Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   (Mercredi 20 septembre 2000.)

  2   (Audience publique)

  3   (L'audience est ouverte à 9 heures 40.)

  4   (Contre-interrogatoire de M. Dragan Tomic par Me Nice.)

  5   M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, vous avez la parole.

  6   M. Nice (interprétation): Monsieur Tomic, vous ai-je compris hier comme

  7   ayant dit que votre principal motif d'être entré dans la police était la

  8   possibilité d'entrer en possession d'une arme à feu?

  9   M. Tomic (interprétation): Oui.

 10   Question:   Etait-ce, selon vous, un point de vue de nombreux policiers à

 11   l'époque, la volonté d'avoir une arme?

 12   Réponse:    Pour nous tous, là-bas, c'était une manière de nous défendre

 13   parce que la Serbie déjà, enfin... La guerre avait déjà commencé; nous qui

 14   n'avions pas d'armes, nous souhaitions en avoir une pour pouvoir nous

 15   défendre, défendre nos maisons, nos familles.

 16   Question:   Nous avons entendu un grand nombre de personnes qui

 17   n'appartenaient pas à la police militaire et, apparemment, n'appartenaient

 18   pas non plus à des unités de l'armée, ces personnes avaient une arme et

 19   patrouillaient dans les gardes villageoises. Mais vous, vous vouliez faire

 20   partie d'une unité structurée, n'est-ce pas? Vous ne vouliez pas rester à

 21   ce niveau-là?

 22   Réponse:    Je voulais avoir une arme pour pouvoir protéger ma famille. Je

 23   n'étais pas chasseur, je n'avais donc même pas un fusil de chasse et, par

 24   conséquent, il fallait que je trouve un moyen d'assurer ma sécurité.

 25   Question:   Vous nous dites que, lorsque vous travailliez aux côtés des


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  1   Musulmans, quelqu'un a dit quelque chose au sujet d'un Etat islamique,

  2   d'une "Jamahirija". Qui a dit cela, je vous prie?

  3   Réponse:    Ce n'est pas une personne qui a dit cela, c'était quelque

  4   chose que les gens étaient nombreux à dire. Comment est-ce que je pourrais

  5   dire? On était déjà habitué à ce que l'on rie de nous de cette façon, cela

  6   faisait 500 ans qu'ils nous saluaient de cette façon, comme cela.

  7   (Le témoin lève la main droite.)

  8   Question:   Mais se rire de quelqu'un, se moquer de quelqu'un ou dire cela

  9   sérieusement, ce n'est pas la même chose. Hier vous n'avez pas parlé d'une

 10   plaisanterie; or est-ce en fait ce que c'était: une plaisanterie?

 11   Réponse:    Après, c'est devenu quotidien. Un jour, un de mes collègues

 12   qui était avec moi m'a dit de regarder le ciel. Nous étions dans la

 13   troisième équipe au barrage entre la municipalité de Vitez et la

 14   municipalité de Busovaca. Il m'a dit: "Tomic, regarde là-haut. Qu'est-ce

 15   que tu vois?"

 16   J'ai dit: "Qu'est-ce que je vois? Les étoiles et la lune". Il m'a dit:

 17   "Quand il y aura l'échiquier ici, vous aurez une place ici mais tant que

 18   ce sera la lune et les étoiles, on sait qui commande dans la région". Et

 19   il m'a dit cela de la façon la plus sérieuse qui soit; c'était comme un

 20   avertissement de façon à ce que je fasse attention à ne jamais me trouver

 21   sur sa route quand le moment viendrait.

 22   Question:   Pouvez-vous nous donner le nom de cette personne? Si vous

 23   dites que ce sont des remarques qui ont été proférées de façon sérieuse,

 24   dites-nous ces noms.

 25   Réponse:    Je ne me rappelle pas le nom mais il travaille aujourd'hui


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  1   dans la police civile à Vitez, avec les Croates. Je sais qu'il est

  2   originaire de Sivrino Selo, mais je ne me rappelle pas le nom.

  3   Question:   Je vois. Quand cela s'est-il passé, Monsieur Tomic? A

  4   l'automne 1992, si je me trompe pas, ou bien plus tôt?

  5   Réponse:    Oui, oui.

  6   Question:   A l'automne 1992?

  7   Réponse:    Oui.

  8   Question:   Avant d'être blessé au mois de novembre, cela faisait combien

  9   de temps que vous étiez membre actif de la police militaire, je vous prie?

 10   Réponse:    Deux mois.

 11   Question:   Et vous aviez subi un entraînement, n'est-ce pas?

 12   Réponse:    Oui, pendant un mois. Ensuite, après un mois, j'ai été blessé.

 13   Question:   Oui. Et vous nous dites que vous étiez policier d'active ou

 14   réserviste de la police?

 15   Réponse:    A ce moment-là, au moment de ma blessure, j'étais membre de la

 16   police militaire. A ce moment-là, nous étions déjà installés dans quelque

 17   chose qui ressemble à une caserne, à Kruscica.

 18   Question:   Prenons la pièce à conviction 511. C'est une pièce volumineuse

 19   et j'aurai deux extraits de cette pièce à vous présenter, que j'ai déjà

 20   surlignés.

 21   Monsieur l'Huissier, pourriez-vous remettre ce document?

 22   (L'huissier s'exécute.)

 23   Ce document que l'on vous remet est un registre de travail de la police

 24   militaire pour 1992. J'aimerais que vous me donniez votre point de vue sur

 25   deux passages de ce texte. J'ai placé un post-it vert sur la version


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  1   destinée au témoin et sur la version destinée à l'accusation. Je crois que

  2   le passage se trouve à la page 12 de la version anglaise.

  3   On voit donc ici un registre de travail indiquant les activités de la

  4   police militaire en 1992, dans lequel on lit ce qui suit -je cite-; c'est

  5   un petit paragraphe que l'on trouve à côté du post-it vert: "Les unités de

  6   la police militaire comprennent des bataillons, des compagnies et des

  7   pelotons qui, selon le principe d'organisation territoriale, couvrent les

  8   différentes zones de travail ou de fonctionnement. Le 1er Bataillon de la

  9   police militaire, constitué exclusivement d'officiers d'active, se compose

 10   de trois compagnies. La 1re Compagnie est basée à Vitez".

 11   Ensuite, il est question de la 2e Compagnie et de la 3e Compagnie. Et le

 12   texte se poursuit comme suit: "Les membres de ce bataillon sont entraînés

 13   aux tâches les plus difficiles et les plus importantes pour la police

 14   militaire". Fin de citation.

 15   Etes-vous d'accord avec cette description de ce que vous faisiez en 1992,

 16   Monsieur Tomic?

 17   Réponse:    Je ne suis pas d'accord.

 18   Question:   En quoi dites-vous que cette description est inexacte?

 19   Réponse:    Eh bien, ma tâche principale, puisque j'étais dans le peloton

 20   chargé de la circulation, consistait à assurer la circulation des biens et

 21   des personnes parce qu'à ce moment-là, de l'aide humanitaire arrivait déjà

 22   et des médicaments provenant de la République de Croatie et de toutes

 23   sortes d'autres endroits. Ma tâche à moi et celle de mon département

 24   consistait donc exclusivement à assurer la circulation des personnes et

 25   des biens, c'est-à-dire de cette aide humanitaire.


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  1   Question:   Mais vous devez bien avoir eu une idée de ce que faisaient les

  2   autres pelotons de la 1re Compagnie de la police militaire à Vitez? La

  3   description de leur travail que l'on trouve dans ce texte correspond-elle

  4   à ce qu'eux faisaient dans ce cas-là?

  5   Réponse:    Je ne sais pas.

  6   Question:   Vous ne savez pas du tout; vous n'avez pas la moindre idée de

  7   ce que faisaient les autres membres de la police militaire: c'est bien ce

  8   que vous nous dites, Monsieur Tomic?

  9   Réponse:    Je ne pourrais que faire des suppositions.

 10   Question:   Prenons maintenant le deuxième post-it vert dans ce texte,

 11   dans votre version, Monsieur Tomic, page 13.

 12   Nous avons ici un paragraphe qui traite de la formation, de

 13   l'entraînement. Je cite: "Confrontés au problème de la formation

 14   professionnelle et du choix des hommes, des efforts ont été accomplis pour

 15   assurer une formation permanente aux membres de la police militaire dans

 16   un centre de formation. Un programme a été mis au point, en coopération

 17   avec les organes professionnels du RH du MUP -c'est un sigle croate qui

 18   signifie le ministère de l'Intérieur de la République de Croatie-; le 20

 19   septembre 1992, le centre de formation de la police militaire a été créé à

 20   Neum. La conduite, ou plutôt cette formation professionnelle a été confiée

 21   à des instructeurs émanant du ministère de l'Intérieur de la République de

 22   Croatie. A partir de sa création, près de 300 membres la police militaire

 23   ont reçu un entraînement dans ce centre. Tous les participants qui ont

 24   achevé leur entraînement avec succès sont envoyés dans des unités d'active

 25   de la police militaire où ils s'avèrent constituer les piliers de la


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  1   police militaire par la qualité de leur travail."

  2   Etes-vous d'accord avec cela? Avez-vous subi cet entraînement?

  3   Réponse:    Oui.

  4   Question:   La description ici correspond sans doute à votre souvenir.

  5   Vous avez été formé par des instructeurs venant de Croatie, n'est-ce pas?

  6   Réponse:    Non.

  7   Question:   Par qui avez-vous été entraîné dans ce cas-là?

  8   Réponse:    Ce n'est pas ce qui est écrit là.

  9   Question:   Je vois. Eh bien, si ce n'étaient pas des inspecteurs de

 10   Croatie, qui étaient-ce?

 11   Réponse:    Ils étaient d'Herzégovine.

 12   Question:   Pouvez-vous nous donner leurs noms?

 13   Réponse:    Je suis incapable de me rappeler exactement leurs noms

 14   aujourd'hui, mais je sais que c'étaient des hommes originaires

 15   d'Herzégovine et qui n'étaient pas de la République de Croatie.

 16   Question:   Ce document, les seuls auteurs en sont des membres de la

 17   police militaire et personne d'autre. Pourriez-vous nous expliquer comment

 18   il serait permis de penser que la République de Croatie vous formait alors

 19   qu'en fait, vous auriez été formés par quelqu'un d'autre, Monsieur Tomic?

 20   M. le Président (interprétation): C'est sans doute un commentaire que vous

 21   venez de faire, Monsieur Nice?

 22   M. Nice (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Eh bien, je reprends

 23   ce document et je vais voir si vous pouvez nous apporter une aide sur

 24   d'autres questions liées à la police militaire.

 25   Pasko Ljubicic était bien le commandant, n'est-ce pas?


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  1   M. Tomic (interprétation): Oui.

  2   Question:   Ne nous occupons pas du sommet de la hiérarchie pour le

  3   moment, mais simplement des gens qui étaient à votre niveau: il n'y a

  4   aucun doute, n'est-ce pas, que vous avez rencontré des gens avec qui vous

  5   avez fait connaissance, que vous avez donc noué des liens et que vous vous

  6   êtes fait de nouveaux amis, n'est-ce pas?

  7   Réponse:    Oui.

  8   Question:   Pouvez-vous nous dire qui étaient vos amies au sein de la

  9   police militaire lorsque vous y avez travaillé à l'automne de l'année

 10   1992?

 11   Réponse:    Ils étaient six ou sept. Enfin, leur nombre correspondait au

 12   nombre de départements et nous avions de nombreux contacts parce que nous

 13   étions toujours dans la même équipe; donc  nous étions ensemble.

 14   Question:   Très bien. Leurs noms, Monsieur Tomic, je vous prie?

 15   Réponse:    Par exemple, Dusko Prusac de Busovaca, Glavas Mladen -je crois

 16   que son prénom est Mladen- de Busovaca également. Srecko et je ne me

 17   rappelle pas son nom de famille: il est de Dusina, de Lasva, dans la

 18   direction de Zenica.

 19   Question:   D'autres noms?

 20   Réponse:    Franjo Ramljak, de Zenica. Tikvic, de Zenica lui aussi.

 21   Question:   Très bien. Ce sera suffisant pour le moment. L'un quelconque

 22   de ces hommes a-t-il été tué au cours des combats ou bien ont-ils tous

 23   survécu?

 24   Réponse:    Ces hommes étaient avec moi, cette nuit-là, quand nous avons

 25   été arrêtés à Kruscica.


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  1   Question:   Oui?

  2   Réponse:    Et je pense… Je ne les vois pas, enfin je n'en vois que deux;

  3   les autres, je ne les vois plus. Je vois Franjo Ramljak et l'autre, Tikvic

  4   de temps en temps, parce qu'ils habitent à Vitez.

  5   Question:   Merci. Passons maintenant au sommet de la hiérarchie de la

  6   police militaire et parlons de son organisation également. Pouvez-vous

  7   nous parler, je vous prie, des Jokeri qui font, qui faisaient partie de la

  8   police militaire? Dites nous ce que vous en savez.

  9   Réponse:    A ce sujet, je ne peux rien vous dire parce que je ne sais

 10   rien.

 11   Question:   Vous connaissez le nom: ils faisaient partie de la police

 12   militaire?

 13   Réponse:    Ça, oui, mais savoir quoi que ce soit, non.

 14   Question:   Merci. Qui faisait partie des Jokeri?

 15   Réponse:    Je ne sais pas.

 16   Question:   Combien y avait-il de policiers militaires au total dans cette

 17   structure dont vous faisiez partie? Un chiffre pourrait nous en donner une

 18   idée.

 19   Réponse:    Eh bien, je crois 120 peut-être. A peu près.

 20   Question:   Oui. Et les Jokeri faisaient partie de ces 120 hommes, n'est-

 21   ce pas?

 22   Réponse:    Je crois que oui.

 23   Question:   Ce n'est pas une structure très importante, Monsieur Tomic.

 24   Alors, repensez y. Ne pouvez-vous vraiment pas nous donner la moindre idée

 25   du moment où le mot Jokeri a été utilisé pour la première fois, ou encore


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  1   de l'identité de ceux qui faisaient partie des Jokeri? Dites-le nous, je

  2   vous prie.

  3   Réponse:    Je ne peux pas vous aider parce que moi, j'étais à la maison.

  4   Et, s'agissant de tous ces événements qui ont eu lieu dans les premiers

  5   jours de la guerre, je n'en ai rien su. Par la suite, si quelqu'un savait

  6   quelque chose, on n'en parlait pas beaucoup parce que c'est quelque

  7   chose...

  8   Question:   Je reviendrai là-dessus plus tard. Je propose maintenant que

  9   nous examinions deux documents qui traitent de l'attaque dont vous avez

 10   été victime. Vous avez sans doute découvert, à ce moment-là ou un peu plus

 11   tard, que vous avez été attaqués parce que des Musulmans avaient été tués

 12   par des Croates, la veille? Avez-vous découvert cela?

 13   Réponse:    Nous ne savions rien.

 14   Question:   Mais avez-vous découvert, par la suite, que telle était bien

 15   la raison, en tout cas la raison probable de l'attaque que vous avez

 16   subie?

 17   Question:   J'ai entendu parler d'un incident, mais je ne sais pas.

 18   Question:   Merci beaucoup. Monsieur, le Président, vous trouverez cela

 19   dans la déposition de Nihad Nebisic, à la page 8342. Et, pour le moment,

 20   j'ai deux documents qui traitent de cet incident, le premier étant le

 21   document 287.5.

 22   L'original au témoin, je vous prie; la version anglaise sur le

 23   rétroprojecteur, page 1.

 24   Monsieur Tomic, ce document qui, comme vous le voyez, est signé par

 25   Ljubicic porte la date du 20 novembre et est adressé au ministère de la


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  1   Défense de Mostar. Il indique qu'aux environs de 1 heure 20, le 20

  2   novembre 1992, sur la route locale reliant Vitez à Kruscica, des membres

  3   de l'armée de Bosnie-Herzégovine de Vitez ont arrêté un véhicule officiel

  4   de l'armée d'active qui revenait d'une équipe de travail régulier,

  5   véhicule occupé par..."

  6   Ensuite, nous voyons la liste de six noms dont le vôtre. Avant que nous

  7   parlions précisément des deux hommes dont les noms figurent ici et

  8   auxquels vous continuez à parler aujourd'hui, pouvez-vous nous les

  9   rappeler?

 10   Réponse:    Le n° 5, Vinko Tikvic, et le n° 6, Franjo Ramljak.

 11   Question:   Ensuite, le texte indique que "après l'arrêt de ce véhicule,

 12   les policiers militaires ont été désarmés et emmenés dans les locaux de la

 13   Bosnie-Herzégovine à Kruscica. Dragan Botic, cuisinier dans notre unité,

 14   était avec les policiers militaires". Le texte se poursuit comme suit: "A

 15   1 heure 30, le commandant de l'unité d'active de Vitez a appelé au

 16   téléphone Sefkija Dzidic, le commandant de l'armée de Bosnie-Herzégovine à

 17   Vitez, pour lui demander la libération immédiate des policiers militaires

 18   appréhendés. Sefkija Dzidic a déclaré qu'il n'y aurait pas de problème,

 19   que ses hommes avaient agi par rage en raison du meurtre survenu la nuit

 20   précédente. Il a ajouté qu'il ne serait fait aucun mal à nos hommes.

 21   Immédiatement après cette conversation téléphonique, le commandant de

 22   l'unité d'active a appelé le général Slobodan Praljak pour l'informer de

 23   l'incident. Après cela, un contact a été établi toutes les 15 minutes avec

 24   le quartier général du HVO à Travnik.

 25   Etaient présents le général Slobodan Praljak, le colonel Tihomir Blaskic


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  1   et M. Dario Kordic, vice-président de la Communauté croate d'Herceg-Bosna,

  2   qui n'a pas autorisé l'opération destinée à obtenir la libération de nos

  3   hommes". Fin de citation.

  4   Je vous demande donc si vous avez-vous découvert pourquoi un général

  5   croate était présent à ce moment-là, à cet endroit, et a participé à cette

  6   affaire?

  7   Réponse:    Je n'en ai pas la moindre idée. Je n'avais pas la moindre idée

  8   de ce qui se passait en dehors du garage.

  9   Question:   Avez-vous jamais découvert ou, en tout cas, vous êtes-vous

 10   jamais intéressé à ce qui s'est passé lorsque vous avez repris conscience

 11   et que vous avez appris ces événements? Avez-vous découvert pourquoi M.

 12   Kordic n'avait pas autorisé l'opération destinée à vous libérer?

 13   M. Sayers (interprétation): Monsieur le Président, j'ai une objection par

 14   rapport à ce document au fondement que ce document n'est pas signé et que

 15   le Procureur n'a pas établi les bases de sa recevabilité. Or, c'est son

 16   obligation.

 17   M. le Président (interprétation): Nous allons d'abord traiter de

 18   l'objection et, ensuite, nous ferons le commentaire que ces deux documents

 19   parlent d'eux-mêmes. Le fait est qu'il n'y a pas de signature bien qu'un

 20   nom soit inscrit au bas de ce document. Nous voyons qu'il s'agit du nom du

 21   commandant du bataillon, Ljubicic, qui apparaît dans le texte.

 22   Normalement, des documents de ce genre sont considérés par nous comme

 23   recevables, charge à nous bien sûr de leur accorder le poids que nous

 24   jugerons utiles. Nous admettons donc ce document.

 25   M.Nice (interprétation): La question que je vous posais était celle-ci:


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  1   après avoir repris conscience, avez-vous appris pourquoi Dario Kordic

  2   n'avait pas ordonné le lancement d'une opération destinée à obtenir votre

  3   libération?

  4   Réponse:    Je ne sais rien à propos de ce document. Je n'ai pas la

  5   moindre idée de ce qui se passait.

  6   Question:   Fort bien. Je voulais simplement que vous examiniez le reste

  7   du document –cela ne durera pas longtemps- afin que vous nous disiez, pour

  8   autant que vous puissiez en juger, si c'est un document authentique.

  9   "Vers 6 heures 45, les policiers appréhendés et Rahic ainsi qu'une autre

 10   personne sont arrivés aux locaux de la police militaire d'active à Vitez.

 11   Ils se trouvaient tous en mauvais état physique, vu les blessures qu'ils

 12   avaient subies de la part de l'armée de Bosnie-Herzégovine à Kruscica.

 13   Quatre policiers ont été emmenés en toute urgence à l'hôpital de Travnik

 14   parce qu'ils avaient reçu des blessures très graves, mortelles. Par la

 15   suite, le reste des policiers a été emmené à ce même hôpital. Nous avons

 16   enregistré sur vidéo cet événement et nous avons une cassette qui vous

 17   montre ces événements. C'est un exemple classique de barbarisme parce que

 18   nos hommes ont été sauvagement lacérés. Ils ont reçu des coups et les

 19   lettres HVO ont été inscrites en diverses parties de leurs corps".

 20   Est-ce que ceci cadre bien avec le souvenir que vous avez de ce qui vous

 21   est arrivé à vous et à vos collègues?

 22   Réponse:    Comment dire? Oui, il y avait toutes ces choses, mais tout

 23   n'est pas tout à fait exact. Je ne sais pas. Moi, j'ai un souvenir

 24   jusqu'au moment du deuxième traitement -c'est comme cela que je

 25   l'appelle-, au moment où j'ai été frappé avec la crosse d'un fusil-


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  1   mitrailleur. C'est à moment-là que j'ai subi toutes ces fractures et que

  2   j'ai perdu connaissance. A quel moment c'était? Je ne sais pas. Quand je

  3   me suis réveillé, c'était à Nova Bila.

  4   Question:   D'autres lignes disent ceci: "Les registres médicaux font

  5   apparaître que tous les blessés ont été grièvement blessés. Deux policiers

  6   militaires ont été renvoyés chez eux pour y être soignés. Quatre sont

  7   restés à l'hôpital du HVO à Nova Bila pour y être traités et un autre,

  8   Dragan Tomic, a été renvoyé de toute urgence à Split parce qu'il se

  9   trouvait en situation extrêmement grave. Du fait de l'incident, il y a eu

 10   une augmentation de la tension, surtout parmi les hommes de notre unité,

 11   mais aussi parmi les autres membres du HVO, que ce soit à Vitez ou à

 12   Busovaca".

 13   Dans la mesure où l'on parle de votre traitement médical, ce qui est

 14   relaté est-il bien exact?

 15   Réponse:    Oui.

 16   Question:   Examinons rapidement un autre document sur le même sujet. Il

 17   porte la cote 289.2. Je ne suppose pas et je ne laisse pas entendre que

 18   vous ayez déjà vu ce document. Il porte sur le lendemain et il vient de

 19   Valentin Coric. Pour autant que vous connaissiez cet homme, pourriez-vous

 20   nous dire qui il est? Si ce n'est pas le cas, dites-le.

 21   Réponse:    Je ne sais rien à propos de ce document. C'est la première

 22   fois que je le vois.

 23   Question:   Mais vous connaissez le nom du signataire?

 24   Réponse:    Oui, je connais le nom de cet homme. C'est par les médias

 25   qu'on le connaissait.


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  1   Question:   Et que faisait-il?

  2   Réponse:    Je crois qu'il était ministre des Affaires étrangères, ou

  3   quelque chose de ce genre, en Bosnie-Herzégovine, mais je ne s'en suis pas

  4   tout à fait sûr.

  5   Question:   Parcourez rapidement ce document. Il est adressé à la 1re

  6   Compagnie d'active de la police militaire à Vitez.

  7   "Nous avons été informés de votre rapport." C'est le dernier document que

  8   nous avons examiné. Le texte se poursuit en disant "qu'il fallait éviter

  9   des actes de revanche de la part de nos soldats parce que ceci pourrait

 10   déclencher de nouveaux conflits dont les conséquences ne sont pas

 11   prévisibles. Il faut prendre des mesures contre les auteurs du meurtre des

 12   Musulmans d'hier soir s'il s'agit de soldats du HVO. Si vous n'avez pas

 13   fait rapport sur ce point, il faut que vous le fassiez. Nous allons

 14   prendre des mesures contre les soldats de l'armée de Bosnie-Herzégovine

 15   par le biais de leur commandement."

 16   Après avoir repris conscience, avez-vous été au courant de meurtres

 17   perpétrés sur des Musulmans, au moment où vous, vous avez été blessé, et

 18   qui étaient peut-être à relier aux blessures que vous avez subies?

 19   Réponse:    Eh bien, pendant mon séjour à l'hôpital, je ne me souvenais

 20   même pas de mon propre nom. Il m'était impossible de manger, je n'ai pas

 21   mangé pendant deux semaines. Je ne m'intéressais à rien. J'ai vu ma femme,

 22   mes enfants à travers une espèce de brouillard. Je n'étais pas du tout au

 23   courant du document.

 24   Question:   La question que je vous pose est celle-ci: est-ce que par la

 25   suite, au moment où vous vous êtes remis dans une certaine mesure, est-ce


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  1   que par la suite, vous avez découvert qu'il y avait eu un meurtre ou une

  2   occasion où des Musulmans avaient été tués et que tout ceci avait peut-

  3   être un rapport avec l'attaque que vous avez subie?

  4   Réponse:    Non. Mais il y avait toutes sortes de rumeurs qui circulaient,

  5   certaines vraies, d'autres fausses.

  6   J'ai trois fils, j'en avais deux à l'époque. Je ne voulais pas trop

  7   insister là-dessus parce que vous savez, on vit dans un village mixte.

  8   J'ai des voisins musulmans dans mon hameau, il y a des Musulmans qui y

  9   vivent. Si quelqu'un me faisait quelque chose, je m'en occuperais moi-

 10   même, je n'avais besoin de personne pour régler l'histoire. Je ne suis pas

 11   un enquêteur. Et si je voyais quelque chose, je ne sais pas ce que je

 12   ferais.

 13   Question:   Encore quelques sujets que je voudrais rapidement aborder avec

 14   vous. Lorsque vous êtes sorti de l'hôpital, je pense que vous vous êtes

 15   présenté à deux reprises auprès de votre commandement de la police

 16   militaire parce que vous vouliez rejoindre ses rangs mais vous avez été

 17   renvoyé chez vous, n'est-ce pas?

 18   Réponse:    Je me suis présenté parce que c'était ce que j'étais censé

 19   faire.

 20   Question:   Mais est-ce que ceci vous a permis de garder le contact avec

 21   vos collègues, dont Tikvic et Franjo Ramljak? Est-ce que ceci vous a

 22   permis de rester en contact avec ces hommes?

 23   Réponse:    Oui.

 24   Question:   Le 16 avril, bien sûr, vous avez été réveillé par les

 25   détonations et vous nous avez dit que vous étiez allé directement à


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  1   Lazine?

  2   Réponse:    Oui.

  3   Question:   Et vos propres observations ne vous permettent pas de nous

  4   dire quoi que ce soit à propos de ce qui s'est passé à Ahmici, le 16

  5   avril?

  6   Réponse:    Non, je ne sais rien.

  7   Question:   Fort bien. C'est ce que vous dites dans votre déposition. Mais

  8   est-ce qu'en fait vous avez emmené un fusil avec vous au moment où vous

  9   êtes allé à Lazine?

 10   Réponse:    Oui.

 11   Question:   Est-ce que c'était un fusil de la police?

 12   Réponse:    Oui.

 13   Question:   Même si vous ne travailliez pas pour la police, vous étiez

 14   autorisé à garder votre fusil de police à la maison?

 15   Réponse:    Eh bien, j'avais insisté pour garder mon arme étant donné ces

 16   événements. J'avais donc un fusil.

 17   Question:   Et qui vous avait donné cette autorisation de garder votre

 18   arme?

 19   Réponse:    Eh bien, vous savez, dans ce chaos qui régnait, on ne me l'a

 20   même pas demandé: j'avais reçu cette arme, donc je l'ai simplement gardée.

 21   Question:   Est-ce que tous les membres de la police militaire emmenaient

 22   leurs armes à la maison? Est-ce qu'il y avait suffisamment d'armes pour

 23   que tous emportent la leur?

 24   Réponse:    C'était une arme qui m'avait été remise à moi, c'est moi qui

 25   l'avait reçue. C'était la mienne.


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  1   Question:   Je vois. Vous dites être resté à Lazine jusqu'à quand?

  2   Réponse:    Eh bien, jusqu'à la fin du mois de septembre, à peu près.

  3   Question:   Et comment s'appelle votre père?

  4   Réponse:    Franjo.

  5   Question:   Nous le savons pour avoir examiné la carte, votre village se

  6   trouve tout près de Dubravica, n'est-ce pas?

  7   Réponse:    Oui.

  8   M. Nice (interprétation): Est-ce que nous pourrions passer rapidement à

  9   huis clos partiel pour parler de l'identité de quelqu'un?

