Page 40
1 (Mercredi 14 mai 2003.)
2 (Procédure d'appel.)
3 (L'audience est ouverte à 9 heures 04, sous la présidence de M. le Juge
4 Jorda.)
5 (Audience publique.)
6 M. le Président: Merci. Veuillez vous asseoir.
7 Madame la Greffière, veuillez faire entrer l'accusé, s'il vous plaît.
8 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)
9 Madame la Greffière, voulez-vous indiquer les références de l'affaire qui
10 est inscrite au rôle de la Chambre d'appel ce jour, la Chambre d'appel du
11 Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie? Merci.
12 Mme Chen (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Il s'agit de
13 l'Affaire IT-97-25-A, le Procureur contre Milorad Krnoljelac.
14 M. le Président: Bien. Je vous remercie.
15 Les interprètes sont en place?
16 Interprète: Oui, Monsieur le Président.
17 M. le Président: Nous pouvons les entendre.
18 Bien, l'accusé est là.
19 Alors, je voudrais d'abord que s'identifient les conseils des parties du
20 côté du Procureur, s'il vous plaît.
21 M. Staker (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle
22 Christopher Staker et je représente le Bureau du Procureur aujourd'hui à
23 la présente audience, avec Mme Helen Brady, Mme Norul Rashid et M.
24 Carmona. Et c'est Mme Nicola Bonfield qui est notre assistante.
25 M. le Président: Bien. Je vous remercie.
Page 41
1 Du côté de la défense de M. Krnojelac, s'il vous plaît?
2 M. Bakrac (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle
3 Mihajlo Bakrac, et c'est en compagnie de Miroslav Vasic que nous défendons
4 les intérêts de M. Krnoljelac.
5 (Déclaration introductive de la Chambre d'appel par le Président.)
6 M. le Président: Bien. Merci. Ecoutez, nous pouvons commencer.
7 Je voudrais d'abord faire, au nom de mes collègues, une déclaration
8 introductive de cette instance qui va situer comment nous allons… le débat
9 d'abord et ensuite, comment nous allons nous organiser pour ce débat.
10 Bientôt, nous n'aurons plus aucune place sur ce meuble.
11 Bien. Alors, la Chambre d'appel tient aujourd'hui son audience en appel
12 dans l'affaire "le Procureur contre Milorad Krnojelac". En effet, le 12
13 avril 2002, Milorad Krnojelac a interjeté appel contre le Jugement rendu
14 par la Chambre de première instance du Tribunal le 15 mars 2002.
15 La Chambre de première instance -je le rappelle- a reconnu M. Krnojelac
16 coupable. D'abord, en vertu de l'Article 7.1 du Statut, en raison de sa
17 responsabilité individuelle en tant que complice des crimes suivants:
18 -Chef 1 de l'Acte d'accusation: persécutions, un crime contre l'humanité,
19 à raison des emprisonnements, actes inhumains liés aux conditions de vie.
20 -Chef 15 de l'Acte d'accusation: traitement cruel, une violation des lois
21 ou coutumes de la guerre, à raison des conditions de vie.
22 D'autre part, en vertu de l'Article 7.3 du Statut, l'accusé a également
23 été reconnu responsable en tant que supérieur hiérarchique des crimes
24 suivants:
25 -Chef 1 de l'Acte d'accusation: persécution, un crime contre l'humanité, à
Page 42
1 raison de sévices;
2 -Chef 5 de l'Acte d'accusation: actes inhumains, un crime contre
3 l'humanité à raison de sévices;
4 -Chef 7 de l'Acte d'accusation: traitement cruel, une violation des
5 coutumes de guerre à raison de sévices.
6 Je rappelle que la Chambre de première instance a condamné Milorad
7 Krnojelac à une peine unique de sept ans et demi d'emprisonnement.
8 Le 15 avril 2002, le Procureur a également fait appel contre le Jugement
9 précité.
10 Avant d'entendre les arguments des parties, la Chambre d'appel voudrait
11 rappeler la liste des motifs d'appel présentés respectivement par M.
12 Krnojelac et par le Procureur.
13 S'agissant d'abord de M. Krnojelac, la Chambre d'appel a regroupé les
14 motifs d'appel de la manière suivante; je vous demande d'y prêter
15 attention.
16 -Premier motif d'appel: la Chambre aurait commis des erreurs de fait en
17 appréciant la fonction de directeur de prison qu'occupait Milorad
18 Krnojelac.
19 Je ne vais pas trop vite? Un petit peu, peut-être, pour les interprètes?
20 Je ne vais pas trop vite? Ça va?
21 Ce motif d'appel regroupe plusieurs moyens d'appel.
22 -Premier moyen: la Chambre de première instance a commis une erreur en
23 affirmant que les fonctions ou les pouvoirs de directeur de prison
24 n'avaient guère changé après l'éclatement du conflit armé.
25 -Deuxième moyen -nous sommes toujours dans le premier motif d'appel-: la
Page 43
1 Chambre aurait commis une erreur en affirmant que Krnojelac avait
2 librement accepté le poste de directeur de prison.
3 -Troisième moyen: la Chambre aurait commis une erreur en affirmant que
4 Krnojelac avait autorité sur l'ensemble du personnel et des détenus du KP
5 Dom.
6 -Quatrième moyen: la Chambre n'aurait pas apprécié à leur juste valeur les
7 dépositions de témoins non serbes de l'accusation.
8 Voilà pour le premier motif d'appel de M. Krnojelac.
9 -Deuxième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de droit en
10 affirmant que Krnojelac s'était rendu complice de persécutions, en raison
11 de l'emprisonnement et des conditions de vie.
12 -Troisième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en
13 concluant que Krnojelac s'était rendu complice de traitements cruels, à
14 raison des conditions de vie.
15 -Quatrième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en
16 jugeant que Krnojelac était, en tant que supérieur hiérarchique,
17 responsable de persécutions au titre de sévices.
18 -Cinquième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en
19 concluant que Krnojelac était, en tant que supérieur hiérarchique,
20 responsable d'actes inhumains et de traitements cruels au titre de
21 sévices.
22 S'agissant du Procureur, à présent, il a exposé sept motifs d'appel.
23 Enfin…
24 L'interprète: Monsieur le Président, auriez-vous l'obligeance de ralentir?
25 Merci
Page 44
1 M. le Président: -La Chambre aurait commis une erreur de droit dans sa
2 définition de la responsabilité découlant de la participation à une
3 entreprise… -je vais trop vite?- à une entreprise criminelle commune et
4 dans l'application de cette définition au fait de l'espèce.
5 -Deuxième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de droit en
6 exigeant que l'Acte d'accusation fasse état d'une forme "élargie", entre
7 guillemets, d'une forme élargie de l'entreprise criminelle commune.
8 -Troisième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en
9 concluant que Krnojelac ne savait pas et n'avait pas de raison de savoir
10 que ses subordonnés torturaient les détenus, et en estimant par conséquent
11 qu'il ne pouvait être tenu responsable au regard de l'Article 7.3 du
12 Statut.
13 -Quatrième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur de fait en
14 concluant qu'aux fins… dans le but de prouver, au titre de l'Article 7.3
15 du Statut, en concluant que les informations dont disposait Krnojelac
16 n'étaient pas suffisantes pour l'avertir que ses subordonnés étaient
17 impliqués dans le meurtre de détenus du KP Dom.
18 -Cinquième motif d'appel: la Chambre de première instance aurait commis
19 une erreur de fait en concluant que les sévices constituant des actes
20 inhumains et des traitements cruels n'ont pas été infligés pour des motifs
21 discriminatoires et qu'en conséquence Krnojelac ne pouvait être tenu
22 responsable de persécutions en tant que supérieur hiérarchique.
23 Je vais encore trop vite? Pardonnez moi.
24 -Sixième motif d'appel: la Chambre se serait fourvoyée en acquittant
25 Krnojelac du chef de "Persécutions", au titre des travaux forcés".
Page 45
1 -Septième motif d'appel: la Chambre aurait commis une erreur en acquittant
2 Krnojelac du chef de "Persécutions, au titre de la déportation".
3 Pour ce septième motif d'appel, le Procureur a développé plusieurs moyens:
4 -Premier moyen: erreur de droit, en estimant que le déplacement par-delà
5 les frontières nationale est un élément constitutif de la déportation.
6 -Deuxième moyen: erreur de fait en jugeant que 35 détenus musulmans
7 transférés vers le Monténégro sont partis de leur plein gré.
8 -Troisième moyen: erreur de fait en jugeant que le transfert des 35
9 détenus musulmans vers le Monténégro n'était pas inspiré par des motifs
10 discriminatoires.
11 -Quatrième moyen: erreur en ne déclarant pas Krnojelac coupable de
12 "Persécutions, au titre de la déportation" pour le transfert de certains
13 détenus vers d'autres lieux en Bosnie.
14 -Cinquième moyen: erreur en jugeant que Krnojelac n'était pas responsable
15 au terme de l'Article 7.1 du Statut de "Déportation et d'expulsion
16 constitutive des persécutions".
17 Voilà les moyens, tels que les a regroupés la Chambre d'appel.
18 La Chambre rappelle, en outre, que les deux appelants ont interjeté appel
19 contre la sentence.
20 Je demande maintenant également de l'attention aux parties car, avant
21 d'écouter vos arguments sur les erreurs alléguées, la Chambre estime qu'il
22 convient d'apporter quelques précisions sur le critère applicable à
23 l'examen des constatations de la Chambre de première instance.
24 Comme la Chambre d'appel l'a fait observer à maintes reprises, l'appel
25 n'est pas l'occasion pour les parties de plaider à nouveau leur cause, il
Page 46
1 n'implique pas un procès de nouveau. En appel, les parties doivent
2 circonscrire leurs arguments aux questions qui entrent dans le cadre de
3 l'Article 25 de notre Statut.
4 En règle générale, la Chambre d'appel ne connaît que des arguments fondés
5 sur de prétendues erreurs de droit qui invalident le Jugement, ou sur des
6 erreurs de fait ayant entraîné une erreur judiciaire. Il n'en va autrement
7 que dans le cas exceptionnel où une partie soulèverait une question de
8 droit ayant un intérêt général pour la jurisprudence du Tribunal. Dans ce
9 cas, et dans ce cas uniquement, la Chambre d'appel peut estimer qu'il
10 convient de faire une exception à la règle.
11 En l'espèce, la très grande majorité des motifs soulevés par les appelants
12 concerne de prétendues erreurs de fait. Je vous demande de prêter
13 attention à tous ces passages-là parce que cela va circonscrire notre
14 débat.
15 En l'espèce, la très grande majorité des motifs soulevés par les appelants
16 concerne de prétendues erreurs de fait. La Chambre d'appel rappelle qu'en
17 la matière, la charge incombant à l'appelant et, selon une jurisprudence…
18 Plus lentement encore? C'est pour les interprètes. Excusez-moi. Vous
19 savez, je suis quelqu'un qui regarde toujours le chronomètre -vous le
20 saurez pendant deux journées-, alors je vais continuer plus doucement.
21 En l'espèce, la très grande majorité des motifs soulevés par les appelants
22 concerne de prétendues erreurs de fait. La Chambre d'appel rappelle qu'en
23 la matière, la charge incombant à l'appelant est, selon une jurisprudence
24 bien établie, la suivante. Pour que la Chambre d'appel infirme une
25 constatation de la Chambre de première instance, un appelant doit
Page 47
1 démontrer que celle-ci a commis une erreur de fait et qu'il en a résulté
2 un déni de justice. Par conséquent, l'appelant qui allègue une erreur de
3 fait doit apporter la double preuve de la commission d'une erreur et du
4 déni de justice qui en résulte. L'erreur est démontrée lorsque l'appelant
5 démontre qu'aucun juge des faits raisonnable n'aurait pu rendre la
6 décision contestée. L'appelant doit, en outre, prouver que l'erreur de
7 fait a pesé lourd dans la décision de la Chambre de première instance et
8 qu'il en a résulté un déni de justice. La charge de la preuve incombant
9 aux appelants implique également d'être précis quant aux conclusions de la
10 Chambre de première instance contestée.
11 Aux fins de la présente audience, je demanderai aux parties d'être
12 précises et rigoureuses lors de leur développement relatif au motif
13 d'appel, et de faire une utilisation effective des recueils des sources.
14 Voilà. Ces précisions doivent encadrer notre débat et, au besoin, cela
15 vous sera rappelé.
16 Je rappelle maintenant l'organisation de nos débats telle qu'elle résulte
17 d'une ordonnance portant calendrier de la présente audience.
18 Je crois qu'il y a un accord, d'après ce qu'on m'a dit, entre les parties.
19 C'est donc le Procureur qui débutera la présentation de ses conclusions et
20 arguments; il disposera pour cela d'une heure et 30 minutes. Nous devions
21 commencer à 9 heures; nous commencerons donc à 9 heures et quart, et nous
22 déduirons. Nous ferons une heure 30 d'abord, ensuite, nous ferons une
23 pause, et le Procureur continuera pendant une heure; ce qui lui fera donc
24 2 heures et demie. Nous adopterons l'horaire au retard que nous avons pris
25 puisque nous commençons qu'à 9 heures 15. Nous ferons une pause de 2
Page 48
1 heures environ au moment du déjeuner. Et ensuite, nous donnerons une heure
2 à la défense, qui disposera elle-même de 2 heures qui seront entrecoupées
3 de 30 minutes de pause. Et enfin, le Procureur terminera notre journée par
4 sa réplique.
5 Demain, jeudi 15 mai, nous commencerons également à 9 heures. Et la
6 défense présentera ses conclusions pendant 2 heures, interrompues par une
7 pause de 30 minutes. Nous aurons également 2 heures pour la pause du
8 déjeuner. Après quoi, le Procureur disposera également de 2 heures,
9 interrompues par une pause de 30 minutes. Mais tout ceci, je vous le ré-
10 expliquerai au cours des débats. Et enfin, la réplique de la défense
11 conclura nos travaux. Voilà.
12 Je donne sans plus tarder -s'il n'y a pas d'observation particulière- la
13 parole au Procureur, au Bureau du Procureur.
14 (Présentation des arguments du Procureur concernant les motifs d'appel 1
15 et 2, par M. Staker.)
16 M. Staker (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Messieurs les
17 Juges.
18 L'accusation a fourni à la Chambre d'appel l'ordre de comparution des
19 intervenants. Je crois que vous en disposez en l'espèce, et c'est moi qui
20 vais aborder le premier et le second motif d'appel. Vous en avez parlé,
21 Monsieur le Président. C'est ensuite Mme Brady qui va aborder les motifs 3
22 et 5, quant à Mme Norul Rashid, c'est elle qui va présenter les motifs 6
23 et 7. Et enfin, c'est M. Carmona qui va présenter les arguments de
24 l'accusation s'agissant des motifs 4 et 8. Le motif 8 étant l'appel de la
25 peine prononcée.
Page 49
1 Et sans plus tarder, Monsieur le Président, comme vous l'avez suggéré, je
2 vais aborder le premier motif, à savoir que la Chambre de première
3 instance aurait commis une erreur de droit pour ce qui est de la façon de
4 se prononcer sur les éléments du but commun, de l'entreprise criminelle
5 commune. C'est en rapport à deux décisions prises pour ce qui est de la
6 responsabilité pénale, en application de l'Article 7.1 du Statut, pour ce
7 qui est de l'emprisonnement et des conditions de vie dans le camp.
8 Cependant, il a été uniquement condamné parce qu'il a aidé et encouragé.
9 De l'avis de l'accusation, il est responsable de la commission de ces
10 crimes en tant que participant à une entreprise criminelle commune et
11 l'accusation demande que le Jugement soit modifié en conséquence. Ceci
12 entraînerait une augmentation de la peine pour traduire dans les faits la
13 responsabilité supérieure de l'appelant, de l'intimé.
14 Il y a deux erreurs principales qui, de l'avis de l'accusation, ont été
15 commises au niveau du Jugement en première instance. Dans l'arrêt Tadic,
16 la Chambre d'appel a dit qu'il y avait trois éléments de l'actus reus pour
17 ce qui est de la responsabilité dans le cadre d'une entreprise criminelle
18 commune. Nous estimons que, vu la décision rendue par la Chambre de
19 première instance, les premier et troisième éléments ont été remplis. Mais
20 nous estimons que la Chambre a commis une erreur lorsqu'elle a essayé de
21 définir et d'appliquer le deuxième élément.
22 De surcroît, l'arrêt Tadic -au paragraphe 228- énonce la mens rea,
23 l'intention délictueuse pour ce qui est de la responsabilité d'un
24 participant à une entreprise criminelle commune, et l'accusation estime
25 que la Chambre de première instance a commis une erreur pour ce qui est de
Page 50
1 l'application et de la définition de l'intention délictueuse.
2 Je crois qu'il sera plus commode de parler d'abord des conditions
3 d'emprisonnement. Et puis, je reviendrai aux conditions de vie qui
4 prévalaient dans le camp.
5 Pour ce qui est de l'emprisonnement illégal, l'intimé a été condamné parce
6 qu'il a aidé et encouragé s'agissant du Chef 1 de "Persécutions" en tant
7 que crime contre l'humanité, visé à l'Article 5.h du Statut. Il était
8 aussi considéré comme quelqu'un qui avait, par assistance ou aide,
9 facilité un crime contre l'humanité visé par l'Article 5.e), mais il n'a
10 pas été condamné pour le Chef 11 parce qu'il y aurait eu un effet
11 cumulatif.
12 Cependant, ce que dit la Chambre de première instance est important parce
13 que ceci est à la base des conclusions tirées au regard du Chef 1
14 d'accusation.
15 Les conclusions de fait de la Chambre de première instance sont énoncées
16 aux paragraphes 116 à 124 du Jugement.
17 La Chambre de première instance estime en effet au paragraphe 124 que "les
18 civils non serbes, civils donc, été détenus au KP Dom en raison de leur
19 état de Musulmans.
20 Au paragraphe 118, on dit "qu'il y a eu emprisonnement sans
21 discrimination, de façon donc discriminatoire".
22 Au 122, on dit "qu'ils ont été détenus de façon arbitraire et sans que
23 ceci repose sur quelque conclusion de droit national ou international".
24 Les conclusions se trouvent au paragraphe 438 du Jugement où on dit: "Au
25 cours de la période au moment des faits, les non Serbes étaient
Page 51
1 emprisonnés illégalement au KP Dom, et ceci avait pour seule vocation ou
2 objectif principal que de faire état de discrimination en raison de
3 l'appartenance des détenus".
4 Au paragraphe 50, on dit que "la détention de non Serbes au KP Dom ainsi
5 que les actes et omissions qui y furent commis étaient en rapport direct
6 avec l'attaque systématique et généralisée contre la population non serbe
7 de la municipalité de Foca".
8 Ces conclusions montrent clairement que la Chambre de première instance a
9 accepté l'argument présenté par l'accusation, à savoir que
10 l'emprisonnement d'hommes non serbes civils était le résultat d'une
11 entreprise criminelle commune. Ceci apparaît clairement au paragraphe 127
12 du Jugement. La Chambre de première instance y fait référence à
13 l'entreprise criminelle commune qui fait que des civils non serbes sont
14 détenus illégalement.
15 Alinéa du même paragraphe, on fait une nouvelle référence à l'entreprise
16 criminelle commune. A cela s'ajoute une autre référence, celle de
17 l'entreprise criminelle commune. La Chambre de première instance, dans ce
18 paragraphe, fait également référence au fait que l'intimé est conscient de
19 sa contribution à ce système illégal qui est le fait des principaux
20 auteurs.
21 Il ne fait pas l'ombre d'un doute que la Chambre de première instance
22 était convaincue de l'existence d'une entreprise criminelle commune. Et
23 même si la Chambre ne le dit pas de façon expresse, ne dit pas
24 explicitement comment elle a conclu à l'existence de cette entreprise
25 criminelle commune, ceci fait partie de la nature systématique et
Page 52
1 généralisée de la détention. Nous sommes ici à la note de bas de page 353.
2 Et la Chambre fait référence à la nature systématique et collective des
3 détentions d'hommes musulmans civils.
4 Paragraphe 41, il est dit que l'arrestation illégale et l'emprisonnement
5 illégal de non Serbes de sexe masculin ont été effectués de façon massive
6 et systématique. Il est manifeste qu'une campagne aussi systématique de
7 détention n'aurait pas pu être le résultat de l'action d'un seul homme,
8 d'une seule personne ou d'individu -singulier- ayant agi de façon
9 indépendante; ceci pourrait être uniquement le résultat d'une conduite
10 organisée, en d'autres termes, d'une entreprise conjointe, commune.
11 La Chambre de première instance a estimé qu'il y avait existence d'une
12 entreprise commune, mais, en plus, elle a estimé que l'intimé en était
13 conscient.
14 Au paragraphe 62, elle conclut que l'accusé savait effectivement que la
15 population civile musulmane faisait l'objet d'abus et d'exactions
16 systématiques et diverses, qu'il savait qu'il y avait des camps prisons en
17 vue de détention qui étaient établis dans d'autres parties et dans
18 d'autres municipalités de la région, et qu'il savait que les mauvais
19 traitements infligés au KP Dom faisaient partie de l'attaque dirigée
20 contre la population non serbe de Foca.
21 Paragraphe 27, elle estime également que l'intimé savait que ces actes et
22 omissions contribuaient au maintien de ce système illégal étant le fait
23 des auteurs principaux.
24 Avant de me pencher sur la question de sa responsabilité en vertu du droit
25 s'appliquant à l'entreprise criminelle commune, rappelons que dans l'arrêt
Page 53
1 Tadic, la Chambre d'appel avait estimé qu'il y avait trois catégories
2 d'entreprises criminelles communes. Et nous estimons que cette ventilation
3 en trois volets fait partie maintenant de la jurisprudence. Nous pensons
4 ici à Kayishema/Ruzindana, appel, paragraphe 123, ainsi que dans le
5 jugement Kordic/Cerkez aux paragraphes 397 et 398.
6 Nous pouvons laisser de côté, pour le moment, la première des trois
7 catégories aux fins de mon intervention, même si ceci intervient dans le
8 second motif d'appel de l'accusation.
9 Pour ce qui est des deux premières catégories d'entreprise criminelle
10 commune et de la responsabilité, au paragraphe 78 du Jugement, on
11 semblerait laisser entendre qu'il n'y a pas de véritable différence entre
12 ces catégories. Et le fait que ces deux catégories soient ramenées en une
13 est abordé aux paragraphes 217 à 221 du mémoire d'appel de l'accusation.
14 On laisse entendre que la distinction entre les deux catégories est la
15 suivante.
16 Première catégorie d'ECC -entreprise criminelle commune-, là où cette
17 entreprise existe afin de commettre un acte criminel précis. Prenons un
18 exemple: si on estime que les quatre accusés se sont mis en route pour
19 tuer une personne bien précise, et si chacune de ces personnes a
20 l'intention de tuer la victime et si chacun joue un rôle dans la
21 commission de ce crime, eh bien, chacun aura la même responsabilité pour
22 avoir commis ce crime tel que visé à l'Article 7.1 du Statut du Tribunal,
23 même si l'actus reus de ce meurtre a peut-être été le fait d'une seule des
24 quatre personnes.
25 Deuxième catégorie d'entreprise criminelle commune: à notre avis, même si
Page 54
1 elle est décrite par la Chambre d'appel comme étant l'affaire ou le cas
2 des camps de concentration, elle ne se limite pas nécessairement aux seuls
3 camps de concentration. Parce que ces cas sont peut-être une référence au
4 type de procès qui furent intentés après la Deuxième Guerre mondiale et
5 comme relevant de cette catégorie, mais nous estimons que la quintessence
6 même de cette catégorie, c'est qu'à l'inverse de la première catégorie qui
7 envisage la commission d'un crime précis, dans cette deuxième catégorie,
8 l'ECC fait partie d'un système qui se poursuit sur une période de temps
9 qui continue et qui envisage la commission de divers crimes qui ne sont
10 pas définis dans le cadre de cette période. Un camp de concentration est
11 peut-être un tel exemple, mais n'est pas forcément le seul.
12 Je l'ai déjà dit, l'élément moral de ces types de responsabilité est
13 énoncé au paragraphe 227 de l'arrêt Tadic ainsi qu'au paragraphe 2.3 de
14 notre mémoire.
15 Le premier élément requis, c'est la pluralité des personnes qui ne sont
16 pas nécessairement partie d'une structure militaire politique ou
17 administrative; et l'élément est parfaitement rempli ici, en l'espèce.
18 Deuxième élément requis –et je pense… nous pensons qu'ici, il s'agit de la
19 première erreur commise par la Chambre de première instance-, le deuxième
20 élément tel que formulé dans l'arrêt Tadic, c'est l'existence d'un plan,
21 d'un dessein ou d'un objectif commun qui implique la commission d'un crime
22 tel que visé par le Statut du Tribunal. La Chambre d'appel poursuit en
23 disant qu'il n'est pas nécessaire que l'un de ces trois éléments ait été
24 préparé, formulé au préalable, et donne davantage d'explications.
25 S'agissant de cet élément-ci, la Chambre de première instance dit, au
Page 55
1 paragraphe 80: "qu'une entreprise criminelle commune existe là où il y a
2 un accord ou du moins une compréhension de la situation qui correspond à
3 un accord passé entre deux ou plusieurs personnes en vue de la commission
4 d'un crime".
5 Puis, au paragraphe 170, au paragraphe 317, au paragraphe 346 et au
6 paragraphe 417, la Chambre d'appel essaie de voir s'il y a preuve d'un
7 accord passé entre les intimés et d'autres gardes ou autorités militaires,
8 en vue de la commission de certains crimes au KP Dom. Nous sommes ici au
9 paragraphe 417 qui est particulièrement significatif, puisqu'il s'agit
10 d'un accord en vue de la commission de persécution. Et la condition
11 s'agissant de la détention illégale, a été une condamnation pour
12 persécution.
13 A notre avis, cet élément requis, celui d'un accord, ne fait pas partie de
14 cet élément-ci de la responsabilité en application de l'entreprise
15 criminelle commune. Si nous prenons l'arrêt Tadic, nous voyons que le
16 terme "accord", "agreement", n'est pas utilisé. La Chambre de première
17 instance -note de bas de page 235- fait référence à deux décisions pour ce
18 qui est d'un tel accord. Mais il est important de relever qu'aucun des
19 passages cités n'utilise le mot même d'"accord", "agreement".
20 De l'avis de l'accusation, lorsqu'il y a entreprise criminelle commune
21 systémique, il est fort probable que bon nombre des participants à cette
22 entreprise ne connaîtront pas l'identité d'autres participants. J'irai
23 même plus loin: ils ne sont pas au courant du fait qu'éventuellement
24 d'autres personnes s'ajoutent à cette entreprise criminelle commune ou la
25 quittent.
Page 56
1 Ce qui nous paraît être un des éléments requis essentiel, c'est
2 l'existence d'un plan, d'un dessein ou d'un but commun. Ceci peut être un
3 système. Si un accusé est au courant de l'existence d'un système, c'est
4 que ce système implique la commission de crimes. L'accusé, en faisant, en
5 connaissance de cause, partie de ce système, en y contribuant de façon
6 significative dans l'intention ou dans le but de contribuer à l'existence
7 et à la poursuite de ce système, remplit le deuxième élément exigé pour
8 prouver l'entreprise criminelle commune.
9 Le motif peut s'expliquer par une analogie avec un processus où il y a
10 violence collective d'une foule: ce sont des gens qui décident de battre à
11 mort quelqu'un, mais on ne sait peut-être pas qui a asséné les coups au
12 cours de cet incident, on ne sait peut-être pas qui a porté le coup fatal.
13 Ici, chacun avait l'intention commune de battre à mort la victime, chacun
14 aurait sa même part de responsabilité dans la commission du crime.
15 Prenons le cas d'une entreprise criminelle commune systémique. A notre
16 avis, il n'est pas nécessaire d'identifier qui était le planificateur, qui
17 était l'instigateur de ce plan. S'il est possible d'identifier cette
18 personne, cette personne sera peut-être accusée d'avoir planifié, d'avoir
19 incité.
20 Mais s'il apparaît clairement qu'il existe un système, et s'il est clair
21 que cette personne fait partie de ce système et contribue de façon
22 significative à ce système dans l'intention de pérenniser ce système, à
23 notre avis, il y a objectif, but commun. Et l'accusé, en l'espèce, a
24 l'intention de promouvoir ce but. Et c'est ainsi que le deuxième élément
25 requis pour prouver l'entreprise criminelle commune est rempli.
