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1 Le jeudi 30 mars 2000
2 [Requête pour audition]
3 [Audience publique]
4 [Les accusés entrent dans la Cour]
5 --- L’audience débute à 9 h 35
6 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Bonjour. Est-
7 ce que la Greffière d’audience pourrait appeler l’affaire
8 inscrite au rôle, s’il vous plaît ?
9 LA GREFFIÈRE (interprétation) : Bonjour, Monsieur
10 le Président et Messieurs les Juges. Il s’agit de
11 l’affaire IT-95-14/2-T, Le Procureur contre Dario Kordic et
12 Mario Cerkez.
13 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Oui, Monsieur
14 Sayers.
15 Me SAYERS (interprétation) : Merci beaucoup,
16 Monsieur le Président.
17 Nous sommes réunis aujourd’hui afin d’entendre des
18 arguments des parties relatifs aux deux demandes
19 d’acquittement qui ont été déposées par les représentants
20 de Monsieur Cerkez et par les représentants de Monsieur
21 Kordic, qui sont moi-même et Monsieur Turner Smith. Nous
22 faisons cette demande en invoquant l’Article 98 bis du
23 Règlement de notre Tribunal.
24 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Nous avons
25 très attentivement lu les arguments très exhaustifs que
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1 vous avez soumis pour fonder votre demande. Nous avons lu
2 la requête plus succincte, dirais-je, qui a été déposée par
3 les représentants de Monsieur Cerkez et nous avons
4 également lu la réplique du Procureur.
5 En fait, ce qui nous intéresse, Monsieur Sayers,
6 c’est tous les commentaires que vous seriez susceptible de
7 vouloir faire sur la réponse de l’Accusation et nous avons
8 besoin d’un certain nombre d’éclaircissements mais je ne
9 crois pas qu’il soit nécessaire de rentrer dans le détail
10 de ce que nous avons déjà lu.
11 Me SAYERS (interprétation) : Eh bien, Monsieur le
12 Président et Messieurs les Juges, ce que j’avais pensé
13 faire c’est vous soumettre, si vous voulez, les grandes
14 lignes des arguments que je voulais vous soumettre
15 aujourd’hui. Peut-être puis-je me permettre de les faire
16 circuler et si vous avez ensuite des questions spécifiques
17 sur les différents problèmes que nous soulevons et sur
18 lesquels nous souhaitons nous étendre, je serais très
19 heureux de vous aider.
20 D’après ce que j’ai compris de la réponse de
21 l’Accusation, celle-ci exprime très clairement qu’elle n’a
22 pas l’intention de répondre point par point aux arguments
23 invoqués notamment par Monsieur Kordic et, de fait, il
24 n’existe pas de réponse détaillée aux éléments de preuve
25 que nous avons de façon très détaillée dans le mémoire que
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1 nous avons soumis à la Chambre de première instance.
2 D’après ce que je comprends, l’Accusation consacre
3 les 22 premières pages de son mémoire en réponse aux
4 critères qui sont d’application ici. Elle invoque
5 notamment un certain nombre d’autres requêtes qui ont été
6 faites sur la base de l’Article 98 bis du Règlement de
7 procédure et de preuve. Nous répondrons à ces arguments.
8 Ensuite, l’Accusation revient sur les allégations
9 qui ont été formulées dans l’acte d’accusation modifié. Il
10 y a également eu une synthèse de l’opinion qui est celle de
11 l’Accusation sur les éléments de preuve qui existent contre
12 Monsieur Kordic et puis, il y a une synthèse un peu plus
13 détaillée relative aux éléments de preuve présentés contre
14 Monsieur Cerkez, mais j’ai l’impression que l’Accusation
15 n’a pas l’impression de répondre de façon détaillée à notre
16 requête en dehors des arguments qu’elle serait susceptible
17 d’avancer aujourd’hui.
18 Donc, si vous me le permettez, Monsieur le
19 Président, je vais faire circuler les grandes lignes de
20 l’argumentation que nous allons vous soumettre aujourd’hui
21 et j’essaierai d’être aussi bref que possible.
22 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Laissez-moi
23 vous dire quelque chose, Maître. Il n’y a nul besoin de
24 répéter ce qui a déjà été dit par écrit dans votre requête.
25 Vous pouvez répondre aux arguments invoqués par
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1 l’Accusation mais nous ne souhaitons pas entendre encore et
2 encore des choses que nous avons déjà eu l’occasion
3 d’étudier.
4 Me SAYERS (interprétation) : Je vous comprends,
5 Monsieur le Président, et ayant votre remarque à l’esprit
6 et en dépit du fait que j’avais très précautionneusement
7 préparé mes arguments pour aujourd’hui, je vais très
8 rapidement en revenir sur ce que je souhaitais vous
9 soumettre.
10 Je commencerai par dire que manifestement, il
11 existe une quantité extraordinaire d’éléments de preuve
12 dans cette affaire mais nous avons pu montrer à la Chambre
13 de première instance que peu d’éléments de preuve sont en
14 fait directement liés à mon client Monsieur Kordic. Nous
15 sommes bien conscients de l’importance de notre demande et
16 nous nous excusons auprès de vous pour la longueur du
17 document que nous vous avons soumis mais vous savez ce
18 qu’impose l’Article 98 bis du Règlement. Les dispositions
19 à respecter sont assez importantes et je m’excuse parce que
20 je comprends bien que du même coup, la Chambre de première
21 instance et l’Accusation se retrouvent soumis à une tâche
22 assez considérable, mais nous n’avons pas réussi à rendre
23 cette demande plus courte ou à l’écourter.
24 Elle repose sur deux théories qui d’ailleurs se
25 retrouvent dans l’acte d’accusation modifié. Il y a la
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1 responsabilité du supérieur hiérarchique qui se retrouve à
2 l’Article 7(3) du Statut et je me ferais un plaisir de
3 répondre à toute question que vous pourrez avoir à me
4 soumettre sur cette question.
5 Et puis, il y a cette question du critère qui
6 s’applique en l’espèce. Ça c’est quelque chose que je peux
7 aborder si vous le souhaitez. S’il y a des questions qui
8 se posent sur ce sujet, je ne sais pas. Je pense que la
9 question est assez claire mais peut-être que Me Smith
10 pourrait vous répondre.
11 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Vous dites que
12 le critère qui est d’application en l’espèce n’est pas
13 contesté ? Je crois que c’est tout le contraire et c’est
14 notamment ce qui apparaît à la lecture de vos arguments,
15 Maître.
16 Me SAYERS (interprétation) : Eh bien, d’après
17 nous, l’Article 98 bis, qui n’existe d’ailleurs que depuis
18 le 30 novembre de l’année dernière, repose notamment sur
19 l’affaire Jelisic et, en fait, l’Accusation ne répond à
20 ceci que par une note qui apparaît en bas de page. Nous,
21 nous pensons qu’effectivement, le critère d’application en
22 l’espèce est au-delà de toute controverse parce qu’il
23 apparaît très clairement dans la décision qui a été rendue
24 dans l’affaire Jelisic, et laissez-moi vous répéter ce qui
25 a été dit en l’espèce.
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1 Le Tribunal dans le paragraphe 108(1) dit :
2 « Il apparaît que l’Accusation n’a pas établi au-
3 delà de tout doute raisonnable les allégations de génocide
4 menées à l’encontre de Goran Jelisic en relation avec les
5 crimes commis dans le camp de détention de Brcko. »
6 La Chambre conclut donc qu’il n’a pas été prouvé
7 au-delà de tout doute raisonnable et je précise que ceci
8 faisait partie d’une étude de l’Article 98 bis du
9 Règlement.
10 Cette décision a été rendue ex proprio motu par la
11 Chambre de première instance. Elle n’a pas été rendue en
12 réponse à une demande faite par l’accusé dans cette
13 affaire. Donc, la Chambre dit :
14 « …n’a pas été prouvé au-delà de tout doute
15 raisonnable que l’accusé était motivé par le principe de
16 dolus specialis pour le crime de génocide. Le bénéfice du
17 doute doit toujours revenir à l’accusé. En conséquence,
18 Goran Jelisic doit être considéré comme non-coupable de ce
19 chef d’inculpation. »
20 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Je vous
21 interromps, si vous me le permettez.
22 Cette affaire est une affaire dans le cadre de
23 laquelle la Chambre de première instance était sur le point
24 d’acquitter Monsieur Jelisic et c’est bien ce qui s’est
25 passé.
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1 Alors, maintenant, il nous revient à nous de
2 prendre une décision dans l’affaire qui nous occupe ici,
3 mais pour l’instant, à cette étape de la procédure, nous
4 essayons de savoir quels sont les critères juridiques qui
5 sont d’application lorsqu’il s’agit d’examiner les
6 différents éléments de preuve et vous vous apercevrez que
7 dans le mémoire de l’Accusation, il y a toutes sortes de
8 références faites à des précédents juridiques.
9 L’Accusation se réfère à un certain nombre de cas qui ont
10 été débattus par des instances nationales et puis, elle
11 invoque également les affaires Celebici et Tadic dont vous
12 savez qu’elles ont été tranchées par ce Tribunal.
13 Donc, ce que nous devons décider c’est s’il existe
14 ou non suffisamment d’éléments de preuve qui sont
15 susceptibles de venir à l’appui d’une condamnation. Est-ce
16 qu’il existe des éléments de preuve qui permettent
17 d’établir la culpabilité des accusés ?
18 Dites : interrompez-moi si je me trompe mais il me
19 semble que la formulation de l’Article 98 bis est tirée du
20 Code fédéral des États-Unis qui est apparemment le seul
21 pays dans le cadre desquels ce type de critère s’applique.
22 Dans toutes les autres juridictions nationales, et
23 d’ailleurs dans les affaires Tadic et Celebici, affaires
24 qui ont été entendues avant l’adoption de l’Article 98 bis,
25 dans ces deux affaires donc, les Chambres de première
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1 instance ont appliqué ce qui peut-être considéré comme
2 étant le critère qui s’applique traditionnellement à un tel
3 stade de la procédure, à savoir : existe-t-il des éléments
4 de preuve suffisants qui permettent à un Tribunal digne de
5 son nom et s’en tenant à un corpus de règles raisonnable,
6 donc suffisants pour que ce Tribunal condamne les accusés ?
7 Il ne s’agit pas de savoir à qui revient la charge
8 de la preuve. Il s’agit de regarder d’un point de vue
9 juridique s’il existe suffisamment d’éléments de preuve
10 relatifs à tel ou tel chef d’accusation pour qu’un Tribunal
11 doté de toute sa raison puisse condamner un accusé.
12 D’après ce que vous avez dit, le critère qui est
13 d’application et qui a été appliqué dans l’affaire Jelisic
14 est un critère qui doit s’appliquer au terme de la
15 procédure, à la fin du procès lorsque l’on passe en revue
16 tous les éléments de preuve qui ont été soumis, lorsque la
17 Chambre de première instance examine tout ce qui lui a été
18 soumis pour savoir quel est le poids à lui donner. C’est
19 ensuite seulement que la Chambre de première instance
20 estime que l’affaire a été ou non prouvée au-delà de tout
21 doute raisonnable.
22 Donc, c’est une façon d’interpréter les textes –
23 certains diraient qu’il s’agit là de la seule
24 interprétation possible des textes – mais c’est à cet
25 argument que nous souhaitons que vous répondiez.
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1 Peut-être qu’au moment d’y répondre, vous
2 souhaiterez penser à ce que je vais dire. Si vos arguments
3 sont exacts, cela voudrait dire que la Chambre de première
4 instance, si elle est convaincue au-delà de tout doute
5 raisonnable, devrait, à cette étape de la procédure,
6 déclarer la culpabilité ou non des accusés, ce qui veut
7 dire que la Défense devrait à son tour soumettre à
8 l’attention de la Chambre des éléments de preuve et des
9 témoignages, éléments de preuve relatifs à chacun des chefs
10 d’accusation, et moi, je ne crois pas du tout que ça fasse
11 partie du système accusatoire que nous respectons ici.
12 Qu’avez-vous fait ? Vous avez transposé le
13 critère qui doit normalement s’appliquer à la fin de la
14 procédure à ce moment de la procédure auquel nous nous
15 trouvons à l’heure actuelle. C’est une interprétation des
16 textes que certains pourraient partager mais sans doute pas
17 tout le monde. Donc, il ne s’agit pas là d’une question
18 qui n’est pas sujette à controverse.
19 Me SAYERS (interprétation) : Très bien, Monsieur
20 le Président. Peut-être que ce que nous disons est sujet à
21 caution et est sujet à controverse, mais d’après moi, il
22 faut revenir à ce qui a été dit dans l’arrêt Jelisic pour
23 interpréter l’Article 98 bis, et la décision qui a été
24 rendue dans cette affaire interprète l’article du Règlement
25 qui est à la base de notre demande et c’est le critère qui
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1 a été adopté dans l’affaire Jelisic. Nous, nous ne
2 pensions pas que ce critère adopté dans une autre affaire
3 allait être remis sur la table et qu’il allait être au
4 centre d’un débat assez nourri, apparemment.
5 Mais Me Smith à mes côtés est prêt à revenir sur
6 cette question et est prêt à revenir sur l’Article 98 bis.
7 Je vais lui céder la parole.
8 Me SMITH (interprétation) : Merci, Monsieur le
9 Président et Messieurs les Juges.
10 L’argument que nous avançons en invoquant
11 l’Article 98 bis et le critère qui est à l’origine de cet
12 article reposent sur un certain nombre de théories et la
13 première c’est que dès le départ de la procédure, dès le
14 début de la procédure, il revient à l’Accusation de prouver
15 la culpabilité des accusés au-delà de tout doute
16 raisonnable.
17 L’Accusation, au fur et à mesure qu’elle soumet
18 ses éléments à charge et avant de clôturer la présentation
19 de ses éléments à charge, à l’obligation de soumettre des
20 éléments de preuve qui établissent la culpabilité au-delà
21 de tout doute raisonnable. Donc, elle doit faire de son
22 mieux pour établir ce critère de preuve et, une fois que
23 l’Accusation a terminé la présentation de ses éléments à
24 charge, l’Accusation doit avoir établi ce critère
25 d’établissement des faits au-delà de tout doute
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1 raisonnable.
2 C’est donc à l’Accusation que revient cette charge
3 et l’accusé, lui, n’a pas cette même obligation et il a une
4 certaine marge de manœuvre au moment de présenter ses
5 éléments de preuve.
6 Si on se pose la question du critère qui doit
7 s’appliquer en l’espèce, eh bien, on s’aperçoit que ce
8 critère a été établi dans le cadre de procès entendus par
9 des jurys, que ce soit aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
10 Je vous renvoie à la décision Galbraith qui a été prise
11 dans le cadre d’un procès entendu par un jury, et dans une
12 telle situation, la personne qui rend la décision à la fin
13 de la présentation des éléments à charge n’est pas la
14 personne qui, en dernier recours, va rendre une décision
15 sur les faits et, par conséquent, elle n’a pas à ce moment
16 de la procédure les compétences lui permettant de retirer
17 l’examen de l’affaire à un jury à moins qu’elle soit
18 convaincue du fait qu’aucun jury raisonnable ne peut
19 arriver à la conclusion que l’accusé est effectivement
20 coupable.
21 L’Accusation… pardon. Excusez-moi, je me
22 reprends. Je reviens un petit peu à ce que j’ai dit tout à
23 l’heure. Au Royaume-Uni, un commentateur, un juriste,
24 Archbold, a reconnu que dans les cas où le juge lui-même
25 est en dernier recours celui qui doit se prononcer sur les
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1 faits et dès lors qu’il n’y a pas de jury ou d’autres
2 parties en présence qui puissent rendre une décision sur
3 les faits, c’est le juge qui en toute logique doit se
4 demander ce que l’Accusation à un tel point de la procédure
5 a réussi à établir.
6 Aux États-Unis, l’Accusation a invoqué un avis qui
7 remonte à déjà un certain nombre d’années et un cas qui
8 implique la participation d’un jury, mais c’est quelque
9 chose qui est très débattu aux États-Unis où, vous le
10 savez, le rôle des jurys est très important.
11 Nous, nous affirmons que la logique de l’article
12 n’en est pas une dès lors que le juge ou les juges, comme
13 c’est le cas en l’espèce, sont en position d’être les seuls
14 à se prononcer en dernier recours sur les faits. Il est
15 beaucoup plus efficace de se trouver dans une situation où
16 les juges, après la présentation des éléments à charge,
17 estiment si oui ou non il s’agit là de la fin de l’affaire,
18 mais à la fin de la présentation des éléments à charge.
19 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Je vous
20 interromps un instant.
21 Si, de même que dans l’affaire Jelisic, la Chambre
22 de première instance en arrive à la conclusion que vous
23 dites, alors bien évidemment, les juges doivent appliquer
24 le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable.
25 Si les juges décident de mettre un terme à l’affaire, ils
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1 doivent effectivement préciser qu’ils ne sont pas
2 satisfaits de ce qui a été fait par l’Accusation dans la
3 mesure où ils ne sont pas convaincus au-delà de tout doute
4 raisonnable. C’est là le critère ultime qui s’applique.
5 Mais en l’espèce, il existe un certain nombre
6 d’éléments de preuve relatifs à l’un des chefs
7 d’accusation. La question est de savoir s’il existe par
8 ailleurs des éléments de preuve à partir desquels la
9 Chambre de première instance peut dire qu’il suffirait à
10 établir la culpabilité de l’accusé pour ce chef
11 d’inculpation ou pas et c’est là que je dis que vous ne
12 posez pas la bonne question, Maître.
13 Peut-être y aurait-il des circonstances dans
14 lesquelles les éléments de preuve sont tellement ténus et
15 tellement peu fiables qu’une Chambre de première instance
16 peut légitimement se dire qu’elle ne peut pas s’appuyer sur
17 ces éléments de preuve et peut-être qu’il existe des
18 affaires où il n’y a aucun élément de preuve à examiner ou
19 des éléments de preuve tellement insuffisants qu’ils ne
20 permettent pas à la Chambre de première instance de rendre
21 une décision sur les allégations faites par l’Accusation et
22 peut-être que dans ces cas extrêmes, effectivement, la
23 Chambre de première instance devrait rendre une décision
24 d’acquittement à ce stade de la procédure mais elle devrait
25 alors se demander la chose suivante, qui est celle que j’ai
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1 décrite, mais de façon générale, la question à se poser est
2 la suivante : Existe-t-il des éléments de preuve tels que
3 la Chambre de première instance, sur la base desdits
4 éléments, peut établir la culpabilité de l’accusé ? C’est
5 la question que se pose la Chambre de première instance.
6 Pour l’instant, bien sûr, vous avez raison de
7 citer Galbraith, vous avez raison d’invoquer ce critère et
8 vous faites bien de préciser que ce critère a été développé
9 dans le cadre d’un système où les jurys avaient un rôle
10 important à jouer.
11 Il y a également en Grande-Bretagne un système que
12 vous connaissez bien, système qui prévoit que les
13 magistrats siègent au nombre de trois et ils se décident à
14 la fois sur les points de fait et sur les points de droit.
15 Pour ce qui est de ce type de juridiction, le critère qui
16 est d’application est celui qui convient à dire s’il existe
17 des éléments de preuve suffisants pour qu’un Tribunal
18 raisonnable puisse se prononcer sur la culpabilité de
19 l’accusé. Donc, si on se remet dans le contexte d’un jury,
20 ce n’est pas systématiquement le jury qui va être un
21 facteur de distinction au moment de l’application de ce
22 critère.
23 Me SMITH (interprétation) : Oui, Monsieur le
24 Président. Merci.
25 Mais pour revenir sur ce que vous venez de dire,
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1 je commencerais par dire qu’il ne devrait pas y avoir de
2 critère d’application dès lors que l’on invoque l’Article
3 98 bis du Règlement. L’Article 98 bis peut être invoqué à
4 la fin de la présentation par le Procureur de ses moyens de
5 preuve. Il repose sur deux mécanismes : à la fois sur la
6 présentation d’une requête de la part des accusés et sur la
7 possibilité qui est celle des juges de se prononcer proprio
8 motu et c’était bien la situation qui se présentait dans le
9 cadre de l’affaire Jelisic.
10 Il me semble de toute façon que si les juges
11 avaient eux-mêmes la possibilité d’acquitter l’accusé dès
12 lors qu’il pense que les éléments de preuve ne permettent
13 pas d’établir les faits au-delà de tout doute raisonnable,
14 eh bien, il faut que l’accusé ait au moins la possibilité
15 d’essayer de persuader les juges qu’ils peuvent peut-être
16 envisager de tirer une telle conclusion.
17 Je ne suis pas très coutumier des pratiques du
18 Royaume-Uni. Je ne connais pas exactement ce qui se passe
19 dans de telles procédures mais il me semblait, enfin
20 j’avais compris que c’était bien dans le cadre que vous
21 avez décrit que Archbold avait rendu son analyse et
22 l’Accusation a également invoqué un certain nombre
23 d’affaires qui viennent miner un petit peu les arguments
24 présentés par Archbold, mais moi, ce que j’affirme c’est
25 que la logique de ce qu’a affirmé Archbold est la logique
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1 qui motive à la fois ses conclusions et nos arguments à
2 nous et cette logique repose également sur l’idée qu’il
3 faut que l’administration de la justice soit efficace et
4 rapide.
5 L’Accusation a fait ce qu’elle a pu pour essayer
6 de présenter ses éléments à charge et s’il s’avère qu’elle
7 ne l’a pas fait à un tel point qu’il n’y a plus de doute
8 raisonnable, alors l’administration de la justice exige que
9 la Défense intervienne et demande éventuellement la
10 présentation d’éléments de preuve supplémentaires, mais
11 c’est toujours l’Accusation qui a l’obligation de la preuve
12 au-delà de tout doute raisonnable.
13 L’Accusation a, je le répète, joué le rôle qui lui
14 revient, a fait ce qu’elle a pu, et puis, elle a clôt la
15 présentation des éléments de preuve et elle ne peut plus
16 maintenant présenter d’éléments de preuve supplémentaires
17 que dans le cadre de sa réplique, réplique à ce qu’aura
18 présenté la Défense dans la présentation de ses éléments à
19 décharge.
20 Nous, nous pensions que tout ça n’était pas sujet
21 à controverse parce que nous avions examiné l’utilisation
22 qui avait été faite de ce critère dans les affaires Jelisic
23 et Celebici et puis nous avons vu le Tribunal invoqué
24 l’application de l’Article 98 bis et l’invoquer dans des
25 termes tels que nous pensions, puisqu’il s’agissait du
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1 moment où la présentation des éléments à charge était
2 terminée, qu’effectivement, les éléments de preuve
3 n’étaient pas suffisants pour établir la culpabilité de
4 l’accusé et nous avons interprété l’Article 98 bis – peut-
5 être nous sommes-nous trompés – mais nous l’avons
6 interprété comme étant l’expression d’un avis de ce
7 Tribunal international qui n’est pas tenu pas quelque
8 corpus de jurisprudence que ce soit alors.
9 Peut-être aussi y a-t-il erreur d’interprétation
10 quant à ce qui est fait lorsque l’on décide que le juge est
11 en dernier recours celui qui se prononce sur les faits.
12 Nous avons interprété ainsi la conduite du Tribunal et nous
13 avons pensé qu’il agissait fort bien et que sa décision
14 était la seule possible.
15 Dans un contexte de droit romano-germanique, les
16 choses sont un petit peu différentes, mais dans un contexte
17 de common law, j’ai bien précisé qu’ici, la différence
18 c’est qu’il n’y a pas de jury, il n’y a pas d’autre
19 personne qui puisse décider.
20 Dans le système de droit romano-germanique invoqué
21 par l’Accusation, la décision est prise avant la saisie de
22 l’affaire par les juges, par des personnes autres que les
23 juges qui vont siéger au procès, et à ce stade de la
24 procédure dans ces systèmes, toutes personnes rendant une
25 décision à la place des juges qui vont entendre l’affaire
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1 doivent appliquer un critère qui n’est pas seulement un
2 critère qui a permis de prendre une décision sur le fond.
3 Ici, nous fonctionnons de façon différente. C’est
4 le juge qui a l’affaire en main. C’est le juge qui rend la
5 décision sur l’affaire. L’Accusation fait de son mieux
6 pour faire valoir ses arguments et ensuite, on voit s’il
7 est nécessaire que la Défense s’emploie à démanteler ce qui
8 a été invoqué par l’Accusation, mais ce n’est pas forcément
9 nécessaire.
10 Nous, nous pensons qu’il y a là mauvaise
11 application d’une règle qui s’applique dans des contextes
12 autres que les nôtres, une règle qui ne s’applique pas dans
13 un contexte tel que celui dans lequel nous nous trouvons,
14 celui d’un Tribunal international. Sur la base de
15 l’article tel qu’appliqué, si les juges estiment que
16 l’Accusation est peut-être un peu vacillante, l’accusé doit
17 avoir le droit d’intervenir.
18 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Bien sûr, vous
19 avez le droit d’avancer ces arguments. Il s’agit de
20 décider quels critères doivent être mis en œuvre par le
21 Tribunal. Ici, vous avez raison de dire que la Chambre
22 devrait donner l’ordre de prononcer l’acquittement. Si
23 elle estime que les moyens de preuve n’ont pas été établis
24 au-delà de tout doute raisonnable, l’on peut présumer que
25 la règle l’aurait précisé.
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1 Il y a une différence entre ce que la Chambre a
2 dit dans l’affaire Jelisic lorsqu’elle a dit qu’elle
3 n’était pas convaincue au-delà de tout doute raisonnable –
4 telles étaient ses conclusions – mais il y a une question
5 que la Chambre de première instance doit toujours se
6 demander ou alors que vous demandez à la Chambre de
7 décider, soit que dans chaque affaire, la Chambre devrait
8 passer en revue l’acte d’accusation et déjà être satisfait
9 à ce stade que les moyens de preuve ont été établis au-delà
10 de tout doute raisonnable, mais ce n’est pas ce que dit la
11 règle.
12 Me SMITH (interprétation) : Monsieur le
13 Président, il me semble que ce que met en avant la Défense
14 c’est que l’Article 98 bis pose la question de savoir s’il
15 y a suffisamment de motifs pour que le procès continue et
16 la Chambre doit donc se demander, sur la base des moyens de
17 preuve exposés, donc le meilleur effort que l’Accusation a
18 pu faire, si le procès doit continuer.
19 Cela demande un effort plus grand de la Chambre
20 que normalement, et l’Accusation l’a démontré, mais à long
21 terme, c’est dans l’intérêt de l’efficacité et il me semble
22 que compte tenu de la durée des procès et la durée de la
23 détention préventive, ces prisonniers, ces accusés qui
24 doivent souffrir le fait de subir un procès, qu’il est dans
25 l’intérêt de l’efficacité à long terme que la Chambre se
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1 penche avec beaucoup d’attention sur les moyens de preuve à
2 ce stade et il me semble que c’est donc qu’il est opportun
3 de le faire à ce stade.
4 M. LE JUGE ROBINSON (interprétation) : Je suis
5 très intéressé par ce que vous venez de dire, Me Smith,
6 mais qu’entendez-vous par « motif invoqué », « motif
7 satisfaisant invoqué » ?
8 J’adhère à votre théorie si vous entendez par là
9 qu’il existe des moyens de preuve tels qu’ils permettent
10 d’invoquer la possibilité juridique de condamnation, par
11 opposition à la certitude qu’il doit y avoir condamnation.
12 Des motifs fondés, dites-vous. Eh bien, d’après
13 moi, cela ne veut pas dire autre chose que certains motifs,
14 un certain nombre de motifs légalement et juridiquement
15 fondés.
16 On vous a expliqué quel était le système qui était
17 d’application au Royaume-Uni, où vous avez ce système par
18 lequel les magistrats se prononcent à la fois sur les faits
19 et sur les points de droit. Il est arrivé dans certains
20 systèmes où ce critère est d’application, il est arrivé
21 donc que le juge décide qu’il y a effectivement nécessité
22 de prolonger le procès. La Défense en l’occurrence n’a pas
23 besoin de faire valoir quelque élément de preuve que ce
24 soit et le juge prend la décision d’acquitter.
25 Il décide d’acquitter parce qu’à la fin de la
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1 procédure, il applique un critère totalement différent de
2 celui qu’il a appliqué au milieu de la procédure. À la fin
3 de la procédure, il applique le critère de la preuve au-
4 delà de tout doute raisonnable. Au milieu de la procédure,
5 il applique le critère juridique de ce que j’appellerais
6 les possibilités juridiques par opposition aux certitudes
7 juridiques qui permettent de conduire à la condamnation
8 d’un accusé.
9 Je me demande à vrai dire si le critère de la
10 preuve au-delà de tout doute raisonnable est un critère qui
11 joue en dernier ressort au bénéfice de l’accusé parce que
12 si la décision repose uniquement sur ce critère, eh bien,
13 sans aucun doute, il serait par la suite extrêmement
14 difficile d’obtenir un acquittement, soit très difficile,
15 soit quasiment impossible d’obtenir par la suite un
16 acquittement, vous savez, et je ne crois pas que ce soit là
17 du tout votre intention, Maître.
18 Je suis d’accord pour dire que la formulation de
19 l’Article 98 bis n’est peut-être pas la plus claire et la
20 meilleure qui soit. Sans doute laisse-t-elle une place à
21 l’interprétation et c’est ce que vous avez fait, mais si
22 vous lisez cet article à la lumière de ce que nous savons
23 du contexte de cette affaire et si vous la lisez à la
24 lumière du contexte juridique de façon plus générale, eh
25 bien, il est très clair qu’il parle d’une situation qui se
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1 présente au milieu de la procédure et pas à la fin de la
2 procédure et il est évident que le critère d’application en
3 l’espèce ne peut pas être le critère qui s’applique à la
4 fin d’une procédure, parce que comme je l’ai dit, je crois
5 que cela donnerait naissance à des difficultés sans fin.
6 Me SMITH (interprétation) : Oui, Monsieur le
7 Président.
8 Si je peux revenir sur certains points que vous
9 avez exprimés. Sur la question de savoir si cela met la
10 Défense dans une situation très difficile, j’aimerais que
11 le critère soit appliqué à ce stade. C’est ce que je
12 proposerais.
13 Je proposerais que la Défense toujours, pour des
14 raisons non pas juridiques mais des raisons pratiques, doit
15 présumer que l’Accusation a déjà fait tout ce qu’elle
16 devait faire lorsque le réquisitoire principal a terminé.
17 Il serait très risqué pour l’accusé de présumer
18 autrement, et si en l’absence de jury, cela voudrait dire
19 que la Chambre de première instance n’a pas l’obligation
20 déjà de mettre à l’épreuve et d’évaluer les moyens de
21 preuve présentés par l’Accusation. Cela permettrait à
22 l’Accusation de ne pas forcément faire tout son possible
23 dès la première présentation de ses moyens de preuve. Par
24 ailleurs, cela rajouterait un fardeau à la Défense qui ne
25 devrait pas… cela ne devrait pas être le cas.
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1 Si l’Accusation n’a pas établi la culpabilité au-
2 delà de tout doute raisonnable dès à présent, cela oblige
3 la Défense à engager des frais. Des ressources judiciaires
4 doivent être mises à contribution alors qu’en fait, la
5 Défense ne devrait pas avoir l’obligation de procéder mais
6 ne devrait avoir que le droit de s’opposer à l’Accusation,
7 mais il appartient toujours dans un système contradictoire
8 à l’Accusation d’établir la culpabilité au-delà de tout
9 doute raisonnable et c’est un devoir qui leur incombe dès
10 le début du procès, avant que le réquisitoire principal
11 n’ait pris fin.
