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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT 95-5-R61
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE AFFAIRE N IT 95-18-R61
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4 Vendredi 28 juin 1996
5 (matin)
6
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8 Devant la Chambre de première instance composée comme suit :
9 M. le juge Claude Jorda, Président
10 Mme le juge Elizabeth Odio Benito
11 M. le juge Fouad Riad
12 Assistée de :
13 M. Dominique Marro, Greffier-Adjoint
14 LE PROCUREUR
15 c/
16 Ratko MLADIC
17 et Radovan KARADZIC
18
19 Le bureau du Procureur :
20 M. Eric Ostberg, M. Mark Harmon, M. Terree Bowers
21 Vendredi 28 juin 1996
22 (Matin)
23 L’audience est ouverte à 9 heures 30.
24 M. le Président. - L'audience est reprise. Après les grandes
25 fatigues d'hier et ayant rattrapé un peu le retard, nous allons essayer de
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1 faire en sorte de ne pas trop bouleverser l'emploi du temps qui, pour nos
2 amis interprètes, est très lourd, le Tribunal en est tout à fait
3 conscient. Il ne pourra peut-être pas faire complètement tout ce qu'il
4 veut, mais il fera son possible.
5 Je crois que nous pouvons sans plus tarder reprendre le cours
6 de nos séances avec le témoignage, Monsieur le Procureur, du Pr Garde.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous avez raison,
8 Monsieur le président. Nous continuons avec le Pr Garde.
9 M. le Président. - Monsieur le Professeur, êtes-vous reposé ?
10 Etes-vous en forme ? Dans ce cas, M. le Procureur va continuer à vous
11 poser les questions qui lui paraissent utiles.
12 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Bonjour, Monsieur
13 Garde. Hier soir, nous avons terminé avec la description de la montée du
14 nationalisme dans les années 80. Nous avons passé brièvement en revue la
15 réaction des médias et leur impact sur ces événements.
16 Si vous le permettez, nous pouvons continuer avec cette
17 chronologie des événements. Vous pouvez peut-être reprendre là où vous
18 vous êtes arrêté pour nous décrire les événements de la fin des années 80
19 et du début des années 90, qui ont en effet contribué à amené à la
20 dissolution de l'ancienne Yougoslavie.
21 M. le Pr Garde. - Nous avions parlé des événements en Serbie
22 dans les régions habitées par des Serbes. A la même époque, c'est-à-dire
23 vers la deuxième moitié des années 80, il y avait un mouvement
24 d'éloignement du communisme dans les Républiques du nord-ouest, et plus
25 particulièrement en Slovénie. Il y a eu, à partir de 1986, peu à peu,
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1 apparition anticonstitutionnelle, mais plus ou moins tolérée, de partis
2 différents en Slovénie et l'établissement d'un pluralisme démocratique
3 dans cette République.
4 Immédiatement, ce mouvement s'est trouvé en opposition avec
5 celui qui se déroulait en Serbie, puisque les Slovènes ont pris fait et
6 cause pour les Albanais du Kosovo qui étaient l'objet des attaques des
7 autorités serbes. Le conflit entre ces deux Républiques -la Slovénie et la
8 Serbie- est devenu assez aigu, surtout quand les Slovènes ont interdit un
9 meeting serbe qui devait se tenir chez eux et que les Serbes ont répondu
10 par un blocus économique contre la Slovénie.
11 Un peu plus tard, ce même mouvement de diversification
12 politique, d'apparition de partis d'opposition, toléré, s'est produit
13 également en Croatie. C'est ainsi que ces deux Républiques se sont
14 trouvées en opposition avec la Serbie.
15 Là-dessus intervient, en 1989, la chute du communisme dans
16 tous les pays voisins, c'est-à-dire la chute du mur de Berlin, la chute du
17 communisme en Hongrie, en Bulgarie, etc., et finalement en Roumanie. A ce
18 moment-là, naturellement, le mouvement vers le pluralisme devient beaucoup
19 plus fort. Les Républiques yougoslaves ne pouvaient pas rester à l'écart
20 du mouvement de libéralisation.
21 C’est à cette époque que se produisent divers événements.
22 C’est d'abord, au début de 1990, l'éclatement de la Ligue des communistes
23 yougoslaves. Les communistes slovènes et croates, d'un côté, serbes de
24 l'autre, avaient pris des positions totalement opposées. Au congrès de
25 début 1990, le parti éclate : les Slovènes quittent le congrès, suivis par
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1 les Croates. C'est fini, il n'y a plus de parti communiste yougoslave.
2 Ensuite, au cours de l'année 1990, interviennent des élections
3 qui se déroulent d'abord dans les Républiques du nord-ouest, en Croatie et
4 en Slovénie, au printemps de cette année là -en avril 1990- tandis que,
5 dans les autres Républiques, elles auront lieu à la fin de l'année, en
6 décembre. Les élections de mars en Slovénie et en Croatie amènent au
7 pouvoir des forces tout à fait opposées au communisme.
8 En Croatie, en outre, les élections sont gagnées par un parti
9 lui-même fortement nationaliste croate : le HDZ du Président Tudjman.
10 Immédiatement, cette arrivée au pouvoir des nationalistes en Croatie
11 aggrave les tensions, puisque la Croatie compte 12 % de Serbes. Dans les
12 populations serbes de Croatie, qui ont elles-mêmes été auparavant touchées
13 par la campagne de meetings et l'affirmation selon laquelle elles étaient
14 menacées, ce sentiment s'est renforcé encore, accentué par la propagande.
15 Le comportement des autorités croates donne des aliments à cette campagne.
16 L’un des slogans de la propagande croate était que les Serbes occupaient
17 des postes trop importants dans l'administration, donc on procède au
18 licenciement de certains fonctionnaires serbes, ce qui évidemment renforce
19 chez eux l’idée selon laquelle ils sont menacés.
20 De même, à ce moment-là, est votée une nouvelle Constitution
21 de la Croatie dans laquelle, contrairement à la constitution précédente où
22 il était dit que la Croatie était l'Etat du peuple croate et du peuple
23 serbe de Croatie ainsi que des autres nationalités et minorités qui y
24 vivaient, il est dit que la Croatie est l'Etat du peuple croate et des
25 autres nationalités qui y vivent telles que Serbes, Italiens, Hongrois,
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1 etc. C'est-à-dire que les Serbes, en quelque sorte, dans cette nouvelle
2 formulation passent de la première catégorie dans la seconde et jugent
3 qu'ils sont expulsés de cette Constitution et qu'ils deviennent des
4 citoyens de seconde zone. Bien que la Constitution leur reconnaisse tous
5 les droits possibles, ce n'est pas toujours le cas dans la pratique.
6 Donc la propagande, venue de Belgrade et exercée sur place,
7 chez les Serbes de Bosnie et de Croatie, et surtout de Croatie à cette
8 époque-là, insiste constamment sur le souvenir du génocide de 1941 et
9 installe dans la tête de la population serbe l'idée que ce génocide va
10 recommencer, que le nouveau pouvoir croate est le continuateur des
11 Oustachis et va recommencer le génocide des Oustachis. D’où révolte,
12 rebellion, à partir de l'été 1990 dans les régions de Croatie habitées par
13 des Serbes.
14 Cette rébellion commence d'abord simplement par des barrages
15 de routes et des désarmements de police croate par des insurgés serbes.
16 Plus tard, cela continue, au cours de l'hiver suivant et du printemps, la
17 rébellion devient de plus en plus forte. Les premiers morts tombent le
18 31 mars 1991 à Blitvice. Le premier massacre de policiers croates par des
19 Serbes a lieu le 2 mai 1991 à Borovoselo, c'est-à-dire presque deux mois
20 avant que la Croatie ne proclame son indépendance. Le conflit s'envenime
21 aussi parce que la Serbie a détourné les fonds appartenant à la
22 Fédération, ceci au début de l'année.
23 Il s'aggrave encore parce que la Serbie refuse au représentant
24 croate d'être élu Président, le 15 mai 1991. En effet, il y avait un
25 système de présidence tournante. Au 15 mai 1991, le Président précédent
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1 serbe arrivait à la fin de son mandat et la règle aurait voulait que l'on
2 élise le Croate Stipe Mesic, membre du Parti nationaliste croate. Les
3 représentants du bloc serbe font obstruction, empêchent cette élection.
4 Donc il n’y a plus de Président fédéral, les institutions fédérales sont
5 bloquées.
6 Pendant cette période, la Slovénie et la Croatie ont préparé
7 leur indépendance. Il y a eu des référendums en décembre 1990 en Slovénie
8 et en mai 1991 en Croatie, décidant à une énorme majorité de
9 l'indépendance, laquelle est finalement proclamée par les deux pays le
10 25 juin 1991, et c'est à ce moment-là que l'armée fédérale réagit et que
11 commence la phase militaire du conflit, avec l'intervention de l'armée
12 fédérale en Slovénie, qui ne durera que dix jours, l'intervention de
13 l'armée fédérale et la guerre en Croatie, qui durera six mois et, un peu
14 plus tard, en 1992, l'intervention militaire en Bosnie qui, elle, a duré
15 jusqu'à ces derniers mois.
16 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur
17 Garde. Comment la déclaration de l'indépendance de la Slovénie et de la
18 Croatie a-t-elle influé sur l'opinion publique, sur les développements en
19 Bosnie-Herzégovine ?
20 M. le Pr Garde. - La Bosnie-Herzégovine, comme nous l'avons
21 vu, est placée au centre de l'ancienne Yougoslavie, et ses populations,
22 outre les Musulmans bosniaques, sont d'une part des Serbes, d'autre part
23 des Croates. Par conséquent, la formule de la Fédération yougoslave
24 convenait tout à fait aux habitants de la Bosnie et les sondages montrent
25 qu'ils étaient, à la veille de la guerre, tout à fait favorables à la
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1 conservation de cette Fédération yougoslave, mais à condition que celle-ci
2 soit équilibrée, c'est-à-dire qu'elle englobe à la fois la Serbie et la
3 Croatie. La Bosnie se trouvait donc au milieu et un équilibre se trouvait
4 réalisé.
5 A partir du moment où la Fédération ne comprend plus la
6 Croatie et la Slovénie, la Bosnie se trouve, si l’on peut dire, en tête-à-
7 tête tout à fait inégal avec la Serbie, parce que les Serbes sont beaucoup
8 plus nombreux et puissants. Donc dans cette solution, la Bosnie restant à
9 l'intérieur de la nouvelle Fédération yougoslave dominée par les Serbes,
10 seuls parmi les habitants de la Bosnie les Serbes y étaient favorables,
11 mais les Croates et les Bosniaques musulmans y étaient tout à fait
12 opposés. Par conséquent, à partir du moment où la Fédération a éclaté, la
13 majorité de la population bosniaque, puisque Bosniaques musulmans et
14 Croates ensemble représentent les deux tiers de la population, souhaite
15 désormais l'indépendance.
16 Les élections en décembre 1990 en Bosnie avaient été gagnées
17 par les trois partis nationalistes : le SDS de Radovan Karadzic, parti
18 serbe ; le SDA d’Alija Itzebegovic, parti des Bosniaques musulmans et le
19 HDZ de Stiepan Kljuic, parti des Croates. Ces trois partis nationalistes
20 avaient formé une coalition et gouvernaient en se répartissant les postes
21 de responsabilité.
22 Mais cette coalition n'a pas tenu bien longtemps, parce que
23 justement ses différents membres avaient des intérêts opposés. Deux des
24 partis en question étaient pour l'indépendance de la Bosnie, tandis que le
25 troisième, le SDS serbe, y était totalement opposé. C'est pourquoi le
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1 conflit n'a pas tardé à éclater.
2 Pendant le deuxième semestre de 1991, c'est-à-dire pendant que
3 dure la guerre de Croatie -cette guerre épouvantable au cours de laquelle
4 l'armée fédérale yougoslave, avec l'aide des milices serbes, a occupé un
5 tiers des territoires croates, expulsé et massacré les populations croates
6 qui s'y trouvaient, a déjà pratiqué à ce moment-là un véritable nettoyage
7 ethnique- la Bosnie-Herzégovine restait à l'écart, elle était en principe
8 neutre. Le Président Alija Itzetbegovic avait soin de maintenir la
9 neutralité, mais le territoire était occupé par l'armée fédérale ; il
10 servait de base arrière à la guerre contre la Croatie, les tensions
11 intérieures étaient fortes et tout le monde sentait que le conflit allait
12 éclater.
13 Effectivement, ce deuxième semestre 1991 est la période où le
14 conflit s'est préparé et où les instruments du conflit et les instruments
15 préalables au partage du pays et au nettoyage ethnique ont été mis en
16 place.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,
18 comment le nationalisme serbe s'était-il manifesté, exprimé, articulé dans
19 le cadre de la Bosnie-Herzégovine ?
20 M. le Pr Garde. - Dans le cadre de la Bosnie-Herzégovine, au
21 moment où se préparaient les premières élections pluralistes, celles de
22 décembre 1990, s'était mis en place, parmi d'autres partis, un parti
23 nationaliste serbe, le SDS, Srpska Demokratska Stranka (Parti démocratique
24 serbe) dont le dirigeant principal, dès l'origine, a été Radovan Karadzic.
25 Ce parti, contrairement au parti au pouvoir en Serbie, celui
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1 de Slobodan Milosevic, n’était pas communiste, il se réclamait même de
2 positions anticommunistes et était fortement appuyé par l'église
3 orthodoxe. Celle-ci a joué un rôle important dans la création du SDS.
4 Le SDS, parti nationaliste, ayant pris comme objectif officiel
5 la défense des droits du peuple serbe en Bosnie, s'est mis en place, a
6 participé aux élections et à la coalition qui a gagné les élections. Par
7 la suite, il a participé au gouvernement dans les institutions de la
8 Bosnie-Herzégovine. Au début, la fonction de la présidence a été accordée
9 au principal leader bosniaque musulman, Alija Itzetbegovic, la fonction de
10 Premier ministre à un Croate et la fonction de Président de l'Assemblée à
11 un membre du SDS serbe, Momcilo Krajisnik.
12 Radovan Karadzic n'est pas entré dans les institutions
13 officielles en Bosnie-Herzégovine, mais il a conservé ses fonctions de
14 Président du parti SDS et il a également occupé celles de Président du
15 Conseil national serbe, organisme non officiel mais sensé représenter les
16 intérêts du peuple serbe en Bosnie. En même temps, le parti serbe -comme
17 d'ailleurs les autres partis nationalistes- s'est assuré le pouvoir dans
18 celles des municipalités où s'est exprimée la majorité.
19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Nous aimerions bien
20 maintenant passer en revue un certain nombre de pièces qui se trouvent
21 dans le dossier. Il s'agit de la version initiale, de l'original et des
22 différentes versions en anglais et en français, c'est-à-dire la traduction
23 de tout ce qui est écrit en cyrillique.
24 M. le Président. - Vous avez terminé un bloc de questions à
25 l'égard du Pr Garde. Mes collègues ont-ils quelques questions à poser ? En
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1 ce qui me concerne, il y en a une seule, et je ne suis pas sûr que vous
2 l'ayez abordée. Peut-être cela peut-il être utile pour nos débats.
3 Les déclarations d'indépendance des Républiques ont-elles
4 entraîné des réactions de la communauté internationale ? A votre avis,
5 comment ces réactions ont-elles joué dans le déclenchement du conflit,
6 éventuellement ? Si vous avez une opinion là-dessus, pouvez-vous la donner
7 au Tribunal, Monsieur le Professeur ?
8 M. le Pr Garde. - Les déclarations d'indépendance en tant que
9 telles n'ont pas immédiatement entraîné de réactions de la communauté
10 internationale, mais le déclenchement du conflit en Slovénie, puis en
11 Croatie, a entraîné des réactions, c'est-à-dire que comme il y avait une
12 guerre, la communauté internationale, en particulier la Communauté
13 européenne, a essayé de faire ce qu'elle pouvait pour y mettre fin.
14 En Slovénie, cela a été facile parce que justement il n'y a
15 pas de minorité serbe. De ce fait, les Serbes n'avaient pas un très grand
16 intérêt à conquérir la Slovénie et ils ont, au bout de quelques jours,
17 accepté de se retirer.
18 Mais en Croatie, cela a été beaucoup plus difficile. Le
19 conflit a duré six mois et il a été affreux, et sanglant. Les efforts de
20 la Communauté européenne pour y mettre fin ont d'abord été vains.
21 A ce moment là, certains pays, en particulier l'Allemagne,
22 mais d'autres aussi, ont pensé que la meilleure solution était de
23 reconnaître l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, afin que le
24 conflit prenne officiellement le caractère d'un conflit international et,
25 par conséquent, qu’une intervention de l'ONU devienne légitime et puisse
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1 apaiser ce conflit.
2 D'autres pays, au contraire, comme par exemple la France et
3 l'Angleterre, ont pensé qu'il valait mieux ne pas reconnaître ces
4 indépendances qui entraînaient la reconnaissance des frontières, mais au
5 contraire attendre afin d'échanger cette reconnaissance éventuelle de
6 l'indépendance contre des concessions de la part des Républiques
7 intéressées. En particulier, ils ont probablement souhaité arracher à la
8 Croatie des concessions en ce qui concerne ses frontières.
9 Ces deux conceptions se sont opposées et cette opposition est
10 responsable du fait que pendant six mois aucune décision n'a été prise.
11 Pendant ces six mois, tous les efforts faits par la communauté
12 internationale pour arrêter le conflit ont été vains. Finalement, au bout
13 de six mois, c'est-à-dire en décembre 1991, la décision de reconnaissance
14 traditionnelle a été prise au mois de décembre et elle devait intervenir
15 le 15 janvier. L'Allemagne a anticipé sur cette date tandis que les autres
16 pays l'ont reconnue effectivement le 15 janvier comme prévu. Une chose est
17 certaine : c'est immédiatement après que cette décision de reconnaissance
18 a été prise que les combats en Croatie se sont arrêtés, soit le
19 2 janvier 1992.
20 Vous m'avez demandé mon opinion, Monsieur le Président. On
21 entend souvent dire que la reconnaissance a été prématurée, qu'elle a été
22 responsable du conflit. J’ai même pu lire quelque part que cette
23 reconnaissance avait été la cause de la guerre. Je pense au contraire que
24 cette reconnaissance a été très tardive, qu'elle a été pour beaucoup dans
25 le fait que les combats se sont arrêtés en Croatie, et quand on dit
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1 qu'elle a été la cause de la guerre, il faut savoir que cette décision de
2 reconnaissance a été prise en décembre 1991 et qu'à cette date, il y avait
3 déjà six mois que la guerre durait. Il y avait déjà des dizaine de
4 milliers de morts en Croatie. La ville de Vukovar venait de tomber, où il
5 y a eu des massacres épouvantables et il y a des charniers autour de
6 Vukovar. Du point de vue de la chronologie, il est tout à fait absurde de
7 dire que cette reconnaissance a été la cause de la guerre, puisque celle-
8 ci durait déjà depuis six mois.
9 Sans aucun doute, la reconnaissance a entraîné la
10 reconnaissance des frontières. Elle a cristallisé le fait que la
11 Fédération avait éclaté. Par conséquent, le fait que la Fédération avait
12 éclaté mettait la Bosnie dans une position difficile. Mais ce n'est pas la
13 reconnaissance qui a créé cela, c'est le fait même de l'éclatement de la
14 Fédération dont j'ai exposé les causes précédemment. Ce n'est pas en
15 refusant de reconnaître cet éclatement, en continuant à faire exister la
16 fiction de la Fédération quand elle ne correspond plus à aucune réalité
17 qu'on aurait pu mettre la Bosnie dans une position plus favorable. Telle
18 est mon opinion.
19 M. le Président. - Merci, Monsieur le Professeur. Je me tourne
20 vers mes collègues. Avez-vous des questions ?
21 M. Riad. - Monsieur le Professeur, vous avez mentionné tout à
22 l'heure que dans l’attaque en Croatie, l'armée yougoslave avait l’aide des
23 milices serbes. Quel était le rôle de ces milices ? Faisaient-elles partie
24 de l'armée ? Etaient-elles sous les ordres de l’Armée ?
25 M. le Pr Garde. - Ces milices n'étaient pas officiellement
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1 sous les ordres de l’Armée. J’ai employé le terme de milice qui recouvre
2 en réalité deux choses différentes, parce qu'il y avait d'une part les
3 véritables milices locales formées avec des populations serbes de Croatie
4 qui ont joué un rôle dans les tout premiers événements dans les barrages
5 et les premiers affrontements et, d’autre part, des groupes para-
6 militaires venus de Serbie, recrutés par certaines formations extrémistes
7 serbes, comme par exemple les Tigres d’Arkan, les Aigles blancs et
8 d'autres mouvements recrutés en Serbie qui venaient participer à ces
9 opérations en Croatie et qui ont joué un rôle particulièrement actif.
10 On peut dire, même si officiellement les deux espèces de
11 milices n'étaient pas sous les ordres de l'Armée, qu’en réalité elles ont
12 agi de façon tout à fait coordonnée : dans un premier temps les milices,
13 en particulier les milices locales, provoquaient un conflit avec les
14 Croates quand, dans un deuxième temps, l'armée venait soi-disant
15 s'interposer. En réalité, elle s’installait sur le terrain et empêchait
16 toute possibilité pour les croates de le reprendre.
17 Plus tard, quand la guerre s'est véritablement enclenchée, à
18 partir de juillet-août 1991, l'armée attaquait telle ou telle position par
19 un bombardement d'artillerie, ensuite occupait le terrain, chassait les
20 Croates. Ensuite les milices, en particulier celles venues de Serbie,
21 venaient derrière et procédaient aux massacres, aux destructions, à
22 l’expulsion des populations. C’était donc trois forces distinctes, mais
23 qui ont agi pendant tout ce temps-là en très étroite coordination.
24 M. Riad. - Une question m'est restée depuis hier. Quand vous
25 avez parlé du nettoyage ethnique, vous avez rappelé que ce nettoyage
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1 existait du temps de l'Empire autrichien, puis du nazisme. Mais pourriez-
2 vous plus ou moins déterminer le début de la conception de cette politique
3 en Yougoslavie et d'où elle est venue ?
4 M. le Pr Garde. - Ce qui s'était passé par exemple au XVIIIème
5 siècle, sous l'Autriche, ou au XIXème siècle, en territoire serbe et
6 monténégrin, était l'expulsion des Musulmans.
7 Ensuite, en Croatie et en Bosnie, en 1941, pour la première
8 fois le nettoyage ethnique a été pratiqué par des représentants d'un
9 peuple chrétien sur un autre peuple chrétien, c’est-à-dire par des Croates
10 sur des Serbes. C’est la première fois que le nettoyage ethnique se
11 pratique sans que les victimes en soient des Musulmans. C'est la première
12 fois aussi où il prend des proportions aussi systématiques, aussi énormes.
13 Ceci est évidemment lié à l'idéologie nazie, à l'idéologie fasciste de
14 cette époque-là.
15 On peut dire que le nettoyage ethnique tel qu’il est pratiqué
16 en Croatie au cours du second semestre de 1991, puis en Bosnie de 1992 à
17 1995, est la suite, c'est le même type d'opérations, mais cette fois-ci
18 menées d'une façon plus systématique et plus rigoureuse qu'on ne l'avait
19 jamais vu auparavant.
20 M. Riad. - Elle est pratiquée par qui alors ?
21 M. le Pr Garde. - Pratiquée en Croatie par les Serbes contre
22 les Croates et les non-Serbes, comme les Hongrois, et en Bosnie contre les
23 Croates et surtout contre les Bosniaques musulmans qui en ont été
24 quantitativement les principales victimes, ce qui n'empêche pas qu'il y a
25 eu aussi en Bosnie un nettoyage ethnique pratiqué par des Croates contre
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1 les Bosniaques musulmans et par des Bosniaques musulmans contre des
2 Croates au cours de l’année 1993. Mais numériquement, statistiquement, le
3 nettoyage a été pratiqué avant tout par les Serbes. Ils en ont pris
4 l’initiative au cours de ces années 90, ils l’ont pratiqué de façon tout à
5 fait systématique et statistiquement de façon infiniment plus
6 considérable. Infiniment.
7 M. Riad. - Merci, Monsieur le Professeur.
8 M. le Président. - Monsieur le Professeur, une question me
9 vient à la suite de celle de mon collègue. Comment définissez-vous le
10 nettoyage ethnique, à la fois dans son principe et dans ses méthodes ?
11 Ensuite, je poserai une question sur l’Armée.
12 M. le Pr Garde. - Le nettoyage ethnique est une pratique qui
13 consiste à faire en sorte que dans un territoire donné, les membres de
14 tel ou tel groupe ethnique soient éliminés, qui tend à ce que tel ou tel
15 territoire devienne "ethniquement pur", c’est-à-dire qu’il ne contienne
16 plus que des membres du groupe ethnique qui a pris l’initiative de ce
17 nettoyage.
18 Donc les membres des autres groupes sont éliminés par
19 différentes méthodes. Il y a des massacres -on ne massacre pas tout le
20 monde, mais il y a des massacres numériquement importants, de façon à
21 effrayer ces populations. Quelquefois, les massacres sont sélectifs et
22 cherchent à éliminer les élites de la population en question. Lorsqu’il y
23 a des massacres, naturellement les autres populations s'en vont, ont peur,
24 cherchent à s'enfuir. Les populations dont beaucoup de membres ont été
25 massacrées et qui se trouvent en butte à des persécutions ont finalement
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1 elles-mêmes le désir de partir, elles sont soumises à des pressions et
2 partent d’elles-mêmes ou sont expulsées, l’essentiel étant qu’elles ne
3 soient plus là.
4 En même temps, certains sont enfermés dans des camps,
5 certaines femmes sont violées. En outre, il y a souvent aussi ce que l'on
6 a appelé le mémoricide, c’est-à-dire la destruction des monuments qui
7 marquaient la présence de telle ou telle population dans tel territoire,
8 par exemple des lieux de culte : les églises catholiques ou les mosquées
9 sont détruites.
10 Voilà les procédés employés par le nettoyage ethnique au cours
11 de cette guerre.
12 Mme Odio-Bénito. - Dans le cadre de ce nettoyage ethnique,
13 Monsieur le Professeur, lorsque vous parlez de Musulmans, parlez-vous en
14 termes religieux ? Est-ce un groupe ethnique ou un groupe religieux ?
15 M. le Pr Garde. - Quand j’ai parlé de Musulmans à propos du
16 18ème ou du XIXème siècle, il s'agissait d'un groupe religieux. Quand j'en
17 parle à propos du XXème siècle, en particulier en Bosnie, il ne s'agit
18 plus véritablement d'un groupe religieux. Comme je l’ai dit hier, dans ces
19 régions, en particulier en Bosnie où les différentes populations parlent
20 toute la même langue, la différenciation au cours de l'Histoire s'est
21 faite selon un critère confessionnel, c’est-à-dire l'appartenance à tel ou
22 tel groupe confessionnel.