 10   (Huis clos partiel.)

 11   [expurgée]

 12   [expurgée]

 13   [expurgée]

 14   [expurgée]

 15   [expurgée]

 16   [expurgée]

 17   [expurgée]

 18   [expurgée]

 19   [expurgée]

 20   [expurgée]

 21   [expurgée]

 22   (Audience publique.)

 23   Je viens de vous donner le nom de quelqu'un. Cette personne a quitté la

 24   zone de Donja Dubravica, ceci en juin 1993, avant même que vous ne soyez

 25   revenu à la police militaire. Est-ce que vous vous souvenez de son départ?


Page 25060

  1   Répondez par oui ou par non sans citer le nom de cette personne.

  2   Réponse:    Non.

  3   Question:   Mais il est exact de dire, n'est-ce pas, que cet homme a signé

  4   un document et que, de ce fait, l'essentiel de ses biens, de sa propriété

  5   a été transféré à plusieurs personnes, dont vous-même? Il a quitté la

  6   région avec à peine plus que son camion, son seul camion?

  7   Réponse:    Mais cet homme est aujourd'hui revenu, nous sommes redevenus

  8   voisins. Il a de nouveau tout et il n'a que de bonnes paroles à notre

  9   égard. Je n'étais pas là quand il est parti mais, effectivement, nous nous

 10   sommes rencontrés au moment de ces tragiques événements. Effectivement, il

 11   nous est arrivé de nous rencontrer de temps à autre. Pour ce qui est de

 12   ses biens, afin de les sauvegarder, il les avait donnés à des gens. En

 13   fait, il a été dressé une espèce de contrat.

 14   Question:   Peu importe ce qui s'est passé par la suite, ce contrat de

 15   transfert de ses biens à certaines personnes s'est fait, bien sûr, sous

 16   contrainte, sous la pression exercée par certains à l'époque, n'est-ce

 17   pas?

 18   Réponse:    Non.

 19   Question:   Et même si, comme vous le dites, vous vous trouviez à Lazine à

 20   défendre ce village, il vous était tout à fait possible de participer au

 21   nettoyage de la région, nettoyage d'hommes tels que celui dont j'ai cité

 22   le nom il y a un instant et dont nous ne reparlerons pas de façon précise?

 23   Réponse:    Ce n'est pas exact. Je n'ai pas passé tout mon temps dans les

 24   tranchées. Il m'est arrivé de rentrer chez moi.

 25   Question:   Dernière sujet: vous avez fini par rejoindre les rangs de la


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  1   police en octobre 1993?

  2   Réponse:    Oui.

  3   Question:   Et, comme nous le savons, vous avez maintenant pu vous

  4   informer de ce qui s'était passé et garder le contact en discutant avec

  5   des gens comme Vinko Tikvic et Franjo Ramljak?

  6   Réponse:    Oui.

  7   Question:   Je suppose qu'à ce moment-là, personne ne pouvait plus ignorer

  8   l'attaque qui avait été perpétrée à Ahmici. Vous le reconnaissez, n'est-ce

  9   pas? Tout le monde était au courant de l'attaque sur Ahmici?

 10   Réponse:    C'était une tragédie et les gens n'aiment pas trop en parler.

 11   Question:   Il se peut qu'ils soient réticents à l'idée d'en parler, mais

 12   prenons ceci par paliers: au moment où vous avez rejoint la police

 13   militaire, toutes les personnes que vous connaissiez savaient qu'il y

 14   avait eu un massacre à Ahmici, une attaque du HVO, n'est-ce pas?

 15   Réponse:    Je savais mais uniquement à partir de rumeurs qui circulaient.

 16   C'est comme cela que je savais que cela s'était passé. Et, quels qu'en

 17   soient les auteurs, il faut qu'ils soient traduits en justice pour ce

 18   qu'ils ont fait.

 19   Question:   Vous étiez un membre de la police militaire; dans la nuit du

 20   15 au 16, vous étiez détenu ailleurs. Mais Vinko Tikvic et Franjo Ramljak

 21   sont des policiers militaires tout à fait en bonne santé et qui, eux,

 22   travaillaient ce soir-là, n'est-ce pas?

 23   Réponse:    Je ne sais pas.

 24   Question:   Lorsque vous avez rejoint la police militaire, est-ce que vous

 25   n'avez jamais demandé à ces hommes ce qu'ils avaient fait cette nuit-là,


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  1   ce qui s'était et passé cette nuit-là?

  2   Réponse:    Non.

  3   Question:   Pas une seule fois, vous n'avez posé cette question à un seul

  4   des membres de la police militaire, vous n'avez pas demandé ce qui s'était

  5   passé, ce que Ljubicic avait fait, ce qui n'avait pas marché?

  6   Réponse:    Je n'ai jamais posé de questions à qui que ce soit à ce

  7   propos.

  8   M. Nice (interprétation): Merci.

  9   M. le Président (interprétation): Maître Mikulicic?

 10   (Questions supplémentaires de Me Mikulicic au témoin Dragan Tomic.)

 11   M. Mikulicic (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Messieurs les

 12   Juges. Je n'ai que quelques questions à poser afin de tirer certains

 13   éléments au clair.

 14   Monsieur Tomic, au début de l'interrogatoire, il a été suggéré que vous

 15   aviez rejoint la police militaire afin d'obtenir une arme. Vous en

 16   souvenez-vous? C'est du moins le Procureur qui a dit cela.

 17   M. Tomic (interprétation): Eh bien, c'est plutôt à la police civile que je

 18   me suis joint pour obtenir une arme.

 19   Question:   Tirons les choses au clair: vous n'avez pas réussi à faire

 20   partie de l'armée de la Croatie pour lutter contre la JNA; c'est pour cela

 21   que vous avez rejoint les forces de police à Vitez?

 22   Réponse:    Oui.

 23   Question:   Pendant combien de temps êtes-vous resté dans les forces de

 24   réserve de la police civile à Vitez?

 25   Réponse:    Moins d'un an.


Page 25063

  1   Question:   Ensuite, vous avez rejoint la police militaire?

  2   Réponse:    Oui.

  3   Question:   Pour ce qui est de l'instruction, elle s'est passée à Neum?

  4   Réponse:    Oui.

  5   Question:   Vous dites que c'est une ville de la République de Bosnie-

  6   Herzégovine?

  7   Réponse:    Oui.

  8   Question:   Nous parlons de septembre 1992: à l'époque, il n'y avait qu'un

  9   ennemi pour la République de Bosnie-Herzégovine, lequel était-il?

 10   Réponse:    Les Serbes, l'armée des Serbes.

 11   Question:   On vous a montré un document; il s'agissait d'un rapport

 12   concernant les incidents qui vous concernaient, le fait que vous et vos

 13   collègues aviez été passés à tabac à FatinaVodice par des membres de

 14   l'armée de Bosnie-Herzégovine. Est-ce qu'à cette occasion, vous avez été

 15   contactés par un organe de l'armée de Bosnie-Herzégovine afin d'établir

 16   l'identité des auteurs de ces faits ou avez-vous été contactés par des

 17   représentants de ce Tribunal?

 18   Réponse:    Non.

 19   Question:   On a parlé d'une unité, celle des Jokeri. Vous avez dit ne pas

 20   savoir grand-chose à ce propos. Messieurs les Juges, j'aimerais attirer

 21   votre attention sur le fait que le témoin AS a déclaré que cette unité

 22   avait été constituée fin janvier ou début février 1993; à l'époque,

 23   Monsieur, vous étiez en congé maladie?

 24   Réponse:    Oui.

 25   Question:   Cet homme dont nous ne dirons pas le nom mais dont le nom


Page 25064

  1   était évoqué, il a fait un contrat de transfert de propriétés, de ses

  2   biens à ses voisins?

  3   Réponse:    Oui.

  4   Question:   Il est revenu?

  5   Réponse:    Oui.

  6   Question:   A-t-il récupéré tous ses biens?

  7   Réponse:    Oui.

  8   Question:   Est-ce qu'il est reconnaissant aux autres villageois pour

  9   l'aide qu'ils lui ont apportée?

 10   Réponse:    Oui.

 11   M. le Président (interprétation): Monsieur Tomic, vous avez ainsi terminé

 12   votre déposition. Merci d'être venu au Tribunal international pour

 13   déposer. Vous pouvez disposer.

 14   M. Tomic (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président,

 15   Messieurs les Juges.

 16   (Le témoin, M. Dragan Tomic, est reconduit hors du prétoire.)

 17   M. le Président (interprétation): Monsieur Mikulicic, qui est votre

 18   prochain témoin?

 19   M. Mikulicic (interprétation): Ce sera Marijan Strukar.

 20   Messieurs les Juges, avant l'arrivée du témoin, permettez-moi de vous

 21   fournir une brève explication et une demande.

 22   Marijan Strukar est arrivé hier soir à La Haye; il apportait avec lui

 23   trois courts documents, pertinents en l'espèce, et j'aimerais les verser

 24   au dossier. Malheureusement, ils n'ont pas été traduits, mais ce sont des

 25   textes courts; je propose donc de les placer tous les trois sur le


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  1   rétroprojecteur. Les interprètes ont reçu des copies; il pourra ainsi y

  2   avoir traduction simultanée et ceci sera versé au dossier.

  3   M. le Président (interprétation): Quels sont ces documents?

  4   M. Mikulicic (interprétation): Il s'agit de deux citations à rejoindre la

  5   protection civile ainsi qu'un certificat appartenant à la Brigade de

  6   Vitez.

  7   (Le témoin, M. Marijan Strukar, est introduit dans le prétoire.)

  8   M. le Président (interprétation): Fort bien. Le témoin peut-il donner

  9   lecture de la déclaration solennelle.

 10   M. Strukar (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

 11   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 12   M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir, Monsieur.

 13   (Interrogatoire principal du témoin, Marijan Strukar, par Me Mikulicic.)

 14   M. Mikulicic (interprétation): Bonjour, Monsieur Strukar.

 15   M. Strukar (interprétation): Bonjour.

 16   Question:   La défense de Mario Cerkez va vous poser des questions dans le

 17   cadre de l'interrogatoire principal. Je vais vous demander d'essayer de

 18   vous remémorer du mieux que vous pourrez ces événements; nous savons que

 19   beaucoup de temps a passé depuis 1993. N'oubliez pas non plus qu'il vous

 20   faut parler lentement et ménager des pauses avant de répondre à mes

 21   questions, ce qui permet aux interprètes de s'acquitter de leur tâche.

 22   Pour le compte rendu d'audience, pourriez-vous nous préciser votre

 23   identité, vos lieu et date de naissance?

 24   Question:   Je m'appelle Marijan Strukar. Je suis né le 6 mai 1956 à

 25   Travnik.


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  1   Question:   Vous habitez Vitez?

  2   Réponse:    Oui. Je suis né à Travnik mais j'habite Vitez. Il n'y avait

  3   pas d'hôpital à Vitez ce qui explique le fait que je sois né à Travnik,

  4   mais j'ai passé toute ma vie à Vitez.

  5   Question:   Vous estimez donc que vous êtes vraiment de Vitez depuis

  6   l'origine?

  7   Réponse:    Oui.

  8   Question:   Vous êtes de nationalité croate, catholique aussi?

  9   Réponse:    Oui.

 10   Question:   Vous êtes citoyen de la Bosnie-Herzégovine et de la République

 11   de Croatie?

 12   Réponse:    Oui.

 13   Question:   Vous avez terminé l'école secondaire pour l'ingénierie, à Novi

 14   Travnik?

 15   Réponse:    Oui.

 16   Question:   Et vous êtes technicien ingénieur de métier?

 17   Réponse:    Oui.

 18   Question:   Et vous êtes aujourd'hui employé dans une compagnie

 19   d'assurance qui s'appelle "Euroherc"?

 20   Réponse:    Oui.

 21   Question:   Vous êtes le chef du bureau de Vitez?

 22   Réponse:    Oui.

 23   Question:   Vous êtes marié, vous avez deux enfants?

 24   Réponse:    Oui.

 25   Question:   Vous n'êtes pas membre d'un parti politique?


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  1   Réponse:    Non.

  2   Question:   Vous avez deux sœurs et un frère?

  3   Réponse:    Oui.

  4   Question:   Est-ce que vous avez fait votre service dans l'ex-JNA?

  5   Réponse:    Oui.

  6   Question:   Est-ce qu'après votre service militaire, vous aviez un grade

  7   particulier?

  8   Réponse:    C'est difficile de parler un grade, parce que j'étais un

  9   soldat ordinaire de première classe.

 10   Question:   Cela s'est passé après la fin d'un cours?

 11   Réponse:    Oui.

 12   Question:   C'était là l'échelon le plus bas de la hiérarchie militaire?

 13   Réponse:    Oui. On ne peut pas parler d'un véritable grade.

 14   Question:   Depuis 1979 jusqu'au début de la guerre, vous aviez un emploi,

 15   n'est-ce pas?

 16   Réponse:    Oui.

 17   Question:   Vous travailliez à Vitezit, en qualité de chef d'entretien et

 18   de maintenance et, par la suite, comme chef de la production?

 19   Réponse:    Oui.

 20   Question:   Et quelle était la composition ethnique du personnel à

 21   Vitezit?

 22   Réponse:    Je ne peux pas vous dire exactement parce que personne n'y

 23   réfléchissait, à l'époque, à ce genre de chose. La composition ethnique

 24   était un petit peu le reflet de la population telle qu'elle se composait à

 25   Vitez. Est-ce qu'il y avait il plus de Croates ou de Serbes? Je ne sais


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  1   pas. C'était une bonne image de ce qui se présentait comme population à

  2   Vitez. C'était une très grosse, la plus grosse usine de Vitez avec 3000

  3   personnes qui y travaillaient. On y retrouvait tous les groupes ethniques.

  4   Question:   Merci. Hormis cet emploi, vous aviez une autre activité,

  5   n'est-ce pas? Pourriez-vous nous la préciser?

  6   Réponse:    Mon père était pompier volontaire et, très tôt, il a voulu que

  7   je lui emboîte le pas. Quand la guerre a éclaté, j'avais été volontaire

  8   pompier pendant 21 ans.

  9   Question:   Et est-ce que toutes ces années de service ont fait que vous

 10   avez obtenu un poste particulier parmi les pompiers?

 11   Réponse:    Mais je vous le disais, ce n'était pas une unité

 12   professionnelle. On n'était pas rémunéré pour le travail, on acquérait

 13   simplement de l'expérience. Depuis sept ans, avant le début de la guerre,

 14   j'étais le chef de l'unité des pompiers.

 15   Question:   Et est-ce que vous aviez un supérieur, pour ainsi dire?

 16   Réponse:    Je ne sais pas si vous voyez bien ce que je veux dire quand je

 17   dis "chef d'une unité". C'est un chef qui est à la tête des hommes

 18   lorsqu'il s'agit d'éteindre un feu, un incendie. Mais il n'y a que 24

 19   heures dans un jour. Vous savez, quand on intervient en cas d'incendie,

 20   cela ne dure qu'une heure ou deux. Mais de toute façon il y avait le

 21   président, le secrétaire de l'association, et ce sont eux qui avaient des

 22   responsabilités purement administratives.

 23   Question:   Vous étiez donc un pompier de terrain, si j'ose dire?

 24   Réponse:    Oui.

 25   Question:   Vous avez parlé du président de l'association. Qui était-il?


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  1   Réponse:    Eh bien, il fallait de temps en temps procéder à l'élection de

  2   ce président. Cela se faisait tous les ans, cela changeait tous les ans.

  3   Je ne sais plus exactement qui c'était à l'époque ou qui cela a été à

  4   chaque fois. En tout cas, c'était quelqu'un qui avait le même nom que moi.

  5   Il s'appelle lui aussi Strukar mais je ne sais pas s'il y a un lien de

  6   parenté entre lui et moi, peut-être qu'il y a un lien assez distant. Il

  7   s'appelait Anto. Mais il y en avait un autre qui était plus important pour

  8   nous, c'était Smrik. Le président n'était là que pour signer les papiers.

  9   Question:   Donc la personne que vous estimiez être l'homme le plus

 10   important était Smrik?

 11   Réponse:    Oui.

 12   Question:   Et c'est un Musulman?

 13   Réponse:    Oui.

 14   Question:   Pendant un certain temps, vous avez aussi participé à la

 15   conférence de l'association de jeunesse à Vitez?

 16   Réponse:    Oui. J'ai même été pendant un moment, pendant un an, président

 17   de la conférence municipale des associations de jeunesse.

 18   Question:   Monsieur Strukar, dites-nous où se trouvait votre maison

 19   familiale, celle qui appartenait à vos parents et où vous avez grandi, à

 20   Vitez?

 21   Réponse:    Si l'on regarde le centre de la ville proprement dit et si

 22   l'on se déplace en direction des quartiers plus extérieurs, on arrive à la

 23   maison familiale au nord-ouest du centre de la ville. C'est en direction

 24   de Travnik et de l'église catholique, à peu près à un kilomètre du centre.

 25   Question:   Plus tard, vous avez fait construire votre propre maison près


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  1   de votre maison familiale, n'est-ce pas?

  2   Réponse:    Oui, à une centaine de mètres de la maison familiale. C'est un

  3   petit lopin de terre où j'ai eu le permis de construire.

  4   Question:   Vous avez dit, dans la description de la situation de votre

  5   maison, que vous n'êtes pas loin de l'église catholique et que celle-ci se

  6   trouvait aussi dans cette partie de la ville de Vitez, près de la rivière

  7   Lasva. Comment appelle-t-on ce quartier de Vitez?

  8   Réponse:    Vous voulez dire comment on l'appelait, nous les gens de

  9   Vitez? On l'appelait Mahala. Il serait peut-être bon et utile de vous dire

 10   que, ces derniers temps, au cours de la guerre et depuis la guerre jusqu'à

 11   ce jour, nombreux sont les gens -il y en a ici dans ce prétoire- qui

 12   appelleraient cela plutôt volontiers Stari Vitez. Nous qui avons connu la

 13   ville, nous savons très bien que cette partie de la ville n'a jamais été

 14   intitulée Stari Vitez.

 15   Question:   Excusez-moi de vous interrompre. Lorsque vous parlez de

 16   Mahala, c'est le quartier de Vitez où résident pour la plupart des

 17   Musulmans. Il y a un peu de Croates, mais pour la plupart ce sont des

 18   Musulmans qui l'habitent?

 19   Réponse:    Oui, c'est bien cela.

 20   Question:   Et ce quartier-là de Vitez, vous l'intitulez Mahala, comme

 21   tous les autres habitants de Vitez?

 22   Réponse:    Oui.

 23   Question:   Mais, au cours de la guerre, apparaît aussi l'appellation de

 24   Stari Vitez, l'ancienne Vitez, qui devient en quelque sorte le synonyme de

 25   ce quartier connu sous le nom de Mahala?


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  1   Réponse:    Oui.

  2   Question:   Vous dites que ce n'est pas exact?

  3   Réponse:    Non. Les gens qui sont originaires de Vitez savent bien que

  4   pour parler de l'origine, depuis le temps des Autrichiens, on parlait de

  5   "Han Company" (?). Dans les vieilles cartes on peut le lire, c'est

  6   l'ancienne Vitez; en haut du quartier, on l'appelait toujours Mahala. Mais

  7   au cours de la guerre, nous avons entendu dire par la radio que le code

  8   utilisé par l'armée musulmane pour le quartier de Mahala était le code de

  9   Stari Grad. Alors cela tournait comme cela, cela circulait et il était

 10   intéressant pour nous, il était étonnant pour nous d'entendre que si

 11   quelqu'un attaquait Stari Vitez, c'est que l'on devait attaquer maintenant

 12   le noyau-là, qui a donné naissance à l'ensemble de la ville de Vitez.

 13   Question:   Si je vous ai bien compris, Monsieur Strukar, par Stari Vitez,

 14   vous considérez cette partie de la ville qui va depuis la gare en haut?

 15   Réponse:    Oui, c'est toujours Stari Vitez.

 16   Question:   Par rapport à Mahala, cette partie de la ville se trouve à

 17   quelle distance?

 18   Réponse:    Je l'évalue à peu près à trois kilomètres.

 19   Question:   Par conséquent, il n'y a aucun point commun entre ces deux

 20   quartiers?

 21   Réponse:    Non.

 22   Question:   Bon. Peut-être que vous avez un petit peu clarifié ce sujet.

 23   Monsieur Strukar, avez-vous eu quelque devoir que ce que soit, du point de

 24   vue militaire, ou étiez-vous membre d'une unité quelconque jusqu'à

 25   l'éclatement du conflit de Vitez?


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  1   Réponse:    On ne peut pas parler d'unité militaire. Je vous ai dit que

  2   j'étais sapeur-pompier volontaire; par conséquent je ne considère pas ceci

  3   comme étant du ressort des militaires.

  4   Question:   Mais les pompiers étaient pour ainsi dire de la compétence de

  5   la protection civile, n'est-ce pas?

  6   Réponse:    Oui, c'est bien cela.

  7   Question:   Où se trouvait le foyer, le centre des sapeurs-pompiers?

  8   Réponse:    Si vous m'avez bien compris, parlant de ma maison familiale, à

  9   200 ou 300 mètres en dessous de ma maison familiale, notamment dans le

 10   quartier qui s'appelle Mahala.

 11   Question:   Donc le centre des sapeurs-pompiers volontaires où se

 12   trouvaient l'équipement, les véhicules, etc. se trouvait situé dans le

 13   quartier de la ville intitulé Mahala, n'est-ce pas?

 14   Réponse:    C'est bien cela.

 15   Question:   Au début, j'ai voulu savoir quelque chose quant à la

 16   composition nationale du personnel de Vitezit où vous avez été employé.

 17   Vous avez dit que celle-ci correspondait à peu près à la composition

 18   nationale des habitants de Vitez. Maintenant, je vais vous poser la

 19   question concernant la composition nationale des sapeurs-pompiers

 20   volontaires où vous avez été membre?

 21   Réponse:    Je dois dire encore une fois qu'à cette époque-là, on ne se

 22   faisait pas de grande idée, ce n'était important pour nous, ce n'était pas

 23   l'objet de nos conversations. Mais lorsqu'on a commencé à se décompter

 24   parmi nous pour voir qui appartenait à quoi, alors... Je dois dire une

 25   fois de plus que la société de sapeurs-pompiers volontaires, c'étaient des


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  1   gens qui, moyennant leur cœur, maîtrisaient le feu; ils n'étaient pas

  2   rémunérés. Par conséquent, c'est de l'abnégation de chacun de nous que

  3   l'on parle. Et c'est ainsi que, dans les années 1992, l'unité proprement

  4   dite était composée d'environ 18 ou 19 Croates et 5 ou 6 Musulmans.

  5   Question:   Lors des interventions qui étaient les vôtres, en cette 1992

  6   et plus tard en 1993, lorsque qu'il y avait lieu d'intervenir, vous êtes-

  7   vous toujours demandé si vous deviez maîtriser le feu dans une maison

  8   croate, musulmane, etc.?

  9   Réponse:    On ne s'est jamais fait d'idée du genre.

 10   Question:   Monsieur Strukar, dites-nous, votre société de pompiers

 11   bénévoles est-elle intervenue en cette année 1992, au mois d'octobre, dans

 12   le village d'Ahmici?

 13   Réponse:    Nos interventions avaient lieu un peu partout et presque

 14   quotidiennement pendant ces dernières années. Quand je dis ces dernières

 15   années, je parle du début de la guerre en Slovénie, etc. Par conséquent,

 16   il y avait plusieurs interventions à faire. Je suppose que vous pensez à

 17   cet événement où un premier conflit a éclaté, à cette époque-là; c'est en

 18   fait le conflit avec l'armée de Bosnie-Herzégovine et le HVO. C'est peut-

 19   être à cet événement-là que vous vous référez?

 20   M. le Président (interprétation): Je vous prie de bien vouloir vous

 21   dépêcher un peu.

 22   M. Mikulicic (interprétation): Je tâcherai de le faire, Monsieur le

 23   Président.

 24   Devant ce prétoire, on a tellement entendu parler de problèmes du

 25   cimetière catholique et les événements où quelques maisons catholiques ont


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  1   été incendiées: êtes-vous intervenus?

  2   M. Strukar (interprétation): Oui, nous sommes intervenus, nous sommes

  3   venus en plein village. Des balles sifflaient encore autour de nous; comme

  4   je n'étais pas combattant, j'ai dit simplement, en tant que commandant,

  5   qu'il fallait rebrousser chemin car on n'aurait simplement pas pu

  6   maîtriser le feu.

  7   Question:   Nous parlons donc de la seconde moitié de l'année 1992; nous

  8   avons entendu pas mal de dépositions là-dessus: dans la ville de Vitez, il

  9   y a eu pas mal d'incidents, de bombes probablement, de voitures piégées,

 10   etc. Y a-t-il eu lieu pour vous d'intervenir, en tant que société de

 11   pompiers bénévoles?

 12   Réponse:    D'ordinaire, quand on entend une explosion -pour la majeure

 13   partie des cas, c'était la nuit-, quand on entend une explosion, le feu se

 14   manifeste et les gens faisaient évidemment tout de suite appel à notre

 15   société. Nous nous rendions toujours sur place, pour éteindre le feu,

 16   évidemment partout où cela était possible. On a dû parfois déblayer pas

 17   mal de décombres, etc.

 18   Question:   Vous êtes originaire de Vitez. Je suppose que vous connaissiez

 19   bien les propriétaires des locaux et maisons où vous êtes intervenus.

 20   Peut-on dire que c'étaient des maisons de Croates, de Musulmans ou de

 21   Serbes?

 22   Réponse:    Je ne peux pas dire que ceci était exclusivement propriété

 23   d'un tel, d'une seule nationalité; quelquefois, on ne se posait même pas

 24   la question, quelquefois même on l'ignorait tout simplement.

 25   Question:   Monsieur Strukar, nous avons pu entendre parler de deux


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  1   explosions caractéristiques: il s'agit d'explosions à "Borovo" et dans les

  2   locaux de la "Postlovna (?) Privredna Banka" de Vitez.

  3   Question:   Etes-vous intervenus dans ces deux cas-là.

  4   Réponse:    Est-ce que je peux les dissocier?

  5   Question:   Non, dites-nous oui ou non.

  6   Réponse:    Oui, pour la banque: nous sommes intervenus. Pas pour Borovo.

  7   Question:   Pour Borovo, vous avez appris après coup seulement ce qui

  8   s'était passé. A titre d'illustration, dites-nous ce que vous avez appris:

  9   qui a projeté cette grenade dans les locaux, le magasin de Borovo?

 10   Réponse:    Cette explosion a eu lieu la nuit, lorsque Jajce a chuté. Il y

 11   a eu beaucoup de réfugiés de Jajce, de misère et de désolation partout;

 12   hommes, femmes, enfants mouillés sous la pluie: nous avons dû nous en

 13   occuper pour les installer dans le gymnase, dans le centre de sport. Nous

 14   avons dit simplement: "Seuls des gens fous auraient pu commettre des

 15   crimes pareils". Plus tard, quand j'ai été de service de concert avec un

 16   garçon de Zenica, comme j'ai entendu que c'étaient les gens de Cajnice (?)

 17   qui l'ont fait, je lui ai posé la question: "Pourquoi avez-vous commis

 18   tout cela?" L'autre m'a répondu: "Parce qu'il y avait un portrait de Tito

 19   accroché sur le mur. Et on voulait tout simplement faire quelque chose

 20   contre…!"

 21   Question:   Au sujet de votre intervention dans la "Privredna Banka" de

 22   Travnik, il y avait quelque chose d'inhabituel qui s'est produit? Dites-

 23   nous brièvement ce qui s'est passé.

 24   Réponse:    Pour expliquer tout cela, je dois dire que la situation qui

 25   est la mienne, en qualité de commandant de cette unité opérationnelle de


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  1   sapeurs-pompiers bénévoles, et pour parler du siège de la police à cette

  2   époque-là, police musulmane, c'est que ces deux sites sont l'un à côté de

  3   l'autre.

  4   Question:   Je vous prie de parler un peu plus lentement, s'il vous plaît.

  5   Réponse:    Je m'en excuse. Donc, les sièges étaient l'un à côté de

  6   l'autre et il n'y avait pratiquement pas de problème. A ce moment-là, au

  7   moment de l'événement, je me suis trouvé près de notre foyer; il y avait

  8   deux ou trois équipes de garde parce que les feux était un phénomène

  9   quotidien. On a entendu le téléphone sonner. Smrik Sead nous a téléphoné:

 10   il voulait savoir si Mario était là. Alors, lorsque j'ai décroché, j'ai

 11   entendu seulement: "Dépêchez-vous; la banque est en flammes!" Cela veut

 12   dire qu'il y avait du feu là-bas. Evidemment, on est sorti tout de suite

 13   avec du camion-citerne plein d'eau; l'alarme fut donnée pour simplement

 14   organiser le rassemblement des autres membres pour leur donner la consigne

 15   de tous se rendre à la banque.

