Page 169
2 [Audience d'appel]
3 [Audience publique]
4 [L'appelant est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 8 heures 33.
6 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bonjour à tous. Madame la Greffière,
7 puis-je vous demander de citer l'affaire, s'il vous plaît.
8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour à tous et toutes les personnes
9 présentes dans le prétoire. Il s'agit de l'affaire
10 IT-00-39-A, le Procureur contre Momcilo Krajisnik.
11 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Puis-je demander à M.
12 Krajisnik s'il m'entend et s'il peut suivre la procédure et la traduction
13 de mes propos.
14 M. KRAJISNIK : [interprétation] Oui. Je vous remercie, Monsieur le
15 Président.
16 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vais demander la présentation des
17 parties maintenant, s'il vous plaît. Le Procureur.
18 M. KREMER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président et membres de
19 la Chambre. Peter Kremer accompagné de Barbara Goy, Katharina Margetts et
20 Mme Calicia, notre assistante juridique qui va être présente ce matin et
21 cet après-midi. Merci.
22 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Le conseil de M. Krajisnik.
23 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Alan Dershowitz.
24 M. LE JUGE POCAR : [aucune interprétation]
25 M. NICHOLLS : [interprétation] Colin Nicholls assisté de M. John Jones.
26 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Il s'agit de l'audience consacrée à
27 l'appel dans l'affaire le Procureur contre Momcilo Krajisnik. D'emblée, je
28 vais résumer l'appel qui nous intéresse ici en instance devant la Chambre
Page 170
1 d'appel et la façon dont nous allons procéder aujourd'hui.
2 L'appel traite de crimes qui ont été commis dans 35 municipalités dans le
3 République serbe de Bosnie entre le 1er juillet 1991 et le 30 décembre
4 1992, et le rôle allégué et joué dans ces événements par Momcilo Krajisnik
5 qui occupait plusieurs postes de haut rang au sein du comité central du SDS
6 et qui était président de la l'assemblée serbe de Bosnie.
7 Momcilo Krajinik et l'Accusation ont tous deux fait appel du jugement rendu
8 en première instance le 27 septembre 2006 par la première Chambre de
9 première instance composée par les Juges Alphonse Orie, président, et les
10 Juges Joaquin Martin Canivell et Claude Hanoteau. De surcroît, un Amicus
11 Curiae a été nommé le 8 juin 2007 pour assister la Chambre d'appel, qui
12 présente des arguments en faveur de M. Momcilo Krajisnik et qui a déposé un
13 appel contre le jugement en première instance. La Chambre d'appel a
14 constaté que M. Momcilo Krajisnik a été déclaré coupable en vertu de
15 l'article 7(1) du statut de persécution en tant que crime contre
16 l'humanité, chef 4 [comme interprété]; extermination en tant que crime
17 contre l'humanité, chef 4; assassinat, un crime contre l'humanité; chef 7,
18 déportation, un crime contre l'humanité; chef 8, actes inhumains, transfert
19 forcé en tant que crime contre l'humanité, chef 8.
20 Il a constaté qu'il n'était pas coupable du crime de génocide, au chef 1;
21 complicité dans le génocide, chef 6; meurtre en tant que violation des lois
22 ou coutumes de la guerre. La Chambre de première instance a condamné
23 Momcilo Krajisnik à une seule peine de 27 ans d'emprisonnement.
24 La Chambre de première instance, lorsqu'elle a rendu son verdict et a fixé
25 la peine, elle a constaté que M. Momcilo Krajisnik a participé à une
26 entreprise criminelle commune dont l'objectif était de recomposer au plan
27 ethnique les territoires passés sous le contrôle de la République serbe de
28 Bosnie en réduisant de façon drastique une partie de la population
Page 171
1 musulmane de Bosnie et des Croates de Bosnie par la commission de
2 différents crimes. Krajisnik, qui a décidé et qui a été autorisé à assurer
3 sa propre défense en appel dans cette affaire a déposé son acte d'appel le
4 12 février 2007. Le 28 février 2008, la Chambre d'appel a autorisé Momcilo
5 Krajisnik à recueillir les services d'un avocat au nom d'Alan Dershowitz
6 pour préparer un mémoire en appel supplémentaire en son nom sur le sujet de
7 l'entreprise criminelle commune. Ceci a été déposé le 7 avril 2008.
8 L'Accusation a déposé son mémoire en réponse le 12 mars 2008 et a répondu
9 au mémoire complémentaire de M. Dershowitz le 25 avril 2008. Le greffier a
10 reçu la réponse de Momcilo Krajisnik le 16 mai 2008.
11 Je vais maintenant brièvement résumer les motifs d'appel de Momcilo
12 Krajisnik. Dans son appel, Krajisnik prétend que son droit à un procès
13 équitable a été réduit par la Chambre de première instance et le greffe et
14 qu'il n'a pas été représenté par un conseil compétent lors du procès, et
15 que la Chambre de première instance était partiale. Il soulève un certain
16 nombre de questions qui lui permettent de mettre en cause les constatations
17 factuelles de la Chambre de première instance liées en particulier au fait
18 qu'il possédait et abusait de facto de son pouvoir exécutif et de son
19 autorité, et qu'il a été informé des crimes pour lesquels il n'a pas mené
20 d'enquête.
21 Il avance de surcroît que la Chambre de première instance a commis une
22 erreur lorsqu'elle a constaté que lui était membre d'une entreprise
23 criminelle commune et qu'il a soutenu et prônait la commission des crimes
24 contre les Musulmans et les Croates. Il met en cause également le fait que
25 la Chambre de première instance se repose sur certaines dépositions et
26 conclusions sur la création, les objectifs et le fonctionnement des
27 autorités serbes de Bosnie.
28 Le mémoire complémentaire de M. Dershowitz soulève trois motifs d'appel
Page 172
1 arguant du fait que l'entreprise criminelle commune n'est pas une thèse
2 légitime de responsabilité, que la Chambre de première instance a commis
3 une erreur lorsqu'elle n'a pas demandé à ce que soit prouvé la contribution
4 substantielle de Krajisnik à l'entreprise criminelle commune, et cette
5 entreprise criminelle commune telle qu'appliquée à Krajisnik constitue une
6 thèse incohérente et inconsistante de responsabilité.
7 Je vais maintenant aborder l'appel de l'Accusation. L'Accusation a déposé
8 son acte d'appel le 26 octobre 2006 dans son mémoire en appel le 27
9 novembre 2006. Krajisnik et l'Amicus Curiae ont répondu tous deux le 12
10 février 2007. L'Accusation a répondu à la réponse de Krajisnik le 27
11 février 2007 et la réponse de l'Amicus Curiae a été déposée le 22 février
12 2007.
13 L'Accusation soulève un seul motif d'appel arguant du fait que la Chambre
14 de première instance a abusé de son pouvoir, de ses pouvoirs
15 discrétionnaires, en imposant une peine qui est manifestement inappropriée.
16 Il demande à ce que la peine d'origine soit remplacée par une peine
17 d'emprisonnement à vie.
18 Pour finir, je vais résumer brièvement les motifs d'appel de l'Amicus
19 Curiae. L'Amicus Curiae a déposé un acte d'appel le 8 juin 2007 et un
20 mémoire en appel le 31 août 2007. L'Accusation a répondu le 14 septembre
21 2007 et l'Amicus Curiae a répliqué le 26 septembre 2007.
22 L'Amicus Curiae a soulevé les motifs d'appel suivants. Je vais énumérer la
23 liste de ces derniers. Krajisnik n'a pas eu droit à un procès équitable, la
24 Chambre de première instance n'a pas fourni d'opinion motivée. Les
25 conclusions de la Chambre de première instance sur l'entreprise criminelle
26 commune étaient erronées en droit et en fait. La Chambre de première
27 instance a commis une erreur de droit et de fait dans ses conclusions sur
28 les crimes d'expulsion et de transfert forcé. La Chambre de première
Page 173
1 instance a commis une erreur lorsqu'elle avait évalué la position
2 hiérarchique occupée par Momcilo Krajisnik. La Chambre de première instance
3 a commis une erreur de fait lorsqu'elle a conclu que Momcilo Krajisnik
4 possédait l'élément moral, le mens rea requis pour être condamné. La
5 Chambre de première instance a commis une erreur de droit en permettant
6 l'Accusation d'enfreindre l'article 90(h)(2)(i) avec impunité. La Chambre
7 de première instance a mal évalué les éléments de preuve présentés par
8 Momcilo Krajisnik et estime que ceci est tout à fait déraisonnable. La
9 Chambre de première instance a déclaré des déclarations de culpabilité, ce
10 qui est tout à fait impermissible [phon]. La peine de 27 ans imposée par la
11 Chambre de première instance est excessive et disproportionnée.
12 Pendant cette audience consacrée à l'appel, les parties ont le droit de
13 faire valoir leurs motifs d'appel, et dans l'ordre qu'ils jugent le plus
14 juste. Je demande néanmoins aux parties de ne pas répéter simplement
15 littéralement ce qui est déjà contenu dans les mémoires en appel, étant
16 donné que les Juges de la Chambre sont tout à fait au parfum et connaissent
17 la teneur de ces mémoires en appel. Je souhaite également noter que lors de
18 l'ordonnance consacrée au calendrier le 18 juin 2008, la Chambre d'appel a
19 demandé à l'Accusation d'aborder des questions bien précises qui ne doivent
20 pas être répétées ici. Je souhaite insister là-dessus sans pour autant que
21 ceci porte préjudice à toute autre question que les parties souhaitent
22 soulever pendant cette audience en appel et qu'il ne constitue en rien une
23 opinion sur le fond de cette audience en appel.
24 Je souhaite rappeler maintenant quels sont les critères qui s'appliquent
25 aux erreurs de droit ou de fait pendant l'appel. L'appel ne constitue pas
26 un procès à nouveau et les appelants ne doivent pas simplement répéter les
27 différents éléments soulevés déjà pendant le procès. Au regard de l'article
28 25 du Statut, les appelants doivent limiter les arguments aux erreurs
Page 174
1 alléguées de droit qui annulent la décision ou des erreurs alléguées de
2 fait qui peuvent occasionner ou donner lieu à une erreur judiciaire. De
3 surcroît, il faut rappeler que les appelants ont l'obligation de fournir
4 des références très précises aux différents éléments qu'ils font valoir au
5 cours de leurs arguments en appel.
6 Cette audience va se poursuivre conformément à l'ordonnance portant
7 calendrier déposée le 18 juillet 2008. M. Krajisnik et M. Dershowitz vont
8 présenter leurs arguments ce matin pendant une heure et 30 minutes, ensuite
9 il y aura une pause de 15 minutes. Ils vont présenter leurs arguments
10 pendant 30 minutes supplémentaires, après quoi l'Accusation va présenter sa
11 réponse. Ceci va durer une heure, et après une pause de 15 minutes,
12 poursuivra pendant une heure. M. Krajisnik ensuite répondra pendant 30
13 minutes. Ensuite, nous passerons à la pause de déjeuner et à l'après-midi
14 nous poursuivrons d'après le calendrier qui est fixé. Je ne vais pas entrer
15 dans le détail de ceci maintenant -- confère l'ordonnance portant
16 calendrier.
17 Il serait très utile aux Juges de la Chambre d'appel si les parties
18 pouvaient présenter leurs arguments de façon précise et claire. Je souhaite
19 rappeler aux parties que les Juges sont autorisés à les interrompre à tout
20 moment pour poser des questions ou peut-être qu'ils préféreront poser des
21 questions aux parties après la présentation des arguments de ces derniers.
22 Cela étant dit, je souhaite maintenant que nous passions à huis clos
23 partiel pendant quelques instants, s'il vous plaît.
24 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, nous
25 sommes actuellement en huis clos partiel.
26 [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité levée par une ordonnance de la Chambre]
27 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci. Je souhaite déclarer que vu de
28 la décision prise hier et relative à l'article 115 du Règlement de
Page 175
1 procédure et de preuve, et compte tenu de l'admission des déclarations de
2 George Mano et Stefan Karganovic, toute référence à ces déclarations ou
3 toute question relative à ces dernières de la part des appelants sera
4 entendue à huis clos partiel lors de l'audience d'aujourd'hui. Ces
5 documents sont confidentiels. Par conséquent, toute référence à ces
6 documents doit se faire à huis clos partiel. Je souhaite rappeler aux
7 parties également qu'à tout moment, les parties ou le conseil, s'ils font
8 allusion à des documents confidentiels, ils doivent nous en avertir et nous
9 dire que ceci sera le cas de façon à pouvoir passer à huis clos partiel.
10 Bien. Maintenant, nous pouvons retourner en audience publique, s'il vous
11 plaît.
12 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, nous
13 sommes à nouveau en audience publique.
14 [Audience publique]
15 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bien. Je viens d'évoquer la façon dont
16 nous allons procéder aujourd'hui. Maintenant, je souhaite demander à
17 l'appelant de présenter ses arguments à l'appui de son appel. Monsieur
18 Krajisnik, s'il vous plaît, maintenant vous avez la parole.
19 M. KRAJISNIK : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Messieurs
20 les Juges, je vous salue comme je salue également toutes les personnes
21 présentes dans ce prétoire.
22 Comme vous le savez, j'ai témoigné devant ce Tribunal pendant 40
23 jours, car avant mon arrivée au quartier pénitentiaire j'étais convaincu de
24 ne pas être coupable et je n'ai jamais remis en question mon intention de
25 m'exposer au contre-interrogatoire dans le cadre de mon témoignage pour
26 répondre à toute question contenue dans l'acte d'accusation.
27 Vous avez reçu un document que j'ai rédigé de mon plein gré. C'est un
28 document en langue anglaise qui comporte, comme je l'indique, des
Page 176
1 références. Je souhaitais en rédigeant ce document vous permettre de
2 comprendre plus facilement la nature de l'affaire, et notamment s'agissant
3 de l'action du Procureur qui s'est montré très correct même si c'est mon
4 adversaire, ça, je dois l'admettre. Donc je loue les qualités du Procureur
5 qui m'a communiqué de très nombreux documents.
6 Je tiens beaucoup à répondre à toutes les questions, car il y a un
7 certain nombre de questions qui ne me reviennent pas spontanément en
8 mémoire, mais en les abordant je suis convaincu que nous ferons la clarté
9 sur toutes les questions qui l'exigent.
10 Je suis donc venu devant ce Tribunal en toute confiance dans la
11 volonté de dire la vérité. Mais malheureusement, la Chambre de première
12 instance n'a pas été convaincue du fait que je disais la vérité, la
13 décision prise par la Chambre sous forme de jugement est donc allée dans un
14 sens contraire.
15 Vous constaterez ici que tout ce que j'ai dit dans ma déposition
16 n'est que renforcé dans mon pourvoir en appel qui me permet de soumettre un
17 certain nombre d'éléments de preuve démontrant que ce que j'ai dit
18 correspond bien à la réalité. J'ai donc au cours du procès obtenu la
19 possibilité d'assurer moi-même ma défense. J'en remercie la Chambre de
20 première instance, même si assurer soi-même sa défense est une tâche
21 considérable. Mais ce faisant, j'ai eu l'occasion que j'ai utilisée de
22 comprendre à fond l'acte d'accusation et d'établir un lien entre les
23 différents événements. Et sur le fond, quand on établit un lien entre
24 différents événements, on découvre une réalité qui est différente de celle
25 qu'elle pouvait sembler être au départ.
26 Vous constaterez que dans mon pourvoir en appel j'ai répondu à toutes
27 les questions qui pouvaient se poser quant à la nécessité d'expliquer
28 pourquoi les choses se sont passées comme elles se sont passées. Bien
Page 177
1 entendu, tous les participants à la présente audience peuvent me poser des
2 questions s'ils le souhaitent, j'aurai grand plaisir à y répondre.
3 J'ai été mis en accusation pour des faits particulièrement graves.
4 Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, j'ai encore eu à
5 l'instant un mal considérable à entendre l'exposé des faits qui me sont
6 reprochés, car en Bosnie des choses très graves ont été faites. Depuis le
7 début - et j'insiste pour le dire - depuis le début de mon engagement
8 politique je n'ai eu qu'une volonté, c'est-à-dire préserver la paix en
9 Bosnie-Herzégovine et parvenir à des solutions acceptables à la crise.
10 Puisque vous m'avez donné la parole, j'indiquerai que je ne me
11 consacrerai pas exclusivement à parler des motifs de mon pourvoir en appel,
12 mais ce sur quoi j'aimerais insister ce sont tous les éléments qui
13 démontrent que je n'ai jamais pu participer ou être membre d'une entreprise
14 criminelle commune. En janvier 1992, nous avons eu une séance de
15 l'assemblée de Bosnie-Herzégovine dont j'étais président et nous avons
16 examiné un programme destiné à voir dans quel sens allait la Bosnie-
17 Herzégovine, car nous étions convaincus que la Yougoslavie de l'époque
18 allait se trouver démantelée. Nous avons estimé qu'il fallait transformer,
19 décentraliser la Bosnie-Herzégovine de façon à ce que la Yougoslavie ait de
20 moins en moins de compétences sur la Bosnie-Herzégovine.
21 J'ai présidé cette séance et j'ai entendu des orateurs se faire
22 applaudir, car j'étais convaincu que les solutions proposées permettraient
23 de maintenir la paix.
24 Toutes les générations qui m'ont précédé ont toujours mis l'accent
25 sur le fait que la Bosnie était une région très particulière. Tout doit
26 être fait pour éviter l'éclatement d'un conflit dans ce pays. Et au moment
27 dont je vous parle nous étions convaincus d'avoir trouvé une solution.
28 Bien, un mois après cette séance de l'assemblée, pour toutes sortes
Page 178
1 de raisons imprévisibles, la partie adverse a présenté une déclaration
2 relative à la souveraineté, c'est-à-dire une solution tout à fait
3 différente, même contraire quant à l'avenir de la Bosnie-Herzégovine, à
4 savoir que la Bosnie se proposait de se séparer de l'ex-Yougoslavie. Ce
5 document constituait un choc pour la partie serbe qui a opposé son veto. Il
6 y avait à cette époque-là la possibilité de faire intervenir un veto dès
7 lors que des questions d'intérêt national étaient en cause. Nous avons donc
8 décidé d'organiser une nouvelle séance de façon à pouvoir discuter. Et un
9 mois plus tard, au moment où la séance en question devait avoir lieu,
10 convocation qui avait été acceptée par les trois parties, bien, une
11 nouvelle déclaration vient de l'interlocuteur qui dit que la déclaration
12 précédente sera adoptée, c'est ainsi que la Bosnie parvient à la
13 régionalisation, régionalisation qui était un droit légitime, mais qui
14 était aussi une réaction à la partie serbe.
15 Et au mois de juillet, nous arrivons à ce que nous avons appelé
16 l'accord historique entre les deux parties principales, Croates et Serbes
17 ainsi que les Musulmans. Les gens étaient heureux dans les rues, ils
18 s'étreignaient. Tout le monde était content, car chacun pensait que la
19 guerre n'allait pas éclater.
20 Regardez bien ce document, le Club 91. Je me suis adressé au
21 Parlement devant tous les habitants de la Bosnie-Herzégovine en disant il
22 n'y aura pas de guerre, nous devons nous tolérer les uns les autres. Nous
23 devons avoir de bons rapports de voisinage. Et mon ancien conseil ici m'a
24 interrogé sur toutes sortes de détails relatifs à cette époque. Mais ce que
25 nous voulions c'était conclure un accord, et cet accord était en
26 préparation et était sur le point d'être accepté.
27 Pour être très franc, je vous dirais que je conçois que les Musulmans
28 aient pu penser que ce n'était pas dans leur intérêt. Ils ont été
Page 179
1 conseillés par certains et ont refusé cet accord au moment même où il
2 devait être annoncé à la télévision. En septembre, une nouvelle réunion du
3 Parlement que je préside, M. Izetbegovic prend une nouvelle fois la parole
4 pour proposer des discussions qui pourraient durer des centaines d'années
5 pourvu qu'elles permettent de préserver la paix. Là encore, nous avons été
6 satisfaits.
7 Ensuite, arrive ce qui est écrit dans l'acte d'accusation. Nous avons
8 dit, je le répète, que nous allions négocier, participer à des pourparlers,
9 discuter très longtemps, très longtemps même si nécessaire, pour peu que
10 cela maintienne la paix. Quelque temps plus tard, nouvelle proposition
11 contraire à nos intentions, nous faisons encore une fois intervenir le veto
12 et c'est à ce moment-là qu'arrive le fameux programme sur la souveraineté
13 et l'indépendance de la part des Musulmans.
14 Qu'est-ce que l'on a dit aux Serbes, on leur a dit, "Le Parti
15 démocratique serbe, le SDS, le plus grand parti représentant de la
16 population serbe n'a pas pour mission de représenter l'ensemble de la
17 population de Bosnie-Herzégovine." Bien, qu'est-ce que nous avons
18 dit ? Nous allons interviewer les Serbes. Nous avons organisé un plébiscite
19 et nous avons donc fait intervenir un droit qui était le nôtre à l'époque
20 de façon à déterminer qui était en faveur de quoi.
21 Les bulletins étaient de couleurs différentes de façon à ce que l'on
22 puisse savoir qui répondait quoi, et ceci a été mal interprété en
23 permettant de parler de malversation au cours de ce référendum. Mais que se
24 passait-il à l'époque ? C'était surtout entre les Serbes et les Musulmans
25 qu'il y avait des contradictions importantes même si les Croates aussi
26 avaient certaines divergences nuancées.
27 En tout cas, le résultat de ce référendum c'est que la population serbe de
28 Bosnie-Herzégovine et une petite partie de la population musulmane et de la
Page 180
1 population croate se sont exprimées en faveur d'un maintien de la Bosnie-
2 Herzégovine au sein de la Yougoslavie.
3 Ensuite - et je rappelle qu'à l'époque les régions prétendaient
4 fonctionner alors qu'elles ne fonctionnaient pas encore réellement, donc
5 nous avons décidé de vérifier le bon fonctionnement de toutes les
6 dispositions en cours au niveau régional. Ces vérifications ont commencé,
7 mais l'exigence de reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine est arrivée à ce
8 moment-là. La communauté internationale ne pouvait pas reconnaître la
9 Bosnie-Herzégovine tant que la constitution n'était pas amendée, mais il ne
10 pouvait pas y avoir amendement de la constitution si les Serbes qui
11 représentaient environ un tiers de la population n'étaient pas d'accord
12 pour cela. C'est à ce moment-là que la présidence de Bosnie-Herzégovine se
13 réunit et qu'elle envoie une proposition de reconnaissance de la
14 souveraineté à Belgrade.
15 J'appelle simplement votre attention sur le fait que la partie serbe a
16 déclaré à l'époque que du côté serbe, puisqu'il n'y avait pas de
17 possibilité de compréhension avec les autres parties, allait se constituer
18 un groupe parlementaire distinct. C'était effectivement le premier devoir
19 qu'avaient les représentants du peuple serbe à l'assemblée.
20 Les députés serbes ayant quitté le gouvernement de Bosnie-
21 Herzégovine, je suis, pour ma part, resté au Parlement. J'ai travaillé
22 jusqu'à la veille de la guerre et je participais aux travaux du Parlement
23 de Bosnie-Herzégovine et aussi du parlement serbe créé par la partie serbe.
24 Parce que mon idée c'était que si moi, je quittais le Parlement de Bosnie-
25 Herzégovine, la guerre allait éclater. C'était peut-être un sentiment
26 psychologique, mais c'était ma conviction.
27 Arrive à ce moment-là le début de l'année 1992, avec une interview de la
28 partie musulmane, qui déclare aller vers l'indépendance, et ce, sans
Page 181
1 accepter la moindre discussion ultérieure à ce sujet. C'est à ce moment-là
2 que se crée la République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine alors que
3 des pourparlers avaient déjà commencé au sujet de la structure de la
4 Bosnie-Herzégovine dans les circonstances de l'époque. Qu'est-ce qui se
5 passe à l'époque ? M. Cutileiro intervient et un accord est proposé.
6 Je me dois de rappeler que lorsque nous avons reçu le texte de cet accord,
7 nous étions tous très heureux. Tout cela a duré jusqu'au 25 mars, moment où
8 la partie musulmane se présente à la conférence sur la Bosnie-Herzégovine
9 en disant : Nous n'avons pas voulu participer aux pourparlers. Nous avons
10 détruit tout le système.
11 Le 27 mars, le Parlement se réunit, la constitution est adoptée et elle est
12 adoptée en tant que partie de la solution pour la Bosnie-Herzégovine.
13 Mais je rappelle que jusqu'au 25 mars, le Parlement fonctionnait toujours,
14 car avec des efforts importants déployés par moi auprès des députés serbes
15 et autres, j'avais réussi à contraindre certains à participer aux séances
16 du Parlement de Bosnie-Herzégovine. Les Serbes avaient accepté
17 l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine qui ne posait absolument plus de
18 problème, qui n'était plus contestée. Mais simplement nous ne voulions pas
19 du côté serbe que quiconque puisse nous imposer sa volonté. Nous ne
20 voulions pas non plus imposer la nôtre à qui que ce soit.
21 Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? Etant donné que la population serbe
22 était la plus nombreuse sur le plan numérique, nous avons éprouvé une
23 certaine crainte d'être réduit à l'état de minorité. Puisqu'il n'y avait
24 pas de Yougoslavie, pour nous, désormais, nous voulions faire partie d'une
25 Bosnie-Herzégovine où des échanges de territoires pourraient éventuellement
26 avoir lieu à l'intérieur du pays sur base d'accord mutuel de façon à ce que
27 l'on puisse constituer une majorité absolue dans une région. C'est à ce
28 moment-là que survient l'incident de Sarajevo où le père d'un jeune marié
Page 182
1 est tué, ensuite de grandes manifestations se déroulent et la guerre
2 éclate.
3 Pendant la guerre, j'ai fait deux choses, plutôt trois, j'ai exercé mes
4 fonctions de président du Parlement et j'ai participé à des négociations,
5 mais je n'ai jamais été membre d'une quelconque présidence. J'ai dit aussi
6 des centaines et des centaines de fois que je n'ai jamais été membre d'une
7 quelconque présidence ni de jure ni de facto. Il n'existe pas un seul
8 document où j'aurais dit, Je soussigné, Momcilo Krajisnik, suis membre
9 d'une quelconque présidence. Je n'ai pas non plus travaillé dans le cadre
10 d'une quelconque présidence. Quand la guerre a éclaté, bien, les obus
11 explosaient dans Sarajevo et en dépit de cela j'ai tout de même rencontré
12 M. Izetbegovic pour essayer de trouver une solution pour la ville de
13 Sarajevo qui occupait une position-clé, qui avait une importance-clé. Il
14 n'y a pas eu d'accord, mais le fait que je sois allé à Zabrdje a ensuite
15 été mal utilisé, mal interprété comme signifiant que je voulais la guerre,
16 non, je n'ai jamais voulu la guerre.
17 J'ai tout fait pour qu'une solution politique soit trouvée et
18 finalement je suis satisfait parce que trois, quatre ou cinq ans plus tard
19 j'ai participé aux pourparlers de Dayton et une solution a tout de même été
20 découverte même si elle ne venait pas de nous, tant pis.
21 Il m'a été dit que j'étais membre d'une entreprise criminelle commune
22 et que j'avais œuvré au maintien du SDS, à la création des structures du
23 SDS ainsi que d'autres organes.
24 Madame, Messieurs, je n'ai pas été candidat à la direction du SDS de
25 Republika Srpska au moment des élections. J'étais simplement candidat en
26 second, au poste de député. Vous avez d'ailleurs des éléments de preuve qui
27 démontrent que j'ai été élu en tant que député et qu'ensuite je suis devenu
28 président du Parlement. Quand la vie politique a commencé en Bosnie-
Page 183
1 Herzégovine. Madame, Messieurs, je n'étais pas membre du conseil exécutif.
2 Je n'ai assisté à aucune réunion préélectorale.
3 Je suis devenu membre du conseil exécutif un an plus tard, au mois de
4 juillet. J'ai bien compté, je n'ai assisté qu'à trois séances du conseil
5 exécutif qui étaient ouvertes aux députés. Mais je n'ai jamais participé à
6 une quelconque autre séance du conseil exécutif du SDS, pas plus qu'à une
7 séance de la commission chargée de recrutement des cadres. Je connaissais
8 l'organisation d'une instance comme celle-là et je savais que mon seul
9 travail pouvait se situer au niveau du Parlement en tant que député. A
10 partir du 12 mai, je n'ai pas non plus participé à une seule réunion de la
11 cellule de Crise sauf au moment où cette cellule a été créée à Ilijas, une
12 fois. Alors, on me dit, "Tu as aidé le SDS." Le SDS avait ses représentants
13 au Parlement, c'est exact, mais le SDS a bloqué son activité pendant la
14 guerre. Je ne mens pas, je ne fais que rappeler des faits.
15 On me dit, "Tu savais qu'un certain nombre de crimes étaient en train
16 d'être commis." Lisez le texte que j'ai écrit dans mon mémoire d'appel. Je
17 ne le savais pas, je n'ai donné aucun ordre, je n'avais pas d'ordre à
18 donner à l'état-major de l'armée de la Republika Srpska. Rien ne m'a été
19 envoyé, pas une seule information, pas un seul rapport ne m'a été envoyé
20 par l'armée. Je l'ai dit lors de ma déposition mais je n'avais pas de
21 documents à l'époque. J'ai tout examiné depuis, il n'y en a pas.
22 On me dit que j'ai été informé par les membres de ce qu'il est convenu
23 d'appeler l'entreprise criminelle commune. Madame, Messieurs, vous avez le
24 document relatif à la conférence de presse, M. Karadzic était présent et
25 Mme Plavsic aussi s'est prononcée publiquement. M. Djeric a dit ici qu'il
26 n'y avait pas de civils concernés. M. Stanisic a déclaré qu'il voulait
27 savoir si dans les prisons il y avait des civils et qu'il avait demandé à
28 être informé. Tous ont dit que M. Momcilo Krajisnik était proche d'eux tant
Page 184
1 que les événements ont modifié la situation.
2 M. Arkan aussi a agi, bien sûr, mais c'étaient des pressions qui étaient
3 exercées sur nous. Je ne suis pas avocat, mais enfin, mes opposants me
4 disent, alors que je ne suis pas d'accord avec M. Arkan, ils disent que
5 j'étais proche de Momcilo Krajisnik et sur cette base, j'aurais été membre
6 d'une entreprise criminelle commune criminelle commune. Non, pas du tout,
7 j'étais opposé à ce qu'ils faisaient. Ensuite, puisqu'on ne peut pas dire
8 que j'ai été membre de l'entreprise, on me dit que j'ai contribué à son
9 action. Mais en tant que dirigeant des équipes de négociations au
10 Parlement, j'intervenais parfois devant un groupe de députés pour les
11 informer de ce qui s'était dit aux pourparlers la veille, dans les
12 rencontres avec M. Izetbegovic. Puis à la lecture de certains procès-
13 verbaux, certaines phrases, une ligne ou deux ont été mal interprétées et
14 on m'impute la volonté d'une Bosnie-Herzégovine divisée.
15 Oui, j'ai parfois une ou deux fois prononcé le mot "division," mais
16 simplement lorsque je rapportais les propos tenus par M. Izetbegovic. Je
17 disais qu'est-ce qu'ils ont dit hier, ils ont proposé la division du pays
18 avec respect d'un certain nombre de principes, géographiques en particulier
19 et autres, et j'indiquais que l'on ne pouvait pas créer un pays divisé si
20 l'on ne décidait pas des lignes de démarcation. D'ailleurs, si le plan
21 Cutileiro avait été adopté, savez-vous combien de morts auraient pu être
22 évités. Moi, mon sort aurait été préférable à ce qu'il est, mais celui de
23 très nombreuses autres personnes également.
24 On m'impute ici - et vous le savez - que j'aurais été informé de la
25 commission des crimes. Lisez les documents qui vous ont été transmis,
26 Bosanski Novi, Petrovac, Kljuic, Prnjavor, sont des municipalités citées au
27 cours du procès, aucune de ces municipalités n'a informé les dirigeants.
28 M. Pasic, M. Radojko et d'autres ont tous dit à la direction, nous
Page 185
1 n'avons pas été informés du départ des Musulmans. La seule chose que je
2 savais c'est que des Serbes quittaient la région, 15 000 Serbes sont
3 arrivés de Sarajevo à Pale, et ils étaient tous contentes parce qu'ils
4 avaient sauvé leur peau. Personne n'a dit que ce n'était pas la vérité.
5 Tout le monde disait, il faut fuir la guerre. Puis quand la paix reviendra,
6 d'ailleurs c'est le cas à la fin de toutes les guerres, tout le monde
7 rentrera chez soi.
8 Moi, au poste que j'occupais, président du Parlement de Bosnie-
9 Herzégovine, j'ai continué à travailler en espérant jour après jour, et
10 chaque jour, qu'une solution serait trouvée, une solution qui mettrait fin
11 aux problèmes comme cela s'est toujours fait au cours des siècles. Mais ici
12 on présente toutes sortes d'arguments, on dit, Krajisnik savait un certain
13 nombre de choses. Mais moi, je vais vous donner un seul exemple.
14 On m'a demandé, "Est-ce que tu savais que Sarajevo a été pilonnée le
15 14 mai ?" J'ai répondu non. On m'a demandé, "Est-ce que tu savais qu'un
16 nouveau pilonnage était prévu pour le 10 juillet ?" J'ai répondu non. On
17 m'a demandé, "Est-ce que tu sais qu'un groupe important de Musulmans est
18 allé à Pale le 14 mai pour participer à un échange ?" J'ai dit non. Et on
19 m'a dit, "Mais tu ne savais rien. Comment est-ce que cela est possible que
20 tu ne saches rien alors que tu étais à 100 mètres de l'endroit où se
21 réunissaient les Musulmans et que les Serbes étaient à Pale ?" Moi, j'ai
22 dit, je ne sais pas comment je ne le savais pas, mais je ne savais pas. Et
23 vous avez la réponse que j'ai faite par écrit. J'ai dit que je n'étais pas
24 à Pale et que quand il y avait des séances du Parlement en Bosnie-
25 Herzégovine je n'étais pas non plus à Belgrade. Donc je ne savais pas. Il
26 est évident que la Chambre de première instance aurait conclu différemment
27 si elle avait su que le 9 juin une décision a été prise par Karadzic,
28 Koljevic, Plavsic, Djeric, Krajisnik, Mladic, décision dans laquelle il
Page 186
1 était dit qu'il fallait interrompre l'emploi de l'artillerie contre
2 Sarajevo. Donc le 9, une décision est prise de ne pas pilonner Sarajevo, et
3 le 10 le pilonnage a lieu. Bien, celui qui est responsable est le seul
4 responsable de tout ce qui s'est passé.
5 Il y a encore un autre fait que j'aimerais évoquer et que vous
6 constaterez. Vous verrez le nombre d'objections que j'ai exprimées durant
7 les négociations et je ne l'ai pas fait simplement à titre personnel. Ceci
8 constitue aujourd'hui un élément de preuve convaincant que vous avez
9 désormais dans votre dossier et qui, je l'espère, vous donnera une image
10 différente de la situation par comparaison à l'image que s'est faite la
11 Chambre de première instance au moment de prononcer son jugement.
12 Ne m'en tenez pas rigueur, mais je vous le dis, je sais que chaque
13 fois que je savais que quelque chose de répréhensible était fait, je
14 donnais immédiatement l'ordre de punir l'auteur de ces actes. Vous pouvez
15 le vérifier. Jusqu'au 26 juillet, à Jahove [phon], un certain nombre de
16 réunions ont été organisées, des députés sont venus pour s'exprimer et ont
17 évoqué des centaines d'actes criminels. Mais ici on me dit, qu'est-ce que
18 vous avez fait par rapport à cela ? Moi j'ai dit, je suis allé à la
19 conférence. Je ne savais pas, mais il fallait faire quelque chose. Et le 28
20 juillet, l'assemblée se réunit, les actes criminels en question font
21 l'objet d'un point à l'ordre du jour de la réunion, la discussion a lieu.
22 Le commandement Suprême voulait donc limoger un certain nombre d'unités qui
23 abritaient les hommes responsables de ces actes criminels. Karadzic a fait
24 la proposition, M. Dukic vient de Birac pour dire qu'il a mis en accusation
25 un certain nombre de citoyens de nationalité musulmane responsables de ces
26 actes. Mais je n'étais pas au courant. Je ne savais pas. C'est là que je
27 l'ai appris.
28 On me dit ici que je devais être au courant, parce que ces faits
Page 187
1 étaient évoqués dans la presse internationale. Mais croyez-moi, Monsieur le
2 Président, Madame, Messieurs les Juges, je n'ai pas entendu un mot au sujet
3 de tous ces faits. On m'a dit un jour, enfin j'ai entendu dire que le père
4 de Momcilo Krajisnik était décédé, parce que Momcilo Krajisnik avait décidé
5 d'aller dans les rangs de l'armée de la Republika Srpska. J'ai entendu que
6 des ours sauvages dévoraient des petits enfants. Vous n'imaginez pas le
7 nombre de contre-informations qui circulaient à l'époque. Donc quand je
8 voyais certaines choses dans la presse internationale je ne les lisais pas
9 nécessairement. Et les gens s'exprimaient, ils le disaient en public.
10 Rien de ce genre ne s'est passé. Alors, j'écoutais plutôt ce qu'on me
11 disait au sujet de ce qui se passait dans la population serbe. Je ne
12 prêtais pas une oreille confiante à ce qui ne faisait pas partie de la
13 population serbe.
14 Alors, maintenant on me dit que je suis responsable, mais responsable
15 de quoi. Je n'ai pas donné un seul ordre à l'époque. Quand j'étais assis
16 sur la chaise des témoins et que je regardais les Juges en face de moi, je
17 me suis rendu compte de la raison pour laquelle j'étais dans la situation
18 où je suis, parce que pour certains le président du Parlement est Dieu, il
19 est censé prendre des décisions et avoir tout le pouvoir. Et quand le
20 Parlement se réunit en temps de guerre en Bosnie-Herzégovine, comme c'était
21 le cas pour Krajisnik, président de ce parlement, alors il est encore plus
22 important.
23 Mme Plavsic, elle, était présidente de la présidence à Pale, et un
24 jour quelqu'un vient de Pale en me disant, "Pale a été pilonnée, nous ne
25 pouvons pas organiser la nouvelle année scolaire ?" J'ai dit, "Mais comment
26 est-ce que c'est possible ?" On me répond, "Il y aura des obus, comment
27 est-ce qu'on peut mettre les enfants dans les écoles." Je rétorque, "Mais
28 écoutez, il faut bien faire quelque chose. Qui est-ce qui sera coupable si
Page 188
1 pendant cinq ou dix ans les enfants ne vont pas à l'école ?" J'ai dit à mon
2 interlocuteur, "Ecoutez, appelez les parents pour savoir s'ils acceptent
3 sous leur propre responsabilité d'envoyer les enfants à l'école." C'est ce
4 qui s'est fait. Les enfants sont allés à l'école et il n'y a plus eu de
5 pilonnage.
6 Plus tard, on me dit ici que mes interlocuteurs ne seraient pas venus
7 me voir pour discuter de ce genre de questions si je n'avais pas eu un
8 énorme pouvoir. Mais je peux vous assurer, j'ai reçu un document en
9 anglais. Je n'ai pas compris tout ce qu'il disait, mais en tout cas il y a
10 une chose que j'ai comprise à la lecture de ce document, c'est que rien
11 dans ce document ne démontre que j'aurais pu être membre d'une quelconque
12 entreprise criminelle commune.
13 Le témoin Sansavo est venu ici. Il ne savait pas au moment où il a signé un
14 document, que ce document c'était un accord d'échange de propriété entre
15 lui et un Musulman. Il ne savait pas qu'il avait signé un document selon
16 lequel il était censé accepter d'aller de son plein gré à Sarajevo. Les
17 Musulmans, je vous le répète, ne sont pas partis parce qu'ils ont été
18 expulsés, mais ils sont partis parce que les Serbes aussi quittaient
19 Sarajevo à l'époque, et étant donné le nombre d'assassinats commis contre
20 les Serbes. Ils ont eu peur. Ils ont eu peur de représailles. La meilleure
21 preuve que je ne savais pas que les Musulmans partaient réside dans la
22 séance du Parlement du 27 juillet. On a parlé ce jour-là du fait qu'un
23 certain nombre de Musulmans parlaient simplement parce qu'ils avaient peur
24 d'actes de vengeance.
25 Ici on dit que Bijeljina est le premier signe d'expression de
26 l'entreprise criminelle commune. Le 27 mars, le Parlement s'est réuni
27 pendant trois jours seulement, une séance du Parlement où il a été dit que
28 la paix était nécessaire pour nous, que nous devions la maintenir, que la
Page 189
1 guerre ne nous apporterait de bon, que de toute façon, il faudrait
2 s'entendre même après une guerre. Vous avez le procès-verbal de cette
3 réunion du Parlement. Avant, il y a eu les incidents de Brod et de Kupres.
4 Mais rien dans tout cela ne constitue un motif pour que les Serbes tuent
5 des Musulmans. Nous avions le pouvoir. Les gens se sont entretués
6 localement. Je travaillais au Parlement. J'avais mes propres
7 responsabilités. Je ne savais pas que cela se passait dans les régions.
8 Vous avez un document qui vous montre que j'ai appelé quelqu'un par
9 téléphone et que cet interlocuteur m'a dit : "Ecoute, tu n'est pas ici. Tu
10 ne peux pas nous aider. Occupe-toi de ton travail. Nous, nous ferons le
11 nôtre."
12 J'espère ne pas avoir abusé de votre temps, Madame, Messieurs les Juges.
13 J'avais un certain nombre de choses à vous dire. Je vois que j'ai déjà été
14 assez long. Je vous remercie de votre patience et de votre attention. Mon
15 avocat fera le reste. Merci.
16 M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Plaise aux Juges de la Chambre, je
17 m'appelle Nathan Dershowitz et je partage les arguments de l'appelant avec
18 mon confrère Alan Dershowitz, en fait.
19 Le problème avec la décision susmentionnée fait un amalgame et rend une
20 décision au lieu de trois. La première concerne les arguments politiques,
21 les points de vue et actions menées aux fins de mettre en place une
22 République serbe de Bosnie distincte à l'intérieur de la Bosnie-
23 Herzégovine. Nous avons entendu nombre de dépositions à l'instant, et si
24 vous lisez le compte rendu d'audience, il est très clair que M. Krajisnik
25 était la personne principale responsable de la mise en œuvre des
26 négociations. C'était le négociateur, le porte-parole dirigeant qui
27 souhaitait faire valoir une solution pacifique. Il y a un certain nombre de
28 difficultés. Je vais les aborder, mais il faut établir la distinction entre
Page 190
1 ce qui était politique, ce qui devait être accompli par le biais de la
2 négociation et des discussions avec deux autres domaines.
3 Le deuxième domaine qui nous préoccupe ici est la réalité de la guerre qui
4 a suivi.
5 Un autre domaine qui, au plan technique, est le seul domaine qui devrait
6 préoccuper les Juges de la Chambre d'appel, à savoir par définition même,
7 les crimes de guerre qui, par définition, constituent une violation des
8 lois ou coutumes de la guerre. Donc il y a trois catégories distinctes ici
9 et la décision susmentionnée. Je demande aux Juges de la Chambre de
10 reconnaître ces différences. Il est important de réexaminer la décision qui
11 a été prise, parce que M. Krajisnik a été condamné sur la base de
12 déclarations qu'il a faites lui-même. Il s'agit de déclarations politiques
13 où il faisait valoir son point de vue en tant que représentant d'une
14 entité, ce qui était parfaitement légitime.
15 Un tribunal qui prononce la responsabilité de violations de droit
16 international humanitaire doit absolument faire la différence entre toutes
17 ces questions, autant que faire se peut sur un plan purement humain.
18 J'admets qu'il s'agit d'une tâche extrêmement difficile, mais il s'agit
19 néanmoins d'une tâche essentielle. C'est la grande tâche qui incombe aux
20 Juges de ce Tribunal, à savoir comprendre la différence entre les avis
21 politiques et les avis qui ne sont pas acceptables, et ceux ensuite qui se
22 lancent dans la guerre et ceux qui s'engagent ou se lancent dans des crimes
23 de guerre.
