des formations temporairement mises en

 18   place :

 19   "Il est nommé à l'état-major des forces armées, administration de la

 20   logistique.

 21   "Cengic Hasan, fils de Halid, pour être chef adjoint du secteur."

 22   Est-ce que maintenant la situation est quelque peu modifiée, Monsieur

 23   l'Ambassadeur ?

 24   R.  Non, je ne pense pas que la situation soit modifiée. Ce document est en

 25   date du 14 décembre 1993. A ce stade, le SDA, en tant que parti, si vous

 26   préférez, les Musulmans au sein du gouvernement ne disposaient pratiquement

 27   d'aucune force armée. Il est bien connu - et c'est incontesté - que 70 à 90

 28   % des lignes de front étaient occupées par les forces croates, et donc à ce

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  1   moment-là, les forces des Serbes de Bosnie occupaient 70 % du territoire.

  2   Donc ils ont donné à cet homme un poste qui ressemblait plutôt à de la

  3   propagande. Rien dans ce document n'indique que cet homme-là ait le moindre

  4   pouvoir.

  5   Q.  Merci. On y reviendra un peu plus tard. Je voudrais que nous tirions un

  6   point au clair.

  7   Vous avez, dans une certaine mesure, raison. Il existait, en effet, une

  8   ligne laïque très forte au sein du SDA. Monsieur l'Ambassadeur, je tiens à

  9   vous rappeler le fait que cette filière a quitté le SDA même avant les

 10   élections de 1990. Zulfikar Pasic, Filipovic, Lamija, et autres ont quitté

 11   ce parti-là et ont créé l'organisation bosnienne musulmane qui s'est

 12   présentée aux élections, et qui a obtenu, je pense, deux à quatre députés.

 13   Etes-vous d'accord avec moi pour le dire ?

 14   R.  Oui, en effet, ils ont quitté le parti, et Zulfikar Pasic s'est établi

 15   très confortablement en Suisse. Cela dit, il y a toujours eu un courant

 16   laïc très fort au sein du SDA. Et comme l'a montré la suite des événements,

 17   suite à ce qui s'est passé dans les années qui nous intéressent, ce courant

 18   laïc a pris le dessus et a gagné en puissance.

 19   Q.  Merci. Vous allez voir que ce n'est pas le cas. Mais je vous rappelle,

 20   avant cela, que M. Zulfikar Pasic, en guise de motif, pour ce qui était de

 21   quitter le SDA avait dit ceci : Il a affirmé qu'un noyau clandestin au sein

 22   du SDA, constitué par les jeunes Musulmans, avait œuvré de façon

 23   clandestine, dans le dos du peuple et du parti, et que personne ne pouvait

 24   leur résister. On vous le montrera demain, ce document, puisque vous avez

 25   entamé le sujet, vous-même.

 26   L'ACCUSÉ : [interprétation] Mais je voudrais maintenant qu'on nous montre

 27   le 1D34. Oui, le 1D94, Excellence, est-ce qu'on peut le verser au dossier,

 28   je vous prie ?

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  1   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Tieger ?

  2   M. TIEGER : [interprétation] Pas d'objection.

  3   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Admis.

  4   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document recevra la cote D74.

  5   L'ACCUSÉ : [interprétation] Alors, le D34 --

  6   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous en revenons au jugement. Quelle

  7   page, s'il vous plaît ?

  8   L'ACCUSÉ : [interprétation] Dans la version serbe, ce sera 78 et 79; puis

  9   la page 140. Alors, 78 et 79 de la version serbe.

 10   M. KARADZIC : [interprétation]

 11   Q.  Qui confirme que sur 63 témoins dans ce procès, il y a eu 58 --

 12   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Donnez-nous la pagination en anglais,

 13   s'il vous plaît. C'est la 140; c'est cela ?

 14   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vais trouver cela tout de suite, Excellence.

 15   Version anglaise, page 65.

 16   M. KARADZIC : [interprétation]

 17   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, ici, en bas de page, on voit que sur 63 témoins

 18   comparus à ce procès, 58 ont été des Musulmans. Et la page suivante en

 19   parle aussi. On énumère la totalité des témoins qui ont comparu pour

 20   témoigner au sujet de cette organisation, les jeunes Musulmans, qui a

 21   continué à agir de façon autre. Mais à présent, avec un document qui est

 22   appelé "La déclaration islamiste," et qui constitue la base de leurs

 23   actions.

 24   Maintenant, je vous prie de nous montrer la page 140 de la version serbe,

 25   et je vous dirai, à l'instant, quelle est la page de la version anglaise.

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Quelle est la question que vous allez

 27   poser à propos de ce document ?

 28   M. KARADZIC : [interprétation]

Page 1591

  1   Q.  Contestez-vous, Monsieur l'Ambassadeur, le fait qu'il y ait eu 58

  2   témoins sur 63 au total à avoir été des Musulmans ?

  3   R.  Non. Non, de toute façon je ne le sais pas précisément, mais je ne le

  4   nie pas. Je n'ai jamais vu ce document au préalable.

  5   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Je vais donner lecture de la page 140 de

  6   la partie qui m'intéresse en langue serbe. Le jugement dit, "Dans nos

  7   circonstances" -- vous allez bientôt voir cela sur vos écrans :

  8   "Dans nos circonstances à nous, s'employer de façon conséquente en faveur

  9   d'une telle idéologie signifie à revenir vers des positions d'une guerre

 10   fratricide, nier notre indépendance et notre politique non alignée. Il ne

 11   fait pas l'ombre d'un doute qu'une telle idéologie de nationalisme et de

 12   divisions ethnique et religieuse, la création d'un Etat islamiste sur des

 13   bases islamistes, cela ne pourrait pas, dans une Yougoslavie socialiste et

 14   autogérée, ne devrait pas se réaliser dans un milieu qui est si

 15   ethniquement mixte, où l'on verrait une prédominance de quelque identité

 16   que ce soit être une chose impensable, à moins d'être --"

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, vous devez nous

 18   donner le numéro de la page en anglais afin que nous puissions suivre.

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Nous allons le faire tout de suite,

 20   Votre Excellence. Nous avons aussi des petites difficultés, comme cela

 21   arrive à M. Tieger.

 22   Alors, après la déclaration de témoin qu'on a sous les yeux, non, non, il

 23   faut mettre encore 50 pages entre cette page et ce qui m'intéresse.

 24   La page anglaise que vous avez sous les yeux -- en version serbe,

 25   c'est 79 et il faut aller vers 140, donc il faut avancer d'une cinquantaine

 26   de pages pour trouver la bonne.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Peut-être avec un numéro ERN

 28   pourrions-nous trouver la page ? Quel est le numéro ERN de la page en B/C/S

Page 1592

  1   ? Non. Vous ne savez pas ?

  2   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

  3   L'ACCUSÉ : [interprétation] Maintenant on l'a sur notre écran.

  4   Nous allons pouvoir essayer de retrouver le début, qui commence par "dans

  5   les circonstances qui sont les nôtres." Pas la bonne page, paraît-il.

  6   Maintenant on la retrouve. C'est au milieu, le voilà. On y est. Donc vers

  7   le milieu de cette page-ci, on parle d'"idéologie panislamiste" :

  8   "…dans sa version locale," 'according to,'" et cetera, et cetera, "et que

  9   les sympathisants qui cherchent à adapter les circonstances modifiées aux

 10   conditions modernes. Dans les circonstances modifiées, cela pourrait donc

 11   avoir des motifs sociopolitiques d'exercer une influence religieuse, et

 12   dans nos circonstances à nous, l'émergence d'une telle idéologie…

 13   "Il n'y a pas de doute," dit-il, "qu'une telle idéologie nationaliste

 14   de séparation religieuse, la mise en place d'un Etat islamiste en Bosnie,

 15   un système politique fondé sur l'Islam, et cetera, ne pourrait pas être mis

 16   en œuvre dans une Yougoslavie socialiste autogérée, dans un environnement

 17   qui est ethniquement et religieusement si mélangé que la prédominance ou la

 18   domination totale de l'un des groupes ethniques en place est tout

 19   simplement inimaginable, à moins que de l'installer sur le règne de la

 20   terreur ou d'une intervention étrangère moyennant l'utilisation de moyens

 21   coercitifs."

 22   M. KARADZIC : [interprétation]

 23   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous savez que cette partie

 24   musulmane, tout au fil du conflit, avait souhaité et ouvertement réclamé

 25   une intervention étrangère ?

 26   R.  Oui. Puisque eux étaient en train de perdre, puisque vous occupiez la

 27   plus grande partie du pays et que vous procédiez au nettoyage ethnique de

 28   leur population, ils étaient désespérés.

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  1   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Mais nous allons devant vous apporter la

  2   preuve qu'il n'en a pas été ainsi. Ce qui importe c'est que depuis le

  3   début, autrement dit depuis le début de l'année 1992 - et je pense que vous

  4   en conviendrez - en avril, mai, juin déjà, ils réclamaient une intervention

  5   étrangère. En êtes-vous d'accord ?

  6   R.  Excusez-moi. Mais avant de répondre à cette question, puis-je appeler

  7   l'attention sur la façon dont ma dernière réponse a été consignée au compte

  8   rendu d'audience ?

  9   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, je vous en prie.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Je cite ce qui est écrit à l'écran, "puisque

 11   vous perdiez," alors que ce que j'ai dit c'est "puisque eux étaient en

 12   train de perdre."

 13   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie, Excellence.

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Donc comme je disais, puisque eux étaient en

 15   train de perdre, ils étaient désespérément désireux d'assister à une

 16   intervention étrangère, tout comme les Croates d'ailleurs espéraient une

 17   intervention étrangère en 1991. Ni dans un cas ni dans l'autre cette

 18   intervention n'a eu lieu. Mais le fait que la partie qui est en train de

 19   perdre souhaite obtenir de l'aide, je ne vois pas ce que ceci peut avoir de

 20   surprenant.

 21   M. KARADZIC : [interprétation] Je vous remercie.

 22   Q.  Quand situez-vous dans le temps le moment où ils ont commencé à perdre

 23   ?

 24   R.  Ils ont commencé à perdre bien avant le début des hostilités en mars

 25   1992. Car à l'automne de 1991 déjà, la JNA avait commencé à distribuer des

 26   armes aux paramilitaires serbes, et dans certaines municipalités, notamment

 27   le long de la Drina, dans ces municipalités, les Serbes avaient commencé à

 28   s'organiser comme ils l'avaient fait précédemment en Croatie en créant des

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  1   régions autonomes serbes. Ce fait a fait l'objet d'un certain nombre

  2   d'articles de presse à l'époque, il était donc connu à l'époque. Les Serbes

  3   de Bosnie, avec l'aide de la JNA, étaient déjà en train de se préparer à

  4   quelque chose durant l'automne 1991. Ce qui n'a rien de surprenant, puisque

  5   la guerre avait déjà éclaté en Croatie, mais qui indique toutefois une mise

  6   en alerte des Serbes de Bosnie et de la JNA, et qui n'est certainement pas

  7   prémonitoire de quelque mesure pacifique que ce soit.

  8   Q.  Je vous remercie, Monsieur l'Ambassadeur. Vous me donnez du travail en

  9   plus, mais j'y trouve un certain plaisir en même temps.

 10   A quel moment situez-vous le début des préparatifs accomplis par les

 11   Musulmans et le SDA en vue de la guerre ?

 12   R.  Ils espéraient pouvoir éviter la guerre puisqu'ils occupaient la

 13   présidence. Nous en avons déjà parlé, et je ne vais pas y revenir, ils

 14   s'étaient acquis l'appui des Serbes de Bosnie à l'issue du référendum du 29

 15   février/1er mars 1992, et ils avaient rejoint les trois autres républiques

 16   yougoslaves qui avaient opté en faveur de l'indépendance. Pour ma part, je

 17   n'ai pas eu le moindre élément indiquant qu'ils se soient préparés

 18   activement à quelque hostilité que ce soit. En fait, comme je l'ai déjà

 19   dit, ceci s'est passé de l'autre côté, parce que lorsque nous nous sommes

 20   penchés plus en détail sur la situation, nous nous sommes rendu compte

 21   qu'eux n'avaient pas un seul homme en armes.

 22   Q.  Je vous remercie. Si je devais vous dire, Monsieur l'Ambassadeur, que

 23   M. Izetbegovic, qui était ex officio, président de la présidence, donc

 24   président du Conseil de Défense nationale de toutes les républiques, en

 25   février 1991 déjà il a créé un Conseil de Défense des Musulmans dans le

 26   secret, si je devais vous dire cela, est-ce que vous le contesteriez ?

 27   R.  Je ne suis pas au courant. Donc je ne peux ni confirmer ni infirmer. Ce

 28   que je fais, c'est vous entendre me le dire.

Page 1595

  1   Q.  Si je devais vous dire que ce Conseil de Défense des Musulmans, dès le

  2   mois suivant, c'est-à-dire le 31 mars, a rendu une décision créant la Ligue

  3   patriotique, que me répondriez-vous ?

  4   R.  Je dirais que vous le dites.

  5   Q.  Si je devais vous dire que la Ligue patriotique a été créée dès le mois

  6   suivant, le 30 avril, que me répondriez-vous ?

  7   R.  De quelle année êtes-vous en train de parler, Docteur Karadzic ?

  8   Q.  De 1991, tout de suite après les élections. Les élections ont eu lieu

  9   en novembre. Le gouvernement a été créé en décembre -- enfin, l'assemblée a

 10   été créée en décembre; le gouvernement, décembre et janvier; février,

 11   Conseil de Défense créé secrètement; et en mars, la décision de créer la

 12   Ligue patriotique; avec, en avril, la création de celle-ci. 1991, c'est

 13   l'année.

 14   R.  C'est possible.

 15   Q.  Si je vous disais, Monsieur l'Ambassadeur, que Halilovic, devenu plus

 16   tard commandant de l'ABiH, Sefer Halilovic et Sasan Cengic, avant l'été

 17   1991, avaient déjà dans 103 municipalités mis en place un commandement et

 18   des unités des Bérets verts, que répondriez-vous à cela ?

 19   R.  Je répondrais qu'ils réagissaient à la création des Régions autonomes

 20   serbes qui avait commencé en 1991, comme je l'ai déjà dit, et qu'ils

 21   réagissaient, cela ne fait aucun doute, au fait que la guerre avait déjà

 22   éclaté en Croatie, et que la JNA, en dépit de ses protestations de

 23   neutralité, était manifestement en train de prendre parti pour les Serbes

 24   en Croatie. Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute. Donc je suppose que

 25   ceci devait être vu par eux comme une mesure défensive de faible ampleur

 26   car ils n'avaient pas de forces armées.

 27   Q.  Je vous remercie. C'est la raison pour laquelle j'aime beaucoup mieux

 28   lire vos journaux personnels qu'entendre vos réflexions ultérieures aux

Page 1596

  1   faits.

  2   Mais enfin je vais vous poser une question : vous avez confirmé qu'il

  3   était légitime de prendre des contre-mesures; si quelqu'un prend une

  4   mesure, il est légitime d'après vous de prendre une contre-mesure, n'est-ce

  5   pas ?

  6   R.  Cela dépend de la nature de cette contre-mesure. Je crois que c'est

  7   tout ce qu'il est permis de dire à ce sujet.

  8   Q.  Merci. Considérez-vous qu'il est loisible face à une mesure politique

  9   de prendre des contre-mesures militaires dans un pays tel que le nôtre ?

 10   R.  Cela dépend de la mesure politique en question. S'il s'agit de ce qu'on

 11   pourrait appeler un coup d'Etat, qui serait donc plus militaire que

 12   politique, des contre-mesures pourraient être prises à l'encontre de cela.

 13   Nous le voyons, par exemple, un peu partout tous les jours, aujourd'hui si

 14   on regarde la télévision, la Thaïlande, Bangkok, l'Indonésie, c'est une

 15   question très difficile, elle dépend beaucoup pour la réponse qu'il

 16   convient de lui apporter de la situation particulière qui est en cause.

 17   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Vous venez de légitimer l'action de la

 18   JNA en Slovénie et en Croatie. Mais en Bosnie-Herzégovine, nous allons

 19   apporter la preuve du fait que la création des régions autonomes serbes a

 20   été une réaction politique aux mesures politiques prises par le

 21   gouvernement musulman, enfin par la partie musulmane du gouvernement.

 22   Vous dites que la création de la Ligue patriotique en tant que telle,

 23   qui a eu lieu très tôt, dans tous les lieux qui avaient une population

 24   mixte, a été une réaction légitime à la proclamation politique des régions

 25   autonomes serbes, qui n'avaient aucune fonction, qui ont simplement été

 26   proclamées à titre de protection contre la sécession violente de la Bosnie-

 27   Herzégovine, n'est-ce pas ?

 28   R.  Non, ceci n'est pas exact. J'ai dit que les régions autonomes serbes

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  1   avaient été projetées bien avant. J'ai dit également que compte tenu de

  2   l'histoire de la création des régions autonomes serbes en Croatie, il y

  3   avait toutes raisons d'être suspicieux face à une telle activité consistant

  4   à créer des régions autonomes serbes avec l'aide de la JNA. C'était ma

  5   réponse.

  6   Q.  Je vous remercie, Monsieur l'Ambassadeur. Savez-vous à quel moment la

  7   décision a été prise de créer ces régions autonomes serbes et à quel moment

  8   elles sont devenues fonctionnelles ?