12 Par la suite, l’Accusation n’a que le droit de
13 faire une réplique à ce qu’avance la Défense, et nous
14 proposons qu’en tant que Tribunal international, vous avez
15 toute liberté de réévaluer le corpus de droit qui existe et
16 de prendre une décision en fonction de ce qui vous paraît
17 être le plus équitable, compte tenu des obligations qui
18 incombent à l’Accusation et compte tenu des droits de
19 l’accusé, compte tenu des différentes affaires que vous
20 devez juger.
21 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Oui. Nous
22 acceptons, bien sûr, ces arguments. Nous gardons à
23 l’esprit la durée de l’affaire, le fait que nous sommes un
24 Tribunal international, mais nous devons néanmoins
25 appliquer le droit de manière pratique.
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1 Si vous aviez raison, comme le Juge Robinson l’a
2 invoqué, il s’ensuivrait qu’au milieu d’un procès, la
3 Chambre de première instance, si elle condamnait, si elle
4 se prononçait contre l’accusé, prononcerait tout de suite
5 une condamnation, ce qui priverait la possibilité de
6 soumettre à la fin du procès, de dire à la fin du procès :
7 « Il y a quelques preuves mais cela ne revient à rien. »
8 Cela empêche cette possibilité donnée à la fin du
9 procès parce que le Tribunal aurait déjà décidé au milieu
10 de la procédure de condamner, ce qui donc ôterait une
11 chance, une possibilité qui normalement devrait revenir à
12 la Défense et vous mettriez également la Défense dans une
13 situation très restreinte et je ne sais pas si c’est dans
14 l’intérêt de la Défense.
15 Me SMITH (interprétation) : Monsieur le
16 Président, je répondrais à cela deux choses.
17 En premier lieu, oui, vous aurez peut-être ôté la
18 possibilité à la fin de la procédure de déposer une requête
19 fondée exclusivement sur les moyens de preuve avancés par
20 l’Accusation mais vous avez donné à la Défense cette
21 possibilité à la fin du réquisitoire principal, et à la fin
22 de la procédure du procès, la Défense aura normalement
23 déposé ou présenté d’autres moyens de preuve et il s’agit
24 là d’une question complètement différente, un corpus de
25 preuves complètement différent. Donc, si vous ôtez la
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1 possibilité à la fin du procès d’évaluer les moyens de
2 preuve présentés par l’Accusation, vous avez tout de même
3 donné cette possibilité à la Défense au moment le plus
4 opportun, c’est-à-dire à la fin du réquisitoire principal.
5 En deuxième lieu, concernant la question de savoir
6 s’il est préjudiciable à la Défense de procéder ainsi parce
7 que cela comporte une décision implicite, si la Défense
8 échoue, selon les critères invoqués, vous avez donné à la
9 Défense la possibilité d’appliquer les critères. Si la
10 Défense échoue, vous pouvez être certains que la Défense va
11 certainement ajouter des moyens de preuve supplémentaires
12 puisqu’il est alors évident pour la Défense qu’elle est
13 obligée de se faire. Donc, je ne vois vraiment pas
14 d’inconvénient pour la Défense si vous lui accordez la
15 possibilité d’évaluer, de se prononcer sur les moyens de
16 preuve présentés par l’Accusation à ce stade de la
17 procédure.
18 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : [Non
19 interprété]
20 M. LE JUGE BENNOUNA : Une dernière petite
21 question. Je ne fais pas partie par ma culture juridique
22 de la common law. Donc, je vais vous parlez d’un autre
23 point de vue peut-être et puis, puisque nous sommes dans un
24 Tribunal international, comme vous venez de le dire, nous
25 devons tenir compte, bien sûr, des différentes sources dont
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1 nous nous inspirons qui constituent l’arrière-plan
2 juridique des principes que nous appliquons, mais nous
3 sommes un Tribunal international et de ce fait, nous ne
4 sommes pas liés par un système ou un autre.
5 Nous ne sommes d’ailleurs pas liés par le jugement
6 d’une autre Chambre – ceci est dit en passant – sauf à
7 savoir dans quelle mesure il y a des décisions de la
8 Chambre d’appel qui pourraient s’appliquer ou nous lier ou
9 constituer la jurisprudence.
10 Il y a tout de même un point qui me pose problème
11 qui vient d’abord de la formulation elle-même de l’Article
12 98. L’Article 98 ne dit pas, de même que la formulation de
13 Jelisic, ne dit pas que les éléments présentés ne suffisent
14 pas à établir une condamnation ou à condamner mais à
15 justifier une condamnation, ce qui est quand même
16 différent.
17 Alors, il y a un autre test qui a été présenté par
18 la Défense de Monsieur Cerkez pour analyser ce terme
19 « justifier ». Qu’est-ce que veut dire : « justifier une
20 condamnation » ? C’est-à-dire qui forme la base pour une
21 condamnation éventuelle. C’est ça ce que ça veut dire. Et
22 si ça forme la base pour la condamnation, ça veut dire
23 qu’il y a quelque chose. Il y a des preuves qui sont là :
24 où on est allé, comme ça été dit, au-delà du prima facie,
25 c’est-à-dire de ce qui peut paraître a priori pour formuler
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1 une base raisonnable pour une condamnation.
2 Mais cela ne veut pas dire que… à ce stade du
3 procès, est-ce que cela veut dire que nous sommes dans la
4 situation de peser les preuves, de nous demander quel est
5 le poids à accorder à tel ou tel moyen de preuve. C’est
6 une autre phase du raisonnement. Il y a la preuve et il y
7 a la crédibilité, le poids à donner à tel ou tel élément de
8 preuve, et s’il y a l’existence de la preuve, le fait
9 qu’elle est là, et il y a l’analyse ultérieure qui consiste
10 à dire : Est-ce que cette preuve véritablement peut
11 conduire à dire qu’une personne doit être condamnée au-delà
12 de tout doute raisonnable, et qui est le stade final.
13 Pourquoi c’est le stade final ? Eh bien, parce
14 que tout simplement, en toute conscience, pour former ce
15 qu’on appelle dans d’autres systèmes juridiques la
16 conviction intime finale, il faut avoir tous les éléments,
17 y compris les éléments que doit donner la Défense, pour
18 pouvoir peser une preuve, pour pouvoir évaluer une preuve,
19 évaluer un moyen de preuve.
20 Alors, bien sûr, vous allez me dire : « Mais les
21 témoins sont contre-interrogés dans ce système –
22 adversarial system – et que vous avez déjà eu des
23 éléments. » Mais nous n’avons pas eu tout et il est bien
24 entendu que l’élément au-delà de tout doute raisonnable, ça
25 veut dire qu’on a eu tous les éléments et c’est pour cela
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1 d’ailleurs que le système prévoit que la Défense est amenée
2 elle-même, une fois que l’Accusation a présenté son… en
3 fait, a tenté de justifier les raisons d’une condamnation,
4 la Défense, elle, procède également pour compléter le
5 tableau.
6 C’est pour cela ce qui vous a été dit par le Juge
7 Robinson pose quand même un problème ici. Le test en
8 milieu de parcours n’est pas le test en fin de parcours, si
9 on veut suivre votre logique, et jusqu’à présent, vous ne
10 m’avez pas démontré en quoi il y a une différence entre le
11 test en milieu de parcours que vous nous proposez avec le
12 test en fin de parcours. Or, il doit y avoir une
13 différence. Autrement, le système, adversarial system,
14 dont nous parlons aurait quelque chose d’incomplet ou en
15 tout cas de déraisonnable.
16 Si on peut appliquer le même test en milieu de
17 parcours qu’en fin de parcours, on peut se demander
18 pourquoi on va jusqu’à la fin du parcours. C’est qu’en fin
19 de parcours, on a normalement d’autres éléments
20 supplémentaires pour évaluer les moyens de preuve que nous
21 n’avons pas en milieu de parcours.
22 Alors, évidemment, on peut dire : Dans certains
23 systèmes juridiques, il y a le prima facie. Ceci est bien
24 connu en droit international. Le prima facie ne peut
25 permettre que des mesures de caractère provisoire. C’est
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1 la jurisprudence notamment dans la Cour internationale de
2 Justice. Il ne peut pas permettre des décisions de
3 caractère définitif.
4 Donc, je veux bien accepter que les moyens de
5 preuve présentés doivent aller au-delà du prima facie pour
6 que le Tribunal puisse prendre une mesure au titre de
7 l’Article 98 bis, mais cela ne va pas jusqu’à la fin,
8 c’est-à-dire qu’il y a des preuves présentées au-delà de
9 tout doute raisonnable qui est l’autre bout de la chaîne.
10 Il y a le prima facie qui est le premier. Au bout de
11 l’échantillon, au bout de la chaîne, il y a l’au-delà de
12 tout doute raisonnable, la conviction définitive, et il y a
13 au milieu un test à trouver et qui est l’objet de ce débat.
14 Voilà ce que je voulais vous dire au niveau de
15 votre intervention. Je ne sais pas si vous pouvez nous
16 éclairer par rapport à cela.
17 Me SMITH (interprétation) : Oui, Monsieur le Juge
18 Bennouna. Il y a un test prima facie prévu par l’Article
19 9, paragraphe 1, du Statut pour la confirmation d’un acte
20 d’accusation. J’avancerais que ce critère doit être au
21 moins aussi strict que celui du doute raisonnable parce
22 qu’il ne devrait pas être possible de confirmer un acte
23 d’accusation sur la base de faits sur la base desquels une
24 Chambre de première instance ne pourrait pas
25 raisonnablement condamner une personne. Il me semble donc
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1 que cette question est pertinente à ce stade-là déjà.
2 Pour aborder le critère donc raisonnable en lui-
3 même, c’est un critère qui a trois caractéristiques
4 fondamentales.
5 En premier lieu, la question posée est
6 nécessairement : Est-ce qu’une Chambre raisonnable
7 pourrait condamner selon le critère au-delà de tout doute
8 raisonnable ? Donc, ce critère au-delà de tout doute
9 raisonnable fait partie intégrante nécessairement du
10 critère que la Chambre appliquerait même à ce stade.
11 Deuxièmement, selon ce même critère, il faut bien
12 peser la fiabilité de tout élément de preuve puisque la
13 question est celle de savoir si une Chambre raisonnable
14 pourrait condamner sur la base des moyens de preuve et pour
15 prendre cette décision, il faut tenir compte du poids, de
16 la valeur probante, de la crédibilité pour décider si l’on
17 peut condamner selon le critère au-delà de tout doute
18 raisonnable.
19 Troisièmement, ayant formulé ces deux premières
20 réflexions, propositions, il n’y a aucune place pour des
21 présomptions arbitraires. Ayant formulé donc le critère
22 selon ce que ferait une Chambre raisonnable, il n’y a pas
23 la moindre place pour des présomptions artificielles en
24 faveur de l’Accusation, et cætera.
25 Ainsi, nombre des difficultés que vous voyez avec
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1 nos arguments, j’ai l’impression que ces mêmes difficultés
2 sont déjà soulevées lorsqu’on applique à ce stade du procès
3 le critère raisonnable.
4 Concernant la distinction entre milieu de parcours
5 et fin de parcours, est-ce que nous parlons du même critère ?
6 Oui, parce que la culpabilité de l’accusé doit toujours
7 être appréciée selon un seul et unique critère.
8 Mais le point fondamental, et c’est vraiment le
9 noyau de la question, dans une procédure contradictoire où
10 l’Accusation a le fardeau de prouver et tout le fardeau de
11 la preuve de la culpabilité au-delà de tout doute
12 raisonnable, le milieu de parcours dans une procédure
13 contradictoire doit être et devrait être la fin du parcours
14 et cela diffère d’une procédure non contradictoire dans
15 laquelle le juge se dit simplement : « Je veux écouter tous
16 les moyens de preuve. Je divise la procédure. Je veux
17 voir toutes les preuves devant moi ».
18 Mais dans un procès contradictoire, toutes les
19 preuves que l’Accusation a le droit de présenter à la
20 Chambre ont dû être présentées à la fin du réquisitoire
21 principal. C’est le fardeau qui incombe à l’Accusation.
22 Les juges qui prendraient une décision maintenant sont les
23 mêmes que ceux qui prendraient une décision à la fin du
24 procès.
25 Donc, à mon avis, l’efficacité de la justice à
Page 16638
1 long terme milite en faveur d’évaluer déjà les moyens de
2 preuve établis, présentés par l’Accusation lorsque
3 l’Accusation a clos sa présentation des preuves. C’est là
4 leur seule et unique occasion de présenter leurs moyens de
5 preuve. Ils n’ont au-delà aucun droit, si ce n’est le
6 droit de la réplique.
7 Donc, la position des juges est tout à fait
8 différente que la position des juges dans une procédure non
9 contradictoire.
10 Je suis tout à fait disposé à répondre à d’autres
11 questions, Monsieur le Juge, mais voilà nos raisons.
12 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Merci
13 beaucoup, Monsieur Smith. Je crois que le mieux maintenant
14 serait… j’ai vu le plan de votre mémoire, de vos arguments
15 qui couvre la plupart des éléments déjà exposés dans le
16 mémoire. Nous allons, bien sûr, écouter les arguments que
17 vous tenez à présenter mais je tiens tout de même à ne pas
18 perdre du temps inutilement.
19 Mais il me semble que ce qui pourrait beaucoup
20 nous aider à l’heure actuelle serait d’aborder les chefs
21 d’accusation par rapport auxquels vous dites qu’il n’y a
22 pas la moindre preuve, s’il y a de tels chefs par rapport
23 auxquels vous invoquez que les éléments de preuve sont
24 insuffisants.
25 Nous allons maintenant peut-être nous éloigner un
Page 16639
1 petit peu du thème du critère et en venir aux éléments de
2 preuve.
3 Me SAYERS (interprétation) : Je crois comprendre
4 que la Chambre n’a pas envie de réécouter nos arguments
5 concernant notamment la responsabilité des supérieurs
6 hiérarchiques. Je pense que comme nous l’avons abordé dans
7 notre mémoire, il n’est pas opportun de trop insister là-
8 dessus.
9 Cela étant, j’aimerais bien mettre l’accent sur
10 une chose. Les principes généraux, je crois, sont exposés
11 dans l’affaire Celebici. Le Tribunal avait mis l’accent
12 sur l’importance de faire preuve de précaution lorsqu’il
13 faut interpréter de manière assez large la notion de la
14 responsabilité du supérieur hiérarchique lorsqu’il y a des
15 supérieurs hiérarchiques militaires, des subordonnés.
16 C’est le contexte dans lequel le critère a été initialement
17 utilité et c’est le contexte dans lequel il est opportun de
18 l’appliquer.
19 Dans des questions civiles, cela pose des
20 questions bien plus difficiles. Dans l’affaire Celebici,
21 il est dit effectivement que le critère peut s’appliquer à
22 des autorités civiles, mais uniquement dans l’hypothèse ou
23 ces supérieurs hiérarchiques ont vraiment un réel contrôle
24 sur leurs subordonnés et je citerai donc le paragraphe 78
25 du dispositif Celebici.
Page 16640
1 Effectivement, le Tribunal a mis l’accent sur le
2 fait qu’il faut prendre des précautions pour qu’il n’y ait
3 pas un déni de justice commis en estimant que les individus
4 sont responsables pour les actes d’autres dans les
5 situations où le lien de contrôle était ténu et, donc,
6 c’est vraiment le seul lien de contrôle sur lequel
7 l’affaire met l’accent.
8 Alors, pour répondre très brièvement à l’une des
9 questions soulevées par l’Accusation, l’Accusation cite une
10 décision prise par le Tribunal pénal international pour le
11 Rwanda à la page 30 du mémoire de l’Accusation :
12 « Le pouvoir d’influence suffirait à justifier une
13 responsabilité du supérieur hiérarchique. »
14 Ce serait tout, selon l’Accusation. Si vous avez
15 de l’influence, quelle qu’en soit la nature, et cela
16 suffirait à vous rendre potentiellement responsable au
17 terme de la section 6(3) du Statut du Tribunal du Rwanda
18 qui est analogue à la section 7(3) du Statut de ce
19 Tribunal.
20 Mais selon nous, l’affaire Kayishema a très
21 clairement énoncé les circonstances dans lesquelles la
22 responsabilité du supérieur hiérarchique s’applique
23 également au civil.
24 Dans le paragraphe 216 de la décision, la Chambre
25 a dit : « La question essentielle n’est pas le statut, les
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1 fonctions civiles de l’accusé, mais le degré d’autorité
2 qu’il exerçait sur ses subordonnés. »
3 Dans le paragraphe 222, le Tribunal a dit que :
4 « Il s’agit en fait d’un test de contrôle effectif. »
5 Il conclut dans le paragraphe 229 en disant :
6 « Le principe de la responsabilité du supérieur
7 hiérarchique ne doit s’appliquer qu’aux supérieurs qui
8 exercent un contrôle effectif sur leurs subordonnés, c’est-
9 à-dire l’aptitude concrète à contrôler les actions des
10 subordonnés, c’est vraiment la pierre angulaire de cette
11 forme de responsabilité selon l’Article 6(3) du Statut du
12 Rwanda. »
13 Nous estimons que c’est vraiment là l’essentiel de
14 ce principe de responsabilité du supérieur hiérarchique et
15 c’est surtout sur ce point que le Tribunal doit
16 s’interroger.
17 Je citerais également l’affaire Aleksovski. La
18 Chambre avait dit que le pouvoir du supérieur hiérarchique
19 de punir ses subordonnés n’était peut-être pas essentiel.
20 Là, il s’agissait d’un commandant de prison.
21 Dans cette affaire Aleksovski, il faut également
22 tenir compte du fait que des rapports aux autorités
23 compétentes peuvent suffire à justifier des enquêtes et que
24 le supérieur hiérarchique est tenu de faire des rapports
25 aux autorités compétentes sur les crimes dont il a
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1 connaissance qui pourraient déclencher une enquête qui
2 devrait aboutir à des mesures de sanctions.
3 Le contexte dans lequel l’affaire a été décidée
4 n’était pas un contexte dans lequel des infractions étaient
5 connues des autorités compétentes et il incombait donc à
6 l’Accusé Aleksovski d’initier une enquête, mais cela ne
7 s’applique pas, un tel critère ne s’applique pas dans une
8 situation où une enquête est déjà en cours.
9 Alors, en me référant spécifiquement aux
10 allégations Ahmici et Stupni Do où il était clair que les
11 enquêtes avaient été initiées par les autorités HVO,
12 j’allais à présent rentrer sur les distinctions qui
13 séparent les autorités civiles et les organes militaires.
14 Je me rappelle très bien que vous m’avez demandé,
15 Monsieur le Président, quelque chose de très précis lors de
16 la déposition d’un des témoins et c’est de savoir ce que ce
17 témoin considérait être les liens qui rassemblaient les
18 autorités militaires et les autorités civiles.
19 Ce qui apparaissait c’est qu’il y avait eu une
20 très étroite… enfin, vous m’avez demandé si je pensais
21 qu’il y avait une étroite collaboration entre ces deux
22 types d’entités pendant la période de conflit. Moi, j’ai
23 déclaré que non. Je ne pensais pas que c’était le cas.
24 Ce qui est bien clair c’est qu’après la
25 déclaration de menaces de guerre par la République de
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1 Bosnie-Herzégovine le 8 avril 1992, il y a eu un chaos
2 total qui a régné dans le pays et les autorités militaires
3 ou politiques croates étaient dans un état de confusion
4 totale. Les institutions politiques et les institutions
5 militaires ne faisaient qu’une quasiment et je crois que le
6 témoin dont nous parlons ici, le Dr Ribicic, avait fort
7 bien expliqué comment les Croates, au cours des sept mois
8 qui ont suivi, ont réussi à s’organiser progressivement.
9 Il a notamment mis le doigt sur deux tournants
10 dans le temps, notamment le 3 juillet 1992, date à laquelle
11 les autorités de la République croate de Herceg-Bosna se
12 sont réunies, ont passé un certain nombre de décrets.
13 C’est la première fois qu’un décret sur les forces armées a
14 été voté et puis il est également intéressant de noter qu’à
15 ce même moment, une décision modifiée a été prise sur la
16 formation de la République croate de Herceg-Bosna.
17 Vous vous rappellerez que le responsable de cela
18 était le commandant suprême des forces armées, au titre de
19 l’Article 29 du Règlement sur les forces armées, et c’est à
20 partir de cette réunion, à partir de ce moment-là, que les
21 autorités politiques ont commencé à se distinguer des
22 autorités militaires et c’est un processus qui a continué
23 au cours des mois qui ont suivi et qui a vu son
24 aboutissement, si vous voulez, le 17 octobre 1992, moment
25 auquel toutes les institutions du gouvernement du HVO
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1 avaient été établies.
2 Le Premier ministre a été nommé, Monsieur Jadranko
3 Prlic, le chef du gouvernement de la République croate de
4 Herceg-Bosna a été désigné, un ministère de la Défense a
5 été mis sur pied, un Règlement sur la discipline militaire
6 a été évoqué, un certain nombre de personnes ont été
7 nommées à des postes militaires importants et le Dr Ribicic
8 a reconnu, comme il le devait qu’à cette époque-là, le
9 gouvernement civil était établi et ses organes étaient
10 constitués et il fonctionnait, alors que de leur côté, les
11 institutions militaires étaient sur pied, fonctionnaient,
12 rendaient leurs décisions et répondaient à un code de
13 procédure disciplinaire tout à fait distinct.
14 Il semble très clair, au vu des éléments de preuve
15 de l’Accusation, que lorsque la zone opérationnelle de
16 Bosnie centrale a été établie et placée sous le contrôle du
17 Colonel Blaskic, cela a été fait à la date environ du 11
18 novembre 1992, et à cette époque-là, il apparaît
19 manifestement que les institutions militaires et politiques
20 étaient distinctes et fonctionnaient de façon distincte.
21 Lorsque vous regardez maintenant les éléments de
22 preuve relatifs à la responsabilité du supérieur
23 hiérarchique, il s’agit là d’un sujet sur lequel nous
24 sommes revenus amplement dans le cadre des différents
25 contre-interrogatoires que nous avons menés.
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1 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Je n’aime pas
2 vous interrompre, Me Sayers, mais il faut absolument que
3 nous tenions compte de l’heure. Il s’agit là d’un sujet
4 que vous couvrez abondamment dans votre mémoire écrit.
5 Alors, à moins qu’il n’y ait un aspect particulier que vous
6 souhaitiez faire valoir en réponse aux arguments de
7 l’Accusation, je crois que nous pouvons considérer que nous
8 savons quels sont vos arguments en l’espèce.
9 Me SAYERS (interprétation) : Bien ! Une seule
10 chose seulement, Monsieur le Président, que je souhaiterais
11 ajouter pour ce qui est de ce que nous affirmons quant au
12 fait que Monsieur Kordic ne faisait pas partie de la chaîne
13 de commandement.
14 Nous pensons que les éléments de preuve indiquent
15 très clairement, et ce n’est pas sujet à controverse, qu’il
16 n’était pas partie de la chaîne de commandement. Je
17 reviendrai sur ce que l’Accusation dit à propos de Busovaca
18 et sur les événements de janvier 1993, mais il me semble
19 que les éléments de preuve qui permettraient peut-être de
20 dire que Monsieur Kordic était partie de la chaîne de
21 commandement sont les commentaires simplement qui sont
22 faits par le Lieutenant-Colonel Stewart qui dit que,
23 d’après lui, Monsieur Kordic était le responsable militaire
24 à Busovaca et le Colonel Stewart indique que c’est suite à
25 des entretiens avec Monsieur Kordic qu’il a eus le 3
Page 16646
1 février 1993 qu’il affirme que celui-ci faisait
2 effectivement partie de la chaîne de commandement.
3 Rappelez-vous ce qu’a dit le Colonel de brigade
4 Duncan, rappelez-vous ce qu’il a dit dans le cadre de sa
5 déposition. Il déclare à la page 10465 du Greffe ce qu’il
6 pense être les éléments qui lui permettent de dire que
7 Monsieur Blaskic était commandant…
8 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Il n’est pas
9 nécessaire de revenir sur ce point, Me Sayers. Nous avons
10 tout cela dans vos documents écrits.
11 Me SAYERS (interprétation) : Très bien ! Je
12 reviens alors sur le paragraphe relatif aux crimes à
13 proprement parler.
14 Y a-t-il effectivement des chefs d’accusation pour
15 lesquels il n’y a aucun élément de preuve ? Eh bien, je
16 réponds : oui. Je vous renvoie au chef d’accusation 1 qui
17 parle de persécution généralisée sur l’ensemble du
18 territoire de la République croate de Herceg-Bosna et sur
19 le territoire de la municipalité de Zenica dans le
20 territoire de Bosnie-Herzégovine.
21 Enfin, peut-être devrais-je m’interrompre et me
22 tourner vers Me Smith qui est celui qui s’est le plus
23 penché sur cet élément, mais enfin, je voudrais tout de
24 même dire que l’acte d’accusation modifié indique très
25 précisément que la République croate de Herceg-Bosna était
Page 16647
1 constituée au départ de 30 municipalités, et par la suite,
2 une municipalité supplémentaire, la municipalité de Zepce,
3 a été ajoutée suite à la fondation de la République croate
4 de Herceg-Bosna le 18 novembre 1991.
5 Pour 24 de ces municipalités, il n’existe aucun
6 élément de preuve permettant d’établir qu’il y a eu
7 persécution : Jajce, Skender Vakuf, Kakanj, Kotor Varos,
8 Tomislavgrad, et je n’en cite que quelques-unes.
9 Pour ce qui est d’autres municipalités, permettez-
10 moi de revenir sur notamment Travnik. Il n’existe aucun
11 élément de preuve permettant de montrer qu’il y a eu des
12 persécutions de musulmans de Bosnie par des Croates de
13 Bosnie dans la municipalité de Travnik. Je fais valoir
14 cela à vos yeux, Monsieur le Président, et à vous,
15 Messieurs les Juges.
16 Messieurs Hayes et Morsink qui venaient de l’ECMM
17 et du bataillon britannique ont, dans le cadre de leurs
18 dépositions, montré qu’ils avaient été présents sur tout ce
19 territoire entre avril 1993 et aucun d’entre eux n’a jamais
20 vu Monsieur Kordic à Travnik.
21 La seule chose dont nous disposons relativement à
22 la municipalité de Travnik, c’est l’événement qui s’est
23 produit le 12 avril 1993, date à laquelle, je crois, des
24 drapeaux ont été hissés à Travnik avant d’être mis à feu
25 par des membres de la 7e Brigade musulmane.
Page 16648
1 M. LE JUGE ROBINSON (interprétation) : Est-ce que
2 vous revenez dans le détail de tout cela, Me Sayers, ou
3 bien est-ce que c’est Monsieur Smith qui va revenir sur le
4 détail de tout cela parce que moi, je préférerais obtenir
5 une liste assez détaillée de ce qui s’est passé dans les 24
6 municipalités ?
7 J’aimerais que vous nous disiez exactement pour
8 quelles municipalités il y a eu ou non des éléments de
9 preuve présentés et puis rappelez-nous quels sont les chefs
10 d’accusation sur lesquels vous revenez, s’il vous plaît.
11 Ce serait plus clair.
12 Me SAYERS (interprétation) : Les seules
13 municipalités pour lesquelles nous pensons qu’il y a eu
14 présentation d’éléments de preuve sont : la municipalité de
15 Travnik; la municipalité de Kresevo par le biais du
16 témoignage du Témoin E; Fojnica grâce à la déposition du
17 Témoin Stjepan Tuka; et puis les municipalités qui sont
18 prépondérantes dans le chef d’accusation modifié, à savoir
19 celles de Vitez, Novi Travnik, Busovaca, Zepce, Vares,
20 ainsi que Kiseljak.
21 Pour toutes les autres municipalités qui faisaient
22 partie de la République croate de Herceg-Bosna, il n’existe
23 aucun élément de preuve.
24 En conséquence, nous sommes d’avis que dans la
25 mesure où l’acte d’accusation modifié affirme qu’il y a
Page 16649
1 effectivement eu persécution dans ces 24 municipalités
2 alors qu’il y en a certaines pour lesquelles aucun élément
3 de preuve n’a été avancé, eh bien, ces allégations doivent
4 être déboutées, doivent être rejetées à ce stade de la
5 procédure.
6 Je le dis une nouvelle fois, c’est Me Smith qui
7 reviendra sur le détail de tout cela, mais je voudrais pour
8 ma part revenir sur ce qui s’est passé à Travnik, à Kresevo
9 et à Fojnica.
10 J’ai déjà dit ce que je voulais souligner à propos
11 de Travnik. Je n’ajouterai qu’une chose. D’après le
12 témoignage du Témoin AA, il a été demandé à ce témoin de
13 revenir sur les événements qui ont marqué le début des
14 événements et du conflit du 12 avril. La personne avec
15 laquelle il s’est entretenu n’était pas du tout Monsieur
16 Kordic mais Monsieur Valenta et, dans la mesure où les
17 allégations de persécution sont faites pour la municipalité
18 de Travnik, il semble qu’elles soient totalement infondées
19 au vu des éléments de preuve évidents qui tendent à montrer
20 que la persécution s’exerçait dans l’autre sens avec
21 l’offensive menée le 8 juin par l’armée de Bosnie-
22 Herzégovine qui a résulté dans le déplacement de réfugiés
23 en nombre massif mais également dans la perpétration
24 d’atrocités à Miletici et dans d’autres zones également.
25 Pour ce qui est de la municipalité de Kresevo, il
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1 n’existe aucun élément de preuve permettant d’établir un
2 lien entre Monsieur Kordic et les événements qui se sont
3 produits à Kresevo. Monsieur le Président, Messieurs les
4 Juges, personne ne dit qu’il avait quoi que ce soit à voir
5 avec les événements qui se sont produits sur place, et
6 d’ailleurs, le Témoin E a dit n’avoir jamais vu Monsieur
7 Kordic à Kresevo à quelque moment que ce soit et il a
8 déclaré que pour ce qui le concernait, Monsieur Kordic
9 était simplement le Vice-Président du HDZ, c’est tout,
10 qu’il n’avait aucune fonction militaire que ce soit. C’est
11 le seul élément de preuve, il me semble, qui nous a été
12 présenté par l’Accusation et qui ait un lien quelconque
13 avec Kresevo.
14 Maintenant, pour ce qui est de la municipalité de
15 Fojnica, aucune allégation n’a été formulée quant à des
16 crimes commis contre des musulmans avant que les musulmans
17 eux-mêmes lancent une offensive surprise le 2 juillet 1993.
18 D’ailleurs, les éléments de preuve indiquent que s’il y a
19 eu effectivement persécution et discrimination, c’est une
20 discrimination exercée par les musulmans de Bosnie contre
21 les Croates de Bosnie dans ce territoire précis.
22 Je vous renvoie tout simplement à ce qui s’est
23 passé le 10 octobre 1993 et notamment au rapport spécial
24 qui était alors rédigé par la mission d’observation de
25 l’Union européenne et qui explique précisément cela. Il
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1 s’agit de la pièce de la Défense D201/1.
2 Plusieurs milliers de personnes ont été expulsées
3 de chez elles, toutes des Croates de Bosnie. Il n’en
4 restait que 150 dans la municipalité. Il y a eu des actes
5 de persécution, il y a eu destruction de villages croates
6 et il y a eu pillage de maisons croates, mais il n’existe
7 aucun allégation qui permet de dire qu’il y a eu des actes
8 perpétrés à l’encontre de musulmans de Bosnie sur le
9 territoire de cette municipalité et il n’y a certainement
10 pas d’élément de preuve qui pourrait laisser penser que
11 Monsieur Kordic avait un lien quelconque avec ces crimes
12 parce que Monsieur Tuka a bien dit qu’il n’avait été vu sur
13 place qu’une fois lors d’un match de football.