Page 57
1 Je passe maintenant au troisième élément requis de l'actus reus pour ce
2 qui est de la responsabilité; et ceci a été définie par la Chambre d'appel
3 Tadic qui dit que c'est la participation de l'accusé à un dessein commun
4 impliquant la commission de l'un des crimes visés par le Statut. La
5 Chambre poursuit en relevant que l'accusé et sa participation ne doit pas
6 nécessairement impliquer qu'il y ait commission des crimes précis mais
7 peut prendre la forme d'assistance ou de contribution à l'exécution du
8 plan commun ou du but commun.
9 A notre avis, la Chambre d'appel le dit clairement au paragraphe 127:
10 "L'intimé savait que ses actes ou omissions contribuaient à ce but illégal
11 commis par les auteurs principaux".
12 Autre élément requis, c'est celui de la mens rea, de l'intention
13 délictueuse pour ce type de responsabilité.
14 Paragraphe 228 de l'arrêt Tadic, la Chambre d'appel y déclare que: "La
15 mens rea, dans cette deuxième catégorie de responsabilité, c'est la
16 connaissance personnelle de mauvais traitements, que ce soit par
17 témoignage direct ou que ce soit déduit de façon raisonnable vu la
18 position officielle exercée par l'accusé, ainsi que son intention de
19 pérenniser ce système commun de mauvais traitements".
20 L'accusation accepte que la différence entre celui qui aide et encourage
21 et celui qui participe à une entreprise criminelle commune, c'est que le
22 premier n'a pas nécessairement la nécessité de partager les intentions de
23 l'ECC. Et la question qui se pose ici, c'est de savoir si l'intimé
24 partageait cette intention de l'entreprise criminelle commune.
25 Je reviens aux conclusions de la Chambre de première instance.
Page 58
1 Paragraphe 62: "L'accusé était au courant de l'existence d'une attaque
2 dirigée contre la population non serbe de Foca et des environs".
3 Paragraphe 124: "Il savait qu'ils étaient emprisonnés du fait qu'ils
4 étaient musulmans".
5 Paragraphe 127: "L'accusé savait que l'emprisonnement de détenus non
6 serbes était quelque chose d'illégal. Il savait que ses actes et omissions
7 contribuaient au maintien de ce système illégal qui était le fait des
8 auteurs principaux".
9 Pourquoi la Chambre d'appel a-t-elle estimé que l'élément requis de mens
10 rea n'était pas rempli? Elle en parle au paragraphe 127 du Jugement
11 également, elle y dit que: "La Chambre de première instance n'est pas
12 convaincue que la seule déduction raisonnable susceptible d'être tirée de
13 ces faits, c'est que l'accusé partageait l'intention de cette entreprise
14 criminelle commune".
15 En particulier, la Chambre de première instance ne considère pas que
16 l'accusation a exclu la possibilité raisonnable que l'accusé se contentait
17 d'exécuter les ordres qui lui étaient donnés par ceux qu'ils avaient
18 nommés au poste de directeurs du KP Dom sans pour autant partager
19 l'intention criminelle avec eux.
20 La possibilité que l'intimé ait uniquement exécuté des ordres, à notre
21 avis, est tout à fait sans intérêt vu l'Article 7.4 du Statut du Tribunal
22 qui dit que: "L'ordre d'un supérieur n'est pas un moyen de défense même
23 s'il peut intervenir au niveau du prononcé ou de l'importance de la peine
24 infligée".
25 La question qui se pose est, en fait, celle-ci: est-ce que l'intimé
Page 59
1 partageait l'intention criminelle délictueuse? Nous estimons que nous
2 avons une distinction bien établie en droit pénal entre intention et motif
3 ou mobile.
4 Imaginons un accusé qui participe, à plusieurs reprises, à des braquages,
5 à des vols armés de banque, par exemple, avec d'autres auteurs, et qu'il
6 doit simplement se tenir debout, armé d'une arme, mais silencieux, alors
7 que les autres exigent l'argent. S'il dit qu'il ne partageait pas
8 l'intention de ce braquage simplement parce que s'il y participe, c'est
9 parce qu'il voulait que ses amis ne le rejette pas du groupe, par
10 ostracisme, ou simplement qu'il se disait qu'il resterait au chômage s'il
11 ne faisait pas partie de ce groupe, manifestement, le motif qui le pousse
12 est sans intérêt. Dans de telles circonstances, il est clair qu'il partage
13 l'intention délictueuse criminelle de cette entreprise criminelle commune
14 qui consiste à dévaliser une banque.
15 A l'appui de ceci, il suffira d'examiner l'Article 30 du Statut de la Cour
16 pénale internationale. L'alinéa 2 évoque une situation où une personne,
17 s'agissant de cette conduite, n'est pas autorisée à se livrer à cette
18 conduite.
19 Ce qui est manifestement le cas ici, s'agissant d'une conséquence que la
20 personne a l'intention de provoquer cette conséquence ou sait qu'elle se
21 produira si les choses se déroulent normalement.
22 A cet égard, il est important, à nos yeux, de souligner que la preuve
23 directe d'une attention, d'un état d'esprit est difficile à obtenir et,
24 que quelles que soient les circonstances, une intention délictueuse se
25 déduit généralement d'un faisceau de circonstances.
Page 60
1 A l'appui de ceci, nous citons le jugement Celebici, paragraphes 437 et
2 439. Ceci est un exemple de première catégorie d'une entreprise criminelle
3 commune; c'est l'arrêt Furundza, paragraphe 120.
4 Il avait dit que "là où l'acte d'un accusé contribue au but poursuivi par
5 un autre, et s'il y a eu conduite simultanée des deux personnes au même
6 endroit et au vu de l'un de l'autre, ceci sur une période prolongée de
7 temps, l'argument selon lequel il n'y aurait pas de but commun est
8 intenable".
9 Si nous prenons la deuxième catégorie de l'entreprise criminelle commune,
10 on peut citer l'exemple du jugement Kvocka, paragraphe 271. Il est dit
11 que: "L'intention partagée peut et va souvent venir de la participation de
12 la connaissance induite du plan et de la participation à sa promotion".
13 Parlons maintenant du paragraphe 278, pour ce qui est du niveau, du degré
14 de co-auteur; ceci peut se déduire de la connaissance des crimes et de la
15 participation poursuivie qui permet le fonctionnement des camps.
16 Maintenant, nous parlons du paragraphe 249, on dit que: "Celui qui
17 contribue à une entreprise criminelle par aide ou assistance et dont les
18 actes avaient au départ pour objet de faciliter donc cette entreprise
19 criminelle, qu'une telle personne peut s'impliquer à tel point qu'elle va
20 en fait avoir le statut de co-auteur".
21 Paragraphe 284, il est dit que: "Ceci peut s'avérer si la participation
22 dure pendant une période prolongée ou s'il y a participation directe de la
23 personne concernée à l'entreprise".
24 Paragraphes 290 à 292 du jugement Kvocka: la Chambre de première instance
25 estime que le degré de supériorité dans la hiérarchie permet de déterminer
Page 61
1 si l'accusé était simplement quelqu'un qui a aidé ou encouragé ou était
2 co-auteur.
3 Nous avons également le paragraphe 306, le paragraphe 311, et le
4 paragraphe 312 qui sont pertinents.
5 En d'autres termes, nous estimons que si une personne -ceci sur une
6 période prolongée- a exécuté des actes délibérément, des actes qui
7 devaient contribuer à cette entreprise et sait qu'il y a une entreprise,
8 c'est que ses actes y contribuent de façon substantielle; à notre avis,
9 ceci montre l'intention dans le sens du droit pénal.
10 Quel serait l'effet de la cause?
11 Paragraphe 96, la Chambre de première instance estime que l'intimé était
12 directeur du KP Dom à partir du 18 avril 1992 jusqu'au moins fin juillet
13 1993; 15 mois en tout.
14 Elle estime, au paragraphe 107, que l'accusé avait des fonctions de
15 supervision sur tout le personnel qui lui était subordonné et sur tous les
16 détenus de la prison. La Chambre a conclu de façon tout à fait pertinente,
17 à notre avis, au paragraphe 100, que c'est de façon tout à fait volontaire
18 qu'il a accepté ce poste.
19 Paragraphe 102, la Chambre dit qu'il avait les pouvoirs de mettre en place
20 et de faire appliquer des mesures disciplinaires; paragraphe 103, qu'il
21 avait la responsabilité de veiller à ce que les détenus ne s'évadent pas;
22 paragraphe 103 toujours, que l'intimé a exercé un contrôle ultime sur le
23 travail effectué par les détenus; paragraphe 126, qu'il a occupé le poste
24 le plus élevé du KP Dom et qu'il a autorisé la détention de civils au KP
25 Dom alors qu'il savait que la détention était illégale.
Page 62
1 Paragraphes 171, la Chambre estime qu'il a contribué de façon
2 substantielle au maintien des conditions de détention dans le camp en
3 encourageant les auteurs principaux.
4 Ce sont là des conclusions factuelles. Et, à notre avis, la seule
5 conclusion qui puisse en découler, c'est que conformément à la définition
6 de l'intention délictueuse dans le droit pénal international, l'accusé,
7 l'intimé a partagé l'intention de l'ECC.
8 L'accusation estime que le raisonnement de la Chambre de première instance
9 était exact. Mais si c'était exact, cela voudrait dire que tous ceux
10 notamment du régime de l'Allemagne nazie, qui auraient contribué de façon
11 significative aux atrocités mais sans en commettre directement aucune,
12 pourraient, en vertu du droit international actuel, échapper à cette
13 pénibilité en tant qu'auteur principal, en disant simplement: "J'ai
14 simplement fait mon travail". Le résultat serait que les auteurs de bas
15 niveaux qui ont commis physiquement les crimes seraient estimés
16 responsables en tant qu'auteurs, alors que ceux qui ont pris la décision,
17 qui sont au-dessus d'eux, seraient simplement des gens qui auraient
18 assisté ou aidé. Or nous estimons que ceci n'est pas possible.
19 Maintenant, permettez-moi d'aborder le second volet de ce motif d'appel,
20 ce second moyen qui porte sur les conditions qui prévalaient dans le camp.
21 L'accusé a été accusé en raison des conditions de vie, à raison du Chef 1
22 "Persécutions, crime contre l'humanité", mais aussi à raison du Chef 15
23 "Traitement cruel s'agissant des conditions de vie". Eu égard à ces chefs,
24 la Chambre de première instance a rejeté expressément, au paragraphe 170
25 mais aussi au paragraphe 490, la thèse de l'accusation, à savoir que
Page 63
1 l'intimé était responsable de ce crime en tant que participant à une
2 entreprise criminelle commune.
3 Je l'ai déjà dit, au paragraphe 70, il est dit qu'il fallait qu'il soit en
4 accord,… qu'il y ait un accord entre l'intimé et les gardes ou
5 surveillants du camp, les autorités militaires aux fins de commettre ou de
6 mettre en place les conditions de vie inhumaines. Pour les raisons que
7 j'ai déjà avancées, un accord n'est pas nécessaire.
8 La question qui se pose est celle-ci: est-ce que l'entreprise criminelle
9 commune qui -je l'ai dit- a été considérée comme existante par la Chambre
10 de première instance en raison des conditions de vie, est-ce que cette
11 entreprise criminelle commune s'appliquait également à l'imposition de
12 conditions de vie inhumaines aux détenus du camp?
13 Si je formule la question de cette façon, c'est délibérément; c'est parce
14 que la Chambre de première instance a décidé de chercher une entreprise
15 criminelle commune séparée au vu de chacun des crimes commis.
16 Paragraphe 315, la Chambre de première instance a cherché à trouver un
17 accord en vue de l'ECC afin de porter des coups.
18 Paragraphe 346: la Chambre a cherché à trouver cet accord en vue de
19 l'entreprise criminelle commune afin de commettre un crime.
20 Paragraphe 427: elle a cherché à voir s'il y avait une entreprise
21 criminelle commune destinée à réduire en esclavage les détenus non serbes.
22 Cette démarche adoptée par la Chambre de première instance, qui a quelque
23 peu saucissonné la notion, est reprise aux paragraphes 222 à 230 du
24 mémoire d'appel de l'accusation. Nous estimons que c'est là une analyse
25 tout à fait artificielle, parce que tous les crimes se sont commis au même
Page 64
1 endroit, au même moment, contre le même groupe de victimes et dans les
2 mêmes installations de détention dont avait la responsabilité, dont était
3 le directeur l'intimé.
4 La Chambre a estimé que l'emprisonnement illégal était un effet de
5 l'entreprise criminelle commune, laquelle s'applique aussi aux conditions
6 de vie inhumaines; et nous estimons que c'est là la seule conclusion
7 raisonnable.
8 Paragraphe 134: la Chambre de première instance a estimé qu'il y avait une
9 politique délibérée d'isolement des détenus au KP Dom.
10 Paragraphe 135: elle estime que les détenus non serbes ont été hébergés
11 délibérément dans des conditions de surpeuplement.
12 Paragraphe 138: elle estime être convaincue du fait que les souffrances
13 subies par les détenus non serbes en 1992, étaient le résultat d'une
14 politique délibérée menée par ceux qui avaient la responsabilité du KP
15 Dom.
16 Paragraphe 139: il est dit qu'il y a eu une politique délibérée visant à
17 donner suffisamment de nourriture aux détenus pour qu'ils survivent.
18 Paragraphe 140: on dit qu'il y a une politique délibérée qui consistait à
19 ne pas donner de médicaments aux détenus non serbes.
20 A notre avis, une telle ou de telles formes de politique délibérée ne
21 sauraient être le résultat d'actes singuliers de personnes agissant
22 seules, ne sauraient être le fait d'un certain nombre de personnes
23 agissant individuellement. C'est uniquement le résultat d'une entreprise
24 criminelle commune. Et vu le fait qu'il y a unité de temps et d'espace
25 ainsi que de lieu, qu'il y a le même groupe de victimes; la seule
Page 65
1 conclusion raisonnable, c'est que ceux-ci faisaient partie d'une même
2 entreprise criminelle commune.
3 Ceci, maintenant… Je vous ai parlé de ces deux moyens du motif d'appel. Il
4 n'est pas nécessaire de prendre décision aux fins de ce motif d'appel,
5 mais d'autres faits montrent que d'autres crimes faisaient partie
6 également de l'entreprise commune.
7 Nous parlons maintenant des mauvais traitements.
8 Paragraphe 148: ceci, dit la Chambre de première instance, était fréquent
9 et systématique.
10 Paragraphes 311: on parle de la nature systématique et généralisée des
11 coups donnés.
12 Paragraphe 273: on parle d'un schéma systématique s'agissant des mauvais
13 traitements infligés au camp, et cette systématicité est reprise également
14 aux paragraphes 264 et 275.
15 Ce même raisonnement s'applique aux assassinats. La Chambre de première
16 instance a estimé que ceux-ci se faisaient suivant un schéma déterminé,
17 évoqué aux paragraphes 333 à 335. De nouveau, une telle systématicité ne
18 saurait être le résultat d'actes singuliers; c'est uniquement le résultat
19 d'une entreprise criminelle commune.
20 Dans la même veine, nous parlons des travaux forcés. Il est incontesté, en
21 l'espèce, qu'il y avait un programme organisé de travaux forcés au KP Dom.
22 Et, pour les raisons que va présenter Mme Rashid, nous faisons valoir et
23 nous soutenons qu'il n'y avait pas de consentement qui aurait pu être
24 donné par les détenus aux fins de faire ces travaux forcés; c'était donc
25 une campagne systématisée et systématique de travaux forcés.
Page 66
1 Pour ce qui est de transfert ou déportation, nous vous renvoyons au
2 paragraphe 49 du Jugement. La Chambre de première instance estime que
3 l'expulsion… Je m'excuse auprès des traducteurs. Paragraphe 49 du
4 Jugement: la Chambre de première instance estime que l'expulsion, la
5 déportation de non Serbes, y compris de détenus au KP Dom, étaient la
6 dernière phase d'une attaque menée par les Serbes sur la population non
7 serbe de la municipalité de Foca. Vers la fin du paragraphe, il est dit
8 que fin 1994, les derniers détenus musulmans restant au KP Dom ont fait
9 l'objet d'un échange, et que ceci a marqué la fin d'une attaque dirigée
10 contre ces civils et la réalisation d'une région serbe nettoyée
11 ethniquement des Musulmans. Fin de la guerre en 1995: Foca était une ville
12 uniquement serbe.
13 A notre avis, la déportation ne saurait être que le résultat d'une
14 entreprise criminelle commune. Et vu l'unité de temps, d'espace et de
15 lieu, la seule conclusion raisonnable, c'est que ceci faisait partie de la
16 même entreprise criminelle commune que la détention illégale, les
17 conditions de vie inhumaines et autres crimes commis.
18 Je ne sais pas si je peux vous aider davantage, Messieurs les Juges, mais
19 voilà les arguments présentés par l'accusation, s'agissant du premier
20 motif d'appel.
21 Avec l'autorisation de la Chambre, j'aimerais à présent passer au deuxième
22 motif de l'appel que nous interjetons.
23 Le deuxième motif d'appel de l'accusation concerne les conclusions qui
24 figurent aux paragraphes 84 à 86 du Jugement de la Chambre de première
25 instance, selon lesquelles l'accusé ne peut pas être tenu responsable de
Page 67
1 la forme élargie de participation à l'entreprise criminelle commune, à
2 moins que cette forme élargie n'ait été expressément mentionnée dans
3 l'Acte d'accusation.
4 Le contexte dans lequel s'inscrit ce motif d'appel est que, lors de la
5 procédure, lors du procès, l'accusation a présenté un deuxième Acte
6 d'accusation modifié dans lequel il fait état d'un objectif commun, suite
7 à quoi l'intimé a soulevé une exception préjudicielle en application de
8 l'Article 72, se plaignant que cet Acte d'accusation n'était pas
9 suffisamment précis, s'agissant de certains points de détails.
10 Dans une décision concernant l'exception préliminaire soulevée par la
11 défense, datée du 11 mai 2000, la Chambre de première instance a rejeté
12 cette exception préjudicielle. Mais dans sa décision, elle se réfère -au
13 paragraphe 11- aux trois catégories d'entreprises criminelles communes qui
14 sont précisées dans l'arrêt Tadic, suite à quoi la Chambre de première
15 instance a ajouté -et je cite-: "Comme l'Acte d'accusation est muet à cet
16 égard, il n'est pas nécessaire, pour l'espèce, d'examiner la dernière de
17 ces catégories." (Fin de citation.)
18 La position de l'équipe est qu'elle n'a pas compris que ceci signifiait
19 qu'il était nécessaire de modifier l'Acte d'accusation si l'accusation
20 souhaitait s'appuyer sur cette troisième catégorie. En fait, dans son
21 mémoire préalable à l'ouverture du procès, l'accusation a fait allusion à
22 la note de bas de page 23, que (sic) s'agissant de la décision
23 interlocutoire, la Chambre de première instance avait reconnu la
24 pertinence au moins des deux premières catégories de responsabilité
25 d'entreprise criminelle conjointe et avait déclaré que l'accusation avait
Page 68
1 affirmé que les trois catégories s'appliquaient.
2 Par la suite, aux paragraphes 57 à 63, lors de ce mémoire préalable à
3 l'ouverture, on a abordé la question de la troisième catégorie. De l'avis
4 de l'accusation et si vous me permettez d'expliquer de quoi il s'agissait,
5 l'accusé avait permis à des personnes étrangères au camp de pénétrer dans
6 le KP Dom; et ceci était une conséquence naturelle et prévisible qui se
7 traduisait par des sévices et d'autres actes de mauvais traitements qui
8 allaient s'en suivre.
9 Le même argument a été soulevé une fois de plus dans le mémoire en clôture
10 de l'accusation daté du 13 juillet 2001, dans lequel il se fonde sur la
11 troisième catégorie. Toutefois, dans le Jugement, la Chambre de première
12 instance a avancé, au paragraphe 86, que, dans l'exercice de son pouvoir
13 discrétionnaire et à la lumière de son interprétation qui est la sienne,
14 la seule forme élémentaire d'entreprise criminelle commune avait-elle été
15 exposée.
16 L'accusation n'a pas été autorisée à reposer ou à invoquer la forme
17 élargie. L'accusation fait valoir qu'il y a une erreur en décidant de la
18 sorte. Elle a fait remarquer que l'accusation ne se repose pas sur cette
19 troisième catégorie lorsqu'elle a interjeté appel, qu'il n'est pas
20 nécessaire de prendre une décision au sens strict, mais que l'accusation
21 soulève cela étant donné l'importance générale que cet élément revêt pour
22 la jurisprudence du Tribunal.
23 Les raisons ont été évoquées dans le mémoire en appel du Procureur. Et
24 j'aimerais encore rajouter quelques éléments.
25 Notre position de base est la suivante: c'est-à-dire que l'accusé, en
Page 69
1 vertu de l'Article 18.4 du Statut, en fait il s'agit de l'Article 21.4E),
2 doit être informé de façon détaillée dans une langue qu'il comprend de la
3 nature et de la cause de l'accusation qui sont portées à son encontre, et
4 que ce droit est précisé à l'Article 18.4 du Statut et à l'Article 47C) du
5 Règlement de procédure et de preuve qui précise que l'Acte d'accusation
6 doit contenir une déclaration précise des faits et du crime ou des crimes
7 qui sont reprochés à l'accusé.
8 S'agissant des crimes, à notre avis, il s'agit des crimes matériels qui
9 relèvent de l'Article 2 ou 5 du Statut et non pas des types de
10 responsabilité dont il est fait mention à l'Article 7.1.
11 S'agissant de cette proposition, nous nous reposons sur l'arrêt Celebici
12 au paragraphe 351. Dans ce cas, l'Acte d'accusation précisait que l'accusé
13 avait participé à certains crimes. L'accusé a répondu qu'il n'avait pas
14 été expressément accusé d'avoir aidé et encouragé certains à agir, et que,
15 par conséquent, il ne pouvait pas être condamné à ce titre.
16 La Chambre d'appel a précisé, au paragraphe 351, que le mot
17 "participation" -entre guillemets- est suffisamment large pour englober
18 toutes les formes de responsabilités visées au paragraphe 7.1, et que,
19 bien qu'une spécificité plus grande de l'Acte d'accusation soit
20 souhaitable, le fait de n'avoir pas identifié de façon précise le type de
21 participation n'est pas nécessairement catastrophique. Il a également fait
22 remarquer qu'aucune plainte, aucun grief n'a été exposé auparavant, avant
23 le début de ce procès, et l'accusé a précisé qu'il était à présent trop
24 tard pour soulever cette plainte à ce stade.
25 J'aimerais également soulever trois points qui découlent de cette
Page 70
1 décision.
2 En premier lieu, il est clair que l'Acte d'accusation ne peut pas être
3 entaché d'erreur simplement parce qu'il plaide l'application de l'Article
4 7. 1 en termes généraux, sans spécifier le type de responsabilités.
5 Lorsqu'on parle d'entreprise criminelle commune, à notre avis, il est
6 clair que le type de responsabilité qui est engagé au titre de l'Article
7 7.1 est inclus dans cette formulation. Dans la même veine, si un Acte
8 d'accusation exprime clairement la responsabilité de l'entreprise
9 criminelle commune, en l'absence d'une indication quelconque dans le sens
10 contraire il faut comprendre cela comme incluant les trois catégories.
11 En deuxième lieu, la question n'est pas de savoir quel est le type de
12 responsabilité qui est en question, mais si l'accusé a reçu suffisamment
13 d'informations quant à l'accusation qui est portée à son encontre.
14 En troisième lieu, la décision de la Chambre d'appel, à notre avis, repose
15 sur la proposition que toute objection doit être soulevée à un moment
16 adéquat. La Chambre d'appel dans l'arrêt Celebici a appliqué la règle de
17 désistement, selon laquelle une objection ne peut pas être soulevée pour
18 la première fois au stade de l'appel. Selon nous, il s'agit d'une
19 application d'un principe plus large selon lequel l'objection doit être
20 soulevée à un moment adéquat. Les objections quant au vice de forme
21 doivent être soulevées au moment antérieur à l'ouverture du procès.
22 A notre avis, si un Acte d'accusation manifeste clairement une formulation
23 générale d'un type particulier de responsabilité, l'accusé sait de quoi il
24 s'agit. Il est trop tard pour soulever une objection par exemple au moment
25 du mémoire en clôture.
Page 71
1 Pour conclure avec un exemple pratique, l'exemple d'une affaire dans
2 laquelle le troisième type de responsabilité d'entreprise criminelle
3 commune a été appliqué, était l'affaire Tadic. Si l'on examine la façon
4 dont l'Acte d'accusation a été élaboré dans l'affaire Tadic, au paragraphe
5 12 de l'Acte d'accusation, il est précisé que le 14 juin 1992 ou vers
6 cette date des Serbes armés, y compris Dusko Tadic, ont pénétré dans la
7 zone de Jaskici, que des Serbes armés ont tué un certain nombre de
8 victimes. Suite à quoi Dusko Tadic a commis un assassinat.
9 On a précisé que ce libellé est suffisamment clair pour soutenir la thèse
10 de l'accusation, à savoir que l'accusé avait personnellement commis ce
11 crime, ou que le groupe armé auquel il a fait allusion était animé de
12 l'intention commune de commettre des crimes, ou que ce groupe armé auquel
13 il a fait référence était animé d'une intention criminelle commune, mais
14 que les assassinats étaient les conséquences naturelles et prévisibles de
15 cela.
16 A notre avis, on ne peut pas savoir, jusqu'à ce que tous les éléments de
17 preuve aient été rassemblés, quelle est la position que l'on va tenir, et
18 la défense peut simplement apporter son concours en plaidant mécaniquement
19 sur toutes les formes de responsabilité au titre de l'Article 7.1.
20 L'Acte d'accusation ne doit pas énoncer les éléments de preuve. En fait,
21 cela n'est pas requis en droit. Il faut plaider les faits, les faits qui
22 sont avancés par la défense, suffisamment à l'avance pour que tous les
23 critères soient respectés.
24 A notre avis, l'Acte d'accusation est valable et toutes les accusations
25 doivent être examinées par la Chambre de première instance.
Page 72
1 Dans le cas, en l'espèce, à notre avis, aucune plainte n'a été faite par
2 la défense au sujet d'un moment approprié, en dépit du fait que ce type de
3 responsabilité a été utilisé dans le mémoire préalable à l'ouverture du
4 procès.
5 A moins que je puisse être d'une assistance supplémentaire, voilà les
6 motifs que l'accusation souhaitait exposer au sujet de son deuxième moyen
7 d'appel.
8 Avec l'autorisation de la Chambre d'appel, je vais à présent passer la
9 parole à mon confrère, Mme Brady, afin qu'elle continue à présenter la
10 thèse de l'accusation.
11 (Présentation des arguments du Procureur concernant les motifs d'appel 3
12 et 5, par Mme Brady.)
13 Mme Brady (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,
14 Messieurs les Juges.
15 Ce matin, je vais parler des deux motifs suivants, à savoir le motif n°3
16 "Les tortures", et le motif n°5 "Les persécutions" qui se fondent sur les
17 sévices.
18 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les deux motifs d'appel ont
19 trait aux sévices qui ont été infligés dans le KP Dom et plus
20 particulièrement à la responsabilité criminelle de Krnojelac en
21 application de l'Article 7.3 pour les sévices qui ont eu lieu au KP Dom au
22 moment des faits, au moment où Krnojelac était directeur.
23 Avant d'examiner chaque motif séparément, je voudrais préciser qu'il y a,
24 en fait, une différence importante à deux niveaux s'agissant du moment où
25 ces erreurs ont été commises.
Page 73
1 S'agissant des actes de torture: même si 14 des sévices répondaient à tous
2 les critères juridiques, tous les éléments juridiques constitutifs du
3 crime de torture; et dans ce cas, la Chambre de première instance a limité
4 la responsabilité du supérieur hiérarchique Krnojelac, à ces sévices
5 constitutifs de traitements cruels et d'actes inhumains uniquement.
6 Et, comme je vais vous l'indiquer, comme nous l'avons fait remarquer dans
7 notre mémoire, je vais essayer de passer en revue les points saillants qui
8 ont été mis en exergue dans notre mémoire et qui, en fait, n'ont pas été
9 appliqués s'agissant du critère du mens rea qui est utilisé dans le cadre
10 de la responsabilité au titre de l'Article 7.3.
11 D'autre part, l'erreur s'agissant des persécutions fondées sur des
12 sévices, a été constatée à un stade très avancé de l'analyse, et l'on peut
13 dire qu'il s'agissait d'une analyse au moment où l'on a essayé d'établir
14 les crimes. Plus de 50, voire 60 sévices ont été établis à l'aide de
15 preuve. Or la Chambre de première instance n'en a constaté que deux et a
16 qualifié ces deux sévices de persécutions, et ceci sur la base de motifs
17 politiques.
