Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-5-R61

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE AFFAIRE N° IT-95-18-R61

3

4 Vendredi 5 juillet 1996

5

6 Devant la chambre de première instance composée comme suit :

7 M. le Juge Claude Jorda, Président

8 Mme le Juge Elizabeth Odio Benito

9 M. le Juge Fouad Riad

10 Assistée de :

11 M. Dominique Marro, Greffier-Adjoint

12 LE PROCUREUR

13 c/

14 Ratko MLADIC

15 et Radovan KARADZIC

16 (Srebrenica)

17

18

19 Le bureau du Procureur :

20 M. Eric Ostberg, M. Mark Harmon, M. Terre Bowers

21

22

23 Vendredi, 5 juillet 1996

24 (Matin)

25 L’audience est ouverte à 10 heures 30.

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1

2 M. Le Président. - L’audience est ouverte. Veuillez vous

3 asseoir.

4 Je voudrais vérifier que sur le plan technique on m'entend

5 bien.

6 Monsieur le greffier vous avez une communication à faire au

7 Tribunal. Je vous donne la parole immédiatement.

8 M. Marro. - Je voulais informer le Tribunal de ce que le

9 Greffe avait reçu ce matin un mandat émanant de M. Radovan Karadzic qui

10 autorisait deux avocats, MM. Medvene et Hanley III à se présenter en son

11 nom devant le Tribunal.

12 Accompagnaient ce mandat deux motions, l’une concernant une

13 demande de ces avocats pour apparaître au nom du docteur Karadzic devant

14 la Cour, la seconde étant une requête pour que soit fixé un calendrier au

15 cours duquel serait débattue l’équité du Statut et des Règles du Tribunal.

16 M. Le Président. - Ces deux motions sont bien distinctes.

17 S’agissant de la première, sur la demande de comparution de

18 deux avocats devant la Cour, le Tribunal va délibérer puisqu’il a eu

19 l'occasion déjà de connaître une situation identique concernant la

20 représentation qu'avait demandée le docteur Karadzic à travers la présence

21 de Me Pantelic le 27 juin, lors de l'ouverture de cette audience.

22 La deuxième requête est une fixation de calendrier concernant

23 l'équité des Règles du Statut, c’est-à-dire les fondements mêmes des

24 Règles du Tribunal Pénal International. Le Tribunal va délibérer sur le

25 siège pour savoir ce qu'il est convenu de faire, mais auparavant je

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1 voudrais avoir très rapidement l’avis du Procureur. Monsieur le Procureur,

2 vous avez la parole.

3 M. Ostberg (traduction de l'anglais). - Merci, monsieur le

4 Président. La position du Bureau du Procureur est exactement la même que

5 pour Me Pantelic. En fait, nous n'avons rien à ajouter à ce que nous

6 avions dit à l'époque. Ce qui veut dire que la décision de la Cour à notre

7 avis ne pourrait être autre que ce qu’elle a été la dernière fois.

8 M. Le Président. - Merci, monsieur le Procureur. Le Tribunal

9 va délibérer sur le siège sur la procédure à adopter pour répondre à ces

10 deux requêtes.

11 (Délibération du Tribunal sur le siège.)

12 Le Tribunal a délibéré sur le siège, s'agissant de la

13 procédure qu'il va adopter concernant ces deux requêtes.

14 S'agissant de la deuxième requête, le Tribunal qui est réuni

15 ici dans le cadre de l'article 61 qui vise -je le rappelle- la procédure

16 adoptée lorsque l'accusé ne comparait pas physiquement, ce qui est

17 évidemment notre hypothèse, les motivations, tout au moins l'indication de

18 cette deuxième requête concerne l’équité du Statut et en quelque sorte les

19 règles fondamentales et l'opportunité d'avoir pris des règles

20 fondamentales de création du Tribunal. Cette deuxième requête n'est donc

21 pas dans le champ de compétence actuel de la présente instance réunie.

22 Dans ces conditions, une décision ultérieure sera rendue par

23 la Chambre, mais aucun débat ne va s'ouvrir sur une question qui, de toute

24 façon, pourra être abordée par M. Karadzic lorsqu'il se présentera

25 physiquement devant le Tribunal. Il pourra, conformément aux règles de

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1 procédure adoptées, contester lesdites règles, comme d'ailleurs l'ont fait

2 d'autres accusés précédemment et pour lesquels d’ailleurs le Tribunal a

3 rendu une décision, notamment la décision de la Chambre d'appel dans

4 l’affaire Tadic.

5 Aucun débat ne va s'ouvrir aujourd’hui, le Tribunal n’étant

6 pas réuni et n’étant pas compétent pour trancher ce problème.

7 S'agissant de la demande de comparaître devant la Cour, qui

8 est l'objet de la seconde requête, cette requête est identique, comme l’a

9 fait observer M. le Procureur à celle présentée par Me Pantelic du barreau

10 de Belgrade, le 27 juin, qui avait présenté un mandat du docteur Karadzic.

11 Il convient donc, sous réserve de quelques modifications,

12 d'adopter -décide le Tribunal- la même procédure, c'est-à-dire de

13 permettre à ces deux avocats de pénétrer, exceptionnellement et par

14 courtoisie, dans la salle d'audience pour expliquer brièvement les motifs

15 au soutien de cette seule requête. Un seul avocat sur les deux présentera

16 les explications qui devront être forcément brèves.

17 Je demanderai également à ce moment-là quelques brèves

18 explications au Procureur. Le Tribunal se retirera et rendra une décision.

19 En conséquence, monsieur le greffier, voulez-vous prendre

20 toute disposition pour faire entrer les deux avocats, Me Medvene et

21 Me Hanley III qui sont porteurs d'un mandat du docteur Karadzic.

22 M. le Président. - Merci, monsieur le greffier.

23 Maîtres, m'entendez-vous ? M'entendez-vous avec la

24 traduction ?

25 M. Medvene (interprétation de l'anglais). - Oui.

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1 M. le Président. - Je souhaiterais, au nom de mes collègues,

2 que vous que vous présentiez devant le Tribunal. Pouvez-vous vous

3 présenter ? Présentez-vous. Vous pouvez vous lever, s'il vous plaît.

4 M. Medvene (interprétation de l'anglais). - Je suis

5 Edward Medvene et je suis associé de Thomas Hanley, qu'il plaise à la

6 Cour.

7 Merci, monsieur le Président, de nous avoir autorisés à

8 apparaître aujourd'hui.

9 M. le Président. - Maître, présentez-vous. Vous êtes

10 Maître Hanley, si j'ai bien compris ? Je voudrais que Me Hanley se

11 présente. Vous êtes Me Hanley ?

12 Me Hanley (interprétation de l'anglais). - Merci, monsieur le

13 Président. Je suis Thomas Hanley et je suis ici avec M. Medvene pour

14 représenter le Dr Karadic.

15 M. le Président. - Le Tribunal, maître, vient de délibérer sur

16 la procédure qu'il convient d'adopter dans le cadre des deux motions que

17 vous avez présentées. Le Tribunal a considéré qu'il y avait une motion de

18 fond et une motion de forme en quelque sorte. La motion de fond porte sur

19 la contestation, à travers la notion d'équité, des règles fondamentales du

20 Tribunal qui ont été adoptées par le Conseil de sécurité des Nations

21 Unies. Sur ce point, le Tribunal a estimé qu'il n'était pas dans sa

22 compétence, ce jour, de débattre de ce problème. Ce problème peut être

23 abordé, je vous le rappelle, puisque vous connaissez les règles de notre

24 Tribunal, par la voie des exceptions préjudicielles lorsque le procès d'un

25 accusé commence devant cette instance. Et, puisque vous connaissez bien le

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1 fonctionnement de notre Tribunal, vous savez d'ailleurs que pratiquement

2 tous les accusés ont jusqu'ici évoqué des exceptions préjudicielles, et

3 certains d'entre eux, tout au moins le premier, ont invoqué -devant une

4 autre chambre que celle-ci d'ailleurs- les problèmes que vous soulevez

5 dans cette motion.

6 Je pense donc, maître, que vous pourrez dire à votre client,

7 le Dr Karadzic, que lorsqu'il comparaîtra devant ce Tribunal en tant

8 qu'accusé -comme il l'est à l'heure actuelle-, il pourra tout à fait

9 invoquer toutes les exceptions et, bien entendu, la Chambre -qui ne sera

10 d'ailleurs pas celle-ci, je tiens à vous le dire- pourra donc répondre de

11 la façon qu'elle jugera opportune.

12 Il n'y aura donc pas de débat. Par contre, une décision sera

13 rendue, conformément à la réponse judiciaire que vous attendez de la part

14 d'un Tribunal.

15 S'agissant de la seconde motion qui est votre demande de

16 comparaître devant la Cour, le Tribunal a constaté que le Dr Karadzic

17 avait déjà mandaté un premier avocat en la personne de Me Pantelic, du

18 barreau de Belgrade, qui s'est présenté le 26 juin, en fin d'après-midi,

19 devant M. le greffier et qui a voulu comparaître le 27 juin.

20 Nous avons rappelé que la procédure de l'article 61 ne

21 supposait pas -par hypothèse, allais-je dire, puisque vous êtes juristes

22 bien entendu- la représentation pénale d'un avocat. La représentation d'un

23 accusé devant ce Tribunal, comme d'ailleurs devant beaucoup d'instances,

24 doit se faire physiquement.

25 Néanmoins, les principes des droits de la défense qui avaient

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1 été invoqués ont été interprétés par le Tribunal comme étant un principe

2 général de droit à l'information, et il a été répondu par une décision

3 qui, vous le savez, a permis à Me Pantelic d'écouter l'intégralité de

4 l'acte d'accusation qui pèse sur votre client.

5 Conformément à la jurisprudence du Tribunal -et j'espère pour

6 la dernière fois-, et tenant compte du fait que le Dr Karadzic n'a plus

7 d'avocat pour le moment (j'insiste bien là-dessus puisque je vous rappelle

8 que Me Pantelic s'était démis de son mandat à la suite de notre décision

9 comme vous le savez), le Tribunal a donc décidé dans une décision que nous

10 venons de prendre sur le siège, considérant que le Dr Karadzic avait,

11 d'une part, manifesté une certaine forme de reconnaissance de cette

12 institution, d'autre part, avait mandaté deux autres avocats -n'en ayant

13 plus depuis le 28 juin-, de vous admettre à exposer très brièvement -très

14 brièvement- les motifs sur cette seconde motion.

15 J'insiste bien sur :

16 1) qu'un seul des deux prenne la parole et pas les deux. Cela

17 ne paraît pas utile ;

18 2) que vous ne vous exprimiez que sur la motion que vous avez

19 présentée au soutien de la demande de présence à l'audience

20 durant toute l'audience de l'article 61, dont je vous

21 rappelle qu'elle touche d'ailleurs à sa fin ;

22 3) que les explications soient brèves, comme d'ailleurs seront

23 brèves les explications en réponse du Procureur,

24 après quoi, le Tribunal délibérera et rendra une décision le plus

25 rapidement possible, car je rappelle que l'ordonnance des travaux a été

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1 très perturbée.

2 M'avez-vous bien entendu ?

3 M. Medvene (interprétation de l'anglais). - Oui, monsieur le

4 Président.

5 M. le Président. - Si je comprends bien, c'est Me Medvene qui

6 veut prendre la parole pour expliquer brièvement les motivations de sa

7 demande de comparution pendant l'audience ?

8 M. Medvene (interprétation de l'anglais). - Oui, monsieur le

9 Président. Si je puis vous demander quelque patience, je voudrais savoir

10 si, en ce qui concerne la demande de comparution pour contester l'équité

11 du Tribunal, vous avez déjà pris une décision.

12 M. le Président. - Non, pas du tout, maître Medvene. Nous

13 rendrons une décision. Je me suis contenté de vous apporter un certain

14 nombre d'informations pour vous expliquer pourquoi nous n'ouvrions pas un

15 débat sur cette question qui n'est pas de la compétence de la présente

16 Chambre.

17 Si vous connaissez bien les règles de l'article 61, vous savez

18 que l'article 61 est une procédure en cas d'inexécution d'un mandat

19 d'arrêt. Je n'ai donc pas pris une décision. Une décision vous sera rendue

20 ultérieurement sur ce point. Je me suis contenté de vous dire pourquoi il

21 ne peut pas y avoir de débat, dans le cadre de cette audience, sur la

22 motion concernant les règles et l'équité du Statut.

23 Le débat est donc ouvert uniquement sur les motivations

24 concernant votre demande de présence dans cette salle, pendant les

25 audiences qui restent à se passer, dans le cadre de la présente audience

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1 de l'article 61. Voilà la décision du Tribunal. Mais il y aura, bien

2 entendu, une décision en réponse à votre requête.

3 Maître Medvene, vous avez la parole sur les quelques

4 motivations concernant votre demande de présence à l'audience dans le

5 cadre de l'article 61. C'est la procédure que nous avons adoptée pour

6 Me Pantelic.

7 Vous avez la parole.

8 M. Medvene (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

9 Président, nous souhaitons comparaître dans le cadre de l'article 61 parce

10 que nous estimons que la procédure suivie par la Chambre n'est pas celle

11 qui convient pour déboucher sur un mandat d'arrêt international et il ne

12 nous semble pas que l'on ait procédé de manière appropriée en ce qui

13 concerne la signification au Dr Karadic en Republika Srpska, comme cela

14 aurait dû être le cas compte tenu du règlement du Tribunal.

15 S'il y a des éléments de preuve, on devrait, en vertu du

16 Règlement, le signifier en Republika Srpska, soit par écrit, comme est

17 exigé par le Règlement, soit autrement, comme cela est prévu par le

18 Règlement. Or cela n'a pas été fait, et nous voulons être sûrs, par notre

19 présence, que cette signification soit faite correctement.

20 Autrement, il nous semble qu'en vertu de l'article61, il n'est

21 pas possible, compte tenu des actes d'accusation, de délivrer un mandat

22 d'arrêt international.

23 M. le Président. - Merci. Monsieur le Procureur, voulez-vous

24 prendre la parole sur l'argumentation qui a été développée ?

25 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Oui, monsieur le

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1 Président.

2 Deux actes d'accusation ont été confirmés pas deux juges

3 appelés à confirmer ces actes d'accusation, sur le siège, le Juge Jorda et

4 le Juge Riad. Et en vertu de l'article 61, et avant ces audiences, j'ai

5 fait une présentation à ces deux juges pour leur exposer ce que nous

6 avions fait pour signifier ces actes d'accusation au Dr Karadzic. Nous

7 avons utilisé tous les moyens énumérés dans l'article 61 du Règlement de

8 notre Tribunal pour ce faire. Dans cette audience, nous avons assuré ces

9 deux juges que le Bureau du Procureur avait tout mis en oeuvre et avait

10 utilisé tous les moyens disponibles pour signifier ces actes d'accusation.

11 Ces deux juges ont séparément décidé de demander au Bureau du

12 Procureur de soumettre ces éléments de preuve à cette Chambre dans le

13 cadre de l'article 61. Une décision a été prise par cette Chambre -une

14 décision du Juge Jorda et du Juge Riad- indiquant qu'ils sont satisfaits

15 des mesures qui ont été prises. Si je suis bien informé, ce document est

16 public et les deux avocats peuvent le lire.

17 M. le Président. - Merci, monsieur le Procureur. Le Tribunal

18 va à présent se retirer. Il rendra sa décision à 11 h 30.

19 L'audience est suspendue.

20 L'audience, suspendue à 10 heures 50, est reprise à 12 heures.

21

22 M. le Président. - L'audience est reprise, veuillez vous

23 asseoir.

24 La Chambre de Première instance, composée de M. le Juge Claude

25 Jorda, Président, de Mme le Juge Odio Benito et de M. le Juge Riad, rend

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1 la décision suivante.

2 LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE

3 VU les articles 21 du Statut et 61 du règlement de procédure

4 et de preuve (le Règlement),

5 VU la requête déposée auprès du Greffe par Mes Medvene et

6 Hanley III mandatés le 1er juillet par l'accusé Radovan Karadzic en sa

7 qualité de "Président de la République Srpska" pour le représenter devant

8 le Tribunal Pénal International,

9 ENTENDU Mes Medvene et Hanley en leurs observations à

10 l'audience de ce jour,

11 ENTENDU le Procureur à l'audience,

12 ATTENDU que Mes Medvene et Hanley III sollicitent d'être

13 présents à la salle d'audience et d'avoir l'accès à tous les documents

14 soumis aux juges de cette Chambre par le Procureur dans le cadre de la

15 présente procédure,

16 ATTENDU que l'accès, requis par Me Medvene et Hanley III aux

17 documents et dossiers pertinents que le Procureur soumettra lors de la

18 procédure de l'article 61 ne saurait être admis que dans le cadre d'un

19 procès, à la suite d'une comparution initiale de l'accusé présent

20 physiquement, en application de l'article 66 du Règlement ; que l'accusé

21 bénéficiera également, à ce moment, des autres droits qui lui seront

22 reconnus par les dispositions de l'article 21 du Statut ;

23 ATTENDU que la procédure de l'article 61 ne saurait s'analyser

24 en un procès ;

25 ATTENDU que cette procédure préserve totalement les droits de

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1 l'accusé ; qu'en effet ce dernier s'est vu notifier les actes d'accusation

2 préalablement à cette procédure, d'une part, et qu'il dispose du droit à

3 se présenter, accompagné de son conseil, devant le Tribunal, d'autre

4 part ; qu'en ce cas, la procédure change de nature et devient un procès

5 contradictoire accompagné de toutes les garanties inhérentes à un procès

6 équitable ;

7 ATTENDU, cependant que la demande complétée à l'audience par

8 Mes Medvene et Hanley III aux fins d'assister à cette procédure en vertu

9 de l'article 61 du Règlement, en l'absence physique de l'accusé, peut

10 s'analyser dans la présente espèce comme un contrôle de leur part relatif

11 aux conditions de la signification à leur client de l'acte d'accusation,

12 ces conditions ne pouvant, selon eux, conduire à l'émission du mandat

13 d'arrêt international, prévue par cet article ;

14 ATTENDU que les juges de confirmation ont estimé, dans leurs

15 ordonnances publiques du 18 juin 1996, que toutes les mesures raisonnables

16 relatives à l'information de l'accusé Radovan Karadzic ont été prises,

17 conformément à l'article 61 (A) du Règlement, ainsi que le Procureur en a

18 apporté la démonstration ;

19 ATTENDU en outre que le 27 juin, la Chambre a permis la

20 lecture publique des deux actes d'accusation dressés à l'encontre de

21 Radovan Karadzic, en présence de Me Igor Pantelic, mandaté alors par

22 l'accusé ;

23 QUE la présence de ce dernier, le 27 juin, démontre

24 surabondamment que Radovan Karadzic était parfaitement informé des charges

25 pesant sur lui ;

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1 Qu'il apparaît dès lors que la pleine information de l'accusé

2 Radovan Karadzic ne saurait plus être contestée en aucune façon ;

3 ATTENDU toutefois que la Chambre, soucieuse de permettre aux

4 avocats désignés d'informer pleinement leur client du déroulement des

5 audiences publiques, notamment quant aux conditions de la signification

6 des actes d'accusation et des mandats d'arrêt y afférents, estime qu'un

7 statut d'observateur doit leur être reconnu.

8 PAR CES MOTIFS

9 PREND ACTE du mandat déposé par Mes Medvene et Hanley III au

10 nom de Radovan Karadzic ;

11 REJETTE la requête de Mes Medvene et Hanley III en ce qu'elle

12 tend à assurer leur présence continue en salle d'audience lors de la

13 procédure de l'article 61, ainsi que leur libre accès aux documents et

14 dossiers que le Procureur soumettra ;

15 DIT que Mes Medvene et Hanley III seront reconduits dans la

16 partie publique de la salle d'audience où un siège leur sera réservé

17 durant toute l'audience en qualité d'observateurs ;

18 Fait en français et en anglais, la version française faisant foi.

19 Fait le 5 juillet 1996

20 au Tribunal Pénal International,

21 à La Haye, Pays-Bas.

22 Le Tribunal, dans un souci de la pleine et complète

23 information de l'accusé Radovan Karadzic demande à M. le greffier que soit

24 remis à l'instant, s'il n'en avait pas eu connaissance avant, les deux

25 ordonnances rendues le 18 juin respectivement par le Juge Riad et le Juge

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1 Jorda, lesquelles détaillent les mesures raisonnables et les tentatives

2 qui, conformément a l'article 61 (A), ont été accomplies par le Procureur.

3 Monsieur le greffier, êtes-vous en mesure de remettre ces deux

4 ordonnances, bien qu'elles soient publiques depuis le 18 juin à

5 Mes Medvene et Hanley III.

6 M. Marro. - Oui, monsieur le Juge.

7 M. le Président. - Il conviendrait, après cette remise, qu'une

8 minute soit rédigée par le Greffe pour constater cette remise aux deux

9 conseils de Radovan Karadzic.

10 Monsieur le greffier, le Tribunal souhaite également que deux

11 sièges spécialement aménagés soient réservés dans la galerie du public, où

12 il y a beaucoup de monde, ce qui traduit bien sûr la pleine publicité des

13 audiences de l'article 61. Toutes les conditions pourront-elles être

14 prises pour que deux sièges leurs soient réservés dans les meilleures

15 conditions possibles.

16 L'audience est à présent suspendue. Je demande enfin à M. le

17 greffier de prévoir à nouveau tout le dispositif permettant la poursuite

18 de l'audition, en qualité de témoin, du témoin A.

19 L'audience est suspendue

20

21 L'audience est suspendue à 12 heures 10.

22

23 L'audience est reprise à 12 heures 25.

24

25 M. Le Président. - Je vais m’adresser au Témoin A qui est

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1 présent selon les modalités de protection, de l'ensemble des éléments

2 d'identification tel que cela avait été demandé par le Procureur et décidé

3 par le Tribunal.