  9   R.  Je ne sais pas quand la décision a été prise, mais je sais que nous

 10   avons appris le fonctionnement de ces régions aux environs

 11   d'octobre/novembre 1991. Je parle des régions autonomes serbes crées en

 12   Bosnie-Herzégovine.

 13   Q.  Oui, oui, merci. Très bien. Croyez-vous que sur 109 municipalités

 14   existant en Bosnie-Herzégovine, il y a eu dans 103 de ces municipalités

 15   présence de Serbes aux côtés des Musulmans, alors qu'en Herzégovine, dans

 16   les municipalités croates d'Herzégovine, il y avait moins de municipalités

 17   avec présence serbe et musulmane ?

 18   R.  L'Herzégovine occidentale, la Bosnie occidentale. Il est certain qu'il

 19   y avait quelques Serbes en Herzégovine occidentale, et en Bosnie

 20   occidentale il y avait beaucoup de Serbes.

 21   Q.  Je parle simplement du nombre des municipalités. Sur un total de 109

 22   municipalités, dans 103 municipalités, Sefer Halilovic, Hasan Cengic, Alija

 23   Izetbegovic, ont créé des unités que leurs voisins les Serbes ont vu en

 24   train de se créer dès la fin du printemps, début de l'été 1991. Est-ce que

 25   vous contestez cela ?

 26   R.  Je ne sais vraiment pas. Je ne peux pas répondre à cette question.

 27   Q.  Mais si cela était exact, est-ce que votre thèse selon laquelle les

 28   Serbes n'avaient aucun motif d'inquiétude tiendrait encore ?

Page 1598

  1   R.  S'il était exact que l'une des parties en présence s'était armée, ceci

  2   pourrait être un motif justifiant que la partie d'en face se soit armée

  3   également. Mais nous savons, et ceci ne peut pas être mis en cause, qu'en

  4   mars 1992 au moment où les hostilités ont éclaté, les Musulmans n'étaient

  5   pas armés, enfin que pour l'essentiel, ils n'étaient pas armés et que les

  6   Serbes étaient bien armés, qu'il s'agisse des militaires ou des civils.

  7   Q.  Merci. Ceci montre l'importance de discuter de tout cela. Ma tâche

  8   consiste à tirer au clair la réalité de certains événements au profit des

  9   Juges de la Chambre de première instance, mais j'aimerais que vous soyez

 10   arrivé ici pour présenter des conclusions autres que celles que vous

 11   présentez en ce moment. Si vous et moi avions pu nous rencontrer comme vous

 12   avez rencontré M. Tieger, nous aurions pu parvenir à cela plus rapidement.

 13   Mais quoi qu'il en soit, je voudrais vous renvoyer à votre carnet de notes

 14   personnelles. C'est le numéro 1, le premier de ces carnets qui m'intéresse.

 15   Le numéro ERN de la page qui m'intéresse est 016-3378 à 016-3456, page 38.

 16   R.  Docteur Karadzic, pourriez-vous me donner la date, ceci m'aiderait

 17   davantage.

 18   Q.  Bon, laissons cela de côté. Cela n'a pas d'importance. Passons à autre

 19   chose. Répondez à la question suivante : avez-vous toujours fait confiance

 20   à Izetbegovic ?

 21   R.  Je n'ai jamais fait confiance à personne.

 22   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je demande l'affichage du document 65 ter

 23   numéro 06534, page 45. Il s'agit de votre premier carnet de note.

 24   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il s'agit de la pièce 784. Carnet numéro

 25   1, les dates concernées étant celles qui vont du 2 au 13 septembre,

 26   Monsieur l'Ambassadeur.

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je l'ai trouvé. Merci.

 28   M. KARADZIC : [interprétation]

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  1   Q.  On voit ici une note de votre main, je cite :

  2   "Izetbegovic n'est absolument pas franc."

  3   R.  Oui, le terme "disingenuous" que j'utilise indique qu'à l'époque je ne

  4   croyais pas ce qu'il disait.

  5   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Je demande à présent l'affichage du

  6   document 65 ter numéro 06538, page 61.

  7   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il s'agit de la pièce 788.

  8   M. KARADZIC : [interprétation] Sur la droite, vers le bas de la page. Vous

  9   avez écrit de votre main, je cite :

 10   "Izetbegovic : Je ne vois aucune raison de m'asseoir autour d'une table

 11   avec les Serbes. Puis qu'est-ce que cela changerait ?"

 12   Ensuite, à la ligne :

 13   "Seulement une nouvelle humiliation pour nous. Les Serbes se sont

 14   emparés de Jajce et de Bosanski Brod."

 15   Est-ce bien ce qu'on peut lire ?

 16   R.  Excusez-moi, je n'ai pas encore trouvé le passage.

 17   Q.  Mais il est affiché à l'écran.

 18   L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur l'Ambassadeur, si vous faites défiler

 19   le texte sur votre écran, vous verrez la page de votre journal personnel.

 20   M. TIEGER : [interprétation] J'indique à titre d'information qu'il s'agit

 21   d'une réunion qui s'est tenue le 17 décembre 1992 et qui a commencé - j'ai

 22   un peu de mal à le lire dans le texte affiché à l'écran -- mais il

 23   semblerait que la réunion ait commencé aux environs de midi.

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui. Excusez-moi, Docteur Karadzic. J'ai

 25   trouvé ce passage.

 26   L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce que l'on peut faire défiler le texte

 27   vers le bas. Merci.

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Ce qu'Izetbegovic souligne ici c'est qu'en

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  1   décembre 1992, et en réalité déjà bien avant, la guerre évoluait de façon

  2   si négative pour la partie musulmane de Bosnie que ces représentants

  3   éprouvaient les plus grandes réticences à s'asseoir autour d'une table avec

  4   les représentants de votre parti en raison des nettoyages ethniques massifs

  5   qui avaient déjà été réalisés.

  6   En fait, il a fallu beaucoup de persuasion de la part de M. Vance et de

  7   Lord Owen, ainsi que de moi-même, pour obtenir que les Musulmans viennent à

  8   Genève pour commencer. Ceci n'est pas rare. Quand des parties sont en

  9   présence, il est fréquent qu'elles ne souhaitent pas se parler les unes aux

 10   autres. Nous avons vu cela durant le conflit entre la Grèce et la

 11   Macédoine. Nous le voyons encore aujourd'hui dans le conflit qui oppose

 12   Israël à la Palestine. Donc lui éprouvait les plus grandes réticences à

 13   parler à vos représentants, car il était en train de perdre et il

 14   n'attendait pas grand-chose de ce qui pouvait sortir des négociations.

 15   C'est la raison pour laquelle il déclare que cela ne pouvait être qu'une

 16   nouvelle humiliation pour nous, dit-il. Il est clair qu'il faisait

 17   référence à la situation. Il indique que les Serbes se sont emparés de

 18   Jajce et de Bosanski Brod après la déclaration du cessez-le-feu. Et il dit

 19   : "Je leur ai fait confiance." Donc il indique que cela s'est passé

 20   ultérieurement au cessez-le-feu, ce qui était faux, parce que Jajce et

 21   Bosanski Brod sont tombés en octobre. Donc je pense que ceci montre que

 22   nous connaissions la situation et que nous n'avons joué à aucun jeu

 23   partisan sur le plan politique vis-à-vis de cette situation. Nous traitions

 24   avec Izetbegovic et avec vous ainsi que vos collègues, nous traitions avec

 25   les Croates également de la façon la plus honnête et la plus ouverte qui

 26   soit. Lorsque l'une ou l'autre partie déclarait quelque chose qui était

 27   contraire à la vérité, si nous étions au courant, nous en tenions compte et

 28   nous le prenions en considération.

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  1   M. KARADZIC : [interprétation] Je vous remercie.

  2   M. LE JUGE KWON : [interprétation] L'heure est venue de la pause. Donc 20

  3   minutes de pause.

  4   --- L'audience est suspendue à 10 heures 24.

  5   --- L'audience est reprise à 10 heures 48.

  6   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, c'est à vous.

  7   L'ACCUSÉ : [interprétation] Puis-je recommencer ?

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Allez-y.

  9   L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.

 10   M. KARADZIC : [interprétation]

 11   Q.  Je voulais dire que vous aviez écrit que M. Izetbegovic disait quelque

 12   chose qui, en fait, était faux. J'aimerais maintenant attirer votre

 13   attention sur le milieu de la page où il est écrit : "MA," je ne sais pas

 14   qui est ce MA :

 15   "Les Serbes de Bosnie sont prêts. Ils savent qu'ils doivent rendre le

 16   territoire. Il est inutile --" je n'arrive pas à lire le mot.

 17   M. ROBINSON : [interprétation] "Discuter."

 18   M. KARADZIC : [interprétation]

 19   Q.  "Il est inutile d'en discuter." Mais qui est MA ?

 20   R.  C'est Mate Atasari. C'était notre homme qui s'occupait du traité pour

 21   la Bosnie-Herzégovine.

 22   Q.  Très bien. Merci. Donc c'était le président du sous-comité pour la

 23   Bosnie-Herzégovine au sein de la conférence pour l'ex-Yougoslavie; c'est

 24   bien cela ?

 25   R.  Oui. Groupe de travail.

 26   Q.  Merci. Le même document, ou plutôt, même journal, page 62, journal

 27   numéro 5. Page 62, est-ce qu'on peut nous montrer cela, s'il vous plaît ?

 28   Vous avez consigné :

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  1   "Izetbegovic dit pas de négociations, alors regardez Sarajevo. Les Serbes

  2   ont enfreint le cessez-le-feu."

  3   Votre commentaire que vous avez noté : "Pas vrai, d'après la FORPRONU."

  4   Ensuite -- enfin, est-ce que c'est bien exact ?

  5   R.  Oui, oui, en effet. Ce qu'il a dit n'était pas vrai. Vous pouvez

  6   remarquer d'ailleurs qu'ensuite on voit qu'Atasari en colère a parlé avec

  7   colère de l'attitude d'Izzi [phon].

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Tieger.

  9   M. TIEGER : [interprétation] Je tiens juste à corriger le compte rendu. La

 10   citation de l'agenda n'est pas absolument exhaustive, donc pas tout à fait

 11   fiable. Donc si ce document doit être incorporé au compte rendu, je pense

 12   que la totalité de l'extrait concernant les commentaires de M. Izetbegovic

 13   devrait être incluse in extenso, ensuite on passera aux commentaires de M.

 14   Atasari.

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ecoutez, cet agenda de toute façon est

 16   déjà au dossier, et si des commentaires supplémentaires sont nécessaires,

 17   M. l'Ambassadeur Okun peut s'en occuper. Et à la fin du contre-

 18   interrogatoire, vous pourrez revoir cela dans le cadre des questions

 19   supplémentaires. Je pense que c'est la façon de procéder.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Excellence. J'allais justement dire

 21   quelque chose de très semblable, mais en moins bien sûrement.

 22   Journal 7, pièce 65 ter 06540. En page 28, vous avez noté ce qui suit

 23   :

 24   M. LE JUGE KWON : [interprétation] La pièce P790.

 25   Q.  "Izetbegovic : Pilonnage terrible de Sarajevo la nuit passée. Le pire

 26   en trois mois. Les membres de la présidence disent dans le rapport qu'ils

 27   ne peuvent pas croire aux militaires."

 28   Wilson dit :

Page 1604

  1   "D'après nos données, la nuit passée, c'était une nuit paisible à Sarajevo.

  2   Moins de tirs et de pilonnages que d'habitude. Izetbegovic ignore ces

  3   informations et change le sujet."

  4   Vous en souvenez-vous de cela ?

  5   R.  Oui, bien sûr.

  6   Q.  Ce que je veux dire, c'est que notre expérience est telle. A chaque

  7   fois qu'on l'a pris dans ce type de comportement, lui il changeait de

  8   sujet, sans expliquer quoi que ce soit. Merci.

  9   Alors, je voudrais attirer votre attention sur le témoignage que vous avez

 10   apporté dans l'affaire Krajisnik. Le 22 juin 2004, la page 4 360. Vous avez

 11   déclaré dans ce témoignage :

 12   "L'objectif des Musulmans de Bosnie était de créer un Etat de Bosnie-

 13   Herzégovine à l'intérieur de ses frontières actuelles, reconnu

 14   internationalement, pour faire un Etat unitariste avec un gouvernement

 15   central et disant que ce serait un Etat laïc."

 16   Vous en souvenez-vous ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Est-ce que vous croyez que M. Izetbegovic a au final renoncé à sa

 19   "déclaration islamiste" et à ce qui a fait que huit ans avant cela, il a

 20   été condamné à une peine de prison ?

 21   R.  Je crois que beaucoup d'eau était passée sous les ponts entre la

 22   première période dont vous parlez et cette période de 1991, 1992, 1992

 23   [comme interprété]. Ce n'était pas le seul, et de loin au sein du SDA, il y

 24   avait d'autres personnes de point au sein du SDA. Il était président de la

 25   présidence. C'est vrai, vous l'avez fait remarquer hier, mais il n'était

 26   pas président du pays. Et surtout, et c'est le principal, je pense, il

 27   était en train de perdre. Ils étaient en train de perdre une guerre

 28   extrêmement grave, et la capitale du pays était pilonnée quotidiennement

Page 1605

  1   par vos forces, donc la situation avait énormément évolué.

  2   Q.  J'espère, Monsieur l'Ambassadeur, que nous n'allons pas avoir à vous

  3   redemander de venir, parce que dans vos réponses vous faites en sorte que

  4   j'ai beaucoup plus à faire. Mais ici, il est question de ceci : vous et la

  5   communauté internationale aviez reconnu avant la guerre les aspirations et

  6   les intentions de la partie musulmane du point de vue de la nature que

  7   devait être celle de la Bosnie-Herzégovine à l'extérieur de la Yougoslavie

  8   dans les frontières existantes, et vous dites que la communauté

  9   internationale avait identifié cela comme étant un Etat qui serait laïc et

 10   démocratique; est-ce que c'est bien cela ?

 11   R.  La Bosnie-Herzégovine avait rejoint trois autres républiques pour

 12   déclarer leur indépendance par rapport à la Yougoslavie. On ne peut pas le

 13   contester.

 14   Q.  Merci. Mais moi, je vous ai justement demandé si c'est bien ce que vous

 15   aviez déclaré. Je vais avancer pour aller un peu au-delà. Quand il s'agit

 16   de notre crise à nous, vous êtes intervenu en tant que médiateur dans

 17   l'équipe de M. Vance. Et souvenez-vous du fait qu'en automne 1991, j'avais

 18   demandé à M. Izetbegovic de dire publiquement que la déclaration islamiste

 19   n'était pas le programme politique qui serait le sien, de celui de son

 20   Etat, et il ne l'a pas fait. Vous en souvenez-vous cela ?

 21   R.  Oui, je m'en souviens.

 22   Q.  Merci. Mis à part les Serbes, les autres hommes politiques non

 23   musulmans -- excusez-moi, je vais reformuler. Est-ce que vous pouvez nous

 24   dire quel est le courant au sein du SDA qui était opposé avec succès à

 25   cette politique intégriste d'Izetbegovic ? Quelle est donc cette filière

 26   laïque qui le faisait dans le cadre du SDA ?

 27   R.  J'ai déjà dit que Haris Silajdzic et Ejub Ganic, qui avaient beaucoup

 28   d'influence à l'époque - étant donné d'ailleurs que Silajdzic est

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  1   maintenant président de la Bosnie - donc, il a réussi à conserver une

  2   position très élevée. A l'époque, il était ministre des Affaires

  3   étrangères. Eux, ils faisaient partie du courant laïc. Il y en avait

  4   d'autres d'ailleurs. Les militaires que nous rencontrions et qui

  5   représentaient l'ABiH, il n'y en avait pas beaucoup, parce que nous ne

  6   rendions pas souvent sur les deux fronts mais on les voyait temps en temps

  7   lors des négociations, à la table de négociations, et eux aussi

  8   apparaissaient parfaitement laïcs. Donc je pense qu'on peut dire avec

  9   justesse qu'il y avait différents courants au sein du SDA en ce qui

 10   concerne les rapports entre l'Eglise et l'Etat.

 11   Q.  Je voudrais vous remercier, et dire à titre de rappel que ces groupes

 12   laïcs quittaient le SDA, créaient leurs propres partis et devenaient

 13   marginaux. Le MBO, qui était dirigé par les laïcs, Zulfikarpasic et

 14   Filipovic n'avait eu que deux ou trois députés. Silajdzic a quitté le SDA

 15   lui aussi, et il a créé son parti pour la Bosnie-Herzégovine, qui était

 16   également en minorité, avec bien moins de députés que le SDA. Fikret Abdic

 17   pendant la guerre a déclaré qu'Izetbegovic était la personne qui allait

 18   enterrer la Bosnie-Herzégovine, et il a quitté le SDA pour créer un parti à

 19   soi.

 20   R.  Il est incontestable que Fikret Abdic était un opposant politique

 21   d'Alija Izetbegovic au sein du SDA. Je l'ai déjà évoqué ici même. Il est

 22   évident qu'il était beaucoup plus en faveur de la laïcité qu'Izetbegovic.

 23   Izetbegovic, lui, avait tendance à plus pencher pour le côté religieux, ce

 24   qui ne changeait la situation en rien sur le terrain.

 25   Q.  Merci. Le fait est qu'ils ont tous perdu aux élections par rapport au

 26   SDA, qui a remporté beaucoup plus de votes que les autres ensemble, n'est-

 27   ce pas ?

 28   R.  Oui. C'était le parti au pouvoir, et surtout à ce stade, certes,

Page 1607

  1   pendant la guerre il n'y a pas eu énormément d'élections qui ont été

  2   organisées.

  3   Q.  Est-ce que je peux vous rappeler votre journal numéro 4, pièce à

  4   conviction 65 ter 06530 ? Page 50. A l'affichage électronique, il s'agit de

  5   la page 24.

  6   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il s'agit de la pièce P777.

