Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 3 avril 2006

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 22.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourriez-vous

  6   citer l'affaire, s'il vous plaît.

  7   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bon après-midi. Il s'agit de l'affaire

  8   IT-00-39-T, le Procureur contre Momcilo Krajisnik.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.

 10   Avant de demander à la Défense d'appeler son prochain témoin, Monsieur

 11   Stewart --

 12   M. STEWART : [interprétation] Monsieur le Président.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] -- pour ce qui est des pièces versées

 14   par l'Accusation qui ont trait au témoin Mme Cenic, y a-t-il des objections

 15   de votre part ?

 16   M. STEWART : [interprétation] Non.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, le P1139 jusqu'à et y compris le

 18   P1144 sont versés au dossier.

 19   Dans l'intervalle, la Chambre a reçu la réponse de l'Accusation sur les

 20   mesures de protection à prévoir pour le témoin qui viendra après le

 21   prochain témoin. La Chambre ne sait pas vraiment s'il y avait des

 22   informations supplémentaires qui ont été données par la Défense.

 23   M. STEWART : [interprétation] Non, absolument pas. Il y a eu une petite

 24   modification par rapport à la position de faits dont on parlait à la

 25   Chambre, parce que si vous vous souvenez, le témoin devait arriver, mais

 26   malheureusement le planning a changé encore et le témoin n'est pas encore

 27   ici --

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.


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  1   M. STEWART : [interprétation] Nous allons traiter de la même façon avec ce

  2   témoin. Nous vous donnerons toute information supplémentaire en temps et

  3   heure.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Il n'y a pas d'autres points

  5   de procédure à traiter, il me semble, donc Madame l'Huissière, pourriez-

  6   vous, s'il vous plaît, faire entrer le témoin dans le prétoire.

  7   Monsieur Stewart, j'imagine que vous êtes prêt à interroger ce témoin ? Il

  8   s'agit de M. Kecmanovic.

  9   M. STEWART : …bien, et anglais presque pas du tout. "No, no, he won't be

 10   speaking French." Comme on dit à Paris, "you can't win 'em all."

 11   [interprétation] C'est comme ça.

 12   M. LE JUGE ORIE : …peut-être invite le Juge Hanoteau de poser encore plus

 13   de questions.

 14   M. STEWART : [interprétation] De toute façon, il y a toujours les

 15   interprètes pour les questions.

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, restons sérieux.

 17   M. STEWART : [interprétation] Nous attendons simplement le témoin, Monsieur

 18   le Président.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

 20   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kecmanovic, bonjour. S'il vous

 22   plaît, pourriez-vous rester debout encore une petite minute, car en

 23   application du Règlement de procédure et de preuve, il faudrait que vous

 24   fassiez une déclaration solennelle que vous allez dire la vérité, toute la

 25   vérité et rien que la vérité. Mme l'Huissière va vous montrer le texte de

 26   cette déclaration solennelle.

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Puis-je ?

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.


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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

  2   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

  3   LE TÉMOIN : NENAD KECMANOVIC [Assermenté]

  4   [Le témoin répond par l'interprète]

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur

  6   Kecmanovic. Vous pouvez vous asseoir.

  7   Vous serez d'abord interrogé par M. Stewart, qui est conseil de la

  8   Défense.

  9   Monsieur Stewart, vous avez la parole.

 10   M. STEWART : [interprétation] Merci.

 11   Interrogatoire principal par M. Stewart :

 12   Q.  [interprétation] Monsieur Kecmanovic, tout d'abord je vais vous poser

 13   des questions assez simples, très factuelles, à votre propos, qui se

 14   répondent par oui ou par non. Vous êtes né à Sarajevo en 1947, et à l'heure

 15   actuelle vous êtes professeur de science politique à l'Université de

 16   Belgrade, et cela fait cinq ans que vous êtes à ce poste ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Vous avez vécu toute votre vie à Sarajevo, en tout cas jusqu'à juillet

 19   1992, et vous étiez aussi professeur de science politique à l'Université de

 20   Sarajevo jusqu'à ce moment-là; c'est bien cela ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Votre famille et vous habitez à l'heure actuelle à Belgrade, bien

 23   qu'officiellement vous soyez résident de Sarajevo; cela dit, vous n'y êtes

 24   pas revenu depuis 1992 ?

 25   R.  J'ai deux résidences et deux nationalités, et j'ai encore un

 26   appartement à Sarajevo.

 27   Q.  Revenons maintenant à la période qui a précédé la guerre. Vous étiez

 28   assez actif politiquement, car vous étiez membre du Parti communiste


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  1   jusqu'à 1989; c'est bien cela ?

  2   R.  J'étais membre de la Ligue des Communistes.

  3   Q.  En 1986, vous vous êtes porté candidat pour être membre de la

  4   présidence commune de la Fédération de la République de Yougoslavie en tant

  5   que membre pour la Bosnie-Herzégovine; c'est bien cela ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Mais votre candidature a été un peu sapée par un rapport des Services

  8   secrets qui alléguait que vous étiez un espion britannique ?

  9   R.  Oui, c'est plus ou moins le cas.

 10   Q.  Mais est-ce vrai; est-ce que vous étiez un espion britannique ?

 11   R.  Non.

 12   Q.  Ensuite, vous avez rejoint l'alliance des Réformistes d'Ante Markovic.

 13   C'est un mouvement qui est connu sous différents noms, mais normalement et

 14   d'habitude, on l'appelle le SRS. C'est ainsi qu'on l'appelait quand il a

 15   été créé à l'été 1990; c'est bien cela ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  A l'époque, vous aurait-on fait le moindre offre par rapport au SDS ?

 18   R.  Oui. Le groupe qui a créé le SDS m'a demandé à en prendre la tête.

 19   Q.  Les membres de ce groupe qui vous avaient fait cette demande, de qui

 20   s'agissait-il exactement ?

 21   R.  Il s'agissait principalement des dirigeants principaux du SDS et du

 22   mouvement national serbe, comme M. Koljevic, Radovan Karadzic, Vojislav

 23   Maksimovic, Aleksa Buha, le Pr Ekmecic, qui était l'un des membres

 24   fondateurs, mais qui n'a jamais occupé aucun poste officiel.

 25   Q.  Y avait-il M. Momcilo Krajisnik à l'époque, sur la scène, dans ce

 26   cadre ?

 27   R.  M. Krajisnik n'était pas membre du cercle très proche de personnes qui

 28   avaient fondé le Parti démocratique serbe. Je ne le connaissais pas


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  1   auparavant. Il n'était pas une personne publique et il n'était pas membre

  2   de ce groupe qui avait créé le Parti démocratique serbe, comme je l'ai dit.

  3   Q.  Avez-vous rejoint les rangs du SDS ?

  4   R.  Non, j'ai répondu en disant que je soutenais la création de ce parti,

  5   parce que les deux autres peuples de Bosnie-Herzégovine avaient aussi créé

  6   leurs propres partis ethniques, et c'est pour cela que je soutenais la

  7   création du SDS, mais je n'étais pas prêt à diriger ce parti. J'ai aussi

  8   dit que je ne souhaitais pas vraiment devenir membre puisque j'étais

  9   président du Parti réformiste, le parti d'Ante Markovic. J'en étais le

 10   président pour la Bosnie-Herzégovine. Il s'agissait d'un parti yougoslave.

 11   Markovic était le dirigeant au niveau de la Yougoslavie, et j'étais le

 12   dirigeant pour ce qui est uniquement de la Bosnie-Herzégovine. A l'époque

 13   dont vous parlez, on était en train de créer tous ces partis, et ils ont

 14   été mis en œuvre un peu plus tard.

 15   Q.  Sans entrer dans une analyse détaillée, pourriez-vous résumer

 16   rapidement ce qui, selon vous, était les différences essentielles entre le

 17   SDS et le SRS, le parti dont vous faisiez partie à l'époque ?

 18   R.  L'alliance des Réformistes, puisque c'est ainsi qu'on l'appelait,

 19   c'était l'un des seuls partis, le seul grand parti qui vraiment cherchait à

 20   préserver la Yougoslavie. La Ligue des Communistes, comme on l'appelait

 21   aussi à l'époque, s'était effondrée et s'était segmentée en partis

 22   républicains. Or, le parti de M. Markovic insistait sur la préservation de

 23   la Yougoslavie. Cela est un des éléments essentiels. L'autre élément, c'est

 24   que ce n'était pas un parti qui avait une base ethnique. C'était un parti

 25   multiethnique, contrairement au HDZ, au SDS, au SDA, qui avaient une base

 26   ethnique.

 27   La troisième différence, c'était qu'à l'époque, tous les partis voulaient

 28   la démocratisation, la libéralisation, l'économie de marché, et cetera.


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  1   Mais on pensait que les réformistes étaient plus avancés dans ce domaine,

  2   puisque Ante Markovic avait déjà été premier ministre, il avait prouvé, en

  3   tant que personne, qu'il savait mettre en œuvre ce type de politique. Il

  4   avait réussi d'ailleurs sa carrière de premier ministre, en tout cas, à un

  5   moment.

  6   Q.  Maintenant, pour en venir aux élections multipartites en 1990, votre

  7   parti a gagné à peu près dix sièges au sein de l'assemblée de Bosnie-

  8   Herzégovine dans le cadre de ces élections; c'est bien cela ?

  9   R.  Très exactement, 11 sièges.

 10   Q.  Vous n'avez pas été candidat à l'élection en tant que député de

 11   l'assemblée, mais vous avez, en revanche, été candidat pour être élu à la

 12   présidence de la Bosnie-Herzégovine; c'est bien cela ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Et vous avez échoué à être élu de très, très peu ?

 15   R.  Oui. J'ai eu le troisième -- j'étais juste derrière Mme Plavsic et feu

 16   Nikola Koljevic. J'étais juste en troisième. Vraiment, la différence entre

 17   nous, au nombre des voix, était très minime. Mais cela suffisait pour que

 18   je ne devienne pas membre de la présidence puisqu'il n'y avait que deux

 19   membres qui pouvaient être élus à la présidence.

 20   Q.  Mais voici ce qui s'est passé : M. Abdic, M. Izetbegovic et M. Ganic

 21   ont été élus ?

 22   R.  Pourriez-vous répéter la question ?

 23  Q.  Parmi les personnes qui avaient été élues à la présidence, il y avait M.

 24   Abdic, M. Izetbegovic et M. Ganic, n'est-ce pas ?

 25   R.  Oui. Je vous ai demandé quelle était votre question parce que je ne

 26   voulais pas qu'il y ait confusion. Les trois membres venant du côté

 27   musulman ont été élus, alors qu'il n'y avait que deux Croates et deux

 28   Serbes. M. Ganic a été élu en tant que représentant des autres partis; pas


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  1   en tant que Bosnien ou Musulman, mais en tant que représentant de tous les

  2   autres peuples qui vivaient en Bosnie-Herzégovine, mais qui ne formaient

  3   pas l'un des peuples constitutifs de la Bosnie-Herzégovine. Il s'est

  4   déclaré comme étant yougoslave.

  5   Q.  Vous m'avez ôté les mots de la bouche, mais je vais reprendre la

  6   question. Il y avait M. Abdic et M. Izetbegovic qui étaient musulmans, qui

  7   étaient membres du SDA et qui avaient été élus; c'est bien cela ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  M. Ganic était membre du SDA, mais il a déclaré qu'il était yougoslave,

 10   et lui aussi a été élu ?

 11   R.  D'abord, M. Ganic appartenait au même parti que celui que je dirigeais.

 12   Puis, la veille des élections, il a rejoint les rangs du SDA, et le SDA l'a

 13   présenté comme candidat yougoslave.

 14   Q.  M. Koljevic et Mme Plavsic, comme vous venez de le dire, étaient

 15   membres du SDS. Tous les deux étaient serbes et ils ont tous les deux

 16   étaient élus. Pour ce qui est des membres du HDZ, il y avait M. Kljuic --

 17   Stjepan Kljuic et M. Franjo Borac. Eux aussi ont été élus à la présidence ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Pour ce qui est des Serbes, vous étiez celui qui a eu le plus de voix

 20   juste après Koljevic et Plavsic, et vous étiez devant l'autre candidat

 21   serbe qui a échoué, M. Pejanovic ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Après ces élections multipartites, tout s'est déroulé de façon normale,

 24   et en tant que membre dirigeant de votre parti, vous deviez être présent

 25   aux sessions de l'assemblée, mais vous n'étiez pas député et vous n'aviez

 26   pas de voix ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Une autre personne a aussi participé, et vous pouviez participer


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  1   activement, mais vous ne pouviez pas voter; c'est cela ? Il s'agit de vous

  2   et du Dr Karadzic ?

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Pour ce qui est de M. Krajisnik -- enfin, quand M. Krajisnik est devenu

  5   président de l'assemblée, on avait déjà entendu des dépositions disant que

  6   --

  7   L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas saisi le nom.

  8   M. STEWART : [interprétation]

  9   Q.  -- aurait pu obtenir le poste de président de l'assemblée, mais avait

 10   décliné cette offre. Est-ce que vous vous souvenez d'autres personnes qui

 11   auraient pu potentiellement prétendre à ce poste dont on parlait à

 12   l'époque ?

 13   R.  Oui, je peux vous donner quelques noms. Il y avait un de mes collègues

 14   de l'école de philosophie, le Pr Aleksa Buha; et de l'école de littérature

 15   aussi, il y avait le Pr Maksimovic; aussi un avocat, Trbojevic, et encore

 16   quelques autres, mais je ne me souviens pas de leurs noms. Il s'agissait de

 17   représentants du SDS à qui on a proposé le poste avant de le proposer à M.

 18   Krajisnik.

 19   Q.  Avant qu'il ne prenne ce poste de présidence de l'assemblée de Bosnie-

 20   Herzégovine, aviez-vous déjà rencontré M. Krajisnik ?

 21   R.  Non.

 22   Q.  Vous êtes-vous demandé qui était M. Krajisnik avant qu'il prenne ce

 23   poste ?

 24   R.  M. Krajisnik était l'une des seules personnes qui avait des postes

 25   élevés dans le nouveau gouvernement, que je ne connaissais pas

 26   personnellement, enfin que je ne connaissais pas d'avant. J'avais entendu

 27   dire qu'il était directeur d'Energoinvest qui était une grande entreprise

 28   basée à Sarajevo. J'ai, en effet, fait ma petite enquête. J'ai demandé à


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  1   des gens qui le connaissaient, et on m'a donné des informations sur lui

  2   avant que je ne le rencontre en personne.

  3   Q.  Qu'est-ce qu'on vous a dit à propos de lui ?

  4   R.  Des opinions très positives. Mes amis croates et musulmans m'ont dit

  5   que c'était un excellent directeur. Professionnellement, il avait beaucoup

  6   de succès. Il était directeur financier d'une des entreprises qui faisaient

  7   partie d'Energoinvest. J'étais très intéressé de cet aspect pour ce est --

  8   j'ai entendu dire qu'il était très patriote, qu'il était très religieux,

  9   qu'il était très ouvert, très franc pour ce qui est de ses opinions

 10   nationales, mais qu'il était très tolérant et qu'il acceptait parfaitement

 11   que les autres aient d'autres opinions que lui. Au sujet d'un anecdote,

 12   d'ailleurs. A l'époque, il n'était pas habituel que les gens souhaitent les

 13   fêtes religieuses des autres, mais il le faisait toujours. Il disait

 14   toujours aux autres lors des grandes fêtes religieuses qu'ils pouvaient

 15   prendre un jour férié pour fêter les fêtes religieuses, alors que les

 16   autres, mes amis considéraient qu'il n'était pas utile de prendre un jour

 17   de congé pour les fêtes religieuses. Ils trouvaient quand même que c'était

 18   très noble de la part de Krajisnik, parce que ce n'était pas du tout

 19   courant à l'époque d'avoir un jour de congé lors d'un jour religieux.

 20   Q.  Le Parlement de Bosnie-Herzégovine, après sa constitution en novembre

 21   1990, a été un parlement pluripartite, et c'était la première fois que cela

 22   arrivait de la mémoire des gens, à l'époque, n'est-ce pas ?

 23   R.  Excusez-moi. Je n'ai pas très bien saisi votre question.

 24   Q.  Après les élections qui ont eu lieu en novembre 1990, le Parlement de

 25   la Bosnie-Herzégovine a été pour la première fois un parlement pluripartite

 26   de toute l'histoire du pays, n'est-ce pas ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Est-ce que cela a eu un effet sur la vie publique de la Bosnie-


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  1   Herzégovine ?

  2   R.  Oui, en effet. Pour ce qui est de ma génération et de ceux qui sont un

  3   peu plus âgés et un peu plus jeunes que moi, cela constituait une

  4   expérience, je dirais, intéressante. Cela a été plus qu'un événement

  5   politique, un spectacle politique, dirais-je, parce que les sessions du

  6   Parlement ont été rediffusées du fait d'être pluripartites. Par exemple, le

  7   gouvernement, la présidence était pluripartite à l'époque. La télévision ne

  8   rediffusait que de brèves informations avec quelques images de ces

  9   différentes sessions, réunions. Cela était accompagné de commentaires du

 10   journaliste ou du directeur en chef. Or, ici, on retransmettait sur le vif.

 11   En réalité, c'est un organisme ou une instance qui, de la tradition

 12   communiste, était considérée comme étant peu intéressante, même ennuyeuse.

 13   Et tout à coup, c'était devenu tout à fait nouveau, tout à fait animé.

 14   C'était la première fois que les citoyens avaient l'occasion de suivre

 15   directement les débats politiques qui, qui plus est, avaient cette

 16   constituante ethnique dans un milieu pluriethnique.

 17   Q.  Cette réaction générale du public vis-à-vis de ce Parlement nouveau,

 18   d'après ce que vous êtes en train de nous dire, cela avait été positif,

 19   n'est-ce pas ?

 20   R.  Oui. Après ces premières élections pluripartites qui ont eu lieu pour

 21   la première fois après une campagne électorale, cela constituait une vision

 22   en continu de la démocratie telle qu'on se l'imaginait dans la vie

 23   politique au quotidien, politique au quotidien aux yeux de l'homme de la

 24   rue, du citoyen ordinaire.

 25   Q.  Dans quelle mesure M. Krajisnik a-t-il contribué à l'opinion que s'est

 26   faite l'opinion publique au sujet de ce nouveau parlement ?

 27   R.  Je pense - et je ne suis pas le seul à le penser - je crois que c'était

 28   l'opinion la plus répandue parmi les citoyens indépendamment de leur


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  1   appartenance politique ou ethnique, que sa contribution avait été très

  2   grande, parce que ce n'était pas un président du parlement autoritaire, à

  3   savoir, ce n'est pas quelqu'un qui canalisait les travaux en interrompant

  4   les députés, en se référant à l'ordre du jour ou au règlement pour ce qui

  5   est de la durée des interventions. Il avait créé une ambiance assez

  6   décontractée, où les députés avaient la possibilité de fournir leur opinion

  7   de façon directe. L'ambiance était polémique, même amusante parfois. Parce

  8   que les députés, c'étaient des personnalités nouvelles dans la politique

  9   d'une part, et la façon de la conduire la politique était nouvelle

 10   également. Tout ceci a constitué une espèce de découverte pour le citoyen

 11   ordinaire, et je pense que M. Krajisnik avait encouragé cet esprit-là. Il

 12   n'a pas été restrictif pour ce qui est du fonctionnement du parlement. Il

 13   est vrai de dire, c'est la raison pour laquelle les séances ont duré très

 14   longtemps. A chaque fois qu'il y avait des malentendus, il accordait des

 15   pauses, des pauses prolongées qui transféraient l'animation de la salle de

 16   séance vers les halls. Là, les journalistes étaient présents avec les

 17   caméras, ce qui fait que cela aussi avait constitué une partie intégrante

 18   du spectacle.

