Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 21 août 2008

  2   [Audience d'appel]

  3   [Audience publique]

  4   [L'appelant est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 8 heures 33.

  6   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bonjour à tous. Madame la Greffière,

  7   puis-je vous demander de citer l'affaire, s'il vous plaît.

  8   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour à tous et toutes les personnes

  9   présentes dans le prétoire. Il s'agit de l'affaire

 10   IT-00-39-A, le Procureur contre Momcilo Krajisnik.

 11   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Puis-je demander à M.

 12   Krajisnik s'il m'entend et s'il peut suivre la procédure et la traduction

 13   de mes propos.

 14   M. KRAJISNIK : [interprétation] Oui. Je vous remercie, Monsieur le

 15   Président.

 16   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vais demander la présentation des

 17   parties maintenant, s'il vous plaît. Le Procureur.

 18   M. KREMER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président et membres de

 19   la Chambre. Peter Kremer accompagné de Barbara Goy, Katharina Margetts et

 20   Mme Calicia, notre assistante juridique qui va être présente ce matin et

 21   cet après-midi. Merci.

 22   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Le conseil de M. Krajisnik.

 23   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Alan Dershowitz.

 24   M. LE JUGE POCAR : [aucune interprétation]

 25   M. NICHOLLS : [interprétation] Colin Nicholls assisté de M. John Jones.

 26   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Il s'agit de l'audience consacrée à

 27   l'appel dans l'affaire le Procureur contre Momcilo Krajisnik. D'emblée, je

 28   vais résumer l'appel qui nous intéresse ici en instance devant la Chambre


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  1   d'appel et la façon dont nous allons procéder aujourd'hui.

  2   L'appel traite de crimes qui ont été commis dans 35 municipalités dans le

  3   République serbe de Bosnie entre le 1er juillet 1991 et le 30 décembre

  4   1992, et le rôle allégué et joué dans ces événements par Momcilo Krajisnik

  5   qui occupait plusieurs postes de haut rang au sein du comité central du SDS

  6   et qui était président de la l'assemblée serbe de Bosnie.

  7   Momcilo Krajinik et l'Accusation ont tous deux fait appel du jugement rendu

  8   en première instance le 27 septembre 2006 par la première Chambre de

  9   première instance composée par les Juges Alphonse Orie, président, et les

 10   Juges Joaquin Martin Canivell et Claude Hanoteau. De surcroît, un Amicus

 11   Curiae a été nommé le 8 juin 2007 pour assister la Chambre d'appel, qui

 12   présente des arguments en faveur de M. Momcilo Krajisnik et qui a déposé un

 13   appel contre le jugement en première instance. La Chambre d'appel a

 14   constaté que M. Momcilo Krajisnik a été déclaré coupable en vertu de

 15   l'article 7(1) du statut de persécution en tant que crime contre

 16   l'humanité, chef 4 [comme interprété]; extermination en tant que crime

 17   contre l'humanité, chef 4; assassinat, un crime contre l'humanité; chef 7,

 18   déportation, un crime contre l'humanité; chef 8, actes inhumains, transfert

 19   forcé en tant que crime contre l'humanité, chef 8.

 20   Il a constaté qu'il n'était pas coupable du crime de génocide, au chef 1;

 21   complicité dans le génocide, chef 6; meurtre en tant que violation des lois

 22   ou coutumes de la guerre. La Chambre de première instance a condamné

 23   Momcilo Krajisnik à une seule peine de 27 ans d'emprisonnement.

 24   La Chambre de première instance, lorsqu'elle a rendu son verdict et a fixé

 25   la peine, elle a constaté que M. Momcilo Krajisnik a participé à une

 26   entreprise criminelle commune dont l'objectif était de recomposer au plan

 27   ethnique les territoires passés sous le contrôle de la République serbe de

 28   Bosnie en réduisant de façon drastique une partie de la population


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  1   musulmane de Bosnie et des Croates de Bosnie par la commission de

  2   différents crimes. Krajisnik, qui a décidé et qui a été autorisé à assurer

  3   sa propre défense en appel dans cette affaire a déposé son acte d'appel le

  4   12 février 2007. Le 28 février 2008, la Chambre d'appel a autorisé Momcilo

  5   Krajisnik à recueillir les services d'un avocat au nom d'Alan Dershowitz

  6   pour préparer un mémoire en appel supplémentaire en son nom sur le sujet de

  7   l'entreprise criminelle commune. Ceci a été déposé le 7 avril 2008.

  8   L'Accusation a déposé son mémoire en réponse le 12 mars 2008 et a répondu

  9   au mémoire complémentaire de M. Dershowitz le 25 avril 2008. Le greffier a

 10   reçu la réponse de Momcilo Krajisnik le 16 mai 2008.

 11   Je vais maintenant brièvement résumer les motifs d'appel de Momcilo

 12   Krajisnik. Dans son appel, Krajisnik prétend que son droit à un procès

 13   équitable a été réduit par la Chambre de première instance et le greffe et

 14   qu'il n'a pas été représenté par un conseil compétent lors du procès, et

 15   que la Chambre de première instance était partiale. Il soulève un certain

 16   nombre de questions qui lui permettent de mettre en cause les constatations

 17   factuelles de la Chambre de première instance liées en particulier au fait

 18   qu'il possédait et abusait de facto de son pouvoir exécutif et de son

 19   autorité, et qu'il a été informé des crimes pour lesquels il n'a pas mené

 20   d'enquête.

 21   Il avance de surcroît que la Chambre de première instance a commis une

 22   erreur lorsqu'elle a constaté que lui était membre d'une entreprise

 23   criminelle commune et qu'il a soutenu et prônait la commission des crimes

 24   contre les Musulmans et les Croates. Il met en cause également le fait que

 25   la Chambre de première instance se repose sur certaines dépositions et

 26   conclusions sur la création, les objectifs et le fonctionnement des

 27   autorités serbes de Bosnie.

 28   Le mémoire complémentaire de M. Dershowitz soulève trois motifs d'appel


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  1   arguant du fait que l'entreprise criminelle commune n'est pas une thèse

  2   légitime de responsabilité, que la Chambre de première instance a commis

  3   une erreur lorsqu'elle n'a pas demandé à ce que soit prouvé la contribution

  4   substantielle de Krajisnik à l'entreprise criminelle commune, et cette

  5   entreprise criminelle commune telle qu'appliquée à Krajisnik constitue une

  6   thèse incohérente et inconsistante de responsabilité.

  7   Je vais maintenant aborder l'appel de l'Accusation. L'Accusation a déposé

  8   son acte d'appel le 26 octobre 2006 dans son mémoire en appel le 27

  9   novembre 2006. Krajisnik et l'Amicus Curiae ont répondu tous deux le 12

 10   février 2007. L'Accusation a répondu à la réponse de Krajisnik le 27

 11   février 2007 et la réponse de l'Amicus Curiae a été déposée le 22 février

 12   2007.

 13   L'Accusation soulève un seul motif d'appel arguant du fait que la Chambre

 14   de première instance a abusé de son pouvoir, de ses pouvoirs

 15   discrétionnaires, en imposant une peine qui est manifestement inappropriée.

 16   Il demande à ce que la peine d'origine soit remplacée par une peine

 17   d'emprisonnement à vie.

 18   Pour finir, je vais résumer brièvement les motifs d'appel de l'Amicus

 19   Curiae. L'Amicus Curiae a déposé un acte d'appel le 8 juin 2007 et un

 20   mémoire en appel le 31 août 2007. L'Accusation a répondu le 14 septembre

 21   2007 et l'Amicus Curiae a répliqué le 26 septembre 2007.

 22   L'Amicus Curiae a soulevé les motifs d'appel suivants. Je vais énumérer la

 23   liste de ces derniers. Krajisnik n'a pas eu droit à un procès équitable, la

 24   Chambre de première instance n'a pas fourni d'opinion motivée. Les

 25   conclusions de la Chambre de première instance sur l'entreprise criminelle

 26   commune étaient erronées en droit et en fait. La Chambre de première

 27   instance a commis une erreur de droit et de fait dans ses conclusions sur

 28   les crimes d'expulsion et de transfert forcé. La Chambre de première


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  1   instance a commis une erreur lorsqu'elle avait évalué la position

  2   hiérarchique occupée par Momcilo Krajisnik. La Chambre de première instance

  3   a commis une erreur de fait lorsqu'elle a conclu que Momcilo Krajisnik

  4   possédait l'élément moral, le mens rea requis pour être condamné. La

  5   Chambre de première instance a commis une erreur de droit en permettant

  6   l'Accusation d'enfreindre l'article 90(h)(2)(i) avec impunité. La Chambre

  7   de première instance a mal évalué les éléments de preuve présentés par

  8   Momcilo Krajisnik et estime que ceci est tout à fait déraisonnable. La

  9   Chambre de première instance a déclaré des déclarations de culpabilité, ce

 10   qui est tout à fait impermissible [phon]. La peine de 27 ans imposée par la

 11   Chambre de première instance est excessive et disproportionnée.

 12   Pendant cette audience consacrée à l'appel, les parties ont le droit de

 13   faire valoir leurs motifs d'appel, et dans l'ordre qu'ils jugent le plus

 14   juste. Je demande néanmoins aux parties de ne pas répéter simplement

 15   littéralement ce qui est déjà contenu dans les mémoires en appel, étant

 16   donné que les Juges de la Chambre sont tout à fait au parfum et connaissent

 17   la teneur de ces mémoires en appel. Je souhaite également noter que lors de

 18   l'ordonnance consacrée au calendrier le 18 juin 2008, la Chambre d'appel a

 19   demandé à l'Accusation d'aborder des questions bien précises qui ne doivent

 20   pas être répétées ici. Je souhaite insister là-dessus sans pour autant que

 21   ceci porte préjudice à toute autre question que les parties souhaitent

 22   soulever pendant cette audience en appel et qu'il ne constitue en rien une

 23   opinion sur le fond de cette audience en appel.

 24   Je souhaite rappeler maintenant quels sont les critères qui s'appliquent

 25   aux erreurs de droit ou de fait pendant l'appel. L'appel ne constitue pas

 26   un procès à nouveau et les appelants ne doivent pas simplement répéter les

 27   différents éléments soulevés déjà pendant le procès. Au regard de l'article

 28   25 du Statut, les appelants doivent limiter les arguments aux erreurs


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  1   alléguées de droit qui annulent la décision ou des erreurs alléguées de

  2   fait qui peuvent occasionner ou donner lieu à une erreur judiciaire. De

  3   surcroît, il faut rappeler que les appelants ont l'obligation de fournir

  4   des références très précises aux différents éléments qu'ils font valoir au

  5   cours de leurs arguments en appel.

  6   Cette audience va se poursuivre conformément à l'ordonnance portant

  7   calendrier déposée le 18 juillet 2008. M. Krajisnik et M. Dershowitz vont

  8   présenter leurs arguments ce matin pendant une heure et 30 minutes, ensuite

  9   il y aura une pause de 15 minutes. Ils vont présenter leurs arguments

 10   pendant 30 minutes supplémentaires, après quoi l'Accusation va présenter sa

 11   réponse. Ceci va durer une heure, et après une pause de 15 minutes,

 12   poursuivra pendant une heure. M. Krajisnik ensuite répondra pendant 30

 13   minutes. Ensuite, nous passerons à la pause de déjeuner et à l'après-midi

 14   nous poursuivrons d'après le calendrier qui est fixé. Je ne vais pas entrer

 15   dans le détail de ceci maintenant -- confère l'ordonnance portant

 16   calendrier.

 17   Il serait très utile aux Juges de la Chambre d'appel si les parties

 18   pouvaient présenter leurs arguments de façon précise et claire. Je souhaite

 19   rappeler aux parties que les Juges sont autorisés à les interrompre à tout

 20   moment pour poser des questions ou peut-être qu'ils préféreront poser des

 21   questions aux parties après la présentation des arguments de ces derniers.

 22   Cela étant dit, je souhaite maintenant que nous passions à huis clos

 23   partiel pendant quelques instants, s'il vous plaît.

 24   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, nous

 25   sommes actuellement en huis clos partiel.

 26   [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité levée par une ordonnance de la Chambre]

 27   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci. Je souhaite déclarer que vu de

 28   la décision prise hier et relative à l'article 115 du Règlement de


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  1   procédure et de preuve, et compte tenu de l'admission des déclarations de

  2   George Mano et Stefan Karganovic, toute référence à ces déclarations ou

  3   toute question relative à ces dernières de la part des appelants sera

  4   entendue à huis clos partiel lors de l'audience d'aujourd'hui. Ces

  5   documents sont confidentiels. Par conséquent, toute référence à ces

  6   documents doit se faire à huis clos partiel. Je souhaite rappeler aux

  7   parties également qu'à tout moment, les parties ou le conseil, s'ils font

  8   allusion à des documents confidentiels, ils doivent nous en avertir et nous

  9   dire que ceci sera le cas de façon à pouvoir passer à huis clos partiel.

 10   Bien. Maintenant, nous pouvons retourner en audience publique, s'il vous

 11   plaît.

 12   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, nous

 13   sommes à nouveau en audience publique.

 14   [Audience publique]

 15   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bien. Je viens d'évoquer la façon dont

 16   nous allons procéder aujourd'hui. Maintenant, je souhaite demander à

 17   l'appelant de présenter ses arguments à l'appui de son appel. Monsieur

 18   Krajisnik, s'il vous plaît, maintenant vous avez la parole.

 19   M. KRAJISNIK : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Messieurs

 20   les Juges, je vous salue comme je salue également toutes les personnes

 21   présentes dans ce prétoire.

 22   Comme vous le savez, j'ai témoigné devant ce Tribunal pendant 40

 23   jours, car avant mon arrivée au quartier pénitentiaire j'étais convaincu de

 24   ne pas être coupable et je n'ai jamais remis en question mon intention de

 25   m'exposer au contre-interrogatoire dans le cadre de mon témoignage pour

 26   répondre à toute question contenue dans l'acte d'accusation.

 27   Vous avez reçu un document que j'ai rédigé de mon plein gré. C'est un

 28   document en langue anglaise qui comporte, comme je l'indique, des


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  1   références. Je souhaitais en rédigeant ce document vous permettre de

  2   comprendre plus facilement la nature de l'affaire, et notamment s'agissant

  3   de l'action du Procureur qui s'est montré très correct même si c'est mon

  4   adversaire, ça, je dois l'admettre. Donc je loue les qualités du Procureur

  5   qui m'a communiqué de très nombreux documents.

  6   Je tiens beaucoup à répondre à toutes les questions, car il y a un

  7   certain nombre de questions qui ne me reviennent pas spontanément en

  8   mémoire, mais en les abordant je suis convaincu que nous ferons la clarté

  9   sur toutes les questions qui l'exigent.

 10   Je suis donc venu devant ce Tribunal en toute confiance dans la

 11   volonté de dire la vérité. Mais malheureusement, la Chambre de première

 12   instance n'a pas été convaincue du fait que je disais la vérité, la

 13   décision prise par la Chambre sous forme de jugement est donc allée dans un

 14   sens contraire.

 15   Vous constaterez ici que tout ce que j'ai dit dans ma déposition

 16   n'est que renforcé dans mon pourvoir en appel qui me permet de soumettre un

 17   certain nombre d'éléments de preuve démontrant que ce que j'ai dit

 18   correspond bien à la réalité. J'ai donc au cours du procès obtenu la

 19   possibilité d'assurer moi-même ma défense. J'en remercie la Chambre de

 20   première instance, même si assurer soi-même sa défense est une tâche

 21   considérable. Mais ce faisant, j'ai eu l'occasion que j'ai utilisée de

 22   comprendre à fond l'acte d'accusation et d'établir un lien entre les

 23   différents événements. Et sur le fond, quand on établit un lien entre

 24   différents événements, on découvre une réalité qui est différente de celle

 25   qu'elle pouvait sembler être au départ.

 26   Vous constaterez que dans mon pourvoir en appel j'ai répondu à toutes

 27   les questions qui pouvaient se poser quant à la nécessité d'expliquer

 28   pourquoi les choses se sont passées comme elles se sont passées. Bien


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  1   entendu, tous les participants à la présente audience peuvent me poser des

  2   questions s'ils le souhaitent, j'aurai grand plaisir à y répondre.

  3   J'ai été mis en accusation pour des faits particulièrement graves.

  4   Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, j'ai encore eu à

  5   l'instant un mal considérable à entendre l'exposé des faits qui me sont

  6   reprochés, car en Bosnie des choses très graves ont été faites. Depuis le

  7   début - et j'insiste pour le dire - depuis le début de mon engagement

  8   politique je n'ai eu qu'une volonté, c'est-à-dire préserver la paix en

  9   Bosnie-Herzégovine et parvenir à des solutions acceptables à la crise.

 10   Puisque vous m'avez donné la parole, j'indiquerai que je ne me

 11   consacrerai pas exclusivement à parler des motifs de mon pourvoir en appel,

 12   mais ce sur quoi j'aimerais insister ce sont tous les éléments qui

 13   démontrent que je n'ai jamais pu participer ou être membre d'une entreprise

 14   criminelle commune. En janvier 1992, nous avons eu une séance de

 15   l'assemblée de Bosnie-Herzégovine dont j'étais président et nous avons

 16   examiné un programme destiné à voir dans quel sens allait la Bosnie-

 17   Herzégovine, car nous étions convaincus que la Yougoslavie de l'époque

 18   allait se trouver démantelée. Nous avons estimé qu'il fallait transformer,

 19   décentraliser la Bosnie-Herzégovine de façon à ce que la Yougoslavie ait de

 20   moins en moins de compétences sur la Bosnie-Herzégovine. 

 21   J'ai présidé cette séance et j'ai entendu des orateurs se faire

 22   applaudir, car j'étais convaincu que les solutions proposées permettraient

 23   de maintenir la paix.

 24   Toutes les générations qui m'ont précédé ont toujours mis l'accent

 25   sur le fait que la Bosnie était une région très particulière. Tout doit

 26   être fait pour éviter l'éclatement d'un conflit dans ce pays. Et au moment

 27   dont je vous parle nous étions convaincus d'avoir trouvé une solution.

 28   Bien, un mois après cette séance de l'assemblée, pour toutes sortes


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  1   de raisons imprévisibles, la partie adverse a présenté une déclaration

  2   relative à la souveraineté, c'est-à-dire une solution tout à fait

  3   différente, même contraire quant à l'avenir de la Bosnie-Herzégovine, à

  4   savoir que la Bosnie se proposait de se séparer de l'ex-Yougoslavie. Ce

  5   document constituait un choc pour la partie serbe qui a opposé son veto. Il

  6   y avait à cette époque-là la possibilité de faire intervenir un veto dès

  7   lors que des questions d'intérêt national étaient en cause. Nous avons donc

  8   décidé d'organiser une nouvelle séance de façon à pouvoir discuter. Et un

  9   mois plus tard, au moment où la séance en question devait avoir lieu,

 10   convocation qui avait été acceptée par les trois parties, bien, une

 11   nouvelle déclaration vient de l'interlocuteur qui dit que la déclaration

 12   précédente sera adoptée, c'est ainsi que la Bosnie parvient à la

 13   régionalisation, régionalisation qui était un droit légitime, mais qui

 14   était aussi une réaction à la partie serbe.

 15   Et au mois de juillet, nous arrivons à ce que nous avons appelé

 16   l'accord historique entre les deux parties principales, Croates et Serbes

 17   ainsi que les Musulmans. Les gens étaient heureux dans les rues, ils

 18   s'étreignaient. Tout le monde était content, car chacun pensait que la

 19   guerre n'allait pas éclater.

 20   Regardez bien ce document, le Club 91. Je me suis adressé au

 21   Parlement devant tous les habitants de la Bosnie-Herzégovine en disant il

 22   n'y aura pas de guerre, nous devons nous tolérer les uns les autres. Nous

 23   devons avoir de bons rapports de voisinage. Et mon ancien conseil ici m'a

 24   interrogé sur toutes sortes de détails relatifs à cette époque. Mais ce que

 25   nous voulions c'était conclure un accord, et cet accord était en

 26   préparation et était sur le point d'être accepté.

 27   Pour être très franc, je vous dirais que je conçois que les Musulmans

 28   aient pu penser que ce n'était pas dans leur intérêt. Ils ont été


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  1   conseillés par certains et ont refusé cet accord au moment même où il

  2   devait être annoncé à la télévision. En septembre, une nouvelle réunion du

  3   Parlement que je préside, M. Izetbegovic prend une nouvelle fois la parole

  4   pour proposer des discussions qui pourraient durer des centaines d'années

  5   pourvu qu'elles permettent de préserver la paix. Là encore, nous avons été

  6   satisfaits.

  7   Ensuite, arrive ce qui est écrit dans l'acte d'accusation. Nous avons

  8   dit, je le répète, que nous allions négocier, participer à des pourparlers,

  9   discuter très longtemps, très longtemps même si nécessaire, pour peu que

 10   cela maintienne la paix. Quelque temps plus tard, nouvelle proposition

 11   contraire à nos intentions, nous faisons encore une fois intervenir le veto

 12   et c'est à ce moment-là qu'arrive le fameux programme sur la souveraineté

 13   et l'indépendance de la part des Musulmans.

 14   Qu'est-ce que l'on a dit aux Serbes, on leur a dit, "Le Parti

 15   démocratique serbe, le SDS, le plus grand parti représentant de la

 16   population serbe n'a pas pour mission de représenter l'ensemble de la

 17   population de Bosnie-Herzégovine." Bien, qu'est-ce que nous avons

 18   dit ? Nous allons interviewer les Serbes. Nous avons organisé un plébiscite

 19   et nous avons donc fait intervenir un droit qui était le nôtre à l'époque

 20   de façon à déterminer qui était en faveur de quoi.

 21   Les bulletins étaient de couleurs différentes de façon à ce que l'on

 22   puisse savoir qui répondait quoi, et ceci a été mal interprété en

 23   permettant de parler de malversation au cours de ce référendum. Mais que se

 24   passait-il à l'époque ? C'était surtout entre les Serbes et les Musulmans

 25   qu'il y avait des contradictions importantes même si les Croates aussi

 26   avaient certaines divergences nuancées.

 27   En tout cas, le résultat de ce référendum c'est que la population serbe de

 28   Bosnie-Herzégovine et une petite partie de la population musulmane et de la


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  1   population croate se sont exprimées en faveur d'un maintien de la Bosnie-

  2   Herzégovine au sein de la Yougoslavie. 

  3   Ensuite - et je rappelle qu'à l'époque les régions prétendaient

  4   fonctionner alors qu'elles ne fonctionnaient pas encore réellement, donc

  5   nous avons décidé de vérifier le bon fonctionnement de toutes les

  6   dispositions en cours au niveau régional. Ces vérifications ont commencé,

  7   mais l'exigence de reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine est arrivée à ce

  8   moment-là. La communauté internationale ne pouvait pas reconnaître la

  9   Bosnie-Herzégovine tant que la constitution n'était pas amendée, mais il ne

 10   pouvait pas y avoir amendement de la constitution si les Serbes qui

 11   représentaient environ un tiers de la population n'étaient pas d'accord

 12   pour cela. C'est à ce moment-là que la présidence de Bosnie-Herzégovine se

 13   réunit et qu'elle envoie une proposition de reconnaissance de la

 14   souveraineté à Belgrade.

 15   J'appelle simplement votre attention sur le fait que la partie serbe a

 16   déclaré à l'époque que du côté serbe, puisqu'il n'y avait pas de

 17   possibilité de compréhension avec les autres parties, allait se constituer

 18   un groupe parlementaire distinct. C'était effectivement le premier devoir

 19   qu'avaient les représentants du peuple serbe à l'assemblée.

 20   Les députés serbes ayant quitté le gouvernement de Bosnie-

 21   Herzégovine, je suis, pour ma part, resté au Parlement. J'ai travaillé

 22   jusqu'à la veille de la guerre et je participais aux travaux du Parlement

 23   de Bosnie-Herzégovine et aussi du parlement serbe créé par la partie serbe.

 24   Parce que mon idée c'était que si moi, je quittais le Parlement de Bosnie-

 25   Herzégovine, la guerre allait éclater. C'était peut-être un sentiment

 26   psychologique, mais c'était ma conviction.

 27   Arrive à ce moment-là le début de l'année 1992, avec une interview de la

 28   partie musulmane, qui déclare aller vers l'indépendance, et ce, sans


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  1   accepter la moindre discussion ultérieure à ce sujet. C'est à ce moment-là

  2   que se crée la République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine alors que

  3   des pourparlers avaient déjà commencé au sujet de la structure de la

  4   Bosnie-Herzégovine dans les circonstances de l'époque. Qu'est-ce qui se

  5   passe à l'époque ? M. Cutileiro intervient et un accord est proposé.

  6   Je me dois de rappeler que lorsque nous avons reçu le texte de cet accord,

  7   nous étions tous très heureux. Tout cela a duré jusqu'au 25 mars, moment où

  8   la partie musulmane se présente à la conférence sur la Bosnie-Herzégovine

  9   en disant : Nous n'avons pas voulu participer aux pourparlers. Nous avons

 10   détruit tout le système.

 11   Le 27 mars, le Parlement se réunit, la constitution est adoptée et elle est

 12   adoptée en tant que partie de la solution pour la Bosnie-Herzégovine.

 13   Mais je rappelle que jusqu'au 25 mars, le Parlement fonctionnait toujours,

 14   car avec des efforts importants déployés par moi auprès des députés serbes

 15   et autres, j'avais réussi à contraindre certains à participer aux séances

 16   du Parlement de Bosnie-Herzégovine. Les Serbes avaient accepté

 17   l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine qui ne posait absolument plus de

 18   problème, qui n'était plus contestée. Mais simplement nous ne voulions pas

 19   du côté serbe que quiconque puisse nous imposer sa volonté. Nous ne

 20   voulions pas non plus imposer la nôtre à qui que ce soit.

 21   Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? Etant donné que la population serbe

 22   était la plus nombreuse sur le plan numérique, nous avons éprouvé une

 23   certaine crainte d'être réduit à l'état de minorité. Puisqu'il n'y avait

 24   pas de Yougoslavie, pour nous, désormais, nous voulions faire partie d'une

 25   Bosnie-Herzégovine où des échanges de territoires pourraient éventuellement

 26   avoir lieu à l'intérieur du pays sur base d'accord mutuel de façon à ce que

 27   l'on puisse constituer une majorité absolue dans une région. C'est à ce

 28   moment-là que survient l'incident de Sarajevo où le père d'un jeune marié


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  1   est tué, ensuite de grandes manifestations se déroulent et la guerre

  2   éclate.

  3   Pendant la guerre, j'ai fait deux choses, plutôt trois, j'ai exercé mes

  4   fonctions de président du Parlement et j'ai participé à des négociations,

  5   mais je n'ai jamais été membre d'une quelconque présidence. J'ai dit aussi

  6   des centaines et des centaines de fois que je n'ai jamais été membre d'une

  7   quelconque présidence ni de jure ni de facto. Il n'existe pas un seul

  8   document où j'aurais dit, Je soussigné, Momcilo Krajisnik, suis membre

  9   d'une quelconque présidence. Je n'ai pas non plus travaillé dans le cadre

 10   d'une quelconque présidence. Quand la guerre a éclaté, bien, les obus

 11   explosaient dans Sarajevo et en dépit de cela j'ai tout de même rencontré

 12   M. Izetbegovic pour essayer de trouver une solution pour la ville de

 13   Sarajevo qui occupait une position-clé, qui avait une importance-clé. Il

 14   n'y a pas eu d'accord, mais le fait que je sois allé à Zabrdje a ensuite

 15   été mal utilisé, mal interprété comme signifiant que je voulais la guerre,

 16   non, je n'ai jamais voulu la guerre.

 17   J'ai tout fait pour qu'une solution politique soit trouvée et

 18   finalement je suis satisfait parce que trois, quatre ou cinq ans plus tard

 19   j'ai participé aux pourparlers de Dayton et une solution a tout de même été

 20   découverte même si elle ne venait pas de nous, tant pis.

 21   Il m'a été dit que j'étais membre d'une entreprise criminelle commune

 22   et que j'avais œuvré au maintien du SDS, à la création des structures du

 23   SDS ainsi que d'autres organes.

 24   Madame, Messieurs, je n'ai pas été candidat à la direction du SDS de

 25   Republika Srpska au moment des élections. J'étais simplement candidat en

 26   second, au poste de député. Vous avez d'ailleurs des éléments de preuve qui

 27   démontrent que j'ai été élu en tant que député et qu'ensuite je suis devenu

 28   président du Parlement. Quand la vie politique a commencé en Bosnie-


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  1   Herzégovine. Madame, Messieurs, je n'étais pas membre du conseil exécutif.

  2   Je n'ai assisté à aucune réunion préélectorale.

  3   Je suis devenu membre du conseil exécutif un an plus tard, au mois de

  4   juillet. J'ai bien compté, je n'ai assisté qu'à trois séances du conseil

  5   exécutif qui étaient ouvertes aux députés. Mais je n'ai jamais participé à

  6   une quelconque autre séance du conseil exécutif du SDS, pas plus qu'à une

  7   séance de la commission chargée de recrutement des cadres. Je connaissais

  8   l'organisation d'une instance comme celle-là et je savais que mon seul

  9   travail pouvait se situer au niveau du Parlement en tant que député. A

 10   partir du 12 mai, je n'ai pas non plus participé à une seule réunion de la

 11   cellule de Crise sauf au moment où cette cellule a été créée à Ilijas, une

 12   fois. Alors, on me dit, "Tu as aidé le SDS." Le SDS avait ses représentants

 13   au Parlement, c'est exact, mais le SDS a bloqué son activité pendant la

 14   guerre. Je ne mens pas, je ne fais que rappeler des faits.

 15   On me dit, "Tu savais qu'un certain nombre de crimes étaient en train

 16   d'être commis." Lisez le texte que j'ai écrit dans mon mémoire d'appel. Je

 17   ne le savais pas, je n'ai donné aucun ordre, je n'avais pas d'ordre à

 18   donner à l'état-major de l'armée de la Republika Srpska. Rien ne m'a été

 19   envoyé, pas une seule information, pas un seul rapport ne m'a été envoyé

 20   par l'armée. Je l'ai dit lors de ma déposition mais je n'avais pas de

 21   documents à l'époque. J'ai tout examiné depuis, il n'y en a pas.

 22   On me dit que j'ai été informé par les membres de ce qu'il est convenu

 23   d'appeler l'entreprise criminelle commune. Madame, Messieurs, vous avez le

 24   document relatif à la conférence de presse, M. Karadzic était présent et

 25   Mme Plavsic aussi s'est prononcée publiquement. M. Djeric a dit ici qu'il

 26   n'y avait pas de civils concernés. M. Stanisic a déclaré qu'il voulait

 27   savoir si dans les prisons il y avait des civils et qu'il avait demandé à

 28   être informé. Tous ont dit que M. Momcilo Krajisnik était proche d'eux tant


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  1   que les événements ont modifié la situation.

  2   M. Arkan aussi a agi, bien sûr, mais c'étaient des pressions qui étaient

  3   exercées sur nous. Je ne suis pas avocat, mais enfin, mes opposants me

  4   disent, alors que je ne suis pas d'accord avec M. Arkan, ils disent que

  5   j'étais proche de Momcilo Krajisnik et sur cette base, j'aurais été membre

  6   d'une entreprise criminelle commune criminelle commune. Non, pas du tout,

  7   j'étais opposé à ce qu'ils faisaient. Ensuite, puisqu'on ne peut pas dire

  8   que j'ai été membre de l'entreprise, on me dit que j'ai contribué à son

  9   action. Mais en tant que dirigeant des équipes de négociations au

 10   Parlement, j'intervenais parfois devant un groupe de députés pour les

 11   informer de ce qui s'était dit aux pourparlers la veille, dans les

 12   rencontres avec M. Izetbegovic. Puis à la lecture de certains procès-

 13   verbaux, certaines phrases, une ligne ou deux ont été mal interprétées et

 14   on m'impute la volonté d'une Bosnie-Herzégovine divisée.

 15   Oui, j'ai parfois une ou deux fois prononcé le mot "division," mais

 16   simplement lorsque je rapportais les propos tenus par M. Izetbegovic. Je

 17   disais qu'est-ce qu'ils ont dit hier, ils ont proposé la division du pays

 18   avec respect d'un certain nombre de principes, géographiques en particulier

 19   et autres, et j'indiquais que l'on ne pouvait pas créer un pays divisé si

 20   l'on ne décidait pas des lignes de démarcation. D'ailleurs, si le plan

 21   Cutileiro avait été adopté, savez-vous combien de morts auraient pu être

 22   évités. Moi, mon sort aurait été préférable à ce qu'il est, mais celui de

 23   très nombreuses autres personnes également.

 24   On m'impute ici - et vous le savez - que j'aurais été informé de la

 25   commission des crimes. Lisez les documents qui vous ont été transmis,

 26   Bosanski Novi, Petrovac, Kljuic, Prnjavor, sont des municipalités citées au

 27   cours du procès, aucune de ces municipalités n'a informé les dirigeants.

 28   M. Pasic, M. Radojko et d'autres ont tous dit à la direction, nous


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  1   n'avons pas été informés du départ des Musulmans. La seule chose que je

  2   savais c'est que des Serbes quittaient la région, 15 000 Serbes sont

  3   arrivés de Sarajevo à Pale, et ils étaient tous contentes parce qu'ils

  4   avaient sauvé leur peau. Personne n'a dit que ce n'était pas la vérité.

  5   Tout le monde disait, il faut fuir la guerre. Puis quand la paix reviendra,

  6   d'ailleurs c'est le cas à la fin de toutes les guerres, tout le monde

  7   rentrera chez soi.

  8   Moi, au poste que j'occupais, président du Parlement de Bosnie-

  9   Herzégovine, j'ai continué à travailler en espérant jour après jour, et

 10   chaque jour, qu'une solution serait trouvée, une solution qui mettrait fin

 11   aux problèmes comme cela s'est toujours fait au cours des siècles. Mais ici

 12   on présente toutes sortes d'arguments, on dit, Krajisnik savait un certain

 13   nombre de choses. Mais moi, je vais vous donner un seul exemple.

 14   On m'a demandé, "Est-ce que tu savais que Sarajevo a été pilonnée le

 15   14 mai ?" J'ai répondu non. On m'a demandé, "Est-ce que tu savais qu'un

 16   nouveau pilonnage était prévu pour le 10 juillet ?" J'ai répondu non. On

 17   m'a demandé, "Est-ce que tu sais qu'un groupe important de Musulmans est

 18   allé à Pale le 14 mai pour participer à un échange ?" J'ai dit non. Et on

 19   m'a dit, "Mais tu ne savais rien. Comment est-ce que cela est possible que

 20   tu ne saches rien alors que tu étais à 100 mètres de l'endroit où se

 21   réunissaient les Musulmans et que les Serbes étaient à Pale ?" Moi, j'ai

 22   dit, je ne sais pas comment je ne le savais pas, mais je ne savais pas. Et

 23   vous avez la réponse que j'ai faite par écrit. J'ai dit que je n'étais pas

 24   à Pale et que quand il y avait des séances du Parlement en Bosnie-

 25   Herzégovine je n'étais pas non plus à Belgrade. Donc je ne savais pas. Il

 26   est évident que la Chambre de première instance aurait conclu différemment

 27   si elle avait su que le 9 juin une décision a été prise par Karadzic,

 28   Koljevic, Plavsic, Djeric, Krajisnik, Mladic, décision dans laquelle il


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  1   était dit qu'il fallait interrompre l'emploi de l'artillerie contre

  2   Sarajevo. Donc le 9, une décision est prise de ne pas pilonner Sarajevo, et

  3   le 10 le pilonnage a lieu. Bien, celui qui est responsable est le seul

  4   responsable de tout ce qui s'est passé.

  5   Il y a encore un autre fait que j'aimerais évoquer et que vous

  6   constaterez. Vous verrez le nombre d'objections que j'ai exprimées durant

  7   les négociations et je ne l'ai pas fait simplement à titre personnel. Ceci

  8   constitue aujourd'hui un élément de preuve convaincant que vous avez

  9   désormais dans votre dossier et qui, je l'espère, vous donnera une image

 10   différente de la situation par comparaison à l'image que s'est faite la

 11   Chambre de première instance au moment de prononcer son jugement.

 12   Ne m'en tenez pas rigueur, mais je vous le dis, je sais que chaque

 13   fois que je savais que quelque chose de répréhensible était fait, je

 14   donnais immédiatement l'ordre de punir l'auteur de ces actes. Vous pouvez

 15   le vérifier. Jusqu'au 26 juillet, à Jahove [phon], un certain nombre de

 16   réunions ont été organisées, des députés sont venus pour s'exprimer et ont

 17   évoqué des centaines d'actes criminels. Mais ici on me dit, qu'est-ce que

 18   vous avez fait par rapport à cela ? Moi j'ai dit, je suis allé à la

 19   conférence. Je ne savais pas, mais il fallait faire quelque chose. Et le 28

 20   juillet, l'assemblée se réunit, les actes criminels en question font

 21   l'objet d'un point à l'ordre du jour de la réunion, la discussion a lieu.

 22   Le commandement Suprême voulait donc limoger un certain nombre d'unités qui

 23   abritaient les hommes responsables de ces actes criminels. Karadzic a fait

 24   la proposition, M. Dukic vient de Birac pour dire qu'il a mis en accusation

 25   un certain nombre de citoyens de nationalité musulmane responsables de ces

 26   actes. Mais je n'étais pas au courant. Je ne savais pas. C'est là que je

 27   l'ai appris.

 28   On me dit ici que je devais être au courant, parce que ces faits


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  1   étaient évoqués dans la presse internationale. Mais croyez-moi, Monsieur le

  2   Président, Madame, Messieurs les Juges, je n'ai pas entendu un mot au sujet

  3   de tous ces faits. On m'a dit un jour, enfin j'ai entendu dire que le père

  4   de Momcilo Krajisnik était décédé, parce que Momcilo Krajisnik avait décidé

  5   d'aller dans les rangs de l'armée de la Republika Srpska. J'ai entendu que

  6   des ours sauvages dévoraient des petits enfants. Vous n'imaginez pas le

  7   nombre de contre-informations qui circulaient à l'époque. Donc quand je

  8   voyais certaines choses dans la presse internationale je ne les lisais pas

  9   nécessairement. Et les gens s'exprimaient, ils le disaient en public.

 10   Rien de ce genre ne s'est passé. Alors, j'écoutais plutôt ce qu'on me

 11   disait au sujet de ce qui se passait dans la population serbe. Je ne

 12   prêtais pas une oreille confiante à ce qui ne faisait pas partie de la

 13   population serbe. 

 14   Alors, maintenant on me dit que je suis responsable, mais responsable

 15   de quoi. Je n'ai pas donné un seul ordre à l'époque. Quand j'étais assis

 16   sur la chaise des témoins et que je regardais les Juges en face de moi, je

 17   me suis rendu compte de la raison pour laquelle j'étais dans la situation

 18   où je suis, parce que pour certains le président du Parlement est Dieu, il

 19   est censé prendre des décisions et avoir tout le pouvoir. Et quand le

 20   Parlement se réunit en temps de guerre en Bosnie-Herzégovine, comme c'était

 21   le cas pour Krajisnik, président de ce parlement, alors il est encore plus

 22   important.

 23   Mme Plavsic, elle, était présidente de la présidence à Pale, et un

 24   jour quelqu'un vient de Pale en me disant, "Pale a été pilonnée, nous ne

 25   pouvons pas organiser la nouvelle année scolaire ?" J'ai dit, "Mais comment

 26   est-ce que c'est possible ?" On me répond, "Il y aura des obus, comment

 27   est-ce qu'on peut mettre les enfants dans les écoles." Je rétorque, "Mais

 28   écoutez, il faut bien faire quelque chose. Qui est-ce qui sera coupable si


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  1   pendant cinq ou dix ans les enfants ne vont pas à l'école ?" J'ai dit à mon

  2   interlocuteur, "Ecoutez, appelez les parents pour savoir s'ils acceptent

  3   sous leur propre responsabilité d'envoyer les enfants à l'école." C'est ce

  4   qui s'est fait. Les enfants sont allés à l'école et il n'y a plus eu de

  5   pilonnage.

  6   Plus tard, on me dit ici que mes interlocuteurs ne seraient pas venus

  7   me voir pour discuter de ce genre de questions si je n'avais pas eu un

  8   énorme pouvoir. Mais je peux vous assurer, j'ai reçu un document en

  9   anglais. Je n'ai pas compris tout ce qu'il disait, mais en tout cas il y a

 10   une chose que j'ai comprise à la lecture de ce document, c'est que rien

 11   dans ce document ne démontre que j'aurais pu être membre d'une quelconque

 12   entreprise criminelle commune.

 13   Le témoin Sansavo est venu ici. Il ne savait pas au moment où il a signé un

 14   document, que ce document c'était un accord d'échange de propriété entre

 15   lui et un Musulman. Il ne savait pas qu'il avait signé un document selon

 16   lequel il était censé accepter d'aller de son plein gré à Sarajevo. Les

 17   Musulmans, je vous le répète, ne sont pas partis parce qu'ils ont été

 18   expulsés, mais ils sont partis parce que les Serbes aussi quittaient

 19   Sarajevo à l'époque, et étant donné le nombre d'assassinats commis contre

 20   les Serbes. Ils ont eu peur. Ils ont eu peur de représailles. La meilleure

 21   preuve que je ne savais pas que les Musulmans partaient réside dans la

 22   séance du Parlement du 27 juillet. On a parlé ce jour-là du fait qu'un

 23   certain nombre de Musulmans parlaient simplement parce qu'ils avaient peur

 24   d'actes de vengeance.

 25   Ici on dit que Bijeljina est le premier signe d'expression de

 26   l'entreprise criminelle commune. Le 27 mars, le Parlement s'est réuni

 27   pendant trois jours seulement, une séance du Parlement où il a été dit que

 28   la paix était nécessaire pour nous, que nous devions la maintenir, que la


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  1   guerre ne nous apporterait de bon, que de toute façon, il faudrait

  2   s'entendre même après une guerre. Vous avez le procès-verbal de cette

  3   réunion du Parlement. Avant, il y a eu les incidents de Brod et de Kupres.

  4   Mais rien dans tout cela ne constitue un motif pour que les Serbes tuent

  5   des Musulmans. Nous avions le pouvoir. Les gens se sont entretués

  6   localement. Je travaillais au Parlement. J'avais mes propres

  7   responsabilités. Je ne savais pas que cela se passait dans les régions.

  8   Vous avez un document qui vous montre que j'ai appelé quelqu'un par

  9   téléphone et que cet interlocuteur m'a dit : "Ecoute, tu n'est pas ici. Tu

 10   ne peux pas nous aider. Occupe-toi de ton travail. Nous, nous ferons le

 11   nôtre."

 12   J'espère ne pas avoir abusé de votre temps, Madame, Messieurs les Juges.

 13   J'avais un certain nombre de choses à vous dire. Je vois que j'ai déjà été

 14   assez long. Je vous remercie de votre patience et de votre attention. Mon

 15   avocat fera le reste. Merci.

 16   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Plaise aux Juges de la Chambre, je

 17   m'appelle Nathan Dershowitz et je partage les arguments de l'appelant avec

 18   mon confrère Alan Dershowitz, en fait.

 19   Le problème avec la décision susmentionnée fait un amalgame et rend une

 20   décision au lieu de trois. La première concerne les arguments politiques,

 21   les points de vue et actions menées aux fins de mettre en place une

 22   République serbe de Bosnie distincte à l'intérieur de la Bosnie-

 23   Herzégovine. Nous avons entendu nombre de dépositions à l'instant, et si

 24   vous lisez le compte rendu d'audience, il est très clair que M. Krajisnik

 25   était la personne principale responsable de la mise en œuvre des

 26   négociations. C'était le négociateur, le porte-parole dirigeant qui

 27   souhaitait faire valoir une solution pacifique. Il y a un certain nombre de

 28   difficultés. Je vais les aborder, mais il faut établir la distinction entre


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  1   ce qui était politique, ce qui devait être accompli par le biais de la

  2   négociation et des discussions avec deux autres domaines.

  3   Le deuxième domaine qui nous préoccupe ici est la réalité de la guerre qui

  4   a suivi.

  5   Un autre domaine qui, au plan technique, est le seul domaine qui devrait

  6   préoccuper les Juges de la Chambre d'appel, à savoir par définition même,

  7   les crimes de guerre qui, par définition, constituent une violation des

  8   lois ou coutumes de la guerre. Donc il y a trois catégories distinctes ici

  9   et la décision susmentionnée. Je demande aux Juges de la Chambre de

 10   reconnaître ces différences. Il est important de réexaminer la décision qui

 11   a été prise, parce que M. Krajisnik a été condamné sur la base de

 12   déclarations qu'il a faites lui-même. Il s'agit de déclarations politiques

 13   où il faisait valoir son point de vue en tant que représentant d'une

 14   entité, ce qui était parfaitement légitime.

 15   Un tribunal qui prononce la responsabilité de violations de droit

 16   international humanitaire doit absolument faire la différence entre toutes

 17   ces questions, autant que faire se peut sur un plan purement humain.

 18   J'admets qu'il s'agit d'une tâche extrêmement difficile, mais il s'agit

 19   néanmoins d'une tâche essentielle. C'est la grande tâche qui incombe aux

 20   Juges de ce Tribunal, à savoir comprendre la différence entre les avis

 21   politiques et les avis qui ne sont pas acceptables, et ceux ensuite qui se

 22   lancent dans la guerre et ceux qui s'engagent ou se lancent dans des crimes

 23   de guerre.