  7   M. KARADZIC : [interprétation]

  8   Q.  En attendant qu'on nous le montre, Monsieur l'Ambassadeur, puis-je vous

  9   poser cette question-ci : savez-vous nous dire quelles ont été nos

 10   relations avec le MBO et Fikret Abdic, donc ces Musulmans laïques.

 11   R.  Non, je ne sais pas vraiment comment c'était à l'époque. Mais j'imagine

 12   que les relations étaient bonnes.

 13   Q.  Vous supposez bien. On y reviendra. Mais quand vous êtes venu

 14   intervenir dans la crise en tant que médiateur, nous avions conclu un

 15   accord historique serbo-musulman avec le MBO; on y reviendra, juillet et

 16   août 1991. Pendant la guerre, on a fait la paix avec Abdic et on se

 17   soutenait les uns les autres; vous êtes bien d'accord avec moi pour le

 18   dire, non ?

 19   R.  C'est une question fort compliquée que vous me poser là, Monsieur

 20   Karadzic, en signant un accord avec Abdic, vous essayez visiblement de

 21   saper l'autorité du gouvernement central. Donc on se demande si Abdic

 22   n'était pas en train de trahir le gouvernement ? Moi je ne dirais ni oui ni

 23   non. Mais en ce faisant - et c'est facile de comprendre pourquoi - vous

 24   essayez d'exploiter les divisions qui se faisaient jour entre les

 25   différentes factions ennemies. Nous savons, bien sûr, que vous coopériez

 26   avec les Croates de Bosnie alors que les combats étaient encore en cours.

 27   Donc il y avait trois parties dans cette guerre.

 28   Q.  Merci. On reviendra à cette page. Dans le journal, vous dites :

Page 1608

  1   "Karadzic affirme : 'Izetbegovic veut une république islamiste.'"

  2   Or, en avez-vous informé de cela votre équipe, M. Vance et les autres ?

  3   R.  Bien sûr.

  4   Q.  Merci. Est-ce qu'on peut nous montrer maintenant le 65 ter de

  5   l'Accusation, 06533, c'est le journal numéro 7, votre rencontre avec Abdic

  6   et Milosevic le 15 avril 1992, c'était à une semaine du début de la guerre.

  7   Est-ce que vous seriez en mesure de vous souvenir, entre-temps, du

  8   fait que le général Adzic c'était le chef de l'état-major à l'époque,

  9   n'est-ce pas ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Quand je dis chef de l'état-major, je parle de l'armée yougoslave.

 12   R.  Oui.

 13   Q.  En page 33 de ce document, dans le journal même. C'est la page 33 du

 14   journal. Page 18 à l'affichage électronique. Adzic vous informe comme suit

 15   :

 16   "Izetbegovic veut le pouvoir absolu en Bosnie-Herzégovine."

 17   Puis Milosevic vous dit, page 40 de ce même document --

 18   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Essayons de trouver la bonne page avant

 19   de poser la question.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Page 22 à l'affichage électronique.

 21   M. KARADZIC : [interprétation]

 22   Q.  Vous avez consigné que Milosevic aurait déclaré -- le président

 23   Milosevic dit :

 24   "Izetbegovic se sert de son intégrisme islamique typique."

 25   R.  Oui, oui, c'était son opinion.

 26   Q.  Certes, mais en avez-vous informé les Nations Unies ou, éventuellement

 27   les Etats-Unis d'Amérique; pour ce qui est de ces appréhensions de la part

 28   des Serbes ?

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  1   R.  Oui, tout ceci a été relaté au Conseil de sécurité des Nations Unies et

  2   au secrétaire général.

  3   Q.  Et les Etats-Unis d'Amérique ?

  4   R.  Nous ne travaillions pas pour le compte des Etats-Unis d'Amérique.

  5   Q.  Merci. Je voudrais que l'on nous montre le journal numéro 1. 65 ter

  6   06534. Vous y décrivez votre réunion avec Mate Boban à la date du 9

  7   septembre 1992. Vous vous souvenez certainement qui était Mate Boban ?

  8   R.  Oui, je m'en souviens.

  9   Q.  C'était le chef de la population croate de la Bosnie-Herzégovine à

 10   l'époque, n'est-ce pas ?

 11   R.  En effet, d'ailleurs pendant toute cette période il a été le dirigeant

 12   des Croates de Bosnie.

 13   Q.  Merci. En page 38 de ce document-ci, vous avez consigné la chose

 14   suivante. C'est la même page pour l'affichage électronique. Alors vous y

 15   dites, je cite :

 16   "Boban" --

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez attendre que ce document

 18   s'affiche à l'écran.

 19   M. KARADZIC : [interprétation]

 20   Q.  "Boban : La guerre a commencé lorsque Izetbegovic a rejeté les

 21   principes de la conférence sur la Yougoslavie s'agissant de la Bosnie-

 22   Herzégovine. La Bosnie-Herzégovine ne peut pas être un Etat destiné à un

 23   peuple seulement. Il y a trois communautés, que même les communistes

 24   avaient reconnues en tant que telles."

 25   Vous souvenez-vous, Monsieur, de cette conversation ?

 26   R.  Oui, très bien.

 27   Q.  Moi j'ai évité de qualifier nos circonstances de façon confessionnelle,

 28   mais vous avez dit vous-même aujourd'hui que les Croates et les Serbes

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  1   constituaient la majorité en Bosnie-Herzégovine. Lorsqu'on se penche sur la

  2   composante religieuse de notre conflit, il est possible de dire que la

  3   Bosnie était majoritairement un pays chrétien ?

  4   R.  Aucun des trois partis, aucune des communautés ethniques qui

  5   correspondaient aux confessions, n'avait la majorité. A peu près 44 % de la

  6   population était musulmane, 31 à 32 % était serbe et 19 à 20 % était

  7   croate. Donc si on ajoute, bien sûr, les Serbo-Croates, on a une majorité

  8   très courte en faveur des chrétiens.

  9   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Je n'ai pas parlé des communautés

 10   ethniques, j'ai parlé des communautés religieuses. Si vous prenez "La

 11   déclaration islamiste" comme fondement de l'aménagement de l'Etat à

 12   l'avenir, est-il possible, que ce soit de façon démocratique ou que ce soit

 13   par la force, de mettre en œuvre des objectifs d'une population minoritaire

 14   pour ce qui est des Musulmans par rapport à une majorité chrétienne ? On ne

 15   parle pas des groupes ethniques. On parle maintenant du fait que les Serbes

 16   et les Croates, c'étaient et ce sont des chrétiens, n'est-ce pas ? Le fait

 17   est que les Serbes et les Croates étaient contre cette Bosnie-Herzégovine

 18   unitariste et centralisée, n'est-ce pas ?

 19   R.  Oui, j'ai d'ailleurs déposé dans ce sens.

 20   Q.  Alors est-ce que vous ne pensez pas que forcer un programme du SDA pour

 21   mettre en place une Bosnie-Herzégovine unitariste c'est de la violence

 22   politique, n'est-ce pas ?

 23   R.  Non, je pense que c'est une déclaration qui va un peu trop loin.

 24   L'envie d'avoir un Etat unitaire - je l'ai déjà dit d'ailleurs dans le

 25   cadre de ma déposition - est un principe de base, c'est un principe

 26   fondamental repris dans les objectifs des Musulmans de Bosnie. Mais ils ne

 27   pouvaient pas y arriver ni sur le champ de bataille ni dans le cadre de

 28   négociations. Les négociateurs ne leur ont pas permis d'aller jusque-là,

Page 1611

  1   c'est pour cela que le plan de paix Vance-Owen parlait d'un pays

  2   extrêmement décentralisé, mais un pays démocratique. Ce but des Musulmans

  3   ne pouvait pas être réalisé à moins qu'ils l'obtiennent par les armes, et

  4   ils n'y sont jamais arrivés d'ailleurs, ni en 1991 ni en 2010.

  5   Q.  Merci. Vous vous souvenez certainement de cette opinion à Boban qui

  6   demandait à ce que la Bosnie soit un pays tripartite puisque les

  7   communistes déjà l'avaient reconnu ce fait, n'est-ce

  8   pas ?

  9   R.  Oui, sur ce point-là, sa position était quasi identique à la vôtre, et

 10   nous l'avons déjà évoquée d'ailleurs à plusieurs reprises. Ni les Croates

 11   de Bosnie ni les Serbes de Bosnie n'acceptaient l'idée d'un Etat

 12   centralisé. Chacun avait sa propre entité autoproclamée. La Republika

 13   Srpska d'un côté pour vous, et Mate Boban avait la Communauté d'Herceg-

 14   Bosna, et vous vouliez tous deux diviser cet Etat soit en Etat fédéral, en

 15   Etat confédéral, en Etat cantonisé [phon]. En "Etat composite," c'était le

 16   mot qui était souvent employé. Donc trois petits Etats regroupés au sein

 17   des frontières de Bosnie-Herzégovine, mais qui excluaient la possibilité

 18   d'avoir un Etat central.

 19   Q.  Est-ce que vous vous souvenez, Monsieur l'Ambassadeur, du fait que nous

 20   autres, les Serbes, avions renoncé à la possibilité de rester en

 21   Yougoslavie et nous avions accepté les frontières extérieures de la Bosnie-

 22   Herzégovine à condition qu'à l'intérieur ce pays soit transformé, et nous

 23   qualifiions la Bosnie-Herzégovine de "Suisse méridionale" ?

 24   R.  Je ne me souviens pas de ce terme de "Suisse méridionale," mais je me

 25   souviens que votre peuple avait accepté la situation de façon formelle.

 26   Mais en réalité, vous n'avez jamais accepté la situation. Les Serbes de

 27   Bosnie n'ont jamais accepté le gouvernement de Bosnie-Herzégovine à aucun

 28   moment, d'ailleurs. C'est pour ça qu'il y a eu la guerre, d'ailleurs.

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  1   Q.  Merci. Est-ce que vous êtes en train de nier le fait que ma position et

  2   notre position était non pas une division de la Bosnie-Herzégovine, mais

  3   une transformation de celle-ci ? C'était la position que nous avions

  4   promulguée de façon publique et que nous avions défendue à l'occasion des

  5   négociations avec les médiateurs internationaux et avec les deux autres

  6   parties présentes en Bosnie, n'est-ce pas ?

  7   R.  Non, ce n'est pas le cas. Monsieur Karadzic, vous faites une

  8   comparaison entre division d'un côté et transformation de l'autre, mais

  9   non, vous faites une distinction sans différence bien claire, parce que ce

 10   que vous appelez la transformation, en fait, correspondait à la division.

 11   Donc je ne peux pas être d'accord avec ce que vous venez de me proposer.

 12   Q.  Est-ce que vous estimez que la Belgique c'est un pays divisé ?

 13   R.  Non.

 14   Q.  Est-ce que vous estimez que Bruxelles est une ville

 15   divisée ?

 16   R.  Non. Cela dit, si vous me permettez, il n'y a pas de "république

 17   flamande" comme il y avait la Republika Srpska, il n'y  pas de "république

 18   française," comme il y avait l'Herceg-Bosna. Donc vos objectifs et ceux de

 19   Mate Boban étaient bien plus violents que la division linguistique de la

 20   Belgique.

 21   Q.  Mais, Monsieur l'Ambassadeur, je veux bien être d'accord avec vous

 22   parce que la Belgique c'est une monarchie, elle ne peut pas avoir des

 23   républiques en son sein. Mais comment appellerait-on ces unités si la

 24   Belgique venait à devenir une république ?

 25   R.  On appellerait ça les unités linguistiques, c'est d'ailleurs ce à quoi

 26   ces deux entités correspondent. Puisqu'il y en a une où on parle le flamant

 27   et l'autre parle où l'on parle français. Mais sinon, à part ça, les lois

 28   s'appliquent au pays total. Il n'y a pas de division en Belgique, à part la

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  1   division linguistique. Alors que votre but et le but de Mate Boban à

  2   l'époque était d'avoir votre propre entité autogérée, enfin que vous

  3   gèreriez vous-même.

  4   Q.  Un peu comme la Catalogne en Espagne, n'est-ce pas ?

  5   R.  La Catalogne est une région autonome avec une langue officielle qui est

  6   utilisée. Ils voudraient qu'on utilise plus le catalan, mais cela n'est pas

  7   le cas. Je tiens à dire que vos opinions et celles de Mate Boban à l'époque

  8   ainsi que vos objectifs affichés étaient bien plus extrémiste que la

  9   situation en Catalogne. Je dirais, en revanche, que les Basques de l'ETA

 10   qui veulent quitter l'Espagne sont sans doute plus proches des positions

 11   occupées par les Serbes de Bosnie et les Serbes de Croatie, enfin, on

 12   pourrait en discuter.

 13   Q.  Ça pourrait être un débat intéressant, mais nous n'avons pas le temps

 14   de nous aventurer à le faire. Nous avions accepté de rester en Bosnie. Les

 15   Basques n'acceptent pas de rester en Espagne. Nous avions accepté d'y

 16   rester sous des conditions qui ont été acceptées par la Communauté

 17   européenne. Je vais vous poser la question suivante, Monsieur l'Ambassadeur

 18   : est-ce que les Flamants accepteraient que nous leur définissions le nom

 19   de la république, si la Belgique était une république, pour éviter le nom

 20   ethnique flamant, mais disons que ce serait "une unité flamanophone

 21   [phon]," ou alors est-ce qu'eux prendraient pour soi, eux-mêmes, un nom qui

 22   les arrangerait ?

 23   R.  Je ne sais pas si cela a beaucoup d'importance. Mais j'aimerais revenir

 24   à un point que vous avez soulevé il y a un petit moment, Monsieur Karadzic.

 25   La Chambre doit savoir qu'au cours de toute cette période dont on parle, le

 26   camp des Serbes de Bosnie a insisté pour obtenir un droit de veto sur tout

 27   gouvernement résiduel central qui existerait en Bosnie-Herzégovine. Le Dr

 28   Karadzic ne l'a jamais mentionné lorsqu'il a dit qu'ils étaient prêts à

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  1   vivre en Bosnie-Herzégovine, il est pourtant important de le dire, parce

  2   que cela aurait signifié que le gouvernement central n'aurait existé que

  3   sur papier.

  4   Souvenez-vous, lorsque nous avons parlé des principes constitutionnels en

  5   septembre et octobre 1992, vous avez demandé un droit de veto, vous avez

  6   demandé à ce que le droit de veto des Serbes de Bosnie s'applique même aux

  7   principes constitutionnels. J'espère que vous vous en souvenez. Parce que

  8   vous étiez très ferme. Vous avez dit : Oui, on veut bien d'une Bosnie-

  9   Herzégovine du moment qu'on a un droit de veto sur toute mesure prise par

 10   le gouvernement. Bien sûr, c'était inacceptable.

 11   Q.  Mais est-ce que j'ai exclu ce même droit pour les Croates et les

 12   Musulmans, ou est-ce que j'avais prévu qu'il y ait un droit de veto pour

 13   chacune des communautés existantes; et à la place du droit de veto, vous

 14   avez accordé trois quart ou quatre cinquième d'une communauté qui doivent

 15   voter pour cette région ou ce canton. Est-ce que j'ai demandé, moi, un

 16   droit de veto rien que pour les Serbes ?

 17   R.  Non. Bien sûr que non. Vous aurez été ravi que les autres communautés

 18   aient elles aussi droit de veto, parce qu'ainsi cela aura sapé toute

 19   autorité qu'aurait pu avoir un gouvernement central, qui aurait sans doute

 20   été un gouvernement musulman. Donc vous étiez très content de donner le

 21   droit de veto à tout le monde pour que ce droit de veto soit appliqué à

 22   tort et à travers.

 23   Q.  Merci. Mais est-ce que vous -- enfin, vous avez dit vous-même que les

 24   positions de négociation au départ sont toujours des positions à l'extrême.

 25   Est-ce que vous pensez qu'il n'est pas légitime de demander par le droit de

 26   veto ou de vote par majorité qualifiée de luter contre une mise en minorité

 27   systématique dans le cadre d'un pays ? Est-ce que vous pensez que c'est

 28   légitime ou pas ?

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  1   R.  Ce n'est pas illégitime. Et au titre des principes constitutionnels

  2   élaborés dans le cadre de la conférence internationale sur l'ex-

  3   Yougoslavie, les différents camps ont obtenu un droit de veto sur les

  4   questions essentielles, questions de vie et de mort, questions essentielles

  5   pour chaque entité. Mais les lois et les décrets normaux du gouvernement ne

  6   pouvaient pas faire l'objet d'un veto. C'était le quatrième principe, et

  7   c'était cela. Donc ce n'est pas accordé, on ne peut pas utiliser le droit

  8   de veto. C'était les mots. Mais votre camp n'était pas d'accord avec ça,

  9   d'ailleurs. Vous aviez présenté huit principes au cours de la conférence.

 10   C'était très utile pour nous d'ailleurs, parce que vous avez énoncé dès le

 11   départ ce que voulait obtenir la Republika Srpska. Cela dit, c'était

 12   inacceptable. C'était une situation impossible, parce que cela aurait

 13   signifié la mort de tout Etat en Bosnie-Herzégovine quel qu'il soit.

 14   Q.  Mais est-ce que cela signifierait qu'il n'y aurait pas eu d'Etats-Unis

 15   d'Amérique, parce que les différents Etats au sein des Etats-Unis

 16   d'Amérique ont leurs constitutions, leur police respective, et leur

 17   autonomie déterminée, c'est-à-dire un certain éventail de questions qu'ils

 18   tranchent, ou ils tranchent de façon souveraine ? Il y a une législation au

 19   niveau fédéral, certes, mais ceux qui exécutent, si on excepte le FBI et

 20   l'exécutif fédéral, les autres instances se trouvent au niveau des

 21   différents Etats des Etats-Unis. Est-ce que les Etats-Unis perdent de ce

 22   fait-là leur qualité d'Etat ?