23 Les Croates sont ceux qui étaient de tradition religieuse
24 catholique, les Serbes de tradition religieuse orthodoxe et les Bosniaques
25 musulmans de tradition religieuse musulmane. Cela ne signifie pas que ces
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1 gens aient eu une foi personnelle ou qu’ils aient pratiqué la religion.
2 Cela signifie simplement qu'ils étaient traditionnellement issus de
3 familles musulmanes. Leurs ancêtres appartenaient à cette communauté
4 musulmane et cela ne signifie pas du tout qu'ils continuaient à pratiquer
5 la religion musulmane, à suivre ses préceptes, à croire ce que croient les
6 musulmans. Il en est de même d’ailleurs pour les catholiques et les
7 orthodoxes.
8 Simplement, ils appartenaient héréditairement à cette
9 communauté, ils étaient considérés par ceux qui les entouraient comme
10 appartenant à cette communauté. Cela n’impliquait rien en ce qui concerne
11 leur foi ou leur pratique personnelle. Il y a naturellement, parmi les
12 Serbes, même ceux qui se réclament très fort de l’orthodoxie, qui
13 défendent l’église orthodoxe, beaucoup sont agnostiques ou athées. Il y a
14 aussi beaucoup de Croates agnostiques ou athées. Il y a aussi beaucoup de
15 Musulmans agnostiques ou de musulmans athées. Ce n’est pas une question de
16 foi personnelle, mais d'appartenance à un certain groupe, à une certaine
17 nation.
18 M. Riad. - Monsieur le Professeur, dans votre explication du
19 nettoyage ethnique, outre la déportation et le massacre, vous avez
20 mentionné le viol. Celui-ci a-t-il été employé comme arme de nettoyage
21 ethnique ?
22 M. le Pr Garde. - Oui, il a été employé à ce titre.
23 Evidemment, le viol, c'est aussi l'humiliation ressentie par la femme qui
24 est violée, par toute sa famille et tout le groupe auquel elle appartient.
25 C'est quelque chose qui rend plus difficile, plus intolérable la vie en
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1 commun des différents groupes, le retour éventuel dans la région où s’est
2 produit ce viol. Sans aucun doute cela a été employé d'une façon
3 systématique. Ceci dit, pour répondre à cette question, vous aurez
4 certainement des experts beaucoup plus qualifiés que moi. Je ne fais ici
5 que répéter ce qui a été écrit à ce sujet.
6 M. Riad. - Vous employez toujours le mot "systématique" pour
7 le nettoyage ethnique. Qui a pu prôner cette politique au départ dans le
8 conflit actuel ?
9 M. le Pr Garde. - Elle avait été prônée précédemment en
10 particulier par des théoriciens serbes à plusieurs reprises. Par exemple,
11 un texte de 1937 explique très clairement comment il faudrait se
12 débarrasser des Albanais du Kosovo. Il y a des ordres réels ou apocryphes
13 du Général Mihaïlovic pendant la deuxième guerre mondiale qui indiquent
14 qu'il faut nettoyer ethniquement. Je dis authentiques ou apocryphes parce
15 que même s’ils ne sont pas de la main de Mihaïlovic, ils sont quand même
16 issus de ces milieux de Chetniks. L'idée était donc dans l'air et la
17 pratique avait existé.
18 Dans le conflit actuel, je ne connais pas de texte dans lequel
19 il soit dit expressément que les populations doivent être expulsées. Mais
20 il est dit expressément un peu partout : "Nous ne pouvons plus vivre
21 ensemble, nous ne devons plus vivre ensemble, nous ne devons plus vivre
22 avec les Musulmans sous un même toit, etc." Je n'ai pas les textes ici,
23 mais cette idée a été exprimée à plusieurs reprises, très fréquemment. En
24 tout cas, la pratique étant extrêmement systématique, il est clair que
25 l’idée était présente.
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1 M. Riad. - Je vous remercie.
2 M. le Président. - Je ne suis pas sûr que l’on ait toujours
3 abordé, en tout cas on ne l'a abordé que très partiellement, le rôle de
4 l'armée au départ dans la structure fédérale, puis progressivement ce rôle
5 de l'armée qui évolue. Pourriez-vous, même brièvement, nos donner quelques
6 éclaircissements sur le rôle de la JNA ?
7 M. le Pr Garde. - L’armée était finalement la seule
8 institution fédérale qui avait subsisté. Au fur et à mesure que le pouvoir
9 avait été dévolu aux Républiques, et surtout lorsque la présidence
10 fédérale disparaît, il ne restait plus qu’une institution fédérale :
11 l’Armée.
12 Celle-ci a plusieurs caractéristiques. D’abord, pour des
13 raisons historiques, les Serbes, depuis l’origine, y occupaient des
14 positions dominantes. Il y avait, je pense, 60 % d'officiers serbes alors
15 que les Serbes ne sont que 36 % de la population de la Yougoslavie. Si
16 l’on compte les Monténégrins, la proportion est encore plus forte.
17 Ensuite l'Armée non seulement était une institution fédérale,
18 mais elle vivait de la Fédération et du régime communiste puisque, comme
19 dans tous les régimes communistes, l'armée, les militaires étaient
20 privilégiés. Donc l'armée dans son ensemble souhaitait le maintien de la
21 Fédération et, pour la plupart de ses cadres, le maintien de la Fédération
22 ne se dissociait pas de la défense du peuple serbe.
23 Il y a, par exemple, les mémoires du Général Kadijevic,
24 commandant chef de l’armée pendant toute la période cruciale et jusqu’en
25 janvier 1992. Quand on le lit, on s’aperçoit que, pour lui, les deux
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1 objectifs ne faisaient qu’un : défense des institutions fédérales et
2 défense des droits des Serbes contre tous les autres peuples.
3 A partir du moment où le pouvoir fédéral disparaît -et on peut
4 dire qu'il disparaît lorsque la présidence fédérale cesse de fonctionner
5 au 15 mai 1991-, on se trouve avec cette situation bizarre d'une armée qui
6 n'a plus personne pour la commander, qui agit comme une force autonome.
7 Grâce à la médiation européenne, à partir de juillet 1991,
8 l’Europe avait imposé finalement l'élection de Mesic, Croate, comme
9 Président de la Fédération, donc théoriquement comme chef de l'armée, mais
10 celle-ci ne lui a jamais obéi le moins du monde. Bien que théoriquement
11 chef de l'armée, il était considéré par celle-ci comme son ennemi numéro
12 un. Donc l’Armée n’avait plus de tête au-dessus d’elle. Elle s’est
13 comportée comme un corps autonome, lequel a pris fait et cause pour le
14 bloc serbe et a agi en étroite coordination avec le pouvoir serbe, celui
15 de Milosevic.
16 D’ailleurs, il s'est créé à ce moment-là un Parti pour la
17 Yougoslavie, dont la direction assurée à la fois par la propre femme de
18 Milosevic, (Eleana Markovic ?*) et quelques-uns des principaux chefs de
19 l'armée. A partir de cette époque, l’Armée agit de façon autonome, mais
20 étroitement liée au pouvoir serbe.
21 M. le Président. - Monsieur le Procureur, comment désirez-vous
22 organiser la suite de nos travaux ? L'audience a exceptionnellement
23 commencé plus tôt et dure jusqu'à 13 heures. Nous devrons faire une pause,
24 notamment pour les interprètes, et vous avez des documents à produire.
25 Quelle est votre suggestion ?
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1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
2 Président, il nous faudra 30 à 45 minutes pour regarder les documents
3 supplémentaires. Si cela vous convient, nous préférerions continuer
4 maintenant. Naturellement, cela dépend des voeux du Tribunal et du
5 personnel. Si vous voulez interrompre maintenant, nous pouvons le faire.
6 M. le Président. - En espérant que ceci conviendra à tout le
7 monde, nous allons donc poursuivre l'audition du témoin jusqu'à son
8 achèvement. Ensuite, nous ferons la pause et nous aborderons le deuxième
9 témoignage. Monsieur le Procureur, vous avez la parole.
10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Monsieur le
11 Président. Monsieur le Professeur, pourriez-vous regarder la pièce n° 4 et
12 expliquer à la Chambre ce qu’est cette pièce à conviction n° 4 ?
13 M. le Pr Garde. - Il s’agit d’une lettre adressée par Radovan
14 Karadzic à Slobodan Milosevic pour le féliciter de son élection à la
15 présidence de la République de Serbie. La pièce n’est pas datée, mais on
16 peut facilement la dater de décembre 1990 puisque c’est la date de cette
17 élection pour laquelle sont émises ces félicitations.
18 A mon avis, ce qu'il y a d'intéressant dans cette pièce, c’est
19 la signature, c’est le fait que Radovan Karadzic signe à la fois en
20 qualité de Président du SDS, le parti démocratique serbe, et de Président
21 du Conseil national serbe de Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire de
22 l'organisme non officiel, non constitutionnel, qui était sensé représenter
23 les intérêts du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine. Il apparaît clairement
24 dans cette pièce, ne serait-ce que par le fait qu'il adresse en cette
25 qualité ses félicitations au Président de la Serbie, comme le leader des
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1 Serbes de Bosnie.
2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous
3 passons à la pièce n° 5. Pourriez-vous expliquer cette pièce à la
4 Chambre ?
5 M. le Pr Garde. - Cette pièce est datée d'août 1991. C'est une
6 circulaire envoyée par Karadzic en qualité de président du SDS à tous les
7 comités régionaux et municipaux du SDS en Bosnie. Ce document indique
8 comment devaient être organisées les communications entre les différents
9 organes du SDS et comment assurer le secret de ces communications. Donc
10 c'est déjà, même à cette époque-là, en août 1991, alors que la guerre
11 faisait rage en Croatie mais n'avait pas commencé en Bosnie, les
12 préparatifs pour une action je ne dirais pas clandestine, mais en tout cas
13 secrète et militaire, pour protéger les communications, rendre possible les
14 communications du parti sans qu'elles soient interceptées par les
15 autorités officielles de Bosnie.
16 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
17 Professeur, pourriez-vous passer à la pièce n° 6 et expliquer également ce
18 qu’elle est ?
19 M. le Pr Garde. - La pièce n° 6 est de mars 1992. Elle est
20 adressée aux présidents de municipalités, bien entendu à ceux qui sont
21 serbes, puisque cette époque, en mars 1992, les territoires considérés
22 comme serbes se sont déjà, contrairement à la période précédente,
23 constitués en territoires séparés. Ici, Radovan Karadzic signe toujours en
24 qualité de Président du SDS, mais il ne s'adresse plus au comité du SDS
25 comme dans le document précédent, il s'adresse directement aux présidents
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1 de municipalités, celles qui étaient placées sous son autorité à cette
2 époque où le pays avait déjà été divisé.
3 Là encore, il s'agit d'organiser les communications entre les
4 différentes municipalités.
5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous
6 passer à la pièce n° 7 et l'expliquer à la Chambre ?
7 M. le Pr Garde. - La pièce 7 est une décision pour le maintien
8 du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine dans l'Etat commun de Yougoslavie.
9 Cette pièce n'est pas signée de Radovan Karadzic. Elle est signée de
10 Moncilo Krajisnik.
11 En fait, il serait intéressant de regarder également la pièce
12 précédente qui figure sur la même page de photocopie. C'est une décision
13 pour créer une assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, décision
14 de la même date, du 24 octobre 1991. A cette date, il est décidé dans un
15 premier temps -c'est la première pièce, celle qui précède celle au sujet
16 de laquelle vous m'interroger- de créer une Assemblée du peuple serbe de
17 Bosnie-Herzégovine. C'est un degré supérieur par rapport au Conseil qui
18 existait précédemment. Désormais il y a une Assemblée qui est sensée régir
19 le peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire que désormais les
20 Serbes de Bosnie-Herzégovine sont sensés ne plus reconnaître l'autorité du
21 gouvernement de Bosnie-Herzégovine, qui était un gouvernement commun, mais
22 se constituer en entité séparée.
23 Cette Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine
24 est composée des députés du SDS et du SPO qui est un autre parti serbe qui
25 siégeait à l'assemblée de Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire que c’est un
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1 fragment de l'Assemblée de Bosnie-Herzégovine, représentant les deux
2 principaux partis serbes, qui se constitue en corps séparé. C’est pourquoi
3 le Président de cette assemblée est l'homme membre du SDS qui était
4 précédemment Président de l'ensemble de l'assemblée de Bosnie-Herzégovine,
5 c'est-à-dire Moncilo Krajisnik. C’est pour cela qu'il signe en cette
6 qualité.
7 Dans un premier temps, cette assemblée se constitue, c'est la
8 première pièce. Dans la seconde pièce (pièce n° 7), cette assemblée à
9 peine constituée, le jour même, décide que le peuple serbe de Bosnie-
10 Herzégovine doit rester dans l'Etat commun de Yougoslavie.
11 Il est intéressant de voir qu'il est mentionné que le peuple
12 reste dans l'Etat commun de Yougoslavie. Il n'est pas question
13 expressément de la République socialiste fédérale de Yougoslavie, qui
14 existait à ce moment là, et pas davantage bien entendu de la République
15 fédérale de Yougoslavie qui sera créée quelques mois plus tard. Il est
16 question simplement, terme qui n'a pas valeur officielle
17 constitutionnelle, de l'Etat commun de Yougoslavie, ce qui signifie que
18 quelle que soit la forme que prend l'Etat de Yougoslavie, les Serbes
19 entendent y rester.
20 Il s'agit en quelque sorte d'un acte marquant la volonté de
21 sécession de ce que l'on appelle le peuple serbe de Yougoslavie par
22 rapport à l'Etat de Bosnie. On peut se demander aussi pourquoi cet acte
23 intervient le 24 octobre 1991. Cet acte, naturellement, était préparé
24 depuis longtemps puisque précédemment il y avait eu la création de régions
25 autonomes serbes. Tout était prévu pour cette sécession, mais ce qui l’a
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1 déclenchée, c'est le vote intervenu le 14, le 15 octobre 1991, c'est-à-
2 dire une semaine avant le vote du Parlement de Bosnie-Herzégovine qui
3 s'est prononcé pour la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine, vote obtenu
4 par les voix des partis des représentants croates et bosniaques musulmans,
5 mais repoussé avec violence même par les représentants serbes.
6 C'est au cours de cette fameuse séance du 14 ou du
7 15 octobre 1991 du Parlement de Bosnie-Herzégovine que Radovan Karadzic a
8 prononcé des paroles particulièrement menaçantes au sujet de ce qui allait
9 se passer au cas où ce vote interviendrait. Si vous le voulez bien, je
10 vais lire ce qu'il a dit à cette occasion. Je m'excuse, mais je vais le
11 lire en anglais parce que je n'ai sous les yeux ni l'original serbe ni une
12 traduction française, j'ai sous les yeux une traduction anglaise publiée
13 dans le livre de Ruran Silba et Alan Lito(?) "The death of Yougoslavia", à
14 la page 237. A cette occasion Karadzic a dit devant le Parlement de
15 Bosnie-Herzégovine :
16 (L'orateur poursuit en anglais) :
17 "Vous voulez faire parcourir à la Bosnie-Herzégovine la même
18 route d'enfer et de misère sur laquelle la Slovénie et la Croatie se sont
19 engagées. Attention, vous allez entraîner la Bosnie-Herzégovine en enfer
20 et allez entraîner l'annihilation, l'élimination du peuple musulman parce
21 que les Musulmans ne peuvent pas se défendre s'il y a la guerre. Comment
22 voulez-vous empêcher que les gens soient tués en Bosnie ?"
23 (L'orateur poursuit en français) :
24 Karadzic a dit cela le 14 ou le 15 octobre 1991 et la pièce
25 n° 7 que nous avons sous les yeux est en quelque sorte la mise en oeuvre
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1 de cette politique, le premier pas dans cette politique, c'est-à-dire la
2 volonté de sécession des Serbes de Bosnie par rapport à la Bosnie.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
4 Professeur, la création de l'Assemblée et ce qui est resté de la
5 Yougoslavie réapparaît dans cette publication. Est-ce que vous pourriez
6 expliquer cette publication et ce que cela signifie à la Chambre ?
7 M. le Pr Garde. - Vous voulez dire l’organe dans lequel ce
8 texte est publié ?
9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Oui.
10 M. le Pr Garde. - Ceci est publié dans le Sluzbeni Glasnik de
11 Bosnie-Herzégovine. C’est une sorte de "Journal officiel" du peuple serbe
12 en Bosnie-Herzégovine.
13 Le fait que le peuple serbe publie un journal officiel est
14 aussi un des actes dans ce processus de sécession, c'est-à-dire le "peuple
15 serbe" s’est constitué en entité séparée et il publie son journal
16 officiel. Il faut remarquer toutefois que ce journal officiel n'a commencé
17 à paraître qu'un peu plus tard, le 15 janvier 1992, et que les actes dont
18 je viens de parler, du 24 octobre 1991 ont été rassemblés après coup,
19 trois mois après, deux mois et demi, après dans l'organe qui a été publié
20 ultérieurement, parce que dans le texte même de la décision, il est dit, à
21 l'article 3 : "Cette décision sera publiée dans le journal du peuple serbe
22 "Javnost". Il s’agit d’un journal qui paraît encore aujourd'hui, je crois
23 me souvenir que c'est un hebdomadaire. C'est un journal normal, ce n'est
24 pas un journal officiel.
25 Dans un premier temps, lorsque la décision est prise, on
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1 décide de la publier simplement dans la presse et un peu plus tard, ils se
2 sont dit qu’il fallait aussi avoir un journal officiel, ce qu'ils ont fait
3 deux mois plus tard et ils ont rassemblé toutes les décisions prises
4 antérieurement.
5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Professeur
6 Garde, pourrions-nous maintenant passer à la pièce n° 8 ? Pourriez-vous
7 expliquer quelle la teneur de ce document ?
8 M. le Pr Garde. - Il s’agit d’une décision donnant pouvoir
9 pour représenter et défendre les intérêts du peuple serbe en Bosnie-
10 Herzégovine. Dans cette pièce sont désignées cinq personnes qui reçoivent
11 les pleins pouvoirs, qui sont habilitées par l'Assemblée du peuple serbe
12 -qui vient de se créer, puisque tout cela se passe le même jour, le
13 24 octobre- pour la représenter dans tel ou tel type d'affaire.
14 Il est très intéressant de voir comment sont répartis ces
15 responsabilités. Deux personnes sont chargées des relations
16 internationales : Nikola Koljevic et Biljana Plavsic, qui étaient les deux
17 représentants des Serbes à la présidence bosniaque. Trois autres personnes
18 sont chargées des relations avec les autorités fédérales yougoslaves -or,
19 comme la décision précédente prévoyait que les Serbes se donnaient comme
20 but de rester dans l'Etat commun yougoslave, les relations avec les
21 autorités fédérales yougoslaves étaient les fonctions les plus
22 importantes- et parmi ces trois personnes figurent Najdanovic, chargé des
23 relations avec l’Assemblée et le pouvoir législatif, Miodrag Simovic,
24 chargé des relations avec le gouvernement fédéral et Radovan Karadzic,
25 chargé des relations avec la présidence fédérale, c’est-à-dire qu’il est
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1 chargé des relations avec le pouvoir suprême dans la Fédération. Dans
2 cette phase où le but des Serbes de Bosnie est de rester dans la
3 Fédération yougoslave, Radovan Karadzic est chargé des fonctions qui sont
4 à ce stade les plus importantes, lien avec la présidence fédérale. Il ne
5 peut pas être officiellement intronisé membre de la présidence fédérale,
6 mais il est chargé des relations avec elle, ce qui revient à peu près au
7 même.
8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Passons à la pièce
9 n° 9. Pourriez-vous expliquer la teneur de ce document et son importance ?
10 M. le Pr Garde. - Il s'agit d'une décision sur les territoires
11 des municipalités des communautés locales et des lieux habités de Bosnie-
12 Herzégovine qui se considèrent comme territoires de l'Etat fédéral de
13 Yougoslavie. Toujours cette même formule ambiguë : l'Etat fédéral de
14 Yougoslavie.
15 La sécession de l’entité serbe a été prononcée par les
16 décisions précédentes. Nous sommes ici un mois après, le 21 novembre. La
17 sécession a été proclamée en principe, mais le territoire n'a pas été
18 défini. Il s’agit donc de le définir. Ce territoire est défini comme le
19 territoire dans lequel, lors du plébiscite organisé quelques jours avant,
20 c’est-à-dire les 9 et 10 novembre, plus de 50 % des citoyens de
21 nationalité serbe se sont prononcés pour rester dans la Yougoslavie.
22 Toutes ces régions où plus de 50 % des citoyens de nationalité serbe se
23 sont prononcés pour rester dans la Yougoslavie sont considérées comme
24 territoire de la Yougoslavie.
25 C'est évidemment une définition tout à fait élastique, puisque
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1 le plébiscite en question a été organisé partout en Bosnie-Herzégovine et
2 partout où il avait été organisé, seuls les Serbes avaient voté, mais une
3 majorité d'entre eux s'étaient prononcés pour rester dans la Yougoslavie.
4 C’est donc une définition extrêmement élastique du territoire qui rend
5 possible tous les empiétements.
6 Une autre caractéristique de ce texte est qu’il est dit à la
7 fin de l’article 4 que les Serbes ne peuvent pas s'opposer aux décisions
8 prises par les communautés croates ou musulmanes de former leurs propres
9 entités, ce qui évidemment est une interprétation tout à fait arbitraire
10 de la réalité puisqu'à cette époque, les populations croates et musulmanes
11 ne s'étaient pas du tout prononcées pour former leurs propres entités. Il
12 y avait simplement des décisions prises à la majorité par l’Assemblée de
13 Bosnie-Herzégovine, qui était sensée représenter toutes les communautés.
14 Il n’y avait donc à cette époque-là aucune action particulière de la part
15 des communautés croates et musulmanes. Celles-ci n’étaient pas sensées, à
16 cette époque, avoir d'existence séparée, contrairement à la prétention de
17 la communauté serbe à cette époque.
18 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pouvons-nous passer
19 à la pièce n° 10 ? Pouvez-vous nous expliquer l’importance de cette
20 pièce ?
21 M. le Pr Garde. - Ici, nous sommes toujours le 21 novembre
22 1991. Il s’agit d’une décision -mot à mot- sur la vérification des
23 territoires autonomes serbes proclamés en Bosnie-Herzégovine. C’est un
24 autre pas, un autre acte allant vers la sécession des territoires serbes,
25 c’est la définition de ces territoires.
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1 Avant les actes dont nous avons parlé ici, il y avait eu la
2 création, par les Serbes, par le SDS, de régions autonomes serbes et de
3 districts autonomes serbes, c'est-à-dire que certaines régions s'étaient
4 érigées en territoires autonomes et ainsi soustraites au pouvoir commun de
5 la République de Bosnie-Herzégovine.
6 Il est donné ici la liste des communes que comportent ces
7 différentes régions. Il s'agit d'une délimitation territoriale de ces
8 différentes régions. L’une d’entre elles, plus grande, mentionnée en
9 premier, s’appelle la région autonome de Krajina. Elle comprend un
10 territoire assez étendu, c’est pourquoi elle s’appelle région. Ensuite,
11 nous avons les districts autonomes d’Herzégovine orientale, de Romanija,
12 de Semberija et de Bosnie du Nord.
13 Nous avons une liste des territoires qui s'étaient érigés en
14 territoires autonomes serbes et s'étaient donc ainsi séparés déjà
15 potentiellement de la Bosnie-Herzégovine et qui, ici, se sont déclarés
16 constituer partie intégrante de la Yougoslavie et de l'entité serbe qui se
17 constitue en ce moment.
18 Nous avons donc cette définition territoriale ici. Il faut
19 remarquer que cette décision ne trace quand même pas encore des lignes
20 précises puisqu'il y a certaines régions, certaines municipalités dont il
21 est indiqué que le territoire ne comprend qu'une partie. Ce n'est pas
22 encore une délimitation précise, et déjà la décision précédente prévoyait
23 que l'on pouvait aller plus loin et englober d'autres territoires.
24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,
25 cette création des régions autonomes et de districts autonomes
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1 faisait-elle partie d'une stratégie serbe plus vaste, à votre avis ?
2 M. le Pr Garde. - Oui, il s'agit d'une stratégie à plus long
3 terme puisqu’il s'agira de faire en sorte que ces territoires, qui dans un
4 premier temps se sont créés en régions autonomes, se réunissent ensemble.
5 Finalement, ils doivent se réunir à la Yougoslavie. Il est intéressant de
6 remarquer que ce processus est le même que celui suivi précédemment en
7 Croatie, puisqu'en Croatie aussi les Serbes avaient créé d'abord deux
8 régions autonomes, puis celles-ci s’étaient réunies ensemble et il était
9 prévu qu'elles restent dans la Yougoslavie.
10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci.
11 Pourrions-nous maintenant voir la pièce 11 et pourriez-vous l’expliquer ?
12 Que représente cette carte ?
13 M. le Pr Garde. - C'est la projection sur une carte de la
14 délimitation dont nous avons parlé tout à l'heure, c’est à dire la
15 délimitation prévue par l'acte précédent. C'est l'ensemble des communes
16 prévues pour faire partie de l'entité serbe, pour rester dans l'Etat
17 commun de Yougoslavie. C’est donc la délimitation géographique qui ressort
18 de l'acte précédent.
19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Madame, Messieurs
20 les juges, à des fins d’éclaircissement, j’aimerais faire deux
21 observations au sujet de cette carte. D’abord, je ferai remarquer que les
22 municipalités de Bosanska Ljubica, Bosanska Gradezka et Bosanska Novi (?)
23 ne sont pas incluses dans la décision du journal officiel. Nous les voyons
24 cependant sur la carte car, sur la base de recherches et d'enquêtes, nous
25 disposons des minutes de l'Assemblée et, dans ce procès-verbal, il est
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1 indiqué que ces trois municipalités doivent être incluses. C'est la raison
2 pour laquelle elles figurent sur la carte, mais je tenais à ce que ce fait
3 soit indiqué clairement au Tribunal.
4 Par ailleurs, une ligne rouge traverse la municipalité de
5 Bosanska Gornji Vakuv, Veokatica(?) et Sarajevo. Cette ligne n’est qu’une
6 délimitation approximative, car comme le Pr Garde vient de le dire, le
7 texte n’est qu’approximatif et ne donne qu’une idée imparfaite de la façon
8 dont se constituent ces territoires, certains n’incluant qu’une partie de
9 ces municipalités.
10 Passons maintenant à la pièce 12 : le document 113. Professeur
11 Garde, je vous demanderai de l’expliquer pour le Tribunal, je vous prie.
12 M. le Pr Garde. - La nouvelle carte que nous voyons ici
13 indique la situation militaire au 10 novembre 1992, c'est-à-dire à peu
14 près un an après ce qui figurait sur la première carte. On voit qu’il y a
15 une assez grande correspondance entre ces deux cartes, puisque les
16 terrains recouverts sont approximativement les mêmes. Les Serbes ont
17 occupé militairement quelque chose qui ressemble beaucoup à ce qu'ils
18 avaient prévu un an plus tôt.