18 Pour les autres sévices qui ont été établis, la Chambre de première
19 instance n'a pas reconnu ces faits. Or, à notre avis, ceci n'est pas
20 adéquat parce que la Chambre n'a pas examiné tous les éléments à sa
21 disposition et n'a pas conclu qu'il y avait une politique discriminatoire
22 systématique mise en place au KP Dom où les sévices ont eu lieu.
23 Si je parle à présent du premier motif d'appel qui concerne la torture, à
24 notre avis, le Jugement concernant la responsabilité de Krnojelac, en
25 application de l'Article 7.3, pour ces 14 sévices qui peuvent être
Page 74
1 constitutifs de torture, devrait être qualifiée de "torture".
2 Il doit être condamné au titre des Chefs 2 et 4 pour tortures et non pas
3 au titre des Chefs 5 et 7 pour traitements cruels et actes inhumains.
4 Et nous faisons également valoir qu'il y a lieu de revoir la peine à la
5 hausse dans les crimes pour lesquels on a pu établir qu'il avait engagé sa
6 responsabilité.
7 A présent, la question qu'il y a lieu de poser est de savoir comment la
8 Chambre de première instance a commis une erreur. Il s'agissait, en fait,
9 d'une erreur parce qu'elle a conclu que bien que Krnojelac ait pu savoir,
10 et il faut se rappeler que nous parlons du fait qu'il savait qu'il y avait
11 des sévices généralisés qui se déroulaient au KP Dom, ceci ne lui donne
12 pas raison de savoir que certains sévices avaient été infligés à des fins
13 interdites de torture.
14 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vous invite à consulter les
15 conclusions de la Chambre de première instance dans son Jugement
16 concernant le fait de savoir si, oui ou non, il avait connaissance des
17 sévices, plus particulièrement en vous référant aux paragraphes 309 à 311
18 ainsi qu'au paragraphe 316.
19 Dans les circonstances qui prévalaient au centre de détention, comment
20 est-ce qu'une Chambre de première instance a pu conclure qu'il n'avait pas
21 été informé du risque de torture.
22 Et vous devez vous rappeler que nous ne parlons pas de torture, nous
23 parlons d'un autre type de comportement. En réalité, nous parlons ici
24 d'une forme délibérée et aggravée de sévices. Certains de ces sévices ont
25 répondu aux critères qui peuvent constituer la torture.
Page 75
1 Notre position est très simple: en appliquant l'arrêt Celebici aux faits
2 en l'espèce, on ne peut que conclure, de façon raisonnable, que l'accusé
3 avait connaissance des sévices qui se déroulaient au sein du KP Dom, qu'il
4 avait connaissance du risque que certains détenus pouvaient être
5 assujettis à des actes de torture. Il savait que des sévices se
6 déroulaient au KP Dom; et ceci aurait dû l'alerter de la nécessité de
7 procéder à des enquêtes supplémentaires afin de vérifier si la torture,
8 par le truchement des sévices, se déroulait et était le fait de ses
9 subordonnés. Ceci répond, en fait, aux critères de Celebici, et nous
10 savons que ce critère a été retenu par la Chambre dans l'arrêt Celebici.
11 Nous savons les incidences que cela implique pour un supérieur lorsqu'il a
12 eu des informations et qu'il ne conclut pas à l'existence de crime.
13 Nous savons que la Chambre dans l'arrêt Celebici, au paragraphe 238, a
14 dit: "Lorsqu'on peut prouver qu'un supérieur avait des informations
15 suffisantes qui lui permettaient de savoir que des actes illisibles
16 éventuels étaient commis par ses subordonnés, cela doit être suffisant
17 pour prouver qu'en fait il avait des raisons de savoir, et en fait, ceux-
18 ci auraient pu lui permettre de conclure que des actes avaient été commis
19 ou étaient sur le point d'être commis." (Fin de citation.)
20 Et en fait, ceci est exactement la position de l'accusation. Etant donné
21 qu'il avait des raisons de savoir que des subalternes avaient commis des
22 crimes et étaient responsables de ces crimes sur cette base, le supérieur
23 n'a pas besoin non plus d'être en possession réelle de l'information
24 relative aux crimes commis par ses subordonnés. Il suffit qu'il dispose de
25 cette information, même si c'est une information qui lui est transmise par
Page 76
1 un tiers. Si ce renseignement est objectivement alarmant, il a pour devoir
2 de se renseigner. Et, comme je l'ai déjà dit, ce point de vue a été
3 confirmé par la Chambre d'appel dans l'affaire Celebici et dans l'affaire
4 Kayishema. Dans cette dernière affaire, il a même été signalé que ce
5 critère s'appliquait particulièrement aux supérieurs militaires.
6 Notre avis consiste à dire que lorsqu'une personne dirige une prison comme
7 celle-ci pendant 15 mois et qu'elle a un bureau dans la prison, et qu'au
8 moins un détenu -le témoin RJ- lui dit que les détenus entendent des
9 bruits de passage à tabac, lorsque cette personne a personnellement vu
10 Ekrem Zekovic, un détenu, qui est passé à tabac à titre de punition après
11 tentative d'évasion, donc lorsque cette personne a toutes sortes de
12 possibilités de se rendre compte des manifestations physiques du fait que
13 des passages à tabac d'une violence extrême ont lieu dans l'institution
14 qu'il dirige, que ceci est évident aux yeux de tous, notre position
15 consiste à dire qu'il connaît la nature tout à fait discriminatoire de
16 l'incarcération imposée aux détenus et des conditions inhumaines dans
17 lesquels ces détenus vivent; et donc qu'il savait que des interrogatoires
18 se déroulaient dans le camp, que ceux qui interrogeaient les détenus
19 entraient et sortaient de la prison. Les interrogatoires étaient donc une
20 réalité quotidienne de la vie au KP Dom. Et étant en possession de tous
21 ces éléments, la seule conclusion raisonnable à tirer était que le risque
22 de torture existait.
23 Je n'ai pas besoin de rappeler aux membres de cette Chambre d'appel que la
24 responsabilité du supérieur hiérarchique est l'élément central dans toute
25 cette affaire.
Page 77
1 Bien sûr, pour citer l'arrêt de la Chambre Celebici -je cite-:
2 "L'important n'est pas que la connaissance soit présumée, lorsqu'une
3 personne ne remplit pas son devoir consistant à obtenir l'information
4 pertinente au sujet du crime, mais qu'il soit présumé que si cette
5 personne avait les moyens d'obtenir ces connaissances, elle a délibérément
6 refusé de les obtenir." (Fin de citation.)
7 Voilà la situation dans laquelle nous sommes ici.
8 En fait, l'analyse que nous pouvons faire s'applique à la Chambre de
9 première instance et consiste à dire que Mucic lui-même aurait dû être
10 déclaré responsable en application de l'Article 7.3 au titre de six actes
11 de torture et de nombreux autres crimes commis à Celebici, mais notamment
12 de ces six actes de torture.
13 La Chambre de première instance avait des raisons de savoir que puisque
14 Mucic savait ou avait des raisons de savoir que des violations du droit
15 international, humanitaire avaient lieu, c'était suffisant pour le rendre
16 responsable de tous les crimes commis dans le camp, y compris la torture.
17 Et la Chambre d'appel a maintenu ce point de vue.
18 J'aimerais également vous inviter, Messieurs les Juges, à vous pencher sur
19 l'application de l'Article 7.3 sur la base du critère de la raison de
20 savoir. Lorsque la Chambre de première instance, dans l'affaire Krnojelac,
21 applique ce critère par rapport aux passages à tabac, nous constatons -et
22 vous vous souviendrez- que deux passages à tabac équivalents à des
23 persécutions ont également été établis comme ayant eu lieu dans le camp,
24 et ceci prouve que le critère de la raison de savoir, qui est lié à la
25 responsabilité de ces passages à tabac équivalents à des persécutions pour
Page 78
1 deux détenus, s'applique absolument et donc que ces passages à tabac sont
2 des tortures.
3 J'invite les Juges de cette Chambre d'appel à se pencher en particulier
4 sur les paragraphes 493 et 497 à 498 du Jugement.
5 La Chambre de première instance, au paragraphe 493, estime que
6 l'accusation devait prouver que l'accusé était en possession de
7 renseignements suffisants quant à la commission de ces délits; et ce, sur
8 base de discrimination. Mais regardez comment le critère s'applique et
9 relisez notamment les paragraphes 497 et 498.
10 Si l'accusé, d'après la Chambre de première instance, avait agi sur
11 renseignements en sa possession relatifs aux passages à tabac, toute
12 enquête aurait établi très clairement à ses yeux la nature discriminatoire
13 et l'intention discriminatoire de l'auteur principal de ce délit.
14 Messieurs les Juges, je vous inviterai également à examiner le traitement
15 subi par deux détenus en particulier.
16 Nous avons développé nos arguments dans notre mémoire d'appel, aux
17 paragraphes 436 à 438, s'agissant de Dzemo Balic qui est évoqué au
18 paragraphe 5.15 de l'Acte d'accusation, où ce qui lui est arrivé est
19 décrit en détail dans une cellule d'isolement, immédiatement après
20 l'incident.
21 Mais, pour résumer brièvement cette application, erronée de l'Article 7.3)
22 du Statut, je dirai que Dzemo Balic a été emmené hors de la queue pour la
23 cantine et gravement passé à tabac par deux gardes du KP Dom dans le
24 bâtiment administratif. A ce moment-là, au moment de ce passage à tabac,
25 l'un des gardes a prononcé quelques mots -je cite-: "Oh! Vous êtes celui
Page 79
1 qui a promis à Alija huit kilos d'yeux serbes." (Fin de citation.)
2 Et à ce moment-là, il a été gravement passé à tabac. Après quoi, il a été
3 mis dans une cellule d'isolement pendant 20 jours environ avant d'être
4 questionné à nouveau. Et les questions tournaient autour de son action en
5 tant que membre présumé du SDA; on lui demandait où se trouvaient les
6 armes et on lui demandait d'établir des listes de noms, etc.
7 Alors, s'agissant de la première partie de ce qui s'est passé, à savoir le
8 passage à tabac initial, la Chambre de première instance a estimé en effet
9 qu'il s'agissait de persécution et que la responsabilité était établie au
10 titre de l'Article 7.3. Mais s'agissant de ce qui s'est passé plus tard,
11 qui était en fait une continuation du premier passage à tabac, donc ce
12 qu'il est advenu plus tard a été considéré comme de la torture, pour cet
13 aspect particulier du passage à tabac, la responsabilité au titre de
14 l'Article 7.3 n'a pas été engagée.
15 Je pense donc que cet exemple vous montre bien quelle démarche assez
16 incohérente a été suivie par la Chambre de première instance, et à quel
17 point l'Article 7.3 a été appliqué de façon erronée en rapport avec la
18 torture.
19 Je ne poursuivrai pas plus longtemps, mais il y a un autre exemple tout à
20 fait frappant qui porte sur le témoin FW-03 et deux co-victimes, Dedovic
21 et Sabanovic, au paragraphe 523.
22 Pour résumer, Messieurs les Juges, nous estimons que Krnojelac ne devrait
23 pas pouvoir échapper à ce type de responsabilité, étant donné les
24 renseignements qui étaient en sa possession qui suffisaient pour qu'il
25 connaisse l'existence d'un risque de torture. Et en fait, les conclusions
Page 80
1 tirées sont tout à fait contraires à la raison d'être du concept de
2 responsabilité hiérarchique.
3 Donc, Messieurs les Juges, voilà ce que j'avais à dire sur la torture. Si
4 je peux vous aider plus avant, je suis à votre disposition. Sinon nous
5 pouvons immédiatement aborder le cinquième motif d'appel: la persécution
6 sur base de passage à tabac.
7 M. Shahabuddeen (interprétation): Madame Brady, est-ce que je dois
8 comprendre ce que vous venez de dire comme signifiant ce qui suit: à
9 savoir vous déclarez que l'accusé était au courant des passages à tabac,
10 il savait que des interrogatoires avaient lieu, et que par conséquent cela
11 suffisait pour qu'il soit informé ou au courant du risque de voir ces
12 passages à tabac appliqués dans le seul but d'obtenir des renseignements
13 de la part des personnes qui interrogeaient les détenus? Est-ce que c'est
14 ce que vous voulez dire dans votre argumentation?
15 Mme Brady (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, tout à fait.
16 M. Schomburg (interprétation): Eh bien, j'aimerais vous demander pourquoi,
17 dans ces conditions, vous faites référence à la responsabilité au titre de
18 l'Article 7.3 du Statut en établissant un lien avec ce que nous avons
19 entendu précédemment de la bouche de votre collègue? En appliquant la
20 jurisprudence, ne serait-il pas permis de penser qu'il existe également
21 une responsabilité au titre de l'Article 7.1 en tant que co-auteur
22 puisqu'il y a connaissance de ce qui se passe, il y a connaissance des
23 participants aux actes en question et il y a absence d'intervention? Donc,
24 en raison de cette omission, et puisque je suppose que vous pensez dans
25 votre thèse qu'il avait pour devoir d'intervenir, je vous demande encore
Page 81
1 une fois: pourquoi vous n'engagez pas la responsabilité au titre de
2 l'Article 7.1?
3 Mme Brady (interprétation): Oui Monsieur le Juge. En fait, nous pourrions
4 dire qu'il était également responsable au titre de l'Article 7.1
5 s'agissant de ces crimes; et dans ce cas, notre analyse serait la même que
6 celle de la Chambre de première instance au paragraphe 316 du Jugement, où
7 vous trouverez l'analyse de la Chambre de première instance des passages à
8 tabac en tant qu'actes inhumains.
9 La Chambre de première instance est convaincue que l'accusé était au
10 courant des passages à tabac et qu'en ne prenant pas les mesures
11 opportunes, qu'il aurait dû prendre en tant que directeur, il a encouragé
12 la commission de ces actes; en tout cas du point de vue de ses
13 subordonnés. Et la Chambre est donc convaincue que ce type de
14 responsabilité au titre de personne qui aide et soutient la commission de
15 ces passages à tabac, en application de l'Article 7.1 du Statut est
16 établi. Ceci s'applique effectivement.
17 Cependant, nous admettons également que la Chambre de première instance
18 avait une certaine marge de manœuvre, en tout cas un pouvoir
19 discrétionnaire, quant au classement, à la qualification à utiliser pour
20 mieux décrire la responsabilité pénale de la personne dont nous parlons.
21 Et étant donné qu'il s'agissait de passages à tabac commis par des gardes
22 et par des personnes étrangères qui venaient de l'extérieur, nous
23 admettons que la Chambre a estimé que la meilleure définition de cette
24 responsabilité consistait à appliquer l'Article 7.3; et nous limitons donc
25 notre motif d'appel à cette conclusion que l'on trouve dans le Jugement de
Page 82
1 la Chambre de première instance. Mais, effectivement, la condamnation
2 aurait également pu être prononcée au titre de l'Article 7.1. Quant à
3 nous, nous insistons sur l'Article 7.3, mais vous avez tout à fait raison.
4 Alors, je vous remercie, Messieurs les Juges, je vais maintenant passer au
5 cinquième motif d'appel "Persécution, sur base de passages à tabac".
6 Nous estimons qu'il était tout à fait déraisonnable de la part de la
7 Chambre de première instance de conclure qu'en dépit de la multitude de
8 passages à tabac établis au KP Dom -50 à 60 à peu près-, deux seulement
9 ont été qualifiés de "persécution". A notre avis, la Chambre de première
10 instance n'a pas tiré la seule conclusion rationnelle et raisonnable à
11 partir des éléments de preuve qui démontraient le caractère
12 discriminatoire de ces passages à tabac ou de ces sévices.
13 C'était tout simplement une erreur de la part de la Chambre de première
14 instance de ne pas prendre en compte les éléments de preuve qui prouvent
15 l'élément discriminatoire qui existait dans cette prison. Dans cette
16 prison, le quotidien était marqué entièrement par l'aspect
17 "discrimination"; tous les éléments de l'existence étaient marqués par la
18 discrimination et les conditions inhumaines dans lesquelles vivaient les
19 détenus, avec des règlements très stricts qui leur étaient imposés au KP
20 Dom.
21 En effet, Messieurs les Juges, la Chambre de première instance a établi
22 une distinction en fait entre les éléments de preuve relatifs aux passages
23 à tabac et les autres éléments de preuve caractérisant les conditions de
24 vie discriminatoires et le système discriminatoire en vigueur dans ce lieu
25 de détention. Or cette distinction est artificielle, elle établit des
Page 83
1 compartiments dans une analyse qui devrait rester un tout.
2 Donc, pour que tout soit clair, je dis que l'erreur dont je parle concerne
3 donc les sévices qui ont été commis au KP Dom, mais dans un cadre tout à
4 fait précis: à savoir le fait que ces passages à tabac équivalant à des
5 traitements cruels et à des actes inhumains n'ont pas été pris en compte
6 comme torture; c'est cela notre motif d'appel. Cela permet donc de laisser
7 de côté un grand nombre de sévices -une quarantaine environ- qui ne sont
8 pas inclus dans mon propos. Moi, je parle de "Persécutions" en application
9 de l'Article 7.3.
10 Nous parlons donc de l'erreur commise par la Chambre de première instance
11 qui n'a pas estimé que les attaquants, les responsables de ces passages à
12 tabac ont agi avec à l'esprit une intention discriminatoire. Il est très
13 curieux de conclure à l'innocence dans ce cas précis. La Chambre de
14 première instance a examiné de très près les aspects discriminatoires qui
15 caractérisaient les incarcérations, sur la base du fait qu'on emprisonnait
16 des Musulmans et pas des Serbes, le rapport discriminatoire qui existait
17 dans les conditions inhumaines de détention.
18 Mais je vous propose de vous pencher sur les paragraphes 438, 440 et 443
19 du Jugement. En fait, les détenus devaient endurer des conditions
20 inhumaines: manque de nourriture, absence de chauffage, absence de
21 vêtements suffisants, absence de médicaments, des règlements très sévères.
22 Et tout cela, la Chambre de première instance était prête à admettre qu'il
23 s'agissait de l'intention de se montrer discriminatoire sur base
24 religieuse ou politique, et qu'il s'agissait de persécutions; mais les
25 passages à tabac, les sévices ne sont pas compris dans cette
Page 84
1 argumentation.
2 Pour cette raison, la Chambre de première instance a rejeté un certain
3 nombre d'éléments de preuve qui prouvent l'aspect discriminatoire des
4 sévices commis au KP Dom. Elle a donc omis de prendre en compte l'aspect
5 discriminatoire de ces passages à tabac; et nous le voyons très clairement
6 aux paragraphes 436 et 437, ainsi qu'à la note en bas de page 1435.
7 Sur la base de cette attitude, la Chambre de première instance était en
8 fait le dos au mur. En effet, elle a eu à examiner un certain nombre de
9 d'éléments de preuve qui prouvaient que des sévices étaient commis; elle a
10 notamment eu à examiner des attaques verbales et des insultes qui
11 exprimaient tout à fait les intentions de ceux qui les prononçaient. Mais
12 la Chambre n'a pas établi, sur la base de ces attaques, l'existence de la
13 nature discriminatoire des sévices.
14 Alors, nous comprenons que la Chambre de première instance a abordé avec
15 une certaine précaution cette nature discriminatoire de l'attaque,
16 simplement parce qu'elle faisait partie d'une attaque beaucoup plus
17 générale. Mais nous sommes ici dans une situation où les sévices ont été
18 commis dans le cadre d'une entreprise tout à fait particulière.
19 Le KP Dom, je vous le rappelle, était un élément de discrimination en soi,
20 que l'on peut examiner comme un élément particulier par rapport à
21 l'ensemble.
22 Nous ne parlons pas de la situation globale de Foca. Nous ne parlons pas
23 de l'attaque générale contre Foca; nous parlons d'une ville, d'une
24 municipalité où la discrimination était la règle. Nous parlons de
25 déductions qui, étant donné le lieu dont il est question, le système en
Page 85
1 place dans ce lieu, font partie intégrante de l'intention discriminatoire
2 appliquée dans ce lieu.
3 Donc, dans ce contexte, il était tout à fait déraisonnable de distinguer
4 les actes constituant les sévices et le contexte dans lequel ces actes
5 étaient commis.
6 Les sévices faisaient partie d'un système de discrimination générale au KP
7 Dom, auquel appartenaient également les conditions de vie inhumaine des
8 détenus: absence de nourriture, absence de chauffage, cellules
9 surpeuplées… tout cela fait un tout.
10 Alors, comment les différents aspects qualifiant ces conditions de vie
11 inhumaines et discriminatoires pourraient être séparés des passages à
12 tabac et des sévices qui, eux, constitueraient un élément différent pour
13 les détenus?
14 De ce point de vue, nous suivons le Jugement Kvocka; la Chambre d'appel
15 Tadic a d'ailleurs suivi également le Jugement Kvocka. La Chambre de
16 première instance, dans l'affaire Jelisic, a suivi la même logique. Et
17 cela a même été le cas dans l'affaire Kordic.
18 Donc, en l'absence d'éléments de preuve démontrant le contraire, dans un
19 environnement comme le KP Dom; la discrimination est considérée comme
20 systématique et les éléments de preuve qui démontrent la commission
21 d'actes censés appliquer ce système, et se fondant sur des sévices divers
22 et des passages à tabac, sont destinés à perpétuer cette discrimination.
23 Bien entendu, nous reconnaissons la possibilité qu'il puisse y avoir
24 d'autres raisons à ces sévices. Mais dans le cas qui nous intéresse,
25 l'accusation avait pour charge de prouver les choses. C'est donc -je le
Page 86
1 rappelle et je l'admets-sur l'accusation que repose la charge de la
2 preuve.
3 Nous disons que dans cet environnement, dans un tel système, la seule
4 conclusion naturelle et rationnelle à tirer, compte tenu de
5 l'environnement dont il est question et des déclarations qui expriment
6 tout à fait les intentions de ceux qui étaient responsables de ces sévices
7 -je parle donc de cette verbalisation de l'intention à l'égard des
8 victimes-, je dis que la discrimination est tout à fait évidente;
9 l'intention discriminatoire, en tout cas.
10 Et je vous renvoie aux exemples que l'on trouve dans le mémoire, à savoir
11 les cas de Dzemo Balic, du témoin FWS-03, qui prouvent que voir les choses
12 d'une autre façon serait totalement absurde. Mais était-ce la seule
13 conclusion raisonnable? En effet, les sévices ont été commis en tant que
14 discrimination, mais des aveux ont eu lieu de la part de certains et des
15 sanctions ont été appliquées.
16 Dans l'affaire qui nous intéresse, s'il y avait une autre intention que
17 celle de punir les détenus, donc s'il y avait diverses intentions qui
18 présidaient à la commission de ces divers sévices, je pense qu'il serait
19 malhonnête de ne pas les admettre tous. En effet, les motifs, s'ils sont
20 variés, doivent être admis comme existant côte à côte. Je parle de
21 discrimination religieuse, de discrimination politique et de la recherche
22 de renseignements de la part des détenus, c'est-à-dire de la volonté de
23 les intimider pour qu'ils avouent. Comme vous le savez, l'intention
24 discriminatoire n'a pas besoin d'être la seule intention existante ou
25 l'intention dominante dans l'esprit des auteurs.
Page 87
1 Je dirai rapidement, en conclusion de mon exposé, que la Chambre de
2 première instance a imposé une exigence juridique pour démontrer
3 l'existence de la discrimination, à savoir que les victimes doivent
4 objectivement appartenir au groupe qui est persécuté sur le plan racial,
5 religieux ou politique.
6 Donc, la Chambre de première instance estime sur le fait qu'il y a
7 discrimination, elle applique le critère de la discrimination en se
8 fondant sur les conséquences de celle-ci, en fait; et nous pensons que
9 ceci est une erreur.
10 Il n'est pas strictement nécessaire, dans le cadre de cet appel, de
11 traiter de cette question en se demandant si les victimes des sévices
12 étaient objectivement membres du groupe discriminé, à savoir des non
13 Serbes, et notamment s'ils étaient Musulmans, s'agissant de ces sévices.
14 Donc l'élément supplémentaire existe bel et bien ici, mais nous pensons
15 que cet élément juridique de la définition de la persécution dans la
16 démonstration de l'actus reus est une façon erronée d'aborder les choses.
17 Nous pensons que le Jugement de Kvocka, au paragraphe 195, ainsi que le
18 Jugement "Tuta"/"Stela" au paragraphe 636, les Jugements Blaskic et Tadic
19 sont à prendre en qualité de référence.
20 La question de savoir si la discrimination a eu lieu et quelles étaient
21 les intentions de l'auteur est importante, mais la discrimination existe
22 même si elle ne remplit pas cette condition supplémentaire, cette
23 condition juridique supplémentaire imposée.
24 Voilà, Messieurs les Juges, ceci est la fin de mon exposé sur ce motif.
25 Et si vous n'avez pas de questions, j'aimerais vous présenter l'autre
Page 88
1 membre de l'équipe du Procureur, Mme Norul Rashid, qui vous parlera des
2 deux autres motifs d'appel, les motifs 6 et 7, à savoir "Déportation et
3 transfert forcé".
4 M. le Président: Pour rattraper le calendrier, je vous propose d'aller
5 jusqu'à 10 heures 50, de sorte que, comme cela, le Procureur aura pu
6 exposer pendant une heure et demie sa thèse. Donc voilà, nous arrêterons
7 vers 10 heures 50, dans un quart d'heure. Merci.
8 (Présentation des arguments du Procureur concernant les motifs d'appel 7
9 et 6, par Mme Rashid.)
10 Mme Rashid (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
11 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, 15 minutes me sont accordées
12 pour représenter nos arguments, s'agissant du septième motif d'appel, et
13 je passerai au sixième par la suite.
14 L'intimé…
15 M. le Président: Je m'excuse de préciser. Ce ne sont pas 15 minutes qui
16 vous sont accordées. Nous ferons une pause dans 15 minutes, mais vous
17 savez qu'ensuite, le Procureur a encore du temps après la pause, il aura
18 encore une heure. Donc c'est à vous de vous organiser. Simplement, nous
19 ferons la pause à moins 10, à peu près à moins 10. Voilà. D'accord?
20 Mme Rashid (interprétation): Il a été accusé, mais acquitté du Chef
21 d'accusation de "Déportation ou transfert, expulsion de Musulmans et
22 d'autres non Serbes", du fait que des détenus ont été envoyés notamment au
23 Monténégro. Il s'agit du Chef d'accusation de persécution, Chef 1 de
24 l'Acte d'accusation.
25 Dans ce motif d'appel, Messieurs les Juges, nous estimons que la Chambre
Page 89
1 de première instance, dans ses conclusions relatives à la déportation et à
2 l'expulsion, s'est trompée. Nous avons soulevé dans notre mémoire cinq
3 erreurs de droit et de fait, de façon précise.
4 Aux fins de la présente audience et vu le temps qui est imparti, je me
5 propose de revenir sur le premier moyen de ce motif d'appel.
6 Nous soutenons que la Chambre de première instance a commis une erreur de
7 droit en estimant que les actes de déplacement forcé mis en application
8 sous forme de persécution nécessitent la preuve à apporter que les
9 victimes ont été forcées de franchir des frontières nationales, ont été
10 ainsi déportées. Et ceci est à distinguer du transfert forcé qui peut se
11 faire à l'intérieur de frontières nationales.
12 La Chambre était convaincue, en fait, de la majorité des arguments
13 présentés et des incidents présentés par l'accusation à l'Annexe 4, et a
14 estimé que ces actes ont effectivement eu lieu. Mais je pense qu'il est
15 possible de ventiler ces incidents en trois catégories: "transfert de
16 détenus vers d'autres camps de prison", puis ce qu'on a appelé des
17 "échanges", et ce qu'on a appelé aussi des "activités de travail forcé à
18 l'extérieur du KP Dom", ce que certains détenus ont été obligés de faire.
19 Notre argument principal, c'est que la déportation, visée par l'Article 5
20 du Statut, et l'acte d'expulsion incluent non seulement des déplacements
21 illégaux en franchissant des frontières nationales, mais aussi des
22 déplacements illégaux à l'intérieur même des frontières d'un Etat.
23 Les dispositions du droit international régissant les conflits armés
24 internationaux ne devraient pas limiter l'interdiction de déportation en
25 tant que crime contre l'humanité, visé par l'Article 5, à des transferts
Page 90
1 franchissant des frontières nationales. Dans ce contexte, il faut voir la
2 déportation comme étant un terme générique, englobant des actes de
3 déplacement forcés, que ce soit à l'intérieur de frontières nationales ou
4 en les franchissant.
5 Voilà quelques points que je vais souligner à votre attention. Ils sont au
6 nombre de trois.