 23   R.  Bien sûr que non. Mais je suis désolé, Monsieur Karadzic, mais vous

 24   avez mal dépeint la situation aux Etats-Unis. Les Etats-Unis -- bon, il y a

 25   50 Etats. C'est un gouvernement fédéral. Tout le monde sait exactement

 26   comment ça se passe. Ils détiennent certains pouvoirs qui leur sont

 27   dévolus. Et au titre de notre constitution, à l'article 10, tout pouvoir

 28   qui n'est pas explicitement donné au gouvernement fédéral peut être dévolu

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  1   aux Etats.

  2   Maintenant, dans le plan de paix Vance-Owen, ce principe a été appliqué aux

  3   dix provinces puisqu'elles avaient, par exemple, des pouvoirs de police. On

  4   leur a donné tout ce dont vous avez parlé, parce que le plan Vance-Owen

  5   voulait mettre en place un Etat extrêmement décentralisé où chaque province

  6   aurait énormément de pouvoir qui lui serait dévolu. Vous aviez d'ailleurs

  7   trois provinces où vous étiez majoritaires; et d'après le plan, vous auriez

  8   été en plutôt bonne position. Mais vous savez très bien que vous avez

  9   rejeté ce plan. Vous ne l'avez pas accepté.

 10   Q.  Merci, Monsieur Ambassadeur. Est-ce que nous avons rejeté ce plan en

 11   raison des principes constitutionnels ou en raison des cartes géographiques

 12   ?

 13   R.  Vous l'avez rejeté dans sa totalité. Mais c'est vrai que votre

 14   principale préoccupation c'était les cartes, principalement le problème du

 15   corridor allant de Belgrade à Banja Luka. Il y avait d'autres problèmes

 16   géographiques; Popovo Polje, les monts Ozren. Enfin, vous savez exactement

 17   quelle était votre position, bien mieux que moi d'ailleurs.

 18   Q.  Merci. Je tiens à vous rappeler quand même que nous avons accepté les

 19   principes constitutionnels avant que les cartes ne soient terminées.

 20   Ensuite, ça a évolué autrement.

 21   Mais vous souvenez-vous du fait qu'à Athènes le 1er et 2 mai, j'avais sous

 22   réserve accepté le plan Vance-Owen en supposant, ou en disant que ça devait

 23   être une acceptation de la part du parlement. Mais je vous demanderais de

 24   me répondre à chaque fois que possible par un oui ou par un non parce que

 25   cela nous aiderait à avancer. Alors, vous souvenez-vous du fait que j'avais

 26   accepté à Athènes ce plan en ce qui me concernait, et j'avais dit qu'il y

 27   avait une condition, à savoir que le parlement se prononce de façon

 28   affirmative ou positive à son sujet ?

Page 1617

  1   R.  Vous avez signé ce plan sous des pressions énormes. Donc vous l'avez

  2   signé avec réticence. Koljevic et Krajisnik étaient presque en larmes

  3   lorsque vous avez apposé votre signature. Et tout le monde savait que

  4   lorsque vous présenteriez ce plan à l'assemblée serbe, il serait rejeté.

  5   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Mais n'est-il pas normal, dans tous les

  6   pays, que des plans aussi importants viennent à être ratifiés par les

  7   parlements ? Je vous demande une fois de plus à chaque fois que possible de

  8   répondre par oui ou non. Donc est-il habituel que les parlements aient à

  9   ratifier les accords passés ?

 10   R.  Oui, mais la Republika Srpska n'était pas un pays, pas un Etat.

 11   Q.  Pourquoi la Bosnie serait plus un Etat que la Republika Srpska ?

 12   R.  Parce qu'elle a été reconnue internationalement, parce qu'elle faisait

 13   partie des Nations Unies, parce qu'elle avait tous les attributs d'un pays,

 14   d'un Etat, alors que la Republika Srpska ne possédait aucun de ces

 15   attributs.

 16   Q.  J'estime que ceci est un débat pour lequel il nous manque du temps.

 17   Mais je vous dis que pour être un Etat, il faut avoir un Etat, un peuple et

 18   un pouvoir efficacement exercé. Est-ce que la Bosnie-Herzégovine avait un

 19   territoire, un peuple et un pouvoir exercé de façon efficace sur le

 20   territoire entier ? Non. Or, la Republika Srpska, c'était le cas.

 21   R.  Par les armes, par la conquête. La Republika Srpska existait par ces

 22   biais.

 23   Q.  Merci. On y arrivera, on y arrivera. Vous êtes la bonne personne pour

 24   ce qui est de donner ici un exemple.

 25   Vous vous souviendrez que nous avions réclamé, ou plutôt, que nous

 26   avions voulu prioritairement conserver la Yougoslavie. Notre priorité

 27   suivante c'était de faire en sorte que la Bosnie reste en Yougoslavie. En

 28   troisième position, il y avait le fait que les régions serbes de la Bosnie

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  1   restent à faire partie de la Yougoslavie. Le quatrième pas était celui

  2   d'accepter de quitter la Yougoslavie, mais à condition d'avoir une unité

  3   constitutionnelle à nous.

  4   Monsieur l'Ambassadeur, je vais vous demander maintenant : vous souvenez-

  5   vous comment il y a eu création de la Virginie occidentale ? Je vais vous

  6   demander de répondre par oui ou non, et je vais enchaîner.

  7   Pendant la Guerre civile, la grande majorité de la Virginie avait

  8   décidé de rejoindre les rangs de la confédération. La Virginie de l'Ouest a

  9   refusé et est restée au côté de l'Union. Et le grand président Lincoln a

 10   décidé de faire en sorte qu'ils aient le droit de le faire. Lorsque la

 11   guerre s'est terminée, la Virginie de l'Ouest est restée être un Etat à

 12   part. Est-ce que c'est bien exact ou pas ?

 13   R.  Oui, vous l'avez d'ailleurs évoqué à de nombreuses reprises lors des

 14   négociations. Je sais bien ce que vous voulez dire.

 15   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que ce serait une chose simple en

 16   Irlande du Nord que de décider que l'Irlande du Nord rejoigne le giron de

 17   l'Irlande ? Est-ce qu'un changement aussi drastique du statut étatique

 18   d'une unité ou d'un territoire serait chose simple pour ce qui est de sa

 19   mise en oeuvre ? Est-ce que vous pouvez répondre pour ce qui est de même

 20   l'exemple de la Flandre en Belgique qui déciderait que la Belgique toute

 21   entière rejoigne le giron de la Hollande ou que la Wallonie décide que

 22   toute la Belgique rejoigne le giron de la France. Est-ce qu'ils auraient le

 23   droit de le faire ?

 24   R.  S'ils le faisaient pacifiquement avec accord de toutes les parties,

 25   cela pourrait éventuellement arrivé. En ce qui concerne l'Irlande du Nord,

 26   c'est un problème grave qui existe depuis longtemps. Ça fait 90 ans que

 27   c'est un point de discorde, depuis que la république du sud est

 28   indépendante.

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  1   Tous ces problèmes sont compliqués, Monsieur Karadzic. En revanche, ce qui

  2   n'est pas compliqué c'est que l'emploi de la force, l'emploi des armes, le

  3   nettoyage ethnique ne peut pas être utilisé des majorités pures dans

  4   certains endroits.

  5   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, l'ambassadeur Okun

  6   n'est pas venu témoigner comme expert. Je vous ai permis de continuer de

  7   poser ce type de questions, parce qu'il est que vous en avez parlé dans le

  8   cadre des négociations à l'époque. Mais veuillez, s'il vous plaît, en venir

  9   au cœur du sujet qui nous intéresse, aux faits.

 10   L'ACCUSÉ : [interprétation] Si, votre Excellence. Je me suis référé

 11   notamment au fait que M. l'Ambassadeur, à l'occasion de son interrogatoire

 12   principal, a répondu à bon nombre de questions en caractère d'expert,

 13   questions posées par M. Tieger. Et ces réponses m'ont préoccupé, me donnent

 14   matière à soucis, parce qu'on ne peut pas les laisser sans jeter un

 15   éclairage complémentaire. Mais je vais les lasser de côté pour le moment

 16   pour passer au sujet que vous évoquez.

 17   Je me réfère maintenant au 06538 de la liste 65 ter. Il s'agit du

 18   numéro 5. Vous y décrivez une réunion avec le président Tudjman, le

 19   président de la Croatie, datée du 28 novembre 1992. Une fois qu'on nous

 20   l'aura montré, à la page 5 du document, le président Tudjman vous

 21   communique la chose suivante --

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Vous m'avez posé une question ?

 23   M. KARADZIC : [interprétation] Non. La question est la suivante.

 24   Q.  Vous indiquez que le président Tudjman a dit : "Les Musulmans veulent

 25   un Djihad, avec des milliards de financement de la part des Arabes." Est-ce

 26   que vous aviez pris au sérieux le président Tudjman ?

 27   R.  Oui, je le prenais toujours au sérieux. Mais comme tout dirigeant, il

 28   avait tendance à exagérer; et parfois selon ses grands discours. Mais tout

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  1   le monde savait que les Etats arabes venaient en aide aux Musulmans en

  2   Bosnie-Herzégovine. Il suffisait de regarder le planning de voyage de

  3   Silajdzic. Il a obtenu pas mal de milles à force de voyager entre Sarajevo

  4   et Abu Dhabi.

  5   Q.  Merci.

  6   R.  S'il vous plaît.

  7   Q.  Vous pouvez tout faire, Monsieur l'Ambassadeur.

  8   R.  Sur ce point précis, Monsieur Karadzic, remarquez la chose suivante :

  9   Avant que le président Tudjman ne parle du Djihad, lui et Gojko Susak -

 10   c'est "GS" - parlent de l'accord du "procès Posavina." Il dit que c'est une

 11   invention des Serbes, que cela n'est jamais arrivé. Or, vous nous aviez dit

 12   qu'il y avait eu un échange, vous vous en souvenez très certainement, qu'il

 13   y avait échange entre Kupres et la Posavina. Donc Kupres irait aux Croates

 14   et le corridor de la Posavina irait aux Serbes. Il a dit que ce n'était

 15   jamais arrivé. Vous lui disiez que oui. Je cite ça comme exemple pour

 16   montrer que chacun avait sa propre version des faits, et racontait sa

 17   propre version des faits aux négociateurs. D'ailleurs, une partie du

 18   travail, c'est d'essayer de déchiffrer tout cela, de savoir qui dit la

 19   vérité, où est la vérité. Vous pourriez peut-être nous dire d'ailleurs s'il

 20   y a bel et bien eu un accord Kupres contre Posavina. Enfin, je ne le

 21   mentionne pas marginalement, mais bien pour faire remarquer que dans le

 22   cadre d'une négociation, toutes les parties vont proclamer certaines choses

 23   qui, selon eux, étayent leur position.

 24   Q.  Merci. Vous êtes un diplomate né, incorrigible, mais nous ne pouvons

 25   pas transformer ce procès en négociations telles que nous les avions eues à

 26   l'époque, quoique j'aimerais beaucoup le faire.

 27   Monsieur l'Ambassadeur, vous n'ignorez pas le fait que je suis ici un

 28   accusé; et je suis accusé d'avoir voulu expulser un groupe ethnique, et que

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  1   vous avez, en temps utile, obtenu des informations disant qu'Alija

  2   Izetbegovic et son groupe voulaient nous expulser, nous, non seulement de

  3   la fédération, mais de la Bosnie Herzégovine toute entière. Est-ce qu'on

  4   vous l'a fait savoir ? Est-ce qu'on a fait savoir aux hauts responsables

  5   américains autres qui étaient médiateurs des Nations Unies ou des Etats-

  6   Unis d'Amérique ? Donc aviez vous reçu des informations disant que le plan

  7   musulman c'était d'expulser les Serbes de la  totalité de la Bosnie-

  8   Herzégovine; oui ou non ?

  9   R.  Nous savions que dans certaines régions réduites, les Serbes étaient

 10   maltraités plutôt par les Croates que par les Musulmans d'ailleurs. Mais

 11   ceci s'est poursuivi. Nous savions aussi qu'il existait une différence

 12   importante et essentielle entre les actions entreprises par les Serbes de

 13   Bosnie et les actions entreprises par les Musulmans de Bosnie. D'ailleurs,

 14   l'Accusation en l'espèce, a déjà présenté des déclarations faites par le

 15   président du Comité international de la Croix-Rouge, le Dr Sama Ruga et

 16   Thierry Germon son représentant en Bosnie-Herzégovine.

 17   Nous étions au courant des actions entreprises par les différentes

 18   factions sur le terrain. Les opinions qu'ils avaient ainsi que leur

 19   politique avaient été pris en compte. Mais comme on dit en anglais, ici on

 20   parle plus que le papier.

 21   Q.  Merci. Je discuterai et débattrai volontiers avec vous, mais je

 22   crois que vous avez pris une position qui est celle de l'Accusation. Et

 23   pratiquement de votre avis, ce procès serait superflu, en somme.

 24   Alors je vous ramène à ma question. Vous avez reçu des informations disant

 25   que le plan des Bosniens était celui d'expulser les Serbes de la Bosnie-

 26   Herzégovine toute entière. Et ça se trouve dans votre journal numéro 6,

 27   pièce 65 ter o6569, page 53, lorsque vous décrivez la réunion du 12 janvier

 28   1993 avec une délégation des Croates de Bosnie.

Page 1622

  1   Est-ce que vous vous souvenez de Mile Akmadzic, que vous avez

  2   mentionné vous aussi à l'occasion de l'interrogatoire principal, voire à

  3   l'occasion de mon contre-interrogatoire ?

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Avant cela, Monsieur l'Ambassadeur, vous

  5   dites que vous vous rappelez la position prise par l'Accusation. Voulez-

  6   vous commenter ce point ?

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Moi, j'ai exprimé ma propre opinion, bien

  8   sûr. Mais nous manquons de temps, je le sais, donc je ne peux pas rentrer

  9   dans les détails. Mais je pourrais très certainement m'expliquer plus

 10   avant, s'il le faut. Je vous ai dit ce que je pense. Or, vous affirmez que

 11   le gouvernement bosniaque voulait chasser tous les Serbes de Bosnie. Je ne

 12   le crois pas.

 13   M. KARADZIC : [interprétation]

 14   Q.  Voyons la façon dont vous avez consigné, Monsieur l'Ambassadeur, les

 15   propos de Mile Akmadzic. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une période de

 16   négociations portant sur le plan Vance-Owen, et le dénommé Akmadzic vous

 17   exprime son souci, sa préoccupation et ses suspicions pour ce qui est de

 18   l'éventualité de voir aboutir une solution pacifique.

 19   Voilà pourquoi : Akmadzic, est-ce qu'on a retrouvé la page en

 20   question, s'il vous plaît, ça se trouve en haut à gauche ?

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il s'agit du P789.

 22   M. KARADZIC : [interprétation] "Une fois de plus, un gang de quatre

 23   Musulmans radicaux souhaite débarrasser la Bosnie-Herzégovine des Serbes.

 24   "Ganic, Silajdzic, Halilovic et Rusmir Mahmutcehajic, et on leur a dit que

 25   s'ils essayent cela, ils vont chasser également les Croates, ces radicaux

 26   musulmans."

 27   Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous avez informé ceux qui vous

 28   avaient délégué là-bas de cette information si drastique que cela ?

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  1   R.  Ce n'était pas des découvertes. C'était des affirmations faites de la

  2   bouche de Croates de Bosnie. Ces affirmations n'étaient pas exactes. J'ai

  3   déjà dit aux Juges de la Chambre que de bien des points de vue, la position

  4   défendue par les Croates de Bosnie et la position défendue par les Serbes

  5   de Bosnie allaient dans le même sens, ou en tout cas étaient parallèles,

  6   parfois même identiques. C'est l'une de ces positions où l'on voit les

  7   Croates de Bosnie et les Serbes de Bosnie prétendre que les Musulmans

  8   souhaitent les éliminer.

  9   Mais il convient de faire remarquer qu'à cette époque-là, le 12 janvier

 10   1993, l'armée croato-bosniaque participait au nettoyage ethnique le plus

 11   grave de Bosnie centrale. Le procès Prlic qu'a intenté ce Tribunal et

 12   devant lequel j'ai témoigné traite de cet acte. Donc il importe de juger

 13   ces affirmations relatives à des atrocités qui étaient censées viser les

 14   Croates en sachant que cela ne s'est pas passé, parce que ce qui s'est

 15   réellement passé, c'est que ce sont les Croates qui ont procédé au

 16   nettoyage des Musulmans en Bosnie centrale. Bien entendu, j'ai mis sur le

 17   papier ce que disait Akmadzic. Je pensais que c'était important. Je l'ai

 18   souligné, j'ai d'ailleurs inscrit une astérisque à côté de cette note qui

 19   m'indiquait à l'époque - et je n'ai pas changé de position à ce sujet - que

 20   les Croates et les Serbes de Bosnie défendaient des positions identiques à

 21   l'époque, à savoir qu'ils voulaient tous les deux démanteler la Bosnie-

 22   Herzégovine.

 23   Q.  Je vous remercie, Monsieur l'Ambassadeur. Nous allons réfuter vos

 24   dires, car effectivement, ils ne correspondent pas à la vérité, et nous

 25   prouverons qu'ils sont inexacts. Savez-vous que Mile Akmadzic est un

 26   Croate, et pas un Serbe, et que Mile Akmadzic était la source

 27   d'information, en tant que secrétaire général de la présidence de Bosnie-

 28   Herzégovine, que c'était quelqu'un qui savait tout ce qui était en train de

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  1   se passer, n'est-ce pas ?