4 Avant de donner la parole au Procureur, monsieur le Témoin,

5 m'entendez-vous ?

6 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Je ne vous

7 entends pas suffisamment.

8 M. Le Président. - M’entendez-vous à présent ? Cela va mieux ?

9 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui, très bien,

10 excellent.

11 M. Le Président. - Vous vous êtes reposé ? Vous avez passé une

12 bonne nuit ?

13 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui, ce n'était

14 pas mal. Merci de me le demander.

15 M. Le Président. - Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

16 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci, monsieur le

17 Président. Bonjour, vous avez dû attendre avant la reprise de l'audience

18 et avant ce moment qui nous a permis de vous entendre. Etes-vous prêt à

19 reprendre votre témoignage là où vous vous êtes arrêté hier ?

20 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui, cela peut

21 aller.

22 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Au moment où nous

23 nous sommes arrêtés hier après-midi, vous nous avez parlé de l'école, d'un

24 bâtiment où vous êtes arrivé. Pourriez-vous reprendre votre narration à

25 partir de là ?

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1 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui, je le veux

2 bien. Quand nous sommes arrivés dans cette salle, elle était vide. C'était

3 une salle de gymnastique, une salle réservée au basket-ball et c'est là

4 que nous nous étions assis. Les soldats serbes montaient la garde aux

5 portes d’entrée. Nous sommes entrés par le côté le plus étroit. Du côté

6 gauche, là où on entrait, il y avait une autre porte et c'est là que se

7 trouvaient les gardiens.

8 Puis, peu de temps après s'être assis, on a entendu passer un

9 autre véhicule. Un nouveau groupe est arrivé, un groupe de jeunes gens,

10 une cinquantaine à peu près, qui ont été amenés dans cette même salle, de

11 force. Ensuite, à intervalles, on amenait des gens. Nous avons demandé de

12 l'eau, on ne nous en a pas donnée. Nous n'avions pas suffisamment d'air,

13 c'était étouffant. C'est ainsi que nous avons passé une demi-journée.

14 Petit à petit, la salle s'est remplie.

15 Nous avons commencé à pousser des cris, à demander de l'eau

16 parce que des gens s'évanouissaient, d’autres avaient des crises d'asthme.

17 Nous demandions de l’eau et les gens, satisfaits d’avoir une goutte d’eau,

18 se seraient calmés.

19 Puis vers la mi-journée, Ratko Mladic est apparu à la porte

20 d’entrée et presque d’une seule voix nous avons hurlé : "pourquoi tu nous

21 étouffes ici, pourquoi tu ne nous emmènes pas d’ici ?".

22 Il a répondu : "je n'y peux rien, dès lors que votre

23 gouvernement ne s'occupe pas de vous, moi non plus je ne peux pas m'en

24 occuper". Il a enchaîné en disant que "les uns seront transportés à

25 Kladusa, les autres tués."

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1 "Pourquoi vous ne nous donnez pas d’eau ?" La réponse a été

2 "vous aurez de l’eau en sortant de la salle". Il a rebroussé chemin.

3 Nous avons entendu également des bruits de machines de

4 construction, de machines de bâtiment. Nous avons entendu ce bruit de

5 machine à l'intérieur de la salle où nous nous trouvions.

6 Nous continuions d'être assis et du côté plus large de cette

7 salle, on nous a indiqué que c'était par là que nous sortirions

8 graduellement, les uns après les autres. Les premiers se sont levés, se

9 sont dirigés vers la porte et se sont mis à sortir. Là où j’étais, le mot

10 nous est arrivé disant que l’on était en train de bander les yeux aux

11 gens.

12 "Pourquoi nous bandez-vous les yeux ?" "Parce que vous

13 traverserez le territoire des Serbes et nous ne voulons pas que vous ayez

14 une idée de leurs techniques en place".

15 On n'entendait pas arriver les véhicules. On ne savait pas

16 comment on allait nous transporter, on ne pouvait rien voir dehors. Et

17 comment ne pas voir, puisque la porte était ouverte, mais qu’il y avait,

18 parait-il, une sorte de barrage qui bloquait la vue ?

19 Puis, plus tard, on a entendu des coups de feu, des rafales,

20 bien loin de cette salle. Quelqu'un a demandé s'il y avait de l'eau à

21 boire. "Oui" a-t-on répondu, "en sortant, tu en auras suffisamment".

22 Puis, nous nous sommes sortis graduellement, les uns après les

23 autres. Vers 7 heures et demi du soir, mon tour est arrivé. Une fois

24 arrivé à la porte, je n'ai pas pu voir quoi que ce soit dehors. La salle a

25 été bloquée : "tu sors, tu t'amènes vers une table, tu bois de l'eau, on

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1 te bande les yeux, tu sors vers la droite, derrière cette table, et c'est

2 là que tu aperçois une petite camionnette de quelque deux tonnes." C'est

3 là qu'on entrait et qu’on prenait place.

4 La camionnette était presque pleine, elle était recouverte

5 d'une toile, mais cette toile n'était pas fermée derrière. En entrant,

6 deux soldats ont fait baisser ce morceau de toile. Le camion a démarré,

7 suivi d'une voiture pour l'accompagner.

8 A côté du chauffeur, il y avait un soldat, un homme en

9 uniforme portant un fusil et il a menacé de nous tuer si on se mettait à

10 parler.

11 Le camion a démarré. Je ne suis pas très sûr du temps que nous

12 avons mis, pendant combien de temps on nous a conduits, mais on a vu

13 dehors beaucoup de morts. On s'était rendu finalement compte où on nous

14 amenait. On passait à côté des cadavres, à côté des corps. Puis on est

15 passé à côté d'un pré, d'un champ et, à droite, nous avons vu beaucoup de

16 morts. La camionnette s'est arrêtée à côté des morts. Deux soldats serbes

17 ont ouvert l'arrière de la camionnette. On nous a forcé à sortir très

18 rapidement, en criant toujours "Plus vite ! Plus vite ! Plus vide !"

19 Dès que la petite camionnette a démarré, est partie, des

20 rafales sont venues de l'arrière. Des gens se trouvaient derrière moi et

21 ils m'ont poussé. C'est ainsi que je suis tombé à plat-ventre. Puis les

22 rafales se sont arrêtées et des coups de fusil ont été tirés isolément.

23 Celui qui donnait signe de vie était enfin assommé par des coups isolés.

24 Ils rechargeaient sans cesse les fusils automatiques avec lesquels ils

25 tiraient.

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1 Ce petit Tamic, cette camionnette Tam est arrivée, puis une

2 troisième camionnette est arrivée et la voiture rouge qui l'accompagnait

3 n'est pas rentrée. Elle s'est arrêtée. A côté de celui qui conduisait la

4 voiture rouge se trouvait Ratko Mladic. Il regardait comment les gens

5 étaient sortis des camionnettes, comment on les alignait et Ratko Mladic

6 est resté sur place jusqu'à l'exécution de tous ceux qui se trouvaient sur

7 ce lieu. Ensuite, il est remonté dans cette voiture rouge et ils ont

8 repris la direction de la salle en question.

9 Il y avait deux camionnettes. L'une est allée d'un côté,

10 l'autre est allée de l'autre. Une voiture rouge accompagnait les deux.

11 Evidemment, la voiture rouge se relayait pour accompagner ces différentes

12 camionnettes. Les camionnettes roulaient de manière qu'il y ait rotation

13 et que cette voiture rouge puisse tout le temps les escorter.

14 Cela a duré jusqu'à la nuit. Une fosse a été creusée avec une

15 sorte de machine, une excavatrice. Elle est venue creuser la fosse. La

16 machine s'est arrêtée. Ils ont allumé des projecteurs et ceux qui étaient

17 de l'autre côté sont venus également et ont commencé à se livrer à

18 d'autres exécutions sous la lumière des projecteurs

19 C'est sous la lumière des projecteurs et au moment de ces

20 exécutions que je me suis échappé de dessous les cadavres et je me suis

21 trouvé dans un petit buisson, derrière de petits arbres. Evidemment, là

22 j'ai trouvé un lieu sombre, à l'abri des projecteurs

23 Je ne suis pas sûr de l'heure qu'il était. Quand une des

24 camionnettes est arrivée, le chauffeur a dit : "Il n'y a plus personne

25 dans la salle".

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1 L'un d'eux a demandé si on allait faire une permanence dans ce

2 lieu pendant la nuit. "Non, mais s'il y a une autre camionnette qui

3 s'amène, vous resterez sur place. Ils ont faim, ils ont soif, ils vont

4 mourir comme des rats. Ils ne pourront pas se déplacer à travers bois dans

5 les conditions où ils se trouvent".

6 Donc ils ont tué ceux qui restaient. Le camion est parti. Ils

7 sont allés vers l'excavatrice et ont allumé des cigarettes. Mais après un

8 petit bout de temps, une nouvelle camionnette est arrivée. Ils ont échangé

9 quelques paroles. Ils ont éteint les projecteurs de l'excavateur et ils

10 sont montés dans une camionnette. Je les ai comptés pour m'assurer qu'il

11 n'y avait plus personne sur place. Ils sont tous montés et la camionnette

12 est partie.

13 Je me suis levé. Je me disais que peut-être quelqu'un d'autre

14 était resté en vie et j'ai crié : "Est-ce que quelqu'un est encore

15 vivant ?". Quelqu'un a répondu : "Oui, je suis par ici". Je lui ai demandé

16 s'il était blessé. Il a répondu que non. Alors je lui ai dit de se lever

17 et de sortir de là. C'est ainsi que nous avons pris le chemin de Kalesija,

18 le chemin du territoire libre.

19 Nous nous sommes mis à marcher. Il y avait une petite forêt

20 derrière nous. Je lui ai dit que je ne pouvais pas traverser la grande

21 forêt parce que j'avais des problèmes avec ma jambe. Essayons de trouver

22 une forêt plus facile, moins dense, pour qu'on puisse plus facilement se

23 déplacer.

24 On a trouvé un petit champ abrité pour se reposer, mais on a

25 entendu de nouveaux coups de feu. "Les voilà qui sont revenus sur place

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1 pour monter la garde". J'ai répondu : "Ils sont libres de le faire, ça ne

2 me regarde pas".

3 Des coups ont retenti. Puis silence de nouveau. D'après les

4 coups, nous avons pu constater qu'ils se rapprochaient de nous, qu'il nous

5 poursuivaient peut-être en quelque sorte. Nous étions dans un pré, l'herbe

6 était assez haute et nous nous sommes cachés derrière un buisson épais.

7 Ils étaient tout près de nous dans la forêt. Ils ont tiré des rafales et

8 ont attendu la réaction. N'ayant rien entendu, ils se sont demandé :

9 "Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ?" "On va rejoindre la voie ferrée

10 et, en la suivant, nous retournerons là d'où nous venons".

11 Eux ont rebroussé chemin vers la gauche et, d'après l'écho des

12 coups de feu que nous avons entendus, nous avons compris qu'ils étaient

13 retournés à leur lieu de départ.

14 Ainsi, en quatre ou cinq nuits, nous sommes arrivés dans le

15 village de Nezvuk, près Medjedja, en territoire libre

16 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci. Je n'ai pas

17 l'intention de vous poser la moindre question, je ne voudrais pas vous

18 demander de nous parler des détails, mais au moment où vous vous trouviez

19 dans ce charnier de corps humains, vous avez dit que vous aviez remarqué

20 certaines choses. Comment avez-vous pu voir ce que vous avez vu ? Est-ce

21 que vous osiez bouger vous-même ?

22 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Non, pas pendant

23 la journée. J'étais à terre, j'observais tranquillement, en silence. Je

24 regardais le déchargement des camions parce qu'au moment du déchargement

25 des camions, ils ne regardaient pas ce qui se passait autour d'eux, mais

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1 étaient axés sur leur travail. J'ai alors pu redresser la tête et voir ce

2 qui se passait, mais au moment des exécutions, je devais bien baisser la

3 tête sur le sol et rester tranquille.

4 Le soir, à la lumière des projecteurs, au moment du

5 déchargement de ces camions, à nouveau ils ne détournaient pas leur regard

6 du contenu du camion et évidemment, à un moment donné, j'ai dû passer une

7 dizaine de mètres pour arriver jusqu'à une petite forêt, dans un buisson.

8 Par ailleurs, j'avais également plusieurs cadavres sur le dos dont le

9 poids pesait sur moi et j'avais peur d'étouffer et d'être étranglé. J'ai

10 dû faire bien attention s'ils pouvaient m'intercepter de leur regard.

11 J'étais très attentif, tantôt sur le ventre, tantôt sur le dos. C'est

12 ainsi que je me suis faufilé à travers ces cadavres, profitant de certains

13 moments pour me retrouver à l'abri

14 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Combien de Serbes

15 bosniaques, de gens en uniforme étaient-ils présent sur ce lieu

16 d'exécution ?

17 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Cinq en un lieu,

18 cinq en un deuxième point.

19 Au moment de l'arrivée d'une camionnette, deux portant le

20 fusil à travers la poitrine ouvrent les portes et les trois autres, à bout

21 portant, menacent et font attention à ceux qui sortaient de la camionnette

22 de sorte que si quelqu'un tentait de s'échapper, ils pourraient lui tirer

23 droit dessus

24 La camionnette, une fois déplacée un peu, ils se mettent à

25 tirer tous ensemble : cinq en un lieu et cinq en un autre.

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1 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Quel est l'espace

2 que vous avez dû couvrir depuis le moment de votre arrivée. Est-ce qu'ils

3 tiraient sur place pas ? Passaient-ils aux exécutions sur place ?

4 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Non, la

5 camionnette arrivait à côté des morts. Un petit virement, ils virent un

6 peu, puis, dès qu'ils ont viré, le premier s'arrête là où il faut et à

7 droite, on aligne les gens sur quatre rangées, enfin autant de rangées

8 nécessaires que nous étions dans le camion. J'ai regardé et j'ai suivi

9 comment les gens étaient alignés : d'abord une ligne, une deuxième, une

10 troisième, puis une quatrième rangée. Ils disaient aux gens de se blottir

11 les uns contre les autres.

12 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous étiez où ?

13 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - J'étais en

14 première ligne, en tête du côté gauche.

15 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous savoir

16 comment ils ont fait pour vous manquer en tirant ?

17 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Non, je n'arrive

18 pas à l'expliquer. Je ne le sais pas, c'est la destinée. La destinée a

19 voulu que je survive.

20 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous

21 faire quelques estimations quand au nombre d'exécutés dans ce lieu.

22 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Dans la salle, et

23 il s'agissait de personnes âgées, une fois cette salle remplie, nous nous

24 interrogions sur le nombre de personnes présentes. Les estimations

25 allaient jusqu'à 3 000. J'étais le seul à contester ce chiffre.

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1 Puis, nous avons essayé de mesurer la longueur et la largeur

2 de la salle. Elle faisait une quinzaine de mètres de large et 20 à

3 25 mètres de long, selon certains, peut-être 26, enfin quelque 400 m²

4 grosso modo, et s'il avait cinq personnes sur chaque mètre carrés, cela

5 ferait environ 2 000. Certains disaient qu'il y en avait plus. Mais il ne

6 pouvait pas y avoir plus de 2 500 personnes dans cette salle. C'étaient

7 nos estimations. Mais quelle était la grandeur effective de cette salle,

8 nous ne l'avons pas mesurée exactement.

9 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vos estimations

10 s'élèvent à 2 000, 2 500 ?

11 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui, 2 500. Il

12 est impossible qu'il y en ait plus, nous ne pouvions pas être plus

13 nombreux que 2 500.

14 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Quand vous êtes

15 arrivé dans ce lieu, vous aviez les yeux bandés, avez-vous pu enlever ce

16 bandeau ?

17 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui.

18 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous

19 indiquer éventuellement le nombre de cadavres qui se trouvaient déjà sur

20 ce lieu ?

21 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Ils étaient

22 nombreux. Etant couché, il me semblait qu'ils étaient plus nombreux que

23 lorsque nous étions assis dans cette salle. Quand on est à plat-ventre,

24 cela prendre plus de place, cela semble plus grand, numériquement plus

25 important.

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1 Je dirais que la grandeur de ce lieu se situait entre 50 et

2 70 mètres.

3 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - D'après vos

4 estimations, il y avait des milliers de personnes mortes sur ce lieu ?

5 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui, j'étais

6 parmi les premiers à rentrer dans la salle et parmi les derniers à en

7 sortir.

8 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci.

9 Une seule personne a répondu à votre appel quand vous vous

10 êtes enquis si oui ou non il y avait des survivants ?

11 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Une seule

12 personne a répondu à ce cri.

13 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Au moment où vous

14 vous êtes mis à crier, étiez-vous entouré d'un silence absolu ?

15 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui.

16 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - S'agissait-il

17 d'une nuit noire ?

18 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Il y avait un

19 clair de lune, pleine lune, c'était presque aussi visible qu'en plein

20 jour.

21 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous avez donc pu

22 bien voir, sous ce clair de lune, les gens, ces morts qui gisaient en ces

23 lieux, à traverser ce pré ?

24 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui.

25 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Je vais passer à

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1 un autre sujet. Pourriez-vous nous parler de ces moments...

2 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Nous allons passer

3 à un autre sujet. Je vous prie de nous parler de ces instants où vous avez

4 entendu le général Mladic. Vous avez relaté cet événement. J'aimerais que

5 vous disiez à la Cour à combien de reprises vous avez entendu ces

6 allégations sur les crimes prétendument commis par le général Mladic.

7 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - A six reprises,

8 entre mercredi soir et vendredi soir.

9 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Pouvez-vous

10 répéter ?

11 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Deux fois à

12 Potocari, lorsqu’il s’est présenté aux personnes présentes, et le

13 lendemain soir, lorsqu'il nous suivait pendant qu'on montait dans les

14 autocars et lorsqu'il a adressé la parole aux chauffeurs.

15 Puis le lendemain, quand il nous a dit qu'on allait être

16 échangés à Bratunac, lorsqu'on se trouvait dans le hangar, c'est-à-dire

17 qu'on allait nous conduire à Kalesija pour être échangés.

18 La fois suivante, deux ou trois heures plus tard, en montant

19 dans l'autocar. Il se trouvait à côté, il donnait des ordres aux soldats

20 serbes. C'était la quatrième fois.

21 La cinquième fois, à la porte d'entrée dans la salle de

22 Karakaj, lorsqu'il nous a dit : "qu'est-ce que vous voulez que je fasse de

23 vous si votre gouvernement ne veut pas de vous ? Les uns seront échangés,

24 les autres seront tués, les uns renvoyés, les autres tués".

25 Et la sixième fois, au moment où les soldats serbes nous

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1 sortaient de ces camions : "Exécution", au moment où on tombait.

2 Et par la suite je ne l'ai plus vu.

3 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci. Comme vous

4 le savez, deux personnes ont été accusées dans l’affaire qui fait l'objet

5 de cette audience selon l'article 61. Avez-vous entendu, vous a-t-on dit

6 quelque chose à propos de Karadzic ?

7 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Karadzic ? Je ne

8 l’ai pas vu.

9 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Vous n'en avez

10 jamais entendu parler ? Est-ce que quelqu’un a rapporté ses paroles ?

11 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Non, je n’ai

12 jamais entendu dire que quelqu’un aurait dit : "Voilà Karadzic" ou "Voici

13 Karadzic".

14 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - .Ceci termine mes

15 questions, monsieur le président, et nous sommes ouverts aux questions de

16 la Cour.

17 M. Le Président. - Merci, monsieur le Procureur. Je me tourne

18 vers mes collègues. Madame le Juge, vous avez la parole.

19 Mme Odio Benito (interprétation de l’anglais). - Merci.

20 Monsieur, connaissiez-vous les gens qui se trouvaient avec vous dans le

21 hangar ? Connaissiez-vous au moins certaines des personnes qui se

22 trouvaient avec vous dans le hangar ?

23 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui.

24 Mme Odio Benito (interprétation de l’anglais). - .- Avez-vous

25 vu certains d'entre eux vivants après tous ces événements ?

Page 800

1 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - J’ai entendu dire

2 qu'une personne était vivante, n'était pas exécutée à Bratunac, que c’est

3 (******) qui aurait donc fait l'objet de cet échange. Mais je ne l'ai pas

4 vu en personne. Enfin, on dit qu'il a été échangé et qu’il est donc resté

5 vivant. Mais pour les autres, je ne les ai pas vus vivants et je ne sais

6 pas. Je n'ai pas entendu dire qu'ils étaient vivants.

7 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Monsieur le

8 Président, je voudrais faire ressortir qu'il ne faudrait pas citer de

9 noms, nommer les gens. On préférerait que les noms ne soient pas

10 mentionnés. C’est le voeu qu’émet le procureur.

11 M. Le Président. - Voeu qui a d'ailleurs été tout à fait

12 reconnu, auquel il a été répondu tout à fait favorablement par le

13 Tribunal. Cette observation s'adresse donc au Tribunal bien sûr, et

14 également au témoin.

15 Monsieur le Greffier me fait part de cette observation : est-

16 ce que sur la dernière réponse du témoin A, vous souhaitez que sur le plan

17 technique, le nom qui a été prononcé soit occulté ?

18 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Oui. Merci.

19 M. Le Président. - Je m'adresse au témoin : normalement toutes

20 les images qui partent du Tribunal sont occultées et ne sont pas

21 disponibles pendant un certain délai. Il est donc tout à fait possible

22 d'occulter le nom qui a été prononcé. Merci, monsieur le Procureur.

23 Madame le Juge ?

24 Mme Odio Benito (interprétation de l’anglais). - Je n'ai plus

25 de question, monsieur le Président.

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1 M. Le Président. - Monsieur le Juge ?

2 M. Riad (interprétation de l’anglais). - .- Vous avez dit

3 avoir vu le général Mladic à six reprises.