24 La façon dont l'entreprise criminelle commune a été appliquée a éliminé ces
25 distinctions. Au vu de la décision prise, les efforts en vue de créer une
26 République serbe de Bosnie distincte ont donné lieu à une déclaration de
27 guerre. Ceci est contredit dans le rapport du secrétariat général qui
28 accompagne le statut et le libellé du statut, en fait, de déclarer coupable
Page 191
1 par voie d'association. La décision de la Chambre, si on l'examine de près,
2 on voit clairement qu'il y avait culpabilité par association pour ceux qui
3 ont épousé les vues politiques, ceux qui ont mené la guerre et ceux qui ont
4 commis des crimes de guerre.
5 Cela ne fait pas l'ombre d'un doute que M. Krajisnik était un
6 partisan clair des intérêts de la Serbie qu'il souhaitait protéger et qu'il
7 souhaitait éviter que la Serbie devienne une minorité impuissante dans une
8 Bosnie-Herzégovine qui constituerait un pays distinct. Cela ne fait pas
9 l'ombre d'un doute, d'après le compte rendu, qu'il était le principal
10 négociateur, qu'il souhaitait établir cette position. Mais ce qui n'est pas
11 très clair - et n'est pas très cohérent eu égard à la décision qui a été
12 prise - c'est toute indication que M. Krajisnik possédait cet objectif
13 commun aux fins de violer le statut en déplaçant par la force les Musulmans
14 et les Croates, et qu'il ait participé pendant la période couverte par
15 l'acte d'accusation à tout acte criminel aux fins de réaliser l'objectif
16 commun, l'objectif criminel.
17 Le manque de clarté au niveau de l'entreprise criminelle doit clairement
18 être établi pour comprendre la culpabilité de l'accusé en question. Je
19 crois qu'il s'agit ici de l'élément essentiel de cette affaire, à savoir si
20 des personnes sont déclarées criminels de guerre, s'ils prônent leurs vues
21 politiques de façon claire et nette compte tenu du poste qu'ils occupaient,
22 et si leurs positions ou leurs postes avaient été supprimés à ce moment-là,
23 c'eût été une violation des droits de l'homme. Ils avaient tout à fait le
24 droit de faire valoir leurs points de vue politiques. Ils avaient même le
25 droit d'exagérer leurs points de vue politiques aux fins de prendre
26 position et réaliser leurs objectifs. Ceci n'est absolument pas pris en
27 compte par la décision qui a été prise.
28 Le problème qui a commencé lorsque le jugement Tadic a été rendu,
Page 192
1 maintenant tous ces éléments sont devenus tellement élastiques et tellement
2 peu clairs, qu'ils n'ont quasiment plus aucun sens de surcroît. Et ce qui
3 est également très dangereux est le fait que - et ceci constitue l'essence
4 même de cette affaire - c'est que ces concepts ont tendance à criminaliser
5 les personnes qui s'engagent dans des actions légitimes qui sont censées
6 protéger leur peuple, quelque chose qui devrait être encouragé et non pas
7 découragé.
8 Il y a différents problèmes de fond eu égard au jugement Tadic - et je ne
9 souhaite pas en fait plaider cela maintenant à nouveau - mais il est clair
10 au regard du jugement Tadic, l'affaire évoquée par Cassese et Mumba dans
11 Furundzija, le concept était très restreint à l'époque. Dans la première
12 affaire, celle qui a été jugée en 1998, qui était la première affaire qui
13 évoquait la question de l'entreprise criminelle commune ou l'objectif
14 commun, il y avait à ce moment-là une personne qui souhaitait recueillir
15 des éléments d'information en interrogeant une victime, tout en ayant une
16 autre personne qui commettait les abus, la violence physique en même temps,
17 de façon parallèle, et le viol.
18 Une décision avait été prise. On peut retrouver la personne qui recherchait
19 les éléments d'information, qui faisait partie de cela, cette personne
20 s'était engagée d'une entreprise criminelle commune avec la personne qui
21 avait commis le crime. Je dois vous dire, en fait, qu'il y a eu
22 acquittement au niveau du chef d'accusation portant sur le viol.
23 Ces deux personnes qui commettaient cet acte ensemble, l'actus reus,
24 l'élément moral est tellement loin du concept tel qu'il est présenté
25 aujourd'hui, que l'on ne pourrait même pas reconnaître ce concept
26 aujourd'hui, qui ont été évaluées de cette façon dans ces premières
27 affaires. Comme dans Tadic, en fait, la première décision a été prise dans
28 Tadic, il s'agissait là de tenir compte d'un groupe de personnes qui ont en
Page 193
1 réalité commis des atrocités, mais on ne pouvait pas indiquer quelles
2 étaient ces personnes précisément comme étant quelqu'un qui avait tiré sur
3 quelqu'un d'autre et n'évoque pas la participation lorsque cinq personnes
4 entrent dans une ville et que des personnes sont tuées dans cette ville par
5 ce groupe, par ce même groupe que ces cinq personnes sont tenues pour
6 responsables. Ça encore une fois est quelque chose qui est tellement
7 éloigné de la façon dont ce concept est appliqué dans cette affaire quand
8 on ne peut même plus le reconnaître.
9 Le problème qui est au cœur de la problématique dans l'affaire Tadic, c'est
10 qu'il y avait la volonté de chercher une théorie qui permettrait de
11 justifier ce qui se trouve dans cet arrêt, à savoir un objectif légitime,
12 c'est là reconnaître qu'au titre de droit international tous les
13 participants à des violations graves de ce droit international pourraient
14 et devraient être tenus responsables des actes qu'ils ont commis. Le
15 Tribunal est allé jusqu'à laisser entendre qu'il y avait ce droit, mais
16 qu'en plus il y avait l'obligation de trouver une théorie qui permettrait
17 de justifier.
18 Les décisions plus récentes de ce Tribunal reconnaissent qu'il ne convient
19 pas que ce Tribunal soit l'entité qui établisse la politique en la matière,
20 mais le Tribunal n'a pas reconnu en réalité que lorsqu'on a affaire à des
21 degrés de culpabilité, quand il s'agit de savoir qui est responsable, qui
22 il faut punir, on fait de la politique et qu'il y a un continuum et qu'il
23 faut, à un moment, s'arrêter pour savoir qui on considère comme coupable.
24 Ça c'est une décision politique qui se prend normalement par un pouvoir
25 qu'on donne grâce à un statut. Quand on utilise un libellé tellement
26 élastique, tellement flou, comme on trouve ici dans cette entreprise
27 criminelle commune, on n'a plus de culpabilité, en fait, on ne sait plus si
28 on commet un crime.
Page 194
1 Nous avons ici une problématique complexe d'affrontements religieux et
2 autres, les principes essentiels de la culpabilité internationale doivent
3 être énoncées avant qu'une personne soit mise en accusation et pas après.
4 Ici, en fait, ces principes n'ont pas été énoncés avant, quand on voit la
5 décision prise, quand on voit la position de l'Accusation, il y a un flou
6 qui règne sur tous les éléments constitutifs de l'entreprise criminelle
7 commune. Et ce qui est le plus perturbant encore, c'est qu'une fois que ces
8 éléments ont été énoncés avec suffisamment de clarté dans la décision, les
9 faits qui sous-tendent cette décision ne soutiennent pas la décision, le
10 verdict de culpabilité de la Chambre de première instance.
11 Je vais être plus précis. Au paragraphe 883, la Chambre de première
12 instance énonce les éléments constitutifs d'entreprise criminelle commune.
13 C'est ici un aparté que je fais, mais c'est intéressant. Vous pourrez voir
14 comment ceci est présenté et quand on voit un nombre de décisions rendues
15 en première instance et en appel, vous allez voir qu'il y a différents
16 énoncés de ces mêmes principes de l'entreprise criminelle commune. Voyez la
17 présentation faite par l'Accusation, là aussi la présentation est
18 différente, mais le niveau, le degré de modification devient essentiel si
19 l'on veut comprendre. S'il y avait eu une disposition du statut, on
20 pourrait se retourner, on pourrait se reposer sur le statut, mais lorsqu'on
21 se base sur l'évolution de la jurisprudence, on a tendance à extrapoler
22 sans arrêt à partir du concept initial.
23 Quel était le premier concept énoncé par la Chambre, on dit
24 que : "Il y a entreprise criminelle commune dès lors que plusieurs
25 personnes participent à la réalisation d'un objectif criminel commun."
26 A mon avis, ce libellé est assez facile à appliquer au vu des faits d'une
27 affaire, mais c'est tout le contraire qui s'est passé, en réalité, surtout
28 en cette affaire.
Page 195
1 Je prends là deux des aspects de ce problème. Un de ces aspects c'est
2 l'acte d'accusation précis en l'espèce. Il est tellement vaste qu'il n'est
3 pas crédible. Je vais d'ailleurs vous lire le
4 paragraphe 7 de cet acte d'accusation. Il dit : "Plusieurs individus…"
5 n'oublions pas ici la genèse de l'entreprise criminelle commune. Il
6 s'agissait au départ de participants connus, de participants présents sur
7 les lieux qui se sont livrés à ces activités, mais de participants qui
8 n'étaient peut-être pas les auteurs physiques, mais qu'il y avait un
9 participant qui retenait quelqu'un alors que cette personne subissait un
10 sévice d'une autre personne, c'étaient les véritables participants. Voyons
11 ce qu'on dit ici cependant.
12 On parle de : "Nombreuses personnes qui ont participé à l'entreprise
13 criminelle commune. Chacun de ces participants par acte ou omission a
14 contribué à la réalisation des objectifs de l'entreprise." Alors on dit que
15 "ces personnes travaillaient de concert." Là c'est la loi du complot.
16 Personne ne veut utiliser ces termes parce que le complot, c'est un crime
17 retenu dans le droit matériel, et si entend ici le complot, ce serait en
18 violation des dispositions du statut.
19 Mais on dit que : "D'autres membres de l'entreprise criminelle commune
20 comprenaient plusieurs personnes," qui sont énumérées. Puis on dit : "… que
21 d'autres personnes, d'autres dirigeants serbes de Bosnie au niveau de la
22 République, de la région ou de la municipalité, qu'il y avait des membres
23 des dirigeants du SDS de la république, au niveau de la région, des membres
24 de la JNA, de la VJ, de l'armée de la République serbe de Bosnie-
25 Herzégovine," là je saute quelques parties. Puis, on dit que : "Il y avait
26 des membres de la Défense territoriale des Serbes de Bosnie, de la police
27 serbe de la Bosnie, de forces paramilitaires et d'unités de volontaires
28 ainsi que des personnalités militaires et politiques de la République
Page 196
1 socialiste fédérale de la Yougoslavie et plus tard, de la République de
2 Serbie ainsi que de la République du Monténégro." Je crois que je suis le
3 seul à ne pas être pas repris dans cette catégorie générale.
4 Vous voyez que c'est vraiment ici une fourre-tout où on met tout le monde,
5 quiconque aurait de peu ou prou soutenu l'opinion des Serbes. Tous ceux qui
6 auraient pu soutenir l'idée que défendaient les Serbes.
7 Puis vous avez une décision, ou plutôt, une énumération de noms de
8 personnes qui ont été ajoutés en fin de procès comme étant les personnes
9 qui nommément auraient pu être membres de l'entreprise criminelle commune.
10 Il y a eu une préoccupation qui a été évoquée dans l'affaire Brdjanin et
11 dont le Tribunal s'est saisi dans l'ordonnance portant calendrier du 18
12 janvier [comme interprété] et qui entre en vigueur. Ce que je veux dire,
13 c'est que là on a l'autre bout ou l'autre membre de l'équation pour ce qui
14 est de ces parties. Au départ, nous avons des indications précises nous
15 disant qui sont les membres de l'entreprise criminelle commune. Une
16 question a été réglée par ce Tribunal, c'est la question de savoir si les
17 personnes qui sont les auteurs physiques des crimes sur le terrain doivent
18 nécessairement être membres de l'entreprise criminelle commune. La réponse
19 a été, pas forcément, mais il faut cependant montrer un lien, un lien
20 direct entre le membre de l'entreprise criminelle commune et la personne
21 qui a effectivement commis ce crime. On a quatre ou cinq membres
22 d'entreprise criminelle commune qui se mettent d'accord, il y en a un qui
23 entreprend de recruter quelqu'un, de convaincre quelqu'un de veiller à ce
24 que quelqu'un agisse et commette le crime, à ce moment-là on a le lien
25 requis.
26 Mais ici nous avons parfaitement l'inverse sur le plan de l'idée, on
27 commence par un groupe de personnes, je reviendrai à cet objectif commun
28 qui anime ces personnes, nous avons un groupe de personnes et quiconque se
Page 197
1 livre à des activités devient tout d'un coup membre de l'entreprise
2 criminelle commune et quiconque donne l'ordre à quelqu'un de commettre un
3 crime de guerre devient automatiquement membre de l'entreprise criminelle
4 commune.
5 C'est ce qui s'est passé ici. C'est à ce point distant, éloigné de ce qui
6 avait été prévu au départ dans l'arrêt Tadic, qu'à mon avis, il s'agit ici
7 d'un concept radicalement différent qui n'a aucun rapport avec le concept
8 initial, mais si la Chambre d'appel autorise qu'on élargisse le champ
9 d'application. Je pense qu'ici effectivement on peut accuser des gens
10 simplement par association.
11 Mon frère va vous parler de l'application de ceci dans un contexte
12 international.
13 Mais prenons le deuxième élément constitutif que l'on retrouve dans
14 la décision, élément requis pour prouver que quelqu'un est membre d'une
15 entreprise criminelle commune. Si on le fait, on va avoir un problème
16 identique, voire pire. On dit que la première forme de l'entreprise
17 criminelle commune existe. Ici, permettez-moi une brève digression. On
18 parle ici des formes d'entreprise criminelle commune, première et
19 troisième, mais la seule évoquée ici, c'est la première. Tout récemment,
20 l'Accusation a affirmé qu'elle utilise la troisième forme. On ne sait même
21 pas quel est le concept qu'on implante alors qu'on a 400 pages de décisions
22 et qu'on a un verdict de culpabilité, c'est une recette assurée pour qu'il
23 y ait une catastrophe judiciaire.
24 Prenons la première forme qui existe lorsque l'objectif commun est de
25 commettre un crime visé par le statut ou en applique un.
26 Si vous examinez l'acte d'accusation, le verdict semble indiquer que
27 l'entreprise criminelle commune doit être ou doit concerner un crime visé
28 explicitement par le statut.
Page 198
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 199
1 Le Procureur, je le reconnais dans ses arguments et dans ses écritures, je
2 vous rappelle les paragraphes 35, 36 et 37 de ses écritures, même sur un
3 point aussi simple que celui-ci, la confusion règne. Si l'on lit les
4 arguments présentés par l'Accusation, il est impossible de savoir si
5 l'objectif, pas les moyens, si l'objectif doit être un crime visé par le
6 statut, ou si ce sont les moyens qui peuvent être des crimes visés par le
7 statut. Ici il y a une espèce de va-et-vient flou.
8 Mais dans la décision, vu son libellé, c'est clair. L'objectif doit
9 être un crime visé par le statut. Mais quand on voit le libellé de l'acte
10 d'accusation, que dit-il ? On parle du fait d'avoir rejeté de par la force
11 et de façon permanente. C'est important de voir ce libellé pour nous ici
12 car il y a une chose qui est indiscutable. M. Krajisnik a mené des
13 négociations, a déployé des efforts pour arriver à une solution où il y
14 aurait un consensus, une volonté ou une méthode permettant un transfert de
15 population si cette population voulait changer de territoire. Lorsqu'on
16 crée une entité séparée dans le contexte de la Bosnie-Herzégovine, les gens
17 ne se sentiront pas à l'aise si on a une population majoritairement
18 musulmane dans une zone et une population majoritairement serbe dans une
19 autre. Il y a une différence. Il y a d'un côté un crime de guerre, et de
20 l'autre une solution politique, alors que dans l'acte d'accusation on
21 retient les deux, le crime de guerre et la solution politique, on dit que
22 tous deux relèvent de l'objectif commun.
23 De surcroît, si vous examinez les décisions prises avant celle-ci, si vous
24 entendez ce que M. Krajisnik dit, là aussi il ne fait pas l'ombre d'un
25 doute qu'il voulait une solution politique alors que la situation était des
26 plus tendues. Il y avait une histoire préalable qui peut être de quelques
27 mois ou même de plusieurs siècles. C'était une situation chargée, lourde de
28 précédent historique. Ce qu'il voulait, c'était une solution qui n'était
Page 200
1 pas criminelle. Il ne voulait sûrement pas des crimes de guerre en guise de
2 solution. Si on fait la confusion entre les deux. Et là je vous en supplie,
3 Madame et Messieurs les Juges, lisez les décisions qui ont donné lieu à ces
4 trois catégories de crimes d'entreprise criminelle commune.
5 Voyez les éléments de preuve que nous avons cités tout du long s'agissant
6 de la participation personnelle de M. Krajisnik. Vous avez vu que chacun de
7 ses commentaires avaient pour vocation de trouver une solution qu'il
8 soutenait. Il voulait que les Serbes qui vivaient en Bosnie se sentent en
9 sécurité. On a au départ suggéré qu'ils deviennent membres de la
10 Yougoslavie en Bosnie-Herzégovine. L'autre solution était qu'il y ait un
11 lien qui soit établi avec la Serbie, entre les Serbes, pour les Croates
12 entre les Croates de Bosnie et la Croatie. Il y avait une discussion
13 politique qui se menait. On se demandait si au sein de la Bosnie-
14 Herzégovine on pouvait prendre une partie de la Bosnie qui serait une
15 entité reconnue mais qui resterait au sein du gouvernement, et au fond
16 c'est ce qui s'est passé à la suite des accords de Dayton.
17 La solution que lui prenait sur le plan politique, c'est finalement ce qui
18 s'est matérialisé par la suite, et il y a une espèce de lacune, un vide au
19 niveau des éléments de preuve, surtout pour ce qui est des faits ou de la
20 période des faits retenus dans l'acte d'accusation. S'il affirme que si on
21 a un accord sur l'idée d'avoir une frontière qui délimiterait la partie des
22 Serbes de Bosnie, on a une décision politique. Elle est plus efficace si
23 l'on veut trouver une solution politique. Il est plus efficace de commencer
24 une fois que les Serbes et la Bosnie avaient déclaré leur indépendance, il
25 était plus pratique d'avoir ces municipalités sur place. C'est correct dans
26 les faits. C'est une position politique adoptée par tout négociateur. Rien
27 dans ce genre de déclaration ne vous amène à penser que parce qu'il a pris
28 cette position, il fait partie d'un groupe qui veut se livrer à des crimes
Page 201
1 de guerre.
2 Dans la même veine, cette décision semble laisser entendre que tous les
3 coauteurs doivent agir pour réaliser cet objectif criminel, être animés de
4 la même intention criminelle. Nous sommes au cœur même du sujet. Rien n'a
5 prouvé qu'il était animé de cette intention criminelle, de déloger de façon
6 permanente par la force la population musulmane. Oui, il était animé d'une
7 intention. Il avait l'objectif qui était d'avoir un type de municipalité
8 serbe établi légitimement par des moyens constitutionnels, ce qu'il a dit
9 tout du long.
10 Troisième élément de cette décision qui fait également l'objet d'une grande
11 confusion, cette décision évoque la participation de l'accusé à la
12 réalisation de l'objectif, et c'est le cas lorsque l'accusé commet un crime
13 qui s'inscrit dans le cadre de l'objectif commun, ce qui est prévu par le
14 statut. Il faut qu'il soit partie prenante à la volonté de réaliser un
15 objectif, qu'il participe, par exemple, au fait de déloger par la force et
16 de façon permanente. Rien ne prouve ceci. "A titre subsidiaire, plutôt que
17 de commettre le crime visé, sa conduite peut remplir cet élément, si ça
18 veut dire qu'il a aidé à l'exécution du crime qui relève de l'objectif
19 commun." Je demande au Tribunal de poser la question à l'Accusation pour
20 lui demander quel élément de preuve elle a qui permettrait de répondre à
21 cette condition, et vous avez des déclarations de clôture, des arguments
22 qui se fondent tous sur ce qu'il a dit politiquement en tant qu'homme
23 politique, ce qui est tout à fait autorisable, et ce qu'il faut encourager
24 vu les circonstances du moment.
25 Autre problème essentiel - et là j'invite les Juges de la Chambre d'appel.
26 Bien sûr, je pourrais reprendre bon nombre des déclarations faites par
27 l'Accusation. Quand on les examine de près comme je l'ai fait, vous allez
28 voir qu'il y a une déclaration générale, puis une citation, une référence
Page 202
1 faite à la décision de la Chambre de première instance, mais cette
2 référence ne dit pas tout à fait ce qu'affirme l'Accusation dans sa
3 déclaration générale, et ce sont des références à une période antérieure au
4 moment où ont éclaté les hostilités. Il faut que nous soyons clairs.
5 Je l'ai répété plusieurs fois. Il est impossible, il n'est pas autorisé
6 qu'une décision soit prise disant que si quelqu'un se livre à des activités
7 politiques acceptables et que si d'autres par la suite commettent un
8 objectif similaire mais de façon tout à fait illicite, ça ne veut pas dire
9 que la personne qui a pour la première fois manifesté, exprimé cette
10 position politique, soit nécessairement responsable et soit associé à ce
11 groupe qui s'est livré plus tard à des activités illégales.
12 A ce stade, vous me permettrez, j'espère, de donner la parole à mon
13 confrère et frère, Me Alain Dershowitz, à moins que vous n'ayez des
14 questions à me poser dans le cadre de l'exposé que je viens de faire. Je
15 vous remercie.
16 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci. C'est un grand privilège qui
17 m'est accordé ici de m'adresser à vous. C'est un rêve que je nourris depuis
18 toute ma vie, j'ai toujours voulu participer à la grandeur de ce Tribunal.
19 Je vous remercie de m'avoir permis d'intervenir même dans un cadre limité
20 qui est celui de l'entreprise criminelle commune.
21 Nous commençons, bien entendu, par une idée qui est reconnue, à savoir le
22 Statut ne mentionne nulle part l'entreprise criminelle commune. Il faut
23 constater ceci avec le statut de Rome, lequel effectivement prévoit une
24 responsabilité précise fondée sur le fait de travailler de concert avec
25 d'autres pour réaliser cet objectif.
26 Examinons le rapport du secrétaire général. Mon frère l'a évoqué il y a
27 quelques instants dans un autre contexte. Ce rapport s'inscrit dans la
28 genèse de ce Tribunal, c'est la base de ce Tribunal. Il est de l'avis du
Page 203
1 secrétaire général l'application du principe nullum crimen sine lege exige
2 que le Tribunal international applique des règles du droit international
3 humanitaire qui, au-delà de tout doute raisonnable, s'inscrit dans le droit
4 coutumier international, le problème du respect et de la conformité à
5 certaines conventions ici ne se pose pas.
6 Je ne pense pas que ceci soit contesté ici, le concept de l'entreprise
7 criminelle commune, c'est certain, ne s'inscrit pas dans le droit coutumier
8 international. Les doutes pesant sur cette question sont sordides, les
9 chercheurs sont très divisés sur la question. Nous avons cité des articles
10 qui reprennent eux-mêmes des citations d'autres articles et qui sèment un
11 doute très sérieux sur la question de savoir si tout ce concept de
12 l'entreprise criminelle commune est un concept acceptable en droit
13 coutumier international.
14 Nous le savons, nous l'avons reconnu, nous savons que la Chambre
15 d'appel a, à maintes reprises, dit qu'elle n'allait pas revenir sur ce
16 concept qui est de savoir si l'on peut retenir cette entreprise criminelle
17 commune. Mais vu nos obligations envers notre client et envers le droit,
18 nous pensons qu'il est important d'insister sur cette question. A notre
19 avis, l'idée qui consiste à établir une nouvelle base de responsabilité
20 viole ce principe mentionné par le secrétaire général. Le présent appelant
21 ne pouvait pas savoir au cours de la période mentionnée dans l'acte
22 d'accusation, il ne pouvait pas savoir qu'il allait faire l'objet d'un acte
23 d'accusation reprenant l'entreprise criminelle commune.
24 Bien sûr, la Chambre a été prudente, elle a dit que ce n'était pas là
25 créer un nouveau crime. C'était simplement exprimer, énoncer un principe
26 accepté, consacré, de responsabilité pénale. Mais non, c'est un nouveau
27 crime, c'est un peu comme le complot, c'est un peu comme le RICO, c'est
28 comme d'autres formes de responsabilité pénale, c'est ce qu'on retrouve
Page 204
1 dans le statut de Rome. Mais il n'y a aucune base dans le Statut qui permet
2 d'engager cette responsabilité pénale. A notre connaissance, c'est la
3 première fois que quelque chose qui ressemble à un crime qui représente
4 tous les critères de crime sont énoncés par une Chambre d'appel en
5 l'absence d'une disposition clairement énoncée dans ce sens par le Statut.
6 Nous reconnaissons que la Chambre de ce Tribunal a dit qu'elle
7 n'allait pas revenir sur cette question de l'entreprise criminelle commune,
8 mais manifestement notre argument principal aujourd'hui, même si nous nous
9 réservons le droit d'exprimer ce que je viens de dire et que nous reprenons
10 davantage en détail dans nos écritures nous dit que même si l'entreprise
11 criminelle commune était autorisée en tant que droit général, comme vient
12 de nous le dire mon confrère, même si ceci était applicable à d'autres cas
13 antérieurs, à d'autres affaires où il y avait, par exemple, interrogatoire,
14 il était possible d'ailleurs de régler ces affaires sans parler comme
15 principe de loi d'une entreprise criminelle commune parce que quelqu'un
16 frappe quelqu'un d'autre, vous êtes là, là c'est simple, on peut condamner
17 au titre du droit commun parce qu'il y a un lien très étroit, très
18 manifeste. C'était sans doute vrai pour l'affaire Tadic.
19 Mais ici nous avons à faire à des circonstances tout à fait
20 différentes, même si l'entreprise criminelle commune peut s'appliquer, elle
21 ne peut pas s'appliquer ici, même en raison des constatations de la Chambre
22 de première instance, constatations que nous contestons. On me dit que je
23 parle trop vite. Je m'en excuse.
24 Nous contestons ces constatations de la Chambre de première instance.
25 Nous sommes tout à fait d'accord avec ce qu'a dit M. Krajisnik. Nous sommes
26 très contents de la décision prise hier par la Chambre d'appel que nous
27 avons reçue en fin de journée, à savoir que nous avons le droit
28 d'auditionner M. Karadzic. Et je peux vous dire en partant des brefs
Page 205
1 contacts que nous avons vus avec M. Karadzic, je peux vous dire qu'il va
2 présenter bon nombre d'éléments à décharge et nous nous conformerons aux
3 obligations de la Chambre. Nous allons présenter ces éléments dans les
4 délais requis.
5 Permettez-moi d'ajouter ceci, j'en suis désolé, mais nous n'avons pas
6 reçu la décision de la Chambre, règle sur l'article 115, en tout cas hier
7 je ne l'avais pas reçue sur mon portable. Nous sommes ici en train de
8 plaider alors que nous ne connaissons pas la teneur de la décision portant
9 sur la requête en application de l'article 115. Je comprends qu'il y a
10 certaines restrictions énoncées par la Chambre pour ce qui est du caractère
11 public de la discussion. Nous respecterons ces restrictions. Ceci étant
12 dit, et sans ici faire porter le blâme à qui ce soit, la faute en est à la
13 technologie. Mais –-
14 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre.
15 Vous dites que vous n'avez pas reçu la décision relative à la requête en
16 application de l'article 115. Normalement, vous auriez dû la recevoir.
17 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Ça a été envoyé sur mon
18 Blackberry à 19 heures à peu près, hier soir.
19 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Peut-être que c'est à ce moment-
20 là qu'elle a été signée.
21 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Mais nous n'avons pas pu
22 consulter cette décision.
23 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Est-ce que nous en avons une copie ? Je
24 pense qu'il faut vraiment la remettre aussitôt aux parties.
25 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci beaucoup. Nous allons en prendre
26 connaissance pendant la pause.
27 Autre document que nous n'avons pas non plus reçu - et je n'en impute la
28 faute à personne - c'est que l'Accusation nous a dit qu'en l'espace de 48
Page 206
1 heures après cet argument, elle allait nous donner une liste d'éléments qui
2 répondaient à l'ordonnance de la Chambre sur la question du lien. C'est un
3 document que je n'ai jamais reçu. Il était à peu près 21 heures 30 quand
4 j'ai reçu sur mon Blackberry une liste révisée, pas la liste initiale, mais
5 je ne voudrais pas que ceci empiète sur l'argument que je présente ici. Je
6 voulais simplement répéter ceci sans accepter les conclusions mentionnées,
7 notamment les éléments repris par notre client aux fins du présent appel.
8 Même si tout ce qui avait été constaté par la Chambre est correct, si
9 chacun des faits est retenu, nous estimons que ces faits ne donnent pas
10 lieu à une entreprise criminelle commune ni à une responsabilité en vertu
11 de celle-ci. Je prends la responsabilité ici pour ce qui est des
12 constatations même si nous continuons de les contester aux fins de la
13 requête déposée en vertu de l'article 115.
14 Une chose est importante, à savoir les constatations et les conclusions de
15 la Chambre comprennent une constatation qui dit que M. Krajisnik n'était
16 pas le principal auteur, à savoir qu'il n'a commis aucun des crimes qui
17 sont énumérés dans le Statut, à l'article 7(1) de ce Statut.
18 Autre chose importante, à savoir la Chambre a conclu à la page 402, que
19 s'agissant du contrôle effectif, les éléments de preuve ne prouvent pas que
20 M. Krajisnik avait le contrôle effectif de ces instances. Je parle là du
21 gouvernement municipal des forces qui ont participé à ces crimes qui sont
22 énumérés dans l'acte d'accusation.
23 Une conclusion de la Chambre serait une constatation qu'on trouve au
24 paragraphe 20 [comme interprété], s'agissant de la contribution de M.
25 Krajisnik, s'agissant de savoir si la participation globale de M. Krajisnik
26 à l'entreprise criminelle commune visait à établir le Parti SDS et les
27 structures de l'Etat qui ont contribué fortement à la perpétration des
28 crimes et qu'il a aussi déployé ses compétences politiques et autres pour
Page 207
1 permettre la réalisation de l'entreprise criminelle commune et de ses
2 objectifs.
3 Il est très important, comme mon frère l'a déjà dit, de se rendre
4 compte que la clarté est absolument absente de toute cette affaire. Le
5 premier principe sur lequel repose la responsabilité au titre de
6 l'entreprise criminelle commune doit être définie précisément comme doit
7 l'être également la première catégorie d'entreprise criminelle commune. Le
8 Procureur cite un certain nombre de paragraphes qui relèvent de la
9 catégorie numéro 3. Nous avons lu ces paragraphes. Et dans ces paragraphes,
10 nous n'avons trouvé aucune possibilité de conclure clairement quant à ce
11 qui avait permis de parler de responsabilité au titre de la catégorie 3
12 d'entreprise criminelle commune dans les actes examinés.
13 Le principe le plus important qui manque en l'espèce, à notre avis,
14 c'est un principe qui est lié à l'acte matériel, l'actus reus. Avant de
15 parler de l'intention délictueuse, nous contestons avec tout le respect que
16 nous lui devons, le travail de l'Accusation et nous lui demandons de nous
17 dire quels sont les actes qui ont été et qui auraient été commis par
18 l'appelant en l'espèce.
19 Car nous pensons qu'il faut qu'une distinction importante soit
20 établie ici. Ce que M. Krajisnik a fait personnellement constitue
21 l'ensemble des actes qui peuvent lui être reprochés et il importe de
22 distinguer les actes des intentions dans toute cette affaire.
23 Nous savons, parce que l'acte d'accusation le stipule et que
24 l'Accusation le dit, qu'il n'a pas commis de crimes de guerre. Ceci
25 pourrait être un acte pris en compte, la commission d'un crime de guerre.
26 Nous savons qu'il n'est pas accusé d'avoir commis un crime de droit commun.
27 Il ne s'est pas lancé dans quelque pillage ou cambriolage ou viol ou
28 assassinat que ce soit.
Page 208
1 Nous savons qu'il n'est pas mis en accusation pour un comportement
2 neutre, par exemple, le fait de mener une guerre légale.
3 Ce dont il est accusé est particulièrement caractéristique. Il est
4 accusé d'avoir prononcé des discours politiques et d'avoir agi
5 politiquement. C'est le premier élément qui a été porté à notre
6 connaissance, donc nous savons que cet homme sur le plan humain a des
7 droits qui sont destinés à le protéger. Il a également des droits
8 constitutionnels.
9 Et je pense que mon frère a déjà dit, de façon excellente, que M.
10 Krajisnik n'aurait pas pu être empêché de prononcer les discours qu'il a
11 prononcés, que ce sont ces discours qui sont au cœur de la responsabilité
12 criminelle qui lui est imputée, des discours qui, dit-on, auraient
13 constitué des violations des normes du droit international. Mais ce qu'il a
14 fait, c'est simplement parler. Ce qu'il a fait, selon l'acte d'accusation
15 et nous le contestons, ce serait d'avoir aidé à la création d'un parti
16 politique. Bien sûr, la présente Chambre a reconnu qu'aux termes du Statut,
17 créer un parti politique ne peut pas constituer un crime, pas plus que
18 celui d'être membre d'un parti politique ou d'une organisation politique.
19 Ceci ne peut pas être mis en parallèle avec la participation à une
20 organisation criminelle. Donc cela ne peut être la base d'un jugement rendu
21 au titre d'une forme de responsabilité potentielle visée au Statut de ce
22 Tribunal. Le Statut de ce Tribunal ne va pas dans ce sens. Il ne fait pas
23 ce qu'ont fait les procès de Nuremberg, à savoir créer une forme de
24 responsabilité imputable aux membres du parti nazi, membres de la Gestapo,
25 et cetera, et cetera. Donc l'appartenance au SDS ne peut pas être la base
26 d'un jugement au titre d'une responsabilité à cet égard.
27 Mais quand on parle de discours politique, la Chambre le dit très
28 clairement également, le cœur, l'ensemble des actes matériels ne peut pas
Page 209
1 être pris en compte sur la base de discours politiques ou du fait d'avoir
2 déployé des talents politiques dans le cadre d'une action politique.
3 L'action politique, très manifestement, est une action protégée et le fait
4 de participer à des négociations, où on défend un certain nombre de
5 positions, même très fermement, comme cela a pu avoir lieu durant la crise
6 qui a opposé l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh durant la crise de Chypre
7 ou durant différents conflits en Afrique ainsi que durant le conflit
8 israélo- palestinien, on trouve des déclarations qui auraient pu
9 éventuellement être prises en compte comme base de crimes mais qui ne l'ont
10 pas été.
11 Je dois répéter encore une fois ici que l'appelant n'est pas accusé
12 d'avoir personnellement commis un quelconque acte criminel évoqué à
13 l'article 7(1) du Statut. Il n'est pas accusé d'avoir planifié quoi que ce
14 soit. Il n'est pas accusé d'avoir encouragé à quoi que ce soit; il n'est
15 pas accusé d'avoir donné des ordres; il n'est pas accusé d'avoir commis un
16 acte criminel quelconque sauf par le truchement de cette entreprise
17 criminelle commune. La Chambre déclare que la contribution de l'appelant
18 doit être substantielle dans le cadre de l'application de la jurisprudence
19 de ce Tribunal. Encore une fois, nous pensons qu'il y a eu erreur qui a
20 permis à la responsabilité au titre de l'entreprise criminelle commune
21 d'être prise en compte en l'absence de contribution substantielle de
22 l'appelant et qu'il importe de souligner que l'apport de l'appelant doit
23 être significatif pour être pris en compte.
24 Alors le point crucial c'est que le jugement ressemble beaucoup à un
25 jugement quantitatif, à savoir qu'il y avait assez de quelque chose. Un
26 discours ne suffit peut-être pas, mais deux discours, trois discours
27 peuvent suffire éventuellement. Il faut que ce soit significatif,
28 substantiel. C'est également un mot qui fait penser à un apport
Page 210
1 quantitatif. Ce que la Chambre n'a jamais discuté c'est la nature
2 qualitative de l'action en question. Est-ce que la contribution peut être
3 entièrement politique sous forme de discours politique ? Est-ce que la
4 contribution peut être entièrement politique sous forme de négociations
5 politiques ? Est-ce que la contribution peut être composée entièrement par
6 un comportement protégé au terme du droit international ?
7 La Chambre de première instance dans son verdict conclut
8 implicitement que la réponse à cette question est apportée, mais nulle part
9 dans le jugement on ne voit la Chambre de première instance discuter ou
10 même envisager les implications de ce jugement, les implications du fait de
11 faire d'un discours politique ou d'une action politique légale et légitime,
12 le cœur même d'une série de crimes considérés comme une violation des
13 droits de l'homme ou un crime de guerre.
14 Par exemple, si l'on pense aux implications du jugement, est-ce que
15 les juristes pourraient être concernés ? Est-ce que des avocats qui
16 apportent un service juridique à M. Krajisnik pendant son procès ou des
17 avocats qui l'aident à formuler un certain nombre d'arguments juridiques,
18 est-ce qu'ils l'ont fait dans le but partagé par les autres membres de
19 l'entreprise criminelle commune ? Est-ce que des avocats pourraient être
20 considérés comme ayant apporté une contribution substantielle à cette
21 entreprise ?
22 M. LE JUGE POCAR : [aucune interprétation]
23 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Encore toutes mes excuses au Tribunal.
24 Je ne suis pas habitué à parler avec interprétation, je vais faire de mon
25 mieux pour ralentir. Mais n'hésitez pas à me demander de ralentir, encore
26 une fois, si je me reprends à parler trop vite.
27 Il y a une affaire qui a été jugée récemment au Canada où on a laissé
28 entendre que des juristes qui apportaient leur appui à un groupe déterminé,
Page 211
1 groupe qui. Finalement. a été jugé comme incluant des terroristes, pourrait
2 assumer un certain nombre de responsabilité.
3 Il y a une affaire à New York où un avocat a été incarcéré pour le travail
4 accompli par lui.
5 Alors qu'en est-il aussi des financiers qui fournissent des fonds à
6 certaines personnes ou des religieux qui apportent une aide à certaines
7 personnes ? Qu'en est-il des militants qui apportent un appui politique à
8 une organisation politique déterminée ?
9 L'idée c'est qu'en l'absence d'un critère clair, ce genre d'action pourrait
10 être considéré comme crime contre l'humanité, et ceci aurait un effet
11 dissuasif, ceci aurait pour effet de geler sur place toute personne qui
12 voudrait prononcer un discours politique légitime ou participer à une
13 action politique légitime. Des gens dans ce genre de situation, dans la
14 situation à laquelle les Serbes ont été confrontés après la déclaration
15 d'indépendance, n'auraient pas pu donner lecture de cette décision et
16 décider de ce qu'il convenait de faire. Quand on ne sait pas où se situe la
17 ligne rouge, on fait preuve d'une très grande prudence et on se maintient
18 bien en deçà de la ligne en question.
19 Alors si le comportement est un comportement criminel ou si c'est un
20 comportement neutre, il y a une différence. Le fait d'agir avec prudence ne
21 peut pas être considéré comme répréhensible, si l'on ne sait pas quelles
22 sont ses obligations du point de vue fiscal, on va, Monsieur le Président,
23 Madame, Messieurs les Juges, payer avec prudence certaines sommes de façon
24 à attendre pour voir. Il n'y a pas de protection contre le vol ou le
25 cambriolage. Mais quand on parle d'actions politiques, quand on parle de
26 discours, quand on parle de négociations, quand on parle de constitution de
27 formations politiques, la loi ne doit pas agir en tant qu'élément dissuasif
28 vis-à-vis d'actions politiques légitimes. Et ce qui manque gravement dans
Page 212
1 le jugement de la Chambre de première instance, c'est la moindre
2 reconnaissance du fait que l'on se meut sur un terrain particulièrement
3 dangereux. C'est le fait que l'on n'est pas en train de juger des gens qui
4 s'assènent des coups les uns aux autres, où des gens qui se tirent les uns
5 sur les autres, où des gens qui participent à des actes du genre de ceux
6 qui ont été commis pendant l'Holocauste ou des actes comparables aux actes
7 commis par les Japonais ou d'autres, à savoir des actes physiques, mais
8 qu'on est en présence de discours et d'action politique. Il n'y a pas la
9 moindre reconnaissance dans le jugement de la Chambre de première instance
10 par rapport à cette différence. Il n'y a pas de reconnaissance du fait que
11 dans un cas on est dans une situation et dans une autre situation, où les
12 droits de l'homme peuvent être mis en cause, mais l'appelant avait le droit
13 de prononcer des discours et d'agir politiquement. Tous les autres accusés
14 étaient également en situation d'exercer des droits protégés et, en
15 l'espèce, il y a opposition entre les deux concepts. C'est tout à fait
16 clair, il faut résoudre cette opposition.
17 La Chambre a décidé sans reconnaître l'existence de cette différence. Elle
18 a rendu son jugement qui a des implications très importantes vis-à-vis du
19 comportement politique de dirigeants politiques placés dans la même
20 situation que notre client. Nous croyons que ceci est une absence de
21 reconnaissance et de compréhension de la nature même d'un certain nombre de
22 divergences. L'implication de ce jugement par rapport à des conflits passés
23 peut également avoir des implications sur les jugements concernant des
24 terroristes ou l'utilisation du terme "terrorisme" par un grand nombre de
25 pays.
26 Les groupes terroristes opèrent dans de nombreux pays, y compris
27 celui où nous sommes aujourd'hui, y compris mon pays. Ils sont souvent
28 soutenus par des réseaux très importants. Vous avez donc des cercles
Page 213
1 concentriques qui se déplacent, les terroristes eux-mêmes constituent un
2 cercle. Il y a ensuite les soutiens religieux et politiques dans mon pays.
3 Pour ne parler que de celui-là, sur la base d'un texte criminel, une
4 conspiration a été jugée, le principe RICO a été appliqué et une dizaine de
5 mises en accusation au pénal ont été prononcées et remises en cause
6 ensuite, parce que les actes d'accusation étaient trop larges, trop vastes.
7 Est-ce qu'on peut mettre en accusation un professeur de l'Université
8 de Floride qui a prononcé un discours à l'appui du terrorisme pour des
9 activités de financement commanditées par des terroristes ? Est-ce qu'on
10 peut également inclure au nombre des membres d'une entreprise criminelle
11 commune des rabbins ou des prédicateurs, des imams, des pasteurs qui,
12 éventuellement, partagent un objectif et parlent du point de vue religieux
13 en exprimant leurs opinions, mais ne parlent pas des moyens qui
14 permettraient d'aboutir à l'objectif poursuivi. Je ne veux pas dire
15 uniquement que les seuls débats qui peuvent être cités à titre d'exemple
16 sont les débats sur le terrorisme, dans mon pays on a également des prêtres
17 qui s'expriment sur le sujet de l'avortement et des centres d'avortement et
18 c'est un problème grave qui peut éventuellement mettre en cause une
19 responsabilité.
20 Pendant le conflit entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, il y a eu
21 des questions importantes qui ont été posées, des questions très vastes qui
22 mettaient en cause les formes diverses de responsabilité pénale.
23 Je sais que nous en arrivons à l'heure de la pause, donc je voudrais
24 simplement mettre un terme à mon exposé en en appelant instamment à la
25 Chambre d'appel pour qu'elle tienne compte ce que j'ai dit, ce qu'a dit mon
26 frère également au sujet du fait que l'Accusation, en l'absence de
27 définitions précises des actes contestés, a imputé à M. Krajisnik des
28 discours et des actes qui finalement sont de nature politique. Si la
Page 214
1 Chambre d'appel devait passer en revue ces discours, le temps qui a été
2 consacré à ces discours et la situation dans laquelle se trouve celui qui
3 prononce un discours, elle ne manquera pas d'aboutir à un avis différent de
4 celui qui a été celui de la Chambre de première instance après les
5 présentations des arguments de l'Accusation à l'appui du jugement de la
6 Chambre de première instance.
7 Nous avons ici une possibilité très satisfaisante de nous exprimer devant
8 le Pr Cassese et de faire appel à ses qualités de professeur ainsi que de
9 lui rappeler les articles récents qui ont été publiés par des professeurs
10 de Stanford et Vanderbilt, entre autres, où il est indiqué que sans revoir
11 nécessairement de fond en comble la jurisprudence de l'entreprise
12 criminelle commune, il faut néanmoins que des lignes claires soient
13 définies. Vous avez nos rapports, vous avez nos écritures, vous savez où
14 nous pensons que la ligne de démarcation doit se situer. Et la question a
15 été évoquée à de nombreuses reprises devant d'autres instances.