 24   La façon dont l'entreprise criminelle commune a été appliquée a éliminé ces

 25   distinctions. Au vu de la décision prise, les efforts en vue de créer une

 26   République serbe de Bosnie distincte ont donné lieu à une déclaration de

 27   guerre. Ceci est contredit dans le rapport du secrétariat général qui

 28   accompagne le statut et le libellé du statut, en fait, de déclarer coupable


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  1   par voie d'association. La décision de la Chambre, si on l'examine de près,

  2   on voit clairement qu'il y avait culpabilité par association pour ceux qui

  3   ont épousé les vues politiques, ceux qui ont mené la guerre et ceux qui ont

  4   commis des crimes de guerre.

  5   Cela ne fait pas l'ombre d'un doute que M. Krajisnik était un

  6   partisan clair des intérêts de la Serbie qu'il souhaitait protéger et qu'il

  7   souhaitait éviter que la Serbie devienne une minorité impuissante dans une

  8   Bosnie-Herzégovine qui constituerait un pays distinct. Cela ne fait pas

  9   l'ombre d'un doute, d'après le compte rendu, qu'il était le principal

 10   négociateur, qu'il souhaitait établir cette position. Mais ce qui n'est pas

 11   très clair - et n'est pas très cohérent eu égard à la décision qui a été

 12   prise - c'est toute indication que M. Krajisnik possédait cet objectif

 13   commun aux fins de violer le statut en déplaçant par la force les Musulmans

 14   et les Croates, et qu'il ait participé pendant la période couverte par

 15   l'acte d'accusation à tout acte criminel aux fins de réaliser l'objectif

 16   commun, l'objectif criminel.

 17   Le manque de clarté au niveau de l'entreprise criminelle doit clairement

 18   être établi pour comprendre la culpabilité de l'accusé en question. Je

 19   crois qu'il s'agit ici de l'élément essentiel de cette affaire, à savoir si

 20   des personnes sont déclarées criminels de guerre, s'ils prônent leurs vues

 21   politiques de façon claire et nette compte tenu du poste qu'ils occupaient,

 22   et si leurs positions ou leurs postes avaient été supprimés à ce moment-là,

 23   c'eût été une violation des droits de l'homme. Ils avaient tout à fait le

 24   droit de faire valoir leurs points de vue politiques. Ils avaient même le

 25   droit d'exagérer leurs points de vue politiques aux fins de prendre

 26   position et réaliser leurs objectifs. Ceci n'est absolument pas pris en

 27   compte par la décision qui a été prise.

 28   Le problème qui a commencé lorsque le jugement Tadic a été rendu,


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  1   maintenant tous ces éléments sont devenus tellement élastiques et tellement

  2   peu clairs, qu'ils n'ont quasiment plus aucun sens de surcroît. Et ce qui

  3   est également très dangereux est le fait que - et ceci constitue l'essence

  4   même de cette affaire - c'est que ces concepts ont tendance à criminaliser

  5   les personnes qui s'engagent dans des actions légitimes qui sont censées

  6   protéger leur peuple, quelque chose qui devrait être encouragé et non pas

  7   découragé.

  8   Il y a différents problèmes de fond eu égard au jugement Tadic - et je ne

  9   souhaite pas en fait plaider cela maintenant à nouveau - mais il est clair

 10   au regard du jugement Tadic, l'affaire évoquée par Cassese et Mumba dans

 11   Furundzija, le concept était très restreint à l'époque. Dans la première

 12   affaire, celle qui a été jugée en 1998, qui était la première affaire qui

 13   évoquait la question de l'entreprise criminelle commune ou l'objectif

 14   commun, il y avait à ce moment-là une personne qui souhaitait recueillir

 15   des éléments d'information en interrogeant une victime, tout en ayant une

 16   autre personne qui commettait les abus, la violence physique en même temps,

 17   de façon parallèle, et le viol.

 18   Une décision avait été prise. On peut retrouver la personne qui recherchait

 19   les éléments d'information, qui faisait partie de cela, cette personne

 20   s'était engagée d'une entreprise criminelle commune avec la personne qui

 21   avait commis le crime. Je dois vous dire, en fait, qu'il y a eu

 22   acquittement au niveau du chef d'accusation portant sur le viol.

 23   Ces deux personnes qui commettaient cet acte ensemble, l'actus reus,

 24   l'élément moral est tellement loin du concept tel qu'il est présenté

 25   aujourd'hui, que l'on ne pourrait même pas reconnaître ce concept

 26   aujourd'hui, qui ont été évaluées de cette façon dans ces premières

 27   affaires. Comme dans Tadic, en fait, la première décision a été prise dans

 28   Tadic, il s'agissait là de tenir compte d'un groupe de personnes qui ont en


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  1   réalité commis des atrocités, mais on ne pouvait pas indiquer quelles

  2   étaient ces personnes précisément comme étant quelqu'un qui avait tiré sur

  3   quelqu'un d'autre et n'évoque pas la participation lorsque cinq personnes

  4   entrent dans une ville et que des personnes sont tuées dans cette ville par

  5   ce groupe, par ce même groupe que ces cinq personnes sont tenues pour

  6   responsables. Ça encore une fois est quelque chose qui est tellement

  7   éloigné de la façon dont ce concept est appliqué dans cette affaire quand

  8   on ne peut même plus le reconnaître.

  9   Le problème qui est au cœur de la problématique dans l'affaire Tadic, c'est

 10   qu'il y avait la volonté de chercher une théorie qui permettrait de

 11   justifier ce qui se trouve dans cet arrêt, à savoir un objectif légitime,

 12   c'est là reconnaître qu'au titre de droit international tous les

 13   participants à des violations graves de ce droit international pourraient

 14   et devraient être tenus responsables des actes qu'ils ont commis. Le

 15   Tribunal est allé jusqu'à laisser entendre qu'il y avait ce droit, mais

 16   qu'en plus il y avait l'obligation de trouver une théorie qui permettrait

 17   de justifier.

 18   Les décisions plus récentes de ce Tribunal reconnaissent qu'il ne convient

 19   pas que ce Tribunal soit l'entité qui établisse la politique en la matière,

 20   mais le Tribunal n'a pas reconnu en réalité que lorsqu'on a affaire à des

 21   degrés de culpabilité, quand il s'agit de savoir qui est responsable, qui

 22   il faut punir, on fait de la politique et qu'il y a un continuum et qu'il

 23   faut, à un moment, s'arrêter pour savoir qui on considère comme coupable.

 24   Ça c'est une décision politique qui se prend normalement par un pouvoir

 25   qu'on donne grâce à un statut. Quand on utilise un libellé tellement

 26   élastique, tellement flou, comme on trouve ici dans cette entreprise

 27   criminelle commune, on n'a plus de culpabilité, en fait, on ne sait plus si

 28   on commet un crime.


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  1   Nous avons ici une problématique complexe d'affrontements religieux et

  2   autres, les principes essentiels de la culpabilité internationale doivent

  3   être énoncées avant qu'une personne soit mise en accusation et pas après.

  4   Ici, en fait, ces principes n'ont pas été énoncés avant, quand on voit la

  5   décision prise, quand on voit la position de l'Accusation, il y a un flou

  6   qui règne sur tous les éléments constitutifs de l'entreprise criminelle

  7   commune. Et ce qui est le plus perturbant encore, c'est qu'une fois que ces

  8   éléments ont été énoncés avec suffisamment de clarté dans la décision, les

  9   faits qui sous-tendent cette décision ne soutiennent pas la décision, le

 10   verdict de culpabilité de la Chambre de première instance.

 11   Je vais être plus précis. Au paragraphe 883, la Chambre de première

 12   instance énonce les éléments constitutifs d'entreprise criminelle commune.

 13   C'est ici un aparté que je fais, mais c'est intéressant. Vous pourrez voir

 14   comment ceci est présenté et quand on voit un nombre de décisions rendues

 15   en première instance et en appel, vous allez voir qu'il y a différents

 16   énoncés de ces mêmes principes de l'entreprise criminelle commune. Voyez la

 17   présentation faite par l'Accusation, là aussi la présentation est

 18   différente, mais le niveau, le degré de modification devient essentiel si

 19   l'on veut comprendre. S'il y avait eu une disposition du statut, on

 20   pourrait se retourner, on pourrait se reposer sur le statut, mais lorsqu'on

 21   se base sur l'évolution de la jurisprudence, on a tendance à extrapoler

 22   sans arrêt à partir du concept initial.

 23   Quel était le premier concept énoncé par la Chambre, on dit

 24   que : "Il y a entreprise criminelle commune dès lors que plusieurs

 25   personnes participent à la réalisation d'un objectif criminel commun."

 26   A mon avis, ce libellé est assez facile à appliquer au vu des faits d'une

 27   affaire, mais c'est tout le contraire qui s'est passé, en réalité, surtout

 28   en cette affaire.


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  1   Je prends là deux des aspects de ce problème. Un de ces aspects c'est

  2   l'acte d'accusation précis en l'espèce. Il est tellement vaste qu'il n'est

  3   pas crédible. Je vais d'ailleurs vous lire le

  4   paragraphe 7 de cet acte d'accusation. Il dit : "Plusieurs individus…"

  5   n'oublions pas ici la genèse de l'entreprise criminelle commune. Il

  6   s'agissait au départ de participants connus, de participants présents sur

  7   les lieux qui se sont livrés à ces activités, mais de participants qui

  8   n'étaient peut-être pas les auteurs physiques, mais qu'il y avait un

  9   participant qui retenait quelqu'un alors que cette personne subissait un

 10   sévice d'une autre personne, c'étaient les véritables participants. Voyons

 11   ce qu'on dit ici cependant.

 12   On parle de : "Nombreuses personnes qui ont participé à l'entreprise

 13   criminelle commune. Chacun de ces participants par acte ou omission a

 14   contribué à la réalisation des objectifs de l'entreprise." Alors on dit que

 15   "ces personnes travaillaient de concert." Là c'est la loi du complot.

 16   Personne ne veut utiliser ces termes parce que le complot, c'est un crime

 17   retenu dans le droit matériel, et si entend ici le complot, ce serait en

 18   violation des dispositions du statut.

 19   Mais on dit que : "D'autres membres de l'entreprise criminelle commune

 20   comprenaient plusieurs personnes," qui sont énumérées. Puis on dit : "… que

 21   d'autres personnes, d'autres dirigeants serbes de Bosnie au niveau de la

 22   République, de la région ou de la municipalité, qu'il y avait des membres

 23   des dirigeants du SDS de la république, au niveau de la région, des membres

 24   de la JNA, de la VJ, de l'armée de la République serbe de Bosnie-

 25   Herzégovine," là je saute quelques parties. Puis, on dit que : "Il y avait

 26   des membres de la Défense territoriale des Serbes de Bosnie, de la police

 27   serbe de la Bosnie, de forces paramilitaires et d'unités de volontaires

 28   ainsi que des personnalités militaires et politiques de la République


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  1   socialiste fédérale de la Yougoslavie et plus tard, de la République de

  2   Serbie ainsi que de la République du Monténégro." Je crois que je suis le

  3   seul à ne pas être pas repris dans cette catégorie générale.

  4   Vous voyez que c'est vraiment ici une fourre-tout où on met tout le monde,

  5   quiconque aurait de peu ou prou soutenu l'opinion des Serbes. Tous ceux qui

  6   auraient pu soutenir l'idée que défendaient les Serbes.

  7   Puis vous avez une décision, ou plutôt, une énumération de noms de

  8   personnes qui ont été ajoutés en fin de procès comme étant les personnes

  9   qui nommément auraient pu être membres de l'entreprise criminelle commune.

 10   Il y a eu une préoccupation qui a été évoquée dans l'affaire Brdjanin et

 11   dont le Tribunal s'est saisi dans l'ordonnance portant calendrier du 18

 12   janvier [comme interprété] et qui entre en vigueur. Ce que je veux dire,

 13   c'est que là on a l'autre bout ou l'autre membre de l'équation pour ce qui

 14   est de ces parties. Au départ, nous avons des indications précises nous

 15   disant qui sont les membres de l'entreprise criminelle commune. Une

 16   question a été réglée par ce Tribunal, c'est la question de savoir si les

 17   personnes qui sont les auteurs physiques des crimes sur le terrain doivent

 18   nécessairement être membres de l'entreprise criminelle commune. La réponse

 19   a été, pas forcément, mais il faut cependant montrer un lien, un lien

 20   direct entre le membre de l'entreprise criminelle commune et la personne

 21   qui a effectivement commis ce crime. On a quatre ou cinq membres

 22   d'entreprise criminelle commune qui se mettent d'accord, il y en a un qui

 23   entreprend de recruter quelqu'un, de convaincre quelqu'un de veiller à ce

 24   que quelqu'un agisse et commette le crime, à ce moment-là on a le lien

 25   requis.

 26   Mais ici nous avons parfaitement l'inverse sur le plan de l'idée, on

 27   commence par un groupe de personnes, je reviendrai à cet objectif commun

 28   qui anime ces personnes, nous avons un groupe de personnes et quiconque se


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  1   livre à des activités devient tout d'un coup membre de l'entreprise

  2   criminelle commune et quiconque donne l'ordre à quelqu'un de commettre un

  3   crime de guerre devient automatiquement membre de l'entreprise criminelle

  4   commune.

  5   C'est ce qui s'est passé ici. C'est à ce point distant, éloigné de ce qui

  6   avait été prévu au départ dans l'arrêt Tadic, qu'à mon avis, il s'agit ici

  7   d'un concept radicalement différent qui n'a aucun rapport avec le concept

  8   initial, mais si la Chambre d'appel autorise qu'on élargisse le champ

  9   d'application. Je pense qu'ici effectivement on peut accuser des gens

 10   simplement par association.

 11   Mon frère va vous parler de l'application de ceci dans un contexte

 12   international.

 13   Mais prenons le deuxième élément constitutif que l'on retrouve dans

 14   la décision, élément requis pour prouver que quelqu'un est membre d'une

 15   entreprise criminelle commune. Si on le fait, on va avoir un problème

 16   identique, voire pire. On dit que la première forme de l'entreprise

 17   criminelle commune existe. Ici, permettez-moi une brève digression. On

 18   parle ici des formes d'entreprise criminelle commune, première et

 19   troisième, mais la seule évoquée ici, c'est la première. Tout récemment,

 20   l'Accusation a affirmé qu'elle utilise la troisième forme. On ne sait même

 21   pas quel est le concept qu'on implante alors qu'on a 400 pages de décisions

 22   et qu'on a un verdict de culpabilité, c'est une recette assurée pour qu'il

 23   y ait une catastrophe judiciaire.

 24   Prenons la première forme qui existe lorsque l'objectif commun est de

 25   commettre un crime visé par le statut ou en applique un.

 26   Si vous examinez l'acte d'accusation, le verdict semble indiquer que

 27   l'entreprise criminelle commune doit être ou doit concerner un crime visé

 28   explicitement par le statut.


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  1   Le Procureur, je le reconnais dans ses arguments et dans ses écritures, je

  2   vous rappelle les paragraphes 35, 36 et 37 de ses écritures, même sur un

  3   point aussi simple que celui-ci, la confusion règne. Si l'on lit les

  4   arguments présentés par l'Accusation, il est impossible de savoir si

  5   l'objectif, pas les moyens, si l'objectif doit être un crime visé par le

  6   statut, ou si ce sont les moyens qui peuvent être des crimes visés par le

  7   statut. Ici il y a une espèce de va-et-vient flou.

  8   Mais dans la décision, vu son libellé, c'est clair. L'objectif doit

  9   être un crime visé par le statut. Mais quand on voit le libellé de l'acte

 10   d'accusation, que dit-il ? On parle du fait d'avoir rejeté de par la force

 11   et de façon permanente. C'est important de voir ce libellé pour nous ici

 12   car il y a une chose qui est indiscutable. M. Krajisnik a mené des

 13   négociations, a déployé des efforts pour arriver à une solution où il y

 14   aurait un consensus, une volonté ou une méthode permettant un transfert de

 15   population si cette population voulait changer de territoire. Lorsqu'on

 16   crée une entité séparée dans le contexte de la Bosnie-Herzégovine, les gens

 17   ne se sentiront pas à l'aise si on a une population majoritairement

 18   musulmane dans une zone et une population majoritairement serbe dans une

 19   autre. Il y a une différence. Il y a d'un côté un crime de guerre, et de

 20   l'autre une solution politique, alors que dans l'acte d'accusation on

 21   retient les deux, le crime de guerre et la solution politique, on dit que

 22   tous deux relèvent de l'objectif commun.

 23   De surcroît, si vous examinez les décisions prises avant celle-ci, si vous

 24   entendez ce que M. Krajisnik dit, là aussi il ne fait pas l'ombre d'un

 25   doute qu'il voulait une solution politique alors que la situation était des

 26   plus tendues. Il y avait une histoire préalable qui peut être de quelques

 27   mois ou même de plusieurs siècles. C'était une situation chargée, lourde de

 28   précédent historique. Ce qu'il voulait, c'était une solution qui n'était


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  1   pas criminelle. Il ne voulait sûrement pas des crimes de guerre en guise de

  2   solution. Si on fait la confusion entre les deux. Et là je vous en supplie,

  3   Madame et Messieurs les Juges, lisez les décisions qui ont donné lieu à ces

  4   trois catégories de crimes d'entreprise criminelle commune.

  5   Voyez les éléments de preuve que nous avons cités tout du long s'agissant

  6   de la participation personnelle de M. Krajisnik. Vous avez vu que chacun de

  7   ses commentaires avaient pour vocation de trouver une solution qu'il

  8   soutenait. Il voulait que les Serbes qui vivaient en Bosnie se sentent en

  9   sécurité. On a au départ suggéré qu'ils deviennent membres de la

 10   Yougoslavie en Bosnie-Herzégovine. L'autre solution était qu'il y ait un

 11   lien qui soit établi avec la Serbie, entre les Serbes, pour les Croates

 12   entre les Croates de Bosnie et la Croatie. Il y avait une discussion

 13   politique qui se menait. On se demandait si au sein de la Bosnie-

 14   Herzégovine on pouvait prendre une partie de la Bosnie qui serait une

 15   entité reconnue mais qui resterait au sein du gouvernement, et au fond

 16   c'est ce qui s'est passé à la suite des accords de Dayton.

 17   La solution que lui prenait sur le plan politique, c'est finalement ce qui

 18   s'est matérialisé par la suite, et il y a une espèce de lacune, un vide au

 19   niveau des éléments de preuve, surtout pour ce qui est des faits ou de la

 20   période des faits retenus dans l'acte d'accusation. S'il affirme que si on

 21   a un accord sur l'idée d'avoir une frontière qui délimiterait la partie des

 22   Serbes de Bosnie, on a une décision politique. Elle est plus efficace si

 23   l'on veut trouver une solution politique. Il est plus efficace de commencer

 24   une fois que les Serbes et la Bosnie avaient déclaré leur indépendance, il

 25   était plus pratique d'avoir ces municipalités sur place. C'est correct dans

 26   les faits. C'est une position politique adoptée par tout négociateur. Rien

 27   dans ce genre de déclaration ne vous amène à penser que parce qu'il a pris

 28   cette position, il fait partie d'un groupe qui veut se livrer à des crimes


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  1   de guerre.

  2   Dans la même veine, cette décision semble laisser entendre que tous les

  3   coauteurs doivent agir pour réaliser cet objectif criminel, être animés de

  4   la même intention criminelle. Nous sommes au cœur même du sujet. Rien n'a

  5   prouvé qu'il était animé de cette intention criminelle, de déloger de façon

  6   permanente par la force la population musulmane. Oui, il était animé d'une

  7   intention. Il avait l'objectif qui était d'avoir un type de municipalité

  8   serbe établi légitimement par des moyens constitutionnels, ce qu'il a dit

  9   tout du long.

 10   Troisième élément de cette décision qui fait également l'objet d'une grande

 11   confusion, cette décision évoque la participation de l'accusé à la

 12   réalisation de l'objectif, et c'est le cas lorsque l'accusé commet un crime

 13   qui s'inscrit dans le cadre de l'objectif commun, ce qui est prévu par le

 14   statut. Il faut qu'il soit partie prenante à la volonté de réaliser un

 15   objectif, qu'il participe, par exemple, au fait de déloger par la force et

 16   de façon permanente. Rien ne prouve ceci. "A titre subsidiaire, plutôt que

 17   de commettre le crime visé, sa conduite peut remplir cet élément, si ça

 18   veut dire qu'il a aidé à l'exécution du crime qui relève de l'objectif

 19   commun." Je demande au Tribunal de poser la question à l'Accusation pour

 20   lui demander quel élément de preuve elle a qui permettrait de répondre à

 21   cette condition, et vous avez des déclarations de clôture, des arguments

 22   qui se fondent tous sur ce qu'il a dit politiquement en tant qu'homme

 23   politique, ce qui est tout à fait autorisable, et ce qu'il faut encourager

 24   vu les circonstances du moment.

 25   Autre problème essentiel - et là j'invite les Juges de la Chambre d'appel.

 26   Bien sûr, je pourrais reprendre bon nombre des déclarations faites par

 27   l'Accusation. Quand on les examine de près comme je l'ai fait, vous allez

 28   voir qu'il y a une déclaration générale, puis une citation, une référence


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  1   faite à la décision de la Chambre de première instance, mais cette

  2   référence ne dit pas tout à fait ce qu'affirme l'Accusation dans sa

  3   déclaration générale, et ce sont des références à une période antérieure au

  4   moment où ont éclaté les hostilités. Il faut que nous soyons clairs.

  5   Je l'ai répété plusieurs fois. Il est impossible, il n'est pas autorisé

  6   qu'une décision soit prise disant que si quelqu'un se livre à des activités

  7   politiques acceptables et que si d'autres par la suite commettent un

  8   objectif similaire mais de façon tout à fait illicite, ça ne veut pas dire

  9   que la personne qui a pour la première fois manifesté, exprimé cette

 10   position politique, soit nécessairement responsable et soit associé à ce

 11   groupe qui s'est livré plus tard à des activités illégales.

 12   A ce stade, vous me permettrez, j'espère, de donner la parole à mon

 13   confrère et frère, Me Alain Dershowitz, à moins que vous n'ayez des

 14   questions à me poser dans le cadre de l'exposé que je viens de faire. Je

 15   vous remercie.

 16   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci. C'est un grand privilège qui

 17   m'est accordé ici de m'adresser à vous. C'est un rêve que je nourris depuis

 18   toute ma vie, j'ai toujours voulu participer à la grandeur de ce Tribunal.

 19   Je vous remercie de m'avoir permis d'intervenir même dans un cadre limité

 20   qui est celui de l'entreprise criminelle commune.

 21   Nous commençons, bien entendu, par une idée qui est reconnue, à savoir le

 22   Statut ne mentionne nulle part l'entreprise criminelle commune. Il faut

 23   constater ceci avec le statut de Rome, lequel effectivement prévoit une

 24   responsabilité précise fondée sur le fait de travailler de concert avec

 25   d'autres pour réaliser cet objectif.

 26   Examinons le rapport du secrétaire général. Mon frère l'a évoqué il y a

 27   quelques instants dans un autre contexte. Ce rapport s'inscrit dans la

 28   genèse de ce Tribunal, c'est la base de ce Tribunal. Il est de l'avis du


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  1   secrétaire général l'application du principe nullum crimen sine lege exige

  2   que le Tribunal international applique des règles du droit international

  3   humanitaire qui, au-delà de tout doute raisonnable, s'inscrit dans le droit

  4   coutumier international, le problème du respect et de la conformité à

  5   certaines conventions ici ne se pose pas.

  6   Je ne pense pas que ceci soit contesté ici, le concept de l'entreprise

  7   criminelle commune, c'est certain, ne s'inscrit pas dans le droit coutumier

  8   international. Les doutes pesant sur cette question sont sordides, les

  9   chercheurs sont très divisés sur la question. Nous avons cité des articles

 10   qui reprennent eux-mêmes des citations d'autres articles et qui sèment un

 11   doute très sérieux sur la question de savoir si tout ce concept de

 12   l'entreprise criminelle commune est un concept acceptable en droit

 13   coutumier international.

 14   Nous le savons, nous l'avons reconnu, nous savons que la Chambre

 15   d'appel a, à maintes reprises, dit qu'elle n'allait pas revenir sur ce

 16   concept qui est de savoir si l'on peut retenir cette entreprise criminelle

 17   commune. Mais vu nos obligations envers notre client et envers le droit,

 18   nous pensons qu'il est important d'insister sur cette question. A notre

 19   avis, l'idée qui consiste à établir une nouvelle base de responsabilité

 20   viole ce principe mentionné par le secrétaire général. Le présent appelant

 21   ne pouvait pas savoir au cours de la période mentionnée dans l'acte

 22   d'accusation, il ne pouvait pas savoir qu'il allait faire l'objet d'un acte

 23   d'accusation reprenant l'entreprise criminelle commune.

 24   Bien sûr, la Chambre a été prudente, elle a dit que ce n'était pas là

 25   créer un nouveau crime. C'était simplement exprimer, énoncer un principe

 26   accepté, consacré, de responsabilité pénale. Mais non, c'est un nouveau

 27   crime, c'est un peu comme le complot, c'est un peu comme le RICO, c'est

 28   comme d'autres formes de responsabilité pénale, c'est ce qu'on retrouve


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  1   dans le statut de Rome. Mais il n'y a aucune base dans le Statut qui permet

  2   d'engager cette responsabilité pénale. A notre connaissance, c'est la

  3   première fois que quelque chose qui ressemble à un crime qui représente

  4   tous les critères de crime sont énoncés par une Chambre d'appel en

  5   l'absence d'une disposition clairement énoncée dans ce sens par le Statut.

  6   Nous reconnaissons que la Chambre de ce Tribunal a dit qu'elle

  7   n'allait pas revenir sur cette question de l'entreprise criminelle commune,

  8   mais manifestement notre argument principal aujourd'hui, même si nous nous

  9   réservons le droit d'exprimer ce que je viens de dire et que nous reprenons

 10   davantage en détail dans nos écritures nous dit que même si l'entreprise

 11   criminelle commune était autorisée en tant que droit général, comme vient

 12   de nous le dire mon confrère, même si ceci était applicable à d'autres cas

 13   antérieurs, à d'autres affaires où il y avait, par exemple, interrogatoire,

 14   il était possible d'ailleurs de régler ces affaires sans parler comme

 15   principe de loi d'une entreprise criminelle commune parce que quelqu'un

 16   frappe quelqu'un d'autre, vous êtes là, là c'est simple, on peut condamner

 17   au titre du droit commun parce qu'il y a un lien très étroit, très

 18   manifeste. C'était sans doute vrai pour l'affaire Tadic.

 19   Mais ici nous avons à faire à des circonstances tout à fait

 20   différentes, même si l'entreprise criminelle commune peut s'appliquer, elle

 21   ne peut pas s'appliquer ici, même en raison des constatations de la Chambre

 22   de première instance, constatations que nous contestons. On me dit que je

 23   parle trop vite. Je m'en excuse.

 24   Nous contestons ces constatations de la Chambre de première instance.

 25   Nous sommes tout à fait d'accord avec ce qu'a dit M. Krajisnik. Nous sommes

 26   très contents de la décision prise hier par la Chambre d'appel que nous

 27   avons reçue en fin de journée, à savoir que nous avons le droit

 28   d'auditionner M. Karadzic. Et je peux vous dire en partant des brefs


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  1   contacts que nous avons vus avec M. Karadzic, je peux vous dire qu'il va

  2   présenter bon nombre d'éléments à décharge et nous nous conformerons aux

  3   obligations de la Chambre. Nous allons présenter ces éléments dans les

  4   délais requis.

  5   Permettez-moi d'ajouter ceci, j'en suis désolé, mais nous n'avons pas

  6   reçu la décision de la Chambre, règle sur l'article 115, en tout cas hier

  7   je ne l'avais pas reçue sur mon portable. Nous sommes ici en train de

  8   plaider alors que nous ne connaissons pas la teneur de la décision portant

  9   sur la requête en application de l'article 115. Je comprends qu'il y a

 10   certaines restrictions énoncées par la Chambre pour ce qui est du caractère

 11   public de la discussion. Nous respecterons ces restrictions. Ceci étant

 12   dit, et sans ici faire porter le blâme à qui ce soit, la faute en est à la

 13   technologie. Mais –-

 14   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre.

 15   Vous dites que vous n'avez pas reçu la décision relative à la requête en

 16   application de l'article 115. Normalement, vous auriez dû la recevoir.

 17   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Ça a été envoyé sur mon

 18   Blackberry à 19 heures à peu près, hier soir.

 19   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Peut-être que c'est à ce moment-

 20   là qu'elle a été signée.

 21   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Mais nous n'avons pas pu

 22   consulter cette décision.

 23   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Est-ce que nous en avons une copie ? Je

 24   pense qu'il faut vraiment la remettre aussitôt aux parties.

 25   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci beaucoup. Nous allons en prendre

 26   connaissance pendant la pause.

 27   Autre document que nous n'avons pas non plus reçu - et je n'en impute la

 28   faute à personne - c'est que l'Accusation nous a dit qu'en l'espace de 48


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  1   heures après cet argument, elle allait nous donner une liste d'éléments qui

  2   répondaient à l'ordonnance de la Chambre sur la question du lien. C'est un

  3   document que je n'ai jamais reçu. Il était à peu près 21 heures 30 quand

  4   j'ai reçu sur mon Blackberry une liste révisée, pas la liste initiale, mais

  5   je ne voudrais pas que ceci empiète sur l'argument que je présente ici. Je

  6   voulais simplement répéter ceci sans accepter les conclusions mentionnées,

  7   notamment les éléments repris par notre client aux fins du présent appel.

  8   Même si tout ce qui avait été constaté par la Chambre est correct, si

  9   chacun des faits est retenu, nous estimons que ces faits ne donnent pas

 10   lieu à une entreprise criminelle commune ni à une responsabilité en vertu

 11   de celle-ci. Je prends la responsabilité ici pour ce qui est des

 12   constatations même si nous continuons de les contester aux fins de la

 13   requête déposée en vertu de l'article 115.

 14   Une chose est importante, à savoir les constatations et les conclusions de

 15   la Chambre comprennent une constatation qui dit que M. Krajisnik n'était

 16   pas le principal auteur, à savoir qu'il n'a commis aucun des crimes qui

 17   sont énumérés dans le Statut, à l'article 7(1) de ce Statut.

 18   Autre chose importante, à savoir la Chambre a conclu à la page 402, que

 19   s'agissant du contrôle effectif, les éléments de preuve ne prouvent pas que

 20   M. Krajisnik avait le contrôle effectif de ces instances. Je parle là du

 21   gouvernement municipal des forces qui ont participé à ces crimes qui sont

 22   énumérés dans l'acte d'accusation.

 23   Une conclusion de la Chambre serait une constatation qu'on trouve au

 24   paragraphe 20 [comme interprété], s'agissant de la contribution de M.

 25   Krajisnik, s'agissant de savoir si la participation globale de M. Krajisnik

 26   à l'entreprise criminelle commune visait à établir le Parti SDS et les

 27   structures de l'Etat qui ont contribué fortement à la perpétration des

 28   crimes et qu'il a aussi déployé ses compétences politiques et autres pour


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  1   permettre la réalisation de l'entreprise criminelle commune et de ses

  2   objectifs.

  3   Il est très important, comme mon frère l'a déjà dit, de se rendre

  4   compte que la clarté est absolument absente de toute cette affaire. Le

  5   premier principe sur lequel repose la responsabilité au titre de

  6   l'entreprise criminelle commune doit être définie précisément comme doit

  7   l'être également la première catégorie d'entreprise criminelle commune. Le

  8   Procureur cite un certain nombre de paragraphes qui relèvent de la

  9   catégorie numéro 3. Nous avons lu ces paragraphes. Et dans ces paragraphes,

 10   nous n'avons trouvé aucune possibilité de conclure clairement quant à ce

 11   qui avait permis de parler de responsabilité au titre de la catégorie 3

 12   d'entreprise criminelle commune dans les actes examinés.

 13   Le principe le plus important qui manque en l'espèce, à notre avis,

 14   c'est un principe qui est lié à l'acte matériel, l'actus reus. Avant de

 15   parler de l'intention délictueuse, nous contestons avec tout le respect que

 16   nous lui devons, le travail de l'Accusation et nous lui demandons de nous

 17   dire quels sont les actes qui ont été et qui auraient été commis par

 18   l'appelant en l'espèce.

 19   Car nous pensons qu'il faut qu'une distinction importante soit

 20   établie ici. Ce que M. Krajisnik a fait personnellement constitue

 21   l'ensemble des actes qui peuvent lui être reprochés et il importe de

 22   distinguer les actes des intentions dans toute cette affaire.

 23   Nous savons, parce que l'acte d'accusation le stipule et que

 24   l'Accusation le dit, qu'il n'a pas commis de crimes de guerre. Ceci

 25   pourrait être un acte pris en compte, la commission d'un crime de guerre.

 26   Nous savons qu'il n'est pas accusé d'avoir commis un crime de droit commun.

 27   Il ne s'est pas lancé dans quelque pillage ou cambriolage ou viol ou

 28   assassinat que ce soit.


Page 208

  1   Nous savons qu'il n'est pas mis en accusation pour un comportement

  2   neutre, par exemple, le fait de mener une guerre légale.

  3   Ce dont il est accusé est particulièrement caractéristique. Il est

  4   accusé d'avoir prononcé des discours politiques et d'avoir agi

  5   politiquement. C'est le premier élément qui a été porté à notre

  6   connaissance, donc nous savons que cet homme sur le plan humain a des

  7   droits qui sont destinés à le protéger. Il a également des droits

  8   constitutionnels.

  9   Et je pense que mon frère a déjà dit, de façon excellente, que M.

 10   Krajisnik n'aurait pas pu être empêché de prononcer les discours qu'il a

 11   prononcés, que ce sont ces discours qui sont au cœur de la responsabilité

 12   criminelle qui lui est imputée, des discours qui, dit-on, auraient

 13   constitué des violations des normes du droit international. Mais ce qu'il a

 14   fait, c'est simplement parler. Ce qu'il a fait, selon l'acte d'accusation

 15   et nous le contestons, ce serait d'avoir aidé à la création d'un parti

 16   politique. Bien sûr, la présente Chambre a reconnu qu'aux termes du Statut,

 17   créer un parti politique ne peut pas constituer un crime, pas plus que

 18   celui d'être membre d'un parti politique ou d'une organisation politique.

 19   Ceci ne peut pas être mis en parallèle avec la participation à une

 20   organisation criminelle. Donc cela ne peut être la base d'un jugement rendu

 21   au titre d'une forme de responsabilité potentielle visée au Statut de ce

 22   Tribunal. Le Statut de ce Tribunal ne va pas dans ce sens. Il ne fait pas

 23   ce qu'ont fait les procès de Nuremberg, à savoir créer une forme de

 24   responsabilité imputable aux membres du parti nazi, membres de la Gestapo,

 25   et cetera, et cetera. Donc l'appartenance au SDS ne peut pas être la base

 26   d'un jugement au titre d'une responsabilité à cet égard.

 27   Mais quand on parle de discours politique, la Chambre le dit très

 28   clairement également, le cœur, l'ensemble des actes matériels ne peut pas


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  1   être pris en compte sur la base de discours politiques ou du fait d'avoir

  2   déployé des talents politiques dans le cadre d'une action politique.

  3   L'action politique, très manifestement, est une action protégée et le fait

  4   de participer à des négociations, où on défend un certain nombre de

  5   positions, même très fermement, comme cela a pu avoir lieu durant la crise

  6   qui a opposé l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh durant la crise de Chypre

  7   ou durant différents conflits en Afrique ainsi que durant le conflit

  8   israélo- palestinien, on trouve des déclarations qui auraient pu

  9   éventuellement être prises en compte comme base de crimes mais qui ne l'ont

 10   pas été.

 11   Je dois répéter encore une fois ici que l'appelant n'est pas accusé

 12   d'avoir personnellement commis un quelconque acte criminel évoqué à

 13   l'article 7(1) du Statut. Il n'est pas accusé d'avoir planifié quoi que ce

 14   soit. Il n'est pas accusé d'avoir encouragé à quoi que ce soit; il n'est

 15   pas accusé d'avoir donné des ordres; il n'est pas accusé d'avoir commis un

 16   acte criminel quelconque sauf par le truchement de cette entreprise

 17   criminelle commune. La Chambre déclare que la contribution de l'appelant

 18   doit être substantielle dans le cadre de l'application de la jurisprudence

 19   de ce Tribunal. Encore une fois, nous pensons qu'il y a eu erreur qui a

 20   permis à la responsabilité au titre de l'entreprise criminelle commune

 21   d'être prise en compte en l'absence de contribution substantielle de

 22   l'appelant et qu'il importe de souligner que l'apport de l'appelant doit

 23   être significatif pour être pris en compte. 

 24   Alors le point crucial c'est que le jugement ressemble beaucoup à un

 25   jugement quantitatif, à savoir qu'il y avait assez de quelque chose. Un

 26   discours ne suffit peut-être pas, mais deux discours, trois discours

 27   peuvent suffire éventuellement. Il faut que ce soit significatif,

 28   substantiel. C'est également un mot qui fait penser à un apport


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  1   quantitatif. Ce que la Chambre n'a jamais discuté c'est la nature

  2   qualitative de l'action en question. Est-ce que la contribution peut être

  3   entièrement politique sous forme de discours politique ? Est-ce que la

  4   contribution peut être entièrement politique sous forme de négociations

  5   politiques ? Est-ce que la contribution peut être composée entièrement par

  6   un comportement protégé au terme du droit international ?

  7   La Chambre de première instance dans son verdict conclut

  8   implicitement que la réponse à cette question est apportée, mais nulle part

  9   dans le jugement on ne voit la Chambre de première instance discuter ou

 10   même envisager les implications de ce jugement, les implications du fait de

 11   faire d'un discours politique ou d'une action politique légale et légitime,

 12   le cœur même d'une série de crimes considérés comme une violation des

 13   droits de l'homme ou un crime de guerre.

 14   Par exemple, si l'on pense aux implications du jugement, est-ce que

 15   les juristes pourraient être concernés ? Est-ce que des avocats qui

 16   apportent un service juridique à M. Krajisnik pendant son procès ou des

 17   avocats qui l'aident à formuler un certain nombre d'arguments juridiques,

 18   est-ce qu'ils l'ont fait dans le but partagé par les autres membres de

 19   l'entreprise criminelle commune ? Est-ce que des avocats pourraient être

 20   considérés comme ayant apporté une contribution substantielle à cette

 21   entreprise ?

 22   M. LE JUGE POCAR : [aucune interprétation]

 23   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Encore toutes mes excuses au Tribunal.

 24   Je ne suis pas habitué à parler avec interprétation, je vais faire de mon

 25   mieux pour ralentir. Mais n'hésitez pas à me demander de ralentir, encore

 26   une fois, si je me reprends à parler trop vite.

 27   Il y a une affaire qui a été jugée récemment au Canada où on a laissé

 28   entendre que des juristes qui apportaient leur appui à un groupe déterminé,


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  1   groupe qui. Finalement. a été jugé comme incluant des terroristes, pourrait

  2   assumer un certain nombre de responsabilité.

  3   Il y a une affaire à New York où un avocat a été incarcéré pour le travail

  4   accompli par lui.

  5   Alors qu'en est-il aussi des financiers qui fournissent des fonds à

  6   certaines personnes ou des religieux qui apportent une aide à certaines

  7   personnes ? Qu'en est-il des militants qui apportent un appui politique à

  8   une organisation politique déterminée ?

  9   L'idée c'est qu'en l'absence d'un critère clair, ce genre d'action pourrait

 10   être considéré comme crime contre l'humanité, et ceci aurait un effet

 11   dissuasif, ceci aurait pour effet de geler sur place toute personne qui

 12   voudrait prononcer un discours politique légitime ou participer à une

 13   action politique légitime. Des gens dans ce genre de situation, dans la

 14   situation à laquelle les Serbes ont été confrontés après la déclaration

 15   d'indépendance, n'auraient pas pu donner lecture de cette décision et

 16   décider de ce qu'il convenait de faire. Quand on ne sait pas où se situe la

 17   ligne rouge, on fait preuve d'une très grande prudence et on se maintient

 18   bien en deçà de la ligne en question.

 19   Alors si le comportement est un comportement criminel ou si c'est un

 20   comportement neutre, il y a une différence. Le fait d'agir avec prudence ne

 21   peut pas être considéré comme répréhensible, si l'on  ne sait pas quelles

 22   sont ses obligations du point de vue fiscal, on va, Monsieur le Président,

 23   Madame, Messieurs les Juges, payer avec prudence certaines sommes de façon

 24   à attendre pour voir. Il n'y a pas de protection contre le vol ou le

 25   cambriolage. Mais quand on parle d'actions politiques, quand on parle de

 26   discours, quand on parle de négociations, quand on parle de constitution de

 27   formations politiques, la loi ne doit pas agir en tant qu'élément dissuasif

 28   vis-à-vis d'actions politiques légitimes. Et ce qui manque gravement dans


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  1   le jugement de la Chambre de première instance, c'est la moindre

  2   reconnaissance du fait que l'on se meut sur un terrain particulièrement

  3   dangereux. C'est le fait que l'on n'est pas en train de juger des gens qui

  4   s'assènent des coups les uns aux autres, où des gens qui se tirent les uns

  5   sur les autres, où des gens qui participent à des actes du genre de ceux

  6   qui ont été commis pendant l'Holocauste ou des actes comparables aux actes

  7   commis par les Japonais ou d'autres, à savoir des actes physiques, mais

  8   qu'on est en présence de discours et d'action politique. Il n'y a pas la

  9   moindre reconnaissance dans le jugement de la Chambre de première instance

 10   par rapport à cette différence. Il n'y a pas de reconnaissance du fait que

 11   dans un cas on est dans une situation et dans une autre situation, où les

 12   droits de l'homme peuvent être mis en cause, mais l'appelant avait le droit

 13   de prononcer des discours et d'agir politiquement. Tous les autres accusés

 14   étaient également en situation d'exercer des droits protégés et, en

 15   l'espèce, il y a opposition entre les deux concepts. C'est tout à fait

 16   clair, il faut résoudre cette opposition.

 17   La Chambre a décidé sans reconnaître l'existence de cette différence. Elle

 18   a rendu son jugement qui a des implications très importantes vis-à-vis du

 19   comportement politique de dirigeants politiques placés dans la même

 20   situation que notre client. Nous croyons que ceci est une absence de

 21   reconnaissance et de compréhension de la nature même d'un certain nombre de

 22   divergences. L'implication de ce jugement par rapport à des conflits passés

 23   peut également avoir des implications sur les jugements concernant des

 24   terroristes ou l'utilisation du terme "terrorisme" par un grand nombre de

 25   pays.

 26   Les groupes terroristes opèrent dans de nombreux pays, y compris

 27   celui où nous sommes aujourd'hui, y compris mon pays. Ils sont souvent

 28   soutenus par des réseaux très importants. Vous avez donc des cercles


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  1   concentriques qui se déplacent, les terroristes eux-mêmes constituent un

  2   cercle. Il y a ensuite les soutiens religieux et politiques dans mon pays.

  3   Pour ne parler que de celui-là, sur la base d'un texte criminel, une

  4   conspiration a été jugée, le principe RICO a été appliqué et une dizaine de

  5   mises en accusation au pénal ont été prononcées et remises en cause

  6   ensuite, parce que les actes d'accusation étaient trop larges, trop vastes.

  7   Est-ce qu'on peut mettre en accusation un professeur de l'Université

  8   de Floride qui a prononcé un discours à l'appui du terrorisme pour des

  9   activités de financement commanditées par des terroristes ? Est-ce qu'on

 10   peut également inclure au nombre des membres d'une entreprise criminelle

 11   commune des rabbins ou des prédicateurs, des imams, des pasteurs qui,

 12   éventuellement, partagent un objectif et parlent du point de vue religieux

 13   en exprimant leurs opinions, mais ne parlent pas des moyens qui

 14   permettraient d'aboutir à l'objectif poursuivi. Je ne veux pas dire

 15   uniquement que les seuls débats qui peuvent être cités à titre d'exemple

 16   sont les débats sur le terrorisme, dans mon pays on a également des prêtres

 17   qui s'expriment sur le sujet de l'avortement et des centres d'avortement et

 18   c'est un problème grave qui peut éventuellement mettre en cause une

 19   responsabilité.

 20   Pendant le conflit entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, il y a eu

 21   des questions importantes qui ont été posées, des questions très vastes qui

 22   mettaient en cause les formes diverses de responsabilité pénale.

 23   Je sais que nous en arrivons à l'heure de la pause, donc je voudrais

 24   simplement mettre un terme à mon exposé en en appelant instamment à la

 25   Chambre d'appel pour qu'elle tienne compte ce que j'ai dit, ce qu'a dit mon

 26   frère également au sujet du fait que l'Accusation, en l'absence de

 27   définitions précises des actes contestés, a imputé à M. Krajisnik des

 28   discours et des actes qui finalement sont de nature politique. Si la


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  1   Chambre d'appel devait passer en revue ces discours, le temps qui a été

  2   consacré à ces discours et la situation dans laquelle se trouve celui qui

  3   prononce un discours, elle ne manquera pas d'aboutir à un avis différent de

  4   celui qui a été celui de la Chambre de première instance après les

  5   présentations des arguments de l'Accusation à l'appui du jugement de la

  6   Chambre de première instance.

  7   Nous avons ici une possibilité très satisfaisante de nous exprimer devant

  8   le Pr Cassese et de faire appel à ses qualités de professeur ainsi que de

  9   lui rappeler les articles récents qui ont été publiés par des professeurs

 10   de Stanford et Vanderbilt, entre autres, où il est indiqué que sans revoir

 11   nécessairement de fond en comble la jurisprudence de l'entreprise

 12   criminelle commune, il faut néanmoins que des lignes claires soient

 13   définies. Vous avez nos rapports, vous avez nos écritures, vous savez où

 14   nous pensons que la ligne de démarcation doit se situer. Et la question a

 15   été évoquée à de nombreuses reprises devant d'autres instances.