4 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui.

5 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Etiez vous

6 suffisamment rapproché aux six reprises pour vraiment l'identifier ?

7 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui. D'abord

8 j'étais à quatre mètres de lui. De même, la deuxième fois, il était à

9 trois mètres à peu près de l'autobus, il était près de l'autobus. La fois

10 suivante, il était un peu plus éloigné, mais ces deux premières fois, il

11 était très près de moi.

12 M. Riad (interprétation de l’anglais). - En sortant de cette

13 voiture rouge, au moment des exécutions, où vous trouviez-vous exactement

14 à ce moment précis ?

15 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - J’étais couché là

16 où je suis tombé au commencement.

17 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Donc après les

18 exécutions ?

19 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Après mon

20 exécution, un autre camion est arrivé et les gens ont été exécutés. Puis

21 un autre camion. Et c'est à ce moment-là qu'il est arrivé à bord de la

22 voiture.

23 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Etiez-vous en mesure

24 de le voir nettement ?

25 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Oui, je l'ai vu.

Page 802

1 Oui, je l'ai vu.

2 M. Riad (interprétation de l’anglais). - L'avez-vous entendu

3 proféré des ordres ?

4 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Il était avec son

5 escorte. Ils se regardaient, mais étant donné que le moteur du camion

6 continuait à marcher, je n'ai pas pu entendre leurs propos. Le camion

7 était entre moi et Ratko Mladic. Lui était de ce côté-là du camion, moi

8 j'étais de ce côté-ci, et étant donné que le moteur était encore en

9 marche, je ne pouvais pas entendre ce qu'il disait à son escorte, à la

10 personne qui l'accompagnait.

11 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Vous avez dit aussi

12 que c'est à Bratunac qu'il vous a dit : "Votre gouvernement ne veut pas de

13 vous, que voulez-vous que je fasse de vous tous ?" Vous a-t-il dit ce

14 qu'il allait faire ?

15 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Il nous l'a dit à

16 Karakaj. C’est à Bratunac qu’il nous a promis d’aller à Kalesija, après

17 avoir été échangés. E Karakaj, lorsqu'on a mentionné l'échange et qu'on

18 nous étouffait ici, c'est là qu'il nous a dit : "Que voulez-vous que je

19 fasse de vous si votre gouvernement ne veut pas de vous ? Donc les uns

20 iront à Kladusa et les autres iront à Bijeljina".

21 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Est-ce à ce même

22 moment que vous avez entendu les cris des gens qui se trouvaient à

23 l'extérieur ?

24 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Non, non, je n'ai

25 pas entendu des cris venant de l'extérieur, j'ai seulement entendu des

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1 coups de feu, des tirs, au moment où les camions ont commencé à se mettre

2 en marche. Mais jusque-là, je n'ai rien entendu.

3 M. Riad (interprétation de l’anglais). - C'était à peu près au

4 même moment, au moment où le général Mladic vous parlait ?

5 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Le général Mladic

6 s'est d'abord présenté à l'entrée, à la porte. Et nous étions tous dans

7 cette salle, et c'est à l'unisson, presque, que nous avons dit : "Pourquoi

8 tu nous fais souffrir ici ? Pourquoi tu ne nous emmènes pas quelque

9 part ?" Parce qu'on s'est rendu compte que, de qu'il nous a dit à Bratunac

10 à propos de l'échange, rien ne se produirait de cela. Et c'est là qu'il

11 nous a parlé de Kladusa.

12 Lorsque nous lui avons demandé de l'eau, il nous a dit : "En

13 sortant, vous aurez suffisamment d'eau". Et c'est plus tard, une heure ou

14 deux heures plus tard, que certains ont commencé à sortir et à prendre

15 place dans quelque chose, mais on ne savait pas ce que c'était. Eh bien,

16 au bout d'une heure ou deux, les gens ont commencé à sortir, on nous a dit

17 que des véhicules arrivaient et que des gens commenceraient à être

18 transportés.

19 M. Riad (interprétation du serbo-croate). - Merci.

20 M. Le Président. - Je ne vais pas trop prolonger les

21 questions, monsieur le témoin. Je n'ai peut-être pas très bien compris,

22 mais lorsque vous avez presque tous ensemble, dans le gymnase, poussé ce

23 cri, "Pourquoi tu nous as amenés là ?", pouvez-vous me répéter la réponse

24 du général Mladic ?

25 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Il a répondu :

Page 804

1 "Qu'est-ce que je vais faire de vous quand votre gouvernement ne veut pas

2 de vous ? Moi, je dois m'occuper de vous. Les uns iront vers Kladusa et

3 les autres vers Bjielina."

4 M. le Président. - Merci. Il faudrait vérifier le transcript

5 sur cette parole du général Mladic. J'ai certainement mal compris la

6 traduction française, mais il faudra vérifier.

7 Je voudrais vous poser une question. Lorsque vous étiez

8 couché, immobile, silencieux dans ce champ où il devait faire très chaud,

9 est-ce qu'il y avait des soldats qui passaient pour achever ceux qu'ils

10 penseraient être encore vivants ?

11 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Il n'y avait plus

12 de soldats qui tiraient sur nous. Ils marchaient parmi nous, ils disaient

13 : "Arrêtez bons vieux gens, annoncez-vous", mais il y avait les groupes

14 qui venaient là et tiraient sur place. Il n'y avait plus de soldats qui se

15 trouvaient autour, donc il n'y avait que les cinq soldats.

16 M. le Président. - Dans le hangar et dans le gymnase, comment

17 étaient les conditions de subsistance ? Vous donnait-on un peu de

18 nourriture ? Vous avez parlé de l'eau. Vous amenait-on de la nourriture ?

19 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Non, personne.

20 M. le Président. - Monsieur le Témoin, vous avez vu le général

21 Mladic à six reprises. Je vous demande une opinion, peut-être ne désirerez

22 vous pas y répondre. Comment expliquez vous, compte tenu de ce que

23 représente la position hiérarchique et militaire du général Mladic, qu'il

24 pouvait s'intéresser à ces exécutions, à ce détail dans l'exécution, aller

25 sur la route dans une voiture rouge, aller surveiller les exécutions.

Page 805

1 Avez-vous une opinion sur ce point-là ?

2 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Moi aussi, cela

3 m'intéresse de savoir comment il a pu faire tout cela à côté de ce qu'il a

4 fait et que je ne connais pas.

5 Comment a-t-il réussi à être là, avant puisque nous

6 continuions à nous déplacer. Comment a-t-il réussi à être chez nous, avec

7 nous, lorsque nous étions séparés à la Potocarsa, lorsque nous montions

8 dans les autocars. Il était là, près des autocars et le lendemain, à

9 Bratunac, quand on devait partir et il était là à Karakaj le lendemain

10 jusqu'au soir. Il a pu visiter le lieu d'exécution. Je ne sais pas comment

11 il a réussi à le faire, mais il l'a fait.

12 M. le Président. - Je voudrais vous poser une dernière

13 question plus personnelle. Quel est le sentiment que vous ressentez, après

14 ces événements dont vous êtes un survivant, et quel est le sens que vous

15 donnez à votre témoignage devant la présente instance internationale ?

16 Témoin A (interprétation du serbo-croate). - Je suis gré au

17 Tribunal international qui m'a invité car ce Tribunal souhaite révéler,

18 découvrir, établir la vérité afin de voir ce qui s'est passé et qui a fait

19 quoi en Bosnie Herzégovine.

20 M. le Président. - Merci, Monsieur le Témoin. Pas d'autre

21 question, Monsieur le Procureur.

22 Bien, Monsieur le Témoin, votre déposition est terminée. Le

23 Tribunal vous remercie d'avoir répondu à la convocation du Procureur. On

24 va maintenant baisser les rideaux pour que la protection de votre

25 identification soit assurée complètement avant de lever l'audience, à

Page 806

1 moins, Monsieur le Greffier que vous préfériez que le Tribunal se retire

2 avant.

3 Je crois que c'est ce que vous préférez.

4 Dans ces conditions, Monsieur le Témoin, vous serez

5 raccompagné après le départ de la Cour.

6 L'audience est suspendue, elle reprendra à 14 heures 30.

7

8 L'audience est suspendue à 13 heures

9

10 (Après-midi)

11

12 L'audience est reprise à 14 heures 36.

13

14 M. Le Président. - L’audience est reprise. Veuillez vous

15 asseoir.

16 Je voudrais à présent, conformément à une décision prise par

17 la Chambre le 26 juin 1996, inviter Mme Elisabeth Rehn à venir prendre

18 place en face du Tribunal pour comparaître en qualité d'amicus curiae.

19 L’huissier peut-il introduire Mme Elisabeth Rehn ?

20 (Entrée de Mme Elisabeth Rehn).

21 Madame m'entendez vous ?

22 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Oui, je vous entends

23 monsieur le Président.

24 M. Le Président. - Je voudrais rappeler que c'est en fonction

25 d'une décision du 26 juin que le Tribunal a décidé de vous entendre en

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1 votre qualité de rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme

2 des Nations Unies.

3 Vous êtes donc appelée en qualité d'amicus curiae pour

4 apporter toutes informations qui peuvent apparaître utiles à la Chambre

5 dans le cadre des poursuites diligentées contre MM. Radovan Karadzic et

6 Ratko Mladic.

7 Nous vous avons demandé, et le Greffe vous a notifié le sens

8 général et l'objet de notre demande, de faire un exposé sur la situation

9 des Droits de l'Homme, sur la campagne de purification ethnique en Bosnie-

10 Herzégovine depuis 1992, ainsi que sur les disparitions à la suite des

11 événements de Srebrenica.

12 La Chambre a également décidé que vous pourriez, si vous le

13 jugiez opportun, ou si le Tribunal vous le demande à la suite de votre

14 audition, nous remettre tous documents, rapports ou éléments de rapport

15 utiles à l'administration de la justice.

16 Vous allez vous présenter, nous indiquer dans quelles

17 conditions vous êtes devenue rapporteur spécial de la Commission des

18 Droits de l'Homme des Nations Unies, nous indiquer la situation des Droits

19 de l'Homme, aussi bien dans ce que vous pouvez en connaître au moment où

20 vous avez pris ce rapport spécial que vous a confié l’Organisation des

21 Nations Unies. Bien entendu, le Tribunal aura à coeur de vous poser

22 quelques questions complémentaires.

23 Je demanderai au Procureur, à la fin de votre exposé, s’il a

24 des questions à vous poser.

25 Mais d’abord, présentez-vous au Tribunal, après quoi vous

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1 agencerez votre exposé comme vous l’entendez. En même temps, le Tribunal

2 vous remercie d’avoir répondu à son invitation.

3 Madame, vous avez la parole.

4 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Merci monsieur le

5 Président. J’apprécie réellement l'occasion qui m'est donnée de venir ici

6 pour exposer la situation des Droits de l'Homme en ex-Yougoslavie et plus

7 particulièrement en Bosnie-Herzégovine.

8 J'ai été nommée le 27 septembre 1995, immédiatement après

9 Tadeusz Mazowiecki qui était le rapporteur spécial depuis la création de

10 ce bureau en 1992. Il a fourni à l’Assemblée générale des Nations et à la

11 Commission des Droits de l’Homme un grand nombre de rapports pendant la

12 durée de son mandat. Après quoi, il a quitté son poste, suite aux

13 événements de Srebrenica, furieux de l'attitude adoptée par la communauté

14 internationale en ce qui concerne les Droits de l'Homme.

15 Sa démission a été très spectaculaire et je pense qu'il est

16 très bon qu'il ait agi de cette façon car cela a vraiment contraint la

17 communauté internationale à jeter les yeux sur ces violations.

18 C'est alors que j'ai été nommée le 27 septembre et j'ai

19 réalisé ma première mission sur le terrain au début du mois d'octobre.

20 Depuis, j'ai procédé à un certain nombre de visites sur le terrain,

21 visites durant en général une semaine, quelquefois un peu plus.

22 M. Le Président. - Excusez-moi de vous interrompre. Peut-être

23 pourriez-vous vous présenter pour donner votre curriculum vitae, si c’est

24 possible.

25 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Cela prendra pas mal

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1 de temps étant donné mon âge et ma carrière. Mais j’y souscris aisément.

2 M. Le Président. - Ce n’était pas l’intention du Tribunal.

3 Assez sommairement, pouvez-vous dire quelle est votre fonction, votre

4 profession et dans quelles conditions vous l’exercez ?

5 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Oui je comprends, et

6 j'espère monsieur le Président que vous pouvez accepter cette petite

7 plaisanterie.

8 Je participe au monde politique depuis 1979. Je suis depuis

9 cette époque députée en Finlande. J’ai occupé un certain nombre de

10 postes : j'ai été présidente du Comité des affaires juridiques au sein de

11 notre Parlement, et ce pendant plusieurs années. Puis en 1990, j’ai été

12 nommée ministre de la Défense de Finlande. En fait, j'étais le premier

13 ministre de la Défense féminin au monde. J’ai occupé ce poste jusqu'en

14 1995.

15 Depuis cette époque, je suis membre du Parlement européen et

16 c'est en cette qualité que j'ai été nommée rapporteur spécial.

17 M. le Président. - Merci beaucoup. Poursuivez.

18 Mme REHN (interprétation de l'anglais). - Depuis cette époque,

19 j'ai rendu deux rapports : d'abord un rapport à l'Assemblée générale en

20 novembre, rapport très complet, portant sur mes conclusions jusqu'à cette

21 date. Bien entendu, ces conclusions reposaient grandement sur l'action de

22 mes responsables sur le terrain. J'ai dix à douze responsables de

23 recherche dans les différentes parties de l'ex-Yougoslavie. Puis plus

24 récemment, en avril de cette année, j'ai présenté mon deuxième rapport à

25 la Commission des Droits de l'Homme, à Genève.

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1 Ces rapports ont été approuvés et des résolutions ont été

2 votées qui s'appuient sur ces (résolutions ?), comme cela a été fait avec

3 Tadeusz Mazowiecki.

4 Je dois souligner que je dispose d'un grand nombre

5 d'informations qui me permettent d'émettre un avis sur les expériences que

6 j'ai vécues. Je possède tous les rapports de Tadeusz Mazowiecki et je

7 crois savoir qu'ils ont été fournis au Tribunal, accompagnés d'ailleurs de

8 mes deux rapports. Tous ces rapports, j'en suis convaincue, peuvent servir

9 de basses aux travaux réalisés dans cette enceinte.

10 Je ne puis réellement parler que de ma propre expérience, de

11 ce que j'ai vécu personnellement. Si tel n'était pas le cas, je crois que

12 justice ne serait pas rendue à ceux qui comptent sur mon impartialité.

13 Mais, bien entendu, monsieur le Président, vous-même et le Tribunal

14 respectez cette contrainte, j'en suis assurée.

15 Peut-être pourrais-je, en tout état de cause, parler

16 brièvement spécialement du "nettoyage ethnique" et des méthodes utilisées

17 à cette fin en Bosnie-Herzégovine.

18 Il y a eu un "nettoyage ethnique" manifeste et méthodique en

19 Bosnie-Herzégovine et, comme cela se comprend, en cas de nettoyage

20 ethnique, la politique pratiquée est destinée à éliminer la présence d'un

21 certain groupe ethnique d'un territoire déterminé. Pour ce faire, il est

22 manifestement nécessaire d'appliquer des méthodes sérieuses, qui

23 impliquent bien entendu un grand nombre de violations destinées à

24 atteindre cet objectif. Ces méthodes ont été l'assassinat, le viol,

25 l'intimidation, le harcèlement, la destruction de monuments du culte et de

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1 monuments culturels, etc. Ces divers procédés ont été utilisés de façon

2 très méthodique.

3 Peut-être convient-il de se rappeler que, dès le début du

4 conflit, les dirigeants de la Republika Srpska ont déclaré clairement que

5 politique consistait à établir une structure territoriale homogène sur le

6 plan ethnique.

7 Donc cet objectif a été clairement déclaré et nous avons pu,

8 dans les faits, en suivre l'application au cours des années. Nous avons

9 assisté à un grand nombre de violations, parmi lesquelles la pratique des

10 travaux forcés. Les travaux forcés ont été appliqués de façon très

11 générale, à savoir que l'on capturait des hommes en âge de porter les

12 armes, qui ensuite étaient placés en grand nombre sur les lignes de

13 confrontation dans des circonstances très dangereuses. Cela était le fait

14 en particulier des Serbes. Bien entendu, les travaux forcés sont une

15 violation des Droits de l'Homme.

16 Un autre événement qui nous a beaucoup préoccupés pendant

17 toutes ces années a été la violation des droits de l'enfant. Il n'y a pas

18 eu respect des droits de l'enfant au cours de ce conflit, et c'est là sans

19 doute une des violations les plus graves, car si l'on prépare l'avenir, il

20 est interdit de détruire la possibilité offerte aux jeunes, aux enfants,

21 de survivre. Débarrasser ces enfants des traumatismes de la guerre,

22 lorsqu'on pense à ce que ces enfants ont à vivre aujourd'hui et ce contre

23 quoi ils ont à se battre, est un gros problème.

24 Tous les civils ont été pris pour cible. Comme vous le savez

25 parfaitement bien, le viol a également été utilisé grandement en tant que

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1 moyen destiné tout simplement à terroriser la population.

2 Maintenant, je dirai très fermement que cela n'a pas été le

3 fait uniquement de la partie serbe, car dans nos rapports, dans mes

4 rapports également, nous pouvons parler de plusieurs cas où les Musulmans

5 et les Croates ont agi de la même manière, mais à une échelle différente,

6 c'est-à-dire que le niveau de ces agissements a été bien inférieur. Cela

7 étant, un certain nombre de cas de ce genre se sont produits.

8 A des fins d'objectivité, je pense qu'il est très important de

9 souligner que cela s'est produit également. Il n'y a pas très longtemps,

10 j'étais debout à Mrkonjic Grad au bord d'une fosse commune à proximité

11 d'une mosquée, et j'ai vu qu'on emportait les corps d'un certain nombre de

12 Serbes. Ce genre d'incident, malheureusement, s'est donc produit de tous

13 les côtés.

14 Mais si nous analysons les événements qui se sont produits

15 avant mon entrée en fonction, et même peut-être depuis, tout cela doit

16 faire partie d'un plan d'incidents divers. Il est même possible qu'il y

17 ait eu une politique régionale en vigueur. En effet, les attaques ne se

18 sont pas toutes produites en même temps, il semble qu'un concept déterminé

19 ait été suivi dans ces attaques. La terreur avait manifestement pour but

20 d'effrayer la population. C'était l'une des méthodes utilisées dans cette

21 politique régionale.

22 En conséquence, un grand nombre de personnes sont parties

23 volontairement, pourrait-on dire, car elle était tellement terrorisées

24 qu'elles ne pouvaient plus supporter la situation. Les groupes

25 paramilitaires n'agissaient peut-être pas aussi spontanément que cela a pu

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1 être dit, car il y avait également un aspect très systématique quant aux

2 lieux où ces groupes ont participé aux attaques et où ils ont participé à

3 des pillages. Cela avait sans doute pour but de financer leurs opérations.

4 Comme je viens de vous le dire, j'ai occupé le poste de

5 ministre de la Défense pendant un certain temps, donc je connais bien la

6 stratégie. Dans des combats normaux, le but consiste simplement à

7 s'emparer de points stratégiques, de territoires particuliers, etc., alors

8 qu'ici, c'étaient des cibles civiles qui étaient méthodiquement et

9 systématiquement nettoyées, et tant les prisonniers que des civils ont été

10 exécutés.

11 Ce qui est également très important, c'est qu'aucun des

12 principes des Nations Unies, aucune des décisions, aucun des règlements

13 des Nations Unies n'a été respecté. C'est ce que nous avons pu découvrir

14 notamment lorsque nous avons travaillé sur les zones de sécurité. Il y a

15 eu de nombreux assassinats à la grenade. A Tuzla notamment, plus de

16 soixante-dix jeunes gens ont été assassinés de la sorte. A Srebrenica

17 également et dans toutes les autres zones de sécurité, des incidents de ce

18 genre ont été constatés. Notamment en mai 1995, de nombreux acte ont été

19 perpétrés, qui allaient manifestement à l'encontre des décisions des

20 Nations Unies.

21 Tout cela signifie par conséquent qu'une direction politique

22 et militaire présidait à la perpétration de ces actes et je crois que

23 c'est un fait qu'il importe de prendre en compte.

24 Je peux me citer moi-même. Lorsque j'ai présenté mes rapports

25 devant l'Assemblée générale des Nations Unies à Genève, en novembre 1995.

Page 814

1 A cette occasion, j'ai dit : "un commandement approprié et honorable d'une

2 armée ne permettra pas aux soldats de tuer, violer ou harceler des civils

3 ou de piller et d'incendier leurs biens. La responsabilité de la direction

4 ne peut pas être niée, qu'il s'agisse de la direction militaire ou

5 politique. Il s'agit là d'un principe qu'il importe de respecter dans

6 l'ensemble du territoire de l'ex-Yougoslavie".

7 Cette déclaration faite par moi-même était donc très claire.

8 Depuis cette époque, dans mes travaux, il m'est apparu d'une

9 façon absolument claire que pour ceux qui sont victimes d'un conflit,

10 indépendamment de la partie à laquelle ils appartiennent et de l'identité

11 des auteurs des violations, il est très important de connaître la vérité

12 et d'obtenir la justice. Je dirais même qu'ils ne cherchent pas la

13 vengeance.

14 Prenons par exemple les femmes de Srebrenica ou de Tuzla, ou

15 prenons les personnes qui sont à la recherche des membres de leur famille

16 dans les environs de Banja Luka. Il y a environ 2 000 Serbes disparus et

17 un grand nombre de personnes ne connaissent pas le sort réservé aux

18 membres de leur famille. Pour toutes ces personnes, il est capital de

19 connaître la vérité.

