Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 27 juin 2006

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 41.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourriez-vous

6 appeler l'affaire.

7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour. Il s'agit de l'affaire IT-00-39-

8 T, le Procureur contre Momcilo Krajisnik.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur le Greffier.

10 Nous allons passer à l'étape suivante de la procédure, après avoir

11 entendu la présentation des moyens à charge, la présentation des moyens à

12 décharge. La Chambre, ayant entendu les témoins qui ont été cités par les

13 parties, a décidé de citer ses propres témoins en application de l'article

14 98 du Règlement de procédure et de preuve. Parmi ces témoins, M. Amir

15 Delic. La Chambre l'a contacté, le

16 20 juin 2006, ensuite, a informé les parties de son intention de citer M.

17 Delic à comparaître. Il va témoigner aujourd'hui, et ce, sans mesures de

18 protection.

19 Monsieur Josse, nous avons appris que vous vouliez parler aux Juges en huis

20 clos partiel. Voulez-vous que ce soit après que le témoin soit rentré dans

21 le prétoire ou avant ?

22 M. JOSSE : [interprétation] Il vaudrait mieux que ce soit avant.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Pouvons-nous passer en huis

24 clos partiel.

25 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

26 [Audience à huis clos partiel]

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2 [Audience publique]

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur l'Huissier, pourriez-vous, s'il

4 vous plaît, faire venir le témoin dans le prétoire, M. Delic.

5 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Delic, avant que vous ne

9 témoigniez devant ce Tribunal, le Règlement de procédure et de preuve vous

10 demande de faire une déclaration solennelle comme quoi vous allez dire la

11 vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Le Huissier va vous donner

12 le texte de cette déclaration dans votre propre langue, et je vous invite à

13 faire cette déclaration solennelle devant le Tribunal.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

15 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

16 LE TÉMOIN : AMIR DELIC [Assermenté]

17 [Le témoin répond par l'interprète]

18 Questions de la Cour :

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous asseoir,

20 Monsieur Delic.

21 Monsieur Delic, vous avez été appelé en tant que témoin devant cette

22 Chambre. J'aimerais tout d'abord que vous décliniez votre identité.

23 R. Amir Delic.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Quand êtes-vous né ?

25 R. Le 18 septembre 1958.

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Nous allons maintenant passer à

27 huis clos partiel, mais très, très brièvement.

28 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

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1 [Audience à huis clos partiel]

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6 [Audience publique]

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourriez-vous

8 donner la pièce D-106A [comme interprété], et je voudrais que M. l'Huissier

9 puisse la mettre sur le rétroprojecteur.

10 Pourrions-nous zoomer sur cette photo afin de l'avoir en plein cadre.

11 Merci.

12 Monsieur Delic, cette photographie a été versée au dossier en l'espèce.

13 J'aimerais vous poser quelques questions à propos de cette photographie.

14 Tout d'abord, est-ce que vous reconnaissez les personnes qui sont sur cette

15 photographie ? Pourriez-vous nous l'indiquer en commençant par la personne

16 à gauche, et nous donner leur identité et les postes qu'ils occupaient à

17 l'époque ?

18 R. La première personne à gauche, c'est moi. A côté de moi, à ma gauche M.

19 Zunic. Il me semble qu'il représentait l'armée du District autonome de

20 Krajina, de Dvor. Je le connaissais avant d'ailleurs. C'était le directeur

21 technique de l'entreprise de camionnage de Dvor. Je suis ingénieur, je

22 travaillais au niveau de la circulation. Je travaillais à Bosanski Novi, et

23 je le connaissais dans le cadre de mon travail. Ensuite, il y a le maire de

24 la municipalité, Radomir Pasic. Ensuite, il y a le représentant de la

25 communauté internationale.

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Vous allez un peu vite là. Vous

27 dites que la personne qui a le costume sombre, c'est

28 M. Pasic ?

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1 R. Oui.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ensuite, le suivant --

3 R. Celui qui tient un crayon et un carnet, c'est la personne qui

4 représentait l'UNHCR. Il me semble que son nom étant Janson, Nilsen, je ne

5 suis pas vraiment certain. C'était quelque chose dans ce style.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ensuite, le suivant, c'est la personne

7 qui est en treillis.

8 R. Oui, en treillis, il y a M. Nikola, qui est aussi de Dvor Na Uni. Il me

9 semble que c'était le commandant du poste de police.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et la dernière personne ?

11 R. Ensuite, la dernière personne, c'est Emin Puric. C'est un de mes amis,

12 et c'était mon voisin.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Monsieur Delic, est-ce que

14 vous vous souvenez dans quelle circonstance cette photo a été prise ?

15 R. Oui. Cette photographie a été prise au cours des négociations qui ont

16 eu lieu sur le pont entre Bosanski Novi et le quartier de Matijevic. C'est

17 un pont sur la Una. C'est un village qui est sur la route de Dvor Na Uni.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Est-ce que cela était les

19 premières négociations auxquelles vous ayez participé ou est-ce que c'était

20 une suite de négociations préalables qui avaient déjà eu lieu ?

21 R. Non, il s'agissait d'un suivi des négociations qui avaient déjà eu

22 lieu.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Combien d'autres séries de négociations

24 avaient déjà eu lieu ?

25 R. Je ne peux pas vraiment vous donner un chiffre exact. Je peux peut-être

26 reconstituer le déroulement des événements.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Nous ferons cela plus tard. Dites-

28 nous d'abord, quel était l'objet des négociations ? A propos de quoi est-ce

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1 que vous étiez en train de négocier ?

2 R. L'objet des négociations, c'était le départ de Croates et de Musulmans

3 de Bosnie, qui devaient partir en convoi à partir de Bosanski Novi.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Pourquoi y a-t-il eu cette

5 réunion, cette réunion sur ce pont ?

6 R. Il faudrait peut-être mettre les choses en perspective, et je vais

7 peut-être vous parler des négociations et vous dire exactement pourquoi ces

8 négociations ont été nécessaires.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Ecoutez bien mes questions quand

10 même. A un moment, je vous donnerai l'occasion de nous expliquer toute

11 l'histoire et de nous dire exactement pourquoi il y avait eu besoin de

12 lancer un processus de négociations. J'ai parfois d'autres questions à vous

13 poser, donc je vous interromprai à ce moment-là dans votre récit pour vous

14 demander des précisions. Vous pouvez, en effet, nous raconter maintenant ce

15 qui s'est vraiment passé et de commencer déjà à nous dire en quelle mesure

16 vous étiez présent à ces négociations, si vous représentiez un groupe, une

17 organisation. Enfin, expliquez-nous un peu pourquoi vous étiez présent lors

18 de ces négociations.

19 R. En 1991 et 1992, la situation à Bosanski Novi était un véritable

20 désastre. On ne peut pas vraiment dire autre chose. Tous les événements qui

21 avaient eu lieu en République de Croatie avaient des conséquences directes

22 sur la vie à Bosanski Novi. Je ne vais pas retourner à cette période du

23 temps, mais je voulais juste un petit peu vous dresser la scène.

24 Le 11 mai 1992, à l'aube, il a commencé à y avoir des tirs tout autour du

25 village, des tirs qui venaient de différentes armes. On entendait parfois

26 des tirs individuels --

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'aimerais vous arrêter déjà à ce

28 moment. Où est-ce que vous habitiez le 11 mai 1992 ? Vous habitiez à

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1 Bosanski Novi dans la ville elle-même ou aux alentours ?

2 R. A l'époque, je n'étais pas encore marié, j'étais célibataire.

3 J'habitais seul dans un deux pièces, dans un bâtiment qui s'appelait CV

4 DOM. Mes parents avaient leur propre maison qui n'était pas loin de ce

5 bâtiment, à peu près à 200 ou 300 mètres.

6 Le 10 mai 1992, dans l'après-midi, l'ambiance était très étrange dans la

7 ville. Mon frère, ma belle-sœur et leurs enfants, ainsi que moi-même et que

8 mon voisin Admir Ceric et une autre voisine Amra Dautcehajic, nous nous

9 sommes tous rendus dans mon appartement. Nous avons quitté la maison de mes

10 parents et nous sommes allés dans mon appartement, dans le bâtiment, parce

11 que nous pensions que nous serions plus en sécurité dans l'immeuble. Il y

12 avait des personnes en uniforme qui allaient de porte à porte, et qui

13 emmenaient tous les hommes, tous les mâles. Nous pensions qu'en groupe, on

14 serait plus en sécurité. C'est pour cela que nous nous sommes tous rendus

15 dans mon appartement.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous nous parlez de ce qui s'est passé

17 dans toute la ville ou est-ce que vous nous ne parlez que de ce que vous

18 avez observé vous-même, de vos propres yeux ?

19 R. Oui.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Quand vous nous dites qu'il y avait

21 des personnes qui emmenaient toute la population de sexe masculin, qu'est-

22 ce que vous voulez dire exactement ?

23 R. Plus exactement, il y avait une camionnette rouge, un Traffic Renault,

24 de marque Renault, qui faisait des tournées d'ailleurs dans la ville.

25 C'était la rumeur publique qui disait qu'il y avait des personnes en

26 uniforme qui arrêtait plus ou moins les gens et qui les emmenaient pour les

27 interroger soit à la caserne des pompiers ou au commissariat. Mais je n'ai

28 pas vu de mes yeux aucune des personnes qui ont été emmenées là-bas, mais

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1 j'ai bien vu la camionnette quand même qui tournait dans la ville, et je

2 l'ai vue depuis ma fenêtre dans mon appartement.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Quand vous vous êtes rendu

4 tous ensemble dans votre appartement, qu'avez-vous pu voir depuis cet

5 appartement ?

6 R. Nous étions dans l'appartement le matin. Donc, à l'aube, on a commencé

7 à entendre des tirs. A la Radio Bosanski Novi, on pouvait entendre

8 exactement un reportage sur ce qui était en train de se passer. Il y avait

9 des appels à la radio demandant aux Musulmans de rendre leurs armes. A la

10 radio, on disait que les Musulmans ne risquaient rien.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Cet appel à rendre les armes,

12 était-il adressé qu'aux Musulmans ou était-il adressé aux personnes

13 d'autres nationalités aussi ?

14 R. Non, c'était uniquement adressé aux Musulmans, parce qu'à Bosanski

15 Novi, il y avait très peu de Croates ou de non-Serbes qui -- mais je suis

16 désolé là. J'aimerais quand même dire une chose. Je suis un peu

17 impressionné. J'aimerais quand même vous dire quelque chose. Ce n'est pas

18 ce jour-là que mon frère, ma belle-sœur et leurs enfants sont venus à mon

19 appartement. Cela, c'était le 31 mai, entre le 31 mai et le 1er juin.

20 L'autre jour dont je vous ai parlé, j'étais seul dans mon appartement. Mais

21 le reste de ma déposition est précis et juste. Donc, le matin, c'était un

22 lundi, nous n'avons pas pu aller travailler. Le matin, je suis retourné

23 chez mes parents dans leur maison pour leur rendre visite, pour aller les

24 voir. Etant donné que mon appartement est juste en face d'une école, les

25 gens des quartiers de Prekosanje et d'Urije, escortés par un véhicule de

26 combat bleu, escortés aussi des soldats en arme qui arboraient des drapeaux

27 blancs, sont arrivés dans cette école. La plupart de ces gens ont été

28 hébergés dans l'école. Il y avait des femmes, des enfants, des hommes, des

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1 personnes âgées. En fait, il s'agissait de la population de ces deux

2 quartiers, de toute la population de ces deux quartiers.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous avons reçu une carte. Donc, il y a

4 une carte qui a été versée au dossier. Vous nous parliez d'Urije. Est-ce

5 bien ce Urije que l'on trouve sur la carte à l'est du village, à l'est de

6 la ville même ?

7 R. Oui, en amont de la Sana. Prekosanje, lui, est un quartier qui se

8 trouve de l'autre côté de la Sana.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Urije est à peu près à

10 trois kilomètres du centre ville ? C'est ce que je vois sur la carte. Est-

11 ce que vous voulez regarder la carte ? C'est bien la distance,

12 trois kilomètres ?

13 R. Oui, à peu près.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez poursuivre.

15 R. Nous autres qui habitions en face de l'école, nous avons apporté de la

16 nourriture et d'autres choses à ces personnes pour les aider. Je parle,

17 bien sûr, des personnes qui étaient hébergées dans l'école. Certaines de

18 ces personnes qui avaient des amis ou des parents près de l'école ont

19 réussi, bien sûr, à se faire héberger par les personnes qu'ils

20 connaissaient.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je tiens maintenant à vous poser la

22 question suivante : est-ce que vous avez reconnu là des gens qui étaient

23 dans cette école ? Est-ce que vous en connaissiez certains ?

24 R. Oui. Par exemple, le Pr Jasmin Custic et sa famille.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] S'agissant de la population des zones

26 que vous avez évoquées, notamment Urije, savez-vous quelle était

27 l'appartenance ethnique des personnes qui résidaient à ces endroits ?

28 R. Pour l'essentiel, il s'agissait de Musulmans, de Bosniens.

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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avez-vous vu des Serbes parmi les gens

2 qu'on emmenait à l'école ? Je ne parle pas des gens qui les ont emmenés à

3 l'école, mais des personnes qui ont été emmenées jusqu'au groupe scolaire ?

4 R. Non. A Prekosanje, ceux qui ont refusé de partir de chez eux et

5 d'abandonner leurs foyers ont été tués sur le seuil de leurs maisons. Je

6 n'en n'ai pas été témoin personnellement, mais c'est ce que m'ont dit ceux

7 qui sont arrivés au groupe scolaire. Le père de mon ami Elvira Mujkic a été

8 notamment tué sur le seuil de sa propre maison.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous nous avez expliqué qu'on a emmené

10 les gens jusqu'au groupe scolaire, mais que certains qui connaissaient des

11 gens aux alentours de l'école, dans le quartier, ont pu aller loger chez

12 des particuliers. Est-ce que cela veut dire qu'on n'était pas contraints de

13 rester à l'école, mais qu'il était possible également d'aller loger chez

14 des amis à proximité ? Est-ce que j'ai bien compris vos propos ?

15 R. Oui. La ville était divisée par des points de contrôle, et cette partie

16 de la ville de Vidorija, de la mosquée qui se trouvait à cet endroit. Là,

17 il y avait à côté de l'hôtel un point de contrôle. Cela veut dire qu'on

18 entrait par là dans la ville. De cet endroit jusqu'à Mlakve, jusqu'à

19 l'autre bout de la ville, les gens pouvaient aller se loger où ils

20 souhaitaient, c'est-à-dire que s'ils avaient des amis, des membres de leurs

21 familles qui se trouvaient dans cette zone, ils pouvaient aller chez eux.

22 Mais ceux qui n'avaient nulle part où aller devaient rester au groupe

23 scolaire.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez continuer à nous relater ce

25 qui s'est ensuite passé ce jour-là et les jours qui ont suivi.

26 R. Nous nous sommes efforcés d'aider ces gens, de leur amener à manger, de

27 les aider à faire leur toilette, se rafraîchir, et cetera. Puis, c'est là

28 qu'ils ont dormi. De manière générale, en ville, la situation a commencé à

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1 s'apaiser. Il y en a même qui ont commencé à rentrer chez eux, ceux dont

2 les maisons n'avaient pas été incendiées. Bien entendu, il fallait beaucoup

3 de courage pour rentrer chez soi. Les gens avaient à cœur de le faire,

4 parce qu'ils avaient quitté leurs maisons en emportant très peu de biens

5 personnels, d'effets personnels.

6 Cette atmosphère, elle a continué à régner jusqu'au 31 mai, au

7 dimanche 31 mai dans la ville. J'ai parlé de l'après-midi, mon frère, ma

8 belle-sœur, Cehajic, mon voisin, j'ai parlé de toutes ces personnes. C'est

9 à ce moment-là que toutes ces personnes-là sont venues chez moi dans mon

10 appartement. Vers 10 heures ou 11 heures du soir - en tout cas, c'était le

11 soir - la nuit, les tirs ont repris. Il y avait des voitures équipées de

12 gyrophares et de sirènes qui circulaient en ville. Et c'est alors que les

13 incendies criminels ont commencé. Depuis mon séjour, depuis le balcon, on a

14 pu voir que la mosquée de Vidorija était la proie des flammes ainsi que la

15 mosquée de la ville.

16 De l'autre côté de l'appartement, il y avait la cuisine. Là, j'ai pu

17 voir deux maisons qui étaient en feu, de l'autre côté de la rue à côté du

18 tunnel. La maison de Sead Heder et celle de Sead Ceric. Sead Heder, sa

19 femme, ses enfants et sa mère âgée sont allés se réfugier dans l'entrée de

20 notre immeuble, et je les ai fait monter dans mon appartement.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ces personnes que vous mentionnez à

22 partir du 31 mai, ces personnes, quelle était leur nationalité ou leur

23 appartenance ethnique ?

24 R. C'étaient des Musulmans et Bosniens.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les propriétaires des maisons que vous

26 avez vues incendiées, quelle était leur nationalité?

27 R. Ces gens-là, c'étaient aussi des Musulmans, Sead Heder et Sead, Seric,

28 alias Sejo [phon] ou Ribar [phon].

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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Savez-vous qui a mis le feu à ces

2 maisons ?

3 R. Non. J'ai dit qu'il y avait des véhicules militaires qui circulaient en

4 ville. Il y avait des Pinzgauer avec des gyrophares. On entendait hurler

5 les sirènes, mais je ne peux pas dire qui étaient ces gens-là. Nous avons

6 simplement pu voir deux personnes qui couraient vers la maison, et soudain,

7 on a vu la maison en flammes. Je pense en particulier à la maison de Heder

8 qui, très vite, a été la proie des flammes, parce que c'était une maison

9 ancienne, c'était une maison en bois.

10 A proximité de ma maison, tout à côté, se trouvait un centre

11 culturel, un centre d'artisanat où l'on trouvait quelque dix échoppes. Là,

12 nous avons vu des gens entrer, puis en sortir en emportant un certain

13 nombre d'objets. Il s'agissait sans doute d'un cas où ils ont jeté des

14 grenades, parce qu'ensuite, nous avons entendu des explosions.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Que s'est-il passé après cela ?

16 R. Ce drame-là a duré toute la nuit. Je dois dire que les téléphones

17 fonctionnaient toujours. On pouvait entrer en contact avec les amis, avec

18 la famille. On a appelé pour savoir si les gens étaient toujours chez eux,

19 s'ils allaient bien.

20 Le lendemain matin, des groupes de soldats armés, munis de fusils

21 automatiques, se sont déployés dans ma rue qui s'appelait Jablanica.

22 C'était une impasse, l'ancienne rue Boris Kidric. Des groupes de deux ou

23 trois soldats sont restés là dans la rue. Ils étaient à 50 ou 70 mètres les

24 uns des autres. Puis, pendant ce temps, il a deux soldats qui sont entrés

25 dans l'entrée de mon immeuble. Ils sont allés d'un appartement à l'autre,

26 sont entrés dans les appartements et ils ont fait sortir tous les hommes.

27 Ils étaient également munis d'une liste, une liste de noms sur

28 laquelle figurait mon nom aussi. Au regard de ce nom, le numéro de

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1 référence d'un pistolet, c'est-à-dire qu'en tant que directeur technique de

2 la compagnie Kozara Prevoz, une compagnie de transport, j'étais censé avoir

3 un pistolet. J'avais un permis en bonne et due forme, qui m'avait été

4 délivré par le MUP, par les autorités. Je ne me rappelle plus exactement de

5 l'année où on m'avait remis cette arme, 1990 ou 1989. En tout cas, ils ont

6 trouvé mon nom et ils m'ont demandé de leur remettre cette arme. C'est ce

7 que j'ai fait.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Une question sur ce point. Précédemment,

9 vous nous avez dit qu'on avait demandé à la radio aux Musulmans de rendre

10 les armes dont ils disposaient. Est-ce qu'il s'agissait là d'un appel qui

11 concernait les armes dûment enregistrées ou les autres également ?