16 Il a été pratiquement admis que la responsabilité au titre de
17 l'entreprise criminelle commune devait être définie selon un examen plus
18 précis des actes matériels qui sont à la base de cette entreprise et
19 permettent de la définir. Il y a des comportements qui sont protégés,
20 d'autres qui ne le sont pas. Il faut établir la distinction entre les deux.
21 Je vous remercie, Monsieur le Président, je pense que l'heure de la
22 pause approche.
23 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Il est l'heure de
24 faire la pause. Il y aura quelques questions après la pause éventuellement.
25 Donc 15 minutes d'interruption, nous reprendrons à 10 heures 30.
26 --- L'audience est suspendue à 10 heures 16.
27 --- L'audience est reprise à 10 heures 36.
28 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous allons donc reprendre notre
Page 215
1 audience. D'après ce que j'ai compris, M. le Juge Meron souhaite poser une
2 question à l'avocat de la Défense.
3 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Il s'agit
4 d'une question que je souhaite poser aux deux frères Dershowitz. Vous savez
5 peut-être d'après l'affaire des médias et le fait que j'ai proposé une
6 opinion dissidente à l'argument que vous faites valoir sur les déclarations
7 politiques, je pense que l'Accusation parlera plus tard, mais j'ai des
8 questions directes à vous poser, l'Accusation en traitera directement.
9 Je souhaite pour l'instant évoquer une question technique avec vous à
10 propos de l'entreprise criminelle commune. Vous pourriez simplement pour
11 les besoins de l'argumentation, à supposer qu'il y avait une entreprise
12 criminelle commune et deuxièmement, que M. Krajisnik était un membre de
13 cette entreprise criminelle commune, comme vous le savez, la Chambre
14 d'appel, dans l'affaire Brdjanin, dans l'arrêt Brdjanin énonce les liens
15 qui doivent être établis entre des crimes commis par des personnes qui ne
16 sont pas membres de l'entreprise criminelle commune et les membres, en
17 réalité, de l'entreprise criminelle commune.
18 Dans quelle mesure arguez-vous du fait que ces liens n'ont pas été établis,
19 et si ces liens n'ont pas été établis, alors quelles parties du jugement de
20 la Chambre de première instance seraient annulées de ce fait ?
21 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci. Je souhaite m'en remettre à mon
22 frère qui est mieux à même de répondre à cette question étant donné qu'il
23 est allé à la faculté de droit de New York.
24 M. LE JUGE MERON : [interprétation] C'est un bon début.
25 M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] L'élément essentiel a trait à la façon
26 dont les choses ont évolué. Il est impossible au Procureur aujourd'hui, ou
27 en tout cas inconvenant à l'Accusation aujourd'hui de demander à revoir le
28 compte rendu d'audience a posteriori pour justifier ce lien. Ce qui est
Page 216
1 essentiel d'après la décision qui a été prise dans l'affaire Brdjanin,
2 c'est qu'il faut commencer, lorsqu'on commence une analyse, par une
3 indication des membres de l'entreprise criminelle commune. Ensuite, il faut
4 reconnaître, étant donné qu'il s'agit de la question de liens, il faut
5 savoir quels sont ceux qui ne sont pas membres. Ensuite, il faut clairement
6 reconnaître les membres de l'entreprise criminelle commune et ensuite, ce
7 qu'il faut faire, c'est démontrer le lien direct qui existe avec les
8 actions qui ont été menées. Ceci devrait constituer le chef d'accusation de
9 façon à ce qu'on puisse se défendre contre ce chef d'accusation.
10 Ce qui a été fait dans le cas en espèce, c'est impossible à défendre, parce
11 que la description est tellement vague des membres de l'entreprise
12 criminelle commune et cette question reste ouverte. Ensuite, ils rajoutent
13 des membres de l'entreprise criminelle commune en tenant compte des
14 activités qui se sont déroulées et ensuite ils tentent d'établir ce lien.
15 C'est tout à fait la position inverse par rapport à ce qui s'est passé dans
16 l'affaire Brdjanin lorsqu'on parle de véritables auteurs, parce que par
17 définition, ce que l'on fait quasiment, c'est de dire qu'un acte s'est
18 produit, qui est un crime de guerre, quelle que soit la personne qui ait
19 suggéré cet acte a dû être un membre de l'entreprise criminelle commune.
20 Ensuite, vous refaites le lien par la suite avec l'entreprise criminelle
21 commune d'origine et ceci est un procédé qui fonctionne à l'envers, ceci
22 n'est pas approprié. Dans le cas qui nous intéresse, encore une fois, la
23 décision rendue par la Chambre est quelque peu incohérente et ne concorde
24 pas avec les avis proposés par différents juges de ce Tribunal et les
25 positions adoptées par le Procureur et ceci concorde peu avec ces avis-là.
26 Mais la façon dont c'est décrit dans la décision, il est important qu'il y
27 ait un accord de participation à l'entreprise criminelle commune, que les
28 personnes soient membres avant que tout acte ne se produise. Donc la date
Page 217
1 qui nous intéresse aujourd'hui doit précéder le mois d'avril de l'année
2 1992. Il est très important que les Procureurs puissent démontrer la mise
3 en place de l'entreprise criminelle commune avant l'année 1992.
4 Peut-être qu'on peut établir le lien par la suite et à ce moment-là, il
5 faut démontrer quelque chose pour permettre d'établir ce lien, mais
6 d'utiliser la date d'avril 1992 comme étant la date à laquelle cet accord a
7 été convenu en vue de commettre des crimes de guerre. Il faut établir un
8 lien avec ce qui cite le statut, il doit y avoir une entreprise criminelle
9 commune en vue de commettre les crimes inscrits dans le statut, ceci aurait
10 dû arriver au mois d'avril 1992.
11 Donc pour répondre à votre question directement, je crois que c'est trop
12 tard pour le Procureur de faire cela. Si vous suivez la logique et la
13 progression telles que les choses ont évolué plutôt que d'avoir une
14 évolution logique, le Procureur est maintenant allé bien au-delà et essaie
15 de revenir en arrière pour justifier cela, ce qui est une façon évidemment
16 inappropriée lorsqu'il s'agit d'un chef d'inculpation criminelle.
17 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie de votre réponse,
18 Maître Dershowitz, mais ma question était surtout centrée sur ceci, à
19 savoir si la Chambre de première instance d'après vous, a constaté que des
20 liens avaient été établis entre les crimes commis par des personnes qui
21 n'étaient pas membres de l'entreprise criminelle commune et par des membres
22 de l'entreprise criminelle commune.
23 M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Ecoutez, je suggère qu'il n'y avait pas
24 de lien. Deux paragraphes ont été rajoutés et ceux-ci ne sont pas
25 appropriés, ils n'établissent toujours pas le lien, mais cette personne qui
26 est censée maintenant être un membre de l'entreprise criminelle commune,
27 ceci a été ajouté par la suite, a posteriori à cause de quelque chose qui
28 s'est produit sans date, sans heure, sans jour, sans rien, ensuite cette
Page 218
1 personne devient un membre de l'entreprise criminelle commune d'origine.
2 Par opposition, il faudrait commencer par les membres d'entreprise
3 criminelle commune, clairement préciser ce que ces personnes ont fait pour
4 réaliser l'entreprise criminelle commune et ainsi établir le lien par la
5 suite. Je crois que cela se retrouve au paragraphe 1 006 qui est
6 particulièrement défectueux à cet égard.
7 M. LE JUGE MERON : [interprétation] S'il n'y a pas eu de lien, si on n'a
8 pas pu établir de lien, quelle est l'incidence sur l'ensemble du jugement ?
9 M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] A ce moment-là, je crois qu'il faut
10 tout rejeter, parce qu'à ce moment-là on concède qu'il n'a pas été auteur,
11 n'a pas commis ces actes et dans ce cas, il n'y a pas de lien. Et à ce
12 moment-là, il faut absolument casser le jugement.
13 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je ne souhaite pas insister, mais si
14 vous regardez les paragraphes 299 et 300 de la Chambre de première
15 instance, mentions sont faites de crimes qui ont été commis par des membres
16 de l'entreprise criminelle commune.
17 M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Encore une fois, Monsieur le Juge, il
18 faudrait que je vérifie, Monsieur le Juge, pour voir si ces dispositions,
19 ce qu'on vous a indiqué ce sont les défauts au niveau de l'acte
20 d'accusation et je dois parler de ceux qui ne sont pas étayés. Ce que je
21 devrais faire également c'est revenir en arrière pour voir si ces
22 déclarations établissent un lien avec les crimes de guerre parce que
23 souvent ils ne le sont pas.
24 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Nous allons fournir une réponse par
25 écrit aux Juges de la Chambre d'appel. Nous avons eu l'occasion de voir ce
26 dont il s'agit. Je souhaite simplement ajouter quelque chose, une phrase à
27 ce sujet.
28 Il s'agit d'un cas unique. Il ne s'agit pas d'un cas qui a déjà été évoqué
Page 219
1 par les Juges de la Chambre où vous avez une entreprise criminelle commune
2 assez sûre, où vous avez les membres qui sont connus, ensuite, un étranger
3 qui entre dans un camp de concentration qui tue des gens ou quelqu'un qui
4 n'avait rien à voir et qui fait cela. Ici, ce que les Juges de la Chambre
5 ont fait - parce que l'objectif au sens politique de la séparation ethnique
6 était tellement large et que ceci, malheureusement, prévaut dans le reste
7 du monde et dans l'acte d'accusation précise par d'autres moyens, et moyens
8 légaux, toute personne d'origine ethnique serbe qui vivait dans la région
9 pourrait être considérée comme un membre de l'entreprise criminelle
10 commune. Surtout s'ils ont pris part ensuite à certains de ces crimes -
11 donc les Juges de la Chambre ont simplement mis de côté cette question et
12 n'ont pas tenu compte de savoir quel est le rôle joué par quelqu'un qui
13 n'est pas membre de l'entreprise criminelle commune et n'ont pas tenu
14 compte du lien entre ceci et l'appelant. Et l'appelant aurait dû être tenu
15 au courant de ce qui s'était passé avant que l'acte ne soit commis.
16 Bien sûr, dans ce cas, nous avons les conclusions de la Chambre qui déclare
17 qu'il n'occupait pas une position d'autorité et qu'il n'aurait pas pu
18 l'empêcher. Donc il y a des contradictions ici parce qu'on le tient pour
19 responsable pour n'avoir pas agi, pour n'avoir pas enquêté, pour n'avoir
20 pas poursuivi, mais ils constatent également qu'il ne disposait pas des
21 pouvoirs nécessaires. Alors que les éléments de preuve sont clairs, M.
22 Krajisnik n'aurait pas pu enquêter, n'aurait pas pu poursuivre seul. Nous
23 n'avons aucun élément de preuve sur ses avis, ses opinions, sur savoir s'il
24 fallait poursuivre ces personnes ou non.
25 Je souhaite simplement demander si quelqu'un d'autre peut-être souhaite
26 poser des questions. N'hésitez pas à m'interrompre.
27 Je souhaite consacrer le reste de mon temps à ceci, à tenir compte de
28 comment ceci a une incidence sur l'examen en appel, comment les Juges de la
Page 220
1 Chambre d'appel devraient analyser le jugement rendu compte tenu du fait
2 que nous parlons de discours politiques et d'activités politiques.
3 La Chambre de première instance a indiqué au paragraphe 1 196 du critère
4 retenu pour faire des déductions, ceci doit relever davantage des
5 circonstances et doit être la seule déduction raisonnable qui est un
6 critère assez difficile. Malheureusement, la Chambre de première instance
7 n'a pas appliqué ce critère, son propre critère lorsqu'il s'agissait
8 d'évaluer les discours politiques. Peut-être qu'ils ont appliqué ce
9 critère, je ne sais pas, ceci n'est pas mon rôle ici lorsque nous parlons
10 de savoir si les témoins, comme ils l'ont dit, manquaient de spécificité et
11 ne pouvaient pas reconnaître l'identité des auteurs. Il s'agit de questions
12 purement factuelles de savoir qui était qui et qui était où et à quel
13 moment. Et lorsqu'il s'agissait d'interpréter les discours politiques, je
14 suis sûr que lorsque cette Chambre d'appel va analyser les évaluations
15 faites par la Chambre de première instance, ils constateront que toutes les
16 déductions ont été faites à l'envers contre l'appelant et ses discours
17 politiques.
18 Chaque fois que ses discours politiques pouvaient être interprétés de deux
19 façons, en disant qu'il souhaitait obtenir une position avantageuse lors
20 des négociations lorsqu'il s'agissait de commettre un crime, à ce moment-
21 là, la Chambre adopterait toujours la déduction, en général, qui est
22 toujours contraire à l'accusé.
23 Lorsqu'à un moment donné ils disent qu'ils ont qualifié une de ses
24 déclarations comme étant un appel aux armes, l'accusé a appelé aux armes,
25 au paragraphe 925, à la séance de l'assemblée du mois de mars 1992, mars
26 18. Lorsque vous placez ceci dans ce contexte et que vous tenez compte des
27 éléments de preuve qui se rattachent, il ne s'agit absolument pas d'un
28 appel aux armes. C'est bien le contraire. Il s'agit de déposer les armes.
Page 221
1 Il s'agit de résoudre le conflit, bien le contraire.
2 La même chose vaut pour les autres discours politiques. Bon nombre d'entre
3 nous trouverons évidemment que c'est gênant si on regarde en fait le fond,
4 une déclaration qui n'a pas été faite par lui mais par quelqu'un d'autre,
5 que les Musulmans avec leur taux de natalité vont étouffer nos territoires.
6 Enfin, l'accusé, qu'il n'a pas relevé cette remarque. Il a omis en fait de
7 corriger cette remarque. Puisqu'il était porte-parole, il devait être
8 courtois et poli.
9 Assumez [comme interprété] qu'il s'agit d'un scénario un peu plus
10 difficile. A supposer [comme interprété] que l'accusé dise qu'il faut se
11 préoccuper du taux de natalité des Musulmans dans notre communauté, par
12 exemple, des Juifs, ou le taux de natalité des Catholiques ou de toute
13 autre personne. Je crois que si on lit les journaux, cela figure dans tous
14 les journaux, et si on tient compte de ce qu'a dit l'accusé dans le
15 contexte à l'époque et du rôle qu'il jouait, je crois, qu'il faut
16 l'interpréter de la façon suivante: les déductions qui peuvent être faites,
17 s'il faut conclure que c'est la seule déduction possible, si on applique le
18 propre critère de la Chambre, si on dit qu'il s'agit de la seule déduction
19 possible, on ne peut pas en conclure que la seule déduction possible est
20 une déduction criminelle.
21 Moi, je pense – et je fais mon exposé devant cette Chambre parce que
22 j'ai lu toutes les déclarations – que la déduction la plus raisonnable est
23 celle d'un discours politique et n'est pas d'un discours qui incite à la
24 violence. Mais moi, je ne dois pas répondre à ce critère. C'est
25 l'Accusation qui doit répondre à ce critère. Il n'y a pas de déduction
26 raisonnable à cet égard, hormis une déduction criminelle qui peut être
27 déduite de ces discours politiques. On ne peut pas agir ainsi surtout si on
28 place ces discours politiques dans leur propre contexte. Si on lit chaque
Page 222
1 paragraphe - bien évidemment, je ne vais pas le faire maintenant - et
2 chaque paragraphe qui évoque ces discours politiques, il y a toujours
3 différentes façons d'interpréter ces discours politiques.
4 Nous savons tous que les hommes politiques et les dirigeants religieux
5 peuvent parler de façon métaphorique, poétique. Ils sont tout à fait à même
6 de présenter leurs idées d'une façon ou d'une autre. Mais on ne peut pas
7 simplement poursuivre quelqu'un pour crimes de guerre en tenant compte de
8 discours et de déclarations politiques qui peuvent être interprétés de
9 différentes façons. Et nous pensons que le critère retenu en appel pour
10 examiner les différents faits susmentionnés, je crois, ont été retenus pour
11 étayer les arguments de l'Accusation. Mais ceci n'est pas le cas lorsqu'on
12 parle de liberté d'expression et des critères retenus en appel. Ceci ne
13 s'applique pas en fait à la Cour suprême américaine ni la chambre de lords
14 en Grande-Bretagne. Je ne sais pas s'il existe un critère aux termes du
15 droit international là-dessus. Nous n'avons rien trouvé. Mais quelles sont
16 les règles en appel ? Quels doivent être les règles en appel lorsqu'on
17 parle en fait de constatations factuelles de ce genre ? Mais il n'y a pas
18 de précédent semble-t-il, ni dans un sens ni dans l'autre. Je crois qu'il
19 faut tenir compte de toutes les déductions possibles et en faveur de
20 l'accusé lorsqu'il s'agit d'activités politiques et de discours politiques
21 de façon à ne pas simplement indiquer ou de geler les activités politiques,
22 discours politiques dans ce cadre-là. Il est important en fait de trouver
23 un équilibre lorsqu'il y a un conflit qui découle de discours politiques et
24 lorsqu'on indique qu'il s'agit de violation des droits de l'homme.
25 Je crois qu'il y a un élément qui est très important ici. C'est l'absence
26 d'actus reus de l'élément matériel. Rien n'a été prouvé dans cette affaire.
27 Mais pour ce qui est de l'élément moral, le mens rea, il a été suggéré que
28 la connaissance ne suffit pas.
Page 223
1 La connaissance suffit lorsqu'on parle d'activités militaires,
2 actions militaires menées par l'accusé, à savoir qu'il savait qu'il y avait
3 des civils dans certaines villes et qu'il a demandé à ce que celles-ci
4 soient pilonnées. La connaissance suffit dans ce cas-là. Mais cela ne
5 suffit pas pour le mens rea pour l'élément moral lorsqu'on applique ceci
6 aux discours politiques. Cela signifierait que toute personnalité politique
7 devrait garder le silence une fois qu'ils ou qu'elles savaient qu'elles
8 faisaient des déclarations qui pourraient être mal interprétées pour
9 signifier que ceci contribue ou favorise la valeur, ou pourrait être
10 interprété après les faits. Cela ne suffit pas. Les hommes politiques
11 doivent être encouragés à poursuivre leurs discours même s'ils savent que
12 des crimes sont commis.
13 M. Krajisnik, de façon très efficace, me semble-t-il, il y aura davantage
14 de documents, je suis sûr, émanant du Dr Karadzic sur son manque de
15 connaissance et le rôle précis qu'il a joué et le manque de pouvoir dont il
16 disposait. Mais à supposer dans le pire des cas simplement pour l'examen en
17 appel, à supposer qu'il était au courant du pilonnage, qu'il était au
18 courant de ces activités, qu'il en réalité n'était pas au courant, est-ce
19 que cela signifie pour autant qu'il devait s'arrêter de parler ? Tel était
20 son objectif, oui, parce que sur le terrain il devait prendre position au
21 plan juridique qui l'aiderait à négocier. Et toute négociation, tout
22 négociateur fait cela. A chaque fois qu'il y a des accords de cessez-le-
23 feu, chaque camp souhaite améliorer sa position sur le terrain pour leur
24 donner un levier lors des négociations. Je crois que tout ce que M.
25 Krajisnik a dit, même dans la période la plus difficile, la pire, tout ceci
26 doit être placé dans le contexte du rôle qu'il a joué en tant que
27 négociateur, le rôle qu'il a joué en tant que personne qui souhaitait faire
28 avancer une résolution pacifique. Oui, c'est vrai, il avait prévu qu'il y
Page 224
1 aurait la guerre. Il avait prévu que la guerre aurait des conséquences
2 épouvantables. Oui. Tout ceci a été placé dans le contexte où il souhaitait
3 faire éviter la guerre. Il est vrai qu'il a rappelé à tout un chacun et aux
4 Serbes de ce qui était arrivé pendant la Deuxième guerre mondiale, lorsque
5 les centaines de milliers de Serbes ont été tués lorsqu'ils étaient
6 vulnérables et étaient livrés aux mains des excès des Nazis et les
7 collaborateurs qui se trouvaient être leur ennemi, ce, dans la communauté
8 croate et musulmane. Mais c'est vrai, il a dit la vérité, une vérité qui
9 n'est pas toujours agréable à dire. Il est vrai que d'aucuns considéraient
10 qu'il s'agirait à ce moment-là un encouragement à agir. Mais le critère
11 très technique que constitue l'incitation à ce moment-là, quand bien même
12 ceci aurait été réalisé, on ne peut pas l'accuser d'entreprise criminelle
13 commune même s'il avait été au Rwanda, par exemple.
14 Quelqu'un prend la parole à la radio et parle des endroits où vivaient les
15 victimes et pourquoi ces victimes devaient être tuées, et à ce moment-là il
16 s'agit d'incitation. Il ne s'agit pas de discours politique protégé. Ce qui
17 a été fait pendant la Deuxième Guerre mondiale, par exemple, le tribunal de
18 Nuremberg, il n'y avait pas de discours protégé. Mais l'Accusation
19 reconnaîtrait, je suis sûr, que chacun de ces discours politiques, chaque
20 mot prononcé ferait partie d'un discours protégé. Il n'y a pas un seul
21 discours politique qui a été fait et qui pourrait être constitutif de crime
22 et qui pourrait être qualifié d'incitation.
23 Et lorsqu'on fait face à une situation où il y a une –- nous sommes
24 confrontés à un discours politique, comme l'ont dit les Juges de la
25 Chambre, lorsqu'il s'agissait de mettre en place les structures de
26 gouvernement du SDS et faire valoir ses qualifications ou ses qualités
27 politiques, même si on estime que la fin des moyens n'est pas justifiée,
28 l'actus reus, si on en tient compte comme il se doit, l'élément matériel
Page 225
1 n'est pas criminel. Il y a trois catégories, je suis très clair. Il y a
2 crimes de guerre, crimes de droit commun et le comportement neutre et
3 comportement protégé. Dans ce cas nous parlons de comportement protégé, de
4 discours politique protégé, de discours qui ne pourrait pas être interdit
5 par une nation et qui devait répondre à ses obligations, puisqu'il
6 s'agissait de défendre la liberté de parole. Et les critères retenus ici
7 doivent être différents. Le critère du mens rea d'élément moral et matériel
8 doit être différent ici. La complicité dans l'entreprise criminelle
9 commune, ceci doit constituer des critères différents.
10 A la lecture de cet acte d'accusation et de ce jugement, ceci est tout à
11 fait conforme. Il est vrai, M. Krajisnik pensait qu'il fallait séparer. De
12 façon hypothétique, nous ne le concédons, il pensait que le transfert de
13 population serait peut-être souhaitable, étant donné qu'il y a eu un
14 transfert de population comme après la Deuxième Guerre mondiale, et dans
15 d'autres cas, au Bangladesh il y a eu des transferts de population, des
16 transferts de population en Israël, Palestine, et cetera, était quelque
17 chose de souhaitable. Quand bien même on admet cela, cela en soit ne crée
18 pas l'objectif qui fait partie de l'entreprise criminelle commune et les
19 moyens, les moyens qui ont clairement été reconnus.
20 Ici il s'agissait de moyens sous la forme de discorde politique. Et
21 si l'objectif est politique, si les moyens étaient politiques, à ce moment-
22 là nous nous trouvons dans une situation comme cela a été le cas aux Etats-
23 Unis, en fait, le cas le plus célèbre de complot contre le Dr Spock qui
24 était un pédiatre mondialement connu, qui s'est opposé à la guerre du
25 Vietnam. Moi, j'ai eu l'honneur de défendre l'accusé, et il y avait six
26 groupes de personnes qui se sont opposés à la guerre au Vietnam. Ils ont
27 tous présenté de façon différente. Ils avaient tous un objectif commun. Ce
28 qu'ils voulaient c'était faire cesser la guerre. Dr Spock, sous la forme
Page 226
1 d'une résistance pacifique, parfois un comportement criminel, puisqu'il
2 bloquait l'entrée au centre où les gens étaient mobilisés. En fait, il se
3 jetait par terre et acceptait d'être arrêté.
4 D'autres membres de la conspiration voyaient ça de façon différente.
5 Il fallait faire cesser la guerre au Vietnam. C'était parfois plus violent.
6 Cela prenait parfois des formes illicites.
7 Mais sur le terrain, et ce que la Chambre de première instance, à ce
8 moment-là n'avait pas fait, bien, il n'avait pas exigé qu'il y ait un
9 objectif commun par rapport à cette question-là, mais que chaque accusé
10 devait adhérer personnellement ou accepter des moyens qui étaient
11 contraires à la constitution et n'était pas protégé par la constitution, et
12 deuxièmement était illicite en tant que tel. Ils ont utilisé ce terme de
13 conspiration bifurquée, lorsqu'il y a deux moyens d'y parvenir de façon
14 légale et illégale, en fait. Et l'Accusation et l'acte d'accusation et la
15 Chambre de première instance doivent justement exiger cela. C'est un jury,
16 les Juges en l'espèce qui doivent mettre le doigt sur cet élément-là en
17 particulier, que l'accusé a opté pour des moyens illicites et a participé
18 de façon personnelle à des actes qui ne sont pas légaux, ce qui n'est pas
19 le critère retenu pour le complot aux Etats-Unis.
20 Pas aux Etats-Unis, et c'est uniquement un critère en matière de
21 complot, lorsque pour complot il y a aussi des discours protégés, des
22 activités qui, aux Etats-Unis, relèvent du 1er Amendement à la constitution.
23 Dans de tels cas on a d'autres règles de droit, notamment en appel,
24 l'interprétation en appel, qui doivent s'appliquer. Et nous demandons
25 respectueusement à la présente Chambre tout d'abord ceci, nous
26 n'abandonnons pas ce que nous avons dit de l'applicabilité du principe de
27 l'entreprise criminelle commune et que ce n'est pas prévu par le Statut,
28 mais nous demandons aussi à la Chambre de saisir l'occasion que lui donne
Page 227
1 le présent appel pour créer des règles, des délimitations précises, bien
2 délimitées, de façon à ce que quelqu'un qui lira cet arrêt sache exactement
3 le discours qui lui est permis, celui qui ne lui est pas permis, quand il
4 est permis de faire ce discours, dans quel contexte un discours devient un
5 crime ou une infraction, quels sont les contextes dans lesquels les
6 décisions politiques deviennent des infractions. Ce genre d'instruction en
7 appel serait vraiment utile. Nous sommes convaincus que le discours et
8 l'activité politique seraient à ce moment-là plus restreints.
9 Mais si on désapprouve les discours faits ici et quand on voit le
10 contexte, le choc sera moindre même si on désapprouve ceci. La liberté
11 c'est la liberté pour ceux avec qui on n'est pas d'accord. C'est la liberté
12 pour ceux-là de faire des discours que nous, nous ne ferions pas. La
13 liberté qu'ont les autres de former des partis politiques que nous, nous
14 n'approuvons pas, la liberté qu'ont ceux qui prônent des solutions
15 politiques que nous, nous n'accepterions pas.
16 Il y a dans cette décision un paragraphe qui démontre de façon
17 éclatante la nature politique où on parle de l'obligation qu'a Krajisnik
18 envers tous les citoyens du pays dans lequel il a vécu et qu'il n'a pas
19 rempli les obligations qu'il avait à l'égard de tous les citoyens. Mais
20 pour moi, c'est plutôt un argument qu'on veut présenter pour destituer un
21 président. Mais ce n'est pas le fondement sur lequel on peut se fonder pour
22 accuser quelqu'un du crime le plus grave dans le monde, à savoir des
23 violations des droits de l'homme, assassinat, alors que c'est une
24 personnalité politique qui a le droit d'exercer son droit à la liberté de
25 parole d'une façon sur laquelle nous ne sommes pas tout à fait d'accord,
26 pas nécessairement.
27 Merci.
28 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen,
Page 228
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 229
1 vous avez une question ? Vous avez la parole.
2 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : Maître Dershowitz, les arguments que vous
3 avez présentés, vous et votre frère, me sont très utiles.
4 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci.
5 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : Et je vous félicite tous deux. Il y a encore
6 quelque chose qui n'est pas clair dans mon esprit. Ce sont les paramètres
7 précis que vous utilisez pour faire valoir le droit qu'à un homme politique
8 de faire des discours. Je pense que d'une certaine façon vous reconnaissez
9 qu'il y a des hommes politiques qui peuvent dire une chose alors qu'ils
10 savent pertinemment que ceux qui les écoutent vont comprendre autre chose
11 que ce que l'orateur a dit. Je comprends parfaitement ce que vous nous avez
12 dit à propos de la nécessité de protéger le droit que constitue la liberté
13 de parole. Cependant, est-ce qu'à un moment donné un tribunal a le droit de
14 dire ceci: Ecoutez, ici l'appelant a prononcé des discours et nous allons
15 soupeser le poids à leur donner pour voir si ces discours ont été compris
16 par les auditeurs. Est-ce ça pose problème ?
17 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci de cette question très
18 pertinente, aussi pertinente que difficile. Oui, effectivement je
19 répondrais par l'affirmative. Mais il faut d'abord deux critères. Tout
20 d'abord, il faut que l'accusé ait été mis en accusation pour avoir prononcé
21 discours. Il faut donc qu'il y ait un acte d'accusation fondé sur les
22 discours eux-mêmes, incitation, comme ça s'est fait pour le TPIR, pour
23 Streicher dans le procès de Nuremberg.
24 Il faut aussi que la charge de la preuve revienne à l'Accusation, pas
25 à la Défense, et l'Accusation doit délimiter les paramètres, et c'est
26 d'ailleurs le Statut qui doit énoncer ce qu'est une incitation.
27 Il y a une doctrine américaine mais [comme interprété] internationale
28 qui est très claire. C'est la doctrine des mots codés. Nous savons
Page 230
1 parfaitement ce que ça veut dire. Vous avez mis le droit sur la plaie, si
2 j'ose dire. Si l'accusé, comme celui qui écoute son discours, savent qu'il
3 y a des mots codés, un code qui est utilisé lorsqu'on utilise une certaine
4 phrase que ce soit une phrase tirée de la bible, du Coran ou de la
5 littérature, ou d'un discours politique, qui n'a qu'une seule compréhension
6 ou interprétation possible, à savoir l'incitation à l'acte, à ce moment-là,
7 effectivement, on peut condamner l'accusé.
8 Mais ici la Chambre de première instance n'a pas tiré de telles
9 conclusions, nulle part elle n'a laissé entendre que M. Krajisnik avait
10 l'intention ou visait à ce que son discours ou certains termes de son
11 discours soient ainsi compris. Par exemple, "l'appel aux armes," ou il "a
12 mis le train en marche." Ça c'est plutôt une culpabilité par métaphore. Et
13 quand on parle de cette liberté de parole en raison même de ces nuances,
14 comme vous l'avez si bien dit, c'est une des questions les plus ardues qui
15 se soient jamais posées en droit, ou faire la différence ou démarquer la
16 liberté de parole et l'abus qu'on peut faire de certains concepts par la
17 parole, pour qu'on déclenche, pour que certains messages soient ainsi
18 véhiculés.
19 Nous savons qu'on ne va pas effectivement par la liberté de parole,
20 on ne va pas dire un kapo de la mafia qu'il a le droit d'inciter un de ses
21 hommes à commettre un crime
22 . Le roi Henri VIII [comme interprété] a dit, "Est-ce que personne ne
23 va pas me débarrasser de ce traître qui se mêle de
24 tout ?" Non, effectivement, là et ce n'est un discours protégé, mais
25 l'idée de mettre en accusation quelqu'un pour entreprise criminelle commune
26 sans préciser l'élément moral, l'élément matériel. Tout en utilisant ces
27 discours et la pire interprétation qu'on peut en faire, pour en faire un
28 conglomérat, un amalgame pour trouver un argument basé sur l'ensemble des
Page 231
1 circonstances, ceci compromet sérieusement la liberté de parole.
2 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Puisque vous êtes en train
3 d'intervenir, je voudrais vous importuner par une autre question qui sera
4 brève. Vous avez utilement présenté la thèse de l'entreprise criminelle
5 commune, je m'intéresse surtout au paragraphe 30 de votre mémoire dans
6 lequel vous évoquez plusieurs affaires et vous y citez un juge de ce
7 Tribunal que j'aurais la courtoisie de ne pas citer ici.
8 Je reviens à la dernière phrase de ce paragraphe qui dit ceci : "Il se peut
9 que ce soit la politique qui ait dicté ce résultat ou en tout cas, un
10 résultat, un verdict dans une affaire et un verdict différent ailleurs." Ce
11 qui m'intéresse, c'est l'utilisation que vous faites du terme "peut-être",
12 "perhaps" en anglais. Est-ce que l'appelant affirme ici dans cette phrase
13 quelque chose ou est-ce qu'il émet une supposition quant à l'éventuelle
14 réponse ?
15 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci de me donner l'occasion
16 d'apporter des précisions. Je viens de relire ce texte maintenant, et je la
17 retire. Je pense qu'elle n'a pas lieu d'être. Ce que je voulais dire
18 c'était assez différent et je l'ai mal dit. Ce que je voulais dire, c'est
19 qu'il y a en puissance la résolution politique d'une affaire, et
20 consciemment ou pas ce potentiel est plus grand lorsqu'on a des critères
21 qui sont assez flous, comme on a ici à la théorie de l'entreprise
22 criminelle commune, surtout lorsque nous avons des crimes aussi atroces que
23 ceux qui ont été commis ici sur le terrain, le droit a toujours besoin de
24 se protéger, de se prémunir de certaines possibilités, certaines théoriques
25 selon lesquelles l'idéologie, la politique, la bonne foi, l'instinct
26 humanitaire, l'humanité qu'on peut avoir peut intervenir pour que le Juge
27 n'applique pas nécessairement, strictement le droit.
28 Je ne voulais pas dire qu'un Juge précis se serait livré à ce genre de
Page 232
1 chose, personnellement je vous présente mes excuses. Je retire cette phrase
2 et je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'expliquer.
3 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je vous remercie, Maître
4 Dershowitz.
5 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Avez-vous d'autres questions que les
6 Juges veulent poser ? Ça ne semble pas être le cas.
7 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Je vous remercie.
8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous pouvons dès lors passer à la
9 réponse que va nous donner l'Accusation, et je donne la parole à
10 l'Accusation.
11 Mme GOY : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Nous
12 allons ce matin nous concentrer sur des questions que vous avez posées dans
13 l'ordonnance portant calendrier. Auparavant, cependant, je voudrais revenir
14 rapidement à certains des points qui viennent d'être évoqués.
15 Tout d'abord, il y a la différence qui est faite entre l'élément matériel
16 des infractions retenues et la contribution que doivent apporter les
17 membres de l'entreprise criminelle commune. La contribution en tant que
18 telle ne doit pas forcément être criminelle tant qu'elle contribue à la
19 perpétration des infractions des crimes, la responsabilité au pénal ne
20 résulte pas simplement du seul examen de la contribution, mais il faut
21 qu'il y ait un objectif commun avec d'autres membres de l'entreprise
22 criminelle commune, il faut qu'il y ait partage de l'intention, et lorsque
23 ces deux conditions sont remplies, il ne faut pas nécessairement que la
24 contribution soit criminelle.
25 La contribution de M. Krajisnik, en l'occurrence, ne s'est pas limitée à de
26 simples discours politiques, nous avons parlé de l'étendue de sa
27 contribution de façon détaillée dans la réponse au mémoire de l'Amicus
28 Curiae, paragraphes 97 à 106, et dans notre réponse au mémoire de
Page 233
1 Krajisnik, paragraphes 90 à 168.
2 Pour ce qui est du niveau du degré de contribution, le fait que la Chambre
3 Brdjanin a dit qu'il fallait que ce soit une contribution significative, il
4 est certain que la contribution constatée par la Chambre de première
5 instance l'est. La Chambre, par exemple, au paragraphe 1 158 parle du rôle
6 joué par Krajisnik, rôle qu'elle a qualifié de crucial, au paragraphe 1
7 119, elle parle de la position centrale qu'il occupait dans cette
8 entreprise criminelle commune.
9 L'autre question soulevée se demandait sous quelle forme Krajisnik avait
10 été condamné. Nous avons dit dans notre mémoire que la responsabilité
11 résulte surtout de la première forme de l'entreprise criminelle commune
12 sauf pour les références faites en dehors des transports forcés et
13 déportation, mais nous allons revenir à cette question cet après-midi, si
14 vous me le permettez, car l'Amicus Curiae a également abordé ce point.
15 Troisièmement, la condition imposée par l'arrêt Brdjanin au paragraphe 430
16 limite la responsabilité de l'entreprise criminelle commune et protège du
17 danger que constituerait le fait de déclarer une culpabilité par
18 association.
19 Si vous me le permettez, j'aimerais maintenant répondre aux questions que
20 vous posez dans l'ordonnance portant calendrier.
21 En amont, voici notre position. La Chambre de première instance avait pour
22 obligation, et elle y a répondu, elle a établi que les crimes
23 s'inscrivaient dans un objectif commun. Qu'est-ce que ceci veut dire? Ça
24 veut dire que ces gens, s'agissant des crimes commis physiquement par les
25 membres de l'entreprise criminelle commune, la Chambre devait établir et
26 elle l'a fait, que ceci avait été commis dans le cadre de l'objectif
27 commun. S'agissant de ceux qui n'ont pas été commis par des membres de
28 l'entreprise criminelle commune, la Chambre devait établir que les membres
Page 234
1 de l'entreprise avaient utilisé les auteurs principaux pour que ceux-ci
2 exécutent les crimes. Ici, la Chambre de première instance avait le droit
3 de tirer une déduction quant au lien entre les auteurs principaux et les
4 membres de l'entreprise soit parce que les auteurs principaux faisaient
5 partie d'une organisation, d'une structure qui avait à sa tête un membre de
6 l'entreprise, ou encore parce qu'il y a eu coopération étroite des membres
7 de l'entreprise avec les auteurs principaux surtout à la lumière de
8 l'ampleur et de la structure systématique des crimes commis.
9 Partant de cette analyse, la Chambre n'avait pas pour obligation
10 d'analyser ou d'énoncer de façon détaillée le lien précis entre chaque
11 incident et l'accusé.
12 Aujourd'hui, je vous dirais comment la Chambre de première instance a bien
13 appliqué le droit concernant l'entreprise criminelle commune dans des
14 circonstances où la plupart des crimes ont été le fait d'auteurs principaux
15 qui n'étaient pas membres de l'entreprise criminelle commune, et
16 j'aborderai quelques questions de droit concernant ce mode de
17 responsabilité. Quant à M. Kremer, il vous parlera des éléments de preuve
18 et des constatations s'agissant des liens de façon plus détaillée et
19 parlera de cas où le lien n'est pas nécessairement évident.
20 Avant de parler du droit concernant l'entreprise criminelle commune et de
21 la façon dont les auteurs principaux ont été utilisés, je vais vous donner
22 un exemple de cette coopération étroite entre les individus et ceux qui ont
23 exécuté ces actes qui consistaient à déloger les non-Serbes en commettant
24 des crimes. Prenons l'exemple de Zvornik. Vous trouverez les références aux
25 paragraphes 360 à 368 du jugement.
26 Les organisations, les structures à Zvornik, c'étaient la cellule de Crise,
27 la JNA, la police, la Défense territoriale, les groupes paramilitaires qui
28 tous avaient à leurs têtes des membres de l'entreprise à différents
Page 235
1 échelons. Les conclusions montrent qu'il y a eu coopération étroite entre
2 ces personnes et les Serbes de la région.
3 La cellule de Crise a ordonné la mobilisation de la TO serbe au même moment
4 des groupes paramilitaires dont les Aigles blancs, les Guêpes jaunes et les
5 Bérets rouges ont commencé à arriver, qui avaient été invités par le
6 président de la cellule de Crise. Les hommes d'Arkan qui étaient à
7 Bijeljina et qui, de façon générale, avaient été invités par Mme Plavsic,
8 membre de l'entreprise, paragraphe 938, étaient présents et ont travaillé
9 avec la police serbe pour établir des barrages.
10 Peu de temps après, ces groupes ont coopéré pour commettre le premier
11 crime dans la municipalité.
12 Le 8 avril, la police, la Défense territoriale, la JNA et les hommes
13 d'Arkan, dans le cadre d'une opération conjointe ont attaqué la
14 municipalité de Zvornik et ont assassiné bon nombre de civils. Deux jours
15 après, les hommes d'Arkan se sont livrés à des pillages. Cette entreprise a
16 fait qu'il y a eu des premiers déplacements de Musulmans qui se sont
17 retirés dans une municipalité voisine. Vers cette même période, les hommes
18 d'Arkan et les Aigles blancs ont travaillé ensemble au moment de la
19 détention des Musulmans dans une usine où il y a eu sévices collectifs de
20 Musulmans.
21 Le président de la cellule de Crise est venu à cet endroit interroger
22 et frapper un détenu. Les hommes d'Arkan ont tué environ 18 prisonniers.
23 Fin avril, début mai, les groupes qui travaillaient ensemble dans un
24 autre village qui est un lieu où se sont commis des crimes, le village de
25 Divic, les hommes d'Arkan, la police de réserve et les Aigles blancs qui
26 avaient été invités par la cellule de Crise ont attaqué le village, et 1
27 000 Musulmans ont pris la fuite pour se réfugier dans un village voisin.
28 Vers le 10 mai, la police a déplacé des Musulmans qui avaient été
Page 236
1 surveillés par des Serbes de la région dans un autre lieu de détention. Peu
2 de temps après, les prisonniers ont été de nouveau déplacés pour être
3 placés dans un centre de détention surveillé par la police de réserve. Des
4 groupes armés dont des paramilitaires ont souvent pu entrer pour maltraiter
5 des prisonniers. Il y avait des liens très forts entre ces différentes
6 unités qui montraient que ceci s'inscrivait dans ce cadre général de
7 l'entreprise partagée par les membres de l'entreprise criminelle commune
8 qui contrôlaient les différents groupes.
9 Parlons maintenant de l'application du droit en matière d'entreprise
10 criminelle commune lorsque la majorité des crimes n'ont pas été commis par
11 des membres de cette entreprise. Auparavant, un bref rappel: qui étaient
12 les membres de l'entreprise, quel était l'objectif qui les animait.
13 La Chambre de première instance au paragraphe 1 086 jusqu'au
14 paragraphe 1 088 a constaté que cette entreprise se composait de personnes
15 qui se trouvaient sur l'ensemble du territoire, réparties sur ce
16 territoire. Il y avait les dirigeants qui étaient à Pale et les personnes
17 ordinaires. A Pale, il y avait Momcilo Krajisnik, Radovan Karadzic,
18 président de la présidence et chef du Parti SDS; Biljana Plavsic, autre
19 membre de la présidence; Nikola Koljevic, membre de la présidence; Momcilo
20 Mandic, ministre de la Justice; Velibor Ostojic, ministre de l'Information;
21 Mico Stanisic, ministre de l'Intérieur et donc chef du MUP; et Ratko
22 Mladic, commandant de la VRS à partir du 12 mai. Et nous avons au niveau
23 inférieur des hommes politiques locaux, des présidents de cellule de Crise
24 et des fonctionnaires locaux du SDS, des commandants locaux, par exemple,
25 des commandants de la JNA, la VRS, des chefs de police et des chefs de
26 groupes paramilitaires. La Chambre de première instance donne le nom de
27 certains de ces membres, les échelons de la base.
28 L'objectif commun, quel est-il ? Il était de déloger les Croates et
Page 237
1 les Musulmans de Bosnie, de grandes parties de Bosnie-Herzégovine par
2 l'extermination, la persécution, le transfert forcé et l'expulsion, la
3 déportation. La Chambre a constaté qu'au départ cet objectif commun du
4 déplacement ou du transfert forcé a commencé à englober d'autres crimes,
5 une fois que les membres de la JIC [comme interprété] ont accepté cette
6 idée, ont continué l'exécution. L'idée c'était de forcer des Croates et des
7 Musulmans à partir, mais on a utilisé l'assassinat pour y parvenir, et ces
8 crimes ont souvent été commis pour semer la peur dans la population, la
9 forcer à fuir. La destruction, l'appropriation de biens c'étaient aussi des
10 moyens pour empêcher que des gens ne reviennent. Jugement, paragraphe 1
11 093.
12 Le 18 mars, Krajisnik a demandé que soit appliquée cette division
13 technique et son appel aux armes a permis la préparation, la planification
14 du nettoyage ethnique qui était commencée par les dirigeants en 1991.
15 Karadzic s'est adressé à l'assemblée de Bosnie-Herzégovine et il a parlé de
16 l'élimination possible, de l'extinction possible du peuple musulman.
