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1 Le jeudi 13 janvier 2011
2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 03.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous.
6 Je souhaiterais formuler mes meilleurs vœux de bonne année à l'attention de
7 tout le monde. Donc nous reprenons notre travail.
8 J'ai été informé que les parties souhaitaient soulever certaines questions.
9 M. ROBINSON : [interprétation] Oui, c'est exact, Monsieur le Président.
10 Je suis désolé de commencer à vous parler des correspondants de guerre,
11 mais étant donné que Jeremy Bowen, le prochain témoin, est un correspondant
12 de guerre à la retraite, nous souhaiterions indiquer pour le compte rendu
13 d'audience que nous ne souhaiterions pas qu'il témoignage. Et nous savons
14 que vous avez d'ores et déjà rejeté ce point de vue, mais nous voulions
15 tout simplement que cela soit consigné au compte rendu d'audience.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Robinson. Nous ne sommes
17 absolument pas surpris par votre demande, puisqu'elle correspond à ce que
18 vous avez déjà dit précédemment.
19 Mais la Chambre a déjà indiqué précédemment qu'il y a une jurisprudence qui
20 est très, très claire en la matière à propos des correspondants de guerre
21 qui peuvent déroger à leur privilège, s'ils choisissent de le faire
22 d'ailleurs. Par conséquent, nous ne faisons pas droit à votre demande eu
23 égard à M. Bowen pour la même raison qui avait été invoquée précédemment.
24 M. ROBINSON : [interprétation] Oui, je vous remercie, Monsieur le
25 Président. Et je pense, de toute façon, que ce sera le dernier
26 correspondant de guerre en l'espèce, donc je ne répéterai pas ce que j'ai
27 déjà avancé.
28 Il y a deux autres questions eu égard à sa déclaration consolidée au titre
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1 de l'article 92 ter. Je pense qu'il faudrait peut-être que cela ne soit pas
2 traité en présence du témoin, si cela vous ne pose pas de problème.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, je vous en prie, Monsieur Robinson.
4 M. ROBINSON : [interprétation] Eu égard aux paragraphes 53 à 61, il s'agit
5 de Gorazde et des événements qui se sont survenus dans cette enclave, et
6 nous avançons que cela ne fait pas partie de l'acte d'accusation et, par
7 conséquent, ces paragraphes devraient être expurgés parce qu'en fait, ils
8 n'ont pas été considérés par la Chambre de première instance et ne doivent
9 donc pas faire l'objet de moyens à décharge pour la présentation des moyens
10 à décharge.
11 Si vous décidez, par contre, d'inclure les documents relatifs à Gorazde,
12 notamment pour ce qui est du paragraphe 53, le témoin fait référence à une
13 conversation avec une personne dont le nom n'est pas donné qui lui a
14 chuchoté quelque chose à propos de :
15 "L'expulsion des Musulmans, dirigée par le commandant de la Brigade
16 de Rogatica, Rajko Kusic. Il indique, en fait, que la zone est complément
17 nettoyée."
18 Je ne pense pas que ce type d'élément de preuve par ouï-dire devrait être
19 considéré comme recevable, bien que nous comprenions qu'en matière
20 d'élément ouï-dire, il y a la question de la valeur probante, puisque de
21 toute façon nous ne pouvons pas poser de question à ce sujet. Cela ne peut
22 absolument être mis à l'épreuve. Donc si vous décidiez d'inclure les
23 renseignements eu égard à Gorazde, nous vous demandons d'exclure au moins
24 le paragraphe 53.
25 Je vous remercie.
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Edgerton ou Monsieur Tieger.
27 Madame Edgerton.
28 Mme EDGERTON : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges.
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1 Alors, pour ce qui est de ce que mon estimé confrère vient de dire à propos
2 de Gorazde, vous vous souviendrez certainement que c'est un argument que
3 nous avions déjà entendu le 5 octobre 2010, et pour être précis, il s'agit
4 de la déposition du général Rose. Et à ce moment-là, vous aviez tranché et
5 décidé que les éléments de preuve relatifs à Gorazde - il s'agissait
6 également de Bihac, en octobre, ce qui n'est pas pertinent maintenant -
7 vous aviez décidé, disais-je, que c'était des événements qui fournissaient
8 autant d'éléments de contexte qui pouvaient être repris pour plusieurs
9 questions figurant à l'acte d'accusation, tels que le commandement et le
10 contrôle, le contrôle véritable, l'intention, et cetera. Et vous aviez
11 décidé que les questions qui étaient posées et les moyens de preuve offerts
12 par rapport à la déclaration 92 ter avaient une pertinence.
13 Alors, je pourrais tout à fait réitérer les arguments qui avaient été
14 avancés à l'époque, si vous souhaitiez décider de reconsidérer cette
15 décision. Sinon, je me contenterais de dire ce qui suit : les éléments de
16 preuve présentés par la déclaration de ce témoin, et je pense à ses
17 observations personnelles à propos de la situation humanitaire à Gorazde
18 ainsi qu'un clip vidéo sur le même sujet, sont pertinents pour ce qui est
19 des sujets suivants : siège, manque total de tout, attaque qui était
20 utilisée par les dirigeants serbes de Bosnie pour chacune des enclaves de
21 l'est, et cela est culminé en quelque sorte avec la prise de Srebrenica en
22 1995. Pour cette raison, donc, j'avance que cela a une pertinence.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
24 [La Chambre de première instance se concerte]
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Robinson, pour ce qui est de
26 l'exclusion des paragraphes relatifs à Gorazde, la Chambre de première
27 instance signale qu'elle ne va pas dégager de conclusion à propos des
28 événements à Gorazde en 1992, en tant que tels. Toutefois, la Chambre
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1 prendra en considération les constatations à propos de l'existence de cette
2 entreprise criminelle commune visant l'expulsion des non-Serbes dans des
3 zones qui étaient revendiquées par les Serbes en Bosnie-Herzégovine, tel
4 que cela est allégué par l'acte d'accusation, ainsi qu'à propos des
5 événements précis qui se sont déroulés dans ces municipalités et qui font
6 l'objet des chefs d'accusation de l'acte d'accusation, en ce sens que ces
7 événements s'inscrivaient dans le cadre d'une attaque généralisée et
8 systématique contre une population civile.
9 Pour ces raisons, les opérations menées à bien dans la zone de
10 Gorazde en 1992, dans les municipalités qui figurent dans l'acte
11 d'accusation par exemple, telles que Rogatica, peuvent être considérées
12 comme pertinentes. Après avoir examiné les paragraphes pertinents qui
13 contiennent également des éléments de preuve relatifs à Rogatica, la
14 Chambre ne considère pas les exclure.
15 Pour ce qui est du paragraphe 53, certes, ce paragraphe fait
16 référence à certains éléments de preuve par ouï-dire, mais la Chambre ne
17 considère pas qu'il y ait une base permettant d'exclure ces éléments de
18 preuve. Et en matière d'éléments de preuve par ouï-dire anonymes, il s'agit
19 du poids qui sera, en dernière instance, attribué par la Chambre dans le
20 cadre de sa considération générale des éléments de preuve présentés en
21 l'espèce.
22 Voilà telle est la décision de la Chambre, et il y a plusieurs autres
23 questions que nous devons traiter avant d'entendre la déposition de M.
24 Bowen.
25 Pour ce qui est, dans un premier temps, de la demande présentée par
26 l'Accusation qui demande la possibilité de répondre à la réponse
27 supplémentaire présentée par l'accusé, l'accusé qui répondait lui-même à
28 une demande de constat judiciaire des conversations interceptées, qui a été
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1 déposée le 10 janvier, la Chambre fait droit à cette requête et demande à
2 l'Accusation de répondre au plus tard vendredi 14 janvier, à savoir demain
3 en fin de journée.
4 Deuxièmement, la Chambre a été informée de la notification de l'Accusation
5 en application de l'article 92 ter, il s'agit du Témoin KDZ450. La Chambre
6 est un tant soit peu surprise de constater qu'il y a trois déclarations
7 séparées qui figurent pour les éléments de preuve 92 ter de ce témoin sans
8 pour autant qu'aucune explication ne soit fournie à propos des raisons de
9 ces trois déclarations séparées.
10 Comme les parties le savent pertinemment, la Chambre avait demandé que
11 lorsque nous avons un témoin 92 ter, il ne faut présenter qu'un compte
12 rendu d'audience ou qu'une déclaration, ce qui fait qu'il faut pouvoir
13 présenter une déclaration consolidée si l'Accusation n'est pas en mesure de
14 choisir parmi les différentes déclarations.
15 Par conséquent, Monsieur Tieger, avant que la Chambre ne statue à ce sujet,
16 j'aimerais entendre vos raisons pour présenter ces trois déclarations pour
17 ce témoin, que nous vous demandions d'ailleurs de présenter ensuite une
18 déclaration consolidée ou non, pour que cela ne lèse pas les intérêts de
19 l'accusé.
20 M. TIEGER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
21 Je ne sais pas si vous souhaitez que nous nous exprimions maintenant ou un
22 peu plus tard pendant l'audience. Il vous appartient d'en décider. Mais
23 lorsque nous vous présenterons nos arguments, je pense qu'il serait
24 beaucoup plus facile de présenter ces arguments en audience à huis clos
25 partiel.
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourquoi ne pas le faire maintenant.
27 Nous pouvons de suite passer à huis clos partiel.
28 Pouvons-nous passer à huis clos partiel, je vous prie.
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1 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]
2 [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité partiellement levée par une ordonnance de la Chambre]
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17 deux langues. Donc je ferai de mon mieux au vu des contraintes de temps. De
18 toute façon, cette personne doit arriver en début de semaine prochaine.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
20 Il y a également quelques autres questions que nous devons régler
21 maintenant que nous sommes à huis clos partiel. Premièrement, nous sommes
22 saisis d'une demande présentée par l'Accusation. Il s'agit d'une demande
23 d'injonction de comparution de M. Zecevic pour qu'il puisse faire sa
24 déposition par vidéoconférence. J'aimerais savoir ce que la Défense en
25 pense.
26 M. ROBINSON : [interprétation] Nous sommes tout à fait opposés. Nous
27 attendons des documents que nous avions demandés à l'Accusation. Mais nous
28 comprenons que vous souhaitiez que nous réagissions très rapidement, donc
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1 si nous recevons ces documents cette semaine, nous serons en mesure de
2 répondre lundi prochain.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bien.
4 Je me demande également si l'Accusation serait en mesure de nous fournir
5 des documents relatifs à l'état de santé dudit témoin.
6 M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, je comprends tout à
7 fait la demande présentée par la Chambre. Mais si vous prenez en
8 considération la requête, vous comprendrez quelles sont les difficultés,
9 assez inhabituelles d'ailleurs, posées par ce cas. En règle générale, ce
10 type de document est présenté en consultation et grâce à la coopération du
11 témoin, d'où notre problème en l'espèce. Alors, bien entendu, nous allons
12 prendre en considération la demande de la Chambre. Comme la Chambre l'aura
13 remarqué, nous avons essayé de présenter autant de renseignements que faire
14 se peut, et nous allons, bien entendu, examiner à nouveau tous les
15 documents de contexte afin de fournir à la Chambre les informations dont
16 elle a besoin dès que nous les aurons identifiées, ces informations. Donc
17 j'interviendrai à nouveau à ce sujet dès que j'aurai ces renseignements, et
18 nous commencerons à déployer des efforts immédiatement.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je comprends tout à fait votre
20 situation. Mais au vu du problème, nous avons une option, nous pourrions
21 peut-être envisager de scinder la question en deux. Dans un premier temps,
22 nous pourrions régler la question de l'injonction de comparution et ensuite
23 nous pourrions traiter le problème de la vidéoconférence.
24 M. TIEGER : [interprétation] C'est justement ce à quoi je pensais alors que
25 je m'adressais à vous. Donc je comprends très bien cette suggestion.
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Robinson, vous avez dit que
27 vous étiez opposé à la requête, mais seulement pour ce qui est de la
28 vidéoconférence ?
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1 M. ROBINSON : [interprétation] Non, en fait, nous avons opposé une demande
2 d'injonction de comparution, parce que ce n'est pas très habituel, mais en
3 général nous ne voulons pas nous immiscer dans ce genre de chose. Nous
4 avons fait une petite recherche et nous n'avons pas trouvé un seul exemple
5 dans les tribunaux où un expert a dû comparaître après une injonction de
6 comparution parce qu'évidemment, contrairement à un témoin qui témoigne sur
7 les faits, un expert a comme obligation de présenter des éléments de
8 preuve. Voilà ce que nous souhaiterions dire à propos de cette demande
9 d'injonction d'un témoin expert.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous entendrons votre réponse d'ici
11 lundi, si j'ai bien compris, comme vous l'avez indiqué.
12 M. ROBINSON : [interprétation] C'est ce que je vais m'efforcer de faire.
13 Nous avons demandé à l'Accusation un exemplaire de l'accord contractuel
14 conclu entre l'expert et l'Accusation ou le Tribunal. Si nous le recevons,
15 nous pourrons répondre d'ici lundi.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
17 M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] Monsieur Robinson, comment est-ce
18 que cela est réglé en droit national américain ?
19 M. ROBINSON : [interprétation] Je n'en suis pas absolument sûr, mais si le
20 besoin d'une demande d'injonction se fait sentir, en général, cet expert
21 est remplacé par un autre expert, par opposition à un témoin qui témoigne
22 sur les faits et qui est le seul à pouvoir témoigner sur les faits en
23 question, donc je pense que l'on va au cas par cas. Mais aux Etats-Unis,
24 alors qu'en général nous forçons les gens à faire certaines choses, je
25 pense que pour ce qui est d'un témoin expert, ce n'est pas ce que nous
26 faisons.
27 M. LE JUGE MORRISON : [interprétation] Je ne voulais surtout pas préjuger
28 mon point de vue. Je voulais savoir par intérêt quelle était la différence
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1 pour les Etats-Unis entre les témoins experts et les témoins qui témoignent
2 sur les faits. Bien entendu, lorsqu'il s'agit d'un expert [comme
3 interprété], la situation n'est pas la même que pour un témoin expert. Mais
4 je vous le disais tout simplement sans préjuger absolument de quoi que ce
5 soit. Je voulais tout simplement réfléchir à la situation.
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28 M. LE JUGE KWON : [interprétation] A moins que vous n'ayez d'autres
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1 questions administratives avant que nous n'entendions les éléments de
2 preuve de ce témoin, je pense que nous pourrons faire entrer maintenant le
3 témoin.
4 Mme EDGERTON : [interprétation] Pour faire accélérer les choses, je pense
5 que pendant la prochaine pause, le témoin pourrait peut-être rester dans la
6 salle d'attente qui est juste à côté de ce prétoire plutôt que d'attendre
7 dans une salle d'attente extrêmement lointaine.
8 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bonjour, Monsieur.
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez, s'il vous plaît, faire la
12 déclaration solennelle.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
14 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
15 LE TÉMOIN : JEREMY BOWEN [Assermenté]
16 [Le témoin répond par l'interprète]
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Veuillez vous asseoir.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Edgerton, c'est à vous.
20 Mme EDGERTON : [interprétation] Je vous remercie.
21 Interrogatoire principal par Mme Edgerton :
22 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur. Veuillez, s'il vous plaît, nous
23 dire votre nom.
24 R. Je suis Jeremy Francis John Bowen.
25 Q. Monsieur Bowen, vous souvenez-vous avoir fait une déclaration devant
26 les représentants du bureau du Procureur de ce Tribunal en mars 2002 ?
27 R. Oui.
28 Q. Et le 18 août 2009, avez-vous signé une autre déclaration pour le
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1 bureau du Procureur qui consolidait des éléments de la déclaration de 2002
2 avec les éléments supplémentaires ?
3 R. Oui.
4 Q. Avez-vous eu en main ces deux documents pour vous préparer aujourd'hui
5 pour votre déposition, plus particulièrement la déclaration de 2009 ?
6 R. Oui, ils sont d'ailleurs devant moi sur le bureau.
7 Q. Avant de venir témoigner aujourd'hui, avez-vous eu l'occasion de revoir
8 certaines vidéos portant sur vos programmes qui ont été diffusés et qui
9 portent sur les sujets abordés dans votre déclaration ?
10 R. Oui.
11 Q. Avez-vous remarqué qu'il y a des erreurs ?
12 R. Oui, tout à fait. Et je tiens à dire qu'il y a une erreur dans l'une
13 des vidéos qui ont été présentées, la vidéo portant sur une tentative
14 avortée d'évacuation d'enfants de Sarajevo, opération au cours de laquelle
15 deux enfants ont trouvé la mort.
16 Dans ce passage, je me suis trompé sur l'emplacement où se trouvaient les
17 tireurs. Je me suis trompé. Je pense que c'est parce que j'étais nouveau
18 dans la ville à l'époque et je n'avais pas eu les bonnes informations.
19 Cela dit, je tiens à faire remarquer qu'à mon avis, cela n'a pas
20 grand-chose à voir avec le fond du rapport. Ça n'altère pas le fond du
21 rapport. En effet, les enfants ont bel et bien été tués après qu'ils aient
22 passé le dernier point de contrôle en Bosnie. La seule chose sur laquelle
23 je me suis trompé dans cette vidéo, le point où j'ai fait une erreur, c'est
24 l'emplacement où se trouvaient les tireurs. Ce sont des choses qui peuvent
25 arriver. Mais ce qui est essentiel, c'est que les enfants ont été tués, on
26 leur a tiré dessus, ils ont été tués. Or, lorsque l'autocar avait quitté
27 Sarajevo, il n'avait pas encore été attaqué -- je me reprends. Lorsque
28 l'autocar avait quitté le territoire contrôlé par le gouvernement à
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1 Sarajevo, il n'avait pas encore été attaqué. Ça, c'est très clair dans la
2 vidéo.
3 Q. Très bien. Prenons votre déclaration de 2009. D'après vous, c'est un
4 incident que vous avez abordé au paragraphe 37, n'est-ce pas, de cette
5 déclaration ?
6 R. Oui, oui.
7 Voilà. C'est les deux enfants, Vedrana Glavas et Roki Sulejmanovic.
8 Il s'agit bien de cet incident au paragraphe 37 de ma déclaration. Je
9 n'étais pas avec les enfants lorsqu'ils ont été évacués, mais j'ai fait un
10 rapport sur l'incident après leur évacuation puisque j'ai parlé de
11 l'incident au cours duquel ils ont trouvé la mort. Donc l'autocar est
12 revenu sur le territoire contrôlé par le gouvernement à Sarajevo, et c'est
13 à ce moment-là que j'ai -- quelques jours après ce retour, l'équipe de la
14 BBC était en contact avec la famille d'un des enfants, Vedrana Glavas. Je
15 suis allé avec la famille, ensuite j'ai parlé avec la mère et la grand-mère
16 aux obsèques, et j'ai fait ce rapport sur le pilonnage. Je l'ai fait lors
17 des obsèques.
18 Q. Donc il y a une erreur dans cette vidéo, vous venez d'en parler, mais
19 d'après vous, cela n'a pas d'impact sur les éléments de preuve dont vous
20 parlez au paragraphe 37 ?
21 R. Absolument pas.
22 Q. Avez-vous d'autres modifications à faire, soit la vidéo, soit la
23 déclaration de 2009 ?
24 R. Non.
25 Q. Si je vous reposais les mêmes questions que celles que l'on vous a
26 posées pour compiler le document 2009, y répondriez-vous de la même façon ?
27 R. Oui.
28 Mme EDGERTON : [interprétation] J'aimerais demander le versement au dossier
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1 de la pièce 22660 de la liste 65 ter, qui correspond à cette déclaration de
2 2009.
3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Très bien.
4 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il recevra la cote P2068.
5 Mme EDGERTON : [interprétation] Très bien. Merci.
6 Je vais lire très rapidement un résumé rapide de procédure.
7 Jeremy Bowen a travaillé en tant que correspondant pour la BBC depuis 1987.
8 Il a ainsi couvert les guerres en ex-Yougoslavie, en commençant par la
9 guerre en Croatie, avant d'être muté à Sarajevo et d'y rester de juillet
10 1992 jusqu'à la fin du conflit. M. Bowen décrit les mauvaises conditions de
11 vie des civils suite au siège des Serbes de Bosnie de la ville de Sarajevo,
12 y compris la peur générée par les tirs embusqués, le fait qu'il n'y ait pas
13 d'électricité ni d'eau, que la situation médicale soit difficile et que les
14 pilonnages soient permanents. Il a fait remarquer qu'il n'y avait aucun
15 endroit où l'on pouvait être à l'abri des campagnes de bombardements et de
16 tirs embusqués, campagnes lancées contre les civils.
17 M. Bowen a parlé aux soldats des Serbes de Bosnie qui assiégeaient la
18 ville, qui ont confirmé qu'ils tiraient bel et bien sur la ville. Il a
19 observé aussi quelles étaient les structures militaires organisées et se
20 rappelle d'une interview où l'accusé, le Dr Karadzic, a décrit "les forces
21 de police et l'armée des Serbes de Bosnie comme étant extrêmement
22 disciplinées."
23 M. Bowen a déclaré qu'en tant que journaliste, il était intéressé par les
24 rumeurs selon lesquelles les Musulmans de Bosnie avaient pilonné leur
25 propre peuple, mais il n'a jamais obtenu le moindre élément de preuve
26 prouvant que ceci ait été vrai. Lors d'autres conflits qu'il a couverts, M.
27 Bowen a bel et bien observé parfois qu'il y avait eu des mises en scène,
28 mais il déclare qu'il n'a jamais observé ce type de comportement à
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1 Sarajevo.
2 M. Bowen a aussi couvert d'autres endroits à part Sarajevo. En août 1992,
3 il a accompagné un convoi d'UNHCR à Gorazde, où il a assisté à la vision de
4 personnes misérables qui n'avaient ni vivres ni fournitures médicales. Il a
5 aussi parlé des impacts du pilonnage.
6 En juillet 1995, M. Bowen a couvert aussi les événements de Srebrenica et
7 se rappelle que l'on a bien vu qu'aucun homme n'a pu quitter l'enclave, et
8 ce, par le biais d'images qui avaient été prises par la télévision de Pale,
9 et donc il a pris comme hypothèse que ces hommes avaient soit été détenus,
10 soit été tués.
11 C'est la fin de cette synthèse, Messieurs, Madame les Juges.
12 Q. Maintenant, Monsieur Bowen, d'autres questions. Tout d'abord, quelle
13 était votre fonction en tant que correspondant de guerre en Bosnie-
14 Herzégovine ?
15 R. Eh bien, j'ai énormément couvert de zones de guerre. Pas seulement
16 l'ex-Yougoslavie, mais ailleurs, dans 14 guerres différentes. Donc ce qui
17 m'intéresse surtout, c'est le malheur des populations civiles. Bien sûr, la
18 stratégie est intéressante, la politique aussi, mais je pense que quand on
19 est reporter, quand on est journaliste, ce qui est important, c'est
20 d'essayer de faire comprendre aux gens quelle est la situation exacte pour
21 les civils, pour faire comprendre aux gens quelle est la souffrance endurée
22 par ces personnes, et c'est ce que j'essayais de faire lorsque j'étais en
23 ex-Yougoslavie. J'essayais, bien sûr, d'être impartial dans la mesure du
24 possible. Mes quartiers, principalement, étaient dans la ville de Sarajevo
25 pendant l'essentiel de la guerre. Parfois j'ai aussi été cantonné à
26 Kiseljak et avec les soldats britanniques, mais je voulais aussi obtenir
27 des informations pour savoir ce qui se passait du côté des Serbes. Mais
28 c'était difficile car il était difficile d'avoir accès à ces populations.
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1 Q. Très bien.
2 Pourriez-vous d'abord nous décrire quel accès vous aviez au
3 territoire détenu par les Musulmans au cours du conflit ?
4 R. D'habitude, l'accès était assez bon jusqu'à la fin de la guerre. Mais
5 il est vrai que vers la fin de la guerre, les deux dernières années, il est
6 devenu plus difficile de travailler à Sarajevo parce que les gens étaient
7 noyés dans leurs propres problèmes, ils se sentaient isolés du monde ainsi,
8 et il y avait un certain ressentiment contre les correspondants étrangers.
9 Il y avait un ressentiment contre tous les étrangers d'ailleurs. Donc pas
10 uniquement les soldats, mais aussi les journalistes, puisque c'est nous qui
11 étions les étrangers les plus visibles, en fait, en ville. Donc il y avait
12 parfois des endroits de la ville qui étaient difficiles à atteindre; par
13 exemple, tout ce qui était autour des casernes de Bistrica, et puis quand
14 Caco aussi était responsable de la zone où il n'était pas possible d'aller.
15 Les gens étaient assez hostiles. Parfois on vous confisquait vos caméras,
16 vos gilets pare-balles. Mais d'habitude, dans cette zone contrôlée pour le
17 gouvernement musulman, nous étions assez libres de nous déplacer. Nous
18 avions accès d'ailleurs aux dirigeants politiques qui nous donnaient des
19 interviews de temps en temps, donc on était assez libres.
20 Du côté serbe, c'était beaucoup plus difficile. Nous étions autorisés
21 à aller jusqu'à Pale, certes, mais il y avait une procédure à suivre. Il
22 fallait, de toute façon, les prévenir à l'avance par le biais de téléphone
23 satellite. Parfois on n'arrivait pas à avoir notre personne au bout du fil.
24 Donc parfois le déplacement était possible, mais parfois nous arrivions à
25 traverser l'aéroport avec nos laissez-passer des Nations Unies et nous
26 pouvions aller ainsi jusqu'à la caserne de Lukavica, où nous pouvions
27 rencontrer l'officier de liaison du commandant de secteur pour les forces
28 des Serbes de Bosnie qui étaient basées à Lukavica. Donc on arrivait, on
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1 pouvait frapper à sa porte, on pouvait arriver ensuite à Pale. Neuf fois
2 sur dix, on arrivait à aller à Pale. Ensuite, une fois qu'on avait été à
3 Pale, on allait au centre de presse. Nous avions des contacts là-bas. Donc
4 on essayait d'obtenir des autorisations pour pouvoir faire les reportages
5 qui nous intéressaient; par exemple, aller à Grbavica, dans la partie
6 centrale de la ville contrôlée par les Serbes. Parfois nous allions aussi à
7 l'hôtel où M. Karadzic avait son quartier général.
8 Ça, c'était possible. Ce qui n'était pas possible, en revanche,
9 c'était juste de se déplacer tranquillement. Par exemple, si vous vouliez
10 organiser un voyage en Bosnie orientale, c'était presque impossible. Aller
11 à Rogatica était extrêmement difficile. Il était impossible de passer le
12 premier point de contrôle, et il y en avait beaucoup le long de la route.
13 Donc, d'habitude, comme je le dis, on pouvait toujours aller à Pale,
14 c'était assez facile, du moment qu'on passait par l'officier de liaison à
15 la caserne de Lukavica, mais je tiens à dire que, quand même, il était
16 beaucoup plus facile de travailler avec le gouvernement des Bosniens plutôt
17 qu'avec le côté serbe de Bosnie, car ils entravaient nos activités.