 16   Question:   Donc vous êtes intervenus après l'appel de M. Smrik, peut-être

 17   une minute ou deux plus tard, et vous avez dit à vos autres collègues de

 18   venir en aide?

 19   Réponse:    Oui, bien sûr. Tout devait se passer dans un intervalle de

 20   quatre à sept minutes.

 21   Question:   Vous êtes donc venus sur le lieu de l'événement?

 22   Réponse:    Oui, on était venus là-bas, on a vu Smrik; lui était en pyjama

 23   parce que c'était tard dans la nuit, il était prêt à se coucher. Moi, par

 24   radio émetteur, je voulais avoir au téléphone le président directeur,

 25   c'est-à-dire mon adjoint. Lui, il m'a répondu simplement: "Marijan,


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  1   occupe-toi toi-même de l'affaire; moi, je ne peux pas venir".

  2   Question:   Vous avez demandé de l'assistance, un véhicule de sapeurs-

  3   pompiers de plus, parce que vous avez craint la propagation du feu. On

  4   vous a dit simplement: "Débrouillez-vous vous-même, on ne pourra pas vous

  5   venir en aide"?

  6   Réponse:    Oui.

  7   Question:   Et vous avez maîtrisé le feu?

  8   Réponse:    Oui.

  9   Question:   Et vous êtes revenu encore une fois à votre centre de sapeurs-

 10   pompiers?

 11   Réponse:    Oui.

 12   Question:   Je suppose que vous vous êtes intéressé à la raison pour

 13   laquelle vous n'avez pas reçu d'aide?

 14   Réponse:    Oui, parce que j'étais un peu en colère; j'ai vu des gens

 15   assis là-bas. Vous savez, après une intervention, quant on rentre chez

 16   nous, on s'occupe de l'équipement pour le remettre en état en sorte de

 17   pouvoir intervenir à nouveau, vu qu'il y avait tout le temps du feu.

 18   Alors, je les ai vus comme cela, assis, et j'ai dit:"Que faites-vous là?"

 19   Les autres me répondent: "Nous sommes tous pratiquement écroués!" Je leur

 20   ai dit: "Mais par qui et pourquoi?" Ils m'ont dit, en montrant du doigt:

 21   "Mais par la police." Tous était surpris de me voir pour me demander d'où

 22   je venais, etc. J'ai dit simplement: "Parce que la banque était en

 23   flammes, nous sommes allés évidemment éteindre le feu". Ils ne

 24   s'attendaient pas à me voir si tôt. Après, ils ont essayé de me présenter

 25   des excuses. Je n'ai jamais su la vraie raison de la situation.


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  1   Question:   Donc cette assistance que vous avez demandée pour éteindre le

  2   feu dans la "Privredna Banka de Travnik", c'était simplement dû au fait

  3   que votre équipage était pour ainsi dire écroué par la police musulmane ?

  4   Réponse:    C'est exact.

  5   Question:   Vous a-t-on expliqué, à n'importe quel moment, la raison pour

  6   laquelle il y a eu la réaction de cette police musulmane?

  7   Réponse:    Formellement, jamais.

  8   Question:   Et informellement?

  9   Réponse:    Informellement, comme cela m'a intéressé -je trouve d'ailleurs

 10   cette explication ridicule-, d'aucuns disaient que nous sommes allés là-

 11   bas non pas pour éteindre le feu mais pour y mettre du feu.

 12   Question:   Nous avons dit, au début, Monsieur Strukar, que cette activité

 13   qui était la vôtre en qualité de sapeur-pompier se trouvait de la

 14   compétence de la protection civile. Vous avez apporté avec vous deux

 15   documents dans leur langue originale. Je prie l'huissier de placer ces

 16   deux documents sur le rétroprojecteur et je vous prie de le lire. Je vais

 17   demander aux traducteurs de le traduire et je voudrais bien que vous

 18   fassiez un commentaire là-dessus.

 19   M. le Président (interprétation): Monsieur Mikulicic, les interprètes vous

 20   demandent de bien vouloir donner lecture de ce document.

 21   Mme Thompson (interprétation): Le document portera la cote D119/2.

 22   M. Mikulicic (interprétation): Monsieur Strukar…

 23   M. le Président (interprétation): Y a-t-il une objection?

 24   M. Lopez-Terres: Nous avons la traduction de ces documents à laquelle nous

 25   avons déjà procédé pour la bonne et simple raison qu'ils ont déjà été


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  1   utilisés dans une précédente affaire.

  2   M. le Président (interprétation): Oui, si vous en avez déjà une

  3   traduction, vous pouvez nous la passer.

  4   M. Mikulicic (interprétation): C'est l'autre document, s'il vous plaît.

  5   C'est bien le premier document.

  6   M. le Président (interprétation): Avons-nous la traduction de ce document?

  7   M. Mikulicic (interprétation): Oui. Il s'agit de cette incitation qui vous

  8   a été envoyée par Dragan Strbac -nous avons entendu dire qu'il a été

  9   chargé de la protection civile de la municipalité-, le 29 novembre 1992, à

 10   l'en-tête du HVO de Vitez. Vous avez été invité à rejoindre les unités de

 11   sapeurs-pompiers de la municipalité de Vitez, de la protection civile de

 12   la municipalité de Vitez. Une même incitation vous a été envoyée par une

 13   autre autorité, le même jour. Je prie l'huissier de bien vouloir prendre

 14   ce document.

 15   Placez la version anglaise sur le rétroprojecteur et passez la version

 16   originale au témoin.

 17   Mme Thompson (interprétation): Il s'agit des pièces à conviction du

 18   conseil de la défense cotées D120/2.

 19   M. Mikulicic (interprétation): Il s'agit d'une incitation à rejoindre la

 20   protection civile, sapeurs-pompiers, centre de Vitez, en cette même date

 21   du 23 novembre, n'est-ce pas?

 22   M. Strukar (interprétation): Oui.

 23   Question:   Mais cette incitation vous a été envoyée par l'armée de

 24   Bosnie-Herzégovine?

 25   Réponse:    Oui.


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  1   Question:   Pouvez-vous reconnaître la signature?

  2   Réponse:    Oui. Je pense que cet homme s'appelle Sulejman Kalco. Il était

  3   président des sapeurs-pompiers de Vitez.

  4   Question:   Je n'ai pas bien entendu.

  5   Réponse:    Je crois que son vrai nom est Sulejman Kalco.

  6   Question:   Vous avez reçu, de la part de la protection civile et de

  7   l'armée de Bosnie-Herzégovine, deux incitations pour une même profession

  8   et qualité qui sont les vôtres: comment interprétez-vous cela?

  9   Réponse:    C'est tout simplement que nous avons dû nous rendre dans

 10   Vitez. Quelquefois, il y avait des villages à majorité croate et à

 11   majorité musulmane. C'est pour pouvoir circuler dans les deux quartiers.

 12   Question:   Si je vous ai bien compris, cette double convocation, vous

 13   l'avez considérée comme une possibilité de circuler dans cette communauté,

 14   déjà quelque peu désunie, de Vitez?

 15   Réponse:    Oui. Tout simplement, il fallait quelqu'un pour s'en occuper.

 16   Question:   Je vous remercie.

 17   Monsieur le Président, j'ai sur moi des versions originales. Je ne sais

 18   pas s'il faut les verser en tant que pièces à conviction ou les rendre au

 19   témoin.

 20   M. le Président (interprétation): A moins que quelqu'un ne souhaite garder

 21   la version originale, je crois que, dans notre cas, il suffit de garder

 22   les copies et de rendre les versions originales au témoin.

 23   M. Mikulicic (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

 24   Allons de l'avant! Vous vous êtes engagé en tant que bénévole dans cette

 25   société de sapeurs-pompiers et vous avez eu connaissance qu'à cette


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  1   époque-là, des gardes villageoises ont été formées. Etait-ce le cas

  2   également dans la partie de Vitez que vous avez habitée?

  3   M. Strukar (interprétation): Oui. Toutes les fois où je me rendais en

  4   intervention, je rencontrais des gardes villageoises et je savais qu'elles

  5   étaient aussi autour de ma maison.

  6   Question:   Quelle était la composition ethnique de ces gardes

  7   villageoises? Que s'est-il produit ensuite avec le temps?

  8   Réponse:    Au début -on peut se poser la question de ce que c'est qu'un

  9   début- et je suppose que vous vous intéressez à cette composition mixte

 10   croate, musulmane et serbe qui existait encore.

 11   Question:   A quelles fins ont été organisées ces gardes villageoise, si

 12   vous vous en souvenez?

 13   Réponse:    Il y avait eu des incidents dans ces différents villages. On a

 14   parlé de ce conflit avec les Serbes qui étaient à Vlasic, Vlasic n'étant

 15   pas très loin; on devait se protéger de peur de voir une grenade projetée

 16   dans votre maison, etc. Tout simplement, quelques maisons se rassemblent

 17   et les gens étaient de garde.

 18   Question:   Etiez-vous également engagé dans le cadre des gardes

 19   villageoises?

 20   Réponse:    J'ai été longtemps engagé dans les unités de sapeurs-pompiers.

 21   Etant donné que les gens qui devaient également prendre leur tour de garde

 22   rouspétaient quelquefois, disant que peut-être mon activité était moins

 23   importante et qu'eux, par contre, ils devaient passer une nuit blanche,

 24   ils me demandaient: "Monsieur, peut-être que vous pourriez faire quelque

 25   chose également et être de concert avec nous?" C'est pourquoi,


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  1   quelquefois, j'y venais toutes les deux ou trois nuits pour être de garde

  2   avec un de mes collègues, etc.

  3   Question:   Par qui ces gardes ont-elles été organisées autour de votre

  4   maison?

  5   Réponse:    Pour l'organisation à proprement parler, je ne dirais pas

  6   qu'elles étaient organisées. On a vu déjà sur les écrans TV qu'à Sarajevo,

  7   les gens en faisaient autant et de même pour organiser la protection de

  8   leur bloc d'habitations.

  9   Question:   Y a-t-il eu un commandant pour s'imposer en tant que chef?

 10   Réponse:    Non, pas à cette époque-là, encore que nous souhaitions avoir

 11   un chef. On me disait par exemple que, peut-être, je pourrais être le

 12   chef. Je me tournais vers un autre pour en dire autant, etc.

 13   Question:   Vous nous avez dit que vous résidiez tout près de Mahala. Au

 14   début de l'année 1993, avez-vous remarqué quelque chose d'inhabituel dans

 15   ce quartier de la ville, non loin du terrain de football?

 16   Réponse:    Mon fils, de retour de l'école, m'a dit avoir vu une tranchée.

 17   Je lui ai dit: "Tu dis n'importe quoi! Quelle tranchée?" Après, en passant

 18   en voiture, j'ai aperçu une tranchée, une espèce de couverture de fortune

 19   en planches, non loin de ces maisons musulmanes de Mahala. Après, je me

 20   suis rendu compte que c'était une tranchée, toute cette affaire des

 21   tranchées creusées en face des Croates.

 22   Question:   Avez-vous essayé de connaître la raison pour laquelle ces

 23   tranchées ont été creusées à Mahala?

 24   Réponse:    Oui, nous avons essayé de le faire parce que ce n'était pas

 25   encore la guerre. Nous vivions ensemble; c'était une cohabitation. Les


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  1   Musulmans, quant à eux, nous disaient: "Voilà, c'est de peur d'être

  2   attaqués par les Serbes, etc." Cela m'a paru un peu ridicule.

  3   Question:   Monsieur Strukar, vous dites "ridicule"; vous avez souri quand

  4   même un peu. Pourquoi ridicule?

  5   Réponse:    Parce que, pendant tout ce temps, jusqu'en 1995, je n'ai

  6   jamais vu un soldat serbe à moins que ce ne soit sur un écran de

  7   télévision. On savait qu'ils étaient à Vlasic, 14 ou 20 ou 25 kilomètres

  8   jusqu'à Turbe encore où se trouvait l'armée de la Republika Srpska.

  9   Question:   Ces tranchées étaient-elles en direction de Vlasic, de Travnik

 10   ou en direction d'autres quartiers de la ville?

 11   Réponse:    Pas en direction de Vlasic, mais en direction du terrain de

 12   football, par conséquent vers Mlakici, Kamenica, etc.

 13   Question:   Quelle était la composition ethnique de ceux qui résidaient à

 14   Mlakici, vers où se tournaient justement ces tranchées?

 15   Réponse:    C'étaient des Croates.

 16   M. Mikulicic (interprétation): Monsieur le Président, je crois que c'est

 17   le moment propice pour ordonner une suspension d'audience.

 18   M. le Président (interprétation): Oui. Nous allons avoir une suspension

 19   d'audience, nous allons continuer quelques minutes après 11 heures 30.

 20   Monsieur Strukar, nous allons avoir une suspension d'audience. Je vous

 21   prie de ne pas parler à qui que ce soit tant que vous n'avez pas terminé

 22   votre déposition. Ne permettez surtout à personne de vous en parler, y

 23   compris les membres du conseil de la défense.

 24   Je vous prie de revenir dans ce prétoire dans une demi-heure.

 25   (L'audience, suspendue à 11 heures 05, est reprise à 11 heures 35.)


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  1   M. le Président (interprétation): Monsieur Mikulicic, vous pouvez

  2   procéder.

  3   M. Mikulicic (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

  4   Avant de parler des événements des 15 et 16 avril 1993, voyons d'abord

  5   comme suit: vous avez parlé d'incidents d'explosifs, de voitures piégées.

  6   Avez-vous connu l'incident où le magasin de Nikola Krizanac, qui n'est pas

  7   loin de chez vous, a été plastiqué?

  8   M. Strukar (interprétation): Je sais que ceci a eu lieu à deux reprises.

  9   Je ne sais pas à quel incident vous pensez. Il y avait une fois un

 10   incident avant la guerre et puis, après, au début de la guerre.

 11   Question:   M. Nikola Krizanac est un Croate, n'est-ce pas?

 12   Réponse:    Oui.

 13   Question:   A-t-on pu confirmer et trouver l'auteur des incidents?

 14   Réponse:    Pour les deux cas, il s'agissait de Musulmans.

 15   Question:   Je vous remercie.

 16   Monsieur Strukar, qu'avez-vous fait pendant la nuit du 15 au 16 avril

 17   1993?

 18   Réponse:    Il y avait d'abord ces gardes villageoises organisées et,

 19   cette nuit-là, j'étais éveillé, de concert avec quelques-uns de mes

 20   voisins.

 21   Question:   Cette nuit-là était-elle une nuit ordinaire, comme avant, ou

 22   au cours de la soirée ou de la nuit quelque chose d'inhabituel s'est-il

 23   produit?

 24   Réponse:    Il n'y avait rien d'inhabituel, d'exceptionnel parce que,

 25   peut-être pendant six mois, il y avait quelque chose dans l'air, vous


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  1   comprenez. Il y a des gens qui ont peur, d'autres qui ont été intimidés,

  2   d'autres qui ont les yeux grossis par la peur, etc., par conséquent, plus

  3   on s'approchait de l'année 1993, dans ces gardes villageoises qui étaient

  4   quelquefois mixtes aussi. Et puis on savait que les Musulmans se

  5   préparaient à quelque chose. Vous avez mentionné le magasin de Nikola

  6   Krizanac et, après, on a parlé des barrages établis sur la route.

  7   M. le Président (interprétation): Monsieur Strukar, vous savez, nous avons

  8   entendu tant de dépositions dans le cadre de cette affaire, nous vous

  9   serions redevables de vous limiter dans votre déposition. Autant que je

 10   puisse comprendre, il n'y a rien d'inhabituel en ce qui vous concernait

 11   qui se serait produit cette nuit-là.

 12   M. Strukar (interprétation): Oui, c'est cela.

 13   M. Mikulicic (interprétation): Mais au cours de cette nuit, votre garde a

 14   été informée par téléphone d'un événement, est-ce vrai?

 15   M. Strukar (interprétation): Oui. Je dois me répéter: ce n'était pas la

 16   première fois que quelqu'un téléphonait pour dire que quelque chose

 17   n'allait pas bien. Il a fallu redoubler de vigilance. Au cours de cette

 18   soirée-là, il me semble qu'il n'y avait rien de spécial, rien de nouveau

 19   qui se serait produit.

 20   Question:   Vous avez déjà dit que de telles informations vous parvenaient

 21   avant, mais que vous ne les avez pas prises trop au sérieux, n'est-ce pas?

 22   Réponse:    C'est tout à fait cela.

 23   Question:   Avez-vous passé toute la nuit comme étant de garde?

 24   Réponse:    Pour ce qui est de ces gardes villageoises, nous avons réglé

 25   l'affaire de sorte que nous étions cinq ou six à monter la garde jusqu'à


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  1   minuit et, puis, d'autres prenaient la relève. Voilà, cela me

  2   correspondait peut-être.

  3   Question:   Donc après minuit, vous vous êtes couché?

  4   Réponse:    Non, c'est jusqu'à minuit que j'étais couché.

  5   Question:   Puis-je vous demander si, à l'entrée ou à la sortie de Mahala,

  6   il y a eu des points de contrôle à cette époque-là?

  7   Réponse:    Vous pensez pendant cette soirée-là?

  8   Question:   Non. Mais pendant les tout premiers mois de l'année 1993?

  9   Réponse:    Il y avait des points de contrôle à plusieurs reprises. Cela a

 10   duré pendant deux ou trois jours, puis on les déplaçait. Je ne sais pas

 11   par qui ils étaient organisés. Je ne sais pas qui a établi et déplacé ces

 12   points de contrôle.

 13   Question:   Revenons à cette soirée-là. Donc, après minuit seulement, vous

 14   avez été de garde. Qu'avez-vous entendu ou vu le matin du jour suivant?

 15   Réponse:    Je me souviens, nous étions assis près d'une maison. Vers 5

 16   heures 30 le matin, on a entendu une explosion venant depuis une pompe à

 17   essence privée. On a regardé depuis le centre ville de ma maison vers la

 18   route de déviation qui contournait la ville de Vitez que se trouvait peut-

 19   être le site de cette explosion. Nous ne savions pas très bien de quoi il

 20   s'agissait à ce moment-là. Mes expériences me disaient que toutes les

 21   explosions étaient pareilles mais, quelques minutes après, on a entendu

 22   des coups de fusil ou de revolver. On les a entendus venant de toutes

 23   parts.

 24   Question:   Avez-vous pu vous orienter pour bien situer le lieu d'où on

 25   tirait et qui tirait sur qui?


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  1   Réponse:    A cette époque-là, non. Je dis que j'ai eu très peu

  2   d'expérience. On entend peut-être des coups tirés, mais cela semble venir

  3   de toutes parts.

  4   Question:   Avez-vous été informé de ce qui se passait?

  5   Réponse:    On n'a pas eu le temps de s'informer. J'ai dû me rendre à la

  6   maison et, étant donné qu'ils considéraient que j'étais éveillé et que

  7   j'en savais plus, mais je dois dire que c'était une véritable mêlée qu'il

  8   était difficile de décrire.

  9   Question:   A ce moment-là, étiez-vous conscient du fait que c'est la

 10   guerre qui recommençait?

 11   Réponse:    Non. Comme je l'ai dit, avant on a entendu des coups de fusil.

 12   Ensuite, cela se calmait, on s'attendait à ce que ce soient vraiment des

 13   gens dont les têtes étaient un petit peu échauffées, etc.

 14   Question:   Mais cette fois-ci, les coups de fusil ne se sont pas apaisés,

 15   n'est-ce pas? Cela n'arrêtait pas?

 16   Réponse:    Malheureusement pas.

 17   Question:   C'était plutôt une intensification des coups de feu que vous

 18   avez dû entendre?

 19   Réponse:    Oui, c'était bien cela.

 20   Question:   Est-ce en résultat de cette mêlée-là, de ces coups de feu que

 21   vous avez entendus que vous avez pu ensuite constater des feux, des

 22   maisons en flammes non loin de chez vous?

 23   Réponse:    Oui, on doit dire qu'on s'en est aperçu. Il y avait des

 24   maisons en flammes mais on ne pouvait pas savoir ce qui brûlait. Tout

 25   simplement, on ne pouvait que supposer que des maisons étaient en flammes.


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  1   A ce moment-là, je ne pouvais même pas savoir si ce n'était pas ma maison

  2   qui était en flammes, car j'étais loin de ma maison.

  3   Question:   A ce moment-là, avez-vous pu peut-être penser, étant donné que

  4   vous avez été très actif dans cette société de pompiers bénévoles, que

  5   votre devoir était évidemment de répondre à votre devoir et d'aller

  6   maîtriser ce feu? Etait-ce possible, d'abord, à ce moment-là?

  7   Réponse:    Peut-être que j'ai eu une idée là-dessus. Je me souviens bien

  8   de mon état d'âme à cette époque-là. J'aurais plutôt aimé pleurer parce

  9   que les gens qui sont restés dans la société de pompiers étaient en

 10   difficulté. Tout était en panne, les téléphones; je ne savais pas ce qui

 11   se passait à ce moment-là avec les équipements. Donc il n'y avait vraiment

 12   pas de moyen technique pour intervenir et pour éteindre le feu.

 13   Question:   Et qu'avez-vous fait à ce moment-là?

 14   Réponse:    Rien. Tout simplement, on essayait de s'occuper chacun de sa

 15   famille. D'abord, il fallait être avec eux pendant quelques minutes pour

 16   les calmer et essayer ensuite de s'informer. Mon père et mon père étaient

 17   là, je ne pouvais pas les joindre. C'était vraiment une mêlée dans

 18   laquelle nous nous sommes trouvés, une confusion régnait.

 19   Question:   Pendant ce premier temps qui s'est écoulé depuis le conflit,

 20   où étiez-vous?

 21   Réponse:    Pendant un premier temps? Vous pensez peut-être à ces deux ou

 22   trois jours, je suppose?

 23   Question:   Non, non, non, je pense à la seconde journée, par exemple.

 24   Avez-vous mis en sécurité votre famille, ou quoi?

 25   Réponse:    Oui, je les ai mis à l'abri à 200 mètres de ma maison, là où


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  1   nous nous rassemblions, dans la maison d'un de nos cousins, là où on était

  2   avec les gardes villageoises. Là, on tirait moins, semble-t-il. Au début

  3   de la guerre, près de ma maison, donc à 200 mètres de cette du cousin, on

  4   tirait beaucoup plus. Je devais m'y rendre de temps en temps pour

  5   récupérer des vivres, de la nourriture, des habits, etc. Et puis on ne

  6   pouvait même plus parler, ni de jour ni de nuit; j'étais confus, tout me

  7   semblait pareil. Enfin, peu importe l'heure de la journée ou de la nuit où

  8   je devais m'y rendre.

  9   Question:   Si je comprends bien, vous étiez dans l'impossibilité de vous

 10   rendre dans votre propre maison ou dans celle de votre père, pour un

 11   premier temps?

 12   Réponse:    C'est exact.

 13   Question:   Mais après quelque temps, vous avez tout de même pu regagner

 14   la maison de votre père? Qu'avez-vous trouvé là-bas?

 15   Réponse:    Une fois venu à la maison, je me suis d'abord rendu compte du

 16   fait que la maison était intacte. J'ai supposé que mon père était à l'abri

 17   dans la cave; c'était le seul endroit où l'on pouvait se réfugier car, là-

 18   haut, on ne pouvait pas, étant donné que les balles sifflaient partout.

 19   J'y ai trouvé en effet mon père en bonne santé, sain et sauf. On a cherché

 20   ensemble un abri derrière la maison. Lui, en colère, il m'a dit tout

 21   simplement de lui ficher la paix; il y avait tant de morts autour de lui,

 22   comme il l'a dit lui-même.

 23   Je ne savais pas, à ce moment-là, que des gens étaient touchés ou morts.

 24   On a vu de loin des maisons en flammes mais on ne pouvait pas savoir que

 25   des gens étaient morts. Alors il m'a montré du doigt que, derrière sa


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  1   maison à lui, il y avait des gens morts.

  2   Question:   Et que s'est-il passé avec votre maison à vous?

  3   Réponse:    Quant à ma maison, pendant ces premières journées qui ont

  4   suivi, elle a été touchée par un obus d'un mortier multitube.

  5   Question:   Est-ce que vous pouvez savoir de quelle direction cet obus a

  6   pu être tiré?

  7   Réponse:    Je ne peux pas dire, je n'ai pas d'expérience. Je ne peux pas

  8   dire depuis quel site il a pu être tiré. Ma maison se trouve en parallèle

  9   par rapport à Mahala; il y avait donc des maisons touchées par les mêmes

 10   armes, de l'autre côté de ma maison.

 11   Question:   Quels ont été les dégâts ressentis par la maison-là?

 12   Réponse:    Cet obus devait avoir un détonateur spécial; par conséquent,

 13   lorsque l'obus a pénétré dans la pièce où se trouvent les installations de

 14   chauffage, il y a eu des dégâts assez importants.

 15   Question:   Vous avez dit avoir mis à l'abri, en sécurité votre famille

 16   dans la maison de ce cousin. Qu'avez-vous fait vous-même? Etes-vous resté

 17   chez vous ou les avez-vous rejoints?

 18   Réponse:    Là où se trouvait ma famille, près de nos maisons, à côté, il

 19   y avait des maisons musulmanes et croates en flammes, tous voyaient une

 20   certaine sécurité lorsqu'ils étaient dans une cave. C'est ainsi que 60, 70

 21   personnes se trouvaient dans des caves. Il y avait des femmes et des

 22   enfants, mais nous, hommes, nous avons eu un peu honte de les rejoindre.

 23   Mais nous avons voulu réfléchir à ce qu'il convenait de faire. Faute

 24   d'information, faute de fin quelconque, que veut dire être homme, à ce

 25   moment-là, pour faire quelque chose d'intelligent?


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  1   Question:   Avez-vous eu une arme quelconque?

  2   Réponse:    Jusqu'à ce jour-là, je n'ai pas eu d'arme. Mais ce cousin où

  3   j'ai mis en sécurité ma famille était chasseur; il m'a proposé comme quoi

  4   il serait intelligent d'avoir ne serait-ce qu'un fusil de chasse parce

  5   que, tout simplement, c'était la guerre.

  6   Question:   Comme vous l'avez décrit vous-même, près de cette maison-là,

  7   vous et quelques autres hommes, vous rôdiez sans information, sans savoir

  8   ce qu'il fallait faire, etc. Etait-ce bien la situation?

  9   Réponse:    C'est tout à fait la situation qui régnait.

 10   Etant donné vos voisins, étant que vos voisins musulmans et en pensant à

 11   l'armée de Bosnie-Herzégovine, est-ce que vous avez eu l'idée, est-ce que

 12   vous vous êtes fait une idée comme quoi pourrait tirer sur vous, vous

 13   attaquer?

 14   Réponse:    Non. Mais il me semble que les tirs venaient justement de ces

 15   directions-là.

 16   Question:   De quelles directions?

 17   Réponse:    De la direction de l'armée de Bosnie-Herzégovine.

 18   Question:   Combien d'hommes étiez-vous à cet endroit-là?

 19   Réponse:    Près de ma maison, c'est la route départementale qui passe,

 20   empruntée toujours comme la route de déviation en direction de Vitez.

 21   Mais, tout près, se trouve Mahala. Comme on tirait beaucoup, nous étions

 22   alors une dizaine qui nous rassemblions près de ma maison pour y monter la

 23   garde. Nous ne savions pas ce qui se passait de l'autre côté; alors que de

 24   l'autre côté, ils ont fait de même. Nous étions donc une vingtaine de

 25   voisins qui avons fait de même pendant ces quelques jours.


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  1   Question:   Vous vous êtes donc occupés de la garde de vos propres

  2   maisons, dans la mesure du possible, pendant ces jours-là?

  3   Réponse:    Oui.

  4   Question:   Pendant ce temps-là, la guerre éclate. Vous vous êtes

  5   organisés tant bien que mal. Etiez-vous une espèce d'unité militaire? Ou

  6   étiez-vous membre d'une armée quelconque? Quel était votre sentiment?

  7   Réponse:    Notre sentiment était plutôt misérable, parce que nous

  8   n'avions pas d'information, nous ne savions pas ce qu'il convenait de

  9   faire. Ceux qui avaient une notion vague ou autre concernant l'armée et la

 10   vie militaire, ils voulaient faire quelque chose, ils voulaient joindre

 11   quelqu'un, ils voulaient faire élire, choisir un commandant, un chef, etc.