7 Tout d'abord, si l'on essaie de définir la portée et la substance de la
8 déportation en tant que crime contre l'humanité, il faut circonscrire les
9 intérêts ou le préjudice dont on veut protéger une personne. Le préjudice
10 primordial entraîné par l'acte de déportation, en droit international
11 contemporain, c'est l'immixtion injustifiée avec le droit d'un individu,
12 le droit qu'il a de rester dans sa communauté, dans son foyer.
13 Sans nul doute, la conséquence immédiate que pourrait avoir un déplacement
14 illégal constitue généralement une infraction aux droits élémentaires de
15 l'homme. Dans le contexte du droit de l'homme, cette menace est une menace
16 à la liberté, aux droits et à la sécurité de la personne déplacée; autant
17 de droits garantis notamment par l'article 3 de la Déclaration
18 universelle, l'article 6 du Pacte international sur le droit civil et
19 politique.
20 Liberté de mouvement; celle-ci est violée de façon inhérente lorsqu'il y a
21 déplacement, pas parce qu'il y a forcément restriction des mouvements,
22 parce que certains se retrouvent dans des camps de détention, mais aussi
23 parce que des gens ne sont plus autorisés à rentrer chez eux, dans leur
24 foyer, dans leur région.
25 Krstic, paragraphe 523 du Jugement Krstic -je m'excuse auprès des
Page 91
1 interprètes; je vais ralentir le débit-: il est dit que "tout déplacement
2 forcé est, par définition, une expérience traumatisante qui implique que
3 l'on abandonne son foyer, que l'on perd ses biens, que l'on est déplacé
4 sous contrainte et que l'on est déplacé vers un autre endroit".
5 Remontons dans le temps. Rappelons-nous notamment que pendant la Première
6 Guerre mondiale, il y a eu déportation par les Allemands à des fins
7 précises, déplacement de la population pour soumettre ces populations soit
8 à l'extermination, à la réduction en esclavage ou aux travaux forcés,
9 comme étant la solution ultime. Indépendamment du fait de savoir si, à
10 Nuremberg, on a mis en accusation pour travaux forcés, pour crimes de
11 guerre, déportation ou crimes contre l'humanité.
12 Dans le contexte de l'ex-Yougoslavie, il est utile de se rappeler
13 rapidement du rapport définitif et présenté par la commission d'experts,
14 page 33, qui définit de la façon suivante le nettoyage ethnique: "Vu le
15 contexte du conflit en ex-Yougoslavie, cela veut dire qu'une région est
16 rendue ethniquement homogène par la force ou par l'intimidation, de façon
17 à déloger des personnes d'un groupe précis d'une région, et que cet acte
18 est commis de diverses façons, dont le déplacement forcé, le déplacement
19 et la déportation de populations civiles.".
20 Ahmici, avril 1993. La Chambre de première instance Kupreskic estime, aux
21 paragraphes 760 à 762 du Jugement, que l'attaque menée sur Ahmici faisait
22 partie d'une campagne généralisée de la vallée de la Lasva qui avait pour
23 intention d'entraîner le nettoyage ethnique de façon systématique par une
24 attaque systématisée. Et la raison de l'expulsion forcée, d'après la
25 Chambre, c'était la nécessité pour les Croates d'arriver à une zone
Page 92
1 ethniquement pure. Et l'objectif de cette attaque était l'expulsion par la
2 force de la population musulmane de la région de la Lasva.
3 Nous sommes maintenant en 1995, Chambre de première instance Krstic: elle
4 estime que le transfert de civils de l'enclave de Srebrenica était le
5 résultat d'une politique bien organisée qui avait pour objectif d'expulser
6 la population des Musulmans de Bosnie de l'enclave. D'après la Chambre de
7 première instance, l'évacuation elle-même était l'objectif, et Krstic a
8 été jugé coupable de transfert forcé en application de l'Article 5 du
9 Statut.
10 Foca 1992 à 1995. En l'espèce, le nettoyage ethnique de Foca s'est fait de
11 diverses façons. L'objectif définitif, ultime, était unique: c'était
12 l'expulsion par la force d'un groupe ethnique et l'expulsion des lieux de
13 résidence habituels.
14 Dans ce contexte, la Chambre de première instance estime, au paragraphe 49
15 du Jugement évoqué à l'instant par M. Staker, que fin 1994 les derniers
16 détenus musulmans restant au KP Dom ont fait l'objet d'un échange. Ce qui
17 montre que cette région est à ce moment-là, fin 1994, nettoyée des
18 Musulmans, et Foca est pratiquement une ville serbe.
19 La Chambre de première instance a accepté l'idée selon laquelle il y a eu
20 un échange au KP Dom, qu'il y a eu des échanges plus exactement, mais que
21 ceci faisait partie de la politique de nettoyage ethnique pratiquée à Foca
22 de 1992 à 1995. Ce que ceci montre, c'est simplement qu'en tant que crime
23 contre l'humanité, le transfert forcé, c'est d'abord le fait même de
24 déloger, d'expulser des personnes et d'entraîner des conséquences pour les
25 victimes. Et deuxième élément: c'est que le but poursuivi par l'auteur de
Page 93
1 ces actes, c'est d'enlever les personnes de ces lieux où ces personnes
2 font peu d'importance.
3 Autre élément que je tiens à soulever. Il y a des preuves tout à fait
4 écrasantes, en fonction de l'opinio juris, que la déportation et le
5 transfert forcé sont des termes synonymes. Lorsqu'on examine les
6 instruments du droit international, on n'a pas beaucoup de moyens de faire
7 la distinction entre ces crimes de déportation et ce que l'on appelle le
8 transfert forcé ou illégal.
9 La Chambre d'appel doit saisir l'occasion qui lui est donnée pour essayer
10 de trancher cette difficulté, car même au niveau de la première instance,
11 la situation reste peu claire.
12 Le Règlement de la Cour pénale internationale et son Statut sont un virage
13 important puisque, là, on rejette une interprétation, une grille de
14 lecture systématique du crime de déportation. Ici, je parle des Articles 7
15 de 1 à 2 où on définit le transfert forcé comme étant le déplacement de
16 personnes concernées par moyen d'expulsion ou d'autres voies coercitives;
17 déportation, expulsion d'un lieu où ces personnes ont tout à fait le droit
18 de résider en vertu du droit international. Note de bas de page 13, on dit
19 que "le transfert forcé ou la déportation est synonyme de déplacement
20 forcé".
21 89 Etats ont ratifié ce Statut; l'Australie, le Canada, Malte, la
22 Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud ont fait leur cette application et
23 soutiennent cette définition telle que présentée à l'Article 7, s'agissant
24 de la déportation. Le conflit au Timor Oriental par exemple, section 5.1
25 D, réclamation 2015, déportation ou transfert forcé de population en tant
Page 94
1 que crime contre l'humanité, le texte même de cette réglementation est
2 l'adoption directe du Statut de la Cour pénale internationale.
3 Permettez-moi de vous renvoyer à un jugement dans le cadre du Tribunal de
4 guerre pour le Timor Oriental. J'ai repris ceci dans mon supplément de
5 texte de doctrine, Messieurs les Juges. Quatre des onze accusés avaient
6 été accusés de déportation ou transfert forcé de la population à
7 l'intérieur du Timor Oriental, mais aussi dans le Timor Occidental. Aucune
8 distinction n'a été faite entre les civils qui se sont retrouvés au Timor
9 Oriental et ceux qui se sont retrouvés de l'autre côté, au Timor
10 Occidental. Aucune distinction n'a été faite entre les termes de
11 "déportation" ou "transfert forcé".
12 Dans le Jugement, les Juges reconnaissent qu'il y a une absence de
13 définition s'agissant des éléments requis pour établir les crimes de
14 déportation ou transfert forcé, mais les Juges acceptent que ce qui était
15 alors le projet de Statut de la Cour pénale internationale a été accepté,
16 ainsi que le Protocole additionnel 2 des Conventions de Genève.
17 Autre affaire que j'ai reprise dans mon supplément, c'est l'affaire
18 Andrija Artukovic, Cour de district de Zagreb. L'accusé a notamment été
19 accusé de l'arrestation et de la déportation d'une victime en direction
20 d'un camp de concentration; ce camp se trouvant sur le territoire de l'ex-
21 Yougoslavie.
22 Nous soutenons que la Chambre de première instance Blaskic a eu raison de
23 se fonder sur le Statut de la Cour pénale internationale au paragraphe 418
24 du Jugement, où les Juges acceptent la définition énoncée à l'Article 7.2-
25 D).
Page 95
1 Troisième élément que je voudrais avancer: c'est, tout simplement, qu'il
2 n'y a pas la moindre justification à retenir ces éléments supplémentaires
3 dont la Chambre estime qu'ils existent pour établir le crime de
4 déportation. Aucune justification à trouver, que ce soit en droit
5 international coutumier ou contemporain, pour qu'une lecture de la
6 déportation soit faite de la sorte.
7 Il est possible de lire de façon plus large "la déportation" en tant que
8 crime contre l'humanité en vertu de l'Article 5-d), mais il est possible
9 aussi de la voir en tant crime contre l'humanité ainsi que le dit
10 l'Article 5. Il n'y a pas de hiérarchie pour ce qui est de la gravité de
11 ce crime. Que ce soit transfert à l'intérieur des frontières d'un Etat ou
12 en les franchissant, tout ceci est proscrit par le droit international
13 coutumier. L'article 17 du Protocole additionnel 2 en parle également; il
14 couvre les deux éventualités.
15 On ne dit pas que la déportation est plus grave, nécessite un élément
16 requis supplémentaire quand les détenus doivent franchir des frontières
17 nationales. Les définitions du Statut de Rome tiennent compte de la
18 réalité des conflits armés contemporains, mais il sera difficile dès lors
19 de définir de façon précise quelles sont les frontières d'un Etat en
20 conflit. La situation prévalant au Timor Oriental en est un exemple. Nous
21 sommes loin, nous sommes loin de Nuremberg où il y avait transfert de
22 personnes de l'Allemagne vers d'autres endroits. Nous avons évolué et nous
23 avons évolué vers davantage de conflits internes.
24 La Chambre s'est donc trompée en concluant que la déportation signifie
25 qu'il y a le fait de déplacer physiquement des gens, de placer des gens
Page 96
1 dans des autobus, et exige de la part de l'accusation qu'elle trace le
2 trajet effectué par ces personnes jusqu'aux frontières de l'Etat et exige
3 qu'elle -l'accusation- apporterait la preuve que chacun des détenus a été
4 envoyé, mais n'a été envoyé nulle part qu'au-delà des frontières
5 nationales.
6 Déplacement forcé, ceci peut se faire de façon moins organisée, moins
7 directe. Ce type de déplacement peut se produire dans une région où un
8 conflit armé se poursuit, où il y a infraction systématique des droits de
9 l'homme. Et ce déplacement forcé peut se produire, comme le reconnaît la
10 Chambre, sous le prétexte d'un échange. Il n'est pas intéressant de voir
11 en vertu de quoi quelqu'un est déplacé. La responsabilité pénale
12 intervient lorsqu'il y a expulsion, peu importe comment elle se fait et
13 quelles sont les méthodes utilisées.
14 La destination ultime d'une personne, que ce soit une fosse commune comme
15 cela a été le cas en Bosnie-Herzégovine à Gorazde où vous avez ces 20
16 hommes qui étaient censés échangés et qui ont tout simplement disparu, ces
17 35 hommes qui ont fini par être envoyés au Monténégro… Donc je reviens à
18 cette destination ultime, elle ne peut pas constituer un des éléments
19 constitutifs du crime, car tous ces détenus n'ont jamais pu rentrer chez
20 eux, dans leur lieu légal de résidence. Tous ces détenus ont été, à toutes
21 fins utiles, déportés de Foca.
22 Messieurs les Juges, lorsqu'il s'agira d'établir la responsabilité de
23 l'accusé en vertu du 7.1, en tant que personne qui aide et encourage ou en
24 tant que co-auteur, il faut montrer que l'accusé était au courant du fait
25 qu'il y a eu déplacement forcé par les auteurs des détenus, les faits et
Page 97
1 les circonstances peuvent établir la légalité de la déportation, et
2 l'accusé devait savoir que ceci se faisait pour des raisons de
3 discrimination.
4 Je ne peux faire que ceci, c'est vous renvoyer aux faits et aux moyens de
5 preuve repris dans le mémoire en appel. Ceci montre que l'accusé savait
6 effectivement que les détenus musulmans du KP Dom faisaient l'objet
7 d'échanges dans le cadre d'un programme d'échange tout à fait sophistiqué;
8 il était au courant de cela. Il savait qu'au cours des 15 mois où il était
9 directeur du KP Dom, sous sa supervision et son contrôle direct, ces
10 détenus étaient apparemment l'objet d'échanges. Il savait parfaitement le
11 sort qui leur était réservé. Et j'ai repris ces arguments de façon plus
12 circonstanciée dans mon mémoire.
13 Ceci termine ma présentation des arguments s'agissant du septième motif
14 d'appel.
15 M. le Président: Je vous remercie. Je crois que vous devez ensuite nous
16 parler du sixième motif.
17 Mais je propose que l'on fasse une pause et que l'on reprenne à 11
18 heures30. L'audience est suspendue.
19 (L'audience, suspendue à 10 heures 55, est reprise à 11 heures 33.)
20 M. le Président: L'audience est reprise. Faites entrer l'accusé, s'il vous
21 plaît.
22 (L'accusé est réintroduit dans le prétoire.)
23 Bien. Avant de poursuivre par la présentation des arguments du Bureau du
24 Procureur, je crois que le Juge Schomburg souhaiterait intervenir.
25 M. Schomburg (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Président.
Page 98
1 Pour que les choses soient très claires et que la défense puisse bien
2 suivre, s'agissant de la question de la déportation plutôt que des
3 transferts forcés, nous nous embarquons là sur un terrain tout à fait
4 novateur. La jurisprudence ne fait pas foi de façon catégorique; par
5 conséquent, il nous incombe de statuer à cet égard.
6 Par conséquent, cette question s'adresse également à la défense. Je dois
7 vous dire que je suis convaincu et que l'accusation en fait n'a pas
8 invoqué le transfert forcé en qualité d'acte inhumain; il faut tenir
9 compte de cela. Il en est fait mention dans le Jugement rendu par la
10 Chambre de première instance. Par conséquent, il y aurait un obstacle
11 quant à l'inclusion de cet élément.
12 Pourquoi est-ce que je précise cela? Je pense que la notion d'acte
13 inhumain s'oppose dans une certaine mesure au principe de "nullem crimen
14 sine lege", à savoir qu'on ne peut pas arguer d'un crime si une loi n'est
15 pas en place au moment où le crime allégué aurait été commis. Plus
16 particulièrement dans le cas en l'espèce, nous n'avons pas ici une
17 description suffisamment précise du crime et de l'infraction. Par
18 conséquent, je pense que la question qui nous incombe d'examiner est de
19 savoir si, oui ou non, on peut parler de déportation.
20 Vous avez précisé en premier lieu les éléments suivants: à savoir que le
21 déplacement effectué par la force peut constituer une déportation. Dans la
22 description que vous en avez faite, je peux suivre le raisonnement que
23 vous avez retenu dans la mesure où vous avez précisé qu'à défaut -et ceci
24 figure au paragraphe 817 de votre thèse- une interprétation correcte de
25 l'expression déportation serait une expulsion effectuée par une partie
Page 99
1 belligérante sur le territoire placé sous le contrôle de ce parti, que la
2 frontière soit ou non reconnue comme une frontière internationale.
3 Je pense que ceci se rapproche de l'interprétation de l'Article 5. Il faut
4 tenir compte de la jurisprudence qui évolue et nous sommes saisis ici
5 d'une affaire où il nous incombe de statuer au sujet d'un conflit armé
6 interne. La question qu'il nous incombe d'examiner est de savoir si, oui
7 ou non, il y a lieu de conclure que lorsqu'une personne est conduite
8 depuis une région où prévaut une puissance quelconque et que cette
9 personne est conduite vers une autre zone, qui est placée sous le contrôle
10 d'une autre puissance, on pourrait appeler cela une "déportation".
11 Nous faisons référence ici à la notion en langue anglaise du mot
12 "déportation". Je ne crois pas que nous soyons confrontés à un problème
13 linguistique parce que le mot anglais "deportation" ou français
14 "déportation" est identique dans toutes nos langues. La racine latine de
15 ce mot, à mon esprit, est la suivante: c'est-à-dire que l'on déplace d'une
16 partie vers une autre, dans le sens où vous vous trouvez dans un lieu,
17 dans une espèce de refuge, et vous n'êtes plus autorisé à y rester.
18 La question qui se pose est de savoir à ce moment-là: par opposition à
19 déportation, peut-on parler d'expulsion? Est-ce qu'il ne s'agit pas de
20 deux concepts identiques lorsque l'on contraint une personne à quitter une
21 zone où une puissance est en place?
22 Par ailleurs, si nous épousons votre premier moyen, quelles seraient les
23 restrictions dont il faut tenir compte? Est-ce qu'il suffit de conduire
24 une personne d'une maison vers une autre maison; est-ce que l'on peut à ce
25 moment-là déjà parler de "déportation"? Et qu'en est-il des transferts
Page 100
1 forcés "internes" -entre guillemets-? Dans une zone où une puissance est
2 au contrôle, est-ce que l'on peut réellement parler à ce moment-là de
3 "déportation" ou est-ce qu'il s'agirait plutôt de "transfert forcé"? Il ne
4 faut pas perdre de vue que la notion de "transfert forcé", comme je l'ai
5 déjà dit, n'est pas couverte par les autres actes inhumains.
6 Par ailleurs, dans notre Statut, il y a également des Articles qui
7 traitent du transfert forcé. Par conséquent, on pourrait arguer du fait
8 que ces transferts forcés au sein d'une zone où une puissance est au
9 contrôle ne constituent pas une déportation. Ceci constitue la réponse à
10 votre premier moyen.
11 Pour revenir et s'agissant du deuxième volet, qu'en est-il de l'aspect
12 volontaire des déportations par rapport aux personnes qui ont été
13 conduites vers le Monténégro?
14 Je pense qu'ici, il y a un problème supplémentaire qui vient se greffer.
15 Vous arguez que, dans ce cas, cet échange équivaut à une déportation. Mais
16 est-ce qu'il ne s'agit pas d'un principe de base, lorsque vous avancez
17 qu'une personne a commis un crime, qu'il doit y avoir une alternative qui
18 n'est pas nécessairement sanctionnée? Et est-ce que tel n'est pas le cas
19 si vous dites que ces personnes n'auraient pas dû procéder à cet échange?
20 Mais quelle est l'alternative? Est-ce que l'on aurait pu continuer à
21 garder ces personnes en prison? Quel serait l'argument qui serait invoqué
22 par l'accusation, à ce moment-là: à savoir que ces personnes continuent à
23 priver de toute liberté des détenus et ce, pour des raisons politiques et
24 ethniques?
25 J'aimerais que vous communiquiez aux Juges de la Chambre d'appel vos
Page 101
1 observations au sujet de cette double question. Merci.
2 Mme Rashid (interprétation): Merci, Monsieur le Juge.
3 S'agissant du premier volet de votre question concernant l'expulsion et la
4 déportation, nous avons évoqué une accusation au titre du Chef 1
5 "Déportation et expulsion". Nous avons parlé de transfert forcé, mais il y
6 a une différence dans les pratiques qui ont été retenues par l'accusation.
7 L'argument que nous avons fait au sujet de l'expulsion est qu'il s'agit
8 d'un terme générique; il ne s'agit pas d'un terme technique. On ne peut
9 trouver ce terme dans aucun endroit du Statut ni dans d'autres instruments
10 internationaux. Il ne s'agit pas d'un crime spécifique, il s'agit d'un
11 terme utilisé par l'accusation dans l'Acte d'accusation de Kupreskic. Nous
12 avons assuré une condamnation pour un acte particulier, une expulsion. Il
13 s'agit d'un terme qui qualifie, qui décrit un comportement de persécution
14 lorsque ces comportements dénotent une tentative ou un acte de faire
15 déplacer par la force des victimes d'un endroit vers un autre. Il s'agit
16 là de l'interprétation commune que l'on peut faire du terme "expulsion"
17 dans le contexte de la persécution.
18 Ce terme a été utilisé pour définir comment une personne était conduite
19 d'une zone vers une autre par des moyens coercitifs. Mais il s'agit ici
20 d'un concept totalement différent de la déportation.
21 La déportation a reçu une définition juridique par ce Tribunal, et le
22 Statut de la Cour pénale internationale y fait également mention, mais le
23 résultat final et la teneur de ces actes ont été décrits de façon
24 principale. Ces termes ou l'utilisation de ces termes est différente, les
25 termes utilisés sont différents. En fait, il s'agit d'un problème
Page 102
1 linguistique parce que nous parlons du même comportement: le transfert
2 externe et interne.
3 Or, dans le droit international coutumier ou dans le droit international
4 contemporain, il n'a jamais été fait question d'une quelconque distinction
5 entre ces termes: le transfert illégal, le déplacement par la force, le
6 transfert forcé, l'expulsion; et à présent, nous avons rajouté le terme de
7 "déportation". Il s'agit simplement d'une question de qualification.
8 S'agissant du deuxième volet de votre question, le transfert forcé,
9 s'agissant de savoir s'il est possible de parler de transfert forcé d'une
10 zone vers une autre qui est occupée par les forces belligérantes, notre
11 réponse est affirmative. Il existe une alternative au sujet de notre
12 principal argument, s'agissant de la déportation. Parce que l'Article 5
13 décrit… en fait, il s'agit d'un crime contre l'humanité qui s'applique à
14 un conflit armé, qu'il soit ou non qualifié d'international.
15 Nous pensons, pour notre part, qu'il faut traverser une frontière pour
16 parvenir dans un autre pays. Or, vous ne pouvez pas accuser un individu de
17 déportation, qualifiée de crime contre l'humanité au titre de l'Article 5-
18 d). On ne peut pas envisager une situation non plus dans la Charte de
19 Nuremberg ou en application du Statut du TPIY. Les deux formes de
20 transfert sont interdites par le droit international coutumier.
21 Nous pensons, pour notre part, qu'il y a de nombreux conflits internes qui
22 sévissent dans le monde aujourd'hui. Sur le territoire de l'ex-
23 Yougoslavie, par exemple, où un conflit dans sa totalité concernait des
24 différents sur les territoires. Le conflit au Timor Oriental, par exemple.
25 Et bien évidemment, nous avons soumis une proposition qui est toujours
Page 103
1 légale, en application du droit international coutumier, parce que la base
2 de cette affirmation est que toutes les formes de ressort sont interdites
3 en application du droit international. Nous ne pensons pas que ceci
4 enfreigne le principe de "nullem crimen sine lege".
5 S'agissant du transfert forcé, j'abonde dans votre sens, Monsieur le Juge:
6 cela ne figure nulle part dans le Statut. Cela figure dans l'Article 4
7 "Transfert forcé d'enfants" en tant qu'acte de génocide. Oui, cela est
8 vrai.
9 La Chambre de première instance, toutefois… S'agissant de deux Chambres de
10 première instance toutefois, celle de Krstic et celle de "Tuta" et
11 "Stela", ont statué précisant que le transfert forcé pouvait constituer un
12 crime contre l'humanité, soit en tant que persécution, soit en tant que
13 traitement inhumain, en application de l'Article 5-i).
14 Et je comprends bien évidemment que dans l'affaire Stakic, la Chambre de
15 première instance ait exprimé des réserves à cet égard. Mais le transfert
16 forcé n'est pas une question qui est reprise dans cet appel. Le fait de
17 savoir si le transfert forcé constitue un traitement inhumain, n'est pas
18 une question qui doit être tranchée au niveau de l'appel. C'est la raison
19 pour laquelle nous n'avons pas dilué ou nous n'avons pas explicité
20 davantage cela dans notre mémoire en appel.
21 Toutefois, si nous devons prendre une position, j'adopterai celle que nous
22 avons adoptée dans le mémoire en clôture de Stakic, dans le mémoire qui a
23 été présenté par l'accusation. Nous avons déjà exprimé nos préoccupations
24 à cet égard.
25 S'agissant de l'aspect volontaire de la déportation, vous nous avez
Page 104
1 demandé s'il y avait une alternative au comportement que vous avez imputé
2 à l'accusé et que vous avez qualifié de "crime", un comportement qui n'est
3 pas sanctionnable. Il s'agit là d'une question intéressante mais
4 difficile.
5 Les échanges se produisent généralement dans le cadre de conflit interne,
6 il ne s'agit pas de crimes en tant que tels; ils ne figurent pas en tant
7 que crimes soit dans la législation de Genève soit dans les protocoles
8 additionnels, et ils ne figurent pas comme crimes en vertu de ce Statut.
9 Mais, compte tenu des faits en l'espèce, je pense qu'il s'agit ici d'une
10 question qui relève des faits.
11 Et la Chambre de première instance a constaté que ces soi-disant échanges
12 -et que je les qualifie de "soi-disant", parce que la Chambre de première
13 instance a accepté qu'il ne s'agissait pas réellement d'échanges-, si vous
14 examinez tous les éléments de preuve que nous avons reproduits dans le
15 mémoire, certains des gardes ont dit aux détenus: "Ne partez pas, ne vous
16 proposez pas comme volontaires pour faire l'objet d'un échange!" parce
17 qu'ils savaient que ces échanges étaient une simple tentative de
18 déportation ou de faire partir des individus du KP Dom.
19 L'alternative n'était pas viable. La plupart des hommes ont disparu. Deux
20 d'entre eux ont été trouvés morts dans une fosse commune. Certains d'entre
21 eux ont été déportés au-delà d'une frontière. Mais, compte tenu des faits
22 en l'espèce, il est manifeste à la lumière du Jugement que la Cour a
23 accepté que ces personnes n'ont pas fait l'objet d'un échange. S'agit-il
24 d'une option viable? Oui, parce qu'il existait des mesures pour assurer la
25 protection des détenus. Et pourquoi disons-nous que l'accusé est
Page 105
1 responsable de cela? C'est parce qu'il n'a pas pris de mesures pour
2 assurer la protection des détenus et pour veiller à ce qu'ils soient
3 échangés dans un cadre juridique.
4 Nous avons présenté cela dans notre thèse, et nous savons qu'il y avait
5 des problèmes avec ces échanges.
6 J'espère que j'ai pu répondre à votre question, Monsieur le Président.
7 M. Staker (interprétation): Monsieur le Président, avec votre
8 autorisation, je voudrais simplement rajouter un point, suite à la
9 question que vous nous avez posée: il s'agit de savoir s'il existe une
10 alternative viable quant au comportement que l'on peut qualifier de
11 "criminel"?
12 Nous pensons qu'il s'agit d'une proposition générale, à savoir que
13 lorsqu'une personne se prive d'une alternative en commettant un crime, à
14 ce moment-là, elle ne peut pas se fonder sur ce propre crime comme étant
15 une défense pour un crime ultérieur qui les aurait privés de cette
16 alternative. Si l'acte criminel consiste simplement à une détention
17 illégale de civils, on ne peut pas invoquer ce crime en mesure de défense
18 pour leur transfert en disant: "Mais quel est le choix que ces personnes
19 avaient! Il y avait des détentions illégales, qu'allait-on faire avec ces
20 personnes?". En tout état de cause, il y a une réponse très simple: on
21 pouvait les libérer et les ramener chez eux dans leur maison à Foca.
22 Mais une fois de plus, il ne s'agit pas là d'un élément de défense. Il ne
23 s'agit pas d'une défense de dire que "Oui, nous menions une campagne de
24 persécution à Foca parce que la situation n'était pas sûre, qu'ils ne
25 pouvaient pas rentrer chez eux"; parce que, conformément à ce que j'ai dit
Page 106
1 auparavant, il y avait en fait une entreprise criminelle commune et vous
2 ne pouvez pas invoquer comme moyen de défense une partie de cette
3 entreprise pour justifier votre comportement.
4 Une autre question qui a été soulevée est de savoir si les échanges de
5 prisonniers avaient un caractère juridique. A notre avis, cette question
6 n'est pas posée en l'espèce. En fait, il faut se reporter au paragraphe 49
7 du Jugement qui précise que "les expulsions, les échanges ou les
8 déportations de population civile non serbe constituaient la phase finale
9 de l'attaque serbe contre la population civile non serbe dans la
10 municipalité de Foca". J'ai déjà fait mention de ce paragraphe auparavant
11 lors de la présentation de ma thèse. A la fin de ce paragraphe, il est
12 précisé que: "Vers la fin 1994, les derniers détenus musulmans au KP Dom
13 ont fait l'objet d'un échange".
14 Le mot "échange" a été utilisé. A notre avis, la question est de savoir si
15 cet échange s'est déroulé dans un cadre juridique ou non.
