LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Mohamed Bennouna
M. le Juge Patrick Robinson

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Ordonnance rendue le :
26 février 1999

LE PROCUREUR

C/

Dario KORDIC
Mario CERKEZ

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ORDONNANCE RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS DE CONTRAINDRE
LE PROCUREUR À RESPECTER LES ARTICLES 66 A) ET 68
DU RÈGLEMENT DE PROCÉDURE ET DE PREUVE

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Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice
Mme Susan Somers
M. Patrick Lopez-Terres
M. Kenneth Scott

Les Conseils de la Défense :

M. Mitko Naumovski, M. Leo Andreis, M. Turner Smith, M. David Geneson et
Mme Ksenija Turkovic, pour Dario Kordic
Bozidar Kovacic, pour Mario Cerkez

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal pénal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le "Tribunal international"),

VU la "Notification de la Requête aux fins de contraindre le Procureur à respecter les articles 66 A) et 68 du Règlement de procédure et de preuve", déposée par la Défense de Dario Kordic le 2 juillet 1998 (la "Requête") et à laquelle s’est joint le Conseil de Mario Cerkez (ensemble : la "Défense") le 8 juillet 1998, et la Réponse à la Requête (la "Réponse de l’Accusation") déposée par le Bureau du Procureur ("l’Accusation") le 27 juillet 1998,

VU les exposés présentés par les parties le 16 février 1999,

ATTENDU que, comme elle l’a confirmé dans son exposé, la Défense demande à présent la production de quatre catégories de pièces, à savoir : (a) les copies des pièces jointes à l’acte d’accusation lors de la demande de confirmation ; (b) toutes les déclarations préalables des accusés ; (c) les déclarations préalables de tous les témoins que le Procureur entend citer au procès ; et (d) les éléments de preuve qui sont de nature à disculper les accusés,

ATTENDU que l’Accusation affirme que (a) toutes les pièces jointes à l’acte d’accusation ont été communiquées mais que le droit d’obtenir communication des "pièces jointes à l’acte d’accusation" n’inclut pas les autres documents présentés au Juge de confirmation par voie de demande ou de requête ; (b) n’ayant pas encore interrogé les accusés en l’espèce, elle ne peut fournir aucune déclaration préalable des accusés ; (c) les déclarations préalables de témoins ne doivent être communiquées à la Défense que lorsque l’Accusation a décidé d’appeler à la barre un témoin particulier : cette décision sera prise au moment de la présentation de la liste des témoins à charge, le 11 mars 1999, et les déclarations de témoins correspondantes seront alors fournies ; et (d) toutes les pièces qu’elle juge être de nature à disculper les accusés ont été communiquées, tout en notant qu’il s’agit là d’une obligation continue,

ATTENDU que l’acte d’accusation établi contre les deux coaccusés a été confirmé le 9 novembre 1995 et que leur comparution initiale a eu lieu le 8 octobre 1997, et que l’acte d’accusation modifié a été confirmé le 30 septembre 1998 et que leur seconde comparution a eu lieu le 14 octobre 1998,

ATTENDU que la date d’ouverture du procès en l’espèce est fixée au 12 avril 1999,

ATTENDU que l’article 66 A) du Règlement de procédure et de preuve (le "Règlement") du Tribunal international dispose que :

(A) Sous réserve des dispositions des articles 53 et 69, le Procureur communique à la défense dans une langue que l’accusé comprend :

(i) dans les trente jours suivant la comparution initiale de l’accusé, les copies de toutes les pièces jointes à l’acte d’accusation lors de la demande de confirmation ainsi que toutes les déclarations préalables de l’accusé recueillies par le Procureur et,

(ii) dans le délai fixé par la Chambre de première instance ou par le Juge de la mise en état désigné en application de l’article 65 ter, les copies des déclarations de tous les témoins que le Procureur entend citer à l’audience ; les copies des déclarations d’autres témoins à charge sont mises à la disposition de la défense dès que la décision de les citer est prise.

ATTENDU qu’on entend par "pièces jointes à l’acte d’accusation" les documents sur lesquels se fondent les chefs d’accusation, à l’exclusion d’autres documents qui peuvent être présentés au Juge de confirmation, tel qu’un exposé des faits ou des conclusions,

VU les Décisions du 27 janvier 1997 ("Décision sur la production forcée") et du 15 juillet 1998 prises, selon cette Chambre à juste titre, par la Chambre de première instance I dans l’affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic et relatives à la question de la communication des déclarations préalables de l’accusé -la première incluant dans les déclarations préalables "toutes les déclarations préalables de l’accusé, figurant au dossier du Procureur, qu’elles aient été recueillies par l’Accusation ou qu’elles émanent de toute autre source" et la deuxième précisant qu’elle entend par là "toutes les déclarations faites par l’accusé dans le cadre d’un interrogatoire au cours d’une procédure judiciaire, quelle qu’elle soit, dont le Procureur disposerait, mais seulement de telles déclarations", réserve faite des documents visés par l’article 70 A) du Règlement, qui n’ont pas à être communiqués,