14 Sur ce et avec la permission de vous, Monsieur le
15 Président et Messieurs les Juges, je vais céder la parole à
16 Me Smith qui va plus particulièrement revenir sur la
17 théorie de la persécution.
18 Me SMITH (interprétation) : Très brièvement,
19 Monsieur le Président, je voudrais revenir sur l’Article
20 7(1) et sur les questions qui en découlent. Je vous
21 rappelle, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, qu’au
22 titre de l’Article 7(1), les lois pénales doivent être
23 interprétées de façon étroite et lorsqu’il s’agit de se
24 poser la question du principe de nullum crimen sine lege.
25 On doit se poser la question de l’interprétation que l’on
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1 fait d’un texte juridique. On ne doit pas seulement se
2 poser la question de savoir si effectivement le meurtre
3 était considéré comme un crime en 1991 et 1992. La
4 question est de savoir si l’accusé avait réellement
5 possibilité de savoir quelles sont les interprétations qui
6 sont faites aujourd’hui de la loi telle qu’elle existe à ce
7 jour.
8 Il y a trois situations qui se présentent dans le
9 cas d’espèce et qui exigent que l’on s’y penche avec
10 attention. D’abord, il y a la question de la
11 responsabilité indirecte. Ensuite, il y a la question de
12 preuves indirectes, et troisièmement, dans la plupart des
13 cas, il s’agit de la question des éléments de preuve par
14 ouï-dire.
15 M. LE JUGE BENNOUNA : Me Smith, si je vous ai
16 bien compris, parce que je vous écoute aussi en anglais,
17 alors, parfois, je ne suis pas sûr d’avoir compris, est-ce
18 que vous voulez nous dire que le principe nullum crimen
19 sine lege signifie que non seulement la règle existe avant
20 que le crime ne soit commis mais aussi qu’on ne doit
21 appliquer à tel crime que telle interprétation établie au
22 moment de la commission de ce crime, donc, non seulement la
23 règle de droit existe, si c’est ce que vous nous dites,
24 mais aussi l’interprétation de cette règle de droit doit
25 être celle existant au moment où le crime a été commis ?
Page 16653
1 C’est ça que vous nous dites parce que si vous
2 nous dites cela, moi, j’aimerais quand même que vous le
3 précisiez dans votre raisonnement parce que ça nous
4 permettra de suivre.
5 Me SMITH (interprétation) : Tout à fait et c’est
6 entièrement de ma faute, Monsieur le Juge.
7 En fait, ce que je voulais dire c’est que lorsque
8 l’on applique ce principe du nullum crimen sine lege, on
9 doit l’appliquer non seulement à des questions relatives au
10 droit substantiel, c’est-à-dire à des questions qui
11 permettent de savoir si ce droit substantiel était le droit
12 qui s’appliquait au moment où les actes ont été perpétrés
13 en 1992, 1993 et 1994, l’on doit également étudier ce même
14 principe lorsque l’on se pose la question de
15 l’interprétation d’une loi qui était effectivement en
16 vigueur à l’époque.
17 Aujourd’hui, nous sommes à une époque différente
18 et quelle est l’interprétation qui prévaut ? Quelle est
19 l’interprétation de cette loi qui prévaut à l’heure
20 actuelle ?
21 Le droit humanitaire international pénal qui est
22 appliqué pour la première fois par ce Tribunal
23 international depuis la Seconde Guerre mondiale, ce droit
24 applique les principes, leur donne plus d’ampleur, leur
25 donne plus de logique, leur donne des interprétations plus
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1 riches.
2 Donc, il faut savoir ce que la loi veut vraiment
3 dire et vise vraiment, et pour savoir cela, il faut se
4 demander si l’accusé, au moment où les faits ont été
5 perpétrés, aurait eu l’occasion de savoir quel était l’état
6 du droit…
7 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Mais voyons,
8 en quoi cela est-il lié au fait de savoir s’il y a
9 suffisamment d’éléments de preuve réunis pour invoquer
10 l’Article 98 bis ?
11 Me SMITH (interprétation) : Eh bien parce que,
12 Monsieur le Président, cette question se pose également par
13 rapport au droit substantiel qui est d’application, et là,
14 je vous renvoie aux articles 7(1), 7(3), je vous renvoie à
15 nos mémoires préalables au procès relatifs à l’application
16 des articles 3 et 5 du Statut.
17 Pour savoir si les éléments de preuve sont
18 suffisants, il faut avoir à l’esprit une certaine idée de
19 la loi qui est d’application, du droit qui est
20 d’application, et l’Accusation et nous-mêmes, nous ne
21 sommes pas d’accord sur quelle est la loi qui est
22 d’application, et moi, j’essaie d’établir un principe
23 général dont je crois qu’il doit être bien présent à
24 l’esprit de chacun lorsqu’on se pose un certain nombre de
25 questions d’ordre juridique.
Page 16655
1 Pour l’Article 7(1), j’ajouterai simplement que
2 nous pensons que tous les chefs d’inculpation faits en
3 invoquant l’Article 7(1) ne satisfont pas le critère de la
4 qualité, du poids et de la fiabilité de l’élément de
5 preuve. En tout cas, ils ne satisfont pas les critères de
6 la Chambre de première instance en la matière et puis nous
7 pensons qu’ils n’ont aucune valeur en soi. Ils n’ont pas
8 une valeur d’éléments de preuve en soi.
9 J’en viens maintenant à ce que nous disons à
10 propos de la persécution et cela revient à quatre choses
11 assez précises. Tout d’abord, pour la question de
12 l’intention délictueuse, c’est un point que nous faisons
13 valoir dans notre mémoire. La définition de l’intention
14 délictueuse dans le cadre de crimes de persécution découle
15 de la définition qui est celle d’un acte discriminatoire,
16 définition qui a été donnée par la Chambre de première
17 instance qui a entendu l’affaire Kupreskic et c’est cela
18 que vous devez avoir surtout à l’esprit.
19 Le critère fixé pour l’intention délictueuse est
20 supérieur à celui fixé pour les crimes contre l’humanité et
21 il faut se poser la question de savoir si les éléments de
22 preuve présentés en l’espèce démontrent au-delà de tout
23 doute raisonnable la volonté de priver un groupe clairement
24 défini de ses droits fondamentaux tels qu’établis dans le
25 droit coutumier ou le droit des traités internationaux,
Page 16656
1 cela dans le but d’éliminer les personnes faisant partie de
2 ce groupe de la société à laquelle elles appartiennent ou
3 les éliminer du genre humain en lui-même.
4 C’est pour nous un critère extrêmement sévère qui
5 est établi ici, extrêmement précis, extrêmement élevé.
6 Donc, ça, c’est la première chose.
7 J’en viendrai maintenant aux trois autres points
8 qui sont soulevés dans le mémoire de l’Accusation sur cette
9 question de la persécution. Tout d’abord, pour ce qui est
10 du fait de savoir si Monsieur Kordic a lui-même jamais cédé
11 à des tentations de discrimination vis-à-vis de personnes,
12 l’Accusation dans son mémoire fait référence à ce qui a été
13 dit par un témoin et selon lequel Monsieur Kordic, à un
14 moment donné, avait prononcé la phrase : « une culture
15 musulmane culturellement inférieure. » Fin de citation.
16 C’est vis-à-vis de ce point en particulier que j’invoque
17 cette définition qui a été donnée précédemment des droits
18 fondamentaux et du désir d’éliminer une personne de la
19 société ou du genre humain lui-même.
20 Je crois que si on demande à la plupart des
21 Européens s’ils pensent que la culture américaine est une
22 culture inférieure à la culture européenne, je crois que
23 tous les Européens hommes et femmes diraient : « Eh bien
24 oui », et je vous dis à vous, Monsieur le Président,
25 Messieurs les Juges, que ce genre d’affirmation n’a pas la
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1 valeur que l’on est en droit de rechercher lorsqu’on essaie
2 d’établir un crime de persécution.
3 Outre ce commentaire dont il a été fait état, il y
4 a deux autres points qui sont soulevés dans les documents
5 de l’Accusation. L’un indique que Monsieur Kordic a parlé
6 d’extrémistes musulmans et de Mujahedins dans ses
7 déclarations publiques et moi, Monsieur le Président, je
8 dis que cela n’est rien d’autre qu’une déclaration et ce
9 n’est qu’un point de fait.
10 Troisième point lié au fait de savoir si l’accusé
11 s’est rendu personnellement responsable d’une
12 discrimination est son explication d’une préoccupation
13 politique qui est la sienne et qui est relative à la
14 possibilité de voir se créer un État islamiste en Bosnie et
15 je répète que dès lors que l’on traite de questions de
16 discours oral, de discours politique et d’association
17 politique, on entre dans une zone extrêmement délicate.
18 Je vous renverrai tout simplement aux remarques
19 faites par un membre musulman de la présidence de la
20 Fédération de Bosnie-Herzégovine qui ont été diffusées à
21 votre bénéfice sur une cassette vidéo. Dans le cadre de
22 cette cassette vidéo, on voyait Monsieur Durakovic dire
23 qu’il savait bien que la présidence de la Bosnie-
24 Herzégovine, dont il faisait partie en tant que membre
25 musulman, n’était que des postes honorifiques, des
Page 16658
1 marionnettes, que la présidence n’était pas vraiment un
2 centre de pouvoir, un centre où les décisions étaient
3 prises.
4 D’après lui, les vraies décisions étaient prises
5 par un groupe plus petit ayant à sa tête le Président et je
6 vais citer ce qu’il a dit.
7 Je cite : « Lorsque les choses se sont aggravées,
8 lorsqu’une armée de Bosnie-Herzégovine presque ethniquement
9 pure, lorsque la religion a été utilisée à des fins
10 politiques, lorsqu’ils ont commencé à purger l’armée de
11 Bosnie-Herzégovine d’individus inappropriés, comme ils
12 l’ont dit, les gens qui n’étaient pas membres du SDA, les
13 personnes qui n’utilisaient pas le terme shalom pour se
14 saluer, les personnes qui ne se présentaient pas comme des
15 personnes ayant une religion fervente » – et je vous
16 rappelle que c’est un membre musulman de la présidence qui
17 parle – « nous avons envoyé des lettres émanant de la
18 présidence sur lesquelles nous nous exprimions sur la
19 politisation de l’armée et sur l’utilisation de la religion
20 à des fins politiques. »
21 Donc, encore une fois, je dirais qu’il s’agit là
22 de déclarations relatives à des prises de positions
23 politiques sur la façon dont évoluait et se créait l’État
24 bosniaque, et dans un discours politique, il n’est pas
25 totalement injustifié ou impossible d’entendre parler de
Page 16659
1 Mujahedins et d’extrémistes musulmans.
2 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Eh bien, je
3 crois que nous allons suspendre, de toute façon, avant que
4 vous ne poursuiviez.
5 L’autre question qui peut valoir la peine d’être
6 posée est la suivante : Bien sûr, on peut regarder les
7 déclarations de l’accusé pour savoir s’il y avait dans
8 toutes ses déclarations des intentions discriminatoires ou
9 des intentions de persécution, mais on pourrait aussi dire
10 que l’on peut déduire des actes d’un accusé une intention
11 délictueuse. Tout dépend des actes.
12 Enfin, nous reviendrons sur tout cela tout à
13 l’heure et, Monsieur Smith et Monsieur Sayers, je vous
14 demanderais de bien avoir à l’esprit le temps qui passe.
15 Nous voulons entendre les défenseurs de Monsieur Cerkez et
16 nous voulons entendre l’Accusation. Il faut que tout cela
17 soit terminé aujourd’hui dans la mesure du possible.
18 Voilà ! Nous nous retrouvons dans une demi-heure.
19 --- Suspension de l’audience à 11 h 05
20 --- Reprise de l’audience à 11 h 38
21 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Me Smith.
22 Me SMITH (interprétation) : Oui, Monsieur le
23 Président. Il y a une question qui se pose concernant ce
24 que l’accusé a dit et concernant son intention du point de
25 vue de la discrimination. Il y a trois simples questions
Page 16660
1 que nous devons poser : Qu’a-t-il fait, l’accusé ? Qu’a-
2 t-il dit, l’accusé ? Et est-ce que l’accusé a encouragé
3 qui que ce soit en disant ou faisant ce qu’il a dit ou
4 fait ?
5 Nous avons parlé des hypothèses concernant les
6 actes commis par l’accusé dans notre mémoire et je veux
7 dire simplement que durant la période entre l’année 1991 et
8 le début de l’année 1992, pendant que l’exercice politique
9 du HDZ-BiH a abouti sur un référendum, nous avons également
10 parlé des institutions des Croates de Bosnie, de leur
11 création et de leur exercice du pouvoir.
12 Nous avons donc parlé de la question de savoir si
13 ces institutions exerçaient de fait et de jure leur pouvoir
14 de manière discriminatoire.
15 Nous avons parlé également des assemblées de ces
16 institutions, notamment le 22 septembre 1992, le 14
17 décembre, et puis nous avons également parlé des ultimatums
18 qui étaient lancés au printemps 1993 et également durant
19 l’hiver de l’année 1993.
20 Finalement, en ce qui concerne les actes commis
21 par l’accusé, nous avons également parlé de la question de
22 la guerre civile entre la communauté musulmane et la
23 communauté croate. Donc, je ne vais pas me pencher là-
24 dessus dans beaucoup de détails, mais en ce qui concerne
25 ces actes, il n’y a pas de preuve, ni vis-à-vis de ce qu’il
Page 16661
1 a dit. Il n’y a pas de preuve indiquant qu’il aurait
2 encouragé qui que ce soit dans ce genre d’actes. Il n’y a
3 pas de déclarations par lesquelles il encourageait les
4 personnes à s’approprier des choses qui ne leur
5 appartenaient pas.
6 Tout simplement, vous pourrez voir la cassette
7 vidéo, les séquences vidéos sur lesquelles vous pourrez
8 voir les propos prononcés par l’accusé. Donc, vous pourrez
9 arriver à votre propre décision.
10 Bien sûr, par exemple, le Témoin AQ a parlé de la
11 conférence de presse, mais nous avons le compte-rendu de
12 cette conférence de presse. Donc, vous savez très
13 exactement ce que l’accusé a dit et le Témoin AQ a parlé de
14 l’accusé sur la base de ses souvenirs concernant cette
15 conférence de presse et il a ajouté des choses.
16 Je souhaite maintenant parler d’un autre sujet qui
17 a été adressé par le Procureur dans sa réponse. Ici, il
18 s’agit de la réunion qui a eu lieu à Zagreb le 27 décembre
19 avec le Président Tudjman, et suite à cette réunion, l’on
20 s’attendait à ce que la communauté musulmane s’oppose aux
21 activités proposées lors de cette réunion.
22 Je souhaite souligner que nous avons avancé cela
23 dans notre mémoire, et d’ailleurs, le Procureur, dans sa
24 réponse au point 62, est d’accord avec nous, à savoir nous
25 avons dit qu’il est possible de penser quoi qu’on veuille
Page 16662
1 concernant cette réunion du 27 décembre mais qu’à l’issue
2 de cette réunion, il n’y a pas eu d’instructions données
3 afin d’utiliser la force pour atteindre les objectifs
4 fixés.
5 Bien sûr, il a été dit que les musulmans allaient
6 peut-être s’opposer à cela. Donc, l’on s’attendait à leur
7 opposition, mais ceci est souvent le cas. Lorsqu’on se
8 rend à des négociations, on s’attend à ce que l’autre
9 partie s’oppose aux propositions, mais c’est justement pour
10 cela qu’on va négocier et on n’essaie pas de forcer la main
11 tout simplement parce que peut-être l’autre partie
12 s’apprête à faire objection.
13 Le Procureur admet qu’il n’y a pas eu
14 d’instructions allant dans le sens de proposition
15 d’utilisation de la force. Effectivement, les négociations
16 ont eu lieu. Est-ce qu’ils ont réussi ? Non.
17 Les Croates de Bosnie ont ensuite dû décider de
18 voter pour leur indépendance dans le cadre d’un référendum.
19 Ils se sont sentis peu protégés dans la nouvelle nation,
20 dans le nouvel État.
21 Qu’est-ce qu’ils ont fait donc ? Ils n’ont pas
22 suivi l’exemple des Serbes. Ils n’ont pas essayé d’obtenir
23 leurs objectifs, d’atteindre leurs buts par le biais de la
24 force. Ils ont essayé de négocier. Ils ont organisé un
25 référendum. Tout ceci a échoué, et à la fin, ils ont
Page 16663
1 décidé de voter, et c’est suite à ces votes et seulement
2 suite à cela que la base de l’indépendance de la Bosnie-
3 Herzégovine a été constituée.
4 En ce qui concerne l’accusé, à l’époque, il était
5 un acteur politique. Il pouvait se prononcer sur beaucoup
6 de sujets du point de vue politique. Il a signé avec sa
7 femme la pétition de Busovaca, ses voisins l’ont fait
8 également, la pétition demandant la souveraineté de la
9 Bosnie-Herzégovine. Ensuite, un référendum a eu lieu et
10 après cela, l’annexion ou bien le partage de ce pays est
11 resté lettre morte.
12 Je souhaite maintenant parler de l’argument du
13 Procureur concernant les institutions des Croates de Bosnie
14 qui ont été, d’après le Procureur, constituées comme des
15 entités mono-ethniques et qui exerçaient leur pouvoir de
16 manière discriminatoire vis-à-vis de la communauté
17 musulmane.
18 Tout d’abord, dans ces institutions qui ont été
19 créées pendant la guerre, il faut savoir qu’il s’agissait
20 des institutions provisoires. Je pense que ce qui est le
21 plus utile c’est de citer le témoin-expert du Procureur qui
22 a répondu à la question concernant l’éventualité de la
23 possibilité d’une législation discriminatoire des Croates
24 de Bosnie et des institutions des Croates de Bosnie. Il a
25 dit : « Non. Bien, il y a eu très peu de dispositions
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1 explicitement discriminatoires dans la législation du HZ-
2 HB. »
3 Je souhaite également attirer votre attention sur
4 la décision concernant la création du HVO militaire en date
5 du 8 avril 1992 où il est dit de manière explicite que ceci
6 doit servir à protéger toutes les populations et non
7 seulement les Croates, et l’expert Ribicic, le Dr Ribicic a
8 accepté cela. Donc, il s’agissait de tous les citoyens, de
9 la protection de tous les citoyens de la Bosnie-
10 Herzégovine, non pas seulement du HZ-HB, ni seulement de la
11 Croatie.
12 Il y a eu également un décret concernant le
13 traitement des étrangers qui devaient être traités sur le
14 pied d’égalité vis-à-vis des autres et effectivement le Dr
15 Ribicic a été d’accord pour dire que chaque citoyen de la
16 Bosnie-Herzégovine pouvait être juge, par exemple, dans un
17 Tribunal, y compris les musulmans.
18 Le 14 novembre, Monsieur Boban lui-même a dit que
19 le HZ-HB est un État non pas seulement des Croates mais de
20 toutes les autres populations vivant sur ce territoire.
21 Le Dr Ribicic a également été d’accord pour dire
22 que de nombreux droits de l’homme ont été énumérés,
23 mentionnés, protégés par le biais de la législation de la
24 HR-HB et cette même liste a fait partie du Plan Owen-
25 Stoltenberg d’ailleurs.
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1 Le Dr Ribicic a également été d’accord pour dire
2 que la décision concernant la création de la République
3 croate de Herceg-Bosna a stipulé que cette République est
4 constituée de peuples ou bien de communautés de citoyens
5 libres et égaux et donc non pas seulement du peuple croate.
6 Nous avons cette situation où il existe une entité
7 et dire que cette entité a à sa tête un sommet politique
8 discriminatoire et raciste et dire que même d’autres
9 acteurs ont participé à cela, par exemple les militaires,
10 et cætera, alors qu’on peut comparer cela au fait et voir
11 qu’à Busovaca dans l’administration, il y avait le même
12 nombre de musulmans que de Croates en décembre 1992, dire
13 qu’il s’agit là d’une entité mono-ethnique serait égal que
14 de priver les autres groupes de leurs droits et ce serait
15 la même chose que de dire qu’aux États-Unis ou bien dans le
16 Royaume-Uni, nous avons des institutions mono-ethniques.
17 Il faut savoir qu’ici, il s’agissait de la guerre.
18 Il faut bien se remettre dans la condition qui prévalait à
19 l’époque, à savoir un chaos total. Les personnes, à titre
20 individuel, essayaient de s’organiser afin de pouvoir faire
21 face à leurs besoins quotidiens en matière de sécurité et
22 de sûreté pour leurs familles et pour elles-mêmes. Elles
23 essayaient également… et pensons à ce que nous avons dit à
24 propos de la communauté musulmane, il y avait des
25 négociations. Notamment dans le courant de l’été 1992 à
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1 Busovaca, il y a eu l’incident des barricades à Kaonik au
2 cours duquel des Croates essayaient de tendre la main à la
3 communauté musulmane qui se trouvait dans les municipalités
4 environnantes et les Croates, à de nombreuses reprises, ont
5 répété ce geste de la main tendue aux musulmans.
6 Je vous dirai simplement que dans ces
7 institutions, il y avait des personnes qui ont agi en toute
8 bonne foi, animées de bonnes intentions, ainsi que l’a fait
9 l’Accusé Monsieur Kordic, et il ne s’agit pas là d’actions
10 qui visent à la discrimination ou à la persécution.
11 Il s’agit ici d’auto-organisation, d’organisation
12 d’autodéfense. Il s’agit de réactions vis-à-vis d’une
13 réalité quotidienne extraordinairement complexe dans
14 laquelle les individus concernés n’ont joué aucun rôle.
15 Ils essaient ainsi de vous montrer comment ces institutions
16 ont opéré et il faut bien comprendre qu’au vu des
17 circonstances qui régnaient, les institutions ont réalisé
18 un ouvrage remarquable parce qu’elles ont réussi à gérer
19 les tensions et les complexités qui se faisaient jour.
20 Elles ont essayé d’aplanir les différends qui opposaient
21 les différents groupes.
22 Je vais très rapidement céder la parole à nouveau
23 à Me Sayers, mon collègue, qui va reprendre là où je me
24 suis interrompu.
25 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Me Sayers,
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1 pour revenir à ce chef d’accusation 1 et à vos arguments
2 relatifs aux 24 municipalités, ce à quoi se réfère le chef
3 d’accusation 1, au paragraphe 36, c’est à une persécution
4 systématique et généralisée des civils musulmans de Bosnie,
5 et cætera, dans l’ensemble des territoires de la Communauté
6 croate de Herceg-Bosna, et vous, vous identifiez huit
7 municipalités à propos desquelles vous dites qu’il n’y a
8 pas forcément énormément d’éléments de preuve, enfin, qu’il
9 y en a tout de même, et puis vous remettez en question le
10 fait de savoir s’il y a effectivement des éléments de
11 preuve relatifs aux événements qui se sont passés à
12 Fojnica.
13 Étant donné la formulation de ces chefs
14 d’accusation de persécution dans toute la HZ-HB – c’est ce
15 qui est indiqué dans l’acte d’accusation – et en l’absence
16 de toute demande de modification de l’acte d’accusation
17 dans sa formulation, comment envisagez-vous que la Chambre
18 procède ?
19 Même si nous pensions que votre requête était
20 motivée et qu’effectivement, il n’y avait pas d’éléments de
21 preuve relatifs aux autres municipalités, d’un point de vue
22 pratique, qu’envisagez-vous que la Chambre de première
23 instance fasse ?
24 Me SAYERS (interprétation) : Eh bien, Monsieur le
25 Président, c’est une excellente question, si je puis me
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1 permettre une telle remarque, et c’est quelque chose qui
2 nous met dans une mauvaise passe, mon Dieu, parce qu’à
3 moins que la Chambre estime qu’il n’y a pas d’éléments de
4 preuve relatifs à ce qui s’est passé dans les 24
5 municipalités et à moins que la Chambre de première
6 instance déclare que nous n’avons pas à présenter quelque
7 élément de preuve que ce soit pour ce qui est de ces 24
8 municipalités, eh bien, la Chambre verra que le champ de
9 notre action était illimité, et à moins que la Chambre de
10 première instance dise : « Eh bien, voyons, nous n’avons
11 que des éléments de preuve pour neuf des 24 municipalités.
12 Donc, vous n’avez pas besoin de nous prouver quoi que ce
13 soit pour les autres municipalités », alors, il nous faudra
14 le faire, à moins que vous nous disiez le contraire.
15 Je crois que c’est précisément à cela que sert
16 cette demande d’acquittement. Il faut que la Chambre s’en
17 serve comme instrument lui permettant de nous dire ce qui,
18 aux yeux de la Chambre de première instance, est
19 effectivement contesté en l’espèce et ce qui n’est pas
20 contesté parce qu’enfin, voyons, l’idée générale est
21 évidente.
22 Si nous devons présenter des éléments de preuve
23 relatifs à toutes ces municipalités, bien, cela veut dire
24 que nous parlons d’une quantité extraordinaire d’éléments
25 de preuve et si nous n’avons pas à le faire, eh bien, nous
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1 pouvons faire ce que nous avons déjà proposé à la Chambre
2 de première instance, c’est-à-dire des éléments de preuve
3 extrêmement ciblés relatifs aux points dont la Chambre de
4 première instance considère qu’ils sont particulièrement
5 contestés, et ensuite, c’est la Chambre de première
6 instance qui se prononcera sur le critère à appliquer à ces
7 différents éléments de preuve.
8 Pour ce qui est de Travnik, nous affirmons, nous,
9 qu’il n’y a pas d’éléments de preuve permettant de prouver
10 des actes de persécution à l’encontre de musulmans de
11 Bosnie, crimes perpétrés par des Croates de Bosnie, mais il
12 n’y a également rien qui permet d’établir des liens entre
13 ce qui a pu se passer et Monsieur Kordic et nous pensons
14 que cela a été établi au-delà de tout doute raisonnable.
15 On peut dire la même chose de Kresevo et de
16 Fojnica. Nous concédons que les éléments de preuve sont
17 nombreux et portent particulièrement sur les six
18 municipalités que j’ai énumérées tout à l’heure.
19 Avec la permission de la Chambre de première
20 instance, j’aimerais en venir précisément à ces six
21 municipalités afin d’indiquer quels sont, d’après nous, les
22 éléments ou les points qui sont sujet à controverse et ceux
23 qui ne le sont pas.
24 À titre d’exemple, simplement pour illustrer ce
25 que je viens de dire, je parlerai de Ahmici. Il n’y a
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1 aucun doute que des crimes ont été perpétrés à Ahmici et
2 jamais nous n’avons prétendu le contraire. Il y a eu des
3 crimes commis à Ahmici mais la question est de savoir si
4 Monsieur Kordic avait un lien quelconque avec la
5 perpétration de ces crimes, et dans quelques secondes, si
6 vous m’en donnez l’autorisation, je dirai qu’il n’y a aucun
7 lien entre Monsieur Kordic et ces crimes.
8 Maintenant, pour ce qui est des crimes perpétrés à
9 Stupni Do, crimes sur lesquels nous revenons exhaustivement
10 dans notre mémoire, il en est exactement de même.
11 Ou bien regardons les accusations relatives à
12 Rotilj. L’Accusation a présenté des éléments de preuve
13 d’après lesquels un certain nombre de personnes ont été
14 abattues à Rotilj. L’Accusation a indiqué également que
15 les personnes avaient été emprisonnées sur place.
16 En revanche, l’Accusation n’a en aucun cas montré
17 que Monsieur Kordic avait un lien avec ces événements, même
18 si l’on peut penser que ces événements constituent
19 effectivement des crimes. En fait, le témoignage du Témoin
20 AD est tel qu’il apparaît qu’on ne pouvait même pas se
21 rendre de Busovaca à la municipalité de Kiseljak sur le
22 territoire de laquelle se trouve Rotilj. Ce déplacement
23 était impossible après l’établissement par l’armée de
24 Bosnie-Herzégovine d’un contrôle de la route
25 d’approvisionnement qui va de Kacuni à Bilalovac et les
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1 éléments de preuve indiquent fort bien que cela s’est
2 produit le 20 janvier et tout ceci apparaît dans un rapport
3 d’information militaire.
4 Tout le monde est d’accord pour dire que l’armée
5 de Bosnie-Herzégovine a isolé l’enclave de Vitez-Busovaca
6 de la municipalité de Kiseljak et il n’y a rien qui puisse
7 établir un lien entre ce qui s’est passé à Rotilj et
8 Monsieur Kordic.
9 Un dernier point sur cette même question. Les
10 éléments de preuve versés par le biais du Colonel Morsink
11 montrent que Rotilj était en fait défendue parce que le
12 Colonel Morsink s’est entretenu avec le commandant du HVO
13 qui a mené l’assaut et cela apparaît à la page 8219 du
14 compte-rendu. Il a déclaré qu’il y avait des unités de
15 l’armée de Bosnie-Herzégovine qui avaient ouvert le feu sur
16 place et qu’un de ses soldats avait été touché.
17 À la page 8221, il a indiqué qu’il n’y avait
18 aucune raison de douter de cette histoire rapportée par ce
19 commandant du HVO, le Colonel Redzo, et d’autre part, le
20 Colonel Morsink s’est entretenu avec des civils vivant dans
21 la région et qui corroboraient ces dires.
22 Encore une fois, on ne peut pas établir de lien
23 entre Monsieur Kordic et ces événements.
24 Il y a un événement plus restreint, disons, qui
25 s’est passé à Tulica et qui est repris dans les chefs
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1 d’accusation 7 à 13 et 37 à 39 ou paragraphes 37 à 39.
2 Tulica se trouve à la pointe extrême de la poche de
3 Kiseljak et se trouvait, en fait, sur la ligne de front
4 avec l’armée des Serbes de Bosnie.
5 Pour utiliser exactement ce qui est dit dans
6 l’Article 7(3) du Statut, il n’y a dans cette affaire aucun
7 élément de preuve qui permet de savoir que Monsieur Kordic
8 savait ou avait des raisons de savoir ce qui se produisait
9 à Tulica.
10 Ce qui est plus important, et nous répondons sur
11 ce qu’a dit le Colonel de brigade Hayes, étant donné qu’il
12 était le chef de l’état-major et la FORPRONU et qu’il avait
13 son quartier général à Kiseljak et qu’il a passé six mois
14 sur place et que ces six mois couvrent la période des
15 conflits à Tulica et dans la municipalité de Kiseljak, dans
16 le cadre de sa déposition, on lui a demandé s’il avait
17 jamais vu Monsieur Kordic sur place. Il a répondu non. On
18 lui a demandé si Monsieur Kordic avait apparemment une
19 influence quelconque à Kiseljak pour autant qu’il le sache.
20 Il a répondu non et il a dit que certainement, lui n’était
21 jamais allé voir Monsieur Kordic pour essayer de résoudre
22 un problème à court terme ou à long terme qui se posait
23 peut-être à l’époque dans la municipalité de Kiseljak.
24 Donc, en l’absence de la connaissance par Monsieur
25 Kordic ou en l’absence de la possibilité de savoir ou
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1 d’avoir des raisons de savoir si des crimes étaient commis,
2 on ne peut pas dire quoi que ce soit vis-à-vis de Monsieur
3 Kordic qui relève de la responsabilité du supérieur
4 hiérarchique.
5 Même si Monsieur Kordic avait quelque pouvoir
6 militaire que ce soit lui permettant de sanctionner les
7 participants aux opérations de Tulica, tous les éléments de
8 preuve indiquent qu’il n’a pas fait utilisation de ce
9 pouvoir, si tant est qu’il l’avait.
10 Le dernier témoin qui a témoigné dans l’affaire
11 Blaskic a lui aussi évoqué cette question des sanctions
12 disciplinaires. Le Colonel Blaskic, à un moment donné, a
13 pris la décision d’imposer une sanction de cinq pour cent
14 aux membres du 4e Bataillon de la police militaire parce
15 que ceux-ci avaient commis des infractions disciplinaires.