19 Je remarque d'ailleurs qu'il y a une erreur sur cette dernière
20 carte parce que la région de Bihac Cazin, Velika Kladusa tout à fait à
21 l’ouest, est figurée en rouge, alors qu’elle ne devrait pas. Je pense que
22 c'est simplement une erreur, ces régions n’ont pas été conquises par les
23 Serbes à cette époque et ne le seront jamais.
24 Les deux cartes se ressemblent. Elles ne se superposent pas
25 exactement, puisque, dans certains cas, les Serbes ont conquis des
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1 territoires plus vastes que ce qu'ils avaient prévu. Par exemple, toute la
2 vallée de la Drina, au nord-est, c'est-à-dire les communes de Visegrad,
3 Srebrenica, Bratunac, Zvornik, Kaletcia (?), a été conquise par les
4 Serbes, alors qu’elle n’était pas incluse dans le texte que nous avons vu.
5 Vous n’ignorez pas que les régions que je viens de citer sont
6 justement celles dans lesquelles se sont produits quelques-uns des actes
7 les plus atroces de la purification ethnique. Nous avons aussi d'autres
8 régions qui ont été conquises alors qu'elles n'étaient pas prévues dans le
9 plan initial. Par exemple, la région de Jajce ou bien encore Brcko au
10 nord-est de la carte, qui était en blanc sur la première carte et qui est
11 en rouge sur la deuxième. Brcko a été aussi le théâtre de combats
12 épouvantables et l’un des hauts lieux, si l'on peut dire, du nettoyage
13 ethnique.
14 Inversement, il y a des régions où les serbes ont rencontré
15 plus de résistance qu’ils ne pensaient. Ce sont d'ailleurs des régions à
16 majorité bosniaque musulmane qu'ils avaient incluses, dans le texte
17 précédent, dans leur région de Bosnie du nord. Il s'agit de ce saillant
18 vers le nord que vous voyez sur la carte n° 12 autour de Tuzla. Cette
19 remontée vers le nord n'était pas prévue dans la carte précédente, c'est-
20 à-dire que les Bosniaques musulmans ont mieux résisté là qu’il n'avait été
21 prévu.
22 La situation militaire rencontrée en novembre 1992 part des
23 prévisions qui avaient été faites un an plus tôt, avec simplement quelques
24 avancées supplémentaires, mais aussi quelques résistances supplémentaires
25 rencontrées. Les avancées supplémentaires ont été particulièrement
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1 sanglantes.
2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Encore un
3 éclaircissement au sujet de cette carte, Monsieur le Président. Cette
4 ligne qui a été tracée évoque la situation du front telle que mise au
5 point par les forces britanniques de la FORPRONU. Outre ce que le Pr Garde
6 a dit au sujet du nord-ouest, vous constatez que Gorazde, Zepa et
7 Srebrenica, les trois enclaves, ne figurent pas sur cette carte. Elles
8 sont le résultat d’une évolution ultérieure. C’est un éclaircissement que
9 je voulais faire au sujet de cette carte.
10 Pouvons-nous maintenant voir les pièces 13 et 14 brièvement ?
11 Il s’agit d’une superposition des deux tracés pour voir les similitudes.
12 Le Professeur Garde a déjà expliqué quelle était l’importance de ces deux
13 tracés. Nous passons donc à la pièce n° 14. Pourriez-vous expliquer quelle
14 est l'importance de la pièce 14 et quelle est la teneur de ce document ?
15 M. le Pr Garde. - La pièce n° 14, datée du 11 décembre 1991,
16 est un appel adressé par le même organisme, l’Assemblée du peuple serbe de
17 Bosnie-Herzégovine, signé par son Président, Moncilo Krajisnik, à l’Armée
18 nationale yougoslave pour que, par tous les moyens en son pouvoir, elle
19 défende, en tant que partie intégrante de l’Etat yougoslave, les
20 territoires de Bosnie-Herzégovine où a eu lieu le plébiscite du peuple
21 serbe et des autres citoyens pour rester dans l’Etat commun de
22 Yougoslavie, ces territoires ayant été préalablement définis, de façon
23 d'ailleurs peu précise. Il s’agit maintenant de s'adresser à l'armée
24 yougoslave pour assurer leur défense. Il s'agit donc, là encore, de
25 répéter le processus qui s’est produit en Croatie, c'est-à-dire de faire
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1 en sorte que l'armée yougoslave participe à la défense des territoires
2 serbes ainsi définis.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Savez-vous comment
4 la JNA a répondu à cette requête ?
5 M. le Pr Garde. - La JNA naturellement a répondu favorablement
6 à cette requête. La suite a montré que c’était précisément les unités de
7 l’armée yougoslave -qui ont été, si on peut dire, rebaptisés un peu plus
8 tard pour former l'armée des Serbes de Bosnie- qui ont été le fer de lance
9 de cette guerre en Bosnie.
10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,
11 vous avez utilisé le terme "rebaptisée". Faites-vous référence au moment
12 où la JNA a proclamé officiellement qu'elle allait se retirer de Bosnie-
13 Herzégovine ? Pouvez-vous expliquer cela et peut-être comparer ce que l’on
14 a appelé ce retrait de la Bosnie-Herzégovine avec celui qui s'était déjà
15 produit auparavant de Croatie et de Slovénie ?
16 M. le Pr Garde. - En Slovénie, l'armée fédérale avait accepté
17 de se retirer aux termes des accords passés avec la Communauté européenne
18 et elle s’est effectivement retirée avec tous ses effectifs, toutes ses
19 armes, tout son matériel de Slovénie.
20 En ce qui concerne la Croatie, l’armée fédérale, à la suite du
21 cessez-le-feu signé le 2 janvier 1992 et des accords signés ensuite, s’est
22 retirée de Croatie. On a laissé simplement dans les territoires de Croatie
23 sous occupation serbe les forces locales qui ont été rebaptisées police,
24 c’est-à-dire qui ont endossé des uniformes de police, mais c'était tout de
25 même des unités locales. L’Armée fédérale n’avait pas besoin de rester
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1 pour défendre ces territoires, puisque cette charge avait été assumée par
2 l’ONU. De Croatie, l’Armée fédérale s'est effectivement retirée.
3 Mais de Bosnie, elle ne s’est pas retirée. En avril et mai
4 1992 a été proclamé le retrait de l’armée fédérale. En réalité, toutes les
5 unités de l’armée fédérale, avec tous leurs matériels, sont restées en
6 Bosnie. Simplement, il y a eu un remembrement des effectifs afin que ces
7 unités soient composées exclusivement ou presque de militaires serbes
8 natifs eux-mêmes de Bosnie. Il y a donc eu un transfert des effectifs. Les
9 militaires de Bosnie ont été affectés dans les unités nommées en Bosnie et
10 les militaires non originaires de Bosnie ont été affectés dans les unités
11 stationnées en Serbie et au Monténégro.
12 Les unités stationnées en Serbie et au Monténégro ont continué
13 à porter le titre d’armée fédérale. Les unités stationnées en Bosnie ont
14 porté le titre d’armée de la République serbe, c'est-à-dire de la
15 République serbe de Bosnie, et ont donc été sensées constituer une force
16 entièrement séparée, mais elles avaient conservé tout leur matériel,
17 toutes leurs possibilités. Il faut dire aussi qu'elles ont d’ailleurs
18 continué à être payées par le budget fédéral.
19 Si le retrait de Slovénie et de Croatie a été effectif, le
20 retrait de Bosnie n’a existé que sur le papier. L'armée fédérale est
21 restée en Bosnie, elle a simplement changé de nom. C’est pourquoi je
22 disais qu’elle avait été rebaptisée.
23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur
24 Garde. Pouvons-nous maintenant passer à la pièce 15 et pouvez-vous
25 l’expliquer à la Chambre ?
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1 M. le Pr Garde. - La pièce n° 15, qui date du
2 21 décembre 1991, est une décision qu'il soit procédé à la formation de la
3 République serbe de Bosnie-Herzégovine. D’ailleurs, dans l’article 1, il y
4 a cette formule bizarre : on procède aux préparatifs pour la formation de
5 la République serbe de Bosnie-Herzégovine. En d'autres termes, cette
6 République n'est pas encore formée, mais le texte en question prévoit le
7 préparatif à cette formation et il est prévu que la République soit
8 proclamée avant le nouvel an serbe, avant le 14 janvier 1992, dans un
9 délai de trois semaines à un mois.
10 Cela signifie que c'est une étape de plus dans la sécession,
11 la constitution de l'entité serbe de Bosnie. Dans les textes précédents,
12 il était simplement précisé qu'elles restaient dans la Yougoslavie et ici,
13 il est décidé qu'elles vont constituer une République séparée, la
14 République serbe de Bosnie-Herzégovine.
15 On peut se demander pourquoi cette décision est prise à cette
16 époque. C'est le moment où la Communauté européenne vient de décider que
17 l'on envisagerait la reconnaissance des Républiques qui le demanderaient
18 et il est donné un certain délai aux Républiques, jusqu'au 27 décembre,
19 pour présenter leur demande d'indépendance.
20 Parallèlement, les Serbes de Bosnie décident qu'ils pourront
21 se constituer en République mais se donnent eux-même un délai pour ce
22 faire. Il s'agit du même processus de sécession et de formation d'entités
23 séparées qui est sensé être mené parallèlement aux décisions prises par
24 l'autre partie.
25 Il est prévu que la République en question soit fondée avant
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1 le 14 janvier.
2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur
3 Garde. Passons à la pièce n° 16. Pouvez-vous l'expliquer au Tribunal ?
4 M. le Pr Garde. - C'est une décision pour la formation d'un
5 Conseil des ministres de l'Assemblée du peuple serbe en Bosnie-
6 Herzégovine. C'est de la même date, le 21 décembre. Cela signifie que
7 cette Assemblée -qui a été constituée précédemment, qui fonctionne déjà
8 comme un Etat, qui va bientôt avoir son journal officiel et qui va
9 constituer une République-, avant même sa formation, aura un gouvernement,
10 lequel est énuméré ici dans ce texte.
11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,
12 on peut remarquer que l'accusé Radovan Karadzic ne figure pas parmi les
13 ministres cités dans ce document. Pouvez-vous l'expliquer ? Pourquoi son
14 nom ne se trouve-t-il pas dans la composition de ce Conseil ministériel ?
15 M. le Pr Garde. - C'est facile à expliquer, c'est que Karadzic
16 ne fait pas partie du gouvernement parce qu’il se réserve pour les
17 fonctions de Président de la République.
18 Les Républiques yougoslaves ont toutes plus ou moins adopté
19 dans leurs Constitutions un système inspiré en partie de la
20 Vème République française, c'est-à-dire avec distinction entre, d'une
21 part, un Président de la République ayant des fonctions importantes et,
22 d’autre part, le gouvernement. Nous avons vu que toujours Karadzic s'est
23 tenu à l'écart de ce qui était gouvernement.
24 Déjà dans la décision précédente, il était chargé des
25 relations avec les autorités fédérales, non pas au niveau du gouvernement,
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1 mais au niveau de la présidence. De même, dans cet acte, il laisse à
2 d'autres personnes les fonctions gouvernementales. Il se réserve pour la
3 fonction suprême qu'il occupera plus tard.
4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Peut-on
5 passer à la pièce n° 17 ? Pouvez-vous l’expliquer au Tribunal en tenant
6 tout particulièrement compte des articles 1 et 2 ?
7 M. le Pr Garde. - Ce texte est précisément la Constitution que
8 se donne la fameuse République serbe de Bosnie-Herzégovine. Pardon, je
9 confonds. Cette pièce est une déclaration sur la proclamation de la
10 République serbe du peuple de Bosnie-Herzégovine. C’est donc la
11 réalisation de l'acte précédent. Il était prévu qu'il devait être procédé
12 à la création d'une République serbe de Bosnie-Herzégovine avant le
13 14 janvier. Là, nous sommes le 9 janvier et cette République est
14 effectivement proclamée.
15 On peut remarquer déjà que, dans le préambule, il est question
16 de la délimitation territoriale et de la République de Bosnie-Herzégovine
17 ayant existé jusqu'à présent. En un sens, cet acte est, aux yeux des
18 Serbes de Bosnie, l’acte de décès de la République de Bosnie-Herzégovine
19 telle qu'elle avait existé. A partir de là, on trouvera constamment dans
20 les médias serbes l'expression "ex-Bosnie-Herzégovine".
21 M. le Président. - Monsieur le Procureur, je crois que nous
22 avons largement dépassé le temps. Je pense surtout à la pause car il n'est
23 pas du tout question d'interrompre le témoin. Je me pose la question de
24 savoir si, conformément aux accords que nous avons pris, il ne
25 conviendrait pas de faire la pause maintenant, pause qui irait jusqu'à
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1 11 heures 45, en pensant aux sténotypistes et aux interprètes, avant de
2 reprendre avec le Pr Garde, car à la fois ces explications doivent être
3 données au Tribunal, il ne s’agit pas de les raccourcir, mais il faut
4 penser aux autres impératifs de l’organisation de l’audience.
5 L'audience, suspendue à 11 heures 20, est reprise à 11 heures 35.
6 M. le Président. - L’audience est reprise. Monsieur le
7 Procureur, vous avez la parole.
8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Monsieur
9 le Président. Professeur Garde, nous débattions de la pièce n° 17,
10 article 1. Pourriez-vous la décrire pour le Tribunal et nous situer sa
11 portée ?
12 M. le Pr Garde. - L’article 1 de ce texte reprend la
13 définition des territoires qui feront partie de la République serbe de
14 Bosnie-Herzégovine. Il est intéressant de voir qu'il mentionne les régions
15 autonomes, les districts autonomes et les autres ensembles ethniques
16 serbes (... l'orateur indique en serbo-croate les termes "ensembles
17 ethniques serbes"*) en Bosnie-Herzégovine, ce qui est déjà quelque chose
18 de très vague, et il ajoute :
19 (L'orateur poursuit en serbo-croate) :
20 «Y compris les régions dans lesquelles la population serbe est
21 restée minoritaire en raison du génocide dont elle a été l’objet pendant
22 la deuxième guerre mondiale ».
23 (L'orateur reprend en français) :
24 Il s’agit donc de la mention du génocide. Il faut remarquer
25 que cette formule, premièrement, est extrêmement imprécise, donc e permet
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1 n’importe quelle extension du territoire, deuxièmement, elle est à peu
2 près sans objet parce que, si sanglant qu’ait été le génocide commis
3 contre les Serbes pendant la deuxième guerre mondiale, les études
4 démographiques faites ensuite ont montré qu’il n’a pas changé de façon
5 sensible la structure ethnique de la population. C’est un des grands
6 mythes serbes selon lequel les Serbes auraient perdu la majorité en Bosnie
7 du fait du génocide perpétré entre 1941 et 1945. En réalité, les
8 recensements montrent que la majorité a basculé non pas à cette époque-là,
9 mais trente ans plus tard. Le premier recensement qui fait apparaître que
10 les Serbes n’ont plus la majorité est celui de 1971. Par conséquent, il
11 n’est pas vrai que les Serbes aient perdu la majorité à cause du génocide.
12 Si on prend les différentes régions, les différentes localités
13 individuellement, je ne peux pas affirmer qu’il n’y ait aucune dans
14 laquelle ce basculement n’ait pas été provoqué par le génocide, mais je ne
15 le pense pas, ou en tout cas s’il y en a elles sont extrêmement rares.
16 Donc il s’agit d’une formule qui est à peu près sans objet, qui d’ailleurs
17 sera abandonnée un peu plus tard, comme nous le verrons dans les documents
18 ultérieurs, mais qui a pour objet à la fois de rendre la définition
19 imprécise, permettant toutes les extensions, et de se référer à un mythe
20 extrêmement puissant dans l’opinion serbe.
21 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,
22 veuillez bien porter votre attention sur l’article 2 et expliquez-nous sa
23 signification.
24 M. le Pr Garde. - L’article 2 précise que la République
25 nouvellement formée restera dans la Yougoslavie et sera une de ses unités
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1 fédérales. De nouveau, il est question de l’Etat fédéral de Yougoslavie
2 (...l'orateur donne les termes en serbo-croate), termes qui, comme nous
3 l'avons vu, n'est pas officiel et qui peut s’appliquer à n’importe quelle
4 forme de Yougoslavie. La nouvelle République ne fait plus partie de la
5 Bosnie-Herzégovine, mais elle prétend devenir une des unités fédérales de
6 la Yougoslavie, comme l’était la Bosnie-Herzégovine précédemment.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Nous pouvons passer
8 à la pièce 18, un jeu de documents, y compris la Constitution. Pouvez-vous
9 expliquer au Tribunal quelle est la teneur, la signification de cette
10 pièce ? Pourriez-vous relever quelque chose d’important, de significatif,
11 en ce qui concerne la date de la mise en application de la Constitution en
12 question ?
13 M. le Pr Garde. - La Constitution en question est proclamée le
14 28 février 1992. Pourquoi le 28 février ? Parce que le 29 février, c’est-
15 à-dire le lendemain, est prévu le référendum par lequel la Bosnie-
16 Herzégovine doit proclamer son indépendance. Donc il faut, aux yeux des
17 Serbes de Bosnie, qu’au moment où la Bosnie-Herzégovine proclamera son
18 indépendance, la République nouvellement formée, qui fait sécession, la
19 Bosnie-Herzégovine, ait déjà sa propre Constitution.
20 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Voudriez-vous
21 porter votre attention sur l’article 2 et en expliquer au Tribunal la
22 signification ?
23 M. le Pr Garde. - Cet article reprend en partie l’article que
24 nous avons analysé à l’instant sur la définition du territoire. Il est
25 question encore une fois du territoire des régions autonomes, des autres
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1 ensembles ethniques serbes, mais il est dit ensuite :
2 (L'orateur poursuit en serbo-croate) :
3 «Y compris les régions où la population serbe a fait l’objet
4 du crime de génocide au cours de la deuxième guerre mondiale».
5 (L'orateur poursuit en français) :
6 En apparence, c’est la même chose que tout à l’heure. En
7 réalité, c’est différent. Tout à l’heure, il était question des régions
8 dans lesquelles le peuple serbe s’est retrouvé en minorité du fait du
9 génocide. Maintenant, il est question simplement des régions où le
10 génocide a été commis, ce qui est tout à fait différent. On peut imaginer
11 que les auteurs de ce texte se sont aperçus de ce que j’ai dit tout à
12 l’heure, c’est-à-dire que la majorité démographique n’avait pas basculé du
13 fait du génocide et que, par conséquent, leur texte précédent était sans
14 objet. C’est simplement une hypothèse que je fais.
15 Il faut remarquer aussi que le texte est encore plus général,
16 parce que s’il n'y a pas ou très peu de régions où le génocide a fait
17 basculer la majorité, en revanche le génocide a été commis un peu partout.
18 Donc, quand on parle des régions où a été accompli le génocide, cela peut
19 s’appliquer pratiquement à n’importe quelle région de Bosnie-Herzégovine.
20 Comme on le voit, la définition du territoire demeure
21 extrêmement imprécise, extrêmement élastique et permet toutes les
22 interprétations et toutes les conquêtes.
23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,
24 revenons encore à la Constitution, article 3, où l’on emploie une autre
25 expression : cette nouvelle entité, telle qu’elle se situe, telle qu’elle
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1 se voit par rapport à l’entité fédérale ou à l’Etat fédéral de
2 Yougoslavie, pourriez-vous en faire une revue succincte ?
3 M. le Pr Garde. - L’article 3 dit simplement que la République
4 fait partie de l’Etat fédéral de Yougoslavie. C’est la même formule que
5 précédemment, il s’agit de l’Etat fédéral de Yougoslavie quel qu’il soit.
6 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,
7 est-ce que vous voudriez bien passer à la fin de ce jeu de documents ? Il
8 s’agit de la loi constitutionnelle pour la mise en application de la
9 Constitution. J’attire votre attention sur l’article 5. Vous voudrez bien
10 expliquer au Tribunal quelle est la teneur et quelles en sont les
11 dispositions.
12 Il s’agit toujours de la pièce 18, dernier segment : la loi
13 constitutionnelle sur la mise en application de la Constitution.
14 M. le Pr Garde. - Oui, la loi constitutionnelle.
15 L’article 5 dit que :
16 (L'orateur poursuit en serbo-croate) :
17 « D’ici l’élection du Président de la République, la
18 présidence sera assurée..., les autorités seront assurées par les
19 représentants de la nationalité serbe élus aux élections du
20 18 novembre 1990».
21 (L'orateur poursuit en français) :
22 Jusque-là, la Constitution elle-même -dont nous avons parlé à
23 l’instant- prévoit l’élection du Président de la République au suffrage
24 universel. Ici, il est prévu que jusqu’à l’élection du Président, la
25 fonction sera remplie par les membres de la présidence qui avaient été
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1 élus précédemment. Ces membres de la présidence étaient Nikola Koljevic et
2 Biljana Plavsic. Ce sont ces deux personnes qui assurent une présidence
3 collective. Pour l’instant, Radovan Karadzic ne s’est pas mis en avant
4 comme Président puisque ses fonctions sont encore, en tant que président
5 du SDS, en quelque sorte la représentation de la nouvelle République
6 fédérale au sein des institutions fédérales.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,
8 l’article 5 prévoit au fond les élections générales. A votre connaissance,
9 est-ce qu’il y a eu ce genre de suffrage général pour le Président de la
10 Republika Srpska ?
11 M. le Pr Garde. - Non il n’y a pas eu d’élections
12 générales. Celles-ci étaient prévues par la Constitution.
13 J’ai cité tout à l’heure le deuxième paragraphe de
14 l’article 5, mais j’ai oublié de parler du premier paragraphe qui prévoit
15 que le Président de la République sera élu par l’Assemblée du peuple
16 serbe.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - A votre
18 connaissance, ces élections n’ont jamais eu lieu ?
19 M. le Pr Garde. - L’élection au suffrage universel prévue par
20 la Constitution elle-même n'a jamais eu lieu. En revanche, l'élection par
21 l’Assemblée, prévue par le premier paragraphe de l'article 5 de la loi
22 constitutionnelle que nous examinons ici, a eu lieu quelques mois plus
23 tard et c’est Radovan Karadzic qui a été élu.
24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur
25 Garde. Nous passons à la pièce n° 19. Pouvez-vous nous expliquer cette
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1 pièce, sa signification et sa portée ?
2 M. le Pr Garde. - Cette pièce date du 12 mai 1992. Elle
3 proclame la mobilisation générale de la défense territoriale sur tout le
4 territoire de la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Nous sommes le
5 12 mai 1992 et il y a déjà quelques semaines que la guerre a commencé, que
6 les massacres ont commencé. Il s’agit en quelque sorte de légaliser la
7 mobilisation des forces serbes locales pour ces actions. Il s’agit de la
8 mobilisation de la défense territoriale. Dans l'ancienne Yougoslavie, il y
9 avait d'une part, l'armée et d'autre part, la défense territoriale.
10 L'armée est déjà à l'oeuvre et la défense territoriale est mobilisée
11 aussi, ce qui signifie en fait la mobilisation générale de la population
12 serbe pour participer à cette guerre.
13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Professeur
14 Garde, nous passons maintenant à la pièce n° 20. Pouvez-vous en expliquer
15 la signification ?
16 M. le Pr Garde. - Ce sont des amendements à la Constitution de
17 la République serbe de Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire le document que
18 nous avons examiné précédemment. Cela date également du 12 mai 1992,
19 c’est-à-dire quelques semaines après que la guerre a effectivement
20 commencé. Parmi ces différents amendements, celui qui est intéressant, à
21 mon avis, est l'amendement 3, article 111, qui prévoit que :
22 (L'orateur poursuit en serbo-croate) :
23 "L'armée de la Bosnie-Herzégovine, en paix ou en guerre, sera
24 sous le commandement du Président de la République serbe, conformément aux
25 lois et la Constitution."
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1 (L'orateur poursuit en français) :
2 Le Président de la République est désormais le chef des armées
3 et ce Président de la République sera bientôt Radovan Karadzic.
4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous passons
5 à la pièce n° 21. Voudriez-vous nous expliquer la teneur et la portée de
6 cette pièce.
7 M. le Pr Garde. - Il s'agit d'une loi complétant la loi
8 constitutionnelle pour l'application de la Constitution de la République
9 serbe de Bosnie-Herzégovine.
10 Dans cette loi, l'article 1 prévoit la nouvelle façon dont
11 doit fonctionner la présidence de la République. C'est en quelque sorte le
12 troisième texte qui se rapporte à cet objet, puisque dans la Constitution
13 était prévue une élection au suffrage universel ; dans la loi
14 constitutionnelle que nous avons vue précédemment, il était prévu une
15 élection par l'assemblée ; ici, il est prévu encore une troisième formule
16 à titre provisoire, à cause des circonstances. Il est prévu que la
17 fonction de la présidence sera assurée par une présidence de trois membres
18 qui seront élus par l'Assemblée et que cette présidence élira en son sein
19 un Président. C'est en quelque sorte une formule semblable à celle des
20 anciennes Républiques yougoslaves : l’Assemblée élit une présidence qui
21 elle-même élit en son sein un Président.
22 Il avait d’abord été prévu une élection à un degré, au
23 suffrage universel, puis une élection à deux degrés par l’Assemblée, et
24 finalement c'est une élection à trois degrés.
25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pour poursuivre sur
Page 161
1 cette question, nous sautons la pièce n° 22 et passons à la pièce n° 23.
2 Professeur Garde, voulez-vous examiner cette pièce et nous expliquer
3 quelle en est la signification ?
4 M. le Pr Garde. - Cette pièce est la conséquence de la
5 précédente. Il était prévu qu'on élirait une présidence et que celle-ci
6 élirait un Président. La présidence en question est élue ; elle comprend
7 trois membres. Qui sont ces trois membres ? Ce sont Biljana Plavsic et
8 Nikola Koljevic qui formaient déjà à eux deux la présidence, qui étaient
9 les représentants serbes à la présidence de Bosnie-Herzégovine, et on y
10 ajoute désormais Radovan Karadzic, troisième dans mon exposé, mais qui est
11 nommé le premier dans le texte. C'était donc l’étape préparatoire pour
12 qu’ensuite Radovan Karadzic accède à la présidence de la République.
13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Et c’est en effet
14 ce qui s’est passé réellement.
15 M. le Pr Garde. - La présidence de trois membres ainsi
16 désignée a élu Karadzic comme son Président.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous
18 revenons maintenant à la pièce n° 22. Professeur Garde, pourriez-vous nous
19 expliquer la signification de cette pièce n° 22 ?
20 M. le Pr Garde. - Cette pièce est de la même date que celle
21 que nous venons de voir, c’est-à-dire du 12 mai 1992, quelques semaines
22 après le déclenchement de la guerre. Elle prévoit la formation de l'armée
23 de la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Cette République a désormais
24 son armée. Comme je l'ai indiqué précédemment, celle-ci est composée en
25 fait avec les unités de l'armée fédérale qui étaient stationnés sur le
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1 territoire de la Bosnie-Herzégovine. C’est en quelque sorte un fragment de
2 l'armée fédérale qui reçoit une nouvelle désignation en fonction des
3 circonstances.