12 R. Non. Cela c'était le 11 mai.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

14 R. A la radio, on pouvait pratiquement suivre en direct l'évolution de la

15 guerre, selon laquelle les Musulmans attaquaient la ville. Ils ont donné à

16 la radio les noms de dix personnes qui, selon eux, possédaient des fusils.

17 Ils ont même donné les numéros de série de ces fusils. Au cours de cette

18 période - mais je ne sais pas vraiment si c'était le 11 mai ou un autre

19 jour - en tout cas, c'était vers cette date, le président du service de

20 contre activité [phon] publique, M. Muhamedagic, s'est adressé à la

21 population à la radio. Il a déclaré que ceux dont on avait donné les noms

22 et qui avaient effectivement des armes devaient donner ces armes. Je ne

23 sais pas sur quoi tout cela a débouché, si effectivement les gens ont rendu

24 les armes qu'ils avaient, si ces gens avaient acheté ou non ces armes

25 initialement. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de ces personnes-là, de

26 ces dix personnes. Apparemment, selon ce qu'on dit, certaines auraient été

27 arrêtées, mais je ne sais pas vraiment.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si vous le permettez, je souhaiterais

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1 que nous reparlions encore une fois du 11 mai. Dans le cours de votre

2 dernière réponse, vous avez parlé de la radio où l'on pouvait pratiquement

3 suivre la guerre en direct alors que les Musulmans attaquaient la ville.

4 Vous ne nous avez pas parlé de cette attaque des Musulmans sur la ville.

5 Pouvez-vous nous dire d'où elle provenait ?

6 R. Lorsque les tirs ont commencé à résonner le matin du

7 11 mai, il a été dit à la radio que les Musulmans attaquaient, que les

8 Bérets verts semaient la mort, qu'il y avait des tireurs embusqués qui

9 étaient partout en ville, qui ouvraient le feu. Ce dont je me souviens plus

10 particulièrement, c'est que la maison Sudic [phon] qui se trouvait à

11 l'entrée du quartier d'Urije, il y avait là des gens qui tiraient au moyen

12 de fusils à lunette. On en a appelé à eux pour qu'ils se constituent

13 prisonniers. D'après ce que je sais, bien entendu, je n'étais pas un témoin

14 oculaire des faits, mais à mon avis, rien ne s'est passé. Il n'y avait pas

15 de tirs qui venaient d'armes détenues par les Musulmans ou d'aucune

16 organisation que ce soit. A ce moment-là, comme j'ai dit, les gens étaient

17 escortés par des véhicules blindés, et cetera, des véhicules de combat. Ils

18 étaient escortés vers l'école depuis Prekosanje et depuis Urije.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Une question précise : est-ce qu'il y a

20 d'autres sources, qu'elles soient selon vous fiables ou pas, est-ce qu'il y

21 a d'autres sources qui aient confirmé ce que vous avez entendu à la radio,

22 à savoir que les Musulmans avaient des armes à feu, qu'ils s'en servaient

23 et qu'ils étaient en train d'attaquer la ville, du moins ils s'en prenaient

24 à des habitants non-Musulmans, et ceci, à partir de maisons appartenant à

25 des Musulmans ?

26 R. Non. Il n'y avait pas de positions occupées par les Musulmans.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Sur ce point, j'aimerais vous demander

28 si vous avez jamais entendu dire ou si vous avez obtenu des informations

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1 selon lesquelles il y aurait eu une attaque lancée contre une patrouille de

2 la police militaire qui traversait un quartier musulman dans la

3 municipalité de Bosanski Novi le 10 mai, ou vers cette date ?

4 R. Oui. Cela aussi, ils l'ont annoncé à la radio. Ils ont annoncé qu'une

5 patrouille avait été attaquée, une patrouille de la police militaire ou

6 d'une autre police. On disait qu'elle avait été attaquée à Blagaj qui se

7 trouve à 7 ou 8 kilomètres de Bosanski Novi quand on va vers Prijedor. En

8 fait, c'est ce qui a mis le feu au poudre.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maintenant, le mieux, c'est si vous

10 continuiez à nous dire ce qui s'est passé après le 31 mai, quand les

11 soldats ont commencé à occuper un certain nombre de positions, quand ils

12 étaient là et qu'ils sont allés d'appartement en appartement.

13 R. Non, ils n'ont pas pris de positions. Non, ils étaient là debout au

14 milieu de la rue en groupes de deux, trois, voire quatre soldats. Pendant

15 ce temps, il y a deux soldats qui sont entrés dans mon immeuble. Ils

16 étaient armés. Ils avaient des fusils automatiques, et ils sont passés

17 d'appartement en appartement.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Savez-vous à quelle force armée ils

19 appartenaient ?

20 R. Ils portaient des uniformes militaires.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous avez une idée quelconque

22 de leur nationalité, de leur appartenance ethnique ?

23 R. Je ne leur ai pas demandé de me montrer leurs papiers d'identité. Je ne

24 sais pas, mais j'imagine que c'était des Serbes.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Continuez.

26 R. Parce qu'au cours de cette période-là, au moment des appels à la

27 mobilisation, les Musulmans n'ont pas répondu à ces appels. Ils n'ont pas

28 répondu à ces convocations. Moi-même, je n'en ai pas reçu, parce que le

Page 26345

1 poste que je devais occuper en temps de guerre, c'était un poste qui était

2 déjà fixé. C'était dans mon entreprise. Bien entendu, je n'ai pas reçu de

3 convocation.

4 Pour ce qui est de l'appartement --

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être pourriez-vous, à partir de

6 leurs uniformes, nous dire à quelle branche de l'armée ces gens

7 appartenaient, à quelle arme. Est-ce que c'étaient des membres de la

8 Défense territoriale ? Est-ce que c'était des membres de la police

9 militaire, de l'armée régulière, et cetera ?

10 R. Ils portaient l'uniforme de l'armée populaire yougoslave; les armes,

11 les pantalons, le ceinturon, la chemise, tout ce que porte une personne qui

12 porte un uniforme. Je ne peux pas vous dire s'il y avait un emblème

13 quelconque, qui portait quel emblème, quel insigne. Il y en avait certains

14 qui avaient une espèce d'insigne avec les quatre lettres S, mais je ne peux

15 pas vous dire avec certitude si les deux soldats qui sont entrés dans mon

16 immeuble avaient arboré cet emblème aussi.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il s'agit d'un emblème serbe,

18 n'est-ce pas, du symbole serbe, ces quatre S ?

19 R. Oui.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Continuez au sujet de ces deux soldats

21 qui sont entrés dans votre appartement.

22 R. Oui. Ils ont trouvé mon nom sur la liste. Je leur ai donné mon pistolet.

23 Mon frère qui était le directeur commercial de Stana service - c'est une

24 société de service - son nom y figurait aussi sur la liste, parce qu'il

25 avait lui aussi un pistolet avec un permis en bonne et due forme, et cetera.

26 Ce pistolet, il était dans la maison, parce que mon frère était à l'étage

27 supérieur de la maison. On nous a emmenés à la maison sous la menace des

28 armes, ceci afin que mon frère puisse leur donner son pistolet.

Page 26346

1 Nous avons demandé aux soldats de nous remettre un reçu pour confirmer que

2 nous leur avions bien donné nos armes, parce que nous craignions qu'ensuite

3 d'autres viennent pour nous demander à nouveau les pistolets. Et dans ces

4 conditions, nous n'aurions pas été en mesure de leur prouver que nous les

5 avions déjà données, ces armes. Les soldats nous ont dit qu'il n'y avait

6 nulle raison de craindre quoi que ce soit de ce genre, que personne d'autre

7 ne viendrait nous faire la même demande. Ensuite, ils nous ont ramenés

8 jusqu'à mon immeuble, devant mon immeuble, puis ensuite, ils nous ont

9 emmenés jusqu'à la place qui est au bout de la rue, où se trouve

10 l'association des chasseurs. Là, il y avait une sorte de scène qui se

11 trouvait là pour diverses manifestations, spectacles et autres. On nous a

12 contraints à nous agenouiller face au mur, et on nous a contraints à

13 entonner des chansons, comme par exemple, "Camarade Tito," "Montagne de

14 Kozara," et cetera. Les soldats ont ouvert le feu autour de nous, nous ont

15 insultés, et ils nous ont traités de la sorte. Cela semblait beaucoup les

16 amuser.

17 Ensuite, un autocar est arrivé avec au volant Mirko Gajic. C'est un autocar

18 de mon entreprise. M. Mirko Gajic était un chauffeur de l'entreprise. On

19 nous a dit de monter à bord de l'autocar. Quand je suis monté à bord de

20 l'autocar, celui-ci était déjà à moitié plein. Le chauffeur a dit à celui

21 qui se trouvait sur le siège de la première banquette, il lui a dit d'aller

22 s'asseoir ailleurs. J'ai dit que ce n'était pas la peine. Donc, je suis

23 allé m'asseoir au milieu. On nous a emmenés au stade Sloboda à Mlakva. A ce

24 moment-là, il était 10 heures ou 11 heures, à peu près, au moment où on est

25 arrivés au stade.

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] M. Gajic, quelle était son appartenance

27 ethnique ou sa nationalité ?

28 R. Il était Serbe.

Page 26347

1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Poursuivez. Vous dites qu'on vous

2 a emmenés au stade de Mlakve.

3 R. Oui, bien sûr. Le stade était encerclé par des gardes ou des soldats.

4 On nous a fait entrer sur la pelouse. Il y avait déjà des gens qui s'y

5 trouvaient. Je ne sais pas exactement combien il y avait de personnes là,

6 mais en tout cas, il y en avait beaucoup. Tout au long de la journée, les

7 autocars n'ont cessé d'emmener des gens au stade. Et dans les jours qui ont

8 suivi, la fourgonnette rouge qui circulait constamment en ville, elle aussi

9 elle a emmené des gens au stade. Puis, il y en a qui sont venus à pied

10 jusqu'au stade, qui sont venus de leur propre chef. Ils sont venus, parce

11 qu'ils avaient peur qu'on ne les trouve chez eux, et qu'ensuite, ils

12 disparaissent à tout jamais. A ce moment-là, les maisons étaient fouillées.

13 Une fois que les maisons avaient été fouillées, on rassemblait les hommes.

14 Il fallait faire pendre un drap blanc à la fenêtre de ces maisons pour

15 montrer que la maison avait été fouillée.

16 Chez moi, la femme, la mère et les enfants de ce Sead Heder dont la

17 maison avait été incendiée, ils sont restés chez moi. Pour ce qui nous

18 concerne nous, nous sommes restés stade jusqu'au vendredi après-midi. Je

19 crois que c'était le 5 ou le 6, le 6 juin. C'est ce jour-là que nous avons

20 été libérés, qu'on nous a permis de quitter le stade et de rentrer chez

21 nous.

22 Le premier jour au stade, on nous a donné un petit peu de thé et du

23 pâté de foie, mais il n'y en avait pas assez pour tout le monde. Donc, on

24 s'est efforcés de partager au mieux ce qu'on nous avait donné. Ensuite,

25 comme il était évident qu'il n'y avait pas suffisamment à manger pour nous

26 tous, ils ont permis aux familles qui se trouvaient dans cette zone de

27 Vidorija, dans la zone environnante, ils ont permis à ces gens-là d'amener

28 à manger au stade. Si bien, que les épouses, les mères, et cetera, des gens

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1 qui se trouvaient à proximité ont emmené à manger. Elles plaçaient les

2 vivres sur une table, les soldats inspectaient ces vivres, et ensuite, on

3 nous distribuait la nourriture.

4 On dormait à même le gazon, mais certains dormaient sur les gradins,

5 dans les vestiaires, sur des palettes, sur tout ce qu'ils arrivaient à

6 trouver.

7 L'un des soldats, grâce au mégaphone, appelait parfois le nom de

8 certains Musulmans. Ceux-ci devaient, à ce moment-là, sortir de la foule.

9 Il y en a un qui s'appelait Dzemo Sefer. C'était le directeur de Privredna

10 Banka à Prijedor, c'était aussi un de mes voisins. On l'a emmené quelque

11 part. Plus tard, j'ai appris qu'il avait été emmené au poste de police. Il

12 y en a d'autres dont les noms ont été annoncés, qu'on a ensuite emmenés

13 soit à l'hôtel, soit à la caserne de pompiers afin qu'ils y soient

14 interrogés, interrogés, et tout ce qu'on peut penser, tout ce qu'on peut

15 imaginer.

16 Puis, un jour - je crois que c'était le mercredi, mais je n'en suis

17 pas complètement sûr, c'était peut-être jeudi, il y a un jour où on a vu

18 arriver des autocars.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant de vous laisser poursuivre, je

20 voudrais vous demander ceci : une question tout d'abord. Vous l'avez dit,

21 les gens avaient été rassemblés et emmenés au stade, vous êtes restés

22 jusqu'au vendredi après-midi, comme vous l'avez dit. Est-ce que cela veut

23 dire que pendant les jours où vous êtes resté au stade, vous n'aviez pas le

24 droit de le quitter ce stade, d'en partir, qu'on vous a forcés à rester au

25 stade ?

26 R. Bien sûr. Tout autour du stade, il y avait des gardes armés.

27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous dites qu'on vous a autorisés à

28 partir du stade ce vendredi après-midi. Est-ce que tout le monde a pu

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1 partir, d'après ce que vous avez pu en juger, ou est-ce que c'est seulement

2 vous et quelques autres, mais que tout le monde n'a pas eu le droit de

3 quitter le stade ?

4 R. Dans la majorité, je vous ai parlé de Dzemo Sefer, d'autres dont on

5 n'avait donné le nom avant qu'on soit libérés. Ils ont été emmenés quelque

6 part. Après cela, on a dit que le reste pouvait partir, entrer chez eux.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Puis, vous avez dit que plus tard vous

8 avez appris que ces hommes avaient été emmenés soit à l'hôtel, soit à la

9 caserne des pompiers pour être interrogés. Comment avez-vous appris cela ?

10 R. Parce que ce quartier de la ville qui s'appelle Vidorija où se trouve

11 ma maison, il est petit, où tout le monde se connaît, parce qu'on a tous

12 grandi ensemble, on était voisin. Je sais que quand on est partis du stade,

13 il y avait un groupe de femmes qui allaient vers le bâtiment de la mairie.

14 Ces femmes voulaient voir ce qu'il nous était advenu. Il y avait parmi ces

15 femmes, Edina, c'est la femme de Dzemo Sefer; il y avait Doda Molak, un

16 professeur de mathématiques, et Rada Imsirevic, qui est la femme de Edo

17 Imsirevic. Personne à la mairie n'a voulu les accueillir, donner une

18 réponse à leurs questions. J'ai appris après ma libération, lorsque j'ai pu

19 quitter ce stade, puisque nous n'avions pas le droit de sortir du quartier

20 où nous habitions, nous avons passé notre temps à parler les uns aux

21 autres, à partager ces informations, c'est comme cela que je l'ai appris.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Revenons au moment où vous dites que ces

23 autocars sont arrivés. C'était peut-être le jeudi que certains autocars

24 étaient arrivés. Où étiez-vous à l'arrivée de ces autocars ? Est-ce que

25 vous étiez déjà rentré chez vous auparavant ?

26 R. Non, non, j'étais toujours au stade. Personne n'avait pu quitter le

27 stade à ce moment-là. Lorsque les autocars sont arrivés, on nous a dit

28 qu'on devait se rassembler tous au milieu du stade et nous asseoir. Un des

Page 26350

1 commandants s'est adressé à nous - je sais que c'était un officier - par

2 haut-parleur. Je pense qu'il avait un insigne indiquant son grade. Mais

3 cela, je n'ai pas pu le reconnaître cet insigne. Il a dit que tous ceux qui

4 voulaient se porter volontaires pour rejoindre l'armée serbe pourraient le

5 faire et aller au front. C'est à ce moment-là que la panique s'est répandue

6 parmi nous.

7 Les gens ont demandé à certains d'entre nous qui avaient un peu plus

8 d'éducation, étaient mieux connus dans la communauté, ils nous ont demandé

9 ce qu'il fallait faire, parce que nous étions absolument abasourdis par ce

10 qui avait été dit. Voici ce que des gens ont fait. S'il y avait deux frères

11 qui étaient ensemble ou s'il y avait un père et un fils dans le stade, l'un

12 se portait volontaire, l'autre restait dans le stade, parce qu'on se disait

13 que si les deux ne se trouvaient pas du même côté, au moins un pourrait

14 survivre et pourrait donner du pain à manger à sa famille. Il y a des gens

15 qui se sont évanouis. Je pense, qu'en tout, il y a trois cars entiers de

16 personnes qui ont signé. Bien entendu, l'armée a dressé des registres, des

17 listes, et cetera.

18 D'après les récits que j'ai entendus plus tard, ces hommes ont été

19 emmenés à Banja Luka, à la caserne de Kozara. Cependant, on les a fait

20 revenir, les Musulmans ou plutôt les Turcs, c'est comme cela qu'on était

21 appelés à l'époque, et bien, ils n'étaient pas acceptés, on n'en voulait

22 pas dans l'armée serbe.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur, veuillez

24 poursuivre. Vous dites que le vendredi on vous a tous donné l'autorisation

25 de rentrer chez vous. N'oubliez pas que si vous avez été cité ici, c'est

26 pour que nous recevions davantage d'informations à propos des négociations.

27 Bien sûr, vous êtes tout à fait en droit de nous dire ce qui s'est passé,

28 ce qui a abouti aux négociations. La Chambre a déjà entendu des éléments de

Page 26351

1 preuve portant sur certains de ces événements. Je vais vous demander

2 d'avancer dans le temps en gardant à l'esprit que tout ceci, c'est un

3 préambule à la raison pour laquelle il y a eu ces négociations, ce qui nous

4 intéresse.

5 Poursuivez, Monsieur.

6 R. Me permettez-vous d'ajouter certains commentaires à propos de ce qui a

7 été raconté. Puis-je passer à autre chose ? Hasan Delic, mon oncle, lorsque

8 nous étions au stade, était avec moi. Je parle du camp qui avait été

9 installé au stade. Nous nous sommes mis d'accord pour dire que nous ne

10 devrions pas dormir chez nous, si nous rentrions à la maison, parce qu'on

11 pourrait venir nous surprendre la nuit, il pouvait y avoir des radja [phon].

12 J'ai dormi dans la remise. Mon oncle, quant à lui a dormi près de la place

13 du marché. C'était vendredi soir.

14 Le samedi, vers 10 heures du matin, il est entré chez lui. Peu de

15 temps après, des gens l'ont fait sortir, et il a été porté disparu.

16 Plusieurs jours plus tard, on nous a appelés pour identifier un corps;

17 c'était le sien. Il avait été tué. On avait laissé son cadavre près de

18 l'usine de Lignosper. Je l'ai enterré, je l'ai enseveli dans le cimetière

19 de la ville. Il y avait neuf traces de balle sur son corps. Il avait

20 notamment été abattu par une balle dans la nuque.

21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Puis-je vous demander qui vous a appelé

22 afin que vous identifier le corps de votre oncle ?

23 R. Ma tante, c'est Marica, qu'on a appelée afin qu'elle procède à

24 l'identification, parce qu'elle avait dit à la police, elle était allée au

25 poste de police, à la caserne, à l'hôtel, pour dire qu'il était porté

26 disparu, mais personne n'avait pu lui dire où il était. Ils ont fini par

27 l'appeler au téléphone pour qu'elle vienne à la morgue pour identifier son

28 corps. J'y suis allé avec un autre oncle qui est mort aujourd'hui. Nous

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1 avons identifié le corps de mon oncle.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Y a-t-il eu une enquête pour établir qui

3 avait été l'auteur du meurtre de votre oncle ?