16 Il a également donné un certain nombre d’exemples du
17 fonctionnement de la discipline militaire et nous avons
18 beaucoup d’exemples qui indiquent comment fonctionnait la
19 procédure militaire en la matière.
20 Maintenant, revenons sur un autre événement plus
21 restreint, disons, et qui correspond à un schéma classique.
22 Il est évident que des crimes ont été commis à Zepce mais
23 il n’est absolument pas prouvé que Monsieur Kordic était
24 sur place ou qu’il ait quelque lien que ce soit avec ces
25 événements.
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1 Les seuls crimes qui sont retenus dans l’acte
2 d’accusation modifié vis-à-vis de Zepce sont les chefs
3 d’accusation 21 à 28 relatifs à l’emprisonnement et au
4 traitement inhumain de certains individus, mais ce que le
5 Colonel Stutt a dit est la chose suivante : Il a dit que
6 l’influence de Monsieur Kordic ne s’étendait pas jusqu’à
7 Zepce. Il a parlé du fait que ce territoire était placé
8 sous la responsabilité de Ivo Lozancic et, alors que nous
9 lui avons soumis un mémorandum dans le cadre du contre-
10 interrogatoire, il apparaît que Ivo Lozancic est un rival
11 politique de Monsieur Kordic. Le mémorandum porte la cote
12 D193/1.
13 Donc, je répète qu’il n’y a aucun élément de
14 preuve, encore moins au-delà de tout doute raisonnable, qui
15 tendrait à montrer que Monsieur Kordic avait quelque
16 influence que ce soit à Zepce.
17 Les deux seuls témoins qui ont témoigné à propos
18 de Zepce, le Témoin F qui a témoigné le 10 juin de l’année
19 dernière et le Témoin AH qui a témoigné le 17 février de
20 cette année, ont tous les deux dit qu’ils ne l’avaient
21 jamais vu à Zepce et qu’il n’exerçait aucune influence,
22 encore moins néfaste, sur la région. Ils n’ont jamais dit
23 qu’il avait fait quelque remarque que ce soit qui aurait pu
24 conduire à la perpétration des crimes dont il est allégué
25 qu’ils ont été perpétrés à Zepce.
Page 16675
1 Il n’y a ni évidence qu’il ait ordonné, organisé,
2 aidé ou encouragé des crimes, quels qu’ils soient, là-bas
3 ou que ses subordonnés l’aient fait.
4 Ensuite, pour passer à une autre question abordée
5 en détail dans notre mémoire, c’est le pilonnage de Zenica,
6 paragraphe 36 du chef 1, chef de persécution qui parle de
7 persécution à Zenica, franchement, je ne comprends pas du
8 tout comment est-ce qu’il pouvait y avoir eu persécution de
9 musulmans Bosniens à Zenica.
10 Il est évident, toutes les preuves démontrent que
11 les Croates de Bosnie avaient été expulsés de tout le
12 village de Zenica et que les deux brigades de Zenica et
13 Jure Francetic qui y étaient avant avril avaient
14 complètement été éliminées par les forces musulmanes
15 bosniennes dans cette ville et que la ville, pendant toute
16 la durée de la guerre par la suite, est restée un bastion
17 musulman.
18 Ensuite, les chefs d’accusation 3 et 4, attaques
19 illicites sur des civils, je dirais que comme dans
20 l’affaire Blaskic où, sur ce chef, il a été acquitté,
21 l’Accusation n’est pas du tout parvenue à démontrer des
22 preuves prima facie…
23 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Je pense que
24 nous avons déjà abordé tout cela.
25 Me SAYERS (interprétation) : Bien ! Alors, je
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1 vais passer à la question suivante. Il s’agirait de
2 Divjak. Cela relève du chef…
3 [La Chambre discute]
4 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Je pense que
5 nous avons bien parcouru ce que vous avanciez vu qu’il n’y
6 a aucune preuve concernant Divjak. Cela ressort clairement
7 de votre mémoire.
8 Me SAYERS (interprétation) : Je n’ai rien de
9 particulier à rajouter à ce qui figure dans notre mémoire.
10 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Encore une
11 fois, vous avez présenté votre position concernant Monsieur
12 Kordic et Ahmici et Stupni Do.
13 Est-ce qu’il y aurait un autre chef d’accusation
14 que vous aimeriez aborder ?
15 Me SAYERS (interprétation) : Les soumissions
16 concernant les chefs 3 et 4 et 7 à 13, 37 à 39 concernant
17 Busovaca, simplement, nous voudrions attirer votre
18 attention sur la période très spécifique de janvier 1993 à
19 laquelle se rapportent ces allégations. Il me semble que
20 certaines allégations, certains chefs, en fait, s’étendent
21 à février 1993. Donc, la période de janvier 1993 est un
22 peu restreinte.
23 On peut présumer que cela se réfère au début des
24 hostilités à Busovaca. Je ne veux surtout pas réitérer
25 tout ce que nous avons déjà dit dans notre mémoire, mais
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1 j’aimerais mettre l’accent sur une chose.
2 Les hostilités ont commencé après que l’armée du
3 BiH avait pris l’initiative, dans le cadre de la Brigade
4 Kacuni 333 qui voulait bloquer la route qui était le seul
5 moyen de communication entre Kiseljak et Busovaca. Il ne
6 fait aucun doute que cela a eu lieu mais si le Tribunal se
7 réfère au mois de janvier, au rapport d’information
8 militaire, la raison pour laquelle cette initiative
9 militaire a été entreprise, c’était d’empêcher que des
10 renforcements n’arrivent à Busovaca depuis le sud.
11 C’est exactement ce que dit le rapport
12 d’information. Il n’y avait pas eu auparavant des barrages
13 ou des heurts entre les communautés jusque là et il ne fait
14 aucun doute que le 25 janvier 1993, il y a eu une irruption
15 des hostilités, mais je voulais simplement attirer
16 l’attention du Tribunal sur le témoignage du Major
17 Jennings, du Commandant Jennings, D105/1, qui fait état du
18 fait que de nombreuses maisons croates ont été incendiées à
19 Kacuni.
20 Ce n’est pas pour dire que le fait qu’un côté
21 commette des crimes justifie des crimes commis par la
22 partie adverse, mais simplement, en fait, on se demande si
23 des crimes ont vraiment été commis à Busovaca en 1993
24 puisque c’est la BiH qui a initié la campagne militaire
25 pour tenter de bloquer la route principale, pour contrôler
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1 cette route et, en fait, pour essayer de nettoyer toute la
2 population croate des villages environnants tels que Gusti
3 Grab et Oseliste.
4 J’aimerais également encore une fois vous rappeler
5 ce qui est pertinent dans ce contexte. C’est qu’il est
6 incontestable, les moyens de preuve sont irréfutables
7 concernant Dusina et Lasva. La déposition du Témoin Z est
8 déterminante en la matière.
9 Il y avait de nombreux Croates bosniens qui ont
10 été tués lors des combats à Busovaca, et donc, je ne pense
11 pas qu’il y ait des moyens de preuve établissant des crimes
12 commis à Busovaca, ni des moyens de preuve établissant un
13 lien entre les crimes qui auraient pu être commis et
14 l’Accusé Monsieur Kordic. Il n’y a certainement aucune
15 preuve de compétence militaire de Monsieur Kordic.
16 Si je peux revenir à la déposition du Lieutenant-
17 Colonel Stewart concernant la réunion du 3 février avec
18 Monsieur Kordic, il a été obligé de reconnaître pendant le
19 contre-interrogatoire qu’il ne pouvait pas identifier une
20 seule personne qui pouvait corroborer le fait que Monsieur
21 Kordic avait été commandant militaire à Busovaca. Il n’a
22 pas fait état d’une telle impression dans le journal qu’il
23 tenait. Il n’avait jamais fait part de cette impression
24 dans le livre qu’il a écrit un an plus tard.
25 Ce qu’il y a d’encore plus important c’est que la
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1 cellule de renseignements militaires qui décrit la chaîne
2 de commandement n’identifie nulle part Monsieur Kordic en
3 tant que commandant militaire près de Busovaca. Monsieur
4 Kordic est simplement décrit comme homme politique. Il
5 était évidemment Vice-Président de la présidence de la HZ-
6 HB, mais il n’y a aucune preuve que Monsieur Kordic ait été
7 commandant militaire à Busovaca.
8 Bien au contraire, le Colonel Blaskic est
9 identifié comme commandant suprême jusqu’à la fin janvier
10 1993, ce qui a son importance dans ce contexte. Le
11 commandant militaire était Niko Jozinovic et la chaîne de
12 commandement, en tout cas, ne mentionnait pas, ne révèle
13 nulle part la présence de Monsieur Kordic.
14 Lorsque les hostilités ont commencé, le
15 commandement militaire de la Brigade Nikola Subic-Zrinjski
16 était dans un état de fluctuation et le seul moyen de
17 preuve dont vous disposez qui tendrait à démontrer que
18 Monsieur Kordic était commandant militaire vient de
19 l’opinion exprimée par le Colonel Stewart.
20 J’aimerais attirer votre attention sur le fait
21 qu’un des officiers subordonnés qui étaient sous les ordres
22 du Lieutenant Stewart était le Commandant Jennings et
23 j’aimerais vraiment mettre l’accent sur le fait que ce
24 Commandant Jennings était l’une des seules personnes qui a
25 posé la question à Monsieur Kordic : « Avez-vous des
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1 pouvoirs militaires ? », et la réponse était : « Non », et
2 c’est ce dont il a témoigné à la page 8995 du compte-rendu.
3 Les seules autres personnes qui, en fait, se sont
4 donnés la peine de demander des questions précises
5 concernant la chaîne de commandement, comme nous l’avons
6 indiqué dans notre mémoire, c’est un capitaine qui était
7 témoin dans le compte-rendu qui a pu identifier Mario
8 Bradara en tant que commandant adjoint de Ivica Rajic et du
9 2e Groupe opérationnel à Kiseljak servant sous les ordres
10 du Colonel Blaskic.
11 Le deuxième témoin était le Capitaine Whitworth
12 qui avait posé certaines questions concernant la chaîne de
13 commandement et il a essayé de résoudre la confusion qui
14 régnait. Il a demandé tant à Monsieur Santic qu’à Monsieur
15 Ljubicic et il a pu établir ainsi que la police militaire
16 était sous le commandement de Vlado Santic et le 4e
17 Bataillon de la police militaire était sous le commandement
18 général de Pasko Ljubicic qui, à son tour, était soumis aux
19 ordres du Colonel Blaskic. Nous soumettons que les preuves
20 sont irréfutables.
21 En ce qui concerne la chaîne de commandement qui
22 se rapporte à Busovaca, puisqu’il s’agit là du point le
23 plus restreint sur lequel l’Accusation a tenté de se
24 concentrer pour en déduire un rôle militaire de Monsieur
25 Kordic, j’aimerais attirer l’attention du Tribunal aux
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1 pièces à conviction qui sont les D102/1 du 24… 23 janvier;
2 D61/1 de février; et D108/1 de février également.
3 Donc, nous soumettons qu’il n’y a vraiment aucune
4 preuve établissant un lien entre Dario Kordic et des crimes
5 commis à Busovaca. L’Accusation a fait de son mieux pour
6 tenter de déduire…
7 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Me Sayers, je
8 vous interromps parce que vous êtes revenu amplement sur
9 ces différentes questions et je crois que nous comprenons
10 tous ce à quoi vous voulez en venir.
11 Il y a une chose sur laquelle toutefois vous
12 pouvez nous apporter votre aide. Si nous en arrivions à la
13 conclusion – mais il s’agit de pure spéculation – mais
14 supposons que nous arrivions à une certaine conclusion sur
15 les chefs d’accusation 37 à 39, conclusion selon laquelle
16 effectivement il n’existe aucun élément de preuve relatif à
17 telle ou telle municipalité, est-ce que vous nous
18 inviteriez à rendre une décision selon laquelle il n’existe
19 aucun élément de preuve sur cette municipalité en
20 particulier et, en conséquence, la retirer de l’acte
21 d’accusation ? Est-ce que je peux le faire ?
22 Me SAYERS (interprétation) : Voilà une question
23 bien épineuse, Monsieur le Président, car vous remarquerez
24 que l’acte d’accusation ne prévoit pas une culpabilité
25 alternative. C’est l’ensemble des chefs pour lesquels il
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1 faut plaider coupable ou non coupable et il faut savoir
2 exactement quels sont les différents éléments de crimes et
3 quels sont les crimes exactement et tous les paragraphes
4 sont conclus par le mot « et ».
5 Donc, la Chambre de première instance peut
6 légitimement se dire que s’il y a une incapacité à prouver
7 un élément sur quelques-unes des localités sur lesquelles
8 il est allégué que des crimes ont été commis, alors,
9 l’ensemble du chef d’accusation tombe.
10 Nous nous en remettons à vous, Monsieur le
11 Président, Messieurs les Juges de cette Chambre, pour ce
12 qui est de la démarche à entreprendre.
13 Si l’Accusation a choisi de plaider le chef
14 d’accusation 1 de cette façon-là, c’est-à-dire non pas de
15 façon alternative mais de façon cumulative, eh bien, s’ils
16 n’arrivent pas à prouver que des crimes ont effectivement
17 été commis dans l’une des localités pour l’ensemble
18 desquelles ils disent que des crimes ont été commis, alors,
19 l’ensemble du chef d’accusation doit tomber.
20 Si la Chambre de première instance considère qu’il
21 est préférable à cela de dire qu’il n’existe pas d’éléments
22 de preuve pour 24 des municipalités, alors, nous sommes
23 entre vos mains, et effectivement, je crois que nous irons
24 beaucoup plus vite si nous n’avons pas à vous fournir des
25 éléments de preuve relatifs à ces autres municipalités.
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1 M. LE JUGE BENNOUNA : Monsieur Sayers, j’ai quand
2 même une précision à vous demander qui pourrait nous aider.
3 Bon. Vous venez de dire qu’en fait, tel chef d’accusation
4 concerne différentes localités et que ce n’est pas par
5 alternance mais qu’elles sont plutôt associées. C’est
6 l’ensemble des villages qui constitue en fait le chef
7 d’accusation en question.
8 Vous nous dites : « Évidemment, si vous estimez
9 qu’il n’y a pas de preuve sur un certain nombre, vous
10 pouvez dire que le chef d’accusation dans son ensemble
11 tombe. Autrement, vous pouvez dire aussi que pour un
12 certain nombre de villages X, par exemple, sur un certain
13 nombre de villages, il n’y a pas de preuve du tout, de
14 manière à ce qu’on puisse se concentrer sur le reste pour
15 des questions d’efficacité. »
16 Je n’aime pas beaucoup d’ailleurs la question
17 d’efficacité en matière judiciaire lorsqu’elle laisse une
18 quelconque ambiguïté. Nous ne sommes pas ici dans une
19 hypothèse productiviste. Nous voulons nous entourer du
20 maximum de garanties lorsque nous rendons une décision et
21 donc le temps ne compte pas, sauf si c’est de la perte de
22 temps manifeste.
23 Alors, la question que je vous pose : Est-ce que
24 vous avez besoin d’une décision pour cela ? Dans
25 l’hypothèse où vous procéderez à votre défense, vous allez
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1 engager des preuves en défense. Vous pourrez très bien
2 dire que vous n’avez rien à ajouter sur tel ou tel village
3 puisque, de votre point de vue, aucune preuve n’a été
4 apportée par l’Accusation et c’est tout parce que vous
5 n’allez pas détruire des preuves qui n’existent pas en
6 quelque sorte. Vous vous attaquez à ce qui existe, sauf à
7 se livrer à un exercice donquichottesque. On ne s’attaque
8 pas à quelque chose qui n’existe pas.
9 Alors, c’est la question que je vous pose : Est-
10 ce que vous avez besoin de cet exercice de la part de la
11 Chambre qui consiste à distinguer en quelque sorte selon
12 les lieux, et cætera ?
13 Me SAYERS (interprétation) : Voilà une question
14 très intéressante, Monsieur le Juge, et si nous étions ici
15 dans un exercice de rhétorique et d’argumentation, eh bien,
16 je dirais qu’effectivement, nous pourrions envisager cette
17 question des moulins de Don Quichotte et de notre capacité
18 ou pas à nous battre contre des fantômes, mais placer un
19 avocat dans un procès comme celui-ci, dans la situation où
20 il dit : « Eh bien, nous pensons qu’il n’y a pas d’éléments
21 de preuve relatifs à ce chef d’accusation », donc, nous
22 n’allons pas les contester pour que plus tard, la Chambre
23 de première instance puisse dire : « Eh bien, l’ensemble du
24 chef d’accusation a été établi et fondé ».
25 C’est quelque chose qui, d’après moi, est
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1 inenvisageable et il est, d’après moi, du devoir de la
2 Chambre de première instance de regarder l’acte
3 d’accusation modifié et de dire si oui ou non, il existe
4 des éléments de preuve sur les différentes allégations qui
5 sont formulées et il revient ensuite aux juges de se
6 convaincre du fait ou non de la culpabilité de l’accusé ou
7 du fait que ces faits ont effectivement été commis.
8 Mais en aucune mesure ne peut-on nous demander de
9 produire des éléments de preuve relatifs à ce qui se serait
10 passé dans cette municipalité, ce faisant, prenant le
11 risque juridique de s’entendre dire en réplique qu’il
12 existe d’autres éléments de preuve qui peuvent corroborer
13 des choses qui sont affirmées dans l’acte d’accusation,
14 nous ne voulons pas nous engager dans une telle procédure.
15 Comme l’a dit Me Smith, l’Accusation doit faire de
16 son mieux dans le cadre de la partie de la procédure qui
17 lui revient. L’Accusation a fait de son mieux. Elle est
18 allée jusqu’à un certain point. C’est tout. S’il n’y a
19 pas d’éléments de preuve…
20 M. LE JUGE ROBINSON (interprétation) : Pardon de
21 vous interrompre, Me Sayers, mais je ne sais pas pourquoi
22 vous parlez des chefs d’accusation 37 à 39 et, dans le sens
23 où vous les entendez, de façon cumulative.
24 Me SAYERS (interprétation) : Non, pardon. Je me
25 suis mal exprimé. Ce n’est pas ce que je voulais dire.
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1 C’est le chef d’accusation 1 qui est plaidé de façon
2 cumulative.
3 M. LE JUGE ROBINSON (interprétation) : Très
4 bien !
5 Me SAYERS (interprétation) : Si vous regardez le
6 sous-paragraphe, vous verrez que les fins de paragraphes se
7 terminent par le mot « et » et non pas « et/ou ».
8 M. LE JUGE BENNOUNA : L’Article 98 bis, est-ce
9 que vous pensez qu’il donne ce pouvoir à la Chambre parce
10 que l’Article 98 bis dans le (B) nous dit :
11 « Si la Chambre de première instance estime que
12 les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à
13 justifier » – on a dit en français « à justifier » – « une
14 condamnation pour cette ou ces accusations, elle prononce
15 l’acquittement. »
16 Elle ne nous dit pas qu’elle élimine partiellement
17 un élément de l’Accusation. L’article nous dit : « Elle
18 prononce l’acquittement » – c’est ça que nous dit l’Article
19 98 bis – « à la demande de l’accusé ou d’office ». Le
20 terme en anglais pour « à justifier », c’est « to sustain
21 conviction ».
22 On peut hésiter sur la traduction de justifier en
23 français, mais peu importe. L’essentiel c’est que c’est
24 pour justifier une condamnation, mais on ne nous dit pas
25 d’entrer dans les éléments à titre partiel qui constituent
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1 l’Accusation.
2 Est-ce que vous pensez que cela correspond à
3 l’article ce que vous nous demandez ?
4 Me SAYERS (interprétation) : C’est précisément la
5 raison pour laquelle j’ai invoqué cela, Monsieur le
6 Président et Messieurs les Juges. L’Accusation a choisi de
7 plaider le chef d’accusation comme elle l’a fait et je vous
8 rappelle qu’il est dit à l’Article 36 que les crimes ont
9 été commis sur l’ensemble du territoire de la HZ-HB, sur le
10 territoire de la municipalité de Zenica et sur l’ensemble
11 du territoire de la Bosnie-Herzégovine.
12 Nous, nous affirmons que si la Chambre de première
13 instance en arrive à la conclusion que l’Accusation n’a pas
14 prouvé, entre autres, que des crimes ont été commis à Kotor
15 Varos, alors c’est l’ensemble du chef d’accusation qui doit
16 être rejeté et l’Accusation n’a pas prouvé que des crimes
17 avaient été commis à Kotor Varos ou dans aucune autre des
18 24 municipalités qui sont mentionnées dans l’acte
19 d’accusation modifié, hormis les neuf dont j’ai déjà
20 amplement parlé et pour lesquelles j’ai concédé qu’il y
21 avait eu des éléments de preuve présentés, et
22 effectivement, il y a eu un certain nombre d’éléments de
23 preuve présentés.
24 Pour ce qui est de Kresevo, il n’a pas du tout été
25 prouvé que Monsieur Kordic avait un lien quelconque avec ce
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1 qui s’était passé sur les lieux.
2 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : En fait, vous
3 vous appuyez sur le mot « dans toute la HZ-HB ». C’est sur
4 cette expression-là que vous vous reposez pour présenter
5 vos arguments.
6 Mais en fait, l’alternative ce serait de
7 considérer que l’Accusation que des crimes ont été commis
8 dans une partie de la HZ-HB.
9 Me SAYERS (interprétation) : Eh bien, ce n’est
10 pas nous, Monsieur le Président, qui avons soumis cet acte
11 d’accusation modifié, c’est l’Accusation qui l’a fait, et
12 je souligne le mot « acte d’accusation modifié ». Or, nous
13 voici bien au-delà maintenant de la présentation des
14 éléments à charge de l’Accusation.
15 L’Accusation dit ce qu’elle dit et moi, je dis que
16 l’Accusation n’a pas réussi à démontrer qu’il y a eu
17 effectivement des crimes de persécution commis dans 24 des
18 municipalités, enfin, disons dans quelques-unes des 24
19 municipalités, mais ils n’ont pas réussi à prouver que
20 quelque crime que ce soit, de quelque nature que ce soit,
21 ait été commis dans quelque municipalité que ce soit, et
22 ils doivent prouver que ces crimes ont été commis dans
23 toute la HZ-HB et la HR-HB et – et c’est indiqué dans
24 l’acte d’accusation – et la municipalité de Zenica. Mais
25 il n’y a aucun élément de preuve qui permet de dire qu’il y
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1 a des crimes commis dans la municipalité de Zenica.
2 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Bien ! Y a-t-
3 il quoi que ce soit que vous souhaitiez ajouter, Monsieur
4 Sayers, parce que moi, j’ai l’horloge dans ma ligne de
5 mire.
6 Me SAYERS (interprétation) : Bien ! J’en suis
7 conscient, Monsieur le Président.
8 Deux choses que je souhaiterais ajouter en guise
9 de conclusion et qui portent sur ce principe de
10 responsabilité du supérieur hiérarchique qui est repris
11 dans l’Article 7(3). Il s’agit de savoir ce que Monsieur
12 Kordic a fait ou n’a pas fait relativement aux deux
13 événements principaux de l’acte d’accusation, c’est-à-dire
14 les événements de Ahmici et de Stupni Do.
15 L’Accusation dans cette affaire a démontré,
16 contrairement à l’affaire Blaskic où c’était à la Défense
17 qu’il revenait de le faire, mais en l’occurrence, c’est
18 l’Accusation qui a démontré que c’est le HVO effectivement
19 qui a lancé une enquête sur les événements qui ont eu lieu.
20 Peut-être qu’ils contestent l’efficacité de cette enquête
21 et Dieu sait si cette enquête est contestable, mais le
22 problème est le suivant. Il a d’ailleurs été énoncé dans
23 deux des pièces confidentielles que nous avons soumis à
24 votre attention et nous l’avons également repris dans un
25 certain nombre de mémoires.
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1 Je n’ai pas besoin d’y revenir et nous n’avons
2 pas, par conséquence, besoin de passer en audience à huis
3 clos, mais il serait extrêmement difficile de trouver des
4 témoins oculaires qui permettraient de fonder la rédaction
5 d’un acte d’accusation pénal contre des personnes qui
6 étaient responsables des événements de Ahmici et qui
7 devraient avoir été poursuivies comme hommes, poursuivre
8 ces personnes et établir la preuve au-delà de tout doute
9 raisonnable dès lors que l’on n’a pas la possibilité de
10 s’entretenir avec des témoins oculaires.
11 Ça, c’est un problème, mais l’idée tout de même
12 c’est qu’il y a eu une enquête d’entamer dans le contexte
13 d’un système disciplinaire militaire. Cette enquête a été
14 initiée par le Colonel Blaskic qui a émis un certain nombre
15 de recommandations à l’intention du SIS, des services de
16 sécurité, qui se sont vu donner l’ordre de faire rapport de
17 leurs activités à une certaine date. Le rapport a été
18 remis et le 17 août 1993, le Colonel Blaskic a donné au SIS
19 un ordre visant à ce que ceux-ci poursuivent l’enquête.
20 Voilà exactement ce qu’englobe le concept de responsabilité
21 du supérieur hiérarchique.
22 Même si on peut dire que Monsieur Kordic faisait
23 partie de la chaîne de commandement, même si on peut dire
24 que l’armée était d’une certaine façon placée sous ses
25 ordres, eh bien, la théorie veut qu’il aurait dû mener à
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1 bien une enquête et sanctionner les personnes qui étaient
2 responsables des crimes perpétrés à Ahmici, mais vous ne
3 pouvez pas le punir avant d’avoir identifié les personnes
4 qui sont effectivement responsables.
5 On connaît quatre suspects mais nous savons aussi
6 fort bien que les éléments de preuve sont relativement
7 flous et les noms des quatre suspects n’ont pas été remis
8 au HVO. Aucune aide n’a été fournie au HVO pour essayer de
9 l’aider à identifier les personnes qui étaient prétendument
10 responsables. Bon, il y a eu un certain nombre de
11 résultats de cette enquête exhaustive. Il y a eu un
12 certain nombre d’entretiens avec des témoins à Zenica et
13 c’est tout ce que nous savons, grâce au témoignage du
14 Témoin AB.
15 Mais pour revenir à tout ce qui a été dit à
16 l’égard de Ahmici, ces histoires à propos des Serbes qui
17 étaient responsables des crimes ou des musulmans déguisés
18 en HOS ou le HOS lui-même, bien, tout le monde sait bien
19 que ce sont des tentatives de camouflage qui visaient à
20 dissimuler ce qui s’était effectivement passé sur place,
21 des camouflages mis en place par les autorités militaires,
22 et ces erreurs n’ont pas été commises à nouveau lors du
23 deuxième événement, celui de Stupni Do.
24 Il n’y a pas d’élément de preuve qui permet
25 d’établir un lien entre Monsieur Kordic et les événements
Page 16692
1 de Stupni Do et ce que je ferai valoir aux yeux de la
2 Chambre c’est que nous avons pu en bien des points récuser
3 les affirmations faites par le Témoin AO dans le cadre de
4 sa déposition.
5 Il apparaît que l’Accusation avait une cassette de
6 l’entretien du Témoin AO et des représentants du Bureau du
7 Procureur qui s’est tenu en novembre 1993 dans le NordBat
8 et ces éléments nous ont été communiqués après qu’un
9 certain nombre de mémoires aient été déposés visant à
10 récuser le Témoin AO, mais il y a un certain nombre
11 d’éléments dont il faut tout de même tenir compte et qui
12 entrent en compte dans l’évaluation des événements qui se
13 sont passés à Stupni Do.
14 Je ne vais pas en passer plus de temps. C’est un
15 homme qui a été récusé et aucune Chambre de première
16 instance digne de ce nom ne pourrait donner quelque poids
17 que ce soit à sa déposition.
18 Bien ! Monsieur Kordic a contacté le Général
19 Petkovic, le chef d’état-major du HVO pour savoir ce qui
20 s’était passé. Deux témoins militaires ont dit que c’était
21 parfaitement normal qu’un commandant civil contacte un
22 commandant militaire pour essayer de savoir ce qui s’était
23 passé. Bien ! Ça, c’est une chose. Mais que s’est-il
24 passé ensuite ?
25 Les autorités militaires sous les ordres du
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1 Président Boban, le Président de la Communauté croate de
2 Herceg-Bosna, et cela paraît parfaitement des dépositions
3 de Messieurs Garrod et Stutt, donc, le Président Boban a
4 donné l’ordre au Colonel Petkovic de destituer les
5 commandants militaires, et effectivement, le commandant de
6 la Brigade Bobovac, Emil Harah, qui était toujours
7 commandant en place après les événements de Stupni Do et
8 qui a fait obstruction aux investigateurs de l’ECMM et des
9 Nations Unies – je vous rappelle que c’est sur les ordres
10 de cet homme que les agissements de ces deux missions ont
11 été entravés – cet homme a été finalement remplacé le 24
12 par Kresimir Bozic.
13 Le commandant responsable de l’ensemble des
14 opérations a été destitué. Je parle de Ivica Rajic. Il a
15 été destitué sur l’ordre du Général Petkovic, et sur
16 l’ordre du Président de la République, le Président Boban,
17 cet homme a été destitué.
18 Monsieur Martin Garrod, le témoin dont j’ai parlé
19 tout à l’heure, a confirmé qu’il s’était entretenu à la
20 fois avec Monsieur Mate Boban et avec le Premier ministre
21 de la HR-HB, le Dr Prlic, et qu’ils avaient tous les deux
22 confirmé à Monsieur Garrod que les instructions avaient été
23 données visant à destituer Rajic et les autres commandants
24 militaires qui occupaient des postes de commandement à
25 cette époque.
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1 De la même façon, la Commission d’enquête sur les
2 crimes de guerre qui a été établi le 28 – cela a été prouvé
3 et tout cela apparaît dans le compte rendu – a mené une
4 enquête. Des enquêteurs ont été envoyés par la FORPRONU,
5 dont faisait partie le Colonel Stewart, et le Colonel Stutt
6 également dans son témoignage a dit qu’il savait
7 qu’effectivement, le HVO avait lancé une enquête.
8 Monsieur Kordic en tant que dirigeant politique a
9 fait tout ce qu’il a pu. Qu’aurait-il pu faire de plus que
10 ce qui a effectivement été fait à l’époque dans les telles
11 circonstances ?
12 Les commandants civils ont été destitués. Ivica
13 Gavran, le responsable de la police locale, a été destitué
14 le 23, toujours par le Général Petkovic. L’ordre est là et
15 vous pouvez le consulter. Il fait partie du dossier de
16 l’affaire.
17 Monsieur Zvonko Duznovic, le président de la
18 police locale, a été destitué le 23. Le commandant de
19 brigade a été destitué, le commandant général a été
20 destitué et une enquête a été entamée.
21 Et n’oublions pas que le 2 novembre 1993, Vares
22 est tombée entre les mains de l’armée de Bosnie-
23 Herzégovine. Il n’y avait aucune possibilité pour les
24 enquêteurs du HVO de mener à bien leur travail sans l’aide
25 de l’armée de Bosnie-Herzégovine et notamment d’interviewer
Page 16695
1 des témoins qui se trouvaient à Stupni Do, et
2 l’impossibilité de s’entretenir avec des témoins oculaires
3 est un facteur dont on ne peut nier qu’il est
4 particulièrement paralysant, parce que la possibilité de
5 s’entretenir avec des témoins oculaires cela veut dire
6 qu’on aurait peut-être pu identifier les "perpétrateurs"
7 des crimes commis à Stupni Do, et je ne crois pas que les
8 éléments de preuve indiquent que Monsieur Kordic aurait pu
9 faire quoi que ce soit d’autre au vu des circonstances qui
10 régnaient.