18 Q. Est-ce que cela vous empêchait de couvrir le conflit ?
19 R. Cela me décevait surtout, parce qu'en tant que journaliste, en tant que
20 reporter, je veux utiliser mes propres yeux, mes propres oreilles dans la
21 mesure du possible. Or, pour utiliser ses propres yeux et ses propres
22 oreilles, pour parler aux gens, pour voir les choses, il faut se rendre sur
23 place. C'est essentiel. Ce qui est important dans le journalisme, c'est de
24 bien faire la différence entre soi-même et l'histoire. Donc c'était assez
25 frustrant et assez décevant de ne pas arriver à accomplir cette mission au
26 côté serbe de Bosnie. C'est plus facile de l'autre côté, du côté des
27 Musulmans. Je pense que je suis quand même arrivé à couvrir pas mal
28 d'histoires du côté serbe. Par exemple, j'ai pu me rendre en Bosnie
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1 orientale, j'ai pu aller dans le corridor de Brcko, nous avons réussi
2 d'ailleurs à y préparer un programme d'une heure pour la BBC. Mais j'ai
3 passé des mois et des mois à Sarajevo pendant la guerre, mais je n'ai
4 réussi à aller qu'une seule fois à Grbavica, qui était le quartier serbe de
5 la ville. J'ai demandé à de nombreuses reprises d'y aller, mais je n'ai eu
6 l'autorisation qu'une seule fois de m'y rendre, et je m'y suis rendu, bien
7 sûr. Et j'y ai appris beaucoup de choses, c'était très instructif de se
8 rendre sur place. Mais la plupart du temps, il était impossible de se
9 rendre dans ce type d'endroits.
10 Q. Très bien. Passons à certaines des histoires, certains des reportages
11 que vous avez faits. Et pour ce faire, nous allons tout d'abord étudier
12 certains paragraphes de votre déposition écrite.
13 Tout d'abord, le paragraphe 8 de cette déclaration de 2009. Vous dites ici,
14 Le nettoyage ethnique était une caractéristique essentielle de ces guerres
15 dans les Balkans. Que vouliez-vous dire ici lorsque vous employez le terme
16 "nettoyage ethnique" ?
17 R. Eh bien, je veux dire l'expulsion par la force ou par la terreur de
18 parties de population afin que la communauté où ils habitaient devienne une
19 communauté monoethnique; par exemple, des Serbes qui auraient chassé des
20 Musulmans d'un certain endroit. Et ça, on l'a vu à de nombreuses reprises.
21 Donc le nettoyage ethnique était une pratique qui a été utilisée par toutes
22 les parties au conflit, non seulement dans la guerre en Bosnie-Herzégovine,
23 mais dans tous les conflits qu'il y a eu dans l'ex-Yougoslavie. C'était un
24 thème de guerre. Comment gagner la guerre ? Gagner la guerre en causant des
25 dégâts à l'ennemi, en tuant des gens, en détruisant les propriétés. Et là
26 aussi, ici, dans ce cas bien précis, on gagne la guerre en arrivant à un
27 déplacement de population -- enfin, j'avais l'impression, en tout cas,
28 qu'ils pensaient qu'il serait plus facile de tenir un territoire si on en
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1 avait chassé, voire tuer, les personnes que vous considéreriez comme votre
2 ennemi.
3 Q. A ce même paragraphe 8, vous dites que toutes les parties chassaient
4 les civils de leurs maisons, mais les Serbes de Bosnie le faisaient encore
5 plus que les autres. Paragraphe 9, vous dites que la communauté qui a le
6 plus souffert de cela était la communauté des Musulmans de Bosnie. Donc
7 pouvez-vous nous dire sur quoi vous vous êtes basé pour affirmer cela ?
8 R. J'ai passé énormément de temps sur place. J'ai parlé à de nombreuses
9 personnes. J'ai parlé à un grand nombre de gens qui travaillaient aussi
10 pour les organisations internationales, l'UNHCR, la Croix-Rouge
11 internationale, toutes ces organisations internationales qui étaient
12 actives. J'étais en contact avec ces personnes. Je ne me suis pas seulement
13 entretenu avec eux, mais j'étais en contact avec eux. Alors, c'était ce
14 qu'ils me rapportaient. Ils me disaient, Ecoutez, d'après ce qu'on voit, au
15 vu des chiffres, tout le monde se livre à cet exercice, mais les Serbes
16 semblent s'y livrer en plus grand nombre que les Musulmans, et les
17 Musulmans sont ceux qui souffrent le plus. En effet, au début de la guerre,
18 en Bosnie orientale, il y avait beaucoup de Musulmans dans les villages. A
19 la fin de la guerre, il n'y en avait plus, surtout dans les endroits où il
20 y avait eu énormément de nettoyage ethnique et où les gens avaient été
21 expulsés en masse. Donc je pense que c'était absolument évident à l'époque.
22 Q. Vous dites que vous vous êtes entretenu avec un grand nombre de
23 personnes, mais est-ce que vous avez aussi parlé à des personnes
24 appartenant à la communauté musulmane ?
25 R. Oui, oui. J'ai parlé aussi à ces gens qui venaient juste d'être chassés
26 de chez eux, qui venaient juste d'être obligés à traverser la ligne de
27 front. J'ai aussi parlé à des gens qui étaient sur le point d'être chassés
28 de chez eux. Plus tard dans la guerre, d'ailleurs. En utilisant des
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1 équipements de vision nocturne, j'ai pu filmé des civils -- enfin, mon
2 caméraman a pu filmer des civils, des femmes, des enfants, des vieillards
3 qui venaient juste d'arriver, venant juste d'avoir traversé et d'avoir été
4 poussés, d'avoir été expulsés pour devoir traverser la frontière sur la
5 route allant à Travnik en Bosnie centrale. J'ai vu cela. Evidemment, j'ai
6 parlé aussi à tous ces gens. Je ne parle pas le serbo-croate, mais j'avais
7 un interprète, donc j'ai pu avoir des conversations assez longues avec des
8 gens qui m'ont raconté quelle était leur histoire, ce qui venait de leur
9 arriver, et pas ce qui venait de leur arriver dans les jours précédents,
10 mais dans les heures précédentes. Donc ils me parlaient de ce qui venait
11 juste de leur arriver. Les choses étaient très fraîches encore dans leur
12 mémoire.
13 En tant que journaliste, puisque je suis assez chevronné quand même, j'ai
14 beaucoup parlé à des gens qui ont beaucoup souffert dans des situations
15 difficiles, comme des catastrophes naturelles ou des guerres, et cetera.
16 Donc, même si on ne parle pas la même langue, on peut vraiment comprendre
17 quelle est l'attitude des gens en regardant quelle est leur attitude
18 corporelle, et cetera. Je me rendais compte qu'ils n'inventaient rien quand
19 même. Ils n'inventaient rien; ils me racontaient ce qui leur était
20 véritablement arrivé, et il y avait des histoires épouvantables où ils me
21 racontaient les sévices cruels qui leur avaient été infligés.
22 Q. Très bien. Maintenant, vous avez parlé de films pris par votre
23 caméraman, et je vais vous montrer certaines de ces séquences. Trois
24 d'entre elles.
25 Tout d'abord, pourrions-nous avoir la pièce 65 ter 40349E. Les comptes
26 rendus -- je veux juste m'assurer que les personnes dans les cabines ont
27 bien obtenu ces documents.
28 Allons-y.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
2 [Diffusion de la cassette vidéo]
3 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
4 "Le journaliste : Au départ, ils ressemblent à des écoliers européens
5 tout à fait normaux. Mais leurs familles ont souffert bien plus que
6 quiconque en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale.
7 On voit ici une entreprise charitable musulmane de Travnik qui les nourrit.
8 Leurs parents, qui sont ceux qui ont survécu, les ont amenés ici pour
9 échapper au massacre dans leur ville natale de Bosanski Petrovac, en Bosnie
10 centrale. Cette femme a dit qu'elle avait marché 30 miles au travers de la
11 forêt avec sa famille avant d'arriver pour échapper aux tueries. C'était il
12 y a une semaine. Le père de Mme Bolic et sa fille ont été tués, et elle
13 porte encore le bébé de neuf mois de sa fille qui a été tuée.
14 Mme Bolic : Donc deux soldats serbes sont rentrés dans notre maison et ont
15 frappé mon père. Il est tombé et il est mort. Ma fille était dans le
16 jardin. Deux soldats serbes l'ont appelée et l'ont tuée avec une
17 mitraillette.
18 Le journaliste : Les réfugiés, qui sont tous Musulmans, ont échappé de
19 Travnik et racontent tous la même histoire : ils parlent de représailles
20 pour la mort de 16 soldats serbes dont les corps ont été ramenés à Bosanski
21 Petrovac sur le front. Ils disent que leurs voisins serbes, dont ils
22 connaissent les noms, ont tué des gens de façon aléatoire. Ils ne savent
23 pas exactement combien sont morts. Mais ils disent qu'il y en a au moins
24 60.
25 Jeudi dernier, après trois jours de terreur, on leur a donné une demi-heure
26 pour partir. Donc ils ont dû abandonner leurs propriétés aux autorités
27 serbes. Ils ont dû payer aussi un canonnier serbe pour qu'il les laisse
28 partir. Sur la route du départ, leurs bus ont été attaqués. Le fils de 18
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1 ans de cette femme a été tué d'une balle dans la tête alors qu'il était à
2 côté d'elle. Ils disent aussi que les meurtres de Bosanski Petrovac sont
3 arrivés après quatre mois de meurtre et d'intimidation. Les réfugiés
4 parlent d'autres massacres. Cet homme dit que 5 000 Musulmans ont été tués
5 dans cinq villages en juillet.
6 L'homme : Il y avait des corps partout dans les champs. Parfois leurs corps
7 étaient déjà dévorés par les animaux. Les gens ont essayé d'enterrer leurs
8 parents. Ils ont séparé une femme. Elle avait quatre enfants qu'elle a
9 laissés derrière elle. Ils l'ont prise, elle, et dix autres personnes. Ils
10 l'ont emmenée dans une ferme et ils y ont mis le feu et ont tué tout le
11 monde. Dans la maison d'Ekrim Duratovic, par exemple, ils ont pris 15
12 personnes et les ont tous tuées et ont laissé leurs cadavres devant la
13 maison.
14 Le journaliste : Même dans la sécurité relative de Travnik, qui est une
15 ville musulmane, les problèmes ne sont pas finis. Les réfugiés musulmans
16 qui se sont enfuis pour échapper aux persécutions serbes ont été accueillis
17 de façon très hostile par les Croates locaux. Un certain nombre de villes
18 croates autour de cet endroit refusent d'accueillir plus de réfugiés
19 musulmans parce qu'ils ne veulent pas modifier l'équilibre ethnique de
20 leurs populations. Les Nations Unies ne peuvent pas tout faire. Il y a 6
21 000 réfugiés qui sont arrivés au cours des cinq derniers jours, et les
22 Nations Unies ont peur que 50 000 autres réfugiés puissent arriver d'ici
23 Noël."
24 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
25 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je crois que la cabine française vient
27 de terminer son travail.
28 Mme EDGERTON : [interprétation] Oui, merci. C'est le cas.
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1 Alors, juste une petite question.
2 Q. Pouvez-vous tirer au clair, à l'intention des Juges de la Chambre,
3 Monsieur Bowen, un aspect technique. L'enregistrement vidéo qui nous a été
4 passé tout à l'heure recoupe d'autres voix. Est-ce que vous savez de quoi
5 il s'agit ?
6 R. Oui, je sais. Malheureusement, la version que la BBC vous a donnée,
7 cela englobe également la voix du metteur en scène de studio, et vous avez
8 pu entendre ce metteur en scène donner des instructions techniques à
9 l'équipe de production pour ce qui est des endroits à couper ou à mettre,
10 et tout cela se trouve regroupé sur l'enregistrement vidéo. C'est dommage.
11 Du point de vue technique, je crois que ce n'est pas le cas dans les autres
12 clips vidéo. Je crois que c'est le cas seulement de celui-ci. Je crois que
13 c'est quelqu'un qui a détourné l'attention de tous ceux qui écoutaient,
14 mais je crois que vous avez compris.
15 Q. Merci.
16 Mme EDGERTON : [interprétation] J'aimerais que nous passions maintenant aux
17 deuxième et troisième vidéos avant que je ne pose mes questions à venir.
18 Alors, l'enregistrement suivant est le 65 ter 40349F.
19 Je suis en train d'observer les collègues des cabines pour voir s'ils ont
20 pu retrouver la transcription adéquate de la vidéo.
21 [Diffusion de la cassette vidéo]
22 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
23 "Le journaliste : Il nous a fallu plus d'un mois de négociations pour
24 faire sortir 1 500 prisonniers. Trente-cinq autocars les ont amenés vers le
25 camp de transit à Karlovac, à proximité de Zagreb, où ils sont arrivés tard
26 hier soir. Pratiquement tous sont des hommes. Quelques-uns d'entre eux
27 amenaient leurs familles, mais beaucoup d'entre eux ont dû les laisser
28 derrière. La Croix-Rouge et les Nations Unies, qui ont négocié leur
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1 libération et qui ont organisé le convoi, nient qu'ils sont en train de le
2 faire au profit des Serbes de Bosnie parce que cela consisterait à être du
3 nettoyage ethnique de la république de ces Musulmans. Les prisonniers
4 disent qu'ils ont pratiquement tout perdu. Bon nombre seraient morts s'ils
5 étaient restés dans les camps pendant l'hiver.
6 Ce matin, certains d'entre eux se sont réunis avec leurs familles. La
7 Croix-Rouge a donné à manger à ces gens pendant un mois avant et ils ont
8 gagné du poids. Mais ils ne sont pas prêts d'oublier ce qu'ils ont souffert
9 et ce qu'ils ont vécu.
10 L'intervenant 1 : Ils ont coupé des parts de corps ou ils ont tracé des
11 choses avec des couteaux sur le corps. Ce ne sont pas des choses que les
12 hommes normaux peuvent faire.
13 L'intervenant 2 : Les conditions étaient très mauvaises. Nous étions en
14 train de dormir sur le sol. On n'avait pas assez à manger. On sortait des
15 gens pour les battre ou les tuer.
16 L'intervenant 3 : J'ai vu un corps où il y avait un fil de passé par la
17 langue de cet homme et cela avait relié deux autres corps. Ils ont tous été
18 reliés par des fils en passant par leurs langues. Aucune de ces personnes
19 n'a été tuée par balle. Ils ont tous eu des blessures d'infligées qui
20 semblaient avoir été portées par des objets contondants lourds.
21 Le journaliste : Ceci est considéré comme étant un camp de transit.
22 Les gens sont censés aller plus loin, mais ils n'ont aucune idée de ce
23 qu'ils allaient faire. Les Croates disaient qu'ils ne pourraient pas rester
24 ici mais qu'aucun autre pays ne leur avait proposé un abri.
25 Jeremy Bowen, pour BBC News, à Karlovac."
26 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
27 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
28 Le troisième clip est le 65 ter 43349G [comme interprété].
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1 [Diffusion de la cassette vidéo]
2 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
3 "Le journaliste : Jusqu'au moment où les réfugiés musulmans ont traversé la
4 route de Galic, ils ont perdu presque tout sauf leur vie. Et au dernier
5 tronçon, à l'extérieur du territoire serbe, ils se trouvaient quand même
6 être en danger. On a dû se servir des instruments de vision de nuit pour
7 pouvoir les filmer, parce que les Serbes tiraient sur les réfugiés au cas
8 où il y aurait des lumières. Cette femme n'y tient plus; les Serbes ont
9 tiré son mari et ses deux fils la semaine passée. A côté d'elle, il y a une
10 jeune mère épuisée qui a porté son enfant pour traverser les montagnes.
11 Nous avons de la famille en Allemagne et en France.
12 La jeune femme : Il est difficile d'être vivant et encore plus d'être mère.
13 Il est difficile d'être mère ou fils ou mari. Tout est difficile.
14 Le journaliste : Une fois qu'ils ont traversé le no-man's land, ils ont été
15 récupérés par les combattants musulmans et croates qui contrôlaient cette
16 partie de la Bosnie. Ils ont dû prendre soin d'eux-mêmes pour ce qui est
17 d'être installés dans des baraquements nauséabonds. Les corridors étaient
18 pleins et bondés. Il n'y avait plus de place à Travnik pour les réfugiés.
19 Il n'y avait personne pour donner des couvertures, de quoi à manger ou
20 boire. Tout ce qu'ils avaient sur eux a été apporté depuis les montagnes.
21 Il y a des organisations d'aide qui ont essayé d'aider, mais ça ne
22 suffisait pas. Il y avait trop de réfugiés, des milliers qui arrivaient
23 tous les jours. La plupart des réfugiés étaient des femmes et des enfants.
24 Il y avait aussi plusieurs hommes âgés. Ils ont dit que les autres ont été
25 emmenés par les Serbes à la pointe du fusil pour être chassés à l'extérieur
26 des lignes de front.
27 L'intervenant : Les réfugiés disaient, Allez-vous-en, allez-vous-en, vous
28 allez tous être tués. Ils ont été emmenés vers des autocars et ils ont été
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1 emmenés. Nous n'avons aucune idée de leur emplacement.
2 Le journaliste : Le fils adolescent de cette femme l'a été également. Elle
3 ne pensait pas que les Serbes le laisseraient passer, mais elle a réussi à
4 les convaincre.
5 L'intervenant : L'autre s'est retourné pour dire, Merci, maman. Merci pour
6 m'avoir tué.
7 Le journaliste : Des réfugiés ont été emmenés vers Travnik.
8 Un réfugié : Tout le temps, il n'y a que ça qu'on nous donnait.
9 Le journaliste : Alors, pour ces gens, c'était difficile de s'en aller
10 aussi bien que de rester. Ziad Ramic a envoyé sa mère vers un cousin en
11 Allemagne. Il est resté pour se battre.
12 Ziad Ramic : Nous sommes venus de Prijedor, et trop de gens ont été tués
13 là-bas. Il faut faire quelque chose pour y remédier.
14 Le journaliste : Son jeune frère, Enis, a dit à leur mère de ne pas
15 pleurer. Il a rejoint les rangs de l'armée de Bosnie. Ils ont rejoint l'un
16 l'autre. Maintenant, la guerre a dépossédé cette femme des deux.
17 Jeremy Bowen, BBC News, Travnik."
18 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
19 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
20 Q. Monsieur Bowen, dans votre témoignage antérieur, vous avez mentionné le
21 fait que votre caméraman avait utilisé des instruments de tournage pendant
22 la nuit -- de vision nocturne. Alors, sur les trois rapports que nous avons
23 déjà vus, est-ce que cela a englobé également l'utilisation de ces
24 équipements de filmage nocturne ?
25 R. Oui, c'est là où vous avez pu voir la vidéo un peu verdâtre. La
26 technologie s'est depuis améliorée, mais ce genre d'image vous est donné
27 quand vous utilisez des instruments de vision nocturne.
28 Q. Pendant que vous avez couvert le conflit en Bosnie-Herzégovine, est-ce
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1 que vous avez vu des scènes de ce type du côté des Serbes de Bosnie ?
2 R. Non, non. Je n'ai jamais rien vu de ce type du côté des Serbes de
3 Bosnie.
4 Q. Merci.
5 R. Si vous me le permettez, je voudrais ajouter quelque chose. Les Serbes
6 de Bosnie -- ou plutôt, les représentants officiels des Serbes de Bosnie
7 m'ont raconté que ce type de choses s'était produit, mais je n'ai vu de mes
8 yeux aucune chose de ce genre de leur côté.
9 Q. Merci.
10 Mme EDGERTON : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, je demande le
11 versement au dossier de ces trois documents 65 ter, à savoir le 40349 E, F
12 et G, en tant que pièces à conviction de l'Accusation.
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bon.
14 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera versé au dossier en tant que
15 pièces à conviction P2069 à P2071 respectivement.
16 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
17 Q. Monsieur Bowen, est-ce que vous avez -- vous souvenez-vous, plutôt, du
18 fait d'avoir évoqué cette question de nettoyage ethnique en présence du Dr
19 Karadzic ?
20 R. Oui, je m'en souviens. Une fois -- cette question a souvent été évoquée
21 dans les interviews, parce que ça a été un sujet critique dont les gens ont
22 beaucoup parlé à l'époque. Certains réfugiés étaient arrivés vers des pays
23 de l'Europe de l'Est. Et, entre autres, cela n'a pas seulement été une
24 question humanitaire mais aussi une question politique. Auparavant, pendant
25 la guerre, lors d'une réunion que le Dr Karadzic a eue avec les
26 représentants de la communauté internationale, MM. Vance et Owen, la
27 question a été évoquée.
28 Q. Est-ce que vous avez fait un rapport à ce sujet ?
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1 R. Oui, en effet. J'y étais.
2 Mme EDGERTON : [interprétation] J'aimerais qu'on passe au 65 ter 40350B.
3 [Diffusion de la cassette vidéo]
4 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
5 "Le journaliste : Les deux négociateurs sont arrivés par hélicoptère pour
6 parler des questions liées au nettoyage ethnique, pratique que bon nombre
7 de personnes considéraient que c'était une question à devoir avoir été
8 réglée bien avant. Lord Owen et Cyrus Vance ont voyagé par Banja Luka, la
9 capitale de la partie du nord de Bosnie contrôlée par les Serbes.
10 Radovan Karadzic : Ceci est une église catholique, ici.
11 Le journaliste : Ils ont été accueillis par Radovan Karadzic, le leader des
12 Serbes de Bosnie. Peut-être parce qu'ils étaient essentiellement serbes,
13 c'était la seule ville qui n'a pas été nettoyée de ses Musulmans. M.
14 Karadzic a nié qu'il y ait eu des nettoyages ethniques à avoir été
15 effectués.
16 Radovan Karadzic : Je suis fier de cette ville. C'est une ville où il y a
17 une prédominance serbe, et il n'y a aucun problème à avoir quelque 30 000
18 Musulmans et quelque 30 000 Croates à y vivre.
19 Le journaliste : Mais quelques jours avant, lors d'une interview avec les
20 chefs de l'église, M. Vance a dit que ça n'a pas été confirmé. Et Lord Owen
21 a essayé d'être positif.
22 Lord Owen : Je crois bien qu'il n'est pas évitable de voir ce processus se
23 produire à Banja Luka, comme on a pu le voir à l'extérieur de cette ville,
24 parce que cela est d'une importance fondamentale, et ce n'est dans
25 l'intérêt de personne.
26 Le journaliste : Mais il admet qu'il est impossible d'assurer un
27 monitoring, parce que les forces serbes peuvent y faire plus ou moins ce
28 qu'elles veulent. Un leader musulman a dit aux Nations Unies qu'il faudrait
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1 les contenir.
2 L'intervenant : Si les forces internationales ne veulent pas prendre part à
3 la protection de la population musulmane, il y aura beaucoup de victimes
4 ici. Quand je dis victimes, cela signifie beaucoup de morts. Des milliers
5 et des milliers de morts.
6 Le journaliste : Dans un camp de transit à 30 kilomètres à l'extérieur de
7 Banja Luka, des Musulmans de Bosnie attendent d'être ramenés chez eux ou
8 d'être évacués vers la Croatie. Les gens qui sont des Serbes de la ligne
9 dure considèrent que c'est un succès pour ce qui est de la politique du
10 nettoyage ethnique. Et tout ce que la communauté internationale peut
11 assurer à leur intention, c'est d'assurer leur sécurité ou les amener vers
12 un endroit plus sûr.
13 Jeremy Bowen, BBC News, à Trnopolje."
14 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
15 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
16 Q. Est-ce que vous reconnaissez ce rapport, Monsieur Bowen ?
17 R. Oui, et je m'excuse d'avoir mal prononcé certains noms ici. Mais cela
18 s'était produit au tout début, lorsque je venais à peine de prendre
19 connaissance de la région et de la langue de ces gens.
20 Q. Dans ce rapport, Lord Owen est en train de faire référence à des
21 processus qui ont été remarqués à l'extérieur de Banja Luka. Comment avez-
22 vous compris de quoi il parlait ?
23 R. Il était en train de faire référence à des nettoyages ethniques. Ce
24 rapport a été envoyé en automne 1992, fin de l'été et début de l'automne,
25 et à ce moment-là, les choses étaient claires. Enfin, on savait ce qui se
26 passait, parce que les gens n'arrêtaient pas d'en parler, et il y a eu des
27 rapports de présentés à cet effet. Par conséquent, le fait des nettoyages
28 ethniques, dès ce moment-là, avait constitué une chose qui était considérée
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1 comme un fait non contesté.
2 Q. Dans ce rapport, on voit que le Dr Karadzic dit qu'il n'y a aucun
3 problème pour ce qui est de la présence de 30 000 Musulmans et de 30 000
4 Croates. Vous souvenez-vous qu'il ait dit cela ?
5 R. Oui, je m'en souviens. Il me semble qu'il a dit cela dans une interview
6 avec moi ou avec moi et quelques autres journalistes aussi.
7 Et au fur et à mesure que le temps passait à Banja Luka, les sites
8 religieux de Catholiques ou de Musulmans, dans certains cas, ont été soit
9 détruits, soit endommagés ou fermés. Je me souviens que dans l'année
10 précédente, c'est-à-dire en 1991, j'avais été à Banja Luka parce que je
11 m'étais dirigé vers la Croatie pour reporter ce qui s'y passait pendant la
12 guerre. Et étant donné que je suis catholique moi-même, peut-être pas un
13 très bon catholique, mais toujours est-il que j'ai estimé nécessaire
14 d'aller jusqu'à l'église et me rendre compte de ce qu'il en était. Et je
15 m'étais dit que j'allais me rendre notamment à un endroit dangereux le
16 lendemain. Donc il se trouvait là une église catholique qui était ouverte.
17 Et plus tard, en 1993 ou 1994 -- il me semble que c'était 1994, lorsque je
18 suis retourné à Banja Luka, j'ai marché autour et j'ai vu cette église,
19 mais à ce moment-là, elle était déjà fermée et il y avait des graffitis
20 dessus, alors qu'en 1991, c'était ouvert et il y avait un service à
21 l'intérieur.
22 Q. Merci.
23 Mme EDGERTON : [interprétation] Je voudrais que ce soit versé au dossier,
24 Monsieur le Président.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
26 M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, ce sera la pièce
27 P2072.
28 Mme EDGERTON : [interprétation]
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1 Q. Nous avons parlé de ce que vous aviez qualifié de nettoyage ethnique,
2 Monsieur Bowen, alors laissez-moi vous demander ce qui suit : ces
3 activités ou ce type de comportement, les avez-vous constatés dans quelque
4 autre partie du territoire pendant la guerre ou est-ce que ça ne s'est
5 passé qu'au début du conflit ?
6 R. J'ai vu cela pendant toute la durée de la guerre, mais la nature de ce
7 processus a évolué. En 1994, il m'a été donné la possibilité de traverser
8 le territoire contrôlé par les Serbes de Bosnie, et c'était un voyage assez
9 long. Nous sommes allés de Belgrade à Pale, et pour arriver à Pale, nous
10 sommes passés par la Bosnie de l'Est, par Brcko et par ce qui a été convenu
11 d'appeler le corridor, et dans d'autres secteurs, dans la partie centrale
12 du pays qui était contrôlée par les Serbes, jusqu'aux frontières de la
13 Krajina de l'époque qui étaient toujours des territoires contrôlés par les
14 Serbes en Croatie, et c'est là que j'ai pu voir, notamment à Bijeljina, que
15 le processus avait changé. Les gens n'ayant plus été chassés de chez eux
16 pendant la nuit ou avec des mises en garde peu de temps avant, comme décrit
17 par la population de Travnik en 1992, ceux qui étaient venus de Prijedor,
18 de Bosanski Petrovac, et ainsi de suite. Je parle donc de 1992. Ce que j'ai
19 vu en 1994, c'est que la façon de procéder était déjà institutionnalisée et
20 que cela était fait de façon tout à fait ouverte, non dissimulée par les
21 responsables des Serbes de Bosnie. C'était des activités qui se déroulaient
22 pratiquement au quotidien, c'était un fait de la vie de tous les jours. Et
23 ceux qui étaient restés de la population des Musulmans de Bosnie ont déjà
24 été nettoyés. Je l'ai dit et j'ai fait un reportage à ce sujet.
