Affaire n° : IT-95-14/2-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Wolfgang Schomburg, Président
M. le Juge Fausto Pocar
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Mehmet Güney
Mme le Juge Inès Mónica Weinberg de Roca

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
26 mars 2004

LE PROCUREUR

c/

DARIO KORDIC
et
MARIO CERKEZ

____________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’APPELANT MARIO CERKEZ AUX FINS D’ADMISSION DE MOYENS DE PREUVE SUPPLÉMENTAIRES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 115 DU RÈGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

Les Conseils des Accusés :

MM. Mitko Naumovski, Turner T. Smith Jr et Stephen M. Sayers, pour Dario Kordic
MM. Bozidar Kovacic et Goran Mikulicic, pour Mario Cerkez

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la requête de Mario Cerkez aux fins d’admission de moyens de preuve supplémentaires en appel en application de l’article 115 du Règlement (Mario Cerkez’s Motion to Admit Additional Evidence on Appeal Pursuant to Rule 115, « la Requête »), déposée le 7 avril 2003 par Mario Cerkez, et le supplément à la Requête de Mario Cerkez aux fins d’admission d’un document en tant que moyen de preuve supplémentaire en appel (Mario Cerkez’s Supplemental Application for Admittance of One Document as Additional Evidence on Appeal, le « Supplément à la Requête »), déposé le  9 avril 2003,

ATTENDU que, le 12 mai 2003, l’Accusation a déposé à titre confidentiel sa réponse aux requêtes aux fins d’admission de moyens de preuve supplémentaires déposées par Mario Cerkez les 7 et 9 avril 2003 (Prosecution’s Response to the Motions to Admit Additional Evidence Filed by Mario Cerkez on 7 April 2003 and 9 April 2003 ),

ATTENDU que la réplique présentée par Cerkez à l’appui de ses requêtes aux fins d’admission de moyens de preuves supplémentaires en application de l’article  115 du Règlement (Cerkez’s Reply in Support of his Motions to Admit Additional Evidence Pursuant to Rule 115) a été déposée à titre confidentiel le 6 juin  2003,

ATTENDU que, le 17 avril 2003, Kordic a déposé ses conclusions relatives aux requêtes aux fins d’admission de moyens de preuve supplémentaires en application de l’article 115 du Règlement déposées par son co-accusé Mario Cerkez (Dario Kordic’s Submissions in Relation to Motions Filed by Co-Accused, Mario Cerkez, For Admission of Additional Evidence under Rule 115), et que, le 18 avril 2003, Kordic a déposé une réponse modifiée aux requêtes aux fins d’admission de moyens de preuve supplémentaires en application de l’article 115 du Règlement déposées par Cerkez (Amended Response to Cerkez’s Motions for the Admission of Additional Evidence under Rule 115), par laquelle il s’oppose à l’admission de plusieurs documents joints en annexe à la Requête et au Supplément à la Requête,

ATTENDU que, le 24 avril 2003, Cerkez a déposé sa réplique à la réponse modifiée de Kordic aux requêtes aux fins d’admission de moyens de preuve supplémentaires en application de l’article 115 du Règlement qu’il avait déposées (Mario Cerkez’s Reply to Kordic’s Amended Response to Cerkez’s Motions for the Admission of Additional Evidence under Rule 115),

ATTENDU que la partie de la Requête déposée ex parte fait l’objet d’une décision distincte,

ATTENDU que, pour que des éléments de preuve supplémentaires soient admis en appel, la partie requérante doit démontrer non seulement que ceux-ci « n’étaient pas disponibles au procès » sous quelque forme que ce soit1, mais aussi que l’exercice de la diligence voulue n’aurait pas permis de les découvrir 2, c’est-à-dire montrer (notamment) qu’elle a eu recours à « tous les mécanismes de protection et de contrainte prévus par le Statut et le Règlement du Tribunal international afin de présenter les moyens de preuve à la Chambre de première instance »3,

ATTENDU que le conseil doit signaler à la Chambre de première instance toutes les difficultés empêchant d’obtenir des éléments de preuve au nom de l’accusé, y compris celles résultant de manœuvres d’intimidation et de son incapacité à retrouver certains témoins4,