 19   Q.  Il serait vrai de dire, n'est-ce pas, M. Kecmanovic, que s'agissant des

 20   sessions du parlement où M. Krajisnik a présidé, les sessions avaient

 21   coutume de durer assez longtemps, n'est-ce pas ?

 22   R.  Cela a duré assez longtemps. A l'époque, je parle notamment de la

 23   période qui a suivi les élections jusqu'au début de la guerre, l'après, la

 24   période a été plutôt brève, en effet. Je me souviens d'un commentaire qui a

 25   circulé parmi la population, où notamment dans la phase où cela commençait

 26   déjà à pressentir d'une guerre, parce qu'il y a eu bon nombre de

 27   malentendus. On disait : Tant que Krajisnik présidera aux travaux de

 28   l'assemblée, il n'y a pas de danger de guerre, parce qu'ils sont tous sans


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  1   cesse là-bas puisque le Parlement siège constamment. C'est soit le

  2   Parlement qui siège ou alors des pauses de sessions. C'était à la limite

  3   d'une session ininterrompue. Les sessions ont duré en réalité à chaque fois

  4   pendant plusieurs jours.

  5   Q.  A l'époque des élections de mois de novembre 1990 où

  6   M. Krajisnik est devenu président de ce Parlement, à ce moment-là, quelle a

  7   été la position en public qu'occupait le Pr Koljevic,

  8   Mme Plavsic et M. Krajisnik ?

  9   R.  Attendez, je n'ai pas très bien saisi ce que vous m'avez demandé.

 10  Q.  Je vais poser ma question autrement. Le Pr Koljevic, était-ce quelqu'un,

 11   une personnalité politique notoirement connue dès le mois de novembre

 12   1990 ?

 13   R.  Quand vous m'avez posé la question au sujet de ma candidature à moi,

 14   être député ou membre de la présidence impliquait une coutume, à savoir que

 15   les fonctions au niveau de la présidence, qui était les fonctions les plus

 16   éminentes sous-entendaient l'élection de personnalités qui, au sein des

 17   partis, occupaient des fonctions les plus éminentes, les plus en vue. Le Pr

 18   Koljevic et

 19   Mme Biljana Plavsic étaient des favoris au niveau du parti. Ils étaient,

 20   dans le parti, en très haute position. Ils se sont vus portés candidats à

 21   la présidence. Ils ont occupé ces positions du fait d'avoir fait partie de

 22   ceux qui ont créé le parti dès le départ. S'étant trouvés à l'extérieur du

 23   contexte politique jusque-là, c'étaient des gens notoirement connus à

 24   Sarajevo, et c'étaient des noms qui, en Bosnie-Herzégovine, étaient des

 25   noms de notoriété commune. Mme Plavsic était doyenne de la faculté de

 26   sciences exactes et de mathématiques à Sarajevo. Elle était haut

 27   responsable de l'alliance socialiste de Bosnie-Herzégovine. C'était ce qui

 28   avait constitué une sorte d'organisation qui rassemblait ceux qui n'étaient


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  1   pas membres du parti, mais cela les rassemblait au niveau politique. Elle

  2   faisait partie de la présidence de ce parti au niveau républicain. Elle

  3   était chargée du domaine de l'éducation. C'était quelqu'un qui était

  4   notoirement connu.

  5   Le Pr Koljevic, lui, était connu dans sa profession. C'était un homme

  6   de tempérament qui, dans la vie culturelle de la ville de Sarajevo et de la

  7   République de Bosnie-Herzégovine tout entière, se trouvait être quelqu'un

  8   de très connu et d'omniprésent, notamment dans la vie du théâtre, dans la

  9   vie littéraire, la vie universitaire, et ainsi de suite.

 10   Si j'ai bien compris votre question maintenant, pour ce qui est de

 11   les comparez avec M. Krajisnik, je dirais qu'à ce niveau, il n'était pas si

 12   connu. C'était quelqu'un qui était gestionnaire dans l'économie. C'était

 13   connu d'un cercle restreint de professionnels, ce qu'il faisait.

 14   Q.  Vers la fin de 1990 -- ou plutôt, procédons par ordre chronologique. Un

 15  an plus tard, en octobre 1991, quelles ont été les positions occupées par M.

 16   Koljevic, Mme Plavsic et M. Krajisnik dans la vie publique, ou plutôt de

 17   quelle façon les gens les voyaient-ils en Bosnie-Herzégovine ? Quelle était

 18   l'opinion que le public se faisait au sujet de M. Koljevic, Mme Plavsic et

 19   M. Krajisnik ?

 20   R.  Ce qu'on peu dire, c'est que dès cette période-là, ces positions

 21   publiques entre les trois personnalités que vous mentionnées ont évolué. La

 22   position du président du parlement, s'agissant de M. Krajisnik, lui a

 23   conféré une grande popularité. En réalité, en sa qualité de président du

 24   Parlement, il était médiatiquement le politicien le plus exposé de la

 25   Bosnie-Herzégovine. Les sessions se tenaient souvent, elles ont duré très

 26   longtemps. La télévision, les médias ont transmis cela incessamment, ce qui

 27   fait que le président de cette instance-là était constamment devant les

 28   caméras, donc constamment exposé aux regards des citoyens.


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28  


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  1   M. Koljevic et Mme Plavsic, cependant, ont occupé des fonctions plus

  2   importantes, mais un peu plus à l'ombre pour ce qui est de l'attention du

  3   public. Comme je l'ai déjà dit, leurs activités n'ont pas été si

  4   transparentes, si translucides. On ne pouvait entendre que les conclusions

  5   adoptées par les instances où ils intervenaient, puisque les sessions

  6   n'étaient pas ouvertes au public. Ce qui fait que la situation, à ce

  7   moment-là, avait carrément changé.

  8   M. Krajisnik, déjà en sa qualité de personnalité politique, se trouvait

  9   être beaucoup plus populaire, beaucoup plus présent dans la vie publique

 10   que ses collègues, ses deux autres collègues du parti.

 11   Q.  Cette position plus en vue, telle que vous l'avez décrite s'agissant de

 12   M. Krajisnik, a-t-elle reflété une influence plus ou moins grande au sein

 13   du SDS ?

 14      M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, Monsieur Tieger.

 15   M. TIEGER : [interprétation] Je n'ai pas objecté lorsque la question a été

 16   posée de savoir quelle était l'impression que s'était faite le témoin

 17   concernant l'opinion publique générale, mais j'ai eu l'impression que ce

 18   témoin-ci était en liaison étroite avec ces gens, ou plutôt qu'il était

 19   membre de l'alliance des Forces réformistes et non pas du SDS. Ce qui me

 20   fait poser la question sur quel fondement se base la question pour ce qui

 21   est de parler de l'autorité de

 22   M. Krajisnik au sein du SDS.

 23   M. STEWART : [interprétation] Le fondement, c'était de savoir si le témoin

 24   d'abord était à même de nous répondre.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, allez-y, continuez.

 26   M. STEWART : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 27   Q.  Alors, M. Kecmanovic, je vais reprendre ma question. Cette position

 28   plus proéminente de M. Krajisnik, a-t-elle eu pour conséquence une


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  1   influence plus importante de sa part au sein même du SDS ?

  2   R.  Pour autant que cela ait pu avoir une influence plutôt  moins grande,

  3   c'est une chose que je ne peux pas vous dire. Ce que j'étais en train de

  4   vous raconter, cela était en corrélation avec sa popularité à sa présence

  5   devant le public. Parce que c'était une personnalité médiatique qui était

  6   connue désormais de tous et de toutes, non seulement au sein de la

  7   population serbe, mais des deux autres populations. Il avait suscité bien

  8   des sympathies par la façon dont il conduisait les sessions du Parlement.

  9   Alors, de là à savoir si cela influait sur ses positions au sein du SDS,

 10   c'est une chose que je ne serais pas à même de vous indiquer.

 11   Q.  Etiez-vous --

 12   R.  Excusez-moi, j'aimerais compléter. M. Karadzic était un homme qui

 13   n'avait occupé aucune fonction au sein de l'Etat, mais c'était l'homme

 14   numéro un du Parti démocratique serbe.

 15   Q.  Pendant ces tous derniers mois de l'année 1990 et tout au long de 1991,

 16   y a-t-il eu des rivalités apparentes qui faisaient que M. Karadzic se

 17   trouverait menacé en sa qualité d'homme numéro un au sein du Parti

 18   démocratique serbe ?

 19   R.  Je ne pense pas. M. Karadzic était l'homme numéro un de façon

 20   incontestée au sein du SDS.

 21   Q.  Après les élections de 1990, pendant le reste de l'année et au fil de

 22   1991, avez-vous pris part à titre officiel ou officieux à des réunions avec

 23   des dirigeants d'autres partis ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Pouvez-vous indiquer aux Juges de la Chambre quelle a été la nature et

 26   la fréquence de ces rencontres-là ?

 27   R.  Il y a eu des rencontres officielles et officieuses. Je vous ai déjà

 28   dit que ces gens des trois côtés ethniques ont constitué l'autorité en


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  1   Bosnie-Herzégovine à ce moment-là. C'étaient des gens que je connaissais

  2   depuis avant, et la communication était non officielle, informelle. Il y a

  3   eu des rencontres de cette nature-là aussi, mais il y a eu des rencontres

  4   officielles, formelles. L'une de ces réunions occasionnelles, mais qui se

  5   sont produites de façon continue, c'étaient les rencontres entre les chefs

  6   des partis parlementaires au sein du parlement, au sein de l'assemblée. La

  7   coutume voulait qu'avant la session du Parlement, le président de celui-ci

  8   convoque une réunion préparatoire et invite les chefs des clubs de

  9   délégués, les leaders des différents partis représentés au parlement.

 10   Je faisais partie de ce cercle parce que j'étais au Parti des

 11   Réformistes. C'étaient des réunions où, suivant une cadence déterminée,

 12   j'ai pu en effet rencontrer M. Krajisnik aussi. Il y avait des

 13   représentants de l'Union démocratique croate, du Parti de l'Action

 14   démocratique, et des autres partis d'opposition, comme le mien, qui avaient

 15   également des députés au sein du Parlement.

 16   Q.  Revenons pour un instant, si vous le voulez bien, à la question

 17   relative à la présidence de la Bosnie-Herzégovine après ces élections de

 18   1990. La personne qui a eu le plus de votes était en réalité M. Abdic,

 19   n'est-ce pas ?

 20   R.  C'est exact.

 21   Q.  Est-ce qu'à ce moment-là on s'attendait à ce que ce soit lui le

 22   président de la présidence ?

 23   R.  Non seulement on s'y attendait, mais le règlement défini avant les

 24   élections le prévoyait, et c'est ainsi que cela aurait dû se passer. Le

 25   règlement prévoyait que le premier président de la présidence tournante

 26   pour un an soit le membre de la présidence qui se verrait attribuer le plus

 27   grand nombre de votes, indépendamment de la personnalité et du parti.

 28   D'après le règlement prévu à l'avance, c'est Fikret Abdic qui aurait dû


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  1   être le premier des présidents de la présidence. Ensuite, par rotation

  2   ethnique, cela changerait, et ils se remplaceraient à tour de rôle.

  3   Q.  Mais en réalité, c'est M. Izetbegovic qui est devenu président de la

  4   présidence, n'est-ce pas ?

  5   R.  C'est exact.

  6   Q.  Comment cela s'est-il produit ? Pourquoi ?

  7   R.  Je pense que tout d'abord il y avait un problème pour le Parti de

  8   l'Action démocratique, qui est celui de dire que les fonctions les plus

  9   importantes au sein de la Bosnie-Herzégovine devaient être occupées par

 10   quelqu'un qui n'était pas un leader de parti. Mis à part ce fait, M. Abdic

 11   n'était pas quelqu'un - comment dirais-je - n'était pas un vétéran au sein

 12   du Parti de l'Action démocratique. Il avait rejoint les rangs du parti,

 13   certes -- le Parti l'avait coopté en quelque sorte parce que c'était

 14   quelqu'un de très populaire et on savait d'avance qu'il allait drainer bon

 15   nombre de votes avec son affiliation. Cela s'est confirmé aux élections,

 16   mais c'est devenu un problème pour le parti, et notamment pour Izetbegovic,

 17   pour ce qui était de confier la fonction au sommet de l'Etat, de confier

 18   cette fonction à quelqu'un d'autre que lui-même, et que l'on ne

 19   considérerait pas comme étant quelqu'un d'affilié de façon naturelle au

 20   parti. Cela, c'est d'un.

 21   De deux, je dois dire que les partis serbes et croates étaient tombés

 22   d'accord, parce que s'ils avaient insisté sur le respect du règlement,

 23   Izetbegovic et le SDA ne pourraient pas modifier le règlement en question.

 24   Cependant, à mon avis, Abdic, pour eux, était quelqu'un de moins acceptable

 25   qu'Izetbegovic lui-même parce qu'on avait pensé que Fikret Abdic était une

 26   personnalité en quelque sorte portée sur l'idéologie communiste. C'était

 27   quelqu'un qui avait fait partie du comité central des communistes, du Parti

 28   communiste de l'ex-Yougoslavie. C'était quelqu'un qui, dans ses activités


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  1   économiques, avait fait preuve d'une bonne quantité de fonctionnement ou de

  2   style de fonctionnement bolchevik, où l'on tenait moins compte des

  3   principes de marché et davantage sur le soutien des autorités ou de l'Etat.

  4   On pourrait même dire qu'il y avait aussi des agissements pas tout à fait

  5   autorisés pour ce qui est de l'attribution de certains crédits et choses de

  6   ce genre. C'est la raison pour laquelle peut-être il n'avait pas bénéficié

  7   des sympathies des deux autres partis.

  8   Q.  Monsieur Kecmanovic, penchons-nous brièvement sur ces membres croates

  9   et autres de la présidence --

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que le témoin pourrait nous dire,

 11   au sujet de ce règlement partant duquel c'est M. Abdic qui aurait dû être

 12   le président de la présidence, est-ce que c'étaient des règles qui avaient

 13   été acceptées de façon informelle ou de façon tout à fait officielle ?

 14   Pouvez-vous nous dire quelque chose au sujet du statut de ce règlement.

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] C'était un règlement tout à fait officiel, ce

 16   qu'il y avait de plus officiel, et cela a été d'ailleurs promulgué

 17   publiquement avant la tenue même des élections.

 18   M. STEWART : [interprétation]

 19   Q.  Voulez-vous dire par là que cela faisait partie de la loi électorale ?

 20   R.  Tout à fait exact.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais on a tout de même pu déroger à

 22   cette règle avec l'approbation de tous les autres partis. Est-ce que vous

 23   pourriez nous expliquer un peu comment cela a marché ?

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Ce que je puis ce n'est que confirmer ce que

 25   vous venez de dire. Le règlement a été officiel et publié. Cela faisait

 26   partie intégrante de la loi électorale. Mais étant donné que le règlement

 27   en question se rapportait notamment à la présidence et comme il s'agissait

 28   de cet organe collégial de la présidence, il s'agissait de savoir qui est-


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  1   ce qui serait le premier à être le premier entre les égaux. Il leur

  2   appartenait de tomber d'accord. J'estime qu'ils ne pouvaient pas le faire,

  3   et des commentaires ont été ainsi formulés dans le public, parce qu'il y a

  4   eu violation du règlement. Mais étant donné que les différents membres de

  5   cette présidence sont tombés d'accord, la chose a été acceptée. C'est ainsi

  6   que cela s'est produit.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Veuillez continuer, Monsieur

  8   Stewart.

  9   M. STEWART : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 10   Q.  Revenons, si vous le voulez bien, à ces membres croates de la

 11   présidence, M. Kljuic et M. Boras. Après les élections de 1990, ces deux-

 12   là, avaient-ils exercé la plus grande des influences au sein du HDZ en

 13   Bosnie-Herzégovine ?

 14   R.  Ce qu'on pourrait dire, c'est que ces deux-là n'avaient pas la même

 15   influence au sein du HDZ. Je puis ajouter aussi qu'il y avait un troisième

 16   homme qui avait plus de poids au sein du HDZ que l'un et que l'autre.

 17   C'était Mate Boban. Mate Boban se trouvait à l'extérieur de Sarajevo. Il

 18   était en Herzégovine occidental. C'était l'éminence grise du HDZ, et ce

 19   n'est que par la suite qu'officiellement il deviendra le leader du parti.

 20   Pour ce qui est de Kljuic et de Boras, Boras, je dirais que c'était

 21   quelqu'un de politiquement plus proche de Boban, et c'est pour cela qu'il a

 22   eu plus de poids. Alors que Kljuic, sur un plan plus formel, pendant un

 23   certain temps, a été président du HDZ, et en travaillant à Sarajevo, en

 24   intervenant sur un axe plus proche du SDA, il a été plus populaire, mieux

 25   vu par cette population musulmane, que l'on a par la suite appelée

 26   population bosnienne.

 27   Q.  A-t-il été aussi populaire parmi la population croate de cette

 28   Bosnie-Herzégovine ?


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  1   R.  Vous parlez toujours de Kljuic ?

  2   Q.  Oui, oui.

  3   R.  Bien moins.

  4   Q.  Si on le compare avec Boban, à quel point a-t-il été populaire parmi la

  5   population croate de la Bosnie-Herzégovine ?

  6   R.  Si on compare avec Boban, et c'est Boban que j'avais en premier lieu à

  7   l'esprit, je dirais que c'était l'axe herzégovinien du HDZ, qui pendant

  8   toute cette période avant les élections, pendant les élections et pendant

  9   la guerre, l'avait emporté de façon très nette au sein du HDZ.

 10   Q.  Et le --

 11   R.  Je m'excuse. Boban était le leader de cette ligne politique-là

 12   justement.

 13   Q.  En termes brefs, quelle a été cette ligne politique herzégovinienne ?

 14   R.  La ligne politique herzégovinienne au sein du HDZ insistait, en termes

 15   tout à fait simples, sur une politique de Herceg-Bosna, de République

 16   croate d'Herceg-Bosna, à savoir création d'une entité à part de la

 17   population croate en Bosnie-Herzégovine. C'était la ligne de l'autonomie et

 18   du rattachement à l'Etat de Croatie, ou rester au sein de la Bosnie-

 19   Herzégovine, mais en tant qu'entité distincte avec une autonomie

 20   territoriale, une autogestion politique et ainsi de suite.

 21   Q.  Et M. Kljuic était contre cet axe, cette ligne politique ?

 22   R.  M. Kljuic -- il ne faut pas le dire comme cela. Il ne faut pas dire

 23   qu'il était directement contre cette mouvance. Il n'y avait pas vraiment de

 24   conflit entre les deux factions du HDZ; en tout cas, pas ouvertement. Mais

 25   il préférait avoir une seule solution où il y aurait une seule Bosnie-

 26   Herzégovine unifiée, et c'est pour cela que les Bosniens, enfin les

 27   Musulmans, le préféraient. C'est aussi pour cela qu'il était aussi préféré

 28   par les représentants bosniens de la présidence, et surtout Izetbegovic.