17 C'était le paragraphe 1 098 [comme interprété].
18 Fin 1991, début 1992, il y avait aussi, bien sûr, deux voies sur
19 lesquelles on opérait. Il y avait la possibilité de créer un Etat serbe de
20 Bosnie. Une négociation politique se faisait, paragraphe
21 1 005. En gardant ces options ouvertes, il était possible de continuer la
22 préparation de la division ethnique. Les dirigeants dont l'accusé ont pris
23 des mesures pour réaliser ces objectifs communs. Par exemple, on a
24 consolidé l'autorité des Serbes de Bosnie. Jugement 903 à 909. On a établi
25 le MUP serbe. Jugement 930. Et dès le printemps 1991, le SDS en accord avec
26 la JNA avait commencé à armer et à mobiliser la population.
27 La mise en œuvre de ce plan a commencé après l'appel aux armes lancé
28 par Krajisnik le 18 mars. La Chambre a constaté qu'il y avait une certaine
Page 238
1 systématicité [phon] dans les événements qui se sont déroulés dans les
2 municipalités. Paragraphe 709. Et en fonction de la composition ethnique de
3 chacune de ses possibilités. Là où les forces étaient minoritaires, les
4 forces serbes ont pris cette municipalité en chassant les non-Serbes.
5 Lorsqu'ils étaient majoritaires et qu'ils contrôlaient les institutions
6 locales, les autorités serbes, les serbes armées, ont menacé, ont arrêté,
7 ont tué, ont détruit des lieux de culte pour forcer les non-Serbes à
8 partir.
9 C'est décrit de façon détaillée dans la quatrième partie du jugement.
10 Ces crimes ont été commis par des militaires, la police et des membres de
11 la Défense territoriale, les paramilitaires, les membres des institutions
12 politiques et gouvernementales dont la cellule de Crise et les Serbes
13 locaux ainsi que d'autres volontaires.
14 La Chambre a eu raison de déclarer Krajisnik coupable de tous ces
15 crimes en raison de l'entreprise criminelle commune. Les membres de
16 l'entreprise, comment ont-ils mis en œuvre ce projet commun qui était
17 surtout exécuté par des auteurs principaux qui n'étaient membres de cette
18 entreprise ? Bien, ceci répond à cette question que vous avez posée,
19 Monsieur le Juge, quant au lien entre Krajisnik et les auteurs physiques.
20 Est-ce que la Chambre de première instance devait établir un lien
21 précis, spécifique, entre chacun des crimes commis et
22 Krajisnik ? Dans l'affirmative, est-ce qu'il fallait préciser, énoncer ce
23 lien, savoir quelles étaient les constatations précises dans le jugement à
24 l'appui du dossier d'instance pour chacun des crimes dont il a été jugé
25 coupable pour savoir s'ils avaient été commis par des membres ou imputés à
26 des membres de l'entreprise criminelle commune.
27 Comme cela a déjà été dit par moi au début de mon exposé, la Chambre
28 a eu raison de décider que ces crimes faisaient partie de l'entreprise
Page 239
1 commune soit parce qu'ils avaient été commis par des membres de
2 l'entreprise criminelle commune, soit parce que des membres de l'entreprise
3 criminelle commune s'étaient servis des auteurs principaux pour commettre
4 ces crimes. Donc soit nous sommes en présence d'une action directe des
5 auteurs principaux, soit nous avons coopération étroite avec ces derniers,
6 tout cela dans le cadre d'une action systématique et organisée. Donc la
7 Chambre a bien appliqué le droit et notamment les principes émanant du
8 jugement Brdjanin.
9 La Chambre d'appel dans Brdjanin a déterminé que la responsabilité
10 aux termes de l'entreprise criminelle commune n'exigeait pas que les
11 principaux auteurs des crimes soient membres de l'entreprise criminelle
12 commune. Ce qui importe, par contre, c'est que les crimes concernés fassent
13 partie de l'objectif commun. Arrêt en appel, paragraphe 410. Et dans le cas
14 des auteurs principaux, lorsqu'ils ne sont pas membres de l'entreprise
15 criminelle commune, cette exigence que les crimes fassent partie de
16 l'objectif commun peut être déduite de toutes sortes de circonstances, y
17 compris une coopération étroite avec un membre de l'entreprise criminelle
18 commune. Le lien nécessaire entre les auteurs principaux et l'accusé est
19 démontré lorsqu'un crime peut être imputé à l'un des membres de
20 l'entreprise criminelle commune, qui est un de ses compagnons, si ce membre
21 utilise un auteur principal dans la poursuite de l'objectif commun. Arrêt
22 Brdjanin, paragraphe 410. Donc le fait de reconnaître des catégories
23 différentes découle de l'arrêt en appel Brdjanin qui établit que
24 l'existence d'un lien doit être déterminé au cas par cas, paragraphe 413 de
25 l'arrêt. Ceci c'est une détermination factuelle. Il est clair qu'un cas de
26 cette nature existe lorsqu'un membre d'une entreprise criminelle commune
27 peut utiliser des organisations ou des structures existantes telles que
28 l'armée et la police pour donner des ordres à des subordonnés afin que
Page 240
1 l'objectif commun soit réalisé.
2 Dans l'affaire Stakic, la Chambre d'appel a confirmé que le recours à des
3 organisations et des structures peut servir de base pour une condamnation
4 puisque Stakic a été condamné aux termes de la responsabilité dans le cadre
5 de l'entreprise criminelle commune pour des crimes commis par des auteurs
6 principaux qui n'étaient pas membres de cette entreprise. Les membres de
7 l'entreprise criminelle commune étaient les chefs de la police, de l'armée,
8 et les membres de la cellule de Crise qui ont eu recours aux organisations
9 qu'ils dirigeaient pour permettre la commission des crimes. Je renvoie les
10 Juges de cette Chambre d'appel à l'arrêt Stakic, paragraphes 68 à 70, ainsi
11 qu'à l'analyse que l'on trouve dans l'arrêt Brdjanin, paragraphe 409.
12 Mais comme le montre bien l'arrêt Brdjanin, l'utilisation peut
13 également être déduite de l'existence d'une coopération étroite entre un
14 membre de l'entreprise criminelle commune et les auteurs principaux. Si,
15 par exemple, des membres de la police travaillent en coopération étroite
16 avec les Serbes locaux pour arrêter ou placer des gens en détention, bien,
17 ceci peut permettre de déterminer que les Serbes locaux ont également été
18 utilisés par le chef de la police.
19 La Chambre de première instance dans l'affaire Krajisnik a eu raison
20 de décider ce qu'elle a décidé en appliquant la loi comme elle l'a fait.
21 Elle a reconnu au paragraphe 883 du jugement qu'il n'était pas uniquement
22 nécessaire que l'auteur principal soit membre de l'entreprise criminelle
23 commune, mais qu'il suffisait qu'il ait été commandité par un membre de
24 l'entreprise criminelle commune. Commandité, cela signifie que l'on obtient
25 et que l'on fait ce qu'il faut pour mettre en œuvre les actions nécessaires
26 dans l'application du même concept que celui d'utilisation au sens où
27 l'entendait la Chambre de première instance de l'affaire Haradinaj pour
28 décrire les exigences de l'arrêt Brdjanin. C'est le jugement en première
Page 241
1 instance Haradinaj, paragraphe 138, auquel je fais référence maintenant.
2 La Chambre de première instance dans l'affaire Krajisnik était également
3 consciente que déterminer la responsabilité aux termes de l'entreprise
4 criminelle commune d'un certain nombre de membres, qui partagent un
5 objectif commun, doit impliquer le partage de cet objectif et pas
6 simplement le fait qu'ils aient les mêmes idées. Texte du jugement,
7 paragraphe 884. Et la Chambre de première instance a compris qu'elle devait
8 décider si le crime faisait partie de l'objectif commun. Dans le texte du
9 jugement paragraphe 1 082, on trouve des indices qui ont été admis comme
10 servant de base à cette détermination, à savoir le fait de décider si les
11 auteurs principaux étaient des outils de l'entreprise criminelle commune,
12 s'ils ont coopéré avec des membres de l'entreprise criminelle commune.
13 La Chambre explique les liens et les rapports existant entre les différents
14 membres de la JCE. Ils comptaient sur les apports des uns et des autres
15 pour contribuer à l'objectif commun. Ils comptaient également sur l'apport
16 de non-membres pour la réalisation de cet objectif commun. Ceci correspond
17 à l'esprit de l'arrêt Brdjanin.
18 Appliquer ces critères correctement par rapport à l'examen des faits en
19 l'espèce a permis à la Chambre de première instance de décider que les
20 crimes pouvaient être imputables à Krajisnik. Je traiterai d'abord des
21 crimes commis par les membres de la JCE, puis des crimes commis par ceux
22 qui n'en étaient pas membres.
23 Les crimes commis personnellement par des membres de la JCE peuvent être
24 attribués à Krajisnik en raison de l'objectif qu'ils partageaient et de
25 l'intention qu'ils partageaient, donc de l'existence d'une intention
26 commune, d'une intention partagée qui allait dans le sens de la commission
27 des crimes. M. Kremer traitera des crimes plus en détail.
28 L'objectif commun et l'intention partagée sont démontrés grâce à
Page 242
1 l'existence du réseau de relations et des coopérations qui existaient entre
2 ces différentes personnes. Ceci démontre qu'en dehors de la direction de
3 Pale, il y a aussi une composante locale, c'est-à-dire une composante
4 impliquant les hommes du commun dans l'entreprise criminelle commune, qui
5 tous avaient en commun avec Krajisnik un objectif partagé. La Chambre de
6 première instance a identifié ces membres de base de l'entreprise
7 criminelle commune, et vous trouverez les éléments de preuve à cet égard
8 dans la note en bas de page 1 088 du texte du jugement.
9 Passons maintenant aux crimes commis par les auteurs principaux qui
10 n'étaient pas membres de la JCE. Sur la base des éléments de preuve
11 examinés par la Chambre de première instance, celle-ci a abouti à la
12 conclusion raisonnable que Krajisnik était responsable également des crimes
13 commis physiquement par des personnes qui n'étaient pas membres de la JCE.
14 La Chambre de première instance était autorisée à tirer cette conclusion, à
15 savoir que ces personnes ont été utilisées pour la réalisation de
16 l'objectif commun, car ils étaient membres d'organisations ou de structures
17 dirigées par des membres de la JCE, ou en tout cas coopérant étroitement
18 avec eux. La Chambre de première instance a établi que les membres de la
19 JCE étaient soit dirigeants de structures ou d'organisations dans
20 lesquelles on trouvait une majorité des auteurs principaux tels que
21 l'armée, la JNA, la VRS, le MUP, la Défense territoriale, les unités
22 paramilitaires ou des structures politiques, incluant les cellules de
23 Crise. Donc elle était en droit de déduire que les auteurs principaux ont
24 été utilisés lorsque les crimes ont été commis, notamment étant donné
25 l'importance et la gravité de ces crimes, et le côté systématique de ce
26 comportement, similaire dans de nombreuses municipalités.
27 Pour les crimes en rapport avec lesquels les auteurs principaux n'étaient
28 pas partie de ces organisations, lorsqu'il s'agissait, par exemple, de
Page 243
1 Serbes locaux qui s'étaient armés, la Chambre de première instance a eu
2 raison de conclure qu'il y avait suffisamment de relation entre ces
3 différentes personnes pour les situer dans le chapitre 4 du jugement, à
4 savoir décider qu'ils avaient coopéré étroitement avec des membres de
5 l'entreprise criminelle commune. Le fait que ces membres de la population
6 locale étaient armés et ont été utilisés par des membres de la JCE ne
7 permet qu'une seule conclusion, à savoir après l'examen les éléments de
8 preuve qu'ils avaient une coopération étroite avec les auteurs principaux.
9 Les conclusions principales que l'on trouve au chapitre 4 du jugement
10 - et j'en ai déjà cité certains - montrent que les crimes commis par les
11 auteurs principaux étaient dirigés contre des non-Serbes, ce qui allait
12 dans le sens de la réalisation de l'objectif commun.
13 La Chambre de première instance n'a pas établi de lien précis pour chacun
14 des incidents qu'elle a eu à examiner dans les diverses municipalités
15 concernées, mais elle n'était pas obligée de le faire. Sur la base de la
16 coopération dont je viens de parler entre ces groupes ainsi que d'autres,
17 la Chambre de première instance était en droit de synthétiser l'ensemble de
18 ces conclusions relatives aux auteurs comme relevant des autorités bosno-
19 serbes ou des forces bosno-serbes, terme utilisé globalement pour décrire
20 les soldats de l'armée, les unités paramilitaires, la police et toute autre
21 personne portant des armes. Je vous renvoie au paragraphe 292 du jugement.
22 La Chambre de première instance a décrit en détail dans les chapitres
23 2, 3 et 6 du jugement comment les membres de la JCE se sont emparés et ont
24 créé des structures et des organisations pour coopérer avec elle. Les
25 conclusions que l'on trouve au chapitre 4 démontrent une coopération
26 étroite entre ces organisations et d'autres à l'extérieur d'elle. Et au vu
27 de l'importance considérable des crimes commis par ces personnes au sein de
28 structures de ce genre, sur la base d'un modèle unique, la Chambre de
Page 244
1 première instance n'était pas obligée de se lancer dans une analyse précise
2 du lien existant entre les auteurs principaux et les membres de la JCE dans
3 tous les cas.
4 Les crimes ont été commis massivement immédiatement après la prise de
5 pouvoir. Le nettoyage ethnique s'est déroulé pendant une période
6 relativement courte dans 35 municipalités.
7 Excusez-moi, je vais ralentir. Donc des actes similaires ont été commis
8 dans toutes les municipalités, et ce, avec une coordination qui a été mise
9 en œuvre. L'importance, la gravité des crimes, 3 000 personnes tuées à peu
10 près et déplacement de plus de 100 000 personnes démontre la participation
11 nécessaire, coopération entre différents groupes et démontre qu'il y a eu
12 également planification à différents niveaux.
13 La Chambre de première instance a eu raison de conclure que ceci impliquait
14 les autorités bosno-serbes au niveau central, régional et municipal. Le
15 jugement au paragraphe 710 traite de ce point. Ce qui ne permettait à la
16 Chambre d'aboutir à aucune autre décision raisonnable que de dire que les
17 membres de la JCE ont utilisé les auteurs principaux pour arriver à leurs
18 fins.
19 La Chambre de première instance explique également en détail comment un
20 groupe central composé de membres de la JCE appartenant à la direction
21 bosno-serbe a établi un plan destiné à recomposer ethniquement les
22 territoires par expulsion des non-Serbes et réduction très importante de
23 leur nombre et comment ces structures et organisations ont été utilisées à
24 cette fin. Ils ont utilisé une population armée qui pouvait se déployer
25 dans le cadre d'unités locales pour apporter leur soutien et leur
26 coopération à la JNA, paragraphe 925 du jugement.
27 Ces personnes se sont également appuyées sur la JNA et ont créé une armée
28 bosno-serbe, la VRS, dont le plan d'action était dans ses grandes lignes,
Page 245
1 énoncé par la direction. Paragraphe 994 du jugement. Ils ont créé un MUP
2 serbe qui a été utilisé au combat ainsi que pour les opérations de
3 nettoyage. Paragraphe du jugement 255. Ils ont utilisé des paramilitaires
4 pour terroriser la population. Paragraphe 979 du jugement. Ils ont exercé
5 une influence centrale sur les municipalités par le biais des cellules de
6 Crise. Paragraphe 267. Ils ont fonctionné en temps qu'organe de coopération
7 entre la direction et les niveaux municipaux d'une part, et entre les
8 forces sur le terrain, la police, les militaires et les paramilitaires
9 d'autre part. Krajisnik et Karadzic ont également communiqué les idées de
10 la direction directement aux bosno-serbes. Paragraphe 1 001 du jugement.
11 Afin d'aboutir à l'objectif commun par le biais des différentes
12 municipalités, la direction basée à Pale a consolidé son pouvoir central et
13 en utilisant ces structures centralisées, la direction de Pale et les
14 représentants locaux sur le terrain ont eu la possibilité de mieux
15 coordonner et coopérer leurs actions dans la poursuite de l'objectif
16 commun. Les membres de la JCE se sont ainsi assurés que l'objectif serait
17 atteint en mettant en place et en utilisant ces organisations et ces
18 structures dont la Chambre de première instance a jugé quelles avaient été
19 instrumentalisées. Paragraphe 1 120 du jugement pour la commission des
20 crimes. Ce faisant, par subordination directe ou indirecte et par
21 coopération étroite avec les auteurs principaux, les crimes ont été commis
22 dans la poursuite de l'objectif commun.
23 Avant de passer la parole à M. Kremer, j'aimerais rapidement parler d'un
24 point de droit qui concerne l'entreprise criminelle commune et ses
25 différentes catégories. La JCE est une forme de responsabilité criminelle
26 au titre de l'article 7(1) du Statut, même lorsque les auteurs principaux
27 ne sont pas membres de la JCE. Le simple fait de commettre un acte relevant
28 de cette responsabilité est la marque de l'aspect criminel des membres de
Page 246
1 la JCE. Un groupe de personnes qui se réunit avec un objectif commun qui
2 consiste à commettre des crimes avec l'intention commune de les commettre
3 constitue un danger très important et plus important que lorsqu'on a une
4 seule personne qui agit. Ce groupe est donc capable d'atteindre des
5 résultats criminels à grande échelle, ce qui n'aurait pas été possible si
6 un seul individu avait agi, comme par exemple, le nettoyage ethnique de 35
7 municipalités en Bosnie.
8 C'est la manifestation d'un danger plus grave qui mérite qu'un nom la
9 désigne, à savoir entreprise criminelle commune qui a été utilisée à juste
10 titre et correctement comme doit le faire la Chambre d'appel et comme elle
11 l'a fait, par exemple, dans l'affaire Kvocka, paragraphe 80 de l'arrêt, et
12 paragraphe 102 de l'arrêt Vasiljevic.
13 Par ailleurs, la Chambre de première instance [comme interprété] a estimé
14 qu'il y avait partage d'une intention délictueuse parmi les membres de
15 l'entreprise criminelle commune et qu'ils ne pouvaient donc pas être
16 considérés uniquement comme des personnes qui avaient aidé ou encouragé. Je
17 vous renvoie à la décision sur la requête déposée par Dragoljub Ojdanic qui
18 mettait en cause la compétence et la validité du concept d'entreprise
19 criminelle commune, requête déposée le 21 mai 2003, paragraphe 20.
20 Deux raisons pour lesquelles la JCE doit être acceptée s'agissant de
21 l'examen de l'intention délictueuse, à savoir le danger plus important qui
22 est commis par un nombre plus important d'auteurs, y compris des gens qui
23 ne sont pas membres de JCE et qui peuvent être utilisés par la JCE. Mais il
24 faut qu'il y ait intention délictueuse, il faut qu'il y ait partage d'un
25 objectif, il faut qu'en dehors de la possibilité de commettre les crimes à
26 grande échelle, cette intention soit partagée entre plusieurs personnes qui
27 sont utilisées en tant qu'instruments pour la réalisation de cet objectif
28 commun. La responsabilité vue sous l'angle de la JCE demeure donc une forme
Page 247
1 de commission de crime même lorsque les auteurs principaux ne sont pas
2 membres de la JCE.
3 A moins que les Juges n'aient des questions, je voudrais donner la parole à
4 M. Kremer qui traitera de la question du lien plus en détail.
5 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen.
6 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Madame Goy, je dois admettre que
7 j'aurais tendance à commettre le crime de synthèse mentale quand je vous
8 écoute, ce qui pourrait, bien sûr, me faire courir le risque d'une
9 simplification outrancière. Donc dites-moi si je me trompe dans ma façon de
10 comprendre votre position.
11 Répondant aux questions des Juges de la Chambre d'appel au sujet du lien,
12 vous avez adopté la position consistant à dire qu'il existait deux
13 catégories de crimes, les crimes commis par les membres de l'entreprise
14 criminelle commune d'une part, et des crimes commis par des personnes qui
15 ne sont pas membres de la JCE d'autre part. Si je vous comprends bien, je
16 suppose que vous ne voyez aucune nécessité à prouver un lien avec la
17 première catégorie, à savoir les membres de la JCE, mais vous estimez qu'il
18 est nécessaire de prouver l'existence d'un lien uniquement par rapport à la
19 deuxième catégorie, à savoir les non-membres de la JCE. Vous estimez que ce
20 lien peut être démontré par voie déductive. Si je vous ai bien comprise,
21 vous semblez dire, n'est-ce pas, que les personnes qui ne sont pas membres
22 de la JCE avaient un rapport si étroit avec des membres de la JCE qu'ils ne
23 pouvaient recevoir leurs instructions que de membres de la JCE et notamment
24 de l'appelant.
25 Alors, ne serait-il pas possible de se poser la question de savoir si le
26 rapport existant entre une Chambre d'appel et une Chambre de première
27 instance, dans la mesure où l'on peut procéder à une déduction, est-ce que
28 nous-mêmes, membres de la Chambre d'appel, aurions liberté de traiter de
Page 248
1 cette position de façon complètement nouvelle et donc aurions-nous la
2 liberté de tirer nos propres conclusions ou bien sommes-nous liés d'une
3 façon ou d'une autre par les conclusions de la Chambre de première instance
4 ?
5 Mme GOY : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Juge. J'aimerais
6 répondre à votre question en deux parties. D'abord, je répondrai à la
7 première partie relative au fait de savoir si notre position consiste à
8 dire qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'existence d'un lien en
9 présence d'un crime commis par un membre de l'entreprise criminelle
10 commune.
11 Pour imputer la responsabilité d'un crime à l'accusé, il importe d'établir
12 qu'il existe un lien, mais ce lien est de nature différente. Le lien est
13 établi grâce à la conclusion qu'un membre de la JCE, donc un auteur
14 principal, partageait un objectif commun avec l'accusé et que l'accusé et
15 ce membre de la JCE avaient une intention commune. Dès lors que le membre
16 de la JCE commet un crime dans la volonté de réaliser l'objectif commun, le
17 fait que cet objectif ait été partagé avec l'accusé et que ce membre de la
18 JCE partageait également une intention avec l'accusé établit le lien
19 nécessaire vis-à-vis de l'imputation de la responsabilité du crime.
20 S'agissant de la deuxième catégorie de cas, à savoir le cas où les crimes
21 ont été commis par des auteurs principaux qui n'étaient pas membres de la
22 JCE, nous sommes d'accord que les conclusions de la Chambre de première
23 instance étaient des conclusions raisonnables, donc il n'appartient pas aux
24 Juges de la Chambre d'appel d'établir l'existence de ce lien. Le lien a été
25 établi par la Chambre de première instance, même implicitement par le fait
26 que la Chambre a condamné Krajisnik pour ces crimes et, à notre avis, la
27 Chambre de première instance l'a fait de façon raisonnable, même si les
28 seules conclusions raisonnables en l'espèce étaient qu'il y avait une
Page 249
1 majorité d'auteurs principaux, membres de diverses structures dirigées par
2 des membres de l'entreprise criminelle commune et que pour ceux qui
3 n'étaient pas au sein de ces structures, ils ont eu une coopération étroite
4 par la biais de différentes municipalités avec les membres de l'entreprise
5 criminelle commune. Compte tenu de ce modèle systématique, il est permis de
6 dire qu'ils ont été utilisés par les membres de l'entreprise criminelle
7 commune.
8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Meron.
9 M. LE JUGE MERON : [interprétation] J'ai deux questions à vous poser. La
10 première découle en grande partie de la question qui vous a été posée par
11 mon distingué collègue, M. le Juge Shahabuddeen. Dans votre argument, vous
12 mettez l'accent sur le fait que la majorité, et peut-être même la grande
13 majorité des crimes commis en l'espèce ont été commis par des personnes qui
14 n'étaient pas membres de la JCE. Ma question est la suivante : la Chambre
15 de première instance n'était-elle pas, compte tenu de notre jurisprudence,
16 dans l'obligation - et là je pense surtout à la jurisprudence Brdjanin -
17 dans l'obligation de tirer systématiquement des conclusions qui auraient
18 établi un lien avec un membre de la JCE et établi un lien entre un membre
19 de la JCE et M. Krajisnik, puisque nous partons du principe que nous
20 parlons ici de crimes commis par des personnes qui n'étaient pas membres de
21 la JCE.
22 Je dois dire que je n'ai pas été convaincu que ceci a été fait de
23 façon systématique ou précise, et j'ai quelques problèmes face à votre
24 déclaration relative aux conclusions de la Chambre de première instance
25 qui, à votre avis, sont adaptées de ce point de vue, conclusions qui
26 reposaient principalement sur l'existence d'un rapport étroit avec des
27 membres de la JCE.
28 Ma deuxième question porte sur ce concept de discours protégé, discours
Page 250
1 politique. Nous avons entendu vos arguments très nombreux sur ce sujet ce
2 matin.
3 Alors s'agissant de discours politique, il n'est pas nécessaire
4 d'établir que des déclarations politiques sont protégées lorsqu'elles ont
5 pour but très clair de réaliser un objectif illégal. Il serait utile que
6 l'Accusation à cet égard précise la déclaration particulière ou l'action
7 particulière de M. Krajisnik qui serait très manifestement la preuve d'une
8 intention de réaliser un objectif criminel commun.
9 Je vous remercie.
10 Mme GOY : [interprétation] D'abord, je répondrai à votre première question,
11 la Chambre de première instance même si elle ne l'a pas fait explicitement
12 dans ses conclusions relatives à la responsabilité de Krajisnik a établi
13 l'existence de liens, peut-être pas par rapport à chacun des incidents pris
14 en compte, mais si on lit le jugement comme un texte global, on voit qu'il
15 y a les chapitres 2 et 3 du jugement dans lesquels nous lisons de quelle
16 façon les membres de la JCE ont créé les structures qu'ils dirigeaient, qui
17 étaient membres de la JCE et que les non-membres ont été utilisés pour la
18 réalisation d'un plan commun. A notre avis, ceci rend licite les
19 conclusions de la Chambre de première instance, puisque c'étaient les
20 seules conclusions raisonnables quant aux auteurs physiques qui faisaient
21 partie des structures en question et qui ont coopéré de très près avec les
22 structures responsables des crimes dans la poursuite d'un objectif commun.
23 Si nous relisons l'arrêt Brdjanin, le lien doit être établi, dit-on, dans
24 l'arrêt Brdjanin au cas par cas, et ceci, au vu des circonstances de
25 chacune des espèces, et l'existence en l'espèce d'une coopération étroite
26 permet d'aborder les conclusions de la Chambre comme je viens de le faire.
27 Passons maintenant à votre deuxième question, le discours protégé. Comme je
28 l'ai dit au début de mon exposé, il importe de distinguer entre l'élément
Page 251
1 matériel du crime et la contribution d'un membre de la JCE, et une fois que
2 ceci est fait, que l'intention commune a été démontrée, il importe de
3 prendre en compte l'aspect mental, c'est-à-dire l'intention délictueuse qui
4 doit être considérée comme suffisante pour constituer une contribution du
5 moment qu'elle est significative.
6 Dans notre réponse à M. Krajisnik, ainsi que dans nos écritures adressées à
7 l'Amicus Curiae, nous avons traité de la question de savoir pourquoi la
8 Chambre de première instance a conclu que Krajisnik avait partagé une
9 intention et pourquoi nous estimions cette conclusion raisonnable. Je ne
10 suis pas en mesure à l'instant même de mettre l'accent devant vous, Madame,
11 Messieurs les Juges, sur un élément particulier. Je peux simplement vous
12 renvoyer aux arguments qui ont été présentés dans nos écritures, eu égard à
13 l'intention délictueuse.
14 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Avant que vous ne preniez la parole,
15 Monsieur Kremer, je vous rappelle que nous devons faire une pause à midi.
16 Il ne serait peut-être pas idéal que vous preniez la parole pour cinq
17 minutes uniquement. Il serait sans doute préférable que nous faisions
18 d'abord la pause maintenant, et que vous commenciez immédiatement après la
19 pause.
20 M. KREMER : [interprétation] Ce serait parfait. Merci, Monsieur le
21 Président.
22 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous ne voudrions pas interrompre votre
23 présentation dès ses premiers mots. Donc nous allons faire la pause
24 maintenant pour 15 minutes. Nous reprendrons à midi 10 pour entendre la
25 suite de la réponse de l'Accusation.
26 --- L'audience est levée pour le déjeuner à 11 heures 57.
27 --- L'audience est reprise à 12 heures 15.
28 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vais maintenant donner la parole à
Page 252
1 l'Accusation, à M. Kremer pour qu'il puisse présenter ses arguments en
2 réponse. Je vous en prie.
3 M. KREMER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je vais
4 poursuivre et reprendre la question des liens qui a été posée par les Juges
5 de la Chambre dans l'ordonnance portant calendrier, et en guise de suivi je
6 reprendrai ce qu'a dit Mme Goy sur la structure juridique et je vais étayer
7 ceci avec des faits.
8 Notre analyse des constatations factuelles dans la quatrième partie et des
9 constatations juridiques dans la cinquième partie du jugement ont indiqué
10 que les crimes sont liés à Krajisnik et autres membres de l'entreprise
11 criminelle commune par une commission directe par les membres de
12 l'entreprise criminelle commune, comme ceci a été évoqué par Mme Goy ainsi
13 que par l'intermédiaire de l'entreprise criminelle commune par le biais des
14 auteurs principaux en vue de commettre les crimes.
15 Il y a quelques ambiguïtés dans le jugement, mais rien qui n'ont trait au
16 lien, et nous avons déposé ceci hier en guise d'explication.
17 Notre analyse montre que les crimes ont été commis soit par des
18 membres de l'entreprise criminelle commune, soit par des personnes qui ont
19 été recrutées par les membres de l'entreprise criminelle commune. Je vais
20 parler des liens entre les membres de l'entreprise criminelle commune et
21 les auteurs principaux dont se sont servis les membres de l'entreprise
22 criminelle commune, mais je vais consacrer le plus clair de mon temps aux
23 auteurs principaux qui ont été recrutés par les membres de l'entreprise
24 criminelle commune. La dernière partie de mon argument portera sur les
25 trois actes de persécution commis à l'intérieur de ce cadre de l'ordre de
26 l'objectif commun lorsque le lien est implicite.
27 Tout d'abord, il y a de nombreux exemples sur la commission par les membres
28 de l'entreprise criminelle commune de ces crimes, et ces crimes peuvent
Page 253
1 être imputés à Krajisnik, parce que Krajisnik et les membres de
2 l'entreprise criminelle commune ont participé à ces crimes et partageaient
3 le même objectif commun. Ces crimes deviennent ses crimes.
4 Ljubisa Mauzer Savic, qui était une personnalité importante à Bijeljina et
5 commandant de la Garde nationale serbe de l'unité paramilitaire, le 7 mai
6 1992, au moins six hommes musulmans qui s'étaient cachés à Mucici, qui
7 faisait partie de la ville de Brcko, ont été tués par Mauzer et les soldats
8 s'étant présentés comme étant des hommes de Seselj. Paragraphe 327. Pour
9 les autres crimes commis par Mauzer, reportez-vous aux paragraphes 305 et
10 325.
11 Mirko Blagojevic, dirigeant des Serbes radicaux du groupe paramilitaire au
12 paragraphe 326 du jugement. Le 4 mai 1992, des sapeurs-pompiers musulmans
13 qui avaient été détenus au poste des sapeurs-pompiers par des soldats de la
14 JNA ont été passés à tabac par Blagojevic.
15 Branko Grujic, président du SDS de Zvornik de la cellule de Crise,
16 paragraphe 367. Le 9 avril 1992, le Témoin 674 a été interrogé et passé à
17 tabac par Branko Grujic.
18 Les frères Dusan Repic Vukovic et Vojin Zuko Vukovic, dirigeants de l'unité
19 paramilitaire les Guêpes jaunes au paragraphe 372. Les Guêpes jaunes,
20 dirigées par les frères Vukovic, Repic et Zuco sont arrivées au Kulture Dom
21 le 11 juin et ont tué au moins cinq détenus. Un homme a eu l'oreille
22 coupée. D'autres ont eu les doigts coupés, et au moins deux hommes ont été
23 mutilés sexuellement. Les hommes de Repic ont obligé les détenus à manger
24 différentes parties du corps, ont tué deux détenus qui ne pouvaient pas
25 accepter cela.
26 Le 27 juin, Repic est revenu au Kulture Dom tout seul, a tué 20 détenus et
27 en a blessé 22 autres.
28 Vlado Vrkes, président du SDS de Banja Luka. Paragraphe 509. Le 3 avril, la
Page 254
1 cellule de Crise a imposé des mesures discriminatoires aux musulmans de
2 Banja Luka. Le président Vrkes du SDS, accompagné des membres de SOS et de
3 la police serbe, ont obligé le directeur croate à sortir de la municipalité
4 du SDK et à nommer un serbe à sa place.
5 Ratko Radic, le président municipal du SDS de Hadzici. Paragraphe 547. La
6 mi-juillet 1992, Ratko Radic a transféré le témoin 141 et sa sœur dans les
7 locaux de l'usine qui se trouvaient à l'extérieur de Hadzici et ont été
8 obligés d'y travailler. Et à l'usine, Radic a violé la sœur du témoin
9 régulièrement.
10 Jovan Tintor, président de la cellule de Crise de Vogosca et du comité
11 central du SDS. Paragraphe 598. Le 1er mai 1992, un officier de police
12 musulman à Sarajevo, ainsi que son collègue, ont été arrêtés par la TO
13 serbe, ont été amenés à Vogosca, au poste de police où Jovan Tintor a été
14 interrogé et battu à tabac.
15 Dragan Gagovic, chef de police de Foca et Dragoljub Kunarac, commandant
16 d'un groupe de reconnaissance au sein du groupe tactique local de Foca au
17 paragraphe 640 du jugement. Ici, des civils musulmans ont été détenus au
18 lycée de Foca dans le Hall des Partisans devant lequel des officiers de
19 police montaient la garde. Des soldats serbes et des policiers, y compris
20 le chef de la police de Foca, Dragan Gagovic venaient dans ces centres de
21 détention, choisissaient quelques femmes pour les violer ensuite. Certaines
22 de ces femmes ont également été amenées de ces centres de détention par des
23 soldats serbes, y compris Dragoljub Kunarac, et ont été abusées
24 sexuellement. Lors d'un viol, Kunarac a exprimé son agressivité physique et
25 verbale en indiquant que le viol des femmes constituait une des multiples
26 façons par le biais duquel les Serbes pouvaient asseoir leur supériorité et
27 leur victoire sur les Musulmans.
28 Krsto Savic, commissaire de l'Herzégovine orientale SAO au paragraphe 669
Page 255
1 du jugement rendu par la Chambre de première instance. Le 16 juin 1992, des
2 soldats en uniforme de camouflage dirigés par Krsto Savic sont entrés dans
3 la maison d'un Musulman dans la municipalité de Nevesinje. Au cours de
4 cette opération, Savic a tiré sur Redzep Trebovic à la jambe. Le soldat
5 serbe a retenu sa femme pour qu'elle ne l'aide pas. Lorsque la famille a
6 été autorisée à l'amener à l'hôpital quatre heures plus tard, il était mort
7 de sa blessure. Sa maison a été incendiée.
8 Gojko Klickovic, président de la présidence de Guerre de Bosanska Krupa au
9 paragraphe 398 du jugement. Le 28 avril 1992, Klickovic a donné l'ordre aux
10 commandants de trois bataillons de la 1ère Brigade de Podgrmec d'évacuer
11 immédiatement la population musulmane du territoire placé sous leur
12 contrôle. Conformément à cet ordre, le 1er mai 1992, le comité exécutif de
13 la commune d'Arapusa, en même temps que le comité de réfugiés local et le
14 commandant du bataillon a donné des instructions pour que soient évacués
15 les résidants d'Arapusa et les réfugiés au nombre de 460 en tout. Le 1er
16 mai 1992, les 460 ainsi que d'autres membres du village de Fajtovici dans
17 la municipalité de Sanski Most ont été amenés dans cette municipalité où
18 déjà 1 200 personnes étaient détenues.
19 Ces exemples de membres de l'entreprise criminelle commune commettant des
20 crimes non seulement établissent un lien entre les crimes commis par les
21 membres de l'entreprise criminelle commune et Krajisnik, mais montrent
22 également que les membres de l'entreprise criminelle commune se servaient
23 de non-membres pour commettre le crime et faire avancer l'objectif commun.
24 Regardons maintenant les principaux auteurs qui ne sont pas des membres de
25 l'entreprise criminelle commune. Il y a deux groupes, ceux qui faisaient
26 partie d'une organisation dirigée par un membre de l'entreprise criminelle
27 commune et ceux qui ne faisaient pas partie d'une telle organisation.
28 Je vais d'abord évoquer la question des principaux auteurs qui n'étaient
Page 256
1 pas des membres de l'entreprise criminelle commune, mais qui appartenaient
2 à une organisation qui se servait d'eux pour commettre leur crime et faire
3 avancer l'objectif commun. Ensuite, je vais expliquer comment ces
4 organisations fonctionnaient aux fins de réaliser l'objectif commun pour
5 ensuite parler des personnes qui n'étaient pas des membres de l'entreprise
6 criminelle commune et qui ne faisaient partie d'aucune organisation mais
7 qui ont été utilisées pour commettre pour des crimes pour favoriser
8 l'objectif commun.
9 Mme Goy a déjà évoqué les noms des différentes organisations qui ont été
10 recrutées, à la tête desquelles il y avait des membres de l'entreprise
11 criminelle commune, des membres de cellule de Crise, des membres de la JNA,
12 de la VRS, du MUP, de la TO ainsi que des paramilitaires au niveau
13 républicain, régional et local. Les hommes politiques locaux et les
14 différentes organisations de la TO, la police militaire et les
15 organisations paramilitaires par le biais de leurs commandants se sont
16 servis de leurs hommes pour commettre des crimes pour répondre à l'objectif
17 commun.
18 Notre position, comme cela a été clairement indiqué par Mme Goy, est que la
19 Chambre de première instance était en droit de constater que l'entreprise
20 criminelle commune ou leurs membres se sont servis d'eux par le biais d'une
21 organisation, il y avait donc un lien organisationnel et structurel.
22 D'après notre analyse, dans les paragraphes 4 et 5 du jugement qui souligne
23 les constatations relatives au crime, j'ai préparé une carte de la Bosnie-
24 Herzégovine qui montre les couleurs différentes de différentes
25 organisations; la TO, les paramilitaires, la JNA, la VRS, le MUP et la
26 cellule de Crise. Je vous demande de bien vouloir regarder ceci sur vos
27 écrans.
28 Le premier groupe que nous voyons ici c'est la TO et on voit l'étendue des
Page 257
1 activités de la TO au cours de la période qui nous intéresse. Le niveau de
2 la population sur la carte est dû au fait que la TO, dans certaines
3 municipalités, faisait partie de la JNA et plus tard, une fois que la VRS
4 était constituée, ceux-ci ont fait partie de la VRS.
5 Ensuite, nous allons rajouter maintenant les paramilitaires. On constate
6 que les paramilitaires étaient plus actifs que la TO en commettant des
7 crimes. Les paramilitaires, à l'instar de la TO, lorsque la VRS a été
8 créée, ont également été intégrés à la VRS.
9 Le MUP, l'élément suivant -- pardonnez-moi, la JNA/VRS. Il s'agit de cette
10 armée qui se livrait à un certain nombre d'activités sur l'ensemble de la
11 région. On constate également qu'ils sont présents dans quasiment toutes
12 les municipalités. Pour finir, la cellule de Crise qui était là le ciment
13 dans ce programme de nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine.
14 Cette carte montre bien que ces différents groupes ont participé à des
15 crimes dans les municipalités citées dans l'acte d'accusation, comme ceci
16 se voit sur la carte. Ceci permet d'illustrer également le lien entre
17 différentes organisations internes, la coopération qui existait entre ces
18 organisations pendant la période couverte par l'acte d'accusation. En
19 particulier à l'époque où les municipalités ont changé de main.
20 La municipalité de Prijedor, Madame, Messieurs les Juges, vous connaissez
21 bien cette municipalité d'après l'affaire Stakic, on montre comment les
22 membres de la JCE utilisaient des personnes qui n'étaient pas membres de
23 l'entreprise criminelle commune.
24 Je souhaite d'abord vous demander de vous reporter au paragraphe 470.
25 Je résume rapidement les événements pour montrer l'étendue et le mécanisme
26 mis en place, qui est non seulement typique de la municipalité de Prijedor
27 mais des autres également.
28 La JNA et la police ont pris le contrôle de la municipalité de Prijedor le
Page 258
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 259
1 30 avril 1992. Ils ont installé des postes de contrôle, ont occupé les
2 principaux édifices, prenant ainsi le contrôle de grandes sociétés et de
3 services municipaux. Les policiers non-Serbes ont été renvoyés. Le SDS a
4 démis de ses fonctions des membres du SDA dans la municipalité.
5 471, la cellule de Crise a aidé les soldats et les paramilitaires à étendre
6 les mesures restrictives, à les imposer à la population non-serbe. Le SDS a
7 contrôlé toute la machine de propagande et fouillait les maisons des non-
8 Serbes.
9 Paragraphe 474, le 1er Corps de la Krajina, de la VRS et du MUP ont
10 continué leurs opérations de nettoyage à partir du mois de mai 1992. Les
11 paramilitaires se sont battus aux côtés des membres de la VRS. D'autres
12 membres de l'entreprise criminelle commune figurent ici: Slobodan
13 Kuruzovic, membre du comité central du SDS et le commandant local de la TO
14 qui était en charge du camp de Trnopolje. Il a annoncé à ses prisonniers
15 que le plan serbe consistait à réduire la population musulmane de 10 %,
16 ensuite de 2 %.
17 478, le 26 mai 1992, Kuruzovic commandait une unité spéciale de Prijedor,
18 encerclait le village de Trnopolje avec un détachement de la police
19 militaire.
20 487, trois grands centres de détention, Omarska, Keraterm et Trnopolje
21 étaient gardés par les soldats, des forces de la police, de la TO et un
22 association des deux. Il y avait des militaires et des représentants des
23 autorités civiles qui devaient sélectionner les détenus. Les détenus ont
24 été abusés, passés à tabac et tués. Des détenus –- pardonnez-moi, les
25 détenus ont été abusés et passés à tabac par les gardes et des membres des
26 organisations et des membres des autorités locales et les Serbes locaux
27 avaient régulièrement le droit d'entrer dans les camps. Des milliers de
28 personnes ont été détenues dans ces camps dans des conditions très
Page 260
1 difficiles par manque de place entre le mois de mai et novembre 1992 par
2 les soldats armés placés sous le contrôle de Kuruzovic.
3 Des détenus de Trnopolje ont été transportés à l'extérieur de la
4 municipalité. En 492.
5 493, les autorités du camp à Trnopolje n'ont pas distribué la nourriture,
6 et à certaines occasions des soldats serbes ont passé à tabac les détenus
7 croates et musulmans. Dans un tel cas, ils tuaient des détenus musulmans.
8 Au cours d'un de ces incidents, quelqu'un a pris 11 détenus dans un champ
9 de blé et les a tués. De surcroît, des soldats qui venaient d'un camp
10 externe au camp de Kuruzovic, le commandant du camp, a violé certains
11 détenus.
12 Finalement, au paragraphe 494, 21 août, 154 détenus de Trnopolje ont été
13 placés à bord d'autobus et emmenés à Koricanske Stijene, où ils ont été
14 exécutés par la police et les soldats en uniforme. Telle est l'étendue de
15 la coopération entre ces différentes structures, telle est l'étendue et la
16 coopération des efforts conjoints entre les dirigeants des différentes
17 structures aux fins de nettoyer ethniquement la municipalité de Prijedor de
18 sa population musulmane et croate, de ses minorités.
19 Tous ces efforts ont été coordonnés et ont fait l'objet de la coopération
20 entre ces hommes. La méthode utilisée était celle qui visait à réaliser
21 l'objectif commun. Non seulement ces organisations travaillaient ensemble
22 dans plusieurs municipalités, mais sur plusieurs municipalités en même
23 temps. Les déportations, le transfert forcé étaient fréquent. Ceci était
24 coordonné par différentes organisations qui agissaient dans différentes
25 municipalités pour s'assurer que les minorités soient effectivement
26 expulsées.
27 Je crois qu'un bref exemple au niveau municipal et étatique suffit, je
28 crois. Plus de 400 détenus dans l'école Vuk Karadzic à Bratunac ont été
Page 261
1 transférés par le MUP à un centre de détention à Pale où on devait procéder
2 à un échange de prisonniers serbes. Paragraphe 315.