 12   Avec toutes ces maisons qui étaient en flammes, il y a eu beaucoup de

 13   pertes en nourriture, etc. Par conséquent, il a fallu se mettre à parler

 14   un peu pour essayer de résoudre ces problèmes.

 15   Question:   Avez-vous pu recevoir des munitions ou des uniformes ou

 16   quelque assistance que ce soit en armes?

 17   Réponse:    Non. Pendant une période assez longue, depuis le début de la

 18   guerre, nous n'avons jamais rien reçu.

 19   Question:   Monsieur Strukar, les interprètes nous prient de parler moins

 20   rapidement.

 21   Ainsi, tout un mois se passe comme vous venez de le dire. Après quoi,

 22   quelque chose est arrivé quand même, à vous-même, aux hommes qui étaient

 23   avec vous dans ce quartier de la ville. Un militaire est venu, n'est-ce

 24   pas?

 25   Réponse:    Je ne sais pas à qui vous pensez. Pendant le premier mois qui


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  1   s'est écoulé, il n'y avait pas de militaires, tout se passait de la sorte.

  2   Mais il y en a qui ont mis une pièce d'uniforme militaire, que ce soit le

  3   pantalon ou le gilet, une jaquette, etc.

  4   Question:   Soyons concrets, Monsieur Strukar. Vous avez apporté un

  5   document que j'aimerais faire voir à ce prétoire; j'ai une question à

  6   poser là-dessus.

  7   Je vais donner lecture de ce texte court. Ce document est intitulé:

  8   "Attestation". Dans l'en-tête, on lit qu'il est émis par le HVO de la

  9   Brigade de Vitez, portant la cote 340. Dans le document, il est dit que

 10   "par ce certificat, on atteste que M. Strukar Marijan, de père Vlado, né

 11   en 1956, résidant à StariVitez, est affecté dans les effectifs de la

 12   Brigade de Vitez, 5e secteur, région Stari Vitez, en date du 18 mai 1993."

 13   Laquelle attestation est émise et signée par le commandant de la Brigade,

 14   Mario Cerkez.

 15   Dites-nous, Monsieur Strukar, à quel moment et dans quelles conditions

 16   vous avez reçu ce document, cette attestation?

 17   Réponse:    Autant que je m'en souvienne, j'ai déjà dit que, lors de nos

 18   conversations, nous avons pensé qu'il fallait organiser quelque chose,

 19   faire quelque chose d'intelligent. Je ne sais pas par quel biais, ces

 20   conversations ont pu atteindre jusqu'au quartier général du commandant de

 21   la brigade; je ne peux même pas me rappeler le mois où cette attestation

 22   m'était parvenue. Je crois que cela s'est fait comme cela. C'est ainsi que

 23   nous l'avons vécu et senti nous tous. Je l'ai reçue au mois de mai 1993,

 24   mais rien n'avait changé dans l'organisation. Nous avons simplement eu

 25   connaissance maintenant de l'existence d'une certaine brigade et de


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  1   l'existence de tel ou tel secteur, de telle ou telle région.

  2   Question:   Et à quel moment les choses ont-elles pu évoluer?

  3   Réponse:    Les choses ont évolué depuis la seconde moitié du mois de

  4   juillet. Tout à l'heure, vous m'avez demandé si un militaire était venu

  5   nous voir. Je ne peux pas me rappeler la date mais je sais qu'il

  6   s'agissait de la deuxième moitié du mois de juillet. Un homme était venu

  7   pour dire: "Voilà, nous allons nous mettre à organiser une unité. Je serai

  8   votre commandant". C'est ainsi que cela a démarré.

  9   M. le Président (interprétation): La cote du document?

 10   Mme Thompson (interprétation): Le dernier document portera la cote D121/2.

 11   M. Mikulicic (interprétation): Si je vous ai bien compris, Monsieur

 12   Strukar, c'est la date du 18 mai 1993 que l'on trouve sur ce document, ce

 13   certificat, mais vous n'êtes pas sûr de l'avoir reçu à ce moment-là,

 14   n'est-ce pas?

 15   M. Strukar (interprétation): Je peux même dire que je suis sûr de l'avoir

 16   reçu plus tard.

 17   Question:   Mais sans davantage de détails? Vous ne vous rappelez pas?

 18   Réponse:    Non.

 19   Question:   Nous avons parlé du commandant de la brigade Mario Cerkez.

 20   Connaissez-vous M. Mario Cerkez?

 21   Réponse:    Oui. Vitez est une petite ville et pratiquement tout le monde

 22   se connaissait. Comme j'ai à peu près le même âge que Mario et que ses

 23   parents sont assez connus à Vitez, je le connais depuis l'école. Ensuite,

 24   nous avons travaillé dans la même organisation de travail.

 25   Question:   L'avez-vous jamais vu présenter des tendances agressives ou


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  1   asociales, au sens général du terme?

  2   Réponse:    Non. Mario a toujours été quelqu'un de très sociable. Je ne

  3   l'ai jamais vu se disputer avec qui que ce soit et encore moins se battre.

  4   Question:   Avez-vous jamais été présent lorsqu'il aurait prononcé des

  5   mots négatifs à l'égard des Musulmans ou des membres d'une autre

  6   nationalité, qu'il aurait mal agi à leur égard? Ou en avez-vous entendu

  7   parler?

  8   Réponse:    Ecoutez, pendant la guerre, pendant longtemps, je n'ai pas vu

  9   Mario. Mais, puisque je suis devant ce Tribunal, je dois dire que je me

 10   rappelle un événement: cela s'est passé à la fin de la guerre à Vitez, la

 11   guerre contre les Croates et les Musulmans. Nous sommes déjà en 1994 ou

 12   1995, je ne me souviens pas exactement; la brigade nous a envoyés sur une

 13   autre ligne de front. Nous devions aller à Kupres, sur le front qui

 14   faisait face à l'armée de la Republika Srpska. Nous étions une centaine,

 15   déployés à cet endroit, et Mario devait nous donner les dernières

 16   instructions. Dès notre départ de Vitez, nous devions passer sur le

 17   territoire musulman. Donc leur police militaire nous a accompagnés jusqu'à

 18   la sortie.

 19   Quand nous avons terminé les préparatifs du départ, Mario nous a dit:

 20   "J'ai encore quelque chose à vous dire". A voix forte, justement, il a

 21   dit: "Il n'est pas question que j'entende dire que l'un quelconque d'entre

 22   vous aurait dit quelque chose de négatif à l'égard des Musulmans". J'ai

 23   même été très heureux d'entendre cela à ce moment-là, compte tenu de la

 24   situation et de ce que je savais pendant la guerre.

 25   M. Mikulicic (interprétation): Monsieur Strukar, merci. Je n'ai pas


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  1   d'autres questions à vous poser.

  2   M. Naumovski (interprétation): Monsieur le Président, la défense de

  3   monsieur Kordic n'a pas de questions à poser à ce témoin.

  4   M. le Président (interprétation): Monsieur Strukar, j'aimerais un

  5   éclaircissement de votre part, si c'est possible. Le soir du 15 avril,

  6   quand avez-vous patrouillé?

  7   M. Strukar (interprétation): Je vais m'efforcer de répondre brièvement. A

  8   cette fin, je dirai que les patrouilles étaient divisées en deux parties.

  9   Un certain nombre de membres de la patrouille étaient de service jusqu'à

 10   minuit et ensuite, c'était la deuxième partie de la patrouille qui prenait

 11   le relais. Moi, j'ai été libre pendant la première partie de la soirée

 12   jusqu'à minuit; c'est après minuit que je devais être de garde et je l'ai

 13   été.

 14   M. le Président (interprétation): Très bien, merci.

 15   Vous avez la parole, du côté de l'accusation.

 16   (Contre-interrogatoire de M. Marijan Strukar par Me Lopez-Terres.)

 17   M. Lopez-Terres: Monsieur Marijan Strukar, la première question que je

 18   veux vous poser d'abord est: est-ce qu'il existe plusieurs Marijan

 19   Strukar, fils de Vlado, à Vitez?

 20   M. Strukar (interprétation): Je crois que non. Le prénom de mon père est

 21   Vladimir mais il y a pas mal de gens à Vitez qui l'appellent Vlado; donc

 22   vous trouverez des documents dans lesquels l'inscription est Vlado et

 23   d'autres où l'inscription est Vladimir.

 24   Question:   Je voudrais que nous reprenions les faits dans la chronologie

 25   qui a été un peu celle utilisée par Me Mikulicic lors de son


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  1   interrogatoire principal.

  2   Vous nous avez dit que vous étiez le responsable de la caserne des

  3   pompiers puisque vous aviez été pompier volontaire pendant plus de vingt

  4   ans?

  5   Réponse:    Oui.

  6   Question:   Nous avons vu deux documents qui ont été présentés tout à

  7   l'heure, dont le bureau du Procureur a fourni la traduction en langue

  8   anglaise pour l'un d'entre eux, document D122, la traduction étant, en ce

  9   qui nous concerne, numérotée Z291.3.

 10   Vous avez donc reçu, le 23 novembre 1992, deux convocations pour vous

 11   présenter à la caserne des pompiers: l'une émanait du HVO, l'autre émanait

 12   de l'armée de Bosnie. Pouvez-vous nous indiquer à laquelle de ces

 13   convocations vous avez déféré?

 14   Réponse:    Le simple fait d'envoyer une convocation se faisait dans nos

 15   régions, à ce moment-là, selon ces modalités: on recevait une convocation

 16   et on y déférait. Mais c'était une procédure d'urgence. Je n'ai donc pas

 17   eu besoin de répondre à cette convocation pour aller quelque part, à ce

 18   moment-là.

 19   D'ailleurs, je n'étais pas le seul à recevoir cette convocation; toute mon

 20   unité l'a reçue. Nous avions le sentiment qu'il existait deux pouvoirs à

 21   ce moment-là. Donc je ne suis allé nulle part, mais nous nous sommes mis

 22   d'accord pour faire partie de cette brigade de pompiers. Autrement dit, je

 23   ne suis allé nulle part, auprès d'aucune administration. Simplement, nous

 24   avons décidé de faire partie de cette brigade de pompiers.

 25   Question:   Vous nous avez indiqué que votre impression était, à l'époque,


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  1   qu'il existait deux pouvoirs qui se mettaient en place, deux pouvoirs

  2   parallèles: un pouvoir croate, si je comprends bien, le HVO, et le pouvoir

  3   musulman, celui qui vous a envoyé la deuxième convocation.

  4   Avez-vous pris contact, oui ou non, avec les responsables de cette

  5   convocation pour l'armée de Bosnie qui, si je vous ai bien compris,

  6   avaient la date du 28 septembre 1993, nous sommes d'accord?

  7   Réponse:    Oui.

  8   Question    Une petite question au passage: la signature qui apparaît sur

  9   la partie supérieure droite, vous la reconnaissez?

 10   Réponse:    Non.

 11   Question    Elle ressemble beaucoup à la signature de M. Cerkez. Vous avez

 12   donc exercé des fonctions d'assistant, chargé -je le répète- de ce que

 13   l'on appelait à l'époque IPD, c'est-à-dire la propagande et l'information.

 14   Je suppose qu'on ne confiait pas ces fonctions à n'importe qui au sein

 15   d'une unité militaire? Quand il s'agit de s'occuper de la propagande, ne

 16   s'agit-il pas de faire passer un message vis-à-vis des autres militaires,

 17   de faire passer des directives, de faire passer une politique vis-à-vis

 18   des autres militaires?

 19   Réponse:    Eh bien, ce serait à peu près cela, mais je ne suis pas

 20   entièrement d'accord avec vous en raison de quelque chose que je n'ai

 21   jamais dit dans ce prétoire encore. Chez nous, dans notre pays, dans le

 22   système qui avait cours avant, donc dans l'armée précédente, j'étais une

 23   espèce d'adjoint chargé de l'IPD. Cela s'appelait un commissaire à

 24   l'époque. Quelqu'un qui avait quelques connaissances à ce sujet au cours

 25   d'une guerre. Lorsqu'une certaine politique s'est modifiée en Bosnie-


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  1   Herzégovine et en Yougoslavie, bien entendu, je n'étais pas d'accord avec

  2   cette politique, car j'étais un homme politique appartenant à l'ancienne

  3   armée. Lorsqu'à Vitez, la situation est devenue telle que l'on ne savait

  4   plus si l'on resterait en vie, mon commandant qui est venu me voir au mois

  5   de juillet m'a demandé au mois de septembre de rédiger un document de ce

  6   genre, c'est-à-dire une évaluation de la sécurité de notre unité.

  7   Je vois ce qui est écrit ici. Je vois qu'il est écrit "Unité de ligne de

  8   défense, 3e Compagnie, 3e Bataillon". J'ai écrit cela parce que je n'étais

  9   pas encore expert. C'est plus tard que ce commandant, mon commandant m'a

 10   dit que la bataillon avait été créé. Il est allé à la brigade, il a lu

 11   cela. Il a dit: "Oui, effectivement, les gens là-haut, il faut qu'ils

 12   s'organisent". C'était tout simplement une question de papiers. C'est à ce

 13   moment-là, qu'on nous a donné le nom de 4e Bataillon.

 14   Peut-être que j'ai écrit 4e Bataillon dans ce texte parce que, pour moi,

 15   cela me semblait logique parce qu'à ce moment-là, la brigade avait quatre

 16   bataillons, il me semblait logique que nous soyons la dernière. C'était

 17   pour cette raison. Autrement dit, jusqu'à ce moment-là, je n'étais rien de

 18   spécial. Ce texte, je l'ai écrit en qualité de simple soldat. Et ensuite,

 19   je l'ai recopié quand nous sommes devenus un bataillon.

 20   Question    Vous l'avez écrit comme simple soldat mais il est quand même

 21   signé comme adjoint chargé de la propagande et de l'information?

 22   Réponse:    Sans doute, quand cela a été dactylographié.

 23   Question    Ce bataillon, auquel vous apparteniez, qu'il s'agisse du

 24   quatrième ou du cinquième, était bien dans la zone de Stari Vitez, ce que

 25   vous appeliez Mahala?


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  1   Réponse:    Oui.

  2   Question    Cette Chambre a reçu de nombreuses informations et témoignages

  3   selon lesquels la zone de Stari Vitez, après le 16 avril 1993 et jusqu'à

  4   en février 1994, a été encerclée par les soldats du HVO et a fait l'objet

  5   de nombreuses attaques par les forces du HVO? Etes-vous d'accord avec moi?

  6   Réponse:    Je ne suis pas d'accord avec les termes que vous avez utilisés

  7   "attaque sur Mahala" car, pendant une grande partie de notre guerre, il

  8   était dangereux pour nous et pour eux… Le danger régnait des deux côtés,

  9   quand quelqu'un tirait une balle de notre côté, en face, on en retirait

 10   deux et quand eux tiraient une balle, ils en recevaient deux chez nous.

 11   C'était difficile de distinguer.

 12   Question    Qui encerclait qui à Stari Vitez?

 13   Réponse:    Je me souviens d'une réponse que j'ai entendue. Une femme a

 14   posé par téléphone à sa sœur la question que vous venez vous-même de

 15   poser. La réponse a été: "Comme, dans l'œuf, on a le blanc, c'est une

 16   chose, on a le jaune, c'est une deuxième, et puis il y a l'œuf". Par

 17   exemple, là où était ma maison…

 18   Question    Non, le jaune, c'étaient les Musulmans, le blanc, c'étaient

 19   nous, à Vitez, les Croates, et la coquille était encore les Musulmans.

 20   Question    Vous avez participé à ces opérations militaires sur Stari

 21   Vitez pendant toute cette période, puisque vous étiez affecté sur cette

 22   zone?

 23   Réponse:    La ligne passait par ma maison, j'y suis resté pratiquement

 24   tout le temps.

 25   Question    Au mois de juillet 1993, il y a eu une attaque importante qui


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  1   a été menée contre Mahala ou Stari Vitez par les forces du HVO. Avez-vous

  2   participé à cette opération?

  3   Réponse:    Oui. Nous avons tous participé, tous qui étions là-bas.

  4   Question    Quelles étaient les unités qui ont participé à cette

  5   opération, à votre connaissance?

  6   Réponse:    Autant que je m'en souvienne, je me trouvais là où il y avait

  7   mes collègues, mes voisins. Et notre tâche…

  8   Question    Monsieur Strukar, ne me parlez pas toujours des voisins. Nous

  9   sommes dans une structure militaire. Vous nous avez dit que vous

 10   apparteniez à un bataillon, vous rédigez des rapports pour une compagnie.

 11   Vous allez devenir officier adjoint chargé de la propagande et de

 12   l'information, donc cessez de nous parler de ces gardes avec les voisins.

 13   Réponse:    Oui je sais mais je crois que vous avez un peu confondu avec

 14   les événements qui se sont déroulés quatre mois avant la formation du

 15   bataillon.

 16   Question    Je parle du mois de juillet, avez-vous, oui ou non, participé

 17   à cette attaque au mois de juillet menée contre Stari Vitez?

 18   Réponse:    Ce jour-là, pendant ces tirs qu'on a entendus, j'y ai

 19   participé. Je crois que vos termes sont beaucoup trop lourds, nous avons

 20   reçu un commandant, uniquement lors de la seconde moitié du mois de

 21   juillet. Cela s'est passé après les coups de feu entendus, après ce jour-

 22   là, nous avons eu beaucoup de morts, nous avons eu seulement notre

 23   commandant, quelqu'un qui est venu de la brigade pour organiser le tout.

 24   Je n'étais qu'un simple soldat avec mes voisins.

 25   Question    Vous aviez un uniforme, une arme, des insignes du HVO ou pas?


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  1   Réponse:    Non, ni arme ni uniforme ni insigne du HVO.

  2   Question    Vous êtes désigné le 18 juillet 1993, comme faisant partie de

  3   la Brigade de Vitez, et on ne vous équipe ni d'un uniforme ni d'une arme?

  4   Réponse:    C'est bien cela.

  5   Question    Il en allait de même pour vos voisins de nationalité croate?

  6   Réponse:    Je dois dire que oui…, disons, pour expliquer l'ordre de

  7   valeur et de grandeur de 80 à 93%. Il y avait peut-être un élément

  8   seulement d'uniforme, cela devrait rassembler à un soldat n'est-ce pas?

  9   Question    Vous pouvez nous parler et nous donner quelques informations

 10   sur ces voisins avec lesquels vous étiez de garde de temps à autres?

 11   Pouvez-vous nous donner quelques noms de ces personnes?

 12   Réponse:    Pourquoi pas? Tous mes voisins étaient là. A commencer… Par

 13   ordre, que ce soit d'un côté ou de l'autre, à commencer par moi.

 14   Question    Pour activer les choses, si vous le voulez bien, monsieur, je

 15   vais vous proposer des noms et vous allez m'indiquer si vous connaissez

 16   ces noms?

 17   Réponse:    Oui.

 18   Question    Monsieur Nikola Banic?

 19   Réponse:    Oui.

 20   Question    Ljuban Pavlovic?

 21   Réponse:    Ljuban Pavlovic, c'est un voisin, juste de l'autre côté de la

 22   route.

 23   Question: Monsieur Zvonko Mlakic?

 24   Réponse:    Oui, lui aussi, il résidait de l'autre côté de la route.

 25   Question    Monsieur Zoran Grabovac.


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  1   Réponse:    Oui, il résidait du côté qui était le mien quant à la route.

  2   Question    Connaissez-vous également un dénommé Vlado Drmic?

  3   Réponse:    Oui. Lui, il est peut-être le plus éloignée de chez moi, pour

  4   parler de mes voisins.

  5   Question    Avait-il un surnom ce monsieur?

  6   Réponse:    Oui. Beli.

  7   Question    Bijeli?

  8   Réponse:    Non, tout simplement Beli.

  9   Question    Cela a une signification particulière?

 10   Réponse:    Il était ainsi surnommé par sa mère. Il était blond.

 11   Question    Toutes ces personnes dont nous venons de parler, que vous

 12   confirmez être vos, les avez-vous rencontrés au cours de la nuit du 15 au

 13   16 avril 1993?

 14   Réponse:    Oui. Nikola Banic, étant donné que j'ai justement installé ma

 15   famille dans la maison à lui, c'est là que se rassemblaient- les gens, de

 16   60 à 70 personnes. Quant à Zvonko, lui, je ne sais pas… C'est quelqu'un

 17   qui était souvent querelleur quand ces jeux militaires...

 18   Question    Au cours de la nuit du 15 au 16 avril?

 19   Réponse:    Oui. Mais je n'ai pas vu Ljubomir Pavlovic, mais quant à

 20   Zvonko Mlakic, lui je l'ai vu.

 21   Question    Beli, Vlado Drmic?

 22   Réponse:    Je ne l'ai pas vu lui, pendant les première journée qui ont

 23   suivi.

 24   Question    Avait-il une responsabilité particulière quant à

 25   l'organisation de ces gardes dans le quartier?


Page 25104

  1   Réponse:    Je ne sais pas à quoi vous pensez très exactement?

  2   Question    Est-ce qu'il avait une autorité hiérarchique sur les autres

  3   habitants du quartier?

  4   Réponse:    Non. je pouvais peut-être sentir qu'il y avait là une

  5   hiérarchie, jusqu'au moment où je n'y étais pas inclus, étant donné que

  6   j'étais un peu politicien dans l'ancienne armée, mais comme j'étais

  7   simplement sapeur-pompier bénévole. Une fois inclus, j'ai senti cela comme

  8   une charge.

  9   Question    Est-ce que ce monsieur, Vlado Drmic, Beli, est devenu à un

 10   moment donn, en 1993, l'un de vos supérieurs?

 11   Réponse:    Supérieur, dans la véritable acceptation du terme, non. Il est

 12   vrai que c'est quelqu'un qui aime jouer la comédie pour faire l'important.

 13   Pour la formation de cette unité militaire formelle, il a été déchargé du

 14   déminage.

 15   Réponse:    Non, il ne l'a pas expliqué à la radio.

 16   Question:   D'après ce que vous avez indiqué tout à l'heure aussi, si je

 17   vous ai bien compris, vous avez appris, le lendemain ou quelques temps

 18   plus tard, qu'en fait la police musulmane avait retenu prisonniers vos

 19   collègues pompiers, cette nuit-là. C'est bien exact?

 20   Réponse:    J'ai appris un peu plus tard, autrement dit quand je suis

 21   retourné à la caserne des pompiers, ce qui aurait été normal, c'est que

 22   les gens qui n'auraient pas participé à l'intervention, participent au

 23   nettoyage des lieux et au remplissage des pompes, parce que, dans une

 24   demi-heure, il pouvait y avoir une autre intervention.

 25   Moi, quand je suis arrivé, j'ai vu que tout le monde était assis et que la


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  1   porte était fermée. J'ai donc commencé à parler. J'ai dit: "Mai que se

  2   passe-t-il?" Normalement, le travail se fait de façon différente. J'ai

  3   parlé à Dragan à cette fin; il m'a dit qu'il ne pouvait pas parler avec

  4   moi. Il y avait un policier à côté de lui; moi, ce policier, je n'ai pas

  5   considéré que c'était un ennemi et cela ne me dérangeait pas qu'il soit

  6   là. Mais lui ne voulait pas parler en sa présence. Ensuite, il s'est mis

  7   de côté et il m'a dit: "Mais on nous a forcés à rentrer à l'intérieur, on

  8   a été retenus prisonniers". Les autres étaient libres. C'est seulement au

  9   moment de cette intervention, à laquelle nous avons participé, que cela

 10   s'est passé.

 11   Question:   Cette Chambre a reçu, au cours de ce procès, des informations

 12   -en particulier du témoin Edib Zlotrg, un des policiers présents, qui

 13   faisait partie du commissariat musulman- selon lesquelles au cours de

 14   cette nuit, de cette nuit où la banque a été détruite, les Croates de

 15   Vitez, les membres de la caserne de pompiers qui étaient croates avaient

 16   tenté de s'emparer des véhicules qu'ils voulaient récupérer et faire venir

 17   dans la partie croate de Vitez. Il a indiqué que vous étiez l'une des

 18   personnes les plus actives dans cette opération.

 19   Ce n'est pas du tout la version que vous êtes en train de nous décrire. Je

 20   peux lire ce à quoi je fais référence: "La banque de Sarajevo a explosé.

 21   Darko Kraljevic était en charge de cette opération -c'est à cela que j'ai

 22   fait référence tout à l'heure. Au même moment, des membres croates de la

 23   brigade des pompiers volontaires de Vitez ont essayé d'entrer dans les

 24   locaux de la caserne et de  s'emparer des véhicules. Marijan Strukar, de

 25   Stari Vitez, et quelques autres ont joué un rôle essentiel dans cette


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  1   opération."

  2   Je précise à la Chambre qu'il s'agit d'un document déjà admis sous la

  3   référence Z332.2.

  4   Un rapide commentaire sur cette explication fournie par un enquêteur de

  5   police, présent sur les lieux à l'époque, et qui ne nous raconte pas du

  6   tout la même histoire que celle que vous êtes en train de nous indiquer?

  7   M. Mikulicic: Monsieur le Président, il serait peut-être bon, lorsqu'on

  8   demande au témoin de commenter un document, de lui soumettre ce document.

  9   M. le Président (interprétation): Essayons d'accélérer un peu.

 10   Monsieur Strukar, les allégations faites en moment consistent à dire que

 11   vous avez participé à la prise d'un certain nombre de véhicules. Dites-

 12   nous simplement oui ou non, est-ce vrai?

 13   M. Strukar (interprétation): Non.

 14   M. le Président (interprétation): Très bien.

 15   M. Strukar (interprétation): J'aimerais pouvoir apporter des explications

 16   pendant une minute.

 17   M. le Président (interprétation): Non, non. Essayons d'avancer.

 18   Maître Lopez-Terres, vous avez la parole.

 19   M. Lopez-Terres: Vous avez indiqué qu'avec des voisins de votre quartier

 20   de Stari Vitez, vous preniez à tour de rôle des tours de garde dans le

 21   quartier, au cours des mois qui ont précédé le mois d'avril 1993 et le

 22   mois d'avril 1993 lui-même. A l'époque, vous n'aviez donc aucun lien avec

 23   la Brigade de Vitez, vous n'apparteniez à aucune unité militaire: nous

 24   sommes bien d'accord?

 25   M. Strukar (interprétation): C'est exact à condition que vous ne


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  1   considériez pas les sapeurs-pompiers comme une unité militaire.

  2   Question:   Je parle des tours de garde; je ne parle plus de vos autres

  3   fonctions de sapeur-pompier. Lorsque vous preniez ces tours de garde avec

  4   vos collègues, vous le faisiez de façon spontanée et sans recevoir

  5   d'instruction d'une quelconque autorité militaire?

  6   (Signe affirmatif de la tête du témoin.)

  7   Réponse:    C'est exact.

  8   Question:   Vous nous avez dit, et avez produit un document à cet effet il

  9   y a quelques instants, n'avoir officiellement enregistré comme membre de

 10   la Brigade de Vitez qu'à partir du 18 mai 1993 et, ensuite, vous êtes

 11   resté dans cette brigade pendant tout la période jusqu'à la fin du

 12   conflit: nous sommes bien d'accord?

 13   Réponse:    Oui.

 14   Question:   Pouvez-vous nous donner des précisions sur l'unité à laquelle

 15   vous apparteniez, la compagnie, le bataillon?

 16   Réponse:    Il me faudra peut-être deux minutes. Jusqu'à la deuxième

 17   quinzaine du mois de juillet...

 18   Question:   Vous avez été militaire de la Brigade de Vitez: vous devez

 19   pouvoir me dire à quel bataillon, à quelle compagnie vous apparteniez,

 20   dans ce secteur n°5 de Stari Vitez?

 21   Réponse:    C'est exact. Mais j'étais prêt à vous le dire, mais je

 22   voudrais vous présenter les choses de la façon suivante: jusqu'à la

 23   deuxième quinzaine du mois de juillet 1993, il n'y a pas eu de véritable

 24   structure militaires. A ce moment-là, nous avons reçu un commandant et les

 25   choses ont un peu changé. Je crois que c'est d'ailleurs seulement dans la


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  1   deuxième quinzaine du mois de novembre que cette unité a été formée, dont

  2   j'ai fait partie et qui s'appelait le 5e Bataillon.

  3   C'étaient des structures militaires auxquelles nous donnions des noms et

  4   qui gravitaient dans le secteur de Mahala. C'est donc seulement vers la

  5   fin du mois de novembre qu'au sein de la Brigade de Vitez, une unité a été

  6   créée qui s'appelait le 5e Bataillon. Je faisais partie de ce 5e

  7   Bataillon.

  8   Question:   Avez-vous exercé des fonctions particulières au sein de la

  9   brigade ou étiez-vous un simple soldat?