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  1   Q.  Y a-t-il eu un moment où l'influence et la position de M. Kljuic ont

  2   commencé à décliner ?

  3   R.  L'influence de M. Kljuic, pour ce qui est de l'équilibre des pouvoirs,

  4   n'a jamais été très forte, parce qu'il n'avait pas le peuple croate

  5   derrière lui. Les sympathies des représentants musulmans, après tout,

  6   allaient vers un partenaire potentiel, pas vers une personne qui aurait

  7   fait partie de leur propre peuple, et cetera, de leur peuple. Cela se

  8   voyait d'ailleurs. Cela s'est vu ensuite quand M. Kljuic a été remplacé en

  9   tant que dirigeant du HDZ. D'ailleurs, par la suite, il a même perdu son

 10   poste à la présidence de la Bosnie-Herzégovine suite à un accord qui avait

 11   été trouvé entre Izetbegovic et les dirigeants du HDZ en Bosnie-Herzégovine

 12   et en Croatie. Donc, sa mouvance politique était un petit peu sur le

 13   déclin.

 14   Q.  Après les élections en 1990, est-ce que dans la constitution de Bosnie-

 15   Herzégovine, il y a eu une disposition qui prévoyait -- il y a différents

 16   noms en anglais pour cela, quelque chose qui prévoyait un conseil pour

 17   l'égalité interethnique, une égalité entre les ethnies ? Peut-être que vous

 18   pouvez nous confirmer si, dans l'interprétation que vous recevez, il s'agit

 19   d'une entité que vous reconnaissez.

 20   R.  Oui. L'idée de ce Conseil des peuples, c'était quelque chose que les

 21   gens de Bosnie-Herzégovine avaient toujours eu en tête, même avant. Il

 22   s'agissait d'une communauté multiethnique avec trois peuples constitutifs,

 23   et il semblait naturel que, dans une démocratie, ces positions soient

 24   conservées. Donc, cette idée était présente même dans l'ancien système.

 25   C'est pour cela qu'au travers des amendements de la constitution, le

 26   gouvernement communiste avait organisé une entité appelée le Conseil pour

 27   l'égalité ethnique, une espèce de substitution de Chambre du peuple ou

 28   Conseil du peuple. C'était un mécanisme assez spécifique. Parce qu'il n'y


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  1   avait pas de Conseil du peuple en tant que tel, ce conseil était censé

  2   jouer le rôle qu'il joue maintenant en Bosnie-Herzégovine, enfin, depuis

  3   Dayton en tout cas. C'est un mécanisme qui prévoyait que si l'un des camps

  4   dans le partenariat tripartite de Bosnie-Herzégovine, au cours des sessions

  5   du Parlement, allait faire quelque chose qui pourrait influencer ou gêner

  6   l'intérêt national d'un des trois peuples, ils pouvaient intervenir auprès

  7   du Parlement. Il suffisait d'avoir au moins 20 signatures de députés, et

  8   ainsi on pouvait enlever ce point à l'ordre du jour. Ce mécanisme prévoyait

  9   ensuite que ce serait envoyé devant une commission multiethnique où

 10   seraient représentées les trois ethnies qui avaient chacune le droit de

 11   veto. Or, si un camp faisait veto à ce point de l'ordre jour, il ne pouvait

 12   pas être remis à l'ordre du jour d'aucune session du Parlement.

 13   Q.  Après l'élection de 1990, cette procédure, a-t-elle fonctionné en

 14   pratique à un moment ou à un autre ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  Vous pouvez nous préciser quand et dans quelles circonstances ?

 17   R.  C'est arrivé au cours de l'année qui s'est écoulée entre les élections

 18   multipartites et le début de la guerre. Je crois que ce mécanisme a été

 19   utilisé deux fois, avec les 20 signatures de députés, et je crois que cela

 20   fonctionnait assez bien. En tout cas, cela fonctionnait. Cela a vraiment

 21   marché de façon pratique. Je ne peux pas exactement me souvenir de quel

 22   était le sujet, mais cela avait, en tout cas, trait à l'égalité

 23   interethnique. C'était d'ailleurs la raison d'être de ce mécanisme; pour

 24   sauvegarder l'égalité des droits pour chacun des trois peuples.

 25   Q.  Peut-on dire que ce mécanisme a fonctionné un peu comme un court-

 26   circuitage pratique, sachant qu'il y aurait automatiquement veto si la

 27   décision passait devant cette entité, et donc du coup, les personnes qui

 28   voulaient proposer la mesure ont décidé de retirer leur demande


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  1   puisqu'elles savaient que de toute manière, elle serait bloquée par un

  2   veto ?

  3   R.  C'est assez intéressant ce que vous me dites. Cette entité qui

  4   s'appelait la Chambre pour l'égalité ethnique, elle n'a jamais été

  5   véritablement mise en place, constituée mais a quand même fonctionné, si je

  6   puis dire. Puisque le fait qu'on savait qu'il y aurait objection de 20

  7   députés dans des clubs nationaux suffisait pour savoir qu'ensuite il y

  8   aurait un veto. On s'en doutait, on pouvait s'en douter; c'était évident.

  9   Si tant est qu'il y avait écrite avec signature de 20 députés, c'était

 10   presque un fait accompli. Il était plus nécessaire ensuite d'aller plus

 11   loin à cette entité où savait qu'automatiquement il y aurait un veto.

 12   Savoir qu'il y ait 20 signatures des députés, cela suffisait à équivaloir à

 13   un veto, parce que si on passait à la procédure suivante, ce serait une

 14   répétition; rien ne changerait. Même en allant plus loin on allait pas

 15   renforcer la proposition.

 16   Q.  Oui, Monsieur Kecmanovic, on a entendu énormément parler de ce qui

 17   s'est passé à l'assemblée dans la nuit du 14 au

 18   15 octobre 1991. Etiez-vous présent tout d'abord lors de cette session ?

 19   R.  Oui.

 20   Q.  Peut-on dire, qu'en effet, il y a eu tentative de la part des députés

 21   serbes pour faire fonctionner ce mécanisme, donc de rassembler 20

 22   signatures pour qu'il y ait proposition, pour qu'il y ait souveraineté de

 23   la Bosnie-Herzégovine pour être envoyée devant ce fameux Conseil pour

 24   l'égalité nationale, mais que cette tentative a échoué ?

 25   R.  Oui. C'est exactement comme cela que cela s'est passé.

 26   Q.  Pourriez-vous nous décrire ce qu'a fait M. Krajisnik, sa conduite en

 27   tant que président de l'assemblée pour ce qui est de ce point qui a été

 28   soulevé lors de la session d'octobre 1991 ?


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  1   R.  Je crois que M. Krajisnik s'est comporté exactement comme il s'était

  2   toujours comporté à la présidence des sessions du parlement; avec beaucoup

  3   de patience, en essayant d'éviter qu'il y ait escalade, en évitant que l'on

  4   prenne des décisions trop rapides. Il a demandé qu'il y ait des pauses en

  5   vue d'essayer de trouver solution à la crise, pour essayer de rallier un

  6   petit peu les deux partis entre eux. Cela dit, Izetbegovic - enfin, je ne

  7   peux pas dire si c'était tout le SDA, parce que parmi les représentants du

  8   SDA, il y avait des hommes politiques qui, au cours de cette session très

  9   dramatique ont été plus près à trouver compromis qu'Izetbegovic lui-même. A

 10   plusieurs reprises, alors qu'on avait l'impression qu'il y allait avoir une

 11   solution lors de la session, Izetbegovic, tout d'un coup, a pris la parole

 12   en prenant des positions très dures, en disant qu'il fallait prendre la

 13   décision tout de suite, et qu'il ne fallait pas retarder ou ajourner le

 14   propos.

 15   En fin de compte, M. Krajisnik a lu la demande des 20 députés du Parti

 16   démocratique serbe, selon lequel le point devait être retiré de l'ordre du

 17   jour. Le Parti de l'assemblée démocratique et ses députés ainsi les députés

 18   du HDZ ont refusé d'accepter cela.

 19   M. Krajisnik, il a conservé à l'esprit la procédure qui, appliquée à la

 20   procédure, a rendu l'intervention de 20 députés - puisque c'était son

 21   devoir - il a dit que ceci serait ferait obstacle à l'égalité ethnique. Il

 22   disait qu'il n'y avait plus de solution, il a ajourné la séance. On a levé

 23   la séance. Il était déjà très tard dans la soirée. M. Ljubic du HDS,

 24   ensuite, a demandé aux députés du HDZ et du SDA de rester en place. Etant

 25   donné qu'ils étaient en majorité à ce moment-là, ils ont décidé qu'ils

 26   arriveraient à la décision sans la présence des députés serbes.

 27   Je dois dire aussi que ceci a amené un fossé entre les partis de

 28   l'opposition et aussi au sein de mon propre parti. Cela a creusé un procès


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  1   ethnique entre les députés dans les partis. Les députés qui étaient

  2   Musulmans sont restés et soutenaient la position d'Alija Izetbegovic, alors

  3   que les Serbes parmi ces députés, y compris moi-même, bien que je ne

  4   faisais que tête de parti, nous avons quitté la session, parce que nous

  5   pensions que c'était une décision extrêmement dangereuse, une décision qui

  6   ne faisait pas honneur à l'égalité de droit des trois peuples de Bosnie-

  7   Herzégovine qui sont les peuples constitutifs de la Bosnie-Herzégovine.

  8   Q.  Oui, nous avons beaucoup parlé quand même de ce qui s'est passé dans

  9   cette séance, mais l'une des réactions importantes à ces événements a été

 10   la création de l'assemblée serbe de Bosnie-Herzégovine, n'est-ce pas ?

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Avez-vous participé à la séance consécutive de cette nouvelle

 13   assemblée ?

 14   R.  Le Parti démocratique serbe, qui avait prévu sa séance de création, a

 15   envoyé des invitations aux dirigeants des autres partis politiques. J'ai

 16   reçu des invitations parmi d'autres, mais d'autres personnes aussi ont été

 17   invitées, mais personne de la vie civile qui n'avait pas de poste

 18   politique. J'ai répondu à leur invitation, et j'étais présent lors de la

 19   session de création du SDS.

 20   Q.  Avez-vous ensuite participé à d'autres séances de l'assemblée serbe ou

 21   de ce qui est devenu plus tard l'assemblée de la Republika Srpska ?

 22   R.  Non. Non, non. Il s'agissait de la séance constitutive. Elle était

 23   assez spécifique en nature. C'était très officiel, très cérémonial. Ce

 24   n'était pas une réunion de travail. Il y avait des représentants d'autres

 25   peuples, d'autres partis. C'était assez spécial. Les sessions suivantes de

 26   l'assemblée serbe étaient des réunions de travail. Donc, je n'étais ni

 27   invité. Je n'y suis pas allé d'ailleurs.

 28   Q.  Pour ce qui est de votre propre parti à l'époque, vous nous avez décrit


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  1   les différentes réactions des quelques membres musulmans de votre parti par

  2   rapport à la réaction des membres serbes de votre parti, suite à cette

  3   fameuse session du 14 au 15 octobre. Ce fossé, s'est-il comblé ou a-t-il

  4   provoqué des modifications au sein de votre propre parti ?

  5   R.  Il y a eu une crise au sein de mon parti après cela. Jusqu'alors, il y

  6   avait eu beaucoup d'homogénéité au sein du parti, surtout au sein de la

  7   direction principale. On était à peu près 20 à 30. Il s'agissait d'une

  8   entité qui s'appelait la présidence. Les personnes qui se réunissent

  9   souvent, principalement composée de personnes qui habitaient toutes à

 10   Sarajevo, et qui pouvaient se rencontrer souvent. C'étaient des gens qui

 11   étaient assez proches, qui se connaissaient, qui, par le passé, avaient

 12   travaillé ensemble et continuaient à travailler ensemble. Au sein de la

 13   direction, nous essayions de promouvoir l'ouverture, l'ouverture vers les

 14   autres peuples, nous considérions que notre composition multiethnique nous

 15   permettait de parler comme une coalition au gouvernement parle à différents

 16   partis. Suite à cette décision dramatique, avec ce scrutin vraiment

 17   dramatique, il y a eu vraiment des conséquences difficiles sur le parti.

 18   Certaines personnes sont parties et ont quitté les rangs du parti, parce

 19   qu'ils ne pouvaient pas pardonner à leurs pairs d'avoir voté différemment

 20   enfin -- ou d'une certaine façon, d'autres trouvaient qu'on n'avait pas

 21   suivi leurs propres opinions lors du scrutin.

 22   Pour être court, beaucoup de membres ont quitté le parti après cette

 23   journée.

 24   Q.  Votre parti a-t-il conservé une politique assez claire en ce qui

 25   concerne la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine après cette fameuse

 26   session de l'assemblée qui s'est tenue du 14 au 15 octobre ?

 27   R.  Tous ces événements, malheureusement, ont beaucoup influencé notre

 28   position. Nous avons perdu des membres. Nous considérions qu'aucun des


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  1   partis monoethniques de la coalition au pouvoir ne devait faire quoi que ce

  2   soit de façon unilatérale sans obtenir d'abord le consentement des trois

  3   peuples constitutifs de Bosnie-Herzégovine. La position du parti, en

  4   principe, était de s'opposer à toute décision de la sorte. On était contre

  5   toute décision unilatérale de la part des trois partis monoethniques.

  6   Enfin, pour dire les choses autrement, on a vraiment condamné ce qui s'est

  7   passé ce soir-là à l'assemblée.

  8    Q.  Il me semble qu'il y a deux éléments dans votre réponse, Monsieur

  9   Kecmanovic. Tout d'abord, votre parti était contre le fait qu'on ait forcé

 10   l'assemblée à prendre cette décision, enfin que les Musulmans et les

 11   Croates aient forcé l'assemblée à prendre cette décision, qu'on ait bafoué,

 12   si je peux dire, l'opposition serbe. C'est un peu ce que vous avez dit ?

 13   R.  Oui. Il y avait un autre point pour ce qui est de notre parti. Comme je

 14   l'ai déjà dit, notre parti était un parti yougoslave. On voulait conserver

 15   la Yougoslavie en l'état. La décision qui avait été prise lors de cette

 16   nuit du 14 ou 15 octobre a été de faire sécession, que la Bosnie-

 17   Herzégovine fait sécession de la Yougoslavie. Or, c'était tout à fait

 18   contraire à notre programme et aux principes qui basaient tout notre

 19   programme.

 20   Q.  Le --

 21   R.  Notre nom, notre dénomination était l'alliance des Forces réformistes

 22   de la Yougoslavie pour la Bosnie-Herzégovine. C'était notre désignation de

 23   notre mouvement politique. Or, la sécession de la Bosnie-Herzégovine du

 24   cadre yougoslave était complètement contraire à nos idées.

 25   Q.  Votre parti a-t-il adopté une position publique par rapport à la

 26   création de l'assemblée serbe ?

 27   R.  Non, je ne crois pas. Je crois que cela faisait juste partie de

 28   l'histoire, partie de ce qui s'était passé lors de l'assemblée conjointe de


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  1   Sarajevo. C'était une conséquence et rien de plus. L'un des partis a été

  2   mis en minorité, ne voulait plus coopérer au sein d'une entité conjointe.

  3   Q.  En ce qui vous concerne vous, Monsieur Kecmanovic, vos opinions au sein

  4   de votre parti, avez-vous - enfin, je parle en dehors de l'opinion publique

  5   et de ce que savait le public, aviez-vous votre propre idée et votre propre

  6   opinion en ce qui concerne cette création de l'assemblée serbe en dehors de

  7   ce que vous avez dit publiquement ?

  8   R.  Non, je ne pense pas. Je n'en suis pas certain. Souvenez-vous quand

  9   même. Etant dirigeant d'un parti multiethnique, c'était déjà assez

 10   difficile à l'époque. Il fallait sans cesse jongler avec les intérêts des

 11   trois peuples au sein de ce parti multiethnique.

 12   Q.  La création de cette assemblée serbe, avez-vous considéré que c'était

 13   une réaction tout à fait irraisonnée à ce qui s'était passé ?

 14   R.  Non. Non, j'avais plutôt l'impression que c'était un avertissement, un

 15   ultimatum. Ce n'était pas le dernier acte du drame. Il n'y avait pas

 16   interruption de la communication. La preuve, c'est que M. Krajisnik était

 17   encore speaker de l'assemblée conjointe. Il était président de l'assemblée

 18   serbe et il était aussi speaker de l'assemblée conjointe. Comment dire ?

 19   J'ai l'impression qu'il avait réussi à maintenir le dialogue, qu'il avait

 20   réussi à conserver le dialogue, et qu'on pouvait peut-être repasser par lui

 21   pour envisager une reconstruction éventuelle de l'assemblée conjointe.

 22   Après cet incident, on avait l'impression que si les conditions le

 23   permettaient, cette assemblée conjointe pouvait encore fonctionner puisque

 24   la porte était restée ouverte.

 25   Q.  Les membres dirigeants de votre propre parti ont-ils quitté ce parti

 26   assez rapidement, peu de temps après cette nuit du

 27   14 ou 15 octobre ?

 28   R.  Certains, oui, ont quitté les rangs du parti. Et du coup, le nombre de


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  1   nos membres n'a fait que décliner, c'était vu comme une peau de chagrin.

  2   Q.  Quels étaient vos effectifs, à peu près, juste après cette session de

  3   l'assemblée du 14, 15 octobre ?

  4   R.  Je ne peux pas vous donner un chiffre exact.

  5   Q.  Pourriez-vous nous donner un ordre d'idée au moins ?

  6   R.  Non, c'est difficile. Après que nous ayons perdu les élections,

  7   déjà il y avait eu un déclin dans le nombre de nos membres. Ce n'était pas

  8   uniquement le cas des réformistes. Beaucoup d'autres partis qui avaient été

  9   mis sur pied avant les élections, c'étaient des partis qui n'avaient pas

 10   une longue histoire, et donc auxquels les membres n'ont pas été vraiment

 11   très fidèles. Il s'agissait plutôt de partis ad hoc qui avaient été mis en

 12   place la veille des élections multipartites, donc les membres n'étaient pas

 13   très fidèles, surtout pour les partis qui avaient gagné l'élection. La

 14   seule exception était l'ancienne Ligue des Communistes parce qu'ils

 15   existaient depuis longtemps. C'est vrai que leurs effectifs se sont réduits

 16   au fil du temps, mais les membres qui étaient fidèles à ce parti sont de

 17   tendance à rester ancrés au sein de ce parti.

 18   M. STEWART : [interprétation] Je pense que nous pouvons faire pause

 19   maintenant, si cela vous sied.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En effet, cela nous sied. Nous allons

 21   faire la pause jusqu'à 16 heures 10.

 22   --- L'audience est suspendue à 15 heures 44.

 23   --- L'audience est reprise à 16 heures 17.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kecmanovic, j'ai fait une

 25   petite erreur en vous demandant de rentrer tout de suite dans le prétoire.