11 Et puis, il faut remarquer que des sanctions
12 disciplinaires ont immédiatement été prises et que les
13 erreurs commises lors des enquêtes menées sur Ahmici n’ont
14 pas été répétées. Les militaires ont immédiatement reconnu
15 qu’il y avait eu responsabilité et ils ont immédiatement
16 agi en prenant des sanctions préliminaires à l’encontre des
17 personnes dont il était normal de penser qu’elles avaient
18 une responsabilité dans les événements perpétrés à Stupni
19 Do.
20 Voici en gros un récapitulatif des événements qui
21 se sont produits à Stupni Do. Je vous rappelle que Sir
22 Martin Garrod, le Colonel Stutt, le Témoin AD et d’autres
23 personnes ayant des connaissances militaires ont témoigné
24 sur ce dernier point et elles ont toutes dit que jamais,
25 elles n’avaient demandé à Monsieur Kordic s’il avait ou non
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1 un rôle à jouer dans la chaîne de commandement militaire et
2 s’il avait ou non la capacité de prendre des sanctions ou
3 le droit de prendre des sanctions en matières militaires.
4 Il apparaît très clairement au vu des documents
5 qui vous ont été soumis qu’il n’avait aucun droit
6 d’interférence dans le système de discipline militaire. Il
7 n’y a rien qui tende à le prouver, aucun ordre signé
8 indiquant qu’il pouvait prendre des sanctions.
9 Et enfin, je dirais que ces différents témoins
10 n’ont pas demandé à Monsieur Kordic – ils l’ont eux-mêmes
11 reconnu – ils n’ont pas demandé à Monsieur Kordic quelles
12 étaient ses fonctions. Donc, il n’a pas eu l’occasion de
13 s’exprimer sur ses fonctions et les témoins ont reconnu
14 qu’effectivement, il n’avait pas eu la possibilité de
15 s’exprimer devant eux sur ses fonctions.
16 Donc, il n’est pas un supérieur hiérarchique tel
17 qu’envisagé par l’Article 7(3) et on ne peut pas le tenir
18 responsable pour des événements qui se sont produits à
19 Ahmici et Stupni Do. On ne peut pas le tenir responsable
20 du moins dans la façon qui est envisagée par l’Article 7(3)
21 du Statut.
22 Voilà ce que j’avais à vous soumettre, Monsieur le
23 Président, et j’en ai terminé de mes arguments.
24 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Je vous
25 remercie.
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1 Me Kovacic, nous avons lu votre mémoire. Donc, il
2 n’est pas nécessaire de revenir dessus. Nous avons bien
3 évidemment la réponse de l’Accusation à vos arguments.
4 Bien entendu, nous allons entendre tous les arguments que
5 vous voudriez nous soumettre en réponse à ce qui a été dit
6 par l’Accusation mais aidez-nous et tâchez de vous
7 concentrer sur les chefs d’accusation pour lesquels,
8 d’après vous, il n’existe pas d’éléments de preuve du tout
9 ou des éléments de preuve insuffisants.
10 Me KOVACIC (interprétation) : Merci, Monsieur le
11 Président. C’était justement mon intention. Bien sûr, je
12 vais éviter de me répéter et dans ce but, pour des raisons
13 purement formelles, je souhaite dire que je maintiens
14 entièrement ce qui a été présenté dans le cadre de notre
15 demande écrite, y compris toutes les propositions avancées.
16 Compte tenu du fait que mes collègues de la
17 Défense de Monsieur Kordic ont parlé de plusieurs éléments
18 juridiques concernant la procédure à suivre, je souhaite
19 dire que je partage leur opinion à ce sujet et c’est ce que
20 j’ai d’ailleurs écrit dans la demande.
21 Ma présentation ne durera plus de 20 minutes au
22 maximum, mais vers la fin, je souhaiterais me pencher sur
23 certains aspects du droit matériel, droit de fait. Donc,
24 j’ajouterai peut-être quelques propos par rapport à ce que
25 la Défense de Monsieur Kordic a déjà dit.
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1 Je vais évoquer brièvement la réponse du Procureur
2 à ma demande ou plutôt la réponse aux deux demandes des
3 conseils de la Défense, mais bien sûr, je vais uniquement
4 me pencher sur la partie concernant la Défense de Monsieur
5 Cerkez, mais je dois dire que malheureusement, nous avons
6 reçu cela seulement hier, malgré la pratique adoptée par ce
7 Tribunal de nous envoyer ce genre de document par télécopie
8 dans notre bureau à Zagreb. Mais peu importe. J’ai quand
9 même réussi à lire le document, mais peut-être pas
10 suffisamment attentivement, et c’est pour cela que je
11 m’excuse d’un éventuel manque de méthode systématique de ma
12 part aujourd’hui.
13 Je pense qu’aujourd’hui, nous pouvons dire que le
14 problème-clé de cette procédure concerne la responsabilité
15 individuelle, et dès le début de ce procès, je pense que
16 nous nous penchons trop souvent et pendant trop longtemps
17 sur un cadre général et sur la culpabilité pour ainsi dire
18 de l’organisation du HVO et encore plus du volet militaire
19 du HVO.
20 Je pense que ce Tribunal dans cette affaire ne va
21 certainement pas se prononcer sur la culpabilité ni de la
22 Communauté croate de Herceg-Bosna, ni du HVO en tant
23 qu’organisation. Les juges de cette Chambre de première
24 instance devront se prononcer sur la question de savoir si
25 mon client – ici, je ne parle pas du premier accusé parce
Page 16699
1 que c’est le conseil de la Défense de Monsieur Kordic qui
2 s’est prononcé là-dessus – si lui, il a joué le rôle qui
3 lui a été attribué par le Procureur.
4 Je souhaite souligner une chose tout d’abord :
5 aucun commandant de brigade du HVO n’a été mis en
6 accusation, sauf dans le cadre de cet acte d’accusation, et
7 ici, je parle des actes d’accusation publics, mais
8 apparemment aussi secrets. Pourquoi est-ce que c’est
9 Monsieur Mario Cerkez qui a été le premier et le seul
10 commandant de brigade qui a été mis en accusation alors que
11 vous avez pu constater que chaque municipalité de Bosnie
12 disposait d’une brigade, chaque municipalité essayait de
13 poursuivre à vivre et chaque municipalité croyait que la
14 guerre qui avait déjà éclaté ailleurs n’allait pas éclater
15 chez eux aussi ?
16 Cerkez est responsable seulement parce que dans la
17 région de la municipalité de Vitez, à trois ou quatre
18 kilomètres de la ville de Vitez, le crime d’Ahmici a eu
19 lieu. Ceci n’est pas contesté. Ce crime a eu lieu. Nous
20 n’avons jamais contesté cela. Nous le savons. Nous le
21 reconnaissons.
22 Mais parlons maintenant de la responsabilité
23 individuelle de nouveau. La question qui se pose c’est de
24 savoir si mon client, ou bien son unité plutôt, a commis
25 ces actes dans ces maisons malheureuses. C’est la
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1 question-clé. Tout le reste qui figure dans l’acte
2 d’accusation ne sert que de décor permettant à confirmer
3 cette thèse.
4 Le Procureur apparemment a adopté l’approche en se
5 disant : « Puisque nous avons un accusé devant nous,
6 essayons de l’accuser d’un maximum de délits. » Vous
7 connaissez d’ailleurs certainement ce genre d’approche du
8 Procureur.
9 Nous répétons et nous l’avons dit dès le début :
10 l’unité de Cerkez n’a pas été à Ahmici et aucune preuve n’a
11 été avancée dans cette procédure permettant à conclure cela
12 ni à prouver cela.
13 La seule chose sur laquelle nous pourrions avoir
14 un débat est liée à l’affirmation faite par plusieurs
15 témoins qui ont dit qu’ils reconnaissaient trois groupes de
16 soldats à Ahmici. Ces témoins ont parlé de leurs
17 uniformes, des insignes de la police militaire, ensuite des
18 unités spéciales de la police militaire dites Jokeris.
19 Certains mentionnent des uniformes qui devraient se référer
20 aux Vitezovis, et en ce qui concerne tout le reste, ils
21 disent : « les soldats portant des insignes du HVO et des
22 uniformes de camouflage. » Ceci ne constitue pas une
23 preuve suffisante.
24 En ce qui concerne les soldats portant des
25 insignes du HVO et les uniformes de camouflage, sur la base
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1 des pièces à conviction, nous avons pu voir qu’il y en a eu
2 beaucoup. Ce genre d’uniformes, ce genre d’insignes
3 étaient portés par des soldats appartenant aux brigades de
4 municipalité, y compris la brigade dont mon client était le
5 commandant, mais il faut savoir que les membres des unités
6 spéciales portaient ces mêmes uniformes avec des insignes
7 supplémentaires se référant à leurs unités spéciales. À
8 notre avis, il ne s’agit pas d’une preuve définitive.
9 En ce qui concerne l’insigne du HVO à l’épaule et
10 les uniformes de camouflage, il faut savoir qu’en Bosnie
11 centrale, y compris à Vitez, en 1992 et en 1993, ceci ne
12 constituait pas des éléments suffisants afin de permettre
13 d’identifier à quelle brigade le soldat appartenait.
14 Nous avons déjà entendu parler de cet aspect dans
15 la matinée et je souhaite tout simplement ajouter quelque
16 chose pour des raisons formelles concernant les normes qui
17 devraient être adoptées par ce Tribunal dans le cadre de la
18 prise de décision. Moi aussi, je considère que l’unique
19 norme qui doit être appliquée, conformément aux règles
20 juridiques générales, est le critère selon lequel les faits
21 doivent être prouvés au-delà de tout doute raisonnable.
22 Je souhaite simplement vous rappeler que la
23 procédure devant ce Tribunal telle qu’elle a été prévue
24 selon le Règlement de ce Tribunal se base sur le critère
25 prima facie. Donc, il n’y a pas d’autre instrument de
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1 contrôle des accusations. Malheureusement, le Règlement a
2 été écrit de telle manière que la possibilité reste que
3 l’on entame une procédure contre quelqu’un et que quelqu’un
4 passe par cette procédure longue et dramatique pour que
5 c’est seulement à la fin que l’on établisse que cette
6 personne n’est peut-être pas coupable.
7 Apparemment, il n’y a pas d’autre instrument de
8 contrôle allant dans ce sens, mais visiblement, ce critère
9 de prima facie devrait grandir, devrait être soutenu au
10 cours de la procédure, pour aboutir au critère que nous
11 avons déjà mentionné, à savoir prouver les faits au-delà de
12 tout doute raisonnable. L’on en a parlé ce matin et
13 j’appuie les affirmations avancées par la Défense de
14 Monsieur Kordic, à savoir que c’est ce critère-là qui doit
15 être appliqué si jamais il faut appliquer l’Article 98 bis
16 et il faut tenir compte du langage de cet article, parce
17 que d’après ce langage, il est clair que la référence est
18 faite à ce seul critère. Aucun d’autre.
19 Bien sûr, si un doute existe quant à la question
20 de savoir si ce critère a été satisfait, et dans le droit,
21 nous avons ce principe de in dubio pro reo… je sais que
22 dans la common law, vous appelez le même principe
23 différemment, mais je ne me souviens pas très exactement en
24 ce moment. Donc, ce principe est que s’il y a un doute, il
25 faut prendre la décision en faveur de l’accusé. Donc, ce
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1 sont deux critères : soit au-delà de tout doute
2 raisonnable, soit si le doute reste, dans ce cas-là,
3 l’accusé doit être acquitté.
4 Moi, je maintiens que dès à présent, le doute est
5 substantiel. Donc, in dubio pro reo, ce principe-là
6 pourrait déjà être appliqué dans le cas de mon client, et
7 même si la Défense décidait de ne pas présenter ses propres
8 moyens de preuve, je pense que même dans ce cas-là, le
9 Tribunal ne pourrait pas adopter une décision condamnant
10 l’Accusé Cerkez.
11 En ce qui concerne les pièces à conviction de
12 Carry Spork avancées par le Procureur, elles constituent la
13 seule exception, et dans le cadre de nos présentations de
14 moyens de preuve de la Défense, nous nous pencherons là-
15 dessus et nous prouverons qu’ils n’ont pas suffisamment de
16 valeur.
17 Donc, notre première proposition est que les juges
18 de la Chambre de première instance appliquent entièrement
19 leur pouvoir prévu dans le cadre de l’Article 98 bis ou
20 bien la proposition alternative est que les juges
21 appliquent leur pouvoir de telle manière à ce que, au moins
22 en ce qui concerne le chef d’accusation 2 de l’acte
23 d’accusation portant sur les persécutions, que la décision
24 soit telle que l’acte d’accusation soit rejeté en ce qui
25 concerne les lieux énumérés et les périodes énumérées.
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1 Ici, je parle de Busovaca, Novi Travnik et de la période de
2 l’année 1992. Je pense qu’il est inutile que je donne plus
3 d’explications à ce sujet parce que j’en ai parlé
4 suffisamment dans la demande.
5 Pourquoi est-ce que je le dis ? Le lieu et la
6 période des faits dans chaque système juridique constituent
7 un élément important de l’acte d’accusation. Il ne s’agit
8 pas là d’un élément qui peut être modifié ou omis… modifié
9 au cours de la procédure.
10 Le Procureur affirme qu’un certain fait, un délit
11 a été commis un tel jour à un lieu ou bien peut-être au
12 cours d’une période. Dans aucune procédure pénale,
13 l’accusé ne pourrait se défendre à moins que le lieu et le
14 temps soient définis tout à fait clairement.
15 En ce qui concerne mon client, dans le chef
16 d’accusation 2, il a été accusé en ce qui concerne une
17 région très large, un domaine vaste, et si nous tenons
18 compte de l’ampleur du conflit qui a eu lieu entre avril
19 1993 et début 1994, il s’agit d’une période où beaucoup de
20 délits ont eu lieu.
21 Mon client est mis en accusation en ce qui
22 concerne les faits qui ont eu lieu en dehors de sa zone de
23 responsabilité, en dehors de sa municipalité qui est Vitez,
24 alors qu’il n’y a pas eu de preuve indiquant qu’en vertu de
25 l’Article 7(1) ou 7(3), à savoir en tant que supérieur
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1 hiérarchique, il aurait été lié à ces événements qui se
2 sont produits dans ces régions-là.
3 En ce qui concerne la période, c’est-à-dire la
4 période entre avril 1992 et puis finalement jusqu’à
5 septembre 1992, là, il faut nous pencher là-dessus
6 attentivement. La date la plus importante est la date du
7 16 avril 1993 qui constitue un tournant. Je ne souhaite
8 pas répéter ce que j’ai dit dans la demande mais je vais
9 simplement dire que je considère qu’il n’y a pas eu de
10 preuves selon lesquelles à partir d’avril 1992 jusqu’au 16
11 avril 1993 dans la région de la municipalité de Vitez, il y
12 a eu des persécutions organisées de la population
13 musulmane, puisque les faits montrent que dans la situation
14 dans laquelle l’État ne fonctionnait plus, dans laquelle
15 les deux peuples vivant dans cette région – or, il faut
16 savoir qu’ici, pratiquement parlant, il n’y avait que deux
17 peuples vivant dans cette région puisque dans cette région,
18 le troisième peuple, les Serbes sont représentés dans un
19 nombre minimal – ces deux peuples se défendaient. Nous
20 avons pu entendre cela. Ils avaient peut-être des points
21 de vue différents mais ils avaient une chose en commun, à
22 savoir ils luttaient pour leur propre vie.
23 Mais l’État ne fonctionnait pas – il s’agit d’un
24 fait – ni sur le plan des transports, de l’éducation, de la
25 monnaie. L’État ne fonctionne pas. Donc, dans cet État
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1 qui ne fonctionne pas, il y a le chaos qui règne. Il y a
2 toutes les parties qui essaient de trouver leurs propres
3 solutions. Nous avons des incidents qui éclatent, la
4 criminalité qui grandit, la criminalité qui est liée à de
5 nombreux motifs, des motifs classiques comme le profit, la
6 vengeance, et puis aussi pour des motifs nationalistes.
7 Mais il faut savoir qu’il n’est pas possible dans
8 cette situation de dire que c’est surtout le groupe
9 ethnique musulman qui constitue la victime. Tout le monde
10 est la victime. Il n’y a pas de plan systématique de
11 persécution.
12 Bien sûr, ceci change à partir du moment où un
13 conflit armé ouvert éclate, et si nous devons nous défendre
14 par rapport à ce chef d’accusation, moi, je veux bien qu’on
15 le fasse pour que l’on puisse se focaliser sur la partie
16 cruciale de cette affaire, seulement à partir d’avril 1993.
17 M. LE JUGE BENNOUNA : Vous reprenez quelque chose
18 que nous avons déjà entendu plusieurs fois. Il y a un
19 chaos. Tout le monde est la victime. Vous dites : « Tout
20 le monde est victime. Il n’y a pas que les musulmans qui
21 sont victimes. Tout le monde est victime. » Mais quand on
22 dit : « Tout le monde est victime », ça veut dire qu’il y a
23 quand même des victimes, et s’il y a des victimes, c’est
24 qu’il y a des personnes qui ont perpétré des crimes.
25 Le fait de dire : « C’est un chaos. Il n’y a pas
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1 que les musulmans qui ont été persécutés », n’est pas une
2 justification de ce qui a été fait, c’est-à-dire la théorie
3 du chaos qui a été avancée ici depuis le début, le fait de
4 dire qu’il y a d’autres victimes ne justifie pas les
5 victimes dont nous nous occupons ou les actions des accusés
6 dont nous nous occupons.
7 Me KOVACIC (interprétation) : Absolument,
8 Monsieur le Juge. Je suis d’accord avec vous. C’est
9 justement pour cela que je propose que les juges décident
10 qu’avant Ahmici, il n’y a pas eu de crime de persécution,
11 parce que le point crucial c’est Ahmici.
12 Sans Ahmici, moi, je suis sûr que mon client
13 n’aurait pas été mis en accusation du tout et c’est
14 justement pour cela que je dis que ce chaos et ce que vous
15 venez de dire, et puis si l’on ajoute aussi l’élément
16 subjectif du délit, à savoir qu’en 1992, il n’y a pas eu
17 d’intention discriminatoire. Effectivement, il y a eu des
18 pillages à l’encontre des musulmans, à l’encontre des
19 Croates, et cætera, mais les motifs de ces pillages sont
20 classiques, des motifs criminels classiques, afin de
21 s’approprier des biens des autres, d’obtenir des gains
22 matériels, et cætera. Parfois, ça peut être lié au
23 nationalisme mais pas systématiquement, pas uniquement. Il
24 n’y a pas de plan visant à persécuter les musulmans, ni
25 d’ailleurs les Croates.
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1 Ceci est ma thèse, et à mon avis, d’après les
2 preuves, nous pouvons dire que cette thèse est bien fondée.
3 Donc, nous ne pouvons pas parler d’une situation noire et
4 blanche avant avril 1993. Effectivement, après avril 1993,
5 les deux groupes ethniques se sont divisés complètement,
6 mais seulement après cette date-là. Donc, ce que je dis je
7 le dis compte tenu du contexte des événements parce que les
8 événements se sont produits dans la vie réelle.
9 Je pense que c’est maintenant que je devrais
10 mentionner également quelque chose au sujet de la
11 discussion qui a été lancée par le Président de la Chambre
12 de première instance lorsque la question a été posée de
13 savoir si, en vertu de l’Article 98 bis…
14 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Simplement, il
15 est déjà 13 h 05. Donc, il faudrait tout de même que nous
16 puissions suspendre…
17 Me KOVACIC (interprétation) : Je pense que non,
18 Monsieur le Président. Il ne me reste pas beaucoup de
19 choses à dire, peut-être cinq à 10 minutes, et ensuite, je
20 souhaite traiter très brièvement la réponse du Procureur.
21 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Bien ! Alors,
22 nous allons suspendre maintenant l’audience pour une heure
23 et demie.
24 --- Suspension de l’audience à 13 h 05
25 --- Reprise de l’audience à 14 h 34
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1 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Oui, Me
2 Kovacic.
3 Me KOVACIC (interprétation) : Merci, Monsieur le
4 Président.
5 Comme je l’ai dit avant la pause, je souhaite
6 maintenant parler très brièvement des arguments, des
7 questions soulevées par la Chambre, des questions posées à
8 mes collègues concernant la forme de la décision ou bien du
9 jugement partiel proposé par nous.
10 Mon argument principal se réduit à dire que,
11 conformément à l’Article 98 bis, je pense qu’il est
12 possible d’interpréter cet article en disant que les juges
13 pourraient prendre des décisions concernant une partie d’un
14 certain chef d’accusation ou bien de rejeter tout le chef
15 d’accusation ou bien de décider que, dans le cadre de ce
16 chef d’accusation, on rejette des accusations concernant un
17 certain lieu ou concernant une certaine période.
18 La raison pour laquelle je tire cette conclusion
19 est, entre autres choses, sur la base d’un principe général
20 existant dans chaque système juridique, a major e ad minus
21 (ph.), c’est-à-dire si les juges peuvent se prononcer sur
22 l’ensemble de l’acte d’accusation, ça veut dire qu’ils
23 peuvent se prononcer sur chaque chef d’accusation
24 également, et donc, nous pouvons conclure également que
25 visiblement ou bien au moins conformément à ce principe,
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1 cet ancien principe de droit qui est présent d’une manière
2 ou d’une autre dans chaque système juridique, dans ce cas-
3 là, les juges peuvent prendre des décisions sur quelque
4 chose de moindre par rapport à cela, par rapport au chef
5 d’accusation.
6 Autrement dit, il n’y a aucune raison pour que les
7 juges ne puissent pas prendre de décision selon laquelle on
8 rejetait, par exemple, l’acte d’accusation dans la partie
9 concernant le chef d’accusation numéro 2, à savoir la
10 partie où il est indiqué que Cerkez est responsable de la
11 persécution dans la région de Novi Travnik et Busovaca dans
12 la période avant le mois d’avril 1993, car d’après l’acte
13 d’accusation, l’on parle que c’est entre avril 1993 et
14 septembre 1993. Donc, l’on précise dans l’acte
15 d’accusation la période et il est nécessaire de préciser
16 également les endroits où les faits ont eu lieu.
17 Bien sûr, j’ai également avancé le besoin de
18 procéder de manière économique, mais je souhaite également
19 dire qu’il faut tenir compte de la position de la Défense
20 et rendre le procès juste du point de vue de la Défense
21 parce que la Défense doit se défendre de chaque partie de
22 l’acte d’accusation même si elle est convaincue qu’en ce
23 qui concerne une partie de l’acte d’accusation, il n’y a
24 pas eu de preuve corroborant les faits avancés par le
25 Procureur car la Défense n’a pas le droit de conclure que
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1 les juges ont accepté ou n’ont pas accepté cela. Donc,
2 nous sommes obligés de nous défendre de chaque accusation
3 même si nous considérons que certaines accusations n’ont
4 pas été prouvées par le Procureur.
5 Maintenant, je souhaite parler un peu de la
6 qualité des moyens de preuve ou, autrement dit, de la
7 valeur objective probante des moyens de preuve qui ont été
8 présentés jusqu’à maintenant selon le critère prima facie
9 qui se référait dans une certaine mesure à mon client.
10 Je pense qu’afin d’éviter de me lancer dans un
11 débat beaucoup trop long, je peux dire qu’il y a eu trois
12 catégories de preuves.
13 La première catégorie qui englobe, je dirais, la
14 plus grande partie des dépositions des témoins qui accusent
15 d’une certaine manière mon client, nous pouvons dire que
16 ceci se réduit plus ou moins soit à l’institution de l’ouï-
17 dire, soit aussi à l’emploi des opinions personnelles, des
18 rumeurs, des modèles hypothétiques.
19 Par exemple, le témoin dit : « D’après la
20 conception de l’ex-JNA, la solution devrait être celle-ci
21 ou celle-là. » Donc, l’emploi de termes, d’expressions
22 telles que « on devrait », et cætera.
23 Est-ce qu’il y a des problèmes techniques,
24 Monsieur le Président ? J’avais l’impression qu’il y avait
25 un problème technique. Excusez-moi. Merci.
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1 Donc, toutes ces dépositions qui font partie de
2 cette catégorie sont des dépositions qui ne portent pas sur
3 les faits, qui ne nous permettent pas de dire que ces
4 témoins-là ont vu quelque chose ou bien ont appris quelque
5 chose ou bien ils ont appris quelque chose. On ne sait pas
6 comment ils ont appris cela.
7 Pour nous, les juristes, les faits sont des choses
8 sacrées et nous sommes intéressés par les faits. Lorsque
9 nous avons entendu des dépositions concernant les modèles
10 hypothétiques, les opinions, les rumeurs, les convictions,
11 et cætera, les juges rassuraient toujours la Défense en
12 disant qu’ils tiendraient compte de la valeur probante de
13 ce genre de moyens de preuve.
14 Par exemple, je me souviens de l’exemple lorsque
15 l’on a parlé à plusieurs reprises, d’ailleurs, du meurtre
16 d’un certain Samir Trako qui a eu lieu au mois de mai 1993…
17 mai 1992 (l’interprète se reprend) à Vitez, dans l’hôtel
18 Vitez. Il s’agit là d’un événement pour lequel je ne peux
19 que supposer que le Procureur a souhaité placer cet
20 événement dans le cadre de la persécution.
21 Donc, je suppose que le Procureur a souhaité dire
22 que la persécution existait déjà au printemps 1992, mais
23 ici, nous avons eu un témoin qui est expert en criminologie
24 et qui ne dispose pas de faits et donc, tout d’un coup, il
25 dit : « Les rumeurs ont commencé à courir. »
Page 16713
1 Voici, c’est l’un des exemples de ce genre de
2 dépositions. Je n’en citerai pas beaucoup, mais il y en a
3 un autre, le soldat, Témoin Sulejman Kalco, donc un
4 militaire de profession, qui a été cité à la barre afin de
5 parler des faits concernant la guerre, concernant le
6 déploiement des forces, la structure militaire, et cætera.
7 On a parlé du camion piégé qui a explosé à Vitez
8 le 18 avril. Cette personne dit qu’il a vu mon client dans
9 un transport blindé des troupes du bataillon britannique,
10 qu’on le ramenait d’une réunion, que Sefkija Dzidic, donc
11 le commandant des forces armées, a été amené et le témoin
12 dit qu’il a vu un sourire cynique sur le visage de mon
13 client.
14 Moi, j’ai consulté un expert en criminologie. Je
15 pense qu’il est clair que même un expert ne pourrait pas
16 interpréter un tel sourire, un sourire cynique, si jamais
17 il y a eu un tel sourire sur le visage de mon client, mais
18 il est certain qu’un soldat ne peut pas donner la bonne
19 interprétation de ceci.
20 Il y a d’autres exemples de cela mais je ne vais
21 pas citer tous les exemples.
22 Ensuite, il y a une deuxième catégorie de moyens
23 de preuve, un deuxième groupe de moyens de preuve qui n’ont
24 pas beaucoup de valeur, qui n’ont aucune valeur. Ici, je
25 parle des moyens de preuve concernant les circonstances,
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1 les indices. Parfois, on parle des moyens de preuve
2 indirects et de ce point de vue-là, il y a tout un nombre
3 de circonstances qui nous manquent pour rendre ces moyens
4 de preuve valables.
5 Je vais donner quelques exemples concrets. Sur la
6 base d’au moins deux dépositions de témoins, par exemple le
7 Témoin Ribicic et le Témoin Kalco, et sur la base des
8 documents qui ont été introduits par le biais de ces
9 témoins, nous pouvons conclure sans aucun doute que les
10 services de renseignement de l’armée de Bosnie-Herzégovine,
11 déjà pendant le conflit, donc non pas après le conflit mais
12 pendant que le conflit se déroulait, donc au cours de
13 l’année 1993, ont organisé le recueil d’information, y
14 compris des moyens de preuve concernant les auteurs de
15 crimes de guerre. Ils ont fait ceci de manière organisée.
16 Nous avons eu des témoins ici qui ont témoigné à
17 ce sujet et justement à propos de cela, je peux dire qu’un
18 nombre assez important de documents qui émanaient de ces
19 services, de ce travail de l’armée, ont été introduits ici
20 comme pièces à conviction.
21 Le fait reste que ce genre de services, ces
22 services-là n’ont pas réussi à communiquer un seul
23 document, une seule preuve incontestable qui prouverait
24 sans aucun doute que, d’après ces « experts-là », les
25 experts chargés des enquêtes, que c’est Cerkez qui aurait
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1 justement commis ces crimes-là, ces crimes de guerre.
2 Je souhaite vous rappeler deux listes de documents
3 qui ont été versés au dossier par le biais du Témoin
4 Ribicic qui était l’officier de renseignement à Stari
5 Vitez. Donc, physiquement, il se trouvait à quelques
6 centaines de mètres à vol d’oiseau de Cerkez pendant 11
7 mois pendant lesquels cette région était encerclée.
8 Dans ces deux documents, il mentionne une
9 trentaine de personnes, les noms des personnes. Il donne
10 leurs noms, leurs prénoms. Il donne l’explication pourquoi
11 il les considère comme criminels de guerre alors qu’il ne
12 mentionne Cerkez nulle part.
13 Il y a d’autres exemples, bien sûr, de ce genre.
14 La seule conclusion logique qui s’impose est que c’est
15 justement ce genre de preuves qui vont plus en faveur de la
16 Défense que de l’Accusation parce que si ces services
17 faisaient leur travail de manière professionnelle, et
18 c’était le cas, et si Cerkez était quelqu’un de tellement
19 responsable comme on essaie de le dire dans le cadre de cet
20 acte d’accusation, s’il était le plus responsable parmi un
21 grand nombre de militaires qui existaient sur le terrain,
22 dans ce cas-là, il n’est pas logique qu’il ne soit pas sur
23 cette liste. Or, la logique est notre instrument principal
24 ici.
25 Finalement, le troisième groupe de moyens de
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1 preuves dont la valeur probante est contestable, le
2 Procureur présente dès le début déjà, dans le cadre des
3 pièces jointes, des moyens de preuve permettant simplement
4 de dénigrer la personnalité de l’accusé, le caractérisant
5 comme une personne négative. Donc, l’on suppose que s’il
6 s’agit de quelqu’un de négatif dans le passé, que cette
7 personne par la suite va commettre des délits.
8 Il s’agit d’une approche qui a été employée depuis
9 toujours. Depuis toujours, la police a essayé de trouver
10 des éléments négatifs dans la personnalité d’un criminel
11 afin de corroborer la thèse selon laquelle la personne a
12 commis un certain crime.
13 Donc, on essaie de créer l’impression de la
14 culpabilité par le biais de l’association des idées. On
15 avance que le HVO est une institution négative, que les
16 personnes autour de Cerkez sont des personnes négatives et
17 que donc, lui aussi, il est négatif.
18 Par exemple, l’amitié avec Kraljevic. Nous avons
19 entendu parler beaucoup de Darko Kraljevic dans cette
20 affaire. Il est normal que l’on parle de lui dans cette
21 affaire et non pas seulement dans cette affaire mais dans
22 toutes les affaires touchant à la vallée de la Lasva, mais
23 sans arrêt ici, par le biais des dépositions de témoins, on
24 essaie d’insinuer que si Cerkez n’était pas son supérieur
25 hiérarchique, ils étaient au moins des amis.
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1 Bien sûr, il n’y a aucun fondement de cette
2 présentation des choses et nous en parlerons dans le cadre
3 de notre Défense, mais je pense que c’est dès maintenant
4 qu’il faut évaluer la valeur probante de ce genre de moyens
5 de preuve parce que je pense qu’il s’agit là d’éléments
6 complètement inutiles sur lesquels la Défense devra se
7 pencher.