25 Mme EDGERTON : [interprétation] Je voudrais maintenant qu'on nous passe un
26 clip vidéo qui porte la référence 65 ter 40350A.
27 [Diffusion de la cassette vidéo]
28 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
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1 "Le journaliste : Nous nous sommes rapprochés du corridor en passant
2 par Bijeljina. C'était la première des villes en Bosnie que les Serbes
3 avaient capturées. Il n'y a plus de guerre depuis longtemps ici. Cela avait
4 été une localité un peu perdue, mais d'après les critères de Bosnie, c'est
5 devenu une ville tout à fait développée. Le business qui s'y est développé
6 se faisait par le biais de cette ville. Il y avait un commerce très
7 développé de symboles nationalistes et il y a même eu un centre commercial.
8 Mon guide était Vojkan Djurkovic, qui était l'un des citoyens les plus en
9 vue de Bijeljina. C'était l'un des 60 combattants qui s'étaient emparés de
10 la ville pour les Serbes au début de la guerre. Vojkan était tout à fait
11 fier de ses lunettes italiennes très chères. Pour ces gens-là, ça allait
12 très bien pour ce qui est de la République des Serbes de Bosnie. Dans son
13 bureau, Vojkan avait rassemblé quelques-uns des derniers Musulmans qui
14 étaient restés à Bijeljina. Il avait dit que c'était des amis à lui. Vojkan
15 était président de la commission régionale pour assurer le libre
16 déplacement de la population civile. Cela signifie qu'il était chargé du
17 nettoyage ethnique. Un rapport préparé à l'intention des Nations Unies dit
18 qu'il était à la tête de certains hommes armés qui avaient terrorisé la
19 communauté musulmane là-bas. Vojkan a nié la chose de façon tout à fait
20 réjouie.
21 Vojkan Djurkovic : Eh bien, je suis content de voir qu'une équipe de
22 la télévision est venue ici. Je ne suis pas un bandit, je ne suis pas un
23 voleur et je ne suis pas un nettoyeur ethnique. Est-ce que je vous ai
24 dépossédé de quoi que ce soit ?"
25 Le journaliste : Il a tourné le nettoyage ethnique en procédure
26 officielle pour faire de Bijeljina une ville ethniquement pure pour les
27 Serbes, ce qui fait que les Musulmans étaient désespérés dans leur volonté
28 de s'en aller.
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1 Vojkan Djurkovic : Ils doivent remercier l'Etat serbe de les avoir
2 autorisés à aller où ils voulaient, d'avoir respecté leurs droits de
3 l'homme et leur liberté de mouvement en tant que civils.
4 L'intervenant 1 : J'ai tout perdu. Un réfugié est entré dans ma
5 maison et il ne m'a plus laissé m'approcher de là. Il ne m'a même pas
6 laissé prendre mes vêtements.
7 Intervenant 2 : Moi, j'ai tout perdu. Un réfugié a pris ma maison et
8 mes vêtements.
9 Intervenant 3 : C'est très dangereux là-bas. Il y a eu des passages à
10 tabac. Il y a eu des irruptions dans les maisons, beaucoup de choses se
11 sont passées, et je suis passé par tout cela.
12 Intervenant 4 : C'est un endroit très dangereux. Il y a eu des
13 passages à tabac, et cetera, des tirs et des infractions.
14 "Le journaliste : Lorsque l'autorisation leur parvenait de s'en aller,
15 Vojkan s'assurait que nous soyons là-bas. Il donnait suffisamment de temps
16 aux gens pour dire au revoir à leurs familles, prendre certains des biens
17 qui ne leur avaient pas été déjà volés. Les déportations ne se faisaient
18 pas à la pointe du fusil. Les Serbes comme Vojkan étaient tout à fait
19 déterminés à faire partir la totalité de Musulmans de leur ville. Et cela a
20 continué à constituer du nettoyage ethnique. Des autocars les emmenaient
21 jusqu'à la frontière la plus proche. Ils devaient traverser à pied les
22 quelques dernières centaines de mètres par le "no man's land". Et les
23 soldats du gouvernement de Bosnie les attendaient là-bas, de l'autre côté.
24 Vojkan Djurkovic a insisté sur le fait qu'il leur rendait service. Il se
25 considérait comme étant un intervenant social. Il était assuré que très
26 prochainement il recevrait le prix Nobel de la paix.
27 Vojkan Djurkovic : Et pourquoi je m'attends à un prix Nobel ? Parce
28 que, en comparaison avec la partie à l'opposé, j'ai sauvé des milliers de
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1 gens. Je ne vais pas m'aventurer à discuter d'options politiques pour les
2 raisons pour lesquelles ils sont allés là-bas. Ils sont partis en tant que
3 touristes depuis Bijeljina à Tuzla ou vers Berlin ou ailleurs.
4 Le journaliste : Les rues de Bijeljina, comme dans toutes les autres
5 villes serbes, se présentaient de la même façon. Ceux qui avaient jusqu'à
6 60 ans pouvaient être des conscrits. Et les cours aux écoles et à
7 l'université ont été annulés."
8 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
9 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
10 Q. Monsieur Bowen, vous nous avez dit que lors de ce voyage vous
11 aviez quitté Belgrade pour aller, via Pale, jusqu'à Bijeljina. Est-ce que
12 vous vous souvenez quelles ont été les approbations qu'il vous a fallu
13 demander pour faire ce type de voyage ?
14 R. Le producteur de notre télévision s'est occupé des négociations et des
15 arrangements. C'est lui qui a organisé ce type d'arrangements. Mais pour
16 l'essentiel, je sais de quoi il s'agissait. Je crois avoir déjà dit que
17 nous sommes allés de Belgrade en voiture, que nous avons traversé la
18 frontière pour accéder à l'entité des Serbes de Bosnie. Et ce que j'ai
19 remarqué à la frontière, c'est qu'il était très facile de traverser la
20 frontière. Il n'y avait pas véritablement une frontière entre la Serbie
21 elle-même et la partie de la Bosnie-Herzégovine contrôlée par les Serbes.
22 C'était plutôt facile, il y avait beaucoup de circulation dans les deux
23 sens, et je dirais qu'il y avait des inspections et contrôles réduits au
24 minimum.
25 Nous sommes allés jusqu'à Pale parce qu'il fallait nous procurer la
26 documentation pertinente à cet effet au niveau du bureau chargé de la
27 presse situé à Pale. C'est là que nous avons aussi récupéré un homme, une
28 espèce de gardien, qui faisait partie du bureau chargé de la presse et qui
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1 était chargé de nous escorter pour nous faciliter les passages et qui a été
2 notre interprète qui portait la documentation. Donc c'est cet
3 accompagnateur qui nous accompagnait partout.
4 Q. Mais comme vous dites, votre ange gardien, était-ce un civil ou était-
5 ce quelqu'un portant l'uniforme ?
6 R. Non, c'était un civil. Je crois qu'avant la guerre, il avait travaillé
7 comme journaliste.
8 Q. Comment avez-vous eu vent de cette personne qui est mentionnée dans le
9 clip de tout à l'heure comme étant Vojkan Djurkovic ? Comment êtes-vous
10 entré en contact avec ?
11 R. L'équipe chargée de la production avait effectué des recherches et
12 s'était procurée un rapport des Nations Unies que j'avais évoqué dans mon
13 reportage, et ils ont demandé à lui rendre visite. Nous avons tenu à nous
14 entretenir avec lui puisqu'il était mentionné dans ce rapport, et dans
15 l'intérêt d'un reportage équitable et bien équilibré, nous voulions lui
16 faire voir ce qui était dit à son propos dans ces rapports des Nations
17 Unies. Comme je vous l'ai dit, il était très gai, il se réjouissait de
18 répondre à nos questions pour nous donner sa version de ce qui s'était
19 passé. Donc ça a été une réunion qui a été arrangée à l'avance. Il y avait
20 un rendez-vous de pris avec cet homme et nous nous sommes entretenus avec
21 lui pendant plusieurs jours, deux ou trois jours, me semble-t-il. Ensuite,
22 lorsque les gens ont fini par quitter les lieux, il a laissé savoir que
23 c'était des gens qui allaient s'en aller, il nous a fait savoir que cela se
24 ferait, et on nous a dit qu'on pouvait y aller pour filmer. On était là-
25 bas, on a vu les gens descendre de l'autocar pour descendre vers la vallée
26 et traverser la ligne de front vers la partie adverse.
27 Q. Dernière question pour vous. J'aimerais que vous vous penchiez
28 maintenant sur le paragraphe 11 de votre déclaration écrite. A ce sujet,
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1 voici ma question : est-ce que ce rapport fait référence au représentant
2 officiel qui y est évoqué, c'est-à-dire le Serbe de Bosnie local qui a été
3 impliqué dans le transport des Musulmans ? Est-ce que c'est à lui que vous
4 avez fait référence ?
5 R. Oui, j'ai fait référence à ce moment-là à Vojkan Djurkovic.
6 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci. Je voudrais que ce 65 ter 40350A
7 soit versé au dossier.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Bowen, est-ce que vous vous
9 souvenez de la date à laquelle ce rapport a été diffusé ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois que ça a été diffusé en 1994. Je sais
11 qu'on y lit 1993 dans le paragraphe en question, mais je suis assez certain
12 du fait que c'était plutôt en 1994 et non pas en 1993 que ça a été diffusé.
13 Je peux me charger de revérifier si vous considérez la chose nécessaire,
14 mais je pense bien qu'il s'agissait non pas de 1993 comme écrit ici, mais
15 de 1994.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
17 Madame Edgerton, je remarque qu'au prétoire électronique on ne donne pas la
18 date de la diffusion de ces clips vidéo. Est-ce qu'il y a un moyen d'avoir,
19 à l'avenir, pour chacune de ces vidéos quand est-ce qu'elle a été diffusée
20 ?
21 Mme EDGERTON : [interprétation] Je pense que ce peut être le cas.
22 Sincèrement, maintenant que vous posez la question, je m'y intéresse moi-
23 même à présent, parce que je vois qu'au paragraphe 9, il est fait référence
24 à ce voyage de 1994.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois que la bonne date est 1994. Il se
26 peut que j'aie fait un lapsus. Je ne le sais trop.
27 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, merci. Mais ce n'était pas
28 l'objectif de ma question. Y a-t-il, d'une façon générale, un moyen pour ce
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1 qui est d'identifier les dates de diffusion de ces différentes vidéos au
2 prétoire électronique ? C'est à cela que j'ai fait référence.
3 Mme EDGERTON : [interprétation] C'est bien compris.
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
5 Mme EDGERTON : [interprétation] C'est moi qui vous remercie.
6 Q. Monsieur Bowen, maintenant, s'agissant de Sarajevo, vous en avez parlé
7 longuement, et j'attire votre attention sur le paragraphe 20 du document --
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, mais attendez. Il faut que nous
9 accordions une cote, une référence à cette vidéo de tout à l'heure.
10 Mme EDGERTON : [interprétation] Oui, excusez-moi.
11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ce sera la pièce P2073.
12 Mme EDGERTON : [interprétation] Toutes mes excuses.
13 Q. Au paragraphe 20, vous dites que les Serbes de Bosnie se sont servis
14 d'un état de siège pour exercer des pressions sur la partie adverse pendant
15 toute la guerre. Est-ce que vous pouvez nous préciser ce que vous vouliez
16 dire au juste par là ?
17 R. Comme je l'ai dit dans la phrase d'après, j'ai considéré que d'établir
18 un siège, ça a été une arme utilisée pendant la guerre tout comme des
19 balles ou tout comme des obus. Cela a été une façon de maintenir une
20 pression à l'égard d'une grande partie de la population qui était notamment
21 loyale à l'égard du gouvernement bosnien. Cela a également constitué une
22 modalité qui permettait de faire en sorte que des pressions politiques
23 soient exercées. Ça a servi de levier en quelque sorte pour ce qui est de
24 leurs relations avec la communauté internationale, celle qui était
25 notamment impliquée dans les tentatives d'apporter de l'aide. Je crois que
26 cela leur a été utile; ils n'ont plus essayé ou ils n'ont plus pu s'emparer
27 des territoires. Après 1992, à quelques exceptions près, les lignes de
28 front ont été plus ou moins déjà fermement établies. Ils ont, de temps à
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1 autre, procédé à des pressions, des activités militaires ailleurs. Et
2 lorsque ailleurs il y avait des activités militaires, à Sarajevo il y avait
3 augmentation des pilonnages. Il y a également eu des périodes autres où,
4 d'après des critères qui sont ceux de temps de guerre, la situation était
5 plutôt calme. Donc il y a eu de longues périodes de ce type en 1994.
6 C'était une espèce de nœud coulissant qu'on avait placé autour des cous des
7 gens et qu'on pouvait serrer à gré. C'est ce qui m'a constamment frappé
8 lorsque je me trouvais là-bas pendant ces années de guerre.
9 Q. Merci.
10 Mme EDGERTON : [interprétation] Est-ce que l'heure est venue de faire une
11 première pause ?
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, en effet. Nous allons faire une
13 pause d'une demi-heure et nous allons reprendre à 11 heures.
14 --- L'audience est suspendue à 10 heures 29.
15 --- L'audience est reprise à 11 heures 02.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Tieger.
17 M. TIEGER : [interprétation] Je vous remercie.
18 Oui, je reviens sur l'une des questions soulevées lors du huis clos partiel
19 un peu plus tôt. Je pense que je peux parler d'un des aspects de la
20 question si nous passons à huis clos partiel. M. Robinson avait indiqué
21 qu'il avait besoin de renseignements pour pouvoir répondre à la date
22 indiquée, et nous lui avons fourni lesdits renseignements pendant la pause.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
24 M. ROBINSON : [interprétation] C'est tout à fait exact, et vous aurez la
25 réponse lundi. Elle sera déposée lundi.
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.
27 Mme EDGERTON : [interprétation]
28 Q. Toujours à propos de Sarajevo, Monsieur Bowen, pourriez-vous nous dire
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1 si vous avez fait état des conditions de vie de la population civile à
2 Sarajevo lorsque vous vous y êtes trouvé ?
3 R. Oui, je l'ai fait à plusieurs reprises. Comme je vous l'ai déjà dit
4 lors de ma déposition, en tant que journaliste j'ai toujours pensé que le
5 calvaire de la population civile devait véritablement être pris en
6 considération. C'est une partie très importante du reportage.
7 Mme EDGERTON : [interprétation] J'aimerais diffuser l'un de vos reportages,
8 la pièce de la liste 65 ter 40349C.
9 [Diffusion de la cassette vidéo]
10 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
11 "Le journaliste : Il est très facile de comprendre pourquoi les gens
12 veulent partir. Dans cette ville, les tireurs embusqués ne sont jamais très
13 loin. Celui-ci dit qu'il défend la population de Sarajevo en ciblant les
14 tireurs embusqués serbes. Ce qui d'ailleurs ne donne pas particulièrement
15 de résultat. Les civils doivent risquer leurs vies pour vaquer aux tâches
16 les plus simples. Ils en sont absolument malades. Beaucoup de civils
17 voudraient partir de Sarajevo, mais ils ne peuvent pas le faire. L'endroit
18 a été complètement fermé, il n'y a aucun moyen de s'échapper. Les enfants
19 n'ont nulle part où aller et ont été placés dans une banque qui avait été
20 endommagée par les bombardements. Ils sont des réfugiés dans leur propre
21 ville, expulsés des banlieues qui sont maintenant contrôlées par les
22 Serbes. On a l'impression qu'ils sont pleins de vie, mais ils ne font que
23 parler de la mort.
24 L'intervenant 1 : Il y a beaucoup de gens, de personnes innocentes qui sont
25 mortes pendant cette guerre. Beaucoup de mes amis sont morts, mes très bons
26 amis.
27 Le journaliste: Personne ne s'attend ici à ce que la guerre soit courte.
28 Ils ne mourront pas de faim tant que les Nations Unies continuent à
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1 apporter des vivres, mais la seule chose sûre qu'ils peuvent faire, c'est
2 de rester dans leurs sous-sols, en pensant à une vie différente, en
3 continuant à nourrir l'espoir qu'ils seront sauvés par les troupes
4 étrangères. Des échanges très lourds d'artillerie et de tirs de char, de
5 mortiers et de mitrailleuses les ont dérangés à nouveau la nuit dernière.
6 Tout le monde s'attend à ce que soit la même chose aujourd'hui.
7 Jeremy Bowen, BBC News."
8 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
9 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
10 Q. Monsieur Bowen, premièrement, j'aimerais savoir si vous êtes en mesure
11 de nous donner la date de ce reportage ?
12 R. Juillet 1992, me semble-t-il. C'était, en fait, ma première mission
13 dans cette ville. C'était en juillet/août 1992. C'était la première fois
14 que j'étais en Bosnie, parce que je suis allé également à Gorazde à ce
15 moment-là, puis dans la partie serbe un peu. Mais je pense que c'était le
16 mois de juillet 1992.
17 Ce qui me frappe lorsque je regarde ce reportage, bien que beaucoup
18 d'années se soient écoulées et que je repense à cette guerre, c'est que
19 c'était une tranche de vie. J'ai montré la façon dont les gens vivaient.
20 Dans d'autres reportages, je donne plus de détails à propos des dangers que
21 les gens couraient lorsqu'ils allaient chercher de l'eau, lorsqu'ils
22 faisaient la queue pour aller chercher à manger, et même en dépit des
23 bombardements, les gens ne voulaient pas partir de la queue parce qu'ils ne
24 voulaient pas perdre leur place dans la queue.
25 Et puis, j'aimerais également vous dire que si l'on pense aux événements
26 dans cette ville, les gens ont dû vivre constamment comme cela dans cette
27 ville; ils ont dû esquiver les balles, ont vécu dans des conditions
28 absolument lamentables. Et n'oubliez pas qu'à l'époque, il n'y avait pas
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1 d'internet, il n'y avait pas de téléphone mobile. Les gens se sentaient
2 particulièrement isolés. Moi, je me sentais isolé. Moi, j'y ai passé six
3 semaines seulement, puis ensuite je sortais de Sarajevo. Et pourtant, je me
4 sentais complètement isolé. Nous avions en plus un téléphone satellitaire.
5 C'était le tout début de ce genre de technologie à l'époque.
6 Et j'aimerais également vous dire que pour ce qui est des reportages des
7 journaux télévisés et de la presse écrite, et je ne parle pas seulement de
8 nous, ces nouvelles n'intéressaient plus personne avec l'évolution de la
9 guerre, donc nos rédacteurs n'étaient plus particulièrement intéressés. Les
10 gens ont de moins en moins vu cela. Il y avait de plus en plus de gens à
11 Sarajevo qui essayaient de se nourrir et d'obtenir de l'eau. Il faut savoir
12 que pour ce qui est du temps d'audience, on avait de moins en moins de
13 temps d'audience pour montrer cela et de temps d'écoute. Il fallait que les
14 événements soient encore plus violents, pour ne pas dire grotesques, par
15 exemple, pour pouvoir être diffusés. Ça, c'est un commentaire très triste
16 qui correspond, malheureusement, à la réalité.
17 Mme EDGERTON : [interprétation] Est-ce que cela pourrait être la pièce
18 suivante ?
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
20 M. LE GREFFIER : [interprétation] Pièce P2074.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Puis-je ajouter quelque chose ?
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, je vous en prie.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je voulais juste vous dire que lorsque je suis
24 allé là-bas en 1995, à la fin, ce qui m'a frappé, c'était que les
25 conditions de vie étaient pires. Bien entendu qu'il y avait eu des largages
26 aériens qui étaient opérés, mais pour ce qui était des conditions de vie
27 personnelles des gens, elles étaient encore plus désastreuses qu'au début
28 de la guerre en 1992, ce que vous venez de voir maintenant. Là, on avait
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1 l'impression que les gens avaient encore un lien avec leurs vies passées.
2 C'était cauchemardesque, mais ils pensaient que ce cauchemar, qui était
3 bien véritable, allait bientôt toucher à sa fin. On avait l'impression que
4 c'était des gens qui avaient connu la paix et qui connaissaient une
5 situation absolument aberrante, mais après le premier hiver, qui a été
6 extrêmement rigoureux, ce sentiment s'est évaporé. En 1995, les gens
7 étaient obnubilés par leur survie, à l'exception de quelques personnes qui
8 souhaitaient travailler pour des organisations internationales et gagner
9 des sous ou étaient impliqués dans des activités criminelles et avaient
10 également des sous à la suite de ces activités. Mais la grande majorité de
11 la population, en 1995, se trouvait dans une situation absolument
12 désespérée et désespérante.
13 Mme EDGERTON : [interprétation] Eh bien, j'aimerais enchaîner à la suite de
14 votre toute dernière explication et passer à un autre de vos reportages,
15 qui ne date pas de l'année 1995, mais qui date, d'après ce que j'ai cru
16 comprendre, de l'année 1993. Pièce de la liste 65 ter 40350D.
17 Je demande une minute de patience, Monsieur le Président, parce que
18 j'ai l'impression qu'en dépit de tous nos efforts, il y a visiblement un
19 reportage qui fait défaut.
20 [Diffusion de la cassette vidéo]
21 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
22 "Le journaliste : La plupart des gens ici n'ont jamais entendu parler et se
23 fichent royalement des pourparlers de Genève. Ils ont d'autres chats à
24 fouetter. Ils vivent dans un néant sinistre sans radio ou télévision,
25 complètement coupés du monde extérieur. D'après ce qu'ils croient, ce monde
26 n'est plus du tout intéressé par leur sort. Lorsque la guerre a commencé,
27 ce genre de tir aurait envoyé les gens directement dans leur cave, mais de
28 nos jours, cela est différent. Ils savent qu'ils doivent se protéger,
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1 comment le faire, quand attendre et quand ils doivent courir. C'est
2 toujours aussi terrifiant, et cela peut être tout aussi fatal lorsque l'on
3 va, par exemple, chercher de l'eau, mais cela fait partie de leur triste
4 réalité quotidienne."
5 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
6 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
7 Q. Monsieur Bowen, ai-je eu raison de mentionner l'année "1993" pour ce
8 reportage ?
9 R. Oui. Pour autant que je m'en souvienne, oui.
10 Q. Est-ce qu'il y a un lien entre l'extrait que nous venons de voir et les
11 précisions que vous avez apportées à l'intention de la Chambre de première
12 instance à propos de l'année 1995 ?
13 R. Oui, c'était déjà comme ça, mais c'est encore plus grave en 1995, car à
14 ce moment-là, la population était véritablement coincée dans cette vie
15 épouvantable qui était la leur, les tirs des tireurs embusqués faisaient
16 partie de leur quotidien. Vous voyez qu'ils ont mis des récipients à divers
17 endroits pour empêcher que les balles pénètrent, mais parfois à certains
18 endroits ça n'était pas possible. Donc les gens devaient courir, vraiment,
19 pour sauver leur peau. Je l'ai fait moi-même. Nous, nous étions, en tant
20 que journalistes, dans une position très privilégiée à Sarajevo, parce que
21 nous avions des gilets pare-balles, nous avions des Land Rover blindés,
22 nous avions de l'argent, et cetera, et cetera. Mais même avec tout cela,
23 nous nous rendions véritablement compte de ce que la situation était. On
24 pouvait également nous tirer dessus. Et je dois dire que parfois j'ai eu
25 très chaud.
26 Moi, j'ai vu, par exemple, des gens se faire tirer dessus près de
27 l'hôtel Holiday Inn, où je logeais, il y avait un espace ouvert pour la
28 zone contrôlée par les Serbes, et c'était une position de tireurs embusqués
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1 très connue, ils étaient très actifs. Maintenant, c'est devenu le parking
2 de l'hôtel Holiday Inn, en temps de paix. Donc ils avaient une vue dégagée,
3 là, et les gens couraient. Une fois, j'étais en train de déjeuner, et j'ai
4 pu voir en regardant par la fenêtre - une grande fenêtre de l'hôtel, je
5 pouvais voir de côté - et j'ai vu qu'il y avait de nombreux tirs, puis il y
6 avait un homme qui courait, et lui, il a été touché à la jambe, on pouvait
7 voir les balles, il est tombé. Et on a vu les balles qui atterrissaient
8 auprès de son corps, par terre. Donc je suis allé avec un de mes collègues
9 dans le Land Rover blindé pour voir si on pourrait le ramasser, et au
10 moment où nous sommes arrivés dans le garage, lorsque nous sommes sortis,
11 nous avons vu qu'il était parti. Il y avait une flaque de sang. A l'époque,
12 je me suis dit qu'il avait été gravement blessé et qu'il fallait s'en
13 occuper.
14 Mais ça, je l'ai vu, je l'ai vu de visu, c'était un endroit qui était
15 une position de tireurs embusqués. A différents moments de la guerre, la
16 FORPRONU avait placé un véhicule de transport de troupes avec une
17 mitrailleuse qui était dirigée vers la ligne de front, là où les tireurs
18 embusqués étaient très actifs. Moi, je n'étais pas là quand ça s'est passé,
19 mais c'est ce qu'on m'a raconté. Donc c'était évident, on savait tous d'où
20 venaient les tirs des tireurs embusqués. D'ailleurs, si vous penchiez la
21 tête un peu de côté, vous pouvez voir l'immeuble. C'est un immeuble
22 d'habitation de quatre à cinq étages, c'était l'extrémité de la ligne de
23 front, et là, ils avaient une vue dégagée.
24 Mme EDGERTON : [interprétation] Est-ce que cela pourrait être la prochaine
25 pièce à être versée au dossier, Monsieur le Président, le document 40350D.
26 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
27 M. LE GREFFIER : [interprétation] Pièce P2075.
28 Mme EDGERTON : [interprétation]
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1 Q. Vous venez juste de parler de tireurs embusqués, Monsieur Bowen. Au
2 paragraphe 17 de votre déclaration écrite, vous dites que :
3 "A Sarajevo, il y avait de nombreuses positions de tireurs embusqués où les
4 gens pouvaient être touchés à tout moment."
5 Et vous faites référence à un endroit qui se trouve juste à l'extérieur du
6 bâtiment de la présidence. Vous le voyez ?
7 R. Oui.
8 Mme EDGERTON : [interprétation] J'aimerais vous montrer un autre extrait
9 d'un de vos reportages qui a un lien avec ce paragraphe, et j'aimerais vous
10 poser quelques questions. Pièce 65 ter ou document 65 ter 40349H. Merci.
11 [Diffusion de la cassette vidéo]
12 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
13 "Le journaliste : Les Nations Unies demandent aux deux camps d'arrêter les
14 tirs sur l'aéroport avant qu'elles ne fassent venir davantage de vivres. Le
15 général Philippe Morillon, le commandant adjoint des Nations Unies en ex-
16 Yougoslavie, a rendu visite aux dirigeants musulmans aujourd'hui pour leur
17 demander ceci. Demain, il franchira les lignes pour obtenir la même
18 garantie de la part des Serbes. Si le général avait regardé par la fenêtre
19 pendant cette réunion, il aurait pu voir les tireurs embusqués. Ils
20 supposent que le tireur est Serbe. Evidemment, cela sera réfuté. Cette
21 femme n'est pas très intéressée par la politique dans les Balkans. Comme
22 toutes les autres, elle veut juste rentrer saine et sauve chez sa famille.