20 Je me suis rendu compte à de nombreuses reprises

21 qu’apparemment un sentiment de culpabilité collective prévalait, comme si

22 tous les Serbes étaient accusés d'être des assassins, la même remarque

23 s'appliquant dans d’autres cas aux Croates ou aux Musulmans.

24 Il est donc particulièrement capital que la culpabilité

25 individuelle soit établie dans le but de libérer la majorité de ces

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1 populations, totalement innocentes, de ce sentiment de culpabilité

2 collective.

3 C'est la raison pour laquelle j'estime que les travaux

4 réalisés dans cette enceinte sont d'une importance très grande. En effet,

5 il importe grandement que quelqu’un s’occupe du sort de ceux qui sont

6 encore vivants et qui vivent dans des conditions très difficiles.

7 Quelles sont mes impressions ? ... Souhaitez-vous que je

8 poursuive ou que je m'arrête ici ? Souhaitez-vous me poser des questions

9 avant que j’entame le sujet de Srebrenica et que je vous donne mon point

10 de vue général ?

11 M. Le Président. - Je me tourne vers mes collègues. Monsieur

12 le Juge Riad va vous poser une question sur l'introduction de vos propos

13 avant que vous abordiez Srebrenica.

14 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Madame Rehn, vous

15 avez dit que le sentiment de culpabilité était collectif ; vous avez dit

16 que ces agissements étaient principalement le fait des Serbes, mais qu'ils

17 ont également été le fait des Croates et des Musulmans. Du côté bosniaque,

18 vous avez parlé de cent quatre vingt Serbes trouvés morts à Mrkonjic Grad.

19 Serait-il trop difficile de vous demander si vous pourriez donner votre

20 point de vue général quant à la participation relative des trois parties

21 aux opérations de nettoyage ethnique ? Dans quelle mesure était-ce une

22 politique de la part de ces trois parties ?

23 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

24 Président, il est très difficile de vous fournir des estimations précises

25 sur ce sujet, compte tenu du fait que je n'étais pas en poste à l'époque

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1 où tous ces événements se sont produits.

2 Mais sur la base des rapports que Tadeusz Mazowiecki, ancien

3 Premier ministre de Pologne, a présentés, il apparaît très manifestement

4 que la partie serbe a eu une part majoritaire dans ces événements. Encore

5 aujourd’hui, je ne sais pas très bien quel mot utiliser car l’expression

6 « nettoyage ethnique » est très forte.

7 Si nous considérons ce qui se passe au sein de la Fédération

8 croato-bosniaque, il est manifeste qu'ils tentent encore d'obtenir des

9 villages et des villes propres sur le plan ethnique. Le mariage entre ces

10 deux parties composantes de la Fédération n'est pas encore parfait. Je les

11 ai rencontrés récemment à Travnik et il est difficile pour les Croates de

12 retourner chez eux.

13 Puis, si l'on regarde ce qui se passe dans des situations

14 comme celle qui prévaut dans la poche de Bihac, bien entendu il s'est agi

15 là d'un problème interne aux Musulmans car les défenseurs de Abdic étaient

16 opposés aux troupes du 5ème Corps, aux troupes bosniaques. Il y a eu de

17 nombreux meurtres dans cette région qui ont été le fait de soldats contre

18 les défenseurs d'Abdic, le viol étant également utilisé dans ces

19 circonstances comme un instrument très efficace.

20 Mais si je dois établir une estimation grossière, je dirais

21 que les cas imputables aux Musulmans et aux Croates sont minoritaires.

22 Il convient également de garder présent à l'esprit que les

23 Serbes résidant à Sarajevo, après les accords de Dayton, peuvent être

24 considérés comme victimes d’une espèce de nettoyage ethnique. Ils ont subi

25 la propagande provenant de Pale d’une part, mais d’autre part les

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1 Bosniaques ne leur ont pas fourni suffisamment de garanties de sécurité.

2 Ces événements se sont produits en permanence, les principaux

3 auteurs étant du côté serbe.

4 M. Le Président. - Poursuivez l’exposé comme vous le concevez.

5 Ensuite, le Tribunal vous posera des questions.

6 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Merci, monsieur le

7 Président. Sur Srebrenica et la chute de Srebrenica, ces événements ont

8 été décrits très en détail dans le dernier rapport de Mazowiecki et je

9 suppose que vous recevrez son dernier rapport. Il est très important de le

10 lire parce qu'il donne bien des indications sur ce qui s'est passé

11 jusqu'au moment où les réfugiés se sont dirigés vers Tuzla ou ailleurs.

12 Par la suite, j'ai rencontré à maintes reprises les victimes

13 en vie, les femmes de Srebrenica qui se trouvaient à Tuzla, et j'ai eu

14 également la possibilité de me rendre à Srebrenica. J’ai vu là des

15 cadavres qui jonchaient le sol qui n'avait pas été recouverts, qu'on

16 n'avait pas pu enterrer et qui étaient réduits à l'état de squelettes.

17 Mais en regardant les vêtements, on pouvait se rendre compte qu’il s’était

18 agi de jeunes gens. C’était principalement dans la colline de Trisca que

19 j’ai vu cela.

20 C’est une question de dignité humaine. C'est un droit, pour un

21 jeune qui est mort, à une certaine dignité. C'est pourquoi je suis assez

22 furieuse : ceux qui ont souffert, qui sont morts, devraient au moins

23 pouvoir être enterrés par leurs familles, par leurs proches. C'est un

24 signe de dignité. J’ai essayé personnellement de rendre cela possible.

25 C'est le souhait des femmes qui se trouvent à Tuzla que cela

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1 soit rendu possible. Nous leur devons beaucoup.

2 Une mère me demande directement ce qu'il en est de ses

3 trois jeunes fils qui se sont enfuis dans la nuit avant le 11 juillet et

4 me dit : "madame Rehn, ne pensez-vous pas qu’il y en a au moins un qui vit

5 encore ? Je ne peux pas avoir perdu mes trois fils."

6 Une autre mère me dit que lorsqu’on lui a enlevé son fils,

7 elle n'a pas eu la possibilité de lui dire au revoir, adieu. Elle est

8 obsédée par cette idée qu'elle n'a pas pu lui dire au revoir.

9 Elles ont des illusions encore et elles se disent qu'il doit

10 encore y avoir des gens qui ont été aux travaux forcés et qui sont peut-

11 être encore vivants.

12 On m'a donné dix à douze adresses différentes pour me

13 renseigner si des hommes étaient encore vivants. Je m’y suis rendue, mais

14 il n'y a aucune trace de ces hommes qui s'étaient réfugiés dans la cave

15 d'un supermarché ou dans une école.

16 Mais je vais continuer mes recherches. Peut-être avons-nous

17 trop vite oublié ces victimes qui sont encore vivantes et qui doivent

18 reconstruire leur avenir en le fondant sur de l'espoir, sur la vérité.

19 Cela veut dire que tout ce qui se passe depuis Srebrenica et

20 tout ce qui se passera est très important

21 Bien entendu, certaines femmes m'ont dit que lorsqu'elles sont

22 sorties dans la rue, le général arrivait en leur criant : "vous ne

23 reverrez jamais vivants vos fils". Mais je ne peux pas prendre cela comme

24 vérité, parce que naturellement il y a eu des conversations et lorsqu'on

25 vous dit quelque chose plusieurs fois, vous avez l'impression que vous-

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1 même vous avez vécu cela. Il se peut que ces femmes aient entendu cela et

2 cela l'a beaucoup perturbé.

3 En ce qui me concerne, je ne veux pas témoigner de choses que

4 je n'ai pas vues de mes propres yeux. C’est pourquoi j’ai utilisé des

5 expressions très prudentes pour décrire ce genre de choses.

6 C'est pourquoi j'ai employé des expressions très prudentes

7 pour décrire ce genre de choses. Mais en fait, pour l'avenir -et ce que je

8 veux, c'est regarder l'avenir-, ce qui est essentiel, c'est d'essayer de

9 trouver des réponses à Srebrenica, parce que Srebrenica a été vraiment une

10 concentration de tous les crimes, parce que là les choses ont été faites

11 de manière tellement massive -3 000 morts, mais peut-être beaucoup plus,

12 peut-être 6 000, 7 000, 8 000, on ne connaîtra peut-être jamais le nombre

13 exact-, les horreurs et les violations des droits de l'homme ont été

14 tellement énormes que je comprends que tant de personnes essaient de

15 trouver des réponses à ces questions très essentielles.

16 Je voudrais vous dire en quelques mots comment je vois

17 personnellement l'avenir et quelles sont les craintes que je ressens pour

18 l'avenir. Une de mes préoccupations, une de mes craintes, c'est qu'il y

19 ait tant de soldats démobilisés qui avaient imaginé qu'ils seraient des

20 héros puisqu'ils ont participé à des combats pendant la guerre. Je leur ai

21 parlé à plusieurs reprises, parfois même dans des cafés. Ils ont été très

22 francs, très ouverts avec moi. Ils m'ont dit : "Nous avons participé à des

23 combats en différents endroits". Et lorsqu'ils sont rentrés chez eux, ils

24 étaient considérés comme des héros. Or, maintenant, ce n'est plus le cas.

25 Ils ont perdu leur travail et, bien souvent, leurs proches, leur famille.

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1 C'est un potentiel pour un conflit à l'avenir, si on ne fait

2 pas quelque chose pour eux d'une manière ou d'une autre. Ce devrait être

3 le rôle des autorités religieuses. Malheureusement, les autorités

4 religieuses se sont engagées dans la ligne de leurs dirigeants politiques

5 pendant la guerre. L'Eglise orthodoxe a apporté son soutien aux Serbes ;

6 les Croates ont reçu l'appui de l'Eglise catholique et, naturellement, les

7 Musulmans qui ont reçu l'appui de l'Islam. Maintenant, il faudrait faire

8 beaucoup plus pour qu'ils unissent leurs forces afin d'aider leurs

9 fidèles, parce que ceux-ci auront besoin d'être beaucoup aidés pour

10 surmonter leur haine et leurs traumatismes, surtout au moment où les

11 charniers seront ouverts, lorsque l'on identifiera les morts, parce qu'à

12 ce moment-là, on va rouvrir tout cela. Ils seront confrontés avec tout

13 cela si on ne leur apporte pas d'aide.

14 J'ai parlé des enfants. Eh bien, je suis très inquiète, très

15 inquiète de ce qui pourrait se passer pour ces enfants. Les enfants sont

16 ouverts sur l'avenir, ils sont merveilleux. Lorsqu'on regarde leurs

17 dessins, leurs peintures, on voit que maintenant ils utilisent des

18 couleurs beaucoup plus claires, beaucoup plus légères que pendant le

19 conflit où ils ne dessinaient que des morts et n'utilisaient que des

20 couleurs sombres. Maintenant, ils emploient des couleurs moins foncées

21 pour l'avenir, plus claires.

22 Dans les écoles, il y a des programmes dans le cadre desquels

23 on voit des manuels d'enfants où l'on dit : "Voilà la victime". Cela vaut

24 principalement pour les Musulmans. J'ai vu ces manuels d'enseignement, à

25 Sarajevo. Un enfant sans bras ni jambes et, à côté, le Serbe qui a été le

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1 responsable de cela. Mais par ce moyen, on sème la haine et l'esprit de

2 revanche pour l'avenir. Alors ceci continue.

3 Ceci va de pair avec l'absence de liberté de mouvement. On

4 continue d'expulser des personnes de leurs habitations pour mieux nettoyer

5 ethniquement certains villages. Je dois dire que je suis assez pessimiste

6 parfois lorsque je vois ce qui se passe actuellement en Bosnie-

7 Herzégovine. J'espère que mon pessimisme n'est pas fondé et que nous

8 pourrons travailler pour un avenir positif.

9 Je voudrais terminer en disant que ceci est très important et

10 concerne les populations, la base. Bien sûr, j'ai parlé avec des

11 ministres, avec des responsables. Mais ce qui est important ici, c'est que

12 la vérité soit connue. Il ne faut pas oublier que ce sont des gens

13 ordinaires. C'est pour tous ceux qui ont vécu cette crainte et cette peur

14 qu'il faut agir. C'est eux qui sont importants ici.

15 M. le Président. - Merci, madame Rehn, de votre communication.

16 Je me tourne maintenant vers mes collègues qui ont des

17 questions à poser. Madame le Juge Odio-Benito, vous avez la parole.

18 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Merci.

19 Madame Rehn, le Tribunal a écouté les déclarations du Colonel Karremans de

20 l'armée néerlandaise et des Nations Unies, ainsi que deux soldats

21 néerlandais qui étaient à Potocari en juillet 1995. Ils nous ont dit

22 qu'environ 25 000 personnes se trouvaient là -principalement des femmes,

23 des enfants et des personnes âgées-, qui ont quitté Srebrenica et sont

24 arrivées à Potocari à partir du 11 juillet, après la chute de Srebrenica.

25 Ces personnes ont été évacuées par autocars, sans aucune

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1 protection, et amenées sur les lignes de confrontation où on les a

2 débarquées. Savez-vous ce qui s'est passé pendant le voyage, en

3 particulier ce qui est arrivé aux femmes et aux enfants pendant ce

4 voyage ? Connaissez-vous le nombre de survivants ? Combien ont survécu ?

5 Combien ont pu se réfugier dans des endroits sûrs ? Savez-vous combien,

6 sur ces 25 000personnes, sont encore portées disparues ?

7 Mme Rehn (interprétation de l'anglais).- Il m'est extrêmement

8 difficile, là encore, de vous donner une estimation. Mais après que ces

9 villes aient été prises, si on peut dire, en particulier après la prise de

10 Srebrenica, lorsqu'ils ont dû quitter Potocari, je sais que, dans ces

11 autocars, les conditions étaient épouvantables.

12 D'ailleurs, on pourrait se demander d'où venaient les

13 autocars, parce que tout cela était fort bien organisé pour que ces

14 autocars se soient trouvés là. Ce n'était pas un hasard. Il a fallu

15 prendre le temps de prévoir que ces autocars arrivent là. Certains

16 venaient de Serbie et, de ce que j'ai entendu, d'autres venaient de la

17 Republika Srpska.

18 Il faisait très chaud en juillet. On les a empilés dans ces

19 autocars et nous savons qu'on n'a pas autorisé les représentants des

20 forces de maintien de la paix des Nations Unies à monter à bord des

21 autocars. J'ai entendu dire que des femmes avaient été sorties des

22 autocars pendant un certain temps et violées pendant cette brève période.

23 Bien entendu, il y a des personnes âgées qui ont énormément souffert. Je

24 peux très bien imaginer que des personnes soient mortes, parce que pour

25 des personnes âgées dans de telles situations, c'est insupportable.

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1 Mais, pour la majeure partie, ces personnes sont arrivées dans

2 des endroits comme Tuzla, ce qui veut dire qu'en ce qui concerne ces

3 autocars, il n'y a pas tellement de portés disparus. Simplement, les

4 conditions étaient déplorables, épouvantables dans ces autocars.

5 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Merci,

6 madame. Avez-vous parlé avec des enfants qui ont perdu leurs deux

7 parents ? Où sont ces enfants ?

8 Mme Rehn (interprétation de l'anglais).- J'ai beaucoup parlé

9 avec des enfants. Bien entendu, les enfant qui ont perdu leurs parents se

10 trouvent probablement dans la situation la pire, bien pire que les autres

11 peut-être, parce qu'ils n'ont pas vraiment d'avenir. Mais en parlant avec

12 ces enfants, bien que j'en ai été tentée, je n'ai pas insisté sur

13 certaines questions parce que les psychologues et les experts nous avaient

14 demandé de ne pas poser de questions à ces enfants pour ne pas rouvrir

15 certaines blessures. Donc ils nous ont dit de ne pas insister auprès des

16 enfants, surtout les plus jeunes. Mais les adolescents réclament leurs

17 parents et ils sont furieux envers la communauté internationale, ils

18 pensent que nous nous trouvons dans des petits groupes, des délégations,

19 des comités, mais qu'en réalité rien n'est fait pour les aider activement

20 à trouver des réponses. Et je comprends très bien leur fureur.

21 Ceci vaut pour les femmes à Tuzla. Je parle des femmes de

22 Tuzla parce qu'à Tuzla, les femmes sont relativement organisées. Il y a

23 une organisation à Banja Luka en ce qui concerne les membres de familles

24 serbes. Là aussi, ils sont furieux parce qu'ils veulent des réponses et

25 nous nous rendons compte que, malgré tout ce que nous essayons de faire,

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1 nous n'arrivons pas à les aider aussi rapidement qu'ils le voudraient et

2 qu'ils doivent attendre les réponses. Ils me font très mal au coeur.

3 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Merci. Si

4 j'ai bien compris, vous avez vu des charniers, vous êtes allée sur le lieu

5 de charniers à Srebrenica. Pourriez-vous nous dire si seuls les Musulmans

6 ont été victimes de ces atrocités ?

7 Mme Rehn (interprétation de l'anglais).- Je voudrais corriger

8 un peu les choses, en vous disant que je ne me suis rendue que sur les

9 sites où se trouvaient des cadavres sur le sol. Je fais une distinction

10 claire ici. Je pense, en effet, qu'il appartient principalement au

11 Tribunal d'identifier les victimes qui se trouvent dans ces charniers

12 puisque ce sont les éléments de preuve dont a besoin le Tribunal.

13 En ce qui nous concerne, aux Nations Unies, nous avons des

14 gens qui s'occupent des portés disparus. S'agissant des cadavres dont j'ai

15 parlé, soixante à peu près dont trente ont été pris en charge au court des

16 derniers jours, ces soixante étaient certainement des Musulmans. C'étaient

17 des Musulmans qui s'enfuyaient de Srebrenica, cela est sûr.

18 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Pour

19 terminer, madame, partagez-vous l'affirmation selon laquelle sans justice

20 il n'y a pas de paix ?

21 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Absolument. Je suis

22 très fâchée à l'égard des politiciens, des dirigeants politiques qui

23 disent que la priorité doit être donnée au processus de paix et que l'on

24 ne doit pas rechercher autant les personnes qui sont visées par des actes

25 d'accusation parce que cela gêne le processus de paix

Page 825

1 Je me réfère à mes entretiens avec l'homme de la rue. J'ai

2 parlé peut-être avec des milliers et des milliers de personnes, d'hommes

3 et de femmes du commun, et je ne peux pas croire que nous pourrons avoir

4 une paix durable sans la justice, et surtout sans vérité. Parce que vérité

5 et justice, cela va de pair.

6 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Merci, je

7 n'ai pas d'autres questions, monsieur le Président.

8 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez dit, madame

9 Mme Rehn, que les dirigeants militaires sont à l'origine de ces ordres de

10 nettoyage ethnique. Limitez-vous ce que vous avez dit aux dirigeants

11 militaires ou étendez-vous cela aux dirigeants politiques également ?

12 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Pour moi les choses

13 sont extrêmement claires : aucun commandement militaire ne peut travailler

14 isolément sans une direction des dirigeants politiques, il doit y avoir

15 des liens entre ces deux directions. Je pense à mon pays, je ne peux pas

16 m'imaginer que des militaires fassent quoi que ce soit sans avoir la puis

17 politique pour ce faire. Je ne veux pas faire de commentaires sur cela,

18 mais je pense qu'il est extrêmement important de ne pas oublier qu'il y a

19 toujours ce lien : les militaires mettent en oeuvre la politique des

20 politiciens. Parfois les militaires sont plus forts que les dirigeants

21 politiques, mais même là il y a quand même ce lien.

22 J'ai lu les rapports de M. Mazowiecki à plusieurs reprises.

23 Quelle que soit la manière dont j'envisage ces rapports, il y a toujours

24 se fil d'Ariane qui se retrouve tout au long de ces rapports et qui montre

25 qu'il y a toujours un objectif : le nettoyage ethnique. Donc il a dû y

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1 avoir une politique derrière cela. Ce n'est pas, par hasard, que l'on a

2 commencé dans un village à procéder à ce nettoyage ethnique, il y a eu un

3 plan à un moment donné. En tout cas, je ne peux pas imaginer les choses

4 autrement.

5 M. Riad (interprétation de l'anglais). - La religion a été

6 utilisée à cette fin ?

7 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - La religion était en

8 fait très liée à tout cela. Personnellement, je pense qu'il s'est agi d'un

9 mélange malheureux entre les tensions entre les religions, les tensions

10 qui existaient entre les différentes minorités, des tensions ethniques, et

11 tout cela a été très bien utilisé et utilisé à fond. Je regrette que les

12 religions ne se soient pas tenues en dehors de cela. J'espère que

13 maintenant les religions vont s'unir pour aider.

14 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Dans la réalité,

15 certains dirigeants prêchaient-ils un dogme quelconque, du point de vue

16 religieux ou politique, pour entraîner ce nettoyage ethnique ?

17 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Je ne peux pas

18 mentionner de cas particulier parce qu'en fait c'est toute une attitude,

19 toute une mentalité qui était acceptée. Donc personne n'est intervenu

20 contre ce phénomène car c'était une sorte d'acceptation générale vis-à-vis

21 de cela.

22 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Oui, mais cela a

23 commencé à moment ?

24 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Tout a un

25 commencement, mais je peux pas dire quand.

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1 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Dans les recherches

2 faites par votre commission, rien de concret n'est pas apparu qui permette

3 de savoir quand cela a commencé ?

4 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Non, rien en ce qui

5 concerne le commencement réellement. Mais vous savez qu'un grand nombre de

6 lieux de cultes musulmans ont été détruits, mais également un grand nombre

7 d'églises.

8 C'est d'ailleurs très intéressant car à Sarajevo, par exemple,

9 les différents lieux de cultes, les différentes religions, les mosquées,

10 les églises, etc., se trouvaient à proximité les uns des autres, à

11 quelques mètres de distance et ils ont pu coexister pendant très

12 longtemps. Or tout d'un coup, on a tout détruit. Malheureusement, je ne

13 peux pas répondre réellement et concrètement à la question que vous m'avez

14 posée.