 16   Il a été pratiquement admis que la responsabilité au titre de

 17   l'entreprise criminelle commune devait être définie selon un examen plus

 18   précis des actes matériels qui sont à la base de cette entreprise et

 19   permettent de la définir. Il y a des comportements qui sont protégés,

 20   d'autres qui ne le sont pas. Il faut établir la distinction entre les deux.

 21   Je vous remercie, Monsieur le Président, je pense que l'heure de la

 22   pause approche. 

 23   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Il est l'heure de

 24   faire la pause. Il y aura quelques questions après la pause éventuellement.

 25   Donc 15 minutes d'interruption, nous reprendrons à 10 heures 30.

 26   --- L'audience est suspendue à 10 heures 16.

 27   --- L'audience est reprise à 10 heures 36.

 28   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous allons donc reprendre notre


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  1   audience. D'après ce que j'ai compris, M. le Juge Meron souhaite poser une

  2   question à l'avocat de la Défense.

  3   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Il s'agit

  4   d'une question que je souhaite poser aux deux frères Dershowitz. Vous savez

  5   peut-être d'après l'affaire des médias et le fait que j'ai proposé une

  6   opinion dissidente à l'argument que vous faites valoir sur les déclarations

  7   politiques, je pense que l'Accusation parlera plus tard, mais j'ai des

  8   questions directes à vous poser, l'Accusation en traitera directement.

  9   Je souhaite pour l'instant évoquer une question technique avec vous à

 10   propos de l'entreprise criminelle commune. Vous pourriez simplement pour

 11   les besoins de l'argumentation, à supposer qu'il y avait une entreprise

 12   criminelle commune et deuxièmement, que M. Krajisnik était un membre de

 13   cette entreprise criminelle commune, comme vous le savez, la Chambre

 14   d'appel, dans l'affaire Brdjanin, dans l'arrêt Brdjanin énonce les liens

 15   qui doivent être établis entre des crimes commis par des personnes qui ne

 16   sont pas membres de l'entreprise criminelle commune et les membres, en

 17   réalité, de l'entreprise criminelle commune.

 18   Dans quelle mesure arguez-vous du fait que ces liens n'ont pas été établis,

 19   et si ces liens n'ont pas été établis, alors quelles parties du jugement de

 20   la Chambre de première instance seraient annulées de ce fait ?

 21   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci. Je souhaite m'en remettre à mon

 22   frère qui est mieux à même de répondre à cette question étant donné qu'il

 23   est allé à la faculté de droit de New York.

 24   M. LE JUGE MERON : [interprétation] C'est un bon début.

 25   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] L'élément essentiel a trait à la façon

 26   dont les choses ont évolué. Il est impossible au Procureur aujourd'hui, ou

 27   en tout cas inconvenant à l'Accusation aujourd'hui de demander à revoir le

 28   compte rendu d'audience a posteriori pour justifier ce lien. Ce qui est


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  1   essentiel d'après la décision qui a été prise dans l'affaire Brdjanin,

  2   c'est qu'il faut commencer, lorsqu'on commence une analyse, par une

  3   indication des membres de l'entreprise criminelle commune. Ensuite, il faut

  4   reconnaître, étant donné qu'il s'agit de la question de liens, il faut

  5   savoir quels sont ceux qui ne sont pas membres. Ensuite, il faut clairement

  6   reconnaître les membres de l'entreprise criminelle commune et ensuite, ce

  7   qu'il faut faire, c'est démontrer le lien direct qui existe avec les

  8   actions qui ont été menées. Ceci devrait constituer le chef d'accusation de

  9   façon à ce qu'on puisse se défendre contre ce chef d'accusation.

 10   Ce qui a été fait dans le cas en espèce, c'est impossible à défendre, parce

 11   que la description est tellement vague des membres de l'entreprise

 12   criminelle commune et cette question reste ouverte. Ensuite, ils rajoutent

 13   des membres de l'entreprise criminelle commune en tenant compte des

 14   activités qui se sont déroulées et ensuite ils tentent d'établir ce lien.

 15   C'est tout à fait la position inverse par rapport à ce qui s'est passé dans

 16   l'affaire Brdjanin lorsqu'on parle de véritables auteurs, parce que par

 17   définition, ce que l'on fait quasiment, c'est de dire qu'un acte s'est

 18   produit, qui est un crime de guerre, quelle que soit la personne qui ait

 19   suggéré cet acte a dû être un membre de l'entreprise criminelle commune.

 20   Ensuite, vous refaites le lien par la suite avec l'entreprise criminelle

 21   commune d'origine et ceci est un procédé qui fonctionne à l'envers, ceci

 22   n'est pas approprié. Dans le cas qui nous intéresse, encore une fois, la

 23   décision rendue par la Chambre est quelque peu incohérente et ne concorde

 24   pas avec les avis proposés par différents juges de ce Tribunal et les

 25   positions adoptées par le Procureur et ceci concorde peu avec ces avis-là.

 26   Mais la façon dont c'est décrit dans la décision, il est important qu'il y

 27   ait un accord de participation à l'entreprise criminelle commune, que les

 28   personnes soient membres avant que tout acte ne se produise. Donc la date


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  1   qui nous intéresse aujourd'hui doit précéder le mois d'avril de l'année

  2   1992. Il est très important que les Procureurs puissent démontrer la mise

  3   en place de l'entreprise criminelle commune avant l'année 1992.

  4   Peut-être qu'on peut établir le lien par la suite et à ce moment-là, il

  5   faut démontrer quelque chose pour permettre d'établir ce lien, mais

  6   d'utiliser la date d'avril 1992 comme étant la date à laquelle cet accord a

  7   été convenu en vue de commettre des crimes de guerre. Il faut établir un

  8   lien avec ce qui cite le statut, il doit y avoir une entreprise criminelle

  9   commune en vue de commettre les crimes inscrits dans le statut, ceci aurait

 10   dû arriver au mois d'avril 1992.

 11   Donc pour répondre à votre question directement, je crois que c'est trop

 12   tard pour le Procureur de faire cela. Si vous suivez la logique et la

 13   progression telles que les choses ont évolué plutôt que d'avoir une

 14   évolution logique, le Procureur est maintenant allé bien au-delà et essaie

 15   de revenir en arrière pour justifier cela, ce qui est une façon évidemment

 16   inappropriée lorsqu'il s'agit d'un chef d'inculpation criminelle.

 17   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie de votre réponse,

 18   Maître Dershowitz, mais ma question était surtout centrée sur ceci, à

 19   savoir si la Chambre de première instance d'après vous, a constaté que des

 20   liens avaient été établis entre les crimes commis par des personnes qui

 21   n'étaient pas membres de l'entreprise criminelle commune et par des membres

 22   de l'entreprise criminelle commune.

 23   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Ecoutez, je suggère qu'il n'y avait pas

 24   de lien. Deux paragraphes ont été rajoutés et ceux-ci ne sont pas

 25   appropriés, ils n'établissent toujours pas le lien, mais cette personne qui

 26   est censée maintenant être un membre de l'entreprise criminelle commune,

 27   ceci a été ajouté par la suite, a posteriori à cause de quelque chose qui

 28   s'est produit sans date, sans heure, sans jour, sans rien, ensuite cette


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  1   personne devient un membre de l'entreprise criminelle commune d'origine.

  2   Par opposition, il faudrait commencer par les membres d'entreprise

  3   criminelle commune, clairement préciser ce que ces personnes ont fait pour

  4   réaliser l'entreprise criminelle commune et ainsi établir le lien par la

  5   suite. Je crois que cela se retrouve au paragraphe 1 006 qui est

  6   particulièrement défectueux à cet égard.

  7   M. LE JUGE MERON : [interprétation] S'il n'y a pas eu de lien, si on n'a

  8   pas pu établir de lien, quelle est l'incidence sur l'ensemble du jugement ?

  9   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] A ce moment-là, je crois qu'il faut

 10   tout rejeter, parce qu'à ce moment-là on concède qu'il n'a pas été auteur,

 11   n'a pas commis ces actes et dans ce cas, il n'y a pas de lien. Et à ce

 12   moment-là, il faut absolument casser le jugement.

 13   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je ne souhaite pas insister, mais si

 14   vous regardez les paragraphes 299 et 300 de la Chambre de première

 15   instance, mentions sont faites de crimes qui ont été commis par des membres

 16   de l'entreprise criminelle commune.

 17   M. N. DERSHOWITZ : [interprétation] Encore une fois, Monsieur le Juge, il

 18   faudrait que je vérifie, Monsieur le Juge, pour voir si ces dispositions,

 19   ce qu'on vous a indiqué ce sont les défauts au niveau de l'acte

 20   d'accusation et je dois parler de ceux qui ne sont pas étayés. Ce que je

 21   devrais faire également c'est revenir en arrière pour voir si ces

 22   déclarations établissent un lien avec les crimes de guerre parce que

 23   souvent ils ne le sont pas.

 24   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Nous allons fournir une réponse par

 25   écrit aux Juges de la Chambre d'appel. Nous avons eu l'occasion de voir ce

 26   dont il s'agit. Je souhaite simplement ajouter quelque chose, une phrase à

 27   ce sujet.

 28   Il s'agit d'un cas unique. Il ne s'agit pas d'un cas qui a déjà été évoqué


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  1   par les Juges de la Chambre où vous avez une entreprise criminelle commune

  2   assez sûre, où vous avez les membres qui sont connus, ensuite, un étranger

  3   qui entre dans un camp de concentration qui tue des gens ou quelqu'un qui

  4   n'avait rien à voir et qui fait cela. Ici, ce que les Juges de la Chambre

  5   ont fait - parce que l'objectif au sens politique de la séparation ethnique

  6   était tellement large et que ceci, malheureusement, prévaut dans le reste

  7   du monde et dans l'acte d'accusation précise par d'autres moyens, et moyens

  8   légaux, toute personne d'origine ethnique serbe qui vivait dans la région

  9   pourrait être considérée comme un membre de l'entreprise criminelle

 10   commune. Surtout s'ils ont pris part ensuite à certains de ces crimes -

 11   donc les Juges de la Chambre ont simplement mis de côté cette question et

 12   n'ont pas tenu compte de savoir quel est le rôle joué par quelqu'un qui

 13   n'est pas membre de l'entreprise criminelle commune et n'ont pas tenu

 14   compte du lien entre ceci et l'appelant. Et l'appelant aurait dû être tenu

 15   au courant de ce qui s'était passé avant que l'acte ne soit commis.

 16   Bien sûr, dans ce cas, nous avons les conclusions de la Chambre qui déclare

 17   qu'il n'occupait pas une position d'autorité et qu'il n'aurait pas pu

 18   l'empêcher. Donc il y a des contradictions ici parce qu'on le tient pour

 19   responsable pour n'avoir pas agi, pour n'avoir pas enquêté, pour n'avoir

 20   pas poursuivi, mais ils constatent également qu'il ne disposait pas des

 21   pouvoirs nécessaires. Alors que les éléments de preuve sont clairs, M.

 22   Krajisnik n'aurait pas pu enquêter, n'aurait pas pu poursuivre seul. Nous

 23   n'avons aucun élément de preuve sur ses avis, ses opinions, sur savoir s'il

 24   fallait poursuivre ces personnes ou non.

 25   Je souhaite simplement demander si quelqu'un d'autre peut-être souhaite

 26   poser des questions. N'hésitez pas à m'interrompre.

 27   Je souhaite consacrer le reste de mon temps à ceci, à tenir compte de

 28   comment ceci a une incidence sur l'examen en appel, comment les Juges de la


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  1   Chambre d'appel devraient analyser le jugement rendu compte tenu du fait

  2   que nous parlons de discours politiques et d'activités politiques.

  3   La Chambre de première instance a indiqué au paragraphe 1 196 du critère

  4   retenu pour faire des déductions, ceci doit relever davantage des

  5   circonstances et doit être la seule déduction raisonnable qui est un

  6   critère assez difficile. Malheureusement, la Chambre de première instance

  7   n'a pas appliqué ce critère, son propre critère lorsqu'il s'agissait

  8   d'évaluer les discours politiques. Peut-être qu'ils ont appliqué ce

  9   critère, je ne sais pas, ceci n'est pas mon rôle ici lorsque nous parlons

 10   de savoir si les témoins, comme ils l'ont dit, manquaient de spécificité et

 11   ne pouvaient pas reconnaître l'identité des auteurs. Il s'agit de questions

 12   purement factuelles de savoir qui était qui et qui était où et à quel

 13   moment. Et lorsqu'il s'agissait d'interpréter les discours politiques, je

 14   suis sûr que lorsque cette Chambre d'appel va analyser les évaluations

 15   faites par la Chambre de première instance, ils constateront que toutes les

 16   déductions ont été faites à l'envers contre l'appelant et ses discours

 17   politiques.

 18   Chaque fois que ses discours politiques pouvaient être interprétés de deux

 19   façons, en disant qu'il souhaitait obtenir une position avantageuse lors

 20   des négociations lorsqu'il s'agissait de commettre un crime, à ce moment-

 21   là, la Chambre adopterait toujours la déduction, en général, qui est

 22   toujours contraire à l'accusé.

 23   Lorsqu'à un moment donné ils disent qu'ils ont qualifié une de ses

 24   déclarations comme étant un appel aux armes, l'accusé a appelé aux armes,

 25   au paragraphe 925, à la séance de l'assemblée du mois de mars 1992, mars

 26   18. Lorsque vous placez ceci dans ce contexte et que vous tenez compte des

 27   éléments de preuve qui se rattachent, il ne s'agit absolument pas d'un

 28   appel aux armes. C'est bien le contraire. Il s'agit de déposer les armes.


Page 221

  1   Il s'agit de résoudre le conflit, bien le contraire.

  2   La même chose vaut pour les autres discours politiques. Bon nombre d'entre

  3   nous trouverons évidemment que c'est gênant si on regarde en fait le fond,

  4   une déclaration qui n'a pas été faite par lui mais par quelqu'un d'autre,

  5   que les Musulmans avec leur taux de natalité vont étouffer nos territoires.

  6   Enfin, l'accusé, qu'il n'a pas relevé cette remarque. Il a omis en fait de

  7   corriger cette remarque. Puisqu'il était porte-parole, il devait être

  8   courtois et poli.

  9   Assumez [comme interprété] qu'il s'agit d'un scénario un peu plus

 10   difficile. A supposer [comme interprété] que l'accusé dise qu'il faut se

 11   préoccuper du taux de natalité des Musulmans dans notre communauté, par

 12   exemple, des Juifs, ou le taux de natalité des Catholiques ou de toute

 13   autre personne. Je crois que si on lit les journaux, cela figure dans tous

 14   les journaux, et si on tient compte de ce qu'a dit l'accusé dans le

 15   contexte à l'époque et du rôle qu'il jouait, je crois, qu'il faut

 16   l'interpréter de la façon suivante: les déductions qui peuvent être faites,

 17   s'il faut conclure que c'est la seule déduction possible, si on applique le

 18   propre critère de la Chambre, si on dit qu'il s'agit de la seule déduction

 19   possible, on ne peut pas en conclure que la seule déduction possible est

 20   une déduction criminelle.

 21   Moi, je pense – et je fais mon exposé devant cette Chambre parce que

 22   j'ai lu toutes les déclarations – que la déduction la plus raisonnable est

 23   celle d'un discours politique et n'est pas d'un discours qui incite à la

 24   violence. Mais moi, je ne dois pas répondre à ce critère. C'est

 25   l'Accusation qui doit répondre à ce critère. Il n'y a pas de déduction

 26   raisonnable à cet égard, hormis une déduction criminelle qui peut être

 27   déduite de ces discours politiques. On ne peut pas agir ainsi surtout si on

 28   place ces discours politiques dans leur propre contexte. Si on lit chaque


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  1   paragraphe - bien évidemment, je ne vais pas le faire maintenant - et

  2   chaque paragraphe qui évoque ces discours politiques, il y a toujours

  3   différentes façons d'interpréter ces discours politiques.

  4   Nous savons tous que les hommes politiques et les dirigeants religieux

  5   peuvent parler de façon métaphorique, poétique. Ils sont tout à fait à même

  6   de présenter leurs idées d'une façon ou d'une autre. Mais on ne peut pas

  7   simplement poursuivre quelqu'un pour crimes de guerre en tenant compte de

  8   discours et de déclarations politiques qui peuvent être interprétés de

  9   différentes façons. Et nous pensons que le critère retenu en appel pour

 10   examiner les différents faits susmentionnés, je crois, ont été retenus pour

 11   étayer les arguments de l'Accusation. Mais ceci n'est pas le cas lorsqu'on

 12   parle de liberté d'expression et des critères retenus en appel. Ceci ne

 13   s'applique pas en fait à la Cour suprême américaine ni la chambre de lords

 14   en Grande-Bretagne. Je ne sais pas s'il existe un critère aux termes du

 15   droit international là-dessus. Nous n'avons rien trouvé. Mais quelles sont

 16   les règles en appel ? Quels doivent être les règles en appel lorsqu'on

 17   parle en fait de constatations factuelles de ce genre ? Mais il n'y a pas

 18   de précédent semble-t-il, ni dans un sens ni dans l'autre. Je crois qu'il

 19   faut tenir compte de toutes les déductions possibles et en faveur de

 20   l'accusé lorsqu'il s'agit d'activités politiques et de discours politiques

 21   de façon à ne pas simplement indiquer ou de geler les activités politiques,

 22   discours politiques dans ce cadre-là. Il est important en fait de trouver

 23   un équilibre lorsqu'il y a un conflit qui découle de discours politiques et

 24   lorsqu'on indique qu'il s'agit de violation des droits de l'homme.

 25   Je crois qu'il y a un élément qui est très important ici. C'est l'absence

 26   d'actus reus de l'élément matériel. Rien n'a été prouvé dans cette affaire.

 27   Mais pour ce qui est de l'élément moral, le mens rea, il a été suggéré que

 28   la connaissance ne suffit pas.


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  1   La connaissance suffit lorsqu'on parle d'activités militaires,

  2   actions militaires menées par l'accusé, à savoir qu'il savait qu'il y avait

  3   des civils dans certaines villes et qu'il a demandé à ce que celles-ci

  4   soient pilonnées. La connaissance suffit dans ce cas-là. Mais cela ne

  5   suffit pas pour le mens rea pour l'élément moral lorsqu'on applique ceci

  6   aux discours politiques. Cela signifierait que toute personnalité politique

  7   devrait garder le silence une fois qu'ils ou qu'elles savaient qu'elles

  8   faisaient des déclarations qui pourraient être mal interprétées pour

  9   signifier que ceci contribue ou favorise la valeur, ou pourrait être

 10   interprété après les faits. Cela ne suffit pas. Les hommes politiques

 11   doivent être encouragés à poursuivre leurs discours même s'ils savent que

 12   des crimes sont commis.

 13   M. Krajisnik, de façon très efficace, me semble-t-il, il y aura davantage

 14   de documents, je suis sûr, émanant du Dr Karadzic sur son manque de

 15   connaissance et le rôle précis qu'il a joué et le manque de pouvoir dont il

 16   disposait. Mais à supposer dans le pire des cas simplement pour l'examen en

 17   appel, à supposer qu'il était au courant du pilonnage, qu'il était au

 18   courant de ces activités, qu'il en réalité n'était pas au courant, est-ce

 19   que cela signifie pour autant qu'il devait s'arrêter de parler ? Tel était

 20   son objectif, oui, parce que sur le terrain il devait prendre position au

 21   plan juridique qui l'aiderait à négocier. Et toute négociation, tout

 22   négociateur fait cela. A chaque fois qu'il y a des accords de cessez-le-

 23   feu, chaque camp souhaite améliorer sa position sur le terrain pour leur

 24   donner un levier lors des négociations. Je crois que tout ce que M.

 25   Krajisnik a dit, même dans la période la plus difficile, la pire, tout ceci

 26   doit être placé dans le contexte du rôle qu'il a joué en tant que

 27   négociateur, le rôle qu'il a joué en tant que personne qui souhaitait faire

 28   avancer une résolution pacifique. Oui, c'est vrai, il avait prévu qu'il y


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  1   aurait la guerre. Il avait prévu que la guerre aurait des conséquences

  2   épouvantables. Oui. Tout ceci a été placé dans le contexte où il souhaitait

  3   faire éviter la guerre. Il est vrai qu'il a rappelé à tout un chacun et aux

  4   Serbes de ce qui était arrivé pendant la Deuxième guerre mondiale, lorsque

  5   les centaines de milliers de Serbes ont été tués lorsqu'ils étaient

  6   vulnérables et étaient livrés aux mains des excès des Nazis et les

  7   collaborateurs qui se trouvaient être leur ennemi, ce, dans la communauté

  8   croate et musulmane. Mais c'est vrai, il a dit la vérité, une vérité qui

  9   n'est pas toujours agréable à dire. Il est vrai que d'aucuns considéraient

 10   qu'il s'agirait à ce moment-là un encouragement à agir. Mais le critère

 11   très technique que constitue l'incitation à ce moment-là, quand bien même

 12   ceci aurait été réalisé, on ne peut pas l'accuser d'entreprise criminelle

 13   commune même s'il avait été au Rwanda, par exemple.

 14   Quelqu'un prend la parole à la radio et parle des endroits où vivaient les

 15   victimes et pourquoi ces victimes devaient être tuées, et à ce moment-là il

 16   s'agit d'incitation. Il ne s'agit pas de discours politique protégé. Ce qui

 17   a été fait pendant la Deuxième Guerre mondiale, par exemple, le tribunal de

 18   Nuremberg, il n'y avait pas de discours protégé. Mais l'Accusation

 19   reconnaîtrait, je suis sûr, que chacun de ces discours politiques, chaque

 20   mot prononcé ferait partie d'un discours protégé. Il n'y a pas un seul

 21   discours politique qui a été fait et qui pourrait être constitutif de crime

 22   et qui pourrait être qualifié d'incitation.

 23   Et lorsqu'on fait face à une situation où il y a une –- nous sommes

 24   confrontés à un discours politique, comme l'ont dit les Juges de la

 25   Chambre, lorsqu'il s'agissait de mettre en place les structures de

 26   gouvernement du SDS et faire valoir ses qualifications ou ses qualités

 27   politiques, même si on estime que la fin des moyens n'est pas justifiée,

 28   l'actus reus, si on en tient compte comme il se doit, l'élément matériel


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  1   n'est pas criminel. Il y a trois catégories, je suis très clair. Il y a

  2   crimes de guerre, crimes de droit commun et le comportement neutre et

  3   comportement protégé. Dans ce cas nous parlons de comportement protégé, de

  4   discours politique protégé, de discours qui ne pourrait pas être interdit

  5   par une nation et qui devait répondre à ses obligations, puisqu'il

  6   s'agissait de défendre la liberté de parole. Et les critères retenus ici

  7   doivent être différents. Le critère du mens rea d'élément moral et matériel

  8   doit être différent ici. La complicité dans l'entreprise criminelle

  9   commune, ceci doit constituer des critères différents.

 10   A la lecture de cet acte d'accusation et de ce jugement, ceci est tout à

 11   fait conforme. Il est vrai, M. Krajisnik pensait qu'il fallait séparer. De

 12   façon hypothétique, nous ne le concédons, il pensait que le transfert de

 13   population serait peut-être souhaitable, étant donné qu'il y a eu un

 14   transfert de population comme après la Deuxième Guerre mondiale, et dans

 15   d'autres cas, au Bangladesh il y a eu des transferts de population, des

 16   transferts de population en Israël, Palestine, et cetera, était quelque

 17   chose de souhaitable. Quand bien même on admet cela, cela en soit ne crée

 18   pas l'objectif qui fait partie de l'entreprise criminelle commune et les

 19   moyens, les moyens qui ont clairement été reconnus.

 20   Ici il s'agissait de moyens sous la forme de discorde politique. Et

 21   si l'objectif est politique, si les moyens étaient politiques, à ce moment-

 22   là nous nous trouvons dans une situation comme cela a été le cas aux Etats-

 23   Unis, en fait, le cas le plus célèbre de complot contre le Dr Spock qui

 24   était un pédiatre mondialement connu, qui s'est opposé à la guerre du

 25   Vietnam. Moi, j'ai eu l'honneur de défendre l'accusé, et il y avait six

 26   groupes de personnes qui se sont opposés à la guerre au Vietnam. Ils ont

 27   tous présenté de façon différente. Ils avaient tous un objectif commun. Ce

 28   qu'ils voulaient c'était faire cesser la guerre. Dr Spock, sous la forme


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  1   d'une résistance pacifique, parfois un comportement criminel, puisqu'il

  2   bloquait l'entrée au centre où les gens étaient mobilisés. En fait, il se

  3   jetait par terre et acceptait d'être arrêté.

  4   D'autres membres de la conspiration voyaient ça de façon différente.

  5   Il fallait faire cesser la guerre au Vietnam. C'était parfois plus violent.

  6   Cela prenait parfois des formes illicites.

  7   Mais sur le terrain, et ce que la Chambre de première instance, à ce

  8   moment-là n'avait pas fait, bien, il n'avait pas exigé qu'il y ait un

  9   objectif commun par rapport à cette question-là, mais que chaque accusé

 10   devait adhérer personnellement ou accepter des moyens qui étaient

 11   contraires à la constitution et n'était pas protégé par la constitution, et

 12   deuxièmement était illicite en tant que tel. Ils ont utilisé ce terme de

 13   conspiration bifurquée, lorsqu'il y a deux moyens d'y parvenir de façon

 14   légale et illégale, en fait. Et l'Accusation et l'acte d'accusation et la

 15   Chambre de première instance doivent justement exiger cela. C'est un jury,

 16   les Juges en l'espèce qui doivent mettre le doigt sur cet élément-là en

 17   particulier, que l'accusé a opté pour des moyens illicites et a participé

 18   de façon personnelle à des actes qui ne sont pas légaux, ce qui n'est pas

 19   le critère retenu pour le complot aux Etats-Unis. 

 20   Pas aux Etats-Unis, et c'est uniquement un critère en matière de

 21   complot, lorsque pour complot il y a aussi des discours protégés, des

 22   activités qui, aux Etats-Unis, relèvent du 1er Amendement à la constitution.

 23   Dans de tels cas on a d'autres règles de droit, notamment en appel,

 24   l'interprétation en appel, qui doivent s'appliquer. Et nous demandons

 25   respectueusement à la présente Chambre tout d'abord ceci, nous

 26   n'abandonnons pas ce que nous avons dit de l'applicabilité du principe de

 27   l'entreprise criminelle commune et que ce n'est pas prévu par le Statut,

 28   mais nous demandons aussi à la Chambre de saisir l'occasion que lui donne


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  1   le présent appel pour créer des règles, des délimitations précises, bien

  2   délimitées, de façon à ce que quelqu'un qui lira cet arrêt sache exactement

  3   le discours qui lui est permis, celui qui ne lui est pas permis, quand il

  4   est permis de faire ce discours, dans quel contexte un discours devient un

  5   crime ou une infraction, quels sont les contextes dans lesquels les

  6   décisions politiques deviennent des infractions. Ce genre d'instruction en

  7   appel serait vraiment utile. Nous sommes convaincus que le discours et

  8   l'activité politique seraient à ce moment-là plus restreints.

  9   Mais si on désapprouve les discours faits ici et quand on voit le

 10   contexte, le choc sera moindre même si on désapprouve ceci. La liberté

 11   c'est la liberté pour ceux avec qui on n'est pas d'accord. C'est la liberté

 12   pour ceux-là de faire des discours que nous, nous ne ferions pas. La

 13   liberté qu'ont les autres de former des partis politiques que nous, nous

 14   n'approuvons pas, la liberté qu'ont ceux qui prônent des solutions

 15   politiques que nous, nous n'accepterions pas.

 16   Il y a dans cette décision un paragraphe qui démontre de façon

 17   éclatante la nature politique où on parle de l'obligation qu'a Krajisnik

 18   envers tous les citoyens du pays dans lequel il a vécu et qu'il n'a pas

 19   rempli les obligations qu'il avait à l'égard de tous les citoyens. Mais

 20   pour moi, c'est plutôt un argument qu'on veut présenter pour destituer un

 21   président. Mais ce n'est pas le fondement sur lequel on peut se fonder pour

 22   accuser quelqu'un du crime le plus grave dans le monde, à savoir des

 23   violations des droits de l'homme, assassinat, alors que c'est une

 24   personnalité politique qui a le droit d'exercer son droit à la liberté de

 25   parole d'une façon sur laquelle nous ne sommes pas tout à fait d'accord,

 26   pas nécessairement.

 27   Merci.

 28   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen,


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  1   vous avez une question ? Vous avez la parole.

  2   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : Maître Dershowitz, les arguments que vous

  3   avez présentés, vous et votre frère, me sont très utiles.

  4   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci.

  5   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : Et je vous félicite tous deux. Il y a encore

  6   quelque chose qui n'est pas clair dans mon esprit. Ce sont les paramètres

  7   précis que vous utilisez pour faire valoir le droit qu'à un homme politique

  8   de faire des discours. Je pense que d'une certaine façon vous reconnaissez

  9   qu'il y a des hommes politiques qui peuvent dire une chose alors qu'ils

 10   savent pertinemment que ceux qui les écoutent vont comprendre autre chose

 11   que ce que l'orateur a dit. Je comprends parfaitement ce que vous nous avez

 12   dit à propos de la nécessité de protéger le droit que constitue la liberté

 13   de parole. Cependant, est-ce qu'à un moment donné un tribunal a le droit de

 14   dire ceci: Ecoutez, ici l'appelant a prononcé des discours et nous allons

 15   soupeser le poids à leur donner pour voir si ces discours ont été compris

 16   par les auditeurs. Est-ce ça pose problème ?

 17   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci de cette question très

 18   pertinente, aussi pertinente que difficile. Oui, effectivement je

 19   répondrais par l'affirmative. Mais il faut d'abord deux critères. Tout

 20   d'abord, il faut que l'accusé ait été mis en accusation pour avoir prononcé

 21   discours. Il faut donc qu'il y ait un acte d'accusation fondé sur les

 22   discours eux-mêmes, incitation, comme ça s'est fait pour le TPIR, pour

 23   Streicher dans le procès de Nuremberg.

 24   Il faut aussi que la charge de la preuve revienne à l'Accusation, pas

 25   à la Défense, et l'Accusation doit délimiter les paramètres, et c'est

 26   d'ailleurs le Statut qui doit énoncer ce qu'est une incitation.

 27   Il y a une doctrine américaine mais [comme interprété] internationale

 28   qui est très claire. C'est la doctrine des mots codés. Nous savons


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  1   parfaitement ce que ça veut dire. Vous avez mis le droit sur la plaie, si

  2   j'ose dire. Si l'accusé, comme celui qui écoute son discours, savent qu'il

  3   y a des mots codés, un code qui est utilisé lorsqu'on utilise une certaine

  4   phrase que ce soit une phrase tirée de la bible, du Coran ou de la

  5   littérature, ou d'un discours politique, qui n'a qu'une seule compréhension

  6   ou interprétation possible, à savoir l'incitation à l'acte, à ce moment-là,

  7   effectivement, on peut condamner l'accusé.

  8   Mais ici la Chambre de première instance n'a pas tiré de telles

  9   conclusions, nulle part elle n'a laissé entendre que M. Krajisnik avait

 10   l'intention ou visait à ce que son discours ou certains termes de son

 11   discours soient ainsi compris. Par exemple, "l'appel aux armes," ou il "a

 12   mis le train en marche." Ça c'est plutôt une culpabilité par métaphore. Et

 13   quand on parle de cette liberté de parole en raison même de ces nuances,

 14   comme vous l'avez si bien dit, c'est une des questions les plus ardues qui

 15   se soient jamais posées en droit, ou faire la différence ou démarquer la

 16   liberté de parole et l'abus qu'on peut faire de certains concepts par la

 17   parole, pour qu'on déclenche, pour que certains messages soient ainsi

 18   véhiculés.

 19   Nous savons qu'on ne va pas effectivement par la liberté de parole,

 20   on ne va pas dire un kapo de la mafia qu'il a le droit d'inciter un de ses

 21   hommes à commettre un crime

 22   . Le roi Henri VIII [comme interprété] a dit, "Est-ce que personne ne

 23   va pas me débarrasser de ce traître qui se mêle de

 24   tout ?"  Non, effectivement, là et ce n'est un discours protégé, mais

 25   l'idée de mettre en accusation quelqu'un pour entreprise criminelle commune

 26   sans préciser l'élément moral, l'élément matériel. Tout en utilisant ces

 27   discours et la pire interprétation qu'on peut en faire, pour en faire un

 28   conglomérat, un amalgame pour trouver un argument basé sur l'ensemble des


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  1   circonstances, ceci compromet sérieusement la liberté de parole.

  2   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Puisque vous êtes en train

  3   d'intervenir, je voudrais vous importuner par une autre question qui sera

  4   brève. Vous avez utilement présenté la thèse de l'entreprise criminelle

  5   commune, je m'intéresse surtout au paragraphe 30 de votre mémoire dans

  6   lequel vous évoquez plusieurs affaires et vous y citez un juge de ce

  7   Tribunal que j'aurais la courtoisie de ne pas citer ici.

  8   Je reviens à la dernière phrase de ce paragraphe qui dit ceci : "Il se peut

  9   que ce soit la politique qui ait dicté ce résultat ou en tout cas, un

 10   résultat, un verdict dans une affaire et un verdict différent ailleurs." Ce

 11   qui m'intéresse, c'est l'utilisation que vous faites du terme "peut-être",

 12   "perhaps" en anglais. Est-ce que l'appelant affirme ici dans cette phrase

 13   quelque chose ou est-ce qu'il émet une supposition quant à l'éventuelle

 14   réponse ?

 15   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Merci de me donner l'occasion

 16   d'apporter des précisions. Je viens de relire ce texte maintenant, et je la

 17   retire. Je pense qu'elle n'a pas lieu d'être. Ce que je voulais dire

 18   c'était assez différent et je l'ai mal dit. Ce que je voulais dire, c'est

 19   qu'il y a en puissance la résolution politique d'une affaire, et

 20   consciemment ou pas ce potentiel est plus grand lorsqu'on a des critères

 21   qui sont assez flous, comme on a ici à la théorie de l'entreprise

 22   criminelle commune, surtout lorsque nous avons des crimes aussi atroces que

 23   ceux qui ont été commis ici sur le terrain, le droit a toujours besoin de

 24   se protéger, de se prémunir de certaines possibilités, certaines théoriques

 25   selon lesquelles l'idéologie, la politique, la bonne foi, l'instinct

 26   humanitaire, l'humanité qu'on peut avoir peut intervenir pour que le Juge

 27   n'applique pas nécessairement, strictement le droit.

 28   Je ne voulais pas dire qu'un Juge précis se serait livré à ce genre de


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  1   chose, personnellement je vous présente mes excuses. Je retire cette phrase

  2   et je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'expliquer.

  3   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je vous remercie, Maître

  4   Dershowitz.

  5   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Avez-vous d'autres questions que les

  6   Juges veulent poser ? Ça ne semble pas être le cas.

  7   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Je vous remercie.

  8   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous pouvons dès lors passer à la

  9   réponse que va nous donner l'Accusation, et je donne la parole à

 10   l'Accusation.

 11   Mme GOY : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Nous

 12   allons ce matin nous concentrer sur des questions que vous avez posées dans

 13   l'ordonnance portant calendrier. Auparavant, cependant, je voudrais revenir

 14   rapidement à certains des points qui viennent d'être évoqués.

 15   Tout d'abord, il y a la différence qui est faite entre l'élément matériel

 16   des infractions retenues et la contribution que doivent apporter les

 17   membres de l'entreprise criminelle commune. La contribution en tant que

 18   telle ne doit pas forcément être criminelle tant qu'elle contribue à la

 19   perpétration des infractions des crimes, la responsabilité au pénal ne

 20   résulte pas simplement du seul examen de la contribution, mais il faut

 21   qu'il y ait un objectif commun avec d'autres membres de l'entreprise

 22   criminelle commune, il faut qu'il y ait partage de l'intention, et lorsque

 23   ces deux conditions sont remplies, il ne faut pas nécessairement que la

 24   contribution soit criminelle.

 25   La contribution de M. Krajisnik, en l'occurrence, ne s'est pas limitée à de

 26   simples discours politiques, nous avons parlé de l'étendue de sa

 27   contribution de façon détaillée dans la réponse au mémoire de l'Amicus

 28   Curiae, paragraphes 97 à 106, et dans notre réponse au mémoire de


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  1   Krajisnik, paragraphes 90 à 168.

  2   Pour ce qui est du niveau du degré de contribution, le fait que la Chambre

  3   Brdjanin a dit qu'il fallait que ce soit une contribution significative, il

  4   est certain que la contribution constatée par la Chambre de première

  5   instance l'est. La Chambre, par exemple, au paragraphe 1 158 parle du rôle

  6   joué par Krajisnik, rôle qu'elle a qualifié de crucial, au paragraphe 1

  7   119, elle parle de la position centrale qu'il occupait dans cette

  8   entreprise criminelle commune.

  9   L'autre question soulevée se demandait sous quelle forme Krajisnik avait

 10   été condamné. Nous avons dit dans notre mémoire que la responsabilité

 11   résulte surtout de la première forme de l'entreprise criminelle commune

 12   sauf pour les références faites en dehors des transports forcés et

 13   déportation, mais nous allons revenir à cette question cet après-midi, si

 14   vous me le permettez, car l'Amicus Curiae a également abordé ce point.

 15   Troisièmement, la condition imposée par l'arrêt Brdjanin au paragraphe 430

 16   limite la responsabilité de l'entreprise criminelle commune et protège du

 17   danger que constituerait le fait de déclarer une culpabilité par

 18   association.

 19   Si vous me le permettez, j'aimerais maintenant répondre aux questions que

 20   vous posez dans l'ordonnance portant calendrier.

 21   En amont, voici notre position. La Chambre de première instance avait pour

 22   obligation, et elle y a répondu, elle a établi que les crimes

 23   s'inscrivaient dans un objectif commun. Qu'est-ce que ceci veut dire? Ça

 24   veut dire que ces gens, s'agissant des crimes commis physiquement par les

 25   membres de l'entreprise criminelle commune, la Chambre devait établir et

 26   elle l'a fait, que ceci avait été commis dans le cadre de l'objectif

 27   commun. S'agissant de ceux qui n'ont pas été commis par des membres de

 28   l'entreprise criminelle commune, la Chambre devait établir que les membres


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  1   de l'entreprise avaient utilisé les auteurs principaux pour que ceux-ci

  2   exécutent les crimes. Ici, la Chambre de première instance avait le droit

  3   de tirer une déduction quant au lien entre les auteurs principaux et les

  4   membres de l'entreprise soit parce que les auteurs principaux faisaient

  5   partie d'une organisation, d'une structure qui avait à sa tête un membre de

  6   l'entreprise, ou encore parce qu'il y a eu coopération étroite des membres

  7   de l'entreprise avec les auteurs principaux surtout à la lumière de

  8   l'ampleur et de la structure systématique des crimes commis.

  9   Partant de cette analyse, la Chambre n'avait pas pour obligation

 10   d'analyser ou d'énoncer de façon détaillée le lien précis entre chaque

 11   incident et l'accusé.

 12   Aujourd'hui, je vous dirais comment la Chambre de première instance a bien

 13   appliqué le droit concernant l'entreprise criminelle commune dans des

 14   circonstances où la plupart des crimes ont été le fait d'auteurs principaux

 15   qui n'étaient pas membres de l'entreprise criminelle commune, et

 16   j'aborderai quelques questions de droit concernant ce mode de

 17   responsabilité. Quant à M. Kremer, il vous parlera des éléments de preuve

 18   et des constatations s'agissant des liens de façon plus détaillée et

 19   parlera de cas où le lien n'est pas nécessairement évident.

 20   Avant de parler du droit concernant l'entreprise criminelle commune et de

 21   la façon dont les auteurs principaux ont été utilisés, je vais vous donner

 22   un exemple de cette coopération étroite entre les individus et ceux qui ont

 23   exécuté ces actes qui consistaient à déloger les non-Serbes en commettant

 24   des crimes. Prenons l'exemple de Zvornik. Vous trouverez les références aux

 25   paragraphes 360 à 368 du jugement.

 26   Les organisations, les structures à Zvornik, c'étaient la cellule de Crise,

 27   la JNA, la police, la Défense territoriale, les groupes paramilitaires qui

 28   tous avaient à leurs têtes des membres de l'entreprise à différents


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  1   échelons. Les conclusions montrent qu'il y a eu coopération étroite entre

  2   ces personnes et les Serbes de la région.

  3   La cellule de Crise a ordonné la mobilisation de la TO serbe au même moment

  4   des groupes paramilitaires dont les Aigles blancs, les Guêpes jaunes et les

  5   Bérets rouges ont commencé à arriver, qui avaient été invités par le

  6   président de la cellule de Crise. Les hommes d'Arkan qui étaient à

  7   Bijeljina et qui, de façon générale, avaient été invités par Mme Plavsic,

  8   membre de l'entreprise, paragraphe 938, étaient présents et ont travaillé

  9   avec la police serbe pour établir des barrages.

 10   Peu de temps après, ces groupes ont coopéré pour commettre le premier

 11   crime dans la municipalité.

 12   Le 8 avril, la police, la Défense territoriale, la JNA et les hommes

 13   d'Arkan, dans le cadre d'une opération conjointe ont attaqué la

 14   municipalité de Zvornik et ont assassiné bon nombre de civils. Deux jours

 15   après, les hommes d'Arkan se sont livrés à des pillages. Cette entreprise a

 16   fait qu'il y a eu des premiers déplacements de Musulmans qui se sont

 17   retirés dans une municipalité voisine. Vers cette même période, les hommes

 18   d'Arkan et les Aigles blancs ont travaillé ensemble au moment de la

 19   détention des Musulmans dans une usine où il y a eu sévices collectifs de

 20   Musulmans.

 21   Le président de la cellule de Crise est venu à cet endroit interroger

 22   et frapper un détenu. Les hommes d'Arkan ont tué environ 18 prisonniers.

 23   Fin avril, début mai, les groupes qui travaillaient ensemble dans un

 24   autre village qui est un lieu où se sont commis des crimes, le village de

 25   Divic, les hommes d'Arkan, la police de réserve et les Aigles blancs qui

 26   avaient été invités par la cellule de Crise ont attaqué le village, et 1

 27   000 Musulmans ont pris la fuite pour se réfugier dans un village voisin.

 28   Vers le 10 mai, la police a déplacé des Musulmans qui avaient été


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  1   surveillés par des Serbes de la région dans un autre lieu de détention. Peu

  2   de temps après, les prisonniers ont été de nouveau déplacés pour être

  3   placés dans un centre de détention surveillé par la police de réserve. Des

  4   groupes armés dont des paramilitaires ont souvent pu entrer pour maltraiter

  5   des prisonniers. Il y avait des liens très forts entre ces différentes

  6   unités qui montraient que ceci s'inscrivait dans ce cadre général de

  7   l'entreprise partagée par les membres de l'entreprise criminelle commune

  8   qui contrôlaient les différents groupes.

  9   Parlons maintenant de l'application du droit en matière d'entreprise

 10   criminelle commune lorsque la majorité des crimes n'ont pas été commis par

 11   des membres de cette entreprise. Auparavant, un bref rappel: qui étaient

 12   les membres de l'entreprise, quel était l'objectif qui les animait.

 13   La Chambre de première instance au paragraphe 1 086 jusqu'au

 14   paragraphe 1 088 a constaté que cette entreprise se composait de personnes

 15   qui se trouvaient sur l'ensemble du territoire, réparties sur ce

 16   territoire. Il y avait les dirigeants qui étaient à Pale et les personnes

 17   ordinaires. A Pale, il y avait Momcilo Krajisnik, Radovan Karadzic,

 18   président de la présidence et chef du Parti SDS; Biljana Plavsic, autre

 19   membre de la présidence; Nikola Koljevic, membre de la présidence; Momcilo

 20   Mandic, ministre de la Justice; Velibor Ostojic, ministre de l'Information;

 21   Mico Stanisic, ministre de l'Intérieur et donc chef du MUP; et Ratko

 22   Mladic, commandant de la VRS à partir du 12 mai. Et nous avons au niveau

 23   inférieur des hommes politiques locaux, des présidents de cellule de Crise

 24   et des fonctionnaires locaux du SDS, des commandants locaux, par exemple,

 25   des commandants de la JNA, la VRS, des chefs de police et des chefs de

 26   groupes paramilitaires. La Chambre de première instance donne le nom de

 27   certains de ces membres, les échelons de la base.

 28   L'objectif commun, quel est-il ? Il était de déloger les Croates et


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  1   les Musulmans de Bosnie, de grandes parties de Bosnie-Herzégovine par

  2   l'extermination, la persécution, le transfert forcé et l'expulsion, la

  3   déportation. La Chambre a constaté qu'au départ cet objectif commun du

  4   déplacement ou du transfert forcé a commencé à englober d'autres crimes,

  5   une fois que les membres de la JIC [comme interprété] ont accepté cette

  6   idée, ont continué l'exécution. L'idée c'était de forcer des Croates et des

  7   Musulmans à partir, mais on a utilisé l'assassinat pour y parvenir, et ces

  8   crimes ont souvent été commis pour semer la peur dans la population, la

  9   forcer à fuir. La destruction, l'appropriation de biens c'étaient aussi des

 10   moyens pour empêcher que des gens ne reviennent. Jugement, paragraphe 1

 11   093.

 12   Le 18 mars, Krajisnik a demandé que soit appliquée cette division

 13   technique et son appel aux armes a permis la préparation, la planification

 14   du nettoyage ethnique qui était commencée par les dirigeants en 1991.

 15   Karadzic s'est adressé à l'assemblée de Bosnie-Herzégovine et il a parlé de

 16   l'élimination possible, de l'extinction possible du peuple musulman.