23 Ça, ce sont les calculs qui sont faits par tout le monde, au quotidien. La
24 seule chose qu'ils puissent faire, c'est espérer que tout se passera bien
25 et courir très vite. Ses amis lui disent d'essayer encore une fois."
26 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
27 Mme EDGERTON : [interprétation]
28 Q. Monsieur Bowen, est-ce que c'est l'endroit auquel vous faites référence
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1 au paragraphe 17, à l'extérieur du bâtiment de la présidence ?
2 R. Oui. Si vous sortez du bâtiment de la présidence, sur la gauche, il y a
3 cette mosquée, et là, vous voyez qu'il y a une vue très dégagée vers les
4 positions serbes. Et sur la droite, ils avaient mis, d'après ce dont je me
5 souviens, des containers et des écrans également, mais il n'y en a pas sur
6 la gauche. A ce moment-là, je pense que c'était 1992 ou 1993, probablement.
7 C'était toujours un endroit très dangereux, parce que les tirs étaient
8 constants. Moi, j'ai vu des cadavres qui gisaient là, dans des marres de
9 sang.
10 Q. Lorsque vous dites que "ce sont les calculs que tout le monde doit
11 faire ici, au quotidien". Que décrivez-vous?
12 R. Eh bien, ce que j'entends par là c'est que les tirs embusqués faisaient
13 partie de leur quotidien, il y en avait beaucoup, en général dans des
14 endroits connus. Au fil du temps, les autorités du gouvernement de Bosnie
15 ont mis des espèces de paravents pour protéger les gens du gros des tirs,
16 mais il y avait quand même encore et toujours des victimes. Et d'ailleurs,
17 il y avait une pratique qui était un peu sinistre pour les caméramans et
18 les équipes de télévision, ils se mettaient là, non pas tellement parce
19 qu'ils voulaient filmer les gens morts, mais ils voulaient filmer les gens
20 qui esquivaient les balles. Donc ça, c'était vraiment l'image, s'il en fut,
21 qui est sortie de Sarajevo pendant la guerre, à cause de toutes ces
22 activités de tireurs embusqués, justement.
23 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
24 Est-ce que cela pourrait être, je vous prie, la pièce suivante de
25 l'Accusation, 40350H [comme interprété].
26 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce P2076, Monsieur le
27 Président.
28 Mme EDGERTON : [interprétation]
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1 Q. Est-ce que vous pourriez passer au paragraphe 24 de votre déclaration.
2 Là vous dites que :
3 "N'importe qui pouvait être tué par des pilonnages, à n'importe quel
4 endroit à Sarajevo."
5 Vous voyez cela ?
6 R. Oui.
7 Q. Est-ce que vous avez fait des reportages sur ces pilonnages ?
8 R. Oui, tout à fait. Tous les matins, il y avait la conférence de presse
9 des Nations Unies au QG de la FORPRONU. Ils commençaient par un décompte
10 des tirs effectués par les observateurs militaires des Nations Unies, ils
11 présentaient le nombre des tirs de la veille, et très, très, très souvent,
12 cela dépassait 1 000. Moi, j'ai fait des reportages sur les conséquences de
13 ces pilonnages, j'ai vu moi-même certaines choses, et je dois dire que
14 parfois je me suis trouvé au mauvais moment au mauvais endroit, et j'ai eu
15 très peur pour ma vie. On ne pouvait pas dire, oui, s'il va y avoir un
16 pilonnage, il aura lieu ici, à l'endroit A ou à l'endroit B. Non, ce n'est
17 pas comme ça que les choses se passaient. De toute façon, il y avait des
18 cratères un peu partout, des cratères laissés par les mortiers, c'était
19 essentiellement des mortiers d'ailleurs. Il faut savoir que les cratères
20 faits par les mortiers sont assez caractéristiques. On les voyait dans
21 différents endroits sur les trottoirs, on voyait les victimes qui sortaient
22 des hôpitaux. S'il y avait un pilonnage, il était très dangereux de sortir
23 dans les rues, mais si vous vouliez faire un reportage, il suffisait de se
24 rendre à l'hôpital de Kosevo et de voir les victimes. Je dois dire que
25 c'était toujours un peu la même chose, il y avait une salve, vous alliez à
26 l'hôpital 20 minutes après, les victimes commençaient à arriver. Quand on
27 est journaliste pour la télévision, il faut bien avoir des films ou des
28 photos pour présenter votre reportage, et ça, c'était une façon d'obtenir
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1 ces films.
2 Mme EDGERTON : [interprétation] J'aimerais vous présenter deux de vos
3 reportages à ce sujet. Le premier est le numéro 40349J de la liste 65 ter.
4 [Diffusion de la cassette vidéo]
5 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
6 "Le journaliste : Ziad Kujundzic est encore en vie parce qu'il avait décidé
7 d'écouter le journal de 4 heures vendredi après-midi dernier. Son fils
8 Muris a quitté la cave de leur maison avec lui et est allé en haut pour le
9 rejoindre. Pendant qu'ils regardaient les nouvelles, leur maison a été
10 touchée par une salve de char. Ce matin, M. Kujundzic enterre son épouse,
11 sa fille, deux de ses petits-enfants, et un ami qui était venu chez eux
12 pour apporter de l'aspirine.
13 M. Kujundzic : Le petit, il était d'abord en vie puis il est mort à
14 l'hôpital.
15 L'intervenant : En fait, ils ont d'abord trouvé son petit-fils et il était
16 encore en vie lorsqu'il est arrivé à l'hôpital. Mais sa petite-fille elle
17 est morte sur le coup.
18 Le journaliste : Si vous empruntez une rue au mauvais moment de la journée
19 à Sarajevo, cela peut être fatal pour vous. La semaine dernière, un groupe
20 d'hommes qui se trouvait du côté serbe de la ligne est parti pour livrer du
21 pain et des sardines sur le front. La situation ne semblait pas
22 particulièrement agitée, mais un tireur embusqué les a vus et leur a tiré
23 dessus et a touché l'une de ces personnes à la tête. Le tireur embusqué a
24 continué à tirer. Ils ont dû traîner son corps, ils n'avaient pas de corde,
25 donc ils ont utilisé un tuyau d'arrosage à la place. En quatre mois
26 seulement, les tirs embusqués et le pilonnage sont devenus partie du
27 quotidien de ces êtres humains, cela fait partie de la routine journalière
28 des deux côtés des lignes. Les gens ici sont obligés d'exister en dépit de
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1 cela. Il n'y a pas un seul endroit ou un seul moment où les citoyens de
2 Sarajevo se sentent en sécurité. Certains quartiers de la ville sont plus
3 dangereux que d'autres, mais le pilonnage se fait de façon aléatoire et tue
4 tous les jours des personnes."
5 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
6 Mme EDGERTON : [interprétation] Je vous remercie.
7 Q. Monsieur Bowen, il y a peu de temps vous avez dit à propos des
8 pilonnages que ces pilonnages "pouvaient intervenir n'importe où". Est-ce
9 bien ce dont vous parlez dans ce reportage ?
10 R. Oui, tout à fait, j'espère que oui en tout cas. J'avais l'impression
11 que ça pouvait arriver n'importe où, parce que moi aussi j'étais très
12 inquiet à propos de ma propre sécurité. Je savais que nous étions très
13 vulnérables, et que lorsqu'on se déplaçait dans Sarajevo on était
14 vulnérables, on ne savait jamais d'où ça allait venir. Mais quand il y
15 avait une accalmie ou s'il faisait beau, les gens faisaient sortir leurs
16 enfants pour qu'ils jouent, parce que c'est très difficile de garder des
17 enfants enfermés dans une maison ou bien dans une cave. Au cours du premier
18 été de la guerre, les gens ont eu tendance à laisser leurs enfants sortir
19 pour jouer. Donc tout à coup, il faisait très beau, puis tout à coup ça
20 arrivait, alors qu'il faisait extrêmement beau, les tirs arrivaient, puis
21 les rues se vidaient, puis il y avait des victimes. Lors des périodes où il
22 y avait beaucoup de pilonnages, les gens, tout simplement, ne sortaient
23 pas. Lorsqu'on roulait dans les rues, les rues étaient totalement vides. Il
24 n'y avait absolument personne en ville.
25 Mme EDGERTON : [interprétation] Très bien.
26 Passons au reportage suivant à propos des pilonnages, et ensuite nous
27 verrons si nous allons les verser au dossier.
28 Pourrions-nous avoir la pièce 40349R.
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1 [Diffusion de la cassette vidéo]
2 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
3 "Le journaliste : Personne n'a dit à Svetlana Glavas et à sa mère
4 Ruza que la fille de Svetlana était envoyée en Allemagne. Aucune des
5 autorités n'a même dit qu'elle avait été tuée. C'est un voisin qui a
6 entendu cela à la radio. Ce matin, alors qu'ils allaient aux obsèques, ils
7 ont dit que Vedrana avait habité dans ce foyer parce qu'ils ne pouvaient
8 pas s'en occuper correctement. Elles ont dit qu'elles aimaient Vedrana,
9 bien sûr, et que la grand-mère avait gardé l'une des poupées de Svetlana
10 pour elle. Vedrana avait 2 ans et demi, et ils allaient la voir le plus
11 souvent possible.
12 L'intervenant : Elle avait commencé à marcher. Elle ne pouvait pas encore
13 parler, mais elle savait jouer avec une balle.
14 Le journaliste : Svetlana et Ruza avaient eu l'intention d'aller à pied
15 jusqu'au cimetière avec leurs voisins, mais c'est à 2 miles de là où ils
16 habitent. Donc avec nos collègues de l'agence Reuters, nous les avons pris
17 à bord de notre véhicule. Lorsqu'ils sont arrivés, ils ont dit que Vedrana
18 avait déjà été enterrée, parce que le cimetière était pilonné par les
19 Serbes. C'était une mauvaise nouvelle, mais les choses ont empiré. Encore
20 plus d'obus sont tombés. L'un des obus est tombé alors que les garçons et
21 les filles du foyer de Vedrana étaient arrivés avec leurs fleurs. Ils ont
22 posé les fleurs sur les tombes de Vedrana et du jeune petit garçon que le
23 sniper avait assassiné. Il était temps de partir. Alors que la famille
24 partait, les tireurs avaient bien ajusté leurs tirs.
25 Ruza Glavas, la grand-mère, a été atteinte au bras. Les reporters ici
26 essayent d'arrêter l'hémorragie.
27 L'intervenant : Tourniquet, tourniquet. Essayez d'atteindre la fille de
28 cette femme.
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1 Le journaliste : Un autre obus a explosé alors qu'on la transportait vers
2 la voiture. Les docteurs ont dit qu'ils arriveraient sans doute à sauver le
3 bras de Ruza, mais qu'elle ne pourrait plus s'en servir. Elle a essayé de
4 dire à sa fille qu'elle allait bien. Svetlana, malheureusement, est
5 handicapée et dépend de sa mère. Au moins six obus de mortier ont atterri
6 sur le cimetière ou aux alentours du cimetière. Il y a eu deux tirs
7 directs, juste lorsque les obsèques des enfants allaient commencer.
8 Parfois, les tirs ne sont pas très précis, mais c'est un endroit qui est
9 attaqué presque tous les jours. Il est évident que les tireurs serbes
10 ciblent ce cimetière afin de tuer des civils. Il est difficile de trouver
11 des gens qui croient aux réfutations des dirigeants des Serbes de Bosnie.
12 Les obus ont atterri près des civils pendant toute la journée. Les forces
13 du gouvernement musulman se battent sur tous les fronts autour de Sarajevo.
14 Ils déclarent qu'ils ont réussi à récupérer du terrain du côté du nord de
15 la ville. Tout allait bien jusque dans la soirée. Mais comme d'habitude, il
16 y a eu de nombreuses victimes.
17 Jeremy Bowen, BBC News."
18 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
19 Mme EDGERTON : [interprétation] Je vous remercie.
20 Q. Monsieur Bowen, tout d'abord, nous avons ce film sur le pilonnage des
21 obsèques, s'agit-il bien de ce dont vous parlez au paragraphe 37 de votre
22 déclaration écrite ?
23 R. Oui, tout à fait.
24 Q. Avez-vous des commentaires supplémentaires à ajouter à propos de la
25 séquence que nous venons de voir ?
26 R. Oui, j'aimerais donner un petit peu des éléments de contexte. A ce
27 moment-là, j'étais quand même assez chevronné, et presque 20 ans plus tard,
28 sachez que je suis très chevronné. J'ai l'habitude des conflits et j'ai vu
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1 énormément de choses épouvantables. Mais chaque fois que je revois cette
2 séquence, je trouve que c'est une séquence épouvantable, c'est une
3 véritable torture, c'était un jour épouvantable pour ces gens-là.
4 Pourquoi suis-je certain -- pourquoi est-ce que je pense que c'était les
5 Serbes qui les avaient tirés à cette occasion ? Il y a plusieurs raisons.
6 Tout d'abord -- ça avait déjà arrivé de toute façon, donc on m'avait déjà
7 dit -- et c'est arrivé ensuite par la suite, ça a été vérifié aussi par
8 différentes personnes au sein des Nations Unies, et il y avait même des
9 militaires qui ont déclaré qu'ils savaient exactement d'où venaient les
10 tirs, d'où venaient ces obus. Puisque le cimetière était un endroit assez
11 ouvert, tout le monde savait où il était de plus, évidemment. Par la suite,
12 des gens ont déclaré que ça avait été mis en scène, que c'était les
13 Musulmans qui se tiraient dessus, en fait, parce qu'ils savaient très bien
14 qu'il y aurait des médias qui pourraient capturer toutes ces images. Moi,
15 je n'y crois pas une seconde. Tout d'abord, les pilonnages ont commencé
16 avant notre arrivée sur place. Une chose qui m'a traversé l'esprit
17 d'ailleurs à ce moment-là lorsque les fossoyeurs m'ont dit qu'il y avait
18 déjà eu des pilonnages, puisque nous, on obtenait beaucoup d'informations
19 de la part des fossoyeurs qui étaient là sur place tout le temps quand
20 même, ce qui a traversé mon esprit, c'est dommage qu'on ait raté les tirs
21 et j'ai presque pensé ça. Or, les obus ont recommencé et il y a un obus
22 d'ailleurs qui est tombé à quelques mètres de la mère et de la grand-mère,
23 et fort heureusement personne n'a été tué à ce moment-là.
24 Mais j'ai trouvé que c'était vraiment une torture épouvantable de ces gens.
25 Terroriser des enfants aussi, c'était épouvantable. Comme je l'ai déjà dit,
26 les fossoyeurs nous ont dit que c'était arrivé à de nombreuses reprises. On
27 le voyait d'ailleurs dans le cimetière, les tombes de guerre étaient très
28 sommaires avec uniquement des croix en bois ou des pierres tombales qui
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1 étaient en bois, mais les tombes anciennes étaient des tombes en pierre, et
2 là on voyait bien qu'il y avait énormément d'éclats d'obus qui les avaient
3 endommagées. Donc ce n'était pas arrivé le jour uniquement où on était là,
4 ça arrivait souvent.
5 Donc même mort on n'était pas en sûreté, si je puis dire. On pouvait
6 encore se faire tirer dessus alors qu'on était déjà mort. Donc c'était
7 vraiment une cible habituelle, utilisée même lorsqu'il n'y avait de médias
8 dans le coin, donc je ne crois pas une seconde que tout ceci avait été mis
9 en scène uniquement pour les médias occidentaux. Non, ça faisait juste
10 partie du quotidien de ces gens. Je ne sais même pas si les gens de l'autre
11 côté savaient qu'il y avait ces obsèques-là ce jour-là puisque nous avons
12 dû vraiment rechercher les heures de cet enterrement, à quel moment
13 l'enterrement allait avoir lieu, on a déjà envoyé des gens au cimetière
14 parler aux fossoyeurs, et cetera, pour savoir quand l'enterrement aurait
15 lieu parce qu'on voulait être là.
16 Donc c'est vrai que je suis peut-être un reporter chevronné, que j'ai
17 vu beaucoup de choses épouvantables, mais encore une fois, chaque fois que
18 je vois ces images, je continue à être vraiment très en colère lorsque je
19 vois cela. Et je maintiens mes propos à propos de ce reportage, je
20 considère que c'est un reportage tout à fait honnête.
21 Mme EDGERTON : [interprétation] Pourrions-nous, s'il vous plaît, verser au
22 dossier ces deux séquences, les pièces 40349J et 40349R au dossier. Donc un
23 passage très court de la pièce 40349R a déjà été versé au dossier sous la
24 cote P1933.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Si c'est le cas, je pense que nous
26 pourrions peut-être réutiliser cette cote et l'étendre à la totalité des
27 clips ? Je vais demander au greffier quelle est la pratique habituelle.
28 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Non, nous allons admettre ces pièces de
2 façon séparée avec une cote bien précise.
3 M. LE GREFFIER : [interprétation] Oui. Ce seront les cotes P2077 et P2078
4 respectivement.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
6 Mme EDGERTON : [interprétation]
7 Q. Passons à autre chose, passons à une autre partie de votre déposition
8 écrite. Vous dites qu'en août 1992 vous vous êtes rendu aux enclaves
9 orientales, vous êtes allé à Gorazde. Paragraphe 53 de votre déclaration
10 écrite. Vous dites aussi que vous avez essayé de vous rendre à Cerska en
11 février 1993. Paragraphes 62 à 67. Et vous avez aussi couvert les
12 événements de Srebrenica en 1995. Commençons par Gorazde, donc paragraphes
13 53 à 61 de votre déclaration écrite, vous y êtes allé à l'été 1992.
14 Tout d'abord, pourquoi vous êtes-vous rendu sur place ?
15 R. J'avais de bons contacts avec le HCR. Leur coordinateur principal, M.
16 Hollingworth a dit qu'il allait essayer d'aller à Gorazde. Il nous a
17 demandé si nous voulions venir avec lui, et une des raisons pour sa demande
18 c'est que nous étions un des seuls médias qui ait un blindé, un Land Rover
19 blindé à sa disposition, parce que la route risquait d'être dangereuse.
20 Moi, je voulais y aller parce qu'il s'agit quand même d'une ville
21 importante qui avait été isolée depuis le début de la guerre. C'est-à-dire
22 que personne de l'extérieur n'avait réussi à atteindre Gorazde depuis le
23 début du conflit, donc on parle d'une période de plusieurs mois qui va
24 depuis le printemps jusqu'à la fin de l'été. Je voulais savoir quelle était
25 la situation dans laquelle vivait la population, puisque la partie serbe
26 avait donné quelques garanties au HCR en disant qu'on aurait droit de
27 passer. Donc je voulais savoir ce que j'allais voir. Je pensais que ça
28 allait être du bon matériel permettant de faire un reportage intéressant.
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1 Q. A Gorazde, avez-vous parlé de la situation humanitaire là-bas ?
2 R. Oui. Mais la visite a été très courte puisqu'on y a passé une journée.
3 On y est rentré et sorti immédiatement, pratiquement immédiatement. Disons
4 qu'on est rentré dans la ville au matin, mais c'était vers 9 heures, 10
5 heures du matin, peut-être 11 heures parce qu'il faisait plein jour, et on
6 est reparti en fin d'après-midi. Donc on n'y ait pas passé beaucoup de
7 temps. Disons qu'on y a passé trois ou quatre heures, pas plus. Mais j'ai
8 bel et bien vu la situation dans laquelle vivaient les gens.
9 Lorsqu'on est entré dans Gorazde, les gens -- les rues étaient totalement
10 désertes. Le HCR avait négocié un cessez-le-feu local, mais il y avait eu
11 des pilonnages, en approchant de la ville on entendait encore les
12 pilonnages.
13 Donc que s'est-il passé, je viens de me souvenir. On a pris la grand-route,
14 on est rentré par la grand-route. Les gens ont commencé à sortir de leurs
15 maisons. On était en plein été, mais pourtant ils étaient encore très
16 blancs. Ils n'avaient pas bronzé. Ils avaient été pilonnés depuis le début
17 en fait, ils avaient l'air totalement désespérés.
18 Donc lorsqu'ils se sont rendu compte que les troupes des Nations Unies, les
19 Français et les Ukrainiens étaient arrivés, là ils étaient plus gais tout
20 d'un coup, très émus, certes. Mais les gens étaient contents de voir l'aide
21 humanitaire. Ils pensaient que les personnels des Nations Unies allaient
22 rester. Ils nous ont amené à boire. C'était un peu comme les images que
23 l'on voit de la libération en Normandie en France lorsque les Américains
24 arrivent avec les soldats qui jettent des paquets de cigarettes, les gens
25 qui viennent avec des boissons et qui les donnaient aux soldats. Enfin
26 c'était un peu ça qui se passait.
27 Donc on a déchargé les vivres qu'on avait apportés, il y avait un
28 bâtiment qui était utilisé comme un hôpital au centre de la ville, nous
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1 nous y sommes rendus avec mon caméraman, et là j'ai vu, je dois dire, les
2 scènes pratiquement les plus horribles que j'avais vues jusqu'à présent et
3 d'ailleurs je n'ai pas encore vues. Par exemple, le pire c'était un enfant,
4 un petit garçon ou une petite fille - je ne sais plus si c'était un petit
5 garçon ou une petite fille, je ne sais plus - à qui on enlevait des éclats
6 d'obus, et ce, sans anesthésie, à vif. C'était atroce, c'était
7 épouvantable. Evidemment l'enfant hurlait de douleur. J'ai interviewé le
8 docteur après, il avait donc sa blouse blanche, il était très pâle, et
9 voyait son cœur qui battait, on le voyait. Son cœur battait tellement fort
10 que ça se voyait sur sa blouse parce qu'il me dit : J'ai l'impression
11 d'être un boucher, je travaille comme un boucher. Enlever ces fragments
12 d'obus à vif sur ce petit bébé qui a moins de 2 ans, 18 mois peut-être.
13 C'était atroce, atroce.
14 Mme EDGERTON : [interprétation] Une minute.
15 J'aimerais maintenant que l'on visionne votre reportage sur Gorazde
16 et j'aurai quelques questions à vous poser à ce propos, il s'agit de la
17 pièce 65 ter 45372B.
18 [Diffusion de la cassette vidéo]
19 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
20 "Le journaliste : C'est la troisième tentative des Nations Unies pour
21 atteindre Gorazde. La dernière fois, ils sont tombés dans une embuscade,
22 donc ils s'attendent au pire.
23 L'intervenant : En fait, si on est pilonné, on va avancer, on va
24 avancer le plus vite possible et on va essayer de s'abriter, et c'est comme
25 ça qu'on va fonctionner.
26 Le journaliste : Nous sommes arrivés à Gorazde sains et saufs, en nous
27 déplaçant avec prudence dans la banlieue incendiée et vide autour de la
28 ville. A à peu près 500 mètres de la dernière position serbe, le blindé de
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1 tête est arrivé à passer et a mis un terme à un siège qui durait depuis 146
2 jours. Les Nations Unies ont essayé d'avertir les gens qu'il y avait un
3 convoi en route. Car ils avaient peur que les défendeurs de Gorazde leur
4 tirent dessus. Mais en fait nous avons été accueillis avec émotion. La
5 plupart des gens ne pouvaient pas faire grand-chose de plus que de pleurer.
6 L'intervenant : Voyez, voyez, je ne peux pas parler.
7 Le journaliste : Depuis que la guerre a commencé, les gens ici ont été
8 totalement isolés du monde extérieur, mais ils voulaient nous montrer que
9 malgré tout cela ils restent humains, ils essaient encore d'avoir leur
10 propre dignité. Ça a été très difficile. Ils disent que les pilonnages ont
11 eu lieu tous les jours. Jusqu'à ce qu'ils voient les soldats des Nations
12 Unies, la plupart d'entre eux avaient eu tellement peur qu'ils n'étaient
13 jamais sortis de leurs maisons. Depuis que nous sommes arrivés à Gorazde,
14 les gens ont commencé à sortir des caves, à sortir de leurs abris.
15 L'arrivée du convoi des Nations Unies est la première bonne nouvelle qu'ils
16 ont eue depuis le début du siège. Les Serbes autour de Gorazde ont convenu
17 d'arrêter le pilonnage pour laisser passer le convoi, mais il y a quand
18 même des blessés qui arrivent à cause des combats terrestres qui ont lieu
19 aux alentours de la ville.
20 A l'hôpital, il y a de plus en plus de victimes de guerre. Il s'agit
21 de civils la plupart du temps qui ont été atteints juste avant que le
22 cessez-le-feu ne commence. Ce garçon de 15 ans a été frappé par un
23 shrapnel. Ici ils essaient de sauver la petite Ana Djebo, une petite fille
24 de 3 ans qui des blessures épouvantables, mais les médecins n'ont pas
25 d'anesthésie. Ils utilisent l'alcool pour nettoyer la blessure et un peu de
26 morphine pour essayer de soulager la douleur. Mais ça ne suffit pas.
27 L'infirmière doit donc tenir Ana pendant que les médecins l'opèrent. Ils
28 utilisent la lumière qui vient de la caméra parce qu'ils n'ont pas assez de
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1 lumière.
2 Si Ana survit, il faudra lui dire que ses parents sont morts puisque
3 ses parents ont été tués par le mortier qui l'a blessée. Le médecin d'Ana a
4 beaucoup de mal. Il transpire énormément, pas parce qu'il fait chaud, mais
5 parce que c'est trop épouvantable de devoir opérer dans ces conditions.
6 Dans le lit d'à côté, il y a un homme à qui on enlève des fragments d'obus
7 de son épaule, et ce, sans anesthésie. Les familles sont là et ne peuvent
8 rien faire d'autre que de regarder. Les médecins ont dit qu'ils ont fait
9 des centaines d'opérations de la sorte. Il n'y a pas beaucoup
10 d'anesthésiants et on les réserve aux amputations. Donc les patients
11 restent conscients pendant toute l'opération. On ne peut pas transfuser de
12 sang aux amputés, on ne peut pas leur donner les soins dont ils ont besoin.
13 La plupart d'entre eux donc meurent. Dans la ville, on décharge les vivres
14 et les médicaments. Mais ces vivres et ces médicaments ne dureront pas
15 longtemps. Les travailleurs doivent décharger les choses le plus rapidement
16 possible au cas où ils seraient attaqués. Si ce cessez-le-feu tient, la
17 mission aura été un succès. Mais la mission a commencé à mal se passer
18 lorsque nous sommes rentrés à Sarajevo. Des mines ont été découvertes dans
19 un endroit dans la forêt qui aurait été parfait pour y tendre une
20 embuscade, et le convoi a dû s'arrêter.
21 L'intervenant : Oui, c'est dangereux ici. Si je voulais garer la voiture,
22 je ne le ferai certainement pas ici.
23 Le journaliste : Les sapeurs français ont déblayé la route. Ils ont atteint
24 le convoi après qu'il ait été abandonné pendant une nuit et un jour. Les
25 Nations Unies doivent prendre les démineurs avec eux et peut-être aussi
26 plus de blindés s'ils veulent atteindre à nouveau Gorazde. Personne ne sait
27 qui a posé les mines, mais c'était visiblement pour tuer du personnel des
28 Nations Unies. On a fait exploser les mines sans que personne ne soit
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1 blessé. Il y a eu des combats environ une heure et demie et les choses
2 auraient pu tourner plus mal. Plus tard, les Serbes ont dit que les troupes
3 des Nations Unies sont passées juste pendant une attaque surprise des
4 Musulmans qui avaient utilisé le convoi pour se couvrir, comme abri. Donc
5 ça a été leur pire revers du style depuis le début du siège. Ils ont montré
6 les corps de huit combattants serbes morts. Ils ne laisseront sans doute
7 pas passer d'autres convois bien que les gens de Gorazde aient besoin
8 d'aide humanitaire. Mais ce dont ils ont vraiment besoin c'est de paix, et
9 cela ils n'en auront pas. Les pilonnages ont recommencé juste après notre
10 départ.