 26   En effet, il me faut deux petites minutes pour traiter de points de

 27   procédure qui n'ont pas grand-chose à voir avec vous et qui ont peut-être

 28   un petit peu à voir aussi avec vous, mais dans ce cas-là, ne devraient pas


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  1   être dits en votre présence. Donc, pourriez-vous, s'il vous plaît, quitter

  2   le prétoire. Je n'en ai vraiment pas pour longtemps; cela devrait nous

  3   prendre environ deux minutes. Je vous demande de m'excuser.

  4   [Le témoin se retire]

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Stewart, vous vouliez parler à

  6   la Chambre pour ce qui est de la soumission de votre thèse finale. On le

  7   fera à la fin, une fois qu'on aura terminé avec les trois prochains

  8   témoins; ce sera le 11 avril. Si vous n'avez pas le temps le 11 avril, vous

  9   pourriez peut-être le faire juste avant que M. Krajisnik ne commence à

 10   déposer. Premier point.

 11   M. STEWART : Oui. Merci, Monsieur le Président.

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pour ce qui est du deuxième point, du 11

 13   avril, je regarde un petit peu le planning pour les jours à venir, et la

 14   Chambre n'est pas sûre que nous puissions en terminer le 10 avril comme

 15   c'est prévu. Il pourra certes y avoir encore possibilité d'avoir des

 16   dépositions le 11 avril. Je ne peux que vous exprimer mon inquiétude à ce

 17   propos du planning et pour ce qui est de ce témoin que nous interrogeons en

 18   ce moment, quand je vois ce qui s'est passé pendant une heure et demie, je

 19   pense que dans tout ce qui a été dit au cours d'une heure et demie, la

 20   Chambre a peut-être entendu quelque chose de nouveau pendant 20 minutes à

 21   peine, et là ce serait en étant optimiste. Vous savez que la Chambre a

 22   entendu énormément de dépositions sur les personnes qui voulaient rester au

 23   sein de la Yougoslavie en tant que telle, bloquant les décisions de la

 24   majorité. Elle a aussi beaucoup entendu de dépositions de personnes qui

 25   voulaient quitter la Yougoslavie et où la minorité avait pris le pas sur la

 26   majorité, et cetera. Donc, on a tout entendu. Monsieur Tieger, je pense que

 27   vous êtes d'accord avec moi ?

 28   M. TIEGER : [interprétation] Il me serait difficile d'identifier maintenant


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  1   les différences entre ce que nous venons d'entendre et ce que nous avons

  2   entendu lors du contre-interrogatoire de l'Accusation.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois que c'est au moment où vous

  4   parlez un peu de ce comité. On a beaucoup parlé de ce Conseil pour

  5   l'égalité -- cette Chambre pour l'égalité ethnique, et cetera. Tout est

  6   évident là. On a bien compris qu'il y avait une minorité qui pouvait

  7   bloquer la décision en obtenant 20 voix des députés. Cela permettait ainsi

  8   d'avoir un veto qui permettait de bloquer toute décision. Cette minorité

  9   savait qu'il fallait qu'elle utilise cet instrument. Enfin, on connaît bien

 10   la structure de ce mécanisme. Etant donné qu'il y a très peu de temps d'ici

 11   le 10 ou le 11 avril, la Chambre se demande vraiment s'il ne serait pas bon

 12   d'avoir obtenu ces informations plus rapidement du témoin.

 13   Deuxièmement, la Chambre s'est demandée aussi si la position du parti

 14   auquel appartenait ce parti [témoin] doit vraiment être traitée en détail.

 15   Parce que, pour des raisons pratiques aussi, il est impossible que nous

 16   vous laissions plus de temps après le 11 avril. Le 11 avril, c'est vraiment

 17   le dernier délai. Mardi 11 avril, c'est votre dernier délai. Il faut

 18   vraiment que vous gardiez cela à l'esprit. 

 19   Ceci dit, je demande à Mme l'Huissière d'escorter le témoin dans le

 20   prétoire.

 21   M. STEWART : [interprétation] Oui, tout d'abord, je tiens à vous dire qu'il

 22   ne s'agit pas d'une occasion où je ne vais pas prendre en compte ce que

 23   vous avez dit, bien sûr que non, Monsieur le Président. Je prends ce que

 24   vous m'avez dit en compte. Je ne suis pas en train d'essayer de peindre la

 25   scène avec ce témoin pour entrer dans les détails pour que l'on ait

 26   vraiment une bonne idée de ce qui se passait; je vais essayer vraiment --

 27   j'ai bien compris qu'il faut que j'aille vite.

 28   Pour ce qui est du planning avec les témoins, nous avons pris en


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  1   compte dans les discussions concernant notre planning, nous avons bien pris

  2   en compte le 11 avril comme étant le dernier jour où nous pouvons entendre

  3   les témoins. Nous avons ce témoin-ci. Le témoin suivant est déjà là aussi à

  4   La Haye. Il y a ensuite le témoin pour lequel on demande des mesures de

  5   protection. Il n'y a que ces trois-là. Je ne pense pas qu'il y en aurait

  6   d'autres. C'est impossible.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Ce qui nous inquiète, c'est qu'on

  8   ait peur de ne pas en terminer avec ces trois témoins-là qui sont prévus

  9   avant le 11 avril.

 10   M. STEWART : [interprétation] Oui, oui, j'y venais, justement. Nous avons

 11   prévu nos interrogatoires avec cette date butoir en date.

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

 13   M. STEWART : [interprétation] Je tiens à dire quelque chose --

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D'accord.

 15   M. STEWART : [interprétation] -- qui a des conséquences pour

 16   M. Josse puisque c'est lui qui va interroger le prochain témoin. La

 17   préparation du prochain témoin est un peu difficile. Pratiquement, il m'est

 18   difficile de récoler ce témoin. En tout cas, il m'est difficile de

 19   commencer -- pour M. Josse de commencer à interroger le témoin avant jeudi.

 20   Si on a un trou entre ce témoin et le témoin suivant - j'en ai parlé avec

 21   M. Josse - ce n'est pas juste de lui demander d'essayer de préparer, de

 22   récoler le témoin pour qu'il puisse témoigner avant jeudi.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est même --

 24   M. STEWART : [interprétation] -- les calculs.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, de toute façon, c'est à vous de

 26   gérer votre temps. Tout ce que je tiens -- je pense que ce que je vous ai

 27   dit devrait pour suffire pour vous organiser.

 28   M. STEWART : [interprétation] Oui, bien sûr. C'est le dernier témoin, bien


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  1   sûr, qui va pâtir de ce délai très court. On va devoir faire en sorte

  2   d'interroger le témoin dans le temps que la Chambre nous a donné. On s'en

  3   rend bien compte.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Tout est clair, donc.

  5   Madame l'Huissière, pourriez-vous, s'il vous plaît, faire rentrer M.

  6   Kecmanovic dans le prétoire.

  7   [Le témoin est introduit dans le prétoire] 

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kecmanovic, nous pouvons

  9   reprendre l'interrogatoire.

 10   Monsieur Stewart, vous avez la parole.

 11   M. STEWART : [interprétation] Merci.

 12   Q.  Monsieur Kecmanovic, entre la fin 1991 et la fin mars 1992, y a-t-il eu

 13   des violences dont vous auriez eu vent à Sarajevo ?

 14   R.  La situation à Sarajevo étant tendue pour le moins. Il y avait violence

 15   dans d'autres parties de la Bosnie-Herzégovine. Par exemple, je me

 16   souviens, qu'à Sijekovac, il y avait eu un incident. La présidence --

 17   enfin, plusieurs membres de la présidence ont été envoyés là-bas pour

 18   essayer de calmer un petit peu les esprits.

 19   Q.  A Sarajevo en tant que tel, y a-t-il eu des violences dont vous auriez

 20   eu connaissance ?

 21   R.  Il y avait des violences à Sarajevo, surtout contre la population

 22   serbe, principalement dirigée contre les familles des officiers de la JNA,

 23   quel que soit leur statut, c'est-à-dire qu'ils soient officiers actifs ou

 24   officiers en retraite. Il s'agissait de violence dirigée contre eux-mêmes

 25   et leurs familles. Leurs appartements ont été attaqués, ont été fouillés,

 26   pillés parfois, et cetera, et cetera.

 27   Q.  A un moment quelconque au cours des trois premiers mois de l'année

 28   1992, vous êtes-vous jamais dit que la guerre devenait de plus en plus


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  1   inévitable ?

  2   R.  Je pense que de ce point de vue-là, le moment crucial, c'est cette

  3   divergence au parlement de la Bosnie-Herzégovine, à savoir, la première

  4   fois où le principe de l'égalité en droit s'est vu violé. En effet, on a vu

  5   que ce précédent ne restera pas une exception. Il s'est produit une espèce

  6   de grande séparation au sein de ce pouvoir tripartite. Il convient de ne

  7   pas perdre de vue le fait que ce qu'on appelait le système de clé ethnique,

  8   comme le disait les communistes, était le préalable primordial pour qu'il

  9   n'y ait pas violation de ce principe. Il s'est avéré que cette violation ne

 10   resterait pas un cas d'exception et ne resterait certainement pas sans

 11   avoir des conséquences graves.

 12   Q.  Pendant cette période, pendant ces trois premiers mois de 1992, avez-

 13   vous eu personnellement des contacts avec M. Krajisnik ?

 14   R.  J'ai déjà dit, qu'avant toute chose, ceux-là ont été des réunions au

 15   parlement qui, de part la procédure normale, était des réunions convoquées

 16   par le président de ce parlement pour coordonner les activités des partis

 17   au Parlement, qu'il s'agisse de partis au pouvoir ou de partis

 18   d'opposition, peu importe. C'était des réunions qui étaient usuelles. Il y

 19   a eu également des rencontres informelles qui n'ont pas été de nature à

 20   faire en sorte que nous soyons nombreux. Nous pouvions nous rencontrer, par

 21   exemple, au sujet de tâches à l'université. J'étais recteur de l'Université

 22   à Sarajevo à l'époque. De part la nature de mon travail, entre autres,

 23   cette tâche-là a fait que j'ai eu des contacts avec les représentants de

 24   l'autorité, entre autres M. Krajisnik.

 25   Q.  Vous êtes-vous fait une impression partant des contacts que vous avez

 26   eus avec M. Krajisnik, impression concernant ce qu'il a entrepris lui-même

 27   aux fins d'éviter la guerre ?

 28   R.  Voyez-vous, M. Krajisnik, aux côtés de tous les responsables du Parti


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  1   démocratique serbe ou de la direction nationale serbe - puisque les

  2   résultats électoraux ont bien montré que la grande majorité des Serbes de

  3   Bosnie-Herzégovine appuyaient le parti démocratique serbe tout comme la

  4   plupart des Musulmans appuyaient le SDA ou comme la plupart des Croates

  5   étaient aux côtés de l'Union démocratique croate - M. Krajisnik, lui, a

  6   fait partie de cette composition de la direction du mouvement national, qui

  7   a été la personne, la personnalité la mieux vue, et la personnalité

  8   privilégiée en guise d'interlocuteur pour les deux partis, les deux autres

  9   partis.

 10   Il y avait une espèce de rituel qui me semblait être superflu par

 11   moment. Je faisais même des plaisanteries à ce sujet. Au tout début de ces

 12   réunions, il avait coutume de raconter des anecdotes qui venaient de sa

 13   famille, de chez lui ou du processus de socialisation dans le cadre d'un

 14   milieu pluriethnique. Il disait que son père avait coutume de dire - et

 15   cela il le racontait à l'intention des représentants du HDZ et du SDA dont

 16   feu M. Izetbegovic, et M. Kljuic également - il disait que son père avait

 17   coutume de dire que les relations entre les voisins avaient une importance

 18   capitale. Il disait que cela était capital, mais que d'un côté, il fallait

 19   tenir compte des voisins immédiats, du voisinage immédiat et que s'il faut

 20   se mettre en mal avec des voisins, il vaut mieux le faire, se mettre en mal

 21   avec un voisin serbe plutôt qu'avec un voisin croate ou musulman, parce que

 22   cela risquait d'avoir des conséquences bien plus graves que dans le premier

 23   des cas. Comme cela faisait pratiquement, de façon régulière, partie de la

 24   partie introductive des réunions qu'il convoquait et comme je m'étais

 25   habituellement trouvé à ses côtés, je lui posais la question de savoir s'il

 26   allait relater la même chose pour que je sorte pendant ce temps là pour

 27   allumer une cigarette et revenir après. Il avait l'habitude de me dire

 28   qu'il avait coutume de le dire, de le répéter, pour entretenir de bonnes


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  1   relations interethniques. En suivant les réactions d'Izetbegovic et de

  2   Kljuic, j'ai remarqué qu'il avait raison.

  3   Bien qu'il ait répété cela à chaque fois, par plus ou moins

  4   l'utilisation des mêmes phrases, cela générait des sympathies à chaque fois

  5   de mon avis et de l'avis des gens de Sarajevo appartenant aux autres

  6   partis. Cela s'est avéré être vrai ultérieurement.

  7   M. Krajisnik a été l'interlocuteur le plus apprécié du côté serbe

  8   pour les autres partis.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Kecmanovic, permettez-moi de

 10   vous interrompre. Nous sommes sous des contraintes de temps. Il vous a

 11   fallu quatre minutes pour expliquer avec bon nombre de détails comment M.

 12   Krajisnik - et c'est là la substance de votre réponse - comment M.

 13   Krajisnik avait coutume de souligner l'importance de bonnes relations avec

 14   les voisins, des relations interethniques, j'entends. Il a appris la chose

 15   de la bouche de son père. Il m'a fallu une demi-minute pour le reprendre,

 16   et vous, vous avez mis quatre minutes pour le dire. La question a été une

 17   question, à mon avis, importante. La question, en somme, était celle de

 18   savoir si partant des contacts que vous avez eus avec M. Krajisnik, vous

 19   vous êtes fait une impression aux termes de laquelle il aurait fait des

 20   efforts pour prévenir la guerre. Je vous demande - je ne veux pas faire

 21   obstacle à ce que vous venez de nous raconter tout à l'heure - mais je vous

 22   demanderais de le dire en moins de temps, c'est-à-dire, de passer plus

 23   rapidement aux éléments cruciaux. Est-ce que vous vous êtes fait une

 24   impression aux termes de laquelle M. Krajisnik aurait fait quoi que ce soit

 25   aux fins d'éviter la guerre ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne pourrais pas me rappeler en ce moment-ci

 27   d'un exemple concret ou du terme concret.

 28   M. STEWART : [interprétation]


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  1   Q.  Vous rappelez-vous d'actions --

  2   R.  Oui, je viens de me rappeler une chose que j'ai déjà dite avant la

  3   pause, à savoir, le geste qu'il a fait. Il a été le seul des responsables

  4   serbes à avoir conservé ses fonctions après avoir quitté le parlement. Il

  5   est resté président du parlement conjoint alors que Koljevic et Plavsic

  6   s'étaient retirés, eux, de la présidence. Je considère que cela a été un

  7   geste en ce sens.

  8   Q.  Soyons tout à fait clair. Quand Koljevic et Plavsic se sont retirés de

  9   la présidence en avril - cela a été en avril 1992, n'est-ce pas, ce

 10   retrait ?

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Cela s'est passé après que M. Izetbegovic ait appelé à la

 13   mobilisation ?

 14   R.  M. Krajisnik est resté quand même occuper les fonctions de ce Parlement

 15   conjoint.

 16   Q.  Dans les trois premiers mois que nous avons évoqués tout à l'heure,

 17   c'est-à-dire, de janvier à mars 1992, avez-vous eu connaissance d'actions

 18   entreprises par M. Krajisnik, qui provoqueraient les risques de voir la

 19   guerre éclater ?

 20   R.  Absolument pas.

 21   Q.  Avez-vous ouï-dire pendant cette période de 1991, 1992, de ce qu'il a

 22   été convenu d'appeler la Variante A et la Variante B ?

 23   R.  Non.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le Juge Hanoteau a une question à poser.

 25   M. LE JUGE HANOTEAU : Avant que nous allions plus loin, je voudrais revenir

 26   sur une phrase qu'a prononcée le témoin et lui demander de la clarifier

 27   pour moi. Je ne suis pas sûr d'en avoir bien compris le sens. Vous avez

 28   indiqué : [interprétation] "Le point tournant, c'était la dissolution du


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  1   Parlement en BH ou quand le principe d'égalité a été remis en question pour

  2   la première fois. Or, en Bosnie-Herzégovine, la parité nationale était

  3   essentielle pour la paix, et la violation dramatique de ceci aurait sans

  4   doute des conséquences…"

  5   [en français] Est-ce que vous pourriez clarifier cette phrase, m'expliquer

  6   exactement ce que vous entendez par là, s'il vous plaît ?

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Pour être très bref, je dirais qu'à mon avis,

  8   le vote de ces décisions portant référendum à l'encontre de la volonté des

  9   représentants serbes au parlement de Bosnie-Herzégovine, a constitué

 10   probablement le pas décisif en faveur de la guerre.

 11   M. HANOTEAU : [interprétation] Merci.

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez continuer, Monsieur Stewart.

 13   M. STEWART : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 14   Q.  Alors, je reprends. Pendant toute cette année 1991 et 1992, avez-vous

 15   ouï-dire d'une chose qualifiée d'objectif des six objectifs stratégiques ?

 16   R.  Non.

 17   Q.  Vous êtes, certes, au courant des négociations avec Cutileiro et du

 18   plan de Cutileiro ?

 19   R.  Non seulement j'ai été courant, mais j'ai été présent à certaines de

 20   ces réunions. Enfin, j'étais présent à des réunions qui se sont tenues à

 21   Sarajevo sous la direction de Cutileiro. J'étais censé de voyager vers

 22   Lisbonne pour la dernière des réunions qui s'est d'ailleurs mal finie. Pour

 23   des raisons techniques du fait, je n'ai pas pris part au voyage, je n'ai

 24   pas pu le faire.

 25   Q.  Avez-vous apporté votre soutien aux accords qui ont été l'issue des

 26   négociations Cutileiro ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Vous avez dit que cela avait mal fini. Qu'est-ce qui s'est passé ?


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  1   R.  J'avais à l'esprit tout simplement le fait qu'on était sur le point

  2   d'aboutir à un accord des trois partis pour ce qui était de surmonter la

  3   crise, et les trois leaders avaient fini par signer l'accord. Comme on le

  4   sait, une partie a retiré son accord. Pour être plus précis, je dirais que

  5   c'est Izetbegovic qui a retiré sa signature au final.

  6   Q.  Avez-vous eu connaissance de quoi que ce soit de ce qui signifierait

  7   que la direction du SDS n'apportait son soutien au plan de Cutileiro en

  8   réalité ?

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que c'est contesté ?

 10   M. STEWART : [interprétation] Je ne t'ai pas entendu.

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne sais pas si cela est contesté.

 12   M. STEWART : [aucune interprétation]

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Tieger --

 14   M. STEWART : [interprétation] Je m'en excuse --

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si on avait dit que M. Izetbegovic

 16   n'avait pas retiré sa signature, est-ce que le SDS se serait conformé au

 17   plan de Cutileiro. Est-ce que c'est là un élément contesté par vous ou pas

 18   ? Est-ce qu'il importe de poser la question à ce sujet ?