 17   C'était le paragraphe 1 098 [comme interprété].

 18   Fin 1991, début 1992, il y avait aussi, bien sûr, deux voies sur

 19   lesquelles on opérait. Il y avait la possibilité de créer un Etat serbe de

 20   Bosnie. Une négociation politique se faisait, paragraphe

 21   1 005. En gardant ces options ouvertes, il était possible de continuer la

 22   préparation de la division ethnique. Les dirigeants dont l'accusé ont pris

 23   des mesures pour réaliser ces objectifs communs. Par exemple, on a

 24   consolidé l'autorité des Serbes de Bosnie. Jugement 903 à 909. On a établi

 25   le MUP serbe. Jugement 930. Et dès le printemps 1991, le SDS en accord avec

 26   la JNA avait commencé à armer et à mobiliser la population.

 27   La mise en œuvre de ce plan a commencé après l'appel aux armes lancé

 28   par Krajisnik le 18 mars. La Chambre a constaté qu'il y avait une certaine


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  1   systématicité [phon] dans les événements qui se sont déroulés dans les

  2   municipalités. Paragraphe 709. Et en fonction de la composition ethnique de

  3   chacune de ses possibilités. Là où les forces étaient minoritaires, les

  4   forces serbes ont pris cette municipalité en chassant les non-Serbes.

  5   Lorsqu'ils étaient majoritaires et qu'ils contrôlaient les institutions

  6   locales, les autorités serbes, les serbes armées, ont menacé, ont arrêté,

  7   ont tué, ont détruit des lieux de culte pour forcer les non-Serbes à

  8   partir.

  9   C'est décrit de façon détaillée dans la quatrième partie du jugement.

 10   Ces crimes ont été commis par des militaires, la police et des membres de

 11   la Défense territoriale, les paramilitaires, les membres des institutions

 12   politiques et gouvernementales dont la cellule de Crise et les Serbes

 13   locaux ainsi que d'autres volontaires.

 14   La Chambre a eu raison de déclarer Krajisnik coupable de tous ces

 15   crimes en raison de l'entreprise criminelle commune. Les membres de

 16   l'entreprise, comment ont-ils mis en œuvre ce projet commun qui était

 17   surtout exécuté par des auteurs principaux qui n'étaient membres de cette

 18   entreprise ? Bien, ceci répond à cette question que vous avez posée,

 19   Monsieur le Juge, quant au lien entre Krajisnik et les auteurs physiques.

 20   Est-ce que la Chambre de première instance devait établir un lien

 21   précis, spécifique, entre chacun des crimes commis et

 22   Krajisnik ? Dans l'affirmative, est-ce qu'il fallait préciser, énoncer ce

 23   lien, savoir quelles étaient les constatations précises dans le jugement à

 24   l'appui du dossier d'instance pour chacun des crimes dont il a été jugé

 25   coupable pour savoir s'ils avaient été commis par des membres ou imputés à

 26   des membres de l'entreprise criminelle commune.

 27   Comme cela a déjà été dit par moi au début de mon exposé, la Chambre

 28   a eu raison de décider que ces crimes faisaient partie de l'entreprise


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  1   commune soit parce qu'ils avaient été commis par des membres de

  2   l'entreprise criminelle commune, soit parce que des membres de l'entreprise

  3   criminelle commune s'étaient servis des auteurs principaux pour commettre

  4   ces crimes. Donc soit nous sommes en présence d'une action directe des

  5   auteurs principaux, soit nous avons coopération étroite avec ces derniers,

  6   tout cela dans le cadre d'une action systématique et organisée. Donc la

  7   Chambre a bien appliqué le droit et notamment les principes émanant du

  8   jugement Brdjanin.

  9   La Chambre d'appel dans Brdjanin a déterminé que la responsabilité

 10   aux termes de l'entreprise criminelle commune n'exigeait pas que les

 11   principaux auteurs des crimes soient membres de l'entreprise criminelle

 12   commune. Ce qui importe, par contre, c'est que les crimes concernés fassent

 13   partie de l'objectif commun. Arrêt en appel, paragraphe 410. Et dans le cas

 14   des auteurs principaux, lorsqu'ils ne sont pas membres de l'entreprise

 15   criminelle commune, cette exigence que les crimes fassent partie de

 16   l'objectif commun peut être déduite de toutes sortes de circonstances, y

 17   compris une coopération étroite avec un membre de l'entreprise criminelle

 18   commune. Le lien nécessaire entre les auteurs principaux et l'accusé est

 19   démontré lorsqu'un crime peut être imputé à l'un des membres de

 20   l'entreprise criminelle commune, qui est un de ses compagnons, si ce membre

 21   utilise un auteur principal dans la poursuite de l'objectif commun. Arrêt

 22   Brdjanin, paragraphe 410. Donc le fait de reconnaître des catégories

 23   différentes découle de l'arrêt en appel Brdjanin qui établit que

 24   l'existence d'un lien doit être déterminé au cas par cas, paragraphe 413 de

 25   l'arrêt. Ceci c'est une détermination factuelle. Il est clair qu'un cas de

 26   cette nature existe lorsqu'un membre d'une entreprise criminelle commune

 27   peut utiliser des organisations ou des structures existantes telles que

 28   l'armée et la police pour donner des ordres à des subordonnés afin que


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  1   l'objectif commun soit réalisé.

  2   Dans l'affaire Stakic, la Chambre d'appel a confirmé que le recours à des

  3   organisations et des structures peut servir de base pour une condamnation

  4   puisque Stakic a été condamné aux termes de la responsabilité dans le cadre

  5   de l'entreprise criminelle commune pour des crimes commis par des auteurs

  6   principaux qui n'étaient pas membres de cette entreprise. Les membres de

  7   l'entreprise criminelle commune étaient les chefs de la police, de l'armée,

  8   et les membres de la cellule de Crise qui ont eu recours aux organisations

  9   qu'ils dirigeaient pour permettre la commission des crimes. Je renvoie les

 10   Juges de cette Chambre d'appel à l'arrêt Stakic, paragraphes 68 à 70, ainsi

 11   qu'à l'analyse que l'on trouve dans l'arrêt Brdjanin, paragraphe 409.

 12   Mais comme le montre bien l'arrêt Brdjanin, l'utilisation peut

 13   également être déduite de l'existence d'une coopération étroite entre un

 14   membre de l'entreprise criminelle commune et les auteurs principaux. Si,

 15   par exemple, des membres de la police travaillent en coopération étroite

 16   avec les Serbes locaux pour arrêter ou placer des gens en détention, bien,

 17   ceci peut permettre de déterminer que les Serbes locaux ont également été

 18   utilisés par le chef de la police.

 19   La Chambre de première instance dans l'affaire Krajisnik a eu raison

 20   de décider ce qu'elle a décidé en appliquant la loi comme elle l'a fait.

 21   Elle a reconnu au paragraphe 883 du jugement qu'il n'était pas uniquement

 22   nécessaire que l'auteur principal soit membre de l'entreprise criminelle

 23   commune, mais qu'il suffisait qu'il ait été commandité par un membre de

 24   l'entreprise criminelle commune. Commandité, cela signifie que l'on obtient

 25   et que l'on fait ce qu'il faut pour mettre en œuvre les actions nécessaires

 26   dans l'application du même concept que celui d'utilisation au sens où

 27   l'entendait la Chambre de première instance de l'affaire Haradinaj pour

 28   décrire les exigences de l'arrêt Brdjanin. C'est le jugement en première


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  1   instance Haradinaj, paragraphe 138, auquel je fais référence maintenant.

  2   La Chambre de première instance dans l'affaire Krajisnik était également

  3   consciente que déterminer la responsabilité aux termes de l'entreprise

  4   criminelle commune d'un certain nombre de membres, qui partagent un

  5   objectif commun, doit impliquer le partage de cet objectif et pas

  6   simplement le fait qu'ils aient les mêmes idées. Texte du jugement,

  7   paragraphe 884. Et la Chambre de première instance a compris qu'elle devait

  8   décider si le crime faisait partie de l'objectif commun. Dans le texte du

  9   jugement paragraphe 1 082, on trouve des indices qui ont été admis comme

 10   servant de base à cette détermination, à savoir le fait de décider si les

 11   auteurs principaux étaient des outils de l'entreprise criminelle commune,

 12   s'ils ont coopéré avec des membres de l'entreprise criminelle commune.

 13   La Chambre explique les liens et les rapports existant entre les différents

 14   membres de la JCE. Ils comptaient sur les apports des uns et des autres

 15   pour contribuer à l'objectif commun. Ils comptaient également sur l'apport

 16   de non-membres pour la réalisation de cet objectif commun. Ceci correspond

 17   à l'esprit de l'arrêt Brdjanin.

 18   Appliquer ces critères correctement par rapport à l'examen des faits en

 19   l'espèce a permis à la Chambre de première instance de décider que les

 20   crimes pouvaient être imputables à Krajisnik. Je traiterai d'abord des

 21   crimes commis par les membres de la JCE, puis des crimes commis par ceux

 22   qui n'en étaient pas membres.

 23   Les crimes commis personnellement par des membres de la JCE peuvent être

 24   attribués à Krajisnik en raison de l'objectif qu'ils partageaient et de

 25   l'intention qu'ils partageaient, donc de l'existence d'une intention

 26   commune, d'une intention partagée qui allait dans le sens de la commission

 27   des crimes. M. Kremer traitera des crimes plus en détail.

 28   L'objectif commun et l'intention partagée sont démontrés grâce à


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  1   l'existence du réseau de relations et des coopérations qui existaient entre

  2   ces différentes personnes. Ceci démontre qu'en dehors de la direction de

  3   Pale, il y a aussi une composante locale, c'est-à-dire une composante

  4   impliquant les hommes du commun dans l'entreprise criminelle commune, qui

  5   tous avaient en commun avec Krajisnik un objectif partagé. La Chambre de

  6   première instance a identifié ces membres de base de l'entreprise

  7   criminelle commune, et vous trouverez les éléments de preuve à cet égard

  8   dans la note en bas de page 1 088 du texte du jugement.

  9   Passons maintenant aux crimes commis par les auteurs principaux qui

 10   n'étaient pas membres de la JCE. Sur la base des éléments de preuve

 11   examinés par la Chambre de première instance, celle-ci a abouti à la

 12   conclusion raisonnable que Krajisnik était responsable également des crimes

 13   commis physiquement par des personnes qui n'étaient pas membres de la JCE.

 14   La Chambre de première instance était autorisée à tirer cette conclusion, à

 15   savoir que ces personnes ont été utilisées pour la réalisation de

 16   l'objectif commun, car ils étaient membres d'organisations ou de structures

 17   dirigées par des membres de la JCE, ou en tout cas coopérant étroitement

 18   avec eux. La Chambre de première instance a établi que les membres de la

 19   JCE étaient soit dirigeants de structures ou d'organisations dans

 20   lesquelles on trouvait une majorité des auteurs principaux tels que

 21   l'armée, la JNA, la VRS, le MUP, la Défense territoriale, les unités

 22   paramilitaires ou des structures politiques, incluant les cellules de

 23   Crise. Donc elle était en droit de déduire que les auteurs principaux ont

 24   été utilisés lorsque les crimes ont été commis, notamment étant donné

 25   l'importance et la gravité de ces crimes, et le côté systématique de ce

 26   comportement, similaire dans de nombreuses municipalités.

 27   Pour les crimes en rapport avec lesquels les auteurs principaux n'étaient

 28   pas partie de ces organisations, lorsqu'il s'agissait, par exemple, de


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  1   Serbes locaux qui s'étaient armés, la Chambre de première instance a eu

  2   raison de conclure qu'il y avait suffisamment de relation entre ces

  3   différentes personnes pour les situer dans le chapitre 4 du jugement, à

  4   savoir décider qu'ils avaient coopéré étroitement avec des membres de

  5   l'entreprise criminelle commune. Le fait que ces membres de la population

  6   locale étaient armés et ont été utilisés par des membres de la JCE ne

  7   permet qu'une seule conclusion, à savoir après l'examen les éléments de

  8   preuve qu'ils avaient une coopération étroite avec les auteurs principaux.

  9   Les conclusions principales que l'on trouve au chapitre 4 du jugement

 10   - et j'en ai déjà cité certains - montrent que les crimes commis par les

 11   auteurs principaux étaient dirigés contre des non-Serbes, ce qui allait

 12   dans le sens de la réalisation de l'objectif commun.

 13   La Chambre de première instance n'a pas établi de lien précis pour chacun

 14   des incidents qu'elle a eu à examiner dans les diverses municipalités

 15   concernées, mais elle n'était pas obligée de le faire. Sur la base de la

 16   coopération dont je viens de parler entre ces groupes ainsi que d'autres,

 17   la Chambre de première instance était en droit de synthétiser l'ensemble de

 18   ces conclusions relatives aux auteurs comme relevant des autorités bosno-

 19   serbes ou des forces bosno-serbes, terme utilisé globalement pour décrire

 20   les soldats de l'armée, les unités paramilitaires, la police et toute autre

 21   personne portant des armes. Je vous renvoie au paragraphe 292 du jugement.

 22   La Chambre de première instance a décrit en détail dans les chapitres

 23   2, 3 et 6 du jugement comment les membres de la JCE se sont emparés et ont

 24   créé des structures et des organisations pour coopérer avec elle. Les

 25   conclusions que l'on trouve au chapitre 4 démontrent une coopération

 26   étroite entre ces organisations et d'autres à l'extérieur d'elle. Et au vu

 27   de l'importance considérable des crimes commis par ces personnes au sein de

 28   structures de ce genre, sur la base d'un modèle unique, la Chambre de


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  1   première instance n'était pas obligée de se lancer dans une analyse précise

  2   du lien existant entre les auteurs principaux et les membres de la JCE dans

  3   tous les cas.

  4   Les crimes ont été commis massivement immédiatement après la prise de

  5   pouvoir. Le nettoyage ethnique s'est déroulé pendant une période

  6   relativement courte dans 35 municipalités.

  7   Excusez-moi, je vais ralentir. Donc des actes similaires ont été commis

  8   dans toutes les municipalités, et ce, avec une coordination qui a été mise

  9   en œuvre. L'importance, la gravité des crimes, 3 000 personnes tuées à peu

 10   près et déplacement de plus de 100 000 personnes démontre la participation

 11   nécessaire, coopération entre différents groupes et démontre qu'il y a eu

 12   également planification à différents niveaux.

 13   La Chambre de première instance a eu raison de conclure que ceci impliquait

 14   les autorités bosno-serbes au niveau central, régional et municipal. Le

 15   jugement au paragraphe 710 traite de ce point. Ce qui ne permettait à la

 16   Chambre d'aboutir à aucune autre décision raisonnable que de dire que les

 17   membres de la JCE ont utilisé les auteurs principaux pour arriver à leurs

 18   fins.

 19   La Chambre de première instance explique également en détail comment un

 20   groupe central composé de membres de la JCE appartenant à la direction

 21   bosno-serbe a établi un plan destiné à recomposer ethniquement les

 22   territoires par expulsion des non-Serbes et réduction très importante de

 23   leur nombre et comment ces structures et organisations ont été utilisées à

 24   cette fin. Ils ont utilisé une population armée qui pouvait se déployer

 25   dans le cadre d'unités locales pour apporter leur soutien et leur

 26   coopération à la JNA, paragraphe 925 du jugement.

 27   Ces personnes se sont également appuyées sur la JNA et ont créé une armée

 28   bosno-serbe, la VRS, dont le plan d'action était dans ses grandes lignes,


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  1   énoncé par la direction. Paragraphe 994 du jugement. Ils ont créé un MUP

  2   serbe qui a été utilisé au combat ainsi que pour les opérations de

  3   nettoyage. Paragraphe du jugement 255. Ils ont utilisé des paramilitaires

  4   pour terroriser la population. Paragraphe 979 du jugement. Ils ont exercé

  5   une influence centrale sur les municipalités par le biais des cellules de

  6   Crise. Paragraphe 267. Ils ont fonctionné en temps qu'organe de coopération

  7   entre la direction et les niveaux municipaux d'une part, et entre les

  8   forces sur le terrain, la police, les militaires et les paramilitaires

  9   d'autre part. Krajisnik et Karadzic ont également communiqué les idées de

 10   la direction directement aux bosno-serbes. Paragraphe 1 001 du jugement.

 11   Afin d'aboutir à l'objectif commun par le biais des différentes

 12   municipalités, la direction basée à Pale a consolidé son pouvoir central et

 13   en utilisant ces structures centralisées, la direction de Pale et les

 14   représentants locaux sur le terrain ont eu la possibilité de mieux

 15   coordonner et coopérer leurs actions dans la poursuite de l'objectif

 16   commun. Les membres de la JCE se sont ainsi assurés que l'objectif serait

 17   atteint en mettant en place et en utilisant ces organisations et ces

 18   structures dont la Chambre de première instance a jugé quelles avaient été

 19   instrumentalisées. Paragraphe 1 120 du jugement pour la commission des

 20   crimes. Ce faisant, par subordination directe ou indirecte et par

 21   coopération étroite avec les auteurs principaux, les crimes ont été commis

 22   dans la poursuite de l'objectif commun.

 23   Avant de passer la parole à M. Kremer, j'aimerais rapidement parler d'un

 24   point de droit qui concerne l'entreprise criminelle commune et ses

 25   différentes catégories. La JCE est une forme de responsabilité criminelle

 26   au titre de l'article 7(1) du Statut, même lorsque les auteurs principaux

 27   ne sont pas membres de la JCE. Le simple fait de commettre un acte relevant

 28   de cette responsabilité est la marque de l'aspect criminel des membres de


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  1   la JCE. Un groupe de personnes qui se réunit avec un objectif commun qui

  2   consiste à commettre des crimes avec l'intention commune de les commettre

  3   constitue un danger très important et plus important que lorsqu'on a une

  4   seule personne qui agit. Ce groupe est donc capable d'atteindre des

  5   résultats criminels à grande échelle, ce qui n'aurait pas été possible si

  6   un seul individu avait agi, comme par exemple, le nettoyage ethnique de 35

  7   municipalités en Bosnie.

  8   C'est la manifestation d'un danger plus grave qui mérite qu'un nom la

  9   désigne, à savoir entreprise criminelle commune qui a été utilisée à juste

 10   titre et correctement comme doit le faire la Chambre d'appel et comme elle

 11   l'a fait, par exemple, dans l'affaire Kvocka, paragraphe 80 de l'arrêt, et

 12   paragraphe 102 de l'arrêt Vasiljevic.

 13   Par ailleurs, la Chambre de première instance [comme interprété] a estimé

 14   qu'il y avait partage d'une intention délictueuse parmi les membres de

 15   l'entreprise criminelle commune et qu'ils ne pouvaient donc pas être

 16   considérés uniquement comme des personnes qui avaient aidé ou encouragé. Je

 17   vous renvoie à la décision sur la requête déposée par Dragoljub Ojdanic qui

 18   mettait en cause la compétence et la validité du concept d'entreprise

 19   criminelle commune, requête déposée le 21 mai 2003, paragraphe 20.

 20   Deux raisons pour lesquelles la JCE doit être acceptée s'agissant de

 21   l'examen de l'intention délictueuse, à savoir le danger plus important qui

 22   est commis par un nombre plus important d'auteurs, y compris des gens qui

 23   ne sont pas membres de JCE et qui peuvent être utilisés par la JCE. Mais il

 24   faut qu'il y ait intention délictueuse, il faut qu'il y ait partage d'un

 25   objectif, il faut qu'en dehors de la possibilité de commettre les crimes à

 26   grande échelle, cette intention soit partagée entre plusieurs personnes qui

 27   sont utilisées en tant qu'instruments pour la réalisation de cet objectif

 28   commun. La responsabilité vue sous l'angle de la JCE demeure donc une forme


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  1   de commission de crime même lorsque les auteurs principaux ne sont pas

  2   membres de la JCE.

  3   A moins que les Juges n'aient des questions, je voudrais donner la parole à

  4   M. Kremer qui traitera de la question du lien plus en détail.

  5   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen.

  6   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Madame Goy, je dois admettre que

  7   j'aurais tendance à commettre le crime de synthèse mentale quand je vous

  8   écoute, ce qui pourrait, bien sûr, me faire courir le risque d'une

  9   simplification outrancière. Donc dites-moi si je me trompe dans ma façon de

 10   comprendre votre position.

 11   Répondant aux questions des Juges de la Chambre d'appel au sujet du lien,

 12   vous avez adopté la position consistant à dire qu'il existait deux

 13   catégories de crimes, les crimes commis par les membres de l'entreprise

 14   criminelle commune d'une part, et des crimes commis par des personnes qui

 15   ne sont pas membres de la JCE d'autre part. Si je vous comprends bien, je

 16   suppose que vous ne voyez aucune nécessité à prouver un lien avec la

 17   première catégorie, à savoir les membres de la JCE, mais vous estimez qu'il

 18   est nécessaire de prouver l'existence d'un lien uniquement par rapport à la

 19   deuxième catégorie, à savoir les non-membres de la JCE. Vous estimez que ce

 20   lien peut être démontré par voie déductive. Si je vous ai bien comprise,

 21   vous semblez dire, n'est-ce pas, que les personnes qui ne sont pas membres

 22   de la JCE avaient un rapport si étroit avec des membres de la JCE qu'ils ne

 23   pouvaient recevoir leurs instructions que de membres de la JCE et notamment

 24   de l'appelant.

 25   Alors, ne serait-il pas possible de se poser la question de savoir si le

 26   rapport existant entre une Chambre d'appel et une Chambre de première

 27   instance, dans la mesure où l'on peut procéder à une déduction, est-ce que

 28   nous-mêmes, membres de la Chambre d'appel, aurions liberté de traiter de


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  1   cette position de façon complètement nouvelle et donc aurions-nous la

  2   liberté de tirer nos propres conclusions ou bien sommes-nous liés d'une

  3   façon ou d'une autre par les conclusions de la Chambre de première instance

  4   ?

  5   Mme GOY : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Juge. J'aimerais

  6   répondre à votre question en deux parties. D'abord, je répondrai à la

  7   première partie relative au fait de savoir si notre position consiste à

  8   dire qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'existence d'un lien en

  9   présence d'un crime commis par un membre de l'entreprise criminelle

 10   commune.

 11   Pour imputer la responsabilité d'un crime à l'accusé, il importe d'établir

 12   qu'il existe un lien, mais ce lien est de nature différente. Le lien est

 13   établi grâce à la conclusion qu'un membre de la JCE, donc un auteur

 14   principal, partageait un objectif commun avec l'accusé et que l'accusé et

 15   ce membre de la JCE avaient une intention commune. Dès lors que le membre

 16   de la JCE commet un crime dans la volonté de réaliser l'objectif commun, le

 17   fait que cet objectif ait été partagé avec l'accusé et que ce membre de la

 18   JCE partageait également une intention avec l'accusé établit le lien

 19   nécessaire vis-à-vis de l'imputation de la responsabilité du crime.

 20   S'agissant de la deuxième catégorie de cas, à savoir le cas où les crimes

 21   ont été commis par des auteurs principaux qui n'étaient pas membres de la

 22   JCE, nous sommes d'accord que les conclusions de la Chambre de première

 23   instance étaient des conclusions raisonnables, donc il n'appartient pas aux

 24   Juges de la Chambre d'appel d'établir l'existence de ce lien. Le lien a été

 25   établi par la Chambre de première instance, même implicitement par le fait

 26   que la Chambre a condamné Krajisnik pour ces crimes et, à notre avis, la

 27   Chambre de première instance l'a fait de façon raisonnable, même si les

 28   seules conclusions raisonnables en l'espèce étaient qu'il y avait une


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  1   majorité d'auteurs principaux, membres de diverses structures dirigées par

  2   des membres de l'entreprise criminelle commune et que pour ceux qui

  3   n'étaient pas au sein de ces structures, ils ont eu une coopération étroite

  4   par la biais de différentes municipalités avec les membres de l'entreprise

  5   criminelle commune. Compte tenu de ce modèle systématique, il est permis de

  6   dire qu'ils ont été utilisés par les membres de l'entreprise criminelle

  7   commune.

  8   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Meron.

  9   M. LE JUGE MERON : [interprétation] J'ai deux questions à vous poser. La

 10   première découle en grande partie de la question qui vous a été posée par

 11   mon distingué collègue, M. le Juge Shahabuddeen. Dans votre argument, vous

 12   mettez l'accent sur le fait que la majorité, et peut-être même la grande

 13   majorité des crimes commis en l'espèce ont été commis par des personnes qui

 14   n'étaient pas membres de la JCE. Ma question est la suivante : la Chambre

 15   de première instance n'était-elle pas, compte tenu de notre jurisprudence,

 16   dans l'obligation - et là je pense surtout à la jurisprudence Brdjanin -

 17   dans l'obligation de tirer systématiquement des conclusions qui auraient

 18   établi un lien avec un membre de la JCE et établi un lien entre un membre

 19   de la JCE et M. Krajisnik, puisque nous partons du principe que nous

 20   parlons ici de crimes commis par des personnes qui n'étaient pas membres de

 21   la JCE.

 22   Je dois dire que je n'ai pas été convaincu que ceci a été fait de

 23   façon systématique ou précise, et j'ai quelques problèmes face à votre

 24   déclaration relative aux conclusions de la Chambre de première instance

 25   qui, à votre avis, sont adaptées de ce point de vue, conclusions qui

 26   reposaient principalement sur l'existence d'un rapport étroit avec des

 27   membres de la JCE.

 28   Ma deuxième question porte sur ce concept de discours protégé, discours


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  1   politique. Nous avons entendu vos arguments très nombreux sur ce sujet ce

  2   matin.

  3   Alors s'agissant de discours politique, il n'est pas nécessaire

  4   d'établir que des déclarations politiques sont protégées lorsqu'elles ont

  5   pour but très clair de réaliser un objectif illégal. Il serait utile que

  6   l'Accusation à cet égard précise la déclaration particulière ou l'action

  7   particulière de M. Krajisnik qui serait très manifestement la preuve d'une

  8   intention de réaliser un objectif criminel commun.

  9   Je vous remercie.

 10   Mme GOY : [interprétation] D'abord, je répondrai à votre première question,

 11   la Chambre de première instance même si elle ne l'a pas fait explicitement

 12   dans ses conclusions relatives à la responsabilité de Krajisnik a établi

 13   l'existence de liens, peut-être pas par rapport à chacun des incidents pris

 14   en compte, mais si on lit le jugement comme un texte global, on voit qu'il

 15   y a les chapitres 2 et 3 du jugement dans lesquels nous lisons de quelle

 16   façon les membres de la JCE ont créé les structures qu'ils dirigeaient, qui

 17   étaient membres de la JCE et que les non-membres ont été utilisés pour la

 18   réalisation d'un plan commun. A notre avis, ceci rend licite les

 19   conclusions de la Chambre de première instance, puisque c'étaient les

 20   seules conclusions raisonnables quant aux auteurs physiques qui faisaient

 21   partie des structures en question et qui ont coopéré de très près avec les

 22   structures responsables des crimes dans la poursuite d'un objectif commun.

 23   Si nous relisons l'arrêt Brdjanin, le lien doit être établi, dit-on, dans

 24   l'arrêt Brdjanin au cas par cas, et ceci, au vu des circonstances de

 25   chacune des espèces, et l'existence en l'espèce d'une coopération étroite

 26   permet d'aborder les conclusions de la Chambre comme je viens de le faire.

 27   Passons maintenant à votre deuxième question, le discours protégé. Comme je

 28   l'ai dit au début de mon exposé, il importe de distinguer entre l'élément


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  1   matériel du crime et la contribution d'un membre de la JCE, et une fois que

  2   ceci est fait, que l'intention commune a été démontrée, il importe de

  3   prendre en compte l'aspect mental, c'est-à-dire l'intention délictueuse qui

  4   doit être considérée comme suffisante pour constituer une contribution du

  5   moment qu'elle est significative.

  6   Dans notre réponse à M. Krajisnik, ainsi que dans nos écritures adressées à

  7   l'Amicus Curiae, nous avons traité de la question de savoir pourquoi la

  8   Chambre de première instance a conclu que Krajisnik avait partagé une

  9   intention et pourquoi nous estimions cette conclusion raisonnable. Je ne

 10   suis pas en mesure à l'instant même de mettre l'accent devant vous, Madame,

 11   Messieurs les Juges, sur un élément particulier. Je peux simplement vous

 12   renvoyer aux arguments qui ont été présentés dans nos écritures, eu égard à

 13   l'intention délictueuse.

 14   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Avant que vous ne preniez la parole,

 15   Monsieur Kremer, je vous rappelle que nous devons faire une pause à midi.

 16   Il ne serait peut-être pas idéal que vous preniez la parole pour cinq

 17   minutes uniquement. Il serait sans doute préférable que nous faisions

 18   d'abord la pause maintenant, et que vous commenciez immédiatement après la

 19   pause.

 20   M. KREMER : [interprétation] Ce serait parfait. Merci, Monsieur le

 21   Président.

 22   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous ne voudrions pas interrompre votre

 23   présentation dès ses premiers mots. Donc nous allons faire la pause

 24   maintenant pour 15 minutes. Nous reprendrons à midi 10 pour entendre la

 25   suite de la réponse de l'Accusation.

 26   --- L'audience est levée pour le déjeuner à 11 heures 57.

 27   --- L'audience est reprise à 12 heures 15.

 28   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vais maintenant donner la parole à


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  1   l'Accusation, à M. Kremer pour qu'il puisse présenter ses arguments en

  2   réponse. Je vous en prie.

  3   M. KREMER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je vais

  4   poursuivre et reprendre la question des liens qui a été posée par les Juges

  5   de la Chambre dans l'ordonnance portant calendrier, et en guise de suivi je

  6   reprendrai ce qu'a dit Mme Goy sur la structure juridique et je vais étayer

  7   ceci avec des faits.

  8   Notre analyse des constatations factuelles dans la quatrième partie et des

  9   constatations juridiques dans la cinquième partie du jugement ont indiqué

 10   que les crimes sont liés à Krajisnik et autres membres de l'entreprise

 11   criminelle commune par une commission directe par les membres de

 12   l'entreprise criminelle commune, comme ceci a été évoqué par Mme Goy ainsi

 13   que par l'intermédiaire de l'entreprise criminelle commune par le biais des

 14   auteurs principaux en vue de commettre les crimes.

 15   Il y a quelques ambiguïtés dans le jugement, mais rien qui n'ont trait au

 16   lien, et nous avons déposé ceci hier en guise d'explication.

 17   Notre analyse montre que les crimes ont été commis soit par des

 18   membres de l'entreprise criminelle commune, soit par des personnes qui ont

 19   été recrutées par les membres de l'entreprise criminelle commune. Je vais

 20   parler des liens entre les membres de l'entreprise criminelle commune et

 21   les auteurs principaux dont se sont servis les membres de l'entreprise

 22   criminelle commune, mais je vais consacrer le plus clair de mon temps aux

 23   auteurs principaux qui ont été recrutés par les membres de l'entreprise

 24   criminelle commune. La dernière partie de mon argument portera sur les

 25   trois actes de persécution commis à l'intérieur de ce cadre de l'ordre de

 26   l'objectif commun lorsque le lien est implicite.

 27   Tout d'abord, il y a de nombreux exemples sur la commission par les membres

 28   de l'entreprise criminelle commune de ces crimes, et ces crimes peuvent


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  1   être imputés à Krajisnik, parce que Krajisnik et les membres de

  2   l'entreprise criminelle commune ont participé à ces crimes et partageaient

  3   le même objectif commun. Ces crimes deviennent ses crimes.

  4   Ljubisa Mauzer Savic, qui était une personnalité importante à Bijeljina et

  5   commandant de la Garde nationale serbe de l'unité paramilitaire, le 7 mai

  6   1992, au moins six hommes musulmans qui s'étaient cachés à Mucici, qui

  7   faisait partie de la ville de Brcko, ont été tués par Mauzer et les soldats

  8   s'étant présentés comme étant des hommes de Seselj. Paragraphe 327. Pour

  9   les autres crimes commis par Mauzer, reportez-vous aux paragraphes 305 et

 10   325.

 11   Mirko Blagojevic, dirigeant des Serbes radicaux du groupe paramilitaire au

 12   paragraphe 326 du jugement. Le 4 mai 1992, des sapeurs-pompiers musulmans

 13   qui avaient été détenus au poste des sapeurs-pompiers par des soldats de la

 14   JNA ont été passés à tabac par Blagojevic.

 15   Branko Grujic, président du SDS de Zvornik de la cellule de Crise,

 16   paragraphe 367. Le 9 avril 1992, le Témoin 674 a été interrogé et passé à

 17   tabac par Branko Grujic.

 18   Les frères Dusan Repic Vukovic et Vojin Zuko Vukovic, dirigeants de l'unité

 19   paramilitaire les Guêpes jaunes au paragraphe 372. Les Guêpes jaunes,

 20   dirigées par les frères Vukovic, Repic et Zuco sont arrivées au Kulture Dom

 21   le 11 juin et ont tué au moins cinq détenus. Un homme a eu l'oreille

 22   coupée. D'autres ont eu les doigts coupés, et au moins deux hommes ont été

 23   mutilés sexuellement. Les hommes de Repic ont obligé les détenus à manger

 24   différentes parties du corps, ont tué deux détenus qui ne pouvaient pas

 25   accepter cela.

 26   Le 27 juin, Repic est revenu au Kulture Dom tout seul, a tué 20 détenus et

 27   en a blessé 22 autres.

 28   Vlado Vrkes, président du SDS de Banja Luka. Paragraphe 509. Le 3 avril, la


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  1   cellule de Crise a imposé des mesures discriminatoires aux musulmans de

  2   Banja Luka. Le président Vrkes du SDS, accompagné des membres de SOS et de

  3   la police serbe, ont obligé le directeur croate à sortir de la municipalité

  4   du SDK et à nommer un serbe à sa place.

  5   Ratko Radic, le président municipal du SDS de Hadzici. Paragraphe 547. La

  6   mi-juillet 1992, Ratko Radic a transféré le témoin 141 et sa sœur dans les

  7   locaux de l'usine qui se trouvaient à l'extérieur de Hadzici et ont été

  8   obligés d'y travailler. Et à l'usine, Radic a violé la sœur du témoin

  9   régulièrement.

 10   Jovan Tintor, président de la cellule de Crise de Vogosca et du comité

 11   central du SDS. Paragraphe 598. Le 1er mai 1992, un officier de police

 12   musulman à Sarajevo, ainsi que son collègue, ont été arrêtés par la TO

 13   serbe, ont été amenés à Vogosca, au poste de police où Jovan Tintor a été

 14   interrogé et battu à tabac.

 15   Dragan Gagovic, chef de police de Foca et Dragoljub Kunarac, commandant

 16   d'un groupe de reconnaissance au sein du groupe tactique local de Foca au

 17   paragraphe 640 du jugement. Ici, des civils musulmans ont été détenus au

 18   lycée de Foca dans le Hall des Partisans devant lequel des officiers de

 19   police montaient la garde. Des soldats serbes et des policiers, y compris

 20   le chef de la police de Foca, Dragan Gagovic venaient dans ces centres de

 21   détention, choisissaient quelques femmes pour les violer ensuite. Certaines

 22   de ces femmes ont également été amenées de ces centres de détention par des

 23   soldats serbes, y compris Dragoljub Kunarac, et ont été abusées

 24   sexuellement. Lors d'un viol, Kunarac a exprimé son agressivité physique et

 25   verbale en indiquant que le viol des femmes constituait une des multiples

 26   façons par le biais duquel les Serbes pouvaient asseoir leur supériorité et

 27   leur victoire sur les Musulmans.

 28   Krsto Savic, commissaire de l'Herzégovine orientale SAO au paragraphe 669


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  1   du jugement rendu par la Chambre de première instance. Le 16 juin 1992, des

  2   soldats en uniforme de camouflage dirigés par Krsto Savic sont entrés dans

  3   la maison d'un Musulman dans la municipalité de Nevesinje. Au cours de

  4   cette opération, Savic a tiré sur Redzep Trebovic à la jambe. Le soldat

  5   serbe a retenu sa femme pour qu'elle ne l'aide pas. Lorsque la famille a

  6   été autorisée à l'amener à l'hôpital quatre heures plus tard, il était mort

  7   de sa blessure. Sa maison a été incendiée.

  8   Gojko Klickovic, président de la présidence de Guerre de Bosanska Krupa au

  9   paragraphe 398 du jugement. Le 28 avril 1992, Klickovic a donné l'ordre aux

 10   commandants de trois bataillons de la 1ère Brigade de Podgrmec d'évacuer

 11   immédiatement la population musulmane du territoire placé sous leur

 12   contrôle. Conformément à cet ordre, le 1er mai 1992, le comité exécutif de

 13   la commune d'Arapusa, en même temps que le comité de réfugiés local et le

 14   commandant du bataillon a donné des instructions pour que soient évacués

 15   les résidants d'Arapusa et les réfugiés au nombre de 460 en tout. Le 1er

 16   mai 1992, les 460 ainsi que d'autres membres du village de Fajtovici dans

 17   la municipalité de Sanski Most ont été amenés dans cette municipalité où

 18   déjà 1 200 personnes étaient détenues.

 19   Ces exemples de membres de l'entreprise criminelle commune commettant des

 20   crimes non seulement établissent un lien entre les crimes commis par les

 21   membres de l'entreprise criminelle commune et Krajisnik, mais montrent

 22   également que les membres de l'entreprise criminelle commune se servaient

 23   de non-membres pour commettre le crime et faire avancer l'objectif commun.

 24   Regardons maintenant les principaux auteurs qui ne sont pas des membres de

 25   l'entreprise criminelle commune. Il y a deux groupes, ceux qui faisaient

 26   partie d'une organisation dirigée par un membre de l'entreprise criminelle

 27   commune et ceux qui ne faisaient pas partie d'une telle organisation.

 28   Je vais d'abord évoquer la question des principaux auteurs qui n'étaient


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  1   pas des membres de l'entreprise criminelle commune, mais qui appartenaient

  2   à une organisation qui se servait d'eux pour commettre leur crime et faire

  3   avancer l'objectif commun. Ensuite, je vais expliquer comment ces

  4   organisations fonctionnaient aux fins de réaliser l'objectif commun pour

  5   ensuite parler des personnes qui n'étaient pas des membres de l'entreprise

  6   criminelle commune et qui ne faisaient partie d'aucune organisation mais

  7   qui ont été utilisées pour commettre pour des crimes pour favoriser

  8   l'objectif commun.

  9   Mme Goy a déjà évoqué les noms des différentes organisations qui ont été

 10   recrutées, à la tête desquelles il y avait des membres de l'entreprise

 11   criminelle commune, des membres de cellule de Crise, des membres de la JNA,

 12   de la VRS, du MUP, de la TO ainsi que des paramilitaires au niveau

 13   républicain, régional et local. Les hommes politiques locaux et les

 14   différentes organisations de la TO, la police militaire et les

 15   organisations paramilitaires par le biais de leurs commandants se sont

 16   servis de leurs hommes pour commettre des crimes pour répondre à l'objectif

 17   commun.

 18   Notre position, comme cela a été clairement indiqué par Mme Goy, est que la

 19   Chambre de première instance était en droit de constater que l'entreprise

 20   criminelle commune ou leurs membres se sont servis d'eux par le biais d'une

 21   organisation, il y avait donc un lien organisationnel et structurel.

 22   D'après notre analyse, dans les paragraphes 4 et 5 du jugement qui souligne

 23   les constatations relatives au crime, j'ai préparé une carte de la Bosnie-

 24   Herzégovine qui montre les couleurs différentes de différentes

 25   organisations; la TO, les paramilitaires, la JNA, la VRS, le MUP et la

 26   cellule de Crise. Je vous demande de bien vouloir regarder ceci sur vos

 27   écrans.

 28   Le premier groupe que nous voyons ici c'est la TO et on voit l'étendue des


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  1   activités de la TO au cours de la période qui nous intéresse. Le niveau de

  2   la population sur la carte est dû au fait que la TO, dans certaines

  3   municipalités, faisait partie de la JNA et plus tard, une fois que la VRS

  4   était constituée, ceux-ci ont fait partie de la VRS.

  5   Ensuite, nous allons rajouter maintenant les paramilitaires. On constate

  6   que les paramilitaires étaient plus actifs que la TO en commettant des

  7   crimes. Les paramilitaires, à l'instar de la TO, lorsque la VRS a été

  8   créée, ont également été intégrés à la VRS.

  9   Le MUP, l'élément suivant -- pardonnez-moi, la JNA/VRS. Il s'agit de cette

 10   armée qui se livrait à un certain nombre d'activités sur l'ensemble de la

 11   région. On constate également qu'ils sont présents dans quasiment toutes

 12   les municipalités. Pour finir, la cellule de Crise qui était là le ciment

 13   dans ce programme de nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine.

 14   Cette carte montre bien que ces différents groupes ont participé à des

 15   crimes dans les municipalités citées dans l'acte d'accusation, comme ceci

 16   se voit sur la carte. Ceci permet d'illustrer également le lien entre

 17   différentes organisations internes, la coopération qui existait entre ces

 18   organisations pendant la période couverte par l'acte d'accusation. En

 19   particulier à l'époque où les municipalités ont changé de main.

 20   La municipalité de Prijedor, Madame, Messieurs les Juges, vous connaissez

 21   bien cette municipalité d'après l'affaire Stakic, on montre comment les

 22   membres de la JCE utilisaient des personnes qui n'étaient pas membres de

 23   l'entreprise criminelle commune.

 24   Je souhaite d'abord vous demander de vous reporter au paragraphe 470.

 25   Je résume rapidement les événements pour montrer l'étendue et le mécanisme

 26   mis en place, qui est non seulement typique de la municipalité de Prijedor

 27   mais des autres également.

 28   La JNA et la police ont pris le contrôle de la municipalité de Prijedor le


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  1   30 avril 1992. Ils ont installé des postes de contrôle, ont occupé les

  2   principaux édifices, prenant ainsi le contrôle de grandes sociétés et de

  3   services municipaux. Les policiers non-Serbes ont été renvoyés. Le SDS a

  4   démis de ses fonctions des membres du SDA dans la municipalité.

  5   471, la cellule de Crise a aidé les soldats et les paramilitaires à étendre

  6   les mesures restrictives, à les imposer à la population non-serbe. Le SDS a

  7   contrôlé toute la machine de propagande et fouillait les maisons des non-

  8   Serbes.

  9   Paragraphe 474, le 1er Corps de la Krajina, de la VRS et du MUP ont

 10   continué leurs opérations de nettoyage à partir du mois de mai 1992. Les

 11   paramilitaires se sont battus aux côtés des membres de la VRS. D'autres

 12   membres de l'entreprise criminelle commune figurent ici: Slobodan

 13   Kuruzovic, membre du comité central du SDS et le commandant local de la TO

 14   qui était en charge du camp de Trnopolje. Il a annoncé à ses prisonniers

 15   que le plan serbe consistait à réduire la population musulmane de 10 %,

 16   ensuite de 2 %.

 17   478, le 26 mai 1992, Kuruzovic commandait une unité spéciale de Prijedor,

 18   encerclait le village de Trnopolje avec un détachement de la police

 19   militaire.

 20   487, trois grands centres de détention, Omarska, Keraterm et Trnopolje

 21   étaient gardés par les soldats, des forces de la police, de la TO et un

 22   association des deux. Il y avait des militaires et des représentants des

 23   autorités civiles qui devaient sélectionner les détenus. Les détenus ont

 24   été abusés, passés à tabac et tués. Des détenus –- pardonnez-moi, les

 25   détenus ont été abusés et passés à tabac par les gardes et des membres des

 26   organisations et des membres des autorités locales et les Serbes locaux

 27   avaient régulièrement le droit d'entrer dans les camps. Des milliers de

 28   personnes ont été détenues dans ces camps dans des conditions très


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  1   difficiles par manque de place entre le mois de mai et novembre 1992 par

  2   les soldats armés placés sous le contrôle de Kuruzovic.

  3   Des détenus de Trnopolje ont été transportés à l'extérieur de la

  4   municipalité. En 492.

  5   493, les autorités du camp à Trnopolje n'ont pas distribué la nourriture,

  6   et à certaines occasions des soldats serbes ont passé à tabac les détenus

  7   croates et musulmans. Dans un tel cas, ils tuaient des détenus musulmans.

  8   Au cours d'un de ces incidents, quelqu'un a pris 11 détenus dans un champ

  9   de blé et les a tués. De surcroît, des soldats qui venaient d'un camp

 10   externe au camp de Kuruzovic, le commandant du camp, a violé certains

 11   détenus.

 12   Finalement, au paragraphe 494, 21 août, 154 détenus de Trnopolje ont été

 13   placés à bord d'autobus et emmenés à Koricanske Stijene, où ils ont été

 14   exécutés par la police et les soldats en uniforme. Telle est l'étendue de

 15   la coopération entre ces différentes structures, telle est l'étendue et la

 16   coopération des efforts conjoints entre les dirigeants des différentes

 17   structures aux fins de nettoyer ethniquement la municipalité de Prijedor de

 18   sa population musulmane et croate, de ses minorités.

 19   Tous ces efforts ont été coordonnés et ont fait l'objet de la coopération

 20   entre ces hommes. La méthode utilisée était celle qui visait à réaliser

 21   l'objectif commun. Non seulement ces organisations travaillaient ensemble

 22   dans plusieurs municipalités, mais sur plusieurs municipalités en même

 23   temps. Les déportations, le transfert forcé étaient fréquent. Ceci était

 24   coordonné par différentes organisations qui agissaient dans différentes

 25   municipalités pour s'assurer que les minorités soient effectivement

 26   expulsées.

 27   Je crois qu'un bref exemple au niveau municipal et étatique suffit, je

 28   crois. Plus de 400 détenus dans l'école Vuk Karadzic à Bratunac ont été


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  1   transférés par le MUP à un centre de détention à Pale où on devait procéder

  2   à un échange de prisonniers serbes. Paragraphe 315.