4 Par ailleurs, l'article 3 désigne un commandant en chef de
5 cette armée et celui-ci est le Général Ratko Mladic.
6 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Par conséquent, la
7 proclamation officielle qui fait de Ratko Mladic le commandant en chef de
8 l'armée de la Republika Srpska et le décret proclamant Radovan Karadzic
9 Président de l'Etat ont été publiés le même jour, à la même date ?
10 M. le Pr Garde. - Oui, avec cette différence que dans le cas
11 de Ratko Mladic, il s'agit de son accession à ce poste, tandis que dans le
12 cas de Radovan Karadzic, bien qu’il n’ait pas formellement occupé les
13 fonctions de Président de la République, il était déjà depuis longtemps le
14 leader incontesté.
15 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Nous passons à la
16 pièce n° 24. Professeur Garde, voudriez-vous nous situer ce document et
17 nous en donner la signification, s'il vous plaît?
18 M. le Pr Garde. - Ce document est daté également du 12 mai
19 1992, c’est-à-dire du même jour. Il s'agit d'un document qui relève de
20 leurs fonctions les membres des fonctions judiciaires qui avaient été
21 nommés dans le cadre de la République de Bosnie-Herzégovine. Cela signifie
22 que l’on renommera les magistrats dans le cadre de la nouvelle République
23 des Serbes de Bosnie.
24 Il faut signaler que c'est le premier document signé par
25 Radovan Karadzic en qualité de Président de la présidence de la République
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1 serbe de Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire que c'est le premier document
2 qu'il signe en tant que Président.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous passons
4 à la pièce 25. Voulez-vous nous situer l'importance de cette pièce ?
5 M. le Pr Garde. - C'est une décision également signée par
6 Radovan Karadzic en qualité de Président de la présidence de la
7 République, en date du 13 mai 1992. Ce texte prévoit l'application des
8 règles du droit international dans l'armée de la République serbe de
9 Bosnie-Herzégovine. En quelque sorte, Radovan Karadzic a ici signé son
10 adhésion aux principes du droit international de la guerre.
11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Nous passons
12 maintenant à la pièce n° 26.
13 M. le Pr Garde. - La pièce n° 26 est largement postérieure.
14 Elle est du 17 décembre 1992. C’est la proclamation de l’élection du
15 Président de la République serbe, la République serbe de Bosnie-
16 Herzégovine étant devenue maintenant Republika Srpska.
17 C'est la proclamation de l'élection de Radovan Karadzic dans
18 les fonctions de Président de la République. Jusqu'à présent, il était
19 Président de la présidence, élu au 3ème degré. Maintenant, il est
20 Président tout court, élu au 2ème degré, c’est-à-dire élu par l’Assemblée
21 conformément à un des textes que nous avons vus précédemment.
22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En ce qui concerne
23 la pièce n° 26, nous vous fournirons les traductions en français et en
24 anglais plus tard.
25 Professeur Garde, nous avons donc passé en revue ces
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1 différentes décisions et proclamations telles qu’elles sont apparues dans
2 la gazette officielle. Concernant ces affirmations officielles, pourriez-
3 vous nous faire une analyse générale de l'ensemble de la teneur de ces
4 documents et ceci pour le Tribunal ?
5 M. le Pr Garde. - Malgré la grande diversité formelle des
6 décisions prises -lesquelles paraissent au premier abord incohérentes
7 puisqu’il est décidé l'élection de telle façon, puis de telle autre et
8 ainsi de suite et que les gens se retrouvent dans différentes fonctions-,
9 si l’on suit la logique chronologique de ces documents, on s'aperçoit
10 qu'ils montrent que Radovan Karadzic a toujours été le personnage
11 principal, le leader incontesté des Serbes de Bosnie.
12 On peut chronologiquement distinguer trois phases.
13 Jusqu’en octobre 1991 fonctionne officiellement la République
14 de Bosnie-Herzégovine, avec trois peuples constituants et avec au pouvoir
15 une coalition des trois partis nationaux. Ces derniers se sont répartis
16 les postes : un Musulman à la présidence, un Croate au gouvernement et un
17 Serbe à la présidence de l'Assemblée. Donc les Serbes ont laissé aux deux
18 autres groupes le pouvoir exécutif et se sont réservé simplement une
19 fonction moins importante, la présidence de l’Assemblée législative, ce
20 qui signifie qu’ils ne souhaitent pas s'intégrer trop fortement dans les
21 rouages de cette République parce qu’ils pensent déjà à s'en séparer. La
22 personne qu’ils ont désignée pour occuper ces fonctions de Président de
23 l'Assemblée n'est pas leur leader, le chef de leur parti, c’est-à-dire
24 Radovan Karadzic ; c’est un autre personnage, qui n’est pas sans
25 importance ni sans responsabilité, mais qui n’est tout de même pas le
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1 patron, Moncilo Krajisnik.
2 Mais Radovan Karadzic occupe la fonction primordiale de chef
3 d’un des trois partis de la coalition et de chef du parti dominant serbe,
4 en même temps que la fonction de Président du Conseil national serbe qui
5 est l'organisme informel des Serbes de Bosnie.
6 Ceci dure jusqu'en octobre 1991, c'est-à-dire jusqu'au moment
7 où le Parlement de Bosnie, dans cette séance mémorable dont j'ai parlé
8 tout à l'heure où Karadzic a prononcé ces paroles menaçantes que j'ai
9 citées, vote la souveraineté de la Bosnie. A ce moment là, le plan pour la
10 sécession et la séparation de l'entité serbe commence déjà à entrer en
11 vigueur et, dans cette période, les Serbes décident qu’en dépit de la
12 décision qui vient d'être prise par le Parlement, leurs territoires
13 -qu'ils font mine de délimiter à ce moment-là- resteront comme une entité
14 dans la Yougoslavie.
15 Dans cette période, quel est le poste principal ? Ce sont les
16 rapports avec la Fédération yougoslave et c'est cette fonction que prend
17 Radovan Karadzic. Dans un des textes que nous avons vus, il est chargé
18 spécialement des rapports avec la présidence yougoslave.
19 Plus tard, quand sont consommées l'indépendance de la Bosnie
20 ainsi que la sécession des territoires serbes pour former une République
21 serbe de Bosnie-Herzégovine, Radovan Karadzic se fait élire, par
22 différents procédés successifs, à la fonction qu'il s'était réservée
23 depuis le début, c'est-à-dire celle de Président de la République. Donc
24 malgré leur incohérence apparente, les décisions que nous avons vues ont
25 une continuité logique et elles montrent en tout cas qu'à aucun moment
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1 Radovan Karadzic n'a cessé d'être le patron.
2 Je voudrais attirer aussi l'attention sur le fait que ces
3 décisions, à première vue, semblent ne rien impliquer de particulier en ce
4 qui concerne la conduite des opérations militaires et le nettoyage
5 ethnique pratiqué à partir de mars 1992. Il faut tout de même avoir
6 présent à l’esprit une chose importante, c'est le précédent de la Croatie.
7 Le processus qui se déroule ici et qui apparaît à travers ces
8 textes est exactement celui qui avait été mis en oeuvre par les Serbes de
9 Croatie quelques mois plus tôt, c'est-à-dire que d'abord les territoires à
10 majorité serbe ou soi-disant tels se constituent en entités séparées, en
11 régions autonomes ; ensuite, ils se regroupent pour former une République
12 -dans le cas de la Croatie, c'est la République serbe de Krajina et dans
13 le cas de la Bosnie, c’est la République serbe de Bosnie-Herzégovine, plus
14 tard Republika Srpska. Ils se réunissent donc pour former une entité de ce
15 genre, avec l'intention de rester dans la Yougoslavie. Enfin, ils
16 procèdent au nettoyage de leurs territoires et à l'épuration ethnique de
17 ces territoires de façon particulièrement sanglante.
18 Ce processus a commencé en Croatie au milieu de 1990 et la
19 période sanglante du nettoyage ethnique en Croatie s'est déroulée dans le
20 deuxième semestre de 1991.
21 Donc au moment où les Serbes de Bosnie franchissent les
22 premières étapes de ce processus, c’est-à-dire précisément en
23 octobre 1991, on sait déjà, par l’exemple de la Croatie, où ce processus
24 conduit. On sait qu’il conduit à un nettoyage ethnique sanglant. C’est
25 exactement le même itinéraire qui sera suivi un peu plus tard par les
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1 Serbes de Bosnie sous la conduite de Radovan Karadzic.
2 Les textes que nous avons lus sont en apparence innocents,
3 bien qu'ils prévoient quelque chose de tout à fait grave, c’est-à-dire la
4 définition du territoire, mais ils ne disent pas que la délimitation d’un
5 territoire doit s'accompagner de l'expulsion des non-Serbes qui
6 l'habitent. Cela n’est écrit nulle part. Mais on sait déjà, par l'exemple
7 de la Croatie, que cela se passait ainsi.
8 J'ajouterai que le nettoyage ethnique n'est pas logiquement
9 une conséquence obligée de la délimitation du territoire. Dire qu’il faut
10 créer un Etat serbe, un Etat dominé par les Serbes, cela implique tous les
11 Serbes dans un seul Etat, etc., mais cela n'implique pas logiquement que
12 dans cet Etat il ne doit y avoir que des Serbes. On peut très bien
13 imaginer un Etat serbe qui se serait formé, mais qui aurait toléré en son
14 sein les minorités. C’est le modèle que donnent les autres Etats
15 balkaniques, comme la Roumanie, la Bulgarie ou même la Serbie elle-même.
16 Bien sûr, il y a un peuple dominant, mais il y a aussi des minorités
17 tolérées.
18 En plus, il y a en Serbie même des gens qui étaient partisans
19 de la grande Serbie, mais qui étaient partisans aussi de la coexistence
20 dans cette grande Serbie de différentes populations. On peut citer
21 l'exemple du leader serbe Vuk Draskovic et son parti, le Mouvement serbe
22 du renouveau, qui a été dès les années 80 un des principaux avocats
23 de"tous les Serbes dans un seul Etat", de la grande Serbie, mais qui en
24 même temps a toujours affirmé que dans cet Etat les Serbes devraient
25 coexister avec des populations musulmanes et croates, qui par conséquent a
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1 toujours été opposé à la purification ethnique et qui, peu à peu, est
2 entré en opposition même violente avec les autres courants du nationalisme
3 serbe au fur et à mesure que se développait le nettoyage ethnique.
4 Donc l'idée de grande Serbie n'implique pas logiquement le
5 nettoyage ethnique, mais l'exemple suivi pendant la guerre de Croatie
6 montre qu'il l'impliquait en fait. Au moment où les Serbes de Bosnie ont
7 commencé à engager le processus que nous avons suivi dans les textes, ils
8 savaient déjà que ce processus conduisait au nettoyage ethnique et ils
9 n'ont pas tardé à faire appel aux mêmes personnages qui avait conduit le
10 nettoyage ethnique en Croatie.
11 Donc il y a, derrière ces textes purement juridiques et en
12 apparence innocents, la conduite d'un processus extrêmement logique et
13 méthodique qui conduisait au nettoyage ethnique en Bosnie, lequel a
14 commencé quelques semaines avant les derniers textes que nous venons de
15 lire, puisqu’il a commencé en gros en mars 1992 et que les derniers textes
16 sont de mai 1992.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur.
18 Nous avons ainsi terminé avec les questions du procureur et nous allons
19 remettre toutes ces pièces à conviction à la Chambre dans le cadre de
20 l'audience de l'article 61.
21 M. le Président. - Merci, Monsieur le Procureur. Je me tourne
22 d’abord vers chacun de mes collègues. Madame le juge, avez-vous des
23 questions à poser ?
24 Mme Odio-Bénito (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
25 Professeur, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez des liens
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1 administratifs ou politiques, s'il y en a, entre Radovan Karadzic et
2 Slobodan Milosevic ?
3 M. le Pr Garde. - Je pense qu'à l'époque où nous nous plaçons,
4 ces liens étaient extrêmement étroits. Tout le processus de sécession des
5 territoires serbes par rapport à la Bosnie-Herzégovine, leur volonté de
6 rester dans la Yougoslavie a été fait en étroite coordination avec le
7 pouvoir serbe. La meilleure preuve en est le fait de cette division
8 nominale de l'armée, avec la participation des deux parties, je veux dire
9 du pouvoir serbe d'une part, Milosevic, et du pouvoir serbe de Bosnie
10 d’autre part, Karadzic, et de l'armée elle-même, l’armée s’est trouvée
11 divisée à l'amiable entre ces deux fragments théoriquement indépendants
12 l'un de l'autre, en réalité étroitement liés, car l'armée a continué
13 d'être payée par Belgrade. Donc il est évident qu’à cette époque, le lien
14 est extrêmement étroit et la subordination à peu près totale entre les
15 Serbes de Bosnie et le pouvoir serbe.
16 Beaucoup plus tard ont pu apparaître des frictions et des
17 divergences de vues, mais à l'époque qui nous occupe ici, c’est-à-dire
18 précisément l'époque où s'est déclenchée la guerre, je pense que la
19 subordination était totale.
20 M. Riad. - Monsieur le Professeur, j'ai senti une certaine
21 incohérence entre deux documents : le document 20 et le document 22,
22 concernant le chef de l'armée
23 Dans le document 20, selon votre traduction, il est écrit que
24 le Président sera bientôt chef de l'armée. Vous l’avez dit textuellement.
25 Vous avez dit : ce Président, c’est Karadzic. Puis, dans le document 22 il
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1 est stipulé que c'est Mladic qui est commandant de l'armée. Y a-t-il un
2 Président chef de l'armée et un commandant ? Entre les mains de qui était
3 l’armée ?
4 M. le Pr Garde. - Comme dans la plupart des pays du monde, il
5 y a un commandant militaire de l'armée, mais le Chef de l'Etat est en
6 titre commandant de l'armée. C'est ainsi en France et je pense dans
7 beaucoup de pays du monde. Je pense que cette République serbe de Bosnie
8 applique le même principe, c’est-à-dire qu’il y a un commandant militaire,
9 mais il dépend du Président de la République.
10 M. Riad. - Dans ce cas, sur le plan pratique, concret, de qui
11 émanaient les ordres ? Dans ce cas, selon vos connaissances.
12 M. le Pr Garde. - Je ne suis pas un expert militaire,
13 simplement je pense que, comme dans tous les cas de ce genre, les ordres
14 les plus généraux émanent de la présidence de la République et des ordres
15 très importants aussi pour leur application sont pris par le commandant
16 militaire.
17 M. Riad. - Il y a donc une certaine hiérarchie dans
18 l'application ?
19 M. le Pr Garde. -Oui.
20 M. Riad. - La grande stratégie, c'est le Président.
21 M. le Pr Garde. - Oui.
22 M. Riad. - Vous avez bien montré qu’il s’agissait, selon vos
23 paroles, d’un processus logique dans le nettoyage ethnique. Le plan
24 appliqué à la Croatie fut appliqué à la Bosnie de façon systématique.
25 Puisqu'il s'agit d'une stratégie, pour employer un mot
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1 anglais, qui a pu être le master mind de cette stratégie ?
2 M. le Pr Garde. - En ce qui concerne la Bosnie, je pense que
3 la responsabilité principale incombe à Karadzic. Mais en même temps, je
4 pense qu'il y avait là une équipe extrêmement soudée. Pour autant que l’on
5 puisse juger, il y avait une complète idée de vues entre les principaux
6 dirigeants dont les noms sont apparus précédemment, par exemple Radovan
7 Karadzic, Biljana Plavsic, Nikola Koljevic, Moncilo Krajisnik et beaucoup
8 d’autres ont formé une équipe extrêmement soudée. Le général Mladic
9 également.
10 Sur le plan général, si on considère à la fois ce qui s'est
11 passé en Bosnie et ce qui s’était passé précédemment en Croatie, je pense
12 que l’un des organisateur, un des responsables principaux, sans aucun
13 doute, est Slobodan Milosevic.
14 M. Riad. - Merci, Monsieur le Professeur.
15 M. le Président. - Monsieur le Professeur, nous n’allons pas
16 vous retenir plus longtemps qu’il ne faut. Avant la fin de votre
17 témoignage, je voudrais vous demander, on a beaucoup parlé du rôle, en
18 quelque sorte militaire, on vient d'en parler, de M. Radovan Karadzic. A
19 votre avis, y a-t-il un rôle politique du Général Mladic ou se cantonne-t-
20 il dans un lien de subordination militaire à un haut niveau ? Ou est-ce
21 qu'il a une pensée politique. Est-ce qu'il y a un parcours politique dans
22 son cursus qui expliquerait un certain nombre de choses ? J’aimerais avoir
23 votre avis.
24 M. le Pr Garde. - Il y a certainement, dans le cas du Général
25 Mladic, des convictions extrêmement fortes puisque celui-ci, avant
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1 d'exercer son commandement en Bosnie, l’a exercé en Croatie. En 1991, il
2 exerçait un commandement à Knin, dans les régions de Croatie peuplées de
3 Serbes. Donc le Général Mladic a participé aussi bien à la première phase
4 de la guerre et du nettoyage ethnique, celle qui s’est déroulée en Croatie
5 en 1991, qu’à la deuxième qui s’est déroulée en Bosnie de 1992 à 1995. Il
6 a rempli les mêmes fonctions, à un niveau moins élevé, dans la phase de
7 Croatie, mais il a toujours exercé un commandement. Donc sans aucun doute,
8 il... Je ne sais pas même si on peut véritablement distinguer dans ce
9 genre de choses une responsabilité militaire et une responsabilité
10 politique, les deux choses sont étroitement liées.
11 M. le Président. - Monsieur le Professeur, au moment où se
12 termine votre témoignage, je me dois de vous poser une dernière question :
13 avez-vous le sentiment d’avoir pu vous exprimer totalement devant ce
14 Tribunal ? Je suis bien persuadé que vous avez ce sentiment, mais auriez-
15 vous aimé ajouter quelque chose qui ne correspondrait pas ou qui n’aurait
16 pas eu un écho dans les questions posées par M. le Procureur ou par mes
17 collègues ou moi-même ?
18 M. le Pr Garde. - Non, Monsieur le Président, j’ai le
19 sentiment d’avoir pu m’exprimer. Quelquefois même, je n’ai été en mesure
20 d'apporter une réponse dans certains cas qui représentait mon opinion,
21 mais je ne suis pas toujours sûr de pouvoir étayer cette opinion de façon
22 suffisante. Mais dans la plupart des cas, au contraire, je disposais des
23 preuves de la documentation pour étayer ce que je disais.
24 M. le Président. - Merci. Monsieur le Professeur, le Tribunal
25 a été très sensible à votre témoignage qui a été très long, donc
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1 certainement fatigant pour vous. A présent, ce témoignage est terminé. Le
2 Tribunal vous remercie à nouveau.
3 Monsieur le Procureur, vous pouvez donc, par l’intermédiaire
4 de l’huissier, faire raccompagner M. le Pr Garde et faire introduire le
5 témoin suivant. Merci.
6 (M. le Pr Garde est escorté hors de la salle d'audience.)
7 Peut-être, Monsieur le Procureur, puisqu’il est une heure
8 moins dix, pourrions nous introduire le témoin et, si vous le souhaitez,
9 conformément aux voeux de tout le monde, procéder aux questions les plus
10 préliminaires ?
11 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je suis d’accord.
12 Monsieur le Président, avant de présenter le témoin suivant,
13 nous avons préparé trois dossiers avec des pièces que nous voudrions
14 remettre à la Chambre, pour que vous soyez en mesure de suivre le
15 témoignage de M. Ralston, s'il convient à la Chambre.
16 Je vais vous présenter le témoin suivant dans quelques
17 instants, Monsieur le Président.
18 (M. Ralston est escorté dans la salle d'audience.)
19 M. le Président. - Oui, Monsieur le Procureur, le Tribunal
20 était occupé à recevoir les documents. Nous sommes maintenant toute ouïe.
21 Monsieur Ralston, vous allez d’abord procéder à la déclaration que vous
22 devez faire, comme tout témoin.
23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je déclare
24 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la
25 vérité.
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1 M. le Président. - Merci. Vous pouvez vous asseoir.
2 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Merci.
3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
4 Président, Madame et monsieur les juges, avant d’écouter M. Ralston, vous
5 savez que le bureau du procureur a mené une enquête extrêmement vaste sur
6 les événements en Bosnie. Au cours de ces enquêtes, nous avons recueilli,
7 collecté énormément d'éléments de preuve.
8 Monsieur Ralston a été cité comme témoin pour parler de
9 certains des éléments de charge. Certains seulement, pas tous. C'est
10 naturellement une tâche gigantesque compte tenu du peu de temps que l'on a
11 accordé à M. Ralston pour témoigner devant cette Chambre.
12 Afin que la Chambre puisse recevoir les réponses les plus
13 complètes sur toute une gamme de thèmes, M. Ralston a préparé des réponses
14 écrites à mes questions et donc pourra les lire.
15 Je me propose, Monsieur le Président, de commencer à
16 interroger M. Ralston en lui demandant quelques mots sur sa carrière. Nous
17 pourrions ensuite interrompre et, après la pause, entrer dans le vif du
18 sujet.
19 Je voudrais tout d'abord, Monsieur Ralston, vous demander de
20 nous dire votre nom complet.
21 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je suis John
22 Hunter Ralston.
23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Vous êtes employé
24 par le bureau du Procureur ?
25 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - C’est exact.
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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Avant de venir
2 travailler au bureau du Procureur, quels ont été vos emplois ?
3 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je suis devenu
4 officier de police en 1972, en Australie. J’ai travaillé comme détective
5 dans la police NSW, avec le service des homicides comme inspecteur. Je me
6 suis occupé des affaires consommateurs. Ensuite, j'ai travaillé au bureau
7 du ministre de la Justice, dans l'unité d'enquêtes spéciales. J'étais
8 responsable de l'unité chargée d'enquêter sur les crimes de guerre commis
9 par des suspects résidant en Australie de la période nazie et j'ai été
10 chargé également d'enquêter sur le crime organisé. Puis je suis venu ici,
11 au bureau du procureur.
12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Depuis quand êtes-
13 vous employé du bureau du procureur ?
14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je suis employé du
15 bureau du procureur depuis le 16 juin 1994.
16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles sont vos
17 tâches et vos responsabilités au bureau du procureur ?
18 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je suis directeur
19 des enquêtes au bureau du procureur. Au départ, j'étais chargé des équipes
20 d'enquête, et depuis novembre 1995, je suis directeur de ces enquêtes. Ma
21 mission : j'ai la responsabilité de coordonner toutes les enquêtes faites
22 en ce qui concerne Radovan Karadzic et Ratko Mladic.
23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Si la Chambre
24 souhaite que je continue, je le ferai, autrement nous pourrions
25 interrompre. Je suis entre vos mains.
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1 M. le Président. - La Chambre va interrompre.
2 L’audience est suspendue, elle reprendra à 14 heures 30.
3 Suspendue à 13 heures, l’audience est reprise à 14 heures 34.
4 M. le Président. - L'audience est reprise. Veuillez vous
5 asseoir. Monsieur le procureur...
6 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Merci, Monsieur le
7 président. Le premier sujet sur lequel déposera M. Ralston concerne le
8 Parti démocratique serbe, sa structure et son évolution. Il décrira
9 également le rôle du Dr Karadzic dans cette partie. Dans les questions que
10 je poserai à M. Ralston, je ferai référence au Parti démocratique serbe
11 par les lettres SDS.
12 Je commencerai, Monsieur Ralston, par vous demander ce qu’est
13 le SDS.
14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le SDS est un
15 parti politique. Suite aux élections de novembre 1990 en Bosnie-
16 Herzégovine, le Parti démocratique serbe est devenu un parti politique
17 d'importance, représentatif des Serbes de Bosnie, l’Assemblée de Bosnie-
18 Herzégovine se composant de deux chambres. Après les élections de 1990, le
19 SDS a gagné 72 des sièges, le reste allant aux Musulmans et au parti HDZ
20 des Croates. Un grand nombre des membres de la nouvelle Assemblée
21 n'étaient pas membres du SDS.
22 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourquoi le SDS
23 est-il important dans le contexte de la Bosnie-Herzégovine ?
24 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le SDS est
25 important parce qu'il est devenu le véhicule politique qui a permis à
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1 Karadzic de devenir le leader le plus important au sein de
2 l'administration de la Bosnie. Avant son avènement, c'était l'entité
3 politique qui permettait aux Serbes de Bosnie d'exprimer leur volonté.
4 C'est encore le cas aujourd'hui.
5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quand a-t-il été
6 créé Monsieur Ralston ?
7 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le SDS a été créé
8 à une conférence à Sarajevo en juillet 1990.
9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous dire à
10 la Cour de quelle façon il a été créé ?
11 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Comme je l'ai dit,
12 ce parti a été créé lors d'une conférence à laquelle assistaient un grand
13 nombre de participants à Sarajevo. La conférence a adopté un texte à
14 orientation démocratique qui constituait donc ce SDS dont les membres
15 avaient une orientation démocratique et venaient de la Ligue des
16 communistes.
17 Le parti était organisé au niveau Républiques, régions, sous-
18 régions, municipalités et communautés locales. Les comités aux niveaux
19 régional et en dessous étaient autonomes par rapport aux évaluations
20 politiques locales et aux décisions locales.
21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ce parti agissait-
22 il dans l'ensemble de la Bosnie ?
23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui. Il a été créé
24 dans huit régions : la Krajina bosniaque, la Bosnie centrale, la Bosnie
25 orientale, l'Herzégovine orientale, la Bosnie du nord, la Bosnie
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1 occidentale, la Bosnie sud-orientale et l'Herzégovine occidentale.
2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous
3 dire quels étaient les dirigeants du SDS avant le début du conflit ?
4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Au nombre des
5 dirigeants du parti, on trouvait Radovan Karadzic -le Président-, Aleksa
6 Buha et Momcilo Krajisnik.
7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous, je
8 vous prie, expliquer si le SDS était organisé dans l'ensemble de la
9 Bosnie-Herzégovine avant la guerre ?
10 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les recherches que
11 nous avons réalisées indiquent qu'il s'agissait d'un organe politique bien
12 organisé.
13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
14 pourriez-vous examiner la pièce 27 de votre jeu de documents, ainsi que la
15 pièce 28, identifier ces deux documents et dire quelle est leur
16 importance ?
17 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Ce document, daté
18 du 15 août 1991, établit les instructions de fonctionnement.
19 M. le Président. - Ces documents ne sont pas traduits en
20 français, je suppose ?
21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
22 Président, apparemment ce n'est pas le cas.
23 M. le Président. - Vous savez que le président est français.
24 Ce n'est pas parce qu'il est français qu'il rappelle cela, mais parce que
25 le français est la langue officielle du Tribunal. Je comprends tout à
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1 fait, vous le savez très bien, les déficiences parce qu'elles ne tiennent
2 ni à la qualité, ni à la compétence, ni au nombre de nos interprètes. En
3 plus, je sais très bien que, s'agissant de cette affaire, le travail a été
4 très lourd.