 10   Réponse:    Jusqu'à la création du bataillon, j'étais simple soldat. Au

 11   moment où le 5e Bataillon a été créé, j'ai reçu le poste d'adjoint au

 12   commandant du bataillon, chargé de ce que l'on appelait à l'époque la

 13   politique, c'est-à-dire la formation.

 14   Question:   Je vais peut-être vous rafraîchir un peu la mémoire par le

 15   document que je vais vous présenter. C'est un document signé par M.

 16   Marijan Strukar, qui est effectivement adjoint du commandant, chargé de la

 17   propagande et de l'information. Mais il s'agit du 4e Bataillon et de la 3e

 18   Compagnie.

 19   Je voudrais que vous regardiez ce document: il s'agit du document Z1220.1.

 20   Peut-on présenter la version en langue BCS à M. Strukar? Et mettre la

 21   version anglaise sur le rétroprojecteur? Vous avez ce document sous les

 22   yeux.

 23   Monsieur Strukar, est-ce un document que vous reconnaissez et que vous

 24   avez signé?

 25   Réponse:    Oui, je le reconnais, je l'ai écrit à la main. Je ne me


Page 25109

  1   rappelle pas à quel moment ce manuscrit a été dactylographié. Mais c'est

  2   ma signature.

  3   Question:   Le document porte bien la date du 28 septembre 1993, nous

  4   sommes d'accord?

  5   Réponse:    Oui.

  6   Question    Une petite question au passage: la signature qui apparaît sur

  7   la partie supérieure droite, vous la reconnaissez?

  8   Réponse:    Non.

  9   Question    Elle ressemble beaucoup à la signature de M. Cerkez. Vous avez

 10   donc exercé des fonctions d'assistant, chargé -je le répète- de ce que

 11   l'on appelait à l'époque IPD, c'est-à-dire la propagande et l'information.

 12   Je suppose qu'on ne confiait pas ces fonctions à n'importe qui au sein

 13   d'une unité militaire? Quand il s'agit de s'occuper de la propagande, ne

 14   s'agit-il pas de faire passer un message vis-à-vis des autres militaires,

 15   de faire passer des directives, de faire passer une politique vis-à-vis

 16   des autres militaires?

 17   Réponse:    Eh bien, ce serait à peu près cela, mais je ne suis pas

 18   entièrement d'accord avec vous en raison de quelque chose que je n'ai

 19   jamais dit dans ce prétoire encore. Chez nous, dans notre pays, dans le

 20   système qui avait cours avant, donc dans l'armée précédente, j'étais une

 21   espèce d'adjoint chargé de l'IPD. Cela s'appelait un commissaire à

 22   l'époque. Quelqu'un qui avait quelques connaissances à ce sujet au cours

 23   d'une guerre. Lorsqu'une certaine politique s'est modifiée en Bosnie-

 24   Herzégovine et en Yougoslavie, bien entendu, je n'étais pas d'accord avec

 25   cette politique, car j'étais un homme politique appartenant à l'ancienne


Page 25110

  1   armée. Lorsqu'à Vitez, la situation est devenue telle que l'on ne savait

  2   plus si l'on resterait en vie, mon commandant qui est venu me voir au mois

  3   de juillet m'a demandé au mois de septembre de rédiger un document de ce

  4   genre, c'est-à-dire une évaluation de la sécurité de notre unité.

  5   Je vois ce qui est écrit ici. Je vois qu'il est écrit "Unité de ligne de

  6   défense, 3e Compagnie, 3e Bataillon". J'ai écrit cela parce que je n'étais

  7   pas encore expert. C'est plus tard que ce commandant, mon commandant m'a

  8   dit que la bataillon avait été créé. Il est allé à la brigade, il a lu

  9   cela. Il a dit: "Oui, effectivement, les gens là-haut, il faut qu'ils

 10   s'organisent". C'était tout simplement une question de papiers. C'est à ce

 11   moment-là, qu'on nous a donné le nom de 4e Bataillon.

 12   Peut-être que j'ai écrit 4e Bataillon dans ce texte parce que, pour moi,

 13   cela me semblait logique parce qu'à ce moment-là, la brigade avait quatre

 14   bataillons, il me semblait logique que nous soyons la dernière. C'était

 15   pour cette raison. Autrement dit, jusqu'à ce moment-là, je n'étais rien de

 16   spécial. Ce texte, je l'ai écrit en qualité de simple soldat. Et ensuite,

 17   je l'ai recopié quand nous sommes devenus un bataillon.

 18   Question    Vous l'avez écrit comme simple soldat mais il est quand même

 19   signé comme adjoint chargé de la propagande et de l'information?

 20   Réponse:    Sans doute, quand cela a été dactylographié.

 21   Question    Ce bataillon, auquel vous apparteniez, qu'il s'agisse du

 22   quatrième ou du cinquième, était bien dans la zone de Stari Vitez, ce que

 23   vous appeliez Mahala?

 24   Réponse:    Oui.

 25   Question    Cette Chambre a reçu de nombreuses informations et témoignages


Page 25111

  1   selon lesquels la zone de Stari Vitez, après le 16 avril 1993 et jusqu'à

  2   en février 1994, a été encerclée par les soldats du HVO et a fait l'objet

  3   de nombreuses attaques par les forces du HVO? Etes-vous d'accord avec moi?

  4   Réponse:    Je ne suis pas d'accord avec les termes que vous avez utilisés

  5   "attaque sur Mahala" car, pendant une grande partie de notre guerre, il

  6   était dangereux pour nous et pour eux… Le danger régnait des deux côtés,

  7   quand quelqu'un tirait une balle de notre côté, en face, on en retirait

  8   deux et quand eux tiraient une balle, ils en recevaient deux chez nous.

  9   C'était difficile de distinguer.

 10   Question    Qui encerclait qui à Stari Vitez?

 11   Réponse:    Je me souviens d'une réponse que j'ai entendue. Une femme a

 12   posé par téléphone à sa sœur la question que vous venez vous-même de

 13   poser. La réponse a été: "Comme, dans l'œuf, on a le blanc, c'est une

 14   chose, on a le jaune, c'est une deuxième, et puis il y a l'œuf". Par

 15   exemple, là où était ma maison…

 16   Question    Non, le jaune, c'étaient les Musulmans, le blanc, c'étaient

 17   nous, à Vitez, les Croates, et la coquille était encore les Musulmans.

 18   Question    Vous avez participé à ces opérations militaires sur Stari

 19   Vitez pendant toute cette période, puisque vous étiez affecté sur cette

 20   zone?

 21   Réponse:    La ligne passait par ma maison, j'y suis resté pratiquement

 22   tout le temps.

 23   Question    Au mois de juillet 1993, il y a eu une attaque importante qui

 24   a été menée contre Mahala ou Stari Vitez par les forces du HVO. Avez-vous

 25   participé à cette opération?


Page 25112

  1   Réponse:    Oui. Nous avons tous participé, tous qui étions là-bas.

  2   Question    Quelles étaient les unités qui ont participé à cette

  3   opération, à votre connaissance?

  4   Réponse:    Autant que je m'en souvienne, je me trouvais là où il y avait

  5   mes collègues, mes voisins. Et notre tâche…

  6   Question    Monsieur Strukar, ne me parlez pas toujours des voisins. Nous

  7   sommes dans une structure militaire. Vous nous avez dit que vous

  8   apparteniez à un bataillon, vous rédigez des rapports pour une compagnie.

  9   Vous allez devenir officier adjoint chargé de la propagande et de

 10   l'information, donc cessez de nous parler de ces gardes avec les voisins.

 11   Réponse:    Oui, je sais mais je crois que vous avez un peu confondu avec

 12   les événements qui se sont déroulés quatre mois avant la formation du

 13   bataillon.

 14   Question    Je parle du mois de juillet: avez-vous, oui ou non, participé

 15   à cette attaque au mois de juillet, menée contre Stari Vitez?

 16   Réponse:    Ce jour-là, pendant ces tirs qu'on a entendus, j'y ai

 17   participé. Je crois que vos termes sont beaucoup trop lourds. Nous avons

 18   reçu un commandant, uniquement lors de la seconde moitié du mois de

 19   juillet. Cela s'est passé après les coups de feu entendus: après ce jour-

 20   là, nous avons eu beaucoup de morts, nous avons eu seulement notre

 21   commandant, quelqu'un qui est venu de la brigade pour organiser le tout.

 22   Je n'étais qu'un simple soldat avec mes voisins.

 23   Question    Vous aviez un uniforme, une arme, des insignes du HVO ou pas?

 24   Réponse:    Non, ni arme ni uniforme ni insigne du HVO.

 25   Question    Vous êtes désigné le 18 juillet 1993, comme faisant partie de


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  1   la Brigade de Vitez, et l'on ne vous équipe ni d'un uniforme ni d'une

  2   arme?

  3   Réponse:    C'est bien cela.

  4   Question    Il en allait de même pour vos voisins de nationalité croate?

  5   Réponse:    Je dois dire que oui, disons, pour expliquer l'ordre de valeur

  6   et de grandeur de 80 à 93%. Il y avait peut-être un élément seulement

  7   d'uniforme; cela devrait rassembler à un soldat n'est-ce pas?

  8   Question    Vous pouvez nous parler et nous donner quelques informations

  9   sur ces voisins avec lesquels vous étiez de garde de temps à autres?

 10   Pouvez-vous nous donner quelques noms de ces personnes?

 11   Réponse:    Pourquoi pas? Tous mes voisins étaient là. A commencer… Par

 12   ordre, que ce soit d'un côté ou de l'autre, à commencer par moi.

 13   Question    Pour activer les choses, si vous le voulez bien, Monsieur, je

 14   vais vous proposer des noms et vous allez m'indiquer si vous connaissez

 15   ces noms?

 16   Réponse:    Oui.

 17   Question    Monsieur Nikola Banic?

 18   Réponse:    Oui.

 19   Question    Ljuban Pavlovic?

 20   Réponse:    Ljuban Pavlovic, c'est un voisin, juste de l'autre côté de la

 21   route.

 22   Question:   Monsieur Zvonko Mlakic?

 23   Réponse:    Oui, lui aussi, il résidait de l'autre côté de la route.

 24   Question    Monsieur Zoran Grabovac?

 25   Réponse:    Oui, il résidait du côté qui était le mien quant à la route.


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  1   Question    Connaissez-vous également un dénommé Vlado Drmic?

  2   Réponse:    Oui. Lui, il est peut-être le plus éloigné de chez moi, pour

  3   parler de mes voisins.

  4   Question    Avait-il un surnom ce monsieur?

  5   Réponse:    Oui. Beli.

  6   Question    Bijeli?

  7   Réponse:    Non, tout simplement Beli.

  8   Question    Cela a une signification particulière?

  9   Réponse:    Il était ainsi surnommé par sa mère. Il était blond.

 10   Question    Toutes ces personnes dont nous venons de parler, que vous

 11   confirmez être vos voisins, les avez-vous rencontrés au cours de la nuit

 12   du 15 au 16 avril 1993?

 13   Réponse:    Oui. Nikola Banic, étant donné que j'ai justement installé ma

 14   famille dans la maison à lui, c'est là que se rassemblaient les gens, de

 15   60 à 70 personnes. Quant à Zvonko, lui, je ne sais pas… C'est quelqu'un

 16   qui était souvent querelleur quand ces jeux militaires...

 17   Question    Au cours de la nuit du 15 au 16 avril?

 18   Réponse:    Oui. Mais je n'ai pas vu Ljubomir Pavlovic. Mais quant à

 19   Zvonko Mlakic, lui, je l'ai vu.

 20   Question    Beli, Vlado Drmic?

 21   Réponse:    Je ne l'ai pas vu lui, pendant les premières journées qui ont

 22   suivi.

 23   Question    Avait-il une responsabilité particulière quant à

 24   l'organisation de ces gardes dans le quartier?

 25   Réponse:    Je ne sais pas à quoi vous pensez très exactement?


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  1   Question    Est-ce qu'il avait une autorité hiérarchique sur les autres

  2   habitants du quartier?

  3   Réponse:    Non. je pouvais peut-être sentir qu'il y avait là une

  4   hiérarchie, jusqu'au moment où je n'y étais pas inclus, étant donné que

  5   j'étais un peu politicien dans l'ancienne armée. Mais comme j'étais

  6   simplement sapeur-pompier bénévole, une fois inclus, j'ai senti cela comme

  7   une charge.

  8   Question    Est-ce que ce monsieur, Vlado Drmic, Beli, est devenu à un

  9   moment donné, en 1993, l'un de vos supérieurs?

 10   Réponse:    Supérieur, dans la véritable acceptation du terme, non. Il est

 11   vrai que c'est quelqu'un qui aime jouer la comédie pour faire l'important.

 12   Pour la formation de cette unité militaire formelle, il a été chargé du

 13   déminage.

 14   Question:   Les noms que vous venez de nous indiquer correspondent-ils à

 15   des personnes qui, elles aussi, ont été intégrées dans la Brigade de Vitez

 16   au moment où vous, vous l'avez été?

 17   Réponse:    Encore une fois, je dois un peu essayer de tirer au clair:

 18   s'agit-il du nom que je viens de mentionner ou bien des noms?

 19   Question:   MM. Drmic, Pavlovic, Grabovac, Banic, Mlakic ont-ils aussi

 20   reçu un document de la Brigade de Vitez disant qu'ils étaient affectés à

 21   la brigade?

 22   Réponse:    Je crois que oui. Quant à moi-même, je viens seulement de

 23   retrouver ce papier quelque part dans ma maison.

 24   Question:   Nous avons commencé à parler de cette journée du 15 et du 16

 25   avril, et donc du témoignage que vous avez donné tout à l'heure. Une


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  1   première question me vient à l'esprit, Monsieur Strukar: vous avez déjà

  2   déposé dans ce Tribunal, dans le cadre d'une autre affaire?

  3   Réponse:    Oui.

  4   Question:   C'est bien le 14 janvier 1999 que vous avez déposé ici, comme

  5   témoin de la défense, dans l'affaire du général Blaskic?

  6   Réponse:    Je sais que c'était au mois de janvier, peut-être le 14,

  7   probablement vos informations sont plus précises.

  8   Question:   Vous étiez bien témoin de la défense?

  9   Réponse:    Oui.

 10   Question:   Vous avez déposé publiquement, comme vous le faites

 11   aujourd'hui?

 12   Réponse:    Oui.

 13   Question:   Avez-vous eu la possibilité de relire les déclarations que

 14   vous aviez faites à l'époque, donc le 14 janvier 1999, avant de venir

 15   déposer aujourd'hui?

 16   Réponse:    Non.

 17   Question:   Le 14 janvier, comme vous l'avez fait aujourd'hui, vous avez

 18   prêté serment devant la Chambre qui vous entendait alors?

 19   Réponse:    Oui.

 20   Question:   Je vais donc être obligé de reprendre cette déposition avec

 21   vous parce que, depuis le 14 janvier 1999, il semble que vous ayez des

 22   problèmes de mémoire.

 23   Un premier point, d'abord: vous nous avez indiqué avoir constaté la

 24   création d'une tranchée à proximité du quartier dans lequel vous habitiez.

 25   Aviez-vous fait état de cette information lors de votre déposition dans


Page 25117

  1   l'affaire Blaskic?

  2   Réponse:    Je ne m'en souviens pas. Vous venez de dire "à proximité du

  3   quartier où je résidais". C'est vrai qu'il s'agit de Mahala mais je n'ai

  4   pas dit "à côté de ma maison", j'ai dit "près du terrain de football". Je

  5   ne savais pas si les questions allaient dans ce sens.

  6   Question:   La question que je vous pose, c'est: avez-vous le souvenir

  7   d'avoir parlé, lorsque vous avez déposé dans l'affaire Blaskic, de

  8   l'existence d'une tranchée creusée par des Musulmans à proximité de votre

  9   quartier?

 10   Réponse:    Je ne m'en souviens vraiment pas. Peut-être que c'était une

 11   première fois, pour moi, de déposer devant un Tribunal.

 12   Question:   Vous ne pouvez pas vous en souvenir puisque vous ne l'avez pas

 13   fait à l'époque. La question que je vous pose est: pour quelle raison

 14   n'avez-vous pas signalé l'existence de cette tranchée que des Musulmans

 15   auraient creusée en direction des Croates, comme vous venez de nous le

 16   dire aujourd'hui? C'est la première fois que vous en parlez.

 17   Réponse:    Oui. Voyez-vous, autant que je puisse faire un effort pour

 18   expliquer, vous-même et M. le conseil de la défense, vous référez à des

 19   réponses que j'aurais données à telle ou telle question. Mais peut-être

 20   que jamais personne ne m'a posé une question de ce genre, à cette époque-

 21   là.

 22   Question:   Et la présence de cette tranchée ne vous était pas apparue

 23   comme suffisamment grave ou importante pour que vous la signaliez

 24   spontanément au conseil de la défense à l'époque?

 25   Réponse:    Je ne sais pas. Les avocats de la défense ne m'ont pas demandé


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  1   de raconter toute ma vie pour que l'on puisse faire un choix de ce qui

  2   intéresse ici les gens. Tout simplement, j'ai essayé de donner des

  3   réponses à des questions qui m'ont été posées. Mais, en 1992, il y avait

  4   tant de détails, des centaines de détails...

  5   M. Lopez-Terres: J'ai donc indiqué que vous aviez ajouté (inaudible)...

  6   Je voudrais que nous parlions maintenant des éléments qui ne figurent plus

  7   dans la version que vous avez donnée aujourd'hui de ce qui s'est passé les

  8   15 et 16 avril et les jours suivants. Tout d'abord, est-il exact, oui ou

  9   non, que le soir du 15 avril vers 19 heures 30, quelqu'un est venu vous

 10   voir en vous disant: "Les Musulmans sont en train de préparer quelque

 11   chose"?

 12   Réponse:    Oui, à peu près. Ce serait une phrase que j'aurais prononcée

 13   lors de cette première déposition mais tout dépend de la façon dont on

 14   l'interprète. Pendant ces gardes villageoises, j'avais dit notamment que

 15   ces gardes duraient pendant quelques jours et puis il n'y avait pas de

 16   gardes pendant quelques jours. Après, on les reprenait encore, etc.

 17   Pendant cette période-là, ce n'était pas si fréquent que cela. Et ce soir,

 18   peut-être qu'un ami était venu pour me dire: "Allez, tu vas faire ton tour

 19   de garde". Oui, probablement quelqu'un, par mes voisins, est venu me le

 20   dire. Il n'y avait pas une liste d'après laquelle on devait dire: "Voilà,

 21   c'est ton tour de garde maintenant".

 22   Question:   Au cours de la même nuit, avez-vous eu d'autres voisins qui

 23   sont venus vous donner des informations sur ce qui était susceptible de se

 24   passer? Vous n'en avez pas parlé, aujourd'hui.

 25   Réponse:    J'ai dit qu'il y avait un lieu de rassemblement à une distance


Page 25119

  1   de 200 ou 300 mètres de chez moi où encore, quand on était jeunes gens, on

  2   se rassemblait. C'est là que des gens venaient, on entendait des rumeurs

  3   comme quoi il avait fallu faire ceci ou cela, prendre telle ou telle

  4   initiative.

  5   Peut-être que j'ai appris que, pour un premier tour de rôle, j'étais

  6   libre. Par conséquent, j'ai pu rentrer chez moi. Vous comprenez, ce n'est

  7   pas une institution, un bâtiment ici comme ici à La Haye; il s'agit de

  8   maisons à quelques mètres les unes des autres.

  9   Question:   Au cours de la nuit dont nous parlons, vous avez déclaré,

 10   lorsque vous avez déposé en janvier 1999, que quelqu'un était venu chez

 11   vous en pleine nuit, aux environs de 3 heures ou 3 heures 30. Et à la

 12   suite de cette visite, vous aviez réveillé vos enfants, réveillé votre

 13   femme et vous étiez partis chez un voisin qui était M. Nikola Banic. Vous

 14   nous avez dit aujourd'hui que vous avez passé la nuit chez vous; vous

 15   n'avez absolument pas parlé ni de votre femme ni de vos enfants.

 16   La question que je vous pose est: est-ce que, oui ou non, au cours de la

 17   nuit, vous avez transféré, vous avez réveillé votre femme et vos enfants

 18   et leur avez demandé de se rendre dans un bâtiment où ils seraient en plus

 19   grande sûreté?

 20   Réponse:    Il est difficile de répondre par oui ou non. Si j'apparais une

 21   troisième fois pour déposer, quelqu'un pourrait me dire qu'évidemment,

 22   précédemment, je n'avais rien dit là-dessus. Il est vrai d'abord que je

 23   m'y suis rendu.

 24   M. Bennouna: La question qui est posée est très simple. Vous devriez

 25   pouvoir répondre par oui ou non. C'est une question de fait, ce n'est pas


Page 25120

  1   une question qui va évoluer dans le temps: que s'est-il passé cette nuit-

  2   là? Avez-vous passé la nuit... La question qui vous est posée par le

  3   Procureur est: est-ce que vous avez passé la nuit chez vous ou est-ce que

  4   vous avez quitté avec votre famille au cours de la nuit?

  5   Vous devriez pouvoir répondre à cette question de façon précise.

  6   M. Strukar (interprétation): Nous pourrions, en ce qui nous concerne,

  7   hommes de Vitez, répondre à de telles questions s'il s'agissait

  8   d'événements qui s'étaient produits ici dans le prétoire. Mais une autre

  9   réponse simple, par oui ou par non, fait qu'on serait dans son tort.

 10   Lorsque j'ai dit que j'étais éveillé et que j'avais eu la permission de me

 11   rendre jusqu'à minuit chez moi, et qu'après minuit, je devais être

 12   éveillé... Je dois dire que chez nous, là-bas, on ne se couche jamais

 13   avant 11 heures du soir ou minuit. Tout simplement, on a été un petit peu

 14   agités et...

 15   M. Lopez-Terres: Puisque vous ne paraissez pas comprendre ni la question

 16   que je vous pose ni celle que M. le Juge Bennouna a bien voulu vous

 17   reposer, avez-vous déclaré, oui ou non, le 14 janvier 1999, qu'au cours de

 18   la nuit, après qu'un voisin fut passé à votre maison, vous avez réveillé

 19   votre femme, vos enfants et vous êtes parti avec eux vous abriter dans la

 20   maison de M. Nikola Banic?

 21   Vous avez indiqué à l'époque que cela se passait aux environs de 3 heures

 22   ou de 3 heures 30 du matin. Vous n'avez pas du tout passé la nuit comme

 23   vous l'avez affirmé aujourd'hui dans votre maison?

 24   Réponse:    A aucun moment, je n'ai dit avoir passé la nuit dans ma

 25   maison. Je vous avais dit tout à l'heure "pour nous mettre à l'abri".


Page 25121

  1   Après minuit, j'étais éveillé. Mon collègue, avec qui j'étais assis, m'a

  2   dit: "Ecoute, il serait plus intelligent de transférer les tiens chez moi.

  3   On ne sait jamais ce qui peut se passer." C'était la vingt et unième fois

  4   que j'en faisais autant pendant ces trois mois qui se sont écoulés de la

  5   sorte. Il n'y avait rien de nouveau là-dedans.

  6   Question:   Simplement, vous nous confirmez ce que vous nous avez dit en

  7   janvier. Il s'agit de quelque chose que vous n'avez absolument pas signalé

  8   aujourd'hui et qui ne figure pas non plus dans le résumé écrit qui a été

  9   présenté en votre nom, où il est indiqué que vous avez passé la nuit à

 10   monter la garde et que vous êtes resté ensuite dans votre cave à l'abri. A

 11   aucun moment, vous ne faites état de ce déplacement et du réveil de votre

 12   famille ni de la maison de M. Banic. C'est parce que j'insiste que vous en

 13   parlez, Monsieur Strukar.

 14   M. le Président (interprétation): Une seconde, s'il vous plaît. Monsieur

 15   Lopez-Terres, nous avons bien saisi cette différence dans la déposition.

 16   Je crois qu'il n'y a guère besoin d'y aller plus avant. Je vous prie de

 17   bien vouloir achever cet interrogatoire. Nous avons encore cinq témoins à

 18   entendre.

 19   M. Lopez-Terres: Il y a de telles contradictions entre la version donnée

 20   devant le procès M. Blaskic et la version qui vous est donnée par le

 21   résumé et par le témoin aujourd'hui, qu'il me paraît de mon devoir de

 22   faire état de ces contradictions. Si, pour des raisons de rapidité, il est

 23   nécessaire d'aller plus vite, je ne vois pas d'autre solution que de vous

 24   demander d'admettre le transcript du témoin comme pièce à conviction. Il y

 25   a des éléments d'information sur lesquels je vais insister parce qu'ils me


Page 25122

  1   paraissent fondamentaux. Celui-ci n'était qu'un premier élément.

  2   M. le Président (interprétation): Monsieur Lopez-Terres, nous sommes en

  3   quelque sorte entre vos mains. S'il y a quelque chose d'important, bien

  4   sûr, vous devez le dire. mais ayez toujours à l'esprit que vraiment le

  5   temps nous est précieux.

  6   M. Lopez-Terres: Je vais résumer rapidement ce que j'ai retiré de la

  7   déclaration du témoin, M. Strukar, en janvier 1999, dans le cadre du

  8   procès Blaskic.

  9   M. Mikulicic (interprétation): Je prie, Monsieur le Président, que mon

 10   collègue veuille bien se référer au numéro de la page.

 11   M. le Président (interprétation): Oui, lorsque vous le dites, Monsieur

 12   Lopez-Terres, je vous prie de vous référer à la numérotation du

 13   transcript.

 14   M. Lopez-Terres: Il s'agit de la pagination de la version anglaise dont je

 15   disposais. L'événement dont je viens de parler, c'est-à-dire le réveil de

 16   votre épouse et de vos enfants, figure à la page 16899.

 17   N'avez-vous pas indiqué, au cours de cette même déposition dans le cadre

 18   du procès Blaskic, à la page 16900, que quelqu'un -que vous n'avez pas

 19   précisé- est venu au cours de la nuit et vous a indiqué, après que vous

 20   avez eu transféré votre famille, alors que vous étiez avec ces autres

 21   hommes de quartier: "Ne vous inquiétez pas: un groupe de jeunes gens de

 22   Nova Bila est arrivé. Ce sont des soldats aguerris". Page 16900.

 23   L'avez-vous dit oui ou non?

 24   Réponse:    Vous voulez que je réponde toujours par oui ou par non. Cela

 25   s'est passé vers l'aube où l'on ne sait pas exactement ce que l'on fait.


Page 25123

  1   La peur est présente. Quelqu'un a dit: "N'ayez aucune crainte, des jeunes

  2   gens viendront pour arranger tout cela."

  3   Question:   Il ne s'agit pas de gens qui viendront. La personne est venue

  4   vous dire: "Ne vous inquiétez pas, des jeunes gens sont arrivés de Nova

  5   Bila. Ce sont de bons soldats." C'est ce qui est indiqué.

  6   Réponse:    Mais lorsque vous le prononcez de la sorte, cela ne correspond

  7   pas à la réalité.

  8   Question:   Je ne fais que relire ce que vous avez dit en janvier 1999. A

  9   propos de ces mêmes gens, de ces mêmes hommes de Nova Bila, vous avez

 10   indiqué également que vous les avez vus au cours de la nuit. Vous les avez

 11   vu rôder autour de vos maisons, vous avez vu qu'ils étaient en uniformes.

 12   Je vais indiquer toutes les références, monsieur le Président. Vous avez

 13   vu qu'ils expulsaient les Musulmans de leurs maisons, vous avez vu qu'ils

 14   disposaient d'un canon avec lequel ils tiraient, vous avez même décrit ce

 15   canon. Vous avez indiqué que, comme ils expulsaient les Musulmans de leurs

 16   maisons, ils les ont poussés vers vos maisons à vous. Ces Musulmans ont

 17   été regroupés dans quatre maisons croates du quartier.

 18   Je peux donner les références maintenant, Monsieur le Président. Page

 19   16902, à propos des Musulmans qui sont expulsés de leurs maisons par ces

 20   hommes de Nova Bila, ces hommes de Nova Bila qui avaient un canon. Vous

 21   avez dit avoir entendu tirer ce canon. Vous l'avez décrit: un canon de 20

 22   millimètres. C'était un canon monté sur un plateau, un canon anti-aérien à

 23   trois tubes. Vous avez vu ce canon, page 16970. "Les Musulmans ont été

 24   regroupés dans les maisons de Nikola Banic, Slavko Blaz, Slavko Batinic,

 25   Ivan Tihi (?), page 16935.


Page 25124

  1   M. le Président (interprétation): Nous allons maintenant avoir une

  2   suspension d'audience pour que le témoin puisse répondre à toutes ces

  3   questions.