ATTENDU que le respect de cette obligation d’informer la Chambre de première instance constitue non seulement une première étape dans l’exercice de la diligence voulue mais également une garantie, puisque le refus du témoin éventuel est enregistré au moment des faits5,

ATTENDU qu’il ne suffit pas d’informer la Chambre de première instance pour satisfaire à l’obligation de diligence et que la partie requérante doit également demander à celle-ci de prendre des mesures pour contraindre le témoin éventuel récalcitrant à coopérer6,

ATTENDU que, pour être admissibles en application de l’article 115 du Règlement , les moyens de preuve qui n’étaient pas disponibles au procès et dont l’existence n’aurait pas pu être découverte malgré toute la diligence voulue doivent se rapporter à une question cruciale, être dignes de foi et être tels qu’ils auraient pu influer sur le jugement, en d’autres termes, qu’ils auraient pu, dans le cas d’une requête d’un accusé, démontrer que la déclaration de culpabilité était infondée7,

ATTENDU que, si les moyens de preuve en question étaient disponibles au procès ou auraient pu être découverts si toute la diligence voulue avait été exercée, la partie requérante est tenue d’établir en outre que l’exclusion de ces moyens de preuve causerait une erreur judiciaire, dans la mesure où, s’ils avaient été disponibles au procès, ils auraient influé sur le jugement8,

ATTENDU que les moyens de preuve supplémentaires doivent être examinés en regard des éléments présentés au procès et non de façon isolée9,

ATTENDU qu’il est important que les parties soient informées dès que possible de la décision de la Chambre d’appel afin de préparer leurs plaidoiries,

DIT que les moyens de preuve exposés dans la Requête et son Supplément ne remplissent pas les conditions posées par l’article 115 du Règlement et qu’ils ne seront donc pas admis en tant que moyens de preuve supplémentaires en appel, et

INDIQUE enfin que d’autres motifs de la présente décision seront donnés en temps utile avant l’audience consacrée à la question.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 26 mars 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
___________
Wolfgang Schomburg

[Sceau du Tribunal]


1 - Article 115 B) du Règlement. Voir également Le Procureur c/ Krstic, IT-98-33-A, Arrêt relatif à la demande d’injonctions, 1er juillet 2003 (« Arrêt Krstic relatif aux injonctions »), par. 4.
2 - Le Procureur c/ Tadic, IT-94-1-A, Décision relative à la Requête de l’Appelant aux fins de prorogation de délai et d’admission de moyens de preuve supplémentaires, 15 octobre 1998 (« Décision Tadic relative à l’article 115 du Règlement »), par. 35 à 45 ; Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001 (« Arrêt Kupreskic »), par. 50 ; Le Procureur c/ Delic, IT-96-21-R-R119, Décision relative à la Requête en révision, 25 avril 2002 (« Décision Delic relative à la révision »), par. 10.
3 - Décision Tadic relative à l’article 115 du Règlement, par. 40, 44 et 45, 47 ; Arrêt Kupreskic, par. 50.
4 - Arrêt Krstic relatif aux injonctions, par. 5 ; Décision Tadic relative à l’article 115 du Règlement, par. 40 ; Arrêt Kupreskic, par. 50.
5 - Arrêt Krstic relatif aux injonctions, par. 14.
6 - Arrêt Krstic relatif aux injonctions, par. 15.
7 - Arrêt Kupreskic, par. 68.
8 - Arrêt Krstic relatif aux injonctions, par. 16 ; Décision Delic relative à la révision, par. 15.
9 - Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, Arrêt relatif aux requêtes des appelants Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic, Zoran Kupreskic et Mirjan Kupreskic aux fins de verser au dossier des éléments de preuve supplémentaires, 26 février 2001, par. 12 ; Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, Décision relative à l’admission de moyens de preuve supplémentaires suite à l’audience du 30 mars 2001, 11 avril 2001, par. 8 ; Arrêt Kupreskic, par. 66 et 75.