5 Je constate simplement que les documents qui nous ont été
6 fournis ce matin, à l'appui de la déposition du Pr Garde, étaient eux-
7 mêmes traduits en français. Bien entendu, je les prends comme tels,
8 puisque l'anglais est une des langues officielles du Tribunal. Je demande
9 simplement qu’il soit bien noté au compte rendu que, dans la mesure du
10 possible, on respecte cette disposition fondamentale de notre Statut qui
11 fait que les deux langues officielles du Tribunal sont l'anglais et le
12 français. Merci.
13 Vous pouvez continuer.
14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
15 Président, nous vous présentons nos excuses pour les difficultés que crée
16 la non-existence d'une traduction en français, mais étant donné les actes
17 d'accusation nombreux auxquels nous avons à faire face, nous n'avons pas
18 pu réaliser toutes les traductions.
19 Monsieur Ralston, pouvez-vous poursuivre je vous prie ?
20 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Comme je le
21 disais, ce document est daté du 15 août 1991 et s'adresse à tous les
22 conseils municipaux du SDS. Il établit les instructions de fonctionnement
23 destinées à ces conseils municipaux.
24 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
25 pourriez-vous également examiner la pièce 28 et dire à la Chambre quelle
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1 est sa signification et son importance ?
2 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je reviendrai sur
3 ce document ultérieurement dans ma déposition. Il s'agit, encore une fois,
4 d'un document qui s'adresse à tous les présidents de municipalités. Il est
5 daté du 23 mars 1992. L'incidence principale de ce document consiste à
6 établir les conditions de fonctionnement du système de communication et
7 l'établissement de systèmes de communication entre les diverses
8 municipalités où il y a des représentants du SDS.
9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Puis-je vous
10 demander quels étaient les objectifs du SDS et sa position par rapport à
11 la désintégration de la FRSY ?
12 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Dans son rapport à
13 la conférence de création du Parti, le Dr Karadzic, le nouveau Président,
14 a décrit ce qu'il concevait comme la position économique, politique et
15 sociale défavorable de la nation serbe.
16 Il a prétendu que le génocide de la deuxième guerre mondiale
17 avait continué, parmi les Serbes, après l'établissement de la paix et
18 qu'il avait détruit ou tenté de détruire l'identité culturelle des Serbes
19 grâce à un système qui avait été spécifiquement mis en place pour assurer
20 cette destruction nationale.
21 Dans ces conditions, le Dr Karadzic a déclaré que le SDS avait
22 été créé avec pour objectif principal d'établir l'égalité complète et
23 inconditionnelle -aux plans civil, national, culturel, religieux et
24 économique- de tous les Serbes de Bosnie-Herzégovine. Son objectif
25 politique principal consistait à établir une Yougoslavie fédérale et à
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1 exister au sein d'une Bosnie-Herzégovine fédérale. Si cela n'était pas
2 possible, le Dr Karadzic déclarait que l'objectif du SDS était de
3 permettre des méthodes démocratiques en réaction du peuple serbe à cette
4 nouvelle situation.
5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelque chose a-t-
6 il été dit au sujet de ce qui se passerait si la Bosnie se retirait de la
7 RSFY ?
8 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui. Le
9 Dr Karadzic a fait une déclaration à ce sujet dans une déclaration
10 publique, en octobre 1991. Il a fait un discours concernant le mouvement
11 vers l'indépendance de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine et,
12 dans cette allocution, il disait quelques mots de la réaction possible du
13 SDS à une éventuelle indépendance de la Bosnie-Herzégovine.
14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
15 Président, le Pr Garde, ce matin, dans sa déposition, a déjà abordé ces
16 sujets. Une vidéo montre ce discours, et j'aimerais la montrer à la
17 Chambre. Je demanderai donc que l'on projette maintenant la première
18 partie de la pièce 29.
19 Traduction de la projection vidéo : Sur la même autoroute
20 d'enfer et de malheur sur laquelle la Croatie et la Slovénie se sont
21 embarquées, ne pensez pas que les Musulmans pourront se défendre ? Le
22 peuple musulman ne peut pas se défendre si...
23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
24 les non-Serbes avaient-ils le droit d'adhérer au SDS ?
25 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - En théorie oui.
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1 Selon les statuts du Parti, adoptés le 12 juillet 1990, l'appartenance au
2 Parti était autorisée à tout citoyen adulte de nationalité serbe ainsi
3 qu'aux membres des autres nationalités qui acceptaient volontairement son
4 programme et ses statuts.
5 Cependant, il convient de faire remarquer que le point
6 principal du programme du SDS consistait, à ce moment-là, à assurer le
7 maintien de la Bosnie-Herzégovine dans la République socialiste fédérative
8 de Yougoslavie, à un moment où il devenait de moins en moins attrayant
9 pour les autres nationalités de le faire. C'était l'époque de la marche
10 vers l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie.
11 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Dans les régions où
12 les Serbes ont pris le pouvoir, les autorités serbes bosniaques ont-elles
13 exigé des non-Serbes qu'ils prêtent allégeance au nouvel Etat serbe
14 bosniaque ?
15 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Dans les régions
16 où les Serbes ont pris le contrôle, les non-Serbes ont été priés de signer
17 un serment d'allégeance aux autorités serbes. C'était nécessaire pour leur
18 permettre de maintenir leurs positions antérieures. Les recherches que
19 nous avons réalisées montrent que certains non-Serbes ont perdu leur poste
20 après quelques mois.
21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A l'époque du début
22 du conflit en Bosnie-Herzégovine, y avait-il une participation importante
23 de non-Serbes au sein du SDS ?
24 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Non. Si l'on en
25 juge par le nom des personnes concernées, tous les membres dirigeants
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1 étaient des Serbes ou des Monténégrins.
2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - J'aimerais passer
3 maintenant à un certain nombre de questions concernant la structure du
4 SDS. Pourriez-vous dire à la Chambre la façon dont le SDS était
5 structuré ?
6 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les statuts de
7 1990 créaient les organes centraux du parti suivant : l'assemblée du
8 parti, le président du parti, le conseil principal, le conseil exécutif,
9 le conseil de supervision et la cour d'honneur. En 1991, ces organes ont
10 tous été redéfinis en tant qu'assemblée, etc., du SDS de Bosnie-
11 Herzégovine, la cour d'honneur étant éliminée et un conseil des statuts
12 ainsi que d'autres conseils du SDS de Bosnie-Herzégovine étant créés dans
13 le même temps. Radovan Karadzic était le Président du parti.
14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous
15 expliquer à la Chambre l'objectif et les fonctions de l'assemblée ?
16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'assemblée était
17 l'organe suprême du parti. Au départ, elle était censée se composer de
18 tous les membres du parti jusqu'à ce que leur nombre ait dépassé le
19 millier. A partir de ce moment-là, le conseil principal a acquis un rôle
20 de représentation du parti. Le projet de statut de 1991 établissait un
21 principe selon lequel les assemblées des organisations municipales et
22 locales devaient envoyer des représentants dont le nombre total ne devait
23 pas excéder 300.
24 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelle était la
25 fréquence des réunions de l'assemblée ?
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1 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'assemblée se
2 réunissait au moins une fois par an. Au départ, les réunions étaient plus
3 fréquentes sur décision du conseil principal, mais il a été décidé, en
4 1991, que toute décision concernant les convocations de l'assemblée devait
5 dépendre du conseil principal et se faire sur proposition du Président.
6 Au même moment, le Président a été contraint de convoquer
7 l'assemblée à la demande d'au moins un tiers de tous les représentants ou
8 de 15 organisations municipales. L'assemblée devait être convoquée par le
9 président ou par quelqu'un ayant son autorisation.
10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles étaient les
11 fonctions de l'assemblée ?
12 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'assemblée était
13 responsable de l'adoption et de l'amendement du programme et des statuts
14 du parti. Les autres fonctions de l'assemblée avaient une nature
15 strictement organisationnelle. La plus importante de ces fonctions
16 consistait à élire et à réélire le président et les membres du Conseil
17 principal, du Conseil de supervision et du Conseil des statuts.
18 L'assemblée avait également le dernier mot sur toute question
19 financière, y compris la fixation des cotisations et la façon dont elles
20 devaient être réparties. L'assemblée agissait donc de façon indirecte sur
21 la politique du parti et son fonctionnement au jour le jour. Elle avait
22 également le pouvoir de transférer une partie de ses activités au
23 président ou au conseil principal.
24 L'assemblée, qui s'est réunie en juillet 1991, a été la
25 deuxième et dernière réunion de l'assemblée du SDS avant l'éclatement des
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1 hostilités en Bosnie-Herzégovine.
2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
3 vous avez dit précédemment que le Dr Karadzic était Président du SDS. Quel
4 était son rôle ?
5 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le Président
6 Karadzic représentait le SDS. Il était également habilité à désigner une
7 autre personne pour remplir ses fonctions, même si les statuts de 1991
8 stipulaient que cette personne devait appartenir au conseil principal.
9 Le Président, en outre, était président ex-officio du conseil principal.
10 Son mandat, au départ, était de deux ans. Plus tard, il a été prolongé à
11 quatre ans.
12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles étaient les
13 responsabilités du Dr Karadzic en tant que président du SDS ?
14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Ses
15 responsabilités les plus importantes consistaient à coordonner le travail
16 des organes du parti, à veiller à la réalisation des tâches principales du
17 parti, ainsi que de ses objectifs centraux, et à représenter le parti.
18 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ses tâches, en tant
19 que président du SDS, ont-elles été élargies ?
20 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui ; en 1991,
21 cette liste de droits et devoirs a été élargie pour inclure des décisions
22 politiques et autres au nom du SDS de Bosnie-Herzégovine,pour autant
23 qu'elles n'aient pas été de la compétence d'autres organes du SDS de
24 Bosnie-Herzégovine ; ainsi que pour inclure d'autres tâches que
25 l'assemblée du SDS de Bosnie-Herzégovine et du conseil principal du SDS de
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1 Bosnie-Herzégovine a mises dans le cadre de sa compétence.
2 Il en est arrivé à une situation tout à fait exceptionnelle au
3 sein de la société, ayant acquis des pouvoirs extraordinaires qui étaient
4 de la compétence de l'assemblée et du conseil principal. Le Président
5 était responsable de son travail devant les adhérents, devant l'assemblée
6 et devant le conseil principal du SDS. Ses pouvoirs étaient donc
7 considérables. Ils ont été tellement étendus qu'ils étaient pratiquement
8 illimités par rapport à la normale.
9 Le Président avait toute possibilité d'agir de façon
10 indépendante, ce qui lui donnait la possibilité de passer outre les
11 décisions de tout organe dirigeant du parti. Beaucoup dépendait de sa
12 personnalité et des positions personnelles qu'il prenait au sein de
13 l'organisation.
14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Le Dr Karadzic a-t-
15 il insisté pour avoir un contrôle très fort sur le SDS ?
16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui,
17 effectivement. C'est visible dans l'allocution qu'il a faite aux
18 organismes du Parti, au niveau municipal, dans un discours en 1991, au
19 cours de la campagne pour le plébiscite du peuple serbe.
20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Avez-vous une
21 transcription de cette allocution, Monsieur ?
22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui.
23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - J'aimerais, Madame
24 et Messieurs les juges, vous renvoyer à la pièce 30. Monsieur Ralston,
25 pouvez-vous nous lire des extraits importants de cette allocution qui font
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1 partie de la pièce n° 30 ?
2 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - C'est un document
3 relativement long, mais j'en viens à la partie de l'avant-dernier
4 paragraphe de la page 10. Dans son allocution, entre autres, le
5 Dr Karadzic a dit :
6 "Je vous demande d'être énergiques et stricts, d'être prêts à
7 asseoir votre autorité dans vos territoires, dans les municipalités, dans
8 les régions, dans les communautés locales, et de vous préparer à une
9 restructuration et à une régionalisation des municipalités. Mais je vous
10 supplie ici de ne créer aucune situation où le travail serait à faire par
11 autrui sans être achevé. Je vous demande de contrôler ce travail jusqu'à
12 la fin, jusqu'au dernier moment, en ne faisant preuve d'aucune faiblesse
13 mais, au contraire, en faisant preuve de la plus grande attention."
14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - J'aimerais
15 maintenant vous diriger vers la pièce 28. Pouvez-vous identifier ce
16 document ?
17 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - C'est la pièce
18 dont j'ai déjà parlé précédemment. Il s'agit d'un document adressé aux
19 présidents des municipalités, en date du 23 mars 1992.
20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelle signature
21 apparaît sur ce document ?
22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Celle du
23 Dr Karadzic.
24 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous lire
25 à la Cour les parties pertinentes de ce document ?
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1 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Deuxième
2 paragraphe du document :
3 "Pour tenir compte du fait que l'une des conditions
4 essentielles à la protection du peuple serbe, dans la situation créée,
5 exige un transfert rapide et opportun des données et des informations
6 relatives à la défense et à la sécurité, ainsi que le transfert des
7 décisions et des instructions des organes gouvernementaux, nous avons
8 établi un centre opérationnel républicain et décidé, outre le centre
9 régional de Banja Luka, que les centres municipaux reprendraient les
10 fonctions des centres régionaux (Sekoveci, pour la région autonome de
11 Bihac, Trebinje pour la région autonome de l'Herzégovine orientale,
12 Sokolac pour la région autonome de Romanija, Bijeljina pour la région
13 autonome de Semberija), et qu'un centre municipal devrait être créé dans
14 la municipalité de Petrovo qui prendra les fonctions de centre régional
15 pour la région autonome de la Bosnie septentrionale.
16 Les centres de Banja Luka, Trebinje, Sokolac et Bijeljina sont
17 déjà reliés aux centres de télégraphe et de téléphone au niveau des
18 Républiques, ainsi qu'au téléphone et à la radio, et les centres de
19 Petrovo et de Sekovici seront connectés avant le 26 mars 1992 à ces
20 centres de communication".
21 Il est dit un peu plus loin :
22 "Les municipalités sont désormais dans l'obligation de relier
23 leurs informations à celles des centres régionaux si cela n'a pas encore
24 été fait, et de fournir au personnel tous les moyens nécessaires pour
25 contrôler la situation sur le terrain. En tenant compte de la situation
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1 actuelle de la République, il est nécessaire de coopérer avec le FGB
2 (service de sécurité) pour fournir à ces centres toutes les possibilités
3 nécessaires pour transmettre et recevoir des informations 24 heures par
4 jour sans arrêt, y compris les samedis et les dimanches".
5 Un peu plus loin, dans le même document, il est dit :
6 "S'agissant de ce qui précède, il serait utile que vous vous
7 informiez personnellement auprès des centres d'information de votre
8 municipalité et que vous voyiez quelles sont leurs capacités d'agir".
9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelle est à votre
10 avis la signification de ce document ?
11 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - A mon avis,
12 l'importance de ce document réside dans le fait qu'il prouve la
13 planification, la coordination et toutes les dispositions prises pour que
14 l'information puisse circuler vers le haut et vers le bas depuis le plus
15 haut niveau du SDS et vers les niveaux inférieurs.
16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
17 parlons maintenant du conseil principal. Vous avez dit antérieurement que
18 le SDS avait créé ce conseil principal. De quoi s'agit-il ?
19 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le conseil
20 principal était l'organe suprême du parti, réuni entre deux séances de
21 l'assemblée. Au départ, il devait se composer de 57 membres (deux de
22 chaque région et un membre provenant des sous-régions), les membres étant
23 élus pour deux ans avec droit de réélection. Cependant, en 1991, la taille
24 de ce conseil a été réduite à 45 membres élus parmi les représentants de
25 l'assemblée avec une représentation territoriale. Le mandat a été augmenté
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1 pour atteindre quatre ans et un tiers des membres pouvaient être réélus.
2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles étaient les
3 fonctions du conseil principal ?
4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Selon les statuts
5 de 1990, le conseil principal avait diverses fonctions, notamment les
6 suivantes : élire les membres du conseil exécutif du parti, préparer les
7 projets de tous les actes et de toutes les décisions adoptées par
8 l'assemblée, adopter les décisions autorisées par l'assemblée, veiller à
9 l'exécution convenable des décisions de l'assemblée, élire les membres des
10 organes temporaires ou permanents du parti et préparer le programme
11 électoral du parti.
12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ces fonctions ont-
13 elles été élargies à un moment quelconque ?
14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, en 1991 le
15 conseil principal a été chargé d'un certain nombre de questions
16 spécifiques et notamment de l'élection du président, de celle des deux
17 tiers des membres du conseil de la Bosnie-Herzégovine, de préparer les
18 actes et les décisions à prendre, de décider de l'organisation
19 territoriale du SDS, d'élire les organes exécutifs permanents et
20 temporaires, d'examiner et d'adopter les rapports relatifs au travail des
21 conseils municipaux et des conseils de villes, d'établir les orientations
22 et de prendre les décisions de travail au niveau des municipalités, et, le
23 cas échéant, de veiller au travail des conseils locaux du SDS et de
24 vérifier le travail des différents organes du SDS de Bosnie-Herzégovine.
25 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
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1 je voudrais maintenant attirer votre attention sur un autre aspect du SDS,
2 à savoir les états-majors de crise. De quoi s'agit-il et quelle était leur
3 importance ?
4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les états-
5 majors de crise étaient des organes censés exister, à tous les niveaux de
6 la société, au sein de la République socialiste fédérative de Yougoslavie
7 en temps de guerre, ou dans d'autres cas d'urgence, dans le but de
8 coordonner les activités de sécurité au sein de la société.
9 Le SDS a mis en place des états-majors de crise en dehors des
10 organes de la République, des communes et des municipalités, ce qui a
11 réduit considérablement le travail des autorités locales de Sarajevo et a
12 contribué à l'abolition du contrôle gouvernemental, en tant que tel, dans
13 un grand nombre de municipalités où les Serbes avaient une majorité
14 démographique et politique.
15 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Le SDS a-t-il créé
16 ces états-majors de crise ouvertement ?
17 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, ils ont
18 pratiquement été créés ouvertement quelques mois avant le début de la
19 guerre en Bosnie-Herzégovine, au siège du SDS ainsi que dans les
20 municipalités où les Serbes bosniaques étaient en majorité et détenaient
21 le contrôle. Dans les municipalités de Bosnie où les Serbes n'étaient pas
22 en majorité, ces états-majors de crise ont été établis bien avant le début
23 du conflit en Bosnie-Herzégovine.
24 Lorsque les Serbes de Bosnie ont pris le pouvoir dans ces
25 municipalités, les états-majors de crise sont apparus comme étant les
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1 organes suprêmes. C'est ce qui a été le cas à Prijedor en avril 1992, et à
2 Kotor Varoc le 11 juin 1992.
3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous
4 fournir à la Chambre quelques exemples de la façon dont ces états-majors
5 de crise fonctionnaient dans la pratique ?
6 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, je vais
7 prendre pour exemple Foca et Prijedor. Lorsque les nouveaux partis
8 nationaux ont été créés, tant le SDA -parti principalement musulman de
9 Bosnie-Herzégovine- que le SDS, de grandes manifestations et de grands
10 rassemblements ont eu lieu à Foca. Le SDA a tenu une réunion de ce genre
11 en août 1990, et le SDS quelques semaines plus tard, en 1990.
12 Plusieurs personnes qui, plus tard, sont devenues des
13 personnes très importantes au sein du parti serbe de Bosnie ont participé
14 à cette réunion du SDS ; Radovan Karadzic et Biljana Plavsic participaient
15 à ce rassemblement, ainsi que Vojislav Maksimovic, Velibor Ostojic, Miro
16 Stanic et Petko Cancar .
17 Maksimovic était enseignant à Foca ; il est devenu ensuite
18 professeur de littérature à l'université de Sarajevo avant de devenir le
19 premier président du club SDS des députés de l'assemblée de Bosnie-
20 Herzégovine. De même, Velibor Ostojic, actuel ministre de l'Education et
21 de l'Information de la "Republika Srpska" et président du conseil exécutif
22 du SDS, était antérieurement ministre de l'Information et député SDS de
23 Foca. Avant la guerre, il travaillait à la station de radio et télévision
24 de Sarajevo. Petko Cancar, avocat local, était également membre de
25 l'assemblée de Bosnie-Herzégovine.
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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quel était le rôle
2 du SDS local au sein de l'assemblée municipale de Foca ?
3 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Au sein de
4 l'assemblée municipale locale de Foca, le SDS détenait environ 30 sièges
5 sur un total de 70. Avant le renversement du pouvoir, les membres serbes
6 de l'assemblée locale ont entamé un boycott des réunions de l'assemblée
7 afin de retarder les décisions qui pouvaient avoir une influence au niveau
8 municipal. Très peu de temps après, le SDS a commencé à ne plus participer
9 à quelque aspect de la vie municipale que ce soit et à créer ses propres
10 institutions.
11 En même temps, les Serbes ont commencé à s'armer avec l'appui
12 de la JNA.
13 Après la constitution des partis, en 1990, Ostojic et
14 Maksimovic se sont rendus à Sarajevo, alors que Cancar est resté à Foca.
15 En tant que membres principaux du SDS, ces trois hommes se sont rendus
16 plusieurs fois à Foca pour organiser des réunions et prononcer des
17 allocutions. Au début du mois d'avril 1992, les trois hommes auraient
18 établi un état-major de crise serbe et une force de police serbe. Le
19 dirigeant de l'état-major de crise, Miroslav Miro Stanic, était le
20 président du SDS de Foca.
21 Suite au renversement du pouvoir, Karadzic a été vu
22 rencontrant des représentants de l'état-major de crise serbe.
23 Le 6 avril 1992, Ostojic et Maksimovic auraient tenu une
24 réunion des adhérents du SDS dans l'église orthodoxe de Foca, réunion à
25 laquelle participait également un groupe d'officiers de la JNA. A l'issue
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1 de cette réunion, un ultimatum a été publié et adressé au comité de
2 district du SDA -donc destiné à l'ensemble de la population musulmane de
3 Foca- leur demandant de rendre leurs armes, de se rassembler sous
4 l'escorte de l'armée serbe et de la police serbe et de quitter la ville.
5 Après le renversement du pouvoir, Maksimovic, Ostojic et
6 Cancar ont été responsables de l'armement de la population serbe, à
7 l'intérieur et aux alentours de Foca, de l'organisation de réunions avec
8 les dirigeants serbes locaux, et de l'organisation d'un entraînement
9 militaire pour des volontaires.
10 Des discours prononcés par Maksimovic et Ostojic ont été
11 diffusés à la station de radio locale. Et, ce qui est intéressant, c'est
12 que quelques semaines avant l'attaque contre Foca, un témoin a lu une
13 lettre d'Ostojic adressée au SDS intitulée : "Que faire en cas de
14 guerre ?" La lettre déclarait que la station de radio et la station de
15 police devraient être reprises en mains.
16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Comment le SDS
17 fonctionnait-il à Prijedor ?
18 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Aux élections de
19 1990, le SDA musulman a obtenu un certain nombre de sièges au sein de
20 l'assemblée municipale de Prijedor. Ceci étant, au cours des mois
21 ultérieurs, les responsables serbes bosniaques, qui occupaient
22 précédemment des positions clefs au sein de la municipalité, se sont
23 opposés à la redistribution du pouvoir suite aux élections.
24 Au printemps 1991, des hommes politiques serbes de Banja Luka
25 (centre régional approximativement situé à 45 km de Prijedor) ont proclamé
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1 une communauté régionale serbe distincte -composée d'un certain nombre de
2 municipalités- qui s'est transformée en région autonome de Krajina en
3 septembre 1991. Les municipalités du nord-ouest de la Bosnie, à
4 l'exception de Prijedor, Sanski Most et Kotor Varos, ont peu à peu décidé
5 de se joindre à cette communauté.
6 A la fin de 1991, les Serbes de Prijedor et d'autres régions
7 de Bosnie étaient dirigés par des responsables SDS et ont reçu l'ordre de
8 constituer un gouvernement d'opposition. Les dirigeants serbes bosniaques
9 locaux ont reçu l'ordre de contrôler tous les niveaux de la vie
10 municipale, y compris la police, les finances et les communications, et
11 d'assurer la coopération avec la JNA.
12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quand les Serbes
13 bosniaques ont-ils pris le pouvoir au Prijedor ?
14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le 30 avril 1992,
15 les Serbes ont pris le pouvoir à Prijedor et l'état-major de crise de la
16 municipalité de Prijedor est devenu l'organe suprême de la municipalité.
17 L'état-major de crise se composait de personnes représentant
18 l'armée, la police, ainsi que l'administration civile. Les postes les plus
19 importants au sein de l'état-major de crise étaient détenus par des
20 militaires, des policiers et des dirigeants SDS.
21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous
22 identifier les personnes qui composaient l'état-major de crise du SDS ?
23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'état-major du
24 SDS était composé de Simo Miskovic, président du SDS, chef de l'état-major
25 de crise de Prijedor (il a été vu par un certain nombre de témoins à
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1 Omarska et Keraterm pendant que ces camps fonctionnaient), du colonel
2 Vladimir Arsic, qui est aujourd'hui général, officier de la JNA avant le
3 conflit à Prijedor, et qui a été nommé commandant de la caserne de
4 Prijedor.
5 Le major Radmilo Zeljaja, qui est devenu dirigeant sur le
6 terrain, représentant du colonel Arsic, a conduit de nombreuses opérations
7 liées au nettoyage ethnique des villages. Zeljaja a dirigé l'attaque
8 contre Kozarac, participé aux négociations qui ont abouti à cette attaque
9 et joué un rôle dirigeant dans la reddition des civils de cette ville. Le
10 nom de Kozarac a été transformé pour devenir Radmilovo en l'honneur de la
11 conquête de Zeljaja. Plus tard, Zeljaja a rendu visite au camp d'Omarska
12 avec une délégation de Serbes de Banja Luka et de Prijedor, en
13 juillet 1992.
14 Le major Slobodan Kuruzovic, ancien instituteur, était membre
15 de l'état-major de crise et commandant du camp de Trnopolje. Il a
16 également participé au rassemblement de civils dans les villages sur la
17 rives gauche de la rivière Sana, en juillet 1992.
18 Autre personnage important : Simo Drljaca, qui est devenu chef
19 de la police de Prijedor après le renversement du pouvoir. Suite au
20 renversement du pouvoir, ainsi qu'à l'arrestation et à la détention de
21 milliers de civils non serbes, Drljaca a joué un rôle clef dans
22 l'administration des camps de détention et a été vu à plusieurs reprises
23 dans les trois camps de détention de la région, à savoir Omarska, Keraterm
24 et Trnopolje. Etant donné qu'il a coordonné la prise du pouvoir de
25 Prijedor, Drljaca a été promu vice-ministre de l'Intérieur de la
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1 République serbe de Bosnie.
2 Le docteur Milomir Stakic a remplacé illégalement Muhamed
3 Cehajic au poste de président de la municipalité de Prijedor, après le
4 renversement du pouvoir par les forces serbes, le 30 avril 1992.