  3   Le 15 mai 1992, le premier ministre Deric a donné l'ordre aux détenus de

  4   Pale et de Bratunac d'être transférés à Visoko, sur le territoire de la

  5   Bosnie-Herzégovine, à l'extérieur du contrôle serbe de Bosnie. Deric a

  6   donné l'ordre à la cellule de Crise de Sokolac de mettre à disposition

  7   trois camions pour leur transport. La cellule de Crise de Pale devait

  8   organiser leur escorte pour qu'ils puissent passer à Ilijas également. Il

  9   fallait demander une autorisation. La commission centrale des échanges des

 10   prisonniers a traité ces transferts. Jugement, Paragraphes 151, 1 035, 156

 11   et 244.

 12   Il s'agit d'une coopération au niveau étatique, à haut niveau et au niveau

 13   local dans lequel le premier ministre et la commission centrale des

 14   échanges ont été partie prenante, autrement dit des dirigeants de ces

 15   municipalités pour permettre le passage des convois en question.

 16   Avant de passer au deuxième type d'auteurs principaux, il y avait ces

 17   membres de l'entreprise criminelle commune qui ne faisaient pas partie

 18   d'organisations. Je souhaite parler brièvement de la façon dont les membres

 19   de l'entreprise criminelle commune se sont servis de ces organisations et

 20   des rapports qu'ils avaient avec les structures qui se trouvaient à Pale et

 21   les dirigeants de Pale.

 22   Les dirigeants qui étaient basés à Pale dirigeaient et contrôlaient la JNA,

 23   la VRS, la TO, le MUP ainsi que les unités paramilitaires au niveau de la

 24   république et au niveau local. Le contrôle était entre les mains des hommes

 25   politiques au niveau local, au niveau des commandants militaires et la

 26   police, des dirigeants des paramilitaires, ainsi que d'autres unités, ce

 27   que la Chambre d'appel a appelé les simples soldats de l'entreprise

 28   criminelle commune. Je vais évoquer ceci brièvement. Avant de ce faire, je


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  1   souhaite indiquer que tout ce qui a trait à ces structures ou organisations

  2   se trouve dans la partie 3 et 6 du jugement et nous permet de mieux

  3   comprendre comment, en fait, l'état avait la mainmise sur ces structures et

  4   ces organisations afin de réaliser l'objectif commun. Il s'agissait, en

  5   fait, de définir, de communiquer, ensuite de mettre en œuvre cet objectif

  6   commun par le biais de ces structures. Il y avait donc des personnes qui

  7   travaillaient avec eux et qui coopéraient avec eux, à commencer par la TO.

  8   La TO est la force de défense municipale qui avait des liens étroits avec

  9   les cellules de Crise. Les cellules de Crise nommaient et renvoyaient les

 10   commandants de la TO, recevaient des rapports des unités de la TO. Les

 11   cellules de Crise donnaient des ordres aux unités de la TO sur des

 12   questions militaires. Les cellules de Crise ou leurs membres avaient un

 13   rôle militaire tout à fait direct et participaient à des activités

 14   militaires. Les cellules de Crise mettaient à disposition également une

 15   forme d'assistance à la TO, par exemple, les appels à la mobilisation au

 16   sein des municipalités et fournissaient une aide financière ou autre. Au

 17   paragraphe 285.

 18   Déjà le 15 avril 1992, un colonel de la JNA avait été nommé commandant de

 19   la TO serbe de Bosnie aux fins de contrôler la TO locale, comme étant une

 20   mesure provisoire en attendant la mise en place ou la création d'une armée

 21   serbe de Bosnie. Au paragraphe 946.

 22   Lorsque la JNA s'est retirée officiellement de la Bosnie-Herzégovine, les

 23   unités de la TO ont été intégrées à la VRS. Les cellules de Crise locales

 24   étaient souvent tenues pour responsables pour l'appui logistique fourni à

 25   la TO. Aux paragraphes 285 à 286 [comme interprété].

 26   Les commandants de la TO qui étaient des membres de l'entreprise criminelle

 27   commune mettaient en œuvre l'objectif commun en recrutant des membres de

 28   leur organisation. Par exemple, Marko Pavlovic, qui était commandant serbe


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  1   de la TO à Zvornik et qui travaillait avec d'autres membres de l'entreprise

  2   criminelle commune: Branko Grujic, président du SDS de Zvornik et de la

  3   cellule de Crise, et Jovan Mijatovic, qui était membre de l'entreprise

  4   criminelle commune, de la cellule de Crise de Zvornik et député auprès de

  5   l'assemblée serbe de Bosnie, aux fins de déplacer les Musulmans de Kozluc.

  6   La nuit du 20 juin, la TO serbe placée sous le commandant de Marko Pavlovic

  7   a attaqué Kozluc. Le 26 juin, un nombre important de soldats serbes de la

  8   TO et de paramilitaires sont entrés à Kozluk avec leurs chars ainsi que

  9   d'autres véhicules militaires. Dans ce groupe, il y avait Branko Grujic,

 10   Pavlovic et Jovan Mijatovic. Ils ont dit aux Musulmans qu'ils avaient une

 11   heure pour quitter les lieux, ou sinon, ils seraient tués. Le même jour, un

 12   convoi de véhicules organisé par les Serbes ont attaqué et pris le contrôle

 13   de Kozluk. On transportait 1 800 personnes environ à l'extérieur de la

 14   municipalité en Serbie.

 15   Un autre exemple évoquant la destruction de biens porte sur Nedeljko

 16   Davidovic et capitaine serbe de l'unité de la TO de Banja Luka qui

 17   travaillait étroitement avec un membre de l'entreprise criminelle commune,

 18   Dragan Djuric, député au sein de l'assemblée serbe de Bosnie-Herzégovine.

 19   Je ne vais pas évoquer ceci en détail. Ceci se trouve au paragraphe 503.

 20   Maintenant je vais passer à la question des paramilitaires. Des

 21   dirigeants serbes de Bosnie ont invité des paramilitaires. On leur a

 22   demandé de venir et appréciait leurs services. Plavsic a envoyé des lettres

 23   à Seselj, Arkan et Jovic, ensemble ils voulaient se battre pour la serbité.

 24   Paragraphe 938.

 25   Les dirigeants militaires sont des membres de l'entreprise criminelle

 26   commune -- pardonnez-moi, les dirigeants paramilitaires étaient des membres

 27   de l'entreprise criminelle commune. Des dirigeants paramilitaires qui sont

 28   identifiés tous, nommément dans le jugement au paragraphe 1 088. Arkan,


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  1   Blagojevic, Kusic, Mauzer, Milankovic, Vukovic, et bon nombre d'autres noms

  2   que vous aurez entendus déjà comme décrivant des personnes qui ont commis

  3   des crimes eux-mêmes, individuellement.

  4   Les dirigeants serbes de Bosnie se sont servis de paramilitaires au

  5   moment opportun pour terroriser les Musulmans et les Croates afin de

  6   réaliser leur objectif commun. Nonobstant le fait qu'ils étaient au courant

  7   des problèmes que cela posait et que les formations paramilitaires posaient

  8   dans différentes municipalités et qu'ils avaient un comportement

  9   inacceptable. Au jugement, paragraphe 979. Mais au lieu de supprimer ces

 10   groupes, ils les ont intégrés dans l'armée régulière de la VRS. Certains

 11   groupes ont demandé aux comités centraux du SDS, des cellules de Crise et

 12   les gouvernements régionaux de les accepter comme combattants pour la cause

 13   serbe bien qu'ils aient un casier judiciaire, parce que c'étaient des

 14   éléments incontrôlés et leur efficacité était brutale. D'autres les ont

 15   tolérés, parce qu'ils n'avaient pas provoqué tant de problèmes que cela et

 16   les autorités légitimes serbes les ont intégrés. Paragraphes 215 à 979.

 17   Des comités centraux du SDS locaux, les cellules de Crise et d'autres

 18   gouvernements du SAO ont également demandé aux groupes paramilitaires de

 19   leur venir en aide, par exemple, les Guêpes jaunes, les Bérets rouges, les

 20   hommes d'Arkan, les hommes qui agissaient à Bijeljina, Brcko et Zvornik.

 21   Les groupes paramilitaires locaux ont ainsi fait partie des

 22   municipalités. Ils ont participé sur la prise de contrôle, ont commis des

 23   crimes et plus tard dans différentes municipalités, ont travaillé

 24   étroitement avec la police, ainsi que les organisations policières,

 25   politiques et militaires. Par exemple, aux fins de réaliser des objectifs

 26   communs, des hommes politiques locaux et de la cellule de Crise ont

 27   travaillé en étroite collaboration en coopération avec la police, les

 28   militaires, les unités paramilitaires, les Aigles bleus qui avaient


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  1   clairement des liens étroits avec les autorités serbes locales. Jugement,

  2   paragraphe 618.

  3   Ensuite, la JNA s'est retirée de Visegrad le 19 mai, la ville était

  4   placée sous le contrôle des autorités serbes qui était gérée exclusivement

  5   par la police serbe. Les autorités serbes locales ont autorisé les

  6   paramilitaires à se déplacer en ville. Paragraphe 696. Ils se sont servis

  7   de l'objectif commun pour démontrer que leurs actions leur permettaient

  8   d'assujettir les Musulmans, de mal les traiter et de les humilier, et de

  9   les violer et de les passer à tabac.

 10   Les forces serbes qui comprenaient les paramilitaires ont tué plus de

 11   266 civils non-serbes, en particulier des Musulmans de Visegrad en juin

 12   1992 et les mois suivants. Au paragraphe 701. Plus de 200 d'entre eux sont

 13   maintenant dans la catégorie des personnes portées disparues. Ceci a été

 14   précisé dans les faits admis en vertu du jugement antérieur, que la Chambre

 15   d'appel a évoqué et dont elle a tiré ses déductions pour dire que les

 16   forces serbes avaient commis ces crimes. Aux paragraphes 698 à 701.

 17   Les membres de l'entreprise criminelle commune, le dirigeant

 18   militaire Milan Lukic et les unités paramilitaires locales se sont servis

 19   de cette unité pour tuer environ 600 [comme interprété] personnes en les

 20   enfermant dans une maison et en mettant le feu à cette maison, en tirant

 21   sur ceux qui essayaient de s'enfuir. Paragraphe 699. Egalement utilisaient

 22   leurs biens. 696. Les crimes correspondent au schéma évoqué dans l'objectif

 23   commun aux fins de terroriser la population pour l'obliger à partir. La

 24   police a pris part à ces expulsions. La coopération entre les autorités

 25   locales dans la municipalité et les paramilitaires était tellement efficace

 26   qu'en quelques semaines à Visegrad il n'y avait quasiment plus aucun civil

 27   musulman. Paragraphe 700.

 28   J'ai déjà parlé des crimes commis par des membres de l'entreprise et


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  1   des dirigeants paramilitaires tels que Mauzer, Blagojevic et les frères

  2   Vukovic. Je vous demande de vous rapporter aux paragraphes que j'ai cités

  3   s'agissant de leurs crimes, car ceci montre ici comment ces unités

  4   paramilitaires ont été utilisées par eux afin de commettre les crimes.

  5   Je parle de l'armée. S'agissant des crimes commis par des membres de

  6   l'armée, la Chambre de première instance a opéré une distinction entre la

  7   période qui a précédé et la période qui a suivi l'établissement de la VRS,

  8   le 12 mai 1992.

  9   Lorsque ont commencé les prises de contrôle en avril 1992, la JNA et

 10   les hommes serbes de Bosnie, qui étaient en âge de combattre et qui

 11   n'avaient pas été recrutés, ont constitué l'armée serbe sur le terrain.

 12   Jugement, paragraphe 925. La coopération entre la JNA et les dirigeants

 13   serbes de Bosnie n'était pas un secret. Paragraphe 946. Krajisnik savait

 14   qu'il y avait une coopération avec la JNA lors de la prise de pouvoir, de

 15   contrôle. Paragraphe 947. La Chambre a explicitement rejeté l'intervention

 16   qu'a faite Krajisnik, à savoir que la JNA aurait été neutre avant le 12 mai

 17   1992. Paragraphe 192.

 18   Comme l'a dit le commandant de la 2e Région militaire de la JNA, les

 19   dirigeants des Serbes et tous les Serbes sont prêts à partir en guerre.

 20   Paragraphe 42.

 21   Les commandants de la JNA, des membres d'entreprise, des soldats, des

 22   personnes qui n'étaient pas membres de l'entreprise criminelle commune ont

 23   tous participé à la réalisation des effectifs. Un exemple, le lieutenant-

 24   colonel Tadija Manojlovic de la JNA, officier de l'entreprise qui, en avril

 25   1992, à la fin de ce mois, a ordonné une attaque à l'artillerie lourde, à

 26   la roquette et aussi par des canons antiaériens et des chars pour tirer sur

 27   Sarajevo et ses quartiers. Au début du mois de mai 1992, les forces serbes

 28   contrôlaient Ilidza. Paragraphe 553.


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  1   Le général Jankovic de la JNA, membre du 17e Corps de la JNA a

  2   participé à la prise de contrôle à Bijeljina et à la détention illicite de

  3   quelque 3 000 civils, qui étaient surtout des Musulmans, a à la caserne de

  4   Bijeljina et à la caserne de Patkovaca. Paragraphe 301.

  5   Un autre membre de l'entreprise, le capitaine Reljic, commandant de

  6   la JNA, a participé à la prise de contrôle dans la municipalité de

  7   Bratunac. Le 16 avril, la TO de Bratunac a été mobilisée. Au cours des

  8   jours qui ont suivi les unités paramilitaires d'Arkan et de Seselj, ainsi

  9   que l'unité de la JNA commandée par le capitaine Reljic, sont arrivées dans

 10   la municipalité. Alors que la JNA et la TO commençaient à désarmer les

 11   villageois musulmans dans toute la municipalité, les paramilitaires ont

 12   harcelé les habitants de la municipalité et ont vandalisé les maisons

 13   abandonnées par les Musulmans.

 14   La plupart des dirigeants musulmans ont quitté la municipalité pour

 15   aller à Srebrenica après avoir été l'objet de menaces de la part des unités

 16   paramilitaires serbes, ce qui veut dire que Bratunac a été soumise au

 17   contrôle serbe. Paragraphe 311.

 18   Lorsque la VRS a été établie, je vous l'ai dit, c'était le 12 mai

 19   1992, à une réunion de l'assemblée des Serbes de Bosnie, Krajisnik a

 20   encouragé la création de la VRS. Mladic a été nommé commandant du Grand

 21   état-major de la VRS. Paragraphe 194. Mladic était directement subordonné à

 22   la présidence. Même paragraphe. Il était commandant du Grand état-major, en

 23   tant que tel et il était membre de l'entreprise criminelle commune. Ses

 24   chefs militaires sur le terrain, eux aussi, ont été déclarés membres de

 25   cette entreprise.

 26   Le Grand état-major de la VRS a toujours informé et correctement informé

 27   les membres de la présidence de la situation militaire qui prévalait dans

 28   toute la République serbe de Bosnie. Les dirigeants politiques ont transmis


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  1   des ordres aux chefs militaires,  dont des ordres oraux et des ordres

  2   donnés aux militaires qui assistaient aux réunions de la présidence.

  3   Paragraphe 206.

  4   La VRS a participé à tous les crimes commis pendant les attaques et les

  5   détentions. Peu de temps après qu'elle eut été établie, la VRS a donné des

  6   ordres écrits pour que tous les hommes musulmans aptes au combat, au

  7   service militaire, soient détenus. Paragraphe 1038.

  8   L'utilisation par un membre de cette entreprise de la VRS afin de réaliser

  9   ce projet commun est illustrée par les actions entreprises par un membre de

 10   cette entreprise, le commandant Svetozar Andric, commandant de la 1ère

 11   Brigade Birac qui était active à Zvornik en avril et en mai 1992.

 12   Vers le 28 mai, de 400 à 500 Musulmans du village de Divic, dont des

 13   femmes, des enfants et des personnes âgées ont dû monter dans des bus, ils

 14   ont été forcés à monter dans ces bus par des membres des Guêpes jaunes et

 15   on a dit qu'on allait les amener dans le territoire musulman. Andric avait

 16   donné un ordre le 28 mai 1992, il avait ordonné à la TO de Zvornik, je le

 17   cite : "Il faut organiser le déplacement de la population musulmane et

 18   coordonner ce déplacement avec les municipalités par lesquelles le convoi

 19   doit passer. Seuls les femmes et les enfants peuvent partir alors que les

 20   hommes aptes au service militaire doivent être placés en détention dans des

 21   camps en vue d'un échange." Paragraphe 1 043.

 22   Un autre exemple, Marko Adamovic, qui commandait l'unité de la police dans

 23   la région de Kljuic, vers le 1er juin 1992, il avait une centaine de

 24   policiers serbes armés avec lui et est arrivé dans le village musulman de

 25   Provo. Quarante villageois qui étaient sans armes, dont des femmes et des

 26   enfants ont dû s'aligner le long d'un mur d'une maison. Plusieurs habitants

 27   ont été frappés et de cinq à huit hommes ont été tués. Adamovic s'est servi

 28   d'un porte-voix pour donner l'ordre aux soldats d'incendier le village et


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  1   de tuer les femmes et les enfants. Lorsque les hommes ont été conduits hors

  2   du village vers Peci, on a entendu une explosion et des coups de feu qui

  3   venaient du village, parce que les soldats serbes ont ouvert le feu sur les

  4   civils qui restaient dans le village. Il y a un soldat qui a lancé une

  5   grenade dans ce groupe et ainsi tué plusieurs femmes. Quelque 38 personnes

  6   ont été tuées dont des enfants et il y a au moins une maison qui a été

  7   incendiée. Paragraphe 450.

  8   Un autre exemple, Talic, qui le chef du corps de Krajina à Banja Luka pour

  9   ce qui est du camp de Manjaca qui a un contenu de 700 à 800 [comme

 10   interprété] détenus et cela n'a été possible que par l'intervention de la

 11   VRS et de Serbes locaux qui étaient prêts à apporter leur concours.

 12   Paragraphes 883 et 94 [comme interprété].

 13   La situation dans les autres camps de détention contrôlés par la VRS

 14   n'était pas différente.

 15   Si on parle de la police, on retrouve ici une situation récurrente,

 16   contrôle absolu des membres de l'entreprise criminelle commune sur ce qui

 17   se passe et l'intervention, l'utilisation des membres de la police en vue

 18   de commettre les crimes destinés à encourager la réalisation du projet

 19   commun.

 20   Mico Stanisic, ministre de l'Intérieur, chef de la police, il était nommé

 21   membre de l'élément de l'entreprise se trouvant à Pale. Paragraphe 1 087.

 22   Il y avait sous ses ordres, les CSB régionaux et les SJB municipaux. On

 23   trouve dans les membres de l'entreprise criminelle des commandants de

 24   police locaux. Simo Drljaca et notamment Stojan Zupljanin. La Chambre de

 25   première instance a constaté au paragraphe 255 que les forces du MUP se

 26   sont livrées à des activités criminelles dans les municipalités retenues

 27   dans l'acte d'accusation, ça pouvait être pour faire des profits de guerre,

 28   ça pouvait être aussi l'administration de centres de détention où se


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  1   trouvaient des Croates et des Musulmans de Bosnie qui ont subi des sévices.

  2   En 1992, le MUP des Serbes de Bosnie a fortement participé aux opérations

  3   des centres de détention. Paragraphe 249.

  4   Les unités participant à forcer les non-Serbes à quitter les municipalités

  5   qui devraient devenir un territoire "serbe" à partir d'avril jusqu'en

  6   décembre 1992, les membres du MUP ont aussi beaucoup participé à des

  7   combats sous l'égide de la VRS.

  8   Les chefs du MUP ont également participé à l'objectif commun criminel.

  9   Vitomir Popic, membre de l'entreprise criminelle, était le chef de police à

 10   Gacko, il a utilisé ses officiers, ses policiers et les Serbes locaux pour

 11   commettre des actes d'emprisonnement illicites, d'assassinat, de viol et de

 12   torture. Fin mai, début juin 1992, la police locale commandée par Popic

 13   avec le chef local des Aigles blancs a commencé à arrêter des Musulmans

 14   pour les placer dans un centre de détention dans la municipalité de

 15   Bjelica. Début juin, il y avait environ 120 détenus musulmans au poste de

 16   police de Gacko. Quelques-uns des détenus ont subi régulièrement des

 17   sévices. Les conditions de détention étaient très dures.

 18   Le 3 juillet 1992, cinq Musulmans ont été exécutés par sept Serbes locaux

 19   dirigés par le chef de la police Popic. Le 4 juillet 1992, dans ce même

 20   poste de police, Popic a contraint un détenu à regarder le viol de sa

 21   propre femme par un Serbe de l'unité de Munja des Bérets rouges, qui était

 22   aidé dans cet acte par deux autres Bérets rouges armés. Paragraphe 656.

 23   Je parlais ainsi des groupes militaires. Mais quand on pense aux structures

 24   politiques, aux hommes politiques faisant partie des cellules de Crise et

 25   du Parti SDS, leur comportement n'était pas différent. Là aussi, ils

 26   avaient un lien avec les dirigeants serbes de Bosnie par l'intermédiaire

 27   des hommes que les dirigeants serbes de Bosnie y avaient placés.

 28   Cette politique, ces membres du SDS ont joué un rôle important dans


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  1   l'exécution. Les dirigeants basés à Pale étaient tous de hauts

  2   fonctionnaires ou des hommes politiques importants du SDS. C'était vrai

  3   pour Krajisnik qui était membre du comité central et président de

  4   l'assemblée. Karadzic, lui, était président du SDS. Les hommes politiques

  5   locaux ont été membres de l'entreprise, notamment comme le dit le

  6   paragraphe 1 088. Beaucoup d'entre eux étaient des députés du SDS ou des

  7   membres de son comité central.

  8   Quelle fut l'une des contributions de Krajisnik. Il a formulé, il a

  9   encouragé, il a participé au développement des politiques du SDS qui avait

 10   pour vocation de faire valoir cette entreprise criminelle commune et son

 11   objectif.

 12   Les cellules de Crise ont été transformées en organes de la république le 4

 13   avril lorsque la SDS en a décidé ainsi et a donné pour instruction au TO et

 14   aux policiers de réserve d'être prêts à intervenir.Paragraphe 263.

 15   Le rôle de coordination du SDS, l'influence prédominante qu'il avait sur

 16   les cellules de Crise se reflète dans le fait que pratiquement toutes les

 17   cellules de Crise des municipalités reprises dans l'acte d'accusation

 18   avaient au moins un député à l'assemblée des Serbes de Bosnie ou un membre

 19   du comité central du SDS. Paragraphes 265 et 266.

 20   Les cellules de Crise faisaient rapport en passant par le comité central du

 21   SDS, par l'assemblée des Serbes de Bosnie et par des chefs individuels que

 22   Karadzic et Krajisnik qui faisaient rapport à la présidence. Paragraphe

 23   270.

 24   Les actions municipales étaient des actions des chefs à Pale. Ceci est

 25   mieux résumé au paragraphe 267, en veillant à ce qu'il y ait au moins un

 26   député qui fasse partie de la cellule de Crise, de cette façon, les

 27   dirigeants serbes de Bosnie ont pu exercé un contrôle significatif sur ces

 28   municipalités. Vous avez la cellule de Crise d'Ilidza qui a été un exemple


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  1   et qui montre ce lien entre eux. Je vous rappelle que c'était le lieu où

  2   Krajisnik se trouvait.

  3   Les liens qu'il y avaient par donner des ordres directs aux cellules de

  4   Crise, ordres qui étaient reçus et exécutés. A leur tour, les cellules de

  5   Crise citaient les ordres donnés par les organes régionaux et centraux

  6   comme étant la base de leurs actions. Les autorités centrales de la

  7   république soutenaient aussi ces cellules de Crise par des prêts qu'elles

  8   faisaient par le financement notamment pour des armes et des munitions.

  9   Paragraphes 140, 268 et 270.

 10   Les dirigeants serbes de Bosnie ont resserré le pouvoir qu'ils avaient sur

 11   ces municipalités le 10 juin 1992 lorsque la présidence a remplacé la

 12   présidence de Guerre par des commissions de guerre se composant de quatre

 13   membres dont un commissaire d'Etat désigné par la présidence. Celui-ci

 14   devait désigner les autres membres qui devaient recevoir l'aval de la

 15   présidence. 

 16   A partir de juillet 1992, Krajisnik était le membre de la présidence

 17   qui avait la responsabilité de ses commissaires de guerre, il était leur

 18   personne de contact. Paragraphes 271, 264 [comme interprété], 192 [comme

 19   interprété], 276 et 277.

 20   Les cellules de Crise étaient le ciment, ce qui permettait la

 21   cohésion de cette machine de guerre sous l'influence prédominante du SDS,

 22   c'était l'instance de coordination servant de lien entre l'élément

 23   politique, l'élément militaire et les autres forces de la municipalité. Ils

 24   ont pris le contrôle de ces municipalités avec l'aide de la TO, de la

 25   police, des serbes locaux armés et aussi du MUP pour établir des postes de

 26   contrôle et pour désarmer la population non-serbe, pour imposer des couvre-

 27   feux et d'autres mesures dirigées contre la population non-serbe afin que

 28   celle-ci quitte le territoire. De quelle façon ces hommes politiques par


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  1   leurs actions sont-ils mieux intervenus pour que se réalise cet objectif,

  2   ceci se voit dans les actions de Nedjeljko Rasula qui est président de

  3   l'assemblée municipale de Sanski Most et député à l'assemblée serbe de

  4   Bosnie.

  5   Le 22 juin, une vingtaine de détenus du camp de prison de Betonirka

  6   ont été emmenés à Kriva Cesta tout près où des hommes leur ont ordonné de

  7   creuser leurs propres tombes. Une dizaine de ceux-ci dont Rasula étaient

  8   assis à une table pliante et regardaient ces hommes creuser leurs tombes.

  9   Quand ils ont eu terminé, un soldat les a tous égorgés à l'exception de

 10   trois détenus, qui eux, ont été ramenés au camp.

 11   Il y a aussi Dusko Kornjaca, président de la cellule de Crise du SDS

 12   à Cajnice, ministre de la Défense de la SAO d'Herzégovine. Je cite : "En

 13   juin 1992, les autorités serbes ont détruit les mosquées." C'est ce que dit

 14   le paragraphe 620 du jugement. "Détruit les mosquées de la ville de Cajnice

 15   à l'aide d'artillerie et d'explosifs. Le président de la cellule de Crise

 16   du SDS Kornjaca apparemment était enthousiaste en public face à cette

 17   action. Plus tard en 1992, il a ordonné la destruction de tous les autres

 18   lieux de culte musulman afin d'éliminer toutes traces de la présence

 19   musulmane à Cajnice." Paragraphe 620.

 20   Je vous rappelle également ce qu'ont fait les autres personnalités

 21   politiques régionales au niveau de l'Etat. Qu'est-ce que ceci prouve ? Ceci

 22   prouve que Krajisnik était en compagnie des membres du comité central du

 23   SDS, des députés SDS, de l'assemblée des Serbes de Bosnie et que tout ceux-

 24   ci ont participé à ces crimes sur toutes les municipalités. Nous ne parlons

 25   pas simplement d'une municipalité, on a pris un exemple mais ceci est

 26   typique et classique de ce qui s'est fait dans toutes les municipalités. La

 27   Chambre à titre illustratif a pris des exemples précis et a nommé les

 28   membres de l'entreprise criminelle commune pour en citer d'autres de façon


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  1   plus générale, par exemple, pour citer un commandant de la JNA, un chef de

  2   police responsable de certains de ces crimes. Une chose est claire à la

  3   suite de tous ces exemples, tous ces chefs, tous ces dirigeants se sont

  4   servis de leurs hommes pour que ceux-ci commettent personnellement des

  5   crimes ou que ces hommes commettent des crimes afin que se réalise

  6   l'objectif commun.

  7   Je voudrais maintenant parler de l'autre type d'auteur principal,

  8   ceux qui ne sont pas membres d'une organisation.

  9   Ceci a déjà été évoqué, les membres de l'entreprise criminelle

 10   commune se sont parfois servis de personnes qui ne faisaient pas partie de

 11   la structure pour que des crimes soient commis. Ces personnes ont travaillé

 12   de concert ou en étroite coopération avec ces organisations. Mme Goy vous

 13   en a parlé, elle a dit que c'était des Serbes locaux, j'utiliserai les

 14   mêmes termes.

 15   Par exemple, des Serbes locaux qui travaillaient comme gardes dans

 16   des camps de détention ou des civils qui étaient autorisés à y entrer ont

 17   commis des crimes contre des détenus. Nous en avons vu plusieurs exemples

 18   déjà. La Chambre était en droit, partant des éléments de preuve présentés,

 19   de déduire que ces hommes avaient été utilisés par les membres de

 20   l'entreprise qui étaient responsables des camps.

 21   Nous l'avons déjà dit au camp de Keraterm, dans le camp de Trnopolje

 22   qui était administré par le MUP et la VRS, les détenus ont été exécutés et

 23   soumis à des sévices graves dont des sévices psychologiques, des passages à

 24   tabac, des sévices sexuels et de la torture. Ces crimes ont été également

 25   commis par des Serbes de la localité qui étaient régulièrement autorisés à

 26   entrer dans les camps pour y imposer des sévices, des passages à tabac et

 27   tuer des prisonniers.

 28   Autre exemple de Serbes locaux armés qui soutiennent la JNA, la VRS


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  1   et qui participent à des opérations de prise de contrôle ou de nettoyage et

  2   qui commettent des crimes, meurtres, destruction de propriété. A Foca, les

  3   forces serbes ont pris le contrôle de villages musulmans dans la

  4   municipalité de Foca, elles les ont détruits. Ceci s'est poursuivi jusqu'au

  5   début du mois de juin 1992. Il y avait parmi ces forces serbes des

  6   militaires, la police, des paramilitaires et parfois des villageois serbes.

  7   Au cours de ces attaques, les appartements, les maisons de Musulmans ont

  8   systématiquement été vandalisés et incendiés. Les villageois musulmans ont

  9   été rassemblés, capturés, parfois tués, battus au cours de ce processus. Un

 10   des nombreux exemples de l'utilisation de non-membres de l'entreprise par

 11   des membres de celle-ci afin de réaliser ses objectifs communs. Ces gens

 12   n'étaient pas à l'intérieur de la structure mais ces gens ont travaillé en

 13   étroite coopération avec cette structure pour parvenir à cet objectif

 14   commun.

 15   Parfois le lien entre un membre de l'entreprise et les Serbes locaux

 16   n'est pas si clair. On voit des références à cela dans le paragraphe. Mme

 17   Goy vous l'a expliqué, la Chambre était en droit de faire des déductions

 18   partant des éléments de preuve qu'on trouve dans toute la partie consacrée

 19   aux municipalités ou dans d'autres parties du jugement pour rechercher ou

 20   établir ce lien. Il ne fallait pas que la Chambre précise chacun des liens

 21   existant pour chacun des crimes. De toute façon, les liens entre les crimes

 22   et les membres de l'entreprise deviennent plus clairs une fois qu'on

 23   examine les éléments de preuve cités dans le jugement.

 24   Un exemple que je prends dans la municipalité de Bratunac, paragraphe

 25   315. Le 10 mai 1992, les paramilitaires serbes ont aussi attaqué Krasan

 26   Polje tout près de Vitkovici, dans la municipalité de Bratunac. Ce jour-là,

 27   plus de 500 Musulmans venant de villages de la municipalité ont été détenus

 28   dans l'école Vuk Karadzic. Des détenus ont subi des sévices graves, ont été


Page 276

  1   battus de façon répétée. Des dizaines d'entre eux ont été tués par des

  2   Serbes locaux armés et par des membres de groupes paramilitaires. Trois

  3   gardes ont forcé tous les détenus à s'agglomérer dans une partie de la

  4   salle de sport, ce qui fait que sept ou huit personnes ont été étouffées et

  5   ont trouvé la mort. Plusieurs hommes ont été emmenés par les gardes et

  6   tués. Quelque 50 détenus ont été frappés à mort par les gardes de cette

  7   salle.

  8   Ce paragraphe identifie les auteurs comme étant des Serbes locaux,

  9   des membres des groupes paramilitaires et des gardes.

 10   On peut se demander comment la Chambre était en droit de conclure que

 11   ces hommes auraient été utilisés par les membres de l'entreprise criminelle

 12   commune. Vous trouverez la réponse dans la note de bas de page. La pièce

 13   P485 établit que le chef du MUP avait la responsabilité de l'école Vuk

 14   Karadzic. Il y avait une partie des bâtiments de l'école qui était le QG

 15   des forces militaires serbes. Un soldat armé surveillait la salle des

 16   sports. P72 montre que les réservistes de la JNA surveillaient l'école. Le

 17   lien, il passe par le commandant du camp, le chef du MUP et le commandant

 18   local de la JNA.

 19   Ici, dans cet exemple, les Serbes locaux ont agi de concert et en

 20   étroite collaboration avec des membres de l'armée et de la police pour

 21   commettre les crimes destinés à faire avancer l'objectif commun. Le membre

 22   qui était à la tête de l'organisation devait autoriser cette utilisation.

 23   Or personne n'a été puni ou renvoyé pour avoir commis ces crimes. En fait,

 24   ces crimes ont été répétés par ces membres et ces personnes qui n'étaient

 25   pas membres se sont comportées comme si elles étaient des membres de cette

 26   organisation, ce qui veut dire que quand ils ont commis des crimes ces gens

 27   ont été utilisés par le membre de l'entreprise comme s'ils faisaient partie

 28   de son organisation.


Page 277

  1   Ma réponse à votre question peut s'appliquer à tous les crimes commis par

  2   des non-membres. Notre analyse montre qu'il y a une réponse et un lien et

  3   cela passe par la structure, parce qu'il y a coopération avec la structure

  4   pour commettre ces crimes. Il y a un seul fait, une seule constatation, où

  5   effectivement la déduction est un peu atténuée. Dans ce paragraphe 670, on

  6   parle de plusieurs Musulmans qui ont fui le village de Presjeka dans la

  7   municipalité de Nevesinje vers les monts Velez le 22 juin 1992, après

  8   pilonnage de leur village par les forces serbes. La constatation dit ceci :

  9   "Seize personnes âgées n'ont pas pu marcher suffisamment vite, ont été

 10   abandonnées sur le chemin et ont été plus tard tuées par un Serbe local."

 11   L'élément de preuve ne donne pas davantage d'information quant à un

 12   éventuel lien avec un membre de l'entreprise. Ce paragraphe constate que le

 13   fait d'avoir attaqué -- ou constate, pardon, que les forces qui avaient

 14   attaqué le village étaient des forces serbes, dont la VRS.

 15   Vu les circonstances, à la lumière de tous les éléments de preuve, il

 16   était raisonnable et la déduction était que le Serbe local faisait partie

 17   des forces assaillantes serbes. C'est la seule déduction dont on pourrait

 18   dire qu'en raison du manque d'éléments de preuve, on peut avoir peut-être

 19   un certain doute, mais c'est le seul lien qui soit problématique que nous

 20   avons pu cerner en analysant chacun des crimes commis.

 21   J'aimerais en quelques mots arriver à la fin de mon exposé –

 22   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Pardon.

 23   M. KREMER : [interprétation] Oui.

 24   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je pense que le Juge Meron voudrait

 25   vous poser une question.

 26   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je voudrais m'assurer d'une chose.

 27   Est-ce que vous avez répondu à l'argument présenté auparavant par le

 28   conseil de la Défense qui laissait entendre que M. Krajisnik, en sa qualité


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  1   de chef du parlement, donc pas en tant que chef d'un exécutif, ne pourrait

  2   pas être considéré comme étant membre de l'entreprise criminelle commune,

  3   car on a fait valoir qu'il n'a participé qu'à des efforts diplomatiques

  4   locaux et politiques. Je pense qu'il serait utile que l'Accusation réagisse

  5   à ce qu'a dit la Défense. Il serait utile que l'Accusation mentionne tel ou

  6   tel discours fait par l'appelant permettant d'établir au-delà de tout doute

  7   raisonnable qu'il faisait sien et partageait ces objectifs illicites de

  8   l'entreprise criminelle commune.

  9   Je vous remercie, Monsieur le Président.

 10   M. KREMER : [interprétation] Permettez-moi tout d'abord de rappeler à la

 11   Chambre que ce n'est pas un procès consacré au discours de la haine, que

 12   cette affaire porte sur le fait de participer ou de se rallier à une

 13   entreprise criminelle commune qui a pour objectif commun la perpétration de

 14   crimes, ici, en l'occurrence, des crimes graves concernant un territoire

 15   très important, crimes d'extermination, de persécution, de déportation et

 16   expulsion et de transfert forcé.

 17   La décision portant sur l'élément moral, elle ne se fonde pas uniquement

 18   sur les discours faits par M. Krajisnik. Cette déclaration de culpabilité

 19   repose sur tous les éléments de preuve, dont la participation des

 20   dirigeants serbes de Bosnie à l'exécution, à la mise en œuvre de ces

 21   objectifs communs.

 22   Eu égard à l'intention délictueuse nourrie par Krajisnik, j'aimerais vous

 23   répondre, Monsieur le Juge Meron, ainsi qu'indiquer aux autres Juges de la

 24   Chambre ce qui figure dans la pièce 292, intercalaire 21, notamment en page

 25   4 de cette pièce de l'Accusation. Nous voyons que M. Krajisnik, dans ce

 26   document, dit ce qui suit, je cite : "Tout ce que nous faisons au sein de

 27   ce parlement, tout ce que je fais personnellement, je le fais exclusivement

 28   en vue d'obtenir des régions pures."


Page 279

  1   Il n'y a aucune ambiguïté dans ce qu'il dit là. Ce n'est pas un discours

  2   politique destiné à tous les parlementaires. Ce qui leur dit c'est : voilà

  3   ce que nous faisons, et il le dit aux parlementaires qui sont présents dans

  4   la salle. Il savait de quoi il parlait en s'exprimant ainsi et ceux qui

  5   l'écoutaient savaient de quoi il parlait. Compte tenu de la masse

  6   d'éléments de preuve qui a été portée à la connaissance de la Chambre de

  7   première instance, eu égard qui a participé à ces crimes, les membres du

  8   SDS, les députés du SDS, les dirigeants, étant donné l'instrumentalisation

  9   de toutes sortes de structures, la seule conclusion que pouvait tirer la

 10   Chambre de première instance, c'est que M. Krajisnik était impliqué dans

 11   tout cela aussi gravement que tous les autres. En fait, au vu des éléments

 12   de preuve qui ont été soumis à la Chambre de première instance, celle-ci a

 13   décidé qu'il était au sommet des responsables en même temps que Karadzic,

 14   au somment du groupe qui voulait aboutir à cet objectif. Ces hommes ont

 15   travaillé ensemble pour veiller à ce que cette vision de pureté d'une

 16   région, de pureté de la Serbie, où il n'y aurait plus aucun Musulman, plus

 17   aucun Croate, soit réalisable, et ils l'ont réalisé en utilisant des

 18   structures au niveau de l'Etat de façon criminelle afin d'obtenir

 19   l'aboutissement de leur projet. Il a été réalisé neuf mois plus tard au

 20   prix de 3 000 vies humaines et de la destruction de centaines de milliers

 21   de vies qui étaient celles des personnes résidant précédemment dans la

 22   région, et ce, depuis des siècles.

 23   Oui, Me Dershowitz déclare qu'il faut tenir compte de l'histoire, mais ne

 24   tenez pas compte de l'histoire uniquement du point de vue des Serbes,

 25   examinez-la du point de vue de ceux qui ont été chassés de la région.

 26   J'ai encore besoin de cinq minutes. Je m'engage à en terminer en cinq

 27   minutes. Je vous remercie.

 28   Le jugement, dans la plupart des cas, ne cite rien de très précis sur le


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  1   plan factuel eu égard aux liens entre les trois actes de persécution, de

  2   mise en détention illégale et de destruction de biens individuels et

  3   culturels ainsi que de monuments du culte.

  4   Ce que la Chambre de première instance a fait c'est traiter

  5   précisément des exemples les plus significatifs dans les différentes

  6   municipalités qu'elle a eues à examiner compte tenu de l'aspect massif des

  7   éléments de preuve montrant qu'il y avait comportement systématique eu

  8   égard à la mise en détention illégale, destruction de propriétés dans

  9   toutes les municipalités citées à l'acte d'accusation. Ces éléments de

 10   preuve ont permis à la Chambre de conclure que ces actes faisaient partie

 11   de la poursuite d'un objectif commun et ont été mis en œuvre en se servant

 12   d'organisations qui étaient placées sous le contrôle de l'entreprise

 13   criminelle commune, autrement dit des forces serbes. Je vais simplement

 14   aborder quelques exemples et j'en aurai terminé.

 15   La Chambre de première instance estime que la mise en détention a été

 16   illégale dans 33 municipalités, dans plus de 350 centres de détention. Au

 17   paragraphe 810. Dans la municipalité de Prijedor, par exemple, nous voyons

 18   comment les centres de détention ont été utilisés. Paragraphe 483. Les

 19   autorités serbes ont placé en détention principalement des Croates et des

 20   Musulmans, tout civil dans 58 lieux de détention et centres de regroupement

 21   de la municipalité de Prijedor en 1992. Cinq d'entre eux étaient considérés

 22   comme des centres de détention à long terme. Je veux parler de Keraterm,

 23   Trnopolje, Omarska en particulier. Le poste de police de la ville de

 24   Prijedor et les postes de Miska Glava sont intervenus à cette fin. Les

 25   autres 53 lieux mentionnés à l'annexe C de l'acte d'accusation étaient des

 26   lieux de court séjour en détention. La plupart des Musulmans et des Croates

 27   de Prijedor ont été détenus quelque temps dans l'un ou l'autre des lieux de

 28   détention au centre de regroupement durant l'année 1992.


Page 281

  1   Les cinq centres de détention mentionnés sont évoqués en détail, 52

  2   autres ou 53 autres ne le sont pas. La Chambre de première instance ne

  3   fournit pas tous les détails pour chacune de ses conclusions, s'agissant de

  4   qui a créé et fait fonctionner les autres centres de détention que je viens

  5   d'évoquer. Mais à notre avis, malgré cela, la Chambre était en droit de

  6   considérer que ces actes faisaient partie de la poursuite de l'objectif

  7   commun, et qu'ils ont été le fait des forces serbes ou d'autorités serbes

  8   agissant à cette fin. Pourquoi ? Parce que tous les éléments de preuve ont

  9   démontré qu'il existait un système, un modèle de comportement eu égard à la

 10   façon dont fonctionnaient les lieux de détention et à leur usage par les

 11   membres de l'entreprise criminelle commune pour aboutir à l'objectif commun

 12   dans les municipalités concernées.

 13   La détention faisait partie de ce système agressif visant la

 14   population non-serbe. Paragraphe 708. Les centres de détention pour les

 15   civils ont été instrumentalisés et ont constitué un maillon de la logique

 16   globale visant à l'expulsion.

 17   Paragraphe 1 055. Les lieux de détention où étaient enfermés des civils ont

 18   été utilisés comme moyens pour faire pression sur les non-Serbes afin

 19   qu'ils quittent le territoire. Paragraphe 1 043.

 20   La même démarche a été utilisée eu égard aux destructions. La destruction,

 21   si vous vous penchez sur la question avec précision, s'est faite dans le

 22   cadre d'une coopération entre des organisations utilisées par les membres

 23   de l'entreprise criminelle commune. Les forces serbes se sont servies

 24   d'artillerie lourde, de mortiers, de chars ainsi que d'explosifs ou de

 25   bombes incendiaires pour séparer différentes zones et détruire les

 26   propriétés appartenant à des non-Serbes. Paragraphes 830, 837 et 838 du

 27   jugement.

 28   La destruction a donc fait partie de ce système global d'attaques contre la


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  1   population non serbe qu'a décrit la Chambre aux paragraphes 707 à 709 du

  2   jugement. La destruction de maisons faisait que les villageois ne pouvaient

  3   plus revenir. Paragraphe 708.

  4   S'agissant de la destruction de bâtiments culturels, Predrag Radic a

  5   témoigné en disant qu'en 1992, les Serbes avaient détruit des mosquées en

  6   divers lieux de l'ARK [comme interprété], afin de supprimer toutes traces

  7   de la présence musulmane dans ces régions. Paragraphe 387 [comme

  8   interprété]. Le fait que les dirigeants bosno-serbes ont accepté et

  9   approuvé des destructions aussi systématiques que celles-là, de propriétés

 10   privées appartenant à des non-Serbes est admis par le ministre de la

 11   Justice en personne. En mai 1992, Momcilo Mandic dans une conversation

 12   téléphonique a déclaré : "Nous avons assiégé les Turcs de Sarajevo." Il a

 13   ajouté qu'il voulait construire une nouvelle ville de Sarajevo, plus belle

 14   que la précédente. "Nous n'apprécions pas toute ces anciennes synagogues et

 15   mosquées. Nous devons changer l'architecture et tout changer." Et le 23

 16   avril, Mandic était prêt à créer une nouvelle municipalité de Sarajevo,

 17   construite de toutes pièces.

 18   Les dirigeants serbes de Bosnie ont admis la destruction de lieux civils et

 19   ont admis que ces destructions ont été importantes. Trifko Radic a rendu

 20   compte à l'assemblée bosno serbe le 12 mai 1992 en disant : "Nous n'avons

 21   pas d'autre solution que de pilonner et de détruire des villes. Nous avons

 22   détruit un tiers de Visoko, peut-être ce soir une autre ville sera-t-elle

 23   détruite." Paragraphe 974 du jugement.

 24   Notre position c'est qu'utiliser une approche descriptive était justifié,

 25   compte tenu de l'importance de ce système récurrent de mise en détention,

 26   de destructions répétitives au cours des attaques et au moment où les

 27   villes étaient prises, tout cela dans le but d'en chasser la population

 28   non-serbe, en tout cas dans les municipalités évoquées à l'acte


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  1   d'accusation.