8 Un autre exemple concerne la réunion qui a eu lieu
9 après le meurtre que j’ai déjà mentionné. Le témoin a dit
10 que Cerkez est venu vêtu d’un uniforme noir, qu’il a été
11 escorté par un groupe de jeunes hommes portant des
12 uniformes noirs. Personne n’a jamais vu ni mentionné ceci
13 nulle part, mais nous avons entendu ça ici.
14 Il faut savoir en même temps que le fait de porter
15 un uniforme noir au début de l’année 1992 n’a aucune valeur
16 par lui-même, sauf qu’on essaie d’insinuer que le fait de
17 porter un uniforme noir indique quelles sont les
18 convictions politiques de la personne qui le porte et ça,
19 c’était le but, ou bien nous avons entendu des dépositions
20 concernant le discours que Cerkez aurait prononcé en disant
21 que les personnes qui couperont des oreilles ou des doigts
22 de l’ennemi recevront des récompenses.
23 Nous avons donc entendu cette version des faits
24 jusqu’à ce que nous n’avions vu le document Z1140 où nous
25 avons pu apprendre la réalité, la vérité concernant cette
Page 16718
1 allégation, à savoir que c’est un homme appelé Fikret
2 Hrustic, qui était membre d’une brigade radicale, qui
3 faisait ce genre de proposition et ceci a d’ailleurs été
4 mentionné dans le bulletin de renseignements militaires 68.
5 Je ne souhaite pas m’étendre trop longtemps mais
6 je souhaite attirer votre attention sur le fait qu’il y a
7 eu un nombre de moyens de preuve portant sur les
8 circonstances, des moyens de preuve indirects, mais à moins
9 qu’il y ait suffisamment de moyens de preuve indirects que
10 l’on puisse relier, à moins qu’il y ait suffisamment de
11 circonstances allant dans le même sens, il n’est pas
12 possible de décider que l’accusé est coupable au-delà de
13 tout doute raisonnable.
14 C’est pour cela que j’ai proposé que, dès à ce
15 stade, les juges se prononcent et rejettent l’ensemble de
16 l’acte d’accusation.
17 Si vous me permettez, Messieurs les Juges, je
18 souhaite parler très rapidement maintenant de la réponse du
19 Procureur à la demande de la Défense et afin de ne pas
20 perdre trop de temps, je pense qu’il n’est pas nécessaire
21 de répondre à cette réponse maintenant. Si les juges le
22 souhaitent, nous pouvons le faire par écrit mais je
23 souhaite me pencher sur quelques éléments les plus
24 importants.
25 L’un des problèmes auxquels le Procureur continue
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1 à faire face, et cette réponse le confirme, est le problème
2 du temps. Du point de vue du Procureur, apparemment, il
3 n’y a aucune pertinence dans les efforts de savoir à quel
4 moment un événement a eu lieu et qui détenait quelle
5 fonction au moment des faits, si mon client dépendait des
6 supérieurs, s’il y avait des subordonnés au-dessous de mon
7 client, et cætera.
8 Là, encore une fois, ça me rappelle ce dont je
9 parlais tout à l’heure, à savoir concernant le chef
10 d’accusation numéro 2 et la période durant laquelle les
11 persécutions ont eu lieu.
12 Je ne souhaite pas m’exprimer de manière trop
13 ferme mais nous avons eu ce problème dès le stade du
14 mémoire préalable au procès, mais on a l’impression que
15 l’on accuse mon client de persécution et d’autres choses
16 pour la simple raison que dès l’année 1992, il est apparu
17 comme une personne plutôt active dans l’organisation et la
18 mise en œuvre de la lutte contre l’armée populaire
19 yougoslave et ses troupes paramilitaires locales.
20 Je dois répéter qu’en ce qui concerne tous ces
21 événements que nous essayons de clarifier, ils ne se sont
22 pas produits quelque part dans l’univers. Il ne s’agit pas
23 des événements qui ont été protégés vis-à-vis de la
24 réalité.
25 Je dois dire que la guerre en Bosnie, et tous les
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1 experts qui se penchaient sur les événements de Bosnie ont
2 été d’accord, ils sont tous d’accord pour dire que la
3 guerre en Bosnie a commencé avec l’agression de l’armée
4 populaire yougoslave et la rébellion du peuple serbe ou
5 bien une partie du peuple serbe au sein de la Bosnie dans
6 le but de partager la Bosnie et, selon l’intention de
7 Milosevic, dans le but soit de garder l’ensemble de Bosnie-
8 Herzégovine dans le cadre de la Yougoslavie qui était en
9 plein démembrement ou bien au moins une partie de la
10 Bosnie-Herzégovine, partie peuplée à majorité serbe.
11 En ce qui concerne cette guerre et cette
12 agression, nous pouvons dire qu’elles constituent la cause
13 de tout ce qui s’est produit par la suite, y compris du
14 conflit croato-musulman.
15 Je ne souhaite pas exprimer une plaidoirie ici
16 maintenant mais il faut que l’on se penche sur le contexte
17 des événements. Nous nous penchons ici sur les
18 conséquences. La vallée de la Lasva est la conséquence de
19 ces événements-là, alors qu’ici, l’on incrimine mon client
20 pour ce qu’il a fait en 1992, alors qu’en 1992, il s’est
21 porté volontaire afin d’organiser la lutte du peuple
22 musulman et croate qui luttait ensemble contre la JNA et
23 les groupes paramilitaires locaux serbes.
24 Contrairement à ce qui s’est passé dans beaucoup
25 d’autres municipalités en Bosnie centrale et en Bosnie en
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1 général où les gens disaient souvent : « Cette guerre ne
2 m’intéresse pas. C’est une guerre qui se passe loin de
3 moi », et beaucoup de gens dans ces municipalités ne se
4 préparent pas pour faire face à l’agression et tombent dans
5 les mains de l’ennemi rapidement, contrairement à tout
6 cela, Vitez se préparait.
7 Sur la base de ce que le Procureur a dit et a
8 avancé dans l’acte d’accusation, dans plusieurs chefs
9 d’accusation, il est dit que Cerkez a eu un rôle important
10 au sein du HDZ, qu’il avançait rapidement dans sa carrière
11 et qu’il est devenu commandant de la Brigade Stjepan
12 Tomasevic.
13 Dans le paragraphe 80, l’on dit que sa
14 responsabilité portait sur les municipalités de Vitez et de
15 Novi Travnik. Nous parlons ici donc du début de l’année
16 1992 sans indiquer clairement quel est le rôle du HVO et de
17 cette Brigade Stjepan Tomasevic à l’époque. Or, leur but
18 unique à l’époque était [hors microphone] …contre les
19 Serbes.
20 Ensuite, l’on affirme que Cerkez venait à Busovaca
21 afin de rendre visite à Dario Kordic et d’autres
22 fonctionnaires du HDZ…
23 M. LE JUGE BENNOUNA : Je crois que, comme vous
24 venez de le dire, ce n’est vraiment pas le moment, je
25 pense, de faire une plaidoirie. Je pense que vous nous
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1 aiderez beaucoup, surtout que l’heure avance et qu’on doit
2 terminer aujourd’hui ce point, si vous vous contentez de
3 suivre les questions posées par l’application de l’Article
4 98 bis et que vous avez annoncées vous-même dans votre
5 papier. Votre document écrit, nous l’avons lu et je pense
6 qu’il vaut mieux se concentrer là-dessus.
7 Pour la plaidoirie, comme vous dites, ce n’est
8 peut-être pas le moment maintenant. Vous aurez une autre
9 occasion, je pense.
10 Me KOVACIC (interprétation) : Je suis absolument
11 d’accord avec vous, Monsieur le Juge, et vraiment j’essaie
12 de trouver une manière de raccourcir le débat. Je vais
13 essayer de résumer les choses ainsi. Nous avons soumis une
14 demande par écrit. Nous y avons présenté nos arguments.
15 Je m’excuse si ceci n’était pas suffisamment systématique
16 parce que nous n’avons pas eu beaucoup de temps et parce
17 que dans les deux dernières semaines du procès, beaucoup
18 d’éléments importants et détails importants ont été
19 avancés.
20 Je sais que le Procureur n’a pas disposé de
21 beaucoup de temps afin de préparer sa réponse et je ne vais
22 pas analyser maintenant chaque point de la réponse du
23 Procureur. Ici, je parle du mémoire du Procureur à partir
24 de la page 80, paragraphe 36. Je souhaite simplement dire
25 que rien de nouveau n’y a été dit.
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1 Deuxièmement, je souhaite dire qu’apparemment,
2 ici, il y a beaucoup d’éléments erronés et notamment en ce
3 qui concerne une confusion temporaire et en ce qui concerne
4 la manière dont les événements se sont déroulés. Il est
5 important de savoir si quelqu’un détenait une certaine
6 position, par exemple, en 1992, lorsque la personne luttait
7 contre les Serbes à Vlasic, par exemple, en tant que
8 volontaire ou bien si la personne détenait une fonction
9 importante en 1993, lorsque la guerre civile a éclaté.
10 Je souhaite également dire que nous n’avons pas
11 entendu une seule preuve concernant le rôle joué par Cerkez
12 à Busovaca.
13 Dans le paragraphe 36, point (C), le Procureur se
14 réfère à la déposition d’un témoin protégé, je crois.
15 Donc, je ne vais pas prononcer son nom. Il dit que Cerkez
16 est venu à Busovaca afin de rendre visite à Kordic.
17 C’était un élément complètement nouveau d’ailleurs et ce
18 témoin a dit seulement qu’elle a vu Cerkez entrer dans le
19 bâtiment de la municipalité à Busovaca une fois. Donc,
20 elle n’a pas dit qu’elle est allée voir Kordic et elle n’a
21 surtout pas dit quand elle a vu cet incident.
22 C’est l’exemple de ce que j’ai dit concernant le
23 fait qu’il s’agit là des moyens de preuve sans aucune
24 valeur probante parce que tout simplement, ils ne
25 concernent pas les faits pertinents.
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1 Troisièmement, en ce qui concerne cette réponse,
2 je souhaite dire que l’on voit encore une fois la thèse qui
3 ressemble à une équation mathématique selon laquelle un
4 soldat de Vitez égale un subordonné de Cerkez et c’est sur
5 la base de ceci que l’on tire des conclusions concernant la
6 responsabilité de Cerkez conformément à l’Article 7(3), à
7 savoir conformément à sa responsabilité de supérieur
8 hiérarchique.
9 Je souhaite dire simplement qu’à Vitez, il y a eu
10 l’état-major de la zone opérationnelle. Il y a eu
11 plusieurs unités alors que mon client était le commandant
12 d’une seule de ces unités.
13 Je souhaite terminer ainsi, Messieurs les Juges.
14 Je n’ai rien à ajouter, mais je maintiens ma proposition de
15 rejeter l’ensemble de l’acte d’accusation dans la partie
16 concernant mon client ou bien, alternativement, si les
17 juges considèrent que sur la base des moyens de preuve
18 avancés jusqu’à maintenant, ceci n’est pas possible de le
19 faire, au moins de réduire la période et la région couverte
20 par le chef d’accusation 2, aussi, en ce qui concerne le
21 chef d’accusation 44, destruction de sites religieux.
22 Je n’en ai pas parlé dans ma demande mais j’en
23 parle maintenant. Ici, il est dit explicitement que ceci a
24 été commis à Ahmici, Divjak et Stari Vitez, alors que Stari
25 Vitez et Ahmici, on parle d’avril 1993, et Divjak, en
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1 septembre 1993.
2 Je pense que pour les mêmes raisons que les
3 raisons que j’ai expliquées tout à l’heure, il faut dès
4 maintenant rejeter l’accusation concernant Divjak en
5 septembre 1993 puisque Divjak n’a même pas été mentionné
6 dans cette procédure. Ceci nous permettrait de raccourcir
7 la procédure si nous ne devons pas présenter des moyens de
8 preuve concernant un lieu où rien ne s’est passé, mais si
9 nécessaire, bien sûr, nous pourrons citer à la barre des
10 témoins qui nous parlerons de Divjak.
11 C’est ainsi que je souhaite terminer. Bien sûr,
12 si vous avez des questions, je suis à votre disposition.
13 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Je vous
14 remercie.
15 Me Nice.
16 Me NICE (interprétation) : Eh bien, je vais
17 d’abord traiter du critère qui est ici d’application et qui
18 est pertinent. Je le ferai rapidement. Je crois que c’est
19 pour la première fois que l’on discute d’un tel critère
20 d’application parce que dans Jelisic, la question de ce
21 critère n’a pas été soulevée. Nous soulevons simplement
22 cette question parce qu’elle nous paraît d’intérêt et c’est
23 ce qui apparaît également dans notre mémoire écrit.
24 Que s’est-il passé dans Jelisic ? Eh bien, le
25 conseil de la Défense a refusé de présenter quelque
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1 argument que ce soit, argument relatif à une demande
2 d’acquittement. La Chambre de première instance a dit très
3 clairement qu’elle allait rendre une décision et a refusé
4 d’entendre tout argument portant sur les critères
5 d’application en matière d’examen de la preuve. Donc, tout
6 ça n’a fait l’objet d’aucun débat.
7 Notre mémoire, d’autre part, établit très
8 clairement que toutes les affaires qui ont été tranchées
9 jusqu’à présent au Royaume-Uni, même dans le cadre d’un
10 juge qui siège seul, le cas qui a tout à l’heure été évoqué
11 par vous, Monsieur le Président… pardon, je m’embrouille.
12 Dans toutes ces affaires, il y a un critère qui correspond
13 bien à l’affaire qui nous intéresse ici, à savoir y a-t-il
14 des éléments de preuve suffisants qui permettent au
15 Tribunal de juger des faits ? Le commentaire de Archbold
16 s’applique parfaitement.
17 Je me permets de faire référence ainsi à la
18 procédure en vigueur au Royaume-Uni parce qu’elle me semble
19 intéressante. Dans des affaires qui sont d’ordre civil et
20 non pas pénal et qui ont été entendues par des juges
21 siégeant seuls, si le défenseur d’un accusé tente
22 d’invoquer l’argument selon lequel il n’y a pas
23 suffisamment d’éléments de preuve pour que l’affaire soit
24 valable et digne d’examen, il est généralement et presque
25 invariablement demandé à cet avocat s’il souhaite ou pas
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1 soumettre des éléments de preuve et ce n’est que si
2 l’avocat dit qu’il ne souhaite pas soumettre à l’examen du
3 juge des éléments de preuve que le juge va se pencher sur
4 la question.
5 Peut-être y a-t-il des cas exceptionnels mais il
6 me semble que c’est presque invariablement la règle qui
7 s’applique dans ce type de situation et, là encore, tout
8 ceci est tout à fait dans la ligne de la suggestion plus
9 générale qui veut que dans ce type de cas, on n’applique
10 pas ce critère ultime, même si je dis bien qu’il s’agit là
11 d’affaires civiles et non pas d’affaires pénales et qu’il y
12 a des différences, de toute façon, à prendre en compte.
13 Le Juge Bennouna a posé une question qui visait à
14 savoir s’il y avait des critères qui pouvaient changer au
15 fil du temps. Si l’on prend comme point de départ la
16 confirmation de l’acte d’accusation, est-ce qu’il faut
17 appliquer à différents moments du procès le même critère
18 d’évaluation ? Eh bien, cette question nous a poussés à
19 regarder ce qui avait été dit par ce Tribunal jusqu’à
20 présent, la jurisprudence du Tribunal, et ma foi, c’est
21 assez utile et c’est assez intéressant.
22 Pour ce qui est du critère d’application en
23 matière de confirmation, eh bien, le critère du prima facie
24 tel qu’établi par le Statut est celui qui est utilisé. Le
25 Tribunal pour le Rwanda dans au moins deux de ses jugements
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1 tend à montrer que ce critère est légèrement en deçà de
2 celui dont nous, nous disons qu’il est d’application et
3 qu’il est pertinent à la fin de la présentation des
4 éléments à charge.
5 Dans le cadre des décisions pour le Rwanda, on a
6 parlé de suspicion raisonnable. Il était apparent que
7 l’accusé avait effectivement commis des crimes et c’est ce
8 critère-là qui a été retenu, et dans l’affaire
9 Nyiramasuhuko, le critère était le suivant : il doit y
10 avoir des faits qui permettent d’en venir à des doutes
11 raisonnables quant au fait qu’effectivement, l’accusé a
12 commis un certain nombre de crimes.
13 Il y a d’autres décisions qui ont été rendues par
14 notre Tribunal dont une décision récente rendue par le Juge
15 Hunt dans le cadre d’une confirmation d’un acte
16 d’accusation récent et le critère est légèrement différent,
17 mais il se distingue de la jurisprudence adoptée jusqu’à
18 présent et le Juge Hunt, de toute façon, a confirmé l’acte
19 d’accusation.
20 Donc, tout ceci, il me semble, est tout à fait
21 conforme avec ce qui a été soulevé par le Juge Bennouna, à
22 savoir qu’il y a un critère à trois volets qui s’applique à
23 différents moments du procès et ce critère-ci est celui qui
24 s’applique à mi-parcours et c’est bien le critère que nous
25 invoquons qui doit être d’application.
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1 Enfin, et je ne veux pas m’appesantir sur la
2 question parce que tout apparaît clairement dans notre
3 mémoire, j’attire l’attention de la Chambre sur la chose
4 suivante. S’il s’avérait que la Défense avait raison en
5 matière de définition du critère qu’ils se proposent
6 d’appliquer, pourquoi est-ce qu’à la fin de chaque
7 présentation des éléments à charge, cela voudrait dire que
8 donc à la fin de ce type de présentation, la Chambre
9 devrait se prononcer dans le cadre d’un mémoire exhaustif
10 avant de pouvoir autoriser la continuation du procès ?
11 Cela paraît très difficile d’agir autrement, une
12 telle mesure empêchant sans doute les juges ou rendant très
13 difficile pour les juges le fait de reformuler l’affaire et
14 de reformuler leurs conclusions après avoir entendu
15 l’intégralité des éléments de l’affaire.
16 Avant d’en venir aux arguments invoqués quant aux
17 faits qui sont au cœur de cette affaire, je voudrais
18 revenir sur quelque chose qui ne va peut-être pas se poser,
19 la question des constats judiciaires qui sont parfois
20 dressés dans d’autres affaires.
21 La Chambre nous a demandé, suite au dépôt d’une
22 requête relative à Kupreskic et Blaskic, la Chambre nous a
23 demandé donc de démontrer quelles étaient les conclusions
24 qui avaient été prises dans ces affaires et sur lesquelles
25 nous allions décider de nous appuyer. Nous avons disposé
Page 16730
1 d’un délai tout à fait généreux pour le faire et nous avons
2 décidé d’agir aussi promptement que possible.
3 Les deux jugements se sont présentés de façon
4 assez différente. Le jugement Kupreskic était extrêmement
5 compact et présentait les conclusions de façon très claire,
6 les distinguant de conclusions antérieures, mais pour ce
7 qui est du jugement Blaskic, en tout cas à nous yeux, il
8 est assez différent parce qu’il prend la question de façon
9 beaucoup plus chronologique. Au fur et à mesure que les
10 faits sont relatés, on établit quels sont les constats
11 judiciaires, quelles sont les décisions relatives aux faits
12 qui sont prises.
13 Étant donné ces différences, ce que nous avons
14 fait, c’est prendre les versions de chaque jugement et, par
15 des moyens électroniques, nous avons surligné les passages
16 sur lesquels nous souhaitions nous appuyer. Je suis bien
17 conscient du fait que c’est un moyen de procéder qui peut
18 être contestable.
19 Est-ce que les faits qui font l’objet d’un constat
20 judiciaire peuvent être utilisés avant que la procédure
21 dans le cadre desquels ils ont été invoqués en finisse des
22 procédures d’appel qui sont en cours ? Je ne sais pas.
23 Néanmoins, il est parfaitement légitime que nous
24 pensions nous appuyer à ce stade de la procédure sur les
25 faits qui ont fait l’objet d’un constat judiciaire tout
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1 d’abord parce qu’il y a déjà eu une affaire, l’affaire
2 Kvocka, dans le cadre de laquelle des faits ayant été
3 reconnus dans le cadre de l’affaire Tadic ont été utilisés,
4 même si la majorité de ces faits étaient des faits relatifs
5 au contexte général de l’affaire.
6 Je ferai une assise – sans doute viendra-t-il un
7 temps, s’il n’est pas déjà arrivé – au moment où les faits
8 qui sont au cœur de ce conflit, de ce procès, les faits qui
9 se sont de façon générale produits en Bosnie centrale
10 deviendront de façon générale des faits de contexte
11 général, mais je clos cette parenthèse. Ce que je veux
12 dire c’est qu’il y a eu déjà des affaires où des faits
13 faisant l’objet d’un constat judiciaire dans une affaire
14 précédente ont été utilisés.
15 Deuxièmement, nous ne savons pas dans quel ordre
16 les affaires qui sont en suspens devant ce Tribunal seront
17 tranchées. Est-ce qu’il y aura jugement, jugement,
18 jugement puis appel, appel, appel pour les différentes
19 affaires de la vallée de la rivière Lasva ou bien, et c’est
20 possible également, est-ce que – de même que ça a été le
21 cas pour Kupreskic… pardon, je me trompe – est-ce qu’au
22 contraire, il y aura d’abord arrêt de la Chambre d’appel
23 avant que nous n’arrivions au terme de notre affaire,
24 auquel cas, ce qui aura été déterminé comme étant un fait
25 donnant lieu à un constat judiciaire sera établi dans le
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1 cadre d’un arrêt en appel ?
2 De toute façon, si nous n’essayons pas de faire
3 recours à ces points…
4 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Me Nice, est-
5 ce que dès à présent, vous souhaitez présenter les faits
6 qui, d’après vous, permettent la possibilité de dresser un
7 constat judiciaire ?
8 Me NICE (interprétation) : Non. Ce que je dis à
9 l’heure actuelle c’est que si à l’heure actuelle, il existe
10 des chefs d’accusation qui pourraient être rejetés pour
11 absence d’éléments de preuve et chefs pour lesquels il y
12 aurait eu établissement d’un constat judiciaire, que ce
13 soit dans le cadre de l’affaire Blaskic ou de l’affaire
14 Kupreskic, alors, pour rejeter ce chef d’accusation
15 maintenant, il faudrait s’engager dans des procédures qui
16 sont tout à fait contestables et tout à fait incorrectes
17 vis-à-vis de l’Accusation car peut-être qu’avant la fin de
18 cette affaire, on pourra s’appuyer sur tel ou tel fait
19 parce qu’il aura fait l’objet d’un arrêt de la Chambre
20 d’appel.
21 Donc, nous avons déjà identifié quels sont dans
22 les deux affaires citées les faits qui ont fait l’objet
23 d’un constat judiciaire et sur lesquels nous souhaiterions
24 nous fonder. Je ne vais pas les passer en revue
25 maintenant. Je ne vais pas rentrer dans le détail de la
Page 16733
1 question mais, Monsieur le Président, je vous indique
2 simplement que dans Kupreskic notamment, il y a eu
3 détermination de purification ethnique et d’attaques
4 systématiques et généralisées. Il y a eu un constat dressé
5 sur ce point. Il a été déterminé qu’effectivement, les
6 musulmans étaient le groupe visé par les expulsions.
7 Pour ce qui est de l’affaire Blaskic, d’après ce
8 que nous avons compris des conclusions factuelles de la
9 Chambre, et nous nous appuyons pour ce faire sur la version
10 en français du jugement, eh bien, dans l’affaire Blaskic,
11 il y a eu détermination faite sur la participation de la
12 brigade de Vitez dans le secteur de Ahmici et de Vitez. Il
13 y a eu détermination plus spécifique relative à l’attaque
14 dont a été la cible la population musulmane se trouvant à
15 Vitez et à laquelle a pris part la brigade de Vitez; des
16 conclusions relatives à l’incapacité des autorités en place
17 à prendre des sanctions contre les soldats coupables
18 d’infractions; des conclusions relatives au fait qu’il y a
19 eu planification des attaques et exécution des attaques et
20 que ces attaques n’ont pas été uniquement menées à bien par
21 les Vitezovis; et puis des conclusions tout à fait
22 spécifiques liées à l’implication de Monsieur Cerkez.
23 Je ne pense pas que ces déterminations et ces
24 conclusions soient nécessaires à l’heure actuelle, mais
25 notre position est la suivante : Nous souhaitons qu’elles
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1 soient examinées en temps opportun. C’est la raison pour
2 laquelle elles sont surlignées sur les documents que nous
3 avons examinés et je ne sais pas s’il convient que ce
4 document soit traité de façon officielle par le Greffe ou
5 s’il faut procéder d’une façon différente pour que vous
6 puissiez examiner également ce que nous avons entrepris.
7 Pour ce qui est maintenant de ce qui a été dit par
8 les accusés, par leurs défenseurs, à la fois par écrit et
9 oralement aujourd’hui, notre position à l’heure actuelle
10 est la suivante : Pour ce qui est des arguments invoqués
11 par Monsieur Kordic nous ne comprenons pas toujours très,
12 très bien quels sont les domaines de l’acte d’accusation
13 pour lesquels il est dit qu’il n’y a pas du tout d’éléments
14 de preuve par opposition aux zones de l’acte d’accusation
15 pour lesquelles il est dit qu’il n’y aurait peut-être pas à
16 terme suffisamment d’éléments de preuve invoqués.
17 Nous, nous disons que nous n’avons pas pu dans le
18 temps qui nous était imparti nous attaquer à tous les
19 différents aspects de l’affaire parce que d’abord, nous
20 n’avions pas tout à fait le temps et puis ce n’était pas
21 absolument nécessaire.
22 Ce que nous avons fait, et vous vous en
23 souviendrez, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce
24 que nous avons fait c’est de fournir une annexe 1 à notre
25 mémoire qui est, en fait, un document qui découle d’un
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1 document antérieur dont vous vous rappellerez qui avait été
2 inclus à notre mémoire préalable à l’ouverture du procès.
3 Ce document donne la liste des témoins qui ont
4 déposé sur tel ou tel aspect et il y a beaucoup de témoins
5 qui ont fait une déposition sur un sujet précis et nous
6 avons fait une synthèse parfois des dépositions de ces
7 témoins qui déposaient sur un point précis pour que
8 l’audience d’aujourd’hui puisse aller un petit peu plus
9 rapidement.
10 Ce document est utile si effectivement la Chambre
11 envisage d’exclure tel ou tel village du chef d’accusation
12 où le nom de ce village est cité. Par exemple, si la
13 Chambre se réfère à la page 40 de ce document et si elle se
14 souvient de ce que Monsieur Kovacic vient de demander pour
15 ce qui est de Divjak, et bien, la Chambre verra d’après la
16 formulation du document que pour ce qui est des chefs
17 d’accusation 43 ou 44, il est exact que nous n’avons pas
18 soumis des éléments de preuve relatifs à la destruction
19 d’institutions religieuses ou d’éducation pour Divjak, ni
20 pour Stupni Do. Donc, ce document peut être utile en ce
21 sens et c’est ainsi que vous pouvez vous en servir.
22 À part pour quelques cas extrêmement peu nombreux,
23 ceux dont j’ai parlé précédemment en font partie, mais donc
24 sauf pour quelques cas précis, chaque case contient au
25 moins un, si ce n’est beaucoup plus, noms de témoins.
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1 Par conséquent, ce document permet de démontrer
2 catégoriquement qu’il y a des éléments de preuve qui sont
3 soumis à l’examen de la Chambre de première instance pour
4 chacun des chefs d’accusation qui font partie de l’acte
5 d’accusation et pour chacun des accusés en l’espèce.
6 La valeur que peuvent avoir les cases vides pour
7 la Défense ou pour la Chambre de première instance, c’est
8 la possibilité d’éventuellement réduire l’ampleur de l’acte
9 d’accusation, mais d’après nous, ce pouvoir n’existe pas.
10 Nous, nous avons le pouvoir de modifier l’acte d’accusation
11 dès lors que nous en formulons la demande et dès lors que
12 l’autorisation nous en est donnée. Nous ne souhaitons pas
13 exercer ce pouvoir qui est le nôtre, mais ce que nous
14 disons c’est que là où il n’y a pas élément de preuve
15 portant sur, par exemple, la destruction d’une mosquée ou
16 qu’il n’y a pas preuve du pillage de tel ou tel
17 établissement public, eh bien, effectivement, cette
18 question peut être résolue dans une décision opportune de
19 la Chambre de première instance.
20 Bien évidemment, comme Monsieur le Juge Bennouna
21 l’a dit tout à l’heure, il n’y a plus dès lors nécessité
22 pour la Défense d’invoquer quelque argument en
23 contradiction que ce soit.
24 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Soit, mais ils
25 doivent savoir à quoi s’en tenir. Ils doivent savoir dans
Page 16737
1 quelle situation ils se trouvent. Y a-t-il une raison pour
2 laquelle dans cette affaire, en l’occurrence, il ne vous
3 est pas possible de votre propre initiative de retirer ce
4 qui vous gêne ?
5 Me NICE (interprétation) : Eh bien,
6 effectivement, c’est une possibilité.
7 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Parce que
8 c’est peut-être la façon la plus rapide de procéder puisque
9 nous sommes sur ce sujet. Peut-être êtes-vous sur le point
10 d’aborder la question du chef d’accusation 1 et des 24
11 municipalités.
12 Me NICE (interprétation) : J’y venais
13 précisément.
14 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Oui. Bien !
15 Tout de même, avant de venir à ça, venons-en à ces cases
16 vides. Est-ce qu’il y en a d’autres auxquelles vous
17 puissiez nous renvoyer ?
18 Me NICE (interprétation) : J’ai cité ceux qui se
19 trouvent à la page 40. J’en vois un ou deux à la page 39.
20 À la page 38 également, vous en trouverez.
21 Maintenant, pour ce qui est de la destruction des
22 villages, on vient de me rappeler que peut-être que nous
23 n’avons pas tout inclus dans ce document. Peut-être
24 n’avons-nous pas notamment inclus ce qui apparaissait dans
25 le cadre de la cassette enregistrée dans le cadre d’un
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1 survol et versée au dossier par le biais du Colonel
2 Capelle, mais je crois que je l’ai fait. Je crois qu’en
3 fait, effectivement, ceci apparaît.
4 De toute façon, nous ne désirons pas ici vous
5 présenter une liste totalement exhaustive. Sous réserve de
6 vérification ultérieure quand nous disposerons d’un petit
7 peu plus de temps que maintenant, puisque nous avons de
8 toute façon l’intention de lire de très près et de répondre
9 à la requête du premier accusé, effectivement, je ne vois
10 pas pourquoi nous ne pouvons pas effacer ces éléments parce
11 que nous ne nous attendons pas à être à même de soumettre
12 d’autres éléments de preuve et nous espérons d’ailleurs que
13 ce document sera très utile de façon générale à la Chambre
14 et nous savons fort bien que la Chambre, de toute façon,
15 réalise ses propres analyses.
16 Cette approche n’est pas celle que nous
17 adopterions concernant les persécutions et les
18 municipalités, donc les chefs qui se rapportent aux
19 persécutions et aux municipalités. La terminologie reflète
20 le fait que ces activités ont eu lieu dans toute la région
21 tel que cela est décrit et faisaient partie d’un plan
22 généralisé.
23 Nous n’avons peut-être présenté des moyens de
24 preuve que par rapport à certaines municipalités. Il n’est
25 pas nécessaire dès à présent de réviser l’acte d’accusation
Page 16739
1 pour supprimer, pour expurger certaines municipalités. Le
2 chef d’accusation me paraît tout à fait adéquat. On peut
3 facilement identifier quels moyens de preuve correspondent
4 à quels éléments du chef d’accusation, mais je ne pense pas
5 qu’il soit nécessaire de réviser.