16 M. Shahabuddeen (interprétation): Madame Rashid, la question que vient de
17 vous poser mon collègue M. le Juge Schomburg, m'a beaucoup intéressé. En
18 effet, il vous a demandé -et c'était un exemple limite s'agissant de la
19 thèse défendue par vous-: dans le cas où une famille serait déplacée d'une
20 maison vers une autre maison, s'il s'agirait de déportation ou
21 d'expulsion.
22 Alors, il est possible que nous ayons omis de tenir compte de quelque
23 chose qui existe dans vos écritures à ce sujet, mais vous avez fait
24 référence à l'Article 5-d) du Statut, et cela m'a un petit peu rafraîchi
25 la mémoire.
Page 107
1 Donc voilà ce que j'aimerais vous demander: est-ce que vous demandez aux
2 Juges de la Chambre d'appel de tirer des conséquences particulières,
3 déterminées de l'introduction globale que l'on trouve au début de cet
4 Article 5? En effet, nous savons tous qu'un conflit armé aux termes du
5 droit international coutumier ne se mène pas nécessairement dans le but de
6 commettre un crime contre l'humanité, mais cette partie introductrice
7 générale de l'Article 5 a été placée à cet endroit du texte par le Conseil
8 de sécurité.
9 Alors, quelles en sont les implications? Devrions-nous penser que cette
10 introduction à l'Article 5 implique nécessairement que tous les aspects
11 légaux, toutes les qualifications juridiques du crime de déportation
12 peuvent être constituées dans le cas d'un conflit international armé, et
13 donc que tous les aspects constitutifs juridiques de l'acte de déportation
14 peuvent être présents lorsqu'il y a conflit armé international?
15 Si cela devait être vrai, quelles en seraient les conséquences sur
16 l'examen de cette question de transfert trans-frontières ou de transfert
17 interne?
18 En effet, dans le Statut, il est question de crimes commis dans le cadre
19 d'un conflit armé, sans distinction entre le conflit armé international et
20 le conflit armé interne. Alors, pouvez-vous m'aider sur ce point?
21 Mme Rashid (interprétation): Oui, bien sûr, Monsieur le Juge. Je vais vous
22 répondre et je peux très certainement vous aider sur ce point. En effet,
23 vous êtes, ici, au cœur de l'argumentation de l'accusation.
24 La déportation figure au nombre des crimes contre l'humanité; et pour
25 qu'il y ait crime de déportation, dans le cadre de l'application de cette
Page 108
1 partie introductive de l'Article 5, il faut qu'il y ait conflit armé, mais
2 ce conflit armé ne doit pas nécessairement être qualifié plus précisément.
3 Donc la seule nécessité, c'est de prouver qu'il y a eu attaque
4 systématique ou générale contre une population civile.
5 Bien entendu, les crimes contre l'humanité peuvent se produire dans le
6 cadre d'un conflit interne également, aussi bien que dans le cadre d'un
7 conflit international. C'est d'ailleurs la base de notre argumentation,
8 Monsieur le Juge, qu'en application du Statut, les crimes contre
9 l'humanité doivent être commis durant un conflit armé, mais que la nature
10 de ce conflit n'a pas d'importance. Les dispositions du droit
11 international régissant les conflits armés internationaux ne limitent pas
12 l'interdiction de la déportation en tant que crime contre l'humanité à des
13 transferts transfrontaliers.
14 Ceci donc montre bien que la nature du conflit armé n'a pas d'importance
15 -en tout cas, c'est l'interprétation qui est donnée de l'Article 5 et que
16 l'on reprend dans le mémoire en appel de l'accusation-, à savoir que
17 déportation est un terme générique qui s'applique aussi bien aux
18 transferts de population à l'intérieur d'un même pays, donc interne,
19 qu'aux transferts de populations transfrontaliers.
20 M. Shahabuddeen (interprétation): Madame Rashid, je tiens à m'excuser
21 auprès de vous car il y a un aspect de votre mémoire en appel que j'ai
22 sans doute omis d'examiner.
23 Il y est dit, en effet, que la partie introductive de l'Article 5 implique
24 nécessairement que tous les aspects constitutifs du crime de déportation
25 peuvent également exister dans le cadre d'un conflit interne.
Page 109
1 Mme Rashid (interprétation): Vous parlez du paragraphe 8.7 de notre
2 mémoire, n'est-ce pas, où l'on trouve le cœur de notre argumentation?
3 M. le Président: J'ai un décalage avec l'interprétation. Je n'ai pas saisi
4 si vous faisiez bien une distinction entre expulsion et déportation,
5 Maître Rashid, au plan du droit criminel.
6 Mme Rashid (interprétation): Non. La façon dont les expulsions et les
7 déportations sont mises en accusation en tant que comportement
8 particulier, montre bien qu'il s'agit d'un comportement unique. La
9 déportation signifie un transfert forcé; et l'expulsion, pour l'essentiel,
10 revient au même.
11 J'ai dit, Monsieur le Président, que l'expulsion consiste en un processus
12 dans lequel une personne est déplacée de l'endroit où elle se trouve; et
13 ceci a été qualifié d'"acte de persécution". La persécution n'est pas
14 définie à partir du comportement constitutif de cet acte de persécution.
15 Donc l'expulsion devient un crime lorsqu'elle constitue un acte qui est
16 poursuivi en justice.
17 Voilà comment nous traitons de l'affaire dans nos écritures.
18 M. le Président: Vous devez simplement prendre garde à une chose.
19 Mme Rashid (interprétation): Bien sûr.
20 M. le Président: Vous avez, bien sûr, le regard porté sur votre affaire.
21 Je pense que l'expulsion est synonyme de déportation lorsque nous sommes
22 dans un cadre criminogène commun de conflits armés.
23 Je me permets de vous rappeler -et le Juge Schomburg l'a très bien dit
24 tout à l'heure- que la déportation, qu'il s'agisse de droit interne ou de
25 droit international, est toujours un crime… D'ailleurs, le terme est
Page 110
1 linguistiquement anglicisé ou francisé. La déportation… On déporte des
2 bagnards, on déporte, mais en général c'est un comportement criminogène,
3 la déportation.
4 L'expulsion peut être un acte de souveraineté. Je me permets de vous dire
5 que c'est tous les jours que des gouvernements prennent des législations
6 expulsant telles catégories de populations qui ne remplissent pas, par
7 exemple, les conditions légales d'entrée dans un territoire; vous le
8 savez, cela. On expulse, et on expulse parce qu'il s'agit d'un acte de
9 souveraineté. De même, on peut aussi expulser parce qu'on se défend contre
10 une entrée illégale dans un territoire. La déportation est tout à fait
11 différente.
12 Alors, je conçois que vous ne fassiez pas de distinction, mais à ce
13 moment-là, si vous ne faites pas la distinction, c'est que vous incluez
14 "expulsion égale déportation", parce que dans le cas par exemple de la
15 présente affaire, nous serions dans le cadre d'une entreprise criminelle
16 ou dans le cadre d'un conflit, d'un conflit armé. Alors là, évidemment, je
17 comprends que la distinction soit beaucoup plus… beaucoup moins distincte.
18 Voilà, c'était simplement cette précision que je voudrais apporter.
19 Le Juge Schomburg voudrait, je crois, poser à nouveau une question.
20 M. Schomburg (interprétation): En fait, c'est une question qui découle
21 directement de celle qui vient d'être posée.
22 Si, par exemple, nous devions adopter votre point de vue, celui qui est
23 présenté à l'Article… au paragraphe 817, et donc que nous acceptions cette
24 définition comme étant une interprétation valable de la notion et du terme
25 "déportation", qu'est-ce qui serait nécessaire, en sus de l'expulsion,
Page 111
1 pour que celle-ci devienne un acte criminel équivalent à la déportation?
2 Mme Rashid (interprétation): S'agissant de l'expulsion -et là, je réponds
3 à la question précédente-, l'expulsion ne figure pas sur la liste des
4 crimes. Il n'y a pas d'élément criminogène qui s'appelle "expulsion";
5 soyons clairs sur ce point. Nous décrivons, pour notre part, un
6 comportement qui équivaut à un acte de persécution, donc c'est un terme
7 technique que nous utilisons dans le sens qui vient d'être indiqué par le
8 Président.
9 Je suis d'accord avec vous, bien entendu, sur le fait que l'expulsion peut
10 avoir différents sens, et notamment tous ceux que vous avez indiqués. Mais
11 lorsque l'expulsion est poursuivie en justice en tant qu'acte de
12 persécution, lorsque, comme dans l'Acte d'accusation, elle est décrite
13 comme un acte de persécution, cela devient le crime de persécution. Il n'y
14 a pas d'élément supplémentaire qui soit nécessaire en tant que tel.
15 Le Tribunal peut prendre l'expulsion en tant qu'acte isolé, différent de
16 la déportation à laquelle un sens technique différent peut éventuellement
17 être donné, bien entendu. Mais nous soulignons, dans nos écritures, que
18 l'expulsion est un terme générique, pour nous, qui signifie un
19 comportement particulier que nous décrivons, et qu'il n'y a pas d'élément
20 criminogène dans l'expulsion en tant que telle, mais que l'on trouve ces
21 éléments dans les actes de persécutions auxquels équivalent expulsion et
22 déportation, de notre point de vue.
23 J'espère avoir été claire.
24 M. Schomburg (interprétation): Merci beaucoup.
25 Mme Rashid (interprétation): Merci, Monsieur le Juge.
Page 112
1 J'en arrive maintenant à mes conclusions sur le motif d'appel n°6. Il me
2 faudra sans doute à peu près dix minutes.
3 Selon ce motif d'appel, nous pensons que la Chambre de première instance a
4 fait erreur en estimant que les éléments de preuve étaient insuffisants
5 pour conclure au fait que le travail forcé infligé à huit détenus au
6 moins, dont les noms sont cités dans notre mémoire, était constitutif du
7 travail forcé au sens légal du terme.
8 En conséquence, la Chambre de première instance a, d'après nous, commis
9 une série d'erreurs qui ont abouti à l'acquittement de l'accusé pour ce
10 crime de travail forcé qui était poursuivi au titre d'acte de persécutions
11 en application de l'Article 5-h).
12 Dans notre mémoire, nous vous demandons de revenir sur des arguments qui
13 sont liés. Le premier porte sur l'application erronée du droit par rapport
14 aux aspects factuels de l'affaire et le deuxième porte sur le statut
15 illégal de détention, dans le cas qui nous intéresse, s'agissant de
16 personnes protégées et au titre de l'article 5-1 du Protocole additionnel
17 2 aux Conventions de Genève. Je vous demanderai d'examiner le deuxième
18 argument à partir du premier, c'est-à-dire de traiter d'abord le premier
19 et de le développer avec le deuxième.
20 La Chambre de première instance, au paragraphe 360 du Jugement, estime que
21 des civils privés de liberté dans le cadre d'un conflit armé non
22 international peuvent néanmoins être contraints à travailler dans
23 certaines circonstances. La seule référence à l'appui se trouve à
24 l'article 5-1 du Protocole additionnel n°2.
25 L'accusation invite les Juges de la Chambre d'appel à considérer ceci
Page 113
1 comme un point important sur le plan juridique, que l'on trouve au
2 paragraphe 5-e) du Protocole additionnel n°2 qui s'applique aux conditions
3 diverses dans lesquelles se trouvent des personnes détenues illégalement
4 dans le cadre d'une campagne de persécutions pour motifs religieux ou
5 politiques.
6 L'accusation affirme, après avoir examiné le Droit de Genève et le
7 Protocole additionnel n°2, que des personnes illégalement privées de
8 liberté ne peuvent pas et ne doivent pas pouvoir être contraintes à
9 travailler.
10 La Chambre de première instance a examiné à juste titre cette question à
11 partir du consentement demandé à ces personnes, s'agissant du travail et
12 des conditions dans lesquelles ce travail est effectué. Mais les éléments
13 de preuve manquaient sur ce point, nous n'avons donc pas interjeté appel
14 sur cet aspect particulier de la chose. Nous disons simplement que les
15 dispositions des Conventions de Genève et des protocoles supplémentaires
16 parlent de personnes protégées lorsqu'il est question de détenus enfermés
17 de façon illégale, et que dans ces conditions ces personnes sont protégées
18 et qu'il est illégal de les contraindre à travailler.
19 Pour l'essentiel, l'Article 5-1 se divise en deux parties. Il y est
20 question de personnes dont la liberté est restreinte et nous estimons
21 qu'il existe des formes admissibles, licites de détention, y compris en
22 application de cet article dans le droit international.
23 Mais le deuxième élément que nous développons se trouve à l'article
24 5.1)e), où il est question des protections dont bénéficient les personnes
25 en détention s'agissant du travail forcé. Et je vous invite à reprendre
Page 114
1 l'Article 95 de la Convention de Genève n°4, les articles 40 et 41 de la
2 Convention de Genève n°4, et les articles 79, 41 à 43, 68 et 78 de la 4e
3 Convention de Genève également, où il n'est fait référence qu'à des
4 détenus, des internés, des personnes en résidence surveillées qui, elles,
5 peuvent être contraintes à travailler dans certaines conditions bien
6 particulières. Mais leur détention est définie sur le plan juridique.
7 Et je vous renverrai également au commentaire additionnel du Protocole
8 n°2, où l'on parle de personnes privées de liberté en raison d'un conflit
9 armé et de personnes qui, pour l'essentiel, ne jouissent pas de leur
10 pleine liberté en raison de la guerre. Dans les Conventions de Genève, on
11 trouve la même définition en plusieurs endroits.
12 La règle générale, c'est donc qu'un civil ne peut pas être arbitrairement
13 privé de liberté, ceci serait équivalent à un emprisonnement ou à une
14 détention illégale.
15 Si l'on examine les circonstances dans lesquelles un civil peut être
16 détenu dans le cadre d'un conflit armé, il s'ensuit que c'est seulement
17 dans des circonstances tout à fait exceptionnelles qu'un civil emprisonné
18 de cette façon peut être contraint à travailler. Il faut donc qu'un
19 certain nombre de conditions soient remplies. Et nous disons que ces
20 circonstances exceptionnelles ne peuvent pas et ne doivent pas devenir la
21 règle. Or en l'espèce, il s'agissait bien d'une règle; c'est ce que nous
22 voyons au paragraphe 122 du Jugement.
23 Je vous demande également, Messieurs les Juges, de regarder la logique qui
24 prévaut s'agissant d'examiner ce problème des personnes emprisonnées
25 contraintes de travailler. J'ai déjà parlé de l'article 8 du Pacte
Page 115
1 international de 1966 -Pacte international des droits civils et
2 politiques- où l'on voit les formes autorisées de travail forcé. J'ai
3 également parlé du commentaire de l'article 5 où il est question des
4 raisons pour lesquelles une personne privée de liberté peut être
5 contrainte de travailler dans certaines circonstances. J'invoque à présent
6 le jugement "Tuta"/"Stela", paragraphe 253, qui se penche également sur
7 les raisons pour lesquelles un prisonnier de guerre peut être appelé à
8 effectuer un certain travail. Je ne vais pas entrer dans le détail, mais
9 la lecture du jugement vous en apprendra davantage sur ce point.
10 Les conditions de travail normales envisagées à l'Article 5.1
11 correspondent tout à fait à mon argumentation s'agissant de la situation
12 dans les camps, car il est tout à fait peu probable que les protections
13 fournies par le droit de Genève -les Conventions de Genève et le protocole
14 additionnel- s'appliquent à des détenus enfermés au KP Dom dans les
15 circonstances dans lesquelles ils vivaient par exemple. Des détenus
16 emprisonnés illégalement et soumis à des conditions inhumaines ne
17 correspondent pas au cadre dont il est question ici.
18 Donc dans mon argumentation, je dis que les intérêts des détenus sont
19 enfreints et que les faits évoqués dans nos écritures vous donneront des
20 détails supplémentaires sur ce plan. Les Conventions de Genève ainsi que
21 les protocoles à ces Conventions parlent de personnes protégées, et ces
22 personnes protégées ne doivent pas être autorisées à travailler. La
23 Convention 3 établit les critères applicables à ces personnes protégées
24 pour les définir en tant que personnes protégées, et pour définir les
25 conditions dans lesquelles elles peuvent ou ne peuvent pas travailler.
Page 116
1 C'est sur la base du consentement donc que le travail autrement considéré
2 comme forcé peut être considéré comme autorisé.
3 Messieurs les Juges, s'agissant de mon deuxième argument, je vous
4 demanderai de reprendre l'application du droit en matière de consentement
5 par la Chambre de première instance, que l'on trouve au paragraphe 359 du
6 Jugement sur les faits. Et j'aimerais ajouter quelques arguments à ces
7 critères qui sont abordés dans le Jugement s'agissant du consentement.
8 De l'avis du Procureur, même en l'absence d'éléments de preuve démontrant
9 que les détenus ont accordé leur consentement, la Chambre de première
10 instance aurait dû, à notre avis, prendre en compte des critères plus
11 objectifs que ceux qu'elle a pris en compte. En effet, il faut mettre
12 l'accent sur le fait de savoir si le détenu a véritablement le choix. En
13 effet, entre consentement et choix, il y a une différence qui implique que
14 lorsqu'il y a travail de la part du détenu, ce travail est volontaire ou
15 pas. La Chambre de première instance aurait dû aller plus dans le détail
16 et examiner de plus près les motivations du détenu pour voir si elles
17 étaient corroborées ou non par les conditions objectives de la détention.
18 Quel était le choix réel qu'avaient les détenus, Messieurs les Juges? En
19 quelques mots, je vais résumer le témoignage de l'un des témoins. Au
20 compte rendu d'audience, page 4860, ce témoin a dit -je cite-: "Eh bien,
21 vous pouvez parler de travail volontaire, d'une certaine façon évidemment.
22 Lorsqu'on est enfermé quelque part, on ne peut pas sortir; et si quelqu'un
23 vous propose du travail, on pense que c'est préférable qu'à rester
24 enfermer dans une endroit parce qu'on peut se procurer éventuellement de
25 la nourriture, des cigarettes et avoir des contacts avec des Serbes à
Page 117
1 l'extérieur. C'est peut-être donc préférable. D'une certaine façon, on
2 peut parler de travail volontaire. Mais dans la réalité des faits,
3 utiliser ce terme est tout à fait ridicule". (Fin de citation.)
4 La conclusion de la Chambre de première instance a consisté à dire qu'il
5 s'agissait effectivement de travail volontaire, mais c'est une erreur. Des
6 éléments de preuves similaires ont été présentés par d'autres détenus;
7 vous en trouverez la liste dans nos écritures, Messieurs les Juges, et
8 tout cela prouve l'erreur systématique dans l'application du droit du
9 consentement par la Chambre de première instance.
10 Je ne peux que vous renvoyer à nos écritures pour le reste des motifs
11 d'appel sur ce point. Nous disons que la conclusion de la Chambre de
12 première instance et le verdict rendu par cette Chambre dans son
13 acquittement sur le travail forcé étaient une erreur et une erreur
14 judiciaire.
15 Merci. C'est maintenant M. Carmona qui va vous parler des motifs 4 et 8, à
16 savoir "Meurtres et peines imposées".
17 M. le Président: Bien, Monsieur Carmona, nous vous écoutons.
18 M. Carmona (interprétation): Messieurs les Juges, je demande votre
19 indulgence: j'aimerais savoir combien de temps me sera donné. Nous avons
20 une période tout à fait éprouvante, beaucoup de questions ont été posées à
21 ma collègue, et moi j'ai deux motifs de taille à aborder. J'aimerais
22 savoir le temps que vous me consacrez.
23 M. le Président: Je comprends tout à fait le sens de votre question. Je
24 vous propose que nous levions notre séance à 13 heures. Vous avez jusqu'à
25 13 heures, y compris les questions que pourront éventuellement vous poser
Page 118
1 mes collègues. Autrement dit, on commencera avec la défense cet après-
2 midi.
3 On est un peu décalés, on rattrapera en fin d'après-midi ou demain, voilà;
4 puisque nous vous avons effectivement posé beaucoup de questions. Encore
5 que les questions font partie évidemment du débat concernant les arguments
6 du Procureur, mais nous n'allons pas plaider là-dessus.
7 Maître Carmona, essayez de développer maintenant vos arguments. Et si vous
8 terminez plus tôt, eh bien, nous verrons bien. Allez y.
9 (Présentation des arguments du Procureur concernant les motifs d'appel 4
10 et 8, par M. Carmona.)
11 M. Carmona (interprétation): Merci beaucoup.
12 Messieurs les Juges, je vais aborder le quatrième motif d'appel: meurtre,
13 plus exactement.
14 Nous estimons que la Chambre de première instance a commis une erreur de
15 fait en concluant qu'aux fins de l'Article 7.3, l'intimé n'avait pas
16 suffisamment d'informations pour savoir que ses subordonnés se livraient
17 aux meurtres des détenus mentionnés à l'Annexe C. Ceci a poussé la Chambre
18 à conclure qu'il n'est pas tenu pénalement responsable de ses crimes en
19 application de l'Article 7.3.
20 Je dirais d'emblée qu'il y a des erreurs de fait commises par la Chambre
21 s'agissant de ces meurtres.
22 26 des 29 noms qui figurent à l'Annexe C; s'agissant de ceux-ci, il était
23 constaté que les crimes avaient été commis au KP Dom. La Chambre a exprimé
24 des réserves à cet égard, à l'égard du meurtre de Hodzic, mais aussi à
25 l'égard de Mujezinovic, mais aussi par rapport à Huso Dzamalija dont il
Page 119
1 est dit que ce dernier s'est suicidé.
2 Cependant, il nous faut comprendre ce que signifient ces conclusions
3 factuelles. Les Juges étaient-ils convaincus, au-delà de tout doute
4 raisonnable, que 26 de 29 personnes sont mortes au KP Dom du fait de la
5 participation des gardiens du KP Dom et que ceci s'est fait en
6 collaboration avec des militaires qui venaient de l'extérieur du camp?
7 Il faut cependant se pencher sur cette conclusion factuelle et la voir par
8 rapport au rôle, à la fonction exercée par l'intimé dans ce camp.
9 La Chambre s'était d'abord prononcée sur la position d'autorité de
10 l'accusé. C'était important, car ceci montre de façon très claire et
11 factuelle comment les informations fonctionnaient, informations qui
12 étaient disponibles à l'accusé.
13 Du paragraphe 96 au paragraphe 107, les Juges ont conclu fermement, en
14 fait, qu'il occupait un poste d'autorité et que l'accord de location
15 n'avait aucune incidence sur la hiérarchie prévalant dans le camp, et que
16 l'accusé avait la responsabilité en tant que supérieur sur tous les
17 subordonnés du KP Dom.
18 Ce faisant, vous comprendrez qu'il a fait référence au témoin FWS-138 qui
19 indiquait que toutes ces informations et le mécanisme de fourniture
20 d'informations -qui était en place avant la guerre- ont fonctionné pendant
21 la guerre, que tout est resté pratiquement pareil, que par exemple le
22 commandant des gardes, Mitar Rasevic, devait faire rapport à Krnojelac,
23 que Todovic, qui était l'adjoint au directeur, devait rendre des comptes à
24 Krnojelac. De surcroît, était en place un système tel que toute
25 modification intervenant dans le camp était rapportée au ministère de la
Page 120
1 Justice.
2 A toutes fins utiles, lorsque nous essayons de déterminer ce que va
3 constituer un minimum suffisant d'informations, il faut regarder ce
4 minimum suffisant dans le contexte de ce qui est déjà établi s'agissant
5 des chaînes de transmission d'informations sur des questions générales et
6 particulières telles qu'elles se présentaient et fonctionnaient et dans ce
7 camp-là précis.
8 La Chambre de première instance a conclu que l'intimé était supérieur de
9 jure par rapport aux gardes et qu'il a manqué à son devoir qui consistait
10 à prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour punir les
11 auteurs des crimes.
12 Au paragraphe 107, les Juges de première instance indiquent qu'il a manqué
13 à l'obligation de mener des enquêtes sur les sévices.
14 Et ça, c'était quelque chose de connu dans le camp. On savait dans le camp
15 que bon nombre des gardes, comme Matovic, Burilo, que tous ces individus
16 faisaient partie du contingent des gardes du KP Dom et que ces hommes
17 étaient responsables de beaucoup des sévices qui se produisaient.
18 Les Juges ont également constaté que l'intimé a manqué au devoir de donner
19 des ordres pour que soit mis fin aux sévices infligés aux détenus et qu'il
20 n'a pas parlé à ses subordonnés des sévices commis, qu'il n'a pas puni les
21 gardes qu'il aurait été facile d'identifier, et que l'intimé n'a pas
22 rapporté ces exactions aux autorités qui étaient les siennes.
23 Il est cependant important de constater que sa fonction de responsabilité
24 en tant que directeur, que son manquement à l'obligation d'empêcher les
25 crimes, a été réitérée par la Chambre de première instance lorsqu'elle a
Page 121
1 parlé des modes de responsabilité s'agissant du mode de fonctionnement du
2 KP Dom.
3 Nous avons des conclusions générales tirées par les Juges de première
4 instance pour ce qui est de sa responsabilité potentielle eu égard à ces
5 meurtres. Mais il est important de noter la conclusion des Juges.
6 Il y a une conclusion essentielle, c'est que les Juges étaient convaincus
7 que l'intimé avait connaissance du fait qu'il y avait sévices à l'encontre
8 des détenus et qu'il y a eu des disparitions du KP Dom au cours des
9 soirées du mois de juin 1992. Mais la Chambre n'était pas convaincue que
10 ces détenus, qui étaient sortis le soir et qui disparaissaient, ont été
11 tués.
12 Ce faisant, la Chambre a rejeté la théorie du 7.1 s'agissant du fait de
13 prêter assistance, et cette théorie qui veut que, ce faisant, il a créé un
14 système qui permettait la commission de ces crimes.
15 Soyons plus précis encore, parce que ceci est pertinent face à ce motif.
16 La Chambre de première instance a rejeté la thèse de l'accusation selon
17 laquelle l'intimé se voit visé par la responsabilité supérieure
18 hiérarchique, visé par l'Article 7.3, pour ce qui est de ce qui s'est
19 passé au cours des mois de juin et juillet 1992 au KP Dom. Alors que le
20 fait existe, alors que les Juges ont reconnu que l'intimé était au moins
21 au courant de deux décès au camp, celui de Halim Konjo et de Huso
22 Dzamalija. Cependant, les Juges de première instance ont constaté qu'en
23 dépit de ce savoir, l'intimé n'avait pas suffisamment de connaissances et
24 que ses connaissances ne correspondaient pas à l'élément requis.
25 L'accusation soutient que cette conclusion tirée par les Juges de première
Page 122
1 instance, selon laquelle l'intimé n'est pas responsable en tant que
2 supérieur au sens de l'Article 7.3, nous estimons que c'est là une erreur
3 de fait, au sens de l'Article 25.2. Nous estimons qu'aucune Chambre
4 n'aurait pu raisonnablement conclure qu'il n'était pas responsable
5 pénalement de ces meurtres, que la seule conclusion disponible, c'est
6 qu'il y avait suffisamment d'informations dont disposait l'intimé pour
7 savoir qu'il y avait un risque de commission de meurtres par ses
8 subordonnés.
9 Il est important de relever que, lorsqu'on voit les circonstances précises
10 de ces sévices, de ces passages à tabac, le traitement particulièrement
11 cruel infligé à ces personnes, la seule différence entre les passages à
12 tabac tels que constatés et les meurtres, c'était l'effet inévitable. Dans
13 un cas, les coups ont entraîné un handicap, une incapacité; dans l'autre
14 cas, ces passages à tabac ont entraîné la mort. Le degré de comportement,
15 la gravité de l'attitude est du même genre, du même type. Ce qui importe,
16 si l'on veut définir le meurtre, c'est de se demander s'il ne s'agit pas
17 d'un acte commis dans l'intention de causer un préjudice physique? Est-ce
18 que c'est parce que la phase ultime n'est pas réalisée qu'on pourrait dire
19 qu'il n'y a pas de risque de décès?
20 Je m'excuse auprès des interprètes.
21 Voyez la fonction exercée par l'intimé. La seule conclusion possible,
22 puisqu'on a conclu qu'il était le supérieur hiérarchique au KP Dom, avec
23 l'autorité d'empêcher des crimes et de les punir, et à la lumière du fait
24 que la Chambre de première instance a conclu qu'il n'avait pas pris de
25 mesures nécessaires pour empêcher les sévices infligés aux non Serbes,
Page 123
1 nous soutenons qu'une fois ces conclusions tirées, une fois avoir estimé
2 qu'il avait la connaissance nécessaire s'agissant de ces sévices, il faut
3 estimer qu'il avait suffisamment d'informations pour être au courant des
4 meurtres qui s'en sont suivis. Au minimum, on aurait dû l'informer ou dire
5 qu'il avait le devoir d'investigation.