3 Le 15 mai 1992, le premier ministre Deric a donné l'ordre aux détenus de
4 Pale et de Bratunac d'être transférés à Visoko, sur le territoire de la
5 Bosnie-Herzégovine, à l'extérieur du contrôle serbe de Bosnie. Deric a
6 donné l'ordre à la cellule de Crise de Sokolac de mettre à disposition
7 trois camions pour leur transport. La cellule de Crise de Pale devait
8 organiser leur escorte pour qu'ils puissent passer à Ilijas également. Il
9 fallait demander une autorisation. La commission centrale des échanges des
10 prisonniers a traité ces transferts. Jugement, Paragraphes 151, 1 035, 156
11 et 244.
12 Il s'agit d'une coopération au niveau étatique, à haut niveau et au niveau
13 local dans lequel le premier ministre et la commission centrale des
14 échanges ont été partie prenante, autrement dit des dirigeants de ces
15 municipalités pour permettre le passage des convois en question.
16 Avant de passer au deuxième type d'auteurs principaux, il y avait ces
17 membres de l'entreprise criminelle commune qui ne faisaient pas partie
18 d'organisations. Je souhaite parler brièvement de la façon dont les membres
19 de l'entreprise criminelle commune se sont servis de ces organisations et
20 des rapports qu'ils avaient avec les structures qui se trouvaient à Pale et
21 les dirigeants de Pale.
22 Les dirigeants qui étaient basés à Pale dirigeaient et contrôlaient la JNA,
23 la VRS, la TO, le MUP ainsi que les unités paramilitaires au niveau de la
24 république et au niveau local. Le contrôle était entre les mains des hommes
25 politiques au niveau local, au niveau des commandants militaires et la
26 police, des dirigeants des paramilitaires, ainsi que d'autres unités, ce
27 que la Chambre d'appel a appelé les simples soldats de l'entreprise
28 criminelle commune. Je vais évoquer ceci brièvement. Avant de ce faire, je
Page 262
1 souhaite indiquer que tout ce qui a trait à ces structures ou organisations
2 se trouve dans la partie 3 et 6 du jugement et nous permet de mieux
3 comprendre comment, en fait, l'état avait la mainmise sur ces structures et
4 ces organisations afin de réaliser l'objectif commun. Il s'agissait, en
5 fait, de définir, de communiquer, ensuite de mettre en œuvre cet objectif
6 commun par le biais de ces structures. Il y avait donc des personnes qui
7 travaillaient avec eux et qui coopéraient avec eux, à commencer par la TO.
8 La TO est la force de défense municipale qui avait des liens étroits avec
9 les cellules de Crise. Les cellules de Crise nommaient et renvoyaient les
10 commandants de la TO, recevaient des rapports des unités de la TO. Les
11 cellules de Crise donnaient des ordres aux unités de la TO sur des
12 questions militaires. Les cellules de Crise ou leurs membres avaient un
13 rôle militaire tout à fait direct et participaient à des activités
14 militaires. Les cellules de Crise mettaient à disposition également une
15 forme d'assistance à la TO, par exemple, les appels à la mobilisation au
16 sein des municipalités et fournissaient une aide financière ou autre. Au
17 paragraphe 285.
18 Déjà le 15 avril 1992, un colonel de la JNA avait été nommé commandant de
19 la TO serbe de Bosnie aux fins de contrôler la TO locale, comme étant une
20 mesure provisoire en attendant la mise en place ou la création d'une armée
21 serbe de Bosnie. Au paragraphe 946.
22 Lorsque la JNA s'est retirée officiellement de la Bosnie-Herzégovine, les
23 unités de la TO ont été intégrées à la VRS. Les cellules de Crise locales
24 étaient souvent tenues pour responsables pour l'appui logistique fourni à
25 la TO. Aux paragraphes 285 à 286 [comme interprété].
26 Les commandants de la TO qui étaient des membres de l'entreprise criminelle
27 commune mettaient en œuvre l'objectif commun en recrutant des membres de
28 leur organisation. Par exemple, Marko Pavlovic, qui était commandant serbe
Page 263
1 de la TO à Zvornik et qui travaillait avec d'autres membres de l'entreprise
2 criminelle commune: Branko Grujic, président du SDS de Zvornik et de la
3 cellule de Crise, et Jovan Mijatovic, qui était membre de l'entreprise
4 criminelle commune, de la cellule de Crise de Zvornik et député auprès de
5 l'assemblée serbe de Bosnie, aux fins de déplacer les Musulmans de Kozluc.
6 La nuit du 20 juin, la TO serbe placée sous le commandant de Marko Pavlovic
7 a attaqué Kozluc. Le 26 juin, un nombre important de soldats serbes de la
8 TO et de paramilitaires sont entrés à Kozluk avec leurs chars ainsi que
9 d'autres véhicules militaires. Dans ce groupe, il y avait Branko Grujic,
10 Pavlovic et Jovan Mijatovic. Ils ont dit aux Musulmans qu'ils avaient une
11 heure pour quitter les lieux, ou sinon, ils seraient tués. Le même jour, un
12 convoi de véhicules organisé par les Serbes ont attaqué et pris le contrôle
13 de Kozluk. On transportait 1 800 personnes environ à l'extérieur de la
14 municipalité en Serbie.
15 Un autre exemple évoquant la destruction de biens porte sur Nedeljko
16 Davidovic et capitaine serbe de l'unité de la TO de Banja Luka qui
17 travaillait étroitement avec un membre de l'entreprise criminelle commune,
18 Dragan Djuric, député au sein de l'assemblée serbe de Bosnie-Herzégovine.
19 Je ne vais pas évoquer ceci en détail. Ceci se trouve au paragraphe 503.
20 Maintenant je vais passer à la question des paramilitaires. Des
21 dirigeants serbes de Bosnie ont invité des paramilitaires. On leur a
22 demandé de venir et appréciait leurs services. Plavsic a envoyé des lettres
23 à Seselj, Arkan et Jovic, ensemble ils voulaient se battre pour la serbité.
24 Paragraphe 938.
25 Les dirigeants militaires sont des membres de l'entreprise criminelle
26 commune -- pardonnez-moi, les dirigeants paramilitaires étaient des membres
27 de l'entreprise criminelle commune. Des dirigeants paramilitaires qui sont
28 identifiés tous, nommément dans le jugement au paragraphe 1 088. Arkan,
Page 264
1 Blagojevic, Kusic, Mauzer, Milankovic, Vukovic, et bon nombre d'autres noms
2 que vous aurez entendus déjà comme décrivant des personnes qui ont commis
3 des crimes eux-mêmes, individuellement.
4 Les dirigeants serbes de Bosnie se sont servis de paramilitaires au
5 moment opportun pour terroriser les Musulmans et les Croates afin de
6 réaliser leur objectif commun. Nonobstant le fait qu'ils étaient au courant
7 des problèmes que cela posait et que les formations paramilitaires posaient
8 dans différentes municipalités et qu'ils avaient un comportement
9 inacceptable. Au jugement, paragraphe 979. Mais au lieu de supprimer ces
10 groupes, ils les ont intégrés dans l'armée régulière de la VRS. Certains
11 groupes ont demandé aux comités centraux du SDS, des cellules de Crise et
12 les gouvernements régionaux de les accepter comme combattants pour la cause
13 serbe bien qu'ils aient un casier judiciaire, parce que c'étaient des
14 éléments incontrôlés et leur efficacité était brutale. D'autres les ont
15 tolérés, parce qu'ils n'avaient pas provoqué tant de problèmes que cela et
16 les autorités légitimes serbes les ont intégrés. Paragraphes 215 à 979.
17 Des comités centraux du SDS locaux, les cellules de Crise et d'autres
18 gouvernements du SAO ont également demandé aux groupes paramilitaires de
19 leur venir en aide, par exemple, les Guêpes jaunes, les Bérets rouges, les
20 hommes d'Arkan, les hommes qui agissaient à Bijeljina, Brcko et Zvornik.
21 Les groupes paramilitaires locaux ont ainsi fait partie des
22 municipalités. Ils ont participé sur la prise de contrôle, ont commis des
23 crimes et plus tard dans différentes municipalités, ont travaillé
24 étroitement avec la police, ainsi que les organisations policières,
25 politiques et militaires. Par exemple, aux fins de réaliser des objectifs
26 communs, des hommes politiques locaux et de la cellule de Crise ont
27 travaillé en étroite collaboration en coopération avec la police, les
28 militaires, les unités paramilitaires, les Aigles bleus qui avaient
Page 265
1 clairement des liens étroits avec les autorités serbes locales. Jugement,
2 paragraphe 618.
3 Ensuite, la JNA s'est retirée de Visegrad le 19 mai, la ville était
4 placée sous le contrôle des autorités serbes qui était gérée exclusivement
5 par la police serbe. Les autorités serbes locales ont autorisé les
6 paramilitaires à se déplacer en ville. Paragraphe 696. Ils se sont servis
7 de l'objectif commun pour démontrer que leurs actions leur permettaient
8 d'assujettir les Musulmans, de mal les traiter et de les humilier, et de
9 les violer et de les passer à tabac.
10 Les forces serbes qui comprenaient les paramilitaires ont tué plus de
11 266 civils non-serbes, en particulier des Musulmans de Visegrad en juin
12 1992 et les mois suivants. Au paragraphe 701. Plus de 200 d'entre eux sont
13 maintenant dans la catégorie des personnes portées disparues. Ceci a été
14 précisé dans les faits admis en vertu du jugement antérieur, que la Chambre
15 d'appel a évoqué et dont elle a tiré ses déductions pour dire que les
16 forces serbes avaient commis ces crimes. Aux paragraphes 698 à 701.
17 Les membres de l'entreprise criminelle commune, le dirigeant
18 militaire Milan Lukic et les unités paramilitaires locales se sont servis
19 de cette unité pour tuer environ 600 [comme interprété] personnes en les
20 enfermant dans une maison et en mettant le feu à cette maison, en tirant
21 sur ceux qui essayaient de s'enfuir. Paragraphe 699. Egalement utilisaient
22 leurs biens. 696. Les crimes correspondent au schéma évoqué dans l'objectif
23 commun aux fins de terroriser la population pour l'obliger à partir. La
24 police a pris part à ces expulsions. La coopération entre les autorités
25 locales dans la municipalité et les paramilitaires était tellement efficace
26 qu'en quelques semaines à Visegrad il n'y avait quasiment plus aucun civil
27 musulman. Paragraphe 700.
28 J'ai déjà parlé des crimes commis par des membres de l'entreprise et
Page 266
1 des dirigeants paramilitaires tels que Mauzer, Blagojevic et les frères
2 Vukovic. Je vous demande de vous rapporter aux paragraphes que j'ai cités
3 s'agissant de leurs crimes, car ceci montre ici comment ces unités
4 paramilitaires ont été utilisées par eux afin de commettre les crimes.
5 Je parle de l'armée. S'agissant des crimes commis par des membres de
6 l'armée, la Chambre de première instance a opéré une distinction entre la
7 période qui a précédé et la période qui a suivi l'établissement de la VRS,
8 le 12 mai 1992.
9 Lorsque ont commencé les prises de contrôle en avril 1992, la JNA et
10 les hommes serbes de Bosnie, qui étaient en âge de combattre et qui
11 n'avaient pas été recrutés, ont constitué l'armée serbe sur le terrain.
12 Jugement, paragraphe 925. La coopération entre la JNA et les dirigeants
13 serbes de Bosnie n'était pas un secret. Paragraphe 946. Krajisnik savait
14 qu'il y avait une coopération avec la JNA lors de la prise de pouvoir, de
15 contrôle. Paragraphe 947. La Chambre a explicitement rejeté l'intervention
16 qu'a faite Krajisnik, à savoir que la JNA aurait été neutre avant le 12 mai
17 1992. Paragraphe 192.
18 Comme l'a dit le commandant de la 2e Région militaire de la JNA, les
19 dirigeants des Serbes et tous les Serbes sont prêts à partir en guerre.
20 Paragraphe 42.
21 Les commandants de la JNA, des membres d'entreprise, des soldats, des
22 personnes qui n'étaient pas membres de l'entreprise criminelle commune ont
23 tous participé à la réalisation des effectifs. Un exemple, le lieutenant-
24 colonel Tadija Manojlovic de la JNA, officier de l'entreprise qui, en avril
25 1992, à la fin de ce mois, a ordonné une attaque à l'artillerie lourde, à
26 la roquette et aussi par des canons antiaériens et des chars pour tirer sur
27 Sarajevo et ses quartiers. Au début du mois de mai 1992, les forces serbes
28 contrôlaient Ilidza. Paragraphe 553.
Page 267
1 Le général Jankovic de la JNA, membre du 17e Corps de la JNA a
2 participé à la prise de contrôle à Bijeljina et à la détention illicite de
3 quelque 3 000 civils, qui étaient surtout des Musulmans, a à la caserne de
4 Bijeljina et à la caserne de Patkovaca. Paragraphe 301.
5 Un autre membre de l'entreprise, le capitaine Reljic, commandant de
6 la JNA, a participé à la prise de contrôle dans la municipalité de
7 Bratunac. Le 16 avril, la TO de Bratunac a été mobilisée. Au cours des
8 jours qui ont suivi les unités paramilitaires d'Arkan et de Seselj, ainsi
9 que l'unité de la JNA commandée par le capitaine Reljic, sont arrivées dans
10 la municipalité. Alors que la JNA et la TO commençaient à désarmer les
11 villageois musulmans dans toute la municipalité, les paramilitaires ont
12 harcelé les habitants de la municipalité et ont vandalisé les maisons
13 abandonnées par les Musulmans.
14 La plupart des dirigeants musulmans ont quitté la municipalité pour
15 aller à Srebrenica après avoir été l'objet de menaces de la part des unités
16 paramilitaires serbes, ce qui veut dire que Bratunac a été soumise au
17 contrôle serbe. Paragraphe 311.
18 Lorsque la VRS a été établie, je vous l'ai dit, c'était le 12 mai
19 1992, à une réunion de l'assemblée des Serbes de Bosnie, Krajisnik a
20 encouragé la création de la VRS. Mladic a été nommé commandant du Grand
21 état-major de la VRS. Paragraphe 194. Mladic était directement subordonné à
22 la présidence. Même paragraphe. Il était commandant du Grand état-major, en
23 tant que tel et il était membre de l'entreprise criminelle commune. Ses
24 chefs militaires sur le terrain, eux aussi, ont été déclarés membres de
25 cette entreprise.
26 Le Grand état-major de la VRS a toujours informé et correctement informé
27 les membres de la présidence de la situation militaire qui prévalait dans
28 toute la République serbe de Bosnie. Les dirigeants politiques ont transmis
Page 268
1 des ordres aux chefs militaires, dont des ordres oraux et des ordres
2 donnés aux militaires qui assistaient aux réunions de la présidence.
3 Paragraphe 206.
4 La VRS a participé à tous les crimes commis pendant les attaques et les
5 détentions. Peu de temps après qu'elle eut été établie, la VRS a donné des
6 ordres écrits pour que tous les hommes musulmans aptes au combat, au
7 service militaire, soient détenus. Paragraphe 1038.
8 L'utilisation par un membre de cette entreprise de la VRS afin de réaliser
9 ce projet commun est illustrée par les actions entreprises par un membre de
10 cette entreprise, le commandant Svetozar Andric, commandant de la 1ère
11 Brigade Birac qui était active à Zvornik en avril et en mai 1992.
12 Vers le 28 mai, de 400 à 500 Musulmans du village de Divic, dont des
13 femmes, des enfants et des personnes âgées ont dû monter dans des bus, ils
14 ont été forcés à monter dans ces bus par des membres des Guêpes jaunes et
15 on a dit qu'on allait les amener dans le territoire musulman. Andric avait
16 donné un ordre le 28 mai 1992, il avait ordonné à la TO de Zvornik, je le
17 cite : "Il faut organiser le déplacement de la population musulmane et
18 coordonner ce déplacement avec les municipalités par lesquelles le convoi
19 doit passer. Seuls les femmes et les enfants peuvent partir alors que les
20 hommes aptes au service militaire doivent être placés en détention dans des
21 camps en vue d'un échange." Paragraphe 1 043.
22 Un autre exemple, Marko Adamovic, qui commandait l'unité de la police dans
23 la région de Kljuic, vers le 1er juin 1992, il avait une centaine de
24 policiers serbes armés avec lui et est arrivé dans le village musulman de
25 Provo. Quarante villageois qui étaient sans armes, dont des femmes et des
26 enfants ont dû s'aligner le long d'un mur d'une maison. Plusieurs habitants
27 ont été frappés et de cinq à huit hommes ont été tués. Adamovic s'est servi
28 d'un porte-voix pour donner l'ordre aux soldats d'incendier le village et
Page 269
1 de tuer les femmes et les enfants. Lorsque les hommes ont été conduits hors
2 du village vers Peci, on a entendu une explosion et des coups de feu qui
3 venaient du village, parce que les soldats serbes ont ouvert le feu sur les
4 civils qui restaient dans le village. Il y a un soldat qui a lancé une
5 grenade dans ce groupe et ainsi tué plusieurs femmes. Quelque 38 personnes
6 ont été tuées dont des enfants et il y a au moins une maison qui a été
7 incendiée. Paragraphe 450.
8 Un autre exemple, Talic, qui le chef du corps de Krajina à Banja Luka pour
9 ce qui est du camp de Manjaca qui a un contenu de 700 à 800 [comme
10 interprété] détenus et cela n'a été possible que par l'intervention de la
11 VRS et de Serbes locaux qui étaient prêts à apporter leur concours.
12 Paragraphes 883 et 94 [comme interprété].
13 La situation dans les autres camps de détention contrôlés par la VRS
14 n'était pas différente.
15 Si on parle de la police, on retrouve ici une situation récurrente,
16 contrôle absolu des membres de l'entreprise criminelle commune sur ce qui
17 se passe et l'intervention, l'utilisation des membres de la police en vue
18 de commettre les crimes destinés à encourager la réalisation du projet
19 commun.
20 Mico Stanisic, ministre de l'Intérieur, chef de la police, il était nommé
21 membre de l'élément de l'entreprise se trouvant à Pale. Paragraphe 1 087.
22 Il y avait sous ses ordres, les CSB régionaux et les SJB municipaux. On
23 trouve dans les membres de l'entreprise criminelle des commandants de
24 police locaux. Simo Drljaca et notamment Stojan Zupljanin. La Chambre de
25 première instance a constaté au paragraphe 255 que les forces du MUP se
26 sont livrées à des activités criminelles dans les municipalités retenues
27 dans l'acte d'accusation, ça pouvait être pour faire des profits de guerre,
28 ça pouvait être aussi l'administration de centres de détention où se
Page 270
1 trouvaient des Croates et des Musulmans de Bosnie qui ont subi des sévices.
2 En 1992, le MUP des Serbes de Bosnie a fortement participé aux opérations
3 des centres de détention. Paragraphe 249.
4 Les unités participant à forcer les non-Serbes à quitter les municipalités
5 qui devraient devenir un territoire "serbe" à partir d'avril jusqu'en
6 décembre 1992, les membres du MUP ont aussi beaucoup participé à des
7 combats sous l'égide de la VRS.
8 Les chefs du MUP ont également participé à l'objectif commun criminel.
9 Vitomir Popic, membre de l'entreprise criminelle, était le chef de police à
10 Gacko, il a utilisé ses officiers, ses policiers et les Serbes locaux pour
11 commettre des actes d'emprisonnement illicites, d'assassinat, de viol et de
12 torture. Fin mai, début juin 1992, la police locale commandée par Popic
13 avec le chef local des Aigles blancs a commencé à arrêter des Musulmans
14 pour les placer dans un centre de détention dans la municipalité de
15 Bjelica. Début juin, il y avait environ 120 détenus musulmans au poste de
16 police de Gacko. Quelques-uns des détenus ont subi régulièrement des
17 sévices. Les conditions de détention étaient très dures.
18 Le 3 juillet 1992, cinq Musulmans ont été exécutés par sept Serbes locaux
19 dirigés par le chef de la police Popic. Le 4 juillet 1992, dans ce même
20 poste de police, Popic a contraint un détenu à regarder le viol de sa
21 propre femme par un Serbe de l'unité de Munja des Bérets rouges, qui était
22 aidé dans cet acte par deux autres Bérets rouges armés. Paragraphe 656.
23 Je parlais ainsi des groupes militaires. Mais quand on pense aux structures
24 politiques, aux hommes politiques faisant partie des cellules de Crise et
25 du Parti SDS, leur comportement n'était pas différent. Là aussi, ils
26 avaient un lien avec les dirigeants serbes de Bosnie par l'intermédiaire
27 des hommes que les dirigeants serbes de Bosnie y avaient placés.
28 Cette politique, ces membres du SDS ont joué un rôle important dans
Page 271
1 l'exécution. Les dirigeants basés à Pale étaient tous de hauts
2 fonctionnaires ou des hommes politiques importants du SDS. C'était vrai
3 pour Krajisnik qui était membre du comité central et président de
4 l'assemblée. Karadzic, lui, était président du SDS. Les hommes politiques
5 locaux ont été membres de l'entreprise, notamment comme le dit le
6 paragraphe 1 088. Beaucoup d'entre eux étaient des députés du SDS ou des
7 membres de son comité central.
8 Quelle fut l'une des contributions de Krajisnik. Il a formulé, il a
9 encouragé, il a participé au développement des politiques du SDS qui avait
10 pour vocation de faire valoir cette entreprise criminelle commune et son
11 objectif.
12 Les cellules de Crise ont été transformées en organes de la république le 4
13 avril lorsque la SDS en a décidé ainsi et a donné pour instruction au TO et
14 aux policiers de réserve d'être prêts à intervenir.Paragraphe 263.
15 Le rôle de coordination du SDS, l'influence prédominante qu'il avait sur
16 les cellules de Crise se reflète dans le fait que pratiquement toutes les
17 cellules de Crise des municipalités reprises dans l'acte d'accusation
18 avaient au moins un député à l'assemblée des Serbes de Bosnie ou un membre
19 du comité central du SDS. Paragraphes 265 et 266.
20 Les cellules de Crise faisaient rapport en passant par le comité central du
21 SDS, par l'assemblée des Serbes de Bosnie et par des chefs individuels que
22 Karadzic et Krajisnik qui faisaient rapport à la présidence. Paragraphe
23 270.
24 Les actions municipales étaient des actions des chefs à Pale. Ceci est
25 mieux résumé au paragraphe 267, en veillant à ce qu'il y ait au moins un
26 député qui fasse partie de la cellule de Crise, de cette façon, les
27 dirigeants serbes de Bosnie ont pu exercé un contrôle significatif sur ces
28 municipalités. Vous avez la cellule de Crise d'Ilidza qui a été un exemple
Page 272
1 et qui montre ce lien entre eux. Je vous rappelle que c'était le lieu où
2 Krajisnik se trouvait.
3 Les liens qu'il y avaient par donner des ordres directs aux cellules de
4 Crise, ordres qui étaient reçus et exécutés. A leur tour, les cellules de
5 Crise citaient les ordres donnés par les organes régionaux et centraux
6 comme étant la base de leurs actions. Les autorités centrales de la
7 république soutenaient aussi ces cellules de Crise par des prêts qu'elles
8 faisaient par le financement notamment pour des armes et des munitions.
9 Paragraphes 140, 268 et 270.
10 Les dirigeants serbes de Bosnie ont resserré le pouvoir qu'ils avaient sur
11 ces municipalités le 10 juin 1992 lorsque la présidence a remplacé la
12 présidence de Guerre par des commissions de guerre se composant de quatre
13 membres dont un commissaire d'Etat désigné par la présidence. Celui-ci
14 devait désigner les autres membres qui devaient recevoir l'aval de la
15 présidence.
16 A partir de juillet 1992, Krajisnik était le membre de la présidence
17 qui avait la responsabilité de ses commissaires de guerre, il était leur
18 personne de contact. Paragraphes 271, 264 [comme interprété], 192 [comme
19 interprété], 276 et 277.
20 Les cellules de Crise étaient le ciment, ce qui permettait la
21 cohésion de cette machine de guerre sous l'influence prédominante du SDS,
22 c'était l'instance de coordination servant de lien entre l'élément
23 politique, l'élément militaire et les autres forces de la municipalité. Ils
24 ont pris le contrôle de ces municipalités avec l'aide de la TO, de la
25 police, des serbes locaux armés et aussi du MUP pour établir des postes de
26 contrôle et pour désarmer la population non-serbe, pour imposer des couvre-
27 feux et d'autres mesures dirigées contre la population non-serbe afin que
28 celle-ci quitte le territoire. De quelle façon ces hommes politiques par
Page 273
1 leurs actions sont-ils mieux intervenus pour que se réalise cet objectif,
2 ceci se voit dans les actions de Nedjeljko Rasula qui est président de
3 l'assemblée municipale de Sanski Most et député à l'assemblée serbe de
4 Bosnie.
5 Le 22 juin, une vingtaine de détenus du camp de prison de Betonirka
6 ont été emmenés à Kriva Cesta tout près où des hommes leur ont ordonné de
7 creuser leurs propres tombes. Une dizaine de ceux-ci dont Rasula étaient
8 assis à une table pliante et regardaient ces hommes creuser leurs tombes.
9 Quand ils ont eu terminé, un soldat les a tous égorgés à l'exception de
10 trois détenus, qui eux, ont été ramenés au camp.
11 Il y a aussi Dusko Kornjaca, président de la cellule de Crise du SDS
12 à Cajnice, ministre de la Défense de la SAO d'Herzégovine. Je cite : "En
13 juin 1992, les autorités serbes ont détruit les mosquées." C'est ce que dit
14 le paragraphe 620 du jugement. "Détruit les mosquées de la ville de Cajnice
15 à l'aide d'artillerie et d'explosifs. Le président de la cellule de Crise
16 du SDS Kornjaca apparemment était enthousiaste en public face à cette
17 action. Plus tard en 1992, il a ordonné la destruction de tous les autres
18 lieux de culte musulman afin d'éliminer toutes traces de la présence
19 musulmane à Cajnice." Paragraphe 620.
20 Je vous rappelle également ce qu'ont fait les autres personnalités
21 politiques régionales au niveau de l'Etat. Qu'est-ce que ceci prouve ? Ceci
22 prouve que Krajisnik était en compagnie des membres du comité central du
23 SDS, des députés SDS, de l'assemblée des Serbes de Bosnie et que tout ceux-
24 ci ont participé à ces crimes sur toutes les municipalités. Nous ne parlons
25 pas simplement d'une municipalité, on a pris un exemple mais ceci est
26 typique et classique de ce qui s'est fait dans toutes les municipalités. La
27 Chambre à titre illustratif a pris des exemples précis et a nommé les
28 membres de l'entreprise criminelle commune pour en citer d'autres de façon
Page 274
1 plus générale, par exemple, pour citer un commandant de la JNA, un chef de
2 police responsable de certains de ces crimes. Une chose est claire à la
3 suite de tous ces exemples, tous ces chefs, tous ces dirigeants se sont
4 servis de leurs hommes pour que ceux-ci commettent personnellement des
5 crimes ou que ces hommes commettent des crimes afin que se réalise
6 l'objectif commun.
7 Je voudrais maintenant parler de l'autre type d'auteur principal,
8 ceux qui ne sont pas membres d'une organisation.
9 Ceci a déjà été évoqué, les membres de l'entreprise criminelle
10 commune se sont parfois servis de personnes qui ne faisaient pas partie de
11 la structure pour que des crimes soient commis. Ces personnes ont travaillé
12 de concert ou en étroite coopération avec ces organisations. Mme Goy vous
13 en a parlé, elle a dit que c'était des Serbes locaux, j'utiliserai les
14 mêmes termes.
15 Par exemple, des Serbes locaux qui travaillaient comme gardes dans
16 des camps de détention ou des civils qui étaient autorisés à y entrer ont
17 commis des crimes contre des détenus. Nous en avons vu plusieurs exemples
18 déjà. La Chambre était en droit, partant des éléments de preuve présentés,
19 de déduire que ces hommes avaient été utilisés par les membres de
20 l'entreprise qui étaient responsables des camps.
21 Nous l'avons déjà dit au camp de Keraterm, dans le camp de Trnopolje
22 qui était administré par le MUP et la VRS, les détenus ont été exécutés et
23 soumis à des sévices graves dont des sévices psychologiques, des passages à
24 tabac, des sévices sexuels et de la torture. Ces crimes ont été également
25 commis par des Serbes de la localité qui étaient régulièrement autorisés à
26 entrer dans les camps pour y imposer des sévices, des passages à tabac et
27 tuer des prisonniers.
28 Autre exemple de Serbes locaux armés qui soutiennent la JNA, la VRS
Page 275
1 et qui participent à des opérations de prise de contrôle ou de nettoyage et
2 qui commettent des crimes, meurtres, destruction de propriété. A Foca, les
3 forces serbes ont pris le contrôle de villages musulmans dans la
4 municipalité de Foca, elles les ont détruits. Ceci s'est poursuivi jusqu'au
5 début du mois de juin 1992. Il y avait parmi ces forces serbes des
6 militaires, la police, des paramilitaires et parfois des villageois serbes.
7 Au cours de ces attaques, les appartements, les maisons de Musulmans ont
8 systématiquement été vandalisés et incendiés. Les villageois musulmans ont
9 été rassemblés, capturés, parfois tués, battus au cours de ce processus. Un
10 des nombreux exemples de l'utilisation de non-membres de l'entreprise par
11 des membres de celle-ci afin de réaliser ses objectifs communs. Ces gens
12 n'étaient pas à l'intérieur de la structure mais ces gens ont travaillé en
13 étroite coopération avec cette structure pour parvenir à cet objectif
14 commun.
15 Parfois le lien entre un membre de l'entreprise et les Serbes locaux
16 n'est pas si clair. On voit des références à cela dans le paragraphe. Mme
17 Goy vous l'a expliqué, la Chambre était en droit de faire des déductions
18 partant des éléments de preuve qu'on trouve dans toute la partie consacrée
19 aux municipalités ou dans d'autres parties du jugement pour rechercher ou
20 établir ce lien. Il ne fallait pas que la Chambre précise chacun des liens
21 existant pour chacun des crimes. De toute façon, les liens entre les crimes
22 et les membres de l'entreprise deviennent plus clairs une fois qu'on
23 examine les éléments de preuve cités dans le jugement.
24 Un exemple que je prends dans la municipalité de Bratunac, paragraphe
25 315. Le 10 mai 1992, les paramilitaires serbes ont aussi attaqué Krasan
26 Polje tout près de Vitkovici, dans la municipalité de Bratunac. Ce jour-là,
27 plus de 500 Musulmans venant de villages de la municipalité ont été détenus
28 dans l'école Vuk Karadzic. Des détenus ont subi des sévices graves, ont été
Page 276
1 battus de façon répétée. Des dizaines d'entre eux ont été tués par des
2 Serbes locaux armés et par des membres de groupes paramilitaires. Trois
3 gardes ont forcé tous les détenus à s'agglomérer dans une partie de la
4 salle de sport, ce qui fait que sept ou huit personnes ont été étouffées et
5 ont trouvé la mort. Plusieurs hommes ont été emmenés par les gardes et
6 tués. Quelque 50 détenus ont été frappés à mort par les gardes de cette
7 salle.
8 Ce paragraphe identifie les auteurs comme étant des Serbes locaux,
9 des membres des groupes paramilitaires et des gardes.
10 On peut se demander comment la Chambre était en droit de conclure que
11 ces hommes auraient été utilisés par les membres de l'entreprise criminelle
12 commune. Vous trouverez la réponse dans la note de bas de page. La pièce
13 P485 établit que le chef du MUP avait la responsabilité de l'école Vuk
14 Karadzic. Il y avait une partie des bâtiments de l'école qui était le QG
15 des forces militaires serbes. Un soldat armé surveillait la salle des
16 sports. P72 montre que les réservistes de la JNA surveillaient l'école. Le
17 lien, il passe par le commandant du camp, le chef du MUP et le commandant
18 local de la JNA.
19 Ici, dans cet exemple, les Serbes locaux ont agi de concert et en
20 étroite collaboration avec des membres de l'armée et de la police pour
21 commettre les crimes destinés à faire avancer l'objectif commun. Le membre
22 qui était à la tête de l'organisation devait autoriser cette utilisation.
23 Or personne n'a été puni ou renvoyé pour avoir commis ces crimes. En fait,
24 ces crimes ont été répétés par ces membres et ces personnes qui n'étaient
25 pas membres se sont comportées comme si elles étaient des membres de cette
26 organisation, ce qui veut dire que quand ils ont commis des crimes ces gens
27 ont été utilisés par le membre de l'entreprise comme s'ils faisaient partie
28 de son organisation.
Page 277
1 Ma réponse à votre question peut s'appliquer à tous les crimes commis par
2 des non-membres. Notre analyse montre qu'il y a une réponse et un lien et
3 cela passe par la structure, parce qu'il y a coopération avec la structure
4 pour commettre ces crimes. Il y a un seul fait, une seule constatation, où
5 effectivement la déduction est un peu atténuée. Dans ce paragraphe 670, on
6 parle de plusieurs Musulmans qui ont fui le village de Presjeka dans la
7 municipalité de Nevesinje vers les monts Velez le 22 juin 1992, après
8 pilonnage de leur village par les forces serbes. La constatation dit ceci :
9 "Seize personnes âgées n'ont pas pu marcher suffisamment vite, ont été
10 abandonnées sur le chemin et ont été plus tard tuées par un Serbe local."
11 L'élément de preuve ne donne pas davantage d'information quant à un
12 éventuel lien avec un membre de l'entreprise. Ce paragraphe constate que le
13 fait d'avoir attaqué -- ou constate, pardon, que les forces qui avaient
14 attaqué le village étaient des forces serbes, dont la VRS.
15 Vu les circonstances, à la lumière de tous les éléments de preuve, il
16 était raisonnable et la déduction était que le Serbe local faisait partie
17 des forces assaillantes serbes. C'est la seule déduction dont on pourrait
18 dire qu'en raison du manque d'éléments de preuve, on peut avoir peut-être
19 un certain doute, mais c'est le seul lien qui soit problématique que nous
20 avons pu cerner en analysant chacun des crimes commis.
21 J'aimerais en quelques mots arriver à la fin de mon exposé –
22 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Pardon.
23 M. KREMER : [interprétation] Oui.
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je pense que le Juge Meron voudrait
25 vous poser une question.
26 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je voudrais m'assurer d'une chose.
27 Est-ce que vous avez répondu à l'argument présenté auparavant par le
28 conseil de la Défense qui laissait entendre que M. Krajisnik, en sa qualité
Page 278
1 de chef du parlement, donc pas en tant que chef d'un exécutif, ne pourrait
2 pas être considéré comme étant membre de l'entreprise criminelle commune,
3 car on a fait valoir qu'il n'a participé qu'à des efforts diplomatiques
4 locaux et politiques. Je pense qu'il serait utile que l'Accusation réagisse
5 à ce qu'a dit la Défense. Il serait utile que l'Accusation mentionne tel ou
6 tel discours fait par l'appelant permettant d'établir au-delà de tout doute
7 raisonnable qu'il faisait sien et partageait ces objectifs illicites de
8 l'entreprise criminelle commune.
9 Je vous remercie, Monsieur le Président.
10 M. KREMER : [interprétation] Permettez-moi tout d'abord de rappeler à la
11 Chambre que ce n'est pas un procès consacré au discours de la haine, que
12 cette affaire porte sur le fait de participer ou de se rallier à une
13 entreprise criminelle commune qui a pour objectif commun la perpétration de
14 crimes, ici, en l'occurrence, des crimes graves concernant un territoire
15 très important, crimes d'extermination, de persécution, de déportation et
16 expulsion et de transfert forcé.
17 La décision portant sur l'élément moral, elle ne se fonde pas uniquement
18 sur les discours faits par M. Krajisnik. Cette déclaration de culpabilité
19 repose sur tous les éléments de preuve, dont la participation des
20 dirigeants serbes de Bosnie à l'exécution, à la mise en œuvre de ces
21 objectifs communs.
22 Eu égard à l'intention délictueuse nourrie par Krajisnik, j'aimerais vous
23 répondre, Monsieur le Juge Meron, ainsi qu'indiquer aux autres Juges de la
24 Chambre ce qui figure dans la pièce 292, intercalaire 21, notamment en page
25 4 de cette pièce de l'Accusation. Nous voyons que M. Krajisnik, dans ce
26 document, dit ce qui suit, je cite : "Tout ce que nous faisons au sein de
27 ce parlement, tout ce que je fais personnellement, je le fais exclusivement
28 en vue d'obtenir des régions pures."
Page 279
1 Il n'y a aucune ambiguïté dans ce qu'il dit là. Ce n'est pas un discours
2 politique destiné à tous les parlementaires. Ce qui leur dit c'est : voilà
3 ce que nous faisons, et il le dit aux parlementaires qui sont présents dans
4 la salle. Il savait de quoi il parlait en s'exprimant ainsi et ceux qui
5 l'écoutaient savaient de quoi il parlait. Compte tenu de la masse
6 d'éléments de preuve qui a été portée à la connaissance de la Chambre de
7 première instance, eu égard qui a participé à ces crimes, les membres du
8 SDS, les députés du SDS, les dirigeants, étant donné l'instrumentalisation
9 de toutes sortes de structures, la seule conclusion que pouvait tirer la
10 Chambre de première instance, c'est que M. Krajisnik était impliqué dans
11 tout cela aussi gravement que tous les autres. En fait, au vu des éléments
12 de preuve qui ont été soumis à la Chambre de première instance, celle-ci a
13 décidé qu'il était au sommet des responsables en même temps que Karadzic,
14 au somment du groupe qui voulait aboutir à cet objectif. Ces hommes ont
15 travaillé ensemble pour veiller à ce que cette vision de pureté d'une
16 région, de pureté de la Serbie, où il n'y aurait plus aucun Musulman, plus
17 aucun Croate, soit réalisable, et ils l'ont réalisé en utilisant des
18 structures au niveau de l'Etat de façon criminelle afin d'obtenir
19 l'aboutissement de leur projet. Il a été réalisé neuf mois plus tard au
20 prix de 3 000 vies humaines et de la destruction de centaines de milliers
21 de vies qui étaient celles des personnes résidant précédemment dans la
22 région, et ce, depuis des siècles.
23 Oui, Me Dershowitz déclare qu'il faut tenir compte de l'histoire, mais ne
24 tenez pas compte de l'histoire uniquement du point de vue des Serbes,
25 examinez-la du point de vue de ceux qui ont été chassés de la région.
26 J'ai encore besoin de cinq minutes. Je m'engage à en terminer en cinq
27 minutes. Je vous remercie.
28 Le jugement, dans la plupart des cas, ne cite rien de très précis sur le
Page 280
1 plan factuel eu égard aux liens entre les trois actes de persécution, de
2 mise en détention illégale et de destruction de biens individuels et
3 culturels ainsi que de monuments du culte.
4 Ce que la Chambre de première instance a fait c'est traiter
5 précisément des exemples les plus significatifs dans les différentes
6 municipalités qu'elle a eues à examiner compte tenu de l'aspect massif des
7 éléments de preuve montrant qu'il y avait comportement systématique eu
8 égard à la mise en détention illégale, destruction de propriétés dans
9 toutes les municipalités citées à l'acte d'accusation. Ces éléments de
10 preuve ont permis à la Chambre de conclure que ces actes faisaient partie
11 de la poursuite d'un objectif commun et ont été mis en œuvre en se servant
12 d'organisations qui étaient placées sous le contrôle de l'entreprise
13 criminelle commune, autrement dit des forces serbes. Je vais simplement
14 aborder quelques exemples et j'en aurai terminé.
15 La Chambre de première instance estime que la mise en détention a été
16 illégale dans 33 municipalités, dans plus de 350 centres de détention. Au
17 paragraphe 810. Dans la municipalité de Prijedor, par exemple, nous voyons
18 comment les centres de détention ont été utilisés. Paragraphe 483. Les
19 autorités serbes ont placé en détention principalement des Croates et des
20 Musulmans, tout civil dans 58 lieux de détention et centres de regroupement
21 de la municipalité de Prijedor en 1992. Cinq d'entre eux étaient considérés
22 comme des centres de détention à long terme. Je veux parler de Keraterm,
23 Trnopolje, Omarska en particulier. Le poste de police de la ville de
24 Prijedor et les postes de Miska Glava sont intervenus à cette fin. Les
25 autres 53 lieux mentionnés à l'annexe C de l'acte d'accusation étaient des
26 lieux de court séjour en détention. La plupart des Musulmans et des Croates
27 de Prijedor ont été détenus quelque temps dans l'un ou l'autre des lieux de
28 détention au centre de regroupement durant l'année 1992.
Page 281
1 Les cinq centres de détention mentionnés sont évoqués en détail, 52
2 autres ou 53 autres ne le sont pas. La Chambre de première instance ne
3 fournit pas tous les détails pour chacune de ses conclusions, s'agissant de
4 qui a créé et fait fonctionner les autres centres de détention que je viens
5 d'évoquer. Mais à notre avis, malgré cela, la Chambre était en droit de
6 considérer que ces actes faisaient partie de la poursuite de l'objectif
7 commun, et qu'ils ont été le fait des forces serbes ou d'autorités serbes
8 agissant à cette fin. Pourquoi ? Parce que tous les éléments de preuve ont
9 démontré qu'il existait un système, un modèle de comportement eu égard à la
10 façon dont fonctionnaient les lieux de détention et à leur usage par les
11 membres de l'entreprise criminelle commune pour aboutir à l'objectif commun
12 dans les municipalités concernées.
13 La détention faisait partie de ce système agressif visant la
14 population non-serbe. Paragraphe 708. Les centres de détention pour les
15 civils ont été instrumentalisés et ont constitué un maillon de la logique
16 globale visant à l'expulsion.
17 Paragraphe 1 055. Les lieux de détention où étaient enfermés des civils ont
18 été utilisés comme moyens pour faire pression sur les non-Serbes afin
19 qu'ils quittent le territoire. Paragraphe 1 043.
20 La même démarche a été utilisée eu égard aux destructions. La destruction,
21 si vous vous penchez sur la question avec précision, s'est faite dans le
22 cadre d'une coopération entre des organisations utilisées par les membres
23 de l'entreprise criminelle commune. Les forces serbes se sont servies
24 d'artillerie lourde, de mortiers, de chars ainsi que d'explosifs ou de
25 bombes incendiaires pour séparer différentes zones et détruire les
26 propriétés appartenant à des non-Serbes. Paragraphes 830, 837 et 838 du
27 jugement.
28 La destruction a donc fait partie de ce système global d'attaques contre la
Page 282
1 population non serbe qu'a décrit la Chambre aux paragraphes 707 à 709 du
2 jugement. La destruction de maisons faisait que les villageois ne pouvaient
3 plus revenir. Paragraphe 708.
4 S'agissant de la destruction de bâtiments culturels, Predrag Radic a
5 témoigné en disant qu'en 1992, les Serbes avaient détruit des mosquées en
6 divers lieux de l'ARK [comme interprété], afin de supprimer toutes traces
7 de la présence musulmane dans ces régions. Paragraphe 387 [comme
8 interprété]. Le fait que les dirigeants bosno-serbes ont accepté et
9 approuvé des destructions aussi systématiques que celles-là, de propriétés
10 privées appartenant à des non-Serbes est admis par le ministre de la
11 Justice en personne. En mai 1992, Momcilo Mandic dans une conversation
12 téléphonique a déclaré : "Nous avons assiégé les Turcs de Sarajevo." Il a
13 ajouté qu'il voulait construire une nouvelle ville de Sarajevo, plus belle
14 que la précédente. "Nous n'apprécions pas toute ces anciennes synagogues et
15 mosquées. Nous devons changer l'architecture et tout changer." Et le 23
16 avril, Mandic était prêt à créer une nouvelle municipalité de Sarajevo,
17 construite de toutes pièces.
18 Les dirigeants serbes de Bosnie ont admis la destruction de lieux civils et
19 ont admis que ces destructions ont été importantes. Trifko Radic a rendu
20 compte à l'assemblée bosno serbe le 12 mai 1992 en disant : "Nous n'avons
21 pas d'autre solution que de pilonner et de détruire des villes. Nous avons
22 détruit un tiers de Visoko, peut-être ce soir une autre ville sera-t-elle
23 détruite." Paragraphe 974 du jugement.
24 Notre position c'est qu'utiliser une approche descriptive était justifié,
25 compte tenu de l'importance de ce système récurrent de mise en détention,
26 de destructions répétitives au cours des attaques et au moment où les
27 villes étaient prises, tout cela dans le but d'en chasser la population
28 non-serbe, en tout cas dans les municipalités évoquées à l'acte
Page 283
1 d'accusation.