6 Par ailleurs, en ce qui concerne le mot « et »
7 utilisé dans l’avant-dernier et le dernier paragraphe de
8 l’acte d’accusation, Monsieur Sayers a dit prétendre que
9 cela veut dire que chaque acte de persécution doit être
10 démontré. Cela ne correspond pas à notre intention, bien
11 qu’en fait, chaque case dans ce chef de persécution est
12 remplie. Je ne sais pas qui est-ce qui a rédigé cet acte
13 d’accusation mais on me dit qu’une des instructions données
14 par les juges est souvent de dire que le mot « et » peut
15 également s’entendre comme « ou », cela aux États-Unis.
16 C’est la pratique aux États-Unis.
17 Il me semble donc qu’il n’est pas nécessaire de
18 réviser ce mot « et » dans la version que j’ai devant moi,
19 la page 10, à la fin du sous-paragraphe (i) concernant le
20 bétail parce que c’est sur ce mot que la demande se fonde.
21 Il serait tout à fait ridicule de dire que si tous les
22 autres actes de persécution avaient été démontrés, si un
23 seul acte n’était pas établi, le chef d’accusation dans son
24 intégralité devrait être rejeté. Cela serait absurde.
25 Si la Chambre préférait que le texte soit révisé
Page 16740
1 pour inclure le terme « ou », on peut faire le nécessaire,
2 mais nous ne demandons pas que cela soit fait. Cela ne
3 nous paraît pas nécessaire.
4 Maintenant, quelques arguments concernant les
5 faits tant en ce qui concerne les persécutions que d’autres
6 chefs précis, même si je trouve difficile de voir
7 exactement à quels chefs d’accusation se réfèrent les
8 arguments de la Défense.
9 Si nous interprétons correctement le critère
10 d’appréciation, il n’est pas nécessaire d’examiner
11 maintenant des arguments de fait qui concernent simplement
12 le poids de moyens de preuve qui existent sans aucun doute.
13 Notre principe de base c’est qu’il est évident que
14 des éléments de preuve appuient tous les chefs d’accusation
15 et les éléments particuliers et distincts de ces chefs
16 d’accusation et que l’exercice que nous avons devant nous,
17 la procédure entamée ici n’est pas opportune.
18 En ce qui concerne la discrimination, l’expert
19 Ribicic a affirmé que dans sa forme de jure, les normes
20 internationales en matière de protection des minorités
21 n’ont pas été respectées. De toute manière, l’organisation
22 de jure ou la nature de jure de l’organisation des
23 événements n’est pas décisive.
24 Ce qui est décisif c’est qu’il y a eu persécution
25 au sens de discrimination dans cette affaire, tant au sens
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1 général que par des actes très spécifiques concernant des
2 persécutions, des crimes, des meurtres, la destruction et
3 l’incendie de maisons, d’édifices religieux et ainsi de
4 suite, des actes généralisés de persécution qui vont bien
5 au-delà du champ de l’acte d’accusation, comme la Chambre
6 en est bien consciente, notamment en ce qui concerne
7 Mostar, par exemple.
8 La Chambre gardera à l’esprit…
9 M. LE JUGE BENNOUNA : Me Nice, simplement pour
10 préciser un point qui complète d’ailleurs la question qui a
11 été posée par le Président Richard May qu’en fait, la
12 persécution, ce qu’on appelle la persécution, peut être
13 déduite d’un certain nombre d’autres crimes ou d’actions et
14 ne découle pas nécessairement directement d’un certain
15 nombre de déclarations.
16 Vous nous dites en fait que la persécution n’est
17 pas un chef d’accusation autonome en lui-même mais qu’il
18 est lié à d’autres chefs ou à d’autres crimes qui existent
19 dans l’acte d’accusation. Est-ce que c’est ça que vous
20 nous dites à travers le fait que vous dites : « Oui, mais
21 la persécution est liée à tout le reste, à la destruction,
22 aux crimes, aux meurtres, à la destruction d’un certain
23 nombre de bâtiments, aux campagnes », et cætera ?
24 Est-ce que vous pouvez préciser ce point sur
25 comment vous entendez le crime de persécution ?
Page 16742
1 Me NICE (interprétation) : Je pense que je peux
2 répondre par la simple affirmative sur les deux aspects de
3 la question en ce qui concerne notre adoption de la
4 proposition que nous a soumise le Président, mais pour
5 répondre à la question plus spécifique, oui, bien sûr, la
6 campagne de persécution menée comme l’allègue l’acte
7 d’accusation, l’attaque de villes et de villages, le
8 meurtre et les atteintes graves infligées aux civils
9 musulmans, tout cela rend tout à fait manifeste que le chef
10 d’accusation de la persécution incorpore tous les autres
11 actes auxquels l’acte d’accusation se réfère.
12 Par ailleurs, c’est dans ce sens l’allégation, le
13 crime principal reproché. Il n’y a rien de mal, au
14 contraire, c’est très bien que l’acte d’accusation présente
15 les choses comme il le fait, mais effectivement, la
16 persécution se réfère à tous les actes incorporés dans cet
17 acte d’accusation.
18 Pour aborder quelques autres exemples, Cicak,
19 Kljuic et Tuka, le fait qu’ils ont été contraints
20 d’abandonner leurs positions en fait de l’intolérance.
21 Lorsque nous nous concentrons un petit peu plus
22 sur l’intervention plus spécifique de Kordic, sa
23 participation dans toute cette campagne et dans toute la
24 région est démontrée de nombreuses manières, mais pour être
25 bref, c’est du simple fait qu’il avait le pouvoir. Il
Page 16743
1 détenait le pouvoir. Il était perçu par tous comme le
2 personnage le plus important, le plus influent sur le
3 territoire.
4 Dans toutes les guerres sans doute, mais en tout
5 cas sur ce territoire particulier, le pouvoir politique
6 sous-tend le pouvoir militaire.
7 Nous pourrions vous soumettre de nombreux autres
8 détails concernant ces pouvoirs autres que ceux présentés
9 dans notre mémoire. Malheureusement, nous n’avons pas eu
10 beaucoup de temps pour élaborer ce mémoire. Je ne veux pas
11 trop m’appesantir, mais je pourrais mettre le doigt si cela
12 peut vous aider sur d’autres pièces à conviction
13 supplémentaires que vous souhaiteriez peut-être examiner si
14 vous avez des préoccupations concernant l’état des moyens
15 de preuve.
16 Je prierais la Chambre de garder à l’esprit le
17 compte-rendu des réunions avec le Président Tudjman numéro
18 23773.1 où il était présent et les fonctions qu’il
19 occupait, il représentait toute la communauté, et si vous
20 pouviez garder à l’esprit le numéro 219 datant du 19
21 septembre 1992 où sa signature a autorisé quelqu’un à
22 déplacer de l’équipement militaire d’un territoire à un
23 autre et la Chambre gardera également à l’esprit Z128 où
24 l’Accusé Kordic signe au nom du commandement régional de la
25 Bosnie centrale une ordonnance autorisant le libre passage
Page 16744
1 à un individu… excusez-moi, j’ai donné une référence
2 inexacte. Il s’agit de Z128.
3 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : [Non
4 interprété]
5 Me NICE (interprétation) : Donc, le document Z139
6 qui délivre un ordre vis-à-vis de Vares et très important
7 pour ce qui est de Vares et de Stupni Do afin de permettre
8 un accès libre au HVO dans la municipalité de Ilidza. Dans
9 ce cadre, il signe en tant que Président de la HZ-HB.
10 Il y a le Z187 qui est une invitation en fait
11 obligatoire à une réunion qui a été émise à l’encontre du
12 Président du HVO de Vares.
13 Il y a le Z202, une note manuscrite émanant de
14 Rajic demandant à ce que certaines personnes fassent
15 rapport de leurs activités à Kordic notamment en matière
16 d’utilisation des fonds.
17 Il y a le Z219 qui est un ordre signé par Blaskic
18 et qui concerne des armes et leur convoi et leur
19 acheminement vers l’Herzégovine qui requiert qu’un sceau
20 particulier soit appliqué, sceau soit de l’état-major
21 régional, soit du commandement général, qu’il s’agisse de
22 Kordic ou de Blaskic.
23 Vous vous rappellerez également de Z233, un
24 document datant du 22 septembre signé de la main de Kordic
25 et traitant du contrôle total du HVO de la municipalité de
Page 16745
1 Vares, entre autres sujets abordés, signé en sa capacité de
2 Vice-Président du HVO.
3 Il y a également le Z229 datant du 30 septembre
4 1992. Il s’agit d’une note relative à une réunion au cours
5 de laquelle Kordic s’exprimait au nom de l’ensemble de la
6 population croate et où il a déclaré que si les
7 négociations avec les musulmans n’avaient pas lieu, alors,
8 les Croates devraient s’engager dans des procédures
9 d’obstruction totale et apparemment il préside la réunion,
10 en tout cas, prend la présidence de cette réunion puisqu’il
11 n’apparaît pas comme étant le président désigné et il
12 indique qu’il a siégé la veille à Vares.
13 Il y a le Z261, un ordre signé par Rajic le 29
14 octobre qui indique que Dario Kordic était le vice-
15 commandant de la HZ-HB et il est demandé à ce que toutes
16 les troupes possibles soient envoyées pour la défense de
17 Jajce.
18 Il y a le 2124.1 où il est indiqué que le Colonel
19 Kordic est présent.
20 Il y a le Z1080 qui… enfin, je n’ai peut-être pas
21 besoin de le citer mais enfin, il y a d’autres documents
22 encore.
23 Par ailleurs, pour compléter le résumé que nous
24 avons présenté, nous avons établi que Monsieur Kordic était
25 le personnage le plus important, avec le plus de pouvoir
Page 16746
1 dans toute la région. On se plaint du fait que les témoins
2 internationaux qui étaient présents sur le territoire ne
3 lui ont pas souvent posé la question de quelles étaient au
4 juste ses fonctions et son pouvoir.
5 Il est assez insolite qu’on leur reproche de ne
6 pas lui poser de telles questions quand on voit un homme
7 accompagné d’une garde militaire, de gardes du corps armés,
8 qu’on ne peut approcher qu’après avoir pu traverser divers
9 points de contrôle. Il est évident qu’il s’agit d’un
10 personnage influent, puissant et il est peu plausible qu’on
11 lui pose la question : « Est-ce que, par hasard, vous êtes
12 un porte-parole de la presse ? » Donc, de telles questions
13 ne se justifieraient pas.
14 Le pouvoir que l’on détient est reflété par le
15 comportement que l’on a et il n’a jamais lui-même nié qu’il
16 ait un tel pouvoir et son comportement a démontré ce
17 pouvoir.
18 La Défense de Monsieur Kordic aborde ensuite
19 Travnik et Fojnica, diverses villes qui ne sont pas
20 spécifiées dans l’acte d’accusation, mais des villages tels
21 que Rotilj et Tulica. Par rapport à ces derniers, si je ne
22 m’abuse, l’acte d’accusation, en principe, ne devrait pas
23 être remis en question du seul fait qu’il y aurait absence
24 de moyens de preuve concernant un lien particulier.
25 Donc, je n’ai pas besoin d’aborder les moyens de
Page 16747
1 preuve spécifiques concernant un village spécifique, mais
2 je dirais, par respect pour les arguments avancés par mes
3 confrères, je dirais tout de même quelque chose.
4 Est-ce que Rotilj était un village défendu ? Le
5 commandant du HVO concerné a expliqué qu’une de ses
6 patrouilles a essuyé le feu et qu’un de ses soldats avait
7 été blessé. Dans ce contexte, sept personnes ont été
8 trouvées mortes, y compris des femmes, et de nombreuses
9 maisons ont été incendiées.
10 D’autres moyens de preuve établissent… je me
11 réfère à la pièce à conviction 702, ordonnance émise par
12 Blaskic du 17 avril donnant l’ordre de capturer la zone
13 dans laquelle ce village était situé.
14 Concernant Zepce, je pourrais en dire long mais je
15 pense qu’il n’est peut-être pas nécessaire de nous
16 appesantir en ce moment. On peut se référer à notre
17 mémoire. Je voudrais rappeler à la Chambre que dans le
18 compte-rendu, les paragraphes 51 à 59, vous avez entendu
19 parler du fait que l’Accusé Kordic, décrivant le cœur de
20 Boban comme étant en Bosnie centrale et disant que le HVO
21 lutterait jusqu’au dernier homme pour défendre les poches
22 de Kiseljak, Kresevo et Zepce, un territoire qui le
23 concernait manifestement directement. Il appartient à la
24 Chambre d’en juger.
25 Dans la déposition du Témoin AD, me référant à la
Page 16748
1 pièce à conviction 1156.2, il y a aussi une référence au
2 fait que Kordic a évoqué le fait que le HVO reprendrait le
3 territoire qu’il avait perdu, notamment Kiseljak, Vares et
4 la poche de Zepce.
5 Sir Martin Garrod, et là je me réfère à la pièce à
6 conviction 1364.6, a parlé du fait que l’accusé disait que
7 les musulmans avaient des visées sur la vallée de la Lasva,
8 Zepce, Kiseljak et d’autres lieux encore.
9 Ensuite, à la page 3421 du compte-rendu, le Témoin
10 D parle de certains crimes commis à Zepce. Je rappelle au
11 Tribunal qu’il s’agissait environ de 1 500 prisonniers
12 détenus dans un hangar. De telles allégations et les
13 soupçons qu’il y ait eu environ peut-être 5 000 détenus
14 démontrent à quel point les musulmans habitant à Zepce ont
15 été expulsés et leurs habitations détruites. Vous avez
16 également entendu des moyens de preuve établissant les
17 conditions déplorables dans lesquelles les prisonniers ont
18 été détenus.
19 Vous avez également entendu des moyens de preuve
20 concernant la destruction des mosquées de Zepce. Zepce
21 était une zone qui manifestement intéressait beaucoup
22 Kordic, qu’il visait, qui faisait partie du territoire
23 qu’il voulait contrôler et dont il n’était non seulement un
24 agent mais surtout un créateur. Dès le départ, il a fait
25 partie de la campagne. C’était son entreprise.
Page 16749
1 Concernant Zenica, le juge a dit très correctement
2 que Zenica a fait partie tant de l’attaque que des
3 persécutions, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas
4 d’arguments ou de moyens de preuve établissant le
5 pilonnage. Tous les arguments sont des arguments de poids.
6 Sur ce point, je pourrais, si la Chambre le
7 souhaitait ou si cela me paraît opportun, entrer dans plus
8 de détails, mais il suffit peut-être à l’heure actuelle de
9 dire que la Défense semble s’appuyer sur les conclusions
10 dans l’affaire Blaskic.
11 La Chambre aura peut-être à l’esprit, pour ce qui
12 est des éléments de preuve reliés à Zenica, ce qui a été
13 dit dans le cadre de l’affaire Blaskic, y compris la
14 cassette vidéo qui faisait état d’un entretien téléphonique
15 entre Blaskic et Kordic et je crois qu’à la page 2 du
16 compte-rendu de cette vidéo, on voit que Kordic exprime ses
17 vues relatives au pilonnage de Zenica dès cette époque,
18 disant : « Eh bien, s’ils attaquent en défense. Eh bien,
19 nous les pilonnerons. »
20 Donc, tous les détails tendent à prouver ses
21 compétences, son autorité vis-à-vis de Blaskic et montrent
22 également que dès cette époque, il a intérêt à pilonner
23 Zenica et puis d’autre part, mais je ne sais pas si ces
24 éléments de preuve étaient présentables sous cette forme
25 dans l’affaire Blaskic, il y a les éléments de preuve qui
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1 indiquent non seulement d’où provenaient les obus et la
2 probable localisation des armes, d’où ils ont été tirés sur
3 le territoire du HVO, mais vous avez également les appels
4 faits à la station radio juste avant le pilonnage.
5 L’expert Hamill a dit très clairement : « Ce qui
6 s’est passé par l’envoi de ces trois obus dans le cadre du
7 pilonnage, il y a eu opération tout à fait traditionnelle
8 de quelqu’un qui est informé de l’endroit où se trouve la
9 cible et qui essaie d’atteindre la cible. »
10 Alors, c’est une cible. Est-ce que ce n’est pas
11 une cible militaire dans tous les sens du terme ? Ça,
12 c’est quelque chose dont on peut débattre, mais c’est une
13 cible. Je ne veux pas rentrer dans tout le détail de ceci
14 mais je le fais parce que je veux mettre l’accent sur
15 quelque chose.
16 Même si Zenica peut être distinguée des autres
17 éléments qui sont abordés dans le cadre des différents
18 chefs d’accusation qui sont contestés, elle est tout de
19 même une localité pour laquelle il y a toutes sortes
20 d’éléments de preuve différents parce qu’il y a des
21 éléments de preuve qui font partie de l’affaire Blaskic et
22 des éléments de preuve dont nous, nous avons fait état et
23 qui nous permettront d’avancer jusqu’à une conclusion
24 finale.
25 En outre et outre ce qui a déjà été dit à propos
Page 16751
1 de Zenica, il y a un témoin dont je ne sais plus s’il était
2 protégé ou pas. Donc, je ne vais pas citer son nom.
3 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Me Nice, je
4 vous indique que je dois participer à une réunion à 16 h
5 00. Au maximum, je peux m’y rendre à 16 h 15. Alors, je
6 vous donne jusqu’à 16 h 00 si vous le voulez. Ensuite,
7 nous suspendrons. Nous nous retrouverons ensuite à 16 h 15
8 pour siéger jusqu’à 17 h 00 et nous espérons d’ici là en
9 avoir terminé des différents arguments des parties.
10 Me NICE (interprétation) : Eh bien, je pense que
11 je pourrai me conformer à vos souhaits, du moins je
12 l’espère, Monsieur le Président.
13 Donc, il y a un témoin – dont, je le répète, je ne
14 me souviens plus s’il était protégé ou pas; je vais
15 demander cela à mon assistante; bon, c’est un témoin
16 protégé; c’est confirmé – qui a déposé à propos
17 d’opérations de nettoyage ethnique à Zenica. Lui-même
18 était un musulman. Il a été emmené à Krizancevo Selo. Il
19 a été utilisé comme otage. Il voulait se rendre à Zenica
20 avec sa famille mais cela ne pouvait être fait que si tous
21 les Croates partaient de Zenica. Or, certains ne voulaient
22 pas en partir. Donc, il y avait là un exemple de la
23 politique de nettoyage ethnique inversée, si vous voulez,
24 dont nous avons déjà eu des exemples, par exemple, au vu de
25 ce qui s’est passé à Stupni Do.
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1 Il y a également le Témoin Q qui a également
2 déposé sur le fait que certains Croates ne souhaitaient pas
3 faire l’objet d’échange et de quelle façon il avait fallu
4 persuader ou convaincre ces Croates du fait qu’il fallait
5 qu’ils procèdent à cet échange.
6 Voilà pour ce sujet. J’en viens maintenant à
7 Divjak parce qu’on en a parlé. J’en ai parlé dans le cadre
8 de ce que j’ai dit à propos de la mosquée. Nous sommes
9 d’accord pour dire que tout cela n’a pas été directement
10 prouvé. Donc, puisque j’en ai parlé, je vais en fait venir
11 à ce qui s’est passé à Busovaca.
12 Busovaca ne devient pertinent que dès lors qu’on
13 établit une distinction, une séparation entre les
14 différentes localités, ce que nous n’espérons pas.
15 Busovaca se trouve vraiment au centre de cette affaire et
16 il y aurait d’autres choses à dire à propos de Busovaca,
17 notamment par rapport à ce qu’a dit la Défense quant au
18 fait que la vie est redevenue tout à fait normale à
19 Busovaca très tôt. En fait, il y a eu déformation des
20 éléments de preuve présentés par les témoins qui se
21 trouvaient sur place.
22 Je vous rappelle ce qu’a dit le Témoin A. Le
23 Témoin A ne parle pas d’un retour à une certaine qualité de
24 vie. Bien au contraire, il affirme que la vie a changé du
25 tout au tout et qu’il en a été le témoin à Busovaca. Il
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1 décrit tous les effets négatifs de cette nouvelle vie, y
2 compris les effets de cette nouvelle réalité sur les
3 différentes institutions, les nouvelles agences juridiques
4 au sein desquelles un certain nombre de personnes ont été
5 licenciées, de personnes musulmanes qui ont été licenciées.
6 Il indique que certains symboles de l’État ont été
7 retirés et que certaines stations d’émissions radios ont
8 été saisies. Je m’arrête ici parce qu’il y a quelque chose
9 que j’ai omis de dire et que pourtant il faut mentionner, à
10 savoir que l’un des problèmes pour les Croates dans la
11 région de Zenica était que précisément, le poste de radio
12 de Zenica était le seul poste de radio dont ils n’avaient
13 pas le contrôle dans la région.
14 Le Témoin A vous a parlé également de
15 l’introduction et de l’utilisation obligatoire du dinar
16 croate et puis dans les documents qui vous ont été soumis,
17 vous trouverez référence faite au couvre-feu, vous verrez
18 que les musulmans n’avaient rien à dire en la matière. Ils
19 se sont vu retirer leur droit de prendre part à des
20 manifestations publiques. Le HVO s’appropriait tous les
21 aspects de la vie publique. Il a aboli l’existence de
22 l’assemblée municipale. Il a annulé le conseil exécutif
23 municipal. Le personnel municipal devait se présenter au
24 travail immédiatement afin d’être placé sous le contrôle et
25 le commandement direct du HVO.
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1 Pour ce qui est de la suggestion selon laquelle
2 les personnes étaient bien libres d’aller travailler même
3 si elles ne rejoignaient pas les groupes du HVO, c’est
4 parfaitement inexact. L’obligation de rejoindre les rangs
5 du HVO s’appliquaient à tous et non pas seulement aux
6 hommes qui travaillaient dans les forces de la police.
7 La Défense indique que certains employés ne
8 retrouvaient pas leur travail s’ils ne bénéficiaient pas
9 d’un certain soutien et puis vous avez entendu également la
10 déposition du Témoin M vous dire qu’il était très clair que
11 tout musulman souhaitant préserver son poste au sein du
12 gouvernement devait obligatoirement devenir membre du HVO.
13 Il vous a dit que lui-même et d’autres musulmans n’avaient
14 aucun pouvoir de fait ou moral, ils devaient se contenter
15 de s’asseoir à leur table et de ne plus rien faire.
16 Il a expliqué quel pouvait être le résultat des
17 pressions et des menaces exercées. Il a dit qu’il pensait
18 que le HVO voulait que les quelques musulmans qui restaient
19 encore dans l’administration restent simplement pour
20 satisfaire les observateurs de la mission d’observation de
21 l’Union européenne.
22 Le Témoin O vous a dit non seulement qu’il avait
23 été rayé des cadres, mais qu’il n’avait pas réussi à
24 trouver un nouveau travail. Il a déclaré que par la suite,
25 il avait réussi à travailler dans le cadre de
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1 l’administration municipale, mais il indique bien qu’il a
2 pendant un temps été le responsable d’un groupe qui par la
3 suite a été aboli. Le groupe à la tête duquel il avait été
4 placé était le comité exécutif, rien de moins.
5 Tout cela fait directement partie des actes de
6 persécution que nous mettons au compte de Dario Kordic.
7 La Défense voudrait vous faire croire qu’il y
8 avait deux départements de la municipalité qui étaient
9 encore dirigés par des musulmans et je vous renvoie à la
10 pièce 175.1. Peut-être que la pièce 175.1 n’est pas
11 contestable, mais ce que le témoin dit c’est que même si le
12 Témoin M affirme qu’il a été placé à un poste relativement
13 important, il n’avait en fait aucun pouvoir effectif. Il
14 n’était pas invité à assister aux réunions, il n’était pas
15 tenu au courant de ce qui se passait et sans qu’il le sache
16 lui-même, le témoin a été fait membre du HVO. Donc là
17 encore, toujours de la poudre aux yeux pour essayer de
18 satisfaire des observateurs extérieurs.
19 La Défense dit que le gouvernement municipal du
20 HVO n’exigeait pas de ses employés qu’ils signent ou qu’ils
21 prêtent serment ou qu’ils prêtent allégeance. Je répondrai
22 à cela ce qu’on dit les deux témoins que j’ai cités
23 précédemment qui ont dit qu’ils n’avaient effectivement
24 signé aucune déclaration d’allégeance, mais qu’il était
25 implicite que c’était la condition à remplir s’ils
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1 voulaient retrouver leur emploi.
2 Ce n’est pas là une vie normale. Il y a là
3 déformation des dépositions et ce qui est bien certain
4 c’est que ces musulmans vivaient dans la peur, qu’ils
5 n’avaient pas de droits, droits qui devaient, de toute
6 façon, leur revenir.
7 Je vois qu’il est 16 h 00.
8 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Effectivement,
9 il est 16 h 00 et nous nous retrouverons à 16 h 15.
10 --- Suspension de l’audience à 16 h 03
11 --- Reprise de l’audience à 16 h 20
12 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Si vous
13 pouviez tout résumer en 10 minutes, en l’espace de 10
14 minutes, ce serait parfait.
15 Me NICE (interprétation) : Parmi les sujets qui
16 ont été évoqués aujourd’hui, il y a eu le rapport Ahmici.
17 La Chambre se rappelle sans doute qu’il s’agit là d’un
18 document préparé, on ne sait pas très bien quand, qui a été
19 divulgué ou communiqué au terme du procès Blaskic, produit
20 par nous-mêmes et montré au Colonel Stewart, non pas parce
21 que nous reconnaissons qu’il s’agit d’un document exact et
22 honnête. Nous n’acceptons même pas a priori l’exactitude
23 de la date de ce document, mais s’il s’agissait d’un faux,
24 pourquoi produirait-on un tel document si tout, par
25 ailleurs, était régulier ?
Page 16757
1 La Chambre se souviendra des remarques et des
2 critiques formulées par le Colonel Stewart et, comme nous
3 avons peu de temps, je ne vais pas m’appesantir là-dessus.
4 Simplement, le rapport ne coïncide pas avec les événements.
5 Il est intéressant de noter que le rapport préalable de
6 Ljubesic du 16 avril que l’on accepte comme inexact ou en
7 tout cas comportant des inexactitudes, si l’on regarde ces
8 deux rapports ensemble, il semblerait qu’il s’agit là d’une
9 tentative de couvrir certaines choses, de dissimuler
10 certaines choses.
11 Bien évidemment, aucun fonctionnaire de la
12 communauté internationale n’a été informé de ce rapport qui
13 prétendument aurait été rédigé simultanément et la première
14 fois qu’on en a eu connaissance, c’est à la fin de
15 l’affaire Blaskic.
16 Pour venir maintenant à Stupni Do, il est évident
17 qu’on ne peut pas mettre tout le blâme sur le dos de Rajic,
18 un homme que Kordic voulait destituer. Comme Monsieur
19 Mahmutovic vous l’a dit, il est évident que pour pouvoir
20 destituer quelqu’un, le relever de ses fonctions, il faut
21 déjà qu’il soit votre employé et il a été démontré que
22 Kordic était le supérieur hiérarchique de Rajic, ceci sur
23 la base d’autres moyens de preuve.
24 Vous avez également entendu le témoignage de Sir
25 Martin Garrod sur cette question ainsi que les conclusions
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1 de Monsieur Stutt pour lequel il ne faisait aucun doute que
2 la Bosnie centrale faisait partie de la région concernée.
3 Vous vous souviendrez également que selon Monsieur
4 Stutt, son témoignage, Kordic était au troisième rang de la
5 chaîne de commandement militaire et Martin Garrod en a
6 également parlé. La destitution alléguée de trois hauts
7 fonctionnaires de la région… quand je dis qu’il a été
8 allégué, les enquêtes qui ont suivi ne font que démontrer
9 qu’il y a eu de plus en plus de tentatives de dissimuler
10 des choses.
11 À la lumière de ce qui s’est passé à Ahmici, les
12 moyens de preuve concernant Stupni Do et l’intérêt de
13 Kordic pour cette zone et son influence dans cette zone, y
14 compris le fait qu’il donnait des ordres à Rajic,
15 s’intègrent bien dans tous les autres moyens de preuve sur
16 cette question.
17 Avant même de se tourner vers les moyens de preuve
18 fournis par AO, et d’ailleurs, nous n’avons pas encore tous
19 les éléments de preuve puisque AO devra revenir pour être
20 contre-interrogé, mais la Chambre se souvient que lorsque
21 le Témoin AO a décrit la décision prise et puis qui a dû
22 être confirmée par un appel téléphonique ou en tout cas par
23 un moyen de communication opérationnel, il n’a fait que
24 confirmer ce que d’autres témoins ont dit, que Blaskic ne
25 pouvait jamais prendre une décision définitive. Il devait
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1 toujours se référer à un autre, quelqu’un d’autre dans la
2 hiérarchie.
3 Concernant le but du massacre de Stupni Do, la
4 purification ethnique inverse, une tentative pour expulser
5 les Croates qui y restaient, cela reflète le témoignage
6 d’un autre témoin, je crois Mahmutovic, qui a exprimé
7 l’hypothèse que c’était la réelle raison pour les
8 événements de Stupni Do.
9 Kiseljak, eh bien, j’ai déjà abordé les
10 conversations téléphoniques qui ont été entendues entre
11 Kordic et Blaskic, une fois à Kiseljak et une autre fois à
12 Busovaca, et simplement, j’aimerais vous rappeler quelques
13 points.
14 Est-ce que Kiseljak faisait simplement partie
15 intégrante d’un plan général ou est-ce qu’il s’agissait
16 d’une initiative séparée ? À un moment donné, Kordic dit :
17 « Il faut tout incendier. Nous devons utiliser à large
18 échelle les obusiers. » Il voulait attendre pour décider
19 d’attaquer ou non Zenica, pour voir si Zenica s’opposerait,
20 réagirait.
21 Le Tribunal se rappelle également de la même
22 conversation témoignant du fait qu’il s’intéressait à
23 Fojnica, Kakanj et Visoko; et dans une autre conversation
24 sur les mêmes cassettes, il s’intéresse, si vous vous
25 reportez à la page 13, à Vares; si vous vous reportez à la
Page 16760
1 page 22, à Gornji Vakuf, et il a entre autres fait le
2 commentaire : « Comment peut-il y avoir un commandement
3 unifié avec l’ennemi ? », et si l’ennemi auquel il se
4 réfère était les musulmans, qu’est-ce que cela nous dit
5 concernant son attitude ?
6 À la page 24 du compte-rendu anglais, Kordic et
7 Blaskic parlent ensemble de camions venant de Kiseljak et
8 Kordic félicite Blaskic qui parle de l’assistance apportée
9 aux frères de Busovaca et Kordic a dit : « C’est parfait.
10 C’est excellent. Je vais l’annoncer demain à la radio de
11 Busovaca. »
12 Tout cela se passait donc et reflète le plan
13 global généralisé et commun auquel je reviendrai plus tard
14 brièvement.
15 Concernant les arguments de Cerkez, je vais les
16 aborder brièvement. Tous les arguments que nous avons
17 entendus aujourd’hui concernent la valeur probante. Notre
18 mémoire a adressé ce problème, le problème du temps, mais
19 il s’agit là d’un chef d’accusation que l’on ne peut pas
20 disjoindre.
21 La présence personnelle de Monsieur Cerkez sur un
22 site particulier n’est pas un élément de preuve requis. Ce
23 qui compte c’est le fait que les personnes présentes aient
24 été sous son commandement.
25 Me Kovacic s’est référé à des listes produites par
Page 16761
1 la police militaire du BiH parlant de membres de la brigade
2 Vitez, le tueur de Trako et le violeur du cinéma notamment.
3 Nous avons exposé ces moyens de preuve qui
4 montrent surtout, enfin, que l’accusé ne se bornait pas à
5 rester derrière un bureau. Il était actif sur le terrain.