15 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Au niveau de la

16 population, est-ce que l'on retrouve tout cela ? Est-ce à dire que les

17 conflits vont continuer, ou les dirigeants peuvent arrêter cela ?

18 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Oui, ils le peuvent,

19 s'ils le veulent. J'ai coopéré avec les responsables religieux. Je les ai

20 rencontré à maintes reprises et ils ont coopéré avec moi. Nous avons eu

21 une réunion organisée par Karl Bildte à Banja Luka, avec le Premier

22 ministre Kazajic qui a accueilli cette rencontre. Les responsables des

23 trois religions étaient présents. Malheureusement, le responsable

24 catholique n'a pas pu venir parce qu'il y a eu des problèmes

25 d'hélicoptère. En fait, cela a été un premier pas pour coopérer.

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1 Je suis peut-être naïve, mais j'ai l'impression qu'ils

2 essayent vraiment de faire quelque chose maintenant. J'ai été très

3 reconnaissante de cette coopération.

4 Je voudrais souligner que pendant ma mission, et cela depuis

5 le début, j'ai constaté une formidable coopération de tous les partis par

6 rapport au travail que je faisais. La Republika Srpska, la Bosnie-

7 Herzégovine, le gouvernement de Croatie, toutes ces parties concernées ont

8 dit qu'elles souhaitaient coopérer avec le rapporteur sur les Droits de

9 l'Homme. Il en a été de même pour la République Fédérative Yougoslave.

10 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez parlé de

11 Srebrenica et vous avez dit que là qu'il y avait la plus forte

12 concentration d'atrocités. Est-ce la pire des choses qui soit arrivée dans

13 ce conflit en Yougoslavie ?

14 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Oui. Si on regarde

15 les chiffres, on s'aperçoit que tout cela était très méthodique. Dans ma

16 mission, nous considérons chaque cas individuel aussi important que ce qui

17 s'est passé collectivement, chaque cas de torture doit avoir toute son

18 importance. Mais si nous regardons l'ensemble de la situation, on ne peut

19 peut-être pas dire que cela ait été la pire des choses qui soient

20 apparues.

21 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez douze

22 enquêteurs sur le terrain, au sein de votre mission. Ont-ils pu, eux,

23 constater combien il y a eu de morts à Srebrenica ?

24 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Je vais essayer de

25 vous expliquer comment nous fonctionnons. Ma mission couvre tout le

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1 territoire de l'ancienne Yougoslavie. Nous avons des représentants sur le

2 terrain à Zagreb et à Belgrade, à Skopje, à Mostar, à Sarajevo et à Banja

3 Luka où c'est plus récent. Nous avons des bureaux dans toutes ces villes

4 avec des représentants, donc nous n'avons pas beaucoup de personnels.

5 Nous partons du principe qu'il est nécessaire de coopérer.

6 Nous avons continuellement entendu parler de l'absence de coopération, de

7 la carence de coopération dans la Communauté internationale au niveau de

8 l'aide humanitaire. Mais nous, nous coopérons très bien avec les

9 organisations internationales. La Croix-Rouge, par exemple, est l'une des

10 organisations avec laquelle nous travaillons le plus étroitement, ainsi

11 qu'avec le Haut-commissariat évidemment, l'OSE, le CMM. Chaque fois, nous

12 vérifions la véracité des informations. C'est comme cela que nous avons

13 procédé et essayé de vérifier les estimations de victimes qui sont mortes.

14 Tout cela, nous le faisons en coopération avec la Croix-Rouge. Là, nous

15 sommes arrivés avec 8 000 personnes, tuées probablement, en tout cas au

16 moins 3 000.

17 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez parlé

18 d'enfants.

19 D'après les dépositions que nous avons pu recueillir à

20 Srebrenica, seuls les hommes entre seize et soixante ans ont été capturés

21 et amenés par les autocars à ces sites d'exécution ou ailleurs. On n'a pas

22 mentionné d'enfants dans ces exécutions. Avez-vous rencontré des cas de

23 tortures ou d'exécutions d'enfants ?

24 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - J'ai entendu parler

25 de cas concernant des enfants de moins de seize ans, surtout de garçons de

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1 quinze ans enlevés à leur mère, puisque leur mère nous l'ont fait savoir.

2 Il y a certainement eu des cas concernant des enfants plus jeunes.

3 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Ces jeunes enfants,

4 s'ils n'étaient pas mis dans les autocars, ce n'est pas une preuve. Nous

5 en avons eu des preuves de mères qui tenaient leurs petits enfants dans

6 leurs bras qui ont été égorgés dans leur bras. En tout cas un cas a été

7 rapporté.

8 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Je pense qu'il y a

9 eu un grand nombre d'enfant de moins de seize ans qui ont été pris, mais

10 en termes d'exterminations nous ne savons pas à quelle échelle cela se

11 situe. Il y a probablement eu quelques cas individuels, mais cela suffit.

12 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez parlé du

13 viol comme un des formes de nettoyage ethnique. Etes-vous arrivé à la

14 conclusion que le viol a été utilisé comme moyen efficace de nettoyage

15 ethnique ?

16 Mme Rehn (interprétation de l'anglais). - Il s'agit en fait de

17 combiner tous les moyens de terroriser les gens pour qu'ils quittent leur

18 maison et qu'ils s'enfuient pendant ces conflits.

19 Comme je l'ai déjà dit, plusieurs méthodes ont été utilisées :

20 les travaux forcés, le viol, le pillage, l'incendie. Mais le viol est une

21 des méthodes très fréquemment utilisées par les différentes parties au

22 conflit.

23 J'ai rencontré une organisation à Banja Luka qui s'occupe de

24 femmes violées, ce qui ne donne pas une très bonne idée du monde dans

25 lequel nous vivons.

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1 Elles ont voulu me rencontrer. Il y avait parmi elles de très

2 jeunes filles. Elles venaient de différentes parties de la Bosnie-

3 Herzégovine et appartenaient à des groupes ethniques différents. Elles ont

4 voulu me parler de femme à femme. Je dois vous dire que ce qu'elles m'ont

5 dit, ce que j'ai entendu est probablement le pire que j'aie jamais

6 entendu. La manière dont les soldats ont violé ces femmes devant leurs

7 enfants -et cela a été probablement le pire pour elle- est quelque chose

8 qui ne devrait jamais se produire. C'était un moyen de faire en sorte que

9 les gens quittent leurs maisons parce qu'ils ne pouvaient plus rester là

10 et qu'ils étaient terrorisés. Surtout les femmes qui vivaient seules. Même

11 si elles verrouillaient toutes leurs portes, elles pouvaient être sûres

12 qu'il y aurait des hommes qui s'introduiraient dans leur maison pendant la

13 nuit.

14 M. RIAD (interprétation de l'anglais). - Je vous remercie.

15 M. le Président. - Madame Rehn, quelques brèves questions. A

16 propos du rapport de Tadeusz Mazowiecki, vous avez dit au tout début -et

17 vous avez tout de suite pris parti- qu'il n'était pas content et que vous

18 avez partagé les sentiments du président Mazowiecki. Or vous veniez

19 d'arriver. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous partagez tout de

20 suite, spontanément, les sentiments de Tadeusz Mazowiecki ?

21 Mme Rehn (interprétation de l'anglais).- Excusez-moi, je n'ai

22 pas bien compris, monsieur le Président. Pourriez-vous répéter, s'il vous

23 plaît ?

24 M. le Président. - Vous avez débuté votre exposé en relatant

25 les conditions dans lesquelles vous avez succédé à Tadeusz Mazowiecki à la

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1 tête de la Commission. Vous avez tout de suite fait part, très

2 spontanément, de la colère, du mécontentement de Tadeusz Mazowiecki et

3 vous avez tout de suite dit que vous partagiez son sentiment. Or vous

4 venez d'arriver. Sur quoi et en quoi partagez-vous ce sentiment ?

5 Mme Rehn (interprétation de l'anglais).- D'abord, je l'ai

6 respecté énormément en tant que personne, en tant qu'être humain. J'ai

7 beaucoup apprécié les rapports qu'il soumettait et je les ai lus pour me

8 documenter sur ce que j'allais faire sur place. Mais je ne savais pas ce

9 que j'allais rencontrer. Maintenant, je peux le savoir et je le sais très

10 bien. J'ai surtout partagé son point de vue selon lequel, en effet, il

11 faudrait entreprendre quelque chose de courageux et de spectaculaire afin

12 que le reste du monde braque son attention sur ce qui s'est passé, comme

13 dans le cas de Srebrenica.

14 J'ai beaucoup appris sur ces choses-là dès le début et j'en

15 suis venue à partager certaines de ses positions, même si je n'étais pas

16 sur place à l'époque. Mais depuis, il y a des événements qui sont devenus

17 réalité et des choses dont j'ai moi-même eu connaissance sur place.

18 M. le Président. - Merci. Toujours à propos de cette

19 Commission, depuis votre arrivée, vous avez observé, comme vous dites,

20 vous avez étudié, vous avez eu toutes ces missions qui sont localement

21 bien postées. Avez-vous été amenée depuis septembre 1995, date à laquelle

22 vous avez été nommée, à corriger les conclusions des différents rapports

23 Mazowiecki et notamment estimez-vous qu'il y a des erreurs, des

24 imprécisions qui vous apparaissent et dont vous aimeriez parler devant le

25 Tribunal ou, au fond, estimez-vous qu'il n'y a pas d'erreurs, il n'y a pas

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1 d'imprécisions ?

2 Mme Rehn (interprétation de l'anglais).- C'est une question à

3 double sens, monsieur le Président. Je n'ai pas besoin de corriger Tadeusz

4 Mazowiecki. Je crois même qu'il ne faudrait pas que je songe à le faire.

5 Mais il y a des choses qui se passent, qui continuent. Certaines choses,

6 qui pouvaient être évidentes à l'époque, pourraient peut-être être

7 complétées par des preuves nouvelles, postérieures. Mais ces nouvelles

8 preuves, je ne les ai pas trouvées. Peut-être que des preuves nouvelles ne

9 corroboreraient pas parfaitement ce qui a été dit, mais ces rapports sont

10 très détaillés et, dans mes deux premiers rapports, il y a des paragraphes

11 très détaillés, relatant exactement comment les choses se sont passées, ce

12 qui s'est produit, combien de personnes ont été prises, emmenées, combien

13 de personnes se sont noyées en traversant une rivière parce qu'elles ne

14 pouvaient éventuellement pas nager, et ainsi de suite. Par conséquent, je

15 suis rentrée dans les menus détails des différents événements et actions.

16 Ces détails, on ne peut pas les corriger. Ils restent tels

17 quels. Mais pour ce qui est des conclusions, elles pouvaient être ou ne

18 pas être exactes, oui. Pour ma part, j'ai dû tirer mes propres

19 conclusions. On travaillait dans une situation différente avant les

20 accords de Dayton. A l'heure actuelle, il y a une volonté de la part des

21 trois parties. Espérons que cette volonté persiste. J'espère que les trois

22 parties au conflit essaieront de faire quelque chose de positif.

23 Par conséquent, les circonstances ont changé et, évidemment,

24 s'il y a des développements nouveaux, je les refléterai dans mon rapport,

25 mais pas dans le sens de corriger le respecté Président Mazowiecki.

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1 M. le Président. - Vous avez été nommée en septembre 1995,

2 donc trois mois après les événements de Srebrenica. Ma question :

3 Srebrenica était-il évitable ?

4 Mme Rehn (interprétation de l'anglais).- Aujourd'hui, on ne

5 peut que l'espérer. J'ai lu attentivement, comme je l'ai dit, les rapports

6 sur Srebrenica, notamment le rapport néerlandais qui fait plusieurs

7 centaines de pages. J'ai été très engagée dans ces opérations de paix à

8 l'époque où j'étais ministre de la Défense, et je connais bien la question

9 de la préservation de la paix. C'est un mauvais mélange que ce mélange

10 d'opérations civiles et militaires pour assurer la protection contre des

11 frappes aériennes. Par conséquent, il fallait concrétiser, matérialiser

12 ces ordres. Monsieur Akashi(?) donnait des ordres. Et, évidemment, il y

13 avait toutes ces décisions qu'il fallait exécuter, dont la réalisation

14 était partagée en quelque sorte entre militaires et civils, ce qui,

15 évidemment, alourdissait les procédures, lesquelles ne pouvaient pas

16 toujours être efficaces.

17 Je me suis intéressée à la situation du bataillon néerlandais.

18 A l'heure actuelle, je ne peux pas accuser l'un quelconque des soldats de

19 la paix, des Casques bleus, concernant la façon dont il a exécuté le

20 mandat qui lui était confié et dire qu'il aurait pu recourir à la force

21 uniquement pour son autodéfense, et c'est là une règle qui régit les

22 opérations des Casques bleus. Je pense qu'il faudrait qu'il y ait

23 davantage de comportements régis par des règles plus équitables, et ainsi

24 de suite.

25 Mais ce n'est que théorie, spéculation. Je ne sais qu'une

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1 seule chose, c'est que c'est quelque chose qui a été mal préparé par la

2 direction des Nations Unies. On n'aurait peut-être pas dû créer des zones

3 de sécurité si on n'était pas en mesure de les protéger. Par conséquent,

4 on aurait dû veiller à leur protection et ce que nous faisions, nous, de

5 part et d'autre, nous qui fournissions nos troupes, nous ne pouvions pas

6 faire davantage. On savait que la protection assurée n'était pas

7 suffisante, et je parle là de ces différentes zones de sécurité.

8 Par conséquent, les réponses sont possibles. On peut dire que

9 Srebrenica aurait pu être évité si les choses avaient été faites d'une

10 manière plus juste, etc. Mais, de toute évidence, nous devons tout de même

11 quelque chose à ceux qui ont échappé aux événements de Srebrenica. Il faut

12 faire quelque chose pour eux.

13 M. le Président. - Je poserai une dernière question. Vous avez

14 parlé de l'implication de l'Eglise, vous avez parlé des autorités morales

15 qui, semble-t-il, d'après vous, n'ont pas joué un rôle modérateur dans le

16 conflit. Ma question est celle-ci. Vous allez en ce moment sur le terrain,

17 vous nous avez parlé de l'avenir. Avez-vous le sentiment que, dans la

18 population de ces territoires -je parle du territoire serbe, mais je

19 pourrais parler des autres- il y a un changement dans les opinions, qu'on

20 a bougé, que cette guerre malheureuse a permis de faire évoluer les

21 mentalités ou, au contraire, avez-vous le sentiment que les armes ne

22 demandent qu'à tirer à nouveau et que les populations ne demandent à

23 nouveau qu'à rouvrir le conflit ? Quel est votre sentiment ? C'est ma

24 dernière question.

25 Mme Rehn (interprétation de l'anglais).- Merci, monsieur le

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1 Président. J'ai le sentiment que les gens simples veulent la paix. Ils

2 veulent absolument la paix. J'en suis sûre. Je ne suis pas féministe, mais

3 je m'appuie sur les femmes. Il y a des organisations non gouvernementales

4 qui sont absolument fantastiques : les différentes organisations de

5 femmes, les organisation de la jeunesse. Ce sont ces organismes qui

6 commencent à prendre le contrôle de la situation, à oeuvrer, qui ne

7 veulent plus compter uniquement sur l'appui des hommes politiques, etc.

8 Notamment, ces organisations veulent prendre la situation et

9 les choses en charge.

10 Si nous pouvons épauler -évidemment ce n'est pas une question

11 qui devrait être soulevée et débattue au sein de cette Chambre- ces

12 organisations qui commencent à travailler à partir de la base, en

13 rassemblant autour d'elles les citoyens, alors je pense qu'ils pourront

14 travailler ensemble. Je me demande ce qui se passerait si ceux qui n'ont

15 pas la paix au coeur reprenaient le pouvoir. Mais j'ai plutôt tendance à

16 faire confiance aux forces de la paix qu'aux secondes.

17 M. le Président. - Je constate que vous avez été pessimiste à

18 un moment donné de votre exposé et que vous êtes plutôt optimiste à la

19 fin. Le Tribunal vous remercie d'avoir répondu à son invitation.

20 Avant que vous ne vous retiriez, je me tourne vers le

21 Procureur. Souhaite-t-il vous poser des questions ?

22 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci monsieur le

23 Président. Je dois dire que nous avons écouté avec grand intérêt cette

24 présentation et nous n'avons pas de question.

25 M. Le Président. - Madame Rehn, le Tribunal vous remercie à

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1 nouveau. Je vais demander à monsieur l’Huissier de vous raccompagner.

2 (Le témoin est escorté hors de la salle d'audience.)

3 Monsieur le Procureur, vous pouvez faire introduire le témoin

4 suivant.

5 (M. Drazen Erdemovic est introduit dans la salle d'audience.)

6 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Notre témoin est

7 Drazen Erdemovic.

8 M. Le Président. - Monsieur le Procureur, souhaitez-vous

9 rappeler la situation actuelle de Drazen Erdemovic à l'égard du Tribunal

10 pénal international ?

11 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdemovic

12 a plaidé coupable dans le cadre des instances engagées contre lui et une

13 audience de sentencing a été confirmée, qui aura lieu à une date

14 ultérieure encore à décider.

15 M. Le Président. - Peut-on donner les écouteurs à

16 Drazen Erdemovic ? M’entendez-vous monsieur Erdemovic ?

17 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

18 M. Le Président. - La traduction en serbo-croate est-elle

19 assurée ?

20 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non, je n’ai

21 pas la traduction.

22 M. Le Président.- Maintenant, vous m’entendez bien. Vous allez

23 lire la déclaration qui vous est tendue par l’huissier.

24 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je déclare

25 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la

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1 vérité.

2 M. Le Président. - Monsieur Drazen Erdemovic, vous avez

3 souhaité répondre favorablement à la convocation et la citation à

4 comparaître en qualité de témoin dans les instances contre MM. Karadzic et

5 Mladic, citation à comparaître émanant du bureau du Procureur.

6 Vous avez réitéré cette volonté de témoigner lors d'une

7 récente conférence de mise en état.

8 J’entends que les choses soient très claires. Le procès en vue

9 d'une sentence éventuelle a été reporté par le Tribunal qui a demandé un

10 complément d'enquête médicale.

11 Cela étant, vous êtes un témoin du Procureur, vous avez

12 manifesté la volonté de témoigner. Votre avocat a manifesté aussi, dans la

13 défense de vos intérêts, et en accord avec vous-même, le souhait que vous

14 témoigniez. Il y a effectivement des règles très précises dans le

15 règlement du Tribunal pénal international qui stipulent qu'un accusé peut

16 bien sûr témoigner et que ceci peut éventuellement rentrer en

17 considération lors d'une instance future.

18 L'instance en vue d'une sentence a été reportée. Le Tribunal

19 donne la parole au Procureur pour votre témoignage.

20 Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). -Merci monsieur le

22 Président. Monsieur Erdemovic, m’entendez-vous ?

23 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

24 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Pouvez-vous dire

25 vos nom, prénoms et les épeler ?

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1 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je m'appelle

2 Drazen Erdemovic. Je suis né le 25 novembre 1971 à Tuzla. Je suis de

3 nationalité croate.

4 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Avant de vous

5 joindre à l'armée des Serbes bosniaques, faisiez-vous partie de la JNA ?

6 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

7 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Pendant combien de

8 temps ?

9 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Un an

10 régulièrement et quatre mois en réserve.

11 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quels étaient vos

12 devoirs et responsabilités au sein de la JNA ?

13 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je faisais

14 partie de la police militaire.

15 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Qu'en avez-vous

16 quitté la JNA ?

17 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Au mois de

18 mars 1992.

19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Vous avez fini par

20 vous joindre aux forces des Serbes bosniaques ?

21 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non.

22 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Avez-vous rejoint

23 les rangs de la Republika Srpska ?

24 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non, en

25 sortant de l'armée, la guerre a commencé en République de Bosnie-

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1 Herzégovine et j'ai été appelé sous les drapeaux au mois de juillet 1992

2 pour rejoindre l'armée de la Bosnie-Herzégovine, ce que j’ai fait.

3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - J'ai été un peu

4 rapide. J’ai anticipé une partie de votre témoignage. Pourriez-vous nous

5 indiquer la séquence des événements qui vous ont amené à rejoindre l'armée

6 des Serbes de Bosnie ?

7 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Au mois de

8 juillet, j'ai été appelé et j'ai rejoint l'armée de Bosnie-Herzégovine

9 dans laquelle j’ai passé trois jours. Ensuite à Tuzla s’est formé le

10 Conseil croate de la défense et j’ai rejoint le HVO où j’ai été dans la

11 police militaire près de Tuzla.

12 Je suis resté dans la HVO jusqu’au 3 novembre 1993. A cette

13 date, j’ai quitté Tuzla et je suis passé sur les territoires de la

14 Republika Srpska.

15 Ayant fait ce voyage avec mon épouse, je me suis retrouvé dans

16 la Republika Srpska. Un homme de nationalité serbe devait me transférer en

17 Suisse où étaient ses fils. Lui-même y avait travaillé longtemps.

18 Evidemment il ne s’est pas présenté et pour m'assurer un certain statut

19 comme Croate en Republika Srpska, j'ai dû me joindre à l'armée de la

20 Republika Srpska.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A quelle date ?

22 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Au bout de

23 quatre à cinq mois de mon séjour en Republika Srpska, à peu près en avril

24 1994.

25 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - A quelle unité

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1 avez-vous été affecté ?

2 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je me suis

3 présenté dans la circonscription militaire de Bijeljina. On m'a offert

4 deux possibilités et j'ai rejoint l'unité qui se composait déjà d'un

5 certain nombre de Croates, d'un Musulman et d'un Slovène.