  2   Alors, je vous prierais de bien vouloir, chaque fois que c'est possible,

  3   répondre par oui ou par non, car vraiment nous perdons beaucoup de temps en

  4   raison de vos réponses assez longues.

  5   R.  Qui répondent à des questions assez longues.

  6   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Mile Akmadzic était le premier ministre de la

  8   République de Bosnie-Herzégovine. Nous avions fréquemment affaire à lui,

  9   c'était tout à fait coutumier, et donc, bien sûr, je connaissais Mile

 10   Akmadzic. Je savais qui il était.

 11   M. KARADZIC : [interprétation]

 12   Q.  Et vous ne contestez pas que depuis les élections de 1990 et jusqu'au

 13   début de la guerre, il a été secrétaire général de la présidence de Bosnie-

 14   Herzégovine, n'est-ce pas ?

 15   R.  C'est exact.

 16   Q.  Merci. Voulez-vous dire, Monsieur l'Ambassadeur, que les représentants

 17   politiques serbes et croates vous ont fait connaître leurs craintes tout à

 18   fait essentielles dues au fait que la partie musulmane dirigée par Alija

 19   Izetbegovic et par des Musulmans du même genre, donc pas par Abdic,

 20   Zulfikarpasic et les autres, mais par des Musulmans qui avaient l'intention

 21   de créer une République islamiste intégrée de Bosnie-Herzégovine et que

 22   vous ne croyiez pas à ce que vous disaient les Serbes et les Croates à

 23   l'époque ?

 24   R.  Nous croyions que les Musulmans de Bosnie voulaient un Etat intégré.

 25   Nous ne croyions pas - et d'ailleurs il n'existe pas d'éléments sérieux le

 26   prouvant - nous ne croyions pas qu'ils souhaitaient la création d'une

 27   République islamique de Bosnie-Herzégovine pendant cette période de la

 28   guerre. Toutes les déclarations que vous avez citées ont été faites au

Page 1625

  1   cours de deux décennies, c'est-à-dire des 20 ans qui ont précédé la guerre.

  2   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, savez-vous que "La déclaration islamique a été

  3   publiée à nouveau en 1990 et qu'elle a été distribuée gratuitement ?

  4   Izetbegovic l'a signée comme en étant l'auteur, donc il a confirmé que ce

  5   texte venait bien de lui.

  6   R.  Oui, je suis au courant.

  7   Q.  Conviendrez-vous qu'il a été condamné pour avoir essayé de mettre en

  8   œuvre "La déclaration islamique" huit ans avant, et pas 20 ans avant, donc

  9   en 1983 ?

 10   R.  Il a effectué une tentative en 1983, et les documents que vous avez

 11   cités, en tout cas certains d'entre eux, datent du début des années 1970.

 12   Q.  Mais la réédition a eu lieu en 1990, réédition qui lui a permis de

 13   confirmer qu'il en était bien l'auteur.

 14   Vous confirmez également vos souvenirs que pour apaiser les tensions

 15   dans la situation politique qui prévalait à l'automne de 1991, j'ai demandé

 16   à Izetbegovic de renoncer à sa "déclaration islamique," de déclarer

 17   publiquement que le contenu de cette déclaration islamique ne

 18   correspondrait pas à son programme politique et que l'Etat qu'il voulait

 19   n'était pas celui de "La déclaration islamique, et vous vous rappellerez

 20   qu'il a refusé de le faire, n'est-ce pas ?

 21   R.  A l'automne 1991, ce qui s'est passé, c'est que vous avez quitté de

 22   façon très ostentatoire l'assemblée bosniaque le 14 octobre 1991. Et vous

 23   avez dit - et je suis sûr que vous vous en souvenez - que si la Bosnie se

 24   déclarait indépendante, ceci entraînerait les parties en présence en enfer,

 25   à commencer par les Musulmans de Bosnie. Vous vous rappelez cela ?

 26   Q.  Ce n'est pas tout à fait ainsi que cela s'est passé, mais nous y

 27   reviendrons.

 28   Monsieur l'Ambassadeur, vous avez dit il y a quelques instants que si le

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  1   statut de l'Etat de Belgique était modifié contre l'avis de l'une des

  2   communautés en présence, cet acte ne serait pas légitime. Alors, qu'en est-

  3   il des Serbes de Bosnie ? Pourquoi est-ce qu'ils ne jouiraient pas du même

  4   droit, c'est-à-dire du droit à être interrogé dès lors qu'une

  5   transformation draconienne du statut de l'Etat de Bosnie-Herzégovine était

  6   envisagée ? La question posée à l'assemblée le 14 octobre 1991 portait

  7   précisément sur ce point. Pourquoi est-ce que l'on refuse aux Serbes le

  8   droit de faire usage de leur droit d'expression sur une question de ce

  9   genre, question qui constitue une transformation fondamentale de l'une des

 10   unités fédérales de la

 11   RSFY ?

 12   R.  Personne n'a refusé aux Serbes le droit de s'exprimer. En fait, c'est

 13   un refus qu'ils se sont imposés eux-mêmes, car un référendum a été organisé

 14   - nous en avons déjà discuté - les 29 février et 1er mars 1992, qui portait

 15   sur la question de l'indépendance, et ce sont les Serbes de Bosnie qui ont

 16   choisi de ne pas se prononcer à ce référendum. Donc c'était un refus que

 17   les Serbes se sont imposé à eux-mêmes, Docteur Karadzic.

 18   Q.  Je vous remercie. Vous verrez que les choses ne se sont pas passées

 19   ainsi et que les 24 et 25 janvier, nous avons proposé la chose suivante

 20   suite à un accord avec Muhamed Cengic, et pas avec Asan Cengic. Nous avons

 21   fait cela en public, à l'assemblée, et nous avons dit que le gouvernement

 22   allait procéder à une régionalisation et que les Serbes participeraient au

 23   référendum. Si on allègue de la façon dont ils ont déclaré vouloir voter,

 24   ils ont déclaré vouloir voter au référendum.

 25   Vous avez évoqué un certain nombre de questions ici, mais j'aimerais

 26   maintenant vous remmener à un document qui est le document 1D167, qui a un

 27   rapport avec "La déclaration islamique," texte qui, depuis son adoption en

 28   1970 et jusqu'au jour d'aujourd'hui, demeure un texte fondamental eu égard

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  1   à l'avenir de la Bosnie-Herzégovine sous domination du SDA, et plus

  2   précisément, des Musulmans. Page 30, qui correspond à la page 29 du

  3   prétoire électronique. En version anglaise, il s'agit de la page 29 dans le

  4   prétoire électronique. Bien, en première page,  vous voyez que l'auteur est

  5   Alija Izetbegovic.

  6   Puis nous passons en pages 29 et 30. Page 30 du prétoire

  7   électronique. Dans ce document, nous lisons :

  8   "L'une de ces conclusions consiste sans aucun doute à constater

  9   l'incompatibilité de l'Islam avec les systèmes non islamiques. Il ne peut y

 10   avoir ni paix ni coexistence pacifique entre la religion islamique et les

 11   responsables politiques et sociaux non islamiques."

 12   Est-ce que vous voyez ce passage, Monsieur l'Ambassadeur ? Ceci a été

 13   publié au moment où nous mettions en place notre premier gouvernement

 14   démocratique, qui était un gouvernement de coalition, en Bosnie-

 15   Herzégovine.

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Est-ce que vous ne faites pas confiance à ce qui est écrit ici ? Peut-

 18   être ne faisiez vous confiance ni aux Serbes ni aux Croates, mais peut-être

 19   également n'avez-vous pas fait confiance à Izetbegovic lorsqu'il a écrit

 20   cela ?

 21   R.  Je crois qu'il a écrit cela à une date antérieure et qu'il a apposé sa

 22   signature au bas de ce texte ultérieurement au moment où il l'a écrit. Je

 23   crois aussi que ceci n'a eu aucun effet concret dans les rangs du SDA, pas

 24   plus d'ailleurs à l'époque que cela n'est le cas aujourd'hui.

 25   Q.  Merci. Je demanderais l'affichage de la page 46 du prétoire

 26   électronique pour le même document.

 27   Avant l'apparition du texte à l'écran, je dirais que j'envie vraiment M.

 28   Izetbegovic pour l'avocat dont il dispose. Dans le monde où il se trouve

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  1   aujourd'hui, dans l'au-delà, il doit se sentir très bien en raison de cela.

  2   R.  J'en doute. Comme vous le savez, les Musulmans de Bosnie ont refusé de

  3   signer le plan de paix Vance-Owen, tout comme vous l'avez fait vous-même.

  4   Ceci s'est passé en janvier 1993. Il a fallu que plusieurs mois s'écoulent

  5   pour que nous arrivions au 25 mars 1993, date à laquelle Izetbegovic a

  6   signé ce plan de paix, mais il ne l'a fait qu'après que la carte

  7   géographique avait été modifiée de façon à ce que soit garanti le rejet des

  8   Serbes de Bosnie, c'est-à-dire que le corridor était coupé par création

  9   d'une province musulmane au milieu. Donc je ne pense pas qu'il soit permis

 10   de dire qu'Izetbegovic, qu'il nous regarde aujourd'hui depuis en haut ou

 11   depuis en bas, estime que je suis un bon avocat pour lui.

 12   Q.  Je vous remercie. Nous avons la page qui est apparue à l'écran. Donc je

 13   cite le passage qui m'intéresse :

 14   "…nouvelle naissance, nous n'annonçons pas une ère de paix et de sécurité,

 15   mais une ère de troubles et de difficultés. Il y a trop de choses qui

 16   hurlent pour être détruites. Ce ne seront pas des jours de prospérité, mais

 17   des jours de respect de soi. Un peuple endormi ne peut être réveillé que

 18   par les coups. Quiconque souhaite du bien à notre communauté ne fera rien

 19   pour lui épargner la lutte, le danger et le malheur."

 20   Voilà la position de M. Izetbegovic, n'est-ce pas ? Il affirme que la

 21   renaissance n'est pas une annonce de paix et de sécurité, mais bien de

 22   troubles et de difficultés, et que quiconque souhaite le bien de la

 23   communauté islamique ne devrait pas s'efforcer de lui épargner souffrance,

 24   danger et malheur ? Est-ce que vous étiez au courant de ses positions ?

 25   R.  Globalement, oui. Mais je n'étais pas au courant de façon très précise

 26   de ce que contenait le chapitre 14, intitulé "Les femmes et la famille,"

 27   mais nous savions qu'Izetbegovic était parmi les représentants religieux du

 28   SDA.

Page 1629

  1   Q.  Dans l'affaire Prlic, dont vous avez parlé vous-même en date du 4

  2   février 2007, nous lisons en page 16 866 du compte rendu d'audience :

  3   "Il est inexact de dire qu'Izetbegovic ne s'inquiétait pas du bien-être

  4   d'autrui."

  5   Il est question à ce moment-là d'autres peuples ou d'autres groupes

  6   ethniques lorsqu'il parle d'autrui. Je vous dis pour ma part, Monsieur

  7   l'Ambassadeur, qu'Izetbegovic ne s'inquiétait pas du bien-être du peuple

  8   musulman et encore moins du bien-être des peuples serbe et croate. Que

  9   répondez-vous à cela ?

 10   R.  Je dis que c'est un sujet qui pourrait donner lieu à débat.

 11   Q.  Je vous remercie. Je demande à présent l'affichage de la page 55 du

 12   prétoire électronique pour le document en tant que tel. Donc 55 c'est la

 13   page du prétoire électronique, mais "46" c'est le numéro qu'on lit dans la

 14   version papier. Le passage se trouve au milieu de la page, où il dit :

 15   "Le mouvement islamique devrait et pourra commencer à s'emparer du pouvoir

 16   dès qu'il sera moralement et numériquement suffisamment fort pour avoir la

 17   capacité de reverser non seulement le gouvernement non islamique existant,

 18   mais qu'il pourra aussi construire un nouveau gouvernement islamique."

 19   Alors cette distinction est importante. Est-ce que vous niez que des

 20   consignes sont données ici pour l'organisation d'un coup d'Etat politique

 21   par des moyens contraires à la démocratie, non pas lorsque les Musulmans

 22   auront la majorité dans un Etat du point de vue du pourcentage de

 23   population représenté par eux, mais lorsqu'ils se sentiront simplement

 24   suffisamment forts pour assurer le succès d'un tel acte ?

 25   R.  On peut paraphraser ce passage de façon différente, mais en tout cas,

 26   nous voyons l'expression dans le texte, je cite, "numériquement

 27   suffisamment forts." Donc je suis sûr que ceci signifie que l'on passe par

 28   les urnes. Quoi qu'il en soit, nous sommes d'accord sur le fait que la

Page 1630

  1   population serbe de Bosnie-Herzégovine ajoutée à la population croate de

  2   Bosnie-Herzégovine dépassait de loin le nombre d'habitants que constituait

  3   la population musulmane de Bosnie-Herzégovine. Donc pour les Musulmans, il

  4   était impossible d'obtenir la majorité numérique par rapport au Bosno-

  5   Croates et Bosno-Serbes. Et puisque vous-même et Mate Boban aviez de bons

  6   rapports - rappelez-vous les réunions de Grac en Mai 1992, une fois que les

  7   combats avaient commencé - vous-même et Mate Boban vous êtes rencontrés en

  8   Autriche; donc je pense que les chances des Musulmans opposés à votre

  9   groupe et au groupe des Croates de Mate Boban étaient réellement nulles.

 10   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, est-ce que vous avez

 11   encore de nombreuses questions au sujet de "La déclaration islamique" ?

 12   L'ACCUSÉ : [interprétation] Encore simplement une question.

 13   M. KARADZIC : [interprétation]

 14   Q.  Mais vous ne niez pas le fait que s'ils avaient eu la possibilité

 15   d'agir dans ce sens, ils l'auraient fait contre nous ?

 16   R.  C'est précisément cela que je nie, Docteur Karadzic. Vous êtes en train

 17   de donner lecture de ce qui est un manifeste, qui avait très peu de chance

 18   de se voir réalisé dans la pratique. Vous êtes en train de lire une liste

 19   d'actions qui ressortent de ce texte. Je ne pense pas que ce soit justifié.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Nous allons montrer après la pause que

 21   les choses ont évolué exactement comme cela est écrit dans "La déclaration

 22   islamique." Je vous remercie.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] A moins qu'il y ait objection, "La

 24   déclaration islamique" --

 25   M. TIEGER : [interprétation] Pas d'objection, Monsieur le Président.

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] -- est versée au dossier --

 27   M. LE GREFFIER : [interprétation] En tant que pièce D75.

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] -- en tant que pièce D75. Je vous

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  1   remercie.

  2   Nous allons faire une demi-heure de pause.

  3   --- L'audience est suspendue à 12 heures 07

  4   --- L'audience est reprise à 12 heures 40.

  5   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Tieger, à vous.

  6   M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aurais une question à

  7   faire au sujet du calendrier. Je peux le faire maintenant si vous le

  8   souhaitez, ou à la fin de l'audience. Je tenais simplement à vous annoncer

  9   que je demanderais un petit instant pour vous poser une question.

 10   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie. Nous vous entendrons à

 11   la fin de l'audience.

 12   Monsieur Karadzic, veuillez poursuivre.

 13   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

 14   M. KARADZIC : [interprétation]

 15   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, vous disposiez de pas mal de renseignements au

 16   sujet de l'activité du HCR, notamment eu égard à tout ce qui concerne la

 17   distribution de vivres, de médicaments et autres produits de première

 18   nécessité à la population, n'est-ce pas ?

 19   R.  Oui, en effet.

 20   Q.  Est-il exact que les trois communautés, les trois groupes ethniques

 21   dépendaient, dans des mesures diverses, mais qu'elles dépendaient toutes

 22   trois de cette aide humanitaire ?

 23   R.  Oui, c'est vrai, à des degrés divers; et il faudrait trop de temps pour

 24   entrer dans le détail consistant à voir quelles étaient les zones

 25   géographiques qui ont été mieux approvisionnées que d'autres. Mais sur un

 26   plan général, je dirais que ce que vous venez de dire est exact.

 27   Q.  Je vais vous aider. Peut-être seule l'Herceg-Bosna était-elle dans une

 28   situation préférable, parce que la Croatie ne subissait aucune sanction

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  1   économique, la Serbie, elle, subissait les sanctions économiques. Mais il

  2   est très vrai, n'est-ce pas, que tous les groupes ethniques avaient besoin

  3   de l'aide humanitaire du HCR et d'autres organisations ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Merci. Nous avons vu hier, en lisant le jugement prononcé contre Alija

  6   Izetbegovic et le groupe qui le suivait et qui a remporté la victoire aux

  7   élections des années 90, nous avons vu en page 140 et 141 de la version

  8   serbe de ce jugement que le juge dont le nom était M. Hodzic a conclu que

  9   la réalisation des objectifs défendus par Izetbegovic ne pouvait se faire

 10   que de trois façons différentes : guerre fratricide, terreur ou

 11   intervention étrangère.

 12   Donc ici à la place que j'occupe, je vais apporter la preuve que pour M.

 13   Izetbegovic, il ne suffisait pas de créer une guerre fratricide et de

 14   répandre la terreur, mais qu'il avait également besoin de l'intervention

 15   étrangère; et c'est bien ce que le juge que je viens d'évoquer a dit. Mais

 16   c'était quelqu'un de très modeste qui a parlé de trois éléments

 17   susceptibles éventuellement de permettre la réalisation des objectifs

 18   poursuivis par M. Izetbegovic. C'était quelqu'un de très lucide, ou même

 19   extralucide. Et maintenant, nous sommes en présence du troisième facteur, à

 20   savoir l'intervention étrangère.