6 Ainsi, je reviens à notre position finale. Il est
7 important que la Chambre garde à l’esprit qu’il s’agit ici
8 d’un plan à large échelle généralisé. Vous pouvez
9 considérer la réunion Tudjman comme une approche dualiste,
10 donc considérant les musulmans comme un problème.
11 Vous pouvez regarder le livre de Valenta qui n’est
12 pas du tout aussi innocent que la Défense le prétend. En
13 effet, il n’a peut-être pas évoqué expressément de la
14 violence. Il n’avait peut-être pas à l’esprit de la
15 violence, on ne le sait pas. Lorsqu’il a écrit ce livre,
16 cela a été écrit lorsqu’il régnait encore une entente
17 relativement bonne entre les populations, mais cela parle
18 des visées, des ambitions d’un segment de la population
19 caractérisé par l’ethnie.
20 Quel effet est-ce que cela peut avoir ? Eh bien,
21 nous ne pouvons pas simplement nous concentrer sur ce que
22 les gens disent, mais sur le contexte dans lequel ils
23 parlent et agissent. Nous devons voir la manière dont
24 Monsieur Kordic a été perçu, par exemple, quand il
25 apparaissait à la télévision. Les perceptions ont peut-
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1 être été un petit peu floues, mais quiconque participe à de
2 telles émissions doit tenir compte des effets que cela peut
3 avoir sur une ethnie.
4 Donc, on parle ici d’un plan commun dont l’accusé
5 Kordic est en fait un des auteurs dès le début avec Tudjman
6 notamment, et par la suite, quand des réunions ont été
7 organisées, vous verrez sur les documents que chaque
8 municipalité a participé. Toutes les municipalités ont été
9 sommées à participer.
10 Le projet était généralisé, un projet qui visait
11 la Bosnie centrale et tous les moyens de preuve, quelles
12 que soient leurs dissimilarités, révèlent tout de même le
13 fait qu’il s’agissait d’une initiative organisée pour toute
14 la région de la Bosnie centrale et ces éléments de preuve
15 indiquent également qu’il n’y a eu aucun homme politique
16 plus important que Kordic et que Kordic est identifié comme
17 la personne qui avait en main le pouvoir politique.
18 Aucun autre homme politique n’a été décrit de la
19 même façon, comme ayant une compétence politique aussi
20 directe et comme ayant pris part à autant d’événements que
21 Kordic.
22 La Chambre se rappellera que, bien sûr, avec accès
23 à certains documents, nous pouvons dire que ces accusés ont
24 joué des rôles multiples et sous des fonctions multiples.
25 Nous remarquons qu’on ne revient plus sur la
Page 16763
1 question du conflit international armé. Nous attirons
2 respectueusement votre attention sur le fait qu’en dépit du
3 fait que nous sommes passés rapidement sur cette question,
4 aussi rapidement que possible, nous avons répondu à la
5 requête de la Défense, toujours sur la base de dépositions
6 orales et nous avons l’espoir qu’une analyse ultime et
7 détaillée de cette affaire permettra d’étudier les
8 documents en profondeur et de démontrer qu’il y a eu
9 direction politique. Je crois que beaucoup peut être tiré
10 d’une analyse étendue des documents.
11 Revenons-en à l’annexe 1 et j’ai dit quelle était
12 notre position en la matière. Nous allons, bien entendu,
13 demander à ce que nous ayons un temps supplémentaire pour
14 pouvoir rétablir les éléments qui doivent être dans ce
15 document, mais voilà ce que j’avais à dire.
16 Est-ce que vous avez besoin d’informations
17 complémentaires ?
18 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Non, je vous
19 remercie.
20 Me Sayers.
21 Me SAYERS (interprétation) : Merci, Monsieur le
22 Président. Je vais faire de mon mieux pour répondre de
23 façon spontanée parce que tout cela, n’est-ce pas, ne
24 figurait pas par écrit, mais voyons les choses une par une.
25 Le critère à appliquer. Beaucoup a été dit sur la
Page 16764
1 question. Je vais essayer de ne pas trop m’attarder, mais
2 apparemment, l’Accusation dit que tout élément de preuve,
3 tout élément de preuve quel qu’il soit satisfait le critère
4 dit de la Chambre de première instance raisonnable, dont
5 nous avons parlé aujourd’hui. Eh bien, nous, nous
6 déclarons que ce n’est pas le critère qui est d’application
7 en l’espèce.
8 Le principe de départ semble être le suivant. Il
9 suffit de montrer que des éléments de preuve relatifs au
10 fait que des crimes ont été commis à Rotilj ou dans
11 d’autres, il suffit de le faire pour montrer qu’il y a eu
12 culpabilité, mais ce n’est pas vrai. Il faut établir non
13 seulement qu’il y a eu crime, mais qu’il y a eu crime
14 commis et que Monsieur Kordic y a joué un rôle, que ces
15 crimes ont été, par exemple, commis par des personnes sur
16 lesquelles Monsieur Kordic avait compétence et qu’il est
17 responsable de leurs crimes.
18 Or, ce n’est le cas pour aucun des deux villages
19 cités et ce n’est vrai ni pour ces villages ni pour
20 d’autres municipalités, et les raisons pour lesquelles cela
21 est vrai, je les ai exposées précédemment.
22 Maintenant, pour ce qui est de l’application de la
23 règle civile, enfin, qui s’applique parfois dans des
24 affaires au civil et qui a été invoquée à la fois par vous,
25 Messieurs les Juges, et par l’Accusation, nous, nous disons
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1 que si l’Article 98 bis ne s’applique pas dans les affaires
2 civiles, il s’applique effectivement ici.
3 Pour ce qui est maintenant des constats
4 judiciaires, nous allons répondre à cet argument par écrit
5 car nous souhaitons le faire, mais nous le ferons dans le
6 cadre du délai qui nous a été imparti pour ce faire par la
7 Chambre.
8 Pour ce qui est maintenant de Monsieur Kordic plus
9 directement, une fois encore, l’Accusation a effectivement
10 prouvé que dans certaines localités, des crimes ont été
11 perpétrés, mais ils ont, par ailleurs, omis de démontrer
12 que dans d’autres localités, quelque crime que ce soit ait
13 été commis.
14 Regardons les localités pour lesquelles il y a eu
15 éléments de preuve relatifs à la perpétration de crimes.
16 Il y a peu ou pas d’éléments de preuve qui permettent de
17 penser que ces crimes aient quoi que ce soit à voir avec
18 Monsieur Kordic.
19 On dit : « Bien forcément, il était compétent
20 parce qu’il n’a jamais dit le contraire », mais le fait de
21 ne pas dire que l’on est compétent, cela ne revient pas à
22 dire que l’on est effectivement compétent et qu’on a
23 effectivement les compétences dont les autres pensent que
24 vous les avez.
25 Je vous renvoie à la déposition du Major Jennings,
Page 16766
1 page 8995 :
2 « Est-ce que vous êtes le commandant du HVO,
3 Monsieur Kordic ? »
4 Monsieur Kordic répond : « Non. »
5 La question a été posée. La réponse a été donnée.
6 Je ne vais pas revenir dans le détail de tous les éléments
7 de preuve que nous invoquons dans notre mémoire selon
8 lesquels des conclusions ont été faites de façon très
9 libérale. Forcément, il avait des pouvoirs militaires et
10 politiques. Or, personne, personne n’a pu établir cela et
11 cela ne peut pas avoir valeur probante dans une affaire au
12 pénal.
13 Bien ! Revenons maintenant sur le chef
14 d’accusation 1. « Et » égale « ou ». Certainement pas.
15 « Et » veut dire un « et » en ce qui me concerne. Nous,
16 nous n’avons pas établi ce chef d’accusation. C’est
17 l’Accusation qui l’a établi et l’acte d’accusation modifié
18 a été modifié. C’est une lapalissade. Mais il suffit de
19 regarder le paragraphe 37(J) de l’acte d’accusation modifié
20 et vous verrez « et » et il s’agit là d’une conjonction,
21 pas d’une disjonction.
22 Il y a eu persécution dans toute la HZ-HB et dans
23 toutes les municipalités dont les noms apparaissent dans
24 l’acte d’accusation modifié.
25 Peut-être qu’il vous serait utile, Monsieur le
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1 Président, Messieurs les Juges – moi, je n’ai pas mon
2 exemplaire de l’acte d’accusation modifié, je ne l’avais
3 pas sous les yeux au moment où la question a été soulevée
4 ce matin – mais les municipalités qui sont spécifiquement
5 citées dans l’acte d’accusation modifié sont identifiées
6 dans le paragraphe 5 de notre mémoire et pour environ 24 de
7 ces municipalités, il n’y a aucun élément de preuve.
8 Aujourd’hui, on nous dit qu’il y a d’autres zones
9 qui ne sont pas couvertes par l’acte d’accusation, par
10 exemple Mostar, dans lesquelles des choses terribles ont
11 été perpétrées. Bien, vous verrez que dans le paragraphe 5
12 auquel je vous ai référé, Mostar est cité et même s’il y a
13 des choses horribles qui se sont passées à Mostar, il n’y a
14 aucun élément de preuve qui permet de penser que Monsieur
15 Kordic avait quoi que ce soit à voir avec ce qui s’est
16 passé à Mostar et on peut dire la même chose pour la
17 majeure partie des municipalités évoquées.
18 Pour ce qui est maintenant du chef d’accusation de
19 persécutions généralisées qui sont portées à l’encontre de
20 Monsieur Kordic et qui concernent les discours qu’il a
21 prononcés très tôt, en septembre 1992, en décembre 1991, je
22 vous soumets la chose suivante. Examinez l’ensemble des
23 bandes vidéos qui vous ont été soumises, examinez
24 l’ensemble des documents qui vous ont été remis par
25 l’Accusation, regardez l’ensemble des articles rédigés dans
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1 les journaux qui vous ont été présentés par l’Accusation.
2 Il n’y en a pas un seul qui puisse montrer du doigt, pas
3 une seule bande vidéo, pas un seul article de presse dont
4 l’Accusation puisse dire que dans cette cassette vidéo et
5 dans cet article, Monsieur Kordic tient des propos
6 discriminatoires, qu’il manifeste sa haine et sa violence.
7 Ce n’est pas vrai. Il n’y a pas une seule trace de cela.
8 Les documents sont là.
9 À vous de les consulter. À vous de confirmer ce
10 que je suis en train de vous dire. Il s’agit en fait de
11 rapports qui portent sur la reconstitution que d’autres
12 intervenants font de ce qui a été dit ou fait par Monsieur
13 Kordic il y a plusieurs années.
14 Qu’a dit le Témoin AQ ? Le Témoin AQ est venu ici
15 dans un seul but, dans le but de dire qu’il y avait eu deux
16 discours qui avaient été prononcés par Monsieur Kordic le
17 15 avril. L’un est la pièce Z765, il s’agit d’une cassette
18 vidéo, et puis il y a un autre discours pour lequel nous
19 n’avons pas de cassette vidéo, discours dans le cadre
20 duquel des commentaires très extrémistes sont formulés.
21 Je suis bien certain que la Chambre de première
22 instance se souvient très bien que de nombreuses tentatives
23 ont été faites qui visaient à convaincre le Témoin AQ que
24 la cassette vidéo n’était pas exactement la même chose que
25 le discours dont elle avait souvenir, et le juge présidant
Page 16769
1 de la Chambre lui a posé la même question et elle a dit :
2 « Mais non, il s’agit bien d’un seul et même discours. »
3 Donc, nous vous renvoyons à ces cassettes vidéos,
4 nous vous renvoyons à ces articles de presse, nous vous
5 renvoyons à ces divers documents parce que ce sont là les
6 meilleurs éléments de preuve qui indiquent ce qu’a dit cet
7 homme. On peut le voir sur la bande vidéo, on peut
8 l’entendre, et vous savez bien qu’il ne dit rien qui soit
9 assimilable à des actes de persécution ou de
10 discrimination.
11 Maintenant, pour ce qui est des différents
12 villages qui sont mentionnés par l’Accusation, eh bien, il
13 est assez rafraîchissant de s’entendre dire que Zenica et
14 Fojnica ne font pas partie des villages… pardon, Travnik et
15 Fojnica ne font pas partie des villages pour lesquels des
16 crimes spécifiques sont décrits.
17 Pour ce qui est de Rotilj et Tulica, je l’ai dit,
18 pas de connexion établie avec Dario Kordic. Pour Zepce,
19 pas non plus de lien établi avec Dario Kordic. On a
20 invoqué le Colonel Stutt, le Témoin AD, mais aucun de ces
21 témoins n’a dit que Monsieur Kordic avait quelque pouvoir
22 ou compétence que ce soit à Zepce. D’ailleurs, le Colonel
23 Stutt a dit exactement l’inverse.
24 Donc, il n’y a aucun élément de preuve tendant à
25 démontrer que Monsieur Kordic avait quelque influence que
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1 ce soit, que ce soit à Zepce, et rien n’indique, loin de
2 là, que des personnes ont été placées sous ses ordres que
3 l’on parle d’un point de vue militaire ou d’un point de vue
4 civil et qu’aucune de ces personnes placées prétendument
5 sous ses ordres a commis les crimes perpétrés à Zepce.
6 Pour ce qui est maintenant du pilonnage de Zenica,
7 je vous renvoie à notre mémoire. Nous n’avons rien à
8 ajouter.
9 Pour ce qui est de Divjak, eh bien, je crois qu’il
10 y a concession faite selon laquelle le chef d’accusation 43
11 doit être annulé parce qu’il n’y a pas d’éléments de preuve
12 démontrant qu’il y a eu destruction d’institutions et de
13 bâtiments consacrés à l’éducation pour ce qui est de
14 Busovaca.
15 [expurgée]
16 [expurgée]
17 [expurgée]
18 [expurgée]
19 [expurgée]
20 [expurgée]
21 [expurgée]
22 [expurgée]
23 [expurgée]
24 Alors, peut-être me corrigerez-vous mais il me
25 semble que seuls quatre musulmans au sein du gouvernement
Page 16771
1 de Busovaca siégeaient au sein de ce gouvernement et je ne
2 crois pas qu’aucun d’entre eux se soit vu demander de
3 signer une prestation d’allégeance et je n’ai aucun
4 souvenir que qui que ce soit ait dit que les musulmans
5 faisant partie du gouvernement de Busovaca s’étaient vu
6 exiger de signer ces plaidoyers.
7 Pour le Témoin M, il n’a pas perdu son emploi. Il
8 n’a pas signé cette allégeance. Il est resté à son poste.
9 Le Témoin O a dit que, bon, son poste avait été supprimé,
10 mais il n’a pas été jeté à la rue. Il a simplement repris
11 son travail précédent dans l’usine, l’usine qui se
12 trouvait, je crois, juste au nord-ouest de Busovaca. Il a
13 continué à travailler et il a continué à recevoir salaire.
14 Personne ne lui a demandé de prêter allégeance ou quoi que
15 ce soit d’approchant.
16 Pour ce qui est maintenant des allégations de
17 purification ethnique inversée, je dois dire que
18 j’accueille ces allégations avec une certaine dose de
19 scepticisme parce qu’on semble dire que dès lors qu’un
20 musulman de Bosnie est expulsé de son domicile, il s’agit
21 de purification ethnique, mais si un Croate de Bosnie est
22 expulsé de sa maison, c’est aussi la faute des Croates de
23 Bosnie. Je ne crois pas que l’on puisse soutenir cette
24 thèse de la purification ethnique inversée. D’ailleurs,
25 les documents de l’ECMM l’indiquent parfaitement.
Page 16772
1 Pour ce qui est maintenant de Ahmici et du rapport
2 établi par Ahmici, je ne vais rien dire là-dessus.
3 L’Accusation dit : « Il s’agit ici de tentatives de
4 camouflage ou de couverture et donc c’est forcément
5 Kordic », mais ce n’est pas Kordic qui a donné ce document.
6 C’est l’Accusation qui a soumis ce document et rien ne
7 permet de dire que Monsieur Kordic a joué un rôle
8 quelconque dans cette tentative de couvrir ce qui s’est
9 effectivement passé. Je vous rappelle l’ordre qui a été
10 rendu le 10 mai 1993 qui a été délivré par le Colonel
11 Blaskic et il ne s’agit pas d’un ordre factice ou d’un
12 ordre qui voudrait couvrir quoi que ce soit.
13 Pour ce qui est maintenant de Stupni Do, là je
14 dois dire qu’il n’y a aucun, aucun élément de preuve
15 tendant à montrer que Monsieur Kordic exerçait quelque
16 influence que ce soit. D’ailleurs, la Chambre de première
17 instance se rappellera fort bien ce qu’a dit le Témoin AD
18 de façon extrêmement graphique, à savoir que Monsieur
19 Kordic semblait parfois être tout à fait détaché des
20 événements parce qu’il se rendait même parfois dans la
21 poche de Vitez-Busovaca. Il ne semblait pas être au
22 courant de ce qui se faisait là-bas.
23 Le Colonel Stutt confirme ça dans sa déposition.
24 Il dit que Monsieur Kordic supervisait tout ça d’assez haut
25 et qu’il n’avait rien à voir avec les détails de ce qui se
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1 passait sur le terrain, que c’était le Colonel Blaskic qui
2 s’occupait des détails matériels et de ce qui se passait
3 effectivement sur le terrain.
4 Il y a des distinctions qui sont faites entre la
5 poche de Vares et la poche de Vitez-Busovaca et rien ne dit
6 que Monsieur Kordic ait été vu dans la région de Vares en
7 1993 et s’appuyer sur des ordres qui ont été signés en
8 1992, pour moi, ce n’est pas très convaincant et je ne
9 crois pas que cela ait quelque valeur que ce soit. Je vais
10 ralentir.
11 Pour ce qui est des conclusions que l’Accusation
12 tente de faire découler des dépositions tout à fait
13 contestables du Témoin AO, même… il me faudra encore trois
14 minutes, Monsieur le Président.
15 Donc, comme je le disais, pour ce qui est du
16 Témoin AO, les conclusions que l’Accusation cherche à tirer
17 de sa déposition sont parfaitement injustifiées.
18 Même si vous regardez tout ce qu’a dit le témoin
19 et si vous affirmez que c’est parfaitement exact, ce qui
20 d’après nous n’est pas du tout le cas, mais même si vous
21 partez du principe que tout est rigoureusement vrai, il ne
22 dit pas à qui Rajic a parlé lorsqu’il s’est rendu dans le
23 centre de commandement opérationnel, comme il l’indique.
24 Il n’a pas dit que Rajic s’est entretenu avec Kordic.
25 Il a simplement dit que soit le nom de Kordic,
Page 16774
1 soit le nom de Petkovic a été cité dans un contexte assez
2 flou après qu’il soit rentré du centre de communication et
3 c’est tout. C’est tout ce que nous obtenons.
4 Il n’y a aucune affirmation qui laisserait à
5 penser que Rajic avait des liens et des communications avec
6 Kordic et la meilleure preuve de savoir qui commandait qui
7 c’est la chose suivante. Onze jours avant les événements
8 de Stupni Do, il y a eu des documents émis par l’ECMM qui
9 indiquent que Kordic [sic] émet un ordre à destination de
10 Rajic parce qu’il veut que certaines améliorations soient
11 introduites et cela, vous le trouvez dans un document
12 contemporain des faits rédigé par l’ECMM et cela se fait de
13 façon normale dans le cadre d’une chaîne de commandement
14 militaire parfaitement traditionnelle.
15 Pardon, je vois que le compte-rendu indique que
16 Kordic émet un ordre à l’intention de Rajic, mais non, je
17 me suis trompé, c’est Blaskic qui délivre un ordre à
18 l’intention de Rajic demandant que des améliorations soient
19 introduites parce qu’apparemment, il fallait réparer
20 certaines routes. Des demandes avaient été formulées. Ces
21 demandes n’avaient pas été suivies d’effet, donc un ordre a
22 été émis et ça se passe peut de jours avant les événements
23 de Stupni Do.
24 Bien ! Pour Kiseljak, je crois que j’en ai
25 suffisamment parlé.
Page 16775
1 Pour ce qui est maintenant de la question du
2 conflit international armé et du commentaire qui a été fait
3 à ce sujet par l’Accusation qui dit que ce n’est pas
4 contesté, mais si, c’est contesté et nous répondrons à cet
5 argument dans le cadre du délai qui nous est imparti par la
6 Chambre de première instance. Je crois que nous avons
7 jusqu’à vendredi prochain, n’est-ce pas ? Eh bien, nous
8 serons là.
9 Pour conclure, je dirai que Monsieur le Juge May a
10 fait un commentaire parfaitement valable au début de cette
11 affaire : « J’espère que nous n’allons pas parler de
12 politique. » Or, voilà, nous parlons beaucoup de politique
13 et c’est peut-être malheureux, mais ce ne sont pas les
14 institutions politiques qui sont en procès ici. Ce n’est
15 pas le feu Président Tudjman qui est en procès ici. C’est
16 monsieur Kordic qui est en procès et ce qu’il a fait, ce
17 qu’il a dit. C’est sur cela que la Chambre doit se
18 concentrer.
19 L’Accusation a fait de son mieux. Elle a disposé
20 de 11 mois pour présenter ses éléments à charge. Je crois
21 que la Chambre a été extraordinairement généreuse parce
22 qu’elle a accordé 150 témoins et 11 mois à l’Accusation qui
23 disposait de tout ce temps pour montrer quels avaient été
24 les crimes commis par Monsieur Kordic et pour démontrer
25 quels étaient les liens qui rattachaient ces crimes à
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1 Monsieur Kordic.
2 L’Accusation a soumis une montagne de documents,
3 des milliers de pages de documents. Ce procès pénal est en
4 cours, en fait, depuis cinq ou six ans, Monsieur le
5 Président, Messieurs les Juges, et le temps est venu pour
6 les juges de cette Chambre de se plonger sur les éléments
7 de preuve et d’établir qu’aucune preuve au-delà de tout
8 doute raisonnable n’a été établie pour la responsabilité de
9 Monsieur Kordic pour quelque crime que ce soit, et d’autre
10 part, pour reconnaître qu’aucune Chambre de première
11 instance ne pourrait s’appuyer sur ces éléments de preuve
12 pour condamner Monsieur Kordic pour l’un quelconque des
13 crimes allégués dans l’acte d’accusation modifié, même dans
14 les cas où il existe quelques éléments de preuve relatifs
15 aux événements qui se sont produits dans certaines
16 municipalités.
17 Donc, nous demandons à ce que la Chambre applique
18 l’Article 98 bis du Règlement, de même que l’a fait la
19 Chambre de première instance qui a entendu l’affaire
20 Jelisic, et ainsi, nous atteindrons l’acquittement et la
21 décision que tout le monde attend.
22 Me KOVACIC (interprétation) : Je parlerai très
23 brièvement parce qu’il est très tard et il est inutile de
24 faire des commentaires s’ajoutant aux commentaires de mon
25 collègue. Je vais poursuivre en croate, c’est plus facile.
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1 La même confusion, il n’y a pas de personnes
2 subordonnées à Cerkez en 1992. Dès le mémoire préalable au
3 procès, nous avons indiqué quelle était la fonction de
4 Cerkez, alors que pendant la procédure ici, rien n’a été
5 montré indiquant le contraire.
6 Il n’est pas possible de rendre Cerkez responsable
7 de ce qui s’est passé durant cette période, à moins que ce
8 soit les faits commis par lui-même. C’est seulement à
9 partir du moment où il est devenu commandant de la brigade
10 de Vitez qu’on peut parler de sa responsabilité.
11 En ce qui concerne Novi Travnik, ça, c’est vrai,
12 il est devenu membre du commandement de la Brigade Stjepan
13 Tomasevic. Physiquement, il était à Novi Travnik. Il
14 était membre du commandement. Il n’était pas le commandant
15 lui-même. Il était actif dans la lutte contre les Serbes à
16 Vlasic et rien n’indique qu’il aurait commis un acte
17 criminel lui-même. Pourquoi ? Là encore, nous parlons de
18 la période. Au cours de cette période, en 1992, à Novi
19 Travnik, rien ne s’est passé.
20 Après le mois d’octobre, un cessez-le-feu a été
21 établi à Novi Travnik. Cerkez arrive à Novi Travnik vers
22 la fin de l’année 1992, alors qu’il ne se passe rien de
23 mauvais dans cette période. Nous n’avons entendu parler
24 d’aucun incident. Par la suite, nous avons entendu parler
25 d’un meurtre mais ce meurtre n’a rien à voir avec les
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1 soldats de la brigade.
2 Donc, trois points sont mentionnés : Novi Travnik,
3 Vitez, Busovaca. Vitez : très bien, une guerre sévissait à
4 Vitez à partir d’un certain moment, mais ici, rien ne s’est
5 passé.
6 Ensuite, un autre point dont je souhaitais parler.
7 Peut-être je n’ai pas été suffisamment clair. Peut-être
8 c’est mon erreur. En ce qui concerne les listes des
9 criminels de guerre constituées par le Témoin Rebihic et
10 concernant lesquelles je pense qu’il s’agit de documents
11 importants, moi, je n’ai pas dit cela en voulant dire que
12 Cerkez ne peut pas être tenu pour responsable puisqu’il ne
13 figure sur aucune liste, mais il est clair donc que Cerkez
14 n’a pas de responsabilité individuelle selon l’opinion de
15 ce Rebihic, officier de renseignement, et il n’aurait pas
16 pu l’oublier puisqu’il se trouvait à quelques centaines de
17 mètres vis-à-vis de Cerkez.
18 Il est certain que Rebihic n’a pas rédigé ces
19 listes du point de vue juridique. C’est ce qu’il a dit
20 d’ailleurs en réponse à notre question. Donc, il ne
21 pouvait pas penser de la théorie de la responsabilité de
22 supérieur hiérarchique. Il s’agit de quelqu’un
23 pratiquement d’illettré dans ce domaine. Donc, il n’aurait
24 pas pu avoir cela dans l’esprit.
25 Ce qu’il souhaitait établir c’était les personnes
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1 ayant commis les actes criminels. Il est certain qu’il ne
2 pouvait pas avoir dans l’esprit la responsabilité en vertu
3 de l’Article 7(3) du Statut. À l’époque, le Statut
4 n’existait même pas et même s’il avait existé, de toute
5 façon, la personne était en Bosnie à ce moment-là et
6 n’aurait pas su.
7 Il faut savoir également qu’au mois de mai, en ce
8 qui concerne Vukadinovic et ce qu’il a fait, au mois de
9 mai, Cerkez n’était pas son supérieur en mai 1992.
10 Vukadinovic faisait partie de la police militaire. À
11 l’époque, il y avait un état-major municipal à Vitez
12 présidé par Skopljak. Donc, si quelqu’un a fait un crime
13 en 1992 à Vitez, ce n’est pas Cerkez qui peut être tenu
14 pour responsable puisqu’il n’est pas à un poste de pouvoir,
15 d’autorité à ce moment-là.
16 Or, rien n’indique qu’au cours de l’année 1992,
17 Cerkez a fait quoi que ce soit lui-même. Donc, c’est
18 seulement à la fin du mois de février 1993 que Cerkez
19 devient commandant de la Brigade Stjepan Tomasevic et par
20 la suite, devient le commandant de la brigade de Vitez.
21 Donc, c’est seulement à partir de ces moments-là qu’il peut
22 éventuellement être tenu pour responsable comme supérieur
23 hiérarchique.
24 M. LE JUGE BENNOUNA : Est-ce que votre demande
25 consiste à dire… je dis bien par rapport à la question qui
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1 nous concerne, c’est-à-dire par rapport à l’application de
2 l’Article 98 bis. Qu’est-ce que vous nous demandez à la
3 Chambre exactement ? De ne pas considérer tous les actes
4 qui vont jusqu’à février 1993 ? Je ne comprends pas très
5 bien votre demande par rapport à l’Article 98 bis.
6 Pratiquement, quel est l’impact de votre remarque sur la
7 mise en œuvre de l’Article 98 bis ? Qu’est-ce que vous
8 demandez exactement à la Chambre ?
9 Me KOVACIC (interprétation) : Excusez-moi,
10 j’essaie d’aller rapidement et donc je suppose que c’est
11 pour cela que je fais certaines erreurs.
12 Monsieur le Juge, voici ma proposition et je pense
13 que si l’on interprète de manière juste l’Article 98 bis,
14 il est nécessaire de conclure que les juges disposent des
15 pouvoirs de rejeter même certaines parties de certains
16 chefs d’accusation. Il est certain également que les juges
17 peuvent rejeter l’ensemble de l’acte d’accusation ou bien
18 certains chefs de l’acte d’accusation mais je considère que
19 les Juges ont même le pouvoir, concrètement parlant – là,
20 je vais vous donner un exemple en ce qui concerne le chef
21 d’accusation 2 concernant les persécutions – de rejeter
22 l’accusation concernant la période entre avril 1992 et
23 avril 1993 et rejeter cela…
24 M. LE JUGE BENNOUNA : Me Kovacic, est-ce que ça
25 ne revient pas à modifier l’acte d’accusation ce que vous
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1 demandez ? Est-ce que l’Article 98 vise à dire : « Est-ce
2 qu’on conclut à l’acquittement ou pas de l’accusé du fait
3 que les preuves sont jugées insuffisantes ? » Et si vous
4 nous dites : « Non. Une partie d’un chef d’accusation peut
5 être éliminée, peut être deleted, peut être tout simplement
6 biffée », est-ce que ça ne revient pas à changer l’acte
7 d’accusation ?
8 Me KOVACIC (interprétation) : Monsieur le Juge,
9 je ne demande pas la modification de l’acte d’accusation
10 puisque cela nous ramenerait en arrière. Moi, je demande
11 que les juges rendent une décision, un jugement concernant
12 un chef d’accusation ou au moins une partie de ce chef
13 d’accusation, parce que si les juges peuvent rejeter
14 l’ensemble de l’acte d’accusation en ce moment par le biais
15 d’une décision, ça veut dire qu’en appliquant le même
16 principe, ils peuvent également rejeter une partie de cet
17 acte d’accusation.
18 Donc en fait, le résultat serait le fait que
19 l’accusation serait réduite. Les juges peuvent rejeter la
20 partie du chef d’accusation concernant laquelle nous
21 n’avons pas entendu et nous n’avons pas reçu de moyens de
22 preuve, au moins des moyens de preuve qui correspondent au
23 moins au critère de prima facie.
24 Là, je parle à titre d’exemple uniquement du chef
25 d’accusation numéro 2. Nous maintenons que les moyens
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1 preuve qui ont été avancés en ce qui concerne le chef
2 d’accusation numéro 2 ne sont pas de nature à faire l’objet
3 d’une décision condamnant notre client. Il n’y a pas de
4 moyens de preuve qui correspondraient au critère prima
5 facie.
6 Donc, c’est ce que je considère et je considère
7 que les juges disposent des pouvoirs de le faire.
8 Je vous remercie.
9 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Merci.
10 [La Chambre discute]
11 M. LE PRÉSIDENT (interprétation) : Nous allons
12 nous pencher sur toutes ces questions et rendrons notre
13 décision la semaine prochaine.
14 Me SAYERS (interprétation) : Puis-je juste dire
15 une chose ?
16 Il y a une requête ex parte à huis clos qui est
17 encore pendante devant le Tribunal. Si le Tribunal pouvait
18 prendre une décision en la matière, cela paraît urgent. Il
19 y a aussi des demandes qui n’ont pas encore été adressées,
20 qui relèvent des mêmes questions et nous aimerions une
21 décision aussi rapide à ce propos que possible.
22 --- La requête pour audition est levée
23 à 17 h 05
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