4 R. Non.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Poursuivez Monsieur.

6 R. Encore un petit détail à propos de stade. Pendant que nous étions au

7 stade, nous avons vu des gens en uniforme blanc, munis de jumelles, qui

8 nous surveillaient ou qui regardaient du côté du stade. Bien sûr, il ne

9 faut pas oublier que la frontière séparant la Croatie de la Bosnie n'était

10 pas loin.

11 **

12 Lorsque nous sommes sortis du stade le vendredi après-midi, j'ai vu

13 Azimir Ceric, un voisin, lui aussi avait été détenu au stade. Auparavant,

14 il avait été chef de police ou commandant. J'ai aussi vu Emin Puric, un

15 autre de mes voisins. Nous nous sommes demandés ce que nous allions faire

16 pour sauver notre peau. Nous avions un ami en commun, Dragomir Drazic,

17 c'était un avocat. Avant, il travaillait pour la mairie. Emin Puric l'a

18 appelé le dimanche, je pense. Il a demandé s'il était prêt à nous

19 rencontrer. Il a accepté. La rencontre devait avoir lieu le lundi.

20 Je dois dire qu'au cours des journées et des mois qui avaient précédé,

21 des gens qui avaient de l'argent, des objets de valeur, avaient payé pour

22 être autorisés à quitter la Bosnie en passant par la région de Glina, soi-

23 disant pour se faire soigner, pour subir un traitement médical. De cette

24 façon, ces gens pouvaient partir avec leurs familles. Je pense qu'il

25 fallait avoir 3 000 marks par tête, par personne pour pouvoir partir

26 apparemment, pour bénéficier de ce soit disant traitement médical.

27 Nous savions qu'il y avait un bureau d'une organisation

28 internationale. Je pense qu'à Dvor Na Uni. C'était là que se trouvait ce

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1 siège d'organisation internationale, notamment les observateurs européens,

2 ou peut-être aussi de la FORPRONU. Au cours du week-end, trois d'entre nous

3 ont décidé de demander à Drazic de nous aider à quitter Bosanski Novi,

4 d'une façon ou d'une autre, parce que vraiment, on en était arrivé à une

5 situation très difficile à Bosanski Novi. Cet homme nous a reçu. Nous lui

6 avons dit que nous voulions quitter la région pour sauver notre vie. Nous

7 avons dit que nous aimerions partir à Dvor.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Permettez-moi de vous interrompre.

9 Vous parlez de personnes en uniforme blanc qui vous observaient. Est-ce

10 qu'ils se trouvaient sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, ou est-ce

11 qu'ils étaient sur l'autre rive de la rivière lorsqu'ils vous observaient

12 alors que vous étiez au stade ?

13 R. Ils étaient en Croatie.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez dit qu'il a fallu payer

15 jusqu'à 3 000 marks allemands par personne pour soi-disant bénéficier d'un

16 traitement médical. A qui a-t-on remis ces sommes ?

17 R. Regardez, des gens avaient des relations. Ils ont voulu faire jouer ces

18 relations aussi bien à Bosanski Novi qu'à Dvor. Ce qui comptait, c'était de

19 pouvoir franchir le poste de contrôle qui se trouvait sur le pont. Une fois

20 que l'on était de l'autre côté à Dvor, et bien, les gens vous emmenaient à

21 Karlovac, et de là, on entrait sur le territoire croate. Je ne sais pas

22 exactement quels sont les détails, mais j'ai eu connaissance de personnes

23 qui sont parties ainsi de la région.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Pour vous, cela voulait dire qu'on

25 payait pour pouvoir sortir de la région; c'est bien cela ? Est-ce que je

26 vous ai bien compris ?

27 R. Signe affirmatif du témoin, oui.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous n'avez pas d'autres détails, par

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1 exemple, vous ne savez pas à qui ces sommes ont été remises ?

2 R. Non. Bien entendu, les personnes influentes, les personnes qui

3 pouvaient concrétiser ces promesses et qui avaient fait des promesses, ont

4 été payées. Bien sûr, ce n'était pas de simples soldats, des particuliers

5 ordinaires.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

7 M. Drazic, quelle était son appartenance ethnique, sa nationalité ?

8 R. C'était un Serbe. Je dois ajouter que M. Drazic était un associé de M.

9 Puric, un ami d'Azemir Ceric, parce que la fille de Drazic, c'était une

10 joueuse de basket-ball. Quand il travaillait à Sana, Sana a soutenu

11 financièrement ce club de basket-ball. M. Ceric aussi était un joueur de

12 basket-ball. J'avais des relations d'affaires avec M. Drazic quand il

13 travaillait à Lignosper. Je peux dire que nous étions assez proches. C'est

14 pour cela que nous l'avons contacté en espérant obtenir son aide.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Delic, je vois l'heure qu'il

16 est. L'heure est venue de faire une pause.

17 Pendant cette pause, Monsieur Delic - je suppose que maintenant nous

18 sommes à peu près arrivés au moment où vous allez commencer à parler, à

19 négocier avec quelqu'un. J'aimerais que nous concentrions la demi-heure qui

20 va suivre la pause à ce point. A qui avez-vous parlé, de quoi avez-vous

21 parlé et peut-être pourrez-vous d'abord esquisser ces négociations dans

22 leurs grandes lignes, et nous vous poserons des questions.

23 Pause jusqu'à 11 heures 30 pile.

24 --- L'audience est suspendue à 11 heures 02.

25 --- L'audience est reprise à 11 heures 31.

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Delic, avant la pause, nous en

27 étions arrivés au moment où vous avez dit que M. Puric voulait discuter

28 avec M. Drazic. C'était un Serbe que vous connaissiez, et c'était pour

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1 parler de ce qu'il fallait faire. Veuillez poursuivre.

2 L'INTERPRÈTE : Le micro du témoin n'est pas branché.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Il nous a reçu le lundi à la mairie. Azemir

5 Ceric, Emin Puric et moi-même étions les personnes participant à cette

6 réunion. Nous lui avons demandé son aide pour pouvoir nous échapper de la

7 région. Nous lui avons dit que nous voulions aller à Dvor pour faire une

8 demande aux représentants de la communauté internationale afin qu'ils nous

9 aident. Il a répondu qu'il ne pouvait pas nous donner une réponse sur-le-

10 champ, mais il a promis qu'il allait examiner la situation dans la

11 municipalité et qu'il prendrait contact avec nous.

12 Le lendemain, il a appelé M. Puric. Il lui a dit que les autorités ne

13 s'opposaient pas à ce que nous partions ni à ce que nous contactions la

14 communauté internationale. Il pensait que nous pourrions quitter la ville

15 sans problèmes.

16 Le lendemain, dans la voiture de mon frère, Emin Puric, un ami serbe à nous

17 -- ou plutôt, il y avait Emin Puric, moi-même, un de nos amis serbes. Je ne

18 voudrais pas donner son nom ici, je ne veux pas lui causer de problèmes.

19 Nous avons franchi le pont, franchi le poste de contrôle qui s'y trouvait

20 et nous nous sommes arrêtés à l'hôtel de Dvor Na Uni. Il y avait une femme

21 qui nous a accueillis, Mirjana. C'est comme cela qu'elle s'appelait, je

22 pense. Je pense qu'elle était interprète. Nous avons attendu longtemps, de

23 trois à quatre heures, avant que n'arrivent certaines personnes qui avaient

24 leurs sièges à Topusko. C'étaient les personnes à qui nous étions censés

25 parler. Il y en avait deux. Je pense que c'étaient des observateurs

26 européens.

27 Nous avons raconté ce qui nous était arrivé. Nous avons relaté tous

28 ces événements qui s'étaient passés, comme je viens de le faire devant

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1 vous. Je pense que nous avons signé ce qui était une déclaration, une

2 espèce de procès-verbal, et je pense que ces gens nous ont également

3 photographiés. Ils nous ont dit de rentrer chez nous et d'attendre. Nous

4 sommes rentrés chez nous. Plusieurs jours se sont écoulés sans que nous

5 recevions de leurs nouvelles.

6 Je dois vous dire que sur le chemin du retour, le soir, nous avons

7 décidé de représenter notre quartier, nos voisins et nos parents. M. Puric

8 et moi, nous n'étions pas des militants politiques, nous n'appartenions à

9 aucun parti politique, à aucune organisation politique. Nos maisons étaient

10 voisines. Nous nous sommes dits, qu'après tout, nous pourrions représenter

11 les personnes qui y habitaient. Le matin, nous sommes partis tôt. Nous

12 sommes rentrés chez nous. Nous sommes arrivés chez nous en fin d'après-

13 midi. Les gens commençaient déjà à s'inquiéter. Ils se demandaient ce qui

14 nous était arrivé. Quoi qu'il en soit, nous sommes devenus les

15 représentants - ou comment dire - les dirigeants des citoyens qui

16 habitaient dans ce quartier.

17 Plusieurs jours se sont écoulés, disais-je, sans que nous ayons des

18 nouvelles. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à cet ami serbe

19 de nous emmener une fois de plus à Dvor. Nous sommes arrivés au QG du

20 Bataillon danois. Celui-ci se trouvait dans des bâtiments d'une entreprise

21 de construction qui s'appelle Rad.

22 On nous a arrêtés au portail. On nous a dit que là, on était au courant de

23 ce qui se passait pour nous, que la situation allait être examinée et qu'il

24 nous fallait rentrer chez nous. Nous sommes rentrés chez nous. Je ne peux

25 pas vous dire exactement quand tout ceci s'est passé, parce que beaucoup de

26 temps s'est écoulé depuis.

27 Un jour, un véhicule du UNHCR est arrivé. Il est arrivé à l'endroit

28 entre la maison d'Emin et la mienne. Il y avait trois personnes à

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1 l'intérieur. Il y avait notamment cette personne qui s'appelle soit Jansen

2 ou Nilsen, qu'on voit sur la photo. Il y avait un interprète et un

3 journaliste. Nous étions chez Emin Puric. On a fait venir Drazic. Nous nous

4 sommes attablés et nous avons parlé. Il ne cessait de dire qu'ils n'avaient

5 pas le mandat nécessaire pour nous permettre de partir, parce que ceci

6 équivalait à un nettoyage ethnique, qu'ils pouvaient tout au plus nous

7 donner de l'aide humanitaire, des vivres pour essayer de remédier un tant

8 soit peu à la crise, mais qu'il fallait faire preuve de patience. Nous

9 n'étions pas d'accord. Nous insistions pour partir, vu ce qui s'était passé

10 auparavant, vu la situation générale qui prévalait.

11 Plusieurs jours plus tard, nous sommes allés à la mairie de Bosanski

12 Novi pour y voir le maire, Radomir Pasic. Il devait y avoir des

13 négociations, des pourparlers. Lui, il nous a dit qu'il ne s'opposait pas à

14 cette idée, à l'idée de nous voir partir. Parce que pour nous, la situation

15 était devenue intenable, surtout parce qu'il ne pouvait pas nous garantir

16 que nous serions en sécurité. Il a dit qu'en accord avec la cellule de

17 Crise municipale, une décision allait être prise pour dire qui aurait le

18 droit de partir et dans quelle circonstance ceci se ferait. Il a dit que la

19 plupart pourraient partir, à l'exception de ce qu'il a appelé des

20 extrémistes. Je ne sais pas de qui il voulait parler.

21 Plus tard, cependant, on a affiché à l'entrée de la mairie une

22 réglementation précisant qui aurait l'autorisation de partir. Je n'avais

23 pas le droit d'aller là où on donnait les documents permettant à une

24 personne de partir. C'est mon frère qui a dû aller à ma place. Par exemple,

25 nous avons dû obtenir un document du cadastre de Bosanski Novi disant que

26 nous n'étions propriétaires d'aucun bien, et que si nous étions

27 propriétaires d'un bien, nous avions l'obligation de rédiger un contrat par

28 lequel nous cédions notre propriété aux Serbes ou à l'Etat serbe ou

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1 simplement que nous abandonnions nos droits à cette propriété.

2 Il fallait aussi faire un autre document. C'était une liste qui

3 reprenait tous les membres de la famille, du ménage. Il fallait aussi

4 produire un autre document, un troisième document. C'était un extrait de

5 casier judiciaire. Autre document qu'il fallait produire, document qui

6 montrait qu'on avait bien payé toutes ces factures, factures principalement

7 des services, donc électricité, gaz, eau, et cetera. Il fallait aussi

8 fournir une attestation selon laquelle le secrétariat municipal pour la

9 Défense nationale autorisait cette personne en âge de porter les armes à

10 quitter la municipalité de Bosanski Novi. Puis, il y avait un autre

11 document qu'il fallait obtenir auprès de bureaux de la police municipale,

12 c'était un document qui vous donnait le droit de partir. Enfin, je ne sais

13 pas s'il y avait encore d'autres documents, mais dans tous les documents,

14 en tout cas, il fallait bien dire que tout ce que l'on faisait se faisait

15 de plein gré, et qu'on n'était pas obligés, n'était pas fait sous la

16 contrainte.

17 Il y avait des rumeurs qui couraient en ville selon lesquelles une

18 fois qu'une personne allait au commissariat pour obtenir ce type de

19 document, elle serait arrêtée. C'est une petite ville. Les gens savaient

20 quand même ce qui se passait. Je n'osais pas y aller pour obtenir des

21 documents. C'est mon frère qui est allé à ma place, et je suis resté chez

22 moi plus ou moins caché.

23 Pour ce qui est des négociations, des négociations visant à avoir

24 l'autorisation de faire partir le convoi librement, lors de ces réunions,

25 on nous a dit que nous aurions un passage libre qui serait autorisé par la

26 SAO Krajina, ou plutôt d'ailleurs, par les autorités de Dvor Na Uni, on

27 pouvait donc passer librement au travers de la SAO Krajina. Les deux

28 personnes qui sont sur la photo, c'est-à-dire,

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1 M. Zunic et M. Nikola, ont confirmé cela verbalement. Le problème, c'est

2 que la République de Croatie a refusé l'entrée de nouveaux convois de

3 réfugiés. Nous insistions pour partir. M. Dragomir Pasic a aussi insisté

4 auprès du représentant du HCR pour qu'on ait l'autorisation de quitter le

5 territoire. En retour, ils nous ont dit qu'on ne nous autoriserait pas à

6 rentrer en Croatie, enfin du moins, qu'on ne nous permettrait pas de passer

7 le pont. Enfin, nous, on en parlait toujours dans ces termes-là, passer le

8 pont. La situation était vraiment terrible. Nous étions vraiment

9 déterminés, nous voulions absolument partir. Cela, c'était le 16 juillet.

10 Dans l'intervalle, les représentants de la communauté internationale sont

11 apparus sur le pont et nous ont invités à prendre part à des négociations.

12 Une fois de plus, ils ont d'abord essayé de nous dissuader de quitter la

13 ville en faisant ressortir toutes les difficultés que cela impliquait, tous

14 les dangers aussi que cela impliquait. J'ai une bande, une cassette avec

15 moi où il y a une partie des négociations qui est enregistrée. Ce n'est pas

16 la totalité des négociations, mais on voit une partie des négociations,

17 enfin on peut entendre. On peut voir quel était l'objet de la négociation.

18 Nous avons fixé la date du départ du convoi même si nous n'avions pas

19 obtenu le consentement des autorités croates pour nous autoriser l'entrée

20 sur leur territoire. C'était censé être un voyage sans fin, enfin du moins

21 un voyage dont on ne connaissait pas la destination finale.

22 Il me semble que ceci s'est passé un jeudi. Très tôt le matin, les gens ont

23 commencé à faire la queue. Même notre entreprise, ma propre entreprise a

24 pris en compte des personnes pour les transporter, les personnes qui

25 n'avaient pas leurs propres moyens de transport. Normalement, les gens

26 pouvaient partir en utilisant leurs propres moyens de transport. D'abord,

27 un grand nombre de véhicules avait déjà été réquisitionnés préalablement ou

28 tout simplement confisqués par des militaires, ce qui signifie que beaucoup

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1 de gens n'avaient plus de voitures. C'est pour cela que la municipalité a

2 plus ou moins réquisitionné des autocars et des camions. Des semi-remorques

3 aussi étaient censées transporter toutes les personnes.

4 Le 16 au matin, les gens ont commencé à faire la queue, se rassembler,

5 faire une queue. Il y avait au moins 4 000 à 4 500 personnes dans cette

6 queue. Je n'étais pas du tout en tête de la queue; j'étais au milieu à peu

7 près de cette colonne. A bord de la voiture de mon père, il y avait aussi

8 ma mère, mon père et l'un des enfants de mon frère. On a demandé à M. Puric

9 de sortir de la queue, de cette file. Dans cette file, il y avait d'abord

10 les autocars, ensuite, les camions, et à la fin, en fin de file, il y avait

11 les véhicules personnels, les voitures. Il a dirigé les négociations avec

12 la FORPRONU qui ne voulait pas que nous rentrions en Croatie. On était dans

13 une impasse. Cela a duré pendant assez longtemps, pendant des heures. Après

14 midi, un moment dans l'après-midi, un représentant du Bataillon danois nous

15 a dit que nous devrions aller vers Dubica, parce que de là on aurait le

16 droit de rentrer en Croatie.

17 Je vais revenir un petit peu en arrière pour vous expliquer la chose. Il y

18 avait des discussions antérieures là-dessus. Quand la Croatie n'autorisait

19 pas le convoi à rentrer sur son territoire, on nous a proposé deux autres

20 options, soit d'entrer vers Sunja et Petrinja, et l'autre, et c'était notre

21 suggestion, c'était d'aller vers Cazinska Krajina et Otoke, alors que M.

22 Pasic, lui, pensait que l'on devrait plutôt aller vers Travnik. On n'a pas

23 voulu aller vers Travnik. On a refusé d'aller vers Travnik d'ailleurs,

24 parce que le voyage serait trop long. Je pense, en utilisant les

25 informations qui étaient à notre disposition, on avait l'impression que

26 l'endroit n'était pas sûr, il y avait des atrocités qui étaient commises

27 par là, des meurtres. Cela, c'était à Vlasic qu'il y avait ces atrocités,

28 puis d'ailleurs, sur la route de Travnik.

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1 L'autre route, M. Pasic l'a refusée totalement. Il a décidé que ce n'était

2 même pas une option. On n'a plus parlé de ces possibilités d'itinéraire. La

3 seule possibilité qui restait, c'était d'aller vers la République de

4 Croatie et ne faire que traverser la Croatie pour aller dans un pays tiers.

5 Ensuite, vers midi, enfin un petit peu après midi, tout le convoi s'est

6 ébranlé pour partir vers Bosanska Dubica. J'étais totalement brisé à ce

7 moment-là; je ne pouvais même plus parler. C'est M. Emin Puric qui a dû se

8 charger des négociations. Le président de la municipalité de Bosanski Novi,

9 Radomir Pasic, était en tête de convoi. C'était lui qui dirigeait le convoi.

10 Il était accompagné de M. Dragomir Drazic. Quand on est rentrés dans Dubica

11 le convoi a été arrêté, et le dirigeant de cette municipalité n'a pas

12 autorisé le convoi à traverser Dubica. Et là, on a encore dû attendre des

13 heures sur cette route. Comme M. Puric m'a dit plus tard d'ailleurs, il est

14 parti avec une délégation vers le pont à Dubica pour négocier le passage du

15 convoi. Malheureusement, cela n'a abouti à rien. Le convoi a dû tourner les

16 talons, si je puis dire, et retourner vers Boranska Kostajnica. Le premier

17 pont à Kostajnica a été passé avec succès par tout le convoi, mais au pont

18 suivant, le grand pont sur la Una, là, à nouveau, on nous a interdit le

19 passage. Il était déjà tard. Il était au moins 10 ou 11 heures du soir,

20 peut-être même minuit.