 21   Alors, la direction du SDA, est-ce qu'elle n'a cessé de demander et

 22   d'attendre une intervention militaire de la part de l'étranger ? Veuillez

 23   répondre par oui ou non, je vous prie, pour que nous puissions avancer.

 24   R.  Non.

 25   Q.  Très bien. Je vous remercie. J'aimerais maintenant appeler votre

 26   attention sur votre agenda numéro 5, qui constitue le document 65 ter

 27   numéro 06538, c'est un document à charge. C'est la page 35 qui m'intéresse,

 28   il y est question de votre rencontre avec le général Morillon le 12

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  1   décembre 1992.

  2   J'aimerais que ce document s'affiche sur les écrans, 12 décembre 1992,

  3   carnet numéro 5.

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, à l'avenir, lorsque

  5   vous donnerez un numéro de référence pour un document, veuillez, je vous

  6   prie, utiliser le numéro de pièce à conviction plutôt que le numéro du

  7   document sur la liste 65 ter dès lors que le document 65 ter a déjà été

  8   versé au dossier. Le document dont vous souhaitez l'affichage est la pièce

  9   P788.

 10   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Excellence.

 11   Nous nous sommes préparés de cette façon, parce que nous avons estimé qu'il

 12   serait nécessaire dans le cadre des audiences auxquelles nous participons

 13   en ce moment, pendant la déposition de M. l'Ambassadeur, de verser au

 14   dossier de nouveaux éléments.

 15   M. KARADZIC : [interprétation]

 16   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, nous voyons ici que vous avez déclaré durant

 17   cette rencontre avec le général Morillon, je cite :

 18   "M. Izetbegovic et l'aile radicale de la présidence souhaitent provoquer

 19   l'intervention étrangère."

 20   Ce à quoi M. Morillon répond :

 21   "L'intervention étrangère. Le gouvernement de Bosnie-Herzégovine était très

 22   mécontent au moment où le convoi du HCR est parvenu jusqu'à la ville

 23   musulmane de Srebrenica."

 24   Donc ce que j'affirme devant vous aujourd'hui c'est que nous avons ici une

 25   preuve suffisante pour démontrer que le SDA a abusé de la souffrance de son

 26   peuple dans le but de provoquer la compassion de la communauté

 27   internationale et donc une intervention militaire étrangère contre les

 28   Serbes. Est-ce que vous excluez cette possibilité ou est-ce que vous la

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  1   niez ?

  2   R.  C'est un fait que le gouvernement bosniaque désirait une intervention

  3   étrangère, puisque comme nous l'avons déjà dit, ils étaient en train de

  4   perdre la guerre, ils subissaient le nettoyage ethnique au quotidien,

  5   Sarajevo était pilonnée tous les jours, et ce, depuis avril 1992. En fait,

  6   Sarajevo n'a cessé d'être pilonnée pendant trois ans pratiquement au

  7   quotidien. Mais vous avez demandé un peu plus tôt si ce qu'ils attendaient

  8   c'était l'intervention étrangère; non, pas simplement parce qu'ils

  9   l'espéraient, pas parce qu'ils l'attendaient. La réponse à cette question

 10   est non, ils ne l'attendaient pas, parce qu'ils étaient réalistes et qu'ils

 11   voyaient que ni les Etats-Unis ni la Communauté européenne n'étaient prêts

 12   à intervenir.

 13   Alors, vous vous interrogez au sujet de la bonne foi des Musulmans de

 14   Bosnie, est-ce qu'ils souhaitaient attirer la compassion du monde. Ils

 15   l'ont fait. En fait, vous leur avez grandement facilité la tâche en

 16   pilonnant Sarajevo. Vous vous rappellerez que Lord Owen a déclaré cela à

 17   plusieurs reprises lorsqu'il s'est adressé à vous. Il vous a demandé

 18   pourquoi vous continuiez à pilonner Sarajevo alors que c'était un élément

 19   qui pouvait être utilisé par la presse de tous les pays, et vous avez

 20   toujours refusé de répondre.

 21   Donc toutes les parties tiraient profit de la situation dans la mesure où

 22   cela leur était possible, et notamment en ce qui concerne les livraisons de

 23   vivres du HCR.

 24   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, s'agissant de Sarajevo et de tout le reste,

 25   nous y viendrons bientôt et nous verrons quelle a été la véritable vérité,

 26   mais concentrons-nous sur le point suivant : est-ce que le gouvernement

 27   musulman a abusé de la souffrance de son propre peuple dans le but,

 28   puisqu'il n'a cessé de le faire, de demander l'intervention étrangère et

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  1   est-ce que ce faisant il n'a pas infligé des souffrances bien trop

  2   importantes à son propre peuple afin de gagner la compassion de la

  3   communauté internationale et d'obtenir une intervention étrangère, compte

  4   tenu de ce que le général Morillon vous a appris ?

  5   R.  Je ne dirais pas qu'ils avaient abusé de la situation.

  6   Q.  Le général Morillon dit ici que le gouvernement musulman était

  7   mécontent parce que le convoi était arrivé à Srebrenica. Comment

  8   interprétez-vous la chose ?

  9   R.  Ecoutez, il faudrait voir la page précédente, Monsieur Karadzic, où il

 10   dit :

 11   "Izetbegovic et l'aile radicale de la présidence veulent provoquer une

 12   intervention étrangère."

 13   On a parlé à de nombreuses reprises ici de la chose suivante, et vous êtes

 14   d'accord avec moi d'ailleurs : c'est que le SDA n'était pas unifié. Il y

 15   avait des courants au sein du SDA. Mais là, il parle d'un groupe, d'un

 16   courant; il n'est pas en train de dire que cela correspondait à la position

 17   de tous.

 18   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Mais le général Morillon, lui, ne parle

 19   pas du SDA; il parle du gouvernement bosniaque. Or, à cette page, vous avez

 20   consigné le fait que :

 21   "Ganic -- hier, Morillon a parlé --"

 22   "…des conditions, et il dit qu'il fallait les imposer par la force."

 23   Donc il ne fait pas l'ombre d'un doute que tout le monde a adopté une

 24   position unifiée. Mais restons sur ce terrain. Vous avez été informé par le

 25   général Morillon du fait que le gouvernement était malheureux du fait que

 26   le convoi soit arrivé à Srebrenica; oui ou  non ?

 27   R.  Oui, c'est dans mes notes, donc je réponds par l'affirmative.

 28   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourriez-vous nous expliquer le contexte

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  1   qui vous a poussé à tenir de tels propos.

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Le gouvernement éprouvait des difficultés en

  3   ce qui concerne cela. Ils étaient dans une situation désespérée. On était

  4   au début décembre. Ils faisaient la guerre depuis le mois de mars. Ils

  5   étaient en train de perdre, et ils avaient toujours perdu d'ailleurs sur

  6   tous les fronts, donc ils essayaient d'attirer la sympathie dans la mesure

  7   du possible. Et Morillon, qui était un homme très capable et très

  8   compétent, le comprenait bien. Mais il ne serait pas juste d'en conclure

  9   que c'est eux qui avaient tout commencé et qu'ils espéraient en tirer

 10   profit. Non, ils perdaient, il perdaient de façon très claire, ce qui

 11   montre bien qu'ils n'étaient pas du tout préparés à faire la guerre. Après

 12   tout, l'armée yougoslave, la JNA, une armée de plusieurs centaines de

 13   milliers de soldats bien armés, avait déjà en mai 1992 retiré de ses rangs

 14   tous les non-Bosniaques, mais leur avait laissé l'équipement, les machines,

 15   et l'armée, ensuite s'est déclarée armée de la Republika Srpska, la VRS, et

 16   là vous ne pouvez plus comparer les deux factions en ce qui concerne la

 17   puissance militaire. C'est incomparable. Donc en décembre 1992, à ce

 18   moment-là, plus d'un million de personnes avaient été déplacées, avaient

 19   fait l'objet de nettoyage ethnique, et c'étaient principalement d'ailleurs

 20   des Musulmans. D'ailleurs, le président de la Croix-Rouge internationale,

 21   en 1992, avait donné les chiffres de centaines de milliers, et là on est au

 22   mois de décembre, trois mois plus tard, donc c'est un parti aux abois qui

 23   essaye de faire tout ce qui est en son possible et qui a recours à des

 24   mesures assez désespérées.

 25   Mais il faut quand même dire qu'en fin de compte le convoi est arrivé au

 26   but, Srebrenica a été réapprovisionnée, Bratunac aussi. Les gens pensaient

 27   qu'il y aurait un million de morts du fait de l'hiver 1992-1993 en Bosnie-

 28   Herzégovine. La presse et les gouvernements s'attendaient à un chiffre de

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  1   cette importance. Et la FORPRONU et le HCR, la Croix-Rouge aussi, mais

  2   surtout la FORPRONU dont le mandat était de protéger les convois

  3   humanitaires - c'était un mandat, ce n'était pas une force combattante -

  4   ils étaient là pour aider à l'acheminement des convois humanitaires. Ils

  5   ont bien fait leur travail, puisque personne n'est mort au cours de cet

  6   hiver 1992-1993 ni du côté croate ni du côté serbe de Bosnie, ni du côté

  7   musulman. Il faut le prendre en compte.

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bien.

  9   Reprenez, s'il vous plaît.

 10   M. KARADZIC : [interprétation]

 11   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, comment les autres armées ont-elles été créées

 12   ? Parlons de la Bosnie seulement. D'où était venu le général Delic ? Les

 13   réservistes de la JNA composaient-ils la Ligue patriotique et autres unités

 14   ? Est-ce que vous voulez dire par là que la JNA n'est retombée qu'entre les

 15   mains des Serbes ou est-ce que c'était l'armée d'origine de toutes les

 16   formations armées en ex-Yougoslavie ? Oui ou non.

 17   R.  Dire que la JNA a servi de base pour toutes les autres armées qui ont

 18   été créées c'est quelque chose qu'on ne peut pas dire. En effet, dans sa

 19   majorité, les forces de la JNA ont aidé les Serbes de Bosnie, parce que

 20   même après la fin du démantèlement de la JNA, lorsqu'elle est devenue

 21   l'armée yougoslave, et non plus l'armée populaire de Yougoslavie, c'était

 22   une armée principalement serbe. Après tous, toutes les autres républiques

 23   étaient parties, il n'y avait plus de Croates, plus de Slovènes, plus de

 24   Macédoine, donc il restait l'armée serbe et c'était elle qui avait

 25   l'équipement le plus efficace. Et de plus, en ce qui concerne l'armée du Dr

 26   Karadzic, c'est-à-dire la VRS, l'armée de la Republika Srpska, elle était

 27   approvisionnée. Ne soyez pas surpris puisque vous pouvez voir. La FORPRONU

 28   voyait bien que tout arrivait depuis l'autre côté de la Drina, enfin, tout

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  1   l'approvisionnement militaire. D'ailleurs, les troupes de l'armée de la

  2   Republika Srpska recevaient leur paye depuis Belgrade.

  3   Donc lorsque vous dites que tout le monde avait participé à la JNA,

  4   Monsieur Karadzic, là vraiment, vous déformez la vérité. Votre camp a

  5   obtenu 90 % [comme interprété] de l'assistance fournie par la JNA.

  6   Q.  Merci, Monsieur l'Ambassadeur. Mais tout ce que vous venez de dire

  7   n'est pas exact. Il n'est pas vrai de dire que les salaires pour les

  8   soldats venaient de Serbie. Un certain nombre d'officiers qui, d'une

  9   manière ou d'une autre, étaient censés recevoir leurs salaires s'ils

 10   étaient allés dans les restaurants à Belgrade à ne rien faire, et il s'agit

 11   de 2 000 officiers, la Serbie n'a pas, elle, payé les soldats de la

 12   Republika Srpska. Les officiers que la Yougoslavie devaient forcément

 13   continuer à payer, qu'ils soient à Belgrade ou ailleurs, ils touchaient ces

 14   salaires, eux, et pas les autres. Mais laissons cela de côté.

 15   Est-ce que le gouvernement musulman avait abusé de la souffrance de

 16   sa population pour générer une intervention étrangère ?

 17   Et là, je vous rappelle "La déclaration islamiste" et le jugement

 18   rendu en 1983, à savoir 1D34, page 17 en version serbe, où il est dit que

 19   les Musulmans doivent être prêts à se sacrifier pour réaliser leurs

 20   objectifs.

 21   Je n'ai pas à vous le rappeler, ça ? On vous l'a déjà montré sur vos

 22   écrans, on n'a pas à vous le remontrer. Ou alors --  merci. Ou le 1D167,

 23   page 46, où il est dit :

 24   "La prospérité des gens qui ne peuvent être réveillés qu'à force de coups

 25   de triques. Alors, ceux qui nous veulent du bien ne nous épargnerons pas

 26   les combats, les dangers et les malheurs."

 27   Est-ce que vous voyez là des séquelles idéologiques du point de vue du

 28   comportement du gouvernement musulman à l'égard de son propre peuple -- ce

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  1   n'est pas arbitraire. C'est profondément incorporé dans une philosophie

  2   politique qui est celle de dire que le peuple doit bien souffrir afin de

  3   retourner vers de l'Islam ? Alors, réponds-moi. Par oui ou par non, je veux

  4   bien, mais répondez.

  5   R.  Monsieur Karadzic, vous semblez dire, premièrement, que le peuple

  6   musulman souffrait; et deuxièmement, il souffrait parce que le gouvernement

  7   musulman voulait qu'il souffre. Or, c'est faux. Ils souffraient. Ils se

  8   trouvaient dans des centres de détention et dans des camps de

  9   concentration, parce que les Serbes de Bosnie les avait chassés de chez

 10   eux, avait eu recours à la force, à l'intimidation, à la violence contre

 11   eux et allaient même jusqu'à la mort pour les chasser.

 12   Q.  Non, là, je vais contester cela.

 13   R.  En fait, vous comparez les mots qui avaient été prononcés précédemment

 14   et qui ont été reprononcés en 1990 avec ce qui se passait véritablement sur

 15   le terrain. Or, ce n'est pas juste.

 16   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Votre question demandait une longue

 17   réponse. Sachez que vous pourrez déposer plus tard si vous le voulez. Mais

 18   poursuivons.

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

 20   M. KARADZIC : [interprétation]

 21   Q.  Moi, ce qui m'intéresse maintenant c'est ce sujet-ci, à vous de dire

 22   oui ou non : est-ce que les Serbes ont expulsé les Musulmans de chez eux,

 23   ça c'est un sujet auquel on se référera. On ne va pas le laisser de côté

 24   celui-là. Mais je vous prie de rester à ce qui était l'objet du débat.

 25   On me reproche d'avoir terrorisé la population de Sarajevo. Or,

 26   j'aimerais que l'on jette de la lumière sur la situation à Sarajevo et dire

 27   ce qui s'y passait en mesure réalité. Est-ce que par hasard vous auriez

 28   suivi mes propos liminaires du 1er et du 2 mars devant ce Tribunal, et est-

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  1   ce que vous êtes d'une façon quelconque au courant de la substance de mes

  2   propos liminaires ?

  3   R.  Non, je n'ai pas suivi vos propos liminaires, et d'ailleurs je n'en

  4   connais pas du tout la teneur.

  5   Q.  Merci. Est-ce que, s'agissant de mes propos liminaires, vous les auriez

  6   évoqués avec le Procureur lorsque vous vous êtes préparé en vue de ce

  7   témoignage ?

  8   R.  Je ne sais pas dans quelle mesure la séance de récolement doit rester

  9   confidentielle ou non. Mais je tiens à vous dire que je n'en ai jamais

 10   parlé avec le Procureur.

 11   Q.  Est-ce que le 11 avril de cette année vous auriez fourni au Procureur

 12   des informations complémentaires qui n'existaient pas dans vos déclarations

 13   et témoignage fournis jusqu'à présent ?

 14   R.  Non.

 15   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais qu'on nous montre le 1D287.

 16   M. KARADZIC : [interprétation]

 17   Q.  Il s'agit d'un document qui nous a été confié par l'Accusation et qui

 18   comporte des informations complémentaires fournies par vos soins; c'est

 19   bien cela ?

 20   R.  C'est un addendum à une discussion portant sur des choses qui n'étaient

 21   pas nouvelles. En fait, il s'agit juste d'un addendum où je complète des

 22   informations qui ont déjà été données. Et je tiens à dire que toutes ces

 23   informations sont véridiques.

 24   Q.  Donc on vous a communiqué des informations disant que les forces du

 25   gouvernement d'Izetbegovic avaient ouvert le feu depuis les positions

 26   devant l'hôpital principal de Sarajevo aux fins de susciter des tirs en

 27   riposte de la part de l'armée de la Republika Srpska, n'est-ce pas ?

 28   R.  Oui, c'est ce qui est écrit dans ce document en date du 11 avril. C'est

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  1   vrai.

  2   Q.  Ce qui m'intéresse ici, c'est le mot "occasionnel." Qu'aviez-vous à

  3   l'esprit ? Comment occasionnellement ? Combien de fois par mois, par an, ou

  4   peu importe ?

  5   R.  Très rarement. Nous obtenions nos informations auprès des forces de la

  6   FORPRONU cantonnées à Sarajevo.

  7   Q.  Donc c'est ce que la FORPRONU avait déterminé. Mais comment saviez-vous

  8   que ça ne s'est pas passé plus souvent ? Comment pouvez-vous savoir si tous

  9   les grands incidents n'avaient pas été le fait de l'ABiH ?