11 Jeremy Bowen, BBC News, Gorazde."
12 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
13 Mme EDGERTON : [interprétation] Je vous remercie.
14 Q. Monsieur Bowen, dans ce reportage, vous dites qu'à votre connaissance
15 c'était la troisième fois que les Nations Unies essayaient d'atteindre
16 Gorazde, la troisième tentative, et vous avez parlé d'un siège qui aurait
17 duré 146 jours, vous avez aussi parlé des Serbes qui se trouvaient autour
18 de Gorazde et qui à ce moment-là avaient accepté de laisser passer le
19 convoi. Donc avez-vous vu la même situation plus tard dans la guerre en ce
20 qui concerne les enclaves orientales ?
21 R. Oui, oui, bien sûr, mais j'ai une chose à ajouter avant de répondre.
22 J'ai dit que nous sommes rentrés à Gorazde pendant la matinée. Mais je
23 pense que nous ne sommes pas rentrés aux petites heures du matin, nous
24 sommes rentrés plutôt en fin de matinée. Je voulais être précis.
25 Oui, ce schéma par lequel on entourait les enclaves, on les encerclait, on
26 les assiégeait, ceci a été répété jusqu'à la fin de la guerre. Les
27 défenseurs de Gorazde sont devenus plus organisés, bien sûr, avec le temps,
28 et les Serbes n'ont jamais réussi à capturer Gorazde, et cela m'a été
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1 confirmé d'ailleurs par les soldats des Nations Unies qui se trouvaient sur
2 place, des gens des forces spéciales qui m'ont dit qu'il y avait eu des
3 combats extrêmement violents auxquels ils ont assisté, je pense qu'il y a
4 énormément de documents qui portent là-dessus maintenant. Mais Gorazde
5 était bien organisée, ils ont réussi à tenir jusqu'au bout. Srebrenica
6 c'est autre chose, ça a été une autre chose en 1995, mais donc il y avait
7 toujours ce schéma qui est toujours le même, c'est-à-dire on encercle, on
8 exerce une pression militaire, on essaie de rentrer en force pour capturer
9 le territoire et pour percer au travers des enclaves qui avaient été
10 déclarées des zones protégées des Nations Unies. Ça, c'est vraiment un
11 schéma qui s'est répétée en ce qui concernait les enclaves pendant toute la
12 guerre.
13 Q. Donc vous avez parlé aussi du fait que vous aviez essayé de rentrer
14 dans Cerska en février 1993. La situation était-elle identique en ce qui
15 concerne Cerska ?
16 R. Nous savions qu'il y avait une enclave à Cerska. Nous savions qu'ils
17 n'avaient pas reçu grand-chose en ce qui concerne l'aide humanitaire. Le
18 HCR et Larry Hollingworth, le type que l'on voit avec la barbe blanche dans
19 le reportage précédent, voulaient atteindre Cerska, comme ils avaient déjà
20 atteint Gorazde. C'était l'hiver, il faisait extrêmement froid, ils n'ont
21 pas réussi à faire passer le convoi, alors qu'il m'avait pourtant dit, On a
22 tous les papiers, on a les autorisations, on a eu des promesses, qu'il
23 convient et tout, on devrait y arriver. Et nous étions escortés par, la
24 Légion étrangère française à cette époque-là, mais on est restés coincés à
25 Zvornik pendant deux nuits, voire trois nuits. Je ne sais plus très bien si
26 c'est deux ou trois.
27 Et de façon très ironique, on s'est rendus compte à ce moment-là que
28 Cerska est tombée aux mains des forces serbes, et c'est les forces serbes
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1 qui nous ont emmenés voir les conséquences de tout ça. Ils nous ont dit,
2 par exemple, qu'ils avaient déterré des corps qui étaient, en fait, des
3 corps de Serbes morts. Ils nous ont montré aussi des pièces de métal et ont
4 dit que les Serbes avaient été enchaînés à ces pièces de métal. Moi,
5 j'avais l'impression que c'était un grillage et rien d'autre, ou un poteau
6 de grillage, mais enfin bon. Donc on était assez sceptiques. Mais l'ironie,
7 en fait, c'est que le HCR voulait rentrer dans l'enclave et n'a pu rentrer
8 dans l'enclave que quand celle-ci est tombée aux mains des Serbes et des
9 militaires.
10 Q. Parlons de la chute de Cerska. Savez-vous ce qui est arrivé en fin de
11 compte à la population civile qui habitait dans Cerska ? Que leur est-il
12 arrivé ?
13 R. Je ne suis pas très au courant. Je ne le sais pas dans les détails. Je
14 pense que ceux qui ont réussi à survivre ont dû quitter la région.
15 Mme EDGERTON : [interprétation] Je vais maintenant vous montrer une autre
16 vidéo, la pièce 65 ter 40349T, qui, si je ne m'abuse, remonte au mois
17 d'avril 1993. J'aurai quelques questions à vous poser ensuite.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous souhaitez verser au dossier la
19 pièce précédente ?
20 Mme EDGERTON : [interprétation] J'allais le faire tout ensemble. Mais oui,
21 Monsieur le Président, effectivement. 45372B.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Cela deviendra la pièce P2079.
23 [Diffusion de la cassette vidéo]
24 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
25 "Le journaliste : Toute tentative d'évacuation des civils de Srebrenica
26 jusqu'à présent s'est terminée dans le chaos. Des gens désespérés se sont
27 précipités vers les camions des Nations Unies. Les plus faibles ont été
28 tués dans la mêlée. Mais le HCR semble penser qu'il y a une meilleure
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1 méthode. Le HCR a dit qu'il avait 60 camions qui attendaient, le plan étant
2 d'en amener 20 dans la ville chaque jour, en partie chargés de nourriture.
3 Lorsqu'ils repartiront, ils évacueront entre 1 000 et 1 500 personnes. Le
4 HCR espère pouvoir sauver quelque 15 000 personnes, un peu moins que la
5 moitié de la population de la ville. Le HCR nie le fait qu'ils sont en
6 train d'aider la politique serbe de nettoyage ethnique.
7 L'intervenant : Les gens que nous évacuons de Srebrenica ont déjà fait
8 l'objet de nettoyage ethnique parce qu'ils viennent de zones qui sont
9 tombées sous le contrôle serbe. Ce ne sont pas des gens de Srebrenica. Ce
10 sont des réfugiés qui sont arrivés…
11 Le journaliste : Des villages alentour…
12 L'intervenant : Des villages et aussi de Konjevic Polje, des zones qui sont
13 tombées sous le contrôle serbe il y a 15 jours.
14 Le journaliste : Les Serbes, qui entourent Srebrenica et qui contrôlent les
15 entrées et venues, semblent accélérer leurs offensives dans la zone. Les
16 travailleurs internationaux pensent que la chute de la ville n'est qu'une
17 question de temps et que la population civile doit absolument être évacuée
18 avant que cela ne se passe. Les 48 heures suivantes, d'après le HCR, seront
19 absolument cruciales."
20 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
21 Mme EDGERTON : [interprétation]
22 Q. Est-ce que vous reconnaissez ce reportage, Monsieur Bowen ?
23 R. Oui, absolument.
24 Q. Est-ce que cela vous permet de mieux vous souvenir du sort de la
25 population civile de Cerska ?
26 R. Oui, oui, parce que vous avez la déclaration du responsable des Nations
27 Unies, la personne qui avait cette chemise, cette cravate et cette veste
28 élégante, qui avait dit qu'il y en avait beaucoup qui étaient allés à
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1 Srebrenica, qui étaient passés par les champs et par les collines, et qui
2 sont arrivés ainsi.
3 Q. Est-ce que vous savez -- il y a ce film avec les civils qui arrivent
4 dans des camions; d'où il vient ?
5 R. Nous l'avons reçu d'une agence. Je ne me souviens plus de son origine
6 précise. Moi, je n'étais pas moi-même à Srebrenica, donc je dois dire que
7 je n'ai pas participé au film fait sur Srebrenica. Il était très difficile
8 d'arriver dans Srebrenica. Je pense qu'il n'y a qu'un journaliste qui a
9 réussi à le faire pendant la guerre, un seul. Mais je dirais que pendant
10 cette période, il y avait quand même pas mal d'entrées, d'allées et de
11 venues avec le HCR. Il y a des photos qui ont été faites, comme vous l'avez
12 vu, et ce qui est important de savoir, c'est qu'à Srebrenica, il y avait
13 une grosse population. Il y avait environ 30 000 civils.
14 Mme EDGERTON : [interprétation] Est-ce que cela pourrait être la prochaine
15 pièce de l'Accusation, 40349T ?
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
17 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce P2080, Monsieur le
18 Président.
19 Mme EDGERTON : [interprétation]
20 Q. Monsieur Bowen, j'aimerais maintenant vous dire que dans votre
21 déclaration écrite vous faites référence à la chute de l'enclave de
22 Srebrenica en 1995, bien que vous ayez présenté votre reportage depuis
23 Sarajevo. J'aimerais maintenant vous -- il s'agit du paragraphe 68 de votre
24 déclaration écrite. Et j'aimerais maintenant vous diffuser certains de ces
25 reportages, le premier qui sera le document de la liste 65 ter 45372C.
26 [Diffusion de la cassette vidéo]
27 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
28 "Le journaliste : Les forces de maintien de la paix néerlandaises, qui, de
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1 fait, sont des prisonniers, n'ont pu que regarder les soldats serbes de
2 Bosnie, ce qu'ils faisaient pour les caméras, et qui distribuaient du
3 chocolat. Le général Ratko Mladic, commandant en chef de l'armée serbe de
4 Bosnie, s'est adressé à la foule. N'ayez pas peur, leur a-t-il dit, les bus
5 vont vous emmener sur le territoire musulman, d'abord les femmes et les
6 enfants. Personne ne va vous faire de mal. Une foule de femmes et d'hommes
7 âgés l'ont remercié, alors qu'il se déplaçait. Aujourd'hui, il s'agit de
8 nettoyage ethnique. Quelque 30 000 personnes, quasiment toutes musulmanes,
9 sont prises au piège dans l'enclave. Ce soir, les photos ne montrent aucun
10 homme musulman en âge de porter les armes. Les Nations Unies disent que
11 tous les hommes ayant plus de 16 ans sont en train d'être interrogés,
12 soupçonnés d'être criminels de guerre. Des actions ont été organisées
13 contre les terroristes musulmans et continuent. C'est ce que Radovan
14 Karadzic a indiqué. Les menaces de la communauté internationale n'ont aucun
15 sens pour nous. Si l'OTAN attaque, nous devons nous défendre. Il dit que si
16 les Musulmans à Zepa et Gorazde et autres lieux sûrs en Bosnie orientale,
17 il ne faut pas qu'ils abandonnent leurs armes, les Serbes doivent attaquer.
18 Pour ce qui est des autres qui quittent Srebrenica, il a indiqué, en fait,
19 que personne n'était absolument forcé de partir. Radovan Karadzic, le chef
20 des Serbes de Bosnie, était dans le studio. Et comme il le dit, c'est le
21 dernier des exemples de la supériorité du peuple serbe. Il dit que les
22 menaces de la communauté internationale ne veulent rien dire pour eux. Il
23 faut qu'on se défende, et qu'à Sarajevo et à Srebrenica, ils doivent
24 quitter les lieux. Et s'agissant des gens qui ont quitté Srebrenica, il a
25 déclaré que personne ne les obligeait à partir."
26 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
27 Mme EDGERTON : [interprétation]
28 Q. Alors, est-ce que vous le reconnaissez, Monsieur Bowen ?
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1 R. Oui, c'est un reportage. Nous avons perdu une partie du son. C'était un
2 reportage de Pale, et c'est des images qui nous ont été véhiculées par la
3 télévision de Pale. J'étais à Sarajevo lorsque Srebrenica est tombée et,
4 techniquement parlant, nous avons pu suivre les rediffusions de la
5 télévision de Pale et suivre la façon dont ils ont diffusé. Nous l'avons
6 fait d'ailleurs. Et comme je l'ai déjà indiqué, cela explique l'origine des
7 prises de vue qu'on vient de voir. Ça se trouve au début du clip qu'on a
8 vu.
9 Q. Vous nous avez dit que sur les images ici on ne voyait de jeunes
10 hommes. Est-ce que vous y attribuez une importance quelconque ?
11 R. Bien sûr que j'y attribue de l'importance, parce que cela voulait dire
12 qu'on les avait emmenés quelque part, soit en tant que prisonniers de
13 guerre ou ils ont fait l'objet d'une procédure autre. Mais ils ont laissé
14 entendre que ces gens ont été interrogés. J'ai demandé à essayer de trouver
15 des traces qui indiqueraient ce que je supposais. Sur ces images, on ne
16 pouvait pas voir d'hommes en âge de combattre, donc j'ai considéré que cela
17 était suffisamment important pour être mentionné dans mon rapport.
18 Q. Merci.
19 Mme EDGERTON : [interprétation] Je voudrais qu'on nous passe maintenant la
20 pièce suivante, 45372E.
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que vous pouvez nous donner la
22 date de ce rapport, Monsieur Bowen ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Eh bien, je ne peux pas vous donner cette date
24 exacte. Je crois que c'était en juillet 1995. En été 1995. Je ne me
25 souviens pas de la date de la chute de l'enclave de Srebrenica, mais ce
26 reportage a dû être fait quelques jours après la chute proprement dite,
27 parce qu'il a fallu une journée ou deux pour que les images soient
28 envoyées.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Donc je suis plutôt sûr que cela doit être une
3 date dans le mois de juillet 1995.
4 [Diffusion de la cassette vidéo]
5 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
6 "Le journaliste : Deux mille cinq cents réfugiés se trouvent être
7 rassemblés à l'aéroport de Tuzla. Ils sont déshydratés et épuisés. Les
8 Nations Unies n'ont plus de place pour eux et ne peuvent leur proposer
9 qu'une assistance de base. Ce qui nous préoccupe toutefois, c'est que dans
10 les journées à venir, il va falloir trouver des aliments et abris pour
11 quelque 40 000 autres, une fois que les Serbes auront complété leur
12 nettoyage ethnique dans ce qu'ils ont considéré devoir constituer une zone
13 sûre de Srebrenica. Ce sont tous pratiquement des femmes et des enfants.
14 Leurs maris, frères et pères sont laissés derrière, et ce, pour être
15 interrogés en tant que suspects de crimes de guerre."
16 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
17 Mme EDGERTON : [interprétation]
18 Q. Est-ce que vous reconnaissez ce reportage ?
19 R. Oui. Je n'en suis pas tout à fait certain, mais il me semble que cela
20 date de l'époque où nous avons été à Tuzla pour essayer de voir ces
21 réfugiés.
22 Mme EDGERTON : [interprétation] Je voudrais que ce soit versé au dossier.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
24 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce seront les pièces P2081 et P2082.
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, Monsieur Karadzic.
26 L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce que nous allons verser au dossier des
27 vidéos faites par d'autres à des endroits où M. Bowen n'était pas présent,
28 mais là on a des interprétations de ce qu'il a vu ou ce qu'il nous a
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1 montré. Ce que je voudrais savoir, donc, c'est l'identité de ceux qui ont
2 pris ces vues. Est-ce que nous sommes en train de verser au dossier des
3 interprétations faites par M. Bowen ou des vidéos faites par lui-même ?
4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne vous ai pas très bien suivi,
5 Monsieur Karadzic.
6 Vous ne contestez pas le fait que ce soit là des reportages faits par
7 M. Bowen, mais vous voulez savoir qui est-ce qui a pris ces vues; vous ai-
8 je bien compris ?
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai cru comprendre que M. Bowen était en train
10 de nous dire qu'il avait obtenu des vues de la part d'autres agences et il
11 les a agrémentées de commentaires à lui pour les envoyer à des fins de
12 diffusion. Donc je voudrais que Mme le Procureur tire la chose au clair
13 afin que je n'aie pas à dépenser sur mon temps là-dessus. Et ensuite, je
14 vais avoir éventuellement des observations ou objections à formuler pour ce
15 qui est de leur versement au dossier.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Edgerton.
17 Mme EDGERTON : [interprétation] Je n'ai pas, en réalité, parfaitement bien
18 compris, Monsieur le Président. Parce que lorsqu'il s'agit du premier clip,
19 le P2081, M. Bowen a dit clairement qu'ils ont repris des vues prises par
20 la télévision de Pale. Pour le deuxième clip, M. Bowen a dit qu'ils étaient
21 allés à Tuzla et que c'était un film qu'ils avaient tourné eux-mêmes.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, c'est ce que j'ai cru comprendre.
23 Est-ce que vous pouvez ajouter autre chose, Monsieur Bowen ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je crois me souvenir que nous avons été
25 dans ce tunnel qu'on a pu voir sur les images et que des gens étaient en
26 train de passer par ce tunnel. Et nous sommes allés à Tuzla parce que nous
27 avions considéré importante la possibilité d'obtenir des témoignages de
28 première main de gens qui étaient venus de Srebrenica, parce que, vous
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1 savez, géographiquement parlant, il n'y a pas une distance très grande
2 entre Srebrenica et Tuzla. Les gens ont parcouru cette distance à pied.
3 Alors, pour ce qui est de l'origine de ces images, j'ai considéré que les
4 choses étaient tout à fait claires pour ce qui est de l'origine de ces
5 prises de vues. Comme j'ai déjà dit, le matériel en provenance de la
6 télévision des Serbes de Bosnie, nous l'avions enregistré directement pour
7 rebalancer vers nos bureaux de télévision à Sarajevo.
8 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Monsieur Bowen.
9 Alors, je ne vois pas où est le problème pour ce qui est d'un versement au
10 dossier de ces images. Est-ce que vous avez d'autres questions à évoquer,
11 Monsieur Karadzic ?
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il y a des vues de 1993 qui ont été reprises
13 auprès d'une autre agence. J'aimerais savoir véritablement à quoi M. Bowen
14 a assisté, quels sont ses documents, et non pas quels sont les commentaires
15 qu'il a faits sur des vues prises par autrui.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] C'est un point que vous devrez explorer
17 à l'occasion de votre contre-interrogatoire.
18 Madame Edgerton, veuillez continuer.
19 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
20 Q. Monsieur Bowen, suite à vos reportages relatifs à la chute de
21 Srebrenica, auriez-vous fourni des reportages au-delà de celui-ci pour ce
22 qui est des enclaves situées à l'est ?
23 R. Il me semble avoir fait aussi un reportage au sujet de Zepa. Enfin,
24 vous savez, l'obtention des informations se passait difficilement. Nous
25 n'avons pas eu la possibilité de voyager. Nous avions formulé deux demandes
26 auprès de la chancellerie des Serbes de Bosnie pour pouvoir nous déplacer
27 et fournir des rapports de première main, mais nous n'avons pas obtenu des
28 réponses positives. Les informations nous parvenaient de la part d'amateurs
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1 radio situés à Sarajevo. Nous avons également disposé de déclarations en
2 provenance du gouvernement de Sarajevo. Haris Silajdzic venait souvent à la
3 station de télévision, il s'entretenait avec nous, et à l'époque de
4 Srebrenica, il est venu à la télévision pour exprimer sa très grande
5 préoccupation au sujet de ce qui était en train de se produire. Et nous
6 obtenions également des informations de la part de la FORPRONU, parce que
7 là-bas il y avait des membres du Bataillon néerlandais des Nations Unies
8 qui nous communiquaient des informations. Je suis certain du fait que
9 certaines des informations nous avaient été véhiculées par des gens de la
10 FORPRONU situés à Sarajevo qui avaient exprimé la plus grande des
11 préoccupations au sujet de ce qui était en train de se produire là-bas.
12 Devant les caméras, ils n'ont peut-être pas parlé de façon si franche et
13 ouverte, mais au-delà des sections filmées, ils ont exprimé des
14 préoccupations très fortes par le fait de ne pas avoir pu protéger la
15 population de Srebrenica. Ils étaient très préoccupés également de ce qui
16 était en train de se passer au sujet des hommes qui étaient en âge de
17 combattre.
18 Mme EDGERTON : [interprétation] Vous avez dit, me semble-t-il, dans une
19 première phrase de ce 65 ter 45372, au sujet de ce que vous avez dit tout à
20 l'heure concernant Zepa. Alors, à cet effet, j'aimerais qu'on nous passe
21 cette vidéo.
22 [Diffusion de la cassette vidéo]
23 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
24 "Le journaliste : La prise de Zepa est le dernier des triomphes
25 militaires du général Mladic. Il y a quelques jours, la télévision des
26 Serbes de Bosnie a montré des images de ce qui était censé être des
27 négociations de reddition pour illustrer que les Serbes avaient pris
28 l'enclave. Les Nations Unies ont indiqué que cela a été fait à la date où
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1 le Tribunal de La Haye a accusé Radovan Karadzic, le leader des Serbes de
2 Bosnie, pour génocide et crimes de guerre. Ces deux hommes sont censés être
3 responsables d'atrocités commises à l'encontre de civils et pour ce qui est
4 de la prise d'otages parmi le personnel des Nations Unies. Mais
5 indépendamment de cela, les Nations Unies ont continué à négocier avec eux
6 aux fins de sauver les civils de Zepa.
7 L'intervenant : Nous allons obtenir une décision de la part des Nations
8 Unies à New York, j'en suis certain. Entre-temps, nous avons pris position
9 pour dire qu'il valait mieux continuer le dialogue plutôt que de les couper
10 du reste du monde.
11 Le journaliste : Haris Siladzic, le premier ministre de Bosnie, a demandé
12 aux gouvernements occidentaux d'en faire plus au sujet des crimes de
13 guerre.
14 Haris Silajdzic : Un génocide est en train de se produire en Bosnie-
15 Herzégovine. Le problème, c'est que les gouvernements occidentaux ne
16 veulent pas reconnaître ce fait et ne pas évoquer de génocide en
17 application des conventions de Genève, parce que cela impliquerait
18 certaines responsabilités, certaines obligations à leur égard eux aussi.
19 Le journaliste : Pour éviter la répétition de scènes de ce type, celles qui
20 ont suivi notamment la chute de Srebrenica pour ce qui est donc de protéger
21 les réfugiés de Zepa, les Nations Unies ont des éléments de preuve
22 documentés pour ce qui est des attaques contre les réfugiés de Srebrenica
23 par les soldats serbes, et cela va être véhiculé vers le Tribunal pénal
24 international.
25 L'intervenant : Un certain nombre de personnes interviewées nous dit
26 avoir vu entre six ou dix cadavres de personnes exécutées avec des gorges
27 coupées. Les gens qui ont été évacués dans des convois ont fait également
28 des déclarations au sujet des jeunes femmes qui ont été, par la force,
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1 emmenées par des soldats serbes.
2 Le journaliste : A Zenica, en Bosnie centrale, les Nations Unies sont
3 en train de prévoir des approvisionnements pour éviter une catastrophe
4 humanitaire. Ils espèrent être prêts pour ce qui semble être tout à fait
5 certain, à savoir un afflux énorme de réfugiés de Zepa. Et compte tenu de
6 la présence de troupes françaises au côté de Britanniques au mont Igman sur
7 la hauteur de Sarajevo, la sécurité se trouve être améliorée. Les Bosniens
8 s'attendent à ce que les soldats étrangers en fassent de même pour eux. Une
9 fois que Zepa est tombée, suivant des enclaves est celle de Bihac. Il est
10 probable que les Nations Unies trancheront sur ce qu'il conviendra de
11 faire, et c'est là que l'on verra un test de volonté des Nations Unies, au
12 sens véritable du terme.
13 Jeremy Bowen, BBC News, Sarajevo."
14 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
15 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
16 Q. Est-ce que vous reconnaissez ce rapport ?
17 R. Oui.
18 Q. S'agissant de ces reportages, rapports et autres que nous avons déjà eu
19 l'occasion de voir dans le courant de votre témoignage aujourd'hui, pouvez-
20 vous nous donner une idée des secteurs couverts pour ces diffusions de la
21 BBC ?
22 R. Eh bien, ça s'est passé avant qu'il y ait diffusion par satellite, tel
23 que cela est le cas fréquemment aujourd'hui. Notre public était pour
24 l'essentiel celui qui suivait les nouvelles de la BBC sur le plan national.
25 Je crois qu'en 1995, BBC World était à ses débuts. Je dois vérifier la
26 chose, ils en étaient en langes pour ce qui est de l'année 1995. On a pu
27 voir cela à des stations de télévision locales. Il est possible que des
28 stations de télévision aient pu reprendre des émissions par satellite pour
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1 pouvoir les rediffuser elles-mêmes, mais ça n'a pas pu être fait suivant un
2 mode régulier. Nos reportages et les reportages des autres postes de
3 télévision ont été enregistrés par différentes stations de télévision pour
4 des fins de rediffusions par la suite. Pendant l'année 1991, pendant la
5 guerre en Croatie, je me souviens d'avoir visiter Borovo Selo, où des
6 Serbes s'étaient battus contre des Croates qui les avaient encerclés. Ils
7 étaient très suspicieux à notre égard, parce qu'ils avaient vu ce que
8 j'avais filmé et ce qui avait été rediffusé par la télévision serbe. Ils ne
9 comprenaient pas l'anglais, mais ils n'ont pas aimé les images qui ont été
10 diffusées. Au bout de quelques jours, j'ai pu gagner leur confiance, une
11 fois qu'ils ont vu un reportage autre qui a été rediffusé et qui leur a
12 beaucoup plus plu. C'était le modèle qui était en place pendant toute la
13 guerre en Bosnie, parce qu'il y avait des reportages de la BBC, de la CNN,
14 et autres qui étaient rediffusés localement, ça et là, pas tous les soirs.
15 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
16 J'aimerais que cette pièce soit également versée au dossier, à savoir le 65
17 ter 45372F.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Monsieur Bowen, est-ce que vous
19 vous souvenez ou est-ce que vous reconnaissez l'endroit où M. Karadzic
20 était en train de prendre ce verre d'alcool ?
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'étais pas sur les lieux lorsque cela a
22 été filmé.
23 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que cela a été filmé par la
24 télévision serbe ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Nous avons repris ces images. On les a filmées
26 dans notre programme et on les a rajoutées aux reportages en provenance de
27 Srebrenica. Nous avions filmé leurs nouvelles tous les soirs, parce que
28 nous voulions nous procurer des images intéressantes. A 99,9 % je suis
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1 certain de la provenance à partir de cette source, parce que le Dr Karadzic
2 a souvent été filmé pour la télévision serbe de Bosnie. Ils avaient des
3 équipes de télévision qui le suivait à toutes sortes d'événements publics
4 de ce type, et c'est partant de là qu'on obtenait ce matériel filmé, parce
5 que nous n'avions pas accès au lieu où il se déplaçait et qui était
6 contrôlé par les Serbes de Bosnie.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
8 Ce sera versé au dossier cela deviendra la pièce P2083.
9 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
10 Dernier volet, Monsieur Bowen.
11 Dans votre déclaration écrite, paragraphes 70 et 71, vous faites référence
12 à des réunions avec les dirigeants des Serbes de Bosnie, et en particulier
13 une réunion avec le Dr Karadzic et le général Mladic à Genève. A cet effet,
14 je voudrais qu'on nous passe le 65 ter 40349U, s'il vous plaît.