 19   M. TIEGER : [interprétation] Non, Monsieur le Président. L'Accusation n'a

 20   pas présenté d'éléments de preuve à cet effet, et je n'ai pas de

 21   proposition à formuler à ce sujet.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Stewart, bien entendu qu'il est

 23   évident que, quoi que je ne parle pas un anglais aussi bon, quand le témoin

 24   a dit que cela s'était mal terminé du point de vue de négociation, cela

 25   signifiait que quelqu'un avait fini par se retirer de l'accord. Nous avons

 26   entendu une vingtaine de fois que c'était M. Izetbegovic. Alors, il n'est

 27   point nécessaire de perdre notre temps sur des questions au sujet

 28   desquelles les réponses ne nous apportent rien de nouveau. Veuillez


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  1   continuer, Maître Stewart.

  2   M. STEWART : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Mais, comme vous

  3   le savez, il m'appartient le droit de juger de ce qui est bon pour

  4   M.Krajisnik et de ce qui ne l'est pas. C'est peut-être la raison pour

  5   laquelle je répète certaines choses.

  6   Q.  Monsieur Kecmanovic --

  7   M. TIEGER : [interprétation] Monsieur le Président, je suis désolé

  8   d'interrompre M. Stewart, mais je voudrais dire quelque chose, et je

  9   demanderais à M. le Témoin d'enlever les écouteurs.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Monsieur Kecmanovic, dites-nous

 11   d'abord, est-ce que vous comprenez l'anglais ?

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je comprends.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il comprend, donc cela ne servirait à

 14   rien, Monsieur Tieger, que de le voir enlever ses écouteurs. Peut-être

 15   pourrions-nous laisser cela pour la fin de l'audience ou de la session, si

 16   cela n'est pas urgent ?

 17   M. TIEGER : [interprétation] Oui, à condition de ne pas l'oublier.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez le noter.

 19   M. TIEGER : [interprétation] Oui, je vais le noter et je vais le mettre

 20   sous mes yeux, Monsieur le Président.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez continuer, Monsieur Stewart.

 22   M. STEWART : [interprétation]

 23   Q.  Monsieur Kecmanovic, peut-être est-ce là une question qui ne saurait

 24   être définie de façon scientifique, mais à votre souvenir, quand est-ce que

 25   la guerre a commencé en réalité ?

 26   R.  Je puis citer plusieurs événements qui, cumulés, ont constitué ce que

 27   nous pourrions qualifier de début de la guerre. En fait, il y a eu

 28   l'occupation des casernes de la JNA dans la ville de Sarajevo, parce que la


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  1   JNA, dans le pays, avait un rôle important, parce qu'elle intervenait de

  2   façon neutre dans les conflits entre les trois partis. Ce que j'ai à

  3   l'esprit, c'est ce qu'il est convenu d'appeler les barrages routiers

  4   serbes. Quoique la composition de la JNA, après le départ de la Slovénie et

  5   de la Croatie, ait été une composition essentiellement serbe, c'étaient

  6   donc essentiellement des officiers et des soldats serbes, la JNA est

  7   intervenue contre les barrages routiers dressés par la partie serbe dans

  8   certaines parties de la ville après le meurtre d'un participant à des noces

  9   serbes, le dénommé Gardovic. Donc, elle a fait preuve d'une attitude neutre

 10   vis-à-vis des trois parties, indépendamment de sa composition ethnique.

 11   En dépit de ce fait-là, à un moment donné, il y a eu sièges de des

 12   casernes. Ce qui fait qu'une partie de la population à Sarajevo avait

 13   adopté une attitude hostile vis-à-vis de la JNA, et cela a constitué une

 14   information troublante qui a bouleversé la population de Sarajevo.

 15   Le deuxième élément que je pourrais avancer, c'est qu'à l'époque,

 16   pendant une nuit, il y a eu un règlement de compte dans la ville de

 17   Sarajevo tard dans la nuit. Cela a duré des heures, ces échanges de tirs.

 18   Il a été difficile de déterminer de quoi il s'agissait, mais le lendemain,

 19   lorsque je suis sorti dans la rue, tous les magasins au centre-ville ont

 20   été démolis et il n'y avait plus rien dedans. Ce qui fait qu'il y a eu une

 21   espèce de règlement de compte dans la ville entre des bandes de

 22   paramilitaires. On ne savait pas entre qui, mais toujours est-il que cela a

 23   bien montré que l'autorité à Sarajevo ne fonctionnait plus et qu'elle

 24   n'était pas à même de maintenir l'ordre le plus élémentaire. Pour moi, cela

 25   constituait un signe très sérieux pour ce qui était de comprendre que les

 26   choses évoluaient de façon dramatique.

 27   Q.  Vous êtes devenu conscient, n'est-ce pas, du fait, et ceci en avril

 28   1992, du fait que la direction du SDS, y compris M. Krajisnik, avait quitté


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  1   Sarajevo pour déménager à Pale, n'est-ce pas ?

  2   R.  Oui. Cela s'est passé dans des circonstances très particulières.

  3   Q.  Ce que vous nous avez dit il y a quelques instants au sujet de ces

  4   échanges de tirs à Sarajevo et ainsi de suite, ces événements qui se sont

  5   produits à Sarajevo, cela s'est produit avant que la direction du SDS ne

  6   s'en aille vers Pale, n'est-ce pas ?

  7   R.  Oui, en effet.

  8   Q.  A un moment donné, après le départ des responsables du SDS vers Pale,

  9   êtes-vous intervenu pour organiser une rencontre entre M. Krajisnik et M.

 10   Izetbegovic ?

 11   R.  Oui.

 12   Q.  Pouvez-vous nous dire tout d'abord quand -- on va parler des réunions

 13   ultérieurement. Dites-nous d'abord quand est-ce que cette réunion a eu

 14   lieu ?

 15   R.  Je pense que cela s'est passé au mois de mai.

 16   Q.  Et où la réunion a-t-elle eu lieu ?

 17   R.  Je n'ai pas entendu votre question.

 18   Q.  Où la réunion a-t-elle eu lieu ?

 19   R.  Une réunion s'est tenue dès la fin avril à Ilidza, à l'hôtel Terme, et

 20   l'autre réunion s'est tenue à Lukavica. C'étaient mes rencontres avec

 21   Krajisnik en compagnie de Mirko Pejanovic. Et j'ai organisé une entrevue

 22   entre Krajisnik et Izetbegovic.

 23   Q.  Pouvons-nous tout d'abord, je vous prie, que vous nous indiquiez

 24   l'ordre chronologique. Vous avez mentionné trois rencontres. Vous avez

 25   parlé de l'hôtel Terme, puis la réunion à Lukavica, et ensuite cette

 26   réunion entre M. Krajisnik et Izetbegovic. Quel est l'ordre chronologique

 27   de ces trois ?

 28   R.  La première réunion à Ilidza, Hôtel Terme. Deuxième réunion, la


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  1   rencontre entre Izetbegovic et Krajisnik, et la troisième était la

  2   rencontre avec Krajisnik que j'ai eue à Lukavica.

  3   Q.  J'aimerais vous poser plusieurs questions au sujet de ces réunions et

  4   je vais procéder dans l'ordre chronologique. La première des réunions,

  5   celle de l'hôtel Terme, dites-nous, au meilleur, de vos souvenirs, quand

  6   est-ce que celle-ci a eu lieu ?

  7   R.  Je pense que cela s'est produit au mois d'avril. Cette réunion avait

  8   réuni M. Pejanovic, entre autres, qui a été candidat aux élections

  9   présidentielles en tant que candidat du Parti socialiste. Il y avait en

 10   plus de M. Krajisnik, M. Karadzic. Il y a eu quatre participants à cette

 11   réunion.

 12   Q.  Tout d'abord, dites-moi comment cette réunion a été organisée ?

 13   R.  Suite à une initiative de ma part et une initiative également de M.

 14   Mirko Pejanovic.

 15   Q.  Quel a été l'objectif poursuivi ?

 16   R.  Ce que nous avons voulu, en notre qualité de leaders de partis, c'était

 17   rencontrer Karadzic et Krajisnik pour être informés de la situation. Parce

 18   que nous savions, du côté de chez nous, comment cela se présentait, mais

 19   nous voulions entendre comment cela se passait de l'autre côté de la ligne

 20   de démarcation qui était en train de se créer.

 21   Q.  Cette ligne de démarcation, elle se trouvait où ?

 22   R.  La ligne de démarcation était encore assez floue. Je dirais qu'il n'y a

 23   pas eu d'obstacles formels de posés, mais la population s'était déjà

 24   concentrée de part et d'autre, et nous pouvions aller à cette réunion

 25   encore en taxi. Bien sûr, il n'a pas été facile de trouver un chauffeur de

 26   taxi disposé à conduire sur cet itinéraire-là, mais on a pu le faire. Cela

 27   n'a pas été trop difficile.

 28   Q.  Avez-vous été à même de vous procurer des informations utiles à


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  1   l'occasion de cette réunion ?

  2   R.  Rien de spectaculaire. Cela n'a été qu'une information un peu plus

  3   complète concernant une situation qui était déjà très mauvaise et très

  4   complexe. La division ethnique était de plus en plus grave et il y avait de

  5   moins en moins d'espoir de voir les partis politiques aboutir à un accord.

  6   Il y avait ce type de situation.

  7   Q.  Combien de temps la réunion a-t-elle duré ?

  8   R.  Une demi-heure; au plus, une heure.

  9   Q.  Et vous avez été quatre à prendre une part active à ce qui s'est dit

 10   lors de cette réunion pendant toute cette période ?

 11   R.  Oui. A la seule différence près que Radovan Karadzic est arrivé à la

 12   réunion avec un peu de retard. Il avait eu une interview à la télévision

 13   pour un journal, je ne sais trop. Et il a dû quitter la réunion un peu

 14   avant.

 15   Q.  A-t-il été discuté lors de cette réunion de plans ou de propositions

 16   visant à établir la paix ?

 17   R.  Rien de concret. De part et d'autre, on avait exprimé l'inquiétude de

 18   tout un chacun vis-à-vis de la situation qui était vraiment grave.

 19   Q.  Y a-t-il eu un résultat quelconque qui serait d'une valeur probante ?

 20   R.  Non, non. L'ambition n'a pas été celle-là. Etant donné que nous étions

 21   à la tête de partis pluriethniques l'un et l'autre et que nous étions

 22   serbes nous-mêmes, nous sommes partis d'une supposition qui était celle de

 23   dire que nous aurions plus de facilité à communiquer avec eux que des

 24   représentants d'un parti croate, voire musulman.

 25   Q.  Est-ce que c'est vous ou M. Pejanovic qui aviez demandé à MM. Karadzic

 26   et Krajisnik de venir à cette réunion ?

 27   R.  Oui. Cela s'est passé suite à une initiative de notre part à nous.

 28   Q.  Pourquoi aviez-vous demandé que M. Krajisnik soit présent à la


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  1   réunion ?

  2   R.  Notre demande n'avait pas été si concrète, si mes souvenirs sont bons.

  3   Nous avions demandé à rencontrer des représentants de la direction serbe.

  4   Nous nous connaissions bien depuis pas mal de temps. Cela aurait pu être

  5   feu M. Koljevic ou quelqu'un d'autre. La finalité de notre démarche aurait

  6   été réalisée quand bien même c'est quelqu'un d'autre qui serait venu.

  7   Q.  La réunion suivante, celle qui s'est tenue chronologiquement par la

  8   suite, une réunion entre M. Krajisnik et M. Izetbegovic, pourriez-vous nous

  9   expliquer comment cette réunion était organisée ?

 10   R.  C'est à mon initiative qu'il y a eu cette réunion. Il me semble que

 11   j'avais consulté les membres de la direction de mon parti  à ce sujet.

 12   Etant donné que la guerre était déjà en cours, l'objectif était d'essayer

 13   de faire quelque chose pour éviter les violences autour de Sarajevo.

 14   Q.  Pour arrêter les violences autour de Sarajevo ou aviez-vous une

 15   ambition plus grande pour empêcher tout combat en Bosnie-Herzégovine ?

 16   R.  C'était surtout pour ce qui était de Sarajevo. En ville, nous n'avions

 17   pas beaucoup d'information sur ce qui se passait dans toute la Bosnie-

 18   Herzégovine. On pensait que ce qui se passe dans une capitale, c'est

 19   absolument essentiel en ce qui concerne les initiatives de paix.

 20   Q.  M. Izetbegovic était de toute évidence le dirigeant du camp musulman,

 21   n'est-ce pas ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Pourquoi avez-vous voulu organiser la réunion avec M. Izetbegovic d'un

 24   côté et M. Krajisnik de l'autre ?

 25   R.  Cette initiative était surtout lancée vis-à-vis d'Izetbegovic en

 26   premier lieu. Izetbegovic voulait avoir Krajisnik comme interlocuteur.

 27   Q.  A-t-il dit pourquoi ?

 28   R.  Comme il l'a dit lui-même - enfin, il n'avait pas nécessaire de le dire


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  1   selon lui - mais il était l'interlocuteur préféré, l'interlocuteur serbe

  2   préféré des Musulmans. Cela va sans dire.

  3   Q.  Pourquoi était-il leur interlocuteur préféré ?

  4   R.  Parce qu'il donnait l'impression d'être calme, d'être un négociateur

  5   très patient, d'être un homme qui essayait de concilier les partis, qui

  6   essayait de combler les fossés, si je suis dire.

  7   M. Krajisnik n'élevait pas la voix, il ne se fâchait pas, ne s'énervait

  8   pas, il n'était pas rigide. Au parlement, il faisait montre de patience. Il

  9   était très tactique. Il était plein de tact. Je pense que c'est pour cela

 10   qu'il avait la préférence.

 11   Q.  A quelle heure a eu lieu cette réunion ?

 12   R.  A minuit.

 13   Q.  Etiez-vous présent ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  Il y avait M. Krajisnik, M. Izetbegovic, vous-même; c'est bien cela ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Y avait-il quelqu'un d'autre ?

 18   R.  Non, personne.

 19   Q.  De quoi avez-vous parlé ?

 20   R.  Je vous ai déjà dit quel était le sujet de la réunion; on voulait

 21   arrêter les combats dans Sarajevo.

 22   Q.  L'un des interlocuteurs présents a-t-il trouvé une proposition concrète

 23   pour essayer de trouver une solution ?

 24   R.  Oui, en un sens. J'avais proposé le sujet aux deux camps, et c'était

 25   accepté. Alors maintenant, il fallait voir comment appliquer cela. M.

 26   Krajisnik avait émis l'idée qu'il serait nécessaire d'avoir une séparation

 27   temporaire pour pacifier un petit peu la ligne de front, si on peut dire.

 28   Q.  Une séparation temporaire, pouvez-vous nous expliquer ce que cela veut


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  1   dire exactement ?

  2   R.  M. Krajisnik insistait sur le caractère temporaire de cette mesure.

  3   Q.  Oui, mais séparer quoi de quoi, et comment ?

  4   R.  Tout simplement en prenant les concentrations de population établies

  5   comme référence de situation temporaire, mais pour essayer de pacifier un

  6   peu -- de calmer le jeu. Vous voyez, la ville était déjà séparée. Il y

  7   avait déjà une ligne de démarcation. M. Krajisnik a proposé que l'on parte

  8   du statu quo, qu'on gèle un peu les choses pour que le conflit s'apaise.

  9   Q.  Quels devaient être les résultats pratiques de ces

 10   mesures temporaires ?

 11   R.  De toute façon, il n'y est rien arrivé de quoi on ne peut que faire des

 12   spéculations hasardeuses. Le but prévu, ça aurait été d'avoir un cessez-le-

 13   feu, parce que les deux camps voulaient obtenir du territoire. Si on gelait

 14   la situation au statu quo, cela aurait dû pacifier un peu les esprits.

 15   Q.  Quelle a été la réaction de M. Izetbegovic à la proposition de M.

 16   Krajisnik ?

 17   R.  Tout d'abord, il était assez réservé. Puis, comme

 18   M. Krajisnik insistait pour bien indiquer qu'il s'agit d'une mesure

 19   temporaire dont l'objet unique était d'enrayer le conflit - il s'agissait

 20   d'une situation temporaire - il était certain qu'Izetbegovic et lui-même

 21   vivraient pour voir que la situation n'empirait plus, et qu'on pourrait en

 22   revenir à la situation qui prévalait auparavant, donc avant la séparation.

 23   Du coup, Izetbegovic a accepté la proposition. On s'est demandé comment

 24   ensuite appliquer ces mesures.

 25   Pratiquement, Krajisnik a proposé à Izetbegovic de faire une

 26   proposition dans ce sens. Izetbegovic a répliqué, disons que c'est plutôt à

 27   vous, Krajisnik, de faire les premier pas. Après ce type d'échange, c'est à

 28   vous, non vous, vous d'abord, j'ai dit qu'il serait plus logique de


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  1   formuler des propositions de façon fonctionnelle, enfin, qu'on les notent

  2   sur le papier, ensuite, qu'on se reréunisse pour reparler de la chose.

  3   Ensuite, l'un des deux - alors c'est l'un ou l'autre, je ne souviens plus

  4   duquel - s'est dit que ce serait à moi de faire ces propositions. A leur

  5   demande, j'ai accepté de le faire. On s'est mis d'accord pour dire que

  6   j'allais noter quelques options sur le papier, et qu'on se retrouverait le

  7   lendemain toujours à la même heure, toujours à minuit.

  8   Q.  Avez-vous, en effet, noté les options possibles sur le papier ?

  9   R.  Oui. Comme nous en étions convenus, je l'ai fait, et comme nous

 10   en étions convenus, j'ai envoyé ces options à Pale par fax. J'ai reçu une

 11   réponse affirmative. Le camp serbe acceptait l'option numéro 4. Je suis

 12   ensuite allé à la présidence et j'ai donné le même document à Izetbegovic.

 13   C'est intéressant -- ce n'est qu'après avoir regardé les propositions et

 14   les alternatives très brièvement, il a lui aussi choisi l'option 4.

 15   Q.  Etait-ce M. Krajisnik qui avait répondu à ce fax envoyé à Pale en

 16   disant qu'il acceptait l'option 4 ?

 17   R.  Non. Le feu M. Koljevic m'a téléphoné, et il m'a dit que l'option 4

 18   était acceptable pour lui. J'ai demandé si c'était uniquement lui qui

 19   trouvait que c'était acceptable. J'ai demandé, est-ce que Karadzic est au

 20   courant, il est d'accord ? Il m'a dit qu'il avait parlé avec Karadzic et

 21   qu'il s'agissait de la position de ces deux, Koljevic et Karadzic.

 22   Q.  Peut-être que les Serbes de Bosnie avaient choisi la même proposition

 23   que M. Izetbegovic. Est-ce que celle-ci a pu enfin être appliquée ?

 24   R.  J'avais fait ma partie, la partie du boulot qui me revenait. J'étais

 25   assis dans le bureau du président Izetbegovic quand M. Krajisnik a

 26   téléphoné, à justement, M. Izetbegovic. D'après ce que j'ai compris, il me

 27   semble que le seul problème, c'était que la nuit précédente, on avait tiré

 28   sur la voiture de M. Krajisnik. C'étaient les Musulmans qui lui avaient


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  1   tiré dessus. Il voulait que les négociations, la deuxième manche des

  2   négociations se tiennent du côté serbe, parce que la première manche

  3   s'était tenue sur le côté musulman.

