DEVANT LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Mohamed Bennouna
M. le Juge Patrick Robinson

Assistée de :
Mme de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Rendue le :
15 janvier 1999

LE PROCUREUR

c/

Dario KORDIC
Mario CERKEZ

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ORDONNANCE PORTANT MESURES DE PROTECTION POUR LES VICTIMES ET LES TÉMOINS

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Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice
Mme Susan Somers
M. Patrick Lopez-Terres
M. Kenneth Scott

Le Conseil de la Défense :

M. Mitko Naumovski, M, Leo Andreis, M. Turner Smith, M. David Geneson etM. Ksenija Durkovic, pour Dario Kordic
M. Bozidar Kovacic, pour Mario Cerkez

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 ("Tribunal international"),

VU la requête du procureur aux fins d'une ordonnance de protection modifiée et de mesures de protection des victimes et des témoins (la "Requête") et le memorandum confidentiel, déposés à l’appui par le Bureau du Procureur (l’"Accusation") le 9 octobre 1998, ainsi que la Réponse à la Requête (la "Réponse de la Défense") déposée conjointement par la Défense le 23 octobre 1998, la Réplique confidentielle du Procureur à la Réponse de la Défense déposée le 24 novembre 1998 et la Duplique de la Défense du 4 décembre 1998,

ENTENDU les arguments des parties, exposés à huis clos le 8 janvier 1999,

ATTENDU QUE les documents soumis par l’Accusation montrent à l’évidence la nécessité de bénéficier de mesures de protection pour les témoins et les témoins potentiels en l’espèce,

VU les ordonnances portant mesures de protection existant en l’espèce, ordonnances délivrées les 27 janvier 1998, 27 novembre 1998 et 13 janvier 1999,

ATTENDU QUE l’Article 20 du Statut du Tribunal international ("Statut") demande à la Chambre de première instance de veiller à ce que les droits de l’accusé [ soient] pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée,

VU les droits de l’accusé, tels qu’exposés dans l’Article 21 du Statut et, plus particulièrement, le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense,

ATTENDU QUE l’Article 22 du Statut exige que le Tribunal international prévoit dans son Règlement de procédure et de preuve ("Règlement") des mesures de protection des victimes et de témoins,

VU les clauses des articles 69, 75 et 79 du Règlement relatives à la protection des témoins,

VU ÉGALEMENT les obligations imposées par le Code de déontologie pour les avocats comparaissant devant le Tribunal international et les codes de tout ordre ou organisation national auquel le Conseil pourrait être affilié,

EN APPLICATION des articles 20 et 22 du Statut et 69, 75 et 79 du Règlement,

ORDONNE ce qui suit :

(1) aux fins de la présente Ordonnance, les expressions suivantes désignent et incluent :

a) "le Procureur" : le Procureur du Tribunal, y compris les membres de son personnel.

b) "la Défense de M. Kordic" : l’accusé Dario Kordic et les avocats, assistants juridiques, collaborateurs et autres personnes dont le nom figure explicitement sur la liste tenue par le Conseil de la Défense, laquelle sera communiquée ex parte et sous pli scellé à la Chambre de première instance, dans les dix jours suivant la délivrance de cette Ordonnance ; tout ajout ou suppression, concernant les catégories susmentionnées de personnes participant nécessairement et légitimement à la préparation de la défense sera notifié à la Chambre de première instance comme précédemment, et ce dans les sept jours.

c) "la Défense de M. Cerkez" : l’accusé Mario Cerkez et les avocats, assistants juridiques, collaborateurs et autres personnes dont le nom figure explicitement sur la liste tenue par le Conseil de la Défense, laquelle sera communiquée ex parte et sous pli scellé à la Chambre de première instance, dans les dix jours suivant la délivrance de cette Ordonnance ; tout ajout ou suppression, concernant les catégories susmentionnées de personnes participant nécessairement et légitimement à la préparation de la défense sera notifié à la Chambre de première instance comme précédemment, et ce dans les sept jours.

d) le "public" : toute personne morale ou physique (y compris les États, organisations, organismes, clients, associations ou groupes), à l’exclusion des Juges du Tribunal international et des membres du Greffe, du Procureur, de la Défense de M. Kordic, de la Défense de M. Cerkez, tels que ces termes sont définis ci-dessus. En particulier, le "public" inclut, sans s’y limiter, les familles, les amis et les relations des accusés ; les accusés et conseils de la Défense impliqués dans toute autre affaire ou procédure engagée devant le Tribunal international; les médias et les journalistes.

(2) en application de l’ Ordonnance aux fins de communication de documents et d’extension des mesures de protection du 27 novembre 1998, tout document expurgé, communiqué à la Défense de M. Kordic et à la Défense de M. Cerkez, leur sera communiqué dans son intégralité, sans expurgation, vingt-et-un jours avant la date prévue pour l’ouverture du procès.