15 [Diffusion de la cassette vidéo]
16 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
17 "Le journaliste : Ce soir, le leader des Musulmans, Alija Izetbegovic, a
18 montré sa fatigue après une première réunion avec les Serbes de Bosnie
19 depuis le début de la guerre. Il y en aura plus à dire demain.
20 Etes-vous encore optimiste ?
21 Alija Izetbegovic : Les négociations vont commencer demain. Peut-être. Je
22 me dois d'être optimiste.
23 Le journaliste : A un kilomètre d'ici, le leader des Serbes de Bosnie,
24 Radovan Karadzic, est en train de passer la soirée avec ses conseillers les
25 plus proches pour ce qui est de dresser une carte.
26 Radovan Karadzic : Ceci est un début, ce n'est pas une carte finale, il
27 nous faut corriger les choses…
28 Le journaliste : Ils sont en train de se pencher sur une carte de la
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1 Bosnie, de façon à la décentraliser. C'est considéré comme étant vital pour
2 ce qui est des négociations. Aucune des parties en présence ne l'a accepté.
3 M. Karadzic a dit que les Musulmans ne l'accepteraient jamais.
4 Radovan Karadzic : Ils sont en train d'espérer l'intervention militaire.
5 Ils espèrent que la communauté internationale viendra les aider à établir
6 un Etat islamique en plein milieu de l'Europe. C'est ce que M. Izetbegovic
7 est en train de penser.
8 Le journaliste : Le généralement Ratko Mladic, le commandant des militaires
9 serbes, a montré quels étaient les crimes commis par les Musulmans et les
10 Croates à l'égard de civils serbes. Il n'y a là ni bonne volonté ni
11 confiance."
12 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
13 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
14 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
15 Q. Monsieur Bowen, la vidéo qu'on vient de voir, est-ce que c'est une
16 vidéo de l'interview effectuée avec le Dr Karadzic à laquelle vous faites
17 référence aux paragraphes 70 et 71 de votre déclaration écrite ?
18 R. Oui, c'est le cas. J'ai arrangé une rencontre avec le Dr Karadzic et le
19 général Mladic dans une suite qu'ils avaient utilisée à l'hôtel
20 Intercontinental à Genève. Et cette brève scène filmée avec le président
21 Izetbegovic, ça a été filmé à l'hôtel Président de Genève, où se trouvait
22 installée sa délégation. C'est nous qui avons filmé ces vues aux deux
23 reprises.
24 Q. Une fois que vous avez vu les photos qui nous ont été montrées dans ce
25 reportage vidéo, est-ce que vous avez posé des questions ou fait des
26 commentaires auprès du Dr Karadzic ?
27 R. Oui. Il a montré des images de corps exhumés de fosses variées, qui
28 étaient plutôt en mauvais état, mais il est clair que la plupart de ces
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1 corps portaient des uniformes verts, avec de grosses bottes. Cela m'avait
2 l'air d'avoir été des soldats. Il m'a dit : Non, ce sont des fermiers
3 serbes qui portaient des vêtements verts et de grosses bottes. Il a affirmé
4 que c'était des civils. Il m'a donné une vidéo similaire sur enregistrement
5 VHS pour que je puisse l'emporter.
6 Q. Est-ce que vous avez prêté foi à ce qu'il vous a dit ?
7 R. Eh bien, il était clair que c'était des personnes mortes qu'on voyait.
8 J'ai considéré que c'était des hommes en âge de combattre, qu'ils étaient
9 vêtus de ce qui semblait avoir été des uniformes militaires, il m'avait été
10 difficile de croire que c'était des civils.
11 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
12 Je voudrais demander à ce que ce soit versé au dossier, comme pièce
13 de l'Accusation.
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui.
15 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce P2084, Monsieur le
16 Président.
17 Mme EDGERTON : [interprétation] Merci.
18 Ceci met un terme à mon interrogatoire au principal.
19 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Madame Edgerton.
20 Monsieur Karadzic, il est temps pour que vous procédiez au contre-
21 interrogatoire de ce témoin. Mais étant donné l'heure qu'il est, si vous le
22 souhaitez, nous pouvoir faire une pause maintenant.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Non, c'est bon pour moi.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Alors si c'est bon pour vous, on va
25 faire une pause.
26 Nous allons faire une pause pour une demi-heure, et nous allons reprendre à
27 12 heures 55.
28 --- L'audience est suspendue à 12 heures 22.
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1 --- L'audience est reprise à 13 heures 00.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] A vous, Monsieur Karadzic.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.
4 Bonjour à tous et à toutes.
5 Contre-interrogatoire par M. Karadzic :
6 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Bowen.
7 R. Bonjour.
8 Q. Je commencerai, si vous le voulez bien, par la toute dernière des
9 vidéos. Je suis reconnaissant à son Excellence M. le Juge Kwon de vous
10 avoir posé la question de cette rencontre que vous avez eue avec moi. A
11 quelles fins avez-vous mis ce clip-là dans votre reportage relatif à Zepa ?
12 R. Est-ce que vous êtes en train de vous référer, Monsieur, à la situation
13 où vous avez, sur le terrain, trinqué à la santé de ces gars ?
14 Q. Oui.
15 R. Nous avons utilisé ce clip parce que nous avons eu besoin de votre
16 image. Vous étiez dans un environnement rural, et je pense que de façon
17 visuelle, ça s'enchaînait bien sur ce que le général Mladic a fait
18 lorsqu'il a trinqué avec des gens avec qui il avait négocié. Je crois que
19 cela traduisait l'impression générale. Et je pense que cela a été, en même
20 temps, diffusé par la télévision de Pale.
21 Q. Est-ce que vous pensez que c'est équitable à l'égard de vos
22 spectateurs, et encore moins des Juges de la Chambre, de faire une
23 association d'idées entre deux événements qui se sont produits à un mois
24 d'écart et à des endroits très différents ? Parce que vous avez pu le
25 comprendre partant de ce qu'a diffusé la télévision de Pale. Ça, c'est le
26 début des moissons, début juillet. Je suis en train de féliciter les gens
27 pour le début des moissons, et vous avez diffusé cela à la mi-juillet pour
28 ce qui est des événements de Zepa. Je comprends que vous vouliez parvenir à
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1 un effet, mais ça, on parle d'éléments pénaux en matière de droit. Est-ce
2 que vous pensez que c'est équitable à l'égard de tout un chacun que de
3 monter les choses de la sorte ?
4 R. Oui, je pense que cela a été équitable. Je ne sais pas s'il s'est
5 écoulé un mois entre les deux clips vidéo. Je dois vous croire sur parole,
6 si vous le dites. Mais si vous voulez laisser entendre qu'il y avait
7 quelque chose de péjoratif à vous montrer en train de trinquer à la santé
8 des paysans, moi, je n'ai pas de problème à ce sujet. Je ne vois pas où est
9 la difficulté, et je ne pense pas que les spectateurs aient un problème
10 avec cela. Je crois que cela a été des images plus intéressantes en train
11 de vous montrer avec des paysans plutôt que de vous montrer à votre bureau
12 ou à la table de votre bureau. Et je ne pense pas que cela ait été
13 inéquitable à votre égard pour ce qui est des fonctions qui étaient les
14 vôtres à l'époque.
15 Q. Moi, je comprends votre souci pour vos spectateurs, vous voulez leur
16 faire plaisir. Mais vous laissez entendre que le fait de trinquer avait
17 quelque chose à avoir avec la prise de Zepa. Vous avez établi une
18 corrélation entre les deux. Est-ce que ceci se trouve être admissible et
19 être équitable ?
20 R. Je ne pense pas être allé trop loin entre les deux. Je ne pense pas
21 qu'il y a là un message politique. On voit quelqu'un en train de trinquer à
22 une occasion et à un endroit et quelqu'un d'autre à un autre endroit. Je ne
23 pense pas qu'il y ait eu volonté d'établir un lien. Je pense que vous
24 alliez féliciter le général Mladic de la façon dont il avait conduit les
25 négociations avec ces gens. Les images étaient claires. On vous a montré
26 avec des paysans, et on a dit que c'était au début de la moisson. Alors, je
27 n'ai pas eu cette impression partant des images ainsi diffusées. Je n'ai
28 pas du tout eu l'intention de générer ce type d'impression. Et j'espère que
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1 dans toutes les années où j'ai fait des reportages, j'ai été le plus
2 équitable possible, parce que je n'avais aucun intérêt à m'efforcer d'être
3 injuste à l'égard de quiconque.
4 Q. Merci. Etant donné que notre temps est limité pour les fins de ce
5 contre-interrogatoire, je m'efforcerais de poser des questions des plus
6 précises pour que vous puissiez répondre par des oui ou par des non, bien
7 entendu, lorsque vous le voudrez bien, afin que je n'aie pas à demander du
8 temps complémentaire pour mon contre-interrogatoire.
9 Alors, je voudrais commencer aussi par cet avenant à votre déclaration qui
10 se rapporte à ces coups de feu tirés en direction des enfants qui se
11 trouvaient à bord d'un autocar. Vous dites :
12 "Je ne puis que supposer qu'à l'époque j'aie été mal informé au sujet
13 du site de l'attaque."
14 Vous, vous n'étiez pas à bord de cet autocar, n'est-ce pas ?
15 R. A l'époque de l'attaque, non, je n'étais pas à bord de l'autocar. Et je
16 ne pense pas avoir laissé entendre chose pareille dans mon reportage. Je
17 n'ai pas pu être à bord de cet autocar, parce que l'attaque s'est produite
18 une fois que l'autocar a quitté le territoire contrôlé par les autorités
19 bosniennes.
20 Q. Je voudrais d'abord que nous nous penchions -- je veux bien croire que
21 vous avez pu être désinformé, parce que vous êtes d'accord avec moi pour
22 dire que pendant la guerre, il y a toutes sortes d'astuces, de trucs de
23 montés, de désinformation pour ternir l'image de la partie adverse; vous
24 êtes d'accord avec moi pour le dire, ça ?
25 R. Je pense que ce type de ruses sont utilisées en temps de guerre, oui.
26 Mais dans le cas particulier -- du moins, en ce qui me concerne, il n'y a
27 pas de contestation au sujet de ce qui s'est produit, c'est-à-dire le car
28 s'est fait tirer dessus une fois qu'il a quitté le territoire contrôlé par
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1 le gouvernement de Bosnie et deux enfants à son bord ont été tués. Les
2 éclaircissements que j'ai mentionnés en début de matinée, c'est qu'au
3 niveau du site des tirs, l'information n'a pas été clairement indiquée et
4 le reportage n'a pas été diffusé. Mais si vous l'aviez vu, vous auriez pu
5 voir que j'étais debout à côté du bâtiment du journal "Oslobodjenje" à
6 Sarajevo, et ça n'a pas été le site des tirs puisque c'était un territoire
7 contrôlé par le gouvernement de Bosnie. Nous avons obtenu des images
8 claires, en plus des témoignages de la part de gens disant que le car était
9 parti de là, qu'il avait descendu le long de la route, qu'il avait traversé
10 un poste de contrôle tenu par les effectifs du gouvernement de Bosnie, et
11 il y a eu des images montrant ce "check-point". Donc il n'y a aucune ruse à
12 cet effet du point de vue d'une désinformation du public pour ce qui est du
13 site occupé par ceux qui ont tiré. C'est ce que j'ai voulu porter à
14 l'attention des Juges de la Chambre.
15 Q. Bon. Je voudrais savoir quelles ont été vos sources d'information. On y
16 arrivera à ce que vous venez de dire. Alors, vous n'avez pas été présent
17 directement ? Qui est-ce qui vous a informé, en sus de Silajdzic, que vous
18 indiquez comme étant votre source à plusieurs endroits, et les civils
19 mêmes, et ainsi de suite ? Donc d'où avez-vous tiré vos informations que
20 vous avez par la suite rendues publiques ?
21 R. Mais comme vous le saurez très certainement, les journalistes ne
22 communiquent jamais leurs sources. Mais je peux, en termes très génériques,
23 non pas parler de personnes individuelles, mais d'endroits où se trouvaient
24 ces personnes. Avec M. Silajdzic, je faisais référence précisément aux
25 événements de Srebrenica -- je lui parlais assez régulièrement, d'ailleurs.
26 Alors, première source d'information, mes yeux, mes propres yeux, qui sont
27 importants, mais il y avait également une autre source d'information
28 importante à Sarajevo, les observateurs internationaux, le comité
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1 international de la Croix-Rouge, HCR. Nous avions pris langue également
2 avec des contacts locaux, et dans la mesure où nous le pouvions, lorsque
3 nous entendions que quelque chose s'était passé, nous essayions d'obtenir
4 une connaissance directe. Donc là, pour l'incident du bus, j'ai essayé
5 d'obtenir, de la part des adultes, le récit venant des adultes qui
6 accompagnaient ces enfants de l'autre côté de la ligne de front. Et eux,
7 ils m'ont dit qu'ils avaient quitté le territoire contrôlé par le
8 gouvernement bosnien et qu'ils se déplaçaient sur la route vers Ilidza
9 lorsque ceci s'est passé.
10 Q. Merci. Avez-vous eu la possibilité de vérifier les informations que
11 vous avez reçues ?
12 R. Bien sûr que je les ai vérifiées. En parlant à plusieurs personnes pour
13 voir si elles avaient toutes le même récit. C'est ainsi que l'on vérifie
14 les informations. Je suis également allé à la morgue où reposaient les
15 corps des deux enfants. Je n'ai pas pu entrer dans la morgue, mais mon
16 caméraman, le caméraman de la BBC, est entré. Ils ne laissaient qu'une
17 personne entrer. Il a fait des photos de ces corps, et nous avons vérifié
18 également au niveau des vêtements, par exemple, avec les photos qui avaient
19 été prises des enfants dans le bus. Et de toute façon, il n'y a absolument
20 aucun contentieux à ce sujet. Comme je vous l'ai déjà dit, mon problème
21 c'est que j'ai fait une erreur à propos de la provenance du tir. Mais si
22 vous regardez le reportage, il est absolument clair que le bus quitte le
23 territoire sous contrôle du gouvernement bosnien le lendemain -- bien, les
24 enfants ont été tués le soir. Donc le lendemain matin, j'ai passé beaucoup
25 de temps à parler aux personnes, soit des personnes de la FORPRONU, du HCR,
26 donc des internationaux qui avaient reçu des informations. Je pense que
27 nous avons obtenu le premier élément d'information de la FORPRONU, qui
28 avait d'ailleurs un bon réseau d'informations de presse. Et puis, il y
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1 avait également une ONG locale qui s'appelait l'Ambassade des enfants, et
2 c'est eux qui avaient tout organisé. Je leur ai parlé aussi, j'ai obtenu
3 leur récit également, notamment par exemple les dires de certains des
4 adultes qui accompagnaient ces enfants qui se sont trouvés dans cette
5 opération de sauvetage si mal organisée.
6 Q. Merci. Nous n'allons pas remettre en question l'incident, à savoir
7 quelqu'un a tiré sur le bus et deux enfants ont été victimes de cet
8 incident.
9 Mais au paragraphe 37, voilà ce que vous dites :
10 "Je suppose qu'il s'agissait de Serbes qui ont ouvert le feu, étant donné
11 que le bus venait de la partie contrôlée par le gouvernement des Bosniens."
12 Pourquoi est-ce que vous avez supposé de la sorte qu'il s'agissait d'
13 tireurs embusqués serbes ? Sur quelle base vous fondez-vous pour affirmer
14 cela ?
15 R. Parce qu'ils avaient quitté le territoire contrôlé par le gouvernement
16 bosnien et qu'ils se rapprochaient. Je pense qu'ils étaient dans le no-
17 man's land et qu'ils étaient tout proche du territoire serbe. C'était un
18 environnement urbain. Vous savez certainement bien mieux que moi qu'il y
19 avait des quelques espaces verts, mais ce n'était pas une zone montagneuse
20 ou une forêt où les gens peuvent se déplacer et se mettre sur une position
21 à partir de laquelle ils peuvent tirer. Ce que j'entends, c'est qu'ils
22 avaient quitté le territoire, et de cela, j'en ai été informé par plusieurs
23 sources. Ils avaient donc quitté le territoire contrôlé par le gouvernement
24 des Bosniens, et si on utilise un processus d'élimination, on peut dire, en
25 fait, qu'ils étaient soit sur le territoire contrôlé par les Serbes de
26 Bosnie ou très proche de ce territoire. Voilà ce que j'ai dit, j'ai dit
27 qu'il "semblait" -- que les tirs "semblaient venir des positions serbes",
28 parce que physiquement, matériellement, il aurait été très difficile qu'ils
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1 viennent des positions contrôlées par le gouvernement des Bosniens. Parce
2 que les tirs -- en fait, l'impact s'est produit au niveau d'un des côtés du
3 bus. Alors, pour tirer sur le côté d'un bus comme cela, il faut que vous
4 soyez dans le secteur où se trouve le bus au même moment que le bus. Donc
5 je l'ai déjà dit, je n'étais pas témoin oculaire de cet incident, mais en
6 tant que journaliste, je dois vous dire qu'au vu de ce que j'ai vu, au vu
7 de ce que l'on m'a dit - et cela m'a été dit par plusieurs sources qui
8 parlaient toutes du même incident - compte tenu de tous ces paramètres,
9 c'est pour cela que je dis dans ma déclaration de témoin que les balles
10 semblaient venir de positions serbes.
11 Q. Mais est-ce que l'un ou l'autre de vos interlocuteurs ne vous ont
12 jamais dit que l'enquête avait prouvé que c'était les Serbes qui avaient
13 tiré ou que c'était le résultat de votre propre évaluation ?
14 R. Non, c'est mon évaluation à partir de ce qu'ils m'ont dit. Et je dois
15 dire que leurs évaluations convergeaient vers la même conclusion
16 d'ailleurs. Parce que là, je parle de quelques heures après l'incident, et
17 il n'y avait pas encore eu d'enquête officielle à ce moment-là.
18 Q. Et savez-vous ou avez-vous appris si une enquête avait été diligentée
19 et prouvé que c'était les Serbes qui avaient été responsables ?
20 R. Non, je ne l'ai pas fait, je n'ai pas assuré ce suivi. J'aurais peut-
21 être dû le faire d'ailleurs. Mais souvenez-vous qu'en juillet 1992, il y
22 avait beaucoup de choses qui se passaient à ce moment-là, et je n'étais pas
23 là pour faire un documentaire et analyser par le menu cet incident. J'étais
24 là pour assurer la couverture quotidienne de ces événements. Donc nous
25 envoyions des éléments d'information à la BBC deux ou trois fois par jour.
26 Les gens étaient demandeurs de ce type d'information. Donc nous avons filmé
27 cela, nous avons fait ce reportage, et puis après les événements se sont
28 tellement précipités que nous sommes passés à autre chose. Je pense que si
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1 la situation s'était calmée, là on aurait peut-être poussé l'enquête. Il y
2 avait quelque chose d'important qui se passait tous les jours, donc
3 malheureusement nous ne pouvions pas tout couvrir, et certainement pas
4 couvrir une enquête de ce style. De toute façon, je m'en tiens à ce que
5 j'ai déjà avancé, parce que je pense que toutes les informations qui m'ont
6 été fournies convergent vers cette direction.
7 Q. Puisque nous parlons maintenant de votre fonction essentielle,
8 j'aimerais vous rappeler ce que vous avez dit au paragraphe 6 de votre
9 déclaration consolidée. Vous dites que vous étiez effectivement sur le
10 terrain, que vous avez présenté des reportages de nombreux pays. Et vous
11 dites :
12 "J'ai essayé dans la mesure du possible d'illustrer ou de montrer comment
13 la guerre atteignait la population civile plutôt que de présenter des
14 reportages sur les actes des soldats."
15 Est-ce bien exact ?
16 R. Oui, c'est exact. Car l'une des caractéristiques des guerres au XXe
17 siècle, et vous pouvez trouver des chiffres à ce sujet -- bon, je n'ai pas
18 les chiffres à l'esprit, mais si vous prenez les guerres au début du XXe
19 siècle et à la fin du XIXe siècle, la majorité des personnes qui mouraient
20 étaient des militaires. Si vous prenez en considération les guerres
21 actuelles, la majorité des personnes, et cela est valable pour la guerre
22 qui s'est produite il y a 20 ans dans les Balkans, la majorité ce sont des
23 civils. Donc je dirais plutôt ils souffrent le plus de ces guerres. Mais
24 cela est également le miroir qui permet de comprendre comment les guerres
25 sont menées à bien. Les forces militaires sont en général beaucoup mieux
26 protégées, et ce sont les civils qui souffrent de ces guerres. Je pense que
27 c'est une excellente raison qui explique pourquoi ces civils apparaissaient
28 souvent dans mes reportages.
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1 Q. Merci. Et justement à ce sujet, Monsieur, donnez-nous une estimation.
2 Combien de victimes ont péri pendant la guerre en Bosnie?
3 R. Ecoutez, je n'ai jamais fait ce calcul. Je sais qu'il y a différentes
4 estimations qui ont été utilisées à l'époque. Je dirais que, au milieu de
5 la décennie des années 1990, il était question de quelque 200 000
6 personnes. Le chiffre a peut-être été révisé, et de toute façon je ne suis
7 pas une autorité en la matière. Je sais qu'il y a eu plusieurs estimations
8 qui ont été présentées. Je sais, de par mon exemple ailleurs, et je pense à
9 l'Irak, qu'il est extrêmement difficile d'évaluer précisément le nombre de
10 personnes qui périssent pendant la guerre, et ce, si vous prenez une
11 période assez longue, ou plusieurs années en tout cas.
12 Q. Merci. Eh bien, écoutez, j'espère que vous serez d'accord avec moi
13 pour dire que les Serbes ne sont quand même responsables de ce qui se passe
14 en Irak. Toutefois, si je vous disais que l'Institut musulman, musulman de
15 Bosnie, comme il s'appelle, a déterminé qu'il y avait eu 97 000 victimes
16 pendant cette guerre pour les trois camps, et je vous dirais que les
17 Bosniens ont livré bataille contre les Serbes, contre les Croates et contre
18 Abdic, et que, de ce fait, ils ont perdu 40 000 soldats, parce que c'était
19 le nombre de dispositifs optiques qu'ils avaient utilisés. Donc, je dirais
20 que le nombre de civils musulmans est trois fois inférieur au nombre de
21 soldats. Nous avons 30 000 Serbes qui ont été tués. Si vous prenez les
22 chiffres ensemble avec les Croates, cela nous donne quelque 65 000
23 personnes dont 40 000 étaient des soldats.
24 R. Je ne peux pas répondre à cette question, je ne suis pas un expert en
25 la matière, comme je l'ai déjà dit, ça, c'est votre interprétation. Je n'ai
26 pas étudié ces chiffres. D'ailleurs, pendant mes dépositions, je n'ai
27 jamais parlé du nombre de victimes, je n'ai jamais essayé de jauger le
28 nombre de personnes mortes. Alors là, je suis désolé, mais je ne peux pas
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1 répondre à votre question.
2 Q. Merci. Eh bien, nous allons peut-être revenir à ce paragraphe 6 de
3 votre déclaration justement. Si - et d'ailleurs c'est très noble de votre
4 part - si vous vouliez faire des reportages sur la souffrance des civils
5 par opposition aux actes des soldats, est-ce que vous convenez que vous
6 auriez peut-être pu condamner la guerre en tant qu'humaniste, mais que vous
7 ne pouvez pas tirer des conclusions pour déterminer la responsabilité des
8 différents camps ?
9 R. Moi, je suis un journaliste impartial de la BBC. Cette notion de
10 l'impartialité est, figurez-vous, essentielle au modus operandi de la BBC,
11 et ce, dans le monde entier. C'est valable pour les Balkans, c'est valable
12 pour ce que je fais à l'heure actuelle au Moyen-Orient, et je dois en être
13 conscient constamment. Vous savez, il est parfois très difficile d'être
14 impartial, mais c'est quelque chose que nous faisons et que nous devons
15 faire. Il ne m'appartient pas de jeter l'opprobre sur quelconque, essayer
16 d'être un journaliste impartial ne signifie pas que vous dites : Vous avez
17 ceci d'un côté, par ailleurs, vous avez cela, et la vérité elle est ici,
18 non. Si vous voyez un événement, si vous savez que cela s'est passé, il
19 faut le dire, si ça s'est passé. Lors de ma carrière de reporter, pas
20 seulement dans les Balkans - bien que les Balkans en soient un excellent
21 exemple - c'est que parfois, en tant que journaliste, vous dites quelque
22 chose que l'autre camp n'apprécie absolument pas du tout, et c'est comme
23 ça, c'est tout, c'est ainsi que les choses se passent.
24 Personnellement, qu'est-ce que je pense de la guerre; je pense que la
25 guerre est une chose absolument épouvantable. J'ai vu beaucoup de guerres,
26 j'ai vu beaucoup de morts. Et ces reportages, ce ne sont pas des reportages
27 qui présentent mon point de vue personnel. Ces reportages, ils présentent
28 avant tout la situation des personnes qui se trouvaient sur le terrain.
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1 Q. Merci. Je suis tout à fait d'accord, la façon dont vous condamnez la
2 guerre.
3 Vous avez mentionné que la FORPRONU était souvent une source d'information
4 pour vous. Est-ce que vous connaissez l'évaluation faite par le commandant
5 de la FORPRONU qui a indiqué que les médias avaient fait un travail
6 médiocre et qu'il y avait une grande partialité de la part des médias pour
7 ce qui était des reportages à propos de la Bosnie, et que cela avait
8 aggravé la situation ?
9 R. Non, je n'étais pas au courant. Il y a eu différents commandants de la
10 FORPRONU qui ont eu différentes idées sur la façon dont travaillaient et
11 fonctionnaient les médias. Ils ont droit d'avoir leurs points de vue, si
12 tels étaient leurs points de vue, eh bien, tels étaient leurs points de
13 vue. Moi, je ne pense pas que les médias aient aggravé la situation. De
14 toute façon, nous n'étions pas ce type de protagonistes, là-bas. Nous nous
15 contentions tout simplement de relayer les événements du mieux que nous le
16 pouvions, de la façon la plus exacte possible. Moi, je vous parle pour la
17 BBC, là, je ne vous parle pas des autres agences de presse.
18 Q. Merci. Est-ce que vous savez que la FORPRONU, et d'autres d'ailleurs,
19 étaient d'avis qu'il y avait certains journalistes qui se contentaient de
20 rester dans leurs hôtels et qui achetaient, en quelque sorte, de la
21 propagande musulmane et de la propagande provenant d'autres sources, et se
22 contentaient de relayer ces éléments d'information comme des informations
23 provenant d'eux directement ? Est-ce que vous faisiez partie de ces
24 journalistes ? Est-ce que vous étiez tout simplement à Sarajevo, et que
25 vous receviez des films filmés par vos équipes ou d'autres agences, que
26 vous vous contentiez de relayer à la BBC ?
27 R. Non, ce n'est absolument pas comme cela que je travaille. Peut-être que
28 d'autres l'ont fait, peut-être qu'ils existent ces journalistes. Je n'en
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1 sais rien, je ne les connais pas, en tout cas. Comme je vous l'ai dit, moi,
2 je ne peux pas parler au nom des autres journalistes. Ceux avec qui je
3 travaillais, mes collaborateurs très proches, ont travaillé très, très dur.