21 Quand M. Pasic a dit à Emin qu'il fallait que nous revenions, que

22 nous rentrions, à nouveau, nous sommes rentrés, nous avons changé de

23 direction, nous sommes rentrés vers Bosanska Novi. Il était déjà très tard,

24 il était bien plus tard que minuit. On est arrivés vers

25 1 ou 2 heures du matin. Un grand nombre de personnes n'ont même pu rentrer

26 chez eux, parce que leurs maisons avaient déjà été occupées. Dès qu'ils

27 étaient partis, des Serbes étaient venus, avaient emménagé chez eux, voire

28 même avant leur départ, ils avaient déjà emménagé chez eux. Les gens qui

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1 étaient rentrés se sont entassés dans les maisons qui restaient libres. Et

2 là, la situation est devenue épouvantable en ville. Je ne pouvais plus du

3 tout parler; j'étais devenu totalement muet.

4 On était lundi. Je pense qu'on pourrait calculer la date si cela est utile,

5 la date d'arrivée du véhicule du HCR qui apportait un papier venant de la

6 Croix-Rouge allemande, selon laquelle ils étaient prêts à nous recevoir, et

7 qui indiquait aussi que la République de Croatie allait nous permettre de

8 transiter par le territoire de Croatie.

9 On a prévu un nouveau départ pour le convoi. On devait partir le 23

10 juillet. Il n'y avait plus de problème pour ce convoi. Les forces de

11 communauté internationale nous ont accompagnés pendant tout le voyage. On

12 avait, par exemple, des gens du HCR, des gens qui pourtant n'avaient pas

13 beaucoup de carburant, nous ont donné chacun 10 ou 20 litres de carburant,

14 nous ont donné des sandwichs, enfin. Ils nous ont donné tout ce qu'ils

15 pouvaient pour nous venir en aide, surtout pour venir en aide aux femmes,

16 aux enfants, aux personnes âgées et aux infirmes. Le deuxième combat était

17 plus important. Il y avait peut-être 9 000 ou 9 500 personnes dans ce même

18 convoi. Plus tard, une fois sorti de là, une fois que je me suis retrouvé

19 en Croatie, dans les médias, j'ai entendu parlé de 11 000, 10 000 ou

20 11 000 personnes. Certaine personnes qui n'étaient pas encore à bord du

21 convoi quand il est parti sont restées en ville, sont restées derrière. Et

22 là, les soldats armés ont commencé à passer de maison en maison pour les

23 obliger, les forcer à quitter la ville. Il y avait quelques autocars

24 d'ailleurs qui étaient restés en ville pour les emmener.

25 Nada Vorona et Ante Sucic, qui étaient des voisins, ont été obligés

26 de quitter leurs maisons et ont été obligés de faire partie de ce convoi.

27 Mais ce, bien sûr, après que l'essentiel soit parti. Il y a d'autres

28 personnes aussi qui ont connu le même sort. Je ne sais pas combien d'entre

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1 eux exactement. Nous sommes arrivés à Karlovac, donc au point de contrôle

2 de la FORPRONU. Les gens ont été transférés de leurs autocars ou de leurs

3 camions pour être embarqués à bord de camions de l'UNHCR, et ils ont été

4 emmenés ensuite dans un gymnase ou dans un stade à Karlovac, alors que

5 d'autres, qui étaient dans leurs voitures personnels, ont été autorisés à

6 passer avec leurs véhicules. Tout cela a duré très longtemps, pendant toute

7 la nuit.

8 Avec ma famille, j'ai quitté le gymnase pour aller à Zagreb chez des

9 amis proches, et c'est là que j'ai passé le reste de la guerre, à Zagreb.

10 On a pris les noms d'autres personnes dans les gymnases, et il y a des

11 trains entiers qui sont arrivés d'Allemagne pour les emmener vers

12 l'Allemagne. Je ne sais pas combien de trains il y avait, et je ne sais pas

13 exactement vers quelle ville allemande ils se sont rendus.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Delic, nous allons avoir

15 quelques questions à vous poser, je vous pense. Tout d'abord, lors du

16 deuxième départ, le 23 juillet, lors du deuxième départ qui avait été

17 prévu, vous avez dit que là, le convoi comportait à peu près 4 000 à 4 500

18 personnes. Ensuite, il y avait un deuxième convoi qui était plus important.

19 Vous avez dit que : "Les personnes qui n'étaient pas déjà dans le convoi

20 quand il est parti sont restées chez eux, et des soldats armés ont fait du

21 porte à porte pour obliger tout le monde à partir, et les obligeaient à

22 faire partie du convoi. Il y avait d'ailleurs quelques autocars qui étaient

23 restés, pour que ces personnes puissent s'embarquer dans ces autocars et

24 rejoindre le convoi."

25 Dans ce passage de votre témoignage, vous nous parlez du premier convoi ou

26 du deuxième convoi, ces personnes qui ont dû vraiment quitter par la force

27 leurs maisons, et embarquer dans des autocars, ils ont fait partie du

28 deuxième convoi ou du premier ?

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1 R. Du deuxième convoi.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous le savez comment cela ?

3 R. Je vous ai donné deux noms. C'étaient mes voisins et c'est ce que mon

4 voisin m'a dit, Emin. Il y avait d'autres personnes d'ailleurs dans le

5 gymnase qui m'ont raconté exactement la même histoire.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais avec les autorités, n'y a-t-il

7 jamais eu des discussions à propos de la chose suivante, il y avait des uns

8 qui voulaient partir et d'autres qui voulaient rester. Est-ce qu'il y avait

9 des négociations à ce propos pour obliger ceux qui voulaient rester à

10 quitter de force la ville ?

11 R. Je n'ai pas très bien compris votre question.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais essayer d'être clair.

13 En écoutant votre témoignage, j'ai bien compris qu'il y avait des

14 personnes qui sont montées à bord des autocars pour partir, il y en avait

15 d'autres qui étaient restés chez eux. Les soldats sont venus chez eux et

16 les ont obligés à montrer dans les autocars restants. Ces personnes ne

17 sont pas montées à bord de ces bus de leur plein gré, ils ont été

18 contraints de le faire. Est-ce que cela a été sujet à discussion ? Est-ce

19 que cela faisait partie de discussions qui visaient à obliger les gens à

20 quitter la municipalité ?

21 R. Non, cela n'a pas été soulevé. Mais vous dites qu'on est montré à bord

22 des bus de notre plein gré. Qui va, de son plein gré, quitter sa maison, sa

23 ville ? La façon dont vous avez formulé votre question est bizarre. On ne

24 pouvait même pas en avoir discuté de savoir que des gens allaient rester,

25 parce qu'on ne savait pas qu'il y avait des gens qui voulaient rester.

26 Kasim Ruhija, par exemple, a envoyé ses deux fils avec leurs femmes et

27 leurs enfants, et il est resté chez lui avec sa femme, sa propre femme,

28 parce qu'il pensait que tout allait très certainement rentrer dans l'ordre

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1 assez rapidement, que la situation allait devenir plus calme. Mais six mois

2 plus tard, sa famille lui a envoyé des documents depuis l'Allemagne, je ne

3 sais pas où ils étaient d'ailleurs, et l'UNHCR les a évacués dans le cadre

4 du regroupement familial ou c'est peut-être même la Croix-Rouge qui les a

5 évacués.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez fait un commentaire sur ma

7 question, puisque je vous ai dit qu'il y avait des gens qui étaient montés

8 dans les bus de leur plein gré, alors qu'il y en avait d'autres qui avaient

9 été obligés, plus ou moins, par les armes à monter à bord des bus. Les

10 personnes qui étaient parties soi-disant de leur plein gré au moins

11 n'étaient pas parties sous la menace des armes. Vous nous avez dit quand

12 même qu'avant de partir, il fallait remplir toutes sortes de certificats et

13 d'attestations, comme quoi on partait de son plein gré et non pas sous la

14 contrainte.

15 Si j'ai bien compris, d'après ce que vous nous avez dit, quand on partait

16 soi-disant "de son plein gré," ce n'était pas du tout vrai. On ne partait

17 pas du tout "de son plein gré." On ne partait pas du tout sans y être

18 contraint; c'est bien cela ?

19 R. Etant donné tout ce qui m'était arrivé auparavant, l'arrestation, le

20 camp, le fait que mon oncle ait été tué, les incendies, la panique, le

21 chaos, on ne peut pas dire qu'on est partis de notre plein gré après tout

22 cela. Qui peut même imaginer ce type d'attestation qu'on devrait signer ?

23 J'ai les documents d'ailleurs dans mon cartable. Je peux vous les montrer.

24 Il y a un mémo où il est écrit tout en haut, République serbe de Bosnie-

25 Herzégovine, en application de la décision de la cellule de Crise numéro

26 tant et tant, autorise par la présente le départ du District autonome de

27 Krajina de son plein gré, et j'ai signé de mon plein gré l'abandon de mon

28 appartement pour qu'il soit rendu à l'entreprise Kosovo, et cetera, et je

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1 laisse tout ce qui m'appartient, et cetera, et cetera.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous possédiez cet

3 appartement ou vous n'avez que la jouissance de cet appartement ?

4 R. Avant la guerre, dans l'ex-Yougoslavie, il n'y avait pas vraiment de

5 propriétaires. On n'achetait pas les appartements. On en avait la

6 jouissance, et ce, par le biais de son entreprise. J'ai reçu jouissance de

7 mon appartement parce que j'étais un salarié qui comptait pour eux. J'avais

8 étudié à l'université avec une bourse. Ensuite, j'ai travaillé pour cette

9 entreprise, et c'est comme cela que j'ai reçu mon appartement.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Y avait-il des membres de votre famille

11 qui possédaient des biens dans cette ville ?

12 R. Nous avions une maison, une famille. Mon père habitait au rez-de-

13 chaussée. Mon frère habitait à l'étage, et dans le jardin il y avait une

14 petite cabane qui servait de bureau, et c'était un bien qui était possédé

15 par mon père et mon frère.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Qu'est-il arrivé à cette maison ?

17 R. Comme je vous ai dit, une personne qui quittait Bosanski Novi devait

18 échanger leurs biens. Cependant, ils devaient montrer une attestation selon

19 laquelle cette propriété ne leur appartenait plus. Il y avait un chaos

20 complet à ce moment-là quand les gens ont commencé à se rendre à la mairie

21 pour obtenir ces attestations. Il y avait tellement de monde que

22 l'administration était débordée. Certaines personnes ont obtenu leur

23 attestation, d'autres ne l'ont pas obtenue et pendant les voyages des deux

24 convois, on n'a jamais vérifié ces attestations.

25 Pour ce qui est de la maison de mon père et de mon frère, ils ont échangé

26 cette propriété avec des Serbes qui habitaient à Zagreb et ils ont rédigé

27 un contrat sur cet échange de propriété. Cela dit, quand on est arrivé à

28 Zagreb, ce bien qu'on avait soi-disant obtenu en échange finalement s'est

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1 révélé ne pas exister, on s'était fait avoir. Nous avons retrouvé les

2 parents de ce jeune homme avec qui on avait signé le contrat à Bosanski

3 Novi et qui nous avait donnés des informations totalement fausses sur le

4 contrat, qui nous avaient leurrés. Ce qui fait qu'on lui a signé un papier

5 comme quoi on lui donnait notre maison et il y a emménagé dans cette

6 maison.

7 Plus tard, après la guerre, nous avons récupéré notre bien. J'ai

8 récupéré mon appartement et mes parents ont récupéré leur maison et mes

9 parents habitent maintenant à Bosanski Novi dans leur propre maison.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Au cours de ces négociations, est-ce

11 qu'on n'a jamais évoqué l'éventuelle possibilité de retour pour ceux qui

12 souhaitaient partir, retour une fois que la guerre aurait pris fin, une

13 fois que la situation se serait apaisée ?

14 R. Non.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avez-vous jamais demandé, par exemple,

16 aux autorités de la municipalité de Bosanski Novi, si à l'avenir, il serait

17 possible éventuellement de revenir ?

18 R. Non.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pour ce qui est de M.

20 Pasic, au cours de ces négociations, est-il apparu qu'il avait connaissance

21 des raisons qui expliquaient votre désir de partir ou est-ce que vous le

22 lui avez dit au cours des négociations ? Est-ce que vous lui avez dit ce

23 qui vous amenait à quitter la municipalité et son territoire ?

24 R. Bien entendu qu'il le savait puisqu'il était président de cette cellule

25 de Crise de la municipalité de Bosanski Novi, et c'est lui qui organisait

26 tout. C'était lui qui surveillait, qui contrôlait pleinement la situation.

27 M. Pasic indéniablement contrôlait pleinement la situation et il savait,

28 bien entendu, ce qui se passait en ville et ce qu'il était en train

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1 d'advenir à la population. Au cours des négociations, il a dit que nous

2 devions partir et que nous ne pouvions pas rester et que même si nous

3 restions sur place parce que les représentants du HCR des Nations Unies

4 nous disaient de rester, nous affirmaient qu'ils allaient nous amener une

5 aide humanitaire, lui il nous a dit qu'il ne serait pas en mesure de

6 garantir notre sécurité.

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous dites qu'il contrôlait pleinement

8 la situation. Avez-vous des raisons de penser qu'il aurait pu garantir

9 votre sécurité s'il l'avait souhaité ?

10 R. Les autorités de la municipalité de Bosanski Novi, c'est-à-dire, les

11 autorités serbes ou cette cellule de Crise, aurait, bien entendu, si elle

12 l'avait souhaité, pu le faire. Tout ceci était organisé. Il ne s'agissait

13 pas d'incidents individuels. Je vous ai relaté les événements tels qu'ils

14 se sont produits, et si lui, en tant que président de la municipalité, nous

15 annonce ce que nous devons présenter et dans quelles conditions on nous

16 autoriserait à partir, cela signifie qu'il a tout organisé.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que ces conditions n'ont jamais

18 fait l'objet de discussions au cours des négociations, à savoir, le fait

19 que vous deviez abandonner ou échanger vos biens ?

20 R. Non. Il fixait des conditions, et quelles que soient ces conditions,

21 nous avons dit que nous étions d'accord du moment qu'on nous permettait de

22 partir, de partir pour sauver notre peau.

23 Bien sûr, toutes ces exigences administratives, ce certificat, cet

24 autre certificat, tout cela n'avait aucune importance pour moi. Ces

25 conditions, elles ont été fixées, selon moi, de manière que nous soyons

26 contraints de nous présenter de nouveau auprès de ces institutions, de nous

27 adresser de nouveau à elles au cas où ils souhaiteraient nous interroger et

28 ne puissent pas nous retrouver. Il fallait qu'ils puissent nous retrouver.

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1 Il est intéressant de dire que lors de ces négociations, il y a une

2 condition qui a été fixée, à savoir que les gens de la vallée de la Japra,

3 Celopek, Agici, Blagaj, tous les habitants des villages de la vallée de la

4 Japra, des villages musulmans, même si quelques-uns étaient Serbes, tous

5 ces gens ont été expulsés de leurs villages le 11 mai. Certains ont remonté

6 le cours de la rivière vers Ljubija et Sanica, alors que d'autres ont été

7 escortés vers la société minière de Japra et dans l'enceinte de cette

8 compagnie. L'entreprise était clôturée par une clôture en fil de fer.

9 Le 11 mai, tous ces gens, femmes, enfants, personnes âgées, tous ces gens

10 ont été contraints de monter à bord de wagons de marchandise et on les a

11 emmenés vers Gracanica et Doboj. D'après ce qu'ils ont raconté, les femmes

12 et les enfants ont été remis en liberté et ont pu se rendre en territoire

13 libre qui était contrôlé par l'ABiH, quel que soit le nom qui était utilisé

14 à l'époque, alors que les hommes ont dû rester à bord des wagons de

15 marchandise. Je ne sais pas exactement où on les a emmenés, mais certaines

16 des personnes qui ont réussi à échapper à cette trappe dans la vallée de la

17 Japra m'en ont parlé et Emin m'en a parlé. Nous, nous avons fixé comme

18 conditions que lorsque nous partirions, il faudrait qu'ils viennent avec

19 nous. Si bien que quand nous avons été libérés de ce stade, de ce camp de

20 Mlakve, ce stade de Sloboda, eux, ils ont été emmenés au stade, et ils y

21 sont restés jusqu'au départ du convoi.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Delic, afin de bien comprendre

23 votre déposition, je voudrais vous poser la question suivante. A un moment

24 donné vous avez dit, nous voulons partir, même si vous nous avez bien

25 expliqués quelles étaient les circonstances de cette demande. J'entends

26 également bien, je comprends que M. Pasic ne s'est pas opposé à votre

27 départ, même s'il a fixé un certain nombre de conditions à ce départ.

28 Dans quelles circonstances a-t-il dit que même si vous ne souhaitiez

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1 pas partir vous étiez malgré tout contraint de le faire ? Est-ce que vous

2 vous souvenez du moment où il a tenu ces propos et pourquoi il les a tenus,

3 à quelle occasion, puisqu'à l'époque, vu les circonstances qui existaient à

4 l'époque, vous pensiez tous deux, qu'il était bon que vous quittiez le

5 territoire de la municipalité.

6 R. Ecoutez, pour ce qui est de notre départ ou de notre fuite plutôt, au

7 début, nous n'en avions nullement l'intention. Mais après tout ce qui

8 s'est passé, tout ce qui nous est arrivé, nous nous sommes rendu compte

9 qu'il fallait que nous partions, que nous fuyons pas sauver notre peau. Peu

10 importe où nous allions, l'important c'était simplement de partir. Mais je

11 crois que c'est sur le pont qu'il a dit cela. Mais, il y a eu tellement de

12 séances de négociations dans son bureau, à la municipalité, à deux reprises

13 dans la maison d'Emin, à Dvor, sur le pont, il y a eu tant de discussions

14 entre nous, que je ne saurais vous dire exactement à quel moment il a tenu

15 ces propos.

16 Cependant, il était indéniable en ce qui nous concernait que nous

17 allions partir, nous devions partir. Eux non plus n'avaient aucun doute

18 parce qu'ils avaient tout fait pour que nous partions.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce qu'en ce qui vous concerne, vous

20 personnellement, vous avez dû payer une somme supplémentaire pour partir ?

21 R. Non. Je n'ai pas payé pour partir. Il a simplement fallu que j'obtienne

22 les documents. Je ne suis pas parti tout seul. Je suis parti avec un convoi.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, le Juge Hanoteau a une question à

24 vous poser.

25 M. LE JUGE HANOTEAU : Une question.

26 Vous avez dit ceci : [interprétation] "Ils nous ont dit" -- [en

27 français] pardon [interprétation] "Nous avons insisté pour pouvoir être

28 autorisé à partir. M. Dragomir Pasic, lui aussi, a insisté en s'adressant

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1 aux représentants du HCR des Nations Unies, insisté pour que l'on soit

2 autorisé à partir. Ils nous ont dit que nous ne serions pas autorisés à

3 entrer en République de Croatie, ou plutôt, qu'on ne nous permettrait pas

4 de passer le pont comme on avait l'habitude de le dire. Mais étant donné

5 que la situation était désastreuse, nous étions résolus, décidés à partir.

6 Ceci s'est produit le 16 juillet.

7 "Etant donné que la situation était désastreuse, nous étions déterminés à

8 partir." [en français] Pouvez-vous nous expliquer en quoi la situation

9 était terrible pour vous ? Est-ce que vous pouvez illustrer votre propos ?