  2   La Chambre de première instance a conclu raisonnablement que les

  3   actes de mise en détention et de destructions ont été commis par les

  4   autorités serbes ou les forces serbes et qu'elles peuvent être liées à des

  5   membres de l'entreprise criminelle commune dans la poursuite de leur

  6   objectif commun. Chacun de ces lieux, chacun de ces bâtiments, chacun de

  7   ces actes a été commandé par un dirigeant sur le terrain, qu'il s'agisse

  8   d'un dirigeant de la police locale, d'un dirigeant militaire local, d'un

  9   membre de la cellule de Crise. En tout cas, le lien est établi. Le lien

 10   structurel est le lien humain. Le lien c'est qu'une entreprise criminelle

 11   commune a commis des crimes. Et notre position consiste à penser qu'il

 12   n'est pas nécessaire pour la Chambre de première instance de donner pour

 13   chacun des crimes commis au cours de cette période de neuf ans –- ou

 14   plutôt, excusez-moi, de neuf mois –- un lien désigné par un nom propre.

 15   Cela n'est pas nécessaire. Les éléments de preuve ont démontré clairement

 16   que les dirigeants des structures contrôlés par des membres de l'entreprise

 17   criminelle commune qui partageaient un plan commun ont agi. Il ne peut y

 18   avoir aucun doute quant au fait que l'ensemble des crimes commis par les

 19   forces serbes au moment où elles s'emparaient des villes et villages et

 20   dans les années qui ont suivi, notamment s'agissant de mises en détention

 21   et de destructions, que tous ces crimes ont été commis par eux, qu'ils

 22   faisaient partie de l'objectif commun et le lien a donc été établi.

 23   A moins que vous ayez des questions, j'en ai terminé de mon exposé.

 24   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Kremer.

 25   Des questions de mes collègues ? Non. Donc ceci met un terme à la

 26   réponse de l'Accusation.

 27   Nous sommes déjà en retard, mais je voudrais accorder un temps égal à

 28   toutes les parties.


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  1   Peut-être serait-il plus adapté de nous séparer maintenant, plutôt

  2   que de poursuivre jusqu'aux environs de 14 heures et d'entendre ensuite la

  3   réponse au début de l'après-midi. Mais, bien entendu, je suis à la

  4   déposition de la Défense. Quelles sont les préférences de la Défense ?

  5   M. A. DERSHOWITZ : [hors micro]

  6   L'INTERPRÈTE : Microphone, s'il vous plaît.

  7   M. A. DERSHOWITZ : [hors micro]

  8   L'INTERPRÈTE : Le conseil de la Défense n'a pas été entendu par les

  9   interprètes, car il s'est exprimé hors micro.

 10   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] De combien de temps avez-vous besoin

 11   pour votre réplique ?

 12   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Une demi-heure sans doute, mais on peut

 13   aussi faire la pause maintenant.

 14   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vois que les Juges n'ont pas tous le

 15   même avis sur la question. Il n'y a donc pas de position commune sur ce

 16   point. Vous préférez plus tard ?

 17   M. A. DERSHOWITZ : [aucune interprétation]

 18   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Dans ce cas, nous nous séparons

 19   maintenant et nous reprendrons nos travaux à 15 heures. 15 heures au lieu

 20   de 15 heures 15, ce qui nous permettra de rattraper le temps perdu.

 21   --- L'audience est levée pour le déjeuner à 13 heures 28.

 22   --- L'audience est reprise à 15 heures 04.

 23   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous reprenons notre audience et nous

 24   allons donner la parole aux équipes de la Défense pour qu'ils puissent

 25   fournir la réponse de l'appelant comme prévu. 

 26   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Encore une fois, je souhaite remercier

 27   le Tribunal de me permettre de faire cette présentation et également

 28   d'avoir permis à ce que nous puissions faire la pause de déjeuner avant,


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  1   car il est important de présenter notre réponse. Ceci m'a permis de

  2   consulter le document que l'Accusation avait évoqué à propos de la région

  3   pure, quelque chose que nous n'avons jamais vu, quelque chose qui n'est

  4   mentionné nulle part dans la décision.

  5   Il y a effectivement une discussion sur le sujet au paragraphe 905,

  6   pardonnez-moi, 905 de la décision qui explique cette référence. Ceci est

  7   très intéressant. Dans la décision, on dit: "L'accusé a, avec dextérité,

  8   géré la fracture politique lors de la réunion du 28 février 1992 du Club

  9   des députés." Si vous lisez les cinq pages de notes qui correspondent à

 10   cela, vous constaterez que M. Krajisnik a effectivement géré ceci avec

 11   beaucoup de dextérité. Ce qui arrivait, c'est que lui souhaitait que soit

 12   votée une décision au niveau constitutionnel après la recommandation du

 13   plan Cutileiro. Si vous lisez le procès-verbal de cette réunion, ce qui

 14   s'est passé c'est qu'un groupe distinct de Krajina qui souhaitait étendre

 15   la Serbie sur les territoires musulmans, il souhaitait avoir un territoire

 16   ou une Serbie beaucoup plus grande. Et lui recherchait au contraire une

 17   Serbie plus limitée, couvrant ainsi les régions où les Serbes étaient

 18   importants en matière de population. Il ne souhaitait pas s'étendre, comme

 19   souhaitait le faire le groupe plus radical, l'autre groupe. Si vous

 20   regardez ces quatre ou cinq pages, vous constaterez qu'elles illustrent

 21   fort bien nos propos d'aujourd'hui depuis le début.

 22   Par conséquent, il dit ceci : "Il est important que nous comprenions

 23   tous de nous pardonner les uns les autres pour ce que nous disons sans

 24   fondement véritable," il fait référence ici à l'autre camp, "nous devons

 25   trouver la façon de trouver une solution au problème. Je pense que nous

 26   pouvons trouver une solution au problème." Il poursuit en disant : "Je ne

 27   pense pas que ce soit de mauvaises gens," il parle de ceux qui souhaitent

 28   s'étendre et il parle de la constitution. Il dit : "Messieurs, nous avons


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  1   besoin de cette constitution. J'espère que Dieu va nous permettre d'en

  2   terminer d'ici un mois ou deux. Nous avons besoin d'une démocratie en

  3   Bosnie." Il s'agit là de quelque chose qui illustre dans tous les sens du

  4   terme sa position politique.

  5   La citation qui a été mentionnée est également intéressante. Le texte

  6   se poursuit en disant et commence par une évocation de "Demain, laissez-les

  7   adopter la constitution." Il disait que le peuple serbe, par le biais de sa

  8   constitution, devait se décider et savoir s'il souhaitait adopter soit le

  9   plan Cutileiro plus limité ou permettre à d'autres qui voulaient s'étendre

 10   davantage d'attendre qu'ils adoptent la vision élargie. Il souhaitait lui-

 11   même adopter l'élément plus limité.

 12   "Nous n'avons pas besoin de craindre cela, nous sommes des Serbes.

 13   Nous ne pouvons pas comprendre la réalité. Que Dieu aide le peuple serbe.

 14   Personne n'a le droit de faire ça, nous n'avons pas le droit de contourner

 15   notre unité. Je dois vous dire que tout ce que nous faisons dans ce

 16   Parlement, tout ce que j'ai fait personnellement, exclusivement, c'est

 17   d'avoir une région pure en Herzégovine. Ceci ne fera pas droit au peuple de

 18   Krajina pour cela." Ce qu'il dit en somme, nous souhaitons que ceci ait été

 19   abordé plus tôt par la communauté internationale, à savoir qu'une région

 20   serait principalement serbe. Il ne s'agit pas de s'étendre sur d'autres

 21   territoires qui ne sont pas serbes. Par conséquent, l'autre groupe qui

 22   souhaitait s'étendre est en train de dire non, il faut que la constitution

 23   s'applique, dit-on.

 24   La réponse de M. le Juge Meron a clairement indiqué que M. Krajisnik

 25   souhaitait rejoindre l'entreprise criminelle commune. Il s'agit des

 26   principaux paragraphes qui nous intéressent ici, au nombre de cinq ou six.

 27   Je souhaite en citer un certain nombre. Au paragraphe 115, à une réponse au

 28   paragraphe 23. "Pendant une session de l'assemblée serbe tenue au moins de


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  1   février 1992, le 25, l'accusé a dit aux députés que les Serbes avaient deux

  2   options; soit de se battre par des moyens politiques ou utiliser au mieux

  3   le temps et de considérer qu'il s'agissait d'une première phase, de rompre

  4   les négociations et de faire tout ce que nous avons fait depuis des

  5   siècles, à savoir faire l'usage de la force."

  6   Là, semble-t-il, d'après ce qui est dit, il est d'accord pour dire

  7   que les Croates et les Musulmans doivent être évacués par la force. Tout ce

  8   qu'il dit, en somme, c'est de dire que, "Ceci doit être fait par les moyens

  9   démocratiques, parce que si on procède par la force, on pourra être

 10   confronté à des obstacles."

 11   L'autre élément important se trouve au paragraphe 910. Comme l'a dit

 12   M. Krajisnik, il nous l'a rappelé dans sa déclaration de 1994. La bataille

 13   pour la république a commencé le 18 mars 1992, le jour où les dirigeants

 14   serbes de Bosnie, en la personne de l'accusé, a fait savoir au député de

 15   l'assemblée qu'il souhaitait de façon préventive prendre le territoire en

 16   Bosnie-Herzégovine tout en séparant les Serbes de Bosnie des deux autres

 17   groupes ethniques.

 18   On ne fait pas mention de cela. La partie suivante précise que : "Pour

 19   l'essentiel, le message de l'accusé aux représentants des Serbes de Bosnie

 20   c'est de dire qu'il fallait que de nouveaux faits soient établis sur le

 21   terrain afin de renforcer la main des négociateurs serbes de Bosnie, y

 22   compris lui-même et Karadzic, puisque c'étaient les deux personnalités les

 23   plus importantes. Il s'agit de renforcer sa position de négociateur pour

 24   établir des faits qui aient constitué l'objet même des négociations, ce

 25   n'était pas une méthode équitable. Néanmoins, il a laissé entendre qu'il

 26   fallait mieux que les Serbes soient injustes envers les Musulmans que

 27   l'inverse. Le discours du 18 mars, a-t-on dit, était un appel aux armes."

 28   Ceci n'était pas un appel aux armes. Il s'agissait simplement de dire ce


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  1   que vous faites si vous mettez en place un plan, ceci avait été proposé à

  2   la communauté internationale, les Musulmans l'avaient rejeté à ce stade. Il

  3   souhaitait mettre en œuvre ce plan à ce moment-là, puisqu'il y avait des

  4   gouvernements municipaux en place, il souhaitait diriger cette partie-là de

  5   la Bosnie-Herzégovine. Mais la Bosnie-Herzégovine a annoncé publiquement

  6   qu'elle se retirait de la Yougoslavie et était déterminée à être reconnue,

  7   son souhait était d'avoir une région comme ceci avait été négocié et

  8   débattu, une région à l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine prise au sens

  9   large qui était principalement Serbe, qui avait un gouvernement en place

 10   qui devait s'occuper des préoccupations des Serbes, ensuite il y avait les

 11   autres entités autour comme elles existaient, comme elles existent

 12   aujourd'hui, qui devaient se rejoindre sous une constitution commune qui

 13   leur permettrait d'avancer dans ce sens.

 14   Paragraphe 923. Au paragraphe 1 003, je souhaiterais vraiment lire le

 15   paragraphe dans son intégralité mais je ne sais pas si cela fait un bon

 16   usage du temps. 1 003 est considéré comme étant le paragraphe le plus

 17   essentiel : "Lors de la session de l'assemblée du 25 juillet 1992, l'accusé

 18   a affirmé que la prise de contrôle du territoire jusqu'à ce jour était

 19   insuffisante. Les personnes ont créé les frontières et il faut nous mettre

 20   d'accord aujourd'hui sur les territoires qui ne sont pas sous notre

 21   contrôle actuellement, mais auxquels nous estimons avoir des droits, parce

 22   que nous estimons qu'il s'agit de territoires ethniques. Nous souhaitons

 23   nous étendre," par conséquent, pour fixer les frontières qu'ils

 24   recherchent.

 25   Encore une fois, il s'agit là d'une affirmation politique de ce qui est

 26   souhaitable compte tenu des circonstances.

 27   La dernière citation porte sur le paragraphe 1 015. "D'autres événements et

 28   l'accusé qui n'est pas à Pale," ensuite il poursuit en parlant d'une de ses


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  1   déclarations, tous les patriotes serbes auront le même emblème, les trois

  2   couleurs serbes, comme si ceci constituait un appel aux armes.

  3   Je crois que ceci est significatif, car les Juges de la Chambre ont décidé

  4   et les Juges de la Chambre d'appel ont utilisé une terminologie semblable

  5   dans l'arrêt Brdjanin, cette Chambre a indiqué "qu'il a été condamné en

  6   vertu de la catégorie I de l'entreprise criminelle commune, l'accusé doit

  7   avoir l'intention de commettre le crime et l'intention de participer au

  8   plan commun qui vise la commission de ces crimes."

  9   Avec tout le respect que je vous dois, je crois qu'il s'agit d'un

 10   raisonnement dans le sens inverse. Il faut d'abord qu'il y ait l'entreprise

 11   criminelle commune qui a pour intention de commettre ces actes pour ensuite

 12   établir le lien avec l'entreprise criminelle commune. Il y a tout d'abord,

 13   en premier lieu, l'entreprise criminelle commune, ensuite le fait de

 14   favoriser l'entreprise criminelle commune.

 15   Cela étant dit, la Chambre de première instance a précisé qu'il faut

 16   d'abord comprendre à quel moment il existe cette entreprise criminelle

 17   commune et à quel moment il a participé à cette entreprise criminelle

 18   commune. La date choisie est celle du mois d'avril 1992, et la seule chose

 19   qui se soit produite avant cette date c'est la déclaration d'ordre

 20   politique. Dans la mesure où le gouvernement -- le Procureur laisse

 21   entendre qu'il a acquis une connaissance de tout ceci par la suite, ce que

 22   nous rejetons au plan factuel et au plan juridique, le fait que de savoir

 23   s'il a pris connaissance de cela suffit. A supposer qu'il ait pris

 24   connaissance de cela par la suite et qu'il ait rejoint l'entreprise

 25   criminelle commune, la question qui se pose c'est à quel moment ? Il ne

 26   sera pas responsable de la mise en œuvre du plan avant la date où il l'a

 27   rejoint. On ne peut pas appliquer ceci de façon rétroactive. Par exemple,

 28   si un événement s'était produit au mois d'avril, il n'avait pas


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  1   connaissance de l'entreprise criminelle commune avant le mois de juillet,

  2   en vertu de la doctrine de l'entreprise criminelle commune, il ne serait

  3   pas responsable pour ce qui s'était passé au mois d'avril, mai, juin, avant

  4   la date à laquelle il est devenu membre de l'entreprise criminelle commune.

  5   Nous avons une décision ici qui porte sur le mois d'avril qui est la date

  6   critique et je propose qu'il n'y a rien sur la date du mois d'avril et à

  7   cette date-là on avance qu'il est devenu membre. Rien avant n'est important

  8   et n'étaye cette conclusion si la connaissance ultérieure est importante

  9   quand bien même ceci serait appliqué, il est important de savoir quand ceci

 10   a eu lieu et ce pourquoi il est responsable par la suite. Donc la décision

 11   ne dit rien là-dessus car on a décidé que la date à prendre à compte était

 12   le mois d'avril.

 13   Je souhaite reprendre certaines questions portant sur le lien. Le premier

 14   point que je souhaite évoquer, l'Accusation laisse entendre que la Chambre

 15   de première instance a suivi l'arrêt Brdjanin. Comme vous le savez, l'arrêt

 16   Brdjanin a été rendu longtemps après la décision rendue par le Chambre de

 17   première instance et qu'il ne s'agit absolument pas de suivre ou de se

 18   conformer à la décision de la Chambre, à l'exception évidemment d'une

 19   décision dissidente de la part d'un Juge.

 20   Deuxième point, j'ai essayé et je n'ai pas pu le faire de façon aussi

 21   conséquente que je l'aurais souhaité pendant la pause, mais après avoir

 22   entendu l'énumération présentée par l'Accusation, je pense qu'aucune de ces

 23   personnes nommément n'est énumérée dans l'acte d'accusation. Puisque nous

 24   avons une pléthore d'entités qui sont énumérées dans l'acte d'accusation, à

 25   ce moment-là, c'est aisé pour les Procureurs de dire, on peut démontrer

 26   pour toute personne qui a commis des crimes de guerre, que ce soit l'armée,

 27   que ce soit les gouvernements municipaux ou les cellules de Crise,

 28   quoiqu'ils disent et quel que soit l'élément cité, ils sortent simplement


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  1   le nom. Ils disent, cette personne a commis un crime de guerre, par

  2   conséquent, cette personne est membre de l'entreprise criminelle commune.

  3   S'ils n'arrivent pas à trouver de nom, ils disent simplement que cette

  4   personne agissait conformément aux ordres de l'armée, agissait conformément

  5   aux bandes armées qui étaient là et donc on en fait quelque chose de global

  6   et on établit le lien. Moi, je ne pense pas que la décision avait pour

  7   intention de créer ces résultats. Je crois qu'il faut être très précis, on

  8   peut recruter quelqu'un si on a un objectif conformément à l'entreprise

  9   criminelle commune et non pas procéder de façon inverse, toute personne qui

 10   a commis un crime de guerre il faut le retrouver et on suit la logique

 11   inverse.

 12   Avec tout le respect que je vous dois, je dois dire que le processus

 13   utilisé est tout à fait à l'envers. Ils viennent aujourd'hui pour justifier

 14   la décision et l'acte d'accusation en analysant différents éléments de

 15   preuve, voire biffer les éléments de preuve qui ne peuvent pas étayer leur

 16   thèse.

 17   Merci. Je vais maintenant donner la parole à mon frère.

 18   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Je souhaite répondre brièvement, tout

 19   d'abord, à propos de Mme Goy et ensuite à propos de M. Kremer. Mme Goy

 20   indique à juste titre la différence entre l'actus reus et la contribution

 21   de l'autre, mais cette différence estompe dans ce cas, à cause des éléments

 22   de preuve présentés qui portent sur une tentative permettant de prouver que

 23   c'était un membre de l'entreprise criminelle commune. Il s'agit également

 24   des mêmes éléments de preuve présentés dans le cadre de sa contribution tel

 25   que ceci s'applique à ses allocutions. Il n'y a pas d'activité distincte,

 26   il y a des éléments qui font qu'il était membre et non pas des éléments de

 27   preuve qui indiquent qu'il a contribué de façon significative ou vice

 28   versa.


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  1   Autrement dit, ils me font compter double, et cela signifie que des

  2   discours politiques peuvent être les deux à la fois, le seul élément de

  3   preuve permettant d'indiquer qu'il a rejoint l'entreprise criminelle

  4   commune et le seul élément de preuve étayant sa contribution substantielle

  5   se rassemble. A aucun moment ils ne peuvent donner l'exemple d'un discours

  6   politique qui répondrait aux questions posées par les Juges de la Chambre,

  7   c'est-à-dire qu'il y aurait un discours politique qui impliquerait un

  8   crime. Le fait qu'on n'a pas pu citer un seul discours dans le compte rendu

  9   ni dans le jugement indique qu'il n'y a pas de discours politique sur

 10   lequel ils peuvent se reposer qui sont cités, il y a des dizaines et des

 11   dizaines de discours qui sont cités dans le jugement et ils n'indiquent

 12   aucun discours qui porterait sur les conduites criminelles qui seraient

 13   citées dans le jugement; le seul qui serait cité est hors contexte, n'a

 14   jamais été vu par l'accusé et se trouve dans l'annexe à l'opinion

 15   dissidente.

 16   Donc ils reconnaissent que la grande majorité des crimes ont été

 17   commis par des personnes qui n'étaient pas des membres de l'entreprise

 18   criminelle commune qui répond à la question posée par un des Juges de la

 19   Chambre d'appel dans le cas où il n'y a pas suffisamment de lien; cela

 20   signifie que toute la condamnation doit être rejetée. Si la grande majorité

 21   des crimes a été commis par des personnes qui ne sont pas des membres,

 22   alors, à ce moment-là, on ne veut pas parler de condamnation, parce qu'à ce

 23   moment-là on dépasserait la jurisprudence simplement parce qu'il y a des

 24   crimes qui auraient été commis par certains membres, des membres, comme l'a

 25   dit mon frère, qui ne sont devenus membres qu'au moment où ils ont commis

 26   et n'étaient pas des membres au préalable.

 27   M. Kremer, de façon très précise, a évoqué tous ces cas avec des

 28   larmes dans les yeux de personnes, de viols, d'assassinats d'enfants, de


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  1   personnes, de membres de la famille, de toutes sortes d'actes qui ont été

  2   commis mais il n'a jamais indiqué si oui ou non, un de ces actes avait fait

  3   partie des intentions de l'accusé, à savoir si ceci faisait partie d'un

  4   accord ultérieur conclu par l'accusé à savoir si c'était prévisible ou pas.

  5   Et c'est simplement il n'y a pas d'éléments de preuve qui permet d'étayer

  6   ces actes et peut-être que l'accusé en a entendu parler après, a

  7   posteriori.

  8   Toute la liste des actes commis nous permet de comprendre pourquoi

  9   l'Accusation ici présente souhaite voir les propos de l'Accusation affirmés

 10   mais ceci ne porte qu'un lien sur la -– n'a aucune incidence sur le lien en

 11   fait. Le chaînon manquant dans cette affaire c'est le lien entre l'accusé

 12   lui-même et les actes commis par les personnes sur le terrain, à supposer

 13   qu'il y ait un objectif qui visait une séparation ethnique ou émétique ou

 14   quelque chose de la sorte, comment pour être simplement de citer comment

 15   est-ce qu'on peut évoquer quelqu'un qui mange les parties du corps d'un

 16   autre ou quelqu'un qui se livre à des viols d'enfants ? Ceci est absolument

 17   épouvantable, bien sûr. Quasiment toutes les guerres, malheureusement --

 18   chaque guerre a son lot d'actes brutaux, ceci ne signifiant pour autant que

 19   chaque fois qu'il y a une guerre il y a des crimes de guerre.

 20   M. Kremer décrit ce groupe comme étant un groupe rejoint par

 21   M. Krajisnik, et il aurait dû savoir au moment où il a rejoint ce groupe

 22   qu'il devenait un membre comme si c'était un club. Il n'est pas allé voir

 23   un jour. Il n'a pas été initié un jour avec des liens de sang. Ce n'était

 24   pas comme le "Ku Klux Klan" ou la "Gestapo." Il n'a rejoint aucun groupe,

 25   aucune unité. C'est la Chambre qui a imposé sur lui une structure, un cadre

 26   conceptuel. Il aurait dû être -- ou faire partie d'eux, on ne dit pas

 27   précisément qu'il a rejoint, lorsqu'on entend en fait la présentation du

 28   Procureur, comme s'il exerçait le contrôle sur les personnes qui ont commis


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  1   les crimes, même s'il y a une conclusion très claire à la page 402 qu'il

  2   n'a pas exercé de contrôle effectif à aucun moment sur ces activités là.

  3   Et l'Accusation cite des références, en fait, état de Commissions de

  4   guerre qui ont été mises sur pied tardivement. Lorsqu'on lit la description

  5   fournie par les Commissions de guerre, on voit qu'il s'agit en fait de

  6   processus unilatéraux. Leurs seules tâches consistaient à faire rapport de

  7   leurs travaux aux membres de la présidence de Guerre. Dit autrement,

  8   l'élément d'information remontait même s'il n'avait pas le pouvoir en fait

  9   de diriger des activités. Au pire, ceci porterait sur la connaissance et

 10   l'élément moral. Ceci ne porte absolument pas sur l'élément matériel car

 11   d'après le jugement, il s'agissait d'un flot d'information unilatéral qui

 12   n'allait que dans un sens.

 13   Et l'autre position de l'Accusation consistait -- c'est-à-dire que

 14   L'Accusation aurait peut-être nommé un ou deux commissaires mais sans autre

 15   information, on ne sait pas de qui il s'agit : est-ce qu'il l'aurait su à

 16   l'avance ? Est-ce qu'il savait si ces commissaires étaient au courant de

 17   crimes de guerre ? Bien, il a peut-être exercé une réponse inédit et

 18   certaine dans la nomination des commissaires mais ceci ne porte en rien sur

 19   l'élément matériel surtout compte tenu des constatations faites par la

 20   Chambre, à savoir qu'il n'exerçait aucun contrôle. Par conséquent,

 21   l'Accusation a fini par conclure que l'accusé était en compagnie d'eux --

 22   "était en compagnie de," et indique les membres du SDS. On ne parle même

 23   pas ici des criminels et ceci n'est pas – ne représente pas une culpabilité

 24   par association lorsqu'on parle d'"en compagnie de." On ne décrit pas ce

 25   qui s'est passé pendant ce temps-là. Et je cite : "Ces dirigeants ont

 26   utilisé leurs hommes pour commettre des crimes." Et aucun élément de preuve

 27   ne permet d'établir un lien entre l'accusé et tout autre personne qui a

 28   commis ces crimes. Il ne connaissait pas ces personnes. Il n'était pas


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  1   associé à ces gens-là.

  2   M. Kremer, à juste titre, indiquait qu'il ne s'agit pas en fait de

  3   discours de la haine, mais le discours constitue l'élément de preuve

  4   essentiel et n'arrive même pas au niveau du discours de la haine. Nous

  5   parlons ici de discours politique. Nous parlons de ce que la Chambre

  6   reconnaît comme étant une dextérité au plan politique. Il utilisait sa

  7   connaissance sur le plan politique pour essayer d'obtenir la meilleure

  8   négociation possible pour son gouvernement et ses électeurs. C'est peut-

  9   être ce qu'il a fait et il est responsable de cela. Il est responsable de

 10   la négociation qu'il a menée. Avec ce qui se passait, il a tenu compte des

 11   évolutions sur le terrain. Je crois que tout négociateur comprend fort bien

 12   cela. Et pour ce qui est des régions pures, ceci n'a aucun lien avec tout

 13   ceci et il ne peut pas y avoir d'incitation à la haine dans ses discours

 14   parce qu'il n'y avait qu'un seul et un petit nombre de personnes qui

 15   parlaient de la ratification de la constitution, comme citée par

 16   l'Accusation et les vues extrémistes des Musulmans de Bosnie devaient être

 17   rejetées. Il s'agit en fait de régions pures et ceci est obtenu par la voie

 18   de la diplomatie.

 19   M. Kremer en fait évoque de façon très brillante tous les crimes.

 20   Encore une fois, je crois qu'il faut faire preuve d'une très grande pitié à

 21   cet égard, "mais aborder en fait du point de vue des victimes." Et je crois

 22   que les éléments moraux doivent être abordés non pas –- et des éléments

 23   moraux et des éléments matériels doivent être abordés du point de vue de

 24   l'accusé et non pas l'inverse. Avec tout le respect, je ne suis pas

 25   d'accord, et donc j'ai expliqué les raisons à cette Chambre pourquoi cela

 26   est le cas. D'ailleurs, lorsqu'il s'agit de décider de la culpabilité d'un

 27   accusé, il faut se mettre à la place de l'accusé. Que savait-il ? Il était

 28   au courant de quoi ? Qu'a-t-il fait ? Quels étaient les éléments de preuve


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  1   qui étayent un accord ? Je crois qu'il faut voir ceci par les yeux de

  2   l'accusé, de ses actions et de son état d'esprit.

  3   Et dès lors que l'on examine la situation de ce point de vue là, dès lors

  4   que l'on se penche de cette façon-là sur les crimes horribles qui ont été

  5   commis, on se dit que ces crimes doivent être punis, doivent être

  6   sanctionnés, mais ils doivent être punis de façon proportionnée compte tenu

  7   de ce que telle ou telle personne a fait. Et l'idée évoquée par Mme Goy, à

  8   savoir que le rôle de l'appelant a été un rôle fondamental, peut-être que

  9   son rôle a été fondamental mais il a été politique : "Son rôle a été un

 10   rôle politique. Il est possible qu'il ait joué un rôle fondamental, un rôle

 11   central dans la réalisation du résultat politique global qui a pu en

 12   découler, à savoir la recherche d'une solution politique mais si l'on passe

 13   en revue l'ensemble des allocutions prononcées par lui, on n'y trouve pas

 14   une seule fois un appel aux armes. Il n'y a pas un seul appel non plus dans

 15   ces discours au nettoyage ethnique. Les appels que l'on y trouve sont en

 16   vue d'un compromis, pas un seul appel à la commission d'un crime de guerre.

 17   Les appels qu'on y trouve sont des appels destinés à éviter la guerre. Et

 18   les conséquences de la condamnation sont qu'une personnalité politique, qui

 19   cherchait à rétablir la paix, vit dans un monde troublé où la guerre existe

 20   et où des crimes de guerre sont commis et qu'il ne peut donc pas rester

 21   simple spectateur de toutes ces actions, l'action politique est sans doute

 22   fondamentale pour résoudre par des voies pacifiques des conflits de ce

 23   genre. M. Krajisnik aurait pu manquer de courage et quitter le pays. Il ne

 24   l'a pas fait, il a poursuivi son action politique et c'est parce qu'il a

 25   poursuivi son action politique qu'il a été mis en examen et emprisonné à

 26   vie car sa condamnation équivaut à une condamnation à vie étant donné son

 27   âge.

 28   Donc nous en appelons instamment à la Chambre pour que -- et nous


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  1   savons qu'elle le fera pour qu'elle lise de façon très détaillée toutes les

  2   allocutions, toutes les accusations et qu'elle tire ses propres

  3   conclusions, ses propres déductions, en appliquant les normes du droit.

  4   Nous disons que des doutes existent et qui peuvent être favorables à la

  5   détermination que les discours étaient de nature politique et qu'en

  6   l'absence de la découverte d'un comportement criminel, en l'absence de la

  7   découverte d'un acte criminel, l'appelant présent devant vous ne peut pas

  8   être considéré coupable de graves crimes de guerre.

  9   S'il n'y a pas de questions auxquelles j'aurais toutefois grand plaisir

 10   à répondre, j'en suis arrivé à la fin de mon exposé. Je vous remercie,

 11   Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges.

 12   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Pas de questions.

 13   Donc ceci met un terme à l'audience en appel de M. Krajisnik. Nous

 14   demandons maintenant à entendre les motifs d'appel de l'Amicus Curiae 

 15   auquel je donne la parole pour une demi-heure.

 16   M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, je demanderais à

 17   ce que nous passions à huis clos partiel brièvement.

 18   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Absolument.

 19   M. A. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président.

 20   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Un instant.

 21   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, nous

 22   sommes à huis clos partiel.

 23   [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité levée par une ordonnance de la Chambre]

 24   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Vous pouvez y aller.

 25   M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, ce matin vous

 26   avez ordonné qu'aucune référence ne soit faite aux éléments de preuve, aux

 27   dépositions de deux témoins qui, je crois, sont des témoins dont la

 28   déposition est importante s'agissant de déterminer l'équité ou l'absence


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  1   d'équité d'un procès.

  2   Nous n'avons pas aucune intention de faire référence à leurs

  3   dépositions mais ce que nous souhaitons que vous sachiez, comme vous le

  4   savez d'ailleurs, c'est que notre mémoire écrit est d'une importance

  5   fondamentale eu égard au comportement du conseil de

  6   M. Krajisnik pendant le procès. Nous avons l'intention donc de nous référer

  7   à ce qui figure dans notre mémoire public.

  8   Ce que je propose donc c'est que lorsque j'aborderai un point qui a

  9   un rapport avec un élément du mémoire confidentiel, je renverrai les Juges

 10   de la Chambre d'appel aux paragraphes en question dans le mémoire écrit en

 11   invitant les Juges à lire ces paragraphes en temps utile. J'espère que ceci

 12   concordera avec le souhait exprimé par la Chambre d'appel car, bien

 13   entendu, nous avons l'intention de n'aborder que des points qu'il est

 14   permis d'aborder en public et qui n'ont aucun rapport avec la nécessaire

 15   protection des témoins protégés.

 16   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bien. Je pense que vous pouvez procéder

 17   de cette façon. Ce qui importe, quoi qu'il en soit, c'est qu'aucun élément

 18   confidentiel ne soit rendu public.

 19   M. NICHOLLS : [interprétation] Je vous remercie. Je demande donc si la

 20   chose est possible que nous passions à huis clos partiel

 21   -- que nous revenions en audience publique.

 22   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, Madame,

 23   Messieurs les Juges, nous sommes à nouveau en audience publique.

 24   [Audience publique]

 25   M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, je me propose de

 26   traiter d'abord de la question de l'équité du procès. J'y consacrerai

 27   quelques minutes, après quoi je traiterai brièvement de la question de

 28   l'entreprise criminelle commune pendant dix minutes environ.


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  1   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] M. le Juge Meron a quelque chose à

  2   dire.

  3   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Etant que le temps accordé à l'Amicus

  4   Curiae sera très limité, j'aimerais, si vous me le permettez, poser une

  5   question d'une grande importance à l'Amicus Curiae de façon à ce qu'il

  6   puisse en traiter dans son exposé. Je vous remercie, Monsieur le Président.

  7   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous en prie.

  8   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Vous discuterez, je le sais, des

  9   questions de compétence. Dans votre mémoire écrit, vous affirmez que

 10   s'agissant du conseil qui a été assigné à M. Krajisnik pendant le procès,

 11   et notamment compte tenu des nouveaux éléments de preuve qui ont été

 12   déposés vous n'en parlerez pas. Le point précis auquel je pense est le

 13   suivant : dans votre mémoire écrit vous faites remarquer que Me Stewart en

 14   février 2005 a admis sans difficulté devant la Chambre qu'il n'avait lu que

 15   15 % au plus des documents pertinents. Néanmoins la Chambre de première a

 16   rejeté la requête de report, et la Chambre d'appel a confirmé cette

 17   décision. Compte tenu de ces décisions, est-ce que vous arguez du fait

 18   qu'étant donné le niveau de préparation de Me Stewart si l'on tient compte

 19   de l'ensemble des actes du conseil de la Défense et de l'ensemble des

 20   décisions rendues par la Chambre de première instance, l'appelant a dans

 21   les faits été privé d'une assistance juridique efficace ? Je vous remercie.

 22   M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, Monsieur le Juge, je

 23   voudrais dire d'emblée que la réponse à votre deuxième question est oui. La

 24   Chambre devait tenir compte de l'ensemble des éléments de preuve et elle a

 25   dû le faire à l'issue du procès. La Chambre peut prendre connaissance des

 26   éléments de preuve au fur et à mesure, mais elle doit les examiner tous à

 27   la fin du procès. Globalement, j'espère donc que je pouvais aborder

 28   rapidement cette question durant mon exposé.


Page 301

  1   Comme je le disais, je me propose de m'exprimer sur la question de l'équité

  2   du procès pendant une vingtaine de minutes, puis de consacrer dix minutes à

  3   l'entreprise criminelle commune, après quoi je répondrai à M. Jones –-

  4   après quoi M. Jones aura la possibilité de répondre sur les autres aspects

  5   de l'entreprise criminelle commune, et notamment de s'exprimer sur le sujet

  6   des déplacements de population après ce qu'en a dit l'Accusation.

  7   Donc je commencerai par l'équité du procès.

  8   En tant que mis en accusation devant le Tribunal, M. Krajisnik avait le

  9   droit à un procès équitable, ce qui englobe le droit à bénéficier de

 10   l'assistance efficace d'un conseil. Bien que le droit au conseil ne soit

 11   qu'une garantie minimum pour un accusé, il est tout de même, sans doute, la

 12   meilleure illustration de l'interdépendance entre l'exercice du droit et

 13   des devoirs d'un accusé, et le conseil illustre un certain nombre de

 14   garanties qui représentent le droit de l'accusé.

 15   Le droit à la communication des pièces, au contre-interrogatoire, la

 16   présentation d'éléments de preuve, le droit à un temps suffisant et à des

 17   moyens suffisants, tous ces droits sont rendus inutiles si le conseil

 18   n'exerçait pas correctement ses fonctions. Par malheur, à notre avis, c'est

 19   ce qui est arrivé à

 20   M. Krajisnik.

 21   M. Krajisnik était au départ représenté avant le début du procès par

 22   Me Brashich, avocat de New York, et plus tard pendant le procès par Me

 23   Stewart, "Queen's Counsel" d'Angleterre. Nous estimons que ces deux

 24   conseils ont chacun de son côté et ensemble apporté une assistance

 25   largement insuffisante pendant le procès à M. Krajisnik, ce qui a rendu son

 26   procès systématiquement inéquitable.

 27   Je parlerai d'abord de Me Brashich. Me Brashich était le conseil

 28   principal de M. Krajisnik pendant deux ans. Il a été démis des ses


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  1   fonctions par le greffe dix jours avant la date prévue pour le début du

  2   procès pour n'avoir pas communiqué à son client -- pour n'avoir pas porté à

  3   la connaissance de son client le fait qu'il avait été suspendu

  4   professionnellement dans son pays. Il avait reçu huit rappels à l'ordre

  5   pour mauvais comportement professionnel, notamment pour avoir exigé des

  6   honoraires excessifs, et pendant les 25 minutes où il a agi en tant que

  7   conseil principal, il a demandé des honoraires correspond à 26 500 heures

  8   de travail juridique, soit l'équivalent de d'un travail de 40 heures par

  9   semaine pendant 13 ans pour une personne. Ce qui a coûté au Tribunal, 1.5

 10   millions de dollars.

 11   En dépit de cela, il n'a produit aucun résultat utile de son travail. Le 12

 12   mai 2003, suite à son limogeage en tant que conseil principal, il a eu

 13   l'audace de dire à M. le Juge Orie que, malheureusement, le plus gros du

 14   travail de préparation accompli par lui jusqu'à ce jour était enfermé dans

 15   son cerveau.

 16   M. Stewart a été commis en tant que conseil principal en juillet 2003, et

 17   une date a été fixée, celle du 2 février 2004 pour le début du procès.

 18   Lorsque Me Stewart a demandé à Me Brashich de lui remettre les résultats de

 19   son travail, Me Brashich a prétendu ne pas comprendre de quoi il parlait.

 20   Et lorsque deux mois et demi avant le début du procès Me Stewart a

 21   finalement reçu l'ensemble des dossiers relatifs à l'espèce, nombre de ces

 22   dossiers avaient encore des sceaux qui n'avaient pas été rompus. Selon Me

 23   Stewart, ces documents étaient dans le plus grand désordre et tout à fait

 24   mélangés. Un tel résultat du travail de Me Brashich était, selon Me

 25   Stewart, d'une utilité nulle et n'apportait aucune aide significative à la

 26   préparation du procès.

 27   Ce serait une litote de dire que le gros du travail d'un avocat,

 28   notamment dans les affaires les plus complexes, se fait avant le début du


Page 303

  1   procès. Les préparatifs préalables au procès ont une importance tout à fait

  2   essentielle pour assurer une défense efficace. Il ne peut y avoir aucun

  3   doute que Me Brashich et ses défauts de communication, le fait qu'il n'ait

  4   pas fait connaître sa suspension, le fait qu'il n'ait pas remis les

  5   documents à temps, le fait qu'il n'ait pas transmis un résultat ordonné de

  6   son travail, tout ceci constitue des infractions à son devoir de compétence

  7   et de diligence compte tenu des dispositions du code de comportement

  8   professionnel appliqué par ce Tribunal. L'Accusation ne remet pas en cause

  9   cette appréciation d'après ce que je crois savoir.

 10   Le résultat du comportement répréhensible de Me Brashich a eu pour

 11   effet qu'une situation s'est créée, qui est d'une gravité sans égal dans un

 12   procès qui, en dehors du procès Milosevic, était le plus important qu'ait

 13   eu à entendre ce Tribunal. A moins que Me Stewart n'ait rapidement et

 14   totalement informé la Chambre de première instance de la gravité de la

 15   situation et que la Chambre de première instance ait accordé un temps

 16   suffisant avant le procès à son équipe pour préparer sa Défense, M.

 17   Krajisnik n'avait aucune chance de bénéficier d'un procès équitable.

 18   Il est tout à fait clair que ni l'une ni l'autre des deux solutions

 19   n'a été appliquée. Me Stewart n'a pas demandé un report de la date de début

 20   de procès malgré son expérience de co-conseil, nous en traitons dans notre

 21   mémoire au paragraphe 35.

 22   Lorsque cinq mois après le début du procès et alors qu'il était en

 23   train de se battre pour survivre, Me Stewart a demandé un report

 24   supplémentaire, il était trop tard. Son équipe était noyée sous des piles

 25   de documents qu'ils ne parvenaient même pas à mettre en ordre et encore

 26   moins à lire sans parler même d'en prendre connaissance. Dans le plus grand

 27   désespoir, il a avoué, je cite : "J'aurais dû porter ce fait précis à

 28   l'attention de la Chambre il y a longtemps. Je préférerais l'avoir fait,


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  1   mais je ne le fais qu'aujourd'hui et la Chambre devra examiner la situation

  2   et se prononcer sur les circonstances actuelles. Nous avons besoin de

  3   temps."

  4   En tant qu'Amicus Curiae dont la tâche consiste à défendre les

  5   intérêts de M. Krajisnik, nous avons examiné très attentivement le fait de

  6   savoir si Me Stewart était totalement inefficace en tant que conseil. De

  7   telles allégations ne se font pas à la légère, notamment contre des

  8   conseils de sa réputation. La Chambre d'appel a établi en novembre de

  9   l'année dernière dans quelles conditions un appelant pouvait alléguer de

 10   l'inefficacité de l'aide reçue par lui de son conseil. Au paragraphe 131 du

 11   jugement, nous lisons que : "Un appelant doit établir que l'incompétence de

 12   son conseil était si manifeste qu'elle contraint la Chambre à agir et qu'il

 13   doit, par ailleurs, démontrer que la Chambre n'est pas intervenue et que

 14   cette absence d'intervention occasionne une erreur judiciaire." Donc trois

 15   exigences sont à respecter : incompétence manifeste, défaut d'action de la

 16   part de la Chambre et erreur judiciaire.

 17   Dans notre mémoire écrit, nous affirmons qu'un appelant, pour que ses

 18   droits humains soient respectés, ne devrait être invité qu'à démontrer

 19   qu'il n'a pas bénéficié d'une aide efficace de la part de son conseil et

 20   que, de ce fait, son droit à la défense n'a pas été respecté et son procès

 21   n'a pas été équitable. Nous affirmons que les trois exigences que j'ai

 22   évoquées tout à l'heure sont là. L'incompétence de l'équipe Stewart est

 23   manifeste. La Chambre de première instance n'a pas agi ou n'a pas agi

 24   suffisamment efficacement, ce qui a provoqué une erreur judiciaire.

 25   Dans notre mémoire écrit en appel, nous détaillons les raisons pour

 26   lesquelles nous affirmons que l'aide apportée par l'équipe de Me Stewart

 27   n'a pas été compétente et que ceci est clair. Il a commencé un procès alors

 28   qu'il était grossièrement mal préparé. Il n'avait pas lu les documents, il


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  1   n'avait pas reçu les instructions suffisantes de son client, il n'avait pas

  2   procédé aux enquêtes et investigations nécessaires sur le terrain, il n'a

  3   pas fait connaître la gravité de la situation à temps à la Chambre de

  4   première instance, car il n'avait pas apprécié la gravité de la situation

  5   et n'a pas demandé à temps un report du début du procès. Il n'a pas utilisé

  6   convenablement les moyens mis à sa disposition avant le procès pour se

  7   doter d'une aide nécessaire en élément humain et n'a pas apporté à

  8   l'attention de la Chambre ces difficultés. Il a systématiquement évité

  9   d'interjeter appel sur les décisions importantes qui avaient des

 10   conséquences significatives sur l'équité du procès.

 11   Il devrait ne pas être nécessaire d'indiquer qu'un conseil qui

 12   commence un procès sans avoir examiné l'ensemble des documents communiqués,

 13   sans avoir développé une stratégie de défense efficace, sans être en mesure

 14   de contre-interroger des témoins de façon adaptée ou de présenter des

 15   éléments de preuve de façon adaptée, il ne devrait pas être nécessaire de

 16   dire que ce conseil est inefficace. Si la chose est vraie, un procès mené

 17   dans de telles conditions est un procès inéquitable.

 18   Le fait que dans un procès aussi complexe que celui-ci, les

 19   préparatifs préalables au procès n'aient pas été suffisants, aurait dû

 20   pousser la Chambre à se poser des questions importantes. Fallait-il

 21   accorder un temps supplémentaire à Me Stewart avant le début du procès ?

 22   Fallait-il reporter le début du procès pour que Me Stewart puisse se

 23   préparer suffisamment ? Fallait-il essayer de sauver le procès en accordant

 24   ponctuellement des suspensions à la demande de Me Stewart ? Ou, encore plus

 25   important, est-ce qu'une suspension au milieu du procès aurait pu compenser

 26   l'absence ou l'insuffisance de préparation avant le début du procès ?

 27   La Chambre a su quatre jours avant le début du procès quelles étaient

 28   les difficultés de Me Stewart. Ceci figure aux paragraphes 24 et 72 de


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  1   notre mémoire en appel que nous invitons les Juges de la Chambre d'appel à

  2   lire. Donc si l'on ajoute à cela le bénéfice de la question posée par M. le

  3   Juge Meron il y a un instant et que nous nous posons la question de savoir

  4   si le procès a été équitable, nous affirmons que la Chambre de première

  5   instance n'a pas rempli ses responsabilités en ne veillant pas à l'équité

  6   du procès puisqu'elle n'a pas accordé de report quand elle aurait dû le

  7   faire.

  8   Me Stewart a demandé un mois de suspension d'audience pour pouvoir

  9   préparer le contre-interrogatoire du premier témoin, et dans les procès qui

 10   ont suivi il y a eu parfois plus de cinq suspensions d'une longueur

 11   conséquente dont une a été confirmée en appel.