4 Il y avait quand même une certaine déontologie qui faisait que vous alliez
5 voir vous-même sur le terrain ce qui se passait. Moi, je n'ai pas tout
6 simplement été à Sarajevo; je me suis rendu dans de nombreuses régions en
7 Bosnie-Herzégovine pendant cette guerre. J'ai travaillé d'arrache-pied,
8 comme je vous l'ai déjà dit ce matin, pour essayer de présenter des
9 reportages autant que faire se peut pour ce qui était du camp serbe
10 également, mais malheureusement, ce n'était pas possible, car il y avait
11 beaucoup de restrictions qui nous étaient imposées par eux. Mais, non, non,
12 je n'étais pas un journaliste qui se contenait de rester dans son hôtel, et
13 qui recevait des informations, et puis qui se contentait de les relayer. Ce
14 n'est pas comme cela que je travaille. Moi, j'ai des normes
15 professionnelles que je respecte, une certaine fierté professionnelle, et
16 d'ailleurs je ne travaille jamais comme vous venez de l'indiquer. Et je
17 pense d'ailleurs, très franchement, que si je l'avais fait, je ne serais
18 pas encore au service de la BBC de nos jours.
19 Q. Merci. Vous aviez une seule équipe qui s'occupait des Serbes et des
20 Musulmans ou est-ce que vous aviez des équipes différentes ?
21 R. Cela dépendait de la situation et cela dépendait de ce qui se passait.
22 Il y a eu des moments d'activités intenses pendant la guerre où la BBC
23 avait un certain nombre de journalistes et de caméramans dans plusieurs
24 endroits. Mais du fait de contraintes budgétaires et des intérêts fluctuant
25 dans nos reportages ou par rapport à nos reportages, nous avions en règle
26 générale une équipe le plus clair du temps en Bosnie-Herzégovine, ils se
27 trouvaient dans différents endroits, d'ailleurs. Il y a certains de mes
28 collègues qui se sont quasiment spécialisés auprès de l'armée britannique
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1 de la FORPRONU, qui faisaient leurs reportages là-dessus. Moi, je voulais
2 essayer de comprendre ce qui se passait en Bosnie et en comprenant toutes
3 les facettes de la situation, donc je n'étais pas particulièrement
4 intéressé par les soldats britanniques. Ce qui m'intéressait plus, c'était
5 Sarajevo et d'autres endroits également, autant que je le pouvais, pour
6 voir ce qui se passait dans les deux camps, et dans tous les camps, dirais-
7 je, parce que j'ai passé beaucoup de temps avec les Musulmans, les Croates,
8 et dans la mesure où je le pouvais avec les Serbes également.
9 Q. Merci. Avez-vous eu des problèmes lorsqu'il a fallu que vous répondiez
10 aux exigences de la BBC ? Qu'est-ce que j'entends par exigence, c'est
11 qu'ils voulaient que vous présentiez des reportages exacts et objectifs à
12 propos des trois factions belligérantes en Bosnie-Herzégovine. N'avez-vous
13 jamais eu des problèmes pour ce qui est de cette objectivité, est-ce que
14 vous avez parfois favorisé en quelque sorte un camp par rapport à l'autre ?
15 R. Jamais, je n'ai jamais fait, jamais. En fait, j'ai appris à apprécier
16 des personnes dans tous les camps. Certes, il y avait une guerre terrible
17 qui faisait rage, mais je dois dire que pour moi c'était un grand honneur
18 d'apprendre à connaître non seulement la Bosnie-Herzégovine, mais l'ex-
19 Yougoslavie. J'ai vraiment apprécié les gens là-bas. J'ai passé beaucoup de
20 temps avec tout le monde. Mais, vous savez, pour ce qui est des Serbes,
21 j'ai toujours beaucoup apprécié parler avec eux. J'ai passé du temps avec
22 eux pour savoir comment ils vivaient. J'ai toujours apprécié trinquer avec
23 eux, par exemple. Au départ il y avait toujours une certaine méfiance à
24 notre égard, mais lorsqu'on a su gagner leur confiance, on s'est entendu
25 très, très bien avec eux. Pour ce qui est de la première partie de votre
26 question, est-ce que j'ai eu des problèmes à rester objectif, ce qui était
27 une exigence de la BBC, non, absolument pas. Mais lorsque vous vous trouvez
28 dans un lieu comme la Bosnie-Herzégovine, en pleine guerre, le problème,
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1 c'est que vous vous trouvez dans une zone de guerre. Donc il y a des
2 problèmes à essayer d'obtenir des éléments d'information dans un endroit
3 qui est très dangereux, vous devez donc réfléchir à la façon de sauver
4 votre peau, la peau de votre équipe également, sans oublier qu'il faut que
5 vous puissiez comprendre et relayer ce qui se passait sur le terrain.
6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.
7 Alors document 1D2397, c'est un document que j'aimerais vous présenter. Il
8 s'agit d'un autre rapport qui fait état d'enfants. Nous allons revenir là-
9 dessus et préciser un peu ce dont vous avez parlé.
10 [Diffusion de la cassette vidéo]
11 M. LE JUGE KWON : [aucune interprétation]
12 Mme EDGERTON : [interprétation] Non, il n'y a pas de son.
13 [Diffusion de la cassette vidéo]
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce que nous avons un texte, des sous-titres
15 --
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais quel est le chiffre, la cote 65 ter
17 pour cet extrait ?
18 Mme EDGERTON : [interprétation] 45372 quelque chose. J'aimerais juste vous
19 demander une minute de patience, et je pense que je vais retrouver la cote
20 exacte.
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Et pour ce qui est de la cote 1D alors,
22 quelle est cette cote ?
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] 1D2397.
24 Mme EDGERTON : [interprétation] 45372A.
25 J'ai l'impression que le Dr Karadzic a un problème technique, parce que
26 nous pourrions probablement diffuser cela en son nom, s'il veut poser des
27 questions, mais peut-être que le problème technique devrait être réglé par
28 la régie.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, je vois que M. Karadzic semble
2 opiner du chef, donc c'est ce que nous allons faire.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie.
4 [Diffusion de la cassette vidéo]
5 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
6 "Journaliste : Le bus est parti pour franchir les lignes de front vers 18
7 heures 30 hier soir. Les enfants avaient été attachés aux sièges pour
8 qu'ils ne soient pas ballottés du fait des routes assez accidentées. Les
9 parents sont des personnes portées disparues ou des réfugiés. L'idée étant
10 de réunir les familles en Allemagne.
11 Notre caméraman a pris cette photo du petit Roki Sulejmanovic, qui avait 13
12 mois, juste avant qu'il ne quitte le bus. Quelques minutes plus tard, Roki
13 et Vedrana Glavas, qui avait 3 ans, ont été tués par le tireur embusqué.
14 Ces tirs se sont passés à 200 mètres derrière moi. Il s'agit du tronçon de
15 route le plus dangereux à Sarajevo, et ils ont choisi l'heure la plus
16 dangereuse de la journée pour l'emprunter.
17 Les tireurs embusqués se cachent dans ces immeubles à partir desquels
18 les Serbes peuvent tuer ou blesser tout le monde tous les jours.
19 Faire des enfants ce genre de victimes dans une zone de guerre, les
20 conduire là, c'est criminel, alors que les combats font rage tous les
21 jours."
22 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
23 M. KARADZIC : [interprétation]
24 Q. Monsieur, nous voyons dans un premier temps le bus, ensuite votre
25 caméraman qui se trouve dans le bus. Puis ensuite, nous voyons le caméraman
26 qui descend du bus, et nous voyons le bus partir; c'est cela ?
27 R. Oui, oui, tout à fait. Le caméraman était dans l'autobus,
28 effectivement, et il y a un tir, comme vous le voyez, un tir sur le bus qui
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1 passe par le poste de contrôle. Ça c'était le dernier poste de contrôle du
2 gouvernement bosnien sur cette route, je pense qu'il se trouvait à l'ouest
3 de la ville.
4 Q. Merci. Puis ensuite, vous dites --
5 L'ACCUSÉ : [interprétation] Ou plutôt, est-ce que l'on pourrait verser au
6 dossier cet extrait de reportage.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, cet extrait est présenté sous la
8 cote 1D2397; c'est cela ?
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Oui.
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Avec le son, je suppose. Oui, cela peut
11 être versé au dossier.
12 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce D935, Monsieur le
13 Président.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.
15 Alors document suivant, 1D2917.
16 M. KARADZIC : [interprétation]
17 Q. Vous avez le bus qui quitte le territoire placé sous le contrôle de
18 l'armée musulmane et il arrive dans le "no man's land"; c'est cela ?
19 R. Oui. Il était en train de passer par le "no man's land" qui, comme vous
20 le savez, n'était pas très, très vaste. Oui, oui, parce qu'on voit le bus
21 partir.
22 [Diffusion de la cassette vidéo]
23 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
24 "Journaliste : …c'était hier soir --"
25 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
26 L'ACCUSÉ : [interprétation] Non, non, non, ce n'est pas la peine de
27 diffuser cela à nouveau.
28 M. KARADZIC : [interprétation]
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1 Q. Est-ce que vous pourriez peut-être répondre à cette question : à quelle
2 distance se trouvaient les lignes de confrontation à Sarajevo les unes par
3 rapport aux autres, et quelle était la longueur du "no man's land" ? Quelle
4 était la distance normale entre les lignes ennemies ?
5 R. A certains endroits, elles étaient très proches, et à d'autres
6 endroits, elles étaient beaucoup plus distantes l'une de l'autre. Pendant
7 cette période, j'ai pu moi-même emprunter cette route de temps à autre pour
8 aller à Ilidza pour acheter du carburant et pour être ravitaillé, donc j'y
9 ai été moi-même plusieurs fois. Ce n'était pas très loin, vous quittiez le
10 dernier poste de contrôle bosnien -- je ne peux pas, maintenant, vous
11 donner une distance précise et exacte -- mais deux ou trois minutes après,
12 vous voyiez les soldats serbes de Bosnie. Donc il s'agit du secteur -- le
13 secteur qui était contrôlé par le gouvernement bosnien n'était
14 véritablement pas très, très grand, et ce tronçon de route, je dirais que
15 c'est assez plat comme terrain. Moi, je suis allé à Ilidza depuis le centre
16 de Sarajevo et je l'ai fait -- je ne sais pas -- c'était deux ou trois
17 minutes en voiture maximum.
18 Q. Merci. Nous reviendrons là-dessus. Votre caméraman, d'après ce qu'on
19 lui a dit, en tout cas, a décrit le bâtiment "Oslobodjenje" comme étant la
20 source des tirs. Vous, vous avez apporté une correction en disant que ce
21 bâtiment n'était pas la source des tirs parce qu'il était placé, ce
22 bâtiment, sous le contrôle de l'armée des Musulmans de Bosnie, n'est-ce pas
23 ?
24 R. Oui, oui, tout à fait, sous le contrôle de l'armée des Musulmans de
25 Bosnie, j'ai corrigé cela. J'avais été mal informé. Je n'avais pas été dans
26 la ville depuis très longtemps, puis au fil des ans, en un ou deux ans,
27 j'ai bien appris à connaître la ville et sa géographie. Je conduisais moi-
28 même, je n'avais pas de chauffeur. Là, c'était ma première semaine, donc je
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1 ne connaissais pas encore très bien la ville. Très franchement, c'était un
2 peu une ineptie que de suggérer qu'il y avait des tireurs serbes dans
3 l'immeuble "Oslobodjenje", parce qu'il était de toute façon contrôlé par le
4 gouvernement, et puis qu'il en sortait leur journal, tous les jours. Donc
5 bien sûr que là, je plaide coupable, absolument. C'est une erreur que j'ai
6 commise.
7 Mais puisque vous le mentionnez, ce que je voulais vous dire c'est que la
8 distance entre ce bâtiment et le poste de contrôle, elle est assez
9 importante; 300 à 400 mètres. Le bus, il avait déjà fait un peu de chemin
10 quand on lui a tiré dessus. Si cela s'était passé rapidement, le caméraman,
11 il aurait toujours été à bord du bus. Il aurait pu relater ce qui s'était
12 passé ou voir ce qui s'était passé juste après. Il aurait entendu les tirs.
13 Ça, je le sais. Donc si vous parlez de la distance à partir du bâtiment
14 "Oslobodjenje", matériellement, physiquement, le tir ne pouvait pas venir
15 de là. Donc j'ai apporté cette correction au début de ma déposition ce
16 matin parce que je pensais qu'il fallait que les choses soient rectifiées.
17 Q. Merci.
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Pourrions-nous avoir maintenant la pièce
19 1D2917. Il s'agit d'un passage de votre livre "Récits de guerre", et c'est
20 un passage qui parle de la guerre en Bosnie-Herzégovine.
21 Pourrions-nous avoir la page 163 à l'écran, s'il vous plaît. Ce n'est pas
22 la page 163 du système électronique, c'est la page 163 du livre. Donc
23 pourriez-vous juste nous afficher la page qui porte le numéro 163. Je pense
24 que dans le système électronique cela correspond à peu près à la page 15.
25 M. KARADZIC : [interprétation]
26 Q. Je vais donner lecture -- ou peut-être vous demander de lire le passage
27 qui commence par "j'étais convaincu…" Au milieu du deuxième paragraphe.
28 R. A partir de "j'étais convaincu…", c'est ça ?
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1 Q. Tout à fait. Page 163, le deuxième paragraphe.
2 R. Oui, je peux lire à partir de "I was convinced…" si vous voulez, mais
3 je préfèrerais lire depuis le début du paragraphe afin d'avoir tout le
4 contexte.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Allez-y.
6 LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais dégoûté par ce qui était arrivé et en
7 colère contre les personnes qui l'avaient fait."
8 Ici, je fais référence à l'attaque qui a eu lieu à l'enterrement.
9 "La mort d'un enfant est toujours un crime en tant que tel, mais --"
10 Je reprends :
11 "J'étais absolument écoeuré par ce qui était arrivé et très en colère
12 contre les personnes qui avaient fait cela. La mort de ces enfants était un
13 crime en tant que tel, mais ensuite pilonner leurs obsèques était encore
14 une horreur. J'allais montrer ma colère à la caméra pour dire que c'était
15 les Serbes qui avaient commis ce crime de guerre. J'étais convaincu que
16 c'était les Serbes qui étaient responsables. Il y avait une théorie de
17 complot qui était énoncée par certains représentants des Nations Unies
18 selon laquelle le gouvernement musulman avait l'habitude de pilonner leur
19 propre communauté afin d'attirer la sympathie mondiale et afin de faire en
20 sorte que les Serbes passent pour les méchants. Mais je n'ai jamais vu
21 aucune preuve que ceci était vrai. Le cimetière n'était pas seulement parce
22 qu'il y avaient des caméras; les fossoyeurs ont dit qu'il y avait eu
23 beaucoup de pilonnage précédemment alors que les caméras n'étaient pas là.
24 Ensuite, je suppose que du fait de ce que j'avais à la BBC, je me suis dit,
25 Retiens-toi, retiens-toi…" et cetera, et cetera.
26 L'ACCUSÉ : [interprétation] Arrêtez votre lecture, s'il vous plaît.
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Très bien.
28 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Quelle est votre question ?
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1 M. KARADZIC : [interprétation]
2 Q. Ma question est la suivante : nous sommes d'accord, n'est-ce pas, pour
3 dire que ceci est absolument écoeurant, en effet, que cet incident est
4 épouvantable. Je suis d'accord avec vous. Mais sur quoi vous fondiez-vous
5 pour dire que c'était les Serbes qui avaient fait le coup ? Pourquoi avez-
6 vous rejeté d'emblée la théorie du complot des Nations Unies selon laquelle
7 c'était les Musulmans qui tiraient sur leur propre peuple ? Sur quoi vous
8 êtes-vous fondé pour vraiment croire que c'était les Serbes qui avaient
9 fait le coup ? Et pourquoi en fin de compte est-ce que vous avez écrit ce
10 passage dans votre livre ?
11 R. Je reprends avec l'enterrement en tant quel --
12 Q. Non, non, on y reviendra, on reviendra aux enterrements plus tard.
13 Mme EDGERTON : [interprétation] Monsieur le Président --
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ecoutez, on parle de l'enterrement de
15 toute façon.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai essayé de répondre à votre question.
17 L'ACCUSÉ : [interprétation] Parlons plutôt de l'autocar.
18 M. KARADZIC : [interprétation]
19 Q. Comment saviez-vous que c'était les Serbes qui ont pilonné l'autocar ?
20 Comment est-ce que vous avez décidé d'écarter la théorie du complot selon
21 laquelle ce serait le gouvernement qui serait responsable, ou les
22 Musulmans, alors que c'était une théorie qui était quand même soutenue par
23 certains représentants des Nations Unies ?
24 R. A cette époque-là, je n'étais pas au courant de cette théorie du
25 complot. La première fois que je l'ai entendue, c'était de la bouche de
26 l'aide de camp du général Lewis MacKenzie, qui était commandant du secteur
27 Sarajevo de la FORPRONU à l'époque, vers la fin de ma première visite à
28 Sarajevo, vers août 1992. Parce qu'il a m'a amené, m'a tiré et il m'a dit,
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1 Viens, viens par là. Et il m'a dit, Ecoute, il faut que tu saches que nous
2 sommes persuadés que les Serbes -- non, je m'excuse, que le gouvernement
3 des Musulmans tire sur son propre peuple. Alors, j'ai dit, Quelles sont les
4 preuves ? Et il m'a dit, On n'a vraiment de preuve, mais c'est ce qu'on
5 pense.
6 Donc pour répondre au début de votre question, comment nous nous
7 sommes assurés que c'était bien les Serbes qui avaient tiré sur l'autocar,
8 eh bien, dans ma déposition, j'ai bien dit que la probabilité faisait que
9 ça ne pouvait être que les Serbes, et c'était basé sur plusieurs choses :
10 tout d'abord l'emplacement même de l'autocar, deuxièmement -- surtout
11 l'emplacement de l'autocar, en fait, puisqu'il y avait certains autocars
12 qui avaient quitté le territoire détenu par les Musulmans. Et pour répondre
13 à votre question, vous savez que la distance entre le dernier point de
14 contrôle des Musulmans et le premier poste de contrôle bosno-serbe, il n'y
15 avait pas une très grande distance entre ces deux postes de contrôle. Donc
16 il y a beaucoup de circonstances qui suggèrent que ce sont bien les Serbes.
17 Je n'ai pas vu moi-même les tirs, je n'avais pas les résultats balistiques
18 à propos de l'origine des tirs, mais au vu de l'endroit d'où est parti
19 l'autocar quand l'équipe des caméramans a quitté l'autocar, ils sont
20 arrivés en territoire tenu par les Serbes de Bosnie. S'ils s'étaient tirés
21 dessus eux-mêmes, et de toute façon ils auraient tiré depuis le bâtiment
22 "Oslobodjenje", mais ce n'est pas ce qui est arrivé. Ce n'est pas ce qui
23 est arrivé.
24 Donc je n'étais pas sûr à 100 %, c'est sûr, mais au vu de toutes les
25 probabilités qui existent, de toutes les circonstances qui existent --
26 j'étais assez prudent d'ailleurs lorsque j'ai fait ma déposition écrite,
27 mais je considère que les probabilités étaient telles que ce sont les
28 Serbes qui ont tiré sur cet autocar. Je me répète, je pense que c'est un
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1 crime épouvantable que l'on vise des enfants ainsi, et en plus quand, par
2 la suite, on pilonne à l'enterrement même de ces enfants qui avaient été
3 tués ainsi, c'est tomber [imperceptible], c'est épouvantable.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bien, très bien. Je suis d'accord avec
5 vous, c'était épouvantable, mais j'aimerais savoir qui sont les auteurs du
6 crime. Essayons de nous prouver les choses.
7 Excellence, pensez-vous ce qui est à l'écran suffit ou qu'il
8 conviendrait aussi de verser au dossier la page qui est à l'écran, la page
9 163 du livre ?
10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais je pense qu'il n'y a pas
11 d'opposition de la part de l'Accusation.
12 Donc cette pièce sera admise.
13 M. LE GREFFIER : [interprétation] Elle recevra la cote D936.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.
15 Pourrions-nous maintenant avoir à l'écran la pièce 65 ter 09390-C. Mais je
16 pense que c'est un document qui porte aussi une cote en P.
17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] De quelle page s'agit-il ?
18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Nous allons commencer avec la première page du
19 document -- non, nous allons plutôt commencer par la page numéro 2, qui est
20 juste après la page de garde, et ensuite je demanderais que l'on affiche le
21 chapitre 9.
22 Pourrions-nous avoir la carte dans le bon sens, s'il vous plaît. Merci.
23 M. KARADZIC : [interprétation]
24 Q. Reconnaissez-vous cette carte, Monsieur Bowen ? S'agit-il de Sarajevo,
25 et quelles sont ces lignes qu'on voit sur cette carte ? Conviendrez-vous
26 avec moi que cet incident a eu lieu dans la case de la carte libellée d'un
27 9, que c'était là justement que se trouve le bâtiment "Oslobodjenje"; vous
28 êtes d'accord avec moi ? Voyez-vous la grand-route qui va de Sarajevo à
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1 Ilidza ?
2 R. J'ai besoin de voir un agrandi de cette case numéro 9. Pourriez-vous
3 agrandir, s'il vous plaît ? J'aimerais juste -- mais il ne faut pas que je
4 touche à l'écran, si j'ai bien compris ? Il s'agit d'un écran tactile, je
5 viens juste de le comprendre.
6 Q. Voyez-vous la grand-route qui va de Sarajevo à Ilidza ?
7 R. La route est en rouge ?
8 Q. Non, non, je ne pense pas. Les lignes en bleu et en rouge sont les
9 lignes de front.
10 R. Pour les lignes en pointillés, je le sais, ça. Mais je -- les lignes
11 noires, je vois bien qu'il s'agit de chemins de fer, mais de quelle couleur
12 sont dépeintes les routes sur cette carte ? Donc en noir, j'imagine ?
13 Q. Non, non, les routes et les chemins de fer sont en noir. Il y a trois
14 petits points, puis des numéros. Enfin, vous devez quand même reconnaître
15 et repérer le bâtiment "Oslobodjenje", qui est juste à côté de la ligne de
16 front ?
17 Peut-être si M. Bowen avait un stylo. Ça pourrait lui être plus utile.
18 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne vois pas où est la case numéro 9.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Moi, je vois des bâtiments, mais ils ne sont
20 pas repérés de quoi que ce soit. Est-ce que je peux toucher à cet écran
21 tactile ? Peut-être s'agit-il de ce bâtiment que je viens d'encercler ?
22 M. KARADZIC : [interprétation]
23 Q. Absolument pas, absolument pas. C'est plus au sud. Voyez-vous les
24 lignes qui sont très près de la route ?
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Une minute. Votre réponse n'a pas été
26 consignée au compte rendu parce que vous parliez en même temps que
27 l'interprétation de l'accusé.
28 LE TÉMOIN : [interprétation] Je reprends, je reprends.
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1 M. LE JUGE KWON : [aucune interprétation]
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas très bien à quelles lignes vous
3 faites allusion, Monsieur Karadzic. Peut-être si vous pouviez, sur la
4 carte, m'indiquer quelles sont les lignes qui vous intéressent, je pourrais
5 me repérer.
6 M. KARADZIC : [interprétation]
7 Q. Ecoutez, concentrez-vous sur le tiers inférieur de la carte. Vous voyez
8 bien qu'il y a deux lignes qui sont combinées près de la route. A droite,
9 dans le tiers inférieur à droite, vous pouvez voir des bâtiments qui sont
10 en forme d'étoile ? Il s'agit des dortoirs du foyer des étudiants. Saviez-
11 vous où se trouvait Nedzarici ? Il s'agissait d'un quartier serbe.
12 R. Oui, je sais où était Nedzarici. Mais le problème ici c'est que je
13 n'arrive absolument pas à me repérer sur la carte lorsque vous me parlez de
14 différents bâtiments. Je n'avais pas ce type de carte en main lorsque
15 j'étais sur place, et je connaissais la ville parce que je m'y déplaçais,
16 c'est tout. Je n'ai jamais pu bénéficier de cartes aussi précises que
17 celle-ci. Moi, je connais la ville, mais je la connais au volant. Donc il
18 faut être très précis -- je pense que ce qui serait vraiment utile, c'est
19 que vous puissiez m'assister en me montrant sur la carte ce qui vous
20 intéresse.
21 Q. Bien. Essayons de fonctionner différemment : il y a les lignes à droite
22 qui encadrent la case numéro 9, n'est-ce pas ? Tout en bas à droite, on
23 voit un bâtiment en étoile. Ces bâtiments en étoile ce sont les foyers des
24 étudiants avec leurs dortoirs. Est-ce que vous les voyez ?
25 R. Non -- juste à côté des repères orthogonaux de la case numéro 9, je
26 vois en effet des croix; c'est à cela que vous faites allusion ?
27 Q. Oui.
28 R. Près d'Alipasino Polje ?
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1 Q. Oui. Ça ressemble à des Y, en fait. Vous ne pouvez pas encercler ça ?
2 R. Je suis absolument désolé, j'essaie d'être précis. Or, je ne suis pas
3 très doué visiblement avec cette carte. J'ai beaucoup de mal. Si quelqu'un
4 pouvait venir m'aider pour me montrer sur la carte ou encercler sur la
5 carte où sont ces fameux bâtiments dont parle M. Karadzic, ça pourrait
6 m'aider.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je ne sais pas si c'est très utile de
8 poursuivre cet exercice, étant donné que le témoin ne semble pas arriver à
9 se repérer sur la carte.
10 L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.
11 M. KARADZIC : [interprétation]
12 Q. Monsieur Bowen, est-ce que vous voyez où se termine le territoire
13 musulman et où commence le territoire serbe ? C'est là où il y a cette
14 route noire où sont notés les arrêts de tram. C'est la route qui commence
15 au milieu de la case numéro 9 et qui, ensuite, fait un virage assez abrupt
16 pour repartir vers le sud.
17 R. C'est celle-ci dont vous parlez ?
18 Q. Non, non, c'est plus au sud. Vous, vous montrez Zadar, la route qui va
19 vers Zadar; moi, je parle de l'endroit qui se trouve près de Nedzarici, au
20 sud.
21 R. [aucune interprétation]
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Edgerton.
23 Mme EDGERTON : [interprétation] Ecoutez, je ne vois pas du tout l'utilité
24 de cet exercice, surtout quand on parle des lignes de confrontation, parce
25 que sur cette carte, on voit les lignes de confrontation de 1995, or
26 l'incident a eu lieu en 1992. Donc je ne vois pas l'utilité de tout cela.
27 L'ACCUSÉ : [interprétation] Mais avec tout le respect que je vous dois, je
28 tiens à vous dire que les lignes de confrontation n'ont jamais bougé. Les
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1 seules modifications c'était du côté d'Otes. Sinon, les lignes de
2 confrontation n'ont pas bougé d'un iota pendant toute la guerre. M. Bowen
3 l'a confirmé d'ailleurs dans sa déclaration. Il a confirmé que les lignes
4 n'avaient pratiquement jamais changé du début à la fin de la guerre. Moi,
5 je vous parle de la section de la route où il y a eu cet incident avec le
6 bus. On devrait déjà arriver à trouver cette route pour arriver à savoir
7 comment il a été possible de conclure que c'était les Serbes qui avaient
8 provoqué l'incident.
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Edgerton.