  4   Je n'ai pas suivi l'affaire, parce que j'avais l'impression que j'en

  5   avais terminé avec ma mission. J'avais fait l'intermédiaire. Donc, j'ai

  6   quitté le bureau de M. Izetbegovic.

  7   Q.  Savez-vous si M. Izetbegovic et M. Krajisnik se sont bel et bien

  8   rencontrés le jour suivant, enfin la nuit suivante plutôt d'ailleurs ?

  9   R.  Non.

 10   Q.  Avez-vous la moindre connaissance d'une suite éventuelle à tout ceci ?

 11   R.  Non, je ne sais rien. Je n'étais d'ailleurs pas tellement intéressé. Je

 12   m'en suis un peu désintéressé par la suite parce que la situation évoluait

 13   très rapidement. J'ai eu l'impression que j'avais fait tout ce que je

 14   pouvais. J'en ai informé mes collègues de mon propre parti.

 15   Q.  Lors de la réunion dont vous venez de nous parler où il y avait vous

 16   trois, n'a-t-on jamais abordé les conflits qui auraient lieu dans d'autres

 17   partis de Bosnie-Herzégovine, ailleurs qu'à Sarajevo ?

 18   R.  Non, la réunion entre Krajisnik et Izetbegovic était très cordiale. Il

 19   y avait beaucoup de questions d'ordre privé, sur leurs femmes, leurs

 20   enfants, et cetera. Enfin, c'est moi qui voulais faire avancer les choses.

 21   On ne parlait que de Sarajevo. On a absolument pas parler de ce qui se

 22   passait dans toute la Bosnie-Herzégovine.

 23   Q.  Pouvez-vous nous donner la moindre indication utile quant à savoir

 24   combien de temps après cette réunion la direction des Serbes de Bosnie sont

 25   partis à Pale. Combien de temps après cette réunion qui avait eu lieu entre

 26   M. Izetbegovic et M. Krajisnik s'est-il écoulé jusqu'au déménagement à

 27   Pale ?

 28   R.  Cela se passait en mai. J'en suis sûr. Non, peut-être fin avril, début


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  1   mai, 28, 29 avril, si je me souviens bien. Je n'en suis pas vraiment sûr.

  2   Q.  Cette troisième réunion dont vous avez parlé il y a peu de temps et qui

  3   s'est tenue à Lukavica, combien de temps s'est déroulé entre la réunion

  4   Krajisnik et Izetbegovic, et cette troisième réunion ?

  5   R.  Cette troisième réunion dont vous parlez, celle qui s'est tenue à

  6   Lukavica, a dû être organisée fin mai. Là aussi, le sujet était ma

  7   nomination à la présidence de la Bosnie-Herzégovine, qui devait se faire à

  8   la mi-juin, avant le 15 juin. Cela devait être vers la fin mai.

  9   Q.  Quel était le but de cette réunion ? Tout d'abord, cette réunion à

 10   Lukavica, qui a pris l'initiative de l'organiser, le cas échéant ?

 11   R.  Mirko Pejanovic et moi-même. C'est nous qui avons établi la

 12   communication. C'est nous qui avons contacté Pale par le biais du frère de

 13   M. Krajisnik. On avait son numéro de téléphone. Il faisait office de

 14   liaison. C'est par lui qu'on passait pour communiquer avec les dirigeants à

 15   Pale de façon officieuse.

 16   Q.  M. Pejanovic et vous, étiez parfaitement d'accord avec l'objectif de la

 17   réunion et les personnes que vous souhaitiez voir participer à la réunion ?

 18   R.  On était censés remplir les deux sièges vides de la présidence, qui

 19   appartenaient aux Serbes. Au titre de la loi, il avait été envisagé que si

 20   tant est qu'il y ait des sièges laissés vacants pour une raison quelconque;

 21   question de santé, décès ou quoi que ce soit, il avait été prévu qu'il n'y

 22   ait pas de nouvelles élections, des élections partielles, mais que ces

 23   sièges seraient remplis par les candidats qui étaient les suivants sur la

 24   liste. Ici, il s'agit des candidats 3 et 4. Les sièges étaient vacants,

 25   parce que Vlasic et Koljevic étaient partis, et nous pensions que c'était

 26   de notre devoir d'apparaître, non seulement en tant que dirigeants de

 27   partis multiethniques, mais aussi en tant que représentants serbes. Nous

 28   voulions consulter, bien sûr, les dirigeants d'abord.


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  1   Q.  Qu'est-ce que vous avez dit exactement ? A qui vous vouliez parler à ce

  2   sujet ?

  3   R.  Non, je ne crois pas. Toutes les conversations préliminaires du fait de

  4   Pejanovic - je ne sais pas s'il a donné des noms précis ou s'il a juste

  5   demandé qu'on rentre en contact avec quelqu'un. Mirko Pejanovic connaissait

  6   bien le frère de Momir, le connaissait bien d'avant la guerre. C'est pour

  7   cela qu'il était chargé de rentrer en contact.

  8   Q.  Vous vous êtes retrouvés à quatre, M. Pejanovic, vous-même -

  9   enfin, qui était présent à cette troisième réunion ?

 10   R.  Non, on était trois; M. Krajisnik, M. Pejanovic et moi-même.

 11   Q.  Est-ce --

 12   R.  Il s'agissait d'une réunion qui avait été -- où tous les moyens

 13   techniques nous avaient été offerts par le bureau de la présidence; le

 14   bureau d'Izetbegovic. C'était nécessaire d'avoir le consentement des deux

 15   partis, parce qu'on ne pouvait plus passer d'un côté à l'autre par taxi.

 16   C'est pour cela qu'on nous a donné un véhicule de la présidence. On a pu

 17   traversé le "no man's land" en voiture. On a été accueillis côté serbe, et

 18   de là, on nous a emmenés à Lukavica, et on a aussi rencontré M. Krajisnik.

 19   Q.  Vous n'étiez que trois lors de la réunion ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Combien de temps a duré cette réunion ?

 22   R.  Je ne m'en souviens pas bien, moins d'une heure, en tout cas.

 23   Q.  En est-il sorti quoi que ce soit d'utile ?

 24   R.  Pejanovic et moi-même, avons donné notre position à

 25   M. Krajisnik. Nous avons dit que nous voulions suivre le règlement. Nous

 26   avons dit que nous étions les candidats qui devaient siéger aux deux sièges

 27   serbes vacants, bien qu'on n'ait pas peut-être de légitimité nationale. On

 28   n'avait pas le mandat pour représenter le peuple serbe certes, mais on


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  1   était numéro trois et quatre, et étant donné la structure de la présidence,

  2   c'était le rôle qu'on était censé jouer.

  3   Q.  Vous avez évoqué ce point. Y a-t-il eu une solution à ce propos ?

  4   R.  M. Krajisnik n'avait pas autorité pour nous donner un soutien éventuel

  5   ou pour empêcher que nous -- enfin, on voulait juste informer le côté serbe

  6   de ce qui se passait. Je me souviens qu'il y avait une autre option, qui

  7   était la suivante : que Mme Plavsic et M. Koljevic reviennent à la

  8   présidence. Pas au centre de la ville, parce que cela n'est pas réaliste,

  9   mais qu'ils reprennent leurs lettres de démission. Cela nous aurait aidé.

 10   On aurait pu mieux représenter le côté serbe, et on aurait pu suivre les

 11   résultats de l'élection.

 12   M. Krajisnik a dit qu'il allait transmettre notre message, mais que c'était

 13   à eux de savoir s'ils voulaient reprendre leurs démissions, comme ils

 14   avaient aussi pu donner leurs démissions.

 15   Q.  Donc, M. Pejanovic et vous-mêmes auriez voulu que Mme Plavsic et M.

 16   Koljevic reviennent sur leurs décisions de démissionner ?

 17   R.  Je ne suis pas sûr que cela soit la position de Pejanovic, mais en tous

 18   cas, c'était la mienne, et c'est exactement ce que j'ai dit.

 19   Q.  M. Krajisnik vous a-t-il donné des instructions ou a-t-il essayé de

 20   vous donner des instructions ou des consignes en ce qui concerne vos

 21   relations avec la présidence ou vos actions à venir par rapport à la

 22   présidence ?

 23   R.  Non. J'ai dit à M. Krajisnik qu'il y avait une condition pour laquelle

 24   j'avais le soutien de mon parti et le soutien de Pejanovic. Cette condition

 25   était l'introduction d'un veto au sein de la présidence. Parce que c'était

 26   le vote à la majorité qui avait justement rendu la position de Plavsic et

 27   de Koljevic intenable au sein de la présidence. Je lui ai dit que nous

 28   deux, on voulait absolument avoir cette condition, et que c'était


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  1   uniquement à cette seule condition, qu'il ne pouvait plus avoir un parti

  2   qui soit mis en minorité par les autres. Parce que c'est justement à cause

  3   de ce vote de minorité qui avait obligé Plavsic et Koljevic à quitter la

  4   présidence.

  5   Q.  Avez-vous parlé d'autre chose lors de cette réunion, mis à part ce dont

  6   vous nous avez parlé, qui a trait à la présidence ?

  7   R.  Non, je ne pense pas; à part quelques petits propos anecdotiques au

  8   passage.

  9   Q.  En mai 1992, vous êtes-vous rendu à Belgrade ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  A l'initiative de qui êtes-vous allé à Belgrade ?

 12   R.  C'était encore à mon initiative au sein du parti, et c'est devenu une

 13   initiative du parti, qui a été proposée à la présidence, à Izetbegovic. A

 14   l'époque, c'était Izetbegovic qui tirait les ficelles à Sarajevo. Il

 15   s'agissait d'essayer de résoudre le statut de la JNA en Bosnie-Herzégovine,

 16   de trouver une solution qui permettrait à la JNA de rester en Bosnie-

 17   Herzégovine tout en respectant la présidence démocratiquement élue de la

 18   Bosnie-Herzégovine et en préservant la paix aussi en Bosnie-Herzégovine. Je

 19   l'ai proposé à Izetbegovic, et il était d'accord. Il nous a même d'ailleurs

 20   donné le libellé de la proposition qui pouvait être présenté à l'état-major

 21   de la JNA à Belgrade. Il a dit qu'il pourrait y avoir une étape provisoire

 22   de cinq ans au cours de laquelle l'armée aurait le statut dont je vous ai

 23   parlé. Après cette période transitoire de cinq ans, une partie des troupes

 24   qui étaient restées sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine auraient pu

 25   être incorporées à l'ABiH et faire partie de l'armée de l'Etat de Bosnie-

 26   Herzégovine. Ceux qui ne voulaient pas être incorporés pouvaient aller où

 27   ils voulaient, et pour ceux qui étaient à l'âge pratiquement de la

 28   retraite, ils auraient pu prendre leur retraite. Voilà ma proposition qui


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  1   avait été acceptée par Izetbegovic, et c'est avec cette proposition que je

  2   me suis rendu à Belgrade.

  3   Q.  Y êtes-vous allé tout seul ou étiez-vous accompagné ?

  4   R.  Je ne suis pas allé tout seul. J'ai insisté pour être accompagné de

  5   deux autres membres de mon parti. Je souhaitais qu'il y ait dans notre

  6   groupe des représentants des trois nations. Sejfudin Tokic était l'un

  7   d'entre eux, un Croate de l'équipe dirigeante, et le troisième était Josip

  8   Pejakovic. Izetbegovic a mis à notre disposition un avion. L'avion est

  9   arrivé. J'ai dit que je ne voulais pas monter à bord d'un avion du

 10   gouvernement, mais d'Energoinvest, de façon à souligner la nature

 11   informelle de cette visite à Belgrade. Il a dit qu'il allait s'entretenir

 12   avec le général Kukanjac pour lui demander si nous pouvions décoller de

 13   l'aéroport de Sarajevo, qui à l'époque était contrôlé par la JNA.

 14   Q.  Qui avez-vous rencontré à Belgrade ?

 15   R.  Il avait été convenu que cette réunion se tienne en présence du

 16   président de la Yougoslavie; en réalité, le président de la présidence, qui

 17   était l'organe suprême de l'armée, le commandement Suprême de l'armée à

 18   l'époque. A l'époque, le président de la présidence était également le chef

 19   d'état-major de la JNA, le chef d'état-major des armées. Ces réunions

 20   avaient été organisées.

 21   Mais à la veille de notre départ, Izetbegovic m'a demandé, en me regardant

 22   droit dans les yeux, si je pouvais également rencontrer Slobodan Milosevic,

 23   qui était le président de la Serbie à la l'époque. Il pensait que l'appui

 24   de M. Milosevic était très important.

 25   Q.  Le président de la présidence à l'époque, était-ce M. Kostic ?

 26   R.  Oui, Branko Kostic.

 27   Q.  Quel poste occupait le général Adzic à l'époque ?

 28   R.  Le général Blagoje Adzic n'était pas le chef d'état-major à l'époque,


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  1   mais était ministre de la Défense, si je me souviens bien. C'était soit le

  2   chef d'état-major des armées, soit le ministre de la Défense; l'un ou

  3   l'autre. Je ne sais plus.

  4   Q.  L'avez-vous rencontré, le général Adzic ?

  5   R.  Oui. Nous avons d'abord rencontré le général Adzic, et ensuite le

  6   président de la présidence, Branko Kostic, et pour finir, nous avons

  7   rencontré le président Slobodan Milosevic.

  8   Q.  Il y a donc eu trois réunions distinctes avec trois différentes

  9   personnes ?

 10   R.  Oui, tout à fait.

 11   Q.  Est-ce que vous êtes tombés d'accord sur quelque chose ?

 12   R.  Dans les trois cas, nous avons présenté notre proposition et nous avons

 13   reçu le soutien dans les trois cas. Néanmoins, nous ne savions pas ce que

 14   nous devions faire après cela. Ces réunions étaient des réunions assez

 15   informelles. Une proposition a été faite, soit par Kostic, soit par Adzic,

 16   à notre initiative. Nous avons dit que ceci devait être repris par un

 17   Musulman de la présidence et que Fikret Abdic était la personne la mieux

 18   placée pour s'occuper de cela parce qu'il avait beaucoup de contacts dans

 19   les milieux d'affaires sur l'ensemble du pays. Nos interlocuteurs à

 20   Belgrade ont accepté notre proposition, et nous avons transmis le contenu

 21   de cet accord à Sarajevo.

 22   Q.  Donc, vous êtes tombés d'abord d'accord sur quoi ? Le contenu de cet

 23   accord que vous avez transmis à Sarajevo ?

 24   R.  La JNA devait rester sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine pour

 25   garantir la paix et la sécurité et pour empêcher des affrontements

 26   interethniques pendant cinq ans. C'était une idée qui a été présentée par

 27   Izetbegovic. Entre-temps, la JNA était censée respecter la présidence de

 28   l'Etat, qui avait été élue de façon démocratique et légale. Après une


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  1   période de cinq ans, les troupes et les officiers avaient le droit de

  2   choisir. Ils pouvaient soit être intégrés à l'ABiH, soit prendre leur

  3   retraite, soit retourner chez eux et redevenir membres de l'armée de leur

  4   pays.

  5   C'est la proposition qui avait été acceptée à Belgrade, et nous avons

  6   transmis les termes de cet accord aux institutions fédérales.   Cette

  7   initiative s'est développée. Izetbegovic s'est rendu à Belgrade, et cette

  8   réunion a finalement été conclue à Ohrid lors d'une réunion à laquelle

  9   assistait Izetbegovic, Kostic, Adzic, et la réunion a été présidée par Kiro

 10   Gligorov.

 11   Q.  Bien --

 12   R.  Mais tout ceci, pour finir, n'a abouti à rien.

 13   Q.  Comment cela se fait-il que ceci n'ait abouti à rien ?

 14   R.  Bien que nous soyons parvenus à un accord à Ohrid, et ceci a été rendu

 15   public, Izetbegovic, lors de son retour à Sarajevo, a présenté les termes

 16   de cet accord à la présidence, mais la présidence a refusé d'accepter cet

 17   accord.

 18   Q.  Les dirigeants serbes de Bosnie ont-ils pris part, à aucun moment, à

 19   ces réunions à Belgrade que vous venez d'évoquer ?

 20   R.  Pour autant que je sache, non.

 21   Q.  Avez-vous cherché à recueillir les points de vue des dirigeants serbes

 22   de Bosnie avant de vous rendre à Belgrade ou pendant que vous étiez à

 23   Belgrade ?

 24   R.  Non, je ne l'ai pas fait. Je ne pensais pas que cela était nécessaire,

 25   car du côté serbe, on faisait confiance à la JNA, et j'étais convaincu que

 26   les dispositions de ce type ne provoqueraient aucune réaction négative de

 27   leur part.

 28   Q.  Avez-vous fait état de ces discussions et de ces réunions à Belgrade à


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  1   quelqu'un ou à un membre de l'équipe dirigeante serbe de Bosnie en Bosnie-

  2   Herzégovine ?

  3   R.  Non. Le résultat de tout ceci a été très rapidement rendu public. Dès

  4   que nous sommes rentrés de Belgrade, j'ai fait un rapport à Izetbegovic sur

  5   l'évolution de nos pourparlers, sur l'aboutissement, qui était un

  6   aboutissement positif, et je lui ai demandé d'en tenir informés les membres

  7   de la présidence qui attendaient mon rapport. J'ai fait cela, et après

  8   cette séance, je sais qu'il y a eu une conférence de presse et les

  9   conclusions de notre accord ont été rendues publiques. J'ai également eu

 10   une interview avec la télévision, dans laquelle j'ai expliqué l'ensemble de

 11   cette initiative et j'ai parlé en public de la  manière dont cette

 12   initiative avait été conclue.

 13   Q.  Hormis le moment où vous étiez à Belgrade, tout au long de cette

 14   période, vous habitiez à Sarajevo, n'est-ce pas ?

 15   R.  Oui, c'est exact.

 16   Q.  Dans la ville même, n'est-ce pas, dans la centre-ville ? 

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Un de vos enfants est allé vivre à Belgrade à partir du mois de mars;

 19   c'est exact ?

 20   R.  Oui, mon fils est parti au mois de mars.

 21   Q.  Et votre fille, vous avez pris les dispositions nécessaires pour

 22   qu'elle parte au mois de mai, n'est-ce pas ?

 23   R.  Oui. A l'époque, ma fille était très jeune. Après les événements que

 24   j'ai décrits et la fusillade au cours de la nuit, où le centre de Sarajevo

 25   a été détruit, et lorsque je me suis rendu compte qu'on ne pouvait plus

 26   être en sécurité, je l'ai envoyée à Belgrade également pour qu'elle puisse

 27   aller vivre chez sa tante, ma sœur.

 28   Q.  Elle était adolescente à l'époque. Elle devait avoir dans les 16 ans ?


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  1   R.  C'est exact.

  2   Q.  Monsieur Kecmanovic, en raison du poste que vous occupiez, vous étiez,

  3   plus que tout autre Serbe à Sarajevo, en mesure de prendre les dispositions

  4   nécessaires pour permettre à votre famille de partir, n'est-ce pas ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Est-ce que le Serbe de la rue pouvait quitter Sarajevo comme cela, s'il

  7   le souhaitait, en mai 1992 ?