  4   Avez-vous vu ces jeunes gens expulser les Musulmans de leur maison?

  5   Réponse:    Excusez-moi, Monsieur le Juge. C'est à peu près cela, mais je

  6   ne peux pas répondre à l'avocat de l'accusation par oui ou non. On veut se

  7   référer à ce que j'aurais pu ou n'aurais pas pu voir au cours de la nuit.

  8   C'était donc après, le lendemain, une fois le jour levé, lorsque l'on a pu

  9   voir quelque chose si jamais quelque chose est arrivé.

 10   M. le Président (interprétation): Vous avez vu les Musulmans expulsés de

 11   leurs maisons, n'est-ce pas?

 12   M. Strukar (interprétation): Non.

 13   M. le Président (interprétation): Pourquoi l'avez-vous dit?

 14   M. Strukar (interprétation): Je ne sais pas ce qui est écrit dans le

 15   procès-verbal. Je ne l'ai pas vu. Mais les Musulmans disaient ainsi, ceux

 16   qui sortaient de leur maison et allaient vers des maisons où se trouvaient

 17   déjà regroupés des civils. Si on appelle cela expulsion…!

 18   Je ne sais pas si je me fais bien entendre. Il ne s'agit pas de distances

 19   de plusieurs kilomètres, mais de quelques dizaines de mètres.

 20   M. Lopez-Terres: La page 16902 est formelle sur ce point, Monsieur le

 21   Président.

 22   M. le Président (interprétation): Je crois que nous allons adopter le

 23   transcript et nous allons entendre également ce que Me Mikulicic a à dire

 24   là-dessus, après la suspension d'audience. Pour économie de temps, vous

 25   pouvez peut-être nous renvoyer à des parties du transcript, telles que


Page 25125

  1   vous les avez visées. Nous n'avons pas le temps de faire la lecture de

  2   l'ensemble du transcript. Autrement, on ne s'en tirera jamais. Nous devons

  3   nous dépêcher.

  4   Ce que vous pouvez faire, c'est indiquer là où il y a le plus de

  5   désaccords, pas ceux que vous considérez comme minimes: les désaccords

  6   considérés comme les plus importants.

  7   Suspension d'audience jusqu'à 14 heures 30.

  8   Monsieur Strukar, ne parlez à personne de votre déposition.

  9   (L'audience, suspendue à 13 heures 05, est reprise à 14 heures 40.)

 10   M. le Président (interprétation): Monsieur Lopez-Terres?

 11   M. Mikulicic (interprétation): Monsieur le Président?

 12   M. le Président (interprétation): Oui, Maître Mikulicic.

 13   (Questions relatives à la procédure.)

 14   M. Mikulicic (interprétation): Monsieur le Président, si vous me le

 15   permettez, j'aimerais conformément à votre décision parler de la situation

 16   dans laquelle nous nous trouverons et je le ferai le plus brièvement

 17   possible.

 18   Il est manifeste que le collègue de l'accusation provoque un témoin qui

 19   dit la vérité. Il le fait en présentant des éléments émanant du témoignage

 20   de M. Blaskic et au sujet desquels je ne lui ai posé aucune question lors

 21   de mon interrogatoire principal. Dans ce sens, le contre-interrogatoire ne

 22   correspond pas à l'article 90(a) du Règlement, car il ne s'appuie pas sur

 23   l'interrogatoire principal. Cela étant, je n'ai pas élevé d'objections à

 24   ce sujet jusqu'à présent car je considérais qu'une telle manière

 25   d'interroger le témoin pouvait être acceptable dans la mesure où il


Page 25126

  1   s'agissait de vérifier la crédibilité du témoin.

  2   Cependant, M. Lopez-Terres tient à montrer des contradictions dans la

  3   déposition de ce témoin, et, sur le fond, il ne compare pas deux

  4   affirmations ou deux déclarations de natures différentes. Il se contente

  5   d'invoquer une seule déclaration, une seule affirmation, celle dans

  6   laquelle le témoin, au cours de l'interrogatoire principal, n'a reçu

  7   aucune question de ma part.

  8   Le concept d'interrogatoire contradictoire implique l'existence, au moins,

  9   de deux affirmations différentes et en aucun cas l'existence d'une seule

 10   affirmation. Donc, à mon avis, M. Lopez-Terres aurait dû d'abord

 11   interroger le témoin sur un fait particulier et, ensuite, lui soumettre

 12   une déclaration faite antérieurement et éventuellement contradictoire et

 13   ce, en plaçant le texte sur le rétroprojecteur de façon à ce que chacun

 14   d'entre nous dans le prétoire, et notamment les Juges, puisse voir de quoi

 15   il est question exactement. C'est seulement dans un deuxième temps qu'il

 16   aurait fallu permettre au témoin de se prononcer au sujet de cette

 17   éventuelle contradiction.

 18   Or, les choses ne se sont absolument pas passées de cette façon. Au lieu

 19   de cette façon de procéder qui, à mon avis, constitue une manière

 20   équitable de s'adresser au témoin, M. Lopez-Terres a lu une partie d'une

 21   déclaration du témoin qui sort du champ de l'interrogatoire principal.

 22   De cette façon, il a proposé au témoin ses propres commentaires sur ce

 23   passage.

 24   Je m'oppose donc à cette façon de procéder et à l'admission de cet élément

 25   de preuve, car je considère que cette façon d'interroger le témoin n'est


Page 25127

  1   pas conforme au Règlement de procédure et de preuve de ce Tribunal.

  2   M. le Président (interprétation): Ce n'est pas exact. En fait, il a été

  3   conforme au Règlement du Tribunal, sinon nous l'aurions exclu. Vous pouvez

  4   contredire un témoin en lui soumettant ce qu'il a dit dans une situation

  5   antérieure et ce, surtout lorsque cette déclaration a été faite avec

  6   déclaration solennelle. Ce n'est donc pas contraire au Règlement. Il est

  7   tout à fait normal de tester la crédibilité du témoin. La méthode utilisée

  8   permet de vérifier ce qu'a dit le témoin mais cette méthode est une

  9   question différente. Nous pouvons discuter de la méthode.

 10   Monsieur Lopez-Terres, avez-vous encore beaucoup de questions à poser à ce

 11   témoin?

 12   M. Lopez-Terres: Beaucoup de questions, non. Puisqu'il s'agit d'une

 13   question de méthode, je tiens à rappeler encore une fois que je n'étais

 14   pas en mesure de faire apparaître des contradictions puisqu'en l'espèce,

 15   il n'y a pas de contradiction mais simplement des omissions. La Chambre

 16   s'est vu remettre un résumé et aujourd'hui un témoignage, qui ne

 17   comportent pas un grand nombre de faits que le témoin avait évoqués dans

 18   le cadre du procès Blaskic. L'objet principal était de faire apparaître

 19   ces omissions. Conformément à votre demande, Monsieur le Président, j'ai

 20   au cours des instants qui ont séparé la pause...

 21   M. Bennouna: Pardon, Maître Lopez-Terres. Avant d'aller plus loin, vous

 22   pouvez faire… Je crois qu'il y a un point qui me paraît fondé dans ce que

 23   Me Mikulicic vient de nous dire, c'est que vous devez quand même fonder

 24   votre contre-interrogatoire à partir de l'interrogatoire principal, du

 25   témoignage principal. Cela, c'est le Règlement de preuve et de procédure.


Page 25128

  1   Vous contre-interrogez le témoin à partir de ce qui a été dit au

  2   principal. Alors, vous pouvez effectivement rappeler certains éléments que

  3   Me Mikulicic lui a posés, certaines questions, certaines de ses réponses

  4   et les confronter à un transcript antérieur.

  5   Maintenant, vous nous dites qu'il y a des omissions. Le témoignage n'est

  6   pas obligé de porter sur l'ensemble de ce qui a été dit dans Blaskic, le

  7   témoignage dans ce procès. Il n'est pas obligé de se comporter, à moins

  8   que ce qui a été dit là-bas, dans un autre ailleurs, comme vient de le

  9   dire le Président, vienne en contradiction totale de ce qui vient d'être

 10   dit ici.

 11   Je crois qu'il y a quand même une chose à distinguer. S'il y a une

 12   omission qui n'a rien à voir avec notre procès; ceci ne doit pas

 13   normalement faire partie du contre-interrogatoire. Par contre, je crois

 14   que Me Mikulicic a raison sur un point: c'est qu'à partir de ce que vient

 15   de dire le témoin, du témoignage principal, que vous pouvez amener un

 16   témoignage antérieur qui viendrait soit mettre en cause sa crédibilité,

 17   soit le contredire totalement.

 18   Je crois que cette précision au niveau de l'omission est importante. Mais

 19   on ne peut comparer que des choses comparables. Là, on est dans la

 20   logique.

 21   M. Lopez-Terres: Tout à fait, Monsieur le Juge. Il est clair que tous les

 22   faits sur lesquels je peux effectivement poser des questions au témoin

 23   sont des faits qui concernent ce qui s'est passé les 15, 16 avril et les

 24   jours suivants, c'est-à-dire il m'apparaît que cela rentre exactement dans

 25   le cadre des faits sur lesquels il a déjà déposé. Il ne s'agit pas de


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  1   faits nouveaux; ce sont des faits dont votre Tribunal a déjà entendu

  2   parler et qui font partie de l'acte de poursuite.

  3   (Les Juges se consultent sur le siège.)

  4   M. le Président (interprétation): Monsieur Lopez-Terres, nous vous

  5   laisserons poursuivre votre contre-interrogatoire au sujet des questions

  6   liées aux 15 et 16 mais, je vous en prie, faites-le de façon succincte en

  7   mettant le témoin en position de répondre, s'il a une réponse, et en

  8   avançant ensuite comme il se doit. Je vous en prie.

  9   M. Lopez-Terres: Merci, Monsieur le Président.

 10   Je tenais à indiquer que, conformément à vos instructions, nous avons

 11   préparé des copies à l'usage la Chambre du transcript du témoignage de M.

 12   Strukar dans l'autre affaire. J'ai également, avec l'aide d'une

 13   assistante, sélectionné les passages qui me paraissaient importants en

 14   fonction des thèmes que j'avais retenus et des points sur lesquels le

 15   témoin ne s'est pas exprimé.

 16   L'un a été évoqué avant la pause: le fait que sa famille est partie dans

 17   un abri.

 18   Ensuite, la présence de ces jeunes gens de Nova Bila, que nous avons déjà

 19   évoquée, la présence de membres du groupe des Vitezovi et de Darko

 20   Kraljevic, également aperçus par le témoin; les informations qu'il avait

 21   pu donner sur les Musulmans qu'il a vu arriver, qui avaient été expulsés.

 22   Et, enfin, quelque chose qu'il avait indiqué et qui s'est passé quelques

 23   jours plus tard à propos de l'explosion du camion, ce que l'on appelle

 24   habituellement dans ce procès, selon la formule anglaise, le "truck bomb".

 25   C'étaient les point que j'ai identifiés comme étant les points principaux


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  1   qui me paraissaient mériter votre attention dans le transcript du procès

  2   Blaskic. Vous avez le transcript dans son intégralité et les extraits par

  3   thèmes que j'ai sélectionnés.

  4   M. le Président (interprétation): Très bien. Eh bien, voyons cela.

  5   M. Lopez-Terres: Le transcript porte la référence Z2829 et les extraits

  6   par thèmes Z2829A.

  7   M. Mikulicic (interprétation): Monsieur le Président, je demanderai

  8   simplement que ce transcript soit mis à disposition du témoin de façon à

  9   ce qu'il puisse voir sur quels sujets il va devoir s'exprimer.

 10   M. le Président (interprétation): Oui. Le témoin lit-il l'anglais?

 11   M. Mikulicic (interprétation): Non.

 12   M. le Président (interprétation): Oui, cela semble tout à fait juste mais

 13   je ne vois pas quelle serait l'utilité si le témoin ne peut pas le lire.

 14   M. Mikulicic (interprétation): Mais ce n'est pas juste, si le témoin ne

 15   peut pas lire ce texte. Il importe de donner au témoin la possibilité de

 16   prendre connaissance de ce sur quoi il va devoir s'exprimer.

 17   M. le Président (interprétation): Excusez-moi, je ne vous suis pas. Il ne

 18   comprend pas l'anglais?

 19   M. Mikulicic (interprétation): Il ne comprend pas l'anglais mais il est

 20   possible de placer sur le rétroprojecteur la partie du texte en anglais

 21   auquel M. Lopez-Terres fait référence, de façon à ce que cela soit traduit

 22   et qu'il comprenne de quoi il est question. Il faut qu'il ait la

 23   possibilité de savoir sur quoi il va devoir s'exprimer.

 24   M. le Président (interprétation): J'aimerais voir le document d'abord.

 25   Oui, les interprètes auront besoin d'un exemplaire. Tout le monde doit


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  1   avoir un exemplaire.

  2   Monsieur Lopez-Terres, pouvez-vous nous aider à nous y retrouver dans ces

  3   extraits? Quelles sont les pages au sujet desquelles vous souhaitez

  4   interroger le témoin? Nous en sommes arrivés à la page 16958 où il est

  5   question d'un homme de Nova Bila.

  6   M. Lopez-Terres: Monsieur le Président, j'ai essayé, dans le temps que

  7   j'avais entre la pause et maintenant, de regrouper les extraits qui me

  8   paraissaient les plus importants. J'ai sélectionné ces thèmes. Je peux

  9   très bien, comme cela m'a été suggéré il y a quelques instants, demander

 10   au témoin ce qu'il peut nous dire à partir de questions que je lui poserai

 11   sur ces thèmes-là et sur ce qu'il a vu et ce qu'il fait au cours de la

 12   soirée.

 13   M. Bennouna: Monsieur Lopez-Terres, nous sommes quand même un peu

 14   inquiets, ce qui est normal, au niveau du temps. Vous comptez prendre

 15   combien de temps pour cet exercice?

 16   M. Lopez-Terres: Monsieur le Président, Monsieur le Juge, si je pose

 17   disons deux questions pour chaque thème, en fonction des réponses qui

 18   seront faites, évidemment, on peut passer au thème suivant.

 19   M. Bennouna: Mais vous devez vous limiter au niveau temps pour cet

 20   exercice-là. C'est un contre-interrogatoire. Cela ne doit pas...

 21   M. Lopez-Terres: Un quart d'heure?

 22   M. Bennouna: Si c'est dans une limite raisonnable, à ce moment-là, si

 23   c'est un quart d'heure ou vingt minutes, oui.

 24   (Les Juges se consultent sur le siège.)

 25   M. le Président (interprétation): Eh bien, vous disposez d'un quart


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  1   d'heure pour votre contre-interrogatoire sur ces sujets. Pour le moment,

  2   nous ne pensons pas à l'admission du documents en tant qu'éléments de

  3   preuve. Nous nous contentons d'entendre ce qui sera dit en réponse aux

  4   questions du Procureur.

  5   Maître Mikulicic, vous avez demandé à ce que ce témoin ait le document

  6   sous les yeux, même s'il est en langue étrangère?

  7   M. Mikulicic (interprétation): Bien sûr que non, Monsieur le Président. La

  8   seule chose que je souhaite, c'est que les extraits du document auxquels

  9   mon collègue, M. Lopez-Terres, fait référence soient traduits pour le

 10   Témoin, c'est à dire que, par le biais des interprètes, il ait la

 11   possibilité de savoir de quoi il est question.

 12   M. le Président (interprétation): Très bien. Oui, Monsieur Lopez Terres,

 13   eh bien, je vous demanderai de vous contenter de vous concentrer sur les

 14   points les plus importants.

 15   M. Lopez-Terres: Monsieur Strukar, est-il exact qu'au cours de la nuit du

 16   15 au 16 avril, aux environs de 3 heures du matin, vous avez réveillé

 17   votre épouse et vos enfants et que vous les avez conduits chez l'un de vos

 18   voisins qui s'appelait M. Nikola Banic?

 19   Réponse:    …

 20   Question    Oui ou non?

 21   Réponse:    Vous me demandez encore une fois de répondre par oui ou par

 22   non. Le fait de devoir répondre par oui ou non modifie terriblement le

 23   fond de ce que je vais dire.

 24   M. le Président (interprétation): N'argumentez pas. Arrêtez d'argumenter,

 25   Monsieur Strukar. La question est très simple: avez-vous, à 3 heures et


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  1   demie, emmené votre femme et vos enfants jusqu'à la maison de M. Banic? Si

  2   l'heure était différente, dites-le nous.

  3   Réponse:    Excusez-moi. Oui.

  4   M. le Président (interprétation): Merci.

  5   M. Lopez-Terres: Est-ce que d'autres Croates du quartier de Mahala dans

  6   lequel vous habitiez ont également fait la même chose, ont conduit leur

  7   femme et leurs enfants au même endroit, chez M. Banic?

  8   Réponse:    C'est encore une question à laquelle je suis dans l'incapacité

  9   de répondre par oui ou par non. Certains l'ont fait, certains ne l'ont pas

 10   fait.

 11   M. Lopez-Terres: Avez-vous retrouvé d'autres femmes, d'autres enfants

 12   croates chez M. Banic, lorsque vous y avez conduit votre famille?

 13   Réponse:    A ce moment-là, non.

 14   M. Bennouna: Vous devriez tout de même vous plier à la règle qui a été

 15   posée par le Tribunal, parce que vous êtes en train de porter atteinte

 16   vous-même à votre crédibilité.

 17   La question qui vous a été posée ce n'est pas: est-ce que tous les Croates

 18   sont allés chez M. Banic? Est-ce que d'autres familles croates sont allées

 19   chez M. Banic? C'est oui ou non? C'est tout. Vous le savez ou vous ne le

 20   savez pas. On ne vous a pas demandé… Vous dites: "Il y en a qui sont allés

 21   et d'autres qui ne sont pas allés". Ce n'est pas une réponse. On vous a

 22   dit: "Est-ce que certaines autres familles, en dehors de vous, y sont

 23   allées?" Alors, vous devez répondre par oui ou par non.

 24   Réponse:    Je ne comprends vraiment pas votre question quand vous dites:

 25   vous devez répondre par oui ou par non.


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  1   M. Bennouna: Est-ce que, en dehors de vous-même, d'autres familles croates

  2   sont allées chez M. Banic cette nuit-là?

  3   Réponse:    Cette nuit-là, oui.

  4   Mais je vous en prie, je vous en prie, ma maison est parmi les maisons qui

  5   sont le plus près de Mahala. Certaines maisons étaient déjà là.

  6   M. Lopez-Terres: Vous avez bien dit -et c'est la référence à la page

  7   16899-: "Tout ceci s'est passé vers 3 heures ou 3 heures et demie;

  8   quelques-uns de mes voisins les plus proches ont également conduit leur

  9   famille chez M. Banic".

 10   C'est bien ce qui figure dans le transcript?

 11   Réponse:    Si c'est écrit, je ne peux rien dire, mais de la même façon

 12   que cela se passe ici dans ce prétoire, à l'époque, on m'a mis des mots

 13   dans la bouche qui n'étaient pas les miens, parce que je ne les ai pas

 14   emmenés dans cette maison. Ce ne sont pas mon épouse et mes enfants qui

 15   n'ont pas deux ou trois ans d'âge, donc je ne les ai pas mis au lit!

 16   Question    Alors que vous étiez regroupés dans cette maison Banic, vous

 17   et d'autre familles croates, est-ce que quelqu'un est arrivé et vous a dit

 18   quelque chose pour vous rassurer, puisque vous étiez inquiets à ce moment-

 19   là?

 20   Réponse:    La question porte toujours sur l'heure. Moi, je n'étais pas

 21   dans cette maison, j'étais à l'extérieur, j'étais en patrouille. Quand

 22   l'aube arrive, personne n'est indifférent. Je sais qu'il y en avait qui

 23   avaient peur et qui disaient qu'il faut faire attention.

 24   M. Lopez-Terres: Est-ce que quelqu'un a dit que des jeunes gens de Nova

 25   Bila était arrivés?


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  1   Réponse:    A l'instant, je ne me rappelle pas si les choses ont été dites

  2   exactement de cette façon. Je ne me souviens pas si l'avocat m'a présenté

  3   la chose de cette façon et si j'ai répondu oui, parce que je crois même

  4   avoir dit, avoir parlé d'une direction Travnik/Stari Bila/Nova Bila. Je

  5   pense avoir parlé d'une direction.

  6   Question    Vous avez, quand vous le voulez, une bonne mémoire: vous

  7   faites exactement référence à la page qui m'intéresse, la page 16900.

  8   Vous avez dit: "Je me rappelle qu'à un moment donné, quelqu'un a dit: Vous

  9   ne devrez plus vous inquiéter. Et quelqu'un a dit: Ne vous inquiétez plus,

 10   car des jeunes gens de Nova Bila sont arrivés".

 11   Vous avez dit -c'est ce que vous vous rappelez maintenant-: "Nova Bila est

 12   du côté de Travnik. Quelqu'un a dit, ou on a dit, qu'il s'agissait de

 13   soldats aguerris et qu'ils allaient nous protéger".

 14   Est-ce que, oui ou non, vous avez dit cela le 14 janvier 1999?

 15   Réponse:    J'essaie de me rappeler exactement ce que j'ai dit. Maintenant

 16   ce qui a été consigné au compte rendu d'audience, il est probable que ce

 17   soit approximativement la même chose.

 18   Question    Qui étaient ces jeunes gens de Nova Bila dont on vous a parlé?

 19   Réponse:    Maintenant, vous me reposez une question et vous direz

 20   ensuite: Mais c'est vous qui avez dit qu'ils étaient de Nova Bila. Moi,

 21   j'ai simplement dit qu'il y en a qui sont arrivés et, chez nous, tout le

 22   monde savait porter un fusil; en tout cas, s'il y avait quelque chose à

 23   entreprendre car nous avions peur. Nous avions peur et il est normal, dans

 24   une situation de ce genre, d'avoir peur.

 25   Question    Vous ne répondez pas à la question que je vous pose. Je vous


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  1   demande: lorsqu'on vous a dit que des jeunes gens de Nova Bila étaient

  2   arrivés et allaient vous protéger, qui étaient ces jeunes gens de Nova

  3   Bila? Monsieur Strukar, que représentaient-ils pour vous?

  4   Réponse:    J'ai essayé d'interrompre tout à l'heure et je vous prie de

  5   m'excuser. Vous me dites: "quand on vous a dit", mais je ne sais pas si

  6   vous vous rendez compte de ce que cela représente. Cinq ou six hommes et,

  7   tout d'un coup, quelqu'un arrive et dit: "N'ayez pas peur". Personne ne

  8   m'a parlé à moi, personnellement, vous me comprenez? Mais je me rappelle

  9   que quelqu'un a dit cela pour nous rassurer.

 10   Question    Un peu plus tard, après qu'on vous ait donné cette

 11   information, une fois que…

 12   Réponse:    Là encore, vous dites que j'ai reçu une information.

 13   M. le Président (interprétation): N'interrompez pas. Veuillez poursuivre,

 14   Monsieur Lopez-Terres.

 15   M. Lopez-Terres: …que vous ayez reçu cette information, de qui qu'elle

 16   émane -vous ne l'avez pas précisé-, une fois que les combats ont commencé,

 17   vous avez pu voir ces jeunes gens de Nova Bila, vous-même? Oui ou non?

 18   Réponse:    Encore une fois, on me demande de répondre par oui ou par non.

 19   Pas à ce moment-là! C'est-à-dire il faisait un petit peu jour, mais pas

 20   complètement. C'est seulement après, quand quelqu'un a tiré, que j'ai vu.

 21   Mais je ne voyais pas cette personne comme je vous vois ici aujourd'hui,

 22   je voyais simplement quelque part, au loin, quelqu'un qui tirait à 50 ou

 23   100 mètres. Je ne sais pas exactement combien. Vous comprenez, ce n'était

 24   pas quelqu'un qui était allongé au sol, à côté de moi, et qui tirait et

 25   que je voyais bien.


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  1   Question:   Ces jeunes gens de Nova Bila, est-ce que c'étaient des gens du

  2   HVO ou des Musulmans?

  3   Réponse:    Il est normal que j'ai supposé qu'ils étaient du HVO.

  4   Question:   Avez-vous vu s'ils étaient en uniforme? De quel armement

  5   disposaient-ils?

  6   Réponse:    Nous parlons de nouveau de ma déclaration. Moi, je vous

  7   demanderai simplement que nous parlions maintenant des deux ou trois

  8   premiers jours de notre guerre, parce que c'est de cela dont nous

  9   parlions. J'ai dit dans ma déposition que ces deux ou trois premiers

 10   jours...

 11   Question:   Ce n'est pas à vous de dire quelles sont les questions que je

 12   dois vous poser. Je vous pose une question simple: avez-vous vu si ces

 13   gens de Nova Bila, dont vous nous dites qu'ils étaient du HVO, portaient

 14   des uniformes? Avez-vous vu de quel armement ils disposaient?

 15   Réponse:    Monsieur le Président, je me vois contraint de me plaindre ici

 16   parce que M. le Procureur me dit de nouveau "dont vous avez dit" et moi,

 17   j'ai dit que je supposais qu'ils étaient du HVO. Je n'ai pas dit qu'ils

 18   étaient du HVO. Il est normal que je suppose qu'ils étaient du HVO, mais

 19   je n'en savais rien ce jour-là, quand l'aube est venue et que quelque

 20   chose s'est passé. C'est seulement plus tard que j'ai vu qu'ils avaient

 21   des uniformes, mais je ne les ai pas vus tous. Je n'en ai vu qu'un ou

 22   deux. Moi, j'avais la tête dans le sable.

 23   M. le Président (interprétation): Ont-ils expulsé les Musulmans de leurs

 24   maisons?

 25   M. Strukar (interprétation): Cela, je ne l'ai pas vu, mais au cours de la


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  1   journée, j'ai entendu dire qu'ils l'avaient fait, parce que les Musulmans

  2   venaient dans ces maisons où se trouvaient aussi nos familles. Cela aussi,

  3   je l'ai entendu dire.

  4   M. Lopez-Terres: Je vous ai parlé de l'armement il y a quelques instants.

  5   Est-ce que oui ou non, vous avez vu de quel équipement ces personnes

  6   étaient dotées? Disposaient-ils d'un canon par exemple?

  7   Réponse:    Ce jour-là -le deuxième jour, le troisième jour, je ne sais

  8   plus-, j'ai vu un canon et je suppose que je l'ai même entendu tirer.

  9   C'était un canon qui était monté sur un camion et qui servait normalement

 10   à tirer sur les avions. Je l'ai vu. Je ne l'ai pas vu tirer, mais j'ai

 11   supposé qu'il avait tiré et, par la suite, je l'ai même vu tirer parce

 12   qu'il était stationné non loin. Est-ce que c'était un jour, deux jours ou

 13   trois jours plus tard, je ne saurais le dire, mais j'ai supposé que c'est

 14   ce canon qui tirait.

 15   Question:   Dans votre déposition précédente, c'est le premier jour que

 16   vous avez vu ce canon. Ce n'est pas plus tard.

 17   Réponse:    Je ne cesse de dire que, dans cette déposition-là aussi, j'ai

 18   dit que je n'avais aucune certitude quant à ce qui s'était passé le

 19   premier, le deuxième, le troisième, le quatrième jour ou le cinquième. On

 20   ne dort pas, les gens sont fatigués. Ils ont l'esprit un peu troublé, je

 21   crois l'avoir dit.

 22   M. Mikulicic (interprétation): Monsieur le Président, excusez-moi

 23   d'interrompre. Je sais que ce n'est pas une façon positive d'avancer, mais

 24   je dois interrompre. Monsieur Patrick Lopez-Terres a dit au témoin que,

 25   dans une déclaration précédente, il avait dit avoir vu le canon le premier


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  1   jour. Or, ce n'est pas écrit dans le compte rendu d'audience. Il est écrit

  2   que le témoin a entendu le canon, mais pas qu'il l'a vu. Donc, cela

  3   correspond tout à fait à ce qu'il dit aujourd'hui. Je crois que c'est une

  4   différence très importante et que la façon d'interroger de la part de

  5   l'accusation n'est pas équitable.

  6   M. le Président (interprétation): Oui, je vous en prie, veuillez

  7   poursuivre, Monsieur Lopez-Terres

  8   M. Lopez-Terres: Monsieur Strukar, ce canon, si vous avez pu le décrire en

  9   janvier 1999, c'est parce que vous l'avez vu?

 10   Réponse:    Mais je viens de dire à l'instant aussi que je l'ai vu par la

 11   suite. Je l'ai vu, stationné quelque part dans une rue, non loin, et j'ai

 12   supposé que c'était ce canon qui avait tiré.