2 La Chambre de première instance a conclu raisonnablement que les
3 actes de mise en détention et de destructions ont été commis par les
4 autorités serbes ou les forces serbes et qu'elles peuvent être liées à des
5 membres de l'entreprise criminelle commune dans la poursuite de leur
6 objectif commun. Chacun de ces lieux, chacun de ces bâtiments, chacun de
7 ces actes a été commandé par un dirigeant sur le terrain, qu'il s'agisse
8 d'un dirigeant de la police locale, d'un dirigeant militaire local, d'un
9 membre de la cellule de Crise. En tout cas, le lien est établi. Le lien
10 structurel est le lien humain. Le lien c'est qu'une entreprise criminelle
11 commune a commis des crimes. Et notre position consiste à penser qu'il
12 n'est pas nécessaire pour la Chambre de première instance de donner pour
13 chacun des crimes commis au cours de cette période de neuf ans –- ou
14 plutôt, excusez-moi, de neuf mois –- un lien désigné par un nom propre.
15 Cela n'est pas nécessaire. Les éléments de preuve ont démontré clairement
16 que les dirigeants des structures contrôlés par des membres de l'entreprise
17 criminelle commune qui partageaient un plan commun ont agi. Il ne peut y
18 avoir aucun doute quant au fait que l'ensemble des crimes commis par les
19 forces serbes au moment où elles s'emparaient des villes et villages et
20 dans les années qui ont suivi, notamment s'agissant de mises en détention
21 et de destructions, que tous ces crimes ont été commis par eux, qu'ils
22 faisaient partie de l'objectif commun et le lien a donc été établi.
23 A moins que vous ayez des questions, j'en ai terminé de mon exposé.
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Kremer.
25 Des questions de mes collègues ? Non. Donc ceci met un terme à la
26 réponse de l'Accusation.
27 Nous sommes déjà en retard, mais je voudrais accorder un temps égal à
28 toutes les parties.
Page 284
1 Peut-être serait-il plus adapté de nous séparer maintenant, plutôt
2 que de poursuivre jusqu'aux environs de 14 heures et d'entendre ensuite la
3 réponse au début de l'après-midi. Mais, bien entendu, je suis à la
4 déposition de la Défense. Quelles sont les préférences de la Défense ?
5 M. A. DERSHOWITZ : [hors micro]
6 L'INTERPRÈTE : Microphone, s'il vous plaît.
7 M. A. DERSHOWITZ : [hors micro]
8 L'INTERPRÈTE : Le conseil de la Défense n'a pas été entendu par les
9 interprètes, car il s'est exprimé hors micro.
10 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] De combien de temps avez-vous besoin
11 pour votre réplique ?
12 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Une demi-heure sans doute, mais on peut
13 aussi faire la pause maintenant.
14 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vois que les Juges n'ont pas tous le
15 même avis sur la question. Il n'y a donc pas de position commune sur ce
16 point. Vous préférez plus tard ?
17 M. A. DERSHOWITZ : [aucune interprétation]
18 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Dans ce cas, nous nous séparons
19 maintenant et nous reprendrons nos travaux à 15 heures. 15 heures au lieu
20 de 15 heures 15, ce qui nous permettra de rattraper le temps perdu.
21 --- L'audience est levée pour le déjeuner à 13 heures 28.
22 --- L'audience est reprise à 15 heures 04.
23 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous reprenons notre audience et nous
24 allons donner la parole aux équipes de la Défense pour qu'ils puissent
25 fournir la réponse de l'appelant comme prévu.
26 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Encore une fois, je souhaite remercier
27 le Tribunal de me permettre de faire cette présentation et également
28 d'avoir permis à ce que nous puissions faire la pause de déjeuner avant,
Page 285
1 car il est important de présenter notre réponse. Ceci m'a permis de
2 consulter le document que l'Accusation avait évoqué à propos de la région
3 pure, quelque chose que nous n'avons jamais vu, quelque chose qui n'est
4 mentionné nulle part dans la décision.
5 Il y a effectivement une discussion sur le sujet au paragraphe 905,
6 pardonnez-moi, 905 de la décision qui explique cette référence. Ceci est
7 très intéressant. Dans la décision, on dit: "L'accusé a, avec dextérité,
8 géré la fracture politique lors de la réunion du 28 février 1992 du Club
9 des députés." Si vous lisez les cinq pages de notes qui correspondent à
10 cela, vous constaterez que M. Krajisnik a effectivement géré ceci avec
11 beaucoup de dextérité. Ce qui arrivait, c'est que lui souhaitait que soit
12 votée une décision au niveau constitutionnel après la recommandation du
13 plan Cutileiro. Si vous lisez le procès-verbal de cette réunion, ce qui
14 s'est passé c'est qu'un groupe distinct de Krajina qui souhaitait étendre
15 la Serbie sur les territoires musulmans, il souhaitait avoir un territoire
16 ou une Serbie beaucoup plus grande. Et lui recherchait au contraire une
17 Serbie plus limitée, couvrant ainsi les régions où les Serbes étaient
18 importants en matière de population. Il ne souhaitait pas s'étendre, comme
19 souhaitait le faire le groupe plus radical, l'autre groupe. Si vous
20 regardez ces quatre ou cinq pages, vous constaterez qu'elles illustrent
21 fort bien nos propos d'aujourd'hui depuis le début.
22 Par conséquent, il dit ceci : "Il est important que nous comprenions
23 tous de nous pardonner les uns les autres pour ce que nous disons sans
24 fondement véritable," il fait référence ici à l'autre camp, "nous devons
25 trouver la façon de trouver une solution au problème. Je pense que nous
26 pouvons trouver une solution au problème." Il poursuit en disant : "Je ne
27 pense pas que ce soit de mauvaises gens," il parle de ceux qui souhaitent
28 s'étendre et il parle de la constitution. Il dit : "Messieurs, nous avons
Page 286
1 besoin de cette constitution. J'espère que Dieu va nous permettre d'en
2 terminer d'ici un mois ou deux. Nous avons besoin d'une démocratie en
3 Bosnie." Il s'agit là de quelque chose qui illustre dans tous les sens du
4 terme sa position politique.
5 La citation qui a été mentionnée est également intéressante. Le texte
6 se poursuit en disant et commence par une évocation de "Demain, laissez-les
7 adopter la constitution." Il disait que le peuple serbe, par le biais de sa
8 constitution, devait se décider et savoir s'il souhaitait adopter soit le
9 plan Cutileiro plus limité ou permettre à d'autres qui voulaient s'étendre
10 davantage d'attendre qu'ils adoptent la vision élargie. Il souhaitait lui-
11 même adopter l'élément plus limité.
12 "Nous n'avons pas besoin de craindre cela, nous sommes des Serbes.
13 Nous ne pouvons pas comprendre la réalité. Que Dieu aide le peuple serbe.
14 Personne n'a le droit de faire ça, nous n'avons pas le droit de contourner
15 notre unité. Je dois vous dire que tout ce que nous faisons dans ce
16 Parlement, tout ce que j'ai fait personnellement, exclusivement, c'est
17 d'avoir une région pure en Herzégovine. Ceci ne fera pas droit au peuple de
18 Krajina pour cela." Ce qu'il dit en somme, nous souhaitons que ceci ait été
19 abordé plus tôt par la communauté internationale, à savoir qu'une région
20 serait principalement serbe. Il ne s'agit pas de s'étendre sur d'autres
21 territoires qui ne sont pas serbes. Par conséquent, l'autre groupe qui
22 souhaitait s'étendre est en train de dire non, il faut que la constitution
23 s'applique, dit-on.
24 La réponse de M. le Juge Meron a clairement indiqué que M. Krajisnik
25 souhaitait rejoindre l'entreprise criminelle commune. Il s'agit des
26 principaux paragraphes qui nous intéressent ici, au nombre de cinq ou six.
27 Je souhaite en citer un certain nombre. Au paragraphe 115, à une réponse au
28 paragraphe 23. "Pendant une session de l'assemblée serbe tenue au moins de
Page 287
1 février 1992, le 25, l'accusé a dit aux députés que les Serbes avaient deux
2 options; soit de se battre par des moyens politiques ou utiliser au mieux
3 le temps et de considérer qu'il s'agissait d'une première phase, de rompre
4 les négociations et de faire tout ce que nous avons fait depuis des
5 siècles, à savoir faire l'usage de la force."
6 Là, semble-t-il, d'après ce qui est dit, il est d'accord pour dire
7 que les Croates et les Musulmans doivent être évacués par la force. Tout ce
8 qu'il dit, en somme, c'est de dire que, "Ceci doit être fait par les moyens
9 démocratiques, parce que si on procède par la force, on pourra être
10 confronté à des obstacles."
11 L'autre élément important se trouve au paragraphe 910. Comme l'a dit
12 M. Krajisnik, il nous l'a rappelé dans sa déclaration de 1994. La bataille
13 pour la république a commencé le 18 mars 1992, le jour où les dirigeants
14 serbes de Bosnie, en la personne de l'accusé, a fait savoir au député de
15 l'assemblée qu'il souhaitait de façon préventive prendre le territoire en
16 Bosnie-Herzégovine tout en séparant les Serbes de Bosnie des deux autres
17 groupes ethniques.
18 On ne fait pas mention de cela. La partie suivante précise que : "Pour
19 l'essentiel, le message de l'accusé aux représentants des Serbes de Bosnie
20 c'est de dire qu'il fallait que de nouveaux faits soient établis sur le
21 terrain afin de renforcer la main des négociateurs serbes de Bosnie, y
22 compris lui-même et Karadzic, puisque c'étaient les deux personnalités les
23 plus importantes. Il s'agit de renforcer sa position de négociateur pour
24 établir des faits qui aient constitué l'objet même des négociations, ce
25 n'était pas une méthode équitable. Néanmoins, il a laissé entendre qu'il
26 fallait mieux que les Serbes soient injustes envers les Musulmans que
27 l'inverse. Le discours du 18 mars, a-t-on dit, était un appel aux armes."
28 Ceci n'était pas un appel aux armes. Il s'agissait simplement de dire ce
Page 288
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 289
1 que vous faites si vous mettez en place un plan, ceci avait été proposé à
2 la communauté internationale, les Musulmans l'avaient rejeté à ce stade. Il
3 souhaitait mettre en œuvre ce plan à ce moment-là, puisqu'il y avait des
4 gouvernements municipaux en place, il souhaitait diriger cette partie-là de
5 la Bosnie-Herzégovine. Mais la Bosnie-Herzégovine a annoncé publiquement
6 qu'elle se retirait de la Yougoslavie et était déterminée à être reconnue,
7 son souhait était d'avoir une région comme ceci avait été négocié et
8 débattu, une région à l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine prise au sens
9 large qui était principalement Serbe, qui avait un gouvernement en place
10 qui devait s'occuper des préoccupations des Serbes, ensuite il y avait les
11 autres entités autour comme elles existaient, comme elles existent
12 aujourd'hui, qui devaient se rejoindre sous une constitution commune qui
13 leur permettrait d'avancer dans ce sens.
14 Paragraphe 923. Au paragraphe 1 003, je souhaiterais vraiment lire le
15 paragraphe dans son intégralité mais je ne sais pas si cela fait un bon
16 usage du temps. 1 003 est considéré comme étant le paragraphe le plus
17 essentiel : "Lors de la session de l'assemblée du 25 juillet 1992, l'accusé
18 a affirmé que la prise de contrôle du territoire jusqu'à ce jour était
19 insuffisante. Les personnes ont créé les frontières et il faut nous mettre
20 d'accord aujourd'hui sur les territoires qui ne sont pas sous notre
21 contrôle actuellement, mais auxquels nous estimons avoir des droits, parce
22 que nous estimons qu'il s'agit de territoires ethniques. Nous souhaitons
23 nous étendre," par conséquent, pour fixer les frontières qu'ils
24 recherchent.
25 Encore une fois, il s'agit là d'une affirmation politique de ce qui est
26 souhaitable compte tenu des circonstances.
27 La dernière citation porte sur le paragraphe 1 015. "D'autres événements et
28 l'accusé qui n'est pas à Pale," ensuite il poursuit en parlant d'une de ses
Page 290
1 déclarations, tous les patriotes serbes auront le même emblème, les trois
2 couleurs serbes, comme si ceci constituait un appel aux armes.
3 Je crois que ceci est significatif, car les Juges de la Chambre ont décidé
4 et les Juges de la Chambre d'appel ont utilisé une terminologie semblable
5 dans l'arrêt Brdjanin, cette Chambre a indiqué "qu'il a été condamné en
6 vertu de la catégorie I de l'entreprise criminelle commune, l'accusé doit
7 avoir l'intention de commettre le crime et l'intention de participer au
8 plan commun qui vise la commission de ces crimes."
9 Avec tout le respect que je vous dois, je crois qu'il s'agit d'un
10 raisonnement dans le sens inverse. Il faut d'abord qu'il y ait l'entreprise
11 criminelle commune qui a pour intention de commettre ces actes pour ensuite
12 établir le lien avec l'entreprise criminelle commune. Il y a tout d'abord,
13 en premier lieu, l'entreprise criminelle commune, ensuite le fait de
14 favoriser l'entreprise criminelle commune.
15 Cela étant dit, la Chambre de première instance a précisé qu'il faut
16 d'abord comprendre à quel moment il existe cette entreprise criminelle
17 commune et à quel moment il a participé à cette entreprise criminelle
18 commune. La date choisie est celle du mois d'avril 1992, et la seule chose
19 qui se soit produite avant cette date c'est la déclaration d'ordre
20 politique. Dans la mesure où le gouvernement -- le Procureur laisse
21 entendre qu'il a acquis une connaissance de tout ceci par la suite, ce que
22 nous rejetons au plan factuel et au plan juridique, le fait que de savoir
23 s'il a pris connaissance de cela suffit. A supposer qu'il ait pris
24 connaissance de cela par la suite et qu'il ait rejoint l'entreprise
25 criminelle commune, la question qui se pose c'est à quel moment ? Il ne
26 sera pas responsable de la mise en œuvre du plan avant la date où il l'a
27 rejoint. On ne peut pas appliquer ceci de façon rétroactive. Par exemple,
28 si un événement s'était produit au mois d'avril, il n'avait pas
Page 291
1 connaissance de l'entreprise criminelle commune avant le mois de juillet,
2 en vertu de la doctrine de l'entreprise criminelle commune, il ne serait
3 pas responsable pour ce qui s'était passé au mois d'avril, mai, juin, avant
4 la date à laquelle il est devenu membre de l'entreprise criminelle commune.
5 Nous avons une décision ici qui porte sur le mois d'avril qui est la date
6 critique et je propose qu'il n'y a rien sur la date du mois d'avril et à
7 cette date-là on avance qu'il est devenu membre. Rien avant n'est important
8 et n'étaye cette conclusion si la connaissance ultérieure est importante
9 quand bien même ceci serait appliqué, il est important de savoir quand ceci
10 a eu lieu et ce pourquoi il est responsable par la suite. Donc la décision
11 ne dit rien là-dessus car on a décidé que la date à prendre à compte était
12 le mois d'avril.
13 Je souhaite reprendre certaines questions portant sur le lien. Le premier
14 point que je souhaite évoquer, l'Accusation laisse entendre que la Chambre
15 de première instance a suivi l'arrêt Brdjanin. Comme vous le savez, l'arrêt
16 Brdjanin a été rendu longtemps après la décision rendue par le Chambre de
17 première instance et qu'il ne s'agit absolument pas de suivre ou de se
18 conformer à la décision de la Chambre, à l'exception évidemment d'une
19 décision dissidente de la part d'un Juge.
20 Deuxième point, j'ai essayé et je n'ai pas pu le faire de façon aussi
21 conséquente que je l'aurais souhaité pendant la pause, mais après avoir
22 entendu l'énumération présentée par l'Accusation, je pense qu'aucune de ces
23 personnes nommément n'est énumérée dans l'acte d'accusation. Puisque nous
24 avons une pléthore d'entités qui sont énumérées dans l'acte d'accusation, à
25 ce moment-là, c'est aisé pour les Procureurs de dire, on peut démontrer
26 pour toute personne qui a commis des crimes de guerre, que ce soit l'armée,
27 que ce soit les gouvernements municipaux ou les cellules de Crise,
28 quoiqu'ils disent et quel que soit l'élément cité, ils sortent simplement
Page 292
1 le nom. Ils disent, cette personne a commis un crime de guerre, par
2 conséquent, cette personne est membre de l'entreprise criminelle commune.
3 S'ils n'arrivent pas à trouver de nom, ils disent simplement que cette
4 personne agissait conformément aux ordres de l'armée, agissait conformément
5 aux bandes armées qui étaient là et donc on en fait quelque chose de global
6 et on établit le lien. Moi, je ne pense pas que la décision avait pour
7 intention de créer ces résultats. Je crois qu'il faut être très précis, on
8 peut recruter quelqu'un si on a un objectif conformément à l'entreprise
9 criminelle commune et non pas procéder de façon inverse, toute personne qui
10 a commis un crime de guerre il faut le retrouver et on suit la logique
11 inverse.
12 Avec tout le respect que je vous dois, je dois dire que le processus
13 utilisé est tout à fait à l'envers. Ils viennent aujourd'hui pour justifier
14 la décision et l'acte d'accusation en analysant différents éléments de
15 preuve, voire biffer les éléments de preuve qui ne peuvent pas étayer leur
16 thèse.
17 Merci. Je vais maintenant donner la parole à mon frère.
18 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Je souhaite répondre brièvement, tout
19 d'abord, à propos de Mme Goy et ensuite à propos de M. Kremer. Mme Goy
20 indique à juste titre la différence entre l'actus reus et la contribution
21 de l'autre, mais cette différence estompe dans ce cas, à cause des éléments
22 de preuve présentés qui portent sur une tentative permettant de prouver que
23 c'était un membre de l'entreprise criminelle commune. Il s'agit également
24 des mêmes éléments de preuve présentés dans le cadre de sa contribution tel
25 que ceci s'applique à ses allocutions. Il n'y a pas d'activité distincte,
26 il y a des éléments qui font qu'il était membre et non pas des éléments de
27 preuve qui indiquent qu'il a contribué de façon significative ou vice
28 versa.
Page 293
1 Autrement dit, ils me font compter double, et cela signifie que des
2 discours politiques peuvent être les deux à la fois, le seul élément de
3 preuve permettant d'indiquer qu'il a rejoint l'entreprise criminelle
4 commune et le seul élément de preuve étayant sa contribution substantielle
5 se rassemble. A aucun moment ils ne peuvent donner l'exemple d'un discours
6 politique qui répondrait aux questions posées par les Juges de la Chambre,
7 c'est-à-dire qu'il y aurait un discours politique qui impliquerait un
8 crime. Le fait qu'on n'a pas pu citer un seul discours dans le compte rendu
9 ni dans le jugement indique qu'il n'y a pas de discours politique sur
10 lequel ils peuvent se reposer qui sont cités, il y a des dizaines et des
11 dizaines de discours qui sont cités dans le jugement et ils n'indiquent
12 aucun discours qui porterait sur les conduites criminelles qui seraient
13 citées dans le jugement; le seul qui serait cité est hors contexte, n'a
14 jamais été vu par l'accusé et se trouve dans l'annexe à l'opinion
15 dissidente.
16 Donc ils reconnaissent que la grande majorité des crimes ont été
17 commis par des personnes qui n'étaient pas des membres de l'entreprise
18 criminelle commune qui répond à la question posée par un des Juges de la
19 Chambre d'appel dans le cas où il n'y a pas suffisamment de lien; cela
20 signifie que toute la condamnation doit être rejetée. Si la grande majorité
21 des crimes a été commis par des personnes qui ne sont pas des membres,
22 alors, à ce moment-là, on ne veut pas parler de condamnation, parce qu'à ce
23 moment-là on dépasserait la jurisprudence simplement parce qu'il y a des
24 crimes qui auraient été commis par certains membres, des membres, comme l'a
25 dit mon frère, qui ne sont devenus membres qu'au moment où ils ont commis
26 et n'étaient pas des membres au préalable.
27 M. Kremer, de façon très précise, a évoqué tous ces cas avec des
28 larmes dans les yeux de personnes, de viols, d'assassinats d'enfants, de
Page 294
1 personnes, de membres de la famille, de toutes sortes d'actes qui ont été
2 commis mais il n'a jamais indiqué si oui ou non, un de ces actes avait fait
3 partie des intentions de l'accusé, à savoir si ceci faisait partie d'un
4 accord ultérieur conclu par l'accusé à savoir si c'était prévisible ou pas.
5 Et c'est simplement il n'y a pas d'éléments de preuve qui permet d'étayer
6 ces actes et peut-être que l'accusé en a entendu parler après, a
7 posteriori.
8 Toute la liste des actes commis nous permet de comprendre pourquoi
9 l'Accusation ici présente souhaite voir les propos de l'Accusation affirmés
10 mais ceci ne porte qu'un lien sur la -– n'a aucune incidence sur le lien en
11 fait. Le chaînon manquant dans cette affaire c'est le lien entre l'accusé
12 lui-même et les actes commis par les personnes sur le terrain, à supposer
13 qu'il y ait un objectif qui visait une séparation ethnique ou émétique ou
14 quelque chose de la sorte, comment pour être simplement de citer comment
15 est-ce qu'on peut évoquer quelqu'un qui mange les parties du corps d'un
16 autre ou quelqu'un qui se livre à des viols d'enfants ? Ceci est absolument
17 épouvantable, bien sûr. Quasiment toutes les guerres, malheureusement --
18 chaque guerre a son lot d'actes brutaux, ceci ne signifiant pour autant que
19 chaque fois qu'il y a une guerre il y a des crimes de guerre.
20 M. Kremer décrit ce groupe comme étant un groupe rejoint par
21 M. Krajisnik, et il aurait dû savoir au moment où il a rejoint ce groupe
22 qu'il devenait un membre comme si c'était un club. Il n'est pas allé voir
23 un jour. Il n'a pas été initié un jour avec des liens de sang. Ce n'était
24 pas comme le "Ku Klux Klan" ou la "Gestapo." Il n'a rejoint aucun groupe,
25 aucune unité. C'est la Chambre qui a imposé sur lui une structure, un cadre
26 conceptuel. Il aurait dû être -- ou faire partie d'eux, on ne dit pas
27 précisément qu'il a rejoint, lorsqu'on entend en fait la présentation du
28 Procureur, comme s'il exerçait le contrôle sur les personnes qui ont commis
Page 295
1 les crimes, même s'il y a une conclusion très claire à la page 402 qu'il
2 n'a pas exercé de contrôle effectif à aucun moment sur ces activités là.
3 Et l'Accusation cite des références, en fait, état de Commissions de
4 guerre qui ont été mises sur pied tardivement. Lorsqu'on lit la description
5 fournie par les Commissions de guerre, on voit qu'il s'agit en fait de
6 processus unilatéraux. Leurs seules tâches consistaient à faire rapport de
7 leurs travaux aux membres de la présidence de Guerre. Dit autrement,
8 l'élément d'information remontait même s'il n'avait pas le pouvoir en fait
9 de diriger des activités. Au pire, ceci porterait sur la connaissance et
10 l'élément moral. Ceci ne porte absolument pas sur l'élément matériel car
11 d'après le jugement, il s'agissait d'un flot d'information unilatéral qui
12 n'allait que dans un sens.
13 Et l'autre position de l'Accusation consistait -- c'est-à-dire que
14 L'Accusation aurait peut-être nommé un ou deux commissaires mais sans autre
15 information, on ne sait pas de qui il s'agit : est-ce qu'il l'aurait su à
16 l'avance ? Est-ce qu'il savait si ces commissaires étaient au courant de
17 crimes de guerre ? Bien, il a peut-être exercé une réponse inédit et
18 certaine dans la nomination des commissaires mais ceci ne porte en rien sur
19 l'élément matériel surtout compte tenu des constatations faites par la
20 Chambre, à savoir qu'il n'exerçait aucun contrôle. Par conséquent,
21 l'Accusation a fini par conclure que l'accusé était en compagnie d'eux --
22 "était en compagnie de," et indique les membres du SDS. On ne parle même
23 pas ici des criminels et ceci n'est pas – ne représente pas une culpabilité
24 par association lorsqu'on parle d'"en compagnie de." On ne décrit pas ce
25 qui s'est passé pendant ce temps-là. Et je cite : "Ces dirigeants ont
26 utilisé leurs hommes pour commettre des crimes." Et aucun élément de preuve
27 ne permet d'établir un lien entre l'accusé et tout autre personne qui a
28 commis ces crimes. Il ne connaissait pas ces personnes. Il n'était pas
Page 296
1 associé à ces gens-là.
2 M. Kremer, à juste titre, indiquait qu'il ne s'agit pas en fait de
3 discours de la haine, mais le discours constitue l'élément de preuve
4 essentiel et n'arrive même pas au niveau du discours de la haine. Nous
5 parlons ici de discours politique. Nous parlons de ce que la Chambre
6 reconnaît comme étant une dextérité au plan politique. Il utilisait sa
7 connaissance sur le plan politique pour essayer d'obtenir la meilleure
8 négociation possible pour son gouvernement et ses électeurs. C'est peut-
9 être ce qu'il a fait et il est responsable de cela. Il est responsable de
10 la négociation qu'il a menée. Avec ce qui se passait, il a tenu compte des
11 évolutions sur le terrain. Je crois que tout négociateur comprend fort bien
12 cela. Et pour ce qui est des régions pures, ceci n'a aucun lien avec tout
13 ceci et il ne peut pas y avoir d'incitation à la haine dans ses discours
14 parce qu'il n'y avait qu'un seul et un petit nombre de personnes qui
15 parlaient de la ratification de la constitution, comme citée par
16 l'Accusation et les vues extrémistes des Musulmans de Bosnie devaient être
17 rejetées. Il s'agit en fait de régions pures et ceci est obtenu par la voie
18 de la diplomatie.
19 M. Kremer en fait évoque de façon très brillante tous les crimes.
20 Encore une fois, je crois qu'il faut faire preuve d'une très grande pitié à
21 cet égard, "mais aborder en fait du point de vue des victimes." Et je crois
22 que les éléments moraux doivent être abordés non pas –- et des éléments
23 moraux et des éléments matériels doivent être abordés du point de vue de
24 l'accusé et non pas l'inverse. Avec tout le respect, je ne suis pas
25 d'accord, et donc j'ai expliqué les raisons à cette Chambre pourquoi cela
26 est le cas. D'ailleurs, lorsqu'il s'agit de décider de la culpabilité d'un
27 accusé, il faut se mettre à la place de l'accusé. Que savait-il ? Il était
28 au courant de quoi ? Qu'a-t-il fait ? Quels étaient les éléments de preuve
Page 297
1 qui étayent un accord ? Je crois qu'il faut voir ceci par les yeux de
2 l'accusé, de ses actions et de son état d'esprit.
3 Et dès lors que l'on examine la situation de ce point de vue là, dès lors
4 que l'on se penche de cette façon-là sur les crimes horribles qui ont été
5 commis, on se dit que ces crimes doivent être punis, doivent être
6 sanctionnés, mais ils doivent être punis de façon proportionnée compte tenu
7 de ce que telle ou telle personne a fait. Et l'idée évoquée par Mme Goy, à
8 savoir que le rôle de l'appelant a été un rôle fondamental, peut-être que
9 son rôle a été fondamental mais il a été politique : "Son rôle a été un
10 rôle politique. Il est possible qu'il ait joué un rôle fondamental, un rôle
11 central dans la réalisation du résultat politique global qui a pu en
12 découler, à savoir la recherche d'une solution politique mais si l'on passe
13 en revue l'ensemble des allocutions prononcées par lui, on n'y trouve pas
14 une seule fois un appel aux armes. Il n'y a pas un seul appel non plus dans
15 ces discours au nettoyage ethnique. Les appels que l'on y trouve sont en
16 vue d'un compromis, pas un seul appel à la commission d'un crime de guerre.
17 Les appels qu'on y trouve sont des appels destinés à éviter la guerre. Et
18 les conséquences de la condamnation sont qu'une personnalité politique, qui
19 cherchait à rétablir la paix, vit dans un monde troublé où la guerre existe
20 et où des crimes de guerre sont commis et qu'il ne peut donc pas rester
21 simple spectateur de toutes ces actions, l'action politique est sans doute
22 fondamentale pour résoudre par des voies pacifiques des conflits de ce
23 genre. M. Krajisnik aurait pu manquer de courage et quitter le pays. Il ne
24 l'a pas fait, il a poursuivi son action politique et c'est parce qu'il a
25 poursuivi son action politique qu'il a été mis en examen et emprisonné à
26 vie car sa condamnation équivaut à une condamnation à vie étant donné son
27 âge.
28 Donc nous en appelons instamment à la Chambre pour que -- et nous
Page 298
1 savons qu'elle le fera pour qu'elle lise de façon très détaillée toutes les
2 allocutions, toutes les accusations et qu'elle tire ses propres
3 conclusions, ses propres déductions, en appliquant les normes du droit.
4 Nous disons que des doutes existent et qui peuvent être favorables à la
5 détermination que les discours étaient de nature politique et qu'en
6 l'absence de la découverte d'un comportement criminel, en l'absence de la
7 découverte d'un acte criminel, l'appelant présent devant vous ne peut pas
8 être considéré coupable de graves crimes de guerre.
9 S'il n'y a pas de questions auxquelles j'aurais toutefois grand plaisir
10 à répondre, j'en suis arrivé à la fin de mon exposé. Je vous remercie,
11 Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges.
12 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Pas de questions.
13 Donc ceci met un terme à l'audience en appel de M. Krajisnik. Nous
14 demandons maintenant à entendre les motifs d'appel de l'Amicus Curiae
15 auquel je donne la parole pour une demi-heure.
16 M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, je demanderais à
17 ce que nous passions à huis clos partiel brièvement.
18 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Absolument.
19 M. A. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président.
20 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Un instant.
21 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, nous
22 sommes à huis clos partiel.
23 [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité levée par une ordonnance de la Chambre]
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Vous pouvez y aller.
25 M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, ce matin vous
26 avez ordonné qu'aucune référence ne soit faite aux éléments de preuve, aux
27 dépositions de deux témoins qui, je crois, sont des témoins dont la
28 déposition est importante s'agissant de déterminer l'équité ou l'absence
Page 299
1 d'équité d'un procès.
2 Nous n'avons pas aucune intention de faire référence à leurs
3 dépositions mais ce que nous souhaitons que vous sachiez, comme vous le
4 savez d'ailleurs, c'est que notre mémoire écrit est d'une importance
5 fondamentale eu égard au comportement du conseil de
6 M. Krajisnik pendant le procès. Nous avons l'intention donc de nous référer
7 à ce qui figure dans notre mémoire public.
8 Ce que je propose donc c'est que lorsque j'aborderai un point qui a
9 un rapport avec un élément du mémoire confidentiel, je renverrai les Juges
10 de la Chambre d'appel aux paragraphes en question dans le mémoire écrit en
11 invitant les Juges à lire ces paragraphes en temps utile. J'espère que ceci
12 concordera avec le souhait exprimé par la Chambre d'appel car, bien
13 entendu, nous avons l'intention de n'aborder que des points qu'il est
14 permis d'aborder en public et qui n'ont aucun rapport avec la nécessaire
15 protection des témoins protégés.
16 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bien. Je pense que vous pouvez procéder
17 de cette façon. Ce qui importe, quoi qu'il en soit, c'est qu'aucun élément
18 confidentiel ne soit rendu public.
19 M. NICHOLLS : [interprétation] Je vous remercie. Je demande donc si la
20 chose est possible que nous passions à huis clos partiel
21 -- que nous revenions en audience publique.
22 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, Madame,
23 Messieurs les Juges, nous sommes à nouveau en audience publique.
24 [Audience publique]
25 M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, je me propose de
26 traiter d'abord de la question de l'équité du procès. J'y consacrerai
27 quelques minutes, après quoi je traiterai brièvement de la question de
28 l'entreprise criminelle commune pendant dix minutes environ.
Page 300
1 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] M. le Juge Meron a quelque chose à
2 dire.
3 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Etant que le temps accordé à l'Amicus
4 Curiae sera très limité, j'aimerais, si vous me le permettez, poser une
5 question d'une grande importance à l'Amicus Curiae de façon à ce qu'il
6 puisse en traiter dans son exposé. Je vous remercie, Monsieur le Président.
7 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous en prie.
8 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Vous discuterez, je le sais, des
9 questions de compétence. Dans votre mémoire écrit, vous affirmez que
10 s'agissant du conseil qui a été assigné à M. Krajisnik pendant le procès,
11 et notamment compte tenu des nouveaux éléments de preuve qui ont été
12 déposés vous n'en parlerez pas. Le point précis auquel je pense est le
13 suivant : dans votre mémoire écrit vous faites remarquer que Me Stewart en
14 février 2005 a admis sans difficulté devant la Chambre qu'il n'avait lu que
15 15 % au plus des documents pertinents. Néanmoins la Chambre de première a
16 rejeté la requête de report, et la Chambre d'appel a confirmé cette
17 décision. Compte tenu de ces décisions, est-ce que vous arguez du fait
18 qu'étant donné le niveau de préparation de Me Stewart si l'on tient compte
19 de l'ensemble des actes du conseil de la Défense et de l'ensemble des
20 décisions rendues par la Chambre de première instance, l'appelant a dans
21 les faits été privé d'une assistance juridique efficace ? Je vous remercie.
22 M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, Monsieur le Juge, je
23 voudrais dire d'emblée que la réponse à votre deuxième question est oui. La
24 Chambre devait tenir compte de l'ensemble des éléments de preuve et elle a
25 dû le faire à l'issue du procès. La Chambre peut prendre connaissance des
26 éléments de preuve au fur et à mesure, mais elle doit les examiner tous à
27 la fin du procès. Globalement, j'espère donc que je pouvais aborder
28 rapidement cette question durant mon exposé.
Page 301
1 Comme je le disais, je me propose de m'exprimer sur la question de l'équité
2 du procès pendant une vingtaine de minutes, puis de consacrer dix minutes à
3 l'entreprise criminelle commune, après quoi je répondrai à M. Jones –-
4 après quoi M. Jones aura la possibilité de répondre sur les autres aspects
5 de l'entreprise criminelle commune, et notamment de s'exprimer sur le sujet
6 des déplacements de population après ce qu'en a dit l'Accusation.
7 Donc je commencerai par l'équité du procès.
8 En tant que mis en accusation devant le Tribunal, M. Krajisnik avait le
9 droit à un procès équitable, ce qui englobe le droit à bénéficier de
10 l'assistance efficace d'un conseil. Bien que le droit au conseil ne soit
11 qu'une garantie minimum pour un accusé, il est tout de même, sans doute, la
12 meilleure illustration de l'interdépendance entre l'exercice du droit et
13 des devoirs d'un accusé, et le conseil illustre un certain nombre de
14 garanties qui représentent le droit de l'accusé.
15 Le droit à la communication des pièces, au contre-interrogatoire, la
16 présentation d'éléments de preuve, le droit à un temps suffisant et à des
17 moyens suffisants, tous ces droits sont rendus inutiles si le conseil
18 n'exerçait pas correctement ses fonctions. Par malheur, à notre avis, c'est
19 ce qui est arrivé à
20 M. Krajisnik.
21 M. Krajisnik était au départ représenté avant le début du procès par
22 Me Brashich, avocat de New York, et plus tard pendant le procès par Me
23 Stewart, "Queen's Counsel" d'Angleterre. Nous estimons que ces deux
24 conseils ont chacun de son côté et ensemble apporté une assistance
25 largement insuffisante pendant le procès à M. Krajisnik, ce qui a rendu son
26 procès systématiquement inéquitable.
27 Je parlerai d'abord de Me Brashich. Me Brashich était le conseil
28 principal de M. Krajisnik pendant deux ans. Il a été démis des ses
Page 302
1 fonctions par le greffe dix jours avant la date prévue pour le début du
2 procès pour n'avoir pas communiqué à son client -- pour n'avoir pas porté à
3 la connaissance de son client le fait qu'il avait été suspendu
4 professionnellement dans son pays. Il avait reçu huit rappels à l'ordre
5 pour mauvais comportement professionnel, notamment pour avoir exigé des
6 honoraires excessifs, et pendant les 25 minutes où il a agi en tant que
7 conseil principal, il a demandé des honoraires correspond à 26 500 heures
8 de travail juridique, soit l'équivalent de d'un travail de 40 heures par
9 semaine pendant 13 ans pour une personne. Ce qui a coûté au Tribunal, 1.5
10 millions de dollars.
11 En dépit de cela, il n'a produit aucun résultat utile de son travail. Le 12
12 mai 2003, suite à son limogeage en tant que conseil principal, il a eu
13 l'audace de dire à M. le Juge Orie que, malheureusement, le plus gros du
14 travail de préparation accompli par lui jusqu'à ce jour était enfermé dans
15 son cerveau.
16 M. Stewart a été commis en tant que conseil principal en juillet 2003, et
17 une date a été fixée, celle du 2 février 2004 pour le début du procès.
18 Lorsque Me Stewart a demandé à Me Brashich de lui remettre les résultats de
19 son travail, Me Brashich a prétendu ne pas comprendre de quoi il parlait.
20 Et lorsque deux mois et demi avant le début du procès Me Stewart a
21 finalement reçu l'ensemble des dossiers relatifs à l'espèce, nombre de ces
22 dossiers avaient encore des sceaux qui n'avaient pas été rompus. Selon Me
23 Stewart, ces documents étaient dans le plus grand désordre et tout à fait
24 mélangés. Un tel résultat du travail de Me Brashich était, selon Me
25 Stewart, d'une utilité nulle et n'apportait aucune aide significative à la
26 préparation du procès.
27 Ce serait une litote de dire que le gros du travail d'un avocat,
28 notamment dans les affaires les plus complexes, se fait avant le début du
Page 303
1 procès. Les préparatifs préalables au procès ont une importance tout à fait
2 essentielle pour assurer une défense efficace. Il ne peut y avoir aucun
3 doute que Me Brashich et ses défauts de communication, le fait qu'il n'ait
4 pas fait connaître sa suspension, le fait qu'il n'ait pas remis les
5 documents à temps, le fait qu'il n'ait pas transmis un résultat ordonné de
6 son travail, tout ceci constitue des infractions à son devoir de compétence
7 et de diligence compte tenu des dispositions du code de comportement
8 professionnel appliqué par ce Tribunal. L'Accusation ne remet pas en cause
9 cette appréciation d'après ce que je crois savoir.
10 Le résultat du comportement répréhensible de Me Brashich a eu pour
11 effet qu'une situation s'est créée, qui est d'une gravité sans égal dans un
12 procès qui, en dehors du procès Milosevic, était le plus important qu'ait
13 eu à entendre ce Tribunal. A moins que Me Stewart n'ait rapidement et
14 totalement informé la Chambre de première instance de la gravité de la
15 situation et que la Chambre de première instance ait accordé un temps
16 suffisant avant le procès à son équipe pour préparer sa Défense, M.
17 Krajisnik n'avait aucune chance de bénéficier d'un procès équitable.
18 Il est tout à fait clair que ni l'une ni l'autre des deux solutions
19 n'a été appliquée. Me Stewart n'a pas demandé un report de la date de début
20 de procès malgré son expérience de co-conseil, nous en traitons dans notre
21 mémoire au paragraphe 35.
22 Lorsque cinq mois après le début du procès et alors qu'il était en
23 train de se battre pour survivre, Me Stewart a demandé un report
24 supplémentaire, il était trop tard. Son équipe était noyée sous des piles
25 de documents qu'ils ne parvenaient même pas à mettre en ordre et encore
26 moins à lire sans parler même d'en prendre connaissance. Dans le plus grand
27 désespoir, il a avoué, je cite : "J'aurais dû porter ce fait précis à
28 l'attention de la Chambre il y a longtemps. Je préférerais l'avoir fait,
Page 304
1 mais je ne le fais qu'aujourd'hui et la Chambre devra examiner la situation
2 et se prononcer sur les circonstances actuelles. Nous avons besoin de
3 temps."
4 En tant qu'Amicus Curiae dont la tâche consiste à défendre les
5 intérêts de M. Krajisnik, nous avons examiné très attentivement le fait de
6 savoir si Me Stewart était totalement inefficace en tant que conseil. De
7 telles allégations ne se font pas à la légère, notamment contre des
8 conseils de sa réputation. La Chambre d'appel a établi en novembre de
9 l'année dernière dans quelles conditions un appelant pouvait alléguer de
10 l'inefficacité de l'aide reçue par lui de son conseil. Au paragraphe 131 du
11 jugement, nous lisons que : "Un appelant doit établir que l'incompétence de
12 son conseil était si manifeste qu'elle contraint la Chambre à agir et qu'il
13 doit, par ailleurs, démontrer que la Chambre n'est pas intervenue et que
14 cette absence d'intervention occasionne une erreur judiciaire." Donc trois
15 exigences sont à respecter : incompétence manifeste, défaut d'action de la
16 part de la Chambre et erreur judiciaire.
17 Dans notre mémoire écrit, nous affirmons qu'un appelant, pour que ses
18 droits humains soient respectés, ne devrait être invité qu'à démontrer
19 qu'il n'a pas bénéficié d'une aide efficace de la part de son conseil et
20 que, de ce fait, son droit à la défense n'a pas été respecté et son procès
21 n'a pas été équitable. Nous affirmons que les trois exigences que j'ai
22 évoquées tout à l'heure sont là. L'incompétence de l'équipe Stewart est
23 manifeste. La Chambre de première instance n'a pas agi ou n'a pas agi
24 suffisamment efficacement, ce qui a provoqué une erreur judiciaire.
25 Dans notre mémoire écrit en appel, nous détaillons les raisons pour
26 lesquelles nous affirmons que l'aide apportée par l'équipe de Me Stewart
27 n'a pas été compétente et que ceci est clair. Il a commencé un procès alors
28 qu'il était grossièrement mal préparé. Il n'avait pas lu les documents, il
Page 305
1 n'avait pas reçu les instructions suffisantes de son client, il n'avait pas
2 procédé aux enquêtes et investigations nécessaires sur le terrain, il n'a
3 pas fait connaître la gravité de la situation à temps à la Chambre de
4 première instance, car il n'avait pas apprécié la gravité de la situation
5 et n'a pas demandé à temps un report du début du procès. Il n'a pas utilisé
6 convenablement les moyens mis à sa disposition avant le procès pour se
7 doter d'une aide nécessaire en élément humain et n'a pas apporté à
8 l'attention de la Chambre ces difficultés. Il a systématiquement évité
9 d'interjeter appel sur les décisions importantes qui avaient des
10 conséquences significatives sur l'équité du procès.
11 Il devrait ne pas être nécessaire d'indiquer qu'un conseil qui
12 commence un procès sans avoir examiné l'ensemble des documents communiqués,
13 sans avoir développé une stratégie de défense efficace, sans être en mesure
14 de contre-interroger des témoins de façon adaptée ou de présenter des
15 éléments de preuve de façon adaptée, il ne devrait pas être nécessaire de
16 dire que ce conseil est inefficace. Si la chose est vraie, un procès mené
17 dans de telles conditions est un procès inéquitable.
18 Le fait que dans un procès aussi complexe que celui-ci, les
19 préparatifs préalables au procès n'aient pas été suffisants, aurait dû
20 pousser la Chambre à se poser des questions importantes. Fallait-il
21 accorder un temps supplémentaire à Me Stewart avant le début du procès ?
22 Fallait-il reporter le début du procès pour que Me Stewart puisse se
23 préparer suffisamment ? Fallait-il essayer de sauver le procès en accordant
24 ponctuellement des suspensions à la demande de Me Stewart ? Ou, encore plus
25 important, est-ce qu'une suspension au milieu du procès aurait pu compenser
26 l'absence ou l'insuffisance de préparation avant le début du procès ?
27 La Chambre a su quatre jours avant le début du procès quelles étaient
28 les difficultés de Me Stewart. Ceci figure aux paragraphes 24 et 72 de
Page 306
1 notre mémoire en appel que nous invitons les Juges de la Chambre d'appel à
2 lire. Donc si l'on ajoute à cela le bénéfice de la question posée par M. le
3 Juge Meron il y a un instant et que nous nous posons la question de savoir
4 si le procès a été équitable, nous affirmons que la Chambre de première
5 instance n'a pas rempli ses responsabilités en ne veillant pas à l'équité
6 du procès puisqu'elle n'a pas accordé de report quand elle aurait dû le
7 faire.
8 Me Stewart a demandé un mois de suspension d'audience pour pouvoir
9 préparer le contre-interrogatoire du premier témoin, et dans les procès qui
10 ont suivi il y a eu parfois plus de cinq suspensions d'une longueur
11 conséquente dont une a été confirmée en appel.