  8   R.  La situation s'est empirée petit à petit. Au cours des premières

  9   semaines de la guerre, c'était assez facile. Comme je vous l'ai dit, on

 10   pouvait même partir à bord d'un taxi et aller de l'autre côté. Au fil des

 11   jours, cela devenait de plus en plus difficile.

 12   Je me souviens alors que je quittais Belgrade en présence de mes

 13   collègues du parti, c'est à l'aéroport que j'ai constaté que c'était très

 14   difficile pour ces personnes qui tentaient de quitter Sarajevo. C'était

 15   devenu très difficile. Cela me rappelait le film "Apocalypse Now," lorsque

 16   les Américains quittaient Saigon, certaines personnes ont essayé de se

 17   raccrocher aux pneus de l'avion. C'était une situation désespérée. Il y

 18   avait un nombre très important de personnes qui attendaient à l'aéroport de

 19   Sarajevo pour voir si elles pouvaient partir.

 20   C'était devenu le lot quotidien au fils de jours. Il y avait des gens

 21   qui ont risqué leurs vies pour pouvoir partir. Il y a des gens qui

 22   versaient d'importantes sommes d'argent pour pouvoir s'en aller et quitter

 23   Sarajevo.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je regardais l'heure, Maître Stewart.

 25   J'ai également promis à M. Tieger - Madame l'Huissière, auriez-vous la

 26   gentillesse, s'il vous plaît, d'accompagner

 27   M. Kecmanovic et le faire sortir du prétoire, s'il vous plaît. Nous allons

 28   faire une pause d'une vingtaine de minutes, 20, 25 minutes.


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  1   [Le témoin se retire]

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Tieger.

  3   M. TIEGER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je ne pense pas

  4   qu'il y ait un malentendu entre les parties, mais je pensais qu'il était

  5   préférable de m'en assurer. La question que la Chambre m'a posée sur ce que

  6   l'Accusation contestait ou non, était dans le cadre de la note ou du mémo

  7   assez désagréable qui s'est retiré lors de négociations sur le plan

  8   Cutileiro. La Chambre a certainement remarqué, et j'ai reconnu qu'il y

  9   avait un nombre important d'éléments de preuve sur ce point. Ceci n'est pas

 10   contesté. Je ne souhaite pas qu'il y ait un malentendu. Néanmoins, sur ce

 11   point, sur ce qui s'est passé après, on a suggéré ou laissé entendre qu'il

 12   y avait un accord spécifique sur lequel se seraient reposées les parties,

 13   et qui aurait pu être appliqué.

 14   Me Stewart a certainement fait référence à cet accord. La Chambre sait que

 15   sur la base d'éléments de preuve précédents, quel est l'état de ces

 16   négociations à l'époque. Peut-être que ceci est manière à contestation

 17   entre les parties. Je ne sais pas, mais je reconnais, avec tout le respect

 18   que je vous dois, que nous avons retiré ce point.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Ma question, Maître Stewart, porte

 20   sur l'engagement véritable à tous égards, qu'il y a eu un engagement pour

 21   le signer, pour être d'accord.

 22   M. TIEGER : [interprétation] Sur la base des éléments de preuve et en

 23   l'état, nous n'avons pas d'argument à présenter sur le fait que la partie

 24   serbe souhaitait ou était disposée à aller de l'avant, et que M.

 25   Izetbegovic semblait vouloir se retirer. Au-delà de cela, peut-être qu'il y

 26   a davantage de détails dont nous pouvons parler, mais je n'ai rien dit au-

 27   delà de cela. J'ai pensé que c'était la question qui avait été posée à ce

 28   moment-là.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, c'est ce que j'avais à l'esprit

  2   également. Hormis cela, il y a également -- ce que j'ai à l'esprit -- c'est

  3   ce que j'avais à l'esprit lorsque j'ai parlé des faits et lorsque j'ai dit

  4   que les moyens de preuve étaient redondants.

  5   Hormis cela, Maître Stewart, parce que vous avez dit que vous étiez

  6   disposé à ne pas prendre de risques au nom de M. Krajisnik, bien sûr, nous

  7   avons un résumé 65 ter qui indiquait très clairement que le témoin a

  8   également parlé du manquement d'Izetbegovic à honorer les termes de cet

  9   accord et à le signer. J'ai compris dans ce contexte qu'il s'agissait du

 10   plan Cutileiro. Si je me trompe --

 11   M. STEWART : [interprétation] Monsieur le Président, je ne suis pas sûr de

 12   pouvoir vous suivre correctement. Nous avons un résumé

 13   65 ter et - un résumé 65 ter ne correspond pas à la déposition du témoin,

 14   n'est-ce pas ?

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Non, non. S'il s'agit d'un résumé 65

 16   ter, à ce moment-là, cela ne devrait être un élément de surprise pour

 17   personne. Nous avons entendu des moyens de preuve assez redondants à cet

 18   égard. Donc, c'était la question qui était posée.

 19   Y a-t-il autre chose que vous souhaitez ajouter. Je souhaite

 20   l'entendre maintenant. Sinon, nous allons lever l'audience. Nous allons

 21   lever l'audience et reprendre à 18 heures 10.

 22   --- L'audience est suspendue à 17 heures 49.

 23   --- L'audience est reprise à 18 heures 17.

 24   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Stewart, vous pouvez reprendre.

 26   M. STEWART : [interprétation] C'est une discussion fort utile que j'ai eue

 27   avec M. Tieger pendant la pause. Le point que je souhaite -- la remarque

 28   que je souhaite faire, je souhaite me faire entendre. J'ai posé une


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  1   question à la page 40, ligne 25, mais il y a pas eu de réponse à cette

  2   question, car nous avons eu une discussion là-dessus, sur ce qui était

  3   contesté.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre.

  5   M. STEWART : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  6   Q.  Monsieur Kecmanovic, avez-vous jamais senti que quelque chose semblait

  7   indiquer que le dirigeant du SDS ne voulait pas véritablement s'engager

  8   dans le plan Cutileiro si d'autres étaient prêts à soutenir ce plan ?

  9   R.  Non, absolument pas.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Comment avez-vous compris ce terme de

 11   "s'engager véritablement"; qu'ils allaient mettre en œuvre ou continuer sur

 12   cette base-là ? Comment aviez-vous compris cela, qu'il fallait signer ou ?

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] Chacun sait que les trois partis ont signé cet

 14   accord. Pas seulement la partie serbe, mais la partie croate n'a pas retiré

 15   sa signature non plus. Il n'y a que les Musulmans de Bosnie qui se sont

 16   retirés. Cela, c'est le premier point.

 17   A partir de là, j'en déduis que c'est ce qui convenait aux Croates et

 18   aux Serbes puisque vous me posez la question. Maintenant, je pense que la

 19   partie musulmane -- Izetbegovic lui-même, à partir du moment où il a signé

 20   le document, était tout à fait en faveur du plan, mais il l'a retiré ou il

 21   s'est retiré à cause de personnes qui avaient des points de vue différents

 22   du sien.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Qu'est-ce que vous entendez par là ?

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suppose que la conversation avec M.

 25   l'ambassadeur Zimmermann a déjà été évoquée ici, celle qui a eu lieu --

 26   conversation qui a eu lieu entre le moment où la signature a été apposée et

 27   le retrait de la signature.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie de votre réponse.


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  1   Veuillez poursuivre, Maître Stewart.

  2   M. STEWART : [interprétation]

  3   Q.  Etiez-vous au courant -- quelque chose semblait-il indiquer que les

  4   dirigeants serbes de Bosnie n'avaient pas l'intention de mettre en œuvre le

  5   plan Cutileiro si les Musulmans ne s'étaient pas retirés ?

  6   R.  Absolument pas.

  7   Q.  Je vais repartir en arrière et reparler de Sarajevo, Monsieur

  8   Kecmanovic. A l'époque -- parlons maintenant du moment où vous vous êtes

  9   rendu à Belgrade, que vous êtes revenu à Sarajevo faire un rapport sur cet

 10   accord auquel vous étiez parvenu à Belgrade. Que saviez-vous des actes de

 11   violence dans d'autres régions de la Bosnie-Herzégovine au cours des

 12   semaines précédentes ?

 13   R.  Je ne disposais pas d'information de façon directe; je ne disposais que

 14   d'éléments de façon indirecte. Je savais ce qui se passait à l'extérieur de

 15   Sarajevo. En réalité, nous avons déjà évoqué ces trois cas lorsque je suis

 16   allé de l'autre côté.

 17   Pour ce qui est de Belgrade, je m'y suis rendu en avion, donc j'ai

 18   survolé la région à l'extérieur de Sarajevo. Je ne peux pas dire que j'ai

 19   été directement en contact avec les régions à l'extérieur de Sarajevo.

 20   Pour ce qui est de ces autres départs de Sarajevo, je me suis absenté

 21   pendant une heure ou deux, la durée des réunions, et ensuite je rentrais.

 22   Q.  Vous-même, vous avez eu des informations sur les actes de violence à

 23   Zvornik, par exemple ?

 24   R.  Pour ce qui est de l'actualité, sur ce qui se passait à l'extérieur de

 25   Sarajevo, évidemment, l'actualité nous parvenait. Nous avions des journaux

 26   à Sarajevo, de façon limitée je dois dire. Les journaux ressemblaient à des

 27   pamphlets plutôt qu'à des journaux à proprement parler. Nous pouvions avoir

 28   des informations à la radio. Peu de temps après, nous n'avions plus de


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  1   l'électricité. On pouvait utiliser des transistors et on pouvait écouter

  2   l'actualité à la radio, si ce n'est que -- nous pouvions entendre

  3   l'actualité des deux côtés, mais dans les deux cas, c'était de la

  4   propagande de guerre, et personne ne pouvait véritablement croire ce que

  5   l'on entendait. C'était plutôt partisan comme information, et on ne pouvait

  6   que deviner. On ne savait pas véritablement ce qu'il se passait. Je ne peux

  7   parler que de la situation en ville.

  8   Q.  Lorsque vous dites avoir entendu l'actualité des deux côtés de part et

  9   d'autre, lorsque vous dites que vous écoutez des informations à la radio de

 10   part et d'autre, quelles étaient les sources de ces -- je vais être plus

 11   clair : quelles sont les radios que vous écoutiez ?

 12   R.  Je pense qu'en tout état de cause c'était Radio Sarajevo. C'était la

 13   radio de la ville. Il se peut que cela se soit appelé Radio de Bosnie-

 14   Herzégovine à l'époque, mais c'était le centre de diffusion au niveau de la

 15   ville. D'autres sources d'information, c'était Radio -- je ne sais plus

 16   comment on l'appelait, Radio Srna. Toujours est-il que c'est ce qui venait

 17   du côté serbe; la Radio de la Republika Srpska ou la Radio serbe. Enfin,

 18   quelque chose de ce genre. Je ne me souviens plus au juste.

 19   Q.  Radio Sarajevo, qu'était-ce ? Etait-ce une station radio normale qui

 20   diffusait depuis longtemps, avant l'éclatement des conflits ?

 21   R.  Oui. C'était la radio qui existait depuis que j'existe moi-même. Au

 22   moment où les conflits ont commencé, c'est devenu une station radio qui

 23   s'est placée au service d'une sorte d'état de guerre. Cela ressemblait

 24   davantage à de la propagande de guerre plutôt qu'à une information neutre

 25   et objective en laquelle on pourrait prêter foi. La situation sur le

 26   terrain était en effet telle.

 27   D'autre part, les informations étaient fournies dans le même ton, mais avec

 28   un préfix différent.


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  1   Q.  Dans la mesure du possible, pour ce qui vous concerne, Monsieur

  2   Kecmanovic, étiez-vous à même de faire la différence entre la propagande et

  3   les informations fiables ? Au mois de mai 1992, aviez-vous des

  4   informations, quelles qu'elles soient, portant sur ce qui se passait, par

  5   exemple, à Zvornik, Brcko, Bratunac, Sanski Most ?

  6   R.  Non. Une fois, et ce n'est pas par les médias, mais une fois, je me

  7   suis trouvé au cabinet d'Izetbegovic, et sa fille, qui était en même temps

  8   son chef de cabinet, son secrétaire, était entrée dans la pièce pour dire

  9   qu'il y avait un appel urgent. Je sais que cela venait de Bosnie orientale.

 10   Je ne sais pas si c'était Zvornik ou autre chose. Mais je crois que c'était

 11   important. Elle lui a demandé s'il voulait prendre la communication. Il a

 12   pris la communication, et j'ai entendu la voix de l'autre côté, puisque

 13   nous étions seuls dans la pièce, et lui, il était assez bouleversé. Sa voix

 14   était paniquée, excitée. En répondant à un appel à l'aide, il a dit à son

 15   interlocuteur de s'adresser à quelqu'un d'autre. L'autre continuait

 16   d'insister. Je sais qu'Izetbegovic a dit : "Je vous ai bien dit avant que

 17   la lutte pour la création d'un Etat nécessitait des victimes," et il a

 18   raccroché. Puis il a dit, en me parlant à moi, que c'était quelqu'un du

 19   terrain qui avait appelé. Je ne sais pas si c'était de Zvornik. C'était en

 20   Bosnie orientale; c'est sûr. Mais je ne suis pas tout à fait sûr pour ce

 21   qui est de dire si c'était bel et bien Zvornik.

 22   Q.  En mai 1992 ou avant cette date, avez-vous obtenu des informations,

 23   quelles qu'elles soient, portant sur des actions déployées par la JNA dans

 24   d'autres parties de la Bosnie ? J'entends par là à l'extérieur de

 25   Sarajevo ?

 26   R.  Non. Rien de ce qui sortirait du schéma que je vous ai brossé. D'un

 27   côté, vous aviez un type d'information, et de l'autre côté, des

 28   informations tout à fait à l'opposé. Ce qui fait que vous pouviez suivre


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  1   les uns et les autres et essayer de trouver des bribes de vérité entre ces

  2   deux extrêmes. Ce que je puis dire, c'est que s'agissant des auditeurs de

  3   ces informations, parmi les citoyens, il y avait le même partage. Les uns

  4   ne prêtaient foi qu'à un type d'information, et les autres à l'autre, ce

  5   qui ne faisait que faire croître les tensions entre les citoyens.

  6   Q.  Monsieur Kecmanovic, vous êtes devenu membre de la présidence de

  7   Bosnie-Herzégovine à la date du 1er juin 1992, n'est-ce pas ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Qui étaient les autres membres de cette présidence au moment où vous

 10   avez commencé à en faire partie ?

 11   R.  Il y avait, dans la composition de la présidence, les mêmes qu'au

 12   début, après les élections. Il n'y a eu que modification du point de vue du

 13   fait que feu M. Koljevic et Mme Plavsic n'étaient plus là. Moi et

 14   Pejanovic, nous les avons remplacés. Il n'y avait pas M. Franjo Boras dans

 15   l'équipe première, qui faisait d'ailleurs nominalement partie de la

 16   présidence, mais de fait, il était longtemps absent et il n'est plus jamais

 17   revenu à la présidence. Mais sa fonction, nominalement parlant, était

 18   encore présente. Il n'a pas démissionné.

 19   Il y avait Ganic, Kljuic, Abdic. Il y avait aussi, compte tenu du fait

 20   qu'on avait proclamé un état de guerre ou un état de danger imminent de

 21   guerre au début, il y avait de présent, non pas avec un droit de vote, mais

 22   faisant acte de présence, Jure Pelivan, qui était premier ministre, et il y

 23   avait aussi le chef d'état-major, Sefer Halilovic, ainsi que le vice-

 24   président du parlement, Mariofil Ljubic.

 25   Q.  Le vice-président du parlement, vous dites. Mais M. Krajisnik était

 26   toujours techniquement le président de celui-ci, n'est-ce pas ?

 27   R.  Oui, oui. Je pense que M. Mariofil Ljubic était considéré comme

 28   président par intérim ou remplaçant en l'absence du président. Mais


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  1   toujours est-il que M. Krajisnik, officiellement, était le président du

  2   parlement. Jure Pelivan et Sefer Halilovic n'ont été qu'invités, mais ils

  3   n'avaient pas un statut de membres jusqu'à la proclamation de l'état de

  4   guerre.

  5   Q.  Y a-t-il eu une appellation d'utilisée qui reprendrait, par exemple, la

  6   notion de présidence, au sens élargi du terme, en Bosnie-Herzégovine ?

  7   R.  Il a pu y avoir eu une approche technique qui parlerait de présidence

  8   au sens élargi, parce que c'étaient des personnes présentes qui pouvaient

  9   participer aux débats, mais qui n'avaient pas le droit de voter, jusqu'au

 10   moment où il a été proclamé un état de guerre. Là, la situation a

 11   effectivement changé.

 12   Q.  Est-ce qu'à l'égard de ceux qui étaient présents aux sessions, la chose

 13   a été claire, à savoir, qui est-ce qui avait le droit de voter et qui est-

 14   ce qui ne l'avait pas ?

 15   R.  Cela se manifestait lorsqu'il fallait prendre des décisions et lorsque

 16   ces décisions étaient prises par le biais d'un vote.

 17   Q.  Le --

 18   R.  Je pense qu'ils n'étaient pas tous présents à chaque fois. Ils étaient

 19   présents au cas par cas. Des fois, ils y étaient tous. Des fois, ils

 20   étaient là deux d'entre eux ou un seul d'entre eux. Il n'y avait pas de

 21   règle fixe à ce sujet.

 22   Q.  Serait-il exact de dire ce que je me propose de vous dire : vous et

 23   votre parti avez prévu trois conditions pour rejoindre les rangs de la

 24   présidence après que Koljevic et Plavsic se soient retirés. L'une de ces

 25   conditions était que tous les membres de la présidence aient le droit de

 26   veto. Et deuxièmement, que tous les membres de la présidence qui étaient en

 27   même temps présidents d'un parti devraient renoncer à ces fonctions de

 28   membres de la présidence. Et troisièmement, il s'agissait de dissoudre le


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  1   gouvernement et d'en désigner un nouveau avec un nouveau premier ministre

  2   qui serait nommé par la présidence. Est-ce là les conditions que vous aviez

  3   prévues pour faire partie de la présidence ?

  4   R.  C'est exact.

  5   Q.  Je vais en revenir au troisième point qui prévoyait la dissolution du

  6   gouvernement et le remplacement de celui-ci par un nouveau gouvernement où

  7   le premier ministre serait nommé par vous. Est-ce que cela s'est produit ?

  8   R.  Le processus avait été entamé. M. Pelivan avait déjà démissionné, et

  9   une procédure a été lancée aux fins de procéder à la nomination d'un

 10   nouveau mandataire. En principe, cela devait être un Croate parce que

 11   c'était la clef de répartition des fonctions, et c'était, depuis le tout

 12   début, la fonction qui revenait de droit aux Croates. Cela ne pouvait donc

 13   être qu'un Croate. J'avais proposé que ce soit Bozidar Matic. Il avait été

 14   le directeur général de l'une des plus grandes sociétés de Bosnie-

 15   Herzégovine, Energoinvest. Il a été recteur avant moi à l'Université de

 16   Sarajevo. C'était quelqu'un de très bien en vue, une personnalité des plus

 17   populaires. Kljuic m'a prévenu du fait que le HDZ lui avait proposé ce

 18   poste avant que de le proposer à Pelivan, et lui avait refusé à l'époque.

