LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit : M. le Juge David Hunt, Juge de la mise en état

Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le : 1er novembre 1999

LE PROCUREUR

C/

Milorad KRNOJELAC

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DÉCISION SUR LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE MODIFICATION DE L’ORDONNANCE RELATIVE AU RESPECT DE L’ARTICLE 68 DU RÈGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

M. Dirk Ryneveld
Mme Peggy Kuo
Mme Hildegard Uertz-Retzlaff

Les Conseils de la Défense :

M. Mihajlo Bakrac
M. Miroslav Vasic

 

1. Lors de la conférence de mise en état du 14 septembre dernier, nous avons informé l’Accusation que le respect de ses obligations en vertu de l’article 68 du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement») ayant posé un certain nombre de problèmes dans de récents procès, nous proposions de garantir ce respect en l’espèce en demandant à une personne, le commis à l’affaire par exemple, de prendre la responsabilité de déclarer que toutes les pièces visées à l’article 68 ont été recherchées. Nous avons dit à cette occasion qu’il s’agirait d’une sorte de déclaration écrite sous serment relative à la communication de pièces, comme les connaissent les systèmes de common law.

2. Nous avons alors proposé les mesures suivantes :

1. L’Accusation se conformera le 15 novembre 1999 au plus tard aux obligations visées à l’article 68 du Règlement en informant la Défense de l’existence d’éléments de preuve dont elle a connaissance et :
(a) Qui sont de nature à disculper en tout ou en partie, ou

(b) qui pourraient porter atteinte à la crédibilité des éléments de preuve de l’Accusation.

L’expression «éléments de preuve» regroupe toute pièce qui pourrait informer l’accusé de l’existence de pièces susceptible d’être à décharge et ne se limite pas aux pièces en elles-mêmes admissibles.

2. Le 15 novembre 1999 au plus tard, l’Accusation déposera une déclaration écrite sous serment de son commis à cette affaire, établie conformément à la loi et à la procédure de l’Etat dans lequel elle est signée. Dans celle-ci, le commis à l’affaire atteste que :
(a) il a été procédé à un examen complet des pièces en la possession de l’Accusation ou dont elle a connaissance ; et

(b) il est conscient du fait que l’obligation visée à l’article 68 est permanente.

3. Lors de la conférence de mise en état, la réponse de l’Accusation comportait deux volets. D’une part, il a été suggéré que l’analyste de l’équipe, qui est la personne la plus impliquée dans le rassemblement des pièces et qui est employé en tant que professionnel, serait mieux à même de signer la déclaration écrite sous serment. D’autre part, l’Accusation a demandé des éclaircissements sur le serment requis dans ce cas.

4. Nous avons retenu la proposition quant à la personne chargée de prêter serment et nous avons indiqué que la terminologie utilisée pour la déclaration sous serment est tirée de l’article 94ter du Règlement. Les ordonnances ont ensuite été rendues.

5. Suite à la conférence de mise en état, l’Accusation a déposé une requête aux fins de modifier la prestation de serment requise pour ce type de déclaration. Elle a fait valoir plusieurs arguments.

6. Le premier est que l’article 94ter du Règlement n’est pas applicable. Or nous signalons qu’il n’a jamais été suggéré qu’il l’était. Nous avons seulement adopté la formulation relative à la prestation de serment requise pour une déclaration écrite. Elle a d’ailleurs été adoptée dans d’autres affaires, comme moyen pratique de fournir des éléments de preuve.1

7. La requête soutenait deuxièmement que la Chambre de première instance devrait être prête à considérer comme suffisantes les garanties du Substitut chargé de la conduite du procès. Ces garanties se sont malheureusement avérées insuffisantes lors de procès précédents, durant lesquels des problèmes relatifs au respect de l'article 68 du Règlement se sont posés. Ces problèmes semblent principalement provenir de ce que nombreuses personnes travaillent pour l’équipe de l’Accusation ; or aucune n’est seule responsable et ne peut donc véritablement donner des garanties fondées sur ce qu’elle a appris personnellement après avoir pris les mesures nécessaires pour vérifier la véracité des faits.

8. Un troisième argument était qu’il n’était pas approprié qu’un membre subalterne de l’équipe, comme le commis à l’affaire ou l’analyste, fasse une telle déclaration écrite sous serment. Or pour la raison déjà évoquée, c’est précisément ces types de personnes qui sont censées avoir les connaissances personnelles nécessaires pour établir ce document. Du reste, c’est l’Accusation elle-même qui a mentionné l’analyste qui, selon elle, était celui qui avait les connaissances les plus complètes sur les pièces possédées par l’Accusation ou dont elle avait connaissance.