 13   Question:   Ces jeunes gens de Nova Bila, avez-vous une idée de qui ils

 14   pouvaient être?

 15   Réponse:    Eh bien, j'ai déjà dit que nous avons tout simplement pensé

 16   qu'ils étaient de la direction de Travnik, un peu plus haut de Nova Bila,

 17   de cette direction-là. Parce que ces jeunes gens, je ne les ai vus qu'une

 18   fois et je ne les ai plus revus ensuite.

 19   M. le Président (interprétation): Monsieur Lopez-Terres, vous avez été

 20   interrompu. Donc, vous devriez disposer d'un temps plus long, mais peut-

 21   être serait-il bon que vous parliez de points plus importants si vous

 22   souhaitez les montrer. Il vous reste à peu près cinq minutes.

 23   M. Lopez-Terres: Est-ce que votre voiture a disparu au cours de la soirée?

 24   Réponse:    Oui. En fait, est-ce que c'est le soir ou le matin?

 25   Question:   Dans quelles circonstances?


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  1   Réponse:    J'ai appris ce que m'a dit mon père. Ma voiture était garée au

  2   garage et l'un des jeunes gens qui étaient là était blessé. Ils ont cassé

  3   la porte du garage pour prendre le véhicule. Mon père a donné la clef et

  4   ils ont emporté la voiture. Ils ont emmené donc le blessé dans cette

  5   voiture.

  6   Question:   Est-ce que vous avez entendu parler d'une unité qui

  7   s'appelait Zuti?

  8   Réponse:    Eh bien, je n'ai entendu parler de Zuti qu'après la guerre.

  9   Question:   Savez-vous où cette unité était stationnée?

 10   Réponse:    Cela non.

 11   Question:   Connaissez-vous le nom de Zdravko Andric?

 12   Réponse:    Non.

 13   Question:   Vous avez vu les Musulmans qui étaient expulsés par ces jeunes

 14   gens au cours de la nuit. Vous les avez vu arriver vers l'endroit où vous-

 15   même vous trouviez, n'est-ce pas?

 16   Réponse:    Oui, j'ai vu des Musulmans qui arrivaient. J'ai entendu ce

 17   qu'ils ont raconté. Ils ont dit qu'ils avaient été expulsés et que l'on

 18   avait incendié leurs maisons. Je ne les ai pas vus quand ils se sont faits

 19   expulser, mais je les ai vus quand ils sont arrivés à l'endroit où étaient

 20   installées nos familles. Ce sont eux qui ont dit que les choses s'étaient

 21   passées de cette façon.

 22   Question:   Dans quel état étaient ces Musulmans?

 23   Réponse:    Eh bien, comme nous. Enfin, je veux dire paniqués. Certains

 24   étaient habillés, d'autres pas.

 25   Question:   Avez-vous eu l'impression qu'ils avaient été sortis de leurs


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  1   lits?

  2   Réponse:    Pour certains d'entre eux, oui, vraiment.

  3   Question:   Pour quelle raison, selon vous, a-t-on envoyé ces Musulmans

  4   vers la partie de Mahala où vous vous trouviez vous-même?

  5   Réponse:    Vous avez utilisé l'expression "dans la partie de Mahala". Or

  6   l'endroit où j'habite ne s'appelle pas Mahala. Mais je ne sais vraiment

  7   pas pourquoi. Est-ce que les tirs étaient moins nourris? Nous, nous étions

  8   cachés -c'est le terme que j'utiliserais- à cet endroit, dans une partie

  9   du terrain qui était un petit peu en contrebas. Donc, c'est peut-être pour

 10   cela qu'ils sont venus dans ces maisons. Ils ont pris cette décision

 11   seuls. Je ne vois pas très bien. Je réfléchis mais je ne vois pas.

 12   Question:   Savez-vous ce qu'il est advenu de ces Musulmans que vous avez

 13   vus au cours de la nuit? Ont-ils pu regagner leurs maisons?

 14   Réponse:    Non, ils ne sont pas retournés chez eux parce que toutes les

 15   familles, les familles croates et les familles musulmanes... Mais les

 16   hommes musulmans sont restés dans ces maisons, je crois, dix ou douze

 17   jours, je ne sais pas exactement combien de temps. Je sais qu'à la fin,

 18   tout le monde a quitté ces maisons pour aller chercher de la nourriture

 19   ailleurs, mais ils sont sûrement restés dans ces maisons dix ou douze

 20   jours. Certains d'entre eux sont restés jusqu'à la fin de la guerre.

 21   Question:   Savez-vous si certains ont été conduits dans des centres de

 22   détention, par la suite?

 23   Réponse:    Moi, je ne sais pas et je ne crois pas qu'ils l'aient été.

 24   Question:   Vous avez indiqué, ce matin, avoir constaté la présence de

 25   cadavres.


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  1   Réponse:    Oui. Au moment où je suis arrivé jusqu'à la maison de mon

  2   père, il me l'a dit. J'ai regardé la route et, à ce moment-là, j'ai vu des

  3   cadavres.

  4   Question:   Ces cadavres étaient-ils des cadavres de Musulmans ou de

  5   Croates?

  6   Réponse:    Mon père m'a dit le nom de celui qu'on voyait depuis sa maison

  7   et il m'a dit que c'était un Musulman.

  8   Question:   Le nom dont vous nous parlez, c'est M. Sadibasic Sulejman?

  9   Réponse:    Oui.

 10   Question:   Vous avez vu d'autres cadavres que celui de M. Sadibasic

 11   Sulejman?

 12   Réponse:    Eh bien, non, mais mon père m'a dit à peu près l'endroit où il

 13   y avait d'autres cadavres. Mais je ne sais pas si vous me comprendrez:

 14   quand on n'a pas l'habitude de regarder des cadavres et que l'on en voit

 15   un, c'est déjà trop. Je ne sais pas si vous me comprenez: je n'avais pas

 16   le désir de regarder. Il m'était suffisant que mon père me dise qu'il

 17   avait vu des cadavres. J'en ai vu un et cela a suffi pour que j'ai envie

 18   de m'enfuir parce qu'après tout, c'était tout de même un voisin immédiat.

 19   Et de toute façon, il n'y avait pas la possibilité de se lever et de

 20   regarder autour de soi parce qu'il y avait encore des balles qui volaient.

 21   Question:   Le fils de ce M. Sulejman Sadibasic a été tué aussi et son

 22   cadavre se trouvait à proximité, n'est-ce pas?

 23   Réponse:    Je vous ai dit que j'avais entendu dire que d'autres avaient

 24   été tués aussi, mon père me l'a dit. Son corps -je l'ai appris plus tard-

 25   était de l'autre côté de la route que je ne pouvais tout simplement pas


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  1   voir pendant cinq ou six jours à partir de ce moment-là.

  2   Question:   Est-ce qu'au cours de la nuit du 15 au 16 avril 1993, à votre

  3   connaissance, il y a eu des Croates de votre quartier qui ont été tués?

  4   Réponse:    Non.

  5   Question:   Beaucoup de maisons ont été détruites dans le quartier. La

  6   plupart de ces maisons, sinon la majorité, étaient-elles des maisons

  7   musulmanes ou des maisons croates?

  8   Réponse:    Eh bien, je vais vous dire. Je dois montrer avec les mains,

  9   n'est-ce pas. Si ma main droite indique la frontière, Mahala, comme on

 10   l'appelle, et ma main gauche l'emplacement de l'église catholique, de ce

 11   côté de Mahala, il y avait surtout des maisons catholiques ou croates qui

 12   avaient été incendiées et de ce côté-ci, du côté de ma main gauche, une

 13   majorité de maisons musulmanes. De sorte que c'est au niveau de ma maison

 14   qu'il y avait une ligne de démarcation avec des maisons qui n'avaient pas

 15   brûlé.

 16   Question:   Vous n'avez pas répondu précisément à ma question. Y avait-il

 17   plus de maisons musulmanes ou de maisons croates détruites, au cours de

 18   cette nuit-là?

 19   Réponse:    Plus de maisons musulmanes.

 20   Question:   Dans la matinée du 17 avril et les jours suivants, avez-vous

 21   constaté la présence de Darko Kraljevic à proximité de votre habitation et

 22   des autres maisons croates du quartier?

 23   Réponse:    J'ai beaucoup réfléchi à cela. Il y en a qui m'en ont même

 24   parlé au moment de ma déposition antérieure, en me disant que c'était ce

 25   jour-là. Mais moi, je suis incapable de déterminer si c'était le 17, le


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  1   18, le 19 ou aux environs de ces dates. Et pour autant que je le sache,

  2   ils n'étaient pas du côté de la rue dont j'ai déjà parlé, où je me

  3   trouvais moi-même, de sorte que je ne les ai pas vus jusqu'à je ne sais

  4   pas quel jour, le troisième, le quatrième, le cinquième jour. Ils étaient

  5   de l'autre côté de la rue et on ne pouvait pas regarder de l'autre côté de

  6   la rue à cause des balles qui volaient. On ne marchait pas dans la rue, on

  7   fuyait en longeant les maisons pour arriver jusqu'à chez soi.

  8   M. le Président (interprétation): Monsieur Lopez-Terres, je crois que le

  9   moment est arrivé.

 10   M. Lopez-Terres: Un dernier point, Monsieur le Président. Alors que vous

 11   vous trouviez, nous avez-vous dit, dans votre maison, le 18 avril

 12   exactement, avez-vous entendu une grande explosion à proximité de votre

 13   habitation?

 14   M. Strukar (interprétation): Eh bien, oui, j'ai entendu une grande

 15   explosion. A ce moment-là, je n'étais pas dans ma maison mais plus haut,

 16   plus près de là où se trouvait ma famille. L'explosion est venue de la

 17   direction de ma maison.

 18   Question:   Savez-vous ce qui avait provoqué cette grande explosion?

 19   Réponse:    Aujourd'hui, je le sais, je dois répondre de cette façon: je

 20   l'ai appris peut-être dix ou quinze jours plus tard, parce que les Croates

 21   qui étaient restés en bas, à Mahala, quand ils sont sortis de Mahala,

 22   quand on les a laissés sortir, ils nous ont dit ce qu'il en était.

 23   Question:   Vous n'avez toujours pas répondu à la question: de quoi

 24   s'agissait-il?

 25   Réponse:    Il s'agissait d'une espèce de camion, en tout cas, c'est ce


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  1   que j'ai entendu dire parce que je ne l'ai pas vu. Je répète -et je fais

  2   attention puisqu'il faut maintenant que je fasse attention à ce que je

  3   dis-: on m'a dit qu'il était question d'un camion citerne qui est passé

  4   dans la rue et qui a explosé.

  5   Question:   Il a explosé par accident ou on l'a fait exploser?

  6   Réponse:    Eh bien, cela je ne le sais pas.

  7   Question:   Avant que cette explosion ne se produise, est-ce que quelqu'un

  8   vous a prévenu qu'une explosion allait se produire et qu'il fallait aller

  9   aux abris?

 10   Réponse:    Eh bien, nous avons passé tout le temps dans un abri ou un

 11   autre. Je me rappelle que, dans cette situation, quelqu'un a dit à peu

 12   près quelque chose qui voulait dire que quelque chose allait exploser.

 13   Cela, je me rappelle.

 14   Question:   Ce n'est pas exactement ce que vous avez indiqué au mois de

 15   janvier 1999. Je vais vous relire le transcript et vous me direz si vous

 16   êtes d'accord avec cette transcription: "A un moment donné, dans la maison

 17   dans laquelle je me trouvais, un des hommes est entré... -page 16933- un

 18   des hommes est entré et nous a dit d'aller nous mettre à l'abri parce

 19   qu'il allait y avoir une grande explosion".

 20   On vous a demandé ensuite qui vous avait dit cela. Vous ne l'avez pas

 21   précisé et vous avez expliqué que, trois ou quatre minutes après que cet

 22   homme vous a prévenu, il y a eu effectivement cette grande explosion.

 23   Avez-vous, oui ou non, déclaré ce que je viens d'indiquer le 14 janvier

 24   1999?

 25   Réponse:    Encore une fois, on me demande de répondre par oui ou par non,


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  1   mais je viens de dire exactement la même chose: que nous étions dans une

  2   espèce d'abri, que quelqu'un est venu et que quelqu'un a dit quelque

  3   chose. Mais vraiment, est-ce que vous imaginez que la situation était

  4   comme ici dans le prétoire? Que toute le monde se tait et que je parle et

  5   que vous prenez note, n'est-ce pas? Rendez-vous compte que c'était un

  6   endroit où il n'y avait pas de chaise, c'était une cave. Et si je dois

  7   être particulièrement cru, je dirai que c'est une cave avec des rats et

  8   des souris.

  9   M. le Président (interprétation): Ce n'est pas la question.

 10   Merci, Monsieur Lopez-Terres. Vous avez disposé d'une heure et demie. Je

 11   pense que cela doit être suffisant pour votre contre-interrogatoire.

 12   Y a-t-il des questions supplémentaires de la part de la défense?

 13   (Questions supplémentaires de Me Mikulicic au témoin Marijan Strukar.)

 14   M. Mikulicic (interprétation): Quelques questions simplement, Monsieur le

 15   Président, si vous le voulez bien.

 16   Monsieur Strukar, on vous a présenté la pièce Z385; c'était ce rapport du

 17   bataillon britannique qui a parlé de l'explosion qui s'était produite dans

 18   la banque de Vitez. Dans ce document…

 19   Réponse:    Excusez-moi, quand, à quel moment?

 20   Question    Aujourd'hui même. Je vais vous poser la question pour

 21   rafraîchir votre mémoire. C'est un document en anglais qui a été établi

 22   par le bataillon britannique. Il était dit, entre autres, qu'à Vitez, une

 23   bombe a été posée à la banque "Komercialna Banka de Sarajevo". Une telle

 24   banque existe-t-elle à Vitez?

 25   Réponse:    Actuellement, elle n'existe pas mais, dans le temps, je crois


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  1   pouvoir me souvenir que c'était écrit "Privredna Banka Travnik".

  2   Question    Merci. On dit aussi que la journée suivante, on a vu la

  3   formation d'une banque "Zagrebaska de Vitez". Premièrement, à Vitez, y a-

  4   t-il jamais eu une "Zagrebaska Banka"?

  5   Réponse:    Non.

  6   Question    Après l'explosion de la bombe posée à "Travniska Banka", a-t-

  7   on jamais vu la formation d'une banque "Zagrebaska" ou d'une autre banque?

  8   Réponse:    Non.

  9   Question    Merci. A titre de référence, je rappelle la déposition du

 10   témoin Zdenko Tibolt qui a parlé sur ce thème.

 11   Monsieur Strukar, une très brève question, encore qu'il me semble que vous

 12   avez déjà répondu à cette question. Avant la nuit du 15 au 16 avril, à

 13   combien de reprises avez-vous dû évacuer votre femme et vos enfants vers

 14   un abri plus sûr?

 15   Réponse:    Je ne m'attendais vraiment pas à des questions pareilles, mais

 16   je n'ai pas compté, peut-être une vingtaine de fois.

 17   Question    Merci, c'est déjà une réponse. Donc, cette nuit du 15 au 16,

 18   ce n'était pas une exception, ce n'était pas une première fois?

 19   Réponse:    Non.

 20   Question    Je vous remercie de vos réponses. Je n'ai plus de questions

 21   pour ce témoin.

 22   M. le Président (interprétation):Monsieur Strukar, c'est avec ceci que se

 23   termine votre déposition. Merci d'être venu au Tribunal international pour

 24   témoigner. Vous pouvez disposer.

 25   M. Strukar (interprétation): Je vous remercie.


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  1   (Le témoin, M.Marijan Strukar, est reconduit hors du prétoire.)

  2   M. le Président (interprétation):Monsieur Lopez-Terres: après mûre

  3   réflexion, après avoir suivi le contre-interrogatoire, et après avoir eu

  4   l'occasion de voir ce témoin, je pense qu'il n'est pas nécessaire de

  5   verser ces documents au dossier parce que cela ne ferait que semer

  6   davantage la confusion. Nous allons les remettre.

  7   Est-ce que nous pouvons avoir votre prochain témoin, Maître Mikulicic?

  8   M. Mikulicic (interprétation): Tout à fait, il s'agira de Dusan Lukovic.

  9   (Le témoin, M. Dusan Lukovic, est introduit dans le prétoire.)

 10   M. le Président (interprétation): Le témoin peut-il donner lecture de la

 11   déclaration solennelle?

 12   M. Lukovic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

 13   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 14   M. le Président (interprétation): Vous pouvez vous asseoir.

 15   M. Lukovic (interprétation): Je vous remercie.

 16   (Interrogatoire principal du témoin, Dusan Lukovic, par Me Mikulicic.)

 17   M. Mikulicic (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Bonjour.

 18   M. Lukovic (interprétation): Bonjour.

 19   Question:   Au nom du conseil de la défense de M. Cerkez, j'ai quelques

 20   questions à vous poser. Je vous prie d'y répondre selon votre mémoire

 21   aussi bonne que possible et je vous prie d'essayer d'y répondre à un

 22   rythme aussi lent que possible pour permettre aux interprètes de traduire

 23   tout ce qui fait l'objet de votre déposition et de nos conversations.

 24   D'abord, dites, pour le compte rendu du Tribunal, votre nom, votre prénom

 25   et vos date et lieu de naissance.


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  1   Réponse:    Je m'appelle Dusan Lukovic et je suis né le 22 septembre 1935,

  2   à Banja Luka.

  3   Question    Monsieur Lukovic, vous êtes serbe de nationalité?

  4   Réponse:    Oui.

  5   Question    Vous avez une double nationalité, celle de Bosnie-Herzégovine

  6   et de Croatie?

  7   Réponse:    Oui.

  8   Question    Vous êtes athée?

  9   Réponse:    Oui.

 10   Question    Vous avez fait l'école professionnelle de Travnik. Après quoi,

 11   vous avez fait la faculté de sciences politiques de Sarajevo?

 12   Réponse:    Oui.

 13   Question    Vous êtes marié, vous avez deux enfants et cinq petits-

 14   enfants?

 15   Réponse:    Cela est exact.

 16   Question    Vous n'adhérez à aucun parti?

 17   Réponse:    Non.

 18   Question    Vous avez fait votre service militaire?

 19   Réponse:    Oui, en 1955 et 1956.

 20   Question    Vous avez eu un grade dans l'armée?

 21   Réponse:    Oui, celui de sergent.

 22   Question    Monsieur Lukovic, pour ce qui est de votre formation et des

 23   fonctions qui étaient les vôtres pendant que vous étiez employé, c'est en

 24   1970 que vous avez eu un diplôme à la faculté de sciences politiques de

 25   Sarajevo; après quoi, vous avez trouvé un emploi à Vitez, n'est-ce pas?


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  1   Réponse:    Oui, à l'université ouvrière Mosa Pijade de Vitez.

  2   Question    On intitulait cette université ouvrière comme un centre de

  3   formation, n'est-ce pas?

  4   Réponse:    Oui, plus précisément un centre de formation se trouvait dans

  5   le cadre de l'université ouvrière.

  6   Question    Bon, en quelle qualité?

  7   Réponse:    En qualité de professeur de sociologie en matière d'éducation

  8   dans le centre de formation.

  9   Question    Et vous y avez travaillé jusqu'à quel moment?

 10   Réponse:    Jusqu'en 1972, lorsque je me suis présenté au concours pour

 11   avoir le poste de directeur de l'école de Vitez.

 12   Question    Est-ce vous êtes devenu directeur ainsi?

 13   Réponse:    Oui.

 14   Question:   Et jusqu'à quel moment accomplissez-vous cette fonction?

 15   Réponse:    Jusqu'en 1976.

 16   Question:   Ensuite, pour passer où?

 17   Réponse:    Pour passer au Slobodan Principe Selo pour être responsable du

 18   problème de l'encadrement, questions juridiques de l'entreprise, etc.

 19   Question:   Depuis 1977, 1981, vous étiez encore de retour?

 20   Réponse:    Oui, c'est-à-dire qu'il a fallu suivre une certaine

 21   instruction qui m'a été donnée. C'est ainsi que je reviens à l'université

 22   ouvrière "Mosa Pijade".

 23   Question:   Et c'est là que vous travaillez jusqu'en 1981?

 24   Réponse:    Oui.

 25   Question:   A cette époque-là, à titre de bénévole, vous avez accompli la


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  1   fonction de vice-président de la municipalité de Vitez?

  2   Réponse:    Oui, c'est bien cela.

  3   Question:   Depuis 1981 jusqu'à l'éclatement des conflits de Vitez, vous

  4   vous trouviez donc à cette fonction de directeur de votre organisation, ce

  5   qui est la branche de l'entreprise chargée de la protection et de la

  6   formation?

  7   Réponse:    Oui.

  8   Question:   A cette époque-là, vous avez également eu la fonction de

  9   président de la municipalité de Vitez avec deux mandats?

 10   Réponse:    Oui, j'ai eu deux mandats à remplir, c'est-à-dire en 1980

 11   jusqu'à 1996.

 12   Question:   Et, à la fin, vous avez pris votre retraite en 1996?

 13   Réponse:    Oui et j'y suis toujours!

 14   Question:   Au début de 1992, puisque déjà en Slovénie et en Croatie il y

 15   avait la guerre, due à l'attaque perpétrée par la JNA contre cette

 16   République, comment ceci se répercutait-il sur la production de l'usine

 17   SPS?

 18   Réponse:    Tout de suite, dans cette période dont vous parlez, il y a eu

 19   une chute dramatique du volume des productions. D'abord, il y a eu une

 20   pénurie sensible de matières premières dont il fallait s'approvisionner

 21   pour produire des explosifs. Ainsi l'ensemble des travailleurs ne pouvait

 22   être gardé à l'usine et, par analogie, étant donné la chute de la

 23   production, il y a eu évidemment une diminution du nombre des employés.

 24   Question:   Donc, il y a eu pas mal de gens qui sont restés sans emploi,

 25   c'est-à-dire ont été mis en chômage technique?


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  1   Réponse:    Oui.

  2   Question:   Monsieur Lukovic, étant donné que c'est une catégorie quelque

  3   part inconnue en dehors de nos régions, qu'est-ce que cela veut dire: être

  4   mis sur une liste d'attente d'emploi?

  5   Réponse:    Etant donné qu'on ne fonctionnait pas bien, la firme ne

  6   travaillait pas dans toutes ses capacités. La production a été diminuée

  7   dans certain de ses secteurs. Le "board", le conseil de direction a eu une

  8   réunion qui devait décider ce qu'il convenait de faire pour ce qui est du

  9   surplus de la main d'œuvre. C'est ainsi qu'il a été décidé qu'une partie

 10   du personnel devait être mise sur une liste d'attente; d'autres devaient

 11   travailler. Et puis, un mois ou un peu plus tard, un outre groupe pourrait

 12   être engagé et avoir une espèce de tour de rôle, à chacun de ces groupes,

 13   pour éviter toute tension, tout mécontentement et le reste.

 14   Question:   Bon. Si je vous ai bien compris, il s'agit pas de parler de

 15   licenciement des travailleurs, mais tout simplement, il s'agissait de les

 16   envoyer à leur domicile jusqu'au moment où on ressentirait encore une fois

 17   le besoin de les employer?

 18   Réponse:    Oui, c'est bien cela, mais excusez-moi, il y a eu des cas

 19   spécifiques où il y a eu un surplus de main d'œuvre. Par exemple, mon fils

 20   qui était juriste, lorsque la période de mise en chômage a expiré, il a

 21   été employé. Il n'était plus employé, mais il a été mis tout simplement au

 22   bureau du travail.

 23   Question:   Durant ce processus, avez-vous pu remarquer certaines

 24   intentions discriminatoires par rapport et à la lumière de différentes

 25   nationalités des travailleurs et du personnel?


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  1   Réponse:    Je n'en ai pas observé un seul exemple du genre. Parce que…

  2   Ecoutez, regardez mon exemple: j'ai été moi aussi mis sur cette liste

  3   d'attente et il a été dit comme quoi certains responsables de certains

  4   secteurs, de certaines unités et ateliers pouvaient, eux aussi, être mis

  5   sur la liste d'attente.

  6   Question:   Et c'est ainsi aussi donc que vous avez été mis sur cette

  7   liste d'attente?

  8   Réponse:    Et bien oui. C'est cela.

  9   Question:   Vous n'avez pas été licencié. Pratiquement, vous êtes toujours

 10   aux fonctions qui ont été les vôtres mais pratiquement, vous ne veniez pas

 11   sur le lieu de travail?

 12   Réponse:    Oui, mais pas toujours. J'étais en contact par téléphone avec

 13   certaines gens des services qui étaient les miens. Quelquefois, je devais

 14   m'y rendre pour signer tel ou tel document concernant leurs fiches de

 15   paye, etc. ou bien pour m'occuper de l'organisation de l'encadrement de

 16   ceux qui étaient au travail en équipe et, de même, organiser la liste

 17   d'attente d'autres qui viendraient plus tard. Mais souvent, ces gens-là

 18   pouvaient se mettre d'accord entre eux, mais ils avaient besoin de mon

 19   consentement.

 20   Question:   Monsieur Lukovic, dites-nous si la composition nationale des

 21   personnes employées au SPS correspondait à celle des habitants de la

 22   municipalité?

 23   Réponse:    Je ne pourrais pas vous répondre avec certitude et je n'aime

 24   pas me perdre dans des commentaires.

 25   Question:   Est-ce que, dans le SPS, il y avait peut-être plus de Croates


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  1   que de Musulmans ou peut-être étaient-ils à égalité ou il y avait peut-

  2   être plus de Musulmans employés? Pourriez-vous nous dire quelque chose là-

  3   dessus, d'après l'expérience que vous avez?

  4   Réponse:    Encore une fois, je m'excuse: je ne détiens pas les faits, par

  5   conséquent, je ne peux pas répondre explicitement. Peut-être qu'il y avait

  6   quelquefois dans une unité ou dans un atelier, plus de Musulmans que de

  7   Croates. Ailleurs, c'était le contraire qui se produisait. Il s'agit de

  8   situations qui ne me semblent pas pertinentes et ceci n'avait rien à voir

  9   avec la politique des structures politiques, c'est-à-dire de direction.

 10   Question:   En quelque sorte, vous devinez et vous anticipez sur une

 11   question que j'ai à poser maintenant: la structure, celle qui s'occupait

 12   de la politique de la société, avait-elle une politique discriminatoire

 13   quelconque à l'égard des Croates et des Musulmans?

 14   Réponse:    Autant que je sache, non. Pendant que j'étais mis sur la liste

 15   d'attente d'emploi, un de mes collaborateurs, quelqu'un qui était chargé

 16   de la sécurité physique même, vigile, etc., lui, il est resté sans emploi.

 17   D'autres étaient restés employés toujours. Une personne que je connaissais

 18   bien et qui était un des directeurs techniques était toujours en emploi.

 19   Par conséquent, moi qui suis serbe et mis sur la liste, je ne pouvais pas

 20   dire que l'autre ne l'a pas été parce qu'il est croate ou musulman, etc.

 21   Tout simplement, on devait se mettre d'accord souvent pour discuter si

 22   notre politique était bonne ou pas, du point de vue production, mais on ne

 23   peut pas parler de discrimination pour autant que je m'en souvienne.

 24   Question:   Y a-t-il eu quelqu'un de l'enceinte de la compagnie du SPS qui

 25   a pu demander aux Musulmans de signer une quelconque déclaration


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  1   d'allégeance aux Croates?

  2   Réponse:    Non, je n'en ai jamais eu écho, pas plus que l'on ne m'a

  3   jamais demandé de signer une déclaration quelconque de ce genre.

  4   Question:   Monsieur Lukovic, le 16 avril 1993, un conflit armé ouvert a

  5   éclaté à Vitez. Où étiez-vous ce matin-là?

  6   Réponse:    Ce matin-là, j'étais dans mon appartement avec mon épouse,

  7   avec mon fils, ma belle-fille et mes deux petits-enfants.

  8   Question:   Qu'avez-vous fait lorsque vous avez entendu des tirs?

  9   Réponse:    Rien, nous avons été surpris. Nous avons été vraiment

 10   paniqués. Tout simplement, nous essayions de nous éloigner un peu des

 11   fenêtres et nous nous sommes mis à attendre.

 12   Question:   Y a-t-il eu quelqu'un qui serait venu dans votre bâtiment pour

 13   vous donner des instructions quelconques?