10 R. Bien, voyez-vous, j'ai déjà donné un certain nombre d'exemples au cours

11 de ma déposition. Je ne sais dans quelle mesure vous allez pouvoir les

12 comprendre. Il y avait des soldats armés, ils étaient fort bien organisés,

13 et très bien équipés, et si de tels soldats viennent jusque chez moi, dans

14 mon appartement, et me contraignent à partir de chez moi et à aller sous la

15 menace du fusil dans un camp, qu'est-ce que je peux faire ? Si mon oncle a

16 été emmené, tué, son corps a été abandonné au bord de la route, il y est

17 resté plusieurs jours, quand ensuite on me convoque pour identifier ce

18 corps qu'on a laissé ainsi se décomposer pendant plusieurs jours et qui

19 commence à être mangé par les vers, quand à 50 mètres de chez moi, je vois

20 se dresser un obstacle, un barrage avec des gardes qui nous empêchent de

21 nous déplacer librement et quand après le 11 mai, pendant plusieurs jours

22 les Musulmans sont dans l'impossibilité d'acheter du pain en ville, et

23 quand les gens, les amis, les voisins sont emmenés, et que jamais plus on

24 entend parler d'eux, jamais plus on ne les revoit, des gens dont on a

25 jamais retrouvé les corps, qu'est-ce qu'il faut de plus ? Qu'est-ce qu'il

26 faut de plus pour décider de partir, de fuir pour sauver sa peau ? Bien

27 entendu, ma famille était plutôt aisée, et nous aurions peut-être pu

28 essayer de payer pour arriver à sortir, je ne sais pas si on aurait réussi

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1 à la faire, mais e n'ai pas osé me distinguer des autres.

2 Les événements se sont déroulés, ont évalué de telle manière que M.

3 Puric et moi-même, ainsi que des amis, des voisins, qui ensuite se sont

4 joints à nous dans ces négociations, nous sommes devenus les représentants

5 des autres et les dirigeants de cette équipe de négociateurs.

6 Je vais vous donner l'exemple suivant. A un moment donné entre le 11

7 et le 31 mai, en tout cas c'était à la fin du mois de mai, les

8 intellectuels musulmans ont été appelés à la radio à organiser ou à mettre

9 en place une équipe ou un conseil d'intellectuels, enfin quelque chose de

10 ce type qui devait négocier la remise ou la reddition des armes.

11 A l'époque, des gens qui avaient déjà fait de la politique par

12 exemple, des membres du SDA, avaient déjà disparus, sans laisser de trace,

13 comme M. Berberovic, Dzafer Kapetanovic, M. Muslimovic aussi. Ces gens-là,

14 jamais on ne les a plus revus, Izet Muhamedovic, le président du SDA, sa

15 maison se trouvait à une centaine de mètres de chez moi. Lui, il était plus

16 ou moins en résidence surveillée. Mais c'était le seul. A la radio, on a

17 entendu dire qu'un parti italien était intervenu en son nom afin qu'il soit

18 placé en résidence surveillée. A un moment donné, il a été transféré à

19 Vojnic, dans cette région de Croatie, et de là il a ensuite été transféré à

20 Zagreb. Je sais qu'ultérieurement, je l'ai rencontré à Zagreb; donc il a

21 survécu à tout cela, il a survécu à cette épreuve.

22 Tous mes amis, tous mes voisins qui étaient diplômés de l'université, des

23 gens qui étaient membres des institutions, par exemple, Azmir Celemovic

24 [phon] qui était un commandant de la police à Bosanski Novi, Berberovic,

25 qui était juge, Sefer Dzemo, qui était le directeur de la Privredna Banka,

26 Hamdija Ekic, qui était le maire de la municipalité avant ces élections,

27 tous ces gens-là et nous, nous ne voulions pas mettre en place un conseil

28 chargé des négociations parce qu'il n'y avait pas d'organisation et il n'y

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1 avait aucune arme. Cela n'avait aucun sens d'entamer des négociations

2 quelles qu'elles soient parce que dès que le nom de quelqu'un était donné à

3 la radio, cette personne disparaissait. Il apparaissait plus tard que la

4 personne en question soit avait été tuée, soit qu'on n'en entendait plus

5 jamais parlé.

6 Ainsi par exemple devant chez moi --

7 M. LE JUGE HANOTEAU : Combien de proches ou d'amis vous avez perdus dans ce

8 conflit ? Par perdus, je veux dire qui ont disparu ou qui ont été tués ?

9 R. Si je regarde mes proches, mon oncle a été tué.

10 M. LE JUGE HANOTEAU : Vos amis, eux ?

11 R. Bon, beaucoup. J'ai parlé de Muharem Mujkic, qui était le père de mon

12 ami. Cela s'est passé à Prekosanje. Bosanski Novi, c'est une petite ville

13 où il n'y a que 9 000 habitants. Cela c'était la ville en tant que tel,

14 alors que la municipalité comptait quelque 40 000 habitants, Musulmans,

15 Croates et Serbes. Nous nous connaissions tous, et nous avions soit des

16 relations de travail, soit nous avions des liens de parenté.

17 M. LE JUGE HANOTEAU : Je vais vous poser une question aussi : avant que ces

18 événements, avant que ces événements n'éclatent, est-ce qu'il y avait une

19 caserne ? Est-ce qu'il y avait des forces militaires régulières à Bosanski

20 Novi ?

21 R. Il va falloir que je vous donne une explication un peu détaillée.

22 Bosanski Novi avait une importance, une certaine importance stratégique vu

23 la situation de cette localité et vu la présence des ponts et des rivières.

24 Avec le retrait de l'armée de la Croatie et de la Slovénie, elle l'a fait

25 en passant par les ponts de la Una et de la Sana.

26 Au cours de cette période de 1991, les ponts étaient gardés, étaient placés

27 sous la garde de l'armée. Tous les transports s'effectuaient par ces

28 itinéraires. Il y avait un Bataillon monténégrin, me semble-t-il. En tout

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1 cas, il y avait une formation, une unité qui était là, qui avait des

2 effectifs d'importance et qui est passé par Dvor, et a continué son chemin,

3 mais je ne sais pas où exactement.

4 Au centre-ville, il y avait une petite caserne, mais l'approvisionnement

5 logistique dont bénéficiait cette caserne venait de Croatie à Javornik, de

6 l'autre côté de la rivière. La caserne, elle se trouvait en face du stade

7 en face de la rivière Una. Je sais qu'un certain Kosta était le commandant

8 de cette caserne, c'était un capitaine je crois, son grade c'était celui de

9 capitaine. Je le sais parce que ma femme était la secrétaire de M. Pasic au

10 sein de la municipalité, et ce commandant et sa femme Smilja, ils

11 habitaient dans un bâtiment qui s'appelle Karingtonka, un bâtiment qui se

12 trouvait à côté du mien. Il y avait des points de contrôle en ville à

13 Svodna, c'est-à-dire sur la route de Prijedor à Blatna, dans la direction

14 de Bosanska Otoka. Puis, il y avait également des points de contrôle sur

15 tous les ponts qui étaient tenus par l'armée et qui contrôlait tout le

16 trafic, que ce soit des camions, des autocars, tout cela, qui contrôlait

17 tous ceux qui passaient par les ponts. Mes camions, c'est-à-dire les

18 camions qui appartenaient à l'entreprise pour laquelle je travaillais, ils

19 allaient encore en Croatie. Ils sont partis en Croatie en 1990 où on devait

20 trouver des marchandises. Les Musulmans n'avaient pas le droit de conduire

21 ces camions. Les Serbes le faisaient. On chargeait des marchandises sur ces

22 camions en Croatie, et dès que la situation en Bosnie était favorable, ils

23 partaient pour la Serbie, Belgrade, Pancevo, et cetera.

24 M. LE JUGE HANOTEAU : En ce qui concerne votre municipalité, nous avons

25 reçu des témoignages où nous avons vu dans des documents qui nous ont été

26 présentés, que seraient apparus des groupes de paramilitaires, des groupes

27 qui, en tout cas, n'appartenaient pas à l'armée régulière. Qu'est-ce que

28 vous savez là-dessus ?

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1 R. Bien, je crois que ces incidents isolés provoqués par des personnes en

2 état d'ébriété et complètement incontrôlés, il y en a eu.

3 En 1991, je travaillais dans mon entreprise et certains des membres du

4 personnel sont allés se battre à Lipik, ont rejoint le champ de bataille

5 là-bas. Cela a duré pendant un certain temps. Quand ils revenaient de la

6 ligne de front, ces gens passaient l'essentiel de leur temps au centre-

7 ville. Ils tiraient en l'air, sans doute parce qu'ils étaient simplement

8 heureux d'avoir réussi à survivre, ils s'en prenaient aux habitants de la

9 ville. Effectivement, on n'a pu assister à ce type d'incidents, d'exactions

10 isolées.

11 Mais pendant la période en question, la période du 11 au 31, avec la mise

12 en place de points de contrôle, tout cela c'était organisé, cela avait été

13 organisé, et je suis convaincu qu'il y a des documents, d'autres éléments

14 de preuve qui peuvent prouver que ceci n'était pas des incidents isolés. A

15 l'instant, je me rappelle qu'un jour quand nous étions en train de discuter

16 de cela, l'idée a été lancée selon laquelle on pourrait résoudre la

17 situation si sur l'un des points de contrôle qui barrait les routes -- il y

18 en avait un à côté de Vartan [phon] à côté du bâtiment Vartan, pas loin de

19 chez moi, donc on s'est dit qu'on pourrait résoudre la situation si sur ces

20 points de contrôle si on mettait en place des équipes mixtes, des équipes

21 mixtes qui tiendraient ces points de contrôle, des équipes constituées de

22 Serbes, Musulmans et de Croates. Cependant, cette idée a été rejetée

23 catégoriquement, et on n'en a plus jamais fait mention.

24 A ce sujet, je dois dire qu'il y a une personne que je connaissais

25 qui s'appelait Stole Skondric, dont on nous a dit qu'il était le chef, et

26 là, je parle de la période du 11 à peu près. Je crois qu'on l'a mis à ce

27 poste, à cet endroit, pour créer le chaos. Est-ce que c'était lui le

28 commandant ou le chef officiel, cela, je ne peux pas vous le dire, parce

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1 que je n'ai jamais eu accès à aucun document de ce type. Je ne sais pas qui

2 étaient les membres de la cellule de Crise, mais en tout cas, on en a parlé

3 entre nous. On s'est demandé qui pouvait être les membres de cette cellule

4 de Crise, et qui contrôlait la situation en ville.

5 M. LE JUGE HANOTEAU : Une dernière question, s'il vous plaît. Lorsque vous

6 étiez détenu au stadium, combien y avait-il de personnes détenues à ce

7 moment-là ? Combien de personnes étaient enfermées dans le stade ?

8 R. Je suis certain que l'armée a dressé des listes. Il m'est impossible de

9 vous donner un chiffre exact. C'est une évaluation que je fais quand vous

10 dit qu'il y avait environ 1 000 personnes au stade. C'est un chiffre tout à

11 fait approximatif. A ce moment-là, je n'ai jamais pensé que je devrais voir

12 exactement combien de personnes il y avait. Je pense qu'il devait y avoir à

13 peu près un millier de personnes.

14 M. LE JUGE HANOTEAU : Merci, Monsieur.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le Juge Canivell voudrait vous poser une

16 question.

17 M. LE JUGE CANIVELL : Je voudrais savoir maintenant : les seules personnes

18 qui sont sorties de votre municipalité, combien d'entre elles sont rentrées

19 et se sont rétablies à l'endroit où elles vivaient avant ces événements que

20 vous venez de nous raconter ?

21 R. Dans le quartier de la ville où j'habitais, à Vidorija, je pense que

22 tous les Bosniens qui voulaient récupérer leurs biens auraient réussi à le

23 faire. Bien sûr, il y a eu beaucoup de maisons qui ont été endommagées,

24 détruites, et les organisations internationales humanitaires ont donné des

25 fonds pour aider à leur reconstruction. Par exemple, dans ma rue, il n'y a

26 que deux jeunes gens qui sont rentrés, et quand je dis des jeunes, ils ont

27 une trentaine d'années. Pour ce qui est du reste, c'étaient nos parents,

28 les gens qui avaient 70, 80 ans, comme mes parents, par exemple. Je rentre

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1 de temps en temps chez moi, un week-end sur deux, pour voir mes parents.

2 S'agissant de la ville, de la municipalité, je pense qu'il y a un grand

3 nombre de personnes qui ont réussi à récupérer leurs biens, mais il y a

4 certaines maisons qui n'ont pas été rendues à leurs propriétaires, tout

5 simplement parce qu'elles ont été détruites, que les gens n'étaient pas

6 intéressés. Je sais qu'il y a plusieurs de mes collègues qui n'ont pas

7 réussi à récupérer leurs appartements à cause de tracasseries

8 administratives, par exemple, parce que ces personnes n'avaient pas déposé

9 une demande dans les délais. Il y a un collègue qui travaille aux douanes,

10 il était un des directeurs de ce service de douanes, il n'a pas pu

11 récupérer son appartement. Une voisine qui vivait dans la même partie de

12 l'immeuble que moi et qui travaillait à Kozara Prevoz avec moi, qui avait

13 reçu son appartement au même moment que moi, n'a pas récupéré le sien.

14 M. LE JUGE CANIVELL : Monsieur, je dois insister, plutôt que de savoir qui

15 sont ceux qui ont récupéré leurs biens, ce qui m'intéressait aussi, c'est

16 de savoir combien parmi ces, si je calcule bien, autour des 14, 15 000

17 personnes qui sont parties le jour où vous nous avez raconté, sont revenues

18 habiter durablement à cet endroit ? Maintenant, je vous fais des questions

19 mais je vois que cela sera possible pour vous de répondre à la fois. Est-ce

20 que cette municipalité maintenant constitue une partie de la Republika

21 Srpska ou fait partie de la confédération ? Si c'est le cas, quel nombre

22 des personnes sont revenues des 14, 15 000 qui sont parties à la date que

23 vous nous avez racontée ?

24 R. Je n'ai pas déclaré que 14 ou 15 000 personnes étaient parties. Ce que

25 j'ai dit, c'est qu'à mon avis dans ce convoi, il y avait de 9 000 à 9 500

26 personnes. Il y avait des gens qui partaient mais seuls. Je ne peux pas

27 vous donner de chiffres. Je ne me suis jamais occupé de politique. Je ne

28 m'en occupe pas aujourd'hui. Jamais je n'ai travaillé dans un service de la

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1 mairie.

2 Je ne sais pas combien de gens sont revenus. Je vous ai dit qu'une

3 partie importante des biens, des propriétés avaient été rendus à leurs

4 propriétaires. Je vous ai dit aussi que certaines personnes âgées étaient

5 rentrées. Il y a d'autres qui ont fait un échange de propriété. Par

6 exemple, je vis aujourd'hui à Bihac. Mes parents sont rentrés, et sur les

7 six parents proches que constituait ma famille, il y a un de mes frères qui

8 vit avec sa famille à Bihac, et seuls mes parents sont rentrés à Bosanski

9 Novi.

10 La municipalité de Bosanski Novi, elle ne s'appelle plus Bosanski Novi,

11 pendant la guerre on a changé de nom, c'est devenu Novi Grad. Novi Grad

12 fait aujourd'hui partie de la Republika Srpska.

13 En ce qui est du nom, même sur les nouvelles cartes d'identité, on

14 voit inscrit "Novi Grad." Au jour d'aujourd'hui, si on va à Bosanski Novi

15 pour avoir un certificat de naissance, un acte de naissance, on dira que

16 vous êtes né dans la municipalité de Novi Grad. C'est impossible, parce que

17 je suis né à Bosanski Novi. Maintenant que la ville a été rebaptisée, on

18 voit dans mon adresse à Novi Grad plutôt qu'à Bosanski Novi.

19 La nouvelle carte d'identité que j'ai reçue a une mention différente.

20 Maintenant, on dit que je suis né à Bosanski Novi/Novi Grad. Cela a été

21 corrigé.

22 M. LE JUGE CANIVELL : Je vois que vous ne pouvez pas me fournir un nombre

23 de personnes qui sont revenues, mais vous diriez quand même que la plupart

24 de ces Musulmans et Croates qui sont partis sont revenus sur la

25 municipalité ou non ? Quelle proportion au moins des gens qui sont partis

26 qui ne sont jamais plus revenus ?

27 R. C'est difficile de vous donner une telle proportion, mais je suis sûr

28 que la majorité des gens ne sont pas revenus. Ce n'est pas tellement un

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1 problème lié à la sécurité à Bosanski Novi. La difficulté, c'est de gagner

2 son pain, de travailler. Des gens sont partis aux quatre coins du monde; au

3 Canada, au Etats-Unis, dans d'autres parties de l'Europe. Il y a des

4 familles qui s'y sont installées. Les enfants vont à l'école ailleurs, et

5 sans doute ces familles ont-elles décidé de ne plus changer une fois de

6 plus de vie. Ce sont surtout les personnes âgées qui sont rentrées. Il y a

7 très peu de jeunes qui sont revenus au pays.

8 D'après les informations que m'ont données mes voisins qui habitent

9 toujours là, il y a peut-être 16 ou 17 personnes qui travaillaient pour les

10 services municipaux à Bosanski Novi.

11 M. LE JUGE CANIVELL : Je vous remercie, Monsieur. Je n'ai plus de

12 questions.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons bientôt faire une pause,

14 mais j'aurais quelques questions brèves à vous poser.

15 Vous avez dit qu'après avoir quitté la stade Mlakve, les gens de la vallée

16 de Blagaj, une fois qu'on les avait mis à bord de trains, qu'ils ont été

17 emmenés dans ce stade, eux aussi. Savez-vous si ces gens ont été libres de

18 quitter ce stade et y revenir ou si on les y a détenus, gardés là, sans

19 qu'ils aient la possibilité d'en sortir ? Dites-nous tout d'abord si vous

20 avez des connaissances à ce propos, et si ce n'est pas le cas, dites-le

21 aussi.

22 R. Vous voyez, au cours de cette période, je ne me suis pas beaucoup

23 déplacé. Je suis resté caché. C'est exceptionnellement, lorsque nous sommes

24 allés à ces pourparlers, à ces négociations, que j'ai quitté ma cachette.

25 Si je vous ai bien compris, si l'interprétation que j'ai reçue était bonne,

26 nous n'étions pas dans des wagons de marchandise. Nous sommes allés en

27 ville du stade à pied. C'était une distance d'un ou deux kilomètres. Tout

28 le monde est reparti, alors que les gens de la vallée de Japra, eux étaient

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1 en wagon de marchandise et ils ont été emmenés au stade.

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je parlais uniquement de Blagaj, des

3 gens de la vallée de la Japra. Je ne parle pas de vous. Je parle de ceux

4 qui se sont trouvés dans cette situation, qui sont venus de la vallée et

5 qui ont été emmenés au stade. Dites-nous si vous savez ou si vous ne savez

6 pas si ces gens étaient libres de quitter le stade ou si on les y a gardés.

7 R. Je ne sais pas, mais je pense que ces gens n'ont pas pu se déplacer

8 librement, qu'ils n'étaient pas libres de sortir. La condition que nous

9 avions posée, c'est qu'ils soient libérés avec nous et qu'ils puissent se

10 joindre au convoi comme nous. Les autorités avaient accepté cela, et

11 n'avaient pas causé de difficultés. Je pense qu'ils ont été libérés du

12 stade le même jour que nous. Ils sont partis dans le même convoi que nous.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Question suivante. Vous avez

14 parlé d'emplacements où des gens ont été détenus ou interrogés. Vous avez

15 parlé du stade de Mlakve, du poste de police, de la caserne des pompiers et

16 d'un hôtel. Est-ce que vous savez comment s'appelle cet hôtel ?