 10   R.  Il y a deux questions dans ce que vous venez de me dire. Première

 11   question : nous savions que ce n'était pas fréquent, parce qu'il y avait

 12   beaucoup de soldats de la FORPRONU dans Sarajevo. Ils n'étaient pas trois

 13   ou quatre; il y en avait des centaines de ces soldats de la FORPRONU. Ils

 14   étaient positionnés aussi sur des points d'observation autour de la ville,

 15   qui étaient extrêmement précis. Ils devaient plus spécialement observer les

 16   dégâts infligés par les pilonnages des Serbes de Bosnie à la ville. Donc

 17   ils savaient bien ce qui se passait en ville. Donc là, je réponds à votre

 18   première question.

 19   En ce qui concerne la deuxième, sachez qu'ils vérifiaient avec énormément

 20   d'attention toutes les accusations faites à l'époque par les Serbes de

 21   Bosnie, parfois d'ailleurs par le Dr Karadzic, selon lesquelles, soi-

 22   disant, les Musulmans de Bosnie tiraient sur leur propre peuple. Les Serbes

 23   de Bosnie affirmaient aussi que parfois les soldats musulmans de Bosnie se

 24   déguisaient en Serbes, ils mettaient des uniformes de Serbes de Bosnie ou

 25   de Serbes de la JNA pour leurrer le monde entier, pour que l'on croie que

 26   c'étaient des Serbes de Bosnie qui se livraient à ces attaques. Sachez que

 27   ça ne trompait absolument pas la FORPRONU. Ils faisaient très attention

 28   lorsqu'il y avait des allégations de ce type. Donc ils nous faisaient

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  1   rapport des pilonnages. On avait des chiffres très précis sur les

  2   pilonnages. Chaque jour, on recevait un rapport donnant exactement le

  3   nombre d'obus des Serbes de Bosnie tombés sur Sarajevo. Donc ils

  4   vérifiaient les choses de très, très près, et donc nous avions raison, à

  5   mon avis, de les croire.

  6   Q.  Merci. Quand avez-vous reçu cette information de leur part concernant

  7   les provocations effectuées par l'ABiH ?

  8   R.  Non, c'est vous qui avez lancé cette accusation, et d'ailleurs pendant

  9   toutes les négociations.

 10   Q.  Non, Monsieur l'Ambassadeur, je vous parle de cette information-ci,

 11   celle qui élargit ou complète votre déclaration, celle du 11 avril. Quand

 12   est-ce que vous avez reçu cette information de la part des observateurs ?

 13   R.  Je ne me souviens pas exactement de la date. Non, désolé, je ne me

 14   souviens pas.

 15   Q.  C'est certainement à l'époque où vous étiez encore là-bas, n'est-ce pas

 16   ?

 17   R.  Je n'en suis pas si sûr. Il se pourrait que ce soit quelque chose que

 18   j'ai appris, parce que j'ai vu la lettre écrite par le secrétaire général à

 19   Izetbegovic. C'est peut-être à ce moment-là. Vraiment, je ne peux pas vous

 20   donner une réponse à 100 %.

 21   Q.  C'était pendant la guerre, de toute façon ?

 22   R.  Oui, bien sûr, au cours du conflit.

 23   Q.  Est-ce que je peux vous demander pourquoi vous ne l'avez mentionné dans

 24   aucune déclaration ou dans aucun des témoignages que vous avez fournis

 25   jusqu'à présent ?

 26   R.  J'essaie de répondre à toutes vos questions. J'ai dit - vous l'avez

 27   peut-être déjà oublié - mais j'ai dit qu'en ce qui concerne les mauvais

 28   traitements infligés aux gens, que ce soit de nettoyage ethnique ou de la

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  1   maltraitance, ceci nous était relaté par le Comité international de la

  2   Croix-Rouge et par le HCR. Mais ces entités nous faisaient bien part du

  3   fait que les trois parties au conflit se livraient à des abus de ce type.

  4   Donc la qualité même des sévices étaient à peu près les mêmes, mais la

  5   quantité, en revanche, de sévices, de tortures, d'expulsions était plus

  6   importante du côté des Serbes de Bosnie. Ça, je l'ai déjà dit à de

  7   nombreuses reprises. 

  8   D'ailleurs, Monsieur Karadzic, vous avez eu droit à voir mes journaux, mes

  9   agendas, mes cahiers de notes. Il y en a pratiquement

 10   2 000 pages. C'est tout à fait normal, d'ailleurs, que vous ayez pu

 11   bénéficier d'en prendre connaissance, et je suis content de voir que vous

 12   les avez lus de très près et que vous comprenez bien qu'ils sont écrits de

 13   façon parfaitement objective et honnête et neutre. Je critique Izetbegovic,

 14   par exemple. Donc sachez que je n'ai rien dissimulé aux Juges de ce

 15   Tribunal. Alors, si tout d'un coup je me rappelle de quelque chose après 18

 16   ans, ça peut arriver. Parfois, on se rappelle ou on ne se rappelle pas.

 17   M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] J'aimerais revenir à quelque chose,

 18   Monsieur l'Ambassadeur.

 19   Vous parlez du gouvernement de la BiH, qui serait en colère parce

 20   qu'un convoi humanitaire est arrivé à Srebrenica, soi-disant parce qu'il

 21   serait plus facile de provoquer une intervention internationale si les

 22   convois n'arrivaient pas à passer. J'aimerais savoir si c'est le lien déjà

 23   que vous vouliez évoquer.

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui. Je pense que la question voulait

 25   aller dans ce sens en tout cas. Ça, c'est sûr.

 26   M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] Bien. Mais vous étiez là à l'époque.

 27   Donc, j'aimerais savoir quelle est votre évaluation de la réelle politique

 28   ? D'après vous, si un convoi humanitaire n'avait pas réussi à atteindre son

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  1   but, est-ce que cela aurait pu provoquer une intervention étrangère, ou

  2   est-ce qu'il y avait une réticence complète à intervenir ?

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Personne ne voulait intervenir.

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, poursuivez.

  5   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Moi, j'avais attendu la fin de

  6   l'interprétation. C'est la raison du petit retard.

  7   M. KARADZIC : [interprétation]

  8   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous avez ouï dire, appris de la

  9   part de la FORPRONU ou appris par les médias occidentaux, voire par les

 10   rapports en provenance des Nations Unies qui n'auraient pas été rendus

 11   publics, que les forces musulmanes à Sarajevo avaient tué des citoyens à

 12   elles, en présentant la chose comme étant des victimes des pilonnages

 13   effectués par les Serbes; oui ou non ?

 14   R.  Nous étions au courant des déclarations que vous faisiez dans ce sens,

 15   mais nous n'avons jamais reçu d'information de ce type venant de la

 16   FORPRONU.

 17   Q.  Est-ce que vous excluez l'éventualité qu'il y ait des rapports de la

 18   FORPRONU ou des suspicions formulées par des observateurs ou personnes

 19   d'autorité publique venues d'ailleurs pour ce qui est d'affirmer que telle

 20   chose a bien pu se produire ? Ça peut être trois fois non ou trois fois

 21   oui.

 22   R.  Vous dites que les forces musulmanes tuaient leurs propres citoyens, ou

 23   auraient tué leurs propres citoyens. Donc je ne vous pose pas de questions.

 24   Mais pour répondre à votre question, il faut que je comprenne exactement ce

 25   que vous voulez dire. Vous voulez dire qu'ils auraient, par exemple, envoyé

 26   les gens de leur propre groupe ethnique devant les balles ? Je ne comprends

 27   pas très bien votre question. Je trouve que votre question n'est pas

 28   précise. Donc je préfèrerais ne pas y répondre, à moins que vous ne la

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  1   précisiez.

  2   Q.  Merci. Ma question était de savoir si vous aviez reçu des informations

  3   de la part de représentants officiels, voire de médias occidentaux, mais

  4   vous avez répondu; et je vous en remercie.

  5   Est-ce qu'on peut se pencher maintenant sur un document, le 1D486,

  6   s'il vous plaît.

  7   En attendant qu'on nous le montre, je vais expliquer brièvement de quoi il

  8   s'agit. Il s'agit d'un rapport de l'administration chargée de la sécurité

  9   de l'état-major du commandement Suprême des forces armées de la Bosnie-

 10   Herzégovine.

 11   Nous allons vérifier si une version anglaise il y a ou pas. Si ce n'est pas

 12   le cas, je vais donner lecture d'une toute petite partie de ce texte. En

 13   version serbe, peut-être pourriez-vous nous donner la page suivante,

 14   04691228. Il y est dit :

 15   "Les rapports du service de Renseignements musulman. Le service de la

 16   sécurité militaire s'est procuré des renseignements nouveaux disant que des

 17   citoyens du groupe ethnique serbe à Dobrinja sont traités comme étant des

 18   citoyens de deuxième ordre, et qu'ils font l'objet de pressions aux fins de

 19   déménager de cette localité. En effet, une source fiable a dit qu'il y a eu

 20   des cas de mauvais traitements physiques, de privation illicite de liberté

 21   et même de privation d'aide humanitaire à l'attention de personnes du

 22   groupe ethnique serbe, chose qui a suscité de la révolte et de la crainte

 23   au niveau des citoyens."

 24   Il y a eu l'exemple d'un individu qui ne reçoit pas d'aide humanitaire

 25   depuis plusieurs mois, rien que parce qu'il s'agit d'un Serbe. Le fils de

 26   cet individu a plusieurs fois été physiquement malmené par des personnes

 27   armées, sans raison aucune, ce qui fait qu'il a subi des blessures graves.

 28   Puis il dit :

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  1   "Il y a eu également un meurtre à Dobrinja il y a quelques mois d'un

  2   dénommé Mercep, bien que les instances compétentes aient présenté la chose

  3   comme étant un décès dû aux séquelles de pilonnage. En effet, la

  4   culpabilité de ce Mercep qui est mort, c'était de ne pas être retourné à

  5   Dobrinja lorsqu'on l'a autorisé à partir en ville pour emmener son épouse à

  6   l'hôpital. Puis on a menacé la famille de la personne tuée de ne parler de

  7   cet incident à personne.

  8   Alors, est-ce que vous faites confiance à la sécurité militaire de l'ABiH ?

  9   R.  Je ne comprends pas votre question. Je ne comprends pas vraiment votre

 10   question.

 11   Q.  On a présenté cet homme comme étant une victime des pilonnages; or, ils

 12   l'ont tué parce qu'il était rentré avec du retard.

 13   R.  Vous avez cité un passage d'un document qui déclare cela. J'ai lu le

 14   document, et je ne peux pas en dire plus. C'est tout ce que j'en sais. Donc

 15   je pense que cela n'a aucune incidence sur le pilonnage de Sarajevo pendant

 16   trois ans, pilonnage incessant de Sarajevo par les forces serbes de Bosnie

 17   sous le commandement du général Mladic. Nous l'avons déjà dit. Je suis sûr

 18   que vous êtes d'accord avec moi que les trois parties ont été coupables

 19   d'avoir commis des abus. C'est au compte rendu, oui. Donc on trouvait,

 20   c'est facile, parce que c'était une guerre sale, très sale. Mais il existe

 21   d'autres indicateurs qui montrent qui a été le plus maltraité. Il y avait

 22   plus de un million de Musulmans --

 23   Q.  [aucune interprétation]

 24   R.  -- qui ont été chassés et qui ont été déplacés, chassés de Bosnie-

 25   Herzégovine par vos forces. Donc cela nous donne une petite idée de l'ordre

 26   de grandeur de ce qui s'est passé. Il faut le garder à l'esprit.

 27   M. KARADZIC : [interprétation]

 28   Q.  Merci. Monsieur l'Ambassadeur, mais ce n'est pas exact. Vous avez parlé

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  1   de décembre 1992. C'est justement à ce moment-là que le Jerusalem Post a

  2   publié que les réfugiés serbes étaient plus nombreux que les réfugiés

  3   musulmans et croates ensemble. Est-ce que vous le niez ou pas ?

  4   R.  Ça, c'est tout à fait faux. Cette déclaration est fausse. C'est

  5   monstrueusement faux. Nous avons des comptes rendus de la Croix-Rouge

  6   internationale. Ils se sont occupés des réfugiés. Le Jerusalem Post est un

  7   journal en anglais qui est publié en Israël, mais qui a déjà du mal à

  8   relater ce qui se passe en Israël, et donc qui a énormément de mal à parler

  9   de ce qui se passait en Bosnie-Herzégovine.

 10   Q.  Merci. Monsieur l'Ambassadeur, je crains fort que nous n'allons pas

 11   réussir à tout parcourir, et il va falloir que je demande du temps

 12   supplémentaire. Vous avez entamé plusieurs sujets, et vous me répondez par

 13   du tu quoque. Alors, pour ce qui est des pilonnages et des nettoyages

 14   ethniques, je crois que ce sont des sujets qui feront l'objet de contre-

 15   interrogatoire tout à fait distinct.

 16   Je voudrais maintenant qu'on nous montre le 1D337 à présent, s'il

 17   vous plaît. Il s'agit aussi d'un document de l'administration de la

 18   Sécurité de l'état-major principal de l'ABiH. Et je voudrais que nous ne

 19   fassions pas confusion de sujet. Nous sommes en train de parler de ce que

 20   les Musulmans font à l'égard de leur propre population dans l'intention de

 21   sataniser les Serbes pour générer ou susciter une intervention

 22   internationale; et c'est ce que nous essayons de déterminer. Vous avez dit

 23   que vous n'y croyiez pas. Moi, je vous avance des éléments de preuve à cet

 24   effet.

 25   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Cela dit, Monsieur Karadzic, avez-

 26   vous l'intention de verser au dossier la fiche d'information supplémentaire

 27   de M. l'Ambassadeur ? En fait, il s'agit d'une note de récolement.

 28   L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui, Excellence. Non seulement cela, mais

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  1   aussi le document de tout à l'heure.

  2   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, nous y viendrons.

  3   Mais s'il n'y a pas d'objection, ce document recevrait une cote. Pouvez-

  4   vous nous donner la cote.

  5   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ça sera la D76.

  6   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Tieger, que pensez-vous donc de

  7   ce document qui vient de la BiH à propos du meurtre de civils qui auraient

  8   été tués par obus, le 486 ?

  9   M. TIEGER : [interprétation] Ecoutez, il n'a pas été traduit, de toute

 10   façon, pour l'instant. Donc je n'ai pas d'objection de principe en

 11   revanche, mais je tiens à dire que c'est un document qui est présenté par

 12   le Dr Karadzic pour étayer son point de vue. Mais le problème principal

 13   pour nous, c'est qu'il n'est pas traduit. Donc une fois que nous aurons

 14   reçu la traduction, nous vous donnerons notre avis à propos de

 15   l'admissibilité de ce document.

 16   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. Ce document donc sera marqué

 17   pour identification en attendant la traduction. La cote, s'il vous plaît.

 18   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera une cote MFI D77.

 19   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien. Poursuivez, Monsieur

 20   Karadzic.

 21   L'ACCUSÉ : [interprétation] Excellence, s'agissant de cette observation, je

 22   tiens à vous dire que ceci m'a été imposé par l'Accusation parce qu'il a

 23   entamé avec ce témoin une quantité énorme de sujets, et le témoin lui-même

 24   a présenté des allégations qui sortent du cadre de l'interrogatoire

 25   principal. Donc je dois me pencher dessus.

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Poursuivez.

 27   M. KARADZIC : [interprétation] Merci.

 28   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, est-ce que vous pensez, ou est-ce que vous

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  1   excluez la possibilité quand je vous dis que l'armée musulmane avait tué

  2   des soldats étrangers, soldats des Nations Unies, dans l'objectif de salir,

  3   de diaboliser le côté serbe ?

  4   R.  En effet, à l'époque, nous savions qu'il était sans doute probable que

  5   les soldats chargés du maintien de la paix français avaient été tués par

  6   des tirs musulmans - c'est dans mes cahiers d'ailleurs - et les forces des

  7   Nations Unies le comprenaient bien. Ça n'a jamais été prouvé, mais il

  8   semblerait que ça été le cas. Nous savions aussi que certains éléments des

  9   Musulmans de Bosnie, des criminels principalement, à Sarajevo, avaient tué

 10   des soldats de la JNA au tout début de la guerre, lorsqu'ils se retiraient

 11   de Sarajevo. Je suis sûr que Dr Karadzic s'en souvient bien. Donc on peut

 12   dire avec justesse que nous étions plutôt bien informés ou assez bien

 13   informés à propos de ce qui se passait dans Sarajevo. Bien sûr, on ne

 14   savait pas absolument tout à 100 %, c'est un peu impossible. Mais les

 15   forces de maintien de l'ordre nous informaient et informaient aussi leurs

 16   QG de façon tout à fait correcte.

 17   Q.  Je vous remercie. Par rapport à ce qui s'était passé au début de la

 18   guerre, il en était ainsi. Mais j'ai ici un document qui se rapporte aux

 19   dates du 26 et 27 octobre 1993, donc un an et demi depuis le début de la

 20   guerre. Et la pratique s'est poursuivie.

 21   Donc si vous me le permettez, je vais donner lecture de ce passage. Je

 22   crois que nous avons une traduction de cette partie :

 23   "Le commandement de la FORPRONU pour le secteur de Sarajevo dispose

 24   d'information disant que les obus qui, le 20 octobre 1993, sont tombés dans

 25   le secteur Bravo (positions des nôtres)," donc positions musulmanes, "cote

 26   930613, dans la partie nord-est de Sarajevo, sont partis de la position

 27   Bravo," donc nos positions à nous, "cote 9162. On en a informé le

 28   commandement de la FORPRONU à Kiseljak. Et d'après les informations du

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  1   service de la Sécurité d'Etat, le commandement du Bataillon français est en

  2   train d'enquêter pour ce qui est des blessures suite aux tirs de tireurs

  3   isolés de l'un de leurs soldats faisant partie de l'escadron FraBrat II,

  4   qui se trouvait à la partie est de Skenderija. A cet effet, le colonel

  5   Duburg a déclaré qu'il a certainement été tiré de très près et a jugé qu'on

  6   pouvait donc éliminer la possibilité que les Serbes de Grbavica aient pu

  7   tirer. Et il dit que l'enquête se concentrera sur la 10e Brigade de l'ABiH

  8   dont les soldats, de leur avis, avaient probablement été les auteurs de cet

  9   incident."