9. L’Accusation annonçait, quatrièmement, que l’immunité des poursuites judiciaires dont jouit le personnel de l’Accusation s’agissant des paroles, écrits et de tous les actes accomplis à titre officiel itait à l’encontre du but que l’on se propose si l’on exige une déclaration sous serment aux fins de renforcer la crédibilité de la déclaration de respect de l’article 68 en raison des peines qui s’attachent au faux témoignage sous serment en vertu du droit de l’Etat concerné.2 Avec tout le respect dû, nous signalons que l’objectif a été énoncé clairement à cette occasion. Il s’agissait d’imposer une sorte d’obligation supplémentaire à l’Accusation afin de garantir le respect de l’article 68 du Règlement, autrement dit une seule personne devait prendre la responsabilité de donner une telle garantie. Imposer de prêter serment est un moyen efficace d’attirer l’attention du déposant sur ses responsabilités. La déclaration écrite sous serment, qui devait être déposée au Tribunal, devait aussi être un moyen pratique d’éviter à une personne d’avoir à témoigner sous déclaration solennelle en cours de procédure comme le prévoit l’article 90 du Règlement.3

10. Le cinquième argument de l’Accusation est qu’aucune disposition aux Pays-Bas ne prévoit de prestation de serment pour les déclarations à usage judiciaire. Cela est désormais manifeste. Le déroulement d’autres affaires a montré qu’il est nécessaire d’imposer un degré de responsabilité plus grand à l’Accusation afin de garantir le respect de l’article 68 du Règlement. L’Accusation se propose de fournir simplement :

[…] un rapport signé détaillant les mesures spécifiques prises et les efforts entrepris par l’Accusation pour respecter ses obligations permanentes en vertu de l’article 68 du Règlement.

Dans la mesure où cette proposition n’évoquait qu’une simple garantie par le substitut du respect de l’article 68 du Règlement, nous ne l’acceptons pas. Le «rapport signé» doit être dressé par une personne de l’équipe de l’Accusation et qui peut, en raison de ses connaissances personnelles, donner les garanties qui doivent à présent être fournies par voie de déclaration écrite sous serment. Il incombe à l’Accusation de nommer la personne la plus qualifiée pour le faire, mais le signataire choisi devra préciser quelles sont les connaissances qui l’autorisent à donner ces garanties. La seconde ordonnance rendue le 14 septembre sera modifiée en conséquence. Lors de la conférence de mise en état, le substitut a déclaré que l’analyste de l’équipe était celui qui possédait les connaissances les plus complètes des pièces dont dispose l’Accusation ou dont elle a connaissance. À la lumière de cette déclaration, si la personne qui signe le rapport n’était pas l’analyste, nous attendrions donc qu’elle identifie ses connaissances d’une façon très détaillée.

11. Les ordonnances sont désormais formulées comme suit :

1. L’Accusation se conformera le 15 novembre 1999 au plus tard aux obligations visées à l’article 68 du Règlement de procédure et de preuve en informant la Défense de l’existence d’éléments de preuve dont elle a connaissance et :

(a) Sont de nature à disculper en tout ou en partie l’accusé, ou

(b) qui pourraient porter atteinte à la crédibilité des éléments de preuve de l’Accusation.

L’expression «éléments de preuve» regroupe toute pièce qui pourrait informer l’accusé de l’existence de pièces susceptibles d’être à décharge et ne se limite pas aux pièces en elles-mêmes admissibles.

2. L’Accusation déposera, le 15 novembre 1999 au plus tard, un rapport signé par un membre de l’équipe chargée de cette affaire, dans lequel il atteste que :

(a) il a été procédé à un examen complet des pièces en la possession de l’Accusation ou dont elle a connaissance ; et

(b) il est conscient du fait que l’obligation visée à l’article 68 est permanente.

Le membre de l’équipe qui signe le rapport doit préciser dans ledit rapport quelles connaissances des pièces l’autorisent à faire cette attestation.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Fait le 1er novembre 1999
La Haye (Pays-Bas)

Le Juge de la mise en état
(signé)
Juge David Hunt

[Sceau du Tribunal]


1. Cf., par exemple, Le Procureur c/ Delalic, IT-96-21-A, Arrêt relatif à la requête de Esad Landžo aux fins de conservation et de communication d’éléments de preuve, 22 avril 1999, p. 4.
2. L’équipe de l’Accusation jouit de cette immunité visée à l’article V, section 18 de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies de 1946 en vertu de l’article 30 3) du Statut du Tribunal, sous réserve d’une levée de cette immunité par le Secrétaire général des Nations Unies.
3. Notons que l’article 91 du Règlement («Faux témoignage sous déclaration solennelle») ne s’applique pas aux témoignages faits par déclaration écrite sous serment en vertu de l’article 94 ter du Règlement et que les sanctions relatives au faux témoignage par le déposant ne sont pour rien dans le fait que cette ordonnance ait été rendue.