6 Madame Brady a répondu aux questions posées par M. le Juge Shahabuddeen.
7 Notre thèse se fonde non seulement sur la probabilité de connaissance
8 d'informations, mais de façon plus précise, sur les informations
9 véritables dont disposait l'intimé. Il est utile d'examiner de plus près
10 ces meurtres.
11 Une situation se présente où Huso Dzamalija se serait suicidé dans sa
12 cellule à la suite de passages à tabac, du fait de sa dépression. La
13 Chambre avait des doutes quant aux causes réelles de sa mort. Etait-il
14 mort à la suite des coups ou à la suite de sa dépression? Mais il est
15 quand même mort en prison!
16 Puis, nous avons d'autres meurtres impliquant Halim Konjo. Il parle à
17 l'intimé du comportement… à la demande de son frère, Halim Konjo. Que dit-
18 il à l'intimé? Il dit: "Je veux en savoir plus long sur Halim Konjo. Je
19 sais qu'il est mort", dit-il. Au moment du contre-interrogatoire, on fait
20 pression sur lui lorsqu'il dépose, et que dit-il? Il dit: "Au fond, je
21 savais par Jankovic que cet homme, il s'est suicidé; c'est ainsi qu'il a
22 trouvé la mort". Miros Jankovic n'est pas bien important et ce n'est qu'un
23 infirmier. Il dit: "Voilà, il y a eu une enquête". Et l'intimé ne va pas
24 plus loin.
25 Vous avez deux morts suspectes: un suicide et une autre mort tout à fait
Page 124
1 suspecte. Dans de telles circonstances, l'intimé est considéré comme
2 n'ayant pas été informé.
3 Transposons ceci dans une situation normale, situation normale dans un
4 système national. Un homme meurt en prison après suicide ou dans des
5 circonstances suspectes, c'est le chaos complet. On dit que, vu les
6 conditions prévalant dans le milieu pénitentiaire, il n'y a pas de
7 mécanisme permettant de transmettre des informations à la hiérarchie; cet
8 homme doit quand même savoir quels sont ces mécanismes.
9 Et nous disons que, dans de telles circonstances, la Chambre de première
10 instance a versé dans l'erreur. Car la seule conclusion raisonnable, vu
11 ces seuls deux décès, vu la genèse des sévices, de la persécution, des
12 passages à tabac, puisqu'il y a des liaisons constantes avec la structure
13 militaire, avec les autorités politiques… on ne peut pas simplement
14 saucissonner ceci et en faire des compartiments séparés. Il nous faut
15 examiner la globalité de ceci. Il ne faut pas diviser dans de telles
16 circonstances. Il s'agit, en l'espèce, de voir la totalité des
17 informations disponibles pour conclure qu'il y avait suffisamment
18 d'informations pour activer et déclencher la nécessité de diligenter
19 d'autres enquêtes.
20 Et qu'en est-il des indicateurs clairs et objectifs selon lesquels il
21 s'agissait de meurtres?
22 Reprenons les conclusions de la Chambre de première instance. Il y avait
23 des traces de sang au KP Dom, dans le véhicule dont il a été dit qu'il
24 avait transporté de la viande; et cette situation, elle a été rejetée par
25 les Juges de première instance. Sans parler des différentes formes de
Page 125
1 brutalité, résultats, les cris, les hurlements, tout ceci, sans parler des
2 preuves manifestes de balles qui sont restés logées dans les bâtiments,
3 dans les murs du bâtiment administratif. N'oubliez pas que le bureau de
4 l'intimé est juste au-dessus; il a vue sur la cour de la prison où on fait
5 quotidiennement le décompte des détenus. L'intimé sait pertinemment qu'il
6 y a des sévices qui sont infligés, des passages à tabac. Ce n'est pas ici
7 que l'intimé ne fait que passer dans ce camp; il en est le directeur. Rien
8 ne prouve qu'on aurait essayé de dissimuler ces crimes; abondants étaient
9 les signes précisant la quantité et le type de crimes commis. Ceci était
10 clair même pour quelqu'un de profane et, a fortiori, c'était patent pour
11 quelqu'un qui avait une position d'autorité dans le camp.
12 La Chambre a bien délimité, et de façon expresse, le fait qu'il a été
13 directeur pendant quelque 15 mois et qu'il avait parfaitement accès à la
14 cantine, à la cour de la prison, au bâtiment, autant d'endroits où il
15 aurait pu voir les signes d'exactions, exactions qui auraient justifié une
16 enquête, exactions dons des personnes auraient pu périr ou ont
17 effectivement péri.
18 Et le fait que la Chambre n'a pas été raisonnable apparaît encore plus
19 clairement lorsqu'on voit les indicateurs objectifs de la survenue ou la
20 survenance de meurtres. Reprenons ce que disait Celebici: pourrait-il y
21 avoir des informations plus alarmantes que celles-là? C'est bien le
22 critère, pourtant, qui a été retenu dans Celebici. Si l'intimé avait bien
23 suivi ces informations, il aurait pu avoir la confirmation que des crimes
24 étaient commis, des meurtres étaient commis, comme je viens de le dire.
25 Pourquoi ne pas examiner ou considérer que l'absence de connaissance de
Page 126
1 l'intimé, eu égard à ces meurtres, a été oubliée par la Chambre qui avait
2 une espèce d'obsession tacite, à savoir qu'en fait il a fait la politique
3 de l'autruche pour éviter les responsabilités qui incombent à la fonction
4 qu'il exerçait?
5 Nous estimons que c'est précisément cette attitude-là qui a été reflétée
6 dans la réplique de l'intimé aux questions posées par RJ; ceci est précisé
7 aux paragraphes 344 et 345 du Jugement: "Il ne faut pas poser de
8 question", a-t-il dit. Est-ce que c'est là l'attitude d'un supérieur qui
9 ignore des événements où sont impliqués ses subordonnés? Mais en plus, et
10 de façon encore plus claire, est-ce qu'il n'est pas prêt, il n'est pas
11 prêt à savoir, en dépit de toutes les informations qui lui sont soumises?
12 Ceci mis à part, Messieurs les Juges, l'intimé avait la confiance d'un
13 détenu, RJ; et quand on voit le traitement de RJ par la Chambre de
14 première instance, celle-ci a cru la déposition de ce témoin. La Chambre
15 n'avait pas de doute quant à la véracité de sa déposition. Mais ce qui
16 compte, c'est que RJ a en fait été une source permanente et récurrente
17 d'informations s'agissant de ce qui se passait dans le camp. Je dirais
18 même que c'est RJ qui a indiqué que Burilo était l'un des gardes les plus
19 brutaux. On lui a posé une question à propos de ce garde et le témoin a
20 dit aux Juges: "Il était de notoriété publique que Burilo était violent
21 avant l'existence du camp et pendant l'existence de celui-ci". C'est là
22 quand même suffisamment d'informations, informations qui se prêtent à
23 savoir que c'est ce Burilo qui était responsable des passages à tabac de
24 Ekrem Zekovic, l'homme même dont tous savent qu'il était très violent.
25 Celebici en parle: si un supérieur hiérarchique sait que telle ou telle
Page 127
1 personne présente telle ou telle caractéristique, cette même
2 caractéristique permet qu'on soit informé. Pourtant Krnojelac, lui, il ne
3 fait rien.
4 Voyez toute la question de l'évasion de Zekovic, paragraphe 233. En
5 présence du directeur, l'adjoint a parlé du fait qu'on allait couper les
6 rations, qu'on allait priver de médicaments, qu'on allait mettre au
7 cachot, qu'il y avait beaucoup de passages à tabac qui avaient lieu de ce
8 fait. Et la Chambre de première instance, se fondant sur cet incident
9 même, croit manifestement que toutes ces choses se sont bien produites.
10 Il est significatif de constater que, même si l'infraction d'Ekrem Zekovic
11 n'a pas été reprise dans l'Acte d'accusation, nous devons comprendre que
12 les Juges n'en ont pas tenu compte pour les Chefs 2, 5 et 7.
13 Nous sommes ici au paragraphe 230. Il s'agit de conclusions légitimement
14 tirées par la Chambre ou susceptibles de l'être pour ce qui est d'autres
15 questions découlant d'autres incidents mentionnés dans l'Acte
16 d'accusation.
17 Pourquoi bien cerner et circonscrire le critère juridique à appliquer? La
18 Chambre dit que l'intimé doit avoir suffisamment connaissance des éléments
19 constitutifs pour que soit établie sa responsabilité pénale en vertu du
20 7.3. Nous estimons que cette démarche n'est pas cohérente par rapport à la
21 jurisprudence établie pour ce qui est du degré de connaissance requis par
22 un supérieur pour entraîner responsabilité en vertu du 7.3. Le supérieur
23 doit simplement savoir de façon générale qu'il y a un risque de crime,
24 mais il n'est pas nécessaire de prouver que ces informations indiquent la
25 survenue de tels ou tels crimes précis.
Page 128
1 Voyons les faits cumulatifs de toutes ces informations dont disposait
2 l'intimé. Une seule conclusion s'impose, une seule conclusion raisonnable:
3 c'est celle qu'il avait amplement d'informations pour qu'il comprenne la
4 nécessité de mener une enquête. Et ce n'était pas simplement le critère de
5 la probabilité de la présence d'informations; il disposait effectivement
6 de ces informations.
7 Mentionnons quelque chose en passant pour ce qui est de ce motif précis.
8 Paragraphe 308: la Chambre dit que l'accusé nie avoir vu un quelconque
9 passage à tabac, mais la Chambre est convaincu que l'accusé savait qu'il y
10 avait passages à tabac de détenus musulmans qui, de façon générale,
11 étaient soumis à des mauvais traitements comme le précisent les
12 paragraphes 5.4 à 5.29 de l'Acte d'accusation.
13 Quand on voit les traitements infligés aux détenus, tels que repris dans
14 l'Acte d'accusation et considérés comme valables par les Juges de première
15 instance -on utilisait des fusils, on utilisait toutes sortes
16 d'instruments, des crosses de fusil au point où les gens perdaient
17 conscience-, des gens disent: "Voilà, j'ai été brutalisé par des gardes,
18 j'ai été mis au cachot". Cet homme aurait pu mourir, pourtant il n'y a pas
19 eu d'enquête; et ceci était une information suffisante pour que l'intimé
20 agisse. S'agissant de ce motif précis, nous estimons qu'il y avait
21 amplement des informations disponibles à la Chambre, non pas à partir de
22 nouvelles informations, mais à partir d'informations dont les Juges
23 reconnaissent qu'elles existent et devaient mener à la conclusion
24 inévitable selon laquelle l'intimé avait suffisamment d'informations pour
25 diligenter les enquêtes.
Page 129
1 Voilà les arguments que je voulais présenter vous présenter eu égard à ce
2 motif.
3 M. le Président: Juge Schomburg?
4 M. Schomburg (interprétation): Dans une certaine mesure, il s'agit peut-
5 être d'une répétition de questions que j'ai déjà posées dans le cadre de
6 la torture.
7 Je dois vous dire que je ne vois pas la logique des arguments soulevés par
8 l'accusation d'une manière générale. D'une part, nous avons entendu la
9 thèse présentée, tout au début de son intervention, concernant
10 l'entreprise criminelle commune. Par la suite, nous avons reçu des
11 instructions supplémentaires quant à ce qu'il faut considérer comme étant
12 la définition d'une entreprise commune criminelle en application de
13 l'Article 7.1, en se basant notamment sur la définition donnée par le Pr
14 Roxin. Ceci nous mène dans une direction qui dit qu'il y a action.
15 Dans votre thèse concernant les meurtres ou les assassinats en application
16 de l'Article 5.9, vous avez dit que la thèse du Procureur était, qu'en
17 application de l'Article 7.1, lorsqu'une personne aide ou encourage le
18 meurtre de détenus au KP Dom, vous avez dit à présent que cette affaire
19 relevait du champ d'application du point 7.3, à savoir qu'il fallait
20 empêcher et punir. Par conséquent, il semble y avoir une incohérence dans
21 votre argumentation.
22 M. Carmona (interprétation): Une fois de plus, oui, vous avez raison.
23 M. Staker (interprétation): J'aimerais répondre à cette question, Monsieur
24 le Président, Messieurs les Juges.
25 Il s'agit simplement de savoir si d'autres crimes peuvent très imputés à
Page 130
1 la fois en application de l'Article 7.1 et de l'Article 7.3.
2 S'agissant de l'assassinat, ce crime a été retenu contre l'accusé à la
3 fois en application des Articles 7.1 et 7.3, mais l'appel a été interjeté
4 uniquement au niveau de l'Article 7.3. Ceci ne signifie pas pour autant
5 que l'on n'aurait pas pu former un recours s'agissant de l'Article 7.1.
6 Notre thèse est la suivante: le Procureur n'interjette pas appel parce
7 qu'elle pense que cela n'était pas nécessaire.
8 Il s'agit de deux condamnations qui se fondent sur une personne qui aide
9 et qui encourage, et qui découle directement de la différence qu'il y a à
10 appliquer entre aider et encourager, et la participation à une entreprise
11 criminelle commune, et c'est parce que ces condamnations ont été soulevées
12 qu'en fait elles font l'objet de ce moyen d'appel. Je tiens à dire qu'en
13 n'interjetant pas appel en application de l'Article 7.1, il s'agit des
14 autres crimes.
15 Or, ceci n'est pas compatible avec la théorie de l'accusation parce que
16 l'accusation ne dit pas qu'elle n'aurait pas pu interjeter appel en
17 application de l'Article 7.1. Il s'agit simplement d'un aspect que
18 l'accusation n'a pas inclus dans son appel.
19 M. Schomburg (interprétation): Je vous remercie.
20 M. Carmona (interprétation): Bien. Je vous remercie de la patience dont
21 vous avez fait preuve à mon égard. Nous allons poursuivre. Je vais essayer
22 d'être aussi rapide que je le peux s'agissant du motif 8 qui traite de la
23 peine.
24 M. le Président: Vous terminez à 13 heures, vous n'avez pas le choix, il
25 n'y a pas d'alternative.
Page 131
1 M. Carmona (interprétation): Je vous remercie.
2 Le huitième motif d'appel concerne la peine. La Chambre de première
3 instance a condamné l'intimé à une peine unique d'emprisonnement de 7 ans
4 et demi.
5 Le moyen que nous invoquons est que la Chambre de première instance s'est
6 trompée en imposant une peine qui ne reflète pas la gravité des
7 infractions ni l'étendue de la culpabilité de l'intimé. Et la Chambre a,
8 par ailleurs, commis une erreur en tenant compte de certains facteurs lors
9 du prononcé de la sentence. Personne ne conteste, par exemple, le fait que
10 la Chambre de première instance a pu exercer un large pouvoir
11 discrétionnaire dans le domaine du prononcé de la peine.
12 Mais, comme Goran Jelisic l'a fait remarquer au paragraphe 96, une
13 sentence ou une peine ne peut pas excessive.
14 En fait, la thèse de l'accusation est que lorsqu'on fait preuve de trop
15 d'indulgence en tenant compte de circonstances atténuantes, à ce moment-là
16 on sape la peine d'une façon générale.
17 J'aimerais poser une question aux Juges ici présents. D'une façon
18 générale, le critère type que l'on retient pour déterminer la légitimité
19 ou le caractère raisonnable s'agissant de la sentence est le suivant. Il
20 s'agit de répondre à une question toute simple: est-ce que les membres du
21 public ayant connaissance des faits, ayant connaissance des circonstances,
22 pensent que la sentence a été prononcée en dépit d'une administration
23 correcte de la Justice?
24 Notre thèse est que la sentence, la peine doit être imposée en reflétant
25 la gravité inhérente, intrinsèque, du comportement criminel de l'accusé,
Page 132
1 et qu'il s'agit de déterminer la gravité du crime et que, pour déterminer
2 la gravité du crime, il faut tenir compte de la situation particulière en
3 l'espèce, ainsi que de la forme et du degré de participation de l'accusé
4 au crime.
5 A cet égard, l'accusation a fait remarquer qu'elle estime que certaines
6 erreurs ont été commises s'agissant des sentences. Cette sentence a été
7 attribuée et évaluée par la Chambre de première instance. Nous pensons
8 qu'il y a en fait quatre erreurs qui ont été commises.
9 La première erreur se trouve aux paragraphes 514 à 516 du Jugement, qui
10 parlent des facteurs qui contrebalancent les circonstances atténuantes ou
11 aggravantes de la responsabilité du supérieur hiérarchique.
12 La Chambre de première instance a également fait allusion au conformisme
13 de l'accusé et a également fait remarquer qu'en fait, on ne peut pas
14 considérer cela comme une circonstance atténuante parce qu'à ce moment-là,
15 ça les oblige à accorder un poids inférieur à une circonstance qui, sinon,
16 devrait être qualifiée d'aggravante. La thèse de l'accusation est que cela
17 a conduit à imposer une peine moins lourde, si on n'avait pas tenu compte
18 de cet argument.
19 L'accusation fait également valoir qu'il n'incombe pas à la Chambre de
20 première instance d'accorder un poids à ces facteurs, compte tenu des
21 circonstances particulières en l'espèce. L'intimé a volontairement accepté
22 ce poste, avait conscience des responsabilités qui allaient être les
23 siennes; il a été informé qu'il y avait des prisonniers, par exemple, et
24 que ces personnes avaient été détenues du fait qu'elles étaient
25 musulmanes.
Page 133
1 La Chambre de première instance a rejeté les allégations selon lesquelles
2 les ordres de travail qui lui ont été communiqués auraient pu être
3 réfutés, simplement parce que nous avons des preuves qu'il y avait deux
4 autres personnes qui avaient également reçu cette offre et qui l'avaient
5 déclinée; il s'agit de Veselin Cancar et d'un autre individu. Tous deux
6 ont refusé; il n'y a pas eu de punition ni de sanctions ultérieures du
7 fait que ces personnes ont refusé cette fonction.
8 En tout état de cause, on peut tenir compte du fait que les fragilités
9 humaines peuvent se voir accorder un certain facteur lorsqu'il s'agit de
10 prononcer la sentence. Mais nous pensons, pour notre part, que tel ne peut
11 pas être le cas lorsqu'il s'agit de commandants qui ont une responsabilité
12 ultime pour veiller au respect du droit international humanitaire.
13 Lorsque l'on examine le poste qui était occupé par l'accusé, le fait qu'il
14 exerçait un pouvoir de contrôle, qu'il avait une responsabilité qui
15 faisait en sorte qu'il était tenu de veiller au respect des dispositions
16 du droit international humanitaire, à ce moment-là, en fait, nous ne
17 pouvons que conclure au fait qu'il n'a pas exercé ces fonctions de
18 supervision. La Chambre d'appel, dans l'arrêt Celebici, a reconnu de la
19 même façon que Mucic occupait une fonction plus ou moins similaire, étant
20 donné qu'il exerçait une responsabilité de supervision mais qu'en fait,
21 elle n'était pas traduite dans les faits.
22 La deuxième erreur qui a été commise par la Chambre de première instance
23 est d'avoir rejeté les répercussions des crimes sur les autres personnes,
24 hormis la victime, lorsque la Chambre a évalué la gravité du crime. En
25 fait, la Chambre s'est livrée à un exercice trop restrictif de
Page 134
1 l'interprétation du concept du dommage infligé et de la victime qui l'a
2 subi.
3 Nous pensons, pour notre part, qu'en fait, elle aurait dû se fonder sur
4 différents instruments internationaux. Nous avons fait allusion à
5 différentes jurisprudences nationales; nous avons également mentionné le
6 fait que la Cour pénale internationale a également adopté une position
7 selon laquelle le concept de victime doit aller au-delà de l'individu
8 particulier mis en cause.
9 Suite à cela, Monsieur le Président, nous pensons que nous devons adopter
10 les arguments dans leur totalité, tels qu'ils ont été exposés dans notre
11 mémoire.
12 Abstraction faite de cela, j'aimerais signaler qu'il y a également des
13 cas, notamment dans l'affaire Krstic, au paragraphe 720 ou à Kayishema où,
14 en fait, il est fait mention de la définition d'une victime, et le fait
15 que la victime comprend plus que l'individu lui-même. Dans l'arrêt
16 Celebici, il est également fait mention de la gravité du crime qui est
17 apprécié en tant que tel lorsque ces crimes ont des répercussions sur les
18 victimes. L'arrêt Celebici précise que la gravité du crime est déterminée
19 d'après l'appréciation de la gravité du crime sur les personnes qui ont
20 subi ces crimes.
21 Monsieur le Président, notre position, s'agissant de la troisième erreur
22 commise par la Chambre de première instance, est la suivante. En effet,
23 elle a conclu à tort, elle a donné à l'accusé un certain crédit, dans la
24 mesure où le conseil de la défense a adopté un comportement diligent et
25 coopératif. Nous avons exprimé, nous avons explicité que ceci constitue
Page 135
1 une erreur, et nous avons précisé les raisons qui sous-tendent notre
2 position. Et nous maintenons ces arguments.
3 S'agissant de la quatrième zone où il y a eu un problème, en fait, la
4 Chambre de première instance s'est livrée à des comparaisons avec d'autres
5 individus qui avaient déjà été condamnés pour des crimes qui avaient été
6 commis dans des situations plus ou moins analogues, des situations qui
7 prévalaient dans des camps de détention. Et une fois de plus, nous avons
8 exposé nos arguments de façon très large et nous maintenons et nous
9 réitérons ce que nous avons dit.
10 J'aimerais encore soulever un point supplémentaire qui concerne le domaine
11 global du prononcé de la peine et qui concerne plus particulièrement les
12 assassinats ou le meurtre.
13 En fait, la Chambre de première instance estime qu'il y avait suffisamment
14 d'informations concernant les assassinats et les meurtres en application
15 des Chefs 8 et 10 et, par conséquent, nous pensons que la Chambre de
16 première instance a commis une erreur en rejetant ces Chefs d'accusation
17 et aurait dû confirmer ces charges et le rendre coupable en conséquence.
18 Nous pensons qu'une circonstance aggravante doit être prise en
19 considération par ce Tribunal. Il s'agit plus particulièrement de ce que
20 l'on a pu apprendre suite à ce qui transparaît dans différentes
21 jurisprudences.
22 Aucune violation de l'Article 3 n'a été mise en accusation dans l'Acte
23 d'accusation qui fasse mention d'un état d'esprit. La Chambre de première
24 instance accepte par conséquent que, s'agissant de la condamnation de
25 meurtre en application de l'Article 3 du Statut, l'état d'esprit
Page 136
1 discriminatoire de l'accusé constitue une circonstance aggravante. Nous
2 pensons qu'en fait il aurait dû être accusé en application de l'Article 3.
3 Il n'est pas nécessaire d'apporter un élément matériel d'une intention
4 discriminatoire mais, dans ces circonstances, cela peut constituer une
5 circonstance aggravante supplémentaire.
6 Par ailleurs, la Chambre de première instance, compte tenu de la position
7 de mes collègues au sujet des actes de torture, a estimé que les sévices
8 pouvaient être qualifiés de "tortures", et, en tant que tel, ceci ne doit
9 pas avoir d'incidence sur les conclusions de la Chambre de première
10 instance, à savoir la responsabilité de supérieur hiérarchique en
11 application de l'Article 7.3.
12 Voilà, pour l'essentiel, les arguments que je souhaitais soulever. Je
13 crois qu'il me reste encore deux ou trois minutes, et j'ai cru comprendre
14 qu'un de mes confrères souhaitait prendre la parole au sujet des arguments
15 que j'ai évoqués.
16 M. le Président: Je voulais simplement poser une question avant
17 d'interrompre. Vous avez surtout développé le thème général d'une peine
18 revue à la hausse, vous n'avez pas d'autres précisions à apporter à la
19 Cour sur ce plan-là? Vous n'avez pas de peine précise à proposer? Vous
20 avez demandé que ce soit revu à la hausse, si j'ai bien compris? C'est
21 cela?
22 M. Carmona (interprétation): Tout à fait. La Chambre de première instance
23 d'ailleurs savait que l'accusé, au moment du procès, avait recommandé une
24 certaine peine. Mais je me base sur la jurisprudence. Moi, je viens d'un
25 système où ce sont les Juges qui déterminent la peine.
Page 137
1 M. le Président: C'est toujours les Juges qui déterminent la peine -je me
2 permets de vous le dire, Maître Carmona-, ce sont toujours les Juges. Mais
3 il y a des systèmes -même ici d'ailleurs- où parfois l'accusation demande
4 un minimum de peine. Cela étant, j'ai compris le sens de votre réponse.
5 Merci.
6 Maître Staker, vous vouliez apporter des précisions? Qui voulait apporter
7 des décisions? C'est vous, Maître Staker?
8 M. Carmona (interprétation): Monsieur le Président et Messieurs les Juges,
9 en fait, vous m'avez devancé: j'avais pensé à un certain minimum. Je ne
10 sais pas si vous voulez entendre? L'accusation pense à un nombre d'années.
11 M. le Président: Oui, allez jusqu'au bout de votre logique.
12 M. Carmona (interprétation): A la lumière du fait qu'il y a eu Mucic qui,
13 lui, a écopé de 9 ans, qu'Aleksovski, lui, s'est vu imposer une peine de 7
14 ans, nous pensions à un minimum de 12 ans.
15 M. le Président: Parfait.
16 Maître Staker, vous vouliez ajouter quelque chose?
17 M. Staker (interprétation): Simplement ceci, Monsieur le Président: en
18 guise de conclusion, je dirais qu'une question a surgi quant à la portée
19 dans notre théorie portant sur l'entreprise criminelle commune pour cet
20 appel. Nous nous basons sur cette entreprise criminelle commune pour la
21 détention illégale, les conditions de vie inhumaines, les travaux forcés
22 ainsi que la déportation.
23 Je vous ai déjà présenté des arguments. Il en découle que, de l'avis de
24 l'accusation, les assassinats et la torture faisaient également partie de
25 l'entreprise criminelle commune, mais il n'y avait pas eu de conclusion
Page 138
1 expresse au niveau du Jugement qui aurait dit que l'accusé avait
2 connaissance de ces assassinats, avait connaissance du but proscrit de la
3 torture.
4 C'est la raison pour laquelle l'accusation dans sa lecture de l'Article
5 7.3 ne se base pas sur la nécessité d'avoir la connaissance et de
6 diligenter des enquêtes, mais disait "avait des raisons de savoir aux fins
7 de l'Article 7.3 qu'il avait connaissance de ces faits". Sinon, je me base
8 sur nos écritures, notamment les paragraphes 10.1 et 10.2: nous y faisons
9 valoir que, s'il faut revoir la peine à la hausse, cette décision peut
10 être prise par les Juges d'appel sans qu'il y ait renvoi en première
11 instance.
12 Je me fonde pour le reste sur les arguments présentés dans nos écritures.
13 M. le Président: S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons ajourner
14 jusqu'à 14 heures 30.
15 (L'audience, suspendue à 13 heures 01, est reprise à 14 heures 30.)
16 M. le Président: L'audience est reprise. Vous pouvez faire entrer
17 l'accusé, Madame la Greffière. Merci.
18 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)
19 L'audience est reprise.
20 Les interprètes sont là, m'entendent?
21 L'interprète: Oui, Monsieur le Président.
22 M. le Président: Bien. Alors, après avoir entendu les conclusions du
23 Procureur, nous allons entendre maintenant la réponse de la défense. Vous
24 avez deux heures. Nous ferons une pause à peu près au bout d'une heure et
25 demie.
Page 139
1 Qui intervient? Maître Bakrac, peut-être?
2 M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Président.
3 M. le Président: On dit "Bakrac"?
4 M. Bakrac (interprétation): Oui.
5 M. le Président: Merci. Eh bien, on vous écoute.
6 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président. En français, on
7 dit sans doute "Bakrak" mais dans ma langue, c'est Bakrac.
8 M. le Président: Je vais essayer de m'adapter à votre langue. Bakrac,
9 voilà. Allez-y.
10 (Réplique de la Défense concernant les motifs d'appel du Procureur, par Me
11 Bakrac.)
12 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
13 Monsieur le Président, chers collègues de l'accusation, je vais dès à
14 présent m'efforcer d'apporter une réponse aux divers motifs d'appel et à
15 l'ensemble du mémoire en appel de l'accusation, ainsi qu'aux arguments
16 développés par l'accusation verbalement ici même ce matin. Bien entendu,
17 ce que je veux dire par là, c'est que je vais m'efforcer d'apporter une
18 réponse spécifique à chacun des motifs invoqués.
19 Le premier motif invoqué par l'accusation dans ses écritures ainsi que
20 dans ses arguments exposés oralement ce matin dans cette salle implique,
21 de la part de la défense, l'idée que les arguments du Procureur ne
22 correspondent pas à la nature réelle de la situation. C'est la raison pour
23 laquelle la défense demande que l'ensemble du mémoire en appel soit rejeté
24 car non fondé.