ATTENDU que, en application de l’article 66 A) i) du Règlement, toutes les pièces jointes à l’acte d’accusation modifié ainsi que toutes les déclarations préalables des accusés telles que définies ci-dessus auraient, par conséquent, dû être communiquées à la Défense au plus tard le 13 novembre 1998 et que les pièces jointes à l’acte d’accusation initial auraient dû l’être bien avant,

ATTENDU que les articles 66 A) ii), 67 A i) et 73 bis B) iv) du Règlement renferment les dispositions relatives à la communication de déclarations préalables de témoins ou à la communication d’une liste des noms de témoins,

ATTENDU que, selon la présente Chambre de première instance :

i) l’obligation de communiquer les déclarations préalables de témoins à la Défense en application de l’article 66 A) ii) du Règlement ne dépend pas et ne repose pas sur l’établissement de :

a) la liste de témoins visée par l’article 67 du Règlement lequel, comme il est indiqué dans la Décision de production forcée, exige que l’ensemble des noms des témoins à charge soit communiqué au même moment dans un document d’ensemble "permettant ainsi à la Défense d’avoir une vue claire et homogène de la stratégie de l’Accusation et de s’y préparer en conséquence" ou
b) la liste des témoins et autres détails à fournir, en application de l’article 73 bis B) iv) du Règlement, une date plus rapprochée de l’ouverture du procès en vue de l’information de la Chambre de première instance et de la Défense ;

ii) l’obligation de fournir les déclarations préalables de témoins en application de l’article 66 A) ii) du Règlement a pour but d’aider la Défense à comprendre la thèse de l’Accusation conformément aux droits que confère aux accusés l’article 21 du Statut du Tribunal international (le "Statut") ; la Défense devrait, dès lors, obtenir communication de ces déclarations le plus tôt possible avant l’ouverture du procès des accusés, même si cela devait impliquer une communication établie dans le temps et la communication de déclarations de témoins qui finalement ne seront pas appelés à témoigner en l’espèce,

ATTENDU que la Décision sur la production forcée indique, selon cette Chambre à juste titre, qu’une fois que les noms des témoins à charge sont communiqués, toute addition ou complément devra être limitativement circonscrit en fonction de l’évolution toujours possible de l’enquête et "sans que jamais les droits de la Défense puissent être contournés de ce fait",

ATTENDU que l’Accusation a indiqué qu’un nombre "important" de déclarations préalables de témoins, venant s’ajouter à celles déjà communiquées, restent encore à fournir à la Défense et qu’elles le seront le 11 mars 1999 au plus tard, soit un mois avant l’ouverture du procès et presque dix-huit mois après que les accusés se sont livrés de leur plein gré au Tribunal international,

ATTENDU que l’article 73 bis du Règlement autorise la Chambre de première instance à inviter le Procureur à réduire le nombre de témoins appelés à la barre pour établir les mêmes faits, si elle considère ce nombre excessif,

ATTENDU que l’article 68 du Règlement exige de l’Accusation qu’elle communique à la Défense tous les éléments de preuve dont le Procureur a connaissance et qui sont de nature à disculper l’accusé et qu’il s’agit là d’une obligation continue, compte tenu du fait que la pertinence de certains éléments de preuve se trouvant en la possession du Procureur peut n’apparaître qu’en cours de procès,

VU les droits que l’article 21 du Statut confère aux accusés, en particulier le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense,

EN APPLICATION des articles 66 et 68 du Règlement,

ORDONNE que :

(1) l’Accusation communique, le vendredi 5 mars 1999 au plus tard, toutes les pièces jointes à l’acte d’accusation initial et à l’acte d’accusation modifié qui ne l’ont pas encore été et qu’elle confirme à la Chambre de première instance qu’elle s’est acquittée de cette obligation,

(2) l’Accusation communique, le vendredi 5 mars 1999 au plus tard, toutes les déclarations préalables des accusés qu’elle possède, qui n’ont pas encore été fournies et qui ont été faites lors de quelque procédure judiciaire que ce soit, qu’elles aient été recueillies par l’Accusation ou qu’elles proviennent d’autres sources, réserve faite des documents visés par l’article 70 A) du Règlement qui n’ont pas à être communiqués, et qu’elle confirme à la Chambre de première instance qu’elle s’est acquittée de cette obligation,

(3) l’Accusation communique à la Défense, le vendredi 5 mars 1999 au plus tard, les déclarations préalables de tous les témoins qu’elle entend citer au procès, réserve faite des documents visés par l’article 70 A) du Règlement qui n’ont pas à être communiqués et qu’elle confirme à la Chambre de première instance qu’elle s’est acquittée de cette obligation.

La Chambre de première instance fait observer que l’Accusation demeure tenue de communiquer à la Défense, tout au long de la procédure, les documents qui sont de nature à disculper les accusés.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Le Président de la Chambre
de première instance
(signé)

M. le Juge Richard May
Fait le 26 février 1999
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]