5 Dans des interviews accordées aux médias, Stakic reconnaît
6 l'existence des camps d'Omarska, de Keraterm et de Trnopolje. Un certain
7 nombre de témoins ont vu Stakic visiter ces camps alors qu'ils
8 fonctionnaient.
9 Srdo Srdic était député du SDS au sein de l'assemblée de
10 Bosnie-Herzégovine et, plus tard, au sein de l'assemblée de "Republika
11 Srpska". Il a également été vu aux camps d'Omarska et de Keraterm.
12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Et l'administration
13 serbe ? Pourriez-vous la décrire ? Quand l'administration des Serbes
14 bosniaques a-t-elle commencé à fonctionner ? Voulez-vous bien expliquer ?
15 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'entité bosniaque
16 serbe a traversé plusieurs phases dans son évolution qui a culminé avec
17 l'établissement de la Republika Srpska. En effet, le 21 décembre 1991,
18 l'assemblée de la population serbe de Bosnie-Herzégovine a décidé
19 conditionnellement d'établir la République serbe de Bosnie-Herzégovine
20 avant le 14 janvier 1992.
21 Le 9 janvier 1992, l'assemblée a adopté une déclaration
22 proclamant la République serbe de la population serbe de Bosnie-
23 Herzégovine. Le 28 février 1992, la constitution, adoptée par la même
24 assemblée, se référait déjà à la République serbe de Bosnie-Herzégovine et
25 indiquait, dans son article 3, que l'entité devait être une partie
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1 intégrante de l'Etat fédéral de Yougoslavie.
2 La constitution est entrée en vigueur le jour de son adoption,
3 conformément à la législation d'application et de la mise en application.
4 La législation clef du gouvernement, de la défense et des affaires
5 internes, a été adoptée également le jour même, le 28 février 1992. A
6 cette date, les Serbes bosniaques ont établi leur infrastructure
7 législative et c'est deux ou trois mois plus tard que l'administration
8 centrale de l'entité a été établie.
9 Les vice-présidents Biljana Plavsic et Nikola Koljevic ont
10 fonctionné en tant que présidents de l'entité à partir du 28 février et
11 Karadzic est devenu président à ce moment-là. Le 12 août 1992, l'entité a
12 changé son nom en Republika Srpska, qui a été progressivement connu.
13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Que pensez-vous de
14 ce leadership ? Y a-t-il eu des changements ? Pourriez-vous vous diriger
15 sur la pièce 31 et en situer l'importance pour le Tribunal ?
16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Si vous regardez
17 cette pièce à conviction, d'un côté vous pouvez voir la structure du SDS
18 et, de l'autre côté, parallèlement, la structure de l'administration de la
19 Republika Srpska. Vous voyez que Radovan Karadzic est Président du SDS et
20 président de la présidence.
21 Aleksa Buha, directeur du conseil principal, est en même temps
22 ministre des Affaires Etrangères dans le gouvernement. Ce sont les membres
23 de l'Assemblée.
24 Le président Krajisnik et les anciens membres sont également
25 membres du main board du conseil principal.
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1 Il y a donc un reflet de ce pouvoir et de ce leadership au
2 sein de la direction de l'administration de la Republika Srpska.
3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Merci Monsieur
4 Ralston. Quel a été le rôle du Dr Karadzic dans l'administration serbe
5 bosniaque nouvellement formée ? Pensez-vous au Dr Karadzic en personne ?
6 A-t-il gardé toutes ses fonctions au sein du SDS après avoir été élu à la
7 présidence du RS ?
8 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui.
9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A-t-il reçu, en
10 tant que Président, un grand nombre de pouvoirs ? Pourriez-vous nous
11 présenter quelques pièces à cet effet pour nous décrire les pouvoirs dont
12 il a été investi en tant que président ? Nous pensons aux pièces à
13 conviction 18, 20, 32 et 33.
14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je n'ai pas la
15 pièce 18, mais je connais très bien le document dont il est question. Mais
16 j'ai la pièce à conviction 32.
17 Je pourrais ajouter que la position du Dr Karadzic, en tant
18 que leader, lui a donné toute autorité sur l'administration civile et
19 militaire, et son autorité suprême avait évidemment effet sur la police,
20 la défense territoriale et l'armée des Serbes bosniaques.
21 Pièce 32 : il s'agit de la défense nationale. A l'article 6 de
22 cette pièce, vous pourrez constater que le Président de la République doit
23 s'occuper de l'intégrité des forces de défense et contrôler l'ensemble des
24 forces armées en temps de paix et en temps de guerre. C'est lui qui est
25 chargé des ordres pour le déploiement des forces de la police en cas de
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1 guerre.
2 L'article 39 indique que le président de la République donnera
3 les ordres pour le déploiement des unités territoriales en cas de guerre,
4 en temps de paix et dans les situations extraordinaires.
5 Passons à la pièce n° 33, qui est une loi sur les affaires
6 intérieures. Je vous renvois à l’article 25 qui dit notamment que le
7 Président de la République évaluera l’exécution du travail, du
8 fonctionnement du service de sécurité nationale et en informera
9 l'Assemblée nationale. Ensuite, dans le même document, l'article 3 indique
10 que le ministère des Affaires internationales activera la police de réserve
11 en cas de situation extraordinaire conformément aux ordres du Président de
12 la République.
13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quel a été l’effet
14 de tous ces documents, de tous ces instruments juridiques dont vous venez
15 de nous parler ?
16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L’effet de ces
17 documents a été que le Dr Karadzic recevait l’autorité de contrôler
18 l’ensemble des forces des Serbes bosniaques en temps de guerre.
19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Concernant ces
20 pouvoirs dont vous venez de nous parler, pourriez-vous nous fournir des
21 exemples de l’exercice de ces mêmes pouvoirs ?
22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui. Ces pouvoirs
23 ont été exercés pendant tous les conflits. Le 20 juillet 1995, comme cela
24 a été rapporté dans les médias, la télévision des Serbes bosniaques a
25 indiqué que le Président de la Republika Srpska, le commandant en chef des
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1 forces armées, le Dr Radovan Karadzic, a promu extraordinairement le major
2 Milanko Jivanovic qui, encore récemment, était le commandant du corps de
3 Drina, au rang de lieutenant général.
4 La Republika Srpska et son bureau de presse ont annoncé que le
5 Général Jivanovic a été promu grâce à son retrait du service militaire
6 actif. Conformément à cette déclaration du président Karadzic, il a nommé
7 le Major général Radoslan Koskic, ancien chef d’état-major, au rang de
8 commandant du corps de Drina, de concert avec le Général Zivanovic qui a
9 été l’architecte principal des victoires serbes à Srebrenica et à Zepa. Le
10 président Karadzic a félicité l’état-major général, le commandement du
11 corps de Drina et les effectifs de la police (... inaudible) pour leurs
12 victoires brillantes à Srebrenica et à Zepa.
13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Est-ce que
14 M. Karadzic a placé la police et l’armée sous le commandement unifié ?
15 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, ils
16 opéraient tous sous le commandement unifié.
17 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je voudrais vous
18 présenter une vidéo qui a été préparée, conforme à cette réponse de
19 M. Ralston. Il s’agit de la pièce 29, clip 2.
20 Traduction de la projection vidéo :
21 ******** Relire ce qui suit *******
22 « Avant les 4 et 5 avril, l'armée régulière croate a lancé une
23 attaque contre Kupres, et également contre Bosanski Brod. Les forces
24 croates ont attaqué les Serbes de ce côté-là, mais c’était local, et nous
25 espérions que nous allions éviter la guerre, si jamais il y avait conflit
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1 entre Serbes et Musulmans, conflit Serbes/Croates qui pourrait être aussi
2 vu dans le contexte de la guerre en Krajina, et nous espérions que cela
3 pouvait être réglé.
4 Dans le conflit principal était entre les Serbes et les
5 Musulmans, la JNA a essayé de créer une zone-tampon pour protéger les
6 Serbes qui ont été attaqués. Je n’ai aucun doute qu’ils protégeront les
7 Musulmans si nous devons attaquer les Musulmans. En effet il est beaucoup
8 d’officiers musulmans, même dans la JNA et à Sarajevo.
9 D’autre part, les Musulmans et les Croates contrôlaient leurs
10 propres soldats; ils n’étaient pas sous notre contrôle. Nous avions
11 seulement des civils. Pendant les premiers quarante-cinq jours, c’était
12 une guerre civile : des civils tuaient des civils. Il n’y avait pas de
13 commandement unifié et c’était une expérience terrible : un sentiment
14 d’impuissance, de désespoir. Vous ne pouvez rien arrêter, vous ne pouvez
15 pas ordonner quoi que ce soit pour que des choses soient évitées. Nous
16 n’avions pas un commandement unifié et après cela, une fois le
17 commandement établi, les choses devenaient beaucoup plus faciles.»
18 M. Harmon. - Monsieur Ralston est-ce que le Dr Karadzic
19 appuyait fréquemment les actions de ses commandants militaires ?
20 M. Ralston. - Le 22 juin 1995 le Dr Karadzic a été interviewé
21 par la BBC : il s’agissait de la prise d’otages des Nations Unies, des
22 Casques bleus au début de ce mois. D’après lui c’était une réaction
23 raisonnable aux raids aériens de l’Otan.
24 «En effet nous devions démontrer à la communauté
25 internationale que nous étions coincés et que nous sommes prêts à nous
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1 défendre par tous les moyens. Nous fonctionnons en tant qu’Etat et je suis
2 commandant en chef et commandant suprême; et tout ce que mon armée fait je
3 le ferai moi-même ou je répondrai.»
4 M. Harmon. - Est-ce que pendant tous ces conflits le
5 Dr Karadzic était considéré comme étant le leader de la Republika Srpska ?
6 M. Ralston. - Oui. Pendant toutes les interviews le
7 Dr Karadzic se comportait de cette manière dès le début du conflit. En
8 effet, il affirmait pendant tout ce temps sa position de président de la
9 Republika Srpska et de la population serbe de Bosnie.
10 Je dirigerai l’attention du Tribunal sur la pièce 34 : un
11 affidavit(?) signé par le Dr Karadzic qui a été déposé auprès du Tribunal
12 fédéral de district aux Etats-Unis. Vous pouvez voir là que le Président
13 Karadzic a été le leader de toutes les forces de la Republika Srpska. Je
14 vous donnerai lecture des parties pertinentes de ce document.
15 «Moi, Radovan Karadzic, je déclare être président de la
16 Republika Srpska». Ensuite il présente ses date et lieu de naissance etc.
17 Nous passons au dernier paragraphe : «Je n’ai pas visité les
18 Etats-Unis depuis 1975 pour quelque raison que ce soit et depuis que je
19 suis devenu Président de la Republika Sprska le 19 février 1992 ».
20 M. Harmon. - Depuis le commencement du conflit, le
21 Dr Karadzic, en tant que leader suprême des Serbes bosniaques, a été
22 impliqué dans des négociations avec d’autres partis au conflit ?
23 M. Ralston. - Oui, on doit admettre que beaucoup de ces
24 négociations ont été menées par ce qu’on appelle le chef de diplomatie.
25 Le 24 janvier 1992, il a participé à un débat sur le
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1 référendum de l’indépendance. Les principaux représentants de ce débat ont
2 été Itzetbegovic pour le SDA, Karadzic pour le SDS et Kljuic pour le HDZ.
3 Ensuite, le 12 avril 1992 il a été dans les négociations sur le cessez-le-
4 feu à Sarajevo.
5 Le 2 juin 1992, Karadzic a été impliqué dans les négociations
6 sur l’ouverture de l’aéroport de Sarajevo.
7 En 1992/1993, le Dr Karadzic a participé aux négociations
8 conduites sous les auspices de la conférence internationale sur l’ex-
9 Yougoslavie.
10 Le 18 novembre 1993, il a signé une déclaration commune sur
11 l’assistance humanitaire de concert avec MM. Silajdzic et Boban.
12 Le 6 mars 1994, il a eu une réunion avec les administrateurs
13 de la FORPRONU concernant un cessez-le-feu global.
14 Du 2 au 6 juin 1994, il a participé à la Conférence de Genève
15 sur la cessation des hostilités : un accord a été réalisé au cours de ces
16 négociations.
17 En décembre 1994, il a participé aux négociations sur le
18 cessez-le-feu et la cessation des hostilités menées avec l’ancien
19 président des Etats-Unis, Jimmy Carter. Un accord a été réalisé à cette
20 occasion également.
21 M. Harmon. - Je voudrais diriger votre attention sur les
22 pièces 35, 36, 37, 38 et 39. Il s’agit d’exemplaires de ces pièces. Est-ce
23 que vous pourriez identifier chacune de ces pièces et les expliquer au
24 Tribunal ?
25 M. Ralston. - La pièce 35 est un document signé par M. D.
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1 Kalinic, représentant de M. Radovan Karadzic, président du Parti
2 démocratique serbe, et pour ce qui est de ceux qui sont mentionnés dans le
3 document, il s’agit de représentants de la République de Bosnie-
4 Herzégovine; les représentants du SDS, du SDA et du HDZ, qui s’étaient
5 réunis à Genève et qui devaient s’occuper de la mise en application de la
6 loi sur l’aide internationale et ont réalisé un accord en ce qui concerne
7 ces négociations.
8 Pièce 36 : l’accord sur la réouverture de l’aéroport de
9 Sarajevo, réouverture qui devait se réaliser à des fins humanitaires. Le
10 document a été signé par le Dr Karadzic.
11 Pièce 37 : accord sur le cessez-le-feu en rapport avec Gorazde
12 aboutissant à un cessez-le-feu et ce document a été également signé par le
13 Dr Karadzic.
14 Pièce 38 : déclaration commune portant sur l’assistance
15 humanitaire signé également par le Dr Karadzic, M. Silajdzic et M. Boban.
16 Enfin pièce 39 : un accord sur la cessation des hostilités
17 suite aux négociations avec l’ancien président des Etats-Unis Jimmy
18 Carter.
19 M. Harmon. - Vous avez décrit une série de documents qui ont
20 été signés par le Président Karadzic : est-ce que ces accords ont été
21 effectivement mis en application ?
22 M. Ralston. - Oui, c’est le cas notamment de la réouverture de
23 l’aéroport de Sarajevo et la cessation des hostilités suite aux
24 négociations, à la médiation de l’ex-président Carter. Ensuite
25 l’assistance humanitaire suite à la conférence de Genève en 1994.
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1 M. Harmon. - Monsieur Ralston, merci pour ce témoignage
2 relatif à M. Karadzic.
3 Je voudrais bien que l’on dirige notre attention maintenant
4 sur la deuxième personne impliquée : M. Mladic. Pourriez-vous décrire à la
5 Cour qui il est et décrire sa carrière ?
6 M. Ralston. - Le Général Mladic a été formé à l’Académie
7 militaire de l’ancienne Yougoslavie. Il était officier de carrière dans la
8 JNA avant de devenir le commandant de l’armée serbe bosniaque. Sa première
9 mission en tant qu’officier en novembre 1965 a été commandant à Skopje, en
10 Macédoine. Entre 1989 et 1991, Mladic a servi comme responsable du service
11 d’éducation du troisième district militaire. A partir de janvier jusqu’en
12 juin 1991, il a été commandant-adjoint du corps de Pristina au Kosovo.
13 En juin 1991, l’état-major de la JNA a envoyé Mladic à Knin
14 comme commandant de l’état-major. A ce moment-là, la JNA avait à combattre
15 contre les forces croates. Environ deux mois après, Mladic est arrivé à
16 Knin, la JNA l’a promu comme brigadier général étant donné ses exploits
17 sur le terrain.
18 M. Harmon. - Quand a-t-il quitté la JNA et quand est-il devenu
19 commandant de l’armée des Serbes bosniaques ?
20 M. Ralston. - Dans la deuxième partie d’avril 1992, Mladic et
21 d’autres ont été informés que par décision de la présidence de la
22 République socialiste de l’ex-Yougoslavie, ils allaient occuper de
23 nouveaux postes au commandement du deuxième district militaire. Les
24 nouveaux postes étaient les suivants :
25 - Le général major Ratko Mladic a été nommé chef de l’état-
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1 major du deuxième district militaire,
2 - Le général major Milan Gvero commandant-adjoint pour la
3 morale et l’information,
4 - Le colonel Gruber, commandant-adjoint pour l’organisation et
5 la mobilisation des questions personnelles,
6 - Le général Djukic commandant adjoint pour les logistiques,
7 En fait, je sais que le gouvernement de l’ex-Yougoslavie a
8 pris une décision en ce qui concerne le fait que tout ce qui concernait la
9 Bosnie-Herzégovine était placé sous le commandement de la Republika
10 Srpska.
11 A la fin du mois de juin, même des petits groupes s’étaient
12 retirés. Ceci n’incluait pas les individus de nationalité serbe qui
13 étaient nés sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Et tout cela a été
14 fait sous les ordres du général Mladic, c’est exact. Lorsque Mladic est
15 devenu commandant en chef du district, les généraux Stankovic et Kukanjac
16 sont retournés à Belgrade.
17 M. Harmon. - Qu’est-ce que le Général Mladic a fait lorsqu’il
18 a su que la JNA allait officiellement se retirer de la Bosnie ?
19 M. Ralston. - En fait, on sait que Mladic savait d’avance que
20 la JNA allait se retirer officiellement de la Bosnie-Herzégovine.
21 Immédiatement, il a commencé à mettre en place sa propre structure de
22 commandement. Dans une interview dans une revue de Belgrade, Nine, Mladic
23 décrit ses efforts comme suit :
24 «Dès que j’ai pris mon poste au deuxième district militaire,
25 mon but a été de rassembler les gens et d’établir le commandement et
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1 l’état-major. Certaines des personnes du deuxième district militaire et
2 d’autres personnes qui étaient venues avec moi de Knin et d’autres
3 régions, qui étaient nées en Bosnie-Herzégovine. Dès que la décision a été
4 connue le 19 mai 1992, que la JNA se retirait de la région de la Bosnie-
5 Herzégovine, nous avons rencontré les plus hauts niveaux militaires et
6 politiques et ensemble ont décidé d’établir l’armée serbe et l’état-major
7 principal.
8 L’armée a été créée lors de la session de l’Assemblée des
9 Serbes de Bosnie à Banja Luka les 11 et 12 mai. Je suis allé à Banja Luka
10 et j’ai rencontré le Président Karadzic et ses représentants. Il m’a dit
11 que la décision avait été prise de me faire commandant en chef».
12 M. Harmon. - Est-ce que vous pourriez nous donner une idée de
13 la hiérarchie dans cette armée de la République Srpska et quels sont les
14 officiers du plus haut niveau autour de Mladic ? Etait-il, lui, le plus
15 haut ? Il s’agit de la pièce 40.
16 M. Ralston. - Si vous regardez cet organigramme, vous verrez
17 que la position la plus élevée est celle du général Mladic, en-dessous,
18 son adjoint Milan Gvero; en-dessous il y a l’état-major, en-dessous de
19 Gvero, et le commandant-adjoint responsable de la mobilisation et Vlatko
20 Kodomic, qui est son adjoint pour le renseignement; et directement en-
21 dessous du général Mladic, le général Talic; puis le général Tomenic,
22 cela, c’était le premier bataillon et le deuxième bataillon. Troisième
23 bataillon; le Général Simic, Drena, Général Silvanovic et le Général
24 Kacic, Sarajevo; le Général Sicic, Kalic et ensuite Milosevic. Et le
25 Général Grobic pour la Herzégovine.
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1 M. Harmon. - Est-ce que ces différents bataillons étaient
2 répartis géographiquement ?
3 M. Ralston. - Oui, vous les voyez ici sur la carte. Vous voyez
4 les trois bataillons pour la région de Krajina : ici pour la Bosnie
5 orientale, pour Drina ; ici pour la Herzégovine et ici ce qui reste pour
6 la région de Sarajevo.
7 M. Harmon. - Est-ce que vous pourriez nous expliquer la
8 relation entre Karadzic, le président de la RS et le général Mladic,
9 commandant en chef des armées ?
10 M. Ralston. - Le Dr Karadzic était le chef de l’armée, son
11 commandant suprême, et en fait étant donné que le conflit était
12 principalement situé à Sarajevo, il était clair que Karadzic était le chef
13 politique des Serbes bosniaques mais avait également le contrôle sur les
14 militaires.
15 Il est clair aussi que dès le 14 mai 1992, le général Mladic
16 était en fait le commandant de tout ce qui était militaire. Bien que
17 Mladic pensait de manière autonome, il avait un contrôle absolu sur ses
18 troupes et il se référait toujours à Karadzic comme le chef suprême.
19 M. Harmon. - Est-ce que le Général Mladic a également négocié
20 des accords au nom des militaires et des Serbes bosniaques ?
21 M. Ralston. - Oui il a participé aux négociations et a conclu
22 des accords, principalement en ce qui concerne des questions militaires,
23 comme par exemple la démilitarisation, les cessez-le-feu, cessation des
24 hostilités, etc.
25 M. Harmon. - Pourriez-vous nous donner quelques exemples des
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1 accords des négociations auxquelles il a participé ?
2 M. Ralston. - Le 2 juin 1992, Karadzic et Mladic ont participé
3 à des négociations visant à réouvrir l’aéroport de Sarajevo. forces serbes
4 bosniaques contrôlaient sous son contrôle toute la zone autour de
5 l’aéroport. Cet accord a été par la suite signé et mis en oeuvre.
6 Le 5 juin 1992, Karadzic et Mladic ont participé à des
7 négociations avec la présidence serbe bosniaque en ce qui concerne le fait
8 que l’aéroport devait être placé sous le contrôle des Nations Unies.
9 Le 30 juillet 1993, Mladic a participé à des négociations avec
10 le Général Briquemont et généraux Delic et Petrovic, visant à signer un
11 accord pour définir les zones de sécurité.
12 Le 14 août 1993, Mladic a conclu un accord avec le général
13 Briquemont concernant le mont Igman et le retrait des forces serbes
14 bosniaques.
15 Le 8 février 1994, le général Milovanovic -qui représentait
16 Mladic- a rencontré Sir Michael Rose à Lukavika pour discuter d’un cessez-
17 le-feu et le retrait des l’artillerie lourde et la démilitarisation
18 ultérieure de Sarajevo. Milovanovic a dit qu’il avait l’autorité pleine et
19 entière de la part de Karadzic et Mladic pour se mettre d’accord sur les
20 principes du cessez-le-feu. Le jour suivant, le Général Michael Rose a
21 rencontré Milovanovic et ils se sont mis d’accord sur un cessez-le-feu.
22 Le 15 avril 1994, des négociations ont eu lieu entre Rose et
23 Mladic concernant Gorazde. Le 22 avril, le général Milovanovic a signé un
24 accord sur Gorazde.
25 Il y a également un grand nombre de rencontres auxquelles ont
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1 participé ses représentants afin de conclure des accords sur le passage
2 des convois humanitaires et la lutte contre les tirs isolés.
3 Il s’agit des pièces 39, 40, 41, 42, 43 qui sont des exemples
4 d’accords signés par Mladic.
5 M. Harmon. - En ce qui concerne ces accords qui ont été
6 négociés et signés par le Général Mladic, ont-ils été mis en vigueur et
7 appliqués ?
8 M. Ralston. - Oui, surtout à la suite des négociations
9 auxquelles a participé Carter.
10 M. Harmon. - Merci pour ce que vous avez dit sur le Général
11 Mladic.
12 Je voudrais maintenant me tourner vers un autre thème, à
13 savoir les hostilités et le début du conflit en Bosnie en 1992. Est-ce que
14 l’occupation et le contrôle du territoire de la République de la Bosnie
15 par les Serbes bosniaques répondaient à un plan et a été exécuté dans le
16 cadre d’un tel plan ?
17 M. Ralston. - Oui. L’occupation et le contrôle du territoire
18 de la République de la Bosnie-Herzégovine par la République auto-proclamée
19 Srpska ont été bien planifiés et coordonnés : les plans mis au point par
20 les chefs politiques serbes bosniaques du SDS et autres ont été exécutés
21 en coordination avec les forces militaires et paramilitaires, la police et
22 les Serbes bosniaques locaux. En fait leur but était le contrôle total de
23 la Bosnie-Herzégovine.
24 M. Harmon. - Est-ce que les enquêtes que vous avez menées ont
25 montré qu’il y avait une systématique avant et après dans la conduite des
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1 forces serbes sous la direction et le contrôle de Karadzic et de Mladic ?
2 M. Ralston. - Oui, avant et après la prise de pouvoir, il y
3 avait une stratégie qui était prévue et qui a été planifiée, contrôlée par
4 ceux qui ont été responsables de la prise de la région. Dans les régions
5 où les Serbes bosniaques représentent la grande partie de la population,
6 le contrôle s’est fait rapidement avec peu d’utilisation de forces
7 militaires.
8 Dans d’autres régions où les Serbes bosniaques n’avaient pas
9 la majorité, la prise de pouvoir s’est faite en utilisant des forces
10 importantes, y compris des pilonnages très violents de villages et de
11 villes suivis par des attaques par l’infanterie. Dans chaque cas, cela a
12 été suivi par une répression brutale, en se fondant sur des motifs
13 discriminatoires contre les populations non serbes.
14 Des milliers de Musulmans bosniaques et de Croates bosniaques
15 ont été rassemblés, détenus dans des installations d’internement. Les
16 conditions étaient brutales, les détenus ont été assassinés, torturés, ont
17 subi des sévices physiques, violés, etc.
18 Pour les non Serbes qui n’ont pas été mis dans ces camps, la
19 vie dans leur communauté est devenue impossible du fait qu’ils ont
20 lentement mais sûrement perdu leurs emplois, qu’ils ont vu leur liberté de
21 mouvements limitée, qu’on leur a pris leurs propriété, on a détruit leurs
22 maisons, leurs entreprises; ils ont subi des sévices physiques, y compris
23 des assassinats, le viol, tortures, arrestations arbitraires,
24 déportations, etc. Les conditions étaient très précaires.
25 Et puis les lieux de culte musulmans et catholiques ont été
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1 détruits un peu partout dans les territoires occupés.
2 Ce que je viens de décrire, nous l’avons découvert grâce à des
3 enquêtes en profondeur faites par le Bureau du Procureur en ce qui
4 concerne les prises de pouvoir par les Serbes bosniaques dans les
5 municipalités de Sarajevo, Foca, Bosanski Samac, Vlasenica, Brcko et
6 Prijedor. Ces événements se sont produits également à Kotor Varos,
7 Bijeljina et Zvornik.
8 Tout au long du conflit, la tactique utilisée par les
9 militaires serbes bosniaque a été de cibler les civils de manière non
10 discriminée. Le siège de Sarajevo est typique de cette tactique. Depuis le
11 début du siège, les civils ont été les objets systématiques de tirs par
12 des armes telles que des mortiers etc., et des tirs isolés qui ont
13 provoqué de nombreuses victimes.
14 M. Harmon. - Avant que la guerre ne commence en Bosnie, dans
15 ce qui est maintenant la RS, qu’en était-il des municipalités où les
16 Serbes bosniaques représentaient une minorité de la population ?
17 M. Ralston. - Il est bien connu que la population de la
18 Bosnie-Herzégovine avant le conflit se composait principalement de cinq
19 groupes nationaux : Serbes, Croates, Musulmans, et ceux qui se décrivaient
20 comme étant des Yougoslaves et les autres.