25 Dans son exposé relatif à l'entreprise criminelle commune, l'accusation a
Page 140
1 commencé par comparer le Jugement de la Chambre de première instance et
2 l'arrêt de la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic. La défense, avec le
3 respect qu'elle doit au Tribunal, estime qu'il n'y a véritablement aucune
4 différence de fond entre les conclusions de la Chambre de première
5 instance et la teneur de l'arrêt Tadic.
6 La question qui se pose, en effet, consiste à se demander si le Jugement
7 de la Chambre de première instance reconnaît bien trois catégories
8 s'agissant de l'entreprise criminelle commune; indépendamment du fait que
9 les deux premières catégories entrent dans une catégorie fondamentale,
10 alors que la troisième est qualifiée d'"élargie".
11 Nous estimons que cette répartition en catégories, qu'il y en ait trois ou
12 qu'il y en ait deux -s'il y en a trois, je rappelle donc que les deux
13 premières sont considérées comme des aspects fondamentaux de l'entreprise
14 criminelle commune et que la troisième est considérée comme une catégorie
15 élargie-, la défense estime que ceci ne s'écarte pas de la jurisprudence
16 du Tribunal fondée sur l'arrêt Tadic.
17 S'agissant de confirmer la responsabilité et la participation à une
18 entreprise criminelle commune, la défense estime qu'effectivement, l'actus
19 reus et le mens rea sont des questions qui se posent. Autrement dit, deux
20 aspects de la question pour lesquels il appartient à l'accusation
21 d'apporter la preuve de leur existence.
22 S'agissant des éléments objectifs d'actus reus et des divers aspects de la
23 mens rea, qui appartiennent à deux catégories différentes de ces
24 catégories de l'entreprise criminelle commune, la défense estime que le
25 Jugement de la Chambre de première instance ne s'est pas écarté des
Page 141
1 aspects normalement appliqués pour établir ces faits.
2 Il est incontestable que dans l'arrêt Tadic également, auquel l'accusation
3 a fait référence, il est clair que l'existence d'une intention,
4 l'existence d'une conscience de l'acte est nécessaire pour établir
5 l'existence d'une entreprise criminelle commune.
6 Nous pensons donc que les conclusions de la Chambre de première instance
7 correspondent tout à fait à ce qui a été établi dans l'arrêt en appel de
8 l'affaire Tadic.
9 La question qui se pose est une question d'interprétation. Comment sont
10 interprétés les éléments subjectifs relatifs, donc "à l'intention"? Et de
11 ce point de vue, nous estimons que les positions de l'accusation sont
12 inacceptables car le mot "intention" est interprété de façon trop large,
13 et dès lors que nous entrons dans un domaine dont la défense estime qu'il
14 n'a rien à voir avec ce qu'il est demandé d'établir pour démontrer
15 l'existence d'une entreprise criminelle commune.
16 Il apparaît clairement à la défense que la Chambre de première instance
17 établit trois catégories d'association criminelle et que, ce faisant, elle
18 ne s'écarte pas non plus des conclusions de l'arrêt Tadic s'agissant de
19 cet élément subjectif dont la défense souhaite débattre ici.
20 S'agissant de la première catégorie d'association criminelle, il est
21 nécessaire qu'existe une intention de commettre un crime et il faut qu'il
22 y ait communauté de dessein de la part de tous les co-participants ou co-
23 auteurs -quel que soit le mot qu'on utilise-; ce qui importe, c'est
24 l'existence d'une intention de commettre le crime.
25 S'agissant de la deuxième catégorie, au-delà de la connaissance d'un
Page 142
1 système permettant de connaître un crime et en dehors du fait qu'il faut
2 qu'il y ait une intention…
3 Je vous prie de m'excuser, je viens d'entendre les interprètes me demander
4 de ralentir.
5 S'agissant donc de la troisième catégorie, la condition c'est qu'il y ait
6 volonté de participer à une activité criminelle commune...
7 M. le Président: Quelle est la deuxième catégorie? Vous étiez à la
8 deuxième catégorie. Excusez-moi, il me semblait que vous étiez passé à la
9 deuxième catégorie. Il me semble, oui. Je ne sais pas s'il y a eu la
10 traduction?
11 Vous pouvez reprendre la deuxième catégorie, s'il vous plaît? Merci.
12 M. Bakrac (interprétation): Oui, en effet. Merci, Monsieur le Président.
13 Je vais essayer de ne pas créer de confusion; je pensais que ce que
14 j'avais dit au sujet de la deuxième catégorie avait été interprété.
15 S'agissant de la deuxième catégorie, la condition c'est qu'au-delà de la
16 connaissance de l'existence d'un système malfaisant et de l'intention de
17 réaliser, de créer et d'exécuter ce système, donc le deuxième élément,
18 c'est qu'il faut qu'il y ait volonté d'appliquer ce système.
19 Quant à la troisième catégorie, il faut qu'existe une intention
20 malfaisante de la part d'un groupe et également une préparation; et il
21 faut participation à cette activité criminelle commune à l'ensemble du
22 groupe. Mais la responsabilité du crime qui n'a pas donné lieu à un accord
23 dans le cadre d'un plan commun… Lorsque toutes les circonstances réelles
24 sont prises en compte, le crime peut être exécuté par un individu ou par
25 un ensemble d'individus appartenant au groupe, mais la condition à remplir
Page 143
1 c'est que les conséquences de cette activité criminelle soient
2 prévisibles.
3 Dans le Jugement de la Chambre de première instance, il apparaît
4 clairement qu'on ne s'écarte pas de ce que le Procureur doit prouver pour
5 qu'un accusé puisse être déclaré coupable d'appartenance à une association
6 criminelle commune, à savoir qu'il y ait intention de sa part de commettre
7 le crime en question.
8 Dès lors que nous parlons d'"intention", il est possible que nous soyons
9 confrontés au problème de l'interprétation du mot et du concept
10 d'intention. La défense, de ce point de vue, voudrait s'efforcer de tirer
11 au clair ce qui, du point de vue de la défense, est le sens du mot
12 "intention" par rapport à la commission d'un tel acte. La participation de
13 la personne est indispensable et l'aspect subjectif de cette intention est
14 indispensable de façon à déterminer la gravité de l'acte commis.
15 S'agissant d'intention, nous estimons qu'il est indispensable de démontrer
16 qu'il existe la volonté que le crime ou les crimes couverts par les termes
17 "entreprise criminelle commune" soient admis comme étant ceux de la
18 personne concernée. Lorsqu'on parle de l'arrêt Tadic, la Chambre d'appel
19 s'est référée au camp de concentration d'Auschwitz où l'intention était
20 prouvée, c'est-à-dire la volonté des co-participants de commettre l'acte
21 en question, et où il a été souligné que s'il était impossible de prouver
22 que l'accusé s'était identifié réellement aux buts du système et du régime
23 nazi, les Juges l'ont considéré comme un co-auteur ou un co-participant
24 car il n'avait pas une intention spécifique de faire de l'acte criminel
25 son acte à lui.
Page 144
1 La défense, s'agissant des positions et de la thèse de l'accusation,
2 affirme qu'il existe une différence fondamentale entre l'intention de
3 participer à un groupe criminel commun et l'acceptation des actes qui sont
4 la conséquence de l'existence de cette entreprise criminelle commune.
5 C'est là donc que se situe la différence fondamentale entre la
6 participation à un groupe commun et le fait d'avoir aidé ou soutenu qui
7 constitue une forme de responsabilité au titre de l'Article 7.1 du Statut.
8 Donc, pour démontrer qu'un accusé a participé à la deuxième catégorie qui
9 qualifie l'entreprise criminelle commune, il est indispensable de prouver
10 que les actes commis sont des actes qui sont acceptés par l'accusé, des
11 actes que l'accusé souhaite faire siens.
12 Le Procureur n'est pas parvenu à apporter la preuve de cela dans son
13 exposé, il n'a présenté aucune preuve pertinente à cet égard. C'est la
14 raison pour laquelle nous estimons que le fait de dire que la Chambre de
15 première instance a fait erreur est inacceptable.
16 Nous estimons qu'il y a également, sur le plan des éléments objectifs,
17 absence de cohérence de la part du Procureur. Lorsque le Procureur parle
18 des conditions qu'il est indispensable de voir remplies pour qu'un accusé
19 puisse être accusé sur la base de participation à une entreprise
20 criminelle commune, le Procureur doit également prouver qu'il s'agit d'un
21 acte d'une importance grande dans le plan élaboré par l'entreprise
22 criminelle commune parce qu'un co-auteur est quelqu'un qui participe tout
23 de même à la commission de l'acte. Mais il faut qu'il y ait lien avec les
24 actes des autres membres de cette entreprise commune, un lien qui réside
25 dans un complément d'action.
Page 145
1 Nous estimons également, en nous fondant sur l'arrêt Celebici, qu'il
2 importe également de prouver qu'il n'y a pas seulement participation
3 consciente à un système général, mais qu'il faut apporter des preuves
4 allant au-delà de cela. Nous estimons, de ce point de vue, que le
5 Procureur devait apporter des preuves complémentaires. Il faut qu'il y ait
6 preuve de participation fondamentale à l'acte en question, de notre point
7 de vue.
8 M. le Président: Le Juge Güney veut poser une question.
9 M. Güney: Maître Bakrac, j'essaie de vous suivre de très près; et vous
10 avez parlé de trois catégories dans le cadre de l'entreprise criminelle
11 commune. La première est l'intention de commettre le crime et la
12 communauté de desseins. Comme deuxième, vous avez dit: la volonté
13 d'appliquer ou de suivre cette intention.
14 Mais je n'ai pas bien saisi quelle était la troisième. Vous avez parlé des
15 conséquences de crimes qui doivent être prévisibles et de choses
16 pareilles, mais je n'ai pas saisi exactement quelle était la troisième
17 catégorie que vous vouliez soumettre à l'intention de la Chambre d'appel.
18 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la
19 troisième catégorie de la participation à l'entreprise criminelle commune
20 est la conscience commune et la volonté commune de commettre le crime.
21 Mais le crime en question est une conséquence logique et prévisible du
22 système dans lequel on se trouve. C'est pour cette raison que nous
23 estimons justifié de distinguer cette troisième catégorie par rapport aux
24 deux autres en parlant de "catégorie élargie", alors que les deux
25 premières sont, pour l'essentiel, identiques, mais leur objet est
Page 146
1 différent. La deuxième, notamment, s'intéresse aux problèmes qui
2 surviennent dans les camps de concentration, donc dans le cadre d'un
3 système particulier.
4 Dans la troisième catégorie, la conséquence de l'exécution de cette
5 entreprise criminelle commune est prévisible, et c'est l'aspect… le
6 deuxième aspect, alors que le premier, c'est le crime en tant que tel.
7 Donc, sur la base des arguments présentés par elle, la défense estime que
8 cette deuxième catégorie de participation à l'entreprise criminelle
9 commune ne s'applique pas en l'espèce, ne s'applique pas à l'affaire qui
10 intéresse cette Chambre d'appel, et qu'il en est notamment ainsi car le
11 Procureur n'a pas proposé dans son exposé d'arguments susceptibles, au-
12 delà de tout doute raisonnable, d'aboutir à la conclusion que l'accusé
13 partageait effectivement l'intention dont il est question, c'est-à-dire
14 qu'il a été un intervenant important au fonctionnement du KP Dom.
15 La défense estime qu'il est indispensable de prouver, au-delà de tout
16 doute raisonnable, le fait qui est le suivant, à savoir que les actes
17 commis dans le cadre de cette entreprise criminelle commune étaient des
18 actes auxquels l'accusé s'identifiait, qu'il prenait à son compte.
19 Selon le premier motif d'appel du Procureur, il est question d'une
20 prétendue erreur de la Chambre de première instance sur la question de la
21 nécessité d'un accord. Et le Procureur a interprété oralement la
22 situation, en disant que l'accusation avait pour devoir de prouver dans
23 toutes les affaires que chacun des accusés, en même temps que l'auteur
24 principal du crime ou en même temps que les co-auteurs, partageait cette
25 intention, cette conscience du crime qui allait être commis.
Page 147
1 La défense estime que les dispositions de l'arrêt Tadic auxquelles le
2 Procureur fait référence font apparaître clairement que les trois
3 catégories de l'entreprise criminelle commune existent, et que l'une des
4 conditions pour prouver la responsabilité d'un accusé dans le cadre de
5 cette entreprise criminelle commune consiste à être un auteur principal ou
6 un co-auteur.
7 La simple intention de participer, lorsqu'elle existe, indique bien que
8 l'ensemble des membres de l'entreprise criminelle commune partage le même
9 dessein. Mais le Procureur a donné un exemple dans ses écritures, et cet
10 exemple intervertit l'ordre des facteurs. En effet, le Procureur déclare
11 que les personnes qui ont commis le crime, qui ont planifié le crime,
12 lorsqu'il s'agit d'un crime planifié et prévu à l'avance, sont des auteurs
13 indirects; ce qui crée une confusion juridique et permet une
14 interprétation erronée du terme "auteur principal".
15 Nous disons donc que l'existence de cette intention commune, de ce dessein
16 commun -pour qu'il y ait entreprise criminelle commune- est une réalité,
17 mais que l'ordre des facteurs est interverti par le Procureur puisque,
18 lorsque l'auteur principal n'est pas conscient de l'existence du dessein,
19 il a une responsabilité inférieure.
20 Or en l'espèce, on intervertit les facteurs puisqu'on ne parle pas ici de
21 co-auteur, puisque les auteurs en question sont simplement des outils
22 entre les mains de celui qui a ordonné le crime et ils ont simplement
23 commis un acte qui ne les exonère pas de leur responsabilité mais n'est
24 pas la même que celui de la personne qui a planifié le crime.
25 Du point de vue du droit pénal, on admet donc que le point de départ
Page 148
1 consiste à établir la responsabilité criminelle d'une ou plusieurs
2 personnes, et nous estimons donc que l'exemple cité par le Procureur n'est
3 pas un bon exemple.
4 La défense -dans sa réponse au mémoire du Procureur- a cité un exemple
5 susceptible de démontrer à quel point cette thèse de l'accusation est
6 inacceptable et inapplicable, infondée. Si un enfant, qui n'a pas encore
7 14 ans, recevait de son père l'instruction de commettre un acte criminel,
8 alors qu'il n'est pas conscient qu'il s'agit d'un acte criminel, cela
9 signifierait que -dans la logique du Procureur- celui qui a donné
10 l'instruction, c'est-à-dire le père ou un quelconque autre adulte n'est
11 pas responsable, car le degré de conscience de l'enfant et de l'adulte
12 n'est pas égal. Nous estimons que cette position est inacceptable et
13 qu'elle ne peut pas servir d'argument pour déclarer que le Jugement de la
14 Chambre de première instance dans la présente affaire est erroné.
15 Compte tenu de tout ce qui vient d'être dit, nous estimons que le Jugement
16 de la Chambre de première instance ne comporte pas d'erreur du point de
17 vue de la conclusion selon laquelle l'accusé ne peut pas être tenu
18 responsable au titre de l'Article 7.1, en tant que participant à une
19 entreprise criminelle commune, pas plus d'ailleurs qu'en vertu de la
20 deuxième catégorie.
21 S'agissant de cette prétendue erreur de la Chambre de première instance,
22 nous estimons que l'accusation, en déclarant que l'intention et le motif
23 ont été mis sur pied d'égalité, fait également erreur. Bien sûr, le motif
24 n'est pas au même niveau que l'intention, mais il est tout de même
25 important pour déterminer le but poursuivi par l'auteur. Le motif n'est
Page 149
1 pas un élément constitutif du crime, mais en tout état de cause le motif
2 est bien la voie qui permet de déterminer avec précision la véritable
3 intention de l'auteur d'un crime.
4 Nous estimons que l'exemple donné par l'accusation à cet égard, lorsqu'ils
5 déclarent que la Chambre de première instance est partie du motif et que
6 le motif recouvre l'aspect fondamental du crime, nous estimons que ceci
7 est également inacceptable. Et nous pensons que la position du Procureur
8 s'agissant de la participation à l'entreprise criminelle commune fondée
9 sur cet argument est inacceptable et doit donc être rejetée.
10 Si vous n'avez pas de question, je peux poursuivre et passer au deuxième
11 motif d'appel.
12 M. Shahabuddeen (interprétation): Monsieur Bakrac, je vous suis redevable
13 de cette excellente argumentation que vous nous avez présentée. Mais je
14 vous demande toutefois de nous dire si vous pouvez nous aider sur le point
15 suivant: une distinction est établie entre la simple connaissance d'une
16 intention de commettre un crime et le fait de partager cette intention.
17 Nous parlons ici du KP Dom et d'un homme qui était le directeur de ce KP
18 Dom. Nous partons du principe que cet homme connaissait l'existence d'une
19 intention de commettre un crime. Je pense que votre position consiste à
20 dire que cet homme ne partageait pas l'intention de commettre le crime en
21 question.
22 Estimez-vous que, dans les conditions en vigueur au KP Dom, il y aurait
23 une quelconque difficulté à dire que le directeur connaissait l'intention
24 de ses subordonnés de commettre un crime sur la personne des détenus du KP
25 Dom, mais qu'il ne partageait pas leur intention? Est-ce que vous voyez
Page 150
1 une difficulté à dire cela?
2 M. Bakrac (interprétation): Monsieur le Juge, la défense estime que le
3 Procureur n'a pas prouvé, au-delà du doute raisonnable, le fait que
4 l'accusé avait pleinement conscience des intentions réelles des auteurs du
5 crime. C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'il ne pouvait pas,
6 de fait, partager leur intention et en faire une intention commune.
7 Du reste, la Chambre d'appel a à traiter des questions, des points ou des
8 chefs de l'Acte d'accusation pour établir les modalités de la connaissance
9 qu'avait l'accusé des circonstances objectives par rapport à ce qui avait
10 été ses actes et ses omissions. Par conséquent, nous estimons qu'il n'a
11 pas été déterminé, au delà de tout doute raisonnable, le fait que l'accusé
12 savait -mis à part le contexte du conflit- quelle était l'intention de
13 l'auteur principal. Il est clair que, dans des conditions analogues,
14 l'accusé avait des connaissances afférentes au conflit, mais -hors du
15 contexte du conflit qui existait dans la région- nous nous estimons qu'il
16 n'a pas été déterminé, au-delà de tout doute raisonnable, quelles avaient
17 été les intentions des auteurs principaux.
18 Donc nous estimons que, mis à part cette participation à l'entreprise
19 criminelle commune, en sus de la conscience, du moins c'est l'opinion de
20 la défense que de dire que l'accusé devait partager cette intention, être
21 d'accord avec ces intentions et avec ces faits pour en faire des
22 intentions qui seraient les siennes.
23 M. Shahabuddeen (interprétation): Voyons si j'ai bien compris ce que vous
24 venez d'exposer. Maintenant, je comprends votre situation de la façon
25 suivante. Parlons, si vous le voulez bien, de la défense. La défense donc
Page 151
1 conteste aussi bien la connaissance que le partage de l'intention, c'est
2 bien cela?
3 M. Bakrac (interprétation): Oui Monsieur le Juge.
4 M. Shahabuddeen (interprétation): Je vous remercie.
5 M. Bakrac (interprétation): Puis-je continuer?
6 M. le Président: Oui.
7 M. Bakrac (interprétation): Je vous remercie.
8 Messieurs les Juges, s'agissant du deuxième motif d'appel du Procureur, la
9 défense se propose de parler de ce deuxième motif, indépendamment du fait
10 d'avoir vu le Procureur nous avoir fait savoir clairement qu'il exigeait
11 la suppression ou la révision du Jugement de la Chambre de première
12 instance.
13 Nous estimons que la Chambre de première instance a, à très juste titre,
14 décidé lorsqu'elle a pris une décision disant que l'Acte d'accusation a
15 déterminé que l'accusé était intervenu de concert avec d'autres, pour ce
16 qui est des tortures, des persécutions et de la réduction en esclavage.
17 Alors, l'accusation a identifié cette deuxième catégorie dont nous avons
18 parlé; mais, dans ses actes, elle n'a pas défini le fait de prendre appui
19 sur une troisième catégorie de participation à l'entreprise criminelle
20 commune.
21 Aussi, estimons-nous que la Chambre de première instance a décidé, à très
22 juste titre, que l'on commettrait une injustice si on laissait le
23 Procureur prendra appui sur une forme élargie de l'entreprise criminelle
24 commune qui n'est pas mentionnée à l'Acte d'accusation mais que l'on a
25 laissé entendre dans le mémoire préalable du Procureur.
Page 152
1 Maintenant, pour ce qui est de la position prise par l'accusation, nous
2 estimons que cette position est erronée. Nous estimons que l'accusation
3 devrait bénéficier d'un certain degré de souplesse pour ce qui est de la
4 formulation des Actes d'accusation, mais cela est tout à fait contraire au
5 plaidoyer du Procureur, au plaidoyer initial pour ce qui est d'avoir un
6 corps rationnel sur le plan du droit, pour ce qui est des actes à
7 présenter dans la procédure devant ce Tribunal.
8 En effet, le Procureur, dans son appel, reconnaît que la pratique
9 habituelle impose de faire savoir à l'accusé de façon tout à fait claire
10 quelle est la nature et quelles sont les motivations qui ont animé la
11 rédaction d'un Acte d'accusation à son encontre.
12 Donc il est tout à fait clair que l'obligation du Procureur consistait à
13 faire en sorte que, dans l'Acte d'accusation, il soit précisé avec
14 exactitude, sans ambiguïté aucune, que l'on se référait à une troisième
15 forme d'entreprise criminelle commune, chose que le Procureur n'a pas
16 faite.
17 Cette position indique donc qu'il n'a pas été porté à la connaissance de
18 l'accusé quels sont les fondements qui lui sont reprochés pour ce qui est
19 de la réalisation d'une entreprise criminelle commune. Le fait d'accuser
20 quelqu'un partant d'une responsabilité élargie pour ce qui est de la
21 participation à une entreprise criminelle commune, implique la nécessité
22 pour l'accusé de savoir quels sont les crimes qui ne font pas partie de ce
23 plan concerté et qui sont la conséquence prévisible de ce qui est réalisé
24 pour harmoniser ces méthodes de défense avec les moyens utilisés dans
25 l'Acte d'accusation.
Page 153
1 Il est clair que cette forme élargie de responsabilité à l'égard de
2 l'entreprise criminelle commune devrait faire en sorte que l'accusé sache
3 d'avance quelle est la nature des actes qui lui sont reprochés.
4 Ce sont précisément les raisons pour ce qui est de la terminologie et de
5 la logique qui doivent sous-entendre ce qui doit constituer l'Acte
6 d'accusation rédigé à son encontre. La défense estime que cette forme
7 élargie de responsabilité à l'égard de l'entreprise criminelle commune
8 devait être clairement indiquée parce que cela constituait la nature, la
9 forme et les motivations de ce qui était porté à l'encontre d'une personne
10 qui est, en l'occurrence, l'accusé.
11 L'Acte d'accusation -nous le soulignons également- a, à deux reprises, été
12 renvoyé à des rédactions complémentaires. Et à l'occasion d'une décision
13 prise à l'occasion d'une troisième objection formulée par la défense, la
14 Chambre de première instance a fait savoir qu'en dépit du fait que l'Acte
15 d'accusation n'avait pas été précisé à titre définitif, cela allait avoir
16 des conséquences pour ce qui est de la décision finale de cette Chambre.
17 Aussi estimons-nous inacceptable la position du Procureur disant que la
18 défense a omis de réagir en temps utile, pour ce qui est de l'absence de
19 cette forme-là de rédaction de l'Acte d'accusation.
20 La défense se référerait à une logique qui dirait ce qui suit: s'il y a eu
21 omission de la part du Procureur de faire figurer à l'Acte d'accusation à
22 quelle forme exactement d'entreprise criminelle commune elle se référait
23 et que, par la suite, cela débouche sur le fait d'avoir, dans un jugement…
24 de porter à la connaissance de l'accusé qu'il ne pourrait être porté
25 coupable sur un élément qui n'est pas contenu dans l'Acte d'accusation.
Page 154
1 Nous estimons donc que la défense avait pour obligation d'attirer en temps
2 utile l'attention du Procureur sur l'omission faite. Or la défense n'a pas
3 pour rôle d'aggraver la position de l'accusé. Aussi estimons-nous que
4 cette position prise par le Bureau du Procureur est tout à fait
5 inacceptable. Nous estimons donc qu'il fallait clairement porter à la
6 connaissance de quelle forme d'entreprise criminelle commune il
7 s'agissait, ou de ce qui était porté à la charge de l'accusé. Dans l'Acte
8 d'accusation, on doit indiquer la nature et les motifs des éléments à
9 charge, et cela doit laisser entendre à l'accusé la possibilité de se
10 préparer de façon appropriée pour sa défense.
11 Je me propose de terminer par dire ce que j'avais à dire concernant le
12 deuxième volet des motifs d'appel, le deuxième moyen du motif d'appel.
13 Donc pour ce qui est du troisième motif d'appel du Procureur, pour ce qui
14 est donc des erreurs de la Chambre de première instance pour ce qui est
15 des chefs de mauvais traitements afférents aux mauvais traitements, la
16 défense souhaite dire que l'accusé n'avait pas de position de supérieur,
17 ou plutôt de responsable, à l'égard des gardes qui assuraient la garde des
18 détenus non serbes, et qu'il n'exerçait pas de contrôle à l'égard de leurs
19 actes et n'était pas en mesure de punir.
20 La défense estime que si l'accusé avait exercé ce type de contrôle à
21 l'égard des gardes et des détenus non serbes pour ce qui est des crimes
22 commis, nous estimons que, partant des faits établis par la Chambre de
23 première instance, il ne saurait être conclu, au-delà de tout doute
24 raisonnable, que l'accusé devrait être jugé coupable en vertu des Articles
25 3 et 7 du Statut et des Articles 2 et 4. Aussi estimons-nous que les
Page 155
1 propos du Procureur sont erronés et que les constatations de la Chambre de
2 première instance sont tout à fait justifiées.
3 La défense a également souligné quelles sont les déficiences, les carences
4 légales pour ce qui est des arguments présentés à la Chambre de première
5 instance, pour ce qui est de la connaissance qu'avait l'accusé des
6 passages à tabac au sein du KP Dom.
7 On a avancé trois exemples de passage à tabac qui ont été constatés par la
8 Chambre de première instance et qui, en vertu des positions du Procureur,
9 devraient servir de preuves suffisantes illustrant pour l'accusé le fait
10 qu'il avait connaissance d'actes perpétrés au sein du KP Dom qui
11 constituent un crime de mauvais traitements. Nous parlons ici d'exemples
12 qui ont été jugés par la Chambre de première instance comme étant
13 déterminés. Et le Procureur se réfère précisément à ces trois exemples
14 lorsqu'ils affirment que l'accusé avait une responsabilité qui ne fait pas
15 l'ombre d'un doute raisonnable, pour ce qui est de sa connaissance des
16 mauvais traitements exercés ou commis au sein du KP Dom.
17 Pour ce qui est de ce premier exemple au sujet de ces allégations -il
18 parle des conséquences de ces passages à tabac sur la condition physique
19 des détenus-, la défense estime que le Procureur ne saurait se fonder sur
20 ce type de motif parce qu'il a été déterminé, au-delà de tout doute
21 raisonnable, que les Musulmans détenus au KP Dom pendant toute la période
22 où l'accusé avait occupé les fonctions qui avaient été les siennes étaient
23 des Musulmans que l'on faisait venir avec des traces de passage à tabac ou
24 de participation au combat, donc ils portaient sur leur corps des traces
25 physiquement visibles des traitements qu'ils avaient subi.
Page 156
1 Le fait d'avoir été tabassés ou passés à tabac ne laissait pas à l'accusé
2 la possibilité de savoir si ces passages à tabac étaient effectués au KP
3 Dom; et nous avons estimé que l'accusé ne pouvait pas être jugé pour
4 passages à tabac. Et nous estimons que cela pourrait encore moins servir
5 de motif au Procureur pour affirmer que l'accusé devait et pouvait être au
6 courant de ce délit pénal de mauvais traitements infligés aux détenus.
7 Il est des éléments de preuve disant que des non Serbes ont été amenés au
8 KP Dom avec des blessures physiques qui étaient visibles dès leur arrivée.
9 Cet élément de preuve ne saurait alarmer l'accusé dans la mesure qui est
10 exigée par la réglementation de ce Tribunal.
11 Il est un exemple autre qui est afférent au témoin RJ, qui a été mentionné
12 par le Procureur ce matin dans son exposé des arguments devant la Chambre.