17 R. C'est l'hôtel Una. C'était un nouvel hôtel de Bosanski Novi.

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Est-ce qu'il y a d'autres

19 installations dans lesquelles des gens auraient été détenus ou interrogés,

20 mis à part celles que je viens de mentionner ?

21 R. Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est ce que m'ont relaté

22 d'autres, c'est que des gens ont été emmenés à Gradiska, à Prijedor, à

23 Banja Luka pour être interrogés.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dernière question. Vous dites que vous

25 avez apporté des documents au cas où nous aimerions les voir. Qu'est-ce que

26 sont ces documents ?

27 R. Bien entendu. Oui, je peux vous les montrer. Je peux les sortir de ma

28 mallette.

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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Volontiers, dites-nous ce que sont ces

2 documents. Quel genre de documents c'est ?

3 R. Je vais vous les lire.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Auparavant, Monsieur, avant de commencer

5 à nous les lire, dites-nous de quel document il s'agit, car il se pourrait

6 que ce soient des documents dont nous disposons déjà. Je n'en suis pas sûr,

7 bien entendu. Ayez l'obligeance de nous donner d'abord la date de ces

8 documents.

9 R. Ce sont des documents que nous avons dû obtenir et présenter pour

10 pouvoir quitter la municipalité de Bosanski Novi. Les dates sont surtout

11 celles du 5 juillet, du 8 juillet, du 3 juillet et du 6 juillet.

12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce sont les documents dont vous avez

13 parlé qui étaient nécessaires si vous voulez quitter le territoire de cette

14 municipalité; est-ce bien cela ?

15 R. Oui.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que cela vous dérangerait de les

17 remettre à titre tout à fait temporaire au Tribunal, qui pourra se charger

18 de les photocopier ? Les parties pourront les examiner et verront s'il

19 subsiste un doute quant à leur authenticité. Je suppose que vous voulez

20 vous-même conserver les documents originaux.

21 R. Pas de problème.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Voici ce que je vous propose, nous

23 allons demander à M. le Greffier de faire des photocopies. Pendant la

24 pause, les parties pourront examiner ces documents pour voir s'il y a un

25 problème quant à leur authenticité. A partir de ces copies, nous verrons

26 s'il est utile de les verser au dossier.

27 Maître Josse, est-ce qu'il y a quelqu'un qui est à même de lire les

28 documents ? J'aimerais conserver le moins de temps possible ces documents

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1 au greffe. Si vous lisez les photocopies, vous verrez s'il est utile de les

2 verser.

3 M. JOSSE : [interprétation] Peut-on avoir deux jeux, un pour M. Krajisnik

4 notamment ?

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Fort bien. Monsieur le Greffier, vous

6 allez veiller -- il y a combien de documents, Monsieur Delic ?

7 R. Sept.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Remettez-les, s'il vous plaît, à M.

9 l'Huissier. Pendant la pause, ils vont pouvoir être examinés par les

10 parties, et ils seront photocopiés, et sauf problème particulier, nous

11 pourrons remettre les originaux au témoin, sauf problème particulier comme

12 je le disais.

13 M. JOSSE : [interprétation] Qu'en est-il de l'enregistrement sonore dont a

14 parlé le témoin ?

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, j'ai posé une question à propos des

16 documents, pas à propos d'une cassette. Je crois comprendre que vous voulez

17 pouvoir entendre cet enregistrement sonore. Est-ce que la meilleure marche

18 à suivre n'est pas de veiller à ce qu'il y ait copie de cet enregistrement

19 tout d'abord.

20 Monsieur Delic, si nous avons bien compris, vous avez un

21 enregistrement, en tout cas, d'une partie des négociations. Est-ce que vous

22 avez cet enregistrement sonore, cette cassette sur vous ?

23 R. Oui.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Seriez-vous prêt à la remettre

25 temporairement au Tribunal pour que des copies soient faites, et la Chambre

26 verra s'il faut veiller à sa transcription et si elle veut s'appuyer sur

27 cet élément au moment de rendre son jugement ? Est-ce que vous pouvez nous

28 le remettre ? Je ne peux pas vous promettre que vous l'aurez aussitôt après

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1 la pause, parce cela dure plus longtemps pour faire ce genre de copie.

2 R. Pas de problème.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur l'Huissier, vous êtes invité à

4 recevoir -- Monsieur Harmon.

5 M. HARMON : [interprétation] Monsieur le Juge, pourriez-vous demander

6 quelle est la durée de cette enregistrement ?

7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que c'est une cassette vidéo ou

8 une cassette audio ?

9 R. Une vidéo.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est une cassette vidéo qui fait

11 combien à peu près, combien de minutes ?

12 R. Peut-être 40, 45 minutes.

13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Qui a procédé à cet enregistrement ?

14 R. Cela a été filmé par des gens de Bosanski Novi, des citoyens. Cela a

15 été diffusé à la télévision, à la télévision de Bosnie-Herzégovine, me

16 semble-t-il. C'est une partie de la couverture médiatique qu'il y a eu.

17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Fort bien. Monsieur le Greffier,

18 veuillez à ce qu'on fasse une copie de cette cassette.

19 R. Je pense que cette photo, les personnes qu'on voit sur cette photo,

20 c'est un cliché qui vient de cet enregistrement. Il n'y a rien de secret,

21 ce n'est pas une photographie secrète. Il y a des milliers de photographies

22 qui ont été faites.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Nous allons saisir l'occasion pour

24 faire une copie. Je suppose que la question de l'authenticité ne se pose

25 pas parce que c'est une copie d'une copie.

26 Monsieur Delic, nous allons faire une nouvelle pause. Puisque nous avons

27 commencé assez tard aujourd'hui, nous n'avons pas beaucoup de temps qu'il

28 nous reste. Les parties auront besoin de combien de temps ? Dans nos règles

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1 ou dans notre règlement, normalement, c'est l'Accusation qui commence.

2 M. HARMON : [interprétation] Bien sûr, je ne peux pas vous dire ce qu'il en

3 sera des documents ou de la cassette, mais je dirais 15 à 20 minutes à part

4 cela.

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous ne voudrions pas que les questions

6 fassent doublon. Ce témoin a été cité surtout pour qu'il passe par le biais

7 des négociations, même si nous lui avons donné l'occasion de nous parler de

8 ce qui s'est passé avant.

9 Maître Josse.

10 M. JOSSE : [interprétation] Effectivement, c'est une question que

11 j'aimerais vous poser aussitôt après la pause en l'absence du témoin. Parce

12 que je suis un peu préoccupé vu ce qu'il a fait comme déclaration ce matin,

13 avant la première pause, et pour voir comment nous allons nous occuper de

14 tout ceci.

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien, faites-le après la pause.

16 Monsieur Delic, pause de 20 minutes. Nous reprendrons nos travaux à 1

17 heure 25. Je ne sais pas s'il est possible de travailler un peu plus tard

18 que d'habitude, puisque nous avons commencé un peu tard, on verra, si pour

19 une raison ou une autre logistique notamment si c'est possible ou pas.

20 [Le témoin se retire]

21 --- L'audience est suspendue à 13 heures 05.

22 --- L'audience est reprise à 13 heures 36.

23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Josse, vous souhaitiez intervenir

24 en l'absence du témoin.

25 M. JOSSE : [interprétation] Oui, quelques mots seulement. J'ai examiné la

26 procédure que vous aviez prévue. Au point 16D, il est dit que le témoin

27 doit être contre-interrogé par les parties en commençant par l'Accusation,

28 puis par la Défense dans les limites de temps prévues par la Chambre,

Page 26385

1 ensuite, on indique la portée du contre-interrogatoire.

2 Nous souhaitons savoir quelles seront les limites de temps qui nous serons

3 fixées. Nous estimons, quant à nous, que nous devrions avoir droit à 60 %

4 du temps qui a été consacré à l'audition du témoin par les Juges de la

5 Chambre. Ceci étant dit, nous comprenons bien que jusqu'à la première

6 pause, le témoin a parlé des événements qui se sont déroulés dans la

7 municipalité. Ces éléments de preuve maintenant sont au dossier. Nous

8 souhaitons savoir si les Juges souhaitent que nous posions des questions

9 supplémentaires sur ce point. Nous, nous avions prévu notre contre-

10 interrogatoire au sujet des négociations, et en particulier, au sujet des

11 négociations sur le pont, ce qui serait beaucoup plus court. En tout cas,

12 cela durera plus de 15 à

13 20 minutes.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Josse, vous aurez constaté que ce

15 témoin est arrivé sans être préparé. On peut le dire. Nous avons commencé à

16 lui poser des questions au sujet du pont. Nous avons commencé au pont. Le

17 témoin, à ce moment-là, a répondu qu'il avait besoin d'expliquer ce qui

18 l'avait amené jusqu'à ce pont. La Chambre ne s'est pas opposée à ses

19 explications, et lui a donné la possibilité de s'expliquer. Ce n'était

20 certes pas la raison essentielle qui nous avait amenés à convoquer le

21 témoin. Donc, j'espère que cela vous suffira. Peut-être aurions-nous dû

22 nous contenter de quelques questions assez brèves sur ce point. Mais ce

23 n'est pas la manière dont nous traitons les témoins, nous, de leur poser

24 simplement quelques questions extrêmement limitées.

25 J'espère que ma réponse vous sera utile. D'autre part, je vous

26 signale que nous avons prévu de siéger cet après-midi. Cela veut dire que

27 nous aurons une courte pause, parce que nous ne pouvons pas rester dans ce

28 prétoire. Nous passerons en salle I, et ensuite, nous disposerons d'une

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1 heure et demie, c'est-à-dire que nous aurons beaucoup plus de temps. Nous

2 savons que l'Accusation aura besoin d'environ 15 minutes.

3 Nous allons refaire venir le témoin pour voir si nous pouvons traiter

4 des questions qui restent à lui poser en dix minutes environ. Sinon, je

5 risque d'avoir des difficultés avec les Juges qui doivent siéger

6 normalement ici cet après-midi.

7 Je ne sais pas si les parties ont eu l'occasion d'examiner les documents

8 qui, d'après ce que nous a dit le témoin, sont des documents personnels,

9 dont il a eu besoin pour pouvoir obtenir la permission de s'en aller.

10 M. JOSSE : [interprétation] Pas vraiment. J'ai profité de la pause pour

11 parler à M. Krajisnik pour obtenir ses instructions. Je souhaiterais vous

12 remercier d'avoir remis ces documents aux avocats de la Défense ainsi qu'à

13 notre client.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien.

15 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Delic, nous espérions

17 pouvoir en terminer de votre déposition ce matin, mais il est possible que

18 nous ayons besoin de temps cet après-midi. Cela vous surprend peut-être un

19 petit peu. Nous avons trouvé une autre salle d'audience où nous pourrons

20 poursuivre plus tard cet après-midi. J'espère que cela ne vous dérange pas

21 trop.

22 Maintenant nous allons passer aux premières questions de M. Harmon,

23 représentant de l'Accusation.

24 Monsieur Harmon.

25 M. HARMON : [interprétation] Merci.

26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais vous demander, Monsieur Delic,

27 de vous concentrer sur l'essentiel des questions de M. Harmon.

28 M. HARMON : [interprétation] Je vais d'abord demander l'aide de l'Huissier.

Page 26387

1 Je vais lui demander de déplacer le rétroprojecteur. J'ai diminué le nombre

2 de mes questions de beaucoup par rapport à ce que j'estimais au départ. Il

3 y a simplement trois sujets que je souhaite évoquer avec le témoin.

4 Contre-interrogatoire par M. Harmon :

5 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur le Témoin. Je m'appelle Mark Harmon,

6 je suis représentant du bureau du Procureur.

7 R. Bonjour.

8 Q. Au cours de votre déposition, vous avez parlé de la détention des

9 Musulmans de Bosnie au stade de Mlakve à deux reprises. Vous avez parlé du

10 moment où vous-même vous vous êtes trouvé à cet endroit, puis du moment où

11 des gens de la vallée de Japra ont été emmenés au stade où ils ont été

12 maintenus en détention jusqu'au 23 juillet 1992 environ.

13 Monsieur Delic, pouvez-vous nous dire si vous savez si le maire de Bosanski

14 Novi, M. Pasic, ne s'est jamais rendu au stade ? Vous pouvez nous répondre

15 sur la base de ce que vous savez vous-même personnellement ou

16 d'informations qui vous auraient été communiquées ultérieurement ?

17 R. Je ne sais pas.

18 Q. Bien. Le deuxième sujet que je souhaiterais aborder avec vous est en

19 rapport avec vos déclarations selon lesquelles au cours des négociations

20 vous avez parlé d'une idée proposée par les négociateurs bosniaques, à

21 savoir que l'idée selon laquelle des équipes mixtes de Serbes, de Musulmans

22 et de Croates pourraient tenir les points de contrôle de Bosanski Novi, et

23 selon vos dires cette proposition a été rejetée catégoriquement.

24 Pouvez-vous nous dire qui a fait cette proposition et qui l'a rejetée ?

25 R. Cette idée, elle a été présentée par M. Emin Puric. Ou plutôt, il y a

26 eu une discussion qui portait sur la question de savoir s'il était possible

27 d'apaiser la situation puisque le représentant du HCR des Nations Unies

28 insistait pour qu'on reste chez nous, et nous avons pensé que c'était peut-

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1 être la solution. Mais à ce moment-là, M. Puric a dit : "On pourrait

2 mettre en place des équipes mixtes sur les points de contrôle, des points

3 de contrôle mixtes avec toujours un Musulman et un Serbe de garde." Mais il

4 a été dit que c'était hors de question. Si bien que la discussion sur ce

5 point a été extrêmement brève. M. Pasic a déclaré que ce n'était pas

6 possible.

7 Q. Est-ce qu'il vous a expliqué pourquoi ce n'était pas possible ?

8 R. Non.

9 Q. Enfin, je voudrais revenir sur ce que vous nous avez dit au sujet du 23

10 juillet, au sujet de ces 9 500 personnes qui ont quitté Bosanski Novi dans

11 un convoi. Ce matin, au cours de votre déposition, vous avez déclaré qu'un

12 nombre limité de personnes est resté sur place, et qu'ensuite des soldats

13 armés sont allés de maison en maison pour les forcer à partir et quelques

14 autocars sont restés sur place pour transporter ces personnes.

15 Est-ce que vous pourriez donner des informations à la Chambre sur les

16 circonstances qui expliquent que ces autocars soient restés sur place ?

17 R. A ce moment-là j'étais déjà parti, donc j'ignore dans quelles

18 circonstances cela s'est produit. Mais d'après ce que m'ont dit d'autres

19 personnes, quand ceux qui ont décidé de rester ont vu partir le convoi et

20 ont vu traverser au lieu d'être contraints à rebrousser chemin comme la

21 fois d'avant, ils se sont rendu compte qu'eux aussi ils devaient partir.

22 Ils sont montés à bord des autocars. Les gens qui sont restés sur place ont

23 dit que les Serbes avaient déjà commencé à aller de maison en maison et à

24 se livrer à des actes de pillage. Certains se sont installés dans les

25 maisons délaissées avec l'intention de s'y installer, et si la maison était

26 encore habitée à ce moment-là, ils en chassaient les habitants pour pouvoir

27 s'y installer. Tous ces soldats étaient armés pour l'essentiel d'armes

28 automatiques.

Page 26389

1 En plus -- ou plutôt en dépit du fait que certains aient rejoint le

2 convoi à la toute dernière minute, certains Musulmans même à ce moment-là

3 ont décidé de rester et ils ont réussi ensuite à partir par leur propre

4 moyen pendant la guerre de Bosanski Novi.

5 Q. Vous dites que des soldats armés sont allés de maison en maison et ont

6 forcé les habitants à s'en aller. Je comprends bien ce que vous nous dites,

7 Monsieur le Témoin, au sujet des gens qui sont restés à Bosanski Novi après

8 le départ du convoi. Les Musulmans qui restaient ont été contraints de

9 quitter leurs maisons; après ils ont été forcés de quitter leurs maisons

10 par des soldats armés. Est-ce que j'ai bien compris la nature de votre

11 déposition ?

12 R. Oui. Mais cela a pris toute la journée. Vous pouvez avoir une idée

13 assez précise du nombre d'autocars qu'il fallait pour transporter 9 500

14 personnes, autocars, camions, voitures de tourisme, et cetera, cela faisait

15 une colonne de plusieurs kilomètres. Ce convoi traversait les villes très

16 lentement. Certains n'étaient pas en mesure de faire démarrer leurs

17 véhicules pour telle ou telle raison. Pendant tout ce temps-là, il y avait

18 des groupes armés qui circulaient dans les villes, qui tiraient, qui

19 faisaient du porte à porte, qui s'amusaient. Je ne sais pas s'ils sont

20 allés systématiquement dans chaque maison, mais je vous ai donné le cas

21 d'une famille que je connais qui a été contrainte de partir de chez elle

22 alors qu'elle avait décidé de rester.

23 Q. Est-ce que vous êtes en mesure de donner une estimation du nombre de

24 personnes qui se sont trouvées dans la situation que vous venez de nous

25 décrire, à savoir, des gens qui, le 23 juillet, désiraient restés à

26 Bosanski Novi, mais qui ont été forcées de partir sous la menace des armes

27 ? Est-ce que vous pouvez nous donner une idée de leur nombre ?

28 R. Je crois qu'il y a un petit nombre de gens qui ont été contraints de

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1 partir dans ces circonstances-là parce que la majorité des gens avait en

2 réalité décidé de partir avant.

3 Q. Après le départ du convoi du 23 juillet de Bosanski Novi, pouvez-vous

4 nous donner une estimation du nombre de Musulmans qui restait encore dans

5 la ville de Bosanski Novi ?

6 R. Je pense que leur nombre s'élevait à quelques centaines.

7 M. HARMON : [interprétation] Je n'ai plus de questions à vous poser,

8 Monsieur Delic. Merci beaucoup.

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous en prie.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous attendons pour l'instant une

11 confirmation. Nous attendons de savoir si nous disposons d'interprètes cet

12 après-midi. Je vois que le Greffier est justement en train de passer un

13 coup de fil.

14 Le temps dont nous disposerons sera limité, Maître Josse. Nous pourrons

15 continuer en salle I, après une pause de 15 minutes seulement et nous

16 pourrons continuer pendant une heure en salle I. On verra où cela nous mène.

17 Ensuite, il faudra prendre une décision. On va prévoir une heure, mais tout

18 dépend de ce qui va se passer pendant cette heure-là.

19 M. JOSSE : [interprétation] Je m'en remets entièrement à la Chambre.

20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Delic, nous allons maintenant

21 faire une pause brève, et nous souhaiterions poursuivre pendant encore une

22 heure. Nous allons essayer de finir aujourd'hui. Après la pause, vous allez

23 être interrogé par Me Josse, qui est conseil de la Défense.

24 Audience suspendue et nous reprenons dans environ 15 minutes en salle

25 I.

26 --- La pause est prise à 13 heures 52.

27 --- La pause est terminée à 14 heures 25.

28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, puisque nous avons

Page 26391

1 changé de prétoire, veuillez citer le numéro de l'affaire.

2 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Affaire

3 IT-00-39-T, le Procureur contre Momcilo Krajisnik.

4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Souvent, je m'excuse publiquement auprès

5 des techniciens et des interprètes, mais jamais, je n'inclus le personnel

6 de la sécurité, ce que j'aurais dû faire tout du long. La Chambre est

7 infiniment reconnaissante pour la souplesse dont ils ont fait preuve.