10 Mme EDGERTON : [interprétation] M. Bowen a dit dans sa déposition et aussi
11 dans le cadre du contre-interrogatoire qu'il n'était pas sur place et qu'il
12 n'a pas vu les choses de ses propres yeux, donc je ne vois pas du tout le
13 but de tout cet exercice. Il l'a dit à la page 82, ligne 24, je tiens à le
14 faire savoir pour le compte rendu.
15 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Monsieur Karadzic, je crois que vous
16 avez épuisé ce point. Vous avez déjà posé suffisamment de questions à
17 propos de cet incident. Je pense que vous feriez mieux de passer à autre
18 chose, en tout cas c'est mon conseil. Je ne vois vraiment pas le but de ce
19 que vous faites, comme vous l'a dit d'ailleurs Mme Edgerton.
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Bien.
21 Mais le témoin, dans son reportage à la BBC, a déclaré et a affirmé avec
22 détermination que c'était les Serbes qui avaient fait cela dans le "no
23 man's land". Le "no man's land" ici n'est qu'à 50 mètres de la route.
24 M. KARADZIC : [interprétation]
25 Q. Monsieur Bowen, comment se fait-il que vous avez conclu que ça ne
26 pouvait être que les Serbes qui avaient tiré depuis le "no man's land" ?
27 D'après vous, ils ont tiré depuis le "no man's land" ou ils ont tiré depuis
28 le territoire tenu par les Serbes ? D'après vous, d'où ont-ils tiré ?
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] M. Bowen a déjà répondu à la question de
2 toute façon.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Je peux rajouter une petite chose, si vous me
4 le permettez.
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Allez-y.
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous voyez bien ici que le "no man's land" est
7 extrêmement étroit. J'essayais d'être équitable lorsque j'ai dit que
8 j'avais l'impression que ça venait du "no man's land". Mais nous avons
9 quand même le cliché de ce bus qui passe le dernier point de contrôle
10 musulman et qui poursuit sa route, et à ce moment-là, on sait que le bus
11 n'a pas encore été attaqué.
12 Vous dites qu'il y a très peu de distance entre les deux postes.
13 D'après moi, ce n'est pas vraiment le "no man's land". C'est tout de suite
14 le territoire serbe. C'est là que l'attaque a eu lieu. Sinon, l'équipe de
15 la caméra qui était dans le bus, si les tirs avaient eu lieu tout de suite
16 dans le "no man's land", ils seraient restés à bord pour filmer. Je les
17 connais, c'est ce qu'ils auraient fait. Ils ne se seraient pas enfuis.
18 Or, ici, le "no man's land" est extrêmement étroit, donc le bus avait
19 déjà traversé le "no man's land" et était en territoire serbe. C'est là que
20 l'attaque a dû avoir eu lieu. Et quand on voit les images, on voit bien que
21 l'attaque ne peut pas provenir du territoire musulman. Donc moi, je pensais
22 que ça venait peut-être du "no man's land" en allant vers le territoire
23 serbe. Et d'après ce que vous me dites maintenant, je pense que c'était
24 tout simplement en territoire serbe.
25 M. KARADZIC : [interprétation] Bien.
26 Q. Mais où vous êtes-vous rendu ? Où était la morgue où vous avez vu les
27 enfants morts ?
28 R. Ce n'est pas dans la morgue principale de l'hôpital Kosevo, où l'on a
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1 emmené la plupart des corps. Il s'agissait plutôt d'une morgue de fortune.
2 Je pense que c'était un entrepôt précédemment. D'après mes souvenirs -
3 c'était il y a quand même 19 ans, mais d'après mes souvenirs - c'était soit
4 sur la grande route, soit à côté de la grand-route, en tournant casaque
5 dans l'autre sens, qui passe par le bâtiment "Oslobodjenje" et qui se
6 poursuit. Sur la gauche, il y a une petite route, un petit embranchement
7 avec un entrepôt, et c'est là dans ce petit entrepôt que les corps ont été
8 emmenés. Je ne sais pas s'ils ont fini à la morgue de Kosevo, mais c'est
9 vrai qu'à la morgue de Kosevo c'est là que les corps étaient emmenés la
10 plupart du temps, corps de civils et aussi corps de combattants.
11 Q. Très bien. Qui vous a emmené dans cette morgue de fortune ?
12 R. J'essaie de me souvenir. Nous avions un "fixer", un local, c'était un
13 résident, un habitant du coin. C'était une chirurgienne à l'hôpital.
14 D'ailleurs, c'était une femme. Soit qu'elle a passé quelques coups de fil
15 et elle a obtenu des informations sur la destination des corps. Nous
16 voulions aller voir. Elle a aussi posé des questions aux points de
17 contrôle, et cetera. Enfin, il y avait beaucoup de points de contrôle, donc
18 elle a juste posé des questions pour essayer de savoir où les corps de ces
19 enfants pouvaient bien se trouver, et c'est ainsi qu'on les a retrouvés.
20 Q. Merci.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Pourrions-nous avoir le document à nouveau --
22 non, il ne sert à rien de verser quoi que ce soit au dossier.
23 Mais pourrions-nous avoir la pièce 1D2917, page 161 à l'écran. Le document
24 1D2917 c'est le même document que celui que nous avons vu précédemment,
25 mais je voudrais voir la page 161, s'il vous plaît, cette fois-ci. Merci.
26 M. KARADZIC : [interprétation]
27 Q. "Lorsque notre caméraman a filmé les enfants alors que le bus passait
28 le dernier poste de contrôle musulman à l'extrémité de la ville, il est
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1 ensuite sorti bu bus. L'autocar est ensuite rentré dans le "no man's land",
2 où un sniper, sans doute un Serbe, a tiré sur le bus qui venait du
3 territoire musulman."
4 Donc vous avez conclu que c'était un Serbe parce que le bus venait du côté
5 musulman; c'est ça ?
6 R. Non, non, pas du tout. J'ai déjà donné beaucoup de détails. Dans mon
7 livre, entre parenthèses -- puisqu'on a entre parenthèses dans cette
8 phrase, c'est une version raccourcie, en fait. Mais j'ai déjà parlé de ma
9 version des événements dans mon reportage et dans le livre. J'ai laissé la
10 porte ouverte à la possibilité que je ne sais pas tout. Je l'ai dit quand
11 même que je ne suis pas au courant de tout. Je n'ai jamais essayé de cacher
12 le fait que je n'étais pas sur place, en effet. C'est tout ce que je peux
13 dire à propos de cet incident, et c'est tout ce que je peux vous répondre.
14 Q. Merci. Paragraphe suivant maintenant :
15 "Les deux enfants ont été emmenés à la morgue près de l'endroit où le
16 voyage en autocar avait commencé."
17 Cette morgue improvisée se trouvait-elle du côté musulman ?
18 R. Oui, c'était du côté musulman. J'étais du côté musulman et la morgue
19 était aussi du côté musulman -- du côté dirigé par les Musulmans.
20 Q. Merci. Sachant quels sont les "check-points", les lignes de
21 démarcation, les postes de contrôle et les tracés de déplacement, est-ce
22 que vous pouvez expliquer comment des dépouilles mortelles d'enfants tués
23 par des Serbes, tués donc du côté serbe, avaient pu être emportés vers une
24 morgue du côté musulman ?
25 R. Eh bien, c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai supposé que
26 l'incident s'était produit au "no man's land", parce que le bus avait fait
27 demi-tour. De mémoire, je crois qu'il y a eu des images d'autocar que nous
28 n'avons pas utilisées, après qu'on lui ait tiré dessus, parce que quand on
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1 a tiré dessus, le bus a fait demi-tour et est revenu. Les adultes et le
2 chauffeur, c'était des gens qui venaient de la partie de la ville passée
3 sous le contrôle du gouvernement bosnien et c'est la raison pour laquelle
4 je suppose que leur premier instinct a été de faire demi-tour et de
5 revenir. C'est un réflexe de fuite, parce que non seulement il y avait deux
6 enfants morts à bord de ce bus, mais vous avez pu le voir vous-même sur les
7 images, il y avait une vingtaine d'autres enfants en bas âge, et bon nombre
8 étaient attachés aux sièges parce qu'autrement ils seraient tombés. Ils ne
9 pouvaient pas rester assis tout seul. Donc il me semble qu'ils ont fait
10 demi-tour pour rebrousser chemin, et c'est la raison pour laquelle ces
11 corps ont été emmenés vers la morgue, et c'est la raison pour laquelle les
12 funérailles ont été tenues par le gouvernement de Bosnie.
13 Parce que, comme je l'ai dit, il y a des images de ce bus passant le
14 dernier poste de contrôle du gouvernement bosnien. C'est ce qui a été
15 établi. Donc le bus a quitté la zone passée sous leur contrôle, suite à
16 quoi il y a eu des coups de feu de tirés, et partant des informations
17 accessibles, les tirs ont commencé aussitôt après le passage du poste de
18 contrôle. Je n'ai pas pu m'entretenir avec le chauffeur pour lui demander
19 s'il a fait demi-tour en faisant une lettre U pour revenir ou s'il a fait
20 une autre manœuvre, mais c'était apparent, c'est ce qui s'est produit,
21 puisqu'il est retourné vers la ville.
22 Q. Je vous remercie.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce qu'on peut verser au dossier la page 161
24 ?
25 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Ce sera rajouté à la pièce à conviction
26 antérieure, à savoir le D936.
27 Entre-temps, Monsieur Bowen, il doit y avoir eu un poste de contrôle du
28 côté serbe aussi, après ce "no man's land" sur la route ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, il y en a eu un. Je ne sais pas s'ils
2 avaient passé ce poste de contrôle avant l'attaque ou s'ils étaient en
3 train de se diriger vers ce poste de contrôle. Mais comme on peut le voir
4 sur la carte, les distances entre les lignes de confrontation n'étaient pas
5 très grandes, ce qui fait que le bus n'a pas pu aller très loin au moment
6 du début des coups de feu. Je ne sais pas s'ils ont passé ce poste de
7 contrôle. Parfois il n'y avait pas de gens à des postes de contrôle. Ça se
8 trouvait peut-être un peu plus loin.
9 Mais comme je l'ai déjà dit, je n'étais pas présent au moment de l'incident
10 et je n'ai fait que des suppositions. Je ne veux pas spéculer outre mesure
11 à ce sujet.
12 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.
13 M. KARADZIC : [interprétation] Merci.
14 Q. Alors, les funérailles se sont passées au cimetière Lav ?
15 R. Nous, on a fait référence à ce cimentière en l'appelant Lav, Lav
16 signifiant Lion en B/C/S. C'est un cimetière qui se trouve à proximité de
17 l'hôpital Kosevo, et on l'appelle ainsi parce qu'il y avait une statue de
18 lion à son entrée.
19 Q. Merci.
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais que l'on se penche maintenant sur
21 la pièce 65 ter 09390-C, et je demande à ce qu'on nous montre la section 7.
22 M. KARADZIC : [interprétation]
23 Q. Sont-ils bons mes souvenirs si je dis que vous avez dit à l'occasion de
24 la visite rendue à ce cimentière, ou alors peut-être était-ce lors de
25 l'enterrement, mais je pense que vous êtes allé rendre visite au cimetière
26 pour porter des fleurs, donc est-ce qu'il y a eu des obus de tombés, est-ce
27 qu'il y a eu des coups de feu de tirés et y aurait-il eu une personne de
28 touchée à la tête par balle; n'est-ce pas ?
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1 R. Non, non. Si vous êtes en train de faire référence aux funérailles de
2 ces deux enfants morts qui étaient impliqués dans l'incident du bus,
3 c'était à l'enterrement de ces enfants, et nous avions appris -- on était
4 arrivé un peu avant l'heure et on nous a dit que l'enterrement avait déjà
5 été effectué, et comme je l'ai dit dans mon reportage, c'était dû au fait
6 que les fossoyeurs avaient décidé d'ensevelir les corps avant que les
7 personnes en deuil n'arrivent en raison de pilonnages.
8 Parce que lorsque les pilonnages ont commencé, il n'y avait plus de
9 gens en deuil. Il n'y avait que les fossoyeurs. Vous savez comment cela
10 fonctionne, ils creusent un trou, ils enterrent, et une fois que nous
11 sommes arrivés, c'était avant l'heure prévue, mais c'était déjà terminé. Il
12 y avait des enfants de ce foyer d'enfants qui étaient arrivés, mais ils
13 étaient venus pour l'enterrement, ce n'était pas pour rendre visite aux
14 tombes. Alors, personne n'a été touché à la tête. Mais à la vidéo, on a pu
15 voir la grand-mère d'une fille qui avait une très vilaine blessure au bras
16 gauche. Je pense que c'était au bras -- oui, au-dessus du coude. Il y avait
17 un grand trou dû à un éclat d'obus, et mon collègue a essayé de mettre un
18 bandage, mais le trou était si grand que le bandage qu'il avait est tombé
19 dans le trou, dans la partie manquante, et on a pu voir cela sur la vidéo.
20 On a essayé de stopper l'hémorragie. On l'a emportée ensuite vers l'hôpital
21 qui se trouvait à une minute ou deux de là.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais pourquoi n'essayons-nous pas
23 de voir cette page 9 du document.
24 Quelle était la question que vous aviez posée au sujet de cette
25 carte, Monsieur Karadzic ? Montrez-nous donc la page 9 de cette carte, s'il
26 vous plaît.
27 L'ACCUSÉ : [interprétation] Certes, mais on a besoin de la section 7
28 pour que M. Bowen -- enfin, on peut se servir de cette carte. Est-ce qu'on
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1 peut nous zoomer la partie centrale, là où il y a l'inscription
2 "Cimetière", pour demander à M. Bowen -- zoomez encore, voilà, plus au
3 nord. C'est bon, parfait.
4 M. KARADZIC : [interprétation]
5 Q. Est-ce que vous voyez ce qui est écrit ici, un, deux, trois,
6 "Cemetery". On voit catholique, orthodoxe, et en haut à droite, à côté de
7 l'hôpital de Kosevo, c'est là que se trouve ce cimetière "Lav", n'est-ce
8 pas ?
9 R. Oui, je vois ces trois cimetières. En effet.
10 Q. Merci. Est-ce que vous pouvez tracer un petit cercle au niveau de ce
11 cimetière Lav ?
12 R. C'est lequel le cimetière Lav ? Au milieu ou en haut ?
13 Q. C'est à côté du mur de l'hôpital même.
14 R. Oui, c'est à côté du terrain de sport [Le témoin s'exécute]. Ce
15 cimetière s'est élargi vers les terrains de sport au fur et à mesure que la
16 guerre a duré parce qu'il n'y avait plus de place au cimetière.
17 Q. Merci. Est-ce que vous pouvez mettre une date ? Pouvez-vous mettre Lav,
18 L-a-v, et parapher, s'il vous plaît ?
19 R. Je vais mettre L pour "Lion", "Lav". La date d'aujourd'hui c'est --
20 c'est quoi déjà aujourd'hui ? Le 12 --
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mettez cela en bas à droite. On est le
22 13.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] On est le 13 ?
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, le 13 janvier.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Excusez-moi, "13/01" [Le témoin
26 s'exécute]. Et mon paraphe.
27 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.
28 Je voudrais que ce soit versé au dossier.
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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, un instant.
2 Madame Edgerton, vous vouliez dire quelque chose ?
3 Mme EDGERTON : [interprétation] Je me suis rassise parce que le Dr Karadzic
4 a enchaîné, mais s'il convient de verser cette pièce au dossier, il
5 convient aussi d'indiquer que le témoin l'a annoté suivant des instructions
6 émanant du Dr Karadzic pour ce qui est de l'emplacement du cimetière.
7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, mais le témoin a confirmé cet
8 emplacement, n'est-ce pas ? Monsieur Bowen, vous confirmez bien
9 l'emplacement de ce cimetière Lav ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, comme je vous l'ai dit, je ne me suis pas
11 servi de cartes lorsque j'étais à Sarajevo. Je pourrais vous y emmener en
12 voiture. Mais pour autant que je m'en souvienne, à côté des terrains de
13 sport, il y avait aussi un stade, si mes souvenirs sont bons, et il y avait
14 un autre cimetière à gauche. Par conséquent, ça doit certainement être ce
15 cimetière Lav -- je viens de renverser mon verre d'eau. A droite, il me
16 semble qu'il y avait un hôpital.
17 Puis-je avoir des mouchoirs en papier ? Parce que j'ai renversé de l'eau et
18 je m'en excuse.
19 M. LE JUGE KWON : [aucune interprétation]
20 LE TÉMOIN : [interprétation] J'entends un grésillement aussi.
21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Alors, nous allons verser cela au
22 dossier.
23 M. LE GREFFIER : [interprétation] Cela sera la pièce D937, Madame,
24 Messieurs les Juges.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.
26 Pour ce qui est de cette section, le 65 ter 4340C.
27 M. KARADZIC : [interprétation]
28 Q. Vous dites aussi qu'il y avait un tireur qui avait tiré, n'est-ce pas ?
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1 R. Je ne sais pas si je me suis servi du mot de "tireur". Je ne pense pas
2 avoir utilisé le mot de "gunman" en anglais. Si oui -- enfin on peut se
3 repencher dessus une fois de plus, mais je pense que ce n'est pas le cas.
4 Les conclusions que j'ai tirées disant que c'était les Serbes qui étaient
5 responsables de ceci, que j'avais tirées à l'époque, ça s'est fondé sur le
6 fait qu'on nous avait indiqué que les Serbes, à titre régulier, avaient
7 pilonné le cimetière. Je me suis souvent entretenu avec des militaires pour
8 ce qui est de l'origine éventuelle de ces tirs. Cela venait d'un secteur où
9 se trouvaient les positions serbes.
10 Q. Merci. Donc je vous ai mal compris, parce que j'ai cru comprendre que
11 vous aviez utilisé des termes laissant entendre que quelqu'un avait été
12 tiré par balle de fusil.
13 Est-ce qu'on peut --
14 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Alors, à titre de rectificatif, le terme
15 utilisé en anglais était "gunners", donc "tireurs de canon", et non pas
16 "gunman" pour le terme qui est utilisé pour quelqu'un qui tire avec un
17 fusil.
18 L'INTERPRÈTE : L'interprète précise qu'en français, on dit "servants
19 d'artillerie" pour "gunners."
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.
21 Est-ce qu'on peut nous montrer la pièce P815, ou plutôt, cette carte, mais
22 j'aimerais qu'on nous montre la totalité de la carte, c'est-à-dire la carte
23 en entier, pas un fragment de carte.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Il s'agit de la page 2.
25 M. KARADZIC : [interprétation] Merci.
26 Q. Monsieur Bowen, êtes-vous d'accord avec moi pour dire qu'ici il y a une
27 ligne de confrontation qui suit la ligne de confrontation en face, c'est-à-
28 dire que l'une se trouve suivre l'autre ?
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1 R. Les lignes de confrontation se suivaient les unes les autres autour de
2 la ville, oui. Ça peut se voir sur la carte.
3 Q. Merci. Pour que les Serbes puissent tirer, ils étaient censés tirer
4 depuis un territoire contrôlé par eux, c'est-à-dire depuis l'extérieur de
5 cette ligne rouge, qui est la ligne de confrontation, n'est-ce pas ?
6 R. Oui, c'est clair.
7 Q. Puis on voit une ligne bleue, et on voit des tranchées musulmanes, puis
8 des territoires tenus par les Musulmans, qui sont tenus sous le contrôle
9 plein et entier des Musulmans, par les Musulmans, n'est-ce pas ?
10 R. Oui, à l'intérieur de la ligne bleue, c'était le territoire contrôlé
11 par eux.
12 Q. Alors comment peut-on, sans investigation et sans expertise balistique,
13 tirer une conclusion disant que c'est plutôt une partie qui a tiré plutôt
14 que l'autre ?
15 R. Eh bien, comme je l'ai déjà dit, j'avais au préalable eu des entretiens
16 avec diverses personnes pour ce qui est d'apprendre que ce cimetière avait
17 été pilonné auparavant -- c'était des gens de la FORPRONU qui me l'avaient
18 dit, et je pense qu'ils m'avaient montré du doigt des positions qui se
19 trouvaient au nord du cimetière. On a dit que les obus venaient de là-bas.
20 Alors, il y a aussi une question de motivation qui se pose, et je crois
21 qu'il importe de le dire.
22 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pouvez-vous attendre un instant.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien sûr.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pourquoi n'indiquerions-nous pas cette
25 position qui vous a été montrée à l'époque, à peu près ?
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Bon. C'est à peu près ici. Je ne peux pas
27 entrer davantage dans le détail, parce que je ne procède pas d'information
28 plus précise. Mais c'était assez proche, et c'est ce qui découle des
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1 discussions que j'avais eues.
2 De même, comme je voulais le dire, Madame, Messieurs les Juges, il y
3 avait une question de motif. On suppose -- l'opinion serbe selon laquelle
4 les gens du gouvernement de Bosnie avaient pilonné leurs propres gens
5 visait à engendrer des incidents pour les arranger sur le plan
6 international afin de jeter un éclairage négatif sur les Serbes.
7 Mais ce jour-là, il y a eu pilonnage de la part des Serbes lorsqu'il
8 n'y a pas eu de caméras, et là-bas, les pilonnages se faisaient au
9 quotidien. Ce cimetière a souvent fait l'objet de pilonnages, même quand
10 nous ne nous y trouvions. Alors, si on part d'une thèse qui serait celle de
11 voir le gouvernement bosnien souhaiter donner lieu à un incident au niveau
12 international, pourquoi le ferait-il quand il n'y a pas de caméras ? Il
13 s'est passé plus de 20 ans et on sait qu'ils n'ont pas été très bien
14 organisés, du moins pas en 1992. Depuis lors, on n'a jamais montré
15 d'information ou d'élément nouveau qui indiquerait que c'était eux qui
16 l'avaient fait.
17 Il se peut qu'il y ait eu des secrets confidentiels, mais jamais ce
18 type de thèse n'a été confirmé par quoi que ce soit. Il s'est passé depuis
19 20 ans ou presque. Donc il est difficile d'enfouiller des éléments
20 d'information pendant aussi longtemps. Pendant tout ce temps-là, il n'y a
21 eu aucune bribe d'information qui dirait qu'il y aurait un pistolet avec de
22 la fumée sortant de son canon pour indiquer que cela était des pilonnages
23 venus de la part des Bosniens. On sait comment les choses se sont passées
24 au niveau d'Abu Ghraib et comment les Américains n'ont pas pu garder secret
25 cela pendant plus de 12 mois.
26 Donc, à mon avis, les informations n'ont pas été toujours complètes,
27 ça a été des choses que l'on avait apprises de façon indirecte, et qu'il y
28 avait cette espèce de flou qui enveloppait les événements. Mais pendant
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1 toutes ces années, depuis les accords de Dayton à nos jours, il n'est
2 apparu aucun élément de preuve concret qui indiquerait ou qui confirmerait
3 l'affirmation suivant laquelle le gouvernement de Bosnie aurait fait
4 pilonner ses propres gens pour manipuler avec les médias. Donc je ne pense
5 pas que ça tienne debout.
6 M. KARADZIC : [interprétation] Merci.
7 Q. Vous avez retenu que ce cimetière se trouvait en face du stade et juste
8 à côté de l'hôpital de Kosevo. J'aimerais maintenant qu'on voie un peu la
9 corrélation qui existe entre les uns et les autres de ces sites.
10 R. Je pense que ça se trouvait à peu près ici par rapport à la ligne rouge
11 -- c'est le point le plus proche de la ligne rouge, qui se trouve être à un
12 kilomètre à peu près, si l'on en juge d'après l'échelle qui se trouve au
13 bas de la carte. Et dans l'autre direction, il s'agit probablement de 2
14 kilomètres, toujours en se référant à la carte de l'échelle. Et je vous
15 rappelle que les Serbes avaient occupé les postes en surélévation.
16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] J'aimerais que vous mettiez une date et
17 votre paragraphe en bas à droite.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous avez bien dit que c'était le 13
19 aujourd'hui, non ?
20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, on est le 13 janvier.
21 LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]
22 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je voudrais que ce soit versé au dossier.
23 M. KARADZIC : [interprétation]
24 Q. Vous a-t-on informé d'un azimut déterminé pour ce qui est de l'origine
25 du tir et vous a-t-on informé de l'angle d'arrivée de cet obus ? Vous a-t-
26 on fourni quelque élément balistique que ce soit sur ce sujet ?
27 R. Non, non, pas du point de vue technique. Je savais que l'obus y était
28 tombé, parce que j'y étais quand l'obus a explosé. Je ne parle pas du côté
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1 nord, je parle du côté sud. J'y ai passé pas mal de temps et j'ai fait des
2 reportages en grand nombre depuis là, et ça a été diffusé. Je me trouvais
3 aux côtés des Serbes de Bosnie qui s'y trouvaient. Je me suis entretenu
4 avec eux au sujet des pilonnages de la ville et ils m'ont confirmé qu'ils
5 avaient pilonné. J'ai vu des douilles vides d'obus. Ils nous ont même
6 laissé filmer à partir -- enfin, tout le long du canon d'une arme lourde,
7 une mitrailleuse d'un calibre de 50-millimètres. Ils avaient aussi disposé
8 d'un canon antiaérien dont ils se servaient en rabaissant le canon vers le
9 contrebas de la colline et ils s'en sont servis comme d'une arme
10 d'infanterie.
11 Je me suis entretenu avec les soldats. Dans le reportage, je n'ai pas
12 fait référence à des incidents concrets. Mais je me suis, en principe,
13 entretenu avec les soldats serbes qui avaient pilonné la ville, et j'ai vu
14 des douilles d'obus vides, je les ai filmées, ça a été diffusé. De mon
15 avis, cela avait été l'un des avantages, des gros avantages militaires du
16 côté des Serbes, le fait que du côté nord et du côté sud, ils avaient
17 occupé des postes en surélévation, chose qui leur a, en termes pratiques,
18 permis, à partir de ces positions serbes situées au nord et au sud, de
19 tirer sur la ville. Et lorsque je me trouvais à l'hôtel Holiday Inn, il y a
20 eu un touché de l'hôtel par un obus serbe, je n'ai pas disposé
21 d'informations balistiques concrètes, tel que vous l'évoquez dans votre
22 question, mais je sais que c'était un modèle de comportement, et c'est
23 ainsi que le siège s'était déroulé.
24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Bon, on a terminé pour la journée
25 d'aujourd'hui. Cette carte sera versée au dossier en tant que pièce D938.
26 Mais avant que de lever l'audience, Monsieur Tieger, est-ce que vous
27 avez pu contacter le témoin --
28 M. TIEGER : [interprétation] Oui. Mais je voudrais demander un
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1 passage à huis clos partiel.
2 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais en l'absence de ce témoin.
3 M. TIEGER : [interprétation] Oui, cela me semble approprié. Il ne s'agit
4 pas de ce témoin-ci, et comme nous sommes en audience publique…
5 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Monsieur Bowen, je vous remercie.
6 Nous allons continuer demain à 9 heures du matin. Et vous pouvez vous
7 retirer.
8 [Le témoin quitte la barre]
9 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Et entre-temps, nous allons passer à
10 huis clos partiel pour quelques instants.
11 [Audience à huis clos partiel]
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5 [Audience publique]
6 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous allons lever l'audience pour la
7 journée d'aujourd'hui, et nous allons reprendre demain matin.
8 --- L'audience est levée à 14 heures 37 et reprendra le vendredi 14 janvier
9 2011, à 9 heures 00.
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