(3) le Procureur peut, avec l’accord de la Chambre de première instance, supprimer, dans les déclarations préalables ou les témoignages, qui ne faisaient pas partie des pièces jointes à l’acte d’accusation initial ou modifié, les éléments d’identification et les coordonnées de la personne qui a fourni ladite déclaration préalable ou ledit témoignage.

(4) le texte expurgé des déclarations et témoignages sera communiqué immédiatement à la Défense de M. Kordic et à celle de M. Cerkez et le texte intégral, non expurgé, vingt-et-un jours avant la date prévue pour l’ouverture du procès, si ces déclarations et témoignages émanent d’une personne qui est actuellement (ou a été) citoyen, national ou ressortissant de l’ex-Yougoslavie ou de toute partie de l’ex-Yougoslavie.

(5) le texte expurgé des déclarations et témoignages sera communiqué immédiatement à la Défense de M. Kordic et à celle de M. Cerkez et le texte intégral, non expurgé, trente jours avant la date prévue pour l’ouverture du procès, si ces déclarations et témoignages émanent d’une personne qui n’est pas actuellement (et n’a jamais été) citoyen, national ou ressortissant de l’ex-Yougoslavie ou de toute partie de l’ex-Yougoslavie.

(6) lorsque la communication d’une déclaration préalable, d’un témoignage ou de tout autre élément de preuve fait directement l’objet d’une ordonnance de protection ou une autre mesure accordée par une autre Chambre de première instance, il conviendra, avant de procécéder à ladite communication, d’en obtenir l’autorisation auprès de cette autre Chambre.

(7) à moins que cela ne soit directement et précisément nécessaire à la préparation et la présentation de cette affaire devant le Tribunal international, le Procureur, la Défense de M. Kordic et la Défense de M. Cerkez s’abstiendront de révéler au public :

a) les noms, les éléments d’identification et les coordonnées des témoins et témoins potentiels, désignés par Procureur et ce, jusqu’à ce que ces derniers déposent en audience publique ;

b) tout élément de preuve (notamment documentaire et matérielle) ou déclaration préalable de témoin ou témoin potentiel, ou leur contenu (en tout ou en partie), si lesdits éléments de preuve et déclarations n’ont pas encore été rendus publics, sauf au cours d’un procès public, ou autre audience publique, devant le Tribunal international (pour lesquels il n’existe aucune mesure de protection supplémentaire particulière) ;

c) le témoignage confidentiel, ou autrement protégé, d’un témoin ou d’un témoin potentiel désigné par le Procureur ou figurant sur sa liste, ou d’une personne dont la (les) déclaration(s) préalable(s) a (ont) été communiquée(s) par le Procureur, étant entendu toutefois qu’une personne ayant fait une déclaration préalable ou apporté un témoignage peut examiner sa déclaration et son témoignage (et tout élément de preuve documentaire, matérielle (ou semblable), figurant dans sa (ses) déclaration(s) ou son témoignage, ou en rapport direct avec ceux-ci) ; et dans la mesure où cela s’avère raisonnablement nécessaire pour son travail, un témoin expert pourra examiner les déclarations préalables et le témoignage d’autres personnes, ainsi que d’autres éléments de preuve.

(8) le Procureur, la Défense de M. Kordic et celle de M. Cerkez informeront chacune des personnes du public à laquelle ils jugent nécessaire, pour la préparation et la présentation de cette affaire devant le Tribunal, de montrer ou de communiquer une déclaration préalable, un témoignage confidentiel ou autrement protégé (en tout ou en partie), ou tout autre élément de preuve confidentiel, qu’elle ne doit en aucun cas le copier, le reproduire, le rendre public, ni le montrer ou le communiquer à qui que ce soit. Quiconque reçoit un original, une copie ou un double de ces pièces est tenu de les rendre au Procureur, à la Défense de M. Kordic ou à la Défense de M. Cerkez lorsqu’elles cessent de lui être raisonnablement nécessaires pour préparer ou présenter cette affaire.

(9) les parents, amis et relations de Dario Kordic ou Mario Cerkez (à l’exclusion de la Défense de M. Kordic et de la Défense de M. Cerkez) s’abstiendront de contacter les témoins et les témoins potentiels désignés par le Procureur, et les personnes dont la (ou les) déclaration(s) préalable(s) non expurgée(s) et les témoignages confidentiels ou protégés, directement ou indirectement en rapport avec cette affaire, sont communiqués par le Procureur.

(10) la Défense de M. Kordic et la Défense de M. Cerkez ne pourront pas contacter les témoins désignés par le Procureur et les personnes dont la (ou les) déclaration(s) préalable(s), les témoignages confidentiels ou protégés sont communiqués par le Procureur, sans en avoir informé ce dernier par écrit et suffisamment longtemps à l’avance.

(11) rien dans la présente ordonnance ne limite le pouvoir de toute partie ou personne de demander les ordonnances ou mesures de protection différentes ou complémentaires qu’elle juge nécessaires pour protéger un témoin ou un élément de preuve particulier.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
(Signé)
M. le Juge Richard May

Fait le quinze janvier 1999
La Haye (Pays-Bas)

[ Sceau du Tribunal]