8 Maître Josse, vous avez la parole.

9 Contre-interrogatoire par M. Josse :

10 Q. [interprétation] Monsieur Delic, ce matin, lorsque vous avez répondu à

11 une question de M. le Président de la Chambre, vous avez dit qu'après avoir

12 été libéré du stade de football alors que vous participiez à ces

13 négociations, vous aviez une cachette; c'est bien cela ?

14 R. C'est exact. C'était une remise que j'avais derrière la maison. J'y ai

15 passé quelques journées à me cacher derrière le tas de bois de chauffage

16 qui se trouvait dans la remise. C'est là que je me cachais pour qu'on ne me

17 trouve pas dans la maison si on venait me chercher.

18 Q. Quand vous dites "ils" ou "on", vous parlez de qui ?

19 R. Je pense à l'armée.

20 Q. Est-ce que l'armée savait que vous étiez négociateur au nom de votre

21 peuple ?

22 R. Cela je ne sais pas. Je pense -- à propos, je n'étais pas encore

23 négociateur à ce moment-là. Le vendredi, lorsque j'ai quitté le stade, le

24 camp, je n'étais pas négociateur.

25 Q. Voici la réponse que vous avez donnée. Je cite : "Ce n'est qu'à titre

26 exceptionnel, lorsque nous sommes allés pour des pourparlers ou des

27 négociations, j'ai quitté ma cachette."

28 Ceci laisse entendre que vous étiez négociateur au moment où vous

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1 vous cachez, n'est-ce pas ?

2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Harmon.

3 M. HARMON : [interprétation] Monsieur le Président, est-ce que le numéro ou

4 la page du transcript du compte rendu pourrait nous être donnée ?

5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Page 50, ligne 17.

6 M. JOSSE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

7 M. HARMON : [interprétation] Merci.

8 M. JOSSE : [interprétation]

9 Q. Voulez-vous que je répète ma question, Monsieur Delic ?

10 R. Non, ce n'est pas nécessaire. J'ai compris votre question.

11 Pendant tout ce temps, avant d'être emmené au camp, dès ce moment-là,

12 je vous ai dit que je faisais des allées et venues entre la maison et

13 l'appartement. Parfois, je passais la nuit au rez-de-chaussée de la maison,

14 parfois dans l'appartement ou dans la remise, donc où je me sentais le plus

15 en sécurité. A partir du moment où nous avons commencé les négociations,

16 j'ai continué de la même manière. Mais le vendredi, le lendemain après

17 avoir été libéré du camp, j'ai dormi dans la remise. C'est ce que j'ai fait

18 aussi au cours des jours qui ont suivi.

19 Q. Deux nuits de suite ?

20 R. Non, pas deux nuits. Plus longtemps.

21 Q. Combien de nuits ?

22 R. Je vais vous le dire. Lorsque j'ai quitté le camp, je ne suis pas

23 rentré dans mon appartement à moi. Je vous l'ai déjà dit, l'épouse, les

24 enfants et la mère âgée de Sead, Heder étaient dans mon appartement parce

25 que leur maison avait été incendiée.

26 Après que j'ai quitté le camp, ils m'ont appelé pour me dire que deux

27 soldats armés étaient venus à l'appartement pour essayer de m'en chasser.

28 Après, il m'a demandé ce que je devais faire, est-ce que je devais opposer

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1 une résistance ou quitter l'appartement. Je leur ai dit qu'il pouvait

2 quitter l'appartement, que je n'avais pas l'intention de garder cet

3 appartement.

4 Je vous ai déjà décrit les différents endroits où je suis allé

5 pendant cette période. Jusqu'au 23 juillet, je dormais soit au rez-de-

6 chaussée, soit à l'étage de la maison, dans l'appartement ou -- non, pas

7 dans l'appartement, dans la remise là où je gardais mon bois de chauffage.

8 Q. La photo au pont nous montre un moment des négociations. Est-ce que

9 vous étiez le négociateur en chef du côté musulman cette fois-là ?

10 R. Nous étions deux. Il y avait M. Puric et moi-même. Je vous l'ai dit, il

11 y a eu une première visite à Dvor, une seconde visite, et nous étions deux.

12 Nous étions ensemble. Parfois, d'autres personnes se joignaient à nous

13 comme, par exemple, le Pr Nedim Muftic, surnommé Nedo, un professeur de

14 physique, qui est venu nous rejoindre au pont. Il y avait aussi de temps en

15 temps Mirsad Brkic, un policier d'Urije. Ils se tenaient là, et ils se sont

16 joints à nous.

17 Parce que ce n'était pas une équipe de négociations formelle. Nous

18 avons simplement parlé à ceux d'en face. De l'autre côté du pont, sur cette

19 photo, comme sur d'autres, vous voyez des gens qui se tiennent debout, qui

20 nous regardent et qui essayaient de saisir sur quoi portent les

21 négociations.

22 Q. Comment avez-vous pu négocier au nom de votre peuple si vous ne vous

23 vous êtes pas déplacé ? Parce que vous avez dit : "Je ne me suis pas

24 déplacé." Je vous cite votre propos. Alors, comment saviez-vous ce que

25 voulaient les gens ? Quand je dis les gens, je parle des Bosniens. Comment

26 saviez-vous ce que ces gens voulaient si vous ne vous déplaciez pas ?

27 R. Je vous l'ai dit déjà. La ville, elle était divisée par des postes de

28 contrôle, des barrages routiers, ce qu'on appelle des chevaux de frise. Il

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1 était impossible de déambuler en ville, de s'y déplacer, à cause de ces

2 postes de contrôle qui étaient tenus par des patrouilles qui vérifiaient

3 tout le monde qui essayait de passer. Toujours, toutes les cartes

4 d'identité étaient contrôlées. J'ai quitté ma maison pour aller dans la

5 remise. C'est ce que j'ai fait. Donc, j'ai fait le tour de plusieurs

6 maisons aux alentours. Il m'arrivait d'aller au pont pour ces négociations.

7 Je l'ai également dit ce matin, lorsque M. Puric et moi nous sommes

8 rentrés de Dvor, en cette fin d'après-midi, ce jour-là, il y avait de dix à

9 20 personnes dans les maisons voisines. Toutes venaient nous voir pour

10 demander ce dont on avait parlé, comment les choses se passaient, pour

11 demander où nous avions été. Je le répète, ce n'est pas que nous avons été

12 choisis comme représentants du peuple, du groupe musulman; nous nous sommes

13 trouvés dans cette situation où nous les avons représentés en tant que

14 négociateurs.

15 Q. Au début des négociations, un certain Sipek Barjaktarevic avait

16 participé. Pourquoi est-ce que cet homme n'a pas poursuivi dans ses

17 fonctions au mois de juillet ?

18 J'ai vraiment beaucoup de mal à prononcer ce nom. Je vais vous

19 l'épeler, si vous n'avez pas compris. B-a-r-j-a-k-t-a-r-e-v-i-c,

20 Barjaktarevic.

21 R. Je ne connais pas ce monsieur. Il n'a pas participé aux négociations

22 avec nous.

23 Q. Qu'en est-il d'un certain Fikret Hamedjagic [phon] ? Cela vous dit

24 quelque chose, ce nom ?

25 R. Je connais Fikret, mais je ne connais pas le patronyme. Je pense que

26 c'est un homme qui vient de la vallée de Japra. Je pense qu'il faisait

27 partie de ce groupe de personnes qui est venu de là-haut. Je vous en ai

28 parlé. Il n'était pas en ville avec nous pour les négociations. Il

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1 représentait les gens de la vallée de Japra. Je ne sais pas.

2 Q. Est-ce que vous voulez dire que les dirigeants du SDA avaient soit

3 disparus, soit été éliminés, et que c'est la raison pour laquelle ont

4 émergé de la communauté des personnes qui n'étaient pas des personnalités

5 politiques ? Est-ce que c'est cela que vous voulez affirmer ?

6 R. Ce n'est pas ce que je dirais. Ce n'est pas ce lien que je voudrais

7 établir, en tout cas, pas comme vous le faites. Je dirais que tous ceux que

8 j'ai cités, qu'ils venaient tous d'un quartier, le Pr Dzafer Kapetanovic,

9 un économiste; Resad Berberovic, aussi un économiste; M. Ibro Muslimovic,

10 et M. Izet Muhamedagic, un avocat, c'étaient des représentants du SDA.

11 D'après ce que je sais, ces trois hommes, on ne les avait plus retrouvés.

12 On n'a jamais retrouvé leurs corps lorsqu'ils ont été portés disparus.

13 Pour ce qui est de M. Muhamedagic, vous avez dit qu'il avait été

14 placé en résidence surveillée, et à la radio, à la télévision on disait

15 qu'un parti, un parti qu'on appelait le parti de Panella, était intervenu

16 en sa faveur et qu'il avait été transféré à Vojnic et de là en Croatie.

17 Quand à nous, nous avons d'abord appelé M. Drazic, nous deux ou

18 trois, M. Azemir Ceric, M. Puric et moi, nous l'avons appelé en tant

19 qu'ami, nous lui avons demandé son aide et nous lui avons fait part de nos

20 intentions. Nous n'avons représenté personne d'autre que nos propres

21 familles. Les familles qui occupaient ces maisons voisines, cela faisait

22 une centaine de personnes, même sans les membres de la famille élargie.

23 Lorsque cette nouvelle s'est répandue, que d'autres personnes en ont eu

24 vent, le même après-midi il y a plus de gens encore qui sont venus demander

25 ce qui se passait.

26 Q. Combien de réunions y a-t-il eu sur le pont ?

27 R. Deux, je pense.

28 Q. Est-ce que M. Brkic était présent à ces deux réunions ?

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1 R. Je suis sûr qu'il était là à l'une de ces réunions, cela je suis sûr à

2 100 %, mais l'autre je ne suis pas sûr.

3 Q. Est-ce que M. Puric était présent aux deux réunions ?

4 R. Oui.

5 Q. Vous êtes toujours en contact avec M. Puric, encore aujourd'hui, n'est-

6 ce pas ?

7 R. On est des voisins, bien sûr.

8 Q. Qu'en est-il de M. Brkic ? Est-ce que vous êtes toujours en contact

9 avec lui ?

10 R. Il m'arrivait de le voir, je le vois encore de temps à autre, parce

11 qu'il habite à Bosanski Novi où je vais de temps en temps en visite, mais

12 on n'était pas ami avant, et il n'y a rien aujourd'hui qui ferait de nous

13 des amis proches.

14 Q. A votre connaissance, est-ce qu'il travaille au MUP de Bosanski Novi ?

15 R. Je pense que oui. Je ne sais pas s'il y travaille encore, mais je sais

16 qu'il y a travaillé même après la guerre.

17 Q. A propos des négociations en 1992, est-ce que M. Brkic et vous, vous

18 vous êtes toujours entendus ou est-ce qu'il vous est arrivé d'avoir de

19 temps en temps un désaccord ?

20 R. Je ne me rappelle pas.

21 Q. Vous dites : "Il n'y a rien aujourd'hui qui pourrait vous rapprocher."

22 Est-ce que vous pourriez vous expliquer ? Je vais répéter ma question,

23 Monsieur Delic.

24 Vous dites qu'il n'y a rien aujourd'hui qui pourrait vous rapprocher, vous

25 et M. Brkic, qu'entendiez-vous par là ?

26 R. Vous m'avez demandé -- et quand j'ai répondu, j'ai dit qu'il m'arrivait

27 de le voir à Bosanska Novi parce que c'est une petite ville et que l'on se

28 rencontrait et on se faisait signe, en passant, mais on n'était pas ni des

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1 parents, ni des amis, c'est cela que je voulais dire.

2 On n'était même pas voisins. Je sais que son frère a fait l'école

3 primaire avec moi, mais lui, il habite à l'autre bout de la ville à Urije.

4 Q. Vous avez parlé d'un voyage en voiture, et que vous étiez dans cette

5 voiture avec un Serbe et que si vous donniez le nom de ce Serbe, cela

6 pourrait lui créer des difficultés. A quel genre de difficultés pensez-

7 vous ?

8 R. Vous voyez, quiconque a vécu cette guerre, a survécu à tout ce qui

9 s'est passé pendant cette guerre, ne sait ce qui va se passer. J'ai accepté

10 de témoigner en audience publique parce que je voulais que l'on sache ce

11 qui s'était passé là-bas et parce que je veux que tout le monde connaisse

12 la vérité. Pour ce qui est de la sécurité qu'on peut avoir à Bosanski Novi,

13 apparemment il n'y a pas de problème, mais il peut toujours y avoir un

14 extrémiste susceptible de créer des problèmes.

15 Q. Vous n'avez pas eu de difficultés à nommer le Serbe qui a permis vos

16 négociations avec M. Pasic. Alors, quelle est la différence entre ce Serbe-

17 là et celui qui vous a, je ne veux pas dire qu'il vous a emmené en voiture,

18 mais qui se trouvait dans la même voiture que vous ?

19 R. M. Drazic, c'est une connaissance, un ami à nous. Il entretenait des

20 relations d'affaires avec ces deux autres personnes, et nous nous

21 fréquentions aussi en dehors du travail. Il était également membre des

22 autorités de Bosanski Novi. Je ne sais pas quelles étaient ses fonctions

23 précises, mais je pense qu'il était chef du service d'administration

24 générale pendant un temps, puis il était président, vice-président du

25 comité exécutif de la municipalité de Bosanski Novi. C'est pour cela que

26 j'ai donné son nom. Je ne sais pas à quoi vous pensiez lorsque vous avez

27 dit que je n'avais pas eu d'état d'âme à donner son nom. Je peux vous

28 donner aussi le nom de celui qui conduisait la voiture, mais si je le fais,

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1 je préfèrerais que ceci soit dans ce prétoire et n'aille pas au-delà de ce

2 prétoire pour éviter des problèmes éventuels.

3 Q. Monsieur Delic, ce n'est pas le nom qui m'intéresse, c'est simplement

4 le fait que vous n'étiez pas prêt à révéler l'identité de cette personne,

5 c'est pour cela que je vous ai posé la question. Je suis tout à fait prêt à

6 passer à autre chose.

7 Parlons du stade.

8 R. Si vous me le permettez, je dirais que c'était un homme qui n'avait pas

9 d'activités politiques et son nom n'a aucune importante.

10 Q. Je suis tout à fait d'accord.

11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Me Josse va passer à un sujet différent,

12 Monsieur Delic.

13 Poursuivez, Maître Josse.

14 M. JOSSE : [interprétation]

15 Q. Le stade de Mlakve, M. le Juge Hanoteau vous a posé quelques questions

16 à ce propos, il a utilisé une expression qui était "enfermé." Est-ce que

17 c'est de cette façon que vous qualifieriez votre séjour au stade ? Est-ce

18 que vous y avez été enfermé ?

19 R. Le stade était entouré de gardes, de soldats. Des soldats étaient tout

20 prêts de la clôture métallique.

21 Sur un périmètre plus large autour du stade, il y avait des soldats.

22 Je le sais parce que la nuit, il m'était possible de voir leurs cigarettes

23 allumées, et pendant la journée, ils étaient là.

24 Aussi, dans les gradins, on voyait des soldats qui montaient la garde.

25 L'avocat qui travaillait dans la même entreprise que moi, il portait un

26 uniforme et il montait la garde. Il s'appelait Milos. Nous avons échangé

27 quelques mots, et il m'a dit qu'il s'agissait d'une unité venant de

28 Vodicevo, qu'ils étaient-là, bien sûr, ce jour-là, mais qu'il y avait une

Page 26399

1 relève. Ils étaient remplacés par d'autres groupes, mais étaient là pour

2 nous surveiller. C'est pour cela que j'ai parlé du fait d'être enfermé.

3 Q. Vous avez décrit plusieurs personnes qui, au fond, auraient accepté

4 d'être incarcérées au stade, sans doute parce qu'elles n'avaient pas le

5 choix ou que c'était la meilleure solution. Est-ce que je vous ai bien

6 compris ?

7 R. Les gens avaient peur de rester à l'intérieur des maisons. Je vous l'ai

8 dit plusieurs fois, car la nuit, cette terrible camionnette rouge

9 s'arrêtait, et l'homme qui se trouvait dans une maison donnée était emmené

10 dans cette camionnette. C'est pour cela qu'on se sentait plus en sécurité

11 si on n'était pas seuls. On s'était dit qu'on était plus en sécurité si on

12 était quelque part ensemble que chez soi tout seul. Au moins de cette

13 façon, il y avait des gens qui sauraient qu'on m'avait emmené.

14 Q. Mais alors, pourquoi avoir accepté d'être libéré ? Est-ce que vous

15 n'aviez pas le choix ? Est-ce que vous deviez quitter ce stade lorsqu'on

16 vous en a relâché ?

17 R. Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ?

18 Q. Ce que j'essaie de voir avec vous, c'est ceci : certains, certains

19 hommes, sont venus au stade de leur plein gré, et ont accepté d'y être

20 détenus parce que c'était la pire -- ou plutôt, la meilleure des options

21 qui leur était possible.

22 R. Vous voyez, si quelqu'un m'emmène à la pointe du fusil au stade, pour

23 me dire après un certain temps que je dois rentrer chez moi, qu'est-ce que

24 je vais lui dire ? Je vais lui dire non, je veux rester ici ? Je ne sais

25 pas trop ce que vous voulez dire, vous savez.

26 Q. Ce n'est pas une question vous concernant. Vous avez dit qu'on vous

27 avait emmené de force et que vous avez été détenu. Nous sommes d'accord,

28 n'est-ce pas ?

Page 26400

1 R. Oui.

2 Q. Mais il y en a d'autres qui sont allés de leur plein gré, sans y être

3 obligés.

4 R. Oui, mais c'était un nombre infime de personnes, et c'étaient des gens

5 qui avaient compris que tout ou la majorité des Musulmans avaient été

6 emmenés au stade, et ces gens-là avaient peur de rester seuls chez eux.

7 Q. Votre arme vous avait été confisquée au moment de votre détention ?

8 R. Oui.

9 Q. Vous avez expliqué pourquoi vous aviez ce revolver, et que vous aviez

10 un permis de port d'armes en bonne et due forme ?

11 R. Oui.

12 Q. Est-ce que savez si au sein de la communauté bosnienne on avait essayé

13 de se procurer des armes dans l'éventualité d'un conflit armé ?

14 R. J'ai déclaré que je ne faisais pas partie de la vie politique, que je

15 n'avais pas à ce moment-là d'activités politiques, pas plus qu'aujourd'hui

16 d'ailleurs.

17 A ma connaissance, il n'y avait pas d'armes à Bosanski Novi. Cette

18 période, qui se caractérise par cette psychose de la guerre à Bosanski

19 Novi, a commencé avec les événements qui sont survenus en Slovénie, qui ont

20 été suivis des événements en Croatie, pour finir par les événements en

21 Bosnie même.

22 Q. Alors votre réponse --

23 R. Et j'ai déclaré que le 11, des dizaines de noms ont été cités à la

24 radio. C'étaient les noms des personnes qui avaient une ou des armes. On a

25 même donné les numéros de série de ces armes, de ces fusils. Ce n'était

26 qu'une partie de tous ces scénarios qui consistaient à rechercher les armes

27 et les extrémistes.

28 Q. Parlons de l'école. Vous pouviez librement aller à l'école ?

Page 26401

1 R. Oui, elle est à 20 ou 30 mètres de chez moi. Lorsque les habitants de

2 Prekosanje et d'Urije ont commencé à arriver, en tête de convoi il y avait

3 un véhicule blindé de combat bleu. Autour, il y avait des soldats armés et

4 des policiers en tenues bleues, et aussi certains avec un uniforme de

5 camouflage militaire. Quant aux gens, ils portaient des draps blancs pour

6 montrer qu'ils se rendaient.