6 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Enfin, quelle a été

7 l’unité à laquelle vous avez été affecté ?

8 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - A l'époque,

9 elle n'avait pas de nom, elle faisait partie du corps du quartier de

10 l'état-major de l'armée de la Republika Srpska. Elle était connue ensuite

11 comme l'unité de diversion, la dixième unité de sabotage de l'armée.

12 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Quel genre

13 d'activités et d'opérations exécutait cette unité ?

14 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Il s'agit

15 d'une unité qui faisait des opérations de reconnaissance des positions de

16 l'armée de Bosnie-Herzégovine en profondeur et en largeur de la ligne de

17 leur territoire.

18 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Quel a été votre

19 grade ?

20 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Au début je

21 faisais également des reconnaissances dans les territoires que je

22 connaissais, dans la direction de Tuzla. Et puis j'ai reçu le grade de

23 lieutenant et j’ai été stationné à Bijeljina.

24 M. Harmon (interprétation de l’anglais). -Est-ce-que c'était

25 le grade de sergent le plus élevé que vous avez eu dans le cadre de

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1 l'armée serbe bosniaque ?

2 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Pendant

3 deux mois j’ai été commandant de groupe. Je n’ai pas avancé parce que j'ai

4 exprimé mon désaccord avec certains ordres et j'ai été privé de mon

5 avancement en commandant de groupe, après avoir refusé d'accomplir une

6 mission, parce que cela pourrait entraîner des pertes humaines, des pertes

7 civiles.

8 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - A l'époque de

9 l'attaque des Serbes bosniaques sur Srebrenica, quel a été l'officier

10 commandant de votre unité ?

11 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Il s'agissait

12 du lieutenant Milorad Pelemis.

13 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - A qui le lieutenant

14 Pelemis devait-il présenter ses rapports si l'on pense à l'échelle

15 hiérarchique de l'armée serbe ?

16 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Il s'agissait

17 du colonel Salapura du centre de renseignements de l'armée des Serbes

18 bosniaques.

19 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Où le colonel

20 Salapura avait-il été affecté ?

21 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je l’ai déjà

22 dit, il exerçait les missions de renseignements dans le cadre du quartier-

23 général de l'armée de la Republika Srpska.

24 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Donc il faisait

25 partie du centre de renseignement du quartier-général de Hans-Pijesak ?

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1 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

2 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Si j'ai bien

3 compris, monsieur Erdemovic, votre unité de sabotage a été subordonnée

4 directement au commandement central qui se trouvait à Hans-Pijesak.

5 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

6 M. Harmon (interprétation de l’anglais). -- Est-ce-que votre

7 unité de reconnaissance était la seule unité de ce type dépendant de

8 l'état-major de l'armée déserte de Bosnie ?

9 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Pour autant

10 que je sache, je pense que c'était le cas.

11 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Au moment de

12 l'attaque contre Srebrenica, en juillet 1995, combien d’hommes y avait-il

13 dans votre unité ?

14 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Dans notre

15 unité, il y avait d'après ce que je crois -mais je ne le sais pas

16 exactement- une soixantaine d'hommes. Pendant l'attaque contre Srebrenica,

17 je crois que trente hommes ont participé, je n'en suis pas sûr, mais je

18 crois que les autres avaient une autre affectation.

19 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Monsieur Erdemovic,

20 le 10 juillet votre unité a-t-elle reçu l'ordre de participer à une

21 opération militaire des Serbes bosniaques contre l'enclave de Srebrenica ?

22 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

23 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Quels ont été vos

24 ordres ?

25 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Le

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1 10 juillet, nous sommes allés à la caserne pour effectuer nos tâches

2 quotidiennes. J'y suis arrivé vers 15 heures et à ce moment-là on m'a dit

3 qu'il fallait préparer mes affaires et que dans quelques heures, nous nous

4 dirigerions vers Zvornik. Lorsque nous sommes arrivés à Zvornik, on nous a

5 ordonné d'aller à Bratunac et d'attendre des ordres ultérieurs sur place.

6 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Avez vous reçu

7 d'autres ordres, monsieur Erdemovic ?

8 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Nous avons

9 tous reçu des ordres ultérieurs. Nous avons quitté Bratunac pour nous

10 rendre vers Srebrenica. Nous nous sommes arrêtés dans un champ et nous

11 avons passé en ce lieu la nuit du 10 juillet. A ce moment-là, le

12 commandant Milorad Pelemis nous a dit que nous passerions la nuit sur

13 place et que le lendemain matin, nous recevrions des ordres

14 supplémentaires.

15 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Vous a-t-il apporté

16 des ordres supplémentaires ?

17 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

18 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Lorsqu'il est

19 arrivé le matin du 11 juillet, quelle était la nature de ces nouveaux

20 ordres qu'il vous a transmis ? Quels étaient ces nouveaux ordres ?

21 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Il a déclaré

22 qu’en tant qu’unité dépendante de l'état-major, nous avions reçu l'ordre

23 de pénétrer dans la ville de Srebrenica.

24 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Avez-vous respecter

25 ces ordres ?

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1 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

2 M. Harmon (interprétation de l’anglais). -Lorsque vous avez

3 pénétré dans la ville de Srebrenica, vous êtes-vous heurté à une

4 quelconque résistance ?

5 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non.

6 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Y avait-il des

7 civils à Srebrenica lorsque vous y avez pénétré ?

8 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, il y

9 avait des civils, pour la plupart des personnes âgées.

10 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Quel était le

11 nombre approximatif de civils que votre unité a rencontrés sur son chemin

12 lorsqu'elle a pénétré dans la ville de Srebrenica ?

13 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Il n'y en

14 avait pas beaucoup. Je ne sais pas quel était leur nombre exact, mais il

15 n'était pas élevé.

16 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Très bien. Qu'avez

17 vous fait avec ces civils ?

18 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Moi,

19 personnellement, ainsi que les collègues qui se trouvaient avec moi, nous

20 sommes adressés à ces civils comme on nous l'avait ordonné et nous leur

21 avons demandé de se rendre au terrain de football de Srebrenica.

22 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Avez-vous également

23 rencontré un jeune homme d'environ trente ans ?

24 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

25 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - J'aimerais vous

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1 renvoyer quelques instants en arrière. Aviez-vous reçu des ordres relatifs

2 à ce que vous étiez censés faire avec les civils que vous risquiez de

3 rencontrer dans la ville de Srebrenica ?

4 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, on nous

5 a dit très clairement qu'il ne fallait pas toucher aux civils.

6 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Qui vous a dit

7 cela ?

8 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Milorad

9 Pelemis.

10 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Ces ordres ont-ils

11 été respectés s'agissant de ce jeune homme d'une trentaine d'années ?

12 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non. Le

13 lieutenant Milorad Pelemis a donné l'ordre à un homme de tuer ce jeune

14 homme.

15 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - A qui a-t-il donné

16 cet ordre ?

17 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je ne connais

18 que le prénom de cet homme. Il s'appelle Zoran. Je ne connais pas son nom

19 de famille.

20 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Est-ce-que Zoran a

21 obéi à l’ordre du lieutenant Pelemis ?

22 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

23 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Qu’a-t-il fait à ce

24 jeune homme ?

25 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Il l’a tué.

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1 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - C'était une

2 violation des ordres généraux que vous aviez reçus précédemment du

3 lieutenant Pelemis. Est-ce exact ?

4 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

5 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Cet homme tué par

6 Zoran a-t-il été le seul homme civil en âge de porter les armes que vous

7 avez rencontré à Srebrenica ?

8 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

9 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - En quel lieu dans

10 la ville de Srebrenica ce meurtre a-t-il eu lieu ?

11 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je crois que

12 cela s'est passé dans le centre de la ville, mais je ne le sais pas

13 exactement car je ne m'étais jamais rendu auparavant à Srebrenica. C'était

14 ma première visite dans cette ville.

15 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Est-ce-que le corps

16 est demeuré au vu de tous dans la rue, dans la ville de Srebrenica ?

17 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

18 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Plus tard au cours

19 de cette même matinée, monsieur Erdemovic, avez-vous eu l'occasion de voir

20 le général Mladic à Srebrenica ?

21 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, j'ai

22 reçu l'ordre du commandant de retourner à l'entrée de la ville, là où nous

23 avions pénétré dans la ville, et d'attendre moi-même, avec deux de mes

24 amis, l'arrivée du général Mladic pour en transmettre la nouvelle au

25 lieutenant Pelemis. Et c’est ce que j’ai fait lorsque le général Mladic

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1 est passé.

2 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Est-ce que le

3 lieutenant Pelemis a alors eu une conversation avec le général Mladic ou

4 a-t-il fait quoi que ce soit d'autre en rapport avec le général Mladic ?

5 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Vraiment je

6 ne sais pas car je n'étais pas présent au moment de leur rencontre, je ne

7 sais même pas s'ils se sont rencontrés.

8 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - A quel moment votre

9 unité a-t-elle quitté Srebrenica pour retourner à Vlasenica ?

10 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Le 12, aux

11 environs de midi ou au début de l'après-midi.

12 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Monsieur Erdemovic,

13 pour votre confort vous avez ici de l'eau et un verre. Si vous avez besoin

14 de boire un peu d'eau, n’hésitez pas. Etes-vous prêt à poursuivre ?

15 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Quelques

16 instants si c’est possible, j’aimerais tenter de me calmer. Je peux

17 poursuivre.

18 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Monsieur Erdemovic,

19 j’aimerais maintenant attirer votre attention sur le 16 juillet. Je vous

20 demanderai si le 16 juillet, vous-même et d'autres soldats de votre unité

21 ont reçu l'ordre de participer à un détail particulier ?

22 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Moi

23 personnellement, aucun ordre ne m'a été transmis. Mais le commandant du

24 groupe à l'époque, Brano Gojkovic a sans doute émis un ordre.

25 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Avez-vous reçu un

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1 quelconque ordre ce jour-là, relatif à la mission que vous avez finalement

2 accomplie ?

3 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

4 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - De qui avez-vous

5 reçu cet ordre ?

6 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Du commandant

7 du groupe, Brano Gojkovic.

8 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - J'ai mal commencé

9 ma question. Je la répète. Etait-ce lui qui régulièrement transmettait des

10 ordres de mission à votre unité ou était-ce une situation exceptionnelle ?

11 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, c'était

12 une exception. Notre unité était divisée en deux parties : une section

13 responsable de Vlasenica et l'autre de Bijeljina. Lui était à Vlasenica,

14 je ne sais pas exactement, mais il ne donnait jamais d'ordre à la section

15 de Bijeljina. Quant à la section de Vlasenica, je ne sais pas ce qu'il en

16 était.

17 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Monsieur Erdemovic,

18 d’où venaient normalement vos ordres ? Lorsque je parle de vos ordres, je

19 parle de ceux adressés à votre unité.

20 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Ils venaient

21 du centre de renseignement de l'état-major de Hans-Pijesak.

22 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - En réponse à

23 l'ordre que vous avez reçu le 16 juillet, monsieur Erdemovic, où vous

24 êtes-vous dirigés ?

25 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Nous sommes

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1 allés à Zvornik où Brano Gojkovic et le chauffeur se sont adressés à un

2 lieutenant-colonel dont je ne connais pas le nom.

3 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Savez-vous à quelle

4 unité militaire était associé ce lieutenant-colonel ou sous-lieutenant ?

5 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Il

6 appartenait sans doute au Corps de la Drina puisque c’est à Zvornik que

7 nous les avons trouvés.

8 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Avez-vous vu si le

9 lieutenant-colonel porter un uniforme particulier, des insignes

10 particuliers ?

11 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non, il

12 portait simplement un emblème ici. C'est comme cela que j'ai su qu'il

13 était lieutenant-colonel.

14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Est-ce-que ce

15 lieutenant-colonel était avec qui que ce soit d'autres ?

16 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non, lui,

17 Brano et le chauffeur... Oui, oui, il était escorté de deux membres de la

18 police militaire du Corps de la Drina également qui portaient un insigne

19 sur le bras gauche : l'emblème du Corps de la Drina.

20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Une conversation a

21 eu lieu entre Brano et le lieutenant-colonel. Après cela, que s’est-il

22 passé ?

23 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Ils nous ont

24 dit de nous asseoir dans le véhicule et de servir d'escorte aux personnes

25 qui étaient à bord de ce véhicule, à savoir le lieutenant-colonel et les

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1 deux membres de la police militaire. Nous avons emprunté le chemin de

2 Bijeljina et en chemin, nous nous sommes arrêtés dans une ferme, dans un

3 lieu appelé Pilica.

4 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdemovic,

5 je vais vous montrer deux photographies et vous demander si vous

6 reconnaissez ce qui figure sur celles-ci.

7 Madame et messieurs les Juges, nous avons des copies de ces

8 photos que nous soumettrons au Tribunal. Pourrait-on remettre ces copies

9 aux Juges, je vous prie ?

10 (Les copies des photographies sont remises aux Juges.)

11 Je voudrais vous montrer la première pièce à conviction, la

12 pièce n° 63, monsieur Erdemovic. Elle va apparaître dans quelques instants

13 sur votre écran. Monsieur Erdemovic, reconnaissez-vous ce qui figure sur

14 cette photo ?

15 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - De quoi s'agit-il ?

17 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - C’est la

18 ferme ou ce lieutenant-colonel nous a envoyés, la ferme qui se trouvait au

19 lieu appelé Pilica.

20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je voudrais vous

21 montrer maintenant la deuxième photographie, la pièce à conviction n° 64.

22 Je vous demanderai, monsieur Erdemovic, si vous reconnaissez ce qui figure

23 sur cette photographie.

24 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui c'est la

25 même ferme.

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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Très bien. Après

2 votre arrivée à cette ferme, M. Erdemovic, avez-vous reçu d'autres ordres

3 de vos supérieurs ?

4 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Moi

5 personnellement non, mais j'ai entendu la conversation qu’ont eues Brano

6 et le lieutenant-colonel et j’ai entendu qu’ils disaient que des autobus

7 allaient arriver à la ferme.

8 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - En rapport avec ces

9 autobus, avez-vous reçu des informations nouvelles ?

10 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Plus tard

11 lorsque le lieutenant-colonel est parti, Brano a dit que des autobus

12 allaient arriver, avec à bord des Musulmans de Srebrenica.

13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Vous a-t-il dit ce

14 que vous-même et les membres de votre unité étaient censés faire vis-à-vis

15 de ces Musulmans de Srebrenica ? Qu’a-t-il dit ?

16 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, il faut

17 abattre ces gens.

18 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Lorsque vous dites

19 ""il" a dit qu’il fallait les abattre" pour le dossier, pouvez-vous

20 identifier ce "il" en donnant son nom ?

21 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Brano

22 Gojkovic.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Vous avez dit que

24 des membres de votre unité étaient présents. Pouvez-vous identifier les

25 autres membres de votre unité qui étaient présents ?

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1 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, je le

2 peux. Etaient présents Koco Franica(?), Zoran Goronja, Stanko Savanovic,

3 Aleksander Cvetkovic, Marko Bozkic, Gorjan Lastimir(?), moi-même et Brano

4 Gojkovic.

5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Est-ce que les

6 autobus avec à bord des civils de Srebrenica sont arrivés à la ferme ?

7 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

8 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A quelle heure à

9 peu près le premier autobus est-il arrivé ?

10 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je ne le sais

11 pas exactement, mais je crois qu'il devait être entre 9 heures 30 et

12 10 heures du matin.

13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Les autobus qui

14 sont arrivés portaient-ils des indications particulières signifiant leur

15 origine ?

16 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, c’était

17 des autobus de la Compagnie Sarajevo Trans et de Zvornik.

18 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Lorsque le premier

19 autobus est arrivé, était-il empli d’hommes ?

20 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je ne sais

21 pas exactement s'il était plein, mais il y avait des gens à bord vêtus en

22 civil.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous dire à

24 la Cour à quelle tranche d'âge appartenaient ces personnes ?

25 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je ne sais

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1 pas exactement, mais je pense qu'ils avaient peut-être entre dix-sept et

2 soixante ans.

3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Dans chacun de ces

4 autobus avec des civils à bord, y avait-il des personnes armées qui

5 escortaient ces autobus ?

6 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, je le

7 pense, mais je ne le sais pas exactement. Je pense qu’il y avait

8 deux membres de la police militaire du Corps de la Drina.

9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ces autobus sont-

10 ils arrivés un par un à la ferme ou sont-ils arrivés en convoi ?

11 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Un par un.

12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Que s’est-il passé

13 lorsque les bus sont arrivés à la ferme ? Pouvez-vous décrire les

14 événements je vous prie ?

15 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Chaque fois

16 qu'un autobus arrivait à la ferme, comme je l’ai dit, le commandant du

17 groupe était Brano Gojkovic, il nous avait déployés en ligne. Deux membres

18 de la police militaire faisaient sortir par dix les Musulmans de

19 Srebrenica et Gojkovic et Zanica les amenaient jusqu'à cette ligne que

20 nous formions pour les abattre.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je vous demanderai

22 de vous concentrer sur le premier autobus. Les civils qui ont été amenés à

23 bord de cet autobus avaient-ils les yeux bandés ?

24 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui,

25 seulement dans le premier autobus.

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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Comment étaient

2 leurs mains ? Etaient-elles libres ou attachées ?

3 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Seuls ceux du

4 premier autobus avaient les mains attachées.

5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je comprends donc

6 que dans chacun des autres autobus qui sont arrivés le 16 juillet, les

7 civils n'avaient ni les yeux bandés, ni les mains attachées. C'est exact ?

8 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, c’est

9 exact.

10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Une fois que les

11 civils étaient arrivés et qu’on les faisait sortir de l’autobus, vers où

12 se dirigeaient-ils ?

13 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Ils se

14 dirigeaient vers le champ qui se trouvait à côté de la ferme.

15 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Où vous trouviez-

16 vous, vous et les autres membres du peloton, par rapport à l'endroit où

17 les prisonniers ont été amenés ?

18 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Nous étions

19 je crois à une centaine de mètres de l'endroit où ils se trouvaient dans

20 le champ.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Et lorsque les

22 hommes ont été mis en votre présence, à quelle distance de vous se

23 trouvaient-ils lorsqu’ils se sont arrêtés ?

24 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je crois à

25 une vingtaine de mètres.

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1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Vous faisaient-ils

2 face ou vous tournaient-ils le dos ?

3 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Ils me

4 tournaient le dos.

5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Qu’est-il arrivé à

6 ces civils ?

7 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - L'ordre nous

8 a été donné de tirer sur ces civils, c’est-à-dire de les exécuter.

9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Avez-vous suivi cet

10 ordre ?

11 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui, mais au

12 début j'ai protesté et Brano Gojkovic m’a dit que si je voulais partager

13 le sort de ces gens je pouvais m’approcher d’eux et me tenir dans la file

14 avec eux.

15 Je savais que ce genre de chose n'était pas inhabituel dans

16 notre situation. Il était fréquent de voir un commandant d'unité exécuter

17 n'importe quel soldat, si celui-ci mettait en cause la sécurité du groupe

18 ou pour toute autre raison. Il en avait le droit. Nous le savions. Si de

19 quelque autre manière un soldat s’opposait au dirigeant du groupe ou

20 insultait.... le lieutenant Pelemic.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Savez-vous combien

22 d'autobus sont arrivés à la ferme de Pilica le 16 juillet ?

23 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je ne sais

24 pas exactement, mais je crois qu'il y a eu quinze à vingt autobus.

25 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Est-ce que la même

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1 chose que ce que vous avez décrit il à l'instant est arrivée à tous ces

2 autobus ayant à bord des civils ? En d’autres termes, ont-ils exécutés à

3 la ferme de Pilica ?

4 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A quelle heure le

6 dernier autobus est-il arrivé à la ferme de Pilica ?

7 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je ne sais

8 vraiment pas exactement à quelle heure est arrivé le dernier autobus, mais

9 je sais qu’avant son arrivée, un groupe de dix soldats de Bratunac est

10 arrivé. Je ne peux pas dire exactement parce que je ne sais pas à quelle

11 heure il est arrivé. Peut-être aux alentours de 15 heures 30 à 16 heures.

12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Vous avez parlé

13 d'un groupe de soldats de Bratunac. Ils ont rejoint votre unité à la ferme

14 de Pilica ? Savez-vous de quelle unité particulière ils étaient membres ?

15 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A quelle unité

17 appartenaient-ils ?

18 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je ne sais

19 pas exactement à quelle unité ils appartenaient, mais je sais qu’ils

20 venaient de Bratunac.

21 M. Harmon (interprétation de l’anglais). - Faisaient-ils

22 partie de la brigade de Bratunac ?

23 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je crois que

24 oui.

25 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ont-ils agi d'une

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1 manière différente vis-à-vis des civils par rapport à l'attitude qu'ils

2 avaient envers les membres de votre unité ?

3 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui, ils se

4 sont défoulés sur ces civils, ils les ont frappés avec des câbles

5 métalliques, ils les ont forcés à faire toute sorte de choses : à se

6 courber à terre, à faire la prière musulmane.

7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Vous a-t-il

8 semblé, monsieur Erdemovic, qu'ils essayaient d'humilier certaines des

9 victimes avant de les tuer ?

10 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui. Je crois

11 même que certains des hommes de Bratunac connaissaient personnellement

12 certaines des victimes de Srebrenica.

13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdemovic,

14 vous avez dit que, chaque fois qu'un autobus arrivait, les prisonniers

15 étaient sortis de l'autobus par groupe d'environ dix hommes, amenés

16 jusqu'au champ et exécutés. Est-ce bien cela ?

17 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui.

18 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Qui gardait le

19 reste des civils toujours à bord des autobus au moment où tel ou tel

20 groupe de dix hommes était exécutés ?

21 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Deux membres

22 de la police militaire.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Savez-vous à quelle

24 unité particulière appartenaient ces membres de la police militaire ?