 19   Alors, j'ai demandé à ce qu'on m'autorise à ce que je m'entretienne avec

 20   lui, dans l'espoir de le voir accepter mon offre. 

 21   Je serai plus bref, c'est ainsi que cela s'est passé. Mais lorsque je

 22   suis arrivé avec son acceptation écrite de cette fonction de premier

 23   ministre, les Croates présents à la réunion, notamment Kljuic, ont prévenu

 24   que lui, en sa qualité de Croate, ne pouvait venir que sur proposition du

 25   HDZ et non pas du chef des réformistes. Ils ont utilisé ce droit de veto

 26   qu'avait chacun d'entre nous. Ce qui a enlevé le point de l'agenda. Il

 27   n'est resté qu'une solution, c'est de prolonger le mandat à Pelivan, parce

 28   que dans cette situation, la présidence n'avait pas beaucoup de choix et ne


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  1   pouvait pas surenchérir pour ce qui est des candidats, puisque les

  2   candidats n'étaient pas fort nombreux.

  3   Q.  La deuxième condition était que tous les membres de la présidence qui

  4   étaient à la fois présidents de parti devraient renoncer à ces fonctions-

  5   là. Alors, M. Izetbegovic s'est formellement retiré de ces fonctions à la

  6   tête du SDA et il a été remplacé par un certain Mirsad Ceman ?

  7   R.  Mirsad Ceman.

  8   Q.  Etait-ce le vrai chef du SDA ou pas ?

  9   R.  Il s'agissait d'un homme que je connaissais. Mais je le connaissais

 10   parce que j'ai fait partie de tous les processus politiques. Mais pour

 11   l'opinion publique en général, c'était quelqu'un d'anonyme. Il faisait

 12   partie d'un cercle très large de la direction. Il ne se trouvait même pas

 13   parmi les dix premiers pour pouvoir faire figure dans un sens véritable,

 14   assumer les fonctions du chef du parti, donc cela ne s'est réduit qu'à une

 15   pure et simple formalité.

 16   Q.  Passons maintenant à cette proclamation de l'état de guerre. Dites-

 17   nous, quand est-ce que cela s'est fait ?

 18   R.  Je ne peux pas être très précis à ce moment-ci. Je crois avoir pris

 19   note quelque part. Mais c'est, en tout état de cause, au mois de juin que

 20   cela s'est passé, et j'étais à la présidence. S'agissant de la décision,

 21   suite à une proposition de la part d'Izetbegovic, Pejanovic et moi-même

 22   avons émis des réserves des plus sérieuses, des plus fondées. Nous avions

 23   même indiqué que proclamer un état de guerre, cela se réduirait à faire en

 24   sorte qu'il y ait un partage en ville, une ligne de division au sein de

 25   l'ABiH où il y avait participation d'un certain nombre de Serbes, et les

 26   Serbes comprendraient que cela était une déclaration de guerre à l'égard de

 27   leurs concitoyens, donc cela risquait de provoquer une scission sur les

 28   lignes ethniques.


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  1   Izetbegovic a alors retiré cette initiative, qui ne venait pas d'ailleurs

  2   de lui, mais qui venait de Sefer Halilovic, chef du Grand état-major. Dans

  3   le cours de la nuit, et cela n'a pas été un précédent d'ailleurs, il s'est

  4   tenu une session sans Pejanovic et moi-même, en disant qu'ils n'avaient pas

  5   réussi à nous trouver parce que c'était une situation de guerre et une

  6   situation confuse, et que c'était la guerre en ville, et que les moyens de

  7   communications ne fonctionnaient pas et ainsi de suite.

  8   Q.  Pour autant que vous puissiez vous en souvenir, avaient-ils

  9   véritablement eu des difficultés à vous trouver ?

 10   R.  Tout était difficile à l'époque en ville. Il était difficile de venir

 11   aux sessions régulières au quotidien jusqu'au bâtiment de la présidence.

 12   Cela, par conséquent, a été toujours difficile de venir à la présidence et

 13   de rentrer chez soi après. Indépendamment de ce fait-là, nous étions à nos

 14   postes tous les jours, présents aux sessions. La possibilité de nous

 15   convoquer existait dans la mesure où tout le reste fonctionnait. C'était

 16   rendu plus difficile, certes, mais cela fonctionnait. Quand bien même il y

 17   aurait eu des difficultés tout à fait particulières, il n'y avait pas de

 18   raison de ne pas prévoir une session le lendemain. Il n'était guère

 19   nécessaire de la tenir la nuit même.

 20   Q.  Lorsque vous êtes devenu membre de la présidence, y a-t-il eu des

 21   lignes directrices pour ce qui est de la politique que se devait de suivre

 22   la présidence ?

 23   R.  Non. En accédant à la présidence, j'ai quelque peu été surpris, dirais-

 24   je. Parce que non seulement il n'y a pas eu de document écrit de la sorte,

 25   mais il n'y avait pas d'initiative non plus pour ce qui était d'en rédiger

 26   un pour ce qui est de la préparation ou des activités préparatoires à

 27   l'élaboration d'un document de ce type. C'est pourquoi j'ai demandé que

 28   l'on mette sur papier les objectifs du fonctionnement de la présidence dans


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  1   des circonstances aussi exceptionnelles que celles-là, dans des

  2   circonstances de guerre.

  3   Q.  Avez-vous obtenu ces informations ?

  4   R.  Il s'agissait de mon initiative pour faire quelque chose.

  5   Q.  Est-ce que quelque chose a été fait ?

  6   R.  Non, rien.

  7   Q.  Y a-t-il eu des mesures prises pour élaborer une politique ou un

  8   programme politique quelconque ?

  9   R.  Quand je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas ce type de chose, que

 10   cela n'existait pas, j'ai proposé une initiative pour qu'on ait un

 11   programme politique qui réglementerait les travaux de la présidence et des

 12   autres entités sur le territoire de la ville. Cela aurait aussi pu aller

 13   au-delà de la ville aussi. Je dois dire que certains membres de la

 14   présidence étaient ravis d'entendre mon initiative, mais il y en avait

 15   d'autres, en revanche, qui l'étaient moins.

 16   Q.  Y a-t-il eu des mesures prises pour élaborer ce type de programme

 17   politique dont vous parlez ?

 18   R.  Etant donné qu'une majorité des participants semblaient intéressés par

 19   mon initiative, et voulait que ce type de mesures soit prises. Un groupe de

 20   travail a été mis sur pied. Le commandant de l'armée, c'est-à-dire, le chef

 21   de l'état-major, lui, était vraiment en faveur de cette initiative.

 22   Halilovic et ses soldats, on leur demandait souvent quels étaient les buts

 23   de leur lutte, et ils disaient qu'avec ce type documents, cela pourrait

 24   être très utile.

 25   Izetbegovic, lui, s'est abstenu. J'ai eu l'impression que s'il avait eu un

 26   document qui avait existé de ce type, cela aurait signifié que ses mains

 27   étaient liées.

 28   En tant que président, Abdic était en faveur de la proposition. Rapidement,


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  1   il y a eu majorité qui a vu le jour, et le groupe de travail a été établi

  2   avec Kljuic, Fikret Abdic et moi-même et Pejanovic. On nous demandé de

  3   rédiger cette proposition et de la présenter à la présidence qui, ensuite,

  4   soit l'adopterait immédiatement, soit demanderait que l'on y fasse quelques

  5   amendements.

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Stewart, je suis un tout petit

  7   peu perdu là, --

  8   M. STEWART : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'aimerais avoir des éclaircissements

 10   sur la déclaration de l'état de guerre.

 11   Monsieur Kecmanovic, vous nous avez dit -- vous nous avez décrit comment la

 12   présidence fonctionnait. Vous nous avez dit que vous n'aviez pas le droit

 13   de prendre les décisions jusqu'à ce que la guerre soit déclarée, l'état de

 14   guerre soit déclaré. Là, les choses ont changé. On vous a demandé des

 15   éclaircissements sur la déclaration de guerre. Vous avez dit qu'il y avait

 16   une déclaration Sefer Halilovic. Vous avez dit que vous avez des réserves -

 17   - enfin, vous en avez parlé. Ensuite, la présidence s'est réunie sous

 18   Izetbegovic au cours d'une nuit, il ne pouvait pas vous trouver. Ensuite,

 19   vous avez dit : "Il a pris le contrôle." Est-ce que cela signifie que

 20   l'état de guerre n'a pas été déclaré ou est-ce que j'ai mal compris ?

 21   L'état de guerre n'aurait pas été déclaré ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Vous m'avez bien compris. Il y a bel et bien

 23   eu une déclaration de guerre, mais sans soutien des membres serbes de la

 24   présidence, puisque Pejanovic et moi-même n'étions pas présents lors de

 25   cette séance.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Comment est-ce que je dois comprendre

 27   alors votre remarque que vous avez dit : "Il l'a pris de la table." Enfin,

 28   je ne sais pas.


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  1   M. STEWART : [interprétation] C'est ma faute, je crois. Parce que je peux

  2   vous aider. Je pense que j'ai laissé la question en suspens et la réponse

  3   en suspens aussi. Il faudrait un petit peu que je raccommode tout cela pour

  4   qu'on arrive à trouver une solution.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, s'il vous plaît.

  6   M. STEWART : [interprétation]

  7   Q.  C'était une réunion, Monsieur Kecmanovic, une réunion où

  8   M. Pejanovic et vous-même avez dit que vous étiez contre la déclaration

  9   d'un état de guerre. Or, c'est lors de cette réunion que cela a été retiré,

 10   si je puis dire; c'est bien cela, n'est-ce pas ? Pouvez-vous nous

 11   répondre ?

 12   R.  Oui. Ensuite, il y a eu une réunion suivante où on ne nous a pas

 13   trouvés.

 14   Q.  Lors de cette réunion, vous n'étiez pas là pour donner votre veto, et

 15   M. Pejanovic n'était pas là non plus donner son veto. De ce fait, la

 16   résolution de déclaration d'un état de guerre est passée; c'est bien cela ?

 17   R.  Oui, c'est tout à fait cela.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maintenant, je comprends mieux.

 19   M. STEWART : [interprétation] Je suis absolument désolé. C'est parce que

 20   j'ai laissé la question en suspens, et je n'ai pas été jusqu'au bout.

 21   Q.  On vous demandé à vous quatre, à Kljuic, Abdic, vous-même et Pejanovic

 22   de rédiger un document et de le présenter à la présidence. Avez-vous fait

 23   cela ?

 24   R.  Oui, nous l'avons fait. D'ailleurs, le document en question avait été

 25   rédigé par mes soins. Puis, Pejanovic, Abdic et Kljuic l'ont étoffé; ils

 26   ont étoffé mon projet.

 27   Q.  Cela a pris combien de temps à peu près pour rédiger ce document, en

 28   gros ?


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  1   R.  C'était court; cela n'a pas pris longtemps. J'avais déjà un plan, enfin

  2   un projet du document. Il y avait un document du parti, un document que

  3   l'alliance réformiste avait préparé dans l'intervalle. Je vous explique.

  4   Q.  Cela vous a pris environ deux semaines ?

  5   R.  Au plus. Peut-être même dix jours. Laissez-moi m'expliquer, si je puis.

  6   Quand la situation a changé et quand la guerre a commencé - mon parti a eu

  7   de la chance ou n'a pas eu de chance, je ne sais pas - mais mon parti a pu

  8   adapter sa stratégie, son programme et ses politiques à la nouvelle

  9   situation. On n'a pas eu le temps d'organiser les grandes réunions, mais on

 10   devait respecter la procédure démocratique. Les dirigeants internes ont

 11   rédigé un projet de documents, qui a servi de référence à ce programme

 12   politique. C'était mon opinion quant à ce que les choses devaient -- à quoi

 13   les choses devaient ressembler. Je l'ai ensuite à Pejanovic pour qu'il

 14   continue à l'étoffer. Ensuite, ils ont un petit peu affiné le document.

 15   Q.  Quelles étaient les caractéristiques essentielles des propositions

 16   contenues dans ce document, s'il vous plaît ?

 17   R.  Ce qui était assez original dans le document, en plus des principes

 18   généralement acceptés, était des éléments qui avaient été repris du plan

 19   Cutileiro et qui avait été incorporés dans le document.

 20   Q.  Ces éléments qui provenaient du plan Cutileiro, qui ont été incorporés

 21   dans votre proposition, c'était quoi exactement ?

 22   R.  En gros, voilà ce que je peux vous dire. Nous sommes partis du fait

 23   qu'il fallait avoir un peu de décentralisation en Bosnie-Herzégovine, avoir

 24   des unités plus ou moins ethniques territoriales, qui aient une autonomie

 25   ethnique et un gouvernement -- un autogouvernement politique. On ne voulait

 26   pas partir de la situation qui était née de la guerre et qui avait été

 27   appliquée par la force, mais qu'on devait partir de la situation

 28   précédente.


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  1   En Bosnie-Herzégovine, il y a une tradition de division ethnique par

  2   territoire. Il y avait des régions qui avaient des spécificités ethniques.

  3   Par exemple, l'Herzégovine occidentale. Avant la guerre, pendant les

  4   périodes communistes et même avant, ce n'était pas uniquement un terme

  5   géographique. Quand on disait l'Herzégovine occidentale, on savait qu'on

  6   parlait d'une région principalement croate. Quand on parlait de la Cazinska

  7   Krajina, on savait que c'était une région d'où venait Fikret Abdic. C'était

  8   la Krajina verte. Tout le monde savait que c'était un territoire musulman.

  9   Si on parlait de la Bosnie centrale, c'était un fait avéré que c'était un

 10   endroit dominé par les Musulmans, mais qu'en Krajina bosnienne, en

 11   revanche, il y a principalement une population serbe. Nous pensions que

 12   c'était une bonne base sur laquelle créer cette décentralisation afin de

 13   créer des régions ou des cantons. C'était après Dayton; on parlait de

 14   cantons. C'était la similarité avec le plan Cutileiro.

 15   On a aussi proposé que les centres urbains importants ou les zones où

 16   il y avait des populations mixtes, surtout dans les grandes villes,

 17   qu'elles deviennent extraterritoriales. Là, je parle principalement de

 18   Sarajevo et d'autres centres urbains de grande importance.

 19   M. STEWART : [interprétation] Veuillez m'excuser, Monsieur

 20   Kecmanovic. Messieurs les Juges, il nous reste trois minutes. Or, il faut

 21   que je parle de quelque chose en l'absence du témoin. D'ailleurs, il faut

 22   que j'en parle à huis clos. Puis-je le faire maintenant ?

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien, oui. Monsieur

 24   Kecmanovic, nous allons en finir pour aujourd'hui, en tout cas, en ce qui

 25   concerne votre déposition. Il faut que nous poursuivions un peu une fois

 26   que vous aurez quitté la salle. Je tiens à vous dire que vous ne devez

 27   parler à personne de la déposition que vous avez faite jusqu'à présent ou

 28   que vous allez faire demain, et peut-être même mercredi. Vous ne devez en


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  1   parler à personne. Nous aimerions vous revoir demain à 9 heures du matin

  2   dans ce prétoire. Vous pouvez maintenant suivre Mme l'Huissière.

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

  4   [Le témoin se retire]

  5   M. STEWART : [interprétation] Il faut que je passe à huis clos.

  6   M. TIEGER : [interprétation] Avant de passer à huis clos, il y a un point

  7   que je tiens à soulever.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous sommes en audience publique.

  9   M. TIEGER : [interprétation] Je pense qu'on peut en parler en audience

 10   publique. C'est pour ce qui a à voir du résumé 65 ter. Il y a quelques

 11   points qui ont été soulevés au cours de ce témoignage, qui ne sont pas

 12   repris dans le 65 ter. Je ne pense pas que cela va provoquer un retard ou

 13   quoi que ce soit. Il faut quand même que j'étudie la question. J'ai

 14   l'impression que M. Stewart travaille à partir d'un dossier et -- enfin, je

 15   pense qu'il n'a parlé de tout cela par inadvertance. J'aimerais vraiment

 16   que l'Accusation soit mise au courant parce que cela fait partie des règles

 17   quand même. Il faudrait que nous soyons mis au courant le plus rapidement

 18   possible. Si on ne peut pas être mis au courant dans les 14 jours qui sont

 19   prévus par le Règlement, c'est une chose. Mais il faut quand même qu'on

 20   sache quels sont les faits qui vont être utilisés par le témoin.

 21   M. STEWART : [interprétation] Oui. Je suis désolé, je fais de mon mieux. Je

 22   travaille, en effet, d'un gros document qui a été sauvegardé jusqu'à une

 23   heure et demie. Il y a des limites. Malheureusement, il est très difficile

 24   de transmettre ce document sous la forme d'un 65 ter.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Quand je regarde ce qui est au

 26   titre d'un résumé 75 ter [comme interprété] à l'article 4, je crois qu'il y

 27   a uniquement une réunion. Donc, quand le témoin dépose, il y a trois

 28   réunions.


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  1   M. STEWART : [interprétation] Oui, je sais très bien ce qu'il faut faire.

  2   Ni M. Josse ni moi-même d'ailleurs ne contestons que notre position

  3   concernant le numéro 65 ter n'est pas bonnes; on le sait bien.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne tiens pas à rajouter quoi que ce

  5   soit. Il faut quand même qu'il ait au moins une première réunion. Nous

  6   n'avons pas appris grand-chose sur la première réunion, ces questions

  7   envoyées par taxi, qui n'ont pas parlé de grand-chose à part qu'ils aient

  8   parlé de leurs inquiétudes. On sait que lors d'une des réunions, ils

  9   comprenaient que les Serbes se comprenaient mieux que les gens d'autres

 10   ethnies. Peut-être qu'il y avait un petit point qui pourrait être plus ou

 11   moins pertinent, suffisant pour qu'on en parle d'ailleurs, si on invite les

 12   dirigeants du SDS pour y rencontrer M. Koljevic, on voit arriver M.

 13   Krajisnik. Je ne pense pas qu'on ait eu vraiment besoin de soulever tout

 14   cela. Je ne pense pas que cela aurait vraiment fait préjudice à la cause de

 15   M. Krajisnik.

 16   M. STEWART : [interprétation] Ce n'est pas de ma faute. Je ne demande pas

 17   au témoin comment il s'est rendu à la réunion. S'il le dit par lui-même

 18   qu'il est venu en taxi, ce n'est pas quelque chose que j'ai demandé, mais

 19   c'est lui qui donne toutes ces informations. Il nous faut quand même que

 20   nous passions maintenant à huis clos pour que je vous parle du point qui

 21   m'intéresse.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, à huis clos partiel, Monsieur le

 23   Greffier.

 24   Mme LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes en audience à huis clos

 25   partiel, Monsieur le Président.

 26   [Audience à huis clos partiel]

 27  (expurgé)

 28  (expurgé)

 


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 11  Pages 22393-22395 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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 23   [Audience publique]

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Le Greffier. Nous allons

 25   lever la séance jusqu'à demain matin 9 heures 00, même prétoire.

 26   --- L'audience est levée à 19 heures 10 et reprendra le mardi

 27   4 avril 2006, à 9 heures 00.

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