21 M. Harmon. - Dans la pièce 45, vous avez des résultats de
22 recensement de 1991, et ceci naturellement confirme ce que vient de dire
23 M. Ralston. Pourriez-vous prendre la pièce 46 et expliquer à la Chambre ce
24 que représente cette pièce 46 ?
25 M. Ralston. - Cette carte vous montre d’abord la ligne de
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1 confrontation en juillet 1995. Derrière cette ligne de confrontation se
2 trouvent les régions qui étaient contrôlées par les Serbes bosniaques.
3 Cette ligne verte représente à peu près la ligne de
4 confrontation au mois de juillet 1995. Les régions qui se trouvent
5 derrière sont celles qui sont contrôlées par les forces serbes. En rose,
6 le recensement de 1991 a montré qu’il y avait là une population non serbe
7 qui était majoritaire.
8 M. Harmon. - Pourriez-vous maintenant, Monsieur Ralston
9 prendre la pièce 47 ? Est-ce que vous pouvez nous dire ce qu’elle
10 représente et nous dire son importance ?
11 M. Ralston. - Cette pièce 47 est un document qui s’intitule
12 «Comité SDS très confidentiel, Instructions des activités des organes de
13 la population serbe en Bosnie-Herzégovine en cas d’urgence».
14 L’importance de ce document c’est que le 19 décembre 1991 un
15 Centre de crise du SDS a envoyé ces instructions strictement
16 confidentielles en notant que certaines forces travaillaient à prendre la
17 Bosnie-Herzégovine et la faire sortir par force de la Yougoslavie.
18 Ce Centre de crise considérait qu’il était nécessaire
19 d’unifier les tâches, les mesures et autres activités qui seraient menées,
20 afin de mettre en oeuvre la décision qui avait été plébiscitée par les
21 Serbes bosniaques dans toutes les circonstances qui pourraient se
22 produire, compte tenu des développements de la situation politique en
23 matière de sécurité. Il y avait deux options ici : soit que les Serbes
24 constituent la majorité selon les régions, c’était l’option 1, sinon
25 c’était l’option 2.
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1 Dans les deux options, le comité municipal du SDS devait
2 immédiatement composer une équipe de crise se composant de tous les
3 membres du Secrétariat du comité communal du SDS, c’est-à-dire les
4 fonctionnaires communaux les plus importants ou les candidats SDS à ces
5 positions - président de l’Assemblée, ou comité exécutif, le chef de la
6 sécurité publique, de la station militaire, de milice, commandant de la
7 défense territoriale ou secrétariat de la défense nationale, les adjoints
8 de l’Assemblée du peuple serbe et les membres locaux du Comité principal
9 du SDS.
10 Le commandant de cette équipe de crise était le président de
11 l’Assemblée communale ou du comité exécutif (option 1) ou le président du
12 comité communal du SDS (option 2). Les équipes de crise étaient
13 responsables pour maîtriser la situation politique dans la municipalité
14 et prendre dans toutes les mesures de préparation pour prendre toutes les
15 fonctions gouvernementales y inclus celles de l’approvisionnement, des
16 dépôts secrets, de la mobilisation dans la police, de la défense
17 territoriale et de la JNA.
18 S’agissant de la signification, ce document contient un nombre
19 d’instructions sur l’organisation des activités des Serbes bosniaques aux
20 niveaux municipaux et locaux. Partout en Bosnie-Herzégovine, ces
21 instructions ont été données aux équipes de crise du SDS et en fait
22 préparaient les Serbes bosniaques pour la guerre aux niveaux municipal et
23 communal.
24 M. Harmon. - Est-ce que vous pourriez nous indiquer les
25 municipalités importantes à ce titre ?
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1 M. Ralston. - Sarajevo, Foca, Bosanski Samac, Vlasenica, Brcko
2 et Prijedor.
3 M. Harmon. - Pourriez-vous dire à la Chambre quelle était
4 l’importance de ces municipalités ?
5 M. Ralston. - En premier lieu, Foca, Bosanski Samac, Brcko et
6 Prijedor, avec une population à majorité non serbe. Vous verrez, si vous
7 regardez cette carte, que ce terrain est difficile. Ces endroits étaient
8 très importants pour tous les transports. Si vous regardez plus loin, si
9 vous voyez l’infrastructure des routes autour de Foca, qui vont de
10 Monténégro Belgrade à la côte Herzégovine, vous verrez que Vlasenica est
11 la route principale et le lien le plus important entre la Serbie et
12 Sarajevo.
13 La route passe la frontière et arrive à Vlasenica. Ici c’est
14 Brcko qui est très important. C’est une région à majorité non serbe, mais
15 ce n’est pas par ce réseau routier que les Serbes pouvaient connecter la
16 Serbie, la Bosnie orientale avec les parties déjà contrôlées par les
17 Serbes à l’ouest, Krajina, etc.
18 C’est donc un endroit très important. Si vous allez à Bosanski
19 Samac, se trouve également juste au bord du corridor, c’est ce même lien
20 routier qui permettait d’arriver à Prijedor. C’est un lien de voie ferrée
21 qui permettant d’aller directement à Prijedor, comme c’était le cas
22 également pour la route. Donc ces municipalités étaient très importantes,
23 d’autant plus qu’il s’agissait de zones serbes entourées de régions à
24 majorité non serbe, donc très importantes du fait des chemins de fer et
25 des réseaux routiers.
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1 M. Harmon. - Pourriez-vous nous montrer également la pièce
2 n° 49 ? Pourriez-vous nous dire ce qui s’est passé dans ces municipalités
3 dont vous venez de parler ?
4 M. Ralston. - J’ai dit qu’elles étaient extrêmement
5 importantes du point de vue stratégique et vous pouvez voir que les Serbes
6 ont pris le pouvoir très rapidement : le 6 avril à Foca, Bosanski en
7 avril, et Prijedor le 25 mai.
8 M. Harmon. - Vous avez dit que les enquêtes du bureau du
9 procureur ont été faites dans ces municipalités. Pourriez-vous nous
10 décrire un peu ce qui s’est passé à Sarajevo ?
11 M. Ralston. - Sarajevo est la capitale de Bosnie-Herzégovine.
12 Sarajevo était devenue une cité très florissante, multi-ethnique. Le 5
13 avril 1992, à la suite de démonstrations et de marches pour la paix, des
14 tirs et des explosions ont été entendus dans toute la ville. Le 6 avril
15 1992, des tirs isolés ont été perçus...
16 M. le Président. - Peut-être qu’avant d’aborder Sarajevo nous
17 pourrions procéder à la pause, si la réponse à la question est brève. J’ai
18 l’impression que c’est une séquence un peu naturelle, Monsieur le
19 Procureur ?
20 L’audience est suspendue, elle reprendra à 16 heures 15.
21 (L’audience, suspendue à 16 heure, est reprise à 16 heures 20)
22 M. le Président. - L'audience est reprise, veuillez vous
23 asseoir. Je souhaiterais d'abord me tourner vers M. le Procureur et lui
24 indiquer que la Chambre accepte les documents que vous avez produits
25 jusqu'à présent comme éléments et pièces à conviction et, bien entendu,
Page 218
1 nous verrons pour les autres documents.
2 Tant que nous sommes dans les problèmes matériels, mais qui
3 ont leur importance, en discutant avec les personnes qui sont dans la
4 cabine, je me suis aperçu qu'elles ont des difficultés avec la hauteur des
5 micros. C'est très fatigant. Il semble que ces problèmes qui sont,
6 apparemment, des petits problèmes matériels, rendent la tâche des
7 interprètes très pénible.
8 Quand c'est le Président qui rend la tâche des interprètes
9 très pénible, il s'en excuse, fait ce qu'il peut. Il se trouve que, là, ni
10 le Président, ni les Juges, n'y soient pour rien. Il semble que ces
11 problèmes soient signalés depuis l'ouverture du procès Tadic, c'est
12 technique, au niveau du bricolage, je ne sais comment le bricolage peut
13 s'interpréter, mais il semblerait qu'effectivement, si on reste penché
14 toute la journée sur son micro, c'est tout de même très pénible.
15 Monsieur le Procureur, vous n'y êtes pour rien, mais le
16 Tribunal tient à dire qu'il faut que, dans ce Tribunal, les conditions de
17 travail soient excellentes pour tout le monde. Pour les juges, elles sont
18 excellentes, il convient qu'elles le soient pour tout le monde. Je demande
19 au représentant du Greffe de bien vouloir s'assurer que, si ce sont des
20 travaux qui ne sont pas trop compliqués, ils soient effectués le plus
21 rapidement possible. Je parle, là, au nom de Mme Mc Donald pour le procès
22 Tadic et, présentement, pour le nôtre.
23 Monsieur le Procureur, nous reprenons.
24 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Merci beaucoup,
25 Monsieur le Président.
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1 Lorsque nous nous sommes séparés, Monsieur Ralston, je venais
2 de vous demander si le Bureau du Procureur avait mené des enquêtes
3 approfondies dans certaines municipalités, vous avez répondu oui et vous
4 avez donné les noms de ces municipalités.
5 Ma question suivante consiste à vous demander ce qui s'est
6 passé dans ces municipalités. Pourriez-vous nous donner un bref résumé de
7 ce qui s'est passé à Sarajevo ? je vous demanderai de poursuivre en nous
8 disant quels ont été les événements de Sarajevo.
9 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) Je vais répéter
10 les deux dernières phrases que j'ai dites précédemment. Avant le conflit,
11 Sarajevo s'était développée en tant que ville multi ethnique florissante.
12 Le 6 avril 1992, des tirs isolés ont eu lieu, provenant de l'hôtel Holiday
13 Inn qui se trouve près du centre de la ville. Le Holiday Inn, à cette
14 époque, était le Siège du Parti SDS et était donc occupé par des
15 responsables du parti et des gardes du corps, ainsi que par un certain
16 nombre de journalistes internationaux et de membres de la FORPRONU.
17 Plusieurs personnes ont été tuées et blessées après ces premiers tirs
18 isolés. Je jour suivant, le 7 avril 1992, la République de
19 Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant par la Communauté
20 européenne et les Etats-Unis. Entre mai et la fin du conflit a subi un
21 siège de la part des forces serbes bosniaques. Au cours de ce siège, la
22 population civile a grandement souffert de tirs isolés permanents et
23 systématiques de la part des forces serbes bosniaques, et de l'utilisation
24 indiscriminées et intensive de mortiers et d'artillerie.
25 En conséquence, des milliers de civils de tous âges et des
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1 deux sexes ont été tués ou blessés. Des pillonages ont directement ciblé
2 les civils qui, de toute évidence, ne participaient pas au combat. Des
3 hôpitaux, des cimetières, des bâtiments culturels ont été ciblés de façon
4 régulière ainsi que le personnel et les propriétés des organismes d'aide
5 humanitaire et de maintien de la paix.
6 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Pouvez-vous nous
7 résumer ce qui s'est passé au niveau de la municipalité de Foca ?
8 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) Oui, la
9 municipalité de Foca, comme je l'ai déjà dit, se situait dans une région
10 où la population était majoritairement non serbe. Selon le recensement de
11 1991, sur un total de 40 513 habitants, 51,6 % étaient Musulmans, 45,3 %
12 serbes et 3,1 % étaient classés comme divers. Le renversement du pouvoir
13 politique et militaire à Foca a démarré au début avril 1992. Les premières
14 activités militaires ont été rapportées le 6 avril 1992, date à laquelle
15 des unités militaires Serbes ont pris le contrôle de Foca, quartier par
16 quartier. L'occupation de la ville s'est achevée le 16 ou le 17 avril 1992
17 et l'encerclement des villages subissant un siège s'est poursuivi jusqu'au
18 mois de juillet 1992.
19 Au cours et après le renversement de pouvoir, un grand nombre
20 de non Serbes ont été détenus, interrogés, frappés et maintenus dans des
21 conditions inhumaines dans des centres de détention contrôlées par les
22 authorités serbes. Les femmes ont été séparées des hommes et détenues dans
23 divers centres de détentions distincts où les viols ont été fréquemment
24 commis par les gardes et par d'autres serbes.
25 Ultérieurement, nombre de ces non Serbes ont été retirés de
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1 ces centres de détention pour être échangés dans ce que l'on appelait des
2 échanges de prisonniers ou déportés, principalement en direction du
3 Monténégro.
4 Nombre de non Serbes ont été assassinés. AU cours des mois qui
5 ont suivi le renversement du pouvoir, les conditions de vie, y compris la
6 crainte de mourir, sont devenues insupportables, à tel point que non
7 Serbes qui étaient parvenus à éviter la détention ont décidé de quitter la
8 région. Ces personnes ont été contraintes de signer des documents
9 stipulant qu'elles quittaient Foca de leur propre volonté et qu'elles
10 remettaient volontairement tous leurs biens aux autorités serbes.
11 De la part des autorités Serbes, il a été admis qu'à partir
12 d'août 1993, seuls neuf Musulmans ont quitté la ville de Foca.
13 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Décrivez-nous ce
14 qui s'est passé, je vous prie, à Bosanski Samac.
15 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) Avant la guerre,
16 la population de Bosanski Samac, était pratiquement divisée à égalité
17 entre les Croates et les Serbes, les Musulmans constituant une faible
18 minorité. Selon le recensement de 1991, la municipalité possédait une
19 population totale de 32 835 personnes dont 45 % étaient Croates, 41 %
20 Serbes, 7 % Musulmans et 7 % divers. Avant la guerre, la plupart des
21 habitant croates résidaient dans des villages à prédominance croate. Les
22 Musulmans constituaient la majorité dans la ville de Bosanski Samac et il
23 y avait également des villages dont la population était mixte.
24 Très tôt, le matin du 17 avril 1992, les forces militaires
25 serbes ont pris le contrôle de Bosanski Samac. Peu après l'attaque, des
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1 membres de ces unités sont allés d'une maison à l'autre avec des listes de
2 non Serbes et ont ordonné à tous les non Serbes de restituer leurs armes.
3 Des forces irrégulières ont traversé la ville. Quelques maisons, les
4 bâtiments institutionnels ont été détruits. Un grand nombre de citoyens
5 ont également été arrêtés et détenus dans diverses localités autour de la
6 ville de Bosanski Samac, notamment dans le poste de police locale.
7 Dans ces centres de détention, les passages à tabac, les
8 mauvais traitement étaient chose quotidienne. Certains des détenus ont été
9 tués, d'autres ont subi des sévices sexuelles humiliantes.
10 Du jour au lendemain, les Serbes bosniaques ont pris le
11 contrôle de tous les commerces, bureaux gouvernementaux et se sont saisis
12 de tous les postes de pouvoir. Comme cela s'était passé à des centaines de
13 kilomètres de Foca, les autorités serbes se sont mises à réduire la
14 population civile non Serbe en imposant des conditions brutales. Les non
15 Serbes ont été arrêtés, détenus, frappés, torturés, assassinés, humiliés.
16 Ceux qui n'étaient, détenus, frappés, torturés, assassinés,
17 humiliés.
18 Ceux qui n'étaient ni arrêtés ni détenus vivaient dans la
19 crainte, dans des conditions d'oppression telle que nombreux ont été ceux
20 qui ont décidé de quitter la région pour échapper à cette situation
21 intolérable. De nombreux civils ont servi à des échanges de prisonniers.
22 En Mars 1995, on estimait que 10 Croates seulement et 250
23 Musulmans restaient encore dans la municipalité. A partir de juillet 1995,
24 98 % de la population non Serbe soit avait quitté la région, soit avaient
25 été déportés.
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1 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Pouvez vous
2 résumer, pour la Chambre, ce que les enquêtes de l'accusation ont démontré
3 s'agissant de la municipalité de Vlasenica ?
4 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) A Vlasenica, où la
5 population était majoritairement non Serbe, encore une fois, la
6 municipalité avait environ 33 817 habitants dont 55 %, environ, étaient
7 Musulmans, 43 % Serbes et 2 % décrits comme divers.
8 La ville de Vlasenica se trouve dans la municipalité qui porte
9 le même nom. En 1991, la ville de Vlasenica avait environ 7 500 habitants,
10 dont environ 4 800, soit 64 %, étaient musulmans.
11 Dans les mois qui ont abouti au renversement du pouvoir dans
12 la municipalité de Vlasenica, une tension considérable s'est développée
13 entre les responsables serbes bosniaques et les responsables non serbes.
14 Cette tension était principalement due aux exigences du SDS qui souhaitait
15 prendre le contrôle politique. Finalement, le SDS a réclamé la division de
16 Vlasenica en deux zones, l'une Serbe et l'autre non Serbe.
17 Il est intéressant de constater que, juste avant le
18 renversement du pouvoir, les Serbes avaient commencé à créer une
19 administration distincte et une force de police distincte. Des groupes
20 paramilitaires serbes ont pénétré dans la région et la population
21 musulmane a reçu l'ordre de restituer ses armes.
22 Le 21 avril 1992, les Serbes bosniaques ont pris le pouvoir à
23 Vlasenica. Ce sont les membres du corps de Novi Sad de la JNA, aidés par
24 des unités paramilitaires, qui ont renversé ainsi le pouvoir. Suite à ce
25 renversement du pouvoir dans Vlasenica, les villages musulmans qui
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1 existaient encore dans la municipalité ont été attaqués. Les habitants ont
2 été capturés, les civils arrêtés, maltraités, détenus dans des camps ou
3 déportés. Un grand nombre des maisons de civils ont été détruites.
4 Après le renversement du pouvoir des mandats d'arrêt et des
5 poursuites criminelles ont été engagées contre les dirigeants musulmans et
6 les membres du SDA de la région, mais à ce moment-là, 95 % des
7 responsables musulmans s'étaient déjà enfuis. Le jour de la prise de
8 contrôle de la ville de Vlasenica, des Serbes, à bord d'une voiture de
9 police, ont contraint un dirigeant religieux musulmans à adresser un
10 ultimatum à la population non Serbe. Il consistait à ordonner à cette
11 population de non Serbes de remettre toutes ses armes;
12 Au cours et après le renversement du pouvoir, les villages non
13 Serbes ont été attaqués et les Musulmans rassemblés et arrêtés. En outre,
14 les forces serbes ont détruit et pillé une grande partie des biens
15 musulmans.
16 Une fois que les civils ont été détenus, les hommes et les
17 femmes ont été séparés. Les femmes ont été déportées, les hommes détenus
18 pendant des périodes prolongées dans des conditions inhumaines. Les hommes
19 ont subi des interrogatoires et des coups sans raison apparente. Après
20 leur libération, certains de ces hommes ont été utilisés dans des échanges
21 de prisonniers. Nombre des civils détenus ont ensuite été envoyés au camp
22 de Batkovic dans le nord est de la Bosnie où ils ont été détenus pendant
23 de longues périodes. La plupart des femmes musulmanes, poussées par la
24 peur, se sont vu contraintes de signer des documents stipulant qu'elles
25 quittaient la région de leur propre volonté. Avant de partir, cependant,
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1 ces personnes devaient obtenir la permission de partir de l'état-major de
2 crise serbe et ont dû signer un papier remettant l'ensemble de leurs
3 propriétés aux Serbes.
4 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Des événements de
5 même nature se sont-ils produits à Brcko.
6 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) Oui,
7 effectivement, la population de Brcko comptait environ 87 000 habitants
8 avec 43 000 habitants résidant dans la ville même de Brcko. La population
9 de la municipalité se composait à 45 % de Musulmans, à 20,7 % Serbes, à
10 25,9 % de Croates, à 5,5% de Yougoslaves et à 3 % de divers.
11 La population Serbe était donc très minoritaire dans cette
12 région, mais comme je l'ai déjà dit, il était d'une importance vitale,
13 dans le cadre du programme serbe bosniaque de prendre le contrôle de cette
14 ville. La guerre de Brcko a commencé tôt le matin, le 30 avril 1992,
15 lorsque de puissantes explosions ont détruit les deux ponts enjambant la
16 river Sava. Immédiatement ensuite, l'état-major de crise du SDS a pris le
17 pouvoir dans la municipalité. Le 1er mai 1992, les bâtiments de la poste,
18 de la radio et de la télévision ainsi que le commissariat de police ont
19 été pris par des soldats portant l'uniforme de la JNA. Les habitants qui
20 ont essayé de quitter la ville ont été arrêtés aux barrages routiers
21 contrôlés par des soldats serbes et des soldats paramilitaires connus
22 comme les membres des forces Arkan et de Seselj, qui étaient sous le
23 commandement de Zeljko RAZNJATOVIC "Arkan" et Vojislav Seselj
24 respectivement.
25 Le 2 mai 1992, des coups de feu ont commencé à se faire
Page 226
1 entendre dans les villages musulmans voisins de Dizdarusa, Kolobara et
2 Klanac alors que des combattants musulmans organisaient une résistance
3 contre les soldats serbes dans la ville. Un bombardement d'artillerie a
4 débuté dans les villages musulmans voisins et les habitants ont cherché un
5 abri dans les caves de leurs maisons. Les maisons ont subi des dommages
6 importants suite à ces pilonnages.
7 Le 3 mai 1992, les soldats serbes ont commencé à circuler dans
8 la ville en contraignant les résidants à quitter leur domicile et à
9 évacuer la ville pour aller dans des zones sûres. Les habitants Musulmans
10 et Croates ont été séparés des Serbes et emmenés vers des centres de
11 rassemblement. Les femmes, les enfants et les personnes âgées ont été
12 séparés des hommes et emmenés en autocar hors de Brcko, vers Brezevo
13 Polje, un village situé quelques kilomètres à l'est de la ville de Brcko.
14 Lorsqu'ils se trouvaient dans ces centres de rassemblement, les Musulmans
15 et les Croates ont subi un harcèlement verbal, des coups et blessures, et
16 certains d'entre eux ont été tués.
17 Un pourcentage important de la population masculine non Serbe
18 a été détenu au camp de Luka, dans la ville de Brcko où les coups et
19 blessures, la torture et le meurtre étaient choses communes. Les autorités
20 du camp exécutaient les détenus de façon systématique, pendant les
21 premières semaines du fonctionnement de ce camp de Luka. En juillet, tous
22 les détenus masculins ont été emmenés en autocar vers le camp de détention
23 de Batkovic, tout près de là. D'autres hommes non serbes, qui avaient été
24 détenus précédemment puis libérés ont été à nouveau arrêtés et également
25 emmenés à Batkovic. Etant donné le climat de crainte et de terreur créé
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1 par ces activités serbes, l'énorme majorité des habitants non serbes qui
2 n'avaient pas été tués ou détenus ont quitté la région par tous les moyens
3 possibles.
4 M. Harmon (interprétation de l'anglais) Pouvez-vous dire ce
5 que les enquêtes de l'accusation ont prouvé par rapport à Prijedor ?
6 M. Ralston. - Des enquêtes importantes ont été menées,
7 relativement aux événements qui ont affecté la région de Prijedor. Avant
8 mai 1991, Prijedor était pratiquement divisée à égalité entre les Musulmans
9 et les Serbes. Selon le recensement de 1991, sur une population de 112 470
10 habitants, 44 % étaient musulmans, 42,5 % serbes, 5,6 % croates, 5,7 %
11 yougoslaves et 2,2 % divers. Au nombre de ces divers, on trouvait des
12 Ukrainiens, des Russes, des Italiens m'a-t-on dit.
13 Le 30 avril 1992, les forces Serbes bosniaques ont pris le
14 pouvoir dans la ville de Prijedor. Il n'y eut aucune résistance importante
15 étant donné que les policiers non serbes ont restitué leurs collègues
16 serbes. Le lendemain matin, les drapeaux serbes flottaient sur tous les
17 bâtiments officiels et radio Prijedor diffusait que les Serbes avaient
18 pris le contrôle de la municipalité désormais appelée municipalité serbe
19 de Prijedor. Dans les trois semaines suivantes, radio Prijedor a émis, à
20 de nombreuses reprises, des exigences stipulant que les non Serbes
21 devaient rendre toutes les armes qui leur restaient, même s'il s'agissait
22 de fusils de chasse munies d'un permis. Les responsables musulmans se sont
23 réunis avec les autorités serbes bosniaques pour négocier une coexistence
24 pacifique. Au cours de cette période, la circulation des non Serbes s'est
25 vue restreinte de façon de plus en plus importante et les lignes de
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1 communication provenant des villages à majorité musulmane vers le reste du
2 monde ont été coupées.
3 Avant et après que les Serbes bosniaques ont pris le pouvoir,
4 ils ont fourni les armes aux villages serbes de la municipalité, des armes
5 lourdes ont également été introduites dans la région. Les attaques
6 militaires contre la municipalité de Prijedor ont commencé le 23 mai 1992,
7 après un incident survenu à un checkpoint près du village de Hambarine.
8 Les attaques militaires contre Hambarine et Ljubija ont été suivies
9 d'attaques contre Kozarac et Prijedor. A partir du 20 juillet 1992, les
10 villages situés sur la rive gauche de la rivière Sana ont été attaqués par
11 les forces serbes. Comme dans la plupart des autres attaques précédentes,
12 les villages situés sur cette rive gauche ont été soumises à un pilonnage
13 important suivi par des rassemblements et des tueries, des assassinats de
14 civils non Serbes. De nombreuses maisons et de nombreux villages ont été
15 détruits au cours et après ces attaques, créant une impossibilité pour les
16 habitants de retourner dans leurs villages.
17 ******fin de la partie à relire. *****
18 Ceux qui étaient arrêtés et détenus ont enduré des détentions
19 de longue durée dans des centres caractérisés par des traitements cruels
20 et inhumains. Plusieurs milliers de civils non serbes ont souffert dans
21 les camps de détention infâmes d'Omarska, Keraterm et Trnopolje. De ces
22 centres, les détenus ont ensuite été transférés vers le camp de Manjaca et
23 ensuite, de ce camp, soit vers le camp de Batkovic, soit vers des zones
24 situées hors de Bosnie-Herzégovine.
25 Ceux qui n'ont pas été détenus ont vécu dans des conditions
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1 oppressives et dans un tel état de peur que la plupart ont finalement
2 quitté Prijedor.
3 En juin 1993, 88 % de la population musulmane d'environ
4 49 000 habitants avait été tuée ou contrainte de quitter la région. La
5 majorité de la population non-serbe résidant précédemment dans cette
6 région -dans la municipalité de Prijedor- a aujourd'hui été expulsée.
7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous
8 dire, en conséquence des événements que vous venez de décrire, si la
9 composition ethnique de ces municipalités a changé ? Je vous demanderai de
10 vous appuyer sur la pièce n° 50.
11 Je vous demanderai, une fois que cette pièce sera sur le
12 rétroprojecteur, de l'identifier et d'expliquer son rôle et son
13 importance.