12 Treize mois après le début du procès, toutefois - et je rappelle que des
13 dizaines de milliers de pages de documents ont été communiquées à Me
14 Stewart - ce dernier a dit à la Chambre de première instance que son équipe
15 n'avait pu lire que 15 % de l'ensemble des documents. Je cite : "Je n'en ai
16 pas lu un grand nombre moi-même. Je ne sais pas de quoi ils traitent. Je
17 n'ai pas les moyens suffisants pour découvrir le contenu de ces documents.
18 La tâche est absolument impossible. Ma situation est sans espoir."
19 Sa commis aux audiences avait quitté son poste. Son co-conseil avait donné
20 son préavis de départ, car le contre-interrogatoire était entravé faute de
21 temps et de moyens pour que tous les documents communiqués par l'Accusation
22 puissent être lus et analysés. Et enfin, la co-conseil a décidé de partir
23 car, a-t-elle dit, elle ne pouvait pas assurer une défense efficace dans le
24 temps imparti et en raison de l'ensemble des difficultés et des
25 conséquences négatives que cela pouvait avoir eu égard à l'équité du procès
26 de M. Krajisnik.
27 M. Krajisnik a fait preuve d'une patience remarquable. Finalement, il a
28 demandé très clairement - et cela n'a surpris personne - à assurer lui-même
Page 307
1 sa défense car, a-t-il dit, se défendre soi-même ne pouvait pas rendre la
2 situation pire qu'elle n'était déjà. La Chambre a autorisé M. Krajisnik à
3 poser des questions supplémentaires après les contre-interrogatoires menés
4 par Me Stewart pour ajouter ses propres efforts à ceux de Me Stewart dont
5 l'accusé disait qu'il obtenait des résultats désastreux. Me Stewart et son
6 équipe ont finalement estimé que M. Krajisnik avait été lésé.
7 Au moment de la présentation des moyens de la Défense, M. le Juge Orie qui,
8 au départ, ne doutait pas de la compétence de Me Stewart, l'a châtié pour
9 n'avoir pas respecté les délais en décrivant le produit du travail accompli
10 par son équipe comme gravement insuffisant et a exprimé des inquiétudes
11 importantes par rapport au fait que la Défense n'avait pas demandé à
12 entendre des témoins experts.
13 La Chambre de première instance, même si elle a fait de son mieux pour
14 sauver le procès qui n'aurait jamais dû commencer au moment où il a
15 commencé, n'a pas rempli, à notre avis, ses responsabilités eu égard à la
16 nécessité d'un procès équitable en n'accordant pas de suspensions
17 ponctuelles, lorsqu'il est apparu clairement aux yeux de tous que l'équipe
18 Stewart était manifestement incompétente. L'absence de préparation
19 suffisante de l'équipe Stewart a donc affecté négativement l'ensemble du
20 procès.
21 L'Accusation affirme que M. Krajisnik n'a pas établi qu'il a été lésé. La
22 Chambre d'appel se rappellera que j'ai demandé que ma tâche, ma mission
23 d'Amicus Curiae soit étendue pour englober la nomination d'un enquêteur
24 indépendant supplémentaire afin de compenser l'insuffisance du travail de
25 l'équipe Stewart. Ma requête a été rejetée. Et le fardeau d'établir qu'il y
26 avait eu préjudice est donc ainsi retombé sur les épaules de M. Krajisnik
27 lui-même, qui a déposé une demande de présentation de moyens de preuve
28 supplémentaires dont il estimait qu'il pouvait être utile à sa défense.
Page 308
1 La Chambre se posera la question de savoir si le refus de
2 Me Stewart a été responsable d'une décision stratégique ou, comme l'a dit
3 Me Stewart, si elle a été faite faute de temps. Est-ce que c'est par faute
4 de temps que la Chambre de première instance n'a pas rempli son devoir vis-
5 à-vis de son obligation de veiller à l'équité du procès ?
6 Dans une affaire mettant en cause un responsable hiérarchique de cette
7 importance, il était fondamental de définir et d'utiliser des témoignages
8 experts sur des questions pertinentes, comme les questions militaires,
9 politiques, démographiques et constitutionnelles. En contradiction directe
10 avec cette nécessité et ce que demandait M. Krajisnik, Me Stewart n'a
11 entendu aucun témoin expert aux fins d'établir que M. Krajisnik, ainsi que
12 M. Karadzic, étaient bien au sommet de la pyramide du pouvoir dans la
13 république bosno-serbe. Cette erreur qui a consisté à ne pas citer à la
14 barre un témoin expert, compte tenu des circonstances dont nous parlons, a
15 privé M. Krajisnik d'une possibilité d'établir tous les aspects de son rôle
16 constitutionnel, ainsi que l'importance exacte du pouvoir exercé par lui
17 dans la vie politique et militaire au jour le jour. Les conclusions de la
18 Chambre de première instance sur la responsabilité individuelle de M.
19 Krajisnik auraient pu être très différentes si un témoin expert avait été
20 entendu sur ces questions.
21 Je renvoie les Juges à ce que j'ai dit au début de mon exposé au sujet de
22 l'interdépendance dans les diverses garanties qui permettent de qualifier
23 un procès de procès équitable, c'est-à-dire au fait que les droits minimaux
24 d'un accusé sont le droit à la communication, au contre-interrogatoire, à
25 la présentation de moyens de preuve et à l'audition de témoins utiles dans
26 le cadre d'un procès où un conseil exerce effectivement ses capacités, ce
27 qui n'est pas le cas lorsqu'il ne le fait pas.
28 A notre avis, il était manifeste que l'absence de préparation de l'équipe
Page 309
1 Stewart n'a pas simplement mis en danger ce procès, mais que si l'on
2 examine l'historique de celui-ci, comme le fera la Chambre, il apparaît
3 qu'un procès équitable était impossible dans ces conditions. M. le Juge
4 Robert Jackson a dit des procès de Nuremberg, je cite: "Nous ne devons pas
5 oublier que le tableau sur lequel nous nous appuyons pour juger les accusés
6 que nous avons aujourd'hui devant nous est le tableau que d'autres Juges
7 auront devant eux dans l'avenir. Donc transmettre à ces accusés à venir un
8 calice empoisonné serait équivalent à boire ce calice de nos propres
9 lèvres."
10 Le scandale Brashich est le fait que par la suite l'accusé n'ait pas été
11 correctement défendu par l'équipe Stewart, ainsi que le fait que la Chambre
12 de première instance n'ait pas agi efficacement, ont privé, à notre avis,
13 M. Krajisnik d'un procès équitable.
14 Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, voilà donc quelles sont
15 nos appréciations sur la première question. Je vais maintenant rapidement
16 passer à ce que j'ai à dire au sujet de l'entreprise criminelle commune.
17 D'abord, contrairement à ce qu'a dit l'Accusation, nous affirmons qu'il est
18 clair, compte tenu de la dernière phrase du paragraphe 1 098 du jugement,
19 que la Chambre de première instance a condamné M. Krajisnik au titre de la
20 catégorie I et non de la catégorie III d'entreprise criminelle commune.
21 Deuxièmement, eu égard à la catégorie III de celle-ci, la Chambre de
22 première instance n'a jamais explicitement prononcé la culpabilité de M.
23 Krajisnik, en tout cas, elle n'a pas conclu précisément au fait que les
24 nouveaux crimes étaient des conséquences prévisibles des crimes initiaux.
25 Le simple fait qu'une personne occupe une position dirigeante sachant
26 qu'une guerre est en cours et risque de provoquer un bain de sang est
27 insuffisant pour établir l'existence de la responsabilité au titre de la
28 catégorie III d'entreprise criminelle commune. Malheureusement, toutes les
Page 310
1 guerres entraînent des bains de sang.
2 Les conclusions de la Chambre de première instance, quant à l'existence de
3 la catégorie I de JCE sont, à notre avis, entachées par l'absence de preuve
4 quant au fait que l'accusé aurait accepté ou aurait eu l'intention de
5 commettre les crimes qui ont été jugés. L'existence de l'intention
6 délictueuse a été diluée en l'espèce.
7 La Chambre affirme au paragraphe 1 098 du jugement, je cite : "Par son
8 admission de la commission de nouveaux crimes, il y a poursuite de sa
9 contribution à une intention menant à la réalisation de l'objectif."
10 Sur cette base, si M. Krajisnik avait été informé des nouveaux crimes, par
11 exemple, de mise en détention illégale ou de violence sexuelle,
12 d'assassinat de civils, et s'il avait tout de même poursuivi son action
13 pour la réalisation du plan commun, il aurait admis ces crimes, et étant
14 donné l'admission de ces crimes, son intention aurait été prouvée."
15 A notre avis, ces arguments ne sont pas suffisants. Par exemple, si deux
16 hommes se mettent d'accord pour cambrioler une maison et que pendant le
17 cambriolage l'un des deux tire sur le propriétaire de la maison sans que
18 l'autre soit au courant. Si le deuxième cambrioleur, sachant qu'il y a eu
19 meurtre par balle, continue à cambrioler, cela signifie que le plan commun
20 s'est poursuivi et que donc l'intention de tuer était prouvée. Bien, un tel
21 argument n'est pas acceptable.
22 Autre élément qui a entaché les conclusions de la Chambre de première
23 instance au sujet de la première catégorie d'entreprise criminelle commune,
24 c'est le fait que des crimes ont été imputés à M. Krajisnik, et la Chambre
25 l'a d'ailleurs reconnu, sans qu'un lien ait été établi entre les auteurs de
26 ce crime et M. Krajisnik ou un toute autre membre de l'entreprise
27 criminelle commune. A notre avis, la Chambre n'a donc pas fait ce qu'elle
28 aurait dû faire, à savoir se prononcer de façon claire, et c'était tout à
Page 311
1 fait capitale, sur l'imputation des crimes commis par des membres de
2 l'entreprise criminelle commune, parce qu'en agissant ainsi, le processus
3 d'application de la loi par rapport aux éléments de preuve n'a pas été
4 achevé, et pour chacun des crimes pour lesquels M. Krajisnik a été
5 condamné, il aurait fallu que ces crimes puissent être imputés au moins à
6 un membre de l'entreprise criminelle commune.
7 Selon l'analyse de la Chambre de première instance, le lien a été
8 établi par le fait que l'accusé ou la direction bosno-serbe était informée
9 des crimes commis par les auteurs principaux, mais la Chambre d'appel a dit
10 clairement dans l'arrêt Brdjanin que le lien devait être prouvé en sens
11 inverse, c'est-à-dire pas en partant des auteurs principaux pour aller vers
12 un membre de l'entreprise criminelle commune, mais en partant d'un membre
13 de l'entreprise criminelle commune pour aller vers les auteurs principaux,
14 c'est-à-dire en utilisant les auteurs principaux comme instruments pour la
15 réalisation du plan commun, ou pour ordonner ou encourager à commettre des
16 crimes.
17 Nous avons illustré ceci dans notre mémoire écrit au paragraphe 152
18 par un tableau qui montre comment la Chambre de première instance a utilisé
19 le modèle de l'entreprise criminelle commune. Nous affirmons qu'elle l'a
20 fait de façon erronée, car elle a créé une forme mal définie de
21 responsabilités où l'accusé devient responsable de crimes commis par des
22 personnes avec lesquelles il n'a aucun lien, puisqu'il n'était pas informé
23 de leurs crimes.
24 Le Tribunal a mis l'accent à plusieurs reprises sur le caractère
25 injuste qu'il y avait à tenir une personne responsable d'un crime lorsque
26 le lien est trop mal défini ou trop ténu, tant du point de vue de
27 l'entreprise criminelle commune que du point de vue de la responsabilité
28 hiérarchique.
Page 312
1 Je vous remercie.
2 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Je vois qu'il n'y a
3 pas de questions des Juges. Je donne maintenant la parole à l'Accusation
4 pour sa réplique.
5 Mme MARGETTS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Mme Goy et
6 moi-même allons maintenant présenter des arguments en réponse au mémoire en
7 appel de l'Amicus Curiae. D'abord, je traiterai du motif en appel numéro 1,
8 paragraphes A, B et C qui ont un rapport avec l'équité du procès, après
9 quoi j'aborderai le motif numéro 3 qui concerne l'entreprise criminelle
10 commune.
11 Eu égard aux motifs d'appel qui ne seront pas traités par moi ici
12 aujourd'hui, nous invitons les Juges à en prendre connaissance dans notre
13 mémoire écrit, et je commencerai dès maintenant mon exposé sur le motif
14 numéro 1.
15 M. Krajisnik avait droit à un procès équitable. La Chambre de première
16 instance a fermé les lieux à tout moment sur le fait que le procès n'était
17 pas totalement équitable. La garantie de procès équitable est établie à
18 l'article 21 du Statut de ce Tribunal, et elle aurait dû être une garantie
19 pour M. Krajisnik. Notamment, il a été représenté par un conseil pendant
20 toute la durée du procès. Ce conseil aurait dû communiquer avec lui dans le
21 cadre de sa défense. Il a eu la possibilité de répondre aux accusations
22 prononcées et retenues contre lui. Il a contre-interrogé des témoins de
23 l'Accusation par le biais de son conseil. Il a eu l'autorisation de poser
24 lui-même des questions. Il a pu à tout moment présenter des arguments dans
25 le cadre de sa défense à la Chambre et influer sur le résultat du procès.
26 Il a témoigné lui-même pendant 40 jours, rappelons-le, pour présenter
27 l'intégralité de sa défense et expliquer sa version des événements. Il a
28 cité à la barre 24 témoins. Il a déposé un mémoire en clôture très
Page 313
1 détaillé, et une plaidoirie par le truchement de son conseil.
2 Par ailleurs, la Chambre a veillé à ce que M. Krajisnik ait
3 suffisamment de temps et suffisamment de moyens pour préparer sa défense.
4 La Chambre a accordé de nombreuses suspensions à la Défense pendant le
5 procès. Le procès a donc été équitable.
6 Aux paragraphes (a), (b) et (c) relatifs au premier motif d'appel,
7 nous disons que ces arguments doivent être rejetés, non pas en raison de
8 l'allégation d'incompétence de l'ancien conseil, mais parce que M.
9 Krajisnik a bénéficié d'une défense efficace. Il a eu suffisamment de temps
10 et de moyens, et aucune restriction ne lui a été imposée par la Chambre qui
11 avait le pouvoir discrétionnaire de gérer le procès à sa convenance.
12 Aucune des violations présumées ne constitue une violation du droit de M.
13 Krajisnik à un procès équitable dans la réalité.
14 Je traiterai maintenant du paragraphe (a) relatif à l'inefficacité de
15 l'aide juridique reçue par lui.
16 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Pourriez-vous ralentir pour les
17 interprètes.
18 Mme MARGETTS : [interprétation] Excusez-moi. Comme la Chambre d'appel l'a
19 confirmé dans l'affaire Blagojevic, paragraphe 23 de l'arrêt, il y a forte
20 présomption de compétence d'un conseil, et celle-ci ne peut être niée que
21 sur présentation d'éléments la démontrant. L'appelant doit entre autres
22 choses démontrer une grossière incompétence de son conseil par voie
23 d'éléments de preuve, ce qui n'a pas été fait.
24 Comme je l'ai dit déjà, M. Krajisnik a bénéficié d'une défense réelle
25 et efficace. Il a eu la possibilité de répondre aux charges retenues contre
26 lui et de présenter ses moyens de défense par voie de contre-interrogatoire
27 et de citation de témoins, et par la voie de sa propre déposition. La
28 Chambre de première instance, après 18 mois de procès, au moment où il
Page 314
1 assurait lui-même sa défense, a conclu que l'équipe de conseil était
2 compétente, dévouée, fonctionnait bien et travaillait en collaboration avec
3 l'accusé. Paragraphe 35 du jugement.
4 Les trois exemples de critiques exprimées par la Chambre par rapport au
5 conseil sont énumérés dans un paragraphe de la réponse de l'Amicus Curiae
6 et ne peuvent suffire à nier la qualification de compétence du conseil. Le
7 premier exemple est une référence à des écritures de l'Accusation. Les deux
8 autres concernent des résumés 65 ter, des dépositions de témoins qui
9 n'auraient pas été tout à fait parfaites. Cette question a été résolue par
10 la Chambre de première instance qui plutôt que de se prononcer sur la
11 pertinence des éléments de preuve au vu des synthèses en question, a
12 accordé à la Défense un certain temps pour choisir librement ses propres
13 témoins. On voit cela à la page 18 802 du compte rendu d'audience. Donc, il
14 n'y a pas eu préjudice.
15 Les autres arguments de l'Amicus Curiae ne suffisent pas non plus à se
16 prononcer négativement quant à la compétence du conseil. L'assistance
17 inefficace prétendue par l'Amicus Curiae s'agissant de M. Brashich ne tient
18 pas. L'Amicus Curiae affirme que M. Brashich n'a pas travaillé
19 convenablement et que ceci a contribué à une préparation inefficace dans le
20 temps et dans les moyens pour la Défense. Toutefois, la Chambre d'appel a
21 déjà examiné l'incidence du départ de Me Brashich et du fait qu'il n'a pas
22 communiqué à celui qui l'a remplacé un résultat important de son travail.
23 En dépit de ces insuffisances, la Chambre d'appel a estimé qu'il n'y avait
24 pas eu erreur dans la conclusion de la Chambre de première instance qui a
25 déterminé que globalement la Défense avait bénéficié d'un temps et de
26 moyens suffisants pour se préparer. Ainsi, il ne peut pas y avoir incidence
27 négative sur l'équité du procès dont a bénéficié M. Krajisnik, compte tenu
28 de l'insuffisance du travail de Me Brashich.
Page 315
1 Aucune raison non plus de revenir sur la décision rendue, car il n'a pas
2 été établi que Me Stewart, qui a succédé à M. Brashich, aurait été
3 grossièrement très incompétent.
4 S'agissant de Me Stewart, l'Amicus Curiae n'est pas d'accord avec les
5 décisions stratégiques faites pendant le procès par Me Stewart et essaie
6 rétrospectivement de prouver que celles-ci auraient été erronées. Comme la
7 Chambre d'appel l'a établi dans sa décision Nikolic du 9 décembre 2004 au
8 paragraphe 37, ceci est insuffisant pour démontrer la présence d'une
9 grossière négligence.
10 J'aimerais maintenant commenter certains exemples précis.
11 D'abord, Krajisnik a pu contester les décisions de la Chambre de
12 première instance devant la Chambre d'appel. Le conseil a fait appel du
13 deuxième rapport décidé par la Chambre, et cet appel a été rejeté. Le
14 simple fait d'énumérer des décisions discrétionnaires de la Chambre ne
15 permet pas de conclure un comportement erroné. Rien n'indique qu'il y ait
16 eu erreur potentielle dans les décisions de la Chambre de première instance
17 qui pourrait étayer les allégations que le conseil aurait dû interjeter
18 appel.
19 Deuxièmement, Krajisnik a cité à la barre 24 témoins et a témoigné pendant
20 40 jours lui-même. Aucun exemple de mauvais choix de témoins n'a été
21 présenté en dehors de la référence faite au témoin expert. Il n'a pas été
22 démontré non plus qu'une erreur quelconque aurait contribué à ce que la
23 Chambre de première instance apprécie de façon moins que positive la
24 crédibilité de M. Krajisnik.
25 La décision de ne pas citer d'expert ne peut, par elle-même, rendre
26 un procès inéquitable. Me Stewart a raisonnablement apprécié la valeur d'un
27 témoignage expert en la comparant aux autres dépositions. Les éléments de
28 preuve des témoins experts de l'Accusation ont été appréciés également au
Page 316
1 cours des contre-interrogatoires ainsi que par les dépositions des témoins
2 cités par M. Krajisnik, les témoins du gouvernement, les témoins députés,
3 les témoins de l'armée, par exemple.
4 Aucun exemple n'existe qui suffise à prouver que les éléments de
5 preuve présentés par l'Accusation n'auraient pas été appréciés
6 convenablement. Pour toutes ces raisons, la présomption de compétence n'a
7 pas été remise en cause. Avant de passer à mon sujet suivant, je voudrais
8 que nous passions à huis clos partiel, Monsieur le Président.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, nous sommes à
10 huis clos partiel.
11 [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité levée par une ordonnance de la Chambre]
12 Mme MARGETTS : [interprétation] Merci. J'aimerais m'exprimer sur le sujet
13 des éléments de preuve supplémentaires.
14 Depuis la décision prise la nuit dernière, nous n'avons pas eu la
15 possibilité d'examiner cette question dans le détail, mais notre position
16 initiale se divisera en trois parties. D'abord, les déclarations ne peuvent
17 recevoir de réponse car elles sont subjectives et constituent des
18 appréciations faites par des personnes qui sont membres de l'équipe de
19 Défense qui ne peuvent remettre en cause, individuellement ou de façon
20 cumulée, les appréciations de compétence du conseil principal.
21 Deuxièmement, certaines allégations qui ne sont pas écrites ont été portées
22 à l'attention de la Chambre par le conseil Me Stewart qui les décrit comme
23 contraires à la vérité et comme des attaques personnelles. Je vous renvoie
24 aux pages 9 599 à 9 602 du compte rendu d'audience.
25 La Chambre dans sa réponse déclare qu'elle est prête à admettre que le
26 conseil a travaillé dur et consacré beaucoup de temps au procès, page 9 601
27 du compte rendu d'audience.
28 En dépit de ces propos, la Chambre n'a pas considéré que la compétence du
Page 317
1 conseil était un problème et n'a pas agi en application de l'article 46 du
2 Règlement.
3 Troisièmement, la Chambre dans sa décision relative à la demande de
4 l'accusé d'assurer lui-même sa défense en août 2005, a reconnu que des
5 problèmes existaient, mais que ces problèmes étaient désormais largement
6 résolus. Paragraphe 35 de la décision.
7 Aucune incompétence importante, aucun préjudice n'a été établi. Toutefois,
8 compte tenu des déclarations désormais admises, il est opportun que la
9 Chambre d'appel se penche sur ces allégations et puisse y répondre. Etant
10 donné que les éléments de preuve n'ont pas été mis à l'épreuve,
11 l'Accusation se réserve le droit d'enquêter sur ces éléments avant de
12 présenter éventuellement des éléments de preuve en réplique.
13 Je suis arrivée au terme de mon exposé.
14 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, nous sommes à
15 nouveau en audience publique.
16 [Audience publique]
17 Mme MARGETTS : [interprétation] Je vous remercie. J'aimerais maintenant
18 traiter du paragraphe (b) relatif au temps et aux moyens.
19 M. Krajisnik a bénéficié du droit de disposer d'un temps suffisant et de
20 moyens suffisants. L'Amicus Curiae n'a pas établi que le temps qui lui a
21 été accordé était insuffisant ou que des violations auraient résulté d'un
22 temps insuffisant qui aurait lésé l'accusé. Comme je l'ai déjà dit, la
23 Chambre a accordé à la Défense un certain nombre de reports depuis le début
24 du procès pendant toute la durée de celui-ci. La Chambre a accordé un
25 report 18 jours après le début du procès, 48 jours après également, et
26 l'Amicus Curiae n'a pas expliqué pourquoi ces délais supplémentaires
27 étaient manifestement insuffisants puisqu'ils ont été accordés
28 immédiatement après le début du procès plutôt qu'avant le début du procès.
Page 318
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 319
1 Il y a eu 141 jours pendant lesquels la Chambre n'a pas siégé et ce temps
2 n'englobe pas les congés ou les vacances. Donc sept semaines sans travail
3 ont eu lieu avant que la Chambre ne soit reconstituée.
4 Si l'on considère ces nombreuses suspensions, il est raisonnable d'estimer
5 qu'aucune erreur n'a été commise par la Chambre de première instance qui a
6 accordé un temps suffisant et des moyens suffisants. Il n'y a donc aucune
7 possibilité de remettre la décision de la Chambre en question. Une fois que
8 la Chambre ait accordé un certain nombre de reports à la Défense, je
9 rappellerai le report de novembre 2005 qui a permis à la Défense de
10 disposer de sept semaines supplémentaires pour la préparation de la
11 présentation de ses moyens.
12 Je rappellerais également le temps accordé pour la préparation du
13 témoignage de M. Krajisnik, pages 18 803 à 18 804 du compte rendu
14 d'audience, page 1 460 également.
15 L'argument de l'Amicus Curiae doit donc être rejeté sur ce point pour les
16 raisons que je viens d'évoquer, et je parlerai maintenant du paragraphe (c)
17 qui concerne les restrictions.
18 L'Amicus Curiae affirme que les droits de l'accusé au contre-interrogatoire
19 ont été lésés et que de cette façon, son droit à l'égalité des armes n'a
20 pas été respecté. Mais les exigences qui doivent être respectées l'ont été,
21 car aucune restriction imposée ne l'a été à l'encontre des intérêts de M.
22 Krajisnik vis-à-vis de l'Accusation puisque M. Krajisnik a eu la
23 possibilité de présenter très convenablement ses moyens de preuve.
24 Les restrictions imposées ont été des restrictions décidées dans le cadre
25 du pouvoir discrétionnaire de la Chambre qui n'ont provoqué aucun
26 préjudice.
27 J'en donnerai quelques exemples.
28 Les nombreuses suspensions ont montré que la Chambre a été souple dans sa
Page 320
1 gestion du temps. Le fait d'imposer des limites de temps telles que, par
2 exemple, le pourcentage de 60 % du temps de l'interrogatoire principal
3 consacré au contre-interrogatoire, n'était pas une limite ou une
4 restriction stricte et relevait totalement du pouvoir discrétionnaire de la
5 Chambre. Aucune erreur n'a été démontrée dans l'exercice de ce pouvoir
6 discrétionnaire. La Chambre s'est montrée souple en répondant aux requêtes
7 de la Défense. Le contre-interrogatoire du témoin Treanor, par exemple, n'a
8 commencé qu'un mois après la date prévue, page 1 833 du compte rendu
9 d'audience.
10 L'Amicus Curiae se plaint également du temps accordé pour la présentation
11 des moyens de la Défense, mais ne démontre l'existence d'aucune erreur dans
12 l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Chambre. Il ne démontre pas
13 davantage que le temps alloué aurait pu provoquer un préjudice. Le pouvoir
14 discrétionnaire de la Chambre est détaillé dans la décision du 16 août
15 2006.
16 Autre question, la Chambre a admis les classeurs par municipalités sans
17 audition de témoins, mais a limité leur taille à un maximum de dix
18 documents, pages 13 386 à 13 390 du compte rendu d'audience. La plupart de
19 ces dossiers étaient d'ailleurs peu volumineux, donc toutes les
20 protestations relatives au volume de ces documents ne tiennent pas.
21 Il y a eu un temps suffisant pour le contre-interrogatoire de Mme Plavsic.
22 Krajisnik n'a été aucunement lésé vis-à-vis de l'Accusation qui n'a eu que
23 la moitié du temps prévu pour le contre-interrogatoire. Par ailleurs, la
24 nécessité d'un contre-interrogatoire s'est trouvée réduite parce que Mme
25 Plavsic a témoigné sur un nombre plus limité de questions que celui qui
26 était indiqué dans la communication entre les parties à l'avance.
27 Enfin, la Chambre n'a commis aucune erreur en rejetant la demande de M.
28 Krajisnik d'assurer lui-même sa Défense. La Chambre a eu raison de prévoir
Page 321
1 le remplacement du conseil de la Défense au milieu du procès. Elle a été
2 soutenue par la Chambre d'appel de l'affaire Seselj à cet égard le 20
3 octobre 2006, qui a déclaré qu'il pouvait y avoir des circonstances qui
4 justifiaient que certaines contraintes soient examinées au cas par cas.
5 Monsieur le Président, en l'espèce, note en bas de page 22 de la décision
6 relative à la représentation de l'accusé par lui-même du 1er mai 2007, il
7 est reconnu que le temps est un facteur pertinent. Globalement, aucune
8 erreur n'a été démontrée et le procès dans l'ensemble a été un procès
9 équitable. J'en suis arrivée au terme de mon exposé.
10 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen.
11 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Madame, je ne me souviens pas
12 des détails, mais en 2005, le conseil de la Défense a demandé une
13 suspension de six mois et l'un des motifs invoqué par lui était qu'il
14 n'avait lu que 15 % de la documentation.
15 La Chambre de première instance a rejeté cette requête, le conseil a
16 interjeté appel devant la Chambre d'appel qui elle-même a confirmé la
17 décision de la Chambre de première instance.
18 Est-ce que la présente Chambre d'appel est compétente pour revenir
19 sur une décision de la Chambre d'appel au sujet de cette lecture de 15 %
20 des documents pertinents ?
21 Mme MARGETTS : [interprétation] Monsieur le Juge, non. Je rappelle l'appel
22 Blagojevic qui a confirmé une décision de même nature et a déclaré quand
23 l'absence d'erreurs manifestes qui n'étaient pas apparentes à l'époque, il
24 n'y avait pas nécessité de le faire.
25 Monsieur le Juge, à notre avis, aucune condition existant actuellement me
26 permettrait de revenir sur une décision en appel.
27 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je vous remercie.
28 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci. Monsieur le Juge Meron.
Page 322
1 M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie de votre réponse à M.
2 le Juge Shahabuddeen, mais votre réponse me pose quelques problèmes.
3 La décision de la Chambre de première instance du 4 mars 2005, je crois que
4 c'est bien la date, a établi que le niveau de préparation aurait dû être
5 plus important, après quoi la Chambre d'appel a confirmé cette décision en
6 appliquant un critère très généreux, à savoir qu'il n'y a pas eu abus de
7 pouvoir discrétionnaire de la Chambre de première instance. Mais je vous
8 dirais, pour ma part, qu'aujourd'hui nous sommes dans une situation
9 différente.
10 Nous avons examiné l'ensemble des éléments de preuve permettant de
11 déterminer s'il y avait eu violation du droit fondamental à un conseil dont
12 bénéficie l'appelant.
13 Et nous vous avons entendu sur le sujet de la représentation de l'accusé,
14 mais votre position me pose quelques problèmes. Il me semble qu'il peut
15 arriver que le comportement d'un conseil soit si insuffisant, qu'il puisse
16 équivaloir à un signe de négligence grossière et que dans certains cas
17 c'est l'Accusation qui devrait se charger de la tâche de prouver le
18 contraire.
19 Je vous remercie.
20 Mme MARGETTS : [interprétation] Monsieur le Juge, pour répondre à votre
21 première question, je vous dirais que notre position est que les violations
22 alléguées, si l'on se penche sur le problème de l'existence ou non d'une
23 grossière négligence, bien, compte tenu des éléments examinés, rien
24 n'existe qui puisse prouver une incompétence grossière. Globalement, si
25 l'on examine le déroulement du procès dans son ensemble - et la Chambre de
26 première instance était la mieux à même de se prononcer sur ce point - or
27 elle a toujours reconnu que le procès était équitable, c'était elle qui
28 était le mieux à même de déterminer quel était le temps suffisant et quel
Page 323
1 était le niveau de préparation suffisant à la Défense pour assurer sa
2 défense. Donc nous affirmons que tout ce qui devait être fait a été fait et
3 qu'il n'y a aucune raison de considérer qu'il y a eu violation individuelle
4 des droits de l'accusé, puisque globalement le procès a été équitable.
5 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Fort bien. Je vous remercie.
6 Mme GOY : [interprétation] Bonjour Madame, Messieurs les Juges. Je vais me
7 pencher sur les questions que j'avais déjà esquissées ce matin, quelle est
8 la forme d'entreprise criminelle commune qui a régi dans la condamnation de
9 M. Krajisnik, la première forme ou la troisième. A la lumière des questions
10 que vous avez posées, je m'interrogeais. Est-ce que vous m'accorderez
11 quelques minutes supplémentaires pour vraiment aborder cette question ?
12 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Quelques minutes. Oui. C'est d'accord.
13 Mme GOY : [interprétation] Merci beaucoup. J'essaierai d'être rapide.
14 La Chambre de première instance a prononcé une déclaration de culpabilité à
15 l'encontre de M. Krajisnik pour la première forme et pour la troisième
16 forme d'entreprise criminelle commune. Au départ, c'était uniquement pour
17 le transfert forcé discriminatoire et l'expulsion qui faisait partie d'un
18 plan commun alors que sa responsabilité découlait au titre de la troisième
19 forme pour tous les autres crimes, extermination, assassinat et persécution
20 basés sur d'autres actes que le déplacement forcé. Peu de temps après, ces
21 autres crimes mentionnés par la Chambre comme étant des crimes "élargis"
22 sont devenus partie prenante de l'objet commun, ce qui fait que la première
23 forme de responsabilité était également concernée. Nous sommes tous
24 d'accord pour dire que la Chambre aurait pu être plus explicite, mais je
25 vous propose de parcourir les parties du jugement montrant que la Chambre a
26 apporté les conclusions nécessaires. Je vais prendre deux périodes telles
27 qu'elles ont été mentionnées par la Chambre, le début de l'application de
28 ce plan commun et la période qui l'a suivie.
Page 324
1 Première période, la Chambre a conclu au paragraphe 1 097 et au paragraphe
2 1 118 qu'au départ l'expulsion discriminatoire et le transfert forcé
3 étaient inclus dans l'objectif commun. Pour qu'il y ait ces crimes élargis,
4 il y avait intervention de la troisième forme de responsabilité. Au départ,
5 on pouvait prévoir les conséquences prévisibles de l'application de ce plan
6 commun, ce que savait M. Krajisnik, il était prêt à prendre ce risque.
7 C'était le paragraphe 1 099 du jugement.
8 Il n'y a pas de conclusion explicite quant à sa responsabilité sous la
9 troisième forme pour cette première partie. Cependant, si vous prenez comme
10 grille de lecture ce que disent les paragraphes 91 186 [comme interprété] à
11 1 199 [comme interprété], en même temps que le 1 124, c'est confirmé.
12 A ce dernier paragraphe, la Chambre constate que la responsabilité de
13 l'accusé découle des crimes commis à Bijeljina, ce qui reprend l'incident
14 A1.1, le fait qu'au moins 48 civils ont été tués. Ce qui veut dire que la
15 Chambre a déclaré Krajisnik coupable de ces assassinats même si elle avait
16 constaté qu'au départ l'objectif commun c'était uniquement l'expulsion et
17 le transfert forcé. La Chambre a pris les crimes élargis dans la troisième
18 forme. C'est confirmé quand on voit ces paragraphes qui vont de 1 196
19 [comme interprété] à 1 199 [comme interprété], si on les prend ensemble.
20 Dans le paragraphe 1 196 [comme interprété], la Chambre pose la
21 question de la responsabilité au titre de la troisième catégorie. Dans les
22 paragraphes qui suivent, elle conclut qu'au départ l'objectif commun se
23 bornait à l'expulsion et au transfert forcé, puis vous avez 98, comme
24 l'Amicus Curiae vient de l'expliquer, la Chambre a compris qu'il y avait un
25 élargissement de ce plan commun qui englobait d'autres crimes.
26 Paragraphe 1 199 [comme interprété], il ne peut y avoir qu'une
27 signification, c'est que les crimes relèvent de la troisième catégorie. Ce
28 paragraphe le dit : "Nonobstant à ce qui est dit ci-dessus, même avant les
Page 325
1 débuts de la prise de contrôle en avril, l'accusé et Karadzic savaient que
2 ces prises de contrôle auraient des conséquences dévastatrices."
3 Donc ceci inclut les conditions requises pour la troisième catégorie de
4 l'entreprise, à savoir la conscience, la connaissance du fait que ces
5 crimes dont les assassinats étaient des conséquences prévisibles de
6 l'application de l'expulsion et du transfert forcé et que l'accusé a
7 consciemment pris ce risque.
8 Parlons de la deuxième période qui suit cette première phase. Au cours de
9 la période couverte par l'acte d'accusation surtout ces crimes élargis sont
10 devenus des crimes de la première catégorie. C'est ce que constate la
11 Chambre au paragraphe 1 118. Et ceci se passe peu de temps après. Dans un
12 instant je peux vous expliquer quelle est notre position. C'est parce qu'il
13 y avait une certaine routine en matière de rapport, notamment au cours des
14 quelques jours qui ont suivi les premiers crimes élargis. Tout ceci
15 s'inscrit dans l'objectif commun. Tout du moins, le 12 mai lorsqu'on
16 proclame ces objectifs stratégiques, tous ces crimes s'inscrivent dans le
17 projet l'objectif commun.
18 Et ceci c'est confirmé à la fin du jugement au 1 119, lorsque la Chambre
19 dit qu'ici on a les conditions qui sont requises pour conclure à la
20 culpabilité. Et ceci c'est en raison de l'élargissement de la signification
21 criminelle, parce que de nouveaux types de crimes sont commis, parce
22 qu'aucune mesure efficace n'est prise et parce qu'on poursuit
23 l'application, l'exécution du plan commun. La Chambre était en droit de
24 déduire l'intention mettant la première forme de l'entreprise en raison de
25 ces circonstances. La Chambre d'appel a souvent confirmé, notamment dans
26 l'arrêt Kvocka, paragraphe 243, on peut déduire cette intention des
27 circonstances.
28 La Chambre n'a pas donné de date précise du moment où tel ou tel crime
Page 326
1 devient un crime de la première catégorie, mais c'est peu de temps après.
2 Les conclusions tirées au paragraphe 996 étaient le fait qu'au moins à la
3 date du 12 mai, ceci se retrouvait dans le plan commun. Là, je cite le
4 paragraphe 996 : "Les prises de contrôle, l'assassinat, expulsion, sévices
5 et appropriation, ainsi que destruction de biens, avaient commencé sur les
6 territoires revendiqués par les Serbes de Bosnie bien avant que ne soient
7 énoncés les objectifs stratégiques le 12 mai." En fin de paragraphe, on dit
8 : "C'était là l'objectif des dirigeants de Bosnie, et s'il fallait un
9 objectif le 12 mai c'était la poursuite de ce même objectif."
10 Ceci, à notre avis, le dit clairement. C'était devenu des crimes de
11 la première catégorie même avant, quelques jours après les premiers
12 incidents. Tout ceci résulte du fait que le jugement, comme le montre la
13 note de bas de page 2 233, se base sur les routines qu'il y avait en
14 matière de rapports, et qui sont énumérées ailleurs dans le rapport. La
15 responsabilité de la première catégorie prend forme pour chacun de ces
16 crimes élargis qui interviennent quelques jours plus tard. Pour les plus
17 graves, notamment l'assassinat, c'est dès le deuxième incident. Nous
18 parlons de cette façon de communiquer l'information aux paragraphes 92 et
19 93 de notre réponse à l'Amicus, et dans notre réponse à Krajisnik aux
20 paragraphes 213 à 228. Permettez-moi de simplement mettre en lumière les
21 informations à propos des premiers assassinats à Bijeljina les 2 et 3 avril
22 1992.
23 Krajisnik et les autres dirigeants ont été informés dès le 3 avril.
24 Vous avez le témoin Bozidar Antic, page 18 186 et suivantes, ainsi qu'à la
25 page 18 219 du compte rendu. Les gens de Zvornik le savaient dès le 8
26 avril. C'est le paragraphe 926 qui le dit. Et en avril, ces informations
27 ont paru dans la presse. P585 [comme interprété], c'est ce qui est dit dans
28 la note 692.
Page 327
1 Ceci montre aussi que le flux d'informations n'allait pas simplement
2 vers les dirigeants, mais parvenait jusqu'à la base des composantes de
3 l'entreprise criminelle commune et parvenait au grand public. En
4 conclusion, la Chambre a eu raison de condamner Krajisnik au titre de la
5 première et de la troisième catégorie de l'entreprise criminelle commune.
6 Merci. Merci de m'avoir donné ces quelques minutes supplémentaires.
7 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Maintenant je
8 vais donner la parole à l'Amicus Curiae pour la réplique qu'il a
9 l'intention de nous fournir.
10 M. JONES : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. C'est moi qui
11 vais aborder ce volet-là de nos arguments. Je m'interrogeais. Est-ce qu'il
12 est possible de faire une pause ? Je sais qu'apparemment il faut changer
13 les cassettes. Il y a aussi la question des interprètes. Moi, je peux
14 poursuivre, si vous voulez.
15 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Si vous respectez les délais, à savoir
16 15 minutes, nous aurons [comme interprété] de le faire maintenant, avant la
17 pause.
18 M. JONES : [interprétation] Merci beaucoup. C'est bien l'intention qui est
19 la mienne. Au cours de ces quelques minutes qui me sont accordées, je vais
20 d'abord aborder quatre points à propos de l'équité du procès. Je vais
21 ensuite parler de l'expulsion, puis évoquer deux ou trois points en
22 réfutation pour l'entreprise criminelle commune.
23 Tout d'abord, en matière de procès équitable, permettez-moi de commencer
24 par faire mienne les observations de M. le Juge Meron. Cette question n'est
25 pas réglée par la Chambre de première instance ni par la décision
26 interlocutoire de 2005. La Chambre de première instance et la Chambre
27 d'appel ne disposaient pas de tous les faits, tous les faits que vous, vous
28 avez. Par conséquent, à notre avis, vous êtes libre d'examiner une nouvelle
Page 328
1 question. Vous avez eu plusieurs informations, notamment pour ce qui est du
2 manque de préparation au moment de la mise en état et pour ce qui est de
3 l'équipe de Brashich. Si on applique le critère Blagojevic, nous sommes
4 convaincus qu'il y a des circonstances qui mettent en cause la décision
5 prise en 2005.
6 S'agissant de la réponse apportée par l'Accusation, on a tout d'abord une
7 litanie des garanties dont bénéficierait M. Krajisnik, le droit à contre-
8 interroger notamment. Mais si on ne peut pas bien se préparer, c'est un peu
9 comme un jeu de tennis, où en fait vous contestez que quelqu'un a traficoté
10 votre raquette, ça veut dire que vous n'avez pas vraiment de chance de
11 gagner. C'est pourquoi nous avons mentionné dans notre mémoire une
12 jurisprudence en matière de droits de l'homme. Il faut que ces garanties
13 soient vraiment effectives et efficaces. C'est ce qui compte.
14 S'agissant de décisions stratégiques ou tactiques, ce n'est pas une
15 décision stratégique d'être vraiment manifestement sans préparation. Me
16 Stewart l'a avoué lui-même, bon nombre de ses décisions n'ont pas été des
17 décisions stratégiques ou tactiques. C'est simplement par manque de temps
18 qu'il a pris cette décision, notamment pour ce qui est de témoin expert.
19 Troisièmement, je reprends une métaphore pour parler de la difficulté qu'il
20 y a à, en fait, éviter qu'un bateau qui a déjà une brèche ne coule en
21 pleine mer. Il n'est pas possible d'apporter des réparations à des avaries
22 quand on est en pleine mer.
23 Pour ce qui est des expulsions, nous avions averti l'Accusation que nous
24 allions parler de ceci. Ce n'est pas vraiment une réplique, c'est plutôt un
25 argument que nous avançons. Au motif 4 de notre mémoire, la Chambre a versé
26 dans l'erreur en condamnant M. Krajisnik d'expulsion en tant que crime
27 contre l'humanité, chef 7. L'Accusation le reconnaît en partie, en grande
28 partie, en disant qu'effectivement, la Chambre n'a pas procédé à une
Page 329
1 analyse minutieuse de chaque incident pour savoir si ces personnes
2 déplacées ont franchi une frontière de facto. L'Accusation reconnaît que la
3 Chambre s'est trompée en matière d'expulsion pour un certain nombre de
4 municipalités. Cependant, l'Accusation essayait de justifier la
5 condamnation à propos d'une municipalité, celle de Bijeljina. Elle vous
6 demande de confirmer la condamnation prononcée contre M. Krajisnik.
7 Alors que l'Accusation se base uniquement sur un élément apporté par M.
8 Milorad Davidovic, il s'agit de la page 14 235, qui est mentionnée dans le
9 jugement de première instance.
10 Regardons ce que disait M. Davidovic à cette page du compte rendu
11 d'audience. Il parlait de déplacement de Musulmans de Bosnie vers, je cite
12 : "La Hongrie et l'Occident," après qu'il eut parlé de déplacement vers des
13 territoires contrôlés par les Musulmans. Il a dit : "Sinon, il y avait des
14 départs organisés qui passaient par la Serbie pour que les gens aillent en
15 Hongrie ou en Occident. Je peux vous donner des informations à ce propos
16 aussi." C'est tout ce qu'il a dit.
17 Nous vous demandons de relever plusieurs choses à propos de cet élément de
18 preuve, ma foi, bien maigre, bien ténu. D'abord, il a offert ces
19 informations, il a offert même de les étoffer. Cependant, on ne lui a pas
20 donné l'occasion de le faire.