7 Q. Est-ce que c'est une école élémentaire, cette école ?

8 R. Non. C'est l'école Djuro Radmanovic. C'est un groupe scolaire.

9 Q. Parlons du départ, plus précisément le jour de ce départ le 23 juillet,

10 et du rôle qu'a joué M. Pasic ? Est-il vrai de dire qu'il était en tête de

11 convoi ?

12 R. Le 23 juillet, non, je ne pense pas qu'il était à l'avant du convoi.

13 Par contre, le 16, il était en tête de convoi, et il y est resté tout le

14 temps.

15 Q. Merci d'avoir apporté cette correction. Quel a été le rôle qu'il a joué

16 le 16 en tête de convoi ?

17 R. Lui aussi, il essayait de négocier avec des représentants de la

18 communauté internationale afin de permettre l'entrée du convoi en

19 République de Croatie et pour permettre aussi le retour des véhicules.

20 Q. Ce jour-là, est-ce que vous, personnellement, vous avez essayé de

21 convaincre les représentants de la communauté internationale - j'essaie

22 d'être le plus neutre possible dans la formulation de ma question - pour

23 les convaincre, disais-je, que la meilleure solution qui s'offrait à votre

24 communauté, c'était de partir à ce moment-là ?

25 R. Personnellement, non. C'est Puric qui était là tout seul. Il était avec

26 Pasic qui était en tête de convoi. Je pense que Drazic était là aussi.

27 Q. Je vais vous poser une question à propos de cette négociation sur le

28 pont. Quelle était l'attitude du représentant de la communauté

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1 internationale, la personne que l'on voit sur la photographie, le barbu ?

2 Quelle était son opinion et quelle était son attitude par rapport au départ

3 de toutes ces personnes de votre communauté ?

4 R. Il était totalement opposé à notre départ. Il nous disait qu'on allait

5 vers un abîme, qu'on ne devrait absolument pas partir, qu'il n'avait pas le

6 mandat nécessaire pour nous sortir de là, que ceci était un nettoyage

7 ethnique, que le HCR n'était pas d'accord avec ce type d'actions, qu'il

8 était là uniquement pour nous donner de l'aide humanitaire.

9 Il nous a dit qu'il allait contacter Zagreb pour évaluer si on

10 donnait quand même passage ou non au convoi, mais qu'en aucune circonstance

11 ceci serait fait sous l'égide de la communauté internationale. Là, il a

12 essayé de nous rassurer, il a rassuré aussi le maire. Il disait que la

13 situation allait s'arranger, qu'on devrait rester en ville.

14 Q. Quelle a été la position prise par M. Pasic ?

15 R. Il voulait qu'on parte.

16 Q. A-t-il donné les raisons de cela au négociateur international ? Lui en

17 a-t-il fait part ?

18 R. Je ne sais pas exactement comment il a présenté la chose, ou s'il a

19 d'ailleurs dit quoi que ce soit. Il n'avait pas vraiment besoin de le dire

20 d'ailleurs; cela se voyait, c'était évident.

21 Il me semble qu'au cours de cette négociation, il a dit que la

22 communauté internationale devait rendre notre départ possible, qu'ils ne

23 devaient pas nous empêcher de partir, qu'il fallait qu'on parte.

24 Q. Vous a-t-il expliqué pourquoi il n'était pas en mesure d'assurer la

25 sécurité de votre communauté ethnique ?

26 R. Non. Il n'avait pas besoin de le dire.

27 Q. Pourquoi n'avait-il pas besoin de le dire ?

28 R. C'est comme en mathématiques, quand il y a des choses que l'on sait,

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1 parfois, on n'a pas besoin de faire une grande démonstration. Les choses

2 sont déjà sues. Je vous ai déjà expliqué à quoi ressemblait la situation

3 dans notre ville.

4 Si je suis dans une situation où il faut que j'enterre mon oncle, mon

5 oncle qui a reçu dix balles dans le corps alors qu'il était juste directeur

6 d'une maternelle, sans même pouvoir faire en sorte qu'il y ait un service

7 religieux lors de son enterrement, enfin cela montre bien quelle est la

8 situation en ville. Je pense que ce que je vous ai dit auparavant l'a

9 montré très clairement. Peut-être que j'ai omis certaines choses.

10 Q. Monsieur Delic, nous ne contestons absolument pas que la situation des

11 Musulmans dans votre municipalité, dans votre ville, en juin et juillet

12 1992, était intenable. La question que je vous pose est la suivante; je

13 voudrais savoir si les autorités municipales étaient en mesure de faire

14 quoi que ce soit pour vous aider, et tout particulièrement, si M. Pasic

15 était en mesure de maîtriser les unités de police et les unités militaires

16 renégates - je voudrais que vous répondiez aux Juges à ce niveau. Voilà la

17 question que je vous demande : je vous demande si au cours des négociations

18 M. Pasic, il n'y a pas été demandé au cours de ces négociations : "Pourquoi

19 est-ce que vous, en tant que maire de cette municipalité, ne pouvez-vous

20 rien faire pour protéger ces Musulmans ?

21 M. HARMON : [interprétation] Je suis désolé, mais je veux soulevez un

22 objection à la question. C'est une question composée, et qui je pense prend

23 en compte des faits qui ne se sont pas encore avérés en ce moment. Il

24 faudrait plutôt reformuler la question sous la forme de série de questions.

25 M. JOSSE : [interprétation] Oui, en effet, il y a plus d'une question, j'en

26 suis d'accord. Je vais reformuler ma question.

27 Q. Pourquoi n'avez-vous pas dit à M. Pasic au cours de la négociation :

28 "Ecoutez, vous le maire de cette ville. Faites quelque chose pour garantir

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1 notre sécurité ?"

2 R. Que voulez-vous que je vous dise, que M. Pasic maîtrisait la situation

3 et tout ceci faisait partie d'un appareil d'Etat. Il ne s'agissait pas

4 d'unités renégates, de forces de police renégates ou d'armées ou de

5 militaires renégats, pas du tout. Il y avait une cellule de Crise qui était

6 bel et bien en place. Il y avait une situation de guerre et pas uniquement

7 en juin et juillet 1992, mais depuis 1991, les gens étaient envoyés sur le

8 front en Croatie, à Lipik, et ce, de façon fort organisée. Ils étaient

9 envoyés dans les autocars de la Kosera Prevoz, l'entreprise où j'ai

10 travaillé. J'étais directeur technique. J'avais ce poste, et pourtant, ce

11 n'était pas moi qui a organisé le convoi de bus. C'était M. Pasic qui ne

12 voulait pas protéger les Musulmans et les Croates.

13 En tout cas, s'il avait voulu le faire, il aurait dû s'y prendre bien plus

14 tôt et pas le 11 ou le 20 au cours des négociations éventuelles. Ces

15 négociations ne portaient que sur notre survie, rien de plus.

16 Je vous ai dit d'ailleurs que c'était au cours d'une manche de ces

17 négociations, il me semble que c'était dans le bureau de

18 M. Pasic, nous avons suggéré que les équipes qui contrôlaient les points de

19 contrôle devraient être mixtes, avec plusieurs personnes appartenant à

20 différents groupes ethniques, histoire d'apaiser un peu les choses. Il a

21 dit : Non. Il a tout simplement dit : Non. Et il n'y a plus possibilité

22 d'en discuter.

23 Q. Très bien. Je vais en revenir à mon autre question. Je m'attendais

24 d'ailleurs à votre réponse. Pourquoi ne l'avez-vous pas dit au négociateur

25 international, en s'adressant à lui : "Ecoutez, regardez ici, il y a le

26 maire de la municipalité. Ne devrait-il pas faire quelque chose pour

27 assurer notre sécurité ?"

28 R. Je crois -- enfin, je ne crois pas, je sais pour sûr que la communauté

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1 internationale avait eu des discussions séparées hors de notre présence

2 avec M. Pasic. Elle lui avait demandé qu'il garantisse notre sécurité.

3 Q. Voici ce qu'il dit, Monsieur Delic, il nous dit que la situation

4 s'était envenimée et n'était plus contrôlable, en tout cas, qu'il ne

5 pouvait plus la contrôler et qu'il y avait énormément d'éléments qui

6 n'étaient plus sous son contrôle dans la police et dans l'armée, que c'est

7 pour cela qu'il ne pouvait plus garantir votre sécurité.

8 R. C'est ce qu'il dit.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] M. le Juge Hanoteau aimerait poser une

10 question.

11 M. LE JUGE HANOTEAU : Je veux simplement avoir la précision suivante.

12 Vous nous avez expliqué que la commune n'était pas une commune si

13 grande, qu'on ne se connaissait pas les uns les autres; c'est bien cela ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je peux même vous dire, ce que vous dites

15 est vrai, mais en 1989, M. Pasic, en tant qu'avocat, est venu pour un

16 entretien d'embauche dans mon entreprise. On devait le recruter en tant

17 qu'avocat, donc juriste. On l'a d'ailleurs recruté, mais il a démissionné

18 quelques jours plus tard. Il est parti à Krajina Promet, l'entreprise

19 commerciale où il a travaillé comme juriste. Cela montre bien qu'on se

20 connaissait tous, on savait tout ce qui se passait partout, on se

21 connaissait.

22 M. LE JUGE HANOTEAU : Ma question est alors la suivante : est-ce que dans

23 ces événements violents, est-ce que vous avez reconnu parmi les militaires

24 qui étaient aux "check-points" ou qui contrôlaient votre rue, des habitants

25 serbes de votre commune qui s'étaient en quelque sorte transformés en

26 militaires, en forces armées ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je vous ai dit que les gens avaient été

28 mobilisés en 1991. On leur avait donné différentes missions, différentes

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1 affectations, à Lipik ou ailleurs, missions qu'ils devaient exécuter. Comme

2 j'ai dit précédemment, Stole Skondric, qui était un commerçant, il était le

3 commandant de la ville. Mladen Krnjajic, qui travaillait aussi pour une

4 entreprise, était en uniforme. Puis après, les gens ont dit qu'il était

5 toujours avec M. Skondric, qui était le commandant de la ville. Il y en

6 avait d'autres, beaucoup d'autres. Mladen Krnjajic, c'est la personne dont

7 je parlais.

8 M. LE JUGE HANOTEAU : Je vous remercie, Monsieur.

9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez continuer.

10 M. JOSSE : [interprétation]

11 Q. Avez-vous déjà parlé à M. Pasic après les événements que vous nous avez

12 relatés ?

13 R. Vous voulez dire pendant la guerre ou après la guerre ?

14 Q. Après la guerre.

15 R. Oui. Je l'ai revu à l'hôtel Bosna à Banja Luka en mai. J'y étais dans

16 le cadre d'un séminaire de BTP [phon] organisé par la Republika Srpska. Je

17 représentais mon entreprise de Bihac, et je l'ai vu à l'hôtel là-bas.

18 Q. Vous lui avez parlé, vous vous êtes entretenu avec lui ou vous n'avez

19 pas voulu lui parler ou vous l'avez ignoré ? Ou il vous a ignoré ? Que

20 s'est-il passé ?

21 R. C'était la soirée, il y avait de la musique. Je suis passé près de sa

22 table où il était assis avec un groupe de personnes. Quand il m'a vu, il

23 s'est levé, il m'a tendu la main, on s'est serré la main. Je lui ai demandé

24 comment il allait. Il m'a dit qu'il travaillait pour l'agence pour l'emploi

25 de Prijedor. J'ai répondu en lui disant que je travaillais à Bihac. Puis

26 voilà, c'était tout.

27 Q. Très bien. J'ai encore quelques questions.

28 A votre connaissance - et là nous revenons en 1992 - donc, à votre

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1 connaissance, est-ce que le HCR a eu des réunions, enfin des entretiens

2 privés avec des familles musulmanes en juillet, juste avant les départs ?

3 R. Je ne sais pas. Je n'en sais rien.

4 Q. Mais c'est une possibilité. Vous le dites quand même que cela se

5 pourrait, mais vous n'en savez rien ?

6 R. Pourquoi pas ?

7 Q. Maintenant, si je puis, j'aimerais vous montrer un document. Il s'agit

8 de la pièce D117, MFI. L'Huissier va mettre un exemplaire sur le

9 rétroprojecteur, et j'ai un autre exemplaire papier qui pourra être lu par

10 le témoin.

11 Ce document est dans nos deux langues et semble traiter d'un départ en

12 octobre 1992 de 1 560 personnes venant de Bosanski Novi et qui sont

13 transférées à Karlovac sous l'égide du comité international de la Croix-

14 Rouge. En avez-vous la moindre connaissance ?

15 R. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. Je n'ai pas de

16 connaissance bien précise là-dessus, mais je sais que Karlovac, Gradiska et

17 Sisak étaient certaines des destinations qui ont été choisies par les

18 personnes qui sont parties. Parfois, c'était choisi en groupes, parfois,

19 c'était choisi individuellement. Enfin, je n'en sais pas grand-chose.

20 Q. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi sur ce document on voit qu'il y a 1

21 560 personnes - 1 560 personnes dont on ne connaît pas l'appartenance

22 ethnique - pourquoi est-ce qu'il y aurait 1 560 personnes qui, en octobre,

23 auraient décidé de partir de Bosanski Novi pour se rendre à Karlovac ?

24 R. Je ne sais pas du tout ce que vous voulez que j'explique. Vous voulez

25 que j'explique pourquoi ils partaient. J'imagine qu'ils partaient à cause

26 de la guerre. Ils voulaient quitter toutes ces pressions auxquelles ils

27 étaient soumis. Je ne suis pas sûr qu'ils étaient tous de Bosanski Novi,

28 certainement pas d'ailleurs. Parce qu'il n'y avait pas tant de personnes à

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1 Bosanski Novi. Enfin, je parle des Musulmans et des Croates. Donc, cela ne

2 pourrait pas être d'eux qu'il s'agit.

3 Néanmoins, au fur et à mesure que la guerre a continué beaucoup de choses

4 sont arrivées dans la ville. Des incendies de maisons, des pressions

5 exercées sur différentes personnes pour qu'ils partent. Puis, les

6 conditions de vie étaient épouvantables. Un de mes oncles est resté à

7 Bosanski Novi avec sa femme et ses enfants. Ils ont essayé de le faire

8 quitter la ville pour qu'ils puissent se regrouper ailleurs. Je ne sais

9 plus très bien quand d'ailleurs. Mais je me souviens qu'en 1992, ils sont

10 enfin arrivés, mais le jour après qu'ils aient quitté leur maison, leur

11 maison a été incendiée.

12 Q. Vous nous dites quand même qu'un nombre assez important de Musulmans

13 est resté dans la municipalité après le 23 juillet, après les départs

14 massifs du 23 juillet ?

15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Josse, le témoin a dit la chose

16 suivante - et je vais lire ce qu'il nous a dit - il a dit : Comment

17 pourrait-il expliquer pourquoi il y avait des personnes qui étaient parties

18 en octobre. Il a répondu et je cite : "Je ne suis pas sûr qu'ils étaient

19 tous de Bosanski Novi. Certainement pas, parce qu'il n'y avait plus

20 tellement de personnes à Bosanski Novi surtout de Musulmans et de Croates.

21 Donc, cela n'aurait pas pu être ces personnes."

22 Je pense que vous avez eu votre réponse à votre question, et maintenant,

23 vous lui demandez quelque chose qui n'a absolument rien à voir.

24 Parce que maintenant, vous êtes en train de lui demander s'il s'accorde

25 pour dire qu'un nombre assez important de Musulmans était resté dans la

26 municipalité après le 23 juillet. Il faudrait être plus précis. Il vous a

27 dit à la ligne 15 640 [comme interprété] que cela ne pouvait pas être, il

28 ne pouvait pas y avoir autant de personnes qui aient quitté la ville, qui

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1 venaient de cette ville-là, puisqu'il n'y avait plus autant, il n'en

2 restait plus assez.

3 Il faut que vous reformuliez votre question ou alors que vous passiez à

4 autre chose.

5 M. JOSSE : [interprétation] Je vais plutôt la reformuler.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

7 M. JOSSE : [interprétation]

8 Q. Vous nous confirmez bel et bien qu'il n'y avait pas 1 560 Bosniens à

9 Bosanski Novi le 24 juillet; c'est bien cela ? Il y en avait tout

10 simplement plus autant ?

11 R. Oui, tout à fait. Je pense que c'est la vérité.

12 Q. Quand on se penche sur ce document, donc les deux signatures qui y sont

13 portées, Cedomir Aleksic et François Bellon, est-ce que cela vous dit quoi

14 que ce soit, ces deux noms ?

15 R. Je n'ai jamais entendu ces noms.

16 M. JOSSE : [interprétation] Pourriez-vous, s'il vous plaît, m'accorder une

17 petite seconde ?

18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Prenez votre temps.

19 [Le Conseil de la Défense et l'Accusé se concertent]

20 M. JOSSE : [interprétation] Merci, Monsieur Delic. Je n'ai plus de

21 questions à vous poser.

22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Josse.

23 Monsieur Harmon, voulez-vous poser des questions supplémentaires ?

24 M. HARMON : [interprétation] Pas du tout.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Etant donné que les Juges non

26 plus n'ont pu de questions, Monsieur Delic, cela signifie que votre

27 témoignage est terminé.

28 Avant de vous remercier d'être venu ici à La Haye, surtout avec un préavis

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1 aussi court, et d'avoir répondu à toutes les questions, je tiens à vérifier

2 auprès des parties s'il y a le moindre problème à propos de l'authenticité

3 des documents qui ont été fournis par

4 M. Delic afin que je puisse lui retourner les originaux ?

5 M. JOSSE : [interprétation] Nous ne soulevons aucune objection à propos de

6 l'authenticité de ces documents.

7 M. HARMON : [interprétation] Non plus.

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On peut donc utiliser les photocopies

9 que nous avons faites aujourd'hui pour traiter d'éventuels conflits qui

10 pourraient survenir à l'étude de ces documents.

11 M. JOSSE : [interprétation] Absolument. Je suis un peu hésitant, parce que

12 je ne suis pas absolument certain qu'il faille les verser au dossier. C'est

13 tout.

14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Non, mais je veux juste être sûr que si

15 plus tard il y a des disputes à propos de ces documents, il ne faut pas

16 qu'on exige d'avoir les originaux. C'est tout.

17 M. JOSSE : [interprétation] Dans ce cas-là, nous sommes tout à fait

18 d'accord avec vous.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.

20 Nous avons déjà établi le fait que la vidéo qui n'est, bien sûr, pas un

21 original, a été copiée par ce Tribunal, donc nous n'avons pas besoin de

22 conserver d'exemplaire de M. Delic, nous pouvons lui restituer.

23 M. JOSSE : [interprétation] Je suis d'accord.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] L'Accusation est d'accord aussi.

25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier, s'il vous plaît,

26 pourriez-vous rendre à M. Delic ses originaux à la fois sa vidéo et son

27 document ?

28 Monsieur Delic, je tiens encore à vous remercier d'être venu à La Haye,

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1 d'avoir répondu aux questions des parties, de nous avoir fourni ces

2 documents, cette vidéo que vous avez emmenés avec vous.

3 Je vous souhaite un bon voyage pour rentrer chez vous.

4 Monsieur l'Huissier, pourriez-vous, s'il vous plaît, escorter le témoin

5 hors du prétoire ?

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie.

7 [Le témoin se retire]

8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je tiens à remercier les parties de nous

9 avoir accordé un temps supplémentaire.

10 Je tiens aussi à remercier les interprètes, les techniciens et les gardes

11 pour nous avoir permis de poursuivre l'audience cet après-midi. Ainsi, M.

12 Delic a pu terminer sa déposition aujourd'hui.

13 Nous allons maintenant lever la séance et nous reprendrons demain à 9

14 heures du matin dans la salle d'audience II.

15 --- L'audience est levée à 15 heures 31 et reprendra le mercredi 28 juin

16 2006, à 9 heures 00.

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