14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Dans les
15 municipalités de Prijedor, Foca, Vlasenica, Brcko, et Bosanski Samac, dont
16 je viens de parler, la population qui, au départ, était minoritairement
17 serbe, est devenue presque totalement serbe. Nos recherches indiquent que
18 cela s'est également produit dans d'autres régions qui ont subi un
19 renversement de pouvoir comme, par exemple, Kotor Varos, Sanski Most,
20 Doboj, et plusieurs des zones situées le long de ces lignes extérieures.
21 Les Serbes bosniaques ont également, selon plusieurs rapports, pris le
22 contrôle dans la région située au nord-est.
23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous
24 décrire les méthodes utilisées par les forces qui ont renversé le pouvoir
25 dans ces municipalités ? Pourriez-vous nous dire quelles similitudes vous
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1 trouvez dans ces méthodes ?
2 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les
3 caractéristiques communes résident dans le fait qu'il était ordonné aux
4 habitants de restituer leurs armes, de prêter allégeance aux responsables
5 serbes-bosniaques; des ultimatums étaient lancés et certains habitants
6 devaient se rendre.
7 Il y avait aussi, communément, après les attaques militaires,
8 des meurtres sans discrimination, la séparation des hommes et des femmes,
9 l'incarcération dans divers centres de détention qui étaient soit sous le
10 contrôle de la police, soit sous le contrôle des militaires, soit sous le
11 contrôle des deux, où l'on procédait à des interrogatoires, des passages à
12 tabac et où le meurtre et les sévices sexuels étaient choses communes,
13 ainsi que la torture.
14 Nombre des personnes incarcérées ont ensuite été déportées, de
15 même que des civils qui n'avaient pas été détenus.
16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - S'agissant de ces
17 méthodes, avant que vous n'en parliez en détail, monsieur Ralston, ces
18 méthodes ont-elles été employées dans les municipalités situées dans
19 toutes les régions sous le contrôle des Serbes bosniaques ?
20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Oui, elles l'ont
21 été.
22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Vous nous avez
23 dit, suite aux enquêtes que vous avez réalisées, qu'il y avait un certain
24 nombre d'éléments communs dans les activités des Serbes bosniaques, en
25 particulier les ultimatums. Pouvez-vous nous en donner des exemples ?
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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - L'ultimatum était
2 très souvent utilisé par le SDS, l'armée ou la police serbe bosniaque à
3 l'encontre des villages musulmans, les habitants musulmans recevant
4 l'ordre de rendre leurs armes.
5 Pour illustrer cela, je voudrais vous donner un exemple situé
6 à Prijedor : le 22 mai 1992, une automobile transportant cinq hommes,
7 quatre Serbes et un Croate, a été arrêtée à un barrage routier dans le
8 village de Hambarine, près de Prijedor. Lorsque les Serbes ont reçu
9 l'ordre de rendre leurs armes, l'un des Serbes a ouvert le feu avec sa
10 mitraillette. Le commandant du barrage routier a été blessé et est ensuite
11 mort de ses blessures. Les autres non-Serbes du barrage routier ont
12 retourné le feu et tué deux des Serbes. Les Serbes ont alors demandé aux
13 non-Serbes de se rendre et de rendre le barrage routier.
14 Après cet incident, l'état-major de crise du SDS de Prijedor a
15 lancé un ultimatum à Radio-Prijedor, dans lequel il était exigé que
16 l'homme tenu pour responsable des coups de feu au barrage routier se rende
17 de lui-même et que toutes les armes de Hambarine soient restituées aux
18 Serbes. Si l'ultimatum n'était pas respecté d'ici à midi le lendemain, les
19 Serbes déclaraient qu'ils attaqueraient Hambarine.
20 L'ultimatum n'ayant pas été respecté, les Serbes ont commencé
21 à bombarder Hambarine avec de l'artillerie. Quand ce feu d'artillerie a
22 cessé, le village a été attaqué par des chars et par des troupes
23 d'infanterie, les maisons étant incendiées. Lorsque l'attaque de Hambarine
24 a commencé, de nombreux villageois ont tenté de fuir vers les villages
25 musulmans ou croates environnants ; certains se sont dirigés vers les bois
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1 et y sont restés jusqu'à ce qu'ils aient estimé que le danger avait
2 disparu.
3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Comme dans les
4 exemples précédents, qui était responsable de ces ultimatums ?
5 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Comme dans tous
6 les exemples que j'ai cités, c'étaient des membres des forces militaires
7 et des responsables civils ; c'était l'état-major de crise du SDS qui
8 était responsable.
9 Des négociations ont eu lieu entre le major Zeljaja et Becir
10 Medunjanin, représentant de la communauté musulmane de Kozarac, et ces
11 négociations ont été placées sous le contrôle du commissariat de police de
12 Kozarac.
13 Zeljaja a publié un ultimatum adressé à la population de
14 Kozarac à qui il était demandé de prêter allégeance à la République Serbe
15 Bosniaque et de remettre les armes exitant à Kozarac, sous peine de
16 risquer une attaque. Zeljaja a informé Medunjanin que l'ultimatum devait
17 être respecté jusqu'à midi.
18 Aux environs de midi, le 24 mai 1992, Medunjanin a demandé un
19 délai plus long, mais Zeljaja lui a répondu qu'il n'obtiendrait pas cette
20 prolongation du délai et, peu de temps après, Kozarac a été attaqué par
21 des Serbes locaux venus de Lamovita et d'Omarska, et par des troupes du
22 corps de Banja Luka placées sous le commandement du colonel Vladimir Arsic
23 et du major Zeljaja, commandant sur le terrain.
24 La ville de Kozarac et les villages de Kamicani, Jakupovici et
25 Kozarusa ont subi un bombardement d'artillerie intense ainsi que des tirs
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1 provenant de chars et d'armes légères.
2 Le 27 mai 1992, des chars et de l'infanterie sont entrés dans
3 Kozarac et la population locale n'ayant organisé aucune véritable
4 résistance contre cette attaque, les Serbes sont pratiquement rentrés dans
5 la ville sans obstacle. Nombreux ont été les habitants de la zone qui se
6 sont enfuis vers les forêts ainsi que dans la montagne Kozarac.
7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Qu'est-il arrivé à
8 ces gens qui se sont enfuis vers les bois ?
9 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Après la fin du
10 pilonnage, la reddition de milliers d'habitants de Kozarac a été négociée
11 par un certain nombre d'anciens policiers musulmans et le major Zeljaja.
12 De nombreuses personnes, hommes, femmes et enfants, ont saisi l'occasion
13 de cette reddition pour se former en colonne et se diriger vers la ville
14 de Prijedor placée sous la garde des forces serbes. Comme la colonne se
15 déplaçait le long de la route, de nombreux hommes ont été retirés de la
16 colonne et tués sur place.
17 Des forces serbes bosniaques ont arrêté la colonne à un
18 barrage routier. Là, les hommes et les femmes ont été séparés, une
19 majorité des hommes étant placés à bord d'autocars et emmenés vers les
20 camps d'Omarska et de Keraterm, la majorité des femmes et des enfants
21 étant emmenés vers le camp de Trnopolje.
22 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
23 vous avez dit qu'une des méthodes utilisées était le meurtre pratiqué par
24 les policiers et les militaires. C'est le fruit des recherches qui ont été
25 réalisées. Pouvez-vous nous en donner des détails ?
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1 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Dans les
2 municipalités mentionnées jusqu'à présent, le meurtre et les exécutions
3 sommaires étaient chose commune, en particulier dans les centres de
4 détention. L'exemple le plus parlant se situe sans doute à Brcko où un
5 photographe qui se trouvait sur place a pu assister et photographier le
6 meurtre de deux personnes qui étaient apparemment des civils. Ces photos
7 ont ensuite été publiées par des médias internationaux.
8 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Nous allons prendre
9 en considération la pièce 51. Pourriez-vous expliquer, monsieur Ralston,
10 ce qui est présenté sur cette pièce ?
11 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Première photo :
12 vous voyez ici deux civils accompagnés d'un homme en uniforme de police,
13 armé, et un homme vêtu d'un uniforme militaire. Ces photos ont été prises
14 à Brcko.
15 Photo suivante : sur cette photo, l'homme, portant
16 probablement un uniforme de police, est en train de tirer dans le dos du
17 civil qui se trouve devant lui.
18 Photo suivante : cette photo décrit ce qui est arrivé au
19 civil. En effet, je suis sûr que l'autre homme présenté sur la photo
20 précédente a été tué à la même occasion.
21 Nous revenons en arrière pour la dernière photo de la série.
22 Le même jour, lorsqu'a été prise cette dernière série de photos (c'est ici
23 a photo d'une tombe), toutes ces personnes portaient des vêtements civils
24 comme vous pouvez le voir.
25 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
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1 un autre point a fait l'objet de cette enquête, il s'agit de la
2 destruction des villages musulmans. Voudriez-vous expliquer au Tribunal ce
3 qu'il en a été (et nous vous présenterons plusieurs pièces) ?
4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - La population
5 musulmane était déplacée des villages ; les forces serbes y pénétraient et
6 détruisaient leurs maisons. A Vlasenica par exemple, c'est ce qui se
7 produisit le 22 avril. Et suite au départ officiel des troupes de la JNA
8 et à leur remplacement par les troupes de l'armée des Serbes bosniaques,
9 les villages de musulmans continuaient à être détruits.
10 Les attaques sur ces villages s'étaient passées sans
11 résistances ou avec très peu de résistance et dans de nombreux cas, les
12 gens remettaient leurs armes comme cela leur était demandé.
13 Dans la municipalité de Brijedor, les villages suivants ont
14 été détruits ou ont été exposés aux bombardements : Hambarine et Ljubija
15 le 22 mai, Kozarac, Alici, Brdani, Dera, Donji Forici, Gornji Forici,
16 Hrnici, Jakupovici, Kamicani, Kevljani, Kenjari, Kozarusa, Mahmuljin, et
17 d'autres ; et Prijedor, Tukovi et Stari Grad le 30 mai 1992.
18 Une nouvelle vague d'attaques a commencé le 20 juillet 1992 ;
19 en ont souffert les villages suivants : Biscani, Carakovo, Rizvanovici,
20 Sredice, Zikovi, Brisevo, Donji Ljubija, Gornji Ljubija, Rljas et Lisina.
21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
22 pouvez-vous illustrer votre témoignage en vous servant des pièces 53, 54
23 et 55 ?
24 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les couleurs pour
25 les régions habitées, le jaune pour les destructions, le rouge pour les
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1 bombardements, destructions, incendies ou explosions.
2 Vous pouvez voir sur la carte des concentrations de points
3 rouges qui sont en corrélation avec les villages musulmans de Prijedor.
4 Ici concentration, de nouveau, en rouge, d'une très grande
5 quantité d'armes qui ont été détruites et la majorité de ces maisons ont
6 été détruites suite aux incendies ou aux matières explosives. Il
7 s'agissait de villages à prédominance musulmane.
8 Pièce suivante : on peut la présenter d'une manière
9 graphiquement plus nette. C'est le parallèle fait entre les deux régions.
10 Cette carte représente une partie de la Bosnie orientale dont les secteurs
11 sont en vert. Selon le recensement de 1990-1991, ces secteurs sont à
12 prédominance musulmane et vous pouvez voir dans ces régions (secteur
13 rouge) les habitations qui ont été détruites suite aux incendies ou aux
14 explosions.
15 Le pourcentage d'incendies, de feux et d'explosions est très
16 élevé dans ces régions à prédominance de population musulmane.
17 Nous pouvons relever une situation similaire à la pièce
18 suivante. Cette carte est celle du nord-ouest de la Bosnie -la région de
19 Prijedor- d'où nos preuves proviennent. Ce sont des villes qui ont subi
20 des nettoyages ethniques ; elles sont concentrées autour de certains
21 points.
22 On peut constater cette concentration et ce regroupement de
23 villages au mois de mai. Fin mai, début juin, voilà que ce sort est
24 réservé aux villages de cette région-ci, de nouveau une purification
25 ethnique. Fin juillet, une nouvelle concentration se produit dans cette
Page 237
1 région-ci.
2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
3 dans nombre de ces villages où les Musulmans et les Serbes vivaient
4 ensemble, est-il souvent arrivé que les communautés musulmanes y
5 disparaissaient alors que celles des Serbes restaient intactes ?
6 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, c'est exact.
7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ceci dit, je
8 voudrais attirer votre attention sur la pièce 56 a et b. Monsieur Ralston,
9 voulez-vous nous expliquer la signification de ces pièces ?
10 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Une photo aérienne
11 présente la ville de Foca dont je parlais tout à l'heure dans le cadre de
12 mon témoignage. Il s'agit de la section serbe des quartiers musulmans.
13 Cela ne ressort pas très clairement de cette photo, mais vous pourrez le
14 voir un peu plus tard. Il n'y a pas eu de destructions dans les quartiers
15 de ce secteur alors que tous les bâtiments de ces quartiers-ci ont été
16 détruits. J'ai des photos détaillées qui peuvent le démontrer. Et vous
17 pouvez relever, sur ces photos, que ces quartiers se trouvaient très près
18 les uns des autres.
19 Voici la photo sur laquelle vous pouvez voir les habitations
20 musulmanes qui ont été complètement détruites ; la mosquée a été gravement
21 touchée ; l'église orthodoxe est restée intacte, y compris les bâtiments
22 qui forment ce quartier -donc des bâtiments serbes- sont restés intacts.
23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
24 pouvez-vous nous expliquer ce que la pièce suivant en 56 c, représente ?
25 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - C'est la photo
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1 d'un village et vous y voyez les habitations qui ont été complètement
2 détruites près de Srpska (de ce côté-ci), et les habitations musulmanes
3 par ici. Il s'agissait d'habitations construites à la serbe qui n'ont pas
4 du tout été touchées.
5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous
6 identifier ce que la pièce suivante (n° 57) représente et nous en faire
7 l'identification ?
8 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - La pièce 57
9 présente le site d'une mosquée musulmane à Brcko (juillet 1990/1994).
10 C'est la mosquée et son minaret. En mai 1994, le terrain est complètement
11 rasé. La mosquée n'existe plus ; elle a été détruite ; mais même les
12 vestiges de ce que fut la mosquée ont été éliminés.
13 Voilà ce même secteur que je vous ai présenté sur la photo
14 précédente, où se trouvait la mosquée en question dont toutes les traces
15 ont été éliminées.
16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il eu
17 destruction systématique de certains sites, de certaines localités ?
18 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui.
19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je voudrais attirer
20 votre attention sur la pièce 58 et je prie monsieur Ralston d'en faire
21 l'identification et d'expliquer ce que cette pièce représente une fois sur
22 l'écran.
23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Il s'agit d'un
24 dessin de la région de Banja Luka. Il a son importance étant donné qu'il
25 s'agit d'une population majoritairement serbe ; il n'y a pas eu de
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1 conflits armés dans la région et pourtant un grand nombre de mosquées ont
2 été détruites. Il s'agit donc des emplacements de toutes ces mosquées qui
3 ont été détruites depuis 1993. Et depuis que ce dessin a été fait, trois
4 autres mosquées ont été détruites dans cette même région de même que
5 certaines autres.
6 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
7 j'aimerais que nous portions notre attention sur une autre caractéristique
8 de ces schémas de comportement de la région : il s'agit de la séparation
9 des hommes et des femmes. Pourriez-vous nous expliquer quelles en sont les
10 caractéristiques principales ?
11 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - J'ai déjà dit que
12 les femmes étaient séparées des hommes. Les hommes ont été internés dans
13 des camps de détenus ou ont été gardés pendant des semaines, des mois, ou
14 même des années. Certains ont été déportés ou transportés dans d'autres
15 camps, ou ont été échangés. Les femmes ont souvent été internées dans des
16 camps de détention pour des périodes de temps différentes. Elles ont été
17 exposées au viol et aux sévices sexuels de la part des gardiens, des
18 soldats et parfois des civils.
19 Certaines femmes ont pu rentrer chez elles, d'autres
20 continuaient à se trouver dans une position très vulnérable. Certaines
21 femmes ont pu rentrer chez elles, mais pas mal d'entre elles se sont
22 trouvées dans des situations assez difficiles, pour ne pas dire horribles.
23 Elles ont été menacées, harcelées et même torturées. Et certaines d'entre
24 elles ont tout fait pour fuir de la région et échapper à ces harcèlements
25 constants.
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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ce système de
2 séparation des femmes et des hommes était-il seulement en vigueur en
3 1992 ?
4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Non. Ce
5 comportement a duré jusqu'au mois de juillet 1995, lorsque les Serbes de
6 Bosnie se sont emparés de la zone de sécurité de Srebrenica. Et, après la
7 chute de Srebrenica, les hommes, réfugiés, ont été séparés des femmes et
8 des enfants, et les femmes ont été transportées vers Touzla; par ailleurs,
9 des milliers de citoyens ont été tués.
10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous
11 présenter et nous expliquer la pièce 59 et nous en donner la
12 signification ?
13 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Il s'agit d'une
14 carte ; les secteurs jaunes sont les municipalités dont nous parlons. Elle
15 présente également l'invasion des régions de Srebrenica et de Zepa. La
16 prise de ces municipalités, dont nous n'avons pas parlé, a permis aux
17 Serbes bosniaques de prendre le contrôle de l'ensemble de la région. Ils
18 les avaient donc sous leur emprise et ils établissaient leur majorité
19 ethnique dans la plupart des secteurs de ces municipalités.
20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Les hommes et les
21 femmes, qui ont été rassemblés puis retirés de ces régions prises par les
22 Serbes, étaient-ils emmenés quelque part ? Pourriez-vous nous expliquer
23 cela par la pièce n° 60 qui présente les lignes de la localisation de ces
24 camps de détention ?
25 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Il s'agit donc
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1 d'un réseau de camps qui ont été établis dans les régions contrôlées par
2 les Serbes bosniaques. Il s'agissait de camps de détention qui ont été
3 dirigés et administrés par les civils et par des militaires. Par exemple,
4 Manjaca était un camp complètement militaire. Certains ont été administrés
5 par la police ou les militaires, comme ce fut le cas de Batkovic qui a été
6 le lieu de déplacement de ces détenus. Certains ont été transportés vers
7 Manjaca et,une fois que ces camps ont été fermés, la plupart ont été
8 transférés à Batkovic. Manjaca a été fermé en décembre 1992 et quelque
9 500 prisonniers, d'après les rapports existants, ont été transférés à
10 Batkovic.
11 Cela veut dire que les camps n'ont pas été isolés mais étaient
12 liés les uns aux autres, et cela démontre aussi que les détenus de ces
13 camps étaient déplacés dans les différentes régions contrôlées par les
14 bataillons de l'armée des Serbes bosniaques.
15 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ces camps ont-ils
16 été fermés ?
17 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Non, cela ne s'est
18 pas produit,à ma connaissance.
19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous
20 décrire les conditions générales dans ces camps et ce qui se passait avec
21 les prisonniers qui s'y trouvaient ?
22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les détenus ont
23 été torturés ou tués ; certains ont été battus ou utilisés comme boucliers
24 humains contre d'autres troupes.
25 Je vous ai déjà parlé de ce qui se passait avec les femmes :
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1 certaines femmes ont été détenues dans les salles de sports des Partisans
2 et dans l'Ecole Supérieure de Foca. Il a été prouvé que les femmes et les
3 jeunes filles ont été amenées dans ces salles de l'organisation sportive
4 partisane et de l'Ecole Supérieure à Foca.
5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Sont également
6 décrits certains des camps qui se trouvaient dans la région de Poca et
7 dans la région de la municipalité de Vlasenica. Pouvez-vous nous décrire
8 les conditions de détention dans ces camps ?
9 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les détenus ont
10 séjourné à Vlasenica entre le 2 et le 13 juin 1992. A Susica, les détenus
11 ont été torturés, interrogés et battus occasionnellement ; certains sont
12 morts suite à ces passages à tabac.
13 Le camp de Susica se trouvait dans un site proche des magasins
14 de l'ancienne défense territoriale. Il s'agissait d'un camp qui abritait
15 au moins 500 personnes et quelque 8 000 personnes ont transité par ce
16 camp. Certains civils sont décédés suite aux mauvais traitement dans ces
17 camps. Leurs conditions étaient terribles. Ils recevaient une nourriture
18 qui n'était pas mangeable.
19 En septembre 1992, à la fermeture de ce camp, ceux qui y sont
20 restés n'ont pas survécu.
21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles ont été les
22 conditions dans le camp de Prijedor ?
23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Au camp de
24 Prijedor, les détenus ont été rassemblés. Le camp a été dirigé par les
25 civils et -comme je l'ai déjà dit-, quelques camps se sont trouvés sous la
Page 243
1 direction de ce camp de Prijedor.
2 Omarska a été créé après les première attaques, à la fin du
3 mois de mai. Il s'agissait d'une ancienne mine de minerai de fer située au
4 sud-est de la région de Kozarac. Il y avait très peu d'eau et le lieu
5 était contaminé. Durant l'été, les conditions ont vraiment été misérables.
6 Il n'y avait pas de literie, il y avait très peu d'installations
7 sanitaires. Ceux qui ont essayé de les utiliser ont été battus.
8 L'hygiène étant très mauvaise, les maladies surgissaient. Il y
9 avait très peu de nourriture ou pas du tout : un petit morceau de pain ou
10 une soupe qui était tout simplement de l'eau. Tous les détenus ont perdu
11 du poids pendant qu'ils étaient dans le camp.
12 Ils ont tous été fouillés. Ils devaient passer à travers le
13 cordon de gardiens qui les battaient avec leurs bâtons ou avec les crosses
14 de leurs fusils, en les assommant de coups.
15 Très peu de femmes ont été internées dans le camp d'Omarska, à
16 l'exception d'une seule : elle devait balayer les chambres après
17 l'inspection des militaires.
18 On utilisait toute sortes d'objets pour les battre (câbles
19 électriques, bâtons et autres instruments). Certains des hommes ont été
20 sortis de leur chambre par les commandants du camp -les gardes- et ont été
21 maltraités et exposés à des sévices sexuels.
22 Ainsi donc, la terreur. Par exemple, la veille de la fête de
23 Pedrovdan (une fête religieuse serbe au début de juillet), les gardes,
24 pour la célébrer, ont organisé un feu de camp, ont chanté leurs chants
25 serbes, et certains des détenus ont été sortis de leur geôle et ont été
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1 battus autour de ce feu de camp. Les cris et les pleurs de ces victimes
2 ont été un vrai cauchemar pour ceux qui étaient restés à l'intérieur.
3 A la fin de juillet 1992, un grand nombre de détenus ont été
4 capturés dans la région de la rive gauche de la rivière Sana, et se sont
5 retrouvés dans le camp d'Omarska. Il s'agissait de la dernière et
6 importante enclave non serbe de la municipalité de Prijedor. Nombre
7 d'entre eux ont été passés à tabac et ont été tués. Selon les
8 investigations faites, ces passages à tabac auraient été perpétrés par les
9 gardiens du camp d'Omarska.
10 Manjaca, qui se trouve à 25 km au sud de la ville de Banja
11 Luka, était dirigé par les militaires. Ce camp a été créé, en été 1991,
12 pour les prisonniers de guerre croates résultant du conflit entre la
13 Croatie et l'ancienne Yougoslavie. D'avril à mai 1992, le camp a été
14 utilisé pour interner des citoyens non serbes de Bosnie Herzégovine. Le
15 camp aurait été fermé le 18 décembre 1992, lorsque les derniers
16 prisonniers ont été amenés à Batkovic ou libérés pour aller à Karlovac, en
17 Croatie.
18 C'étaient les militaires qui faisaient fonctionner le camp :
19 le lieutenant colonel, appelé Spaga, et ses successeurs, le lieutenant
20 colonel Bozidar Popovic, Petrovic et Bojic.
21 Entre juin et août 1992, 3 600 personnes ont été détenues à
22 Manjaca. La plupart des détenus étaient des hommes de 15 à 60 ans. En
23 décembre 1992, lorsque le camp fut fermé, environ 2 500 personnes ont été
24 libérées et 532 transférées vers d'autres camps. De mai à juillet 1992,
25 les prisonniers venants de Doboj, Gornja, Sanica, Sitnica, Stara Gradiska,
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1 Kljuc et Sanski Most, parmi d'autres, y ont été transférés.
2 Après que Omarska fut fermé en août 1992, les prisonniers sont
3 arrivés à Manjaca, de même que d'autres y ont été transférés après que
4 Jajce et Kotor Varos soient tombées.
5 A fin août 1992, après la publication d'articles dans la
6 presse internationale, des accords ont été conclus concernant le
7 traitement de prisonniers, et un grand nombre de détenus ont été libérés
8 ou échangés. A différentes occasions, jusqu'à 1 000 personnes ont été
9 déplacées à partir de Manjaca ou sont arrivées à Manjaca.
10 Déplacer tant de personnes demandait naturellement une grande
11 organisation et beaucoup de coordination entre la police et les autorités
12 militaires. Ces mouvements de détenus sont le résultat direct des accords
13 conclus par Karadzic et montrent combien il commandait et contrôlait tout
14 ce qui touchait au fonctionnement de ces camps.
15 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,
16 je vous ai demandé de préparer des petits films pour montrer les
17 conditions dans lesquelles se trouvaient les détenus à Omarska et
18 Trnoplje. Avant de montrer ces passages, pourriez-vous indiquer ce que la
19 Chambre va voir sur ces films ?
20 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Ce film a été pris
21 au début du mois d'août 1992, immédiatement après que la communauté
22 internationale ait eu connaissance de l'existence de ces camps. Vous
23 verrez les films pris à Omarska et à Trnoplje.
24 Le film qui a été fait à Omarska va vous montrer des détenus
25 émaciés, incapables de manger, alors qu'on leur donnait plus de nourriture
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1 que d'habitude. Et vous allez voir, en contraste, les gardes qui sont en
2 train de regarder les détenus pendant qu'ils mangent.
3 De ce film, nous passerons à un film sur le camp de Trnoplje.
4 Le détenu montré sur le film venait d'être transféré d'Omarska et, avant,
5 de Keraterm.
6 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Karadzic
7 a-t-il commenté les images que nous venons de voir ?
8 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui.
9 Monsieur Karadzic a été questionné à maintes reprises en ce qui concerne
10 ces camps. Un exemple de réponse à une telle question a été publié dans
11 une revue indépendante à Londres. Karadzic a dit :
12 "Lorsqu'on a commencé à parler de ces camps de concentration,
13 j'étais à Londres et j'ai dit que je ne savais pas quelles étaient les
14 conditions de détention dans ces camps ; nous gardons les prisonniers,
15 nous ne les tuons pas ; nous devons les garder, c'est la guerre. Et Penny
16 Marshall, une journaliste de la Télévision Indépendante (ITN) est venue à
17 Omarska, elle a choisi quelques gars bien maigres, émaciés, qui n'auront
18 jamais l'air d'être plus gros, et qui sont par nature comme cela. Quand
19 j'avais trente ans, j'étais comme eux. Et elle a présenté cela au monde."
20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Nous en avons
21 terminé, Monsieur le président, pour aujourd'hui.
22 M. le Président.- Merci, monsieur Ralston. Merci, monsieur le
23 procureur.
24 L'audience est levée.
25 L'audience est levée à 17 heures 30.