21 Vous avez aussi constaté le caractère très flou et très vague de sa réponse
22 quand il parle de "l'Occident." Qu'entend-on par "Occident" ? Est-ce qu'il
23 compte davantage, quand il parle d'Occident, de l'Europe occidentale, voire
24 des Etats-Unis, il est manifeste que les autorisés serbes de Bosnie
25 n'auraient pas la possibilité d'expulser, de déporter des gens vers ces
26 gens [phon], parce qu'il faudrait, avant d'arriver là, passer par bien
27 d'autres pays. Il y a donc une distinction très importante à faire. Vous
28 avez des réfugiés venant de la guerre en Bosnie qui se sont retrouvés dans
Page 330
1 toutes sortes de pays du monde. Ça ne veut pas dire qu'ils ont été déportés
2 vers ces pays, pas plus que pendant la Seconde Guerre mondiale, et il n'y a
3 pas eu beaucoup de réfugiés qui ont fuit l'Allemagne nazie, mais ils n'ont
4 pas été déportés vers ces autres pays. Là, c'est en fait une mauvaise
5 application du concept.
6 Davidovic parle aussi de départs organisés en passant par la Serbie, mais
7 il n'a pas dit qui avait organisé ces départs communs, et il est certain
8 qu'il n'a seulement pas dit que M. Krajisnik ou quelqu'un qui lui sera
9 apparenté aurait organisé ce genre de départ.
10 Une dernière chose, quand on dit déportation passant par la Serbie, il
11 aurait fallu la complicité des autorités serbes, parce qu'après tout, on
12 passait le territoire de Serbie, et la Chambre n'a tiré aucune conclusion
13 dans ce sens. D'ailleurs, la Chambre a limité l'entreprise criminelle
14 commune aux personnes se trouvant sur le territoire de la Bosnie-
15 Herzégovine. C'est dit au paragraphe 1 087. Je cite : "La Chambre conclut
16 que l'entreprise criminelle commune dont l'accusé était membre se compose
17 de personnes réparties sur l'ensemble du territoire de la République serbe
18 de Bosnie."
19 Ce qui veut dire que l'entreprise criminelle commune sur le plan du
20 territoire ne s'applique pas à la Serbie.
21 Et effectivement, on a bien parlé du compte rendu Davidovic, mais la
22 page utilisée par l'Accusation parle aussi de déplacement à l'intérieur de
23 la Bosnie, notamment à Brcko. A notre avis, c'était au paragraphe 1 087.
24 Donc, finalement, ce que dit le seul Davidovic ne peut pas être un
25 fondement pour déclarer M. Krajisnik coupable de crimes contre l'humanité à
26 cause d'une déportation. Si vous êtes d'accord avec nous, tout le chef 7 et
27 la condamnation qui l'accompagne devraient être annulés.
28 Il me reste deux minutes. Je m'en rends compte. Quelques éléments à
Page 331
1 propos de l'entreprise criminelle commune. Je pense que la Chambre doit se
2 reposer sur deux choses. D'abord, la question du lien, condition requise et
3 le fait que la démarche adoptée par la Chambre de première instance est
4 insuffisante.
5 Vous avez aussi pensé peut-être que la Chambre d'appel n'est pas en
6 mesure de tirer des déductions de ce qu'a dit la Chambre. Et je pense qu'il
7 y a au moins deux Juges de la Chambre d'appel qui pourraient être de cet
8 avis. Les réponses données à ces deux préoccupations ne convainquent pas
9 quand on voit les parties 2 et 3 du jugement, on ne peut pas penser qu'on y
10 trouve là le lien nécessaire.
11 J'aimerais répondre à M. Kremer de la façon suivante, et là, je suis
12 d'accord avec ce qu'a dit Me Dershowitz. M. Kremer nous a donné des
13 exemples très parlants de ces crimes commis à la base, et il a dit que
14 c'était connecté ou lié aux dirigeants de Pale, aux dirigeants, mais il
15 n'en a pas apporté la preuve.
16 Il y a aussi des références à des chefs paramilitaires, Arkan, Mauzer
17 notamment, et ce qu'on a appelé la base de l'entreprise qui, manifestement,
18 a commis des crimes épouvantables mais ceci ne montre pas qu'il y aurait eu
19 un plan commun entre ces hommes et
20 M. Krajisnik. Et permettez-moi de faire les propos des frères Dershowitz à
21 propos de la nécessité d'identifier de façon indépendante qui était membre
22 de l'entreprise sans faire de référence parce que, sinon, c'est la
23 tautologie, effectivement donc, on double. L'Accusation et la Chambre
24 devraient pouvoir prendre quelqu'un de Bosnie et de se demander si cette
25 personne fait partie de l'entreprise ou pas ? Et la réponse ne dépendra pas
26 de la question de savoir s'ils ont commis des crimes; sinon, là on tourne
27 en rond, et la Chambre est tombée dans ce piège. Elle n'avait pas de
28 conception indépendante des membres de l'entreprise indépendamment de la
Page 332
1 question de savoir si ces personnes avaient commis des crimes ou pas, c'est
2 là qu'on trouve ce qu'on double.
3 On a fait des références au fait que ces organisations étaient
4 totalement contrôlées par les dirigeants serbes de Bosnie mais ceci ne
5 répond pas aux conclusions de la Chambre au paragraphe 1 121, parce que M.
6 Krajisnik n'avait pas le contrôle effectif de ces personnes.
7 Nous sommes d'accord avec Me Dershowitz pour dire que si on prend ces
8 crimes, si on force un homme à regarder sa femme en train d'être violée, ce
9 sont des crimes épouvantables. Mais ici, en fait, on montre qu'on a une
10 interprétation trop large car rien ne montre, on n'a pas laissé entendre
11 que M. Krajisnik aurait, en fait, incité des policiers ou des Bérets rouges
12 à commettre ces crimes, ou qu'il aurait forcé d'autres à creuser leurs
13 propres tombes. Et ceci montre qu'on a vraiment trop repoussé les
14 frontières qui délimitent l'entreprise. Permettez-moi de parler enfin de la
15 troisième catégorie. L'Accusation vous demande de constater
16 qu'implicitement la Chambre prend cette troisième catégorie. Pour le faire
17 implicitement. Il suffisait à la Chambre de dire explicitement : "Voilà
18 nous estimons qu'il est responsable au titre de la troisième," ou prendre
19 cette phrase un peu four tout disant que ; "Ces crimes étaient la
20 conséquence naturelle et prévisible de ce plan." C'est tout ce que la
21 Chambre devait faire, or, elle ne l'a pas fait. A notre avis, par
22 conséquent, le paragraphe 1 099 est bien trop vaste que pour englober cette
23 conclusion implicite. Comme l'a dit Me Nicholls, dans toutes les guerres,
24 il y a des crimes horribles qui sont commis, et il ne faut pas faire la
25 confusion entre le crime de l'agression avec l'entreprise criminelle. On ne
26 peut pas dire que parce qu'il y a prévisibilité de ce genre, ça veut dire
27 qu'on va automatiquement être responsable troisième catégorie.
28 Si vous avez des questions, je suis prêt à y répondre.
Page 333
1 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie, Maître Jones. Ceci
2 termine l'appel présenté par l'Amicus Curiae.
3 Nous allons faire une pause de 15 minutes et nous reprendrons à 17
4 heures 05 pour entendre l'Accusation et l'appel qu'elle a formulé.
5 --- L'audience est suspendue à 16 heures 48.
6 --- L'audience est reprise à 17 heures 08.
7 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] La pause a été un peu plus longue que
8 prévu mais nous reprenons l'audience et nous allons entendre l'appel
9 interjeté par l'Accusation. Elle a la parole pour présenter ses arguments
10 et elle dispose de 20 minutes.
11 M. KREMER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Nous faisons
12 appel de la peine de 27 ans imposée à M. Krajisnik suite à la déclaration
13 de culpabilité eu égard aux crimes mentionnés cet après-midi et ce matin.
14 De l'avis de l'Accusation, la peine imposée ne relève pas -- est
15 disproportionnée par rapport à la latitude qu'avait la Chambre vu la
16 gravité des crimes commis et le degré de participation de l'accusé à ces
17 crimes. Cette peine ne réunit pas les conditions prévues par les conditions
18 mentionnées dans l'arrêt Gacumbitsi, paragraphe 205.
19 Les débats de ce matin nous ont appris que la présente affaire porte sur un
20 nettoyage ethnique à grande échelle, très répandu sur une grande partie de
21 la Bosnie-Herzégovine. Quelque 3 000 Musulmans ont été tués par
22 extermination, par assassinat. Il y a au moins
23 100 000 Musulmans et Croates de Bosnie qui ont été déplacés par la force
24 d'une grande partie de la Bosnie-Herzégovine. Et avant ce déplacement,
25 avant ces assassinats, il y a des Croates et des Musulmans qui sont quand
26 même restés, mais qui ont été à une campagne de persécution qui
27 s'inscrivait dans une campagne d'attaque généralisée sur la population
28 civile avec des actes d'assassinat, de traitements cruels, inhumains, de
Page 334
1 sévices psychologiques et physiques, de sévices sexuels et de détention
2 illicite comme de transfert et d'expulsion forcée, de travaux forcés, de
3 destruction arbitraire de biens et de pillage.
4 Au paragraphe 1 146, la Chambre dit que: "Il y a d'innombrables récits de
5 brutalité et de violence qui ont découlé de ces crimes. Ceci n'aurait pas
6 été nécessaire si la haine raciale, si le nationalisme ne s'était pas
7 emparé de M. Krajisnik et des autres membres de l'entreprise criminelle
8 commune. Les dirigeants serbes de Bosnie, les autres membres de cette
9 entreprise ont commencé une campagne de persécution qui nous montrait
10 comment des Etats criminels ont entrepris des campagnes de terreur. Il y a
11 tout d'abord le fait que M. Krajisnik et les dirigeants serbes de Bosnie
12 ont semé chez les Serbes de Bosnie la peur, la haine de l'autre, à l'aide
13 d'un mécanisme et d'une machine de propagande. La peur et la haine du
14 Musulman et du Croate afin de gagner le soutien de ces personnes et de
15 créer les conditions permettant l'exécution de l'objectif criminel." Il
16 s'agit ici du paragraphe 1 121C.
17 Les Croates et les Musulmans de Bosnie ne pouvaient plus se déplacer
18 librement. Leurs maisons furent perquisitionnées, leur vie privée bafouée
19 et violée. Paragraphe 784. Des personnes ont perdu leur emploi. Paragraphe
20 785. Ne pouvaient plus aller à l'école, faire partie du service public en
21 raison de leur appartenance ethnique. Paragraphe 786.
22 Cette campagne de persécution a eu des effets sur chaque Musulman, chaque
23 Croate dans une ville, même pas lorsqu'on était en détention, c'est ça qui
24 est frappant. Vous savez, Ahmed Hidic, qui vous dit quelle était la
25 situation à Bosanski Petrovac avant qu'on ne le chasse et qu'on ne le prive
26 de sa propriété. Il dit : "Moi, je n'ai jamais été dans un camp de
27 détention, mais toute la ville de Bosanski Petrovac était comme un grand
28 camp de détention. Il nous était interdit de partir, on avait toujours peur
Page 335
1 de sortir. Il y avait tellement de tueries autour de nous, tant de
2 destruction de nos maisons, de nos commerces. La ville était pratiquement
3 fermée et coupée de tout, il y avait un couvre-feu du coucher du soleil à
4 l'aube. Il était impossible d'avoir de la nourriture, il y avait des
5 patrouilles la nuit. Souvent, il y avait des coupures d'électricité et
6 souvent des coupures d'eau aussi." Nous sommes ici à la pièce P87, page 8.
7 C'est mentionné à la note en bas de page 953.
8 Puis il y a les prises de contrôle des municipalités par la force. Au cours
9 de ces attaques, les Croates et les Musulmans de Bosnie ont été tués et ont
10 subi des sévices. Et finalement, les dirigeants serbes de Bosnie ont détenu
11 35 municipalités.
12 Cette campagne de persécution a été effectuée de façon plus efficace. Les
13 Croates et les Musulmans furent arrêtés, frappés et détenus, les mosquées
14 et les églises catholiques détruites. L'idée était d'effacer tout souvenir,
15 toute trace de la présence des Croates et des Musulmans. Les conditions
16 incroyables qui leur furent imposées ont fait qu'il leur était impossible
17 de rester sur place, et c'est ce que dit le paragraphe 729. Ils sont partis
18 en grand nombre. Ce fut un exode qui a souvent été réglementé et organisé
19 par une agence chargée de la réinstallation dirigée par les autorités
20 serbes de Bosnie.
21 A Banja Luka, une telle agence s'occupait de tous les aspects concernant ce
22 genre de réinstallation. Paragraphe 392. La cellule de Crise prévoyait les
23 conditions de départ et s'est servie des pouvoirs publics pour l'organiser.
24 Ceux qui voulaient prendre la fuite devaient déposer au moins 15 documents
25 différents pour obtenir ce qu'ils appelaient l'autorisation de s'installer
26 ailleurs. Et l'insulte ultime infligée aux personnes qu'on persécutait,
27 c'est que cette bureaucratie du nettoyage ethnique exigeait que chacune de
28 ces personnes devait payer un certain montant pour chaque certificat
Page 336
1 qu'elle devait obtenir.
2 Comme l'a dit M. Krajisnik, il ne parle pas de nettoyage ethnique, il parle
3 de "division ethnique". Des milliers de Croates et de Musulmans de Bosnie
4 ont été détenus dans plus de 350 lieux de détention qui étaient souvent des
5 lieux publics. Paragraphe 810 du jugement.
6 Adil Draganovic nous dit comment il a été détenu au camp de Manjaca à Banja
7 Luka. "Toutes les nuits, tous les jours, nous étions battus, pendant une
8 demi-heure, 45 minutes, une heure. Il y en avait un qui se servait d'un
9 câble, d'autres d'une matraque. D'autres nous ont donné des coups de
10 bottine à l'estomac et au visage. Quand on tombait, à ce moment-là, ils
11 s'acharnaient. Ils nous donnaient des coups de botte. Je ne sais pas
12 comment j'ai survécu cette nuit-là." Référence P519B, page 5 009 et 10 du
13 compte rendu d'audience, c'est cité au paragraphe 386, note de bas de page
14 871.
15 Il dit aussi ceci : "Je me souviens aussi de ces insultes, de ces
16 humiliations verbales. Ils nous ont dit qu'on n'était pas des hommes.
17 'Qu'est-ce que vous voulez ? Vous voulez un Etat ? Eh bien, vous ne l'aurez
18 pas. Vous serez comme les Palestiniens. Regardez, nous les Serbes, on a
19 notre Etat. On a la Bosnie-Herzégovine serbe. Vous allez être tués, vous
20 tous, ici dans le camp.'"
21 Je pense que le paragraphe qui suit dit le mieux ce qui s'est passé. "Ces
22 humiliations étaient dans cette grange où on était et dans des conditions
23 inhumaine. On était plus petit que des souris. Nos vies ne valaient pas la
24 vie d'une souris." C'est la pièce P519C, pages du compte rendu d'audience 5
25 450 à 5 452, paragraphe 386.
26 Ces conditions étaient tellement mauvaises que cet homme a perdu 26 kilos
27 au cours du premier mois.
28 Mais ce n'est que le sommet de l'iceberg, parce qu'il faut voir plus loin
Page 337
1 pour comprendre l'horreur des conditions. Des femmes, des femmes enceintes,
2 des jeunes gamines, même des gamines de 13 ans, étaient régulièrement
3 violées alors que les hommes devaient commettre des actes sexuels
4 humiliants et dégradants. C'est dit au paragraphe 800 du jugement, et au
5 paragraphe 304.
6 Monsieur Krajisnik savait ce qui se passait. Pour le prouver, je vous
7 renvoie aux paragraphes 1 041, 1 046 et 1 047 à titre d'exemples des
8 communications qu'a eues Mandic, c'était le ministre de la Justice et il
9 était responsable des lieux de détention, des communications qu'il avait
10 eues, disais-je, avec M. Krajisnic pour dire ce qui se passait dans ces
11 lieux de détention.
12 Près de 3 000 Croates et Musulmans ont été tués. Beaucoup d'entre eux ont
13 été tués en détention. Ils ont été tués par arme à feu, par suffocation, en
14 étant battus à mort, brûlés vifs, forcés de sauter d'un pont, en étant
15 égorgés ou quand on a tiré sur eux alors qu'ils se livraient à des actes de
16 travaux forcés, puis ils servaient de boucliers humains, ou parce qu'ils
17 étaient déshydratés. Il y a eu des exterminations en masse dans plus de 14
18 municipalités. Paragraphe 663, pièce P285A, il s'agit d'une déclaration
19 faite par un témoin qui décrit l'horreur indicible d'avoir été abattu sans
20 être tué, puis d'être placé dans un bâtiment qu'on a incendié, et il a été
21 le seul à échapper à ce massacre. La dernière personne qui a refusé de
22 brûler ces corps a été tuée, et cet homme se souvient des cris, des
23 clameurs. "Ils ont tué cet homme," a-t-il dit, "et ils l'ont ajouté à la
24 pile de cadavres qu'il y avait déjà."
25 La campagne de terreur et de mort menée par les Serbes de Bosnie a provoqué
26 la mort de 3 000 personnes et l'expulsion de plus de 100 000 personnes.
27 Arrivé à la fin de 1992, Krajisnik avait réussi à obtenir ses objectifs par
28 des moyens criminels. Il était obsédé et cette obsession était devenue une
Page 338
1 réalité. La région était nettoyée des Musulmans et des Croates.
2 La composition ethnique, en l'espace d'un an, avait été modifiée non pas
3 par des négociations pacifique mais par une campagne de nettoyage ethnique
4 systématique et massive. Il l'a expliqué fièrement à la télévision
5 publique, il a dit que ce qu'on a dit, à savoir qu'on possède les
6 territoires où se trouvent d'autres communautés nationales, ce n'est pas
7 vrai. C'est ce que dit le paragraphe 1 076. Au moment où il prononçait ces
8 mots, il avait raison, mais il a oublié de dire que neuf mois seulement
9 auparavant, dans ces mêmes territoires, il y avait présence d'autres
10 communautés nationales. Krajisnik et les autres membres de l'entreprise ont
11 entrepris une campagne massive en utilisant les structures de l'Etat, en
12 mobilisant des milliers de Serbes qui étaient dans ces structures pour
13 commettre les crimes sur le terrain.
14 Etant donné les résultats de cette campagne, il mérite d'être condamné à
15 une réclusion perpétuelle.
16 Parlons de son rôle, c'était un protagoniste de premier plan de cette
17 entreprise. La Chambre l'a constaté au paragraphe 1 119, c'était un des
18 éléments moteurs de cette entreprise criminelle. Il était au centre des
19 instruments de pouvoir. Paragraphe 180. Il voulait que cette terre soit
20 ethniquement pure afin qu'il puisse affirmer une fois pour toute que cette
21 terre appartenait à son peuple. Paragraphe 1 076. Il ne voulait pas
22 partager cette terre avec d'autres groupes ethniques et pour parvenir à une
23 domination et à un Etat purement serbe, il savait qu'il était nécessaire
24 d'évincer par la force les Musulmans et les Croates. Paragraphe 1 119.
25 Il a accepté des sacrifices humains énormes pour satisfaire à ce rêve
26 politique, la mort et la destruction de milliers de vies et des souffrances
27 humaines indicibles. Paragraphe 1 119. Son intention, c'était l'horreur, il
28 l'a formulée, il l'a lancée, il a promu cette police pour permettre
Page 339
1 l'exécution de ce plan. C'est dit au paragraphe 1 121.
2 Un homme ordinaire pourrait s'attendre à ce qu'un homme investi de ce
3 pouvoir empêche des crimes contre la population, il les a encouragés.
4 Paragraphe 1 160. Jamais il n'a exprimé de regret. Paragraphe 1 115.
5 Krajisnik et Karadzic, ce sont deux corps pour une même âme.
6 Trobajevic, ex-ministre adjoint sous Krajisnik, s'est servi de cette
7 description pour parler de la façon dont ces deux hommes ont dirigé la
8 Republika Srpska comme un fief personnel et pour s'occuper eux-mêmes et
9 avoir une influence directe à tous les niveaux de la gestion des Serbes de
10 Bosnie, paragraphe 987.
11 Vu sa position, il a participé à l'exécution de ce plan et il l'a promu.
12 Paragraphe 1 121. Ce plan a été exécuté dans toutes ses phases. Il a donné
13 des directions au gouvernement des Serbes de Bosnie pour appliquer ce plan.
14 En tant que personnalité politique de premier plan, il a donné des
15 informations inexactes quant aux crimes pour induire en erreur la
16 communauté internationale. 1 121K. Il était au sommet, au faîte du pouvoir,
17 au faîte de cette pyramide. C'est de là qu'il a dirigé, incité, il a donné
18 des instructions aux échelons inférieurs pour exécuter ce plan criminel.
19 Il n'a pas connu les horreurs qu'il a imposées aux autres. Il a
20 veillé à ce que ce soit les autres qui ressentent cette horreur qu'il
21 voulait, qu'on aurait pu éviter mais qui a été faite pour parvenir à un
22 Etat serbe de Bosnie ethniquement pur. 27 ans de réclusion, c'est quelque
23 chose de déraisonnable pour quelqu'un qui était un des moteurs d'événements
24 catastrophiques qui ont entraîné tellement de morts et tant d'expulsions.
25 L'Accusation reconnaît que la Chambre a tenu compte des principes
26 régissant la fixation de la peine et reconnaît que la gravité des crimes,
27 c'est le facteur primordial qu'il faut prendre en compte à cet effet.
28 Cependant, la question suivante se pose, est-ce que la Chambre a
Page 340
1 suffisamment tenu compte de cela pour déterminer la peine. Arrêt Galic 442.
2 Le contraste entre les faits constatés et la peine fixée est frappante et
3 répond à cette question. La peine imposée ne cadre pas avec le principe de
4 la rétribution parce qu'elle ne montre pas que le communauté internationale
5 condamne ce genre de comportement, ne cadre pas, c'est inconciliable, avec
6 le principe de dissuasion, parce que 27 ans pour un homme qui avait ce
7 pouvoir, qui a engagé cette campagne de persécution pour modifier la
8 composition ethnique de la Bosnie-Herzégovine ne respecte pas l'ordre
9 juridique international. Au vu des faits constatés par la Chambre de
10 première instance, la peine est manifestement disproportionnée et ne tombe
11 pas dans la fourchette qui était à la disposition des Juges, ou pour
12 reprendre ce que disait l'arrêt Galic, ici, ça a été pris dans la mauvaise
13 case. Paragraphe 455.
14 En conséquence, vu le caractère massif et la gravité des crimes et le rôle
15 crucial joué par Krajisnik, la seule peine qui pourrait être conciliable
16 avec la gravité des crimes, c'est la réclusion à vie.
17 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Kremer.
18 Maintenant, je vais donner la parole à la Défense pour qu'elle puisse
19 répondre.
20 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] J'ai l'intention de répondre simplement
21 sur les éléments ayant trait à l'entreprise criminelle commune en cinq
22 minutes, et ensuite l'accusé lui-même pourra répondre à toutes les
23 questions portant sur la peine elle-même.
24 M. KREMER : [interprétation] Je m'en remets aux Juges de la Chambre, mais
25 d'après ce que j'ai compris, Me Dershowitz devait parler des points
26 juridiques ce matin et de l'entreprise criminelle commune. Nous avons déjà
27 eu deux débats, et je crois que pour la question de la peine, je n'ai
28 jamais utilisé le terme d'entreprise criminelle commune. Je ne vois pas
Page 341
1 exactement ce que Me Dershowitz pourrait ajouter à mes arguments.
2 [La Chambre de première instance se concerte]
3 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Je crois que je peux ajouter –-
4 [La Chambre de première instance se concerte]
5 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous en sommes à l'appel interjeté par
6 l'Accusation.
7 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] J'entends bien. Je souhaite simplement
8 parler de l'entreprise criminelle commune relative à la peine, c'est tout.
9 Trois à cinq minutes.
10 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] C'est très bien.
11 M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Très bien, merci. L'Accusation évoque
12 qu'ils n'ont pas parlé de l'entreprise criminelle commune, mais toute
13 l'approche vis-à-vis de l'entreprise criminelle commune porte là-dessus,
14 sur le véhicule de l'entreprise criminelle commune. Ce n'est que sur le
15 comportement de M. Krajisnik qu'on peut établir que la peine est excessive.
16 La seule façon qui permet à l'Accusation d'arriver à cet argument
17 concernant la peine, c'est d'adopter une logique inverse, encore une fois,
18 déclarant qu'il est responsable pour tous ces crimes et en laissant un très
19 court laps de temps où leur argument montre qu'il est responsable, ils
20 citent en particulier le paragraphe 1 041 pour montrer sa responsabilité.
21 Au paragraphe 1 041, M. Krajisnik remplit ses fonctions. Il procède à
22 l'échange de prisonniers. On parle de mouvements de prisonniers civils.
23 Ici, on parle de prisonniers de guerre. Ce qui était important, c'était
24 d'échanger des prisonniers de guerre contre d'autres prisonniers de guerre
25 dans l'autre camp et M. Krajisnik a dirigé et encouragé. S'ils peuvent
26 prouver cela, à ce moment-là, ceci répondrait aux critères de l'article
27 7(a). Ils n'auraient pas besoin de faire valoir l'argument de l'entreprise
28 criminelle commune. C'est précisément parce qu'ils ne peuvent pas prouver
Page 342
1 qu'il a aidé et encouragé, parce que la Chambre a rendu une décision là-
2 dessus et a indiqué qu'il n'y avait pas de contrôle effectif. Ensuite,
3 d'autres questions sur le plan politique, il a fourni des éléments
4 d'information qui induisent en erreur. C'est le rôle de tous les diplomates
5 du monde entier, vous ne vous attendez tout de même pas à ce que des
6 diplomates fournissent des éléments d'information que les journalistes
7 estiment tout à fait exacts et précis.
8 Il dit qu'eux, eux, et M. Karadzic et M. Karadzic sont mis ensemble. Bien
9 sûr, il y a une différence très importante entre les deux. L'un était
10 commandant en chef et l'autre occupait un poste au niveau des pouvoirs
11 législatifs. C'est une des raisons pour laquelle la Chambre de première
12 instance a été tellement induite en erreur, a tellement mal compris le
13 caractère politique du rôle joué par M. Krajisnik que c'est précisément
14 parce qu'il n'a pas l'aide fournie, il n'a pas été correctement assisté de
15 son conseil. Les deux sont liés. Un avocat digne de ce nom aurait fait
16 venir des témoins experts, aurait utilisé pour l'historique, se serait
17 penché sur les éléments du dossier; à ce moment-là, on n'en serait pas là
18 où nous en sommes aujourd'hui.
19 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Maître Dershowitz, nous allons
20 demander donc à M. Krajisnik de poursuivre cette réponse.
21 M. KRAJISNIK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
22 Je dois dire qu'après l'exposé que nous venons d'entendre de la bouche du
23 représentant de l'Accusation, je me sens presque sans voix. Il a parlé
24 comme s'il n'y avait pas eu d'éléments de preuve, comme s'il n'y avait pas
25 eu de réplique, comme s'il n'y avait pas eu de débat. Il ne fait que
26 répéter ce qu'il disait déjà il y a huit ans, véritablement.
27 J'ai le plus grand mal à comprendre qu'aujourd'hui, il répète, le 18 mars,
28 M. Krajisnik a lancé un appel aux armes. Ecoutez, Monsieur le Président,
Page 343
1 Madame, Messieurs les Juges. Vous avez des enregistrements. J'ai sur la
2 base d'un accord conclu entre les trois communautés ethniques demander
3 qu'un travail pratique soit fait sur le terrain. Et aujourd'hui, j'ai
4 entendu les représentants de l'Accusation qui essaient de vous induire en
5 erreur en vous disant : mais tous les éléments fournis par M. Krajisnik
6 n'étaient pas exacts.
7 Me Dershowitz vient de le dire à très juste titre, et je me contenterais de
8 le répéter. Si j'avais eu une défense adéquate, moi, je suis quelqu'un qui
9 n'a rien à cacher. S'il y avait ici les 150 témoins qui étaient venus pour
10 interpréter cette déclaration du
11 28 février, il serait devenu apparent que M. Krajisnik a envoyé un groupe
12 de députés dire qu'il ne voulait du plan Cutileiro. Il voulait déstabiliser
13 entre les Croates et les Serbes. Moi, j'ai dit je ne suis pas d'accord.
14 Allons demander aux gens s'ils veulent une Republika Srpska proposé par M.
15 Cutileiro ou si nous allons créer une espèce de pays fourre-tout qui ne
16 peut que déboucher que la guerre.
17 Le 28 février, c'est la date de la première version du plan Cutileiro, et
18 regardez bien ce qui est écrit dans les documents. Je prends des
19 engagements correspondant à mes pressions. C'est dans le cadre des
20 négociations que je dis que je suis favorable à des territoires purs et
21 uniquement peuplés de Serbes. Mais je dis que là il y a des régions où il y
22 a des minorités des majorités serbes, là il y a une majorité de musulman.
23 C'est une déclaration que j'ai faite en publique dans le cadre de la
24 réalité concrète. C'est la raison pour laquelle que je regrette grandement
25 qu'il n'y a pas eu de témoins experts. Bien sûr, je ne veux pas dire trop
26 de mal de Me Stewart, mais quiconque c'est ce qui est bon, c'est ce qui est
27 cher. Et alors, si on ne peut pas en avoir plusieurs des experts, on peut
28 tout de même en avoir un.
Page 344
1 Ecoutez, Monsieur le Président, on vous parle de l'arrivée de nouvelle
2 population, l'Accusation a eu les mêmes documents que, moi, sous les yeux,
3 450 000 Serbes ont quitté le territoire de la fédération et 420 000
4 Musulmans ont quitté le territoire de la Republika Srpska. Le Procureur
5 aurait dû dire que : sur ces 420 000 Musulmans, combien ont été expulsés et
6 combien d'entre eux sont partis pour fuir la guerre ?
7 J'ai apporté des éléments de preuve, 380 000 Musulmans ont quitté la
8 fédération par crainte de la guerre, mais 350 000 Serbes ont quitté la
9 fédération aussi pour fuir la guerre. Le Procureur n'a rien prouvé, c'est
10 la raison pour laquelle je lui fais des reproches. Il aurait fallu qu'il
11 parle des deux déclarations faites par moi contre le nettoyage ethnique.
12 En décembre, j'ai fait deux déclarations écrites car j'étais opposé au
13 nettoyage ethnique. Au mois de juillet, une invitation a été adressée à
14 tous les membres du SDS qui faisait appel à l'obligation qu'ils avaient de
15 respecter les autres nationalités, les autres groupes ethniques.
16 Bien sûr, sur le terrain, toutes sortes de choses sont arrivées. Il y en a
17 qui ont respecté, et d'autres qui n'ont pas respecté sa disposition. Les
18 deux parties en présence n'étant pas sur un pied d'égalité, moi, j'ai fait
19 de mon mieux pour aboutir à un compromis et le Procureur me le reproche. Le
20 Procureur ne cesse d'insister pour dire que ce que j'ai fait n'était pas
21 suffisant, car tous les éléments d'information que j'ai fournis n'étaient
22 absolument exacts.
23 Aujourd'hui, le Procureur dit que, le 3 avril, M. Antic dans sa déposition
24 a évoqué les crimes commis à Bijeljina et il s'efforce de déclarer que
25 Krajisnik était au courant. Mais Madame, Messieurs les Juges, vous avez le
26 texte de la déposition de Mme Plavsic a dit ici avoir été envoyée par la
27 présidence de la Bosnie-Herzégovine pour aller à Bijeljina que c'était
28 Izetbegovic qui l'avait envoyé et quand on lui demandait : "Est-ce que vous
Page 345
1 avez informé Krajisnik," elle répond : "Je ne l'ai pas informé car ce
2 n'était pas mon obligation."
3 J'ai dit dans ma déposition que j'avais par téléphone essayer d'obtenir des
4 renseignements et qu'on m'a interrompu en me parlant de Mauzer, Mauzer dont
5 l'Accusation affirme qu'il est membre de l'entreprise criminelle commune.
6 On vous dit ici que Mandic a déclaré avoir informé Krajisnik de la
7 commission des crimes. Dans le texte de mon dépôt de plainte, vous le
8 verrez.
9 J'indique que M. Mandic lorsqu'il a interrogé des témoins, a déclaré
10 ; "J'ai communiqué à Krajisnik tout ce que je savais," et quand l'avocat
11 lui demande : "Qu'est-ce que vous saviez ?" il dit : "Je savais ce qu'il se
12 passait dans la prison de Kula." On lui demande si là-bas des crimes ont
13 été commis. Il a répondu :"Non, là-bas des crimes n'ont pas été commis."
14 Vous le trouverez dans les textes.
15 Maintenant, on essaie de modifier les textes en présence en rendant
16 négatif tout ce qui était positif.
17 J'ai été le seul représentant politique qui en 1993 à 1994, en présence de
18 100 000 personnes à Banja Luka ait déclaré en public : "Nous n'avons pas de
19 haine pour les Musulmans, nous n'avons pas de haine pour les Croates." Je
20 ne l'ai pas dit au Tribunal de La Haye. Je ne l'ai pas dit parce que je
21 pensais que je pouvais assurer un quelconque profit. Je considère que toute
22 personne qui nourrit de la haine à l'égard d'un représentant d'un autre
23 groupe ethnique ne peut être que malheureuse. Je n'avais qu'un seul désir,
24 c'était mettre en œuvre l'accord que nous avions conclu au début de l'année
25 1992.
26 Et cet accord on me parle de 1998 et l'évocation de territoire ethniquement
27 pur, mais 1992 était une autre époque, alors, regardez en faveur de quoi je
28 m'étais engagé. Je m'étais engagé en faveur d'un certain nombre de
Page 346
1 principes qui n'avaient rien à voir avec la pureté d'un territoire puisque
2 ce concept même n'existe pas à l'époque. Alors le fait de parler
3 négativement d'un territoire en disant qu'il doit être peuplé purement d'un
4 seul groupe ethnique, c'est une impossibilité de matériel quoi qu'il en
5 soit.
6 Aujourd'hui, il a été question de savoir s'il existait un lien entre le
7 terrain et les dirigeants suprêmes. Et bien, prenez l'exemple de Bosanski
8 Novi, la municipalité de Bosanski Novi,
9 M. Pasic a témoigné ici, il a été question de 7 000 Musulmans pour cette
10 municipalité. Et quand on lui a dit : "Est-ce que vous avez informé de cela
11 aux représentants, les dirigeants de Pale ?" Il a répondu : "Non, je ne les
12 ai pas informés." On lui demande : "Pourquoi les Musulmans sont partis?" Il
13 a dit : "Ils sont partis parce qu'il y avait des unités spéciales de
14 Croatie, des espèces de paramilitaires qui dérangeaient les gens." Je ne
15 pouvais pas assurer leur protection, s'ils étaient venus me voir, moi, je
16 n'avais aucun rapport avec Pale, parce que les communications étaient
17 coupées. Donc je suis allé voir la FORPRONU à leur demande pour les aider à
18 partir. Même histoire à Petrovac, même histoire à Prnjavor, à Kljuic, à
19 Kotor Varos, et dans toutes les autres régions.
20 Et pour Bijeljina, je vais dire une nouvelle fois ce que j'ai écrit très
21 clairement. Dans le texte écrit dans mon dépôt de plainte, et là je vais
22 des reproches à M. Kremer, Bijeljina était un endroit où le pouvoir était
23 exercé par la partie serbe avant la guerre. Tous les représentants de la
24 municipalité étaient serbes, ils avaient la majorité. Il n'y avait aucune
25 raison pour la partie serbe de lancer une guerre pour prendre le pouvoir
26 dans cette localité. Et le 27 mars, une séance de notre parlement y est
27 organisée; la partie serbe veut un accord pour que tout soit fait en faveur
28 du maintien de la paix.
Page 347
1 Mais qu'est-ce qui s'est passé à Bijeljina ? Des gens venus de l'extérieur
2 sont arrivés, ont jeté une grenade et il n'y a plus eu de discussion, la
3 guerre a éclaté et, finalement, le crime de Brod avait déjà arrivé, ainsi
4 que le crime de Kupres.
5 A présent, j'en terminerai sur les mots suivants. Je vous adresse une
6 prière, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges. Je vous prie
7 simplement de revoir l'ensemble des arguments, car si ce que M. Kremer a
8 dit était exact, je serais un homme malheureux. Je suis malheureux, parce
9 que la guerre a eu lieu mais ce que dit M. Kremer est inexact, et la
10 Chambre de première instance n'a pas tenu compte d'un certain nombre
11 d'éléments simplement parce que je n'ai pas présenté d'éléments de preuve,
12 je n'ai pas réussi à remplir tous les trous, tous les vides. Voilà de quoi
13 il retourne, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges.
14 Je vous remercie de votre attention.
15 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci, Monsieur Krajisnik. Je
16 redonne la parole à l'Accusation pour cinq minutes de réplique.
17 M. KREMER : [interprétation] Rien à ajouter, Monsieur le Président.
18 M. LE JUGE POCAR : [hors micro] Pardonnez-moi. D'après l'ordonnance
19 portant calendrier du 18 juillet, nous avons le temps d'entendre une
20 déclaration personnelle de M. Krajisnik s'il le souhaite. C'est à lui de
21 décider s'il le faire ou pas pour maximum de dix minutes.
22 M. KRAJISNIK : [interprétation] Dans la vie, il existe un principe selon
23 lequel tout ce qui a un début a une fin. Monsieur le Président, après
24 plus de huit ans, j'espère que la fin de mon procès est arrivée.
25 J'ai écouté tous les arguments présentés durant le procès et ce
26 faisant j'ai vécu pour la première fois quelque chose que je ne croyais pas
27 pouvoir vivre. J'ai entendu l'expression des souffrances de la partie qui
28 était en face de moi. Pendant la guerre, la seule chose que j'ai entendue
Page 348
1 ce sont des expressions de souffrance de la part des Serbes et je suis
2 malheureux de l'expression de souffrance de toutes ces personnes. Personne
3 n'a le droit au nom de mon peuple de faire du mal à qui que ce soit et
4 encore moins du tuer qui que ce soit.
5 J'ai même dit à mes avocats : je vous en prie, ne contre-interrogez
6 pas ces personnes, car il est très pénible de voir une jeune femme qui,
7 finalement, a perdu son mari et son enfant, et qui erre dans le monde en
8 réfléchissant à la meilleure façon pour elle de se venger. Evidemment,
9 quand elle me regarde, elle voit en moi un coupable, un criminel coupable
10 de toutes ses souffrances.
11 Donc je répète que je n'ai pas voulu la guerre. Je n'ai pas voulu la
12 guerre quelles que soient les circonstances, car la guerre ne peut rien
13 apporter de bon à qui que ce soit.
14 Mes parents m'ont appris que chez les Serbes chacun sait que si un
15 Serbe veut la guerre, il peut la faire chez lui, à la maison. C'est une
16 espèce de dicton. Mais lorsque la guerre a réellement menacé le pays, j'ai
17 tout fait pour maintenir la paix.
18 Tout à l'heure, j'ai entendu le Procureur que nombre de personnes ont
19 vécu des souffrances que M. Krajisnik n'a pas vécu. Monsieur le Président,
20 pendant la guerre, j'ai perdu mon épouse et mes trois enfants jeunes sont
21 restés à Pale. Mon épouse a souffert d'une maladie grave, et pendant les
22 derniers moments de sa vie, j'ai dû rester à côté d'elle en dépit des
23 pilonnages, j'ai dû m'occuper d'elle, et finalement elle a été emmenée à
24 Belgrade où elle est décédée. Donc pendant le reste de la guerre, je n'ai
25 fait que vaquer aux occupations qui étaient les miennes en ne m'occupant de
26 rien d'autre.
27 J'ai perdu un beau-frère, un oncle, et j'ai dû changer de lieu de
28 résidence. J'ai perdu tous mes biens matériels. Je sais très bien ce que
Page 349
1 veut dire pour quel être humain que ce soit le fait de suivre au milieu
2 d'une guerre.
3 Bien entendu, je n'ai ni de près ni de loin vécu les souffrances
4 beaucoup plus graves que d'autres ont vécu. Mais pour toutes ces raisons je
5 considère que la guerre est un malheur très grave, un malheur qu'a vécu la
6 Bosnie-Herzégovine. Aujourd'hui, j'ai rappelé une vérité historique, la
7 vérité historique c'est que l'on a toujours dit en Bosnie-Herzégovine
8 qu'allumer une cigarette à côté d'un bidon d'essence est dangereux, et que
9 la situation en Bosnie-Herzégovine se caractérisait par le maintien de la
10 paix tant que les trois groupes ethniques présents sur le territoire vivant
11 en coexistence pacifique. Mais dès lors que l'on sème le trouble, que l'on
12 rappelle les conflits du passé, la situation devient particulièrement
13 dangereuse.
14 J'ai bien écouté ce qui a été dit ici, les exemples qui ont été
15 cités, mais aucun exemple positif n'a été cité aujourd'hui. Moi, j'ai vécu
16 des exemples positifs. Je ne vais pas vous les énumérer, mais aujourd'hui
17 quand je regarde la télévision, quand je vois ce qui se passe aujourd'hui
18 en Bosnie-Herzégovine, depuis l'endroit où je me trouve je suis toujours
19 malheureux, car la véritable paix n'existe pas encore en Bosnie-
20 Herzégovine. On ne cesse de parler là-bas du nombre de représentants de tel
21 et tel groupe ethnique qui se trouve à la Haye, on applaudit les actes des
22 uns, on reproche des actes des autres, mais il n'y a pas encore de paix, de
23 rétablissement de la paix. Je pense qu'il est indispensable que la paix
24 revienne en Bosnie-Herzégovine. Tant qu'elle ne sera pas revenue, la
25 situation ne sera pas satisfaisante, et le rétablissement de la paix ne
26 peut passer que par la réconciliation. J'ai été témoin ici. J'ai entendu
27 des témoins admettre qu'ils avaient commis des crimes, mais on ne peut pas
28 vivre en paix tant qu'on a dans la mémoire le souvenir des crimes que l'on
Page 350
1 a commis, et j'ai pardonné, j'ai pardonné pour ma part à tous ceux qui
2 m'avaient fait du mal.
3 D'ailleurs c'est ce que j'ai appris à faire aussi à mes enfants. Je
4 considère que le pardon est la seule solution. Je crois que par le
5 châtiment on arrive à rien, notamment en raison du fait qu'ici on juge
6 d'une certaine façon et en Bosnie-Herzégovine on juge d'une autre façon.
7 J'espère que le message que j'adresse ici sera un message utile pour
8 les gens de là-bas. Je les invite à cesser de faire de petits calculs pour
9 savoir qui est coupable, dans quelle mesure, par rapport à quoi, car
10 finalement c'est devant Dieu que nous avons tous à rendre des comptes.
11 Pour ma part, je suis un optimiste de nature, et à ces nombreuses
12 personnes qui pensent ne pas pouvoir bénéficier de la justice, j'espère que
13 Madame et Messieurs les Juges, vous allez montrer la vraie situation, à
14 savoir que la justice existe et très véritablement je vous dis, je ne me
15 sens pas coupable. Je vous remercie de votre attention, et je remercie la
16 patience de tous ceux qui m'ont entendu.
17 Encore un mot si vous me le permettez. Je tiens à remercier
18 M. Dershowitz et M. Karganovic, les membres de mon équipe de Défense. Je
19 tiens également à remercier l'objectivité de M. Nicholls qui me rappelle ce
20 qui s'est passé d'une certaine façon. Je tiens à le remercier d'avoir agi
21 comme il l'a fait devant la Chambre d'appel aujourd'hui. Je vois
22 aujourd'hui tout ce qu'il a fait pour assurer ma défense. Je vous remercie
23 également de votre attention.
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur
25 Krajisnik.
26 Ceci nous permet de conclure cette audience en appel. Mais avant de
27 clore cette audience, je souhaitais remercier les parties et les conseils
28 de la Défense pour leurs arguments ainsi que pour leur approche
Page 351
1 constructive compte tenu de l'ordre du jour chargé d'aujourd'hui. Je
2 souhaite également remercier les personnes qui nous ont permis de tenir
3 cette audience en appel. Je souhaite remercier plus particulièrement les
4 interprètes qui parlent, leur travail efficace nous ont permis de faciliter
5 nos débats.
6 La Chambre d'appel clos maintenant les débats. L'audience est levée.
7 --- L'Audience d'appel est levée à 17 heures 52.
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28