 12   Treize mois après le début du procès, toutefois - et je rappelle que des

 13   dizaines de milliers de pages de documents ont été communiquées à Me

 14   Stewart - ce dernier a dit à la Chambre de première instance que son équipe

 15   n'avait pu lire que 15 % de l'ensemble des documents. Je cite : "Je n'en ai

 16   pas lu un grand nombre moi-même. Je ne sais pas de quoi ils traitent. Je

 17   n'ai pas les moyens suffisants pour découvrir le contenu de ces documents.

 18   La tâche est absolument impossible. Ma situation est sans espoir."

 19   Sa commis aux audiences avait quitté son poste. Son co-conseil avait donné

 20   son préavis de départ, car le contre-interrogatoire était entravé faute de

 21   temps et de moyens pour que tous les documents communiqués par l'Accusation

 22   puissent être lus et analysés. Et enfin, la co-conseil a décidé de partir

 23   car, a-t-elle dit, elle ne pouvait pas assurer une défense efficace dans le

 24   temps imparti et en raison de l'ensemble des difficultés et des

 25   conséquences négatives que cela pouvait avoir eu égard à l'équité du procès

 26   de M. Krajisnik.

 27   M. Krajisnik a fait preuve d'une patience remarquable. Finalement, il a

 28   demandé très clairement - et cela n'a surpris personne - à assurer lui-même


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  1   sa défense car, a-t-il dit, se défendre soi-même ne pouvait pas rendre la

  2   situation pire qu'elle n'était déjà. La Chambre a autorisé M. Krajisnik à

  3   poser des questions supplémentaires après les contre-interrogatoires menés

  4   par Me Stewart pour ajouter ses propres efforts à ceux de Me Stewart dont

  5   l'accusé disait qu'il obtenait des résultats désastreux. Me Stewart et son

  6   équipe ont finalement estimé que M. Krajisnik avait été lésé.

  7   Au moment de la présentation des moyens de la Défense, M. le Juge Orie qui,

  8   au départ, ne doutait pas de la compétence de Me Stewart, l'a châtié pour

  9   n'avoir pas respecté les délais en décrivant le produit du travail accompli

 10   par son équipe comme gravement insuffisant et a exprimé des inquiétudes

 11   importantes par rapport au fait que la Défense n'avait pas demandé à

 12   entendre des témoins experts.

 13   La Chambre de première instance, même si elle a fait de son mieux pour

 14   sauver le procès qui n'aurait jamais dû commencer au moment où il a

 15   commencé, n'a pas rempli, à notre avis, ses responsabilités eu égard à la

 16   nécessité d'un procès équitable en n'accordant pas de suspensions

 17   ponctuelles, lorsqu'il est apparu clairement aux yeux de tous que l'équipe

 18   Stewart était manifestement incompétente. L'absence de préparation

 19   suffisante de l'équipe Stewart a donc affecté négativement l'ensemble du

 20   procès.

 21   L'Accusation affirme que M. Krajisnik n'a pas établi qu'il a été lésé. La

 22   Chambre d'appel se rappellera que j'ai demandé que ma tâche, ma mission

 23   d'Amicus Curiae soit étendue pour englober la nomination d'un enquêteur

 24   indépendant supplémentaire afin de compenser l'insuffisance du travail de

 25   l'équipe Stewart. Ma requête a été rejetée. Et le fardeau d'établir qu'il y

 26   avait eu préjudice est donc ainsi retombé sur les épaules de M. Krajisnik

 27   lui-même, qui a déposé une demande de présentation de moyens de preuve

 28   supplémentaires dont il estimait qu'il pouvait être utile à sa défense.


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  1   La Chambre se posera la question de savoir si le refus de

  2   Me Stewart a été responsable d'une décision stratégique ou, comme l'a dit

  3   Me Stewart, si elle a été faite faute de temps. Est-ce que c'est par faute

  4   de temps que la Chambre de première instance n'a pas rempli son devoir vis-

  5   à-vis de son obligation de veiller à l'équité du procès ?

  6   Dans une affaire mettant en cause un responsable hiérarchique de cette

  7   importance, il était fondamental de définir et d'utiliser des témoignages

  8   experts sur des questions pertinentes, comme les questions militaires,

  9   politiques, démographiques et constitutionnelles. En contradiction directe

 10   avec cette nécessité et ce que demandait M. Krajisnik, Me Stewart n'a

 11   entendu aucun témoin expert aux fins d'établir que M. Krajisnik, ainsi que

 12   M. Karadzic, étaient bien au sommet de la pyramide du pouvoir dans la

 13   république bosno-serbe. Cette erreur qui a consisté à ne pas citer à la

 14   barre un témoin expert, compte tenu des circonstances dont nous parlons, a

 15   privé M. Krajisnik d'une possibilité d'établir tous les aspects de son rôle

 16   constitutionnel, ainsi que l'importance exacte du pouvoir exercé par lui

 17   dans la vie politique et militaire au jour le jour. Les conclusions de la

 18   Chambre de première instance sur la responsabilité individuelle de M.

 19   Krajisnik auraient pu être très différentes si un témoin expert avait été

 20   entendu sur ces questions.

 21   Je renvoie les Juges à ce que j'ai dit au début de mon exposé au sujet de

 22   l'interdépendance dans les diverses garanties qui permettent de qualifier

 23   un procès de procès équitable, c'est-à-dire au fait que les droits minimaux

 24   d'un accusé sont le droit à la communication, au contre-interrogatoire, à

 25   la présentation de moyens de preuve et à l'audition de témoins utiles dans

 26   le cadre d'un procès où un conseil exerce effectivement ses capacités, ce

 27   qui n'est pas le cas lorsqu'il ne le fait pas.

 28   A notre avis, il était manifeste que l'absence de préparation de l'équipe


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  1   Stewart n'a pas simplement mis en danger ce procès, mais que si l'on

  2   examine l'historique de celui-ci, comme le fera la Chambre, il apparaît

  3   qu'un procès équitable était impossible dans ces conditions. M. le Juge

  4   Robert Jackson a dit des procès de Nuremberg, je cite: "Nous ne devons pas

  5   oublier que le tableau sur lequel nous nous appuyons pour juger les accusés

  6   que nous avons aujourd'hui devant nous est le tableau que d'autres Juges

  7   auront devant eux dans l'avenir. Donc transmettre à ces accusés à venir un

  8   calice empoisonné serait équivalent à boire ce calice de nos propres

  9   lèvres."

 10   Le scandale Brashich est le fait que par la suite l'accusé n'ait pas été

 11   correctement défendu par l'équipe Stewart, ainsi que le fait que la Chambre

 12   de première instance n'ait pas agi efficacement, ont privé, à notre avis,

 13   M. Krajisnik d'un procès équitable.

 14   Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, voilà donc quelles sont

 15   nos appréciations sur la première question. Je vais maintenant rapidement

 16   passer à ce que j'ai à dire au sujet de l'entreprise criminelle commune.

 17   D'abord, contrairement à ce qu'a dit l'Accusation, nous affirmons qu'il est

 18   clair, compte tenu de la dernière phrase du paragraphe 1 098 du jugement,

 19   que la Chambre de première instance a condamné M. Krajisnik au titre de la

 20   catégorie I et non de la catégorie III d'entreprise criminelle commune.

 21   Deuxièmement, eu égard à la catégorie III de celle-ci, la Chambre de

 22   première instance n'a jamais explicitement prononcé la culpabilité de M.

 23   Krajisnik, en tout cas, elle n'a pas conclu précisément au fait que les

 24   nouveaux crimes étaient des conséquences prévisibles des crimes initiaux.

 25   Le simple fait qu'une personne occupe une position dirigeante sachant

 26   qu'une guerre est en cours et risque de provoquer un bain de sang est

 27   insuffisant pour établir l'existence de la responsabilité au titre de la

 28   catégorie III d'entreprise criminelle commune. Malheureusement, toutes les


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  1   guerres entraînent des bains de sang.

  2   Les conclusions de la Chambre de première instance, quant à l'existence de

  3   la catégorie I de JCE sont, à notre avis, entachées par l'absence de preuve

  4   quant au fait que l'accusé aurait accepté ou aurait eu l'intention de

  5   commettre les crimes qui ont été jugés. L'existence de l'intention

  6   délictueuse a été diluée en l'espèce.

  7   La Chambre affirme au paragraphe 1 098 du jugement, je cite : "Par son

  8   admission de la commission de nouveaux crimes, il y a poursuite de sa

  9   contribution à une intention menant à la réalisation de l'objectif."

 10   Sur cette base, si M. Krajisnik avait été informé des nouveaux crimes, par

 11   exemple, de mise en détention illégale ou de violence sexuelle,

 12   d'assassinat de civils, et s'il avait tout de même poursuivi son action

 13   pour la réalisation du plan commun, il aurait admis ces crimes, et étant

 14   donné l'admission de ces crimes, son intention aurait été prouvée."

 15   A notre avis, ces arguments ne sont pas suffisants. Par exemple, si deux

 16   hommes se mettent d'accord pour cambrioler une maison et que pendant le

 17   cambriolage l'un des deux tire sur le propriétaire de la maison sans que

 18   l'autre soit au courant. Si le deuxième cambrioleur, sachant qu'il y a eu

 19   meurtre par balle, continue à cambrioler, cela signifie que le plan commun

 20   s'est poursuivi et que donc l'intention de tuer était prouvée. Bien, un tel

 21   argument n'est pas acceptable.

 22   Autre élément qui a entaché les conclusions de la Chambre de première

 23   instance au sujet de la première catégorie d'entreprise criminelle commune,

 24   c'est le fait que des crimes ont été imputés à M. Krajisnik, et la Chambre

 25   l'a d'ailleurs reconnu, sans qu'un lien ait été établi entre les auteurs de

 26   ce crime et M. Krajisnik ou un toute autre membre de l'entreprise

 27   criminelle commune. A notre avis, la Chambre n'a donc pas fait ce qu'elle

 28   aurait dû faire, à savoir se prononcer de façon claire, et c'était tout à


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  1   fait capitale, sur l'imputation des crimes commis par des membres de

  2   l'entreprise criminelle commune, parce qu'en agissant ainsi, le processus

  3   d'application de la loi par rapport aux éléments de preuve n'a pas été

  4   achevé, et pour chacun des crimes pour lesquels M. Krajisnik a été

  5   condamné, il aurait fallu que ces crimes puissent être imputés au moins à

  6   un membre de l'entreprise criminelle commune.

  7   Selon l'analyse de la Chambre de première instance, le lien a été

  8   établi par le fait que l'accusé ou la direction bosno-serbe était informée

  9   des crimes commis par les auteurs principaux, mais la Chambre d'appel a dit

 10   clairement dans l'arrêt Brdjanin que le lien devait être prouvé en sens

 11   inverse, c'est-à-dire pas en partant des auteurs principaux pour aller vers

 12   un membre de l'entreprise criminelle commune, mais en partant d'un membre

 13   de l'entreprise criminelle commune pour aller vers les auteurs principaux,

 14   c'est-à-dire en utilisant les auteurs principaux comme instruments pour la

 15   réalisation du plan commun, ou pour ordonner ou encourager à commettre des

 16   crimes.

 17   Nous avons illustré ceci dans notre mémoire écrit au paragraphe 152

 18   par un tableau qui montre comment la Chambre de première instance a utilisé

 19   le modèle de l'entreprise criminelle commune. Nous affirmons qu'elle l'a

 20   fait de façon erronée, car elle a créé une forme mal définie de

 21   responsabilités où l'accusé devient responsable de crimes commis par des

 22   personnes avec lesquelles il n'a aucun lien, puisqu'il n'était pas informé

 23   de leurs crimes.

 24   Le Tribunal a mis l'accent à plusieurs reprises sur le caractère

 25   injuste qu'il y avait à tenir une personne responsable d'un crime lorsque

 26   le lien est trop mal défini ou trop ténu, tant du point de vue de

 27   l'entreprise criminelle commune que du point de vue de la responsabilité

 28   hiérarchique.


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  1   Je vous remercie.

  2   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Je vois qu'il n'y a

  3   pas de questions des Juges. Je donne maintenant la parole à l'Accusation

  4   pour sa réplique.

  5   Mme MARGETTS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Mme Goy et

  6   moi-même allons maintenant présenter des arguments en réponse au mémoire en

  7   appel de l'Amicus Curiae. D'abord, je traiterai du motif en appel numéro 1,

  8   paragraphes A, B et C qui ont un rapport avec l'équité du procès, après

  9   quoi j'aborderai le motif numéro 3 qui concerne l'entreprise criminelle

 10   commune.

 11   Eu égard aux motifs d'appel qui ne seront pas traités par moi ici

 12   aujourd'hui, nous invitons les Juges à en prendre connaissance dans notre

 13   mémoire écrit, et je commencerai dès maintenant mon exposé sur le motif

 14   numéro 1.

 15   M. Krajisnik avait droit à un procès équitable. La Chambre de première

 16   instance a fermé les lieux à tout moment sur le fait que le procès n'était

 17   pas totalement équitable. La garantie de procès équitable est établie à

 18   l'article 21 du Statut de ce Tribunal, et elle aurait dû être une garantie

 19   pour M. Krajisnik. Notamment, il a été représenté par un conseil pendant

 20   toute la durée du procès. Ce conseil aurait dû communiquer avec lui dans le

 21   cadre de sa défense. Il a eu la possibilité de répondre aux accusations

 22   prononcées et retenues contre lui. Il a contre-interrogé des témoins de

 23   l'Accusation par le biais de son conseil. Il a eu l'autorisation de poser

 24   lui-même des questions. Il a pu à tout moment présenter des arguments dans

 25   le cadre de sa défense à la Chambre et influer sur le résultat du procès.

 26   Il a témoigné lui-même pendant 40 jours, rappelons-le, pour présenter

 27   l'intégralité de sa défense et expliquer sa version des événements. Il a

 28   cité à la barre 24 témoins. Il a déposé un mémoire en clôture très


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  1   détaillé, et une plaidoirie par le truchement de son conseil.

  2   Par ailleurs, la Chambre a veillé à ce que M. Krajisnik ait

  3   suffisamment de temps et suffisamment de moyens pour préparer sa défense.

  4   La Chambre a accordé de nombreuses suspensions à la Défense pendant le

  5   procès. Le procès a donc été équitable.

  6   Aux paragraphes (a), (b) et (c) relatifs au premier motif d'appel,

  7   nous disons que ces arguments doivent être rejetés, non pas en raison de

  8   l'allégation d'incompétence de l'ancien conseil, mais parce que M.

  9   Krajisnik a bénéficié d'une défense efficace. Il a eu suffisamment de temps

 10   et de moyens, et aucune restriction ne lui a été imposée par la Chambre qui

 11   avait le pouvoir discrétionnaire de gérer le procès à sa convenance.

 12   Aucune des violations présumées ne constitue une violation du droit de M.

 13   Krajisnik à un procès équitable dans la réalité.

 14   Je traiterai maintenant du paragraphe (a) relatif à l'inefficacité de

 15   l'aide juridique reçue par lui.

 16   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Pourriez-vous ralentir pour les

 17   interprètes.

 18   Mme MARGETTS : [interprétation] Excusez-moi. Comme la Chambre d'appel l'a

 19   confirmé dans l'affaire Blagojevic, paragraphe 23 de l'arrêt, il y a forte

 20   présomption de compétence d'un conseil, et celle-ci ne peut être niée que

 21   sur présentation d'éléments la démontrant. L'appelant doit entre autres

 22   choses démontrer une grossière incompétence de son conseil par voie

 23   d'éléments de preuve, ce qui n'a pas été fait.

 24   Comme je l'ai dit déjà, M. Krajisnik a bénéficié d'une défense réelle

 25   et efficace. Il a eu la possibilité de répondre aux charges retenues contre

 26   lui et de présenter ses moyens de défense par voie de contre-interrogatoire

 27   et de citation de témoins, et par la voie de sa propre déposition. La

 28   Chambre de première instance, après 18 mois de procès, au moment où il


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  1   assurait lui-même sa défense, a conclu que l'équipe de conseil était

  2   compétente, dévouée, fonctionnait bien et travaillait en collaboration avec

  3   l'accusé. Paragraphe 35 du jugement.

  4   Les trois exemples de critiques exprimées par la Chambre par rapport au

  5   conseil sont énumérés dans un paragraphe de la réponse de l'Amicus Curiae

  6   et ne peuvent suffire à nier la qualification de compétence du conseil. Le

  7   premier exemple est une référence à des écritures de l'Accusation. Les deux

  8   autres concernent des résumés 65 ter, des dépositions de témoins qui

  9   n'auraient pas été tout à fait parfaites. Cette question a été résolue par

 10   la Chambre de première instance qui plutôt que de se prononcer sur la

 11   pertinence des éléments de preuve au vu des synthèses en question, a

 12   accordé à la Défense un certain temps pour choisir librement ses propres

 13   témoins. On voit cela à la page 18 802 du compte rendu d'audience. Donc, il

 14   n'y a pas eu préjudice.

 15   Les autres arguments de l'Amicus Curiae ne suffisent pas non plus à se

 16   prononcer négativement quant à la compétence du conseil. L'assistance

 17   inefficace prétendue par l'Amicus Curiae s'agissant de M. Brashich ne tient

 18   pas. L'Amicus Curiae affirme que M. Brashich n'a pas travaillé

 19   convenablement et que ceci a contribué à une préparation inefficace dans le

 20   temps et dans les moyens pour la Défense. Toutefois, la Chambre d'appel a

 21   déjà examiné l'incidence du départ de Me Brashich et du fait qu'il n'a pas

 22   communiqué à celui qui l'a remplacé un résultat important de son travail.

 23   En dépit de ces insuffisances, la Chambre d'appel a estimé qu'il n'y avait

 24   pas eu erreur dans la conclusion de la Chambre de première instance qui a

 25   déterminé que globalement la Défense avait bénéficié d'un temps et de

 26   moyens suffisants pour se préparer. Ainsi, il ne peut pas y avoir incidence

 27   négative sur l'équité du procès dont a bénéficié M. Krajisnik, compte tenu

 28   de l'insuffisance du travail de Me Brashich.


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  1   Aucune raison non plus de revenir sur la décision rendue, car il n'a pas

  2   été établi que Me Stewart, qui a succédé à M. Brashich, aurait été

  3   grossièrement très incompétent.

  4   S'agissant de Me Stewart, l'Amicus Curiae n'est pas d'accord avec les

  5   décisions stratégiques faites pendant le procès par Me Stewart et essaie

  6   rétrospectivement de prouver que celles-ci auraient été erronées. Comme la

  7   Chambre d'appel l'a établi dans sa décision Nikolic du 9 décembre 2004 au

  8   paragraphe 37, ceci est insuffisant pour démontrer la présence d'une

  9   grossière négligence.

 10   J'aimerais maintenant commenter certains exemples précis.

 11   D'abord, Krajisnik a pu contester les décisions de la Chambre de

 12   première instance devant la Chambre d'appel. Le conseil a fait appel du

 13   deuxième rapport décidé par la Chambre, et cet appel a été rejeté. Le

 14   simple fait d'énumérer des décisions discrétionnaires de la Chambre ne

 15   permet pas de conclure un comportement erroné. Rien n'indique qu'il y ait

 16   eu erreur potentielle dans les décisions de la Chambre de première instance

 17   qui pourrait étayer les allégations que le conseil aurait dû interjeter

 18   appel.

 19   Deuxièmement, Krajisnik a cité à la barre 24 témoins et a témoigné pendant

 20   40 jours lui-même. Aucun exemple de mauvais choix de témoins n'a été

 21   présenté en dehors de la référence faite au témoin expert. Il n'a pas été

 22   démontré non plus qu'une erreur quelconque aurait contribué à ce que la

 23   Chambre de première instance apprécie de façon moins que positive la

 24   crédibilité de M. Krajisnik.

 25   La décision de ne pas citer d'expert ne peut, par elle-même, rendre

 26   un procès inéquitable. Me Stewart a raisonnablement apprécié la valeur d'un

 27   témoignage expert en la comparant aux autres dépositions. Les éléments de

 28   preuve des témoins experts de l'Accusation ont été appréciés également au


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  1   cours des contre-interrogatoires ainsi que par les dépositions des témoins

  2   cités par M. Krajisnik, les témoins du gouvernement, les témoins députés,

  3   les témoins de l'armée, par exemple.

  4   Aucun exemple n'existe qui suffise à prouver que les éléments de

  5   preuve présentés par l'Accusation n'auraient pas été appréciés

  6   convenablement. Pour toutes ces raisons, la présomption de compétence n'a

  7   pas été remise en cause. Avant de passer à mon sujet suivant, je voudrais

  8   que nous passions à huis clos partiel, Monsieur le Président.

  9   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, nous sommes à

 10   huis clos partiel.

 11   [Audience à huis clos partiel] [Confidentialité levée par une ordonnance de la Chambre]

 12   Mme MARGETTS : [interprétation] Merci. J'aimerais m'exprimer sur le sujet

 13   des éléments de preuve supplémentaires.

 14   Depuis la décision prise la nuit dernière, nous n'avons pas eu la

 15   possibilité d'examiner cette question dans le détail, mais notre position

 16   initiale se divisera en trois parties. D'abord, les déclarations ne peuvent

 17   recevoir de réponse car elles sont subjectives et constituent des

 18   appréciations faites par des personnes qui sont membres de l'équipe de

 19   Défense qui ne peuvent remettre en cause, individuellement ou de façon

 20   cumulée, les appréciations de compétence du conseil principal.

 21   Deuxièmement, certaines allégations qui ne sont pas écrites ont été portées

 22   à l'attention de la Chambre par le conseil Me Stewart qui les décrit comme

 23   contraires à la vérité et comme des attaques personnelles. Je vous renvoie

 24   aux pages 9 599 à 9 602 du compte rendu d'audience.

 25   La Chambre dans sa réponse déclare qu'elle est prête à admettre que le

 26   conseil a travaillé dur et consacré beaucoup de temps au procès, page 9 601

 27   du compte rendu d'audience.

 28   En dépit de ces propos, la Chambre n'a pas considéré que la compétence du


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  1   conseil était un problème et n'a pas agi en application de l'article 46 du

  2   Règlement.

  3   Troisièmement, la Chambre dans sa décision relative à la demande de

  4   l'accusé d'assurer lui-même sa défense en août 2005, a reconnu que des

  5   problèmes existaient, mais que ces problèmes étaient désormais largement

  6   résolus. Paragraphe 35 de la décision.

  7   Aucune incompétence importante, aucun préjudice n'a été établi. Toutefois,

  8   compte tenu des déclarations désormais admises, il est opportun que la

  9   Chambre d'appel se penche sur ces allégations et puisse y répondre. Etant

 10   donné que les éléments de preuve n'ont pas été mis à l'épreuve,

 11   l'Accusation se réserve le droit d'enquêter sur ces éléments avant de

 12   présenter éventuellement des éléments de preuve en réplique.

 13   Je suis arrivée au terme de mon exposé.

 14   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, nous sommes à

 15   nouveau en audience publique.

 16   [Audience publique]

 17   Mme MARGETTS : [interprétation] Je vous remercie. J'aimerais maintenant

 18   traiter du paragraphe (b) relatif au temps et aux moyens.

 19   M. Krajisnik a bénéficié du droit de disposer d'un temps suffisant et de

 20   moyens suffisants. L'Amicus Curiae n'a pas établi que le temps qui lui a

 21   été accordé était insuffisant ou que des violations auraient résulté d'un

 22   temps insuffisant qui aurait lésé l'accusé. Comme je l'ai déjà dit, la

 23   Chambre a accordé à la Défense un certain nombre de reports depuis le début

 24   du procès pendant toute la durée de celui-ci. La Chambre a accordé un

 25   report 18 jours après le début du procès, 48 jours après également, et

 26   l'Amicus Curiae n'a pas expliqué pourquoi ces délais supplémentaires

 27   étaient manifestement insuffisants puisqu'ils ont été accordés

 28   immédiatement après le début du procès plutôt qu'avant le début du procès.


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  1   Il y a eu 141 jours pendant lesquels la Chambre n'a pas siégé et ce temps

  2   n'englobe pas les congés ou les vacances. Donc sept semaines sans travail

  3   ont eu lieu avant que la Chambre ne soit reconstituée.

  4   Si l'on considère ces nombreuses suspensions, il est raisonnable d'estimer

  5   qu'aucune erreur n'a été commise par la Chambre de première instance qui a

  6   accordé un temps suffisant et des moyens suffisants. Il n'y a donc aucune

  7   possibilité de remettre la décision de la Chambre en question. Une fois que

  8   la Chambre ait accordé un certain nombre de reports à la Défense, je

  9   rappellerai le report de novembre 2005 qui a permis à la Défense de

 10   disposer de sept semaines supplémentaires pour la préparation de la

 11   présentation de ses moyens.

 12   Je rappellerais également le temps accordé pour la préparation du

 13   témoignage de M. Krajisnik, pages 18 803 à 18 804 du compte rendu

 14   d'audience, page 1 460 également.

 15   L'argument de l'Amicus Curiae doit donc être rejeté sur ce point pour les

 16   raisons que je viens d'évoquer, et je parlerai maintenant du paragraphe (c)

 17   qui concerne les restrictions.

 18   L'Amicus Curiae affirme que les droits de l'accusé au contre-interrogatoire

 19   ont été lésés et que de cette façon, son droit à l'égalité des armes n'a

 20   pas été respecté. Mais les exigences qui doivent être respectées l'ont été,

 21   car aucune restriction imposée ne l'a été à l'encontre des intérêts de M.

 22   Krajisnik vis-à-vis de l'Accusation puisque M. Krajisnik a eu la

 23   possibilité de présenter très convenablement ses moyens de preuve.

 24   Les restrictions imposées ont été des restrictions décidées dans le cadre

 25   du pouvoir discrétionnaire de la Chambre qui n'ont provoqué aucun

 26   préjudice.

 27   J'en donnerai quelques exemples.

 28   Les nombreuses suspensions ont montré que la Chambre a été souple dans sa


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  1   gestion du temps. Le fait d'imposer des limites de temps telles que, par

  2   exemple, le pourcentage de 60 % du temps de l'interrogatoire principal

  3   consacré au contre-interrogatoire, n'était pas une limite ou une

  4   restriction stricte et relevait totalement du pouvoir discrétionnaire de la

  5   Chambre. Aucune erreur n'a été démontrée dans l'exercice de ce pouvoir

  6   discrétionnaire. La Chambre s'est montrée souple en répondant aux requêtes

  7   de la Défense. Le contre-interrogatoire du témoin Treanor, par exemple, n'a

  8   commencé qu'un mois après la date prévue, page 1 833 du compte rendu

  9   d'audience.

 10   L'Amicus Curiae se plaint également du temps accordé pour la présentation

 11   des moyens de la Défense, mais ne démontre l'existence d'aucune erreur dans

 12   l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Chambre. Il ne démontre pas

 13   davantage que le temps alloué aurait pu provoquer un préjudice. Le pouvoir

 14   discrétionnaire de la Chambre est détaillé dans la décision du 16 août

 15   2006.

 16   Autre question, la Chambre a admis les classeurs par municipalités sans

 17   audition de témoins, mais a limité leur taille à un maximum de dix

 18   documents, pages 13 386 à 13 390 du compte rendu d'audience. La plupart de

 19   ces dossiers étaient d'ailleurs peu volumineux, donc toutes les

 20   protestations relatives au volume de ces documents ne tiennent pas.

 21   Il y a eu un temps suffisant pour le contre-interrogatoire de Mme Plavsic.

 22   Krajisnik n'a été aucunement lésé vis-à-vis de l'Accusation qui n'a eu que

 23   la moitié du temps prévu pour le contre-interrogatoire. Par ailleurs, la

 24   nécessité d'un contre-interrogatoire s'est trouvée réduite parce que Mme

 25   Plavsic a témoigné sur un nombre plus limité de questions que celui qui

 26   était indiqué dans la communication entre les parties à l'avance.

 27   Enfin, la Chambre n'a commis aucune erreur en rejetant la demande de M.

 28   Krajisnik d'assurer lui-même sa Défense. La Chambre a eu raison de prévoir


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  1   le remplacement du conseil de la Défense au milieu du procès. Elle a été

  2   soutenue par la Chambre d'appel de l'affaire Seselj à cet égard le 20

  3   octobre 2006, qui a déclaré qu'il pouvait y avoir des circonstances qui

  4   justifiaient que certaines contraintes soient examinées au cas par cas.

  5   Monsieur le Président, en l'espèce, note en bas de page 22 de la décision

  6   relative à la représentation de l'accusé par lui-même du 1er mai 2007, il

  7   est reconnu que le temps est un facteur pertinent. Globalement, aucune

  8   erreur n'a été démontrée et le procès dans l'ensemble a été un procès

  9   équitable. J'en suis arrivée au terme de mon exposé.

 10   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen.

 11   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Madame, je ne me souviens pas

 12   des détails, mais en 2005, le conseil de la Défense a demandé une

 13   suspension de six mois et l'un des motifs invoqué par lui était qu'il

 14   n'avait lu que 15 % de la documentation.

 15   La Chambre de première instance a rejeté cette requête, le conseil a

 16   interjeté appel devant la Chambre d'appel qui elle-même a confirmé la

 17   décision de la Chambre de première instance.

 18   Est-ce que la présente Chambre d'appel est compétente pour revenir

 19   sur une décision de la Chambre d'appel au sujet de cette lecture de 15 %

 20   des documents pertinents ?

 21   Mme MARGETTS : [interprétation] Monsieur le Juge, non. Je rappelle l'appel

 22   Blagojevic qui a confirmé une décision de même nature et a déclaré quand

 23   l'absence d'erreurs manifestes qui n'étaient pas apparentes à l'époque, il

 24   n'y avait pas nécessité de le faire.

 25   Monsieur le Juge, à notre avis, aucune condition existant actuellement me

 26   permettrait de revenir sur une décision en appel.

 27   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je vous remercie.

 28   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci. Monsieur le Juge Meron.


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  1   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie de votre réponse à M.

  2   le Juge Shahabuddeen, mais votre réponse me pose quelques problèmes.

  3   La décision de la Chambre de première instance du 4 mars 2005, je crois que

  4   c'est bien la date, a établi que le niveau de préparation aurait dû être

  5   plus important, après quoi la Chambre d'appel a confirmé cette décision en

  6   appliquant un critère très généreux, à savoir qu'il n'y a pas eu abus de

  7   pouvoir discrétionnaire de la Chambre de première instance. Mais je vous

  8   dirais, pour ma part, qu'aujourd'hui nous sommes dans une situation

  9   différente.

 10   Nous avons examiné l'ensemble des éléments de preuve permettant de

 11   déterminer s'il y avait eu violation du droit fondamental à un conseil dont

 12   bénéficie l'appelant.

 13   Et nous vous avons entendu sur le sujet de la représentation de l'accusé,

 14   mais votre position me pose quelques problèmes. Il me semble qu'il peut

 15   arriver que le comportement d'un conseil soit si insuffisant, qu'il puisse

 16   équivaloir à un signe de négligence grossière et que dans certains cas

 17   c'est l'Accusation qui devrait se charger de la tâche de prouver le

 18   contraire.

 19   Je vous remercie.

 20   Mme MARGETTS : [interprétation] Monsieur le Juge, pour répondre à votre

 21   première question, je vous dirais que notre position est que les violations

 22   alléguées, si l'on se penche sur le problème de l'existence ou non d'une

 23   grossière négligence, bien, compte tenu des éléments examinés, rien

 24   n'existe qui puisse prouver une incompétence grossière. Globalement, si

 25   l'on examine le déroulement du procès dans son ensemble - et la Chambre de

 26   première instance était la mieux à même de se prononcer sur ce point - or

 27   elle a toujours reconnu que le procès était équitable, c'était elle qui

 28   était le mieux à même de déterminer quel était le temps suffisant et quel


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  1   était le niveau de préparation suffisant à la Défense pour assurer sa

  2   défense. Donc nous affirmons que tout ce qui devait être fait a été fait et

  3   qu'il n'y a aucune raison de considérer qu'il y a eu violation individuelle

  4   des droits de l'accusé, puisque globalement le procès a été équitable.

  5   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Fort bien. Je vous remercie.

  6   Mme GOY : [interprétation] Bonjour Madame, Messieurs les Juges. Je vais me

  7   pencher sur les questions que j'avais déjà esquissées ce matin, quelle est

  8   la forme d'entreprise criminelle commune qui a régi dans la condamnation de

  9   M. Krajisnik, la première forme ou la troisième. A la lumière des questions

 10   que vous avez posées, je m'interrogeais. Est-ce que vous m'accorderez

 11   quelques minutes supplémentaires pour vraiment aborder cette question ?

 12   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Quelques minutes. Oui. C'est d'accord.

 13   Mme GOY : [interprétation] Merci beaucoup. J'essaierai d'être rapide.

 14   La Chambre de première instance a prononcé une déclaration de culpabilité à

 15   l'encontre de M. Krajisnik pour la première forme et pour la troisième

 16   forme d'entreprise criminelle commune. Au départ, c'était uniquement pour

 17   le transfert forcé discriminatoire et l'expulsion qui faisait partie d'un

 18   plan commun alors que sa responsabilité découlait au titre de la troisième

 19   forme pour tous les autres crimes, extermination, assassinat et persécution

 20   basés sur d'autres actes que le déplacement forcé. Peu de temps après, ces

 21   autres crimes mentionnés par la Chambre comme étant des crimes "élargis"

 22   sont devenus partie prenante de l'objet commun, ce qui fait que la première

 23   forme de responsabilité était également concernée. Nous sommes tous

 24   d'accord pour dire que la Chambre aurait pu être plus explicite, mais je

 25   vous propose de parcourir les parties du jugement montrant que la Chambre a

 26   apporté les conclusions nécessaires. Je vais prendre deux périodes telles

 27   qu'elles ont été mentionnées par la Chambre, le début de l'application de

 28   ce plan commun et la période qui l'a suivie.


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  1   Première période, la Chambre a conclu au paragraphe 1 097 et au paragraphe

  2   1 118 qu'au départ l'expulsion discriminatoire et le transfert forcé

  3   étaient inclus dans l'objectif commun. Pour qu'il y ait ces crimes élargis,

  4   il y avait intervention de la troisième forme de responsabilité. Au départ,

  5   on pouvait prévoir les conséquences prévisibles de l'application de ce plan

  6   commun, ce que savait M. Krajisnik, il était prêt à prendre ce risque.

  7   C'était le paragraphe 1 099 du jugement.

  8   Il n'y a pas de conclusion explicite quant à sa responsabilité sous la

  9   troisième forme pour cette première partie. Cependant, si vous prenez comme

 10   grille de lecture ce que disent les paragraphes 91 186 [comme interprété] à

 11   1 199 [comme interprété], en même temps que le 1 124, c'est confirmé.

 12   A ce dernier paragraphe, la Chambre constate que la responsabilité de

 13   l'accusé découle des crimes commis à Bijeljina, ce qui reprend l'incident

 14   A1.1, le fait qu'au moins 48 civils ont été tués. Ce qui veut dire que la

 15   Chambre a déclaré Krajisnik coupable de ces assassinats même si elle avait

 16   constaté qu'au départ l'objectif commun c'était uniquement l'expulsion et

 17   le transfert forcé. La Chambre a pris les crimes élargis dans la troisième

 18   forme. C'est confirmé quand on voit ces paragraphes qui vont de 1 196

 19   [comme interprété] à 1 199 [comme interprété], si on les prend ensemble.

 20   Dans le paragraphe 1 196 [comme interprété], la Chambre pose la

 21   question de la responsabilité au titre de la troisième catégorie. Dans les

 22   paragraphes qui suivent, elle conclut qu'au départ l'objectif commun se

 23   bornait à l'expulsion et au transfert forcé, puis vous avez 98, comme

 24   l'Amicus Curiae vient de l'expliquer, la Chambre a compris qu'il y avait un

 25   élargissement de ce plan commun qui englobait d'autres crimes.

 26   Paragraphe 1 199 [comme interprété], il ne peut y avoir qu'une

 27   signification, c'est que les crimes relèvent de la troisième catégorie. Ce

 28   paragraphe le dit : "Nonobstant à ce qui est dit ci-dessus, même avant les


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  1   débuts de la prise de contrôle en avril, l'accusé et Karadzic savaient que

  2   ces prises de contrôle auraient des conséquences dévastatrices."

  3   Donc ceci inclut les conditions requises pour la troisième catégorie de

  4   l'entreprise, à savoir la conscience, la connaissance du fait que ces

  5   crimes dont les assassinats étaient des conséquences prévisibles de

  6   l'application de l'expulsion et du transfert forcé et que l'accusé a

  7   consciemment pris ce risque.

  8   Parlons de la deuxième période qui suit cette première phase. Au cours de

  9   la période couverte par l'acte d'accusation surtout ces crimes élargis sont

 10   devenus des crimes de la première catégorie. C'est ce que constate la

 11   Chambre au paragraphe 1 118. Et ceci se passe peu de temps après. Dans un

 12   instant je peux vous expliquer quelle est notre position. C'est parce qu'il

 13   y avait une certaine routine en matière de rapport, notamment au cours des

 14   quelques jours qui ont suivi les premiers crimes élargis. Tout ceci

 15   s'inscrit dans l'objectif commun. Tout du moins, le 12 mai lorsqu'on

 16   proclame ces objectifs stratégiques, tous ces crimes s'inscrivent dans le

 17   projet l'objectif commun.

 18   Et ceci c'est confirmé à la fin du jugement au 1 119, lorsque la Chambre

 19   dit qu'ici on a les conditions qui sont requises pour conclure à la

 20   culpabilité. Et ceci c'est en raison de l'élargissement de la signification

 21   criminelle, parce que de nouveaux types de crimes sont commis, parce

 22   qu'aucune mesure efficace n'est prise et parce qu'on poursuit

 23   l'application, l'exécution du plan commun. La Chambre était en droit de

 24   déduire l'intention mettant la première forme de l'entreprise en raison de

 25   ces circonstances. La Chambre d'appel a souvent confirmé, notamment dans

 26   l'arrêt Kvocka, paragraphe 243, on peut déduire cette intention des

 27   circonstances.

 28   La Chambre n'a pas donné de date précise du moment où tel ou tel crime


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  1   devient un crime de la première catégorie, mais c'est peu de temps après.

  2   Les conclusions tirées au paragraphe 996 étaient le fait qu'au moins à la

  3   date du 12 mai, ceci se retrouvait dans le plan commun. Là, je cite le

  4   paragraphe 996 : "Les prises de contrôle, l'assassinat, expulsion, sévices

  5   et appropriation, ainsi que destruction de biens, avaient commencé sur les

  6   territoires revendiqués par les Serbes de Bosnie bien avant que ne soient

  7   énoncés les objectifs stratégiques le 12 mai." En fin de paragraphe, on dit

  8   : "C'était là l'objectif des dirigeants de Bosnie, et s'il fallait un

  9   objectif le 12 mai c'était la poursuite de ce même objectif."

 10   Ceci, à notre avis, le dit clairement. C'était devenu des crimes de

 11   la première catégorie même avant, quelques jours après les premiers

 12   incidents. Tout ceci résulte du fait que le jugement, comme le montre la

 13   note de bas de page 2 233, se base sur les routines qu'il y avait en

 14   matière de rapports, et qui sont énumérées ailleurs dans le rapport. La

 15   responsabilité de la première catégorie prend forme pour chacun de ces

 16   crimes élargis qui interviennent quelques jours plus tard. Pour les plus

 17   graves, notamment l'assassinat, c'est dès le deuxième incident. Nous

 18   parlons de cette façon de communiquer l'information aux paragraphes 92 et

 19   93 de notre réponse à l'Amicus, et dans notre réponse à Krajisnik aux

 20   paragraphes 213 à 228. Permettez-moi de simplement mettre en lumière les

 21   informations à propos des premiers assassinats à Bijeljina les 2 et 3 avril

 22   1992.

 23   Krajisnik et les autres dirigeants ont été informés dès le 3 avril.

 24   Vous avez le témoin Bozidar Antic, page 18 186 et suivantes, ainsi qu'à la

 25   page 18 219 du compte rendu. Les gens de Zvornik le savaient dès le 8

 26   avril. C'est le paragraphe 926 qui le dit. Et en avril, ces informations

 27   ont paru dans la presse. P585 [comme interprété], c'est ce qui est dit dans

 28   la note 692.


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  1   Ceci montre aussi que le flux d'informations n'allait pas simplement

  2   vers les dirigeants, mais parvenait jusqu'à la base des composantes de

  3   l'entreprise criminelle commune et parvenait au grand public. En

  4   conclusion, la Chambre a eu raison de condamner Krajisnik au titre de la

  5   première et de la troisième catégorie de l'entreprise criminelle commune.

  6   Merci. Merci de m'avoir donné ces quelques minutes supplémentaires.

  7   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Maintenant je

  8   vais donner la parole à l'Amicus Curiae pour la réplique qu'il a

  9   l'intention de nous fournir.

 10   M. JONES : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. C'est moi qui

 11   vais aborder ce volet-là de nos arguments. Je m'interrogeais. Est-ce qu'il

 12   est possible de faire une pause ? Je sais qu'apparemment il faut changer

 13   les cassettes. Il y a aussi la question des interprètes. Moi, je peux

 14   poursuivre, si vous voulez.

 15   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Si vous respectez les délais, à savoir

 16   15 minutes, nous aurons [comme interprété] de le faire maintenant, avant la

 17   pause.

 18   M. JONES : [interprétation] Merci beaucoup. C'est bien l'intention qui est

 19   la mienne. Au cours de ces quelques minutes qui me sont accordées, je vais

 20   d'abord aborder quatre points à propos de l'équité du procès. Je vais

 21   ensuite parler de l'expulsion, puis évoquer deux ou trois points en

 22   réfutation pour l'entreprise criminelle commune.

 23   Tout d'abord, en matière de procès équitable, permettez-moi de commencer

 24   par faire mienne les observations de M. le Juge Meron. Cette question n'est

 25   pas réglée par la Chambre de première instance ni par la décision

 26   interlocutoire de 2005. La Chambre de première instance et la Chambre

 27   d'appel ne disposaient pas de tous les faits, tous les faits que vous, vous

 28   avez. Par conséquent, à notre avis, vous êtes libre d'examiner une nouvelle


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  1   question. Vous avez eu plusieurs informations, notamment pour ce qui est du

  2   manque de préparation au moment de la mise en état et pour ce qui est de

  3   l'équipe de Brashich. Si on applique le critère Blagojevic, nous sommes

  4   convaincus qu'il y a des circonstances qui mettent en cause la décision

  5   prise en 2005.

  6   S'agissant de la réponse apportée par l'Accusation, on a tout d'abord une

  7   litanie des garanties dont bénéficierait M. Krajisnik, le droit à contre-

  8   interroger notamment. Mais si on ne peut pas bien se préparer, c'est un peu

  9   comme un jeu de tennis, où en fait vous contestez que quelqu'un a traficoté

 10   votre raquette, ça veut dire que vous n'avez pas vraiment de chance de

 11   gagner. C'est pourquoi nous avons mentionné dans notre mémoire une

 12   jurisprudence en matière de droits de l'homme. Il faut que ces garanties

 13   soient vraiment effectives et efficaces. C'est ce qui compte.

 14   S'agissant de décisions stratégiques ou tactiques, ce n'est pas une

 15   décision stratégique d'être vraiment manifestement sans préparation. Me

 16   Stewart l'a avoué lui-même, bon nombre de ses décisions n'ont pas été des

 17   décisions stratégiques ou tactiques. C'est simplement par manque de temps

 18   qu'il a pris cette décision, notamment pour ce qui est de témoin expert.

 19   Troisièmement, je reprends une métaphore pour parler de la difficulté qu'il

 20   y a à, en fait, éviter qu'un bateau qui a déjà une brèche ne coule en

 21   pleine mer. Il n'est pas possible d'apporter des réparations à des avaries

 22   quand on est en pleine mer.

 23   Pour ce qui est des expulsions, nous avions averti l'Accusation que nous

 24   allions parler de ceci. Ce n'est pas vraiment une réplique, c'est plutôt un

 25   argument que nous avançons. Au motif 4 de notre mémoire, la Chambre a versé

 26   dans l'erreur en condamnant M. Krajisnik d'expulsion en tant que crime

 27   contre l'humanité, chef 7. L'Accusation le reconnaît en partie, en grande

 28   partie, en disant qu'effectivement, la Chambre n'a pas procédé à une


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  1   analyse minutieuse de chaque incident pour savoir si ces personnes

  2   déplacées ont franchi une frontière de facto. L'Accusation reconnaît que la

  3   Chambre s'est trompée en matière d'expulsion pour un certain nombre de

  4   municipalités. Cependant, l'Accusation essayait de justifier la

  5   condamnation à propos d'une municipalité, celle de Bijeljina. Elle vous

  6   demande de confirmer la condamnation prononcée contre M. Krajisnik.

  7   Alors que l'Accusation se base uniquement sur un élément apporté par M.

  8   Milorad Davidovic, il s'agit de la page 14 235, qui est mentionnée dans le

  9   jugement de première instance.

 10   Regardons ce que disait M. Davidovic à cette page du compte rendu

 11   d'audience. Il parlait de déplacement de Musulmans de Bosnie vers, je cite

 12   : "La Hongrie et l'Occident," après qu'il eut parlé de déplacement vers des

 13   territoires contrôlés par les Musulmans. Il a dit : "Sinon, il y avait des

 14   départs organisés qui passaient par la Serbie pour que les gens aillent en

 15   Hongrie ou en Occident. Je peux vous donner des informations à ce propos

 16   aussi." C'est tout ce qu'il a dit.

 17   Nous vous demandons de relever plusieurs choses à propos de cet élément de

 18   preuve, ma foi, bien maigre, bien ténu. D'abord, il a offert ces

 19   informations, il a offert même de les étoffer. Cependant, on ne lui a pas

 20   donné l'occasion de le faire.

