LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Mohamed Bennouna
M. le Juge Patrick Robinson

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Ordonnance rendue le :
16 février 1999

 

LE PROCUREUR

C/

DARIO KORDIC
MARIO CERKEZ

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NOUVELLE ORDONNANCE RELATIVE À LA DEMANDE D’ACCÈS
À DES PIÈCES CONFIDENTIELLES DES AFFAIRES
DE LA VALLÉE DE LA LASVA ET DES AFFAIRES CONNEXES

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Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice
Mme Susan Somers
M. Patrick Lopez-Terres
M. Kenneth Scott

Les Conseils de la Défense :

M. Mitko Naumovski, M. Leo Andreis, M. Turner Smith, M. David Geneson et Mme Ksenija Durkovic, pour Dario Kordic
M. Bozidar Kovacic, pour Mario Cerkez

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 ("Tribunal international"),

VU la "Notification de la requête aux fins d’autoriser l’accusé à accéder aux pièces confidentielles dans les affaires de la Vallée de la Lasva et les affaires connexes" et le mémoire y annexé ("Requête aux fins d’accès"), déposée le 9 juin 1998 par le Conseil de Dario Kordic et à laquelle le Conseil de Mario Cerkez s’est associé le 14 septembre 1998 (collectivement désignés par la "Défense"), VU la Réponse à la requête aux fins d’accès ("Réponse de l’Accusation") déposée le 8 juillet 1998 par le Bureau du Procureur ("Accusation"), VU la Réplique à la Réponse de l’Accusation déposée le 16 juillet 1998 par la Défense, VU les Arguments supplémentaires relatifs à la requête aux fins d’accès déposés le 4 septembre 1998 par l’Accusation, VU la Réponse aux arguments supplémentaires de l’Accusation déposée le 11 septembre 1998 par la Défense et VU la Réplique confidentielle à la réponse de la Défense, déposée le 8 octobre 1998 par l’Accusation, toutes écritures ayant trait à la demande de la Défense d’accéder à des pièces confidentielles admises au dossier d’affaires connexes portées devant d’autres Chambres du Tribunal international,

ATTENDU qu’en l’état de la procédure, il convient de communiquer ces documents à la Défense,

ATTENDU qu’il revient exclusivement à chaque Chambre de première instance de déterminer si elle peut communiquer à une autre Chambre de première instance des pièces dont elle a ordonné la protection,

VU la Décision du 12 novembre 1998 par laquelle la Chambre de première instance I saisie de la présente question demandait aux Chambres de première instance saisies des différentes affaires de la Vallée de la Lasva de lui indiquer si, s’agissant des témoignages non publics, "il peut être fait droit à la Requête et, dans l’affirmative, à quelles conditions en termes de confidentialité et de mesures de protection, le cas échéant",

VU les réponses des différentes Chambres de première instance à cette décision et, en particulier, l’opinion rendue le 16 décembre 1998 par la Chambre de première instance saisie de l’affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire No. IT-95-14, l’opinion rendue le 8 février 1999 par la Chambre de première instance saisie de l’affaire Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, affaire No. IT-95-14/1, la demande formulée le 10 février 1999 par la Chambre de première instance saisie de l’affaire Le Procureur c/ Zoran Kupreskic et consorts, affaire No. IT-95-16 et la demande formulée le 10 février 1999 par la Chambre de première instance saisie de l’affaire Le Procureur c/ Anto Furund‘ija, affaire No. IT-95-17/1,

ATTENDU que l’article 20 du Statut du Tribunal international ("Statut") impose à la Chambre de première instance de veiller à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que les droits de l’accusé soient pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée,

VU les droits que l’article 21 du Statut reconnaît à l’accusé et, notamment, le droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense,

ATTENDU que la présente Chambre de première instance est tenue par les décisions et ordonnances de protection rendues par les diverses Chambres saisies des affaires dans le cadre desquelles des dépositions confidentielles ont été recueillies ;

ATTENDU que l’obligation de communication se maintient, en particulier en ce qui concerne les affaires Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire No. IT-95-14, et Le Procureur c/ Zoran Kupreskic et consorts, affaire No. IT-95-16,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 20 et 22 du Statut et des articles 69, 75, et 79 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international,

DÉCIDE DE RESTER SAISIE de la Requête aux fins d’accès ;

INVITE PAR LA PRÉSENTE le Greffier :

1) à communiquer les copies des comptes rendus des audiences au cours desquelles ont comparu les vingt-six témoins protégés qui, dans l’affaire Le Procureur c/ Zoran Kupreskic et consorts, affaire No. IT-95-16, ont accepté que leur témoignage confidentiel soit directement communiqué à la Défense en l’espèce, ainsi que les pièces permettant d’identifier ces témoins et tous les éléments de preuve présentés dans le cadre de leurs dépositions et ce, dans les sept jours de la date de dépôt de la présente Ordonnance et sous réserve des mesures de protection exposées ci-dessous ;

2) à communiquer les copies des comptes rendus des audiences au cours desquelles ont comparu les trois témoins protégés qui, dans l’affaire Le Procureur c/ Anto Furund‘ija, affaire No. IT-95-17/1, ont accepté que leur témoignage confidentiel soit directement communiqué à la Défense en l’espèce, ainsi que les pièces permettant d’identifier ces témoins et tous les éléments de preuve présentés dans le cadre de leurs dépositions et ce, dans les sept jours de la date de dépôt de la présente Ordonnance et sous réserve des mesures de protection exposées ci-dessous ;

ET ORDONNE comme suit :