25 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui, ils

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1 portaient les emblèmes du corps de la Drina.

2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdenovic,

3 pendant le temps que vous avez passé ce 16 juillet à la ferme de Pilica,

4 avez-vous eu l'occasion de parler à l'une des victimes au cours de la

5 journée ?

6 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui. C'était

7 un homme âgé, je dirais qu'il avait entre 50 et 60 ans. Lorsqu'il est

8 sorti de l'autobus, il a immédiatement commencé à se plaindre en disant

9 qu'il avait sauvé des Serbes de Srebrenica qui se trouvaient actuellement

10 en République Fédérale de Yougoslavie, qu'il avait le numéro de téléphone

11 de ces gens et qu'il nous priait de lui laisser la vie sauve.

12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Après l'avoir

13 entendu, qu'avez-vous fait, monsieur Erdenovic ?

14 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- J'ai parlé à

15 Brano Gojkovic, je lui ai demandé de laisser cet homme en vie. Je

16 souhaitais sauver cet homme. J'avais tout simplement pitié de ces gens. Je

17 n'avais pas de raison de tirer sur ces gens et ils n'avaient rien fait de

18 mal, à mon avis.

19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelle réponse

20 avez-vous obtenue de Brano Gojkovic ?

21 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Qu'il ne

22 souhaitait avoir aucun témoin de ce crime.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Est-ce qu'il a

24 ensuite conduit cet homme vers le champ ?

25 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Ce n'est pas

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1 lui qui l'a emmené, c'est Gojan Lastimir(?) qui l'a emmené. J'ai fait ce

2 que j'ai pu auprès de lui, mais qu'est-ce que je pouvais ?

3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelle a été

4 l'attitude des autres membres de votre unité qui ont participé à ces

5 exécutions ?

6 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- L'attitude des

7 divers participants a été très comparable à la mienne, à savoir qu'ils

8 estimaient qu'il ne fallait pas faire cela. Et puis, qu'est-ce que j'en

9 sais ? Certains l'ont fait avec un sentiment de vengeance peut-être.

10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Certains des

11 membres de votre unité se sont-ils vantés des assassinats, des meurtres du

12 16 juillet ?

13 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui.

14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous

15 développer, je vous prie ?

16 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Il y avait un

17 homme qui racontait à tout un chacun que les Musulmans de Bosnie avaient

18 tué son frère de 16 ans et qu'il était heureux d'avoir pu se venger en

19 tuant 250 Musulmans de Srebrenica.

20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Il a dit qu'il

21 avait compté ?

22 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Permettez-moi de

24 vous demander, monsieur Erdenovic, quelle a été l'attitude des chauffeurs

25 des autobus qui ont conduit les victimes jusqu'à la ferme de Pilica ?

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1 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- C'était une

2 attitude très pénible. Je crois que ces gens ne savaient pas qu'on les

3 emmenait à une exécution. Je pense qu'ils croyaient qu'on allait les

4 échanger. C'est la promesse qui avait été faite. C'est ce que m'a dit cet

5 homme entre 50 et 60 ans avec lequel j'ai parlé. Mais Brano Gojkovic est

6 entré dans l'autobus, et a tendu au chauffeur une arme automatique -une

7 Kalachnikov-, et a ordonné à chacun des chauffeurs de tuer au moins un

8 Musulman de façon à lui interdire de pouvoir témoigner.

9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A votre

10 connaissance, monsieur Erdemovic, l'un des membres de la police militaire

11 qui a escorté ces autobus a-t-il participé à ces exécutions ?

12 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Ce jour-là, je

13 ne sais pas, je pense qu'ils ne l'ont pas fait.

14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdenovic,

15 pouvez-vous estimer le nombre de civils qui ont été tués par votre unité

16 et le nombre de civils qui ont été tués le 16 juillet, ce même jour, par

17 la brigade de Bratunac ?

18 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Environ un

19 millier ; 1 200 personnes peut-être, le 16 juillet. Je ne sais pas.

20 J'estime ce nombre en fonction de l'arrivée des autocars.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Etes-vous en mesure

22 d'estimer le nombre de personnes que vous avez tuées, vous,

23 personnellement ?

24 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Je ne sais pas

25 exactement. Je ne peux pas évaluer mais, pour être tout à fait franc, je

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1 préfère ne pas savoir combien de personnes j'ai tuées.

2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdenovic,

3 le 16 juillet, vous a-t-on dit ce que l'on ferait des cadavres qui se

4 trouvaient sur le champ dans lequel vous vous trouviez ?

5 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Lorsque le

6 lieutenant-colonel est arrivé à la fin, un des gardes qui gardaient la

7 ferme a dit que très probablement ces victimes seraient enterrées sur

8 place et que l'on amènerait des gens pour creuser des tranchées sur ce

9 terrain.

10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A-t-il dit quand

11 ces tranchées seraient creusées ?

12 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Non.

13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdemovic,

14 vous avez dit que le lieutenant-colonel que vous aviez vu ce matin-là

15 était revenu à la ferme alors que les exécutions étaient en cours. Est-ce

16 exact ?

17 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui, c'est

18 exact. Il est venu à la fin des exécutions.

19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A votre avis, a-t-

20 il vu tous ces morts qui jonchaient le site ?

21 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Ah oui,

22 certainement.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A-t-il dit quelque

24 chose en voyant ces corps ?

25 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Non, il n'a

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1 rien dit, il n'a pas fait de commentaires, mais il a dit qu'à Pilica, il y

2 avait encore 500 Musulmans de Srebrenica et que nous devions y aller pour

3 terminer le travail. J'ai dit que je ne voulais pas, que je ne voulais pas

4 tuer les gens et que je n'étais pas un robot qui exterminait les gens. Et

5 j'ai eu l'appui d'un certain nombre de gens de mon unité. Et ce sont les

6 gens de la brigade de Bratunac qui y sont allés.

7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous

8 indiquer, monsieur Erdemovic, les membres de votre unité qui vous ont

9 apporté leur appui pour refuser d'aller tuer les autres personnes à

10 Pilica ?

11 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Franc Kos,

12 Zoran Goronja et Marko Boskic.

13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourquoi avez-vous

14 refusé de suivre l'ordre qui vous était donné ?

15 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Tout

16 simplement parce que je n'en pouvais plus.

17 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdemovic,

18 vous avez dit que d'autres soldats avaient accepté d'exécuter cet ordre.

19 Est-ce exact ?

20 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- C'est exact,

21 oui. Ce sont les soldats de Bratunac qui sont partis immédiatement avec le

22 lieutenant-colonel.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Savez-vous où ils

24 sont allés ?

25 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui, j'ai

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1 entendu ce qu'a dit le lieutenant-colonel, à savoir qu'à Pilica il y

2 avait, dans le gymnase, 500 Musulmans qui essayaient de s'enfuir.

3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Etes-vous allé à

4 Pilica ce jour-là ?

5 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui,

6 Brano Gojkovic a dit que le lieutenant-colonel lui avait dit qu'il devait

7 participer à une réunion à Pilica. Nous sommes allés là où le lieutenant-

8 colonel nous avait dit d'aller et, en fait, c'était juste en face de ce

9 hall, de cet endroit. Et lorsque nous sommes arrivés et que nous nous

10 sommes présentés là où nous devions être, nous avons entendu des tirs et

11 le bruit de grenades qui explosaient dans le bâtiment.

12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A quelle distance

13 vous trouviez-vous de ce bâtiment, monsieur Erdemovic ?

14 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- A 70 ou

15 100 mètres.

16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Savez-vous si des

17 personnes ont été tuées à l'intérieur de ce bâtiment ?

18 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui,

19 probablement, ces personnes ont été tuées. Nous avons entendu des coups,

20 nous avons entendu des explosions.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdemovic,

22 après les événements que vous venez de décrire et qui se sont produits à

23 Pilica, votre unité est-elle retournée à Bijeljina ?

24 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- D'abord, nous

25 sommes allés à Vlasenitsa et là, ils nous ont dit que nous pouvions

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1 repartir à Bijeljina.

2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Et vous êtes

3 repartis à Bijeljina ?

4 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui.

5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Etes-vous rentré

6 chez vous ensuite ?

7 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui.

8 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Erdemovic,

9 peu de temps après les exécutions à la ferme de Pilica et après que vous

10 soyez rentré chez vous, un membre du dixième détachement de sabotage de

11 l'armée de Serbie a tiré sur vous -quelqu'un qui avait participé aux

12 exécutions-, et vous avez été très blessé à la suite de cette attaque ?

13 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Oui.

14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelle est la

15 personne membre du dixième détachement de sabotage qui a tiré sur vous ?

16 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Un homme qui

17 s'est vanté d'avoir tué le plus grand nombre de Musulmans,

18 Savanovic Stanko.

19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - J'ai terminé,

20 monsieur le président, l'interrogatoire de M. Erdemovic. Je vous remercie.

21 M. le Président. - Le Tribunal a-t-il des questions à poser ?

22 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Pas de

23 question.

24 M. le Président. - Monsieur Erdemovic, le questionnement du

25 procureur est terminé, mais le Tribunal a peut-être quelques questions à

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1 vous poser ; préférez-vous que nous fassions une pause avant de vous poser

2 quelques questions ?

3 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Non, monsieur

4 le président, je préférerais terminer cela aussi rapidement que possible

5 parce que c'est très dur pour moi ; je préfère donc que l'on continue.

6 M. le Président. - C'est ce dont je me doutais. Je demande

7 donc à ma collègue, qui n'a pas de question. Monsieur le juge, avez-vous

8 des questions à poser ?

9 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Monsieur Erdemovic,

10 lorsque vous êtes entré dans Srebrenica, vous avez dit que vous aviez

11 rencontré un certain nombre de personnes, principalement des personnes

12 âgées. Avez-vous rencontré des personnes armées dans Srebrenica lorsque

13 vous y êtes entré et quel pourcentage de personnes armées avez-vous

14 rencontré ?

15 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Non, il n'y a

16 eu aucune résistance quand nous sommes rentrés dans la ville, pas un seul

17 homme armé.

18 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Vous avez parlé de cet

19 homme qui a été massacré devant vos yeux. Pourquoi l'a-t-on choisi ?

20 S'agissait-il de faire un exemple devant la population ou avait-il fait

21 quelque chose qui lui a valu cela ?

22 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Je ne sais

23 pas. Je ne sais pas pourquoi il a été choisi ni pourquoi on a fait cela.

24 Je pense que cela était dû au fait que cet homme était en fait en âge de

25 servir dans l'armée.

Page 867

1 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Pendant toute cette

2 période, avez-vous vu le général Mladic ou avez-vous entendu d'autres le

3 citer ?

4 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Je l'ai vu

5 simplement passer dans le véhicule dans lequel il se trouvait en entrant

6 dans Srebrenica. Je ne l'ai pas personnellement entendu donner des ordres.

7 Et j'ai entendu que d'autres l'avaient vu.

8 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Excusez moi, mais je

9 dois revenir aux exécutions. Vos hommes se sont-ils assuré que tout le

10 monde avait bien été exécuté et qu'il n'y avait pas de survivants avant de

11 quitter les lieux ?

12 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).-

13 Personnellement je n'ai pas fait cela. Et je ne pense pas qu'il y ait eu

14 de vérification parce que c'était assez horrible. Non, nous n'avons pas

15 vérifié.

16 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Ma dernière question :

17 vous avez dit qu'après avoir quitté la ferme de Pilica, Stanko vous avait

18 tiré dessus. Pourquoi vous a-t-il tiré dessus ?

19 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate).- Je suppose que

20 quelqu'un, et je suppose que c'est Brano Gojkovic, avait fait savoir

21 comment je m'étais comporté sous son commandement. Et ils en ont très

22 probablement conclu que je n'étais pas capable de supporter cela -je ne

23 sais pas- et que peut-être je ferais ce que je fais aujourd'hui, c'est-à-

24 dire témoigner contre eux.

25 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Que s'est-il passé

Page 868

1 après que l'on vous ait tiré dessus de cette manière ?

2 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - En fait, ce

3 n'est pas seulement sur moi que l'on a tiré, mais aussi sur deux autres

4 collègues qui s'étaient opposés aux ordres du commandant et d'autres de

5 notre unité.

6 Ce qui m'a sauvé, c'est le commandant-adjoint de mon unité qui

7 a demandé au docteur, quand je suis arrivé à l'hôpital, de m'opérer

8 immédiatement. Mais l'opération à Bijeljna pas réussi. Il a à nouveau

9 expliqué au médecin dans quelles circonstances j'avais été blessé, qu'il

10 avait été blessé, qu'un autre collègue avait été blessé et j'ai été

11 transféré à l'hôpital de Belgrade où j'ai été réopéré.

12 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Vous avez dit qu'en

13 avril 1994, vous étiez entré dans l'armée des serbes bosniaques.

14 Vous, croate, qu'est-ce qui vous a poussé à cette démarche ?

15 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - La guerre en

16 Bosnie Herzégovine été horrible.

17 J'étais d'abord dans l'armée des Musulmans bosniaques, ensuite

18 des Croates bosniaques et enfin des Serbes bosniaques. Je ne voulais pas

19 être dans l'armée, mais je n'avais pas d'autres choix, d'autres

20 possibilités. Il fallait que je sois dans l'armée pour pouvoir m'assurer

21 un peu de sécurité. J'avais ma femme avec moi qui était enceinte. La seule

22 certitude que je pouvais avoir était d'être dans l'armée.

23 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Merci.

24 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Merci

25 M. le Président. - Monsieur Drazen Erdemovic, deux questions.

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1 Quelle arme portiez-vous lors de l'exécution ? Fusil, fusil mitrailleur,

2 pistolet mitrailleur ?

3 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Des fusils

4 automatiques et des kalachnikovs.

5 M. le Président. - Les personnes étaient abattues par

6 rafales ?

7 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Non, moi j'ai

8 tiré des coups individuels.

9 M. le Président. - Merci.

10 Ma dernière question

11 Pourquoi avez-vous souhaitez témoigner ? A quels sentiments

12 cela correspond-il chez vous en ce moment devant le Tribunal Pénal

13 International.

14 M. Erdemovic (interprétation du serbo-croate). - Je souhaitais

15 témoigner pour ma conscience parce qu'avec tout ce qui s'est produit -et

16 je ne voulais pas que cela se produise-, j'ai été forcé de participer, je

17 devais choisir entre sauver ma vie ou celle de ces gens.

18 Et si moi j'avais été tué à ce moment-là, cela n'aurait pas

19 changé la destinée de ces gens car celle-ci était décidée par des gens qui

20 étaient bien plus haut placés que moi. Et comme je l'ai déjà dit, ceci a

21 complètement détruit ma vie. C'est la raison pour laquelle je souhaitais

22 témoigner.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

24 Président, je n'ai pas d'autres questions à poser à M. Erdemovic. Je

25 voudrais le remercier d'avoir témoigné aujourd'hui.

Page 870

1 M. le Président. - Bien. Le Tribunal met fin à cette audition.

2

3 L'audience, suspendue à 16 heures 50, est reprise à 17 heures 15.

4 M. le Président. - Monsieur le Procureur, nous sommes donc

5 vendredi 5 juillet, à 17 heures 15. Comment se présentent la suite et la

6 fin de nos travaux, compte tenu d'un certain nombre de changements dus aux

7 circonstances ?

8 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Nous avons encore

9 un témoin à faire appeler, et nous aimerions vous donner lecture d'une

10 déclaration pour le compte-rendu. Je voudrais vous demander que ces

11 photographies, identifiées par le témoin précédent, soient versées au

12 dossier en tant que pièces 63 et 64. Ensuite, j'ai une série de

13 transcripts que j'aimerais également voir verser au dossier.

14 M. le Président. - Quel type de transcript, s'il vous plaît,

15 monsieur le Procureur ?

16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je parle, monsieur

17 le Président, des transcripts de James Gall(?), article 16, et puis

18 Gall(?) sur Vukovar - Nikolic (?) 61, et des témoignages d'un certain

19 nombre de témoins de l'affaire Talic.

20 M. Le Président. - Pour que le débat soit clair, je précise

21 que ce sont des transcripts qui proviennent d'autres audiences et que vous

22 souhaitez, en tant qu'accusation, déposer dans le dossier du tribunal.

23 Je crois que mes collègues ne voient aucun inconvénient à ce

24 que l’on dépose ces transcripts et que l’on accepte comme pièces à

25 conviction les deux photographies.

Page 871

1 En ce qui concerne l'ordonnancement de nos travaux, nous

2 allons entendre le dernier témoin. Nous allons écouter votre déclaration.

3 Je pense que nous pourrions interrompre ce soir, écouter vos déclarations

4 finales lundi matin à 10 heures, et ne pas siéger demain matin. Seriez-

5 vous d'accord sur ce programme ?

6 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Oui, monsieur le

7 Président.

8 M. Le Président. - Je sais que cela recueille l'accord de mes

9 collègues que j'avais préalablement consultés.

10 Dans ces conditions, monsieur le Procureur, vous avez la

11 parole jusqu'à 18 heures.

12 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci monsieur le

13 Président. Je voudrais faire appeler le dernier témoin : le chef de la

14 police de la ville de Tuzla.

15 (Le témoin est introduit dans la salle d’audience).

16 M. Le Président. - M’entendez-vous monsieur ?

17 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

18 M. Le Président. - Vous allez lire la déclaration qui vous est

19 tendue.

20 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Je déclare

21 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la

22 vérité.

23 M. Le Président. - Merci monsieur, vous pouvez vous asseoir.

24 Vous avez été cité à comparaître comme témoin par l'accusation. Je donne

25 donc la parole à monsieur le Procureur.

Page 872

1 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci monsieur le

2 Président. Veuillez bien nous indiquer votre nom, prénom et l’épeler.

3 Le Témoin. - Je m’appelle Pasaga Mesic.

4 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Voulez-vous bien

5 nous dire quelle est votre profession actuellement ?

6 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Je suis chef d'un

7 département de police à Tuzla, chargé de recueillir les faits sur les

8 crimes commis en Bosnie-Herzégovine.

9 M. Ostberg (interprétation de l’anglais).- Pourriez-vous nous

10 dire ce que les activités de ce département de police ont déjà couvertes

11 et notamment en ce qui concerne la localité de Srebrenica ?

12 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Mon département

13 couvre le département de la Bosnie de l'est, le département de Tuzla qui

14 couvre à côté de Tuzla, Srebrenica, Tuzla, Vlasenica et autres.

15 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci. Dans le

16 cadre de votre département, avez-vous essayé d'identifier les personnes

17 portées disparues ?

18 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

19 M. Ostberg (interprétation de l’anglais).- Comment l'avez-vous

20 fait ?

21 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Nous avons

22 entrepris cette opération de plusieurs manières, à l'arrivée des expulsés

23 de Srebrenica, après la prise de l'enclave de Srebrenica par l'armée

24 serbe, dans les localités frontalières où ces expulsés ont été installés.

25 Nous avons fait des enquêtes auprès de toutes les personnes

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1 majoritaires, et cette liste-enquête comprenait leur nom, les principales

2 données faites d'identification, et la question de savoir où se trouvaient

3 les membres de leur famille la plus proche. Ils nous citaient donc sous

4 cette rubrique les noms des personnes de leur famille qui étaient soit

5 retenues à Potocari, soit qui ont essayé de parvenir jusqu'au territoire

6 libre en passant par des forêts.

7 Une des questions dans le cadre de cette liste d'enquête était

8 relative à la violation des principes du droit de guerre international.

9 M. Ostberg (interprétation de l’anglais).- Avez-vous pu

10 établir le nombre de personnes qui sont venues des zones de sécurité

11 proclamées par les Nations Unies ?

12 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Après la collecte

13 de toutes ces données, de cette manière ou par d'autres procédures, nous

14 avons pu établir des estimations quant au nombre de personnes portées

15 disparues, parce que nous ne sommes pas encore en mesure d’établir des

16 statistiques complètes, d'enregistrer toutes les personnes portées

17 disparues, étant donné que pendant l'opération offensive de l'armée serbe

18 sur la zone de sécurité, quelque 6 500 personnes ont effectivement disparu

19 de l'enclave de Srebrenica.

20 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - . Quels sont les

21 moyens que vous avez utilisés pour établir ces estimations, à part les

22 instruments utilisés que vous venez de nous indiquer ?

23 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Nous avons

24 utilisé ces listes des personnes portées disparu, établies par le Comité

25 International de la Croix Rouge qui ont été remis à l'office d'échange de

Page 874

1 prisonniers dans le bureau de Tuzla.

2 Nous nous sommes également appuyés sur les données des listes

3 des personnes disparues, établies par les représentants des Opstina de

4 Srebrenica, Bratunac et Vlasenica.

5 Sur la base de toutes ces données, ainsi que sur la base des

6 déductions du nombre de personnes qui s'étaient rendues entre temps dans

7 les territoires libres, à la date de la remise des sept personnes aux

8 forces de l’IFOR en 1995, ce chiffre a été de 348 personnes portées

9 prisonnières.

10 M. Ostberg (interprétation de l’anglais).- Veuillez bien

11 répéter ce chiffre.

12 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - 9 349 personnes.

13 Etant donné que dans la même période, un certain nombre de

14 personnes étaient arrivées sur le territoire libre, en passant par des

15 embuscades et des pièges des Serbes, nous n'avons pas le chiffre exact, et

16 c'est un chiffre encore couvert par le secret militaire et qui ne peut

17 donc pas être divulgué. Mais sur la base des connaissances dont nous

18 disposons, nous pouvons estimer qu'il s'agit de 30 % du chiffre que je

19 viens de mentionner, c'est-à-dire que nous avons accueilli quelque 3 500

20 membres des forces armées. Si on déduit ce chiffre du premier chiffre que

21 j'ai mentionné, on pourrait dire qu'il s'agit de quelque 6 à 6 500

22 personnes portées disparues.