 21   Vous avez aussi constaté le caractère très flou et très vague de sa réponse

 22   quand il parle de "l'Occident." Qu'entend-on par "Occident" ? Est-ce qu'il

 23   compte davantage, quand il parle d'Occident, de l'Europe occidentale, voire

 24   des Etats-Unis, il est manifeste que les autorisés serbes de Bosnie

 25   n'auraient pas la possibilité d'expulser, de déporter des gens vers ces

 26   gens [phon], parce qu'il faudrait, avant d'arriver là, passer par bien

 27   d'autres pays. Il y a donc une distinction très importante à faire. Vous

 28   avez des réfugiés venant de la guerre en Bosnie qui se sont retrouvés dans


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  1   toutes sortes de pays du monde. Ça ne veut pas dire qu'ils ont été déportés

  2   vers ces pays, pas plus que pendant la Seconde Guerre mondiale, et il n'y a

  3   pas eu beaucoup de réfugiés qui ont fuit l'Allemagne nazie, mais ils n'ont

  4   pas été déportés vers ces autres pays. Là, c'est en fait une mauvaise

  5   application du concept.

  6   Davidovic parle aussi de départs organisés en passant par la Serbie, mais

  7   il n'a pas dit qui avait organisé ces départs communs, et il est certain

  8   qu'il n'a seulement pas dit que M. Krajisnik ou quelqu'un qui lui sera

  9   apparenté aurait organisé ce genre de départ.

 10   Une dernière chose, quand on dit déportation passant par la Serbie, il

 11   aurait fallu la complicité des autorités serbes, parce qu'après tout, on

 12   passait le territoire de Serbie, et la Chambre n'a tiré aucune conclusion

 13   dans ce sens. D'ailleurs, la Chambre a limité l'entreprise criminelle

 14   commune aux personnes se trouvant sur le territoire de la Bosnie-

 15   Herzégovine. C'est dit au paragraphe 1 087. Je cite : "La Chambre conclut

 16   que l'entreprise criminelle commune dont l'accusé était membre se compose

 17   de personnes réparties sur l'ensemble du territoire de la République serbe

 18   de Bosnie."

 19   Ce qui veut dire que l'entreprise criminelle commune sur le plan du

 20   territoire ne s'applique pas à la Serbie.

 21   Et effectivement, on a bien parlé du compte rendu Davidovic, mais la

 22   page utilisée par l'Accusation parle aussi de déplacement à l'intérieur de

 23   la Bosnie, notamment à Brcko. A notre avis, c'était au paragraphe 1 087.

 24   Donc, finalement, ce que dit le seul Davidovic ne peut pas être un

 25   fondement pour déclarer M. Krajisnik coupable de crimes contre l'humanité à

 26   cause d'une déportation. Si vous êtes d'accord avec nous, tout le chef 7 et

 27   la condamnation qui l'accompagne devraient être annulés.

 28   Il me reste deux minutes. Je m'en rends compte. Quelques éléments à


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  1   propos de l'entreprise criminelle commune. Je pense que la Chambre doit se

  2   reposer sur deux choses. D'abord, la question du lien, condition requise et

  3   le fait que la démarche adoptée par la Chambre de première instance est

  4   insuffisante.

  5   Vous avez aussi pensé peut-être que la Chambre d'appel n'est pas en

  6   mesure de tirer des déductions de ce qu'a dit la Chambre. Et je pense qu'il

  7   y a au moins deux Juges de la Chambre d'appel qui pourraient être de cet

  8   avis. Les réponses données à ces deux préoccupations ne convainquent pas

  9   quand on voit les parties 2 et 3 du jugement, on ne peut pas penser qu'on y

 10   trouve là le lien nécessaire.

 11   J'aimerais répondre à M. Kremer de la façon suivante, et là, je suis

 12   d'accord avec ce qu'a dit Me Dershowitz. M. Kremer nous a donné des

 13   exemples très parlants de ces crimes commis à la base, et il a dit que

 14   c'était connecté ou lié aux dirigeants de Pale, aux dirigeants, mais il

 15   n'en a pas apporté la preuve.

 16   Il y a aussi des références à des chefs paramilitaires, Arkan, Mauzer

 17   notamment, et ce qu'on a appelé la base de l'entreprise qui, manifestement,

 18   a commis des crimes épouvantables mais ceci ne montre pas qu'il y aurait eu

 19   un plan commun entre ces hommes et

 20   M. Krajisnik. Et permettez-moi de faire les propos des frères Dershowitz à

 21   propos de la nécessité d'identifier de façon indépendante qui était membre

 22   de l'entreprise sans faire de référence parce que, sinon, c'est la

 23   tautologie, effectivement donc, on double. L'Accusation et la Chambre

 24   devraient pouvoir prendre quelqu'un de Bosnie et de se demander si cette

 25   personne fait partie de l'entreprise ou pas ? Et la réponse ne dépendra pas

 26   de la question de savoir s'ils ont commis des crimes; sinon, là on tourne

 27   en rond, et la Chambre est tombée dans ce piège. Elle n'avait pas de

 28   conception indépendante des membres de l'entreprise indépendamment de la


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  1   question de savoir si ces personnes avaient commis des crimes ou pas, c'est

  2   là qu'on trouve ce qu'on double.

  3   On a fait des références au fait que ces organisations étaient

  4   totalement contrôlées par les dirigeants serbes de Bosnie mais ceci ne

  5   répond pas aux conclusions de la Chambre au paragraphe 1 121, parce que M.

  6   Krajisnik n'avait pas le contrôle effectif de ces personnes.

  7   Nous sommes d'accord avec Me Dershowitz pour dire que si on prend ces

  8   crimes, si on force un homme à regarder sa femme en train d'être violée, ce

  9   sont des crimes épouvantables. Mais ici, en fait, on montre qu'on a une

 10   interprétation trop large car rien ne montre, on n'a pas laissé entendre

 11   que M. Krajisnik aurait, en fait, incité des policiers ou des Bérets rouges

 12   à commettre ces crimes, ou qu'il aurait forcé d'autres à creuser leurs

 13   propres tombes. Et ceci montre qu'on a vraiment trop repoussé les

 14   frontières qui délimitent l'entreprise. Permettez-moi de parler enfin de la

 15   troisième catégorie. L'Accusation vous demande de constater

 16   qu'implicitement la Chambre prend cette troisième catégorie. Pour le faire

 17   implicitement. Il suffisait à la Chambre de dire explicitement : "Voilà

 18   nous estimons qu'il est responsable au titre de la troisième," ou prendre

 19   cette phrase un peu four tout disant que ; "Ces crimes étaient la

 20   conséquence naturelle et prévisible de ce plan." C'est tout ce que la

 21   Chambre devait faire, or, elle ne l'a pas fait. A notre avis, par

 22   conséquent, le paragraphe 1 099 est bien trop vaste que pour englober cette

 23   conclusion implicite. Comme l'a dit Me Nicholls, dans toutes les guerres,

 24   il y a des crimes horribles qui sont commis, et il ne faut pas faire la

 25   confusion entre le crime de l'agression avec l'entreprise criminelle. On ne

 26   peut pas dire que parce qu'il y a prévisibilité de ce genre, ça veut dire

 27   qu'on va automatiquement être responsable troisième catégorie.

 28   Si vous avez des questions, je suis prêt à y répondre.


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  1   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie, Maître Jones. Ceci

  2   termine l'appel présenté par l'Amicus Curiae.

  3   Nous allons faire une pause de 15 minutes et nous reprendrons à 17

  4   heures 05 pour entendre l'Accusation et l'appel qu'elle a formulé.

  5   --- L'audience est suspendue à 16 heures 48.

  6   --- L'audience est reprise à 17 heures 08.

  7   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] La pause a été un peu plus longue que

  8   prévu mais nous reprenons l'audience et nous allons entendre l'appel

  9   interjeté par l'Accusation. Elle a la parole pour présenter ses arguments

 10   et elle dispose de 20 minutes.

 11   M. KREMER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Nous faisons

 12   appel de la peine de 27 ans imposée à M. Krajisnik suite à la déclaration

 13   de culpabilité eu égard aux crimes mentionnés cet après-midi et ce matin.

 14   De l'avis de l'Accusation, la peine imposée ne relève pas -- est

 15   disproportionnée par rapport à la latitude qu'avait la Chambre vu la

 16   gravité des crimes commis et le degré de participation de l'accusé à ces

 17   crimes. Cette peine ne réunit pas les conditions prévues par les conditions

 18   mentionnées dans l'arrêt Gacumbitsi, paragraphe 205.

 19   Les débats de ce matin nous ont appris que la présente affaire porte sur un

 20   nettoyage ethnique à grande échelle, très répandu sur une grande partie de

 21   la Bosnie-Herzégovine. Quelque 3 000 Musulmans ont été tués par

 22   extermination, par assassinat. Il y a au moins

 23   100 000 Musulmans et Croates de Bosnie qui ont été déplacés par la force

 24   d'une grande partie de la Bosnie-Herzégovine. Et avant ce déplacement,

 25   avant ces assassinats, il y a des Croates et des Musulmans qui sont quand

 26   même restés, mais qui ont été à une campagne de persécution qui

 27   s'inscrivait dans une campagne d'attaque généralisée sur la population

 28   civile avec des actes d'assassinat, de traitements cruels, inhumains, de


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  1   sévices psychologiques et physiques, de sévices sexuels et de détention

  2   illicite comme de transfert et d'expulsion forcée, de travaux forcés, de

  3   destruction arbitraire de biens et de pillage.

  4   Au paragraphe 1 146, la Chambre dit que: "Il y a d'innombrables récits de

  5   brutalité et de violence qui ont découlé de ces crimes. Ceci n'aurait pas

  6   été nécessaire si la haine raciale, si le nationalisme ne s'était pas

  7   emparé de M. Krajisnik et des autres membres de l'entreprise criminelle

  8   commune. Les dirigeants serbes de Bosnie, les autres membres de cette

  9   entreprise ont commencé une campagne de persécution qui nous montrait

 10   comment des Etats criminels ont entrepris des campagnes de terreur. Il y a

 11   tout d'abord le fait que M. Krajisnik et les dirigeants serbes de Bosnie

 12   ont semé chez les Serbes de Bosnie la peur, la haine de l'autre, à l'aide

 13   d'un mécanisme et d'une machine de propagande. La peur et la haine du

 14   Musulman et du Croate afin de gagner le soutien de ces personnes et de

 15   créer les conditions permettant l'exécution de l'objectif criminel." Il

 16   s'agit ici du paragraphe 1 121C.

 17   Les Croates et les Musulmans de Bosnie ne pouvaient plus se déplacer

 18   librement. Leurs maisons furent perquisitionnées, leur vie privée bafouée

 19   et violée. Paragraphe 784. Des personnes ont perdu leur emploi. Paragraphe

 20   785. Ne pouvaient plus aller à l'école, faire partie du service public en

 21   raison de leur appartenance ethnique. Paragraphe 786.

 22   Cette campagne de persécution a eu des effets sur chaque Musulman, chaque

 23   Croate dans une ville, même pas lorsqu'on était en détention, c'est ça qui

 24   est frappant. Vous savez, Ahmed Hidic, qui vous dit quelle était la

 25   situation à Bosanski Petrovac avant qu'on ne le chasse et qu'on ne le prive

 26   de sa propriété. Il dit : "Moi, je n'ai jamais été dans un camp de

 27   détention, mais toute la ville de Bosanski Petrovac était comme un grand

 28   camp de détention. Il nous était interdit de partir, on avait toujours peur


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  1   de sortir. Il y avait tellement de tueries autour de nous, tant de

  2   destruction de nos maisons, de nos commerces. La ville était pratiquement

  3   fermée et coupée de tout, il y avait un couvre-feu du coucher du soleil à

  4   l'aube. Il était impossible d'avoir de la nourriture, il y avait des

  5   patrouilles la nuit. Souvent, il y avait des coupures d'électricité et

  6   souvent des coupures d'eau aussi." Nous sommes ici à la pièce P87, page 8.

  7   C'est mentionné à la note en bas de page 953.

  8   Puis il y a les prises de contrôle des municipalités par la force. Au cours

  9   de ces attaques, les Croates et les Musulmans de Bosnie ont été tués et ont

 10   subi des sévices. Et finalement, les dirigeants serbes de Bosnie ont détenu

 11   35 municipalités.

 12   Cette campagne de persécution a été effectuée de façon plus efficace. Les

 13   Croates et les Musulmans furent arrêtés, frappés et détenus, les mosquées

 14   et les églises catholiques détruites. L'idée était d'effacer tout souvenir,

 15   toute trace de la présence des Croates et des Musulmans. Les conditions

 16   incroyables qui leur furent imposées ont fait qu'il leur était impossible

 17   de rester sur place, et c'est ce que dit le paragraphe 729. Ils sont partis

 18   en grand nombre. Ce fut un exode qui a souvent été réglementé et organisé

 19   par une agence chargée de la réinstallation dirigée par les autorités

 20   serbes de Bosnie.

 21   A Banja Luka, une telle agence s'occupait de tous les aspects concernant ce

 22   genre de réinstallation. Paragraphe 392. La cellule de Crise prévoyait les

 23   conditions de départ et s'est servie des pouvoirs publics pour l'organiser.

 24   Ceux qui voulaient prendre la fuite devaient déposer au moins 15 documents

 25   différents pour obtenir ce qu'ils appelaient l'autorisation de s'installer

 26   ailleurs. Et l'insulte ultime infligée aux personnes qu'on persécutait,

 27   c'est que cette bureaucratie du nettoyage ethnique exigeait que chacune de

 28   ces personnes devait payer un certain montant pour chaque certificat


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  1   qu'elle devait obtenir.

  2   Comme l'a dit M. Krajisnik, il ne parle pas de nettoyage ethnique, il parle

  3   de "division ethnique". Des milliers de Croates et de Musulmans de Bosnie

  4   ont été détenus dans plus de 350 lieux de détention qui étaient souvent des

  5   lieux publics. Paragraphe 810 du jugement.

  6   Adil Draganovic nous dit comment il a été détenu au camp de Manjaca à Banja

  7   Luka. "Toutes les nuits, tous les jours, nous étions battus, pendant une

  8   demi-heure, 45 minutes, une heure. Il y en avait un qui se servait d'un

  9   câble, d'autres d'une matraque. D'autres nous ont donné des coups de

 10   bottine à l'estomac et au visage. Quand on tombait, à ce moment-là, ils

 11   s'acharnaient. Ils nous donnaient des coups de botte. Je ne sais pas

 12   comment j'ai survécu cette nuit-là." Référence P519B, page 5 009 et 10 du

 13   compte rendu d'audience, c'est cité au paragraphe 386, note de bas de page

 14   871.

 15   Il dit aussi ceci : "Je me souviens aussi de ces insultes, de ces

 16   humiliations verbales. Ils nous ont dit qu'on n'était pas des hommes.

 17   'Qu'est-ce que vous voulez ? Vous voulez un Etat ? Eh bien, vous ne l'aurez

 18   pas. Vous serez comme les Palestiniens. Regardez, nous les Serbes, on a

 19   notre Etat. On a la Bosnie-Herzégovine serbe. Vous allez être tués, vous

 20   tous, ici dans le camp.'"

 21   Je pense que le paragraphe qui suit dit le mieux ce qui s'est passé. "Ces

 22   humiliations étaient dans cette grange où on était et dans des conditions

 23   inhumaine. On était plus petit que des souris. Nos vies ne valaient pas la

 24   vie d'une souris." C'est la pièce P519C, pages du compte rendu d'audience 5

 25   450 à 5 452, paragraphe 386.

 26   Ces conditions étaient tellement mauvaises que cet homme a perdu 26 kilos

 27   au cours du premier mois.

 28   Mais ce n'est que le sommet de l'iceberg, parce qu'il faut voir plus loin


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  1   pour comprendre l'horreur des conditions. Des femmes, des femmes enceintes,

  2   des jeunes gamines, même des gamines de 13 ans, étaient régulièrement

  3   violées alors que les hommes devaient commettre des actes sexuels

  4   humiliants et dégradants. C'est dit au paragraphe 800 du jugement, et au

  5   paragraphe 304.

  6   Monsieur Krajisnik savait ce qui se passait. Pour le prouver, je vous

  7   renvoie aux paragraphes 1 041, 1 046 et 1 047 à titre d'exemples des

  8   communications qu'a eues Mandic, c'était le ministre de la Justice et il

  9   était responsable des lieux de détention, des communications qu'il avait

 10   eues, disais-je, avec M. Krajisnic pour dire ce qui se passait dans ces

 11   lieux de détention.

 12   Près de 3 000 Croates et Musulmans ont été tués. Beaucoup d'entre eux ont

 13   été tués en détention. Ils ont été tués par arme à feu, par suffocation, en

 14   étant battus à mort, brûlés vifs, forcés de sauter d'un pont, en étant

 15   égorgés ou quand on a tiré sur eux alors qu'ils se livraient à des actes de

 16   travaux forcés, puis ils servaient de boucliers humains, ou parce qu'ils

 17   étaient déshydratés. Il y a eu des exterminations en masse dans plus de 14

 18   municipalités. Paragraphe 663, pièce P285A, il s'agit d'une déclaration

 19   faite par un témoin qui décrit l'horreur indicible d'avoir été abattu sans

 20   être tué, puis d'être placé dans un bâtiment qu'on a incendié, et il a été

 21   le seul à échapper à ce massacre. La dernière personne qui a refusé de

 22   brûler ces corps a été tuée, et cet homme se souvient des cris, des

 23   clameurs. "Ils ont tué cet homme," a-t-il dit, "et ils l'ont ajouté à la

 24   pile de cadavres qu'il y avait déjà."

 25   La campagne de terreur et de mort menée par les Serbes de Bosnie a provoqué

 26   la mort de 3 000 personnes et l'expulsion de plus de 100 000 personnes.

 27   Arrivé à la fin de 1992, Krajisnik avait réussi à obtenir ses objectifs par

 28   des moyens criminels. Il était obsédé et cette obsession était devenue une


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  1   réalité. La région était nettoyée des Musulmans et des Croates.

  2   La composition ethnique, en l'espace d'un an, avait été modifiée non pas

  3   par des négociations pacifique mais par une campagne de nettoyage ethnique

  4   systématique et massive. Il l'a expliqué fièrement à la télévision

  5   publique, il a dit que ce qu'on a dit, à savoir qu'on possède les

  6   territoires où se trouvent d'autres communautés nationales, ce n'est pas

  7   vrai. C'est ce que dit le paragraphe 1 076. Au moment où il prononçait ces

  8   mots, il avait raison, mais il a oublié de dire que neuf mois seulement

  9   auparavant, dans ces mêmes territoires, il y avait présence d'autres

 10   communautés nationales. Krajisnik et les autres membres de l'entreprise ont

 11   entrepris une campagne massive en utilisant les structures de l'Etat, en

 12   mobilisant des milliers de Serbes qui étaient dans ces structures pour

 13   commettre les crimes sur le terrain.

 14   Etant donné les résultats de cette campagne, il mérite d'être condamné à

 15   une réclusion perpétuelle.

 16   Parlons de son rôle, c'était un protagoniste de premier plan de cette

 17   entreprise. La Chambre l'a constaté au paragraphe 1 119, c'était un des

 18   éléments moteurs de cette entreprise criminelle. Il était au centre des

 19   instruments de pouvoir. Paragraphe 180. Il voulait que cette terre soit

 20   ethniquement pure afin qu'il puisse affirmer une fois pour toute que cette

 21   terre appartenait à son peuple. Paragraphe 1 076. Il ne voulait pas

 22   partager cette terre avec d'autres groupes ethniques et pour parvenir à une

 23   domination et à un Etat purement serbe, il savait qu'il était nécessaire

 24   d'évincer par la force les Musulmans et les Croates. Paragraphe 1 119.

 25   Il a accepté des sacrifices humains énormes pour satisfaire à ce rêve

 26   politique, la mort et la destruction de milliers de vies et des souffrances

 27   humaines indicibles. Paragraphe 1 119. Son intention, c'était l'horreur, il

 28   l'a formulée, il l'a lancée, il a promu cette police pour permettre


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  1   l'exécution de ce plan. C'est dit au paragraphe 1 121.

  2   Un homme ordinaire pourrait s'attendre à ce qu'un homme investi de ce

  3   pouvoir empêche des crimes contre la population, il les a encouragés.

  4   Paragraphe 1 160. Jamais il n'a exprimé de regret. Paragraphe 1 115.

  5   Krajisnik et Karadzic, ce sont deux corps pour une même âme.

  6   Trobajevic, ex-ministre adjoint sous Krajisnik, s'est servi de cette

  7   description pour parler de la façon dont ces deux hommes ont dirigé la

  8   Republika Srpska comme un fief personnel et pour s'occuper eux-mêmes et

  9   avoir une influence directe à tous les niveaux de la gestion des Serbes de

 10   Bosnie, paragraphe 987.

 11   Vu sa position, il a participé à l'exécution de ce plan et il l'a promu.

 12   Paragraphe 1 121. Ce plan a été exécuté dans toutes ses phases. Il a donné

 13   des directions au gouvernement des Serbes de Bosnie pour appliquer ce plan.

 14   En tant que personnalité politique de premier plan, il a donné des

 15   informations inexactes quant aux crimes pour induire en erreur la

 16   communauté internationale. 1 121K. Il était au sommet, au faîte du pouvoir,

 17   au faîte de cette pyramide. C'est de là qu'il a dirigé, incité, il a donné

 18   des instructions aux échelons inférieurs pour exécuter ce plan criminel.

 19   Il n'a pas connu les horreurs qu'il a imposées aux autres. Il a

 20   veillé à ce que ce soit les autres qui ressentent cette horreur qu'il

 21   voulait, qu'on aurait pu éviter mais qui a été faite pour parvenir à un

 22   Etat serbe de Bosnie ethniquement pur. 27 ans de réclusion, c'est quelque

 23   chose de déraisonnable pour quelqu'un qui était un des moteurs d'événements

 24   catastrophiques qui ont entraîné tellement de morts et tant d'expulsions.

 25   L'Accusation reconnaît que la Chambre a tenu compte des principes

 26   régissant la fixation de la peine et reconnaît que la gravité des crimes,

 27   c'est le facteur primordial qu'il faut prendre en compte à cet effet.

 28   Cependant, la question suivante se pose, est-ce que la Chambre a


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  1   suffisamment tenu compte de cela pour déterminer la peine. Arrêt Galic 442.

  2   Le contraste entre les faits constatés et la peine fixée est frappante et

  3   répond à cette question. La peine imposée ne cadre pas avec le principe de

  4   la rétribution parce qu'elle ne montre pas que le communauté internationale

  5   condamne ce genre de comportement, ne cadre pas, c'est inconciliable, avec

  6   le principe de dissuasion, parce que 27 ans pour un homme qui avait ce

  7   pouvoir, qui a engagé cette campagne de persécution pour modifier la

  8   composition ethnique de la Bosnie-Herzégovine ne respecte pas l'ordre

  9   juridique international. Au vu des faits constatés par la Chambre de

 10   première instance, la peine est manifestement disproportionnée et ne tombe

 11   pas dans la fourchette qui était à la disposition des Juges, ou pour

 12   reprendre ce que disait l'arrêt Galic, ici, ça a été pris dans la mauvaise

 13   case. Paragraphe 455.

 14   En conséquence, vu le caractère massif et la gravité des crimes et le rôle

 15   crucial joué par Krajisnik, la seule peine qui pourrait être conciliable

 16   avec la gravité des crimes, c'est la réclusion à vie.

 17   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Kremer.

 18   Maintenant, je vais donner la parole à la Défense pour qu'elle puisse

 19   répondre.

 20   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] J'ai l'intention de répondre simplement

 21   sur les éléments ayant trait à l'entreprise criminelle commune en cinq

 22   minutes, et ensuite l'accusé lui-même pourra répondre à toutes les

 23   questions portant sur la peine elle-même.

 24   M. KREMER : [interprétation] Je m'en remets aux Juges de la Chambre, mais

 25   d'après ce que j'ai compris,  Me Dershowitz devait parler des points

 26   juridiques ce matin et de l'entreprise criminelle commune. Nous avons déjà

 27   eu deux débats, et je crois que pour la question de la peine, je n'ai

 28   jamais utilisé le terme d'entreprise criminelle commune. Je ne vois pas


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  1   exactement ce que Me Dershowitz pourrait ajouter à mes arguments.

  2   [La Chambre de première instance se concerte]

  3   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Je crois que je peux ajouter –-

  4   [La Chambre de première instance se concerte]

  5   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Nous en sommes à l'appel interjeté par

  6   l'Accusation.

  7   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] J'entends bien. Je souhaite simplement

  8   parler de l'entreprise criminelle commune relative à la peine, c'est tout.

  9   Trois à cinq minutes.

 10   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] C'est très bien.

 11   M. A. DERSHOWITZ : [interprétation] Très bien, merci. L'Accusation évoque

 12   qu'ils n'ont pas parlé de l'entreprise criminelle commune, mais toute

 13   l'approche vis-à-vis de l'entreprise criminelle commune porte là-dessus,

 14   sur le véhicule de l'entreprise criminelle commune. Ce n'est que sur le

 15   comportement de M. Krajisnik qu'on peut établir que la peine est excessive.

 16   La seule façon qui permet à l'Accusation d'arriver à cet argument

 17   concernant la peine, c'est d'adopter une logique inverse, encore une fois,

 18   déclarant qu'il est responsable pour tous ces crimes et en laissant un très

 19   court laps de temps où leur argument montre qu'il est responsable, ils

 20   citent en particulier le paragraphe 1 041 pour montrer sa responsabilité.

 21   Au paragraphe 1 041, M. Krajisnik remplit ses fonctions. Il procède à

 22   l'échange de prisonniers. On parle de mouvements de prisonniers civils.

 23   Ici, on parle de prisonniers de guerre. Ce qui était important, c'était

 24   d'échanger des prisonniers de guerre contre d'autres prisonniers de guerre

 25   dans l'autre camp et M. Krajisnik a dirigé et encouragé. S'ils peuvent

 26   prouver cela, à ce moment-là, ceci répondrait aux critères de l'article

 27   7(a). Ils n'auraient pas besoin de faire valoir l'argument de l'entreprise

 28   criminelle commune. C'est précisément parce qu'ils ne peuvent pas prouver


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  1   qu'il a aidé et encouragé, parce que la Chambre a rendu une décision là-

  2   dessus et a indiqué qu'il n'y avait pas de contrôle effectif. Ensuite,

  3   d'autres questions sur le plan politique, il a fourni des éléments

  4   d'information qui induisent en erreur. C'est le rôle de tous les diplomates

  5   du monde entier, vous ne vous attendez tout de même pas à ce que des

  6   diplomates fournissent des éléments d'information que les journalistes

  7   estiment tout à fait exacts et précis.

  8   Il dit qu'eux, eux, et M. Karadzic et M. Karadzic sont mis ensemble. Bien

  9   sûr, il y a une différence très importante entre les deux. L'un était

 10   commandant en chef et l'autre occupait un poste au niveau des pouvoirs

 11   législatifs. C'est une des raisons pour laquelle la Chambre de première

 12   instance a été tellement induite en erreur, a tellement mal compris le

 13   caractère politique du rôle joué par M. Krajisnik que c'est précisément

 14   parce qu'il n'a pas l'aide fournie, il n'a pas été correctement assisté de

 15   son conseil. Les deux sont liés. Un avocat digne de ce nom aurait fait

 16   venir des témoins experts, aurait utilisé pour l'historique, se serait

 17   penché sur les éléments du dossier; à ce moment-là, on n'en serait pas là

 18   où nous en sommes aujourd'hui.

 19    M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Maître Dershowitz, nous allons

 20   demander donc à M. Krajisnik de poursuivre cette réponse.

 21   M. KRAJISNIK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 22   Je dois dire qu'après l'exposé que nous venons d'entendre de la bouche du

 23   représentant de l'Accusation, je me sens presque sans voix. Il a parlé

 24   comme s'il n'y avait pas eu d'éléments de preuve, comme s'il n'y avait pas

 25   eu de réplique, comme s'il n'y avait pas eu de débat. Il ne fait que

 26   répéter ce qu'il disait déjà il y a huit ans, véritablement.

 27   J'ai le plus grand mal à comprendre qu'aujourd'hui, il répète, le 18 mars,

 28   M. Krajisnik a lancé un appel aux armes. Ecoutez,  Monsieur le Président,


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  1   Madame, Messieurs les Juges. Vous avez des enregistrements. J'ai sur la

  2   base d'un accord conclu entre les trois communautés ethniques demander

  3   qu'un travail pratique soit fait sur le terrain. Et aujourd'hui, j'ai

  4   entendu les représentants de l'Accusation qui essaient de vous induire en

  5   erreur en vous disant : mais tous les éléments fournis par M. Krajisnik

  6   n'étaient pas exacts.

  7   Me Dershowitz vient de le dire à très juste titre, et je me contenterais de

  8   le répéter. Si j'avais eu une défense adéquate, moi, je suis quelqu'un qui

  9   n'a rien à cacher. S'il y avait ici les 150 témoins qui étaient venus pour

 10   interpréter cette déclaration du

 11   28 février, il serait devenu apparent que M. Krajisnik a envoyé un groupe

 12   de députés dire qu'il ne voulait du plan Cutileiro. Il voulait déstabiliser

 13   entre les Croates et les Serbes. Moi, j'ai dit je ne suis pas d'accord.

 14   Allons demander aux gens s'ils veulent une Republika Srpska proposé par M.

 15   Cutileiro ou si nous allons créer une espèce de pays fourre-tout qui ne

 16   peut que déboucher que la guerre.

 17   Le 28 février, c'est la date de la première version du plan Cutileiro, et

 18   regardez bien ce qui est écrit dans les documents. Je prends des

 19   engagements correspondant à mes pressions. C'est dans le cadre des

 20   négociations que je dis que je suis favorable à des territoires purs et

 21   uniquement peuplés de Serbes. Mais je dis que là il y a des régions où il y

 22   a des minorités des majorités serbes, là il y a une majorité de musulman.

 23   C'est une déclaration que j'ai faite en publique dans le cadre de la

 24   réalité concrète. C'est la raison pour laquelle que je regrette grandement

 25   qu'il n'y a pas eu de témoins experts. Bien sûr, je ne veux pas dire trop

 26   de mal de Me Stewart, mais quiconque c'est ce qui est bon, c'est ce qui est

 27   cher. Et alors, si on ne peut pas en avoir plusieurs des experts, on peut

 28   tout de même en avoir un.


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  1   Ecoutez, Monsieur le Président, on vous parle de l'arrivée de nouvelle

  2   population, l'Accusation a eu les mêmes documents que, moi, sous les yeux,

  3   450 000 Serbes ont quitté le territoire de la fédération et 420 000

  4   Musulmans ont quitté le territoire de la Republika Srpska. Le Procureur

  5   aurait dû dire que : sur ces 420 000 Musulmans, combien ont été expulsés et

  6   combien d'entre eux sont partis pour fuir la guerre ?

  7   J'ai apporté des éléments de preuve, 380 000 Musulmans ont quitté la

  8   fédération par crainte de la guerre, mais 350 000 Serbes ont quitté la

  9   fédération aussi pour fuir la guerre. Le Procureur n'a rien prouvé, c'est

 10   la raison pour laquelle je lui fais des reproches. Il aurait fallu qu'il

 11   parle des deux déclarations faites par moi contre le nettoyage ethnique.

 12   En décembre, j'ai fait deux déclarations écrites car j'étais opposé au

 13   nettoyage ethnique. Au mois de juillet, une invitation a été adressée à

 14   tous les membres du SDS qui faisait appel à l'obligation qu'ils avaient de

 15   respecter les autres nationalités, les autres groupes ethniques.

 16   Bien sûr, sur le terrain, toutes sortes de choses sont arrivées. Il y en a

 17   qui ont respecté, et d'autres qui n'ont pas respecté sa disposition. Les

 18   deux parties en présence n'étant pas sur un pied d'égalité, moi, j'ai fait

 19   de mon mieux pour aboutir à un compromis et le Procureur me le reproche. Le

 20   Procureur ne cesse d'insister pour dire que ce que j'ai fait n'était pas

 21   suffisant, car tous les éléments d'information que j'ai fournis n'étaient

 22   absolument exacts.

 23   Aujourd'hui, le Procureur dit que, le 3 avril, M. Antic dans sa déposition

 24   a évoqué les crimes commis à Bijeljina et il s'efforce de déclarer que

 25   Krajisnik était au courant. Mais Madame, Messieurs les Juges, vous avez le

 26   texte de la déposition de Mme Plavsic a dit ici avoir été envoyée par la

 27   présidence de la Bosnie-Herzégovine pour aller à Bijeljina que c'était

 28   Izetbegovic qui l'avait envoyé et quand on lui demandait : "Est-ce que vous


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  1   avez informé Krajisnik," elle répond : "Je ne l'ai pas informé car ce

  2   n'était pas mon obligation."

  3   J'ai dit dans ma déposition que j'avais par téléphone essayer d'obtenir des

  4   renseignements et qu'on m'a interrompu en me parlant de Mauzer, Mauzer dont

  5   l'Accusation affirme qu'il est membre de l'entreprise criminelle commune.

  6   On vous dit ici que Mandic a déclaré avoir informé Krajisnik de la

  7   commission des crimes. Dans le texte de mon dépôt de plainte, vous le

  8   verrez.

  9   J'indique que M. Mandic lorsqu'il a interrogé des témoins, a déclaré

 10   ; "J'ai communiqué à Krajisnik tout ce que je savais," et quand l'avocat

 11   lui demande : "Qu'est-ce que vous saviez ?" il dit : "Je savais ce qu'il se

 12   passait dans la prison de Kula." On lui demande si là-bas des crimes ont

 13   été commis. Il a répondu :"Non, là-bas des crimes n'ont pas été commis."

 14   Vous le trouverez dans les textes.

 15   Maintenant, on essaie de modifier les textes en présence en rendant

 16   négatif tout ce qui était positif.

 17   J'ai été le seul représentant politique qui en 1993 à 1994, en présence de

 18   100 000 personnes à Banja Luka ait déclaré en public : "Nous n'avons pas de

 19   haine pour les Musulmans, nous n'avons pas de haine pour les Croates." Je

 20   ne l'ai pas dit au Tribunal de La Haye. Je ne l'ai pas dit parce que je

 21   pensais que je pouvais assurer un quelconque profit. Je considère que toute

 22   personne qui nourrit de la haine à l'égard d'un représentant d'un autre

 23   groupe ethnique ne peut être que malheureuse. Je n'avais qu'un seul désir,

 24   c'était mettre en œuvre l'accord que nous avions conclu au début de l'année

 25   1992.

 26   Et cet accord on me parle de 1998 et l'évocation de territoire ethniquement

 27   pur, mais 1992 était une autre époque, alors, regardez en faveur de quoi je

 28   m'étais engagé. Je m'étais engagé en faveur d'un certain nombre de


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  1   principes qui n'avaient rien à voir avec la pureté d'un territoire puisque

  2   ce concept même n'existe pas à l'époque. Alors le fait de parler

  3   négativement d'un territoire en disant qu'il doit être peuplé purement d'un

  4   seul groupe ethnique, c'est une impossibilité de matériel quoi qu'il en

  5   soit.

  6   Aujourd'hui, il a été question de savoir s'il existait un lien entre le

  7   terrain et les dirigeants suprêmes. Et bien, prenez l'exemple de Bosanski

  8   Novi, la municipalité de Bosanski Novi,

  9   M. Pasic a témoigné ici, il a été question de 7 000 Musulmans pour cette

 10   municipalité. Et quand on lui a dit : "Est-ce que vous avez informé de cela

 11   aux représentants, les dirigeants de Pale ?" Il a répondu : "Non, je ne les

 12   ai pas informés." On lui demande : "Pourquoi les Musulmans sont partis?" Il

 13   a dit : "Ils sont partis parce qu'il y avait des unités spéciales de

 14   Croatie, des espèces de paramilitaires qui dérangeaient les gens." Je ne

 15   pouvais pas assurer leur protection, s'ils étaient venus me voir, moi, je

 16   n'avais aucun rapport avec Pale, parce que les communications étaient

 17   coupées. Donc je suis allé voir la FORPRONU à leur demande pour les aider à

 18   partir. Même histoire à Petrovac, même histoire à Prnjavor, à Kljuic, à

 19   Kotor Varos, et dans toutes les autres régions.

 20   Et pour Bijeljina, je vais dire une nouvelle fois ce que j'ai écrit très

 21   clairement.  Dans le texte écrit dans mon dépôt de plainte, et là je vais

 22   des reproches à M. Kremer, Bijeljina était un endroit où le pouvoir était

 23   exercé par la partie serbe avant la guerre. Tous les représentants de la

 24   municipalité étaient serbes, ils avaient la majorité. Il n'y avait aucune

 25   raison pour la partie serbe de lancer une guerre pour prendre le pouvoir

 26   dans cette localité. Et le 27 mars, une séance de notre parlement y est

 27   organisée; la partie serbe veut un accord pour que tout soit fait en faveur

 28   du maintien de la paix.


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  1   Mais qu'est-ce qui s'est passé à Bijeljina ? Des gens venus de l'extérieur

  2   sont arrivés, ont jeté une grenade et il n'y a plus eu de discussion, la

  3   guerre a éclaté et, finalement, le crime de Brod avait déjà arrivé, ainsi

  4   que le crime de Kupres.

  5   A présent, j'en terminerai sur les mots suivants. Je vous adresse une

  6   prière, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges. Je vous prie

  7   simplement de revoir l'ensemble des arguments, car si ce que M. Kremer a

  8   dit était exact, je serais un homme malheureux. Je suis malheureux, parce

  9   que la guerre a eu lieu mais ce que dit M. Kremer est inexact, et la

 10   Chambre de première instance n'a pas tenu compte d'un certain nombre

 11   d'éléments simplement parce que je n'ai pas présenté d'éléments de preuve,

 12   je n'ai pas réussi à remplir tous les trous, tous les vides. Voilà de quoi

 13   il retourne, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges.

 14   Je vous remercie de votre attention.

 15   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci, Monsieur Krajisnik. Je

 16   redonne la parole à l'Accusation pour cinq minutes de réplique.

 17   M. KREMER : [interprétation] Rien à ajouter, Monsieur le Président.

 18   M. LE JUGE POCAR : [hors micro] Pardonnez-moi. D'après l'ordonnance

 19   portant calendrier du 18 juillet, nous avons le temps d'entendre une

 20   déclaration personnelle de M. Krajisnik s'il le souhaite. C'est à lui de

 21   décider s'il le faire ou pas pour maximum de dix minutes.

 22   M. KRAJISNIK : [interprétation] Dans la vie, il existe un principe selon

 23   lequel tout ce qui a un début a une fin. Monsieur le Président, après

 24   plus de huit ans, j'espère que la fin de mon procès est arrivée.

 25   J'ai écouté tous les arguments présentés durant le procès et ce

 26   faisant j'ai vécu pour la première fois quelque chose que je ne croyais pas

 27   pouvoir vivre. J'ai entendu l'expression des souffrances de la partie qui

 28   était en face de moi. Pendant la guerre, la seule chose que j'ai entendue


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  1   ce sont des expressions de souffrance de la part des Serbes et je suis

  2   malheureux de l'expression de souffrance de toutes ces personnes. Personne

  3   n'a le droit au nom de mon peuple de faire du mal à qui que ce soit et

  4   encore moins du tuer qui que ce soit.

  5   J'ai même dit à mes avocats : je vous en prie, ne contre-interrogez

  6   pas ces personnes, car il est très pénible de voir une jeune femme qui,

  7   finalement, a perdu son mari et son enfant, et qui erre dans le monde en

  8   réfléchissant à la meilleure façon pour elle de se venger. Evidemment,

  9   quand elle me regarde, elle voit en moi un coupable, un criminel coupable

 10   de toutes ses souffrances.

 11   Donc je répète que je n'ai pas voulu la guerre. Je n'ai pas voulu la

 12   guerre quelles que soient les circonstances, car la guerre ne peut rien

 13   apporter de bon à qui que ce soit.

 14   Mes parents m'ont appris que chez les Serbes chacun sait que si un

 15   Serbe veut la guerre, il peut la faire chez lui, à la maison. C'est une

 16   espèce de dicton. Mais lorsque la guerre a réellement menacé le pays, j'ai

 17   tout fait pour maintenir la paix.

 18   Tout à l'heure, j'ai entendu le Procureur que nombre de personnes ont

 19   vécu des souffrances que M. Krajisnik n'a pas vécu. Monsieur le Président,

 20   pendant la guerre, j'ai perdu mon épouse et mes trois enfants jeunes sont

 21   restés à Pale. Mon épouse a souffert d'une maladie grave, et pendant les

 22   derniers moments de sa vie, j'ai dû rester à côté d'elle en dépit des

 23   pilonnages, j'ai dû m'occuper d'elle, et finalement elle a été emmenée à

 24   Belgrade où elle est décédée. Donc pendant le reste de la guerre, je n'ai

 25   fait que vaquer aux occupations qui étaient les miennes en ne m'occupant de

 26   rien d'autre.

 27   J'ai perdu un beau-frère, un oncle, et j'ai dû changer de lieu de

 28   résidence. J'ai perdu tous mes biens matériels. Je sais très bien ce que


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  1   veut dire pour quel être humain que ce soit le fait de suivre au milieu

  2   d'une guerre.

  3   Bien entendu, je n'ai ni de près ni de loin vécu les souffrances

  4   beaucoup plus graves que d'autres ont vécu. Mais pour toutes ces raisons je

  5   considère que la guerre est un malheur très grave, un malheur qu'a vécu la

  6   Bosnie-Herzégovine. Aujourd'hui, j'ai rappelé une vérité historique, la

  7   vérité historique c'est que l'on a toujours dit en Bosnie-Herzégovine

  8   qu'allumer une cigarette à côté d'un bidon d'essence est dangereux, et que

  9   la situation en Bosnie-Herzégovine se caractérisait par le maintien de la

 10   paix tant que les trois groupes ethniques présents sur le territoire vivant

 11   en coexistence pacifique. Mais dès lors que l'on sème le trouble, que l'on

 12   rappelle les conflits du passé, la situation devient particulièrement

 13   dangereuse.

 14   J'ai bien écouté ce qui a été dit ici, les exemples qui ont été

 15   cités, mais aucun exemple positif n'a été cité aujourd'hui. Moi, j'ai vécu

 16   des exemples positifs. Je ne vais pas vous les énumérer, mais aujourd'hui

 17   quand je regarde la télévision, quand je vois ce qui se passe aujourd'hui

 18   en Bosnie-Herzégovine, depuis l'endroit où je me trouve je suis toujours

 19   malheureux, car la véritable paix n'existe pas encore en Bosnie-

 20   Herzégovine. On ne cesse de parler là-bas du nombre de représentants de tel

 21   et tel groupe ethnique qui se trouve à la Haye, on applaudit les actes des

 22   uns, on reproche des actes des autres, mais il n'y a pas encore de paix, de

 23   rétablissement de la paix. Je pense qu'il est indispensable que la paix

 24   revienne en Bosnie-Herzégovine. Tant qu'elle ne sera pas revenue, la

 25   situation ne sera pas satisfaisante, et le rétablissement de la paix ne

 26   peut passer que par la réconciliation. J'ai été témoin ici. J'ai entendu

 27   des témoins admettre qu'ils avaient commis des crimes, mais on ne peut pas

 28   vivre en paix tant qu'on a dans la mémoire le souvenir des crimes que l'on


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  1   a commis, et j'ai pardonné, j'ai pardonné pour ma part à tous ceux qui

  2   m'avaient fait du mal.

  3   D'ailleurs c'est ce que j'ai appris à faire aussi à mes enfants. Je

  4   considère que le pardon est la seule solution. Je crois que par le

  5   châtiment on arrive à rien, notamment en raison du fait qu'ici on juge

  6   d'une certaine façon et en Bosnie-Herzégovine on juge d'une autre façon.

  7   J'espère que le message que j'adresse ici sera un message utile pour

  8   les gens de là-bas. Je les invite à cesser de faire de petits calculs pour

  9   savoir qui est coupable, dans quelle mesure, par rapport à quoi, car

 10   finalement c'est devant Dieu que nous avons tous à rendre des comptes.

 11   Pour ma part, je suis un optimiste de nature, et à ces nombreuses

 12   personnes qui pensent ne pas pouvoir bénéficier de la justice, j'espère que

 13   Madame et Messieurs les Juges, vous allez montrer la vraie situation, à

 14   savoir que la justice existe et très véritablement je vous dis, je ne me

 15   sens pas coupable. Je vous remercie de votre attention, et je remercie la

 16   patience de tous ceux qui m'ont entendu.

 17   Encore un mot si vous me le permettez. Je tiens à remercier

 18   M. Dershowitz et M. Karganovic, les membres de mon équipe de Défense. Je

 19   tiens également à remercier l'objectivité de M. Nicholls qui me rappelle ce

 20   qui s'est passé d'une certaine façon. Je tiens à le remercier d'avoir agi

 21   comme il l'a fait devant la Chambre d'appel aujourd'hui. Je vois

 22   aujourd'hui tout ce qu'il a fait pour assurer ma défense. Je vous remercie

 23   également de votre attention.

 24   M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur

 25   Krajisnik.

 26   Ceci nous permet de conclure cette audience en appel. Mais avant de

 27   clore cette audience, je souhaitais remercier les parties et les conseils

 28   de la Défense pour leurs arguments ainsi que pour leur approche


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  1   constructive compte tenu de l'ordre du jour chargé d'aujourd'hui. Je

  2   souhaite également remercier les personnes qui nous ont permis de tenir

  3   cette audience en appel. Je souhaite remercier plus particulièrement les

  4   interprètes qui parlent, leur travail efficace nous ont permis de faciliter

  5   nos débats. 

  6   La Chambre d'appel clos maintenant les débats. L'audience est levée.

  7   --- L'Audience d'appel est levée à 17 heures 52.

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