3) Dans les sept jours de la date de dépôt de la présente Ordonnance, et sous réserve des mesures de protection exposées ci-dessous, l’Accusation communiquera à la Défense copies de tous les comptes rendus des audiences au cours desquelles ont comparu des témoins protégés dans l’affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, ainsi que les pièces permettant d’identifier ces témoins et tous les éléments de preuve présentés dans le cadre de leur déposition, dans la mesure où ces pièces sont en rapport avec des témoins dont la comparution est envisagée dans le cadre de l’affaire Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez ou constituent des éléments de preuve venant à la décharge de l’un des accusés ou des deux ;

4) Dans les sept jours de la date de dépôt de la présente Ordonnance, et sous réserve des mesures de protection exposées ci-dessous, l’Accusation communiquera à la Défense copies de tous les comptes rendus des audiences au cours desquelles ont comparu des témoins protégés dans l’affaire Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, ainsi que les pièces permettant d’identifier ces témoins et tous les éléments de preuve présentés dans le cadre de leur déposition, dans la mesure où ces pièces sont en rapport avec des témoins dont la comparution est envisagée dans le cadre de l’affaire Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez ou constituent des éléments de preuve venant à la décharge de l’un des accusés ou des deux ;

5) Toutes les pièces communiquées à la Défense en application de la présente Ordonnance seront soumises aux mesures de protection suivantes :

i) Toutes les mesures de protection ordonnées par la Chambre de première instance devant laquelle un témoin a comparu resteront pleinement en vigueur ;

ii) Toutes les définitions figurant dans l’Ordonnance rendue le 15 janvier 1999 par la présente Chambre de première instance s’appliqueront aux pièces à communiquer ;

iii) Sauf dans la mesure où la préparation et la présentation de leur cause le justifient directement et spécifiquement, ni le Procureur, ni la Défense de Kordic, ni celle de Cerkez ne révéleront au public : a) le nom, les éléments d’identification ou les coordonnées d’un témoin ou témoin potentiel dont ils auraient reçu communication de l’identité en application de la présente Ordonnance et ce, jusqu’à ce que ledit témoin dépose en audience publique ; b) des éléments de preuve (notamment documentaires, matériels ou autres) ou déclarations écrites de témoins ou de témoins potentiels, ou le contenu partiel ou intégral de pareils éléments de preuve ou déclarations, s’ils n’ont pas déjà été rendus publics, sauf s’ils l’ont été dans le cadre d’un procès public ou de toute autre procédure tenue publiquement devant le Tribunal international (si ces éléments ou déclarations ne faisaient pas par ailleurs l’objet d’autres mesures de protection plus spécifiques) ; c) les éléments de preuve confidentiels ou autrement protégés fournis par un témoin ou un témoin potentiel identifié en application de la présente Ordonnance ou fournis par une personne dont la/les déclaration(s) écrite(s) a/ont été communiquée(s) en application de la présente Ordonnance, bien que cette personne conserve le droit de revoir sa/ses déclaration(s) écrite(s) et les éléments de preuve qu’elle a apportés (y compris les éléments documentaires, matériels ou autres directement en rapport avec la teneur de sa déclaration ou de sa déposition ou y figurant) ; dans la mesure raisonnable où son travail le rend nécessaire, un témoin expert peut examiner les déclarations et dépositions d’autres personnes, ainsi que d’autres éléments de preuve ;

iv) Si le Procureur, la Défense de Kordic ou celle de Cerkez considèrent qu’il est directement et spécifiquement nécessaire de divulguer pareilles informations aux fins de la préparation ou de la présentation de leur cause, ils en demanderont d’abord l’autorisation à la présente Chambre de première instance, en expliquant en quoi pareille divulgation est justifiée et, s’il est fait droit à leur demande, ils informeront chacune des personnes ayant reçu communication d’une déclaration écrite ou d’une déposition de témoin confidentielle ou autrement protégée (ou de partie de pareille déclaration ou déposition) ou de tout autre élément de preuve confidentiel, qu’elle n’est pas autorisée à copier, reproduire ou rendre publique les déclarations ou éléments de preuve en question ou à les montrer ou les divulguer à des tiers quels qu’ils soient. Toute personne ayant reçu communication de pareils déclarations ou éléments de preuve (original ou copie) les retournera au Procureur, à la Défense de Kordic ou à celle de Cerkez dès qu’ils ne seront plus nécessaires pour la préparation ou la présentation de la cause ;

v) Le Procureur, la Défense de Kordic ou celle de Cerkez ne divulgueront pas aux personnes qui ont reçu communication de pièces en application de la présente Ordonnance que le témoin concerné a déjà comparu devant le Tribunal international ;

vi) La famille, les amis et les relations de Dario Kordic et Mario Cerkez (autres que leurs Conseils) ne contacteront aucun témoin ou témoin potentiel dont la Défense de Kordic ou celle de Cerkez a reçu, en application de la présente Ordonnance, communication de l’identité ou copie des déclarations écrites non expurgées ou des dépositions confidentielles ou protégées ayant rapport avec la présente espèce ;

vii) La Défense de Kordic et celle de Cerkez ne peuvent contacter un témoin ou témoin potentiel dont elles ont reçu communication de l’identité en application de la présente Ordonnance ou une personne dont la/les déclaration(s) écrite(s) leur a/ont été communiquées en application de la présente Ordonnance, qu’en informant par écrit le Procureur raisonnablement à l’avance ;

viii) Rien dans la présente Ordonnance n’empêche les parties ou toute autre personne de demander les mesures de protection supplémentaires qu’elles jugent appropriées pour un témoin ou une pièce en particulier.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la
Chambre de première instance
/signé/
M. le Juge Richard May

Fait ce seize février 1999
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]