23 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). -Une autre

24 question : je dirige votre attention sur un autre point. Les responsables

25 du bureau du Procureur vous ont-ils présenté des photographies des

Page 875

1 prisonniers de l'enclave de Srebrenica ?

2 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

3 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Savez-vous

4 l'origine de ces photos ? D’où viennent-elles ?

5 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Je ne connais pas

6 l’origine, mais ces photographies ont été enlevées d'un film qui était en

7 possession de l'équipe d'enquêteurs du bureau du Procureur.

8 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Qu'est-ce qu'on

9 vous a demandé de faire avec les photos en question ?

10 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - L'équipe des

11 enquêteurs du Tribunal nous a demandés de procéder à l'identification des

12 personnes survivantes, étant donné qu'elle présentait des hommes qui, dans

13 la région de Potocari, de Srebrenica et ailleurs, séparaient les hommes et

14 les emmenaient vers une destination inconnue. (?)

15 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Quelles ont été

16 les méthodes que vous avez utilisées pour identifier ces personnes ?

17 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Nous avons

18 d'abord montré ces photos aux expulsés dans les centres de Srebrenica,

19 mais étant donné qu'il y a eu dispersion de ces personnes sur l'ensemble

20 du territoire de la partie libérée, et étant donné que l'identification

21 d'un certain nombre de personnes n'a pas pu être faite, il y a à peine

22 deux semaines et par l’intermédiaire de la télévision cantonale de Tuzla,

23 nous avons fait passer ces photographies et nous avons invité tous ceux

24 qui pourraient identifier quelqu'un à se rendre dans nos locaux officiels

25 et à procéder à une identification grâce aux albums de photographies qu'on

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1 pouvait leur présenter.

2 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Quel a été le

3 nombre de photographies qui vous a été remis ?

4 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). -

5 Trente photographies.

6 M. Ostberg (interprétation de l’anglais).- Etiez-vous en

7 mesure d'établir l'identité des personnes sur ces photos ?

8 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Oui. Nous avons

9 établi l'identité de vingt-huit personnes.

10 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci. Je vais

11 vous présenter un certain nombre de photos et nous allons voir ce qui a

12 été établi, en rapport avec les personnes figurant sur les photos. Il

13 s'agit de seize photos.

14 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Elle commence par

15 le 8 A. Le Tribunal peut-il voir ces photos ? Je vous demande maintenant

16 si vous pouvez identifier certaines personnes sur ces photos.

17 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - La personne que

18 j'indique est Sevko Mujic, fils de Omer. Il a été identifié par un voisin.

19 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous

20 dire quelque chose sur le sort de cette personne ?

21 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Il a disparu et

22 on ne sait rien à son sujet.

23 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il encore

24 quelqu'un que vous pourriez identifier sur cette photo et qui est cette

25 personne ?

Page 877

1 M. Mesic(interprétation du serbo-croate). - Ahmo Mehmedovic,

2 fils de Sulejman, âgé de 58 ans, identifié par un voisin.

3 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Son sort ?

4 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Disparu

5 également.

6 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - D'autres personnes

7 sur cette photo ?

8 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Cette

9 personne-ci, Meho Mehmedovic, fils de Sulejman, frère de Ahmo, 56 ans,

10 identifié par un voisin.

11 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Son sort ?

12 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Disparu.

13 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Ce sont des photos

14 qui ont été présentées par les enquêteurs, donc vous les avez vues, mais

15 nous les reprenons. Nous les représentons à nouveau aux fins de ce

16 témoignage.

17 Le 8 B, s'il vous plaît. Pouvez-vous identifier quelqu'un sur

18 cette photo ?

19 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Il s'agit de la

20 personne qui figurait déjà sur la pièce à conviction 8 A, il s'agit de

21 Meho Mehmedovic.

22 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Qui l'a

23 identifié ?.

24 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Il a été

25 identifié par un voisin, c'est-à-dire par deux personnes, pendant son

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1 séjour à Srebrenica.

2 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Que savez-vous de

3 lui ?

4 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Il a disparu.

5 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - La pièce 10 B,

6 s'il vous plaît.

7 Pouvez-vous identifier quelqu'un sur cette photo-ci ?

8 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Cette personne-ci

9 est Kasim Hafizovic, fils de Mehmed, âgé de 58, identifié par sa famille

10 proche.

11 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Que lui est-il

12 arrivé ?

13 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Disparu

14 également.

15 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il quelqu'un

16 d'autre sur la même photo que vous pourriez identifier ?

17 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Senahid

18 Hafizovic, fils de Mehmed, âgé de 58 ans. Egalement identifié par un

19 voisin, personne portée disparue.

20 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourrait-on passer

21 au 11 A, s'il vous plaît ? Nous pouvons voir deux personnes sur cette

22 photo. Pouvez-vous les identifier ?

23 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Oui La première

24 est Mesa Efendic, fils de Meho, âgé de 63, identifié par un voisin. Porté

25 disparu.

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1 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Deuxième

2 personne ?

3 M. Mesic(interprétation du serbo-croate). - Ibro Huseinovic,

4 fils d'Ahmo, âgé de 51 ans, identifié par un parent proche, figurant comme

5 personne portée disparue.

6 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Nous passons à la

7 pièce n° 12 B.

8 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Sur cette photo,

9 nous avons identifié cette personne seulement, Nazif Krdzic, âgé de

10 45 ans, identifié par un collègue de travail. Disparu également.

11 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pièce 13 A. Voyez

12 vous quelqu'un ?

13 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Bajro Malkic,

14 fils de Hilmo, âgé de 53 ans, identifié par un proche parent, figurant

15 comme personne portée disparue.

16 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous

17 identifier quelqu'un ?

18 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - La personne

19 suivante est Mevludin Pasagic, âgé de 56 ans, identifié par des parents

20 proches, personne portée disparue. Une autre personne sur la même

21 photographie, Hamza Gurdic, âgé de 52 ans, identifié par un ancien

22 collègue et figurant comme personne portée disparue.

23 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Je vous prie de

24 mettre la pièce 13 B.

25 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Sur cette

Page 880

1 photographie, nous voyons encore une fois Hamza Gurdic, déjà sur la pièce

2 à conviction 13 A, et cette personne-ci du nom d'Idriz Suljic, fils de

3 Saban, âgé de 60 ans, identifié par un ami figurant comme personne portée

4 disparue.

5 Cette personne-ci est connue comme étant Ibrahim Jelkic, fis

6 de Bahrija, âgé de 59 ans, identifié par un ami. C'est une personne portée

7 disparue également.

8 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci. Je vous

9 prie de passer la pièce 14 B. Reconnaissez-vous cette personne qui a été

10 forcée d'appeler ses amis qui se trouvaient de l'autre côté ?

11 (Signe d'acquiescement des juges)

12 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Ramo Osmanovic,

13 fils d'Omer, âgé de 42 ans, identifié par des parents proches, figurant

14 comme personne portée disparue.

15 Sur la même photo, nous avons identifié cette personne-ci il

16 s'agit de Miralem Mujic, fils de Rasim, âgé de 47 ans, identifié par un

17 parent proche figurant également comme personne portée disparue.

18 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Je vous prie de

19 faire passer la pièce 15 B.

20 Vous reconnaissez probablement qu'il s'agit de la personne qui

21 a été parmi les premières à être interviewées par la FORPRONU.

22 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Ramo Mustafic,

23 fils de Meho, âgé de 54 ans, identifié par de la famille sa plus proche.

24 Porté disparu également.

25 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - La pièce 16 A.

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1 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Sur cette

2 photographie, Salih Salihovic, âgé de 49 ans, identifié par un ami. Il

3 figure comme personne portée disparue.

4 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pièce 17 B.

5 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Sur cette

6 photographie, nous avons identifié deux personnes: Ramo Kabilovic, fils de

7 Hajro, âgé de 34 ans, identifié par des parents proches, personne portée

8 disparue.

9 Au milieu, derrière lui, se trouve sur le brancard Mujo

10 Mesanovic , fils de Abdulah, âgé de 22 ans, identifié par des parents

11 proches, porté disparu.

12 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pièce à conviction

13 18 A.

14 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Cette personne-ci

15 est Salih Ibisevic, fils de Ibrahim, âgé de 36 ans, identifié par des

16 parents proches, figurant comme personne portée disparue.

17 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - La pièce 19 B.

18 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Sur cette

19 photographie, nous avons identifié ce jeune homme. Almir Salcinovic fils

20 de Turabija, âgé de 21 ans, identifié par des amis, et Halil Gabeljic,

21 fils de Mahmut, identifié par des amis et figurant comme personne portée

22 disparue.

23 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - C'est le cas des

24 deux ?

25 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

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1 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Ceci nous amène à

2 la pièce 20 B.

3 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Cette personne

4 s'appelle Muhamed Malagic, fils de Ramiz, âgé de 23 ans, identifié par des

5 parents proches figurant comme personne portée disparue.

6 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Le 21 B, s'il vous

7 plaît.

8 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Sur cette

9 photographie, on a identifié Nezir Ibisevic, fils de Juso, âgé de 20 ans.

10 L'identification a été faite par des amis et il est également porté

11 disparu.

12 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Enfin la dernière

13 photographie, la pièce 22 B.

14 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Cette personne-ci

15 est Bajazit Delic, fils d'Amil, identifié par des parents éloignés,

16 figurant comme personne portée disparue. Enfin, le dernier, Mustafa

17 Mujcinovic, fils de Mujo, âgé de 38 ans, identifié par des connaissances,

18 figurant comme personne portée disparue.

19 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Toutes ces

20 personnes que vous avez identifiées figurent-elles encore parmi les

21 disparus ?

22 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Oui. Elles

23 figurent dans nos registres comme personnes portées disparues. On avait,

24 en effet, identifié 28 personnes, nous avons vu 26 personnes, dans la

25 mesure où deux personnes sont arrivées en territoire libre. Leurs

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1 photographies ne seront pas montrées pour des raisons de sécurité.

2 Il s'agit d'un homme âgé de 22 ans et d'un garçon qui a à

3 peine 14 ans.

4 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Tous les autres

5 ont disparu ?

6 M. Mesic(interprétation du serbo-croate). - Oui

7 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci beaucoup.

8 C'est la dernière question que je souhaitais vous poser.

9 M. le Président. - Mme le juge, vous avez une question à

10 poser.

11 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Merci,

12 Monsieur Mesic, vous avez cité le nombre de 6 000 à 6 500 portés disparu.

13 Pouvez-vous dire à la Cour combien, parmi ces personnes, sont

14 des femmes, des hommes ou des enfants ?

15 M. Mesic (interprétation du serbo-croate). - Non. En cet

16 instant même, je suis incapable de le faire car je ne connais pas le

17 nombre exact des disparus et encore moins la structure de ce total dans la

18 mesure où la comptabilisation des disparus est encore en cours. Le

19 gouvernement de Bosnie-Herzégovine a créé une commission chargée des

20 disparus qui doit participer à la détermination du nombre des disparus et

21 de la structure de ce total, à Srebrenica notamment.

22 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Mais cela

23 signifie que vous n'êtes pas en mesure de dire s'il s'agissait en majorité

24 de personnes âgées ?

25 Il s'agit en majorité d'hommes âgés de plus de 17 ans compte

Page 884

1 tenu du fait que la majorité des femmes et des enfants ont été transportés

2 par l'armée serbe hors de Srebrenica, après son entrée dans la ville.

3 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Merci, je

4 n'ai pas d'autres questions.

5 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Monsieur Pasaga Mesic,

6 obtenez-vous une coopération quelconque de la part des Serbes de Bosnie

7 dans vos recherches concernant ces personnes disparues ?

8 M. Mesic (interprétation du serbo-croate).- Non.

9 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Je vous remercie.

10 M. le Président. - Peut-être une simple question en m'excusant

11 de la poser parce qu'elle peut apparaître tout à fait de détail : je n'ai

12 pas bien saisi comment on pouvait identifier la personne qui était sur le

13 brancard.

14 M. Mesic (interprétation du serbo-croate).- La reconnaissance

15 de cette personne a été faite par des amis, des parents et des voisins.

16 A la suite de l'identification, toutes ces personnes ont

17 fourni une déclaration écrite qui garantit qu'elles ont toutes reconnu la

18 personne, et que c'est bien la personne dont j'ai cité le nom.

19 M. le Président. - Merci.

20 Je n'ai pas de questions particulières à poser.

21 Le Tribunal remercie le témoin d'avoir répondu à la citation à

22 comparaître émanant du bureau du procureur.

23 Votre tâche est très lourde. Elle sera très difficile. Chaque

24 pays, ayant vécu de très grandes conflagrations, des événements tragiques

25 -que ce soit d'ailleurs des guerres ou des accidents naturels-, connait

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1 ces longues périodes où on essaie de retrouver la trace des gens, pendant

2 des années et des années.

3 Une petite question : est-il envisagé des formes

4 d'indemnisation, des réparations ? Ceci est-il discuté dans le cas des

5 accords de Dayton ? Des investigations sont-elles faites, dans les travaux

6 de la commission qui a été créée, pour retrouver les biens mobiliers ou

7 immobiliers ? Une indemnisation quelconque est-elle prévue ?

8 C'est la dernière question que je voulais vous poser.

9 M. Mesic (interprétation du serbo-croate).- Je ne peux pas

10 répondre complètement à cette question car elle n'entre pas dans le cadre

11 des travaux qui sont les miens.

12 M. le Président. - Monsieur le procureur, le Tribunal n'a pas

13 d'autres questions à poser au témoin.

14 L'huissier va vous raccompagner, monsieur Mesic, et vous

15 remercie encore de votre contribution.

16 (Départ de M. Mesic)

17 M. le Président. - Monsieur le procureur, vous avez la parole.

18 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Merci, monsieur le

19 président.

20 S'agissant du contrôle des notification et de la connaissance,

21 le bureau du procureur a demandé aux Nations Unies des informations

22 relatives aux contacts ayant existé entre les représentants des Nations

23 Unies et les deux accusés, Radovan Karadzic et Ratko Mladic.

24 Nous avons reçu une déclaration des Nations Unies dont nous

25 aimerions donner lecture pour qu'elle soit versée au dossier. Nous

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1 fournirons ultérieurement à la Cour la version en anglais et une

2 traduction en français. Ce document constituera la pièce à conviction 65.

3 Le titre est :

4 Déclaration concernant les contacts entre des représentants

5 des Nations Unies, et Radovan Karadzic et Ratko Mladic.

6 Des responsables de haut rang des Nations Unies, civils et

7 militaires, ont eu des contacts fréquents pendant toute la durée du

8 conflit en Bosnie Herzégovine, tant avec Radovan Karadzic, dirigeant des

9 Serbes de Bosnie, qu'avec Ratko Mladic, dirigeant militaire des Serbes de

10 Bosnie.

11 Le Dr Karadzic a rencontré des responsables de haut rang des

12 forces du maintien de la paix des Nations Unies et de la FOR PRONU en

13 plusieurs occasions.

14 En plusieurs de ces occasions, chargé de négociations au plus

15 haut niveau au sein du gouvernement de la République de Bosnie Herzégovine

16 avec la FOR PRONU, le Dr Karadzic a signé des accords au nom de ce qu'on

17 appelle la Republika Srpska, qui ont ensuite été mis en oeuvre à des

18 degrés divers.

19 Plusieurs de ces accords officiels ont fait état de violations

20 du droit humanitaire et de la nécessité de respecter le droit

21 international. Le Dr Karadzic et le général Mladic se sont vu notifier, de

22 la part des responsables des forces de maintien de la paix des Nations

23 Unies et de la FOR PRONU, leur obligation de respecter les droits de

24 l'homme internationaux et le droit humanitaire sur divers points. Ces

25 accords et dispositions incluent les éléments suivants :

Page 887

1 - l'accord concernant la rotation des troupes de la FOR PRONU

2 à Srebrenitza et Zepa en janvier 1994 ;

3 - l'accord sur le cessez-le-feu aux alentours de Sarajevo, du

4 9 février 1994, à la suite des négociations conduites entre les

5 responsables de la FOR PRONU et le Dr Karadzic. A la suite de cet accord,

6 un cessez-le-feu a pris effet le 10 février 1994.

7 Le 18 février 1994, le Dr Karadzic a accepté des dispositions

8 relatives au contrôle des armes lourdes à l'intérieur de Sarajevo et aux

9 alentours. Et, deux jours plus tard, quelque 225 armes lourdes des Serbes

10 bosniaques ont été placées sous le contrôle de la FOR PRONU.

11 Au cours du pilonnage de Gorazde, aux alentours de la mi-avril

12 1994, des négociations ont été entreprises relatives aux otages de la FOR

13 PRONU et au cessez-le-feu dans la région. Là encore, le Dr Karadzic a

14 représenté les Serbes bosniaques à ces négociations. Un cessez-le-feu a

15 été mis en oeuvre ultérieurement et les otages ont été libérés.

16 En juin 1994, Karadzic a conduit une délégation de Serbes

17 bosniaques à des pourparlers à Genève concernant le retrait des troupes

18 serbes bosniaques de Goradze.

19 En août 1994, un accord partiel anti-tireurs isolés, résultant

20 des dispositions prises avec le Dr Karadzic et le général Mladic, a été

21 négocié pour Sarajevo.

22 Tant le Dr Karadzic que le général Mladic ont participé aux

23 négociations menées avec les forces de maintien de la paix des Nations

24 Unies, en octobre 1994, qui ont eu pour résultat la réouverture de

25 l'aéroport de Sarajevo aux vols des forces de maintien de la paix des

Page 888

1 Nations Unies, le 6 octobre.

2 Elles ont également eu pour résultat un accord sur la sécurité

3 des convois de carburants entrant dans Sarajevo, le 10 octobre.

4 Et un accord particulier a été conclu par le Dr Karadzic, le

5 22 octobre, autorisant le réapprovisionnement des convois de la FOR PRONU

6 et leur entrée dans Sarajevo, en date du 24 octobre.

7 A la fin de 1994, il a été négocié un arrêt des hostilités

8 sous l'égide de la FOR PRONU, et un accord a été conclu entre les Serbes

9 bosniaques, les Croates bosniaques et le gouvernement bosniaque. Le Dr

10 Karadzic et le général Mladic ont négocié et signé cet accord au nom des

11 Serbes de Bosnie.

12 Dans le courant de 1995, plusieurs rencontres ont eu lieu dans

13 le but d'élargir le champ d'application de cet accord et, tout au long des

14 négociations menées avec les forces de maintien de la paix des Nations

15 Unies et de la FOR PRONU, le Dr Karadzic et le général Mladic ont continué

16 à représenter l'entité dénommée Republika Srpska.

17 Outre les contacts établis au cours des négociations

18 concernant ces accords et ces dispositions, des plaintes concernant les

19 actions des forces serbes bosniaques (et de leurs défenseurs ?) ont été

20 exprimées fréquemment au Dr Karadzic, tant oralement que par écrit, par

21 les représentants des forces de maintien de la paix des Nations Unies et

22 de la FOR PRONU au plus haut niveau.

23 Des communications de ce type comportent des plaintes

24 concernant le nettoyage ethnique dû aux Serbes bosniaques, le blocage de

25 l'aide humanitaire, les tirs isolés et les pilonnages de Sarajevo ainsi

Page 889

1 que des zones de sécurité. Le Dr Karadzic a, en général, répondu à ces

2 communications, bien que ses réponses aient varié d'un incident à l'autre.

3 En septembre 1994, des protestations fermes ont été exprimées

4 par oral et par écrit à l'intention du Dr Karadzic, concernant le

5 nettoyage ethnique auquel il a été procédé dans la zone de Bijeljina où

6 des expulsions à grande échelle de civils se sont produites -civils aux

7 mains des Serbes bosniaques- et il a été indiqué au Dr Karadzic qu'il

8 avait la responsabilité de protéger les minorités se trouvant dans les

9 zones placées sous son contrôle.

10 Le Dr Karadzic a déclaré publiquement que de telles pratiques

11 n'étaient pas conformes à sa politique. Peu de temps après, il a prétendu

12 que le responsable de la police locale avait été limogé.

13 Lorsque des tirs d'armes lourdes importants se sont produits

14 aux alentours de Sarajevo en mai 1995, qui constituaient des violations de

15 l'accord de 1994, lorsque des otages de la FOR PRONU ont été saisis sur le

16 pont de Vorbanje, ainsi que d'autres otages de la même FOR PRONU ont

17 également été saisis, et pendant la chute de Srebrenica, en juillet 1995,

18 c'était au général Mladic, qui était le commandant, que les commandants

19 militaires les plus importants des forces de maintien de la paix des

20 Nations Unies et de la FOR PRONU adressaient leurs observations et leurs

21 plaintes.

22 Ces commandants supérieurs des forces de maintien de la paix

23 des Nations Unies et de la FOR PRONU avaient la très forte conviction que

24 Mladic était le commandant général des forces militaires des Serbes de

25 Bosnie.

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1 Ce document est signé de KOFI ANAN, sous-secrétaire-général

2 des opérations de maintien de la paix des Nations Unies.

3 M. le Président. - Merci, monsieur le procureur. Ce document

4 sera donc déposé au dossier.

5 Ainsi se termine -si j'ai bien compris-, l'audition de

6 l'ensemble des témoins. Monsieur le procureur, c'est bien ce que vous nous

7 avez affirmé ? L'audition des témoins se termine donc ? C'est cela ?

8 M. Ostberg (interprétation de l'anglais).- C'est cela,

9 monsieur.

10 M. le Président. - Nous allons donc ajourner nos travaux

11 jusqu'à lundi 10 h 00, où nous entendrons votre déclaration finale,

12 monsieur le procureur.

13 M. Ostberg (interprétation de l'anglais).- Oui.

14 M. le Président. - Dans ces conditions, l'audience est levée,

15 elle reprendra lundi 10 h 00.

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17 L'audience est levée à 18 h 00.

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