 14   Réponse:    Il y a eu quelqu'un qui a frappé à la porte. Lorsque j'ai

 15   ouvert la porte, c'était un membre de la police militaire. Lui nous disait

 16   qu'il fallait nous rendre dans la cave, descendre dans la cave. Je me

 17   souviens que, préalablement, nous l'avions un petit peu emménagée, cette

 18   cave, parce qu'il y avait eu deux raids perpétrés par les forces de la

 19   JNA, surtout lorsque des ateliers de fabrication à affectation spéciale de

 20   nos usines ont été attaqués.

 21   Question:   Le bâtiment où vous résidez a combien d'étages?

 22   Réponse:    Un rez-de-chaussée et quatre étages.

 23   Question:   Dans la cave, donc, pouvaient venir tous les locataires, tous

 24   les habitants du bâtiment, pour s'en servir comme d'une espèce d'abri,

 25   n'est-ce pas, comme en état de guerre?


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  1   Réponse:    Oui, parce que c'était une cave comme une autre. Il y a eu

  2   plusieurs pièces, l'une mieux aménagée que l'autre, mais en tout cas nous

  3   y étions à l'abri.

  4   Question:   Vous avez dit que c'est déjà en 1992 que vous vous en êtes

  5   servi, lorsque l'aviation de la JNA avait bombardé Vitez?

  6   Réponse:    Oui, lorsqu'il y a eu en ce temps-là des raids d'aviation

  7   serbes.

  8   Question:   Que s'est-il produit ensuite, depuis ce premier jour et

  9   pendant les journées qui ont suivi?

 10   Réponse:    J'étais mis sur la liste d'attente d'emploi et comme on tirait

 11   de tous côtés, il y avait toujours un danger à sortir. Nous gardions notre

 12   domicile, on n'avait guère besoin de sortir. On ne savait où sortir et

 13   puis, vous savez, dans ces situations-là, on est plutôt là pour veiller

 14   sur sa famille. J'étais vraiment en attente et pas seulement sur la liste

 15   d'attente d'emploi. Je n'avais guère besoin de penser à l'usine ou à quoi

 16   que ce soit ayant trait à la production.

 17   Question:   Monsieur Lukovic, avec cette question, je dois d'abord

 18   m'excuser parce que, dans le paragraphe 3.2, au lieu de "automne", il faut

 19   dire: "au mois de juin". Nous parlons donc du mois de juin, M. Lukovic.

 20   Qui était venu dans votre appartement?

 21   Réponse:    C'était, encore une fois, un membre de la police militaire qui

 22   s'est présenté à la porte. Il tenait entre les mains une liste, il a fait

 23   une espèce d'appel. Il a dit: "C'est vous, Dusan Lukovic?" J'ai dit: "Oui,

 24   c'est bien moi". Alors il m'a dit que je devais tout de suite répondre à

 25   une convocation pour me rendre à la bibliothèque municipale. Je m'y suis


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  1   rendu aussitôt, j'ai trouvé un responsable chargé de ce peloton de

  2   travail, chargé de la protection civile et de tout ce qui était unité de

  3   travail.

  4   Question:   Bon, d'accord. Vous vous êtes donc rendu à la bibliothèque

  5   municipale, vous avez rencontré un responsable. Pouvez-vous vous souvenir

  6   de son nom?

  7   Réponse:    Je crois qu'il s'appelait Males.

  8   Question:   Et vous vous êtes présenté?

  9   Réponse:    C'est bien cela.

 10   Question:   Et que vous a-t-il dit?

 11   Réponse:    Il m'a dit que j'étais désigné membre du peloton de travail et

 12   que nous devions nous rendre pour creuser des tranchées.

 13   Question:   Bon. Alors à ce moment-là, il vous a dit que vous étiez donc

 14   devenu membre du peloton de travail?

 15   Réponse:    Oui.

 16   Question:   Est-ce que ce fait-là, cette affectation vous était connue

 17   d'avant?

 18   Réponse:    Non, parce que tout simplement je n'étais plus apte au

 19   travail. Je ne suis pas un conscrit, j'avais dépassé l'âge de 60 ans. Je

 20   ne m'attendais pas à être envoyé en tant que membre du peloton de travail.

 21   Peut-être pensais-je que j'aurais pu avoir une autre affectation mais, en

 22   tout stoïcisme qui était le mien, j'ai accepté ce qu'il m'a été dit de

 23   faire.

 24   Question:   Mais avant cette journée-là, vous n'avez pas eu d'affectation

 25   comme membre de ce peloton de travail?


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  1   Réponse:    Non.

  2   Question:   Donc on vous a dit que telle était votre affectation et que

  3   vous deviez vous aller creuser des tranchées sur le site de Zabrdje. Je ne

  4   vous demande pas de le montrer sur la carte géographique, mais où se

  5   trouve ce site par rapport à la ville de Vitez?

  6   Réponse:    Par rapport à la ville de Vitez, au sud-ouest. Il s'agit du

  7   mont Kruscica, le village Bobasi, etc.. Je crois que, pour parler

  8   altitude, il s'agit de 1400 mètres d'altitude.

  9   Question:   C'est une côte dominante?

 10   Réponse:    Oui. Je sais, parce que j'avais une seconde résidence dans ce

 11   coin-là. Je connais bien.

 12   Question:   A quelle distance se trouve justement le lieu de votre

 13   affectation par rapport à la bibliothèque municipale?

 14   Réponse:    Si l'on devait s'y rendre en voiture, on devait faire 14

 15   kilomètres. Tout dépend de la route que vous preniez, mais pour y aller à

 16   pied on pouvait le faire en traversant de 6 à 7 kilomètres.

 17   Question:   Et comment avez-vous fait pour vous y rendre?

 18   Réponse:    On a assuré à notre intention un bus, une fourgonnette. C'est

 19   un nommé Vinac qui a eu cette camionnette, parmi les frères Vinac. Après,

 20   on se rendait évidemment dans cette camionnette jusqu'à Zabrdje.

 21   Question:   Et combien étiez-vous dans ce peloton de travail?

 22   Réponse:    Ecoutez, c'est difficile parce que je puise maintenant dans ma

 23   mémoire, mais disons de 15 à 20 personnes.

 24   Question:   Et lorsque vous êtes arrivé à cet endroit... D'abord,

 25   j'aimerais vous demander ceci: est-ce que vous aviez une escorte, une


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  1   garde?

  2   Réponse:    Ils m'ont demandé: "Est-ce que tu sais où cela se trouve,

  3   Zabrdje, Dusko? Est-ce que tu veux une escorte?" Ce n'est pas que le

  4   terrain est dangereux, j'ai dit que ce n'était pas nécessaire parce que

  5   j'avais coutume d'y aller à pied. Quand j'étais jeune, j'y allais souvent

  6   à pied. J'ai donc dit que je n'avais pas besoin d'escorte, mais ils nous

  7   ont dit de nous présenter au commandement de la ligne à Zabrdje; c'est ce

  8   que nous avons fait. Lorsque nous sommes arrivés là, nous nous sommes

  9   présentés devant le commandant.

 10   Question:   Je vais répéter une question que je vous ai déjà posée par

 11   rapport au SPS: quelle était la composition nationale du peloton de

 12   travail dont vous faisiez partie?

 13   Réponse:    Difficile de vous donner un pourcentage exact, mais je pense

 14   que c'était un peloton multiethnique. Où que soit l'endroit où je me suis

 15   trouvé, il y avait des Croates, des Musulmans, des Roms, il y avait même

 16   un Slovène parmi nous.

 17   Question:   Et quel était l'âge de ces hommes qui faisaient partie de

 18   votre peloton de travail?

 19   Réponse:    Les plus jeunes étaient des Musulmans. La plupart était plus

 20   âgés. Moi, j'étais le doyen en âge. Il y avait des gens, des habitants

 21   locaux, des Croates qui s'étaient portés volontaires et qui venaient de

 22   l'endroit d'où venaient ma belle-fille et sa famille. Il y avait des gens

 23   qui avaient, à l'époque, déjà 65 ans. Mais ils n'étaient pas obligés de le

 24   faire, ils n'étaient pas contraints ni forcés à le faire. Mais moi, j'ai

 25   reçu une affectation de travail.


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  1   Question:   Vous avez reçu une affectation de travail?

  2   Réponse:    Oui.

  3   Question:   Combien de temps avez-vous passé à Zabrdje, la première fois

  4   que vous y êtes allé?

  5   Réponse:    Une journée et demie. Nous y avons passé la nuit.

  6   Question:   Alors que vous vous trouviez à Zabrdje, occupé à creuser ces

  7   tranchées, qui s'occupait de vous?

  8   Réponse:    Lorsque nous nous sommes présentés au commandant sur place, il

  9   a désigné deux ou trois soldats qui se trouvaient là aussi. Certains se

 10   sont éloignés de l'endroit où nous, nous avons creusé, mais certains sont

 11   toujours restés à nos côtés. Et ils étaient armés, ceci pour assurer notre

 12   sécurité, notre protection. C'étaient des jeunes hommes que tous nous

 13   connaissions.

 14   Question    Merci. Monsieur, pourriez-vous nous dire à quelle unité vous

 15   apparteniez et qui était le commandant de cette unité?

 16   Réponse:    Je ne pourrais pas vous dire. Je ne me rappelle plus du nom et

 17   de la désignation. Est-ce que je me souviens de tous les hommes? Je ne

 18   suis pas sûr, je ne sais pas s'il y avait un nom à cette unité. On nous a

 19   simplement dit d'aller à Zabrde pour creuser les tranchées.

 20   Question    Vous dites avoir passer un jour et demi; cela veut dire que,

 21   le lendemain, vous êtes rentré; dans quelles conditions et dans quelles

 22   circonstances?

 23   Réponse:    Nous avons passé la nuit, nous avons eu notre petit déjeuner

 24   et nous avons commencé à creuser. Vers midi ou 13 heures, le soldat est

 25   venu et il a dit: "Dusko, dis à tes hommes d'arrêter de creuser". J'ai


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  1   demandé pourquoi. Il m'a répondu: "Eh bien, arrête de creuser et emporte

  2   tous tes outils" Par la suite, il m'a dit qu'ils avaient été informés

  3   qu'ils pouvaient s'attendre à une attaque de l'armée de Bosnie-Herzégovine

  4   et que nous étions censés, nous, rentrer chez nous. Ce que nous avons

  5   fait: nous avons emporté tous nos outils.

  6   Question    Et est-ce qu'il y a eu une attaque?

  7   Réponse:    Je ne sais pas. En tout cas, quatre hommes armés du HVO nous

  8   ont escortés jusqu'au village de Zaselje. Ils étaient devant nous et ils

  9   avaient leurs armes prêtes à être utilisées, car il y avait une forêt

 10   toute proche et ils ne voulaient pas tomber dans une embuscade. Et nous,

 11   nous sommes descendus de ces hauteurs avec eux.

 12   Question    Et vous êtes rentré chez vous par la suite?

 13   Réponse:    Oui.

 14   Question    Combien de temps avez-vous passé chez vous avant de recevoir

 15   votre deuxième désignation?

 16   Réponse:    Le 2 juillet, notre peloton de travail s'est rendu à Zaselje.

 17   Question    C'était bien au début de juillet? Comment saviez-vous que vous

 18   deviez, de nouveau, vous rendre sur des sites à creuser des tranchées?

 19   Réponse:    Des gens sont venus à notre porte et j'ai reçu une

 20   notification officielle.

 21   Question    Est-ce que c'était quelqu'un qui vous l'avait apportée?

 22   Réponse:    Oui, on a sans doute envoyé quelqu'un du département de

 23   défense civile pour nous informer qu'il fallait y aller. Et notre point de

 24   rassemblement, c'était la bibliothèque. Notre peloton de travail

 25   s'appelait "peloton de travail de la colonie".


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  1   Question    Et vous avez été envoyé à Zaselje?

  2   Réponse:    Oui.

  3   Question    A combien de reprises êtes-vous allé creuser des tranchées?

  4   Réponse:    Et bien, après Zaselje, j'ai été à Bobasi; puis, juste à côté

  5   de Bobasi, il y avait Brdjani. Puis, je suis allé en direction de

  6   Tolovici. Il y a une localité qui porte le nom de Lazine. Par la suite,

  7   nous sommes allés à Baringaj et, plus tard, j'ai été mobilisé par le

  8   département de défense civile. C'est au cours du mois d'août que j'ai eu

  9   un mauvais rhume; j'ai eu des problèmes de reins, également de vessie. Ils

 10   se sont dit que j'avais peut-être la jaunisse. J'ai donc eu un congé de

 11   maladie d'un mois et, puis par la suite, j'ai quitté la localité en

 12   novembre et j'ai été déployé pour des fonctions de garde à Vitez parce que

 13   j'avais perdu vingt kilos au cours de ces derniers mois. Ils se sont dit

 14   que j'aurais des difficultés à continuer à creuser des tranchées, que je

 15   ferai meilleur à faire ailleurs.

 16   Il y avait beaucoup de matériel de construction, je devais veiller sur la

 17   sécurité des ambulances, parce qu'il fallait veiller à ce qu'il y ait

 18   suffisamment de ravitaillement de carburant. Il y avait aussi une morgue,

 19   ce qui veut dire que toutes les personnes qui avaient été tuées, qui

 20   étaient amenées à la morgue étaient préparées en vue des funérailles. Ces

 21   funérailles avaient lieu le soir, à 10 heures, pas pendant la journée.

 22   Nous étions cinq à faire ce type de travail.

 23   Question    Vous nous avez donné tous ces détails. Pourquoi dites-vous que

 24   les funérailles n'avaient pas lieu pendant la journée?

 25   Réponse:    La totalité de Vitez était une ligne de front. On ne savait


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  1   pas d'où venaient les coups de feu. Vraiment, il y avait des balles qui

  2   sifflaient de partout.

  3   Question    Donc c'était pour des raisons de sécurité?

  4   Réponse:    Oui, les parents d'enfants, par exemple, qui avaient été tués

  5   n'assistaient pas à ces funérailles. Il y avait des fonctionnaires qui

  6   s'en occupaient. Disons qu'ils prenaient congé de leurs enfants chez eux

  7   et puis c'était le département de défense civile qui s'occupait des

  8   funérailles parce que c'était évidemment un moment pénible pour les

  9   parents.

 10   Question    C'est à cet endroit que vous vous trouviez au moment où la

 11   guerre s'est terminée?

 12   Réponse:    Oui.

 13   Question    Monsieur Lukovic, étant donné votre participation à l'effort

 14   de guerre, vous avez bénéficié de certains droits, n'est-ce pas?

 15   Réponse:    Oui.

 16   Question    Je vais vous montrer un document, Monsieur Lukovic. Dites-nous

 17   si c'est bien un document que vous avez ou des papiers d'identité que vous

 18   avez reçus en votre qualité de membre d'un peloton de travail?

 19   Mme Ameerali (interprétation): Il s'agira du document D122/2.

 20   M. Mikulicic (interprétation): Monsieur l'huissier, veuillez remettre

 21   l'original au témoin et la version en anglais sur le rétroprojecteur.

 22   Monsieur Lukovic, est-ce bien cette carte de membre que vous avez reçue au

 23   moment où vous êtes devenu membre d'un peloton de travail?

 24   M. Lukovic (interprétation): Oui, j'ai d'ailleurs apporté l'original. Ce

 25   que vous avez, c'est une photocopie. Mais je n'ai pas ma photographie. Je


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  1   l'ai enlevée de la carte.

  2   Question    Je vois. Mon confrère, Me Naumovski, vient de me dire qu'il y

  3   a peut-être une erreur qui s'est glissée dans la traduction de cette carte

  4   de membre, qu'il s'agissait du 14 janvier 1993 plutôt que de 1994, ce qui

  5   figure dans l'original. Donc il y a une erreur au niveau de l'année.

  6   Réponse:    Oui, excusez-moi, c'est bien cela. Je n'avais pas mis mes

  7   lunettes: c'est bien le 14 janvier 1994. Cela, c'est la bonne date.

  8   Question    Etant donné votre affectation à un peloton de travail, vous

  9   avez aussi reçu le droit de recevoir des certificats ou actions, n'est-ce

 10   pas?

 11   Réponse:    Oui.

 12   Question    Vous avez reçu un document de ce genre; je vais vous demander

 13   de l'examiner. Vous nous direz ce dont il s'agit.

 14   Mme Ameerali (interprétation): Il s'agira du document D123/2.

 15   M. Mikulicic (interprétation): Monsieur Lukovic, c'est bien le certificat

 16   dont nous parlions. Il a été délivré le 7 mai 1996 par le commandement du

 17   92e Régiment des Domobrani, et qui confirme que "M. Lukovic, fils Bosko,

 18   est né en 1935". C'est bien vous, n'est-ce pas?

 19   M. Lukovic (interprétation): Oui.

 20   Question:   "Qu'il était membre du 92e Régiment Viteska du 16 au 20 avril

 21   1994".

 22   J'ai quelques questions à vous poser à l'encontre de ce document. D'abord

 23   est-ce que vous avez été membre du 92e Régiment Viteska?

 24   Réponse:    Eh bien, j'ai appris cela la première fois, lorsque j'ai reçu

 25   ce certificat…


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  1   Question    Excusez-moi de vous interrompre, Monsieur Lukovic, mais

  2   pourriez-vous répondre à ma question? Avez-vous jamais été membre du 92e

  3   Régiment?

  4   Réponse:    Jamais. J'étais civil dans un peloton de travail; je n'avais

  5   ni uniforme ni arme.

  6   Question    Vous avez reçu ce certificat pour l'utiliser pour vos

  7   certificats ou actions?

  8   Réponse:    Oui. C'est à cause de cela que j'ai pu bénéficier d'années de

  9   service supplémentaires. De cette façon-là, au moment de ma retraite, eh

 10   bien, ces années ont compté double.

 11   Question    Monsieur Lukovic, l'employé qui vous a remis ce certificat,

 12   est-ce que vous lui avez dit, à cet homme, que vous n'étiez pas membre du

 13   92e Régiment des Domobrani?

 14   Réponse:    Non, je n'ai jamais fourni ce type d'information.

 15   Question:   Monsieur Lukovic, abordons le dernier sujet qui sera le nôtre

 16   aujourd'hui.

 17   Messieurs les Juges, il me faudra peut-être dix minutes en tout. Au

 18   maximum. Pouvons-nous poursuivre?

 19   M. Lukovic (interprétation): J'aimerais dire quelque chose. Puis-je le

 20   faire?

 21   M. le Président (interprétation): Oui.

 22   M. Lukovic (interprétation): Je ne savais même pas qu'il existait un 92e

 23   Régiment Viteska. J'ai trouvé cela bizarre de me retrouver tout d'un coup

 24   membre de ce régiment. J'en ai parlé à ma famille, mais je n'ai appris

 25   l'existence de tout ceci qu'au moment où j'ai reçu ce document.


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  1   M. Mikulicic (interprétation): Merci. Je dois intervenir pour la

  2   traduction, une fois de plus. Merci, Maître Naumovski de m'avoir indiqué

  3   ceci: on dit dans la traduction que M. Lukovic était membre du 92e

  4   Régiment Viteska du 16 au 20 avril 1994, alors qu'il devrait s'agir du 16

  5   avril 1993 au 20 avril 1994. Donc, il en aurait été membre pendant une

  6   année et pas pendant quatre jours, comme l'indiquait ce document ou du

  7   moins, la traduction de ce document.

  8   Monsieur Lukovic, en guise d'introduction, vous avez dit que votre fils

  9   était diplômé de la faculté de droit, mais qu'il avait perdu son travail

 10   et qu'après, il avait rejoint une unité du HVO?

 11   Réponse:    Non, il n'a pas rejoint les unités du HVO. Il a été mobilisé.

 12   En effet, il était tout comme moi un conscrit mais, bien sûr, plus jeune.

 13   Et c'est ainsi qu'il est devenu membre du HVA, du moins, de la composante

 14   armée du HVO.

 15   Question:   Il a été blessé au cours de la guerre?

 16   Réponse:    Oui, à Bobasi.

 17   Question:   Il est invalide à 30%?

 18   Réponse:    Oui, exact. Il a encore des éclats d'obus ou de balle à la

 19   main gauche. Du coup, il est considéré comme invalide et reçoit une

 20   pension d'environ 300 deutsche marks.

 21   Question:   Et ceci l'autorisait aussi à recevoir des certificats?

 22   Réponse:    Oui.

 23   Question:   Votre femme faisait-elle partie d'une composante armée ou d'un

 24   peloton de travail?

 25   Réponse:    Ma femme, c'était ma femme. C'était une ménagère, une grand-


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  1   mère. Elle passait tout son temps à la maison. Elle était vraiment la

  2   cheville ouvrière de notre maison parce que l'un partait d'un côté,

  3   l'autre de l'autre. Puisque son mari était parti et son fils aussi, elle

  4   est restée chez elle avec sa belle-fille.

  5   Question:   La situation était difficile?

  6   Réponse:    Oui.

  7   Question:   Elle aussi a bénéficié de certificats?

  8   Réponse:    Oui, parce que nous tous, nous avons reçu des certificats du

  9   fait de la privatisation des entreprises sociales et des usines qui

 10   existaient auparavant. Il y a des pensionnés, des retraités qui recevaient

 11   une pension un peu plus importante, ceux qui avaient des comptes d'épargne

 12   et qui avaient perdu toutes leurs épargnes ont reçu des certificats comme

 13   quoi ils étaient membres du HVO en fonction des années de service dans le

 14   HVO, ou, si c'étaient des civils, qu'ils auraient travaillé à la défense

 15   civile. Ce qui veut dire qu'outre ceci, ma femme a reçu à peu près mille

 16   marks ou l'équivalent de mille marks en certificats en qualité de

 17   citoyenne qui se trouvait dans cette zone au moment où la guerre

 18   sévissait. Les femmes ont participé à l'effort de guerre par le truchement

 19   de la Croix-Rouge: elles cuisaient du pain, elles préparaient à manger,

 20   elles fournissaient des draps pour les hôpitaux ou pour les morgues. Des

 21   choses de ce genre.

 22   Question:   Merci, Monsieur Lukovic. Je crois que nous avons maintenant

 23   une meilleure idée de la situation. Est-ce que vous connaissez Mario

 24   Cerkez?

 25   Réponse:    Oui, très bien.


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  1   Question:   Comment se fait-il que vous le connaissiez? A cause de ses

  2   parents? Vous les connaissiez?

  3   Réponse:    Oui, nous avons été amis pendant des années. Surtout dans les

  4   années 60, 70. Nous étions très bons amis. Nous nous voyions souvent. On

  5   allait camper ensemble. On a fait cela pendant dix ans. On allait à

  6   Makarska, sur la côte, ensemble. Ce qui veut dire que Davoran, le frère de

  7   Mario, Mario, les parents, tous les enfants, on partait tous sur la côte

  8   ensemble.

  9   Question:   Etant donné ces liens d'amitié avec la famille Cerkez, est-ce

 10   que vous pensez que la famille Cerkez et Mario aussi, personnellement,

 11   avaient des préjugés à l'égard des Musulmans ou d'autres groupes ethniques

 12   qui vivaient en Bosnie-Herzégovine?

 13   Réponse:    A ma connaissance, la famille Cerkez était plus respectée,

 14   surtout Dugomir l'était, le père qui est décédé, ainsi que la mère. Ils

 15   travaillaient tous les deux à la poste. C'étaient des gens très aimables

 16   qui avaient beaucoup d'amis, de connaissances et, jamais, je n'ai constaté

 17   un tel comportement. Parce que si j'avais constaté un tel comportement,

 18   j'aurais cessé d'être leur ami. Il est important que je le dise pour les

 19   deux, et surtout la mère de Mario, elle était très religieuse.

 20   Question:   Est-ce que vous avez constaté peut-être que Mario avait un

 21   comportement agressif? Est-ce qu'il aimait chercher la bagarre?

 22   Réponse:    Difficile de répondre. Je vous l'ai dit, nous sommes amis. A

 23   vous de juger dans quelle mesure je peux être objectif puisque nous étions

 24   vraiment des amis intimes. Mais comment qualifier mes sentiments à son

 25   égard? C'était un homme exemplaire, très bien élevé, très cultivé. Il est


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  1   allé à l'école des officiers de réserve à Biledza (?). Il était

  2   lieutenant, il a travaillé pendant tout un temps à la Poste, puis au

  3   secrétariat pour la défense nationale, ainsi que dans les services de

  4   défense civile de la municipalité. Plus tard, lorsque je suis passé à

  5   l'usine SPS où j'étais directeur, il y avait un secteur de défense

  6   nationale. J'ai demandé à Mario de venir parce que nous avions des

  7   difficultés pour la manutention d'un équipement particulier. Lui qui était

  8   technicien officier a fini par venir travailler à l'usine. Il était

  9   responsable des ressources et matériaux techniques, MTS.

 10   Question:   Comment s'est-il acquitté de sa tâche?

 11   Réponse:    De façon excellente. Il était très minutieux. Nous avons pu

 12   faire le travail rapidement grâce à lui. Bon, peut-être que mon évaluation

 13   n'aura pas beaucoup de poids, mais je sais qu'il y a eu plusieurs

 14   inspections militaires qui sont venues sur les lieux pour voir le travail.

 15   Il y avait eu une délégation fédérale, avec à sa tête un amiral, et ils

 16   ont vraiment félicité le travail fait non seulement par Mario, mais aussi

 17   par la défense civile dans la localité.

 18   Question:   Merci d'être venu comparaître ici à ce Tribunal. Je n'ai plus

 19   de questions à poser au témoin.

 20   (Questions du Juge May.)

 21   M. le Président (interprétation): Monsieur le Témoin, puis-je vous

 22   demander quelque chose? Je veux être sûr de ce que j'ai bien compris votre

 23   témoignage. Vous avez dit avoir creusé des tranchées. Vous avez parlé de

 24   Bobasi ainsi que de Lazine, endroits où vous seriez allé creuser ces

 25   tranchées. Mais vous avez mentionné d'autres endroits. Est-ce que vous


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  1   pourriez me dire ce qu'ils représentaient? Lesquels c'étaient?

  2   M. Lukovic (interprétation): Vous voulez que je vous les donne tous?

  3   Question:   Ceux que vous avez mentionnés. Vous avez parlé de Zabrdje, de

  4   Bobasi. Outre ceux-là, quels étaient les autres endroits?

  5   Réponse:    Brdjani, ainsi que Barin Gaj . Cela en fait six en tout, je

  6   pense.

  7   Question:   Merci.

  8   Réponse:    Je vous en prie.

  9   Question:   Pourriez-vous nous aider sur certains autres éléments de

 10   géographie. L'université ouvrière -ou centre d'éducation- apparemment

 11   était aussi appelé autre chose: Centre culturel. Est-ce exact?

 12   Réponse:    Je me trouvais à l'université ouvrière en 1959. C'était une

 13   institution autonome et il y avait -et c'était quelque chose de séparé- un

 14   centre. C'était une partie de l'usine SPS. Par la suite, le centre

 15   culturel et l'université ouvrière ont fusionné. C'est devenu une

 16   organisation que l'on a appelée l'université ouvrière "Mosa Pijade". Il y

 17   avait un théâtre, un cinéma.

 18   Question:   Fort bien. Et c'est là qu'il y avait le cinéma alors?

 19   Réponse:    Oui.

 20   Question:   Autre chose. On a parlé de "La Colonie" ou de "Colonie". Cela

 21   faisait partie de Vitez? C'était un quartier?

 22   Réponse:    Tout à fait. Novi Vitez, c'est le nouveau Vitez. Et c'est là

 23   qu'il y a eu des tours résidentielles. C'est-à-dire que les entreprises

 24   ont bâti des appartements pour les ouvriers à cet endroit. Au moment où

 25   l'on a construit l'usine militaire, on a appelé cet endroit La Colonie.


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  1   Dès que s'érigeait un nouveau bâtiment, on appelait cet endroit La

  2   Colonie. Mais je peux vous dire qu'il fut un temps où Vitez était belle,

  3   où il y avait beaucoup d'endroits verts, de parcs.

  4   M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur. Pourriez-vous vous

  5   retrouver à l'audience? Est-ce qu'il y aura contre-interrogatoire de votre

  6   part, Maître Sayers?

  7   M. Sayers (interprétation): Pas pour M. Kordic.

  8   M. le Président (interprétation): L'accusation va procéder au contre-

  9   interrogatoire. Je vous demanderai donc d'être présent à l'audience demain

 10   à 9 heures 30. Vous pourrez ainsi poursuivre votre déposition.

 11   Veillez à ne vous entretenir avec personne de votre déposition tant

 12   qu'elle n'est pas terminée. Ceci concerne également les membres des

 13   équipes de la défense.

 14   J'ai besoin de parler avec Mme Featherstone.

 15   L'audience est suspendue jusque demain, 9 heures 30.

 16  (L'audience est levée à 16 heures 12.)

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