 10   Est-ce que vous voyez ici que ça s'est passé non seulement au début

 11   de la guerre, mais encore au mois d'octobre 1993 ?

 12   R.  Oui, je le vois.

 13   Q.  Cependant, vous nous avez dit qu'il n'y avait jamais eu de preuve

 14   à cet effet. Or, pour l'illustrer, je vais vous citer votre journal numéro

 15   2. Il s'agit du 6535. Je ne sais pas vous dire le numéro de pièce à

 16   conviction dont il s'agit.

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous n'avez qu'à donner le numéro

 18   65 ter, cinq numéros.

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] O6535, page 67.

 20   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Cela correspond à la pièce P785.

 21   M. KARADZIC : [interprétation]

 22   Q.  Et la page qui m'intéresse est la page 67, côté droit de l'écran.

 23   C'est Morillon, entre parenthèses :

 24   "Nous allons discuter de la chose demain avec Karadzic et Ganic. Il veut

 25   que Ganic admette que les gens de Sandzak avaient tué les deux soldats de

 26   la FORPRONU français. Et entre parenthèses, Ganic avait déjà admis la chose

 27   à titre privé."

 28   Donc ça quand même été déterminé cela, non ?

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  1   R.  Comme je l'ai déjà dit, je l'ai consigné dans mon cahier, et vous venez

  2   juste de confirmer mes propos.

  3   Q.  Oui, mais avant cela, vous avez dit qu'il n'y avait jamais eu de preuve

  4   et que vous aviez des suspicions. Mais on voit que ça été admis par les

  5   auteurs, ceux qui en étaient les coupables ?

  6   R.  Docteur Karadzic, vous n'aviez pas précisé l'affaire à laquelle vous

  7   faisiez référence précédemment. Vous avez dit des "soldats français." Si

  8   vous aviez été plus précis, j'aurais su exactement à quoi vous faisiez

  9   allusion. Donc moi, je répondais de façon générale à une question qui m'a

 10   été posée de façon générale.

 11   Q.  C'est l'intérêt de ma question. Je n'ai pas parlé de cas individuel.

 12   J'ai parlé du phénomène. Est-ce qu'il le faisait, et on voit maintenant que

 13   oui. Je vous remercie. On peut allez de l'avant.

 14   Je demanderais à présent qu'on nous montre votre journal numéro 1, le 65

 15   ter est le 06534. Je vous renvoie à la page 33, il s'agit de votre réunion

 16   avec les généraux Nambiar et Morillon le 9 septembre 1992.

 17   Le texte est sur les écrans ? Voilà, il apparaît.

 18   Alors, M. Nambiar, lors de sa rencontre avec vous, dit, c'est sur la droite

 19   de l'écran. Je ne sais pas si M. Vance participait aussi à cette réunion,

 20   mais quoi qu'il en soit, vous avez écrit.

 21   Il est question de Sarajevo s'agissant de ce qui disait  Nambiar :

 22   "Depuis la troisième semaine d'août, la FORPRONU est délibérément

 23   prise pour cible par les troupes musulmanes, protestation à Izetbegovic à

 24   ce sujet."

 25   Et un peu plus loin, nous lisons :

 26   "Nambiar se plaint du meurtre de soldats français hier qui a été un acte

 27   délibéré de sang-froid dans le cadre d'une embuscade organisée par les

 28   forces musulmanes de la présidence --"

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  1   Vous rappelez-vous cette réunion ? Et est-ce qu'on a besoin de quelqu'un de

  2   plus important que le général Nambiar pour nous parler de cet acte

  3   d'accusation une certitude à 100 % ?

  4   R.  Bien entendu, je me rappelle cette réunion. D'ailleurs, le mot en

  5   anglais est "dastardly," et non "bastardly" pour le compte rendu

  6   d'audience. Toutes mes excuses. Vous remarquerez que le texte se lit comme

  7   suit :

  8   "Probable, mais pas certain, que l'avion italien ait été abattu par les

  9   forces croates."

 10   Un peu plus loin, un avion italien avait été abattu dans la même

 11   période de septembre 1992. J'ai évoqué cela pour indiquer ce que je ne

 12   cessais de dire depuis pas mal de temps, à savoir que les trois parties au

 13   conflit commettaient des abus et des actes de haine, ce qui était certain.

 14   Q.  Monsieur l'Ambassadeur, je vous prie, est-ce que vous connaissez les

 15   conséquences de cet avion italien qui a été descendu ? Est-ce que vous

 16   savez que cela a eu pour conséquence une interdiction de vol pour les

 17   Serbes ?

 18   R.  Ceci a été discuté depuis le début de la guerre. L'activité aérienne

 19   au-dessus de la Bosnie-Herzégovine n'a cessé d'être discutée. La seule

 20   force qui avait une présence dans les airs était la force des Serbes de

 21   Bosnie. Les Croates de Bosnie survolaient la Bosnie de temps en temps, mais

 22   c'était très rare. Les Musulmans n'avaient pratiquement aucun aéronef dans

 23   les airs en raison de leur faiblesse. Donc l'occasion s'est présentée - le

 24   Dr Karadzic a tout à fait raison - de parler de la présence dans les airs

 25   des Serbes de Bosnie en Bosnie-Herzégovine pour la raison que je viens

 26   d'indiquer.

 27   Pour poursuivre, je suis certain de savoir où tout cela allait, et il

 28   est important de le savoir, car après quelque temps le Conseil de sécurité

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  1   des Nations Unies a voté une résolution d'interdiction de survol, ce qui a

  2   fait de la Bosnie-Herzégovine une zone qu'il était interdit de survoler, et

  3   ce, dans le but premier d'empêcher les Serbes de Bosnie de développer leur

  4   force aérienne. Nous avons eu de nombreuses conversations, Docteur

  5   Karadzic, à ce sujet, les négociateurs et moi. Vous les trouverez toutes

  6   consignées par écrit dans mes journaux personnels.

  7   Q.  Je vous remercie. Je vous remercie. Ma question consistait à vous

  8   demander si le fait de descendre cet avion, et les premières allégations

  9   qui ont été proférées à ce sujet, consistait à dire que cet acte était dû

 10   aux Serbes et est-ce que ce n'est pas quelque chose qui a déclenché

 11   l'interdiction de survol, c'est-à-dire la mise en place de cette zone

 12   d'interdiction de survol; oui ou non ?

 13   R.  Non.

 14   Q.  Je vous remercie. Nous le prouverons plus tard.

 15   Monsieur l'Ambassadeur, tout ceci figure dans vos journaux personnels.

 16   Pourquoi est-ce que vous n'avez pas dit tout cela lors de l'une ou l'autre

 17   de vos dépositions devant ce Tribunal jusqu'à présent ? Ne pensez-vous pas

 18   que ceci aurait pu être favorable aux accusés Krajisnik, Prlic, et autres,

 19   si vous aviez déclaré que ce genre de phénomène consistant à faire du mal

 20   aux siens pour ternir l'image de la partie adverse avait été fait ? Un

 21   témoin impartial aurait certainement dû s'exprimer dans ce sens, n'est-ce

 22   pas ?

 23   R.  Et je l'ai fait.

 24   Q.  Dans quelle affaire ?

 25   R.  En l'espèce, à plusieurs reprises. Vous n'avez peut-être pas écouté

 26   suffisamment attentivement ce que j'ai dit. Dans l'affaire Prlic également,

 27   on m'a interrogé, par exemple, c'est l'un des accusés, un Croate, qui m'a

 28   posé des questions en me demandant est-ce que nous avons été le seul peuple

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  1   qui avons commis des actes de nettoyage ethnique en Bosnie centrale en

  2   1993, et ma réponse a consisté à répondre par la négative. Dans des cas

  3   précédents, j'avais répondu de même.

  4   Je reviens, Docteur Karadzic, à ce que j'ai déjà dit à plusieurs

  5   reprises, mais que manifestement, et de façon compréhensible, vous avez

  6   ignoré, à savoir qu'on nous avait dit que les trois parties ont commis des

  7   crimes et des exactions, crimes de nettoyage ethnique, entre autres, et que

  8   le plus grand nombre de ces crimes a été dû à la partie serbe. Voilà ce que

  9   j'ai dit.

 10    Q.  Je vous remercie. Je vais prouver que ceci n'est pas le cas. Mais

 11   maintenant, nous parlons du fait d'avoir commis le mal dans le but de

 12   ternir l'image de la partie adverse. Les plus hautes autorités militaires,

 13   la FORPRONU en particulier, ont confirmé ceci avec une certitude à 100 %, à

 14   savoir que ceci avait été fait par les Musulmans. Est-ce que vous dites que

 15   dans l'une ou l'autre des affaires où vous avez été entendu en qualité de

 16   témoin, qu'il s'agisse de l'affaire Krajisnik ou de l'affaire Prlic, vous

 17   dites que ceci aurait pu être favorable ou opposé aux accusés si vous

 18   l'aviez dit ? Si vous étiez venu pour dire tout simplement que la partie

 19   musulmane avait commis des actes de ce genre ou avait eu ces intentions ?

 20   R.  Deux points. J'ai toujours dit quand on m'a interrogé ce qui était le

 21   cas. Deuxième point, nous recevions des rapports indiquant, par exemple,

 22   que le recensement des obus tombés sur Sarajevo chaque jour dû aux canons

 23   serbes situés sur les collines oscillait entre 3 000 et 5 000 obus --

 24   Q.  [aucune interprétation]

 25   R.  Laissez-moi finir.

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Docteur Karadzic --

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Donc oscillait entre 3 000 et

 28   5 000 canons, comme je l'ai déjà dit, parce que compter de 3 à 5 000 est

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  1   une possibilité. Il est possible qu'on ait omis d'intégrer un ou deux obus

  2   ou même davantage dans ce dénombrement, parce que le pilonnage de Sarajevo

  3   était particulièrement important. Donc je ne pense pas que l'on puisse

  4   reprocher à la FORPRONU d'avoir raté une unité ou deux ou parfois d'avoir

  5   dit quelque chose qui n'était pas tout à fait exact, car le point principal

  6   était toujours très clair.

  7   Vous vous rappelerez peut-être que je conservais dans mon bureau à Genève,

  8   pendant la conférence, un graphique qui était épinglé au mur, un graphique

  9   qui montrait au quotidien le nombre des tirs dus à vos effectifs à Sarajevo

 10   et le nombre des tirs provenant des Musulmans de Bosnie en retour, et ce

 11   nombre se situait, en moyenne, aux environs de 300 tirs, du fait d'armes de

 12   petit calibre. Donc 3 000 par rapport à 300, ceci vous donne une idée de

 13   l'intensité de ce qui se passait et à qui les choses étaient dues.

 14   Je suis désolé, Docteur Karadzic, mais je me devais de le faire savoir aux

 15   Juges de la Chambre.

 16   Q.  Je vous remercie. Mais, Monsieur l'Ambassadeur, lorsque vous avez été

 17   interrogé quant au fait de savoir si les Musulmans avaient obstruction par

 18   rapport à la livraison de l'aide humanitaire, vous avez cette note dans

 19   laquelle on voit M. Nambiar déclarer que les convois humanitaires étaient

 20   pris pour cible, et maintenant vous vous en tenez à autre chose en disant

 21   que les Musulmans ont agi dans le respect de "La déclaration islamique" et

 22   qu'ils ont essayé de faire du mal à leur peuple. Mais du point de vue

 23   humanitaire, ils étaient prêts à tuer des soldats étrangers à cette fin, et

 24   ils voulaient que le reproche soit fait aux Serbes, tous ces assassinats et

 25   cette privation de distribution humanitaire. C'est dit très clairement dans

 26   votre carnet de notes, et je me demande pourquoi vous ne l'avez pas dit

 27   oralement dans les autres procès où vous avez été témoin.

 28   R.  Bien, je ne suis pas sûr que je l'aie dit ou pas. Peut-être ne m'a-t-on

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  1   pas interrogé sur ce point. Mais ce qui est clair, et ce qui était connu à

  2   l'époque, c'est que le gouvernement musulman de Bosnie souhaitait

  3   désespérément une intervention étrangère. Il l'a dit publiquement, ce

  4   n'était pas un secret, parce qu'ils perdaient gravement dans la bataille.

  5   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie. Je pense que ce sera

  6   tout pour aujourd'hui, Monsieur l'Ambassadeur Okun. Nous reprendrons nos

  7   travaux demain matin, mais vous pouvez maintenant vous retirez.

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie.

  9   [Le témoin quitte la barre]

 10   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Tieger.

 11   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 12   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Une seconde simplement. Est-ce que vous

 13   avez des objections au versement de ce document numéro 337 ?

 14   M. TIEGER : [interprétation] Oui, et c'est la même chose pour le document

 15   précédent, Monsieur le Président.

 16   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je pense que nous avons une traduction

 17   de celui-ci.

 18   M. TIEGER : [interprétation] Très partielle, la traduction. Je pense que

 19   l'Accusation devrait avoir une possibilité de relire le reste du document

 20   pour voir si certaines parties ne seraient pas applicables vu le contexte.

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vais vérifier.

 22   L'ACCUSÉ : [interprétation] Nous n'avons pas d'objection par rapport à

 23   cela. Nous n'avons demandé le versement au dossier que de cette partie

 24   parce qu'elle était pertinente.

 25   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne vois pas de nécessité de faire

 26   traduire les autres parties du document. Est-ce que vous avez une objection

 27   par rapport au versement au dossier de la partie utilisée uniquement ?

 28   M. TIEGER : [interprétation] Non, je n'ai pas d'objection par rapport au

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  1   versement au dossier ou à l'admission de la partie du texte qui a été

  2   utilisée. Mais je pense qu'il serait équitable à l'égard de l'Accusation de

  3   lui permettre de lire le reste du texte, c'est-à-dire ce qui n'a pas encore

  4   été traduit, car le document n'a pas été totalement traduit. Nous aimerions

  5   voir si dans le reste du texte il n'y a pas des parties qui auraient un

  6   rapport avec la partie versée au dossier et qui apporteraient des

  7   renseignements quant au contexte. Voilà le point que je voulais évoquer.

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ma question était : Si le document n'est

  9   pas versé au dossier, vous ne pourrez pas en prendre connaissance, n'est-ce

 10   pas ?

 11   M. TIEGER : [interprétation] Je n'ai pas d'objection au versement au

 12   dossier de cette partie du document, mais si nous découvrons qu'il y a

 13   d'autres parties du texte qui sont pertinentes et que nous en demandions le

 14   versement au dossier, ce serait une bonne façon de procéder. Je n'ai aucun

 15   problème par rapport à cette démarche. Je me contente d'indiquer que

 16   lorsque nous sommes en présence d'une traduction partielle d'un document et

 17   que nous n'avons pas eu la possibilité de vérifier si les autres parties du

 18   document ont un rapport avec la partie versée au dossier, à un moment ou à

 19   un autre, nous aimerions que nous soit donné la possibilité d'appeler

 20   l'attention de la Chambre sur d'autres parties du même document qui peut-

 21   être pourraient être versées au dossier également car ayant un rapport avec

 22   la partie déjà versée.

 23   M. LE JUGE KWON : [interprétation] D'accord. Je vois que le document peut

 24   être admis en l'état. Quel est le numéro ?

 25   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agira de la

 26   pièce D78.

 27   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Tieger, encore un argument ?

 28   Rapidement, Monsieur Tieger.

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  1   M. TIEGER : [interprétation] Le témoin suivant, d'après les calendriers

  2   prévus, Monsieur le Président, devrait voyager demain.

  3   Comme les Juges le savent, étant donné la situation, si elle ne peut pas

  4   commencer sa déposition, ce qui semble probable, dans les délais et qu'elle

  5   ne peut pas l'achever dans le délai, ce qui me semble encore plus probable,

  6   elle devra rentrer chez elle, puis revenir à une date ultérieure. Etant

  7   donné le rythme de la procédure et la quantité de documents qui semblent

  8   encore à être examinés et le nombre d'heures demandées, je proposerais en

  9   toute équité par rapport à ce témoin de ne pas lui demander d'arriver

 10   demain pour attendre, mais de la faire venir plus tard dans le courant de

 11   la semaine. Mais je ne voulais pas prendre cette mesure sans consulter la

 12   Chambre.

 13   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je pense que c'est une mesure tout à

 14   fait raisonnable.

 15   Docteur Karadzic, de combien de temps aurez-vous encore besoin pour

 16   l'audition de ce témoin ?

 17   L'ACCUSÉ : [interprétation] Excellence, au moins autant que j'en ai

 18   demandé. Et croyez-moi, je vais avoir peut-être même besoin de davantage de

 19   temps, car je ne suis pas sûr que ce témoin ne m'occupe pas jusqu'à un

 20   temps plus prolongé. Nous verrons selon ce que dira M. Tieger.

 21   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Avec cette observation, je pense qu'il

 22   n'est pas réalisable de faire venir le témoin cette semaine.

 23   Reprise demain à 9 heures.

 24   --- L'audience est levée à 13 heures 46 et reprendra le mardi 27

 25   avril 2010, à 9 heures 00.

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