13 Il est précisé que l'accusé aurait été informé des passages à tabac de non
14 Serbes, et on disait que l'on pouvait entendre les cris, les gémissements
15 en provenance du bâtiment administratif. Si l'on ne tient compte que de
16 cette partie-là des dires du témoin RJ, la défense est d'avis que ce même
17 témoin a affirmé que l'accusé, lui, avait affirmé ne pas être compétent en
18 la matière mais qu'il allait se renseigner.
19 La défense estime qu'il serait logique de dire que ce que le témoin a dit
20 à l'accusé n'était pas nécessairement vrai, et l'accusé n'avait pas pour
21 obligation d'accepter, au-delà de tout doute raisonnable, cette
22 information sans réserve. La défense estime donc qu'il n'avait pas
23 l'obligation de vérifier ce type d'information. Et nous estimons que
24 l'utilisation de cet exemple ne confirme pas, au-delà de tout doute
25 raisonnable, le fait qu'il s'agissait là d'une information alarmante qui
Page 157
1 devait nécessairement impliquer la prise de mesure au niveau de la
2 conduite d'une enquête.
3 Pour ce qui est de l'exemple d'Ekrem Zekovic, nous estimons que la
4 constatation de la Chambre de première instance n'est pas propre à être
5 considérée comme fondement ou comme justification pour estimer que
6 l'accusé disposait d'informations suffisantes lui permettant de savoir
7 qu'au KP Dom il était procédé à des passages à tabac. La défense voudrait
8 également souligner que l'incident du passage à tabac d'Ekrem Zekovic et
9 l'incident que l'on a constaté être survenu le 8 ou le 9 juillet 1993
10 -date à laquelle l'accusé n'était plus directeur de cette prison, étant
11 donné que la décision du ministre de la Justice avait mis un terme à ses
12 fonctions à compter du 1er juillet 1993, mais cela fera encore l'objet
13 d'une argumentation présentée par la défense dans son appel-, ce que nous
14 estimons nécessaire de souligner à présent, c'est la chose suivante:
15 quelques jours avant de voir l'accusé quitter le KP Dom, on voudrait
16 laisser entendre que l'accusé avait, à titre rétroactif, l'obligation de
17 conduire des enquêtes concernant des délits perpétrés. Une information
18 isolée de ce type est donc une information qui lui est communiquée vers la
19 fin de son séjour au KP Dom. Cela n'était pas forcément de nature à
20 l'inciter à conduire des enquêtes sur ce qui s'est passé ultérieurement.
21 Aussi estimons-nous qu'une telle argumentation avancée par le Bureau du
22 Procureur ne saurait en aucun cas être admise. Cette information isolée ne
23 saurait donc être admise à titre rétroactif et être mise à charge de
24 l'accusé disant que, parce qu'il savait que Zekovic avait été passé à
25 tabac le 8 ou le 9 juillet dans une intention répréhensible, cela ne
Page 158
1 saurait être de nature à l'alarmer ou à le rendre responsable de tout ce
2 qui a été commis comme délits auparavant dans ce KP Dom.
3 En sus, nous estimons que l'incident survenu ne pouvait pas a priori
4 laisser entendre à l'accusé qu'il s'agissait de passages à tabac pour des
5 raisons répréhensibles, pour punir des fugitifs. Il s'agissait d'Ekrem
6 Zekovic, un fugitif qui a été battu, passé à tabac par un garde, Burilo.
7 Le Procureur n'a par conséquent pas démontré, au-delà de tout doute
8 raisonnable, que quand bien même l'accusé aurait conduit une enquête, il
9 lui aurait été donné de savoir que ce passage à tabac avait pour objectif
10 un dessein répréhensible.
11 Ce que la défense voudrait souligner ici, c'est que le Bureau du Procureur
12 procède de façon élargie à une interprétation des normes adoptées du point
13 de vue de la détermination de la responsabilité de l'accusé. Nous estimons
14 que, compte tenu du fait que l'accusé avait éventuellement des
15 connaissances, la connaissance de passages à tabac, le Bureau du Procureur
16 ne saurait a priori conclure qu'au cas où il aurait fait une enquête, il
17 lui aurait été possible de constater ou de déterminer que ces passages à
18 tabac avaient des desseins répréhensibles. Ce sont là des suppositions,
19 des hypothèses dont le Bureau du Procureur n'a pas souhaité s'occuper, et
20 nous estimons que ce motif d'appel du Bureau du Procureur doit tout aussi
21 bien rejeté comme les motifs précédents.
22 M. le Président: Monsieur le Juge Güney va intervenir.
23 M. Güney: Maître Bakrac, dans le cadre des motif 3 et 4, vous avez dit que
24 l'accusé ne détenait pas de pouvoir sur les gardiens, ne détenait pas de
25 pouvoir au-delà de… pour prévenir les actes qui étaient les actes
Page 159
1 criminels qui ont été commis. Donc ses pouvoirs, ainsi que ses
2 prérogatives, étaient très limités.
3 Est-ce que vous pouvez aborder les pouvoirs et les prérogatives de
4 l'accusé en tant que directeur de KP Dom, du côté positif? Quels étaient
5 exactement, selon la défense, les pouvoirs et les prérogatives de l'accusé
6 en tant que directeur de KPD, du KP Dom? Vous pouvez énumérer sommairement
7 quels étaient les pouvoirs qu'il détenait en tant que directeur.
8 M. Bakrac (interprétation): Messieurs les Juges, avec votre permission, je
9 me proposerai d'essayer d'apporter une réponse à cette question, quoique
10 la défense ait déjà traité de cette question-là dans son premier motif
11 d'appel, dans son appel à elle.
12 Il est des déclarations de témoins, tant du Bureau du Procureur que du
13 conseil de la défense, ainsi que des éléments de preuves matériels qui
14 indiquent qu'une partie du KP Dom avait été louée aux militaires, aux
15 autorités militaire et où, pour les besoins de la détention de Musulmans à
16 savoir de civils non serbes, cela a été fait. Il y a des éléments de
17 preuve matériels que la défense a essayé de présenter à la Chambre de
18 première instance pour indiquer que l'accusé n'avait exercé aucune
19 attribution sur cette partie-là du KP Dom.
20 Il y a peut-être eu un malentendu, du point de vue de dire que la défense
21 n'a pas plaidé, n'a pas affirmé qu'il y avait un partage clair, un partage
22 physique clair et net. Mais ce fait peut être constaté du point de vue des
23 attributions réelles et de l'autorité qu'avait exercées l'accusé dans le
24 cadre de cet établissement.
25 La défense a proposé à la Chambre de première instance toute une série
Page 160
1 d'éléments de preuve illustrant le fait que l'emprisonnement relevait des
2 autorités militaires, que les autorités militaires avaient pour compétence
3 l'établissement de listes des personnes et qui déterminaient quelles
4 personnes pouvaient être relâchées et quand.
5 Maintenant, pour ce qui est des autorisations afférentes aux visites,
6 c'étaient encore les autorités militaires qui les fournissaient; la
7 défense l'a montré avec bon nombre d'exemples.
8 Donc il n'y a eu aucun élément de preuve matériel avancé par le Bureau du
9 Procureur au terme duquel l'accusé aurait joué quelque rôle que ce soit
10 dans l'organisation d'une partie, de la partie du KP Dom où l'on avait
11 détenu des Musulmans, des membres de ce groupe ethnique musulman; et il
12 n'avait exercé aucune autorité dans cette partie-là.
13 Dans ses arguments oraux, la défense se propose d'indiquer le nombre de
14 ces éléments de preuve qui, en tant que tels et dans l'ensemble avec les
15 autres éléments de preuve, indiquent qu'il y a eu absence de supériorité
16 et absence d'attributions de l'accusé sur cette partie-là du KP Dom. Et
17 vous me permettrez de dire le fait qu'il n'avait exercé aucune autorité à
18 l'égard des Musulmans détenus et à l'égard des autorités militaires en
19 place.
20 M. Schomburg (interprétation): Juste une petite question complémentaire.
21 J'estime que nous devons toujours garder à l'esprit le fait que nous
22 sommes une Chambre d'appel et que nous sommes tenus en principe par les
23 faits déterminés par la Chambre de première instance.
24 Et je dirai que vous ne perdiez pas de vue la conclusion de la Chambre de
25 première instance au paragraphe 107 où l'on dit que l'accusé avait exercé
Page 161
1 une autorité de supérieur à l'égard du personnel subordonné et des détenus
2 au KP Dom.
3 Toutefois, j'en reviendrai maintenant à la question soulevée, la question
4 posée par mon éminent collègue le Juge Güney. Au paragraphe 98, la
5 question posée était celle de savoir si la Chambre est arrivée à cette
6 conclusion de la façon appropriée; et on y dit ce qui suit: la nomination
7 par le ministère de la Défense existe, et la Chambre de première instance
8 n'a pas nécessairement reçu tous les documents dont elle aurait eu besoin.
9 Je cite donc le paragraphe 98: "La défense a déclaré qu'elle essaierait
10 d'obtenir les documents sur lesquels se basait le ministère de la Défense,
11 et qu'elle solliciterait l'admission du certificat. Ces documents n'ont
12 jamais été produits, et la défense n'a plus jamais tenté de verser le
13 certificat au dossier. La Chambre de première instance tient compte de ces
14 circonstances, ainsi que d'autres faits, dans ses conclusions". (Fin de
15 citation.)
16 Ma question est la suivante: la défense n'est-elle pas d'avis que
17 présenter des arguments dans un domaine aussi circonscrit fera passer la
18 charge de la preuve des épaules du Procureur sur celles de la défense? Et
19 la question que je vous pose par ailleurs est la suivante: est-ce que,
20 dans les conclusions au sujet des faits, vous avez trouvé quelque chose
21 qui étaye votre exposé juridique?
22 M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Juge. Je n'aimerais pas me
23 répéter, et je pense que la défense, s'agissant de ces éléments de preuve,
24 les a abondamment présentés dans son mémoire. Donc de très nombreux
25 éléments de preuve existent qui permettent de contester la décision de la
Page 162
1 Chambre de première instance. La charge de la preuve reposait sur les
2 épaules du Procureur qui devait prouver la responsabilité de jure, mais
3 également la responsabilité de facto de l'accusé.
4 J'ai déjà abordé le troisième motif d'appel du Procureur lié à la forme de
5 l'Acte d'accusation. Et la Chambre de première instance a prévenu
6 l'accusation qu'elle ne pourrait pas s'appuyer uniquement sur ce titre de
7 "directeur de prison", mais qu'il fallait qu'elle parvienne à apporter la
8 preuve du pouvoir effectif exercé par l'homme en question.
9 La défense, pour sa part, a entrepris de prouver l'innocence de l'accusé
10 en montrant qu'en dehors de son rôle de jure, il fallait également traiter
11 du rôle de facto exercé par cet homme, et que ce rôle de facto n'existait
12 pas compte tenu de l'existence d'une double chaîne de commandement, parce
13 que -et la défense a apporté des éléments de preuve pour le démontrer-
14 l'accusé a été nommé à son poste de directeur par le ministère de la
15 Justice. Or la partie du KP Dom où les non Serbes étaient enfermés était
16 cette partie du bâtiment louée à l'armée et où s'exerçait donc le pouvoir
17 d'autres personnes que des membres du ministère de la Justice.
18 Par ailleurs, la défense, par le témoignage de gardiens qui ont témoigné
19 devant la Chambre, a produit des éléments de preuve qui démontrent que
20 même les gardiens chargés de la sécurité au KP Dom étaient nommés par le
21 pouvoir militaire. C'est la raison pour laquelle la défense affirme que
22 l'accusé n'avait pas d'autorité sur les gardiens et n'avait, en fait,
23 aucun moyen de punir les gardiens pour une quelconque transgression ou un
24 quelconque acte délictueux dont il aurait été informé.
25 M. Schomburg (interprétation): Je souhaitais simplement vous alerter quant
Page 163
1 à un fait qui pouvait être favorable à votre client, et je vous prévenais
2 de ne pas faire passer la charge de la preuve sur vous en la reprenant au
3 Procureur. Merci.
4 M. le Président: Allez-y.
5 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
6 S'agissant du quatrième motif d'appel "le meurtre", la défense estime
7 -comme c'était le cas pour le motif précédent- que l'accusation s'appuie
8 sur des suppositions, sur des indices en s'efforçant d'aggraver les
9 informations qui étaient éventuellement à la disposition de l'accusé pour
10 en faire des informations alarmantes susceptibles de constituer un mens
11 rea, une intention délictueuse, s'agissant de la commission d'actes
12 relevant de l'Article 7.3 du Statut.
13 Donc s'agissant des deux précédents motifs d'appel de l'accusation, où
14 j'ai parlé de conception exagérément élargie et de transfert de la charge
15 de la preuve, eh bien, nous estimons que ces arguments sont également
16 valables pour le motif d'appel dont nous parlons en ce moment.
17 Dans son mémoire, le Procureur cite la conclusion de la Chambre de
18 première instance quant à la position occupée par l'accusé, considéré
19 comme un homme exerçant une certaine autorité au KP Dom, et il a déjà été
20 dit que la partie du KP Dom relevant de l'armée, louée à l'armée, n'avait
21 que peu d'influence sur la hiérarchie du KP Dom.
22 Cette expression "peu d'influence", nous estimons pour notre part que
23 cette expression n'est pas correcte car, de notre avis, cette partie louée
24 à l'armée du KP Dom jouait tout de même un rôle, un certain rôle du point
25 de vue du pouvoir exercé.
Page 164
1 Donc, il faut se demander si, s'agissant de la détermination de
2 l'intention délictueuse vis-à-vis de la détermination de la responsabilité
3 au terme de l'Article 7.3, il faut se demander quelle était la nature
4 exacte de la formation reçue par l'accusé. Donc cette question a déjà été
5 posée précédemment et elle s'applique également vis-à-vis de ce motif
6 d'appel.
7 Le nombre de renseignements obtenus par l'accusé, renseignements alarmants
8 que nous avons évoqués en réponse aux troisième et quatrième motifs
9 d'appel, nous estimons que, eu égard au cinquième motif d'appel du
10 Procureur, les mêmes remarques s'appliquent.
11 L'accusation s'est appuyée sur les conclusions de la Chambre de première
12 instance en rappelant que l'accusé a été directeur du KP Dom pendant 15
13 mois, et que les abus qui ont été commis dans l'espace et dans le temps
14 peuvent lui être imputés puisque, d'après le Procureur, il avait des
15 informations suffisantes en nombre pour agir sur ce qui se passait au KP
16 Dom.
17 La Chambre de première instance a également établi que 26 meurtres ont été
18 commis pendant une période relativement brève, qui va de la fin juillet au
19 début du mois d'août 1992. Bien sûr, la défense sait bien que ces crimes
20 ont eu des conséquences concrètes sur lesquelles elle ne va pas revenir,
21 mais elle tient à souligner que c'est pratiquement au cours de deux ou
22 trois soirées de la fin juillet et du début août 1992 que ces crimes ont
23 été commis.
24 Les faits évoqués ne démontrent pas, compte tenu de l'absence d'étendue
25 dans le temps et dans l'espace, pour pouvoir être liés par l'accusé aux
Page 165
1 quelques renseignements alarmants qu'il avait reçus, d'autant plus que ces
2 crimes ont été commis en soirée, donc la nuit, lorsqu'il a été confirmé
3 que l'accusé ne séjournait pas au KP Dom.
4 Donc, en soi, ceci ne suffit pas à parvenir à la conclusion selon laquelle
5 l'accusé disposait d'informations suffisantes pour l'alerter au moins
6 quant aux risques de voir ses subordonnés commettre un certain nombre de
7 crimes.
8 L'élément supplémentaire, quant à lui, élément invoqué par l'accusation
9 comme une preuve éventuelle du fait que les crimes en question ont bien
10 été commis dans la période pertinente au KP Dom, eh bien, ces éléments
11 supplémentaires ne permettent pas non plus d'aboutir à la conclusion que
12 l'accusé disposait d'un nombre suffisant d'informations directes et
13 alarmantes quant à la réalité en question.
14 Le Procureur s'appuie sur des éléments complémentaires, des indices. Il
15 parle d'une voiture qui avait un tuyau abîmé, présentant des signes… des
16 traces de sang. Le lendemain, il évoque les bruits que l'on entendait, des
17 bruits de balles, le fait que des corps étaient enlevés dans le bâtiment à
18 certains moments. Il parle d'impacts de balles dans les murs du bâtiment
19 administratif. Eh bien, tous ces éléments sont des indices qui ne
20 pouvaient pas constituer pour l'accusé une information suffisante et
21 suffisamment alarmante pour penser que des crimes étaient commis au KP
22 Dom.
23 En particulier, le Procureur n'a pas démontré que l'accusé, même s'il
24 avait accès à toutes les parties du KP Dom, connaissait vraiment
25 l'existence de ces indices. Le fait que des cadavres aient été déplacés la
Page 166
1 nuit lorsque lui-même n'était pas au KP Dom, n'a pas nécessairement été
2 porté à son attention. Les impacts de balles sur les murs du KP Dom ne
3 devaient pas nécessairement constituer une information suffisamment
4 alarmante à ses yeux pour lui permettre de penser que des crimes étaient
5 commis au KP Dom. Les bruits de revolver entendus la nuit, alors qu'il
6 était absent, ne peuvent pas non plus constituer le fondement de la
7 déclaration du Procureur selon laquelle tous ces indices étaient
8 suffisants pour alerter l'accusé quant au fait que des crimes étaient
9 commis au KP Dom.
10 Nous estimons donc que tout ce sur quoi s'appuie le Procureur ne peut pas
11 être interprété comme un tout, c'est-à-dire comme constituant une série
12 d'informations suffisantes pour pousser l'accusé à diligenter une enquête.
13 Par ailleurs, la défense estime que rien ne prouve que l'accusé était au
14 courant de l'existence de tous ces indices.
15 Tout ce qui, dans les écritures du Procureur, est dit à ce sujet ne
16 pouvait pas constituer une information, en fait, car ces informations ne
17 sont pas parvenues à l'accusé.
18 La Chambre de première instance n'a pas disposé d'éléments de preuve
19 démontrant que ces informations aient été portées à la connaissance de
20 l'accusé. De plus, nous estimons qu'il ne s'agissait pas d'informations
21 suffisamment alarmantes pour indiquer que des crimes étaient
22 éventuellement commis par les subordonnés de l'accusé Krnojelac.
23 Le Procureur, dans son mémoire en appel et dans son exposé oral
24 d'aujourd'hui, a indiqué que l'accusé a eu connaissance d'un décès dans
25 des circonstances suspectes. En effet, le Procureur a déclaré que l'accusé
Page 167
1 avait appris de la bouche d'une infirmière qu'un détenu s'était suicidé.
2 Nous estimons qu'en déclarant cela le Procureur, lorsqu'il parle
3 d'informations reçues par l'accusé de la bouche d'une infirmière, ne
4 démontre pas que l'accusé devait nécessairement considérer ce
5 renseignement comme suffisamment alarmant pour exiger de lui qu'il
6 diligente une enquête censée démontrer si, oui ou non, des crimes étaient
7 commis au KP Dom.
8 Si nous devions admettre l'interprétation faite par le Procureur selon
9 laquelle certains indices, comme des bruits de revolver la nuit ou des
10 impacts de balle sur les murs du KP Dom -or la Chambre de première
11 instance a eu des éléments de preuve qui montrent que le KP Dom a été
12 pilonné pendant les opérations de combat-, si nous devions donc admettre
13 cette interprétation, nous ne pourrions toutefois pas accepter ce que dit
14 le Procureur lorsqu'il affirme que l'accusé est pénalement responsable au
15 titre de l'Article 7.1 du Statut de l'ensemble de ces meurtres.
16 Par conséquent, nous rejetons ce motif d'appel du Procureur et nous
17 estimons qu'il doit être rejeté comme infondé. Si les Juges de cette
18 Chambre d'appel n'ont pas de question sur le motif d'appel que je viens de
19 traiter, je peux poursuivre.
20 M. Shahabuddeen (interprétation): Maître Bakrac, suis-je en droit
21 d'interpréter vos dires de la façon suivante? Selon vous, la question de
22 savoir s'il y avait des informations alarmantes, était-ce à votre avis un
23 fait devant être évalué par la Chambre de première instance? Et pensez-
24 vous que la Chambre d'appel ne peut intervenir à moins qu'elle ne soit
25 convaincue qu'aucun Juge des faits n'aurait pu tirer une autre conclusion?
Page 168
1 M. Bakrac (interprétation): En effet, Monsieur le Juge.
2 M. Shahabuddeen (interprétation): Merci.
3 M. le Président: Je prends la suite de mon éminent collègue.
4 Soyez bien clair. Je sais que ce sont des erreurs de fait, que vous avez
5 tendance effectivement à mettre en valeur en réponse à ce que vous dit le
6 Procureur, mais je vous rappelle ce que nous vous avons dit dans la
7 déclaration introductive d'instance ce matin, ce que vous a dit le Juge
8 Schomburg et ce que vient de vous dire le Juge Shahabuddeen: essayez
9 toujours de revenir dans les erreurs de fait sur ce qu'aurait fait un
10 Tribunal raisonnable.
11 Par exemple, j'aimerais savoir si un suicide dans une prison, dans un
12 système administratif raisonnablement constitué entraîne une certaine
13 forme d'alerte envers les autorités supérieures par exemple. Ça c'est un
14 critère qui peut intéresser la Chambre. Quand il y a un suicide dans une
15 prison, peut-être qu'on peut imaginer que, dans un système administratif,
16 démocratique et organisé, il y a un système d'alerte.
17 Ce sont des critères comme ceux-là sur lesquels nous vous ramenons. Non
18 pas de re-plaider tout ce qui a été certainement excellemment plaidé par
19 vous-même, comme d'ailleurs je le dis aussi pour le Procureur.
20 Voilà. Poursuivez, si vous le voulez bien.
21 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Il m'a été
22 demandé de poursuivre, de passer au motif d'appel suivant ou bien…?
23 M. le Président: Oui, oui, poursuivez.
24 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
25 Le cinquième motif d'appel du Procureur concerne l'acte criminel de
Page 169
1 passage à tabac, considéré comme "persécution".
2 La défense estime que le Procureur, lorsqu'il a exposé ce motif d'appel,
3 n'a proposé aucun élément de preuve relatif à des faits réels susceptibles
4 de lui permettre de reporter la charge de la preuve sur la défense. Le
5 Procureur s'est contenté d'exprimer un certain nombre d'hypothèses
6 découlant de la situation générale et d'un certain nombre de faits
7 généraux qui, eux, sont réels.
8 Nous pensons donc que le Procureur va à l'encontre des habitudes courantes
9 en droit international coutumier et à l'encontre d'un certain nombre de
10 dispositions que l'on trouve y compris dans des systèmes judiciaires
11 modernes mais également à l'encontre de l'ancien principe romain "in dubio
12 pro reo", autrement dit "si le doute existe, le doute doit être favorable
13 à l'accusé".
14 Ce qui fonde le cinquième motif d'appel de l'accusation va exactement en
15 sens inverse, à savoir s'il y a doute, eh bien, ce doute doit permettre
16 d'incriminer l'accusé. C'est la raison pour laquelle nous estimons que le
17 Procureur n'a pas étayé ses positions d'un exposé de faits concrets
18 susceptibles de convaincre la Chambre d'appel de revenir sur la décision
19 de la Chambre de première instance au sujet de ce cinquième motif. En
20 effet, dans son cinquième motif d'appel, l'accusation fait opposition aux
21 conclusions de la Chambre de première instance en déclarant que
22 l'interprétation faite par celle-ci était trop étroite et qu'il convient
23 de situer les faits dans un contexte plus vaste et plus fondamental.
24 Même si le Procureur estime que la Chambre de première instance a situé
25 les faits dans un contexte trop étroit et donc risquait de faire preuve de
Page 170
1 discrimination, la défense estime que la Chambre de première instance ne
2 pouvait adopter aucune autre démarche que celle à laquelle le Procureur
3 fait objection précisément dans son mémoire en appel.
4 La défense estime que l'accusation parle de discrimination pour motifs
5 raciaux ou ethniques en disant qu'il convient d'interpréter celle-ci, de
6 la façon la plus large qui soit, en s'appuyant sur l'hypothèse que la
7 charge de la preuve qui incombe au Procureur doit être allégée; autrement
8 dit que pour prouver l'existence du crime, le Procureur doit avoir une
9 tâche moins difficile.
10 La Chambre de première instance a établi dans son Jugement que le crime
11 contre l'humanité de persécution était constitué par l'emprisonnement et
12 les conditions inhumaines d'existence des détenus.
13 Lorsque la Chambre de première instance a établi que la détention des non
14 serbes au KP Dom a résulté de discriminations et d'actes inhumains, compte
15 tenu des conditions de vie inhumaine dans cette prison, elle a également
16 évoqué une politique discriminatoire.
17 Si nous ne perdons pas de vue cette conclusion de la Chambre de première
18 instance au sujet de la discrimination comme base du crime de détention et
19 des conditions de vie inhumaine, il est tout à fait inacceptable de voir
20 le Procureur conclure que tous les actes indiqués dans le Statut de ce
21 Tribunal sont considérés en fait par le Procureur comme commis à partir
22 d'une intention discriminatoire; et ce, uniquement en se fondant sur ces
23 deux conclusions de la Chambre.
24 Donc le fait que la Chambre de première instance ait démontré que l'accusé
25 avait bien une responsabilité eu égard aux persécutions en tant que crime
Page 171
1 contre l'humanité, compte tenu de la mise en détention et des conditions
2 de vie inhumaines dans la prison, eh bien, nous disons que ce fait
3 n'empêche pas qu'il faut néanmoins prouver que tous les autres actes
4 commis au KP Dom ont bien été commis à partir d'une intention
5 discriminatoire.
6 Nous estimons que le Procureur, s'agissant de tous ces autres actes
7 imputés à la responsabilité de l'accusé, n'a pas prouvé avec précision que
8 leur motivation était la discrimination.
9 La défense s'est efforcée à l'aide d'un exemple de s'opposer à cette
10 argumentation du Procureur, car il est tout à fait possible que les
11 conditions de détention au KP Dom -dans un environnement assez
12 circonscrit, puisque nous parlons de Foca et de ses environs-; il est fort
13 possible qu'entre un gardien serbe et un détenu musulman il y ait volonté
14 de régler des comptes qui dataient de bien avant le début du conflit.
15 Il est donc interdit de supposer… parce que les détenus sont des non
16 Serbes, qu'ils sont de nationalité musulmane et qu'ils sont gardés par des
17 Serbes, il est interdit de penser en raison de cela que tous les actes
18 considérés comme des crimes dans le Statut de ce Tribunal sont
19 nécessairement ou ont été nécessairement commis avec une motivation
20 discriminatoire.
21 La tâche du Procureur s'agissant de chaque point de l'Acte d'accusation,
22 s'agissant de chaque incident imputé à la responsabilité de l'accusé, la
23 tâche du Procureur consiste à prouver dûment que cet acte a bel et bien
24 été commis et qu'il a été commis à partir d'une motivation
25 discriminatoire.
Page 172
1 La position du Procureur est inacceptable. En effet, en s'appuyant sur des
2 faits tout à fait incontestés, à savoir l'existence de deux groupes qui
3 étaient opposés, dont l'un joue le rôle de gardien par rapport à l'autre,
4 il est inacceptable en s'appuyant sur ce fait de conclure que tous les
5 actes criminels évoqués dans le Statut du Tribunal doivent nécessairement
6 être, de ce fait, des actes discriminatoires. De telles suppositions ne
7 doivent pas être élevées au rang d'éléments de preuve par le Procureur de
8 cette façon.
9 En effet, il est indispensable que le Procureur prouve que tous les actes
10 imputés à l'accusé, si le Procureur souhaite leur donner comme motivation
11 la discrimination, eh bien, il lui appartient, il est de son devoir de
12 prouver que cette discrimination était bien le motif à la base de l'acte.
13 Donc il est tout à fait clair que le Procureur estime qu'il n'est pas
14 nécessaire de prouver que tous les actes ponctuels s'appuyaient sur la
15 discrimination car pour le Procureur l'ensemble de ces actes était
16 automatiquement discriminatoire.
17 Nous estimons, du côté de la défense, qu'il n'est pas permis d'adopter un
18 système de preuve aussi flou ou plutôt de transférer la charge de la
19 preuve sur la défense qui serait, de ce fait, contrainte de prouver que
20 les actes imputés à l'accusé n'ont pas été commis pour des motifs
21 discriminatoires. Nous pensons que ceci est acceptable.
22 Ce n'est pas à nous qu'il appartient de démontrer que les actes commis
23 n'ont pas été commis dans un cadre discriminatoire. C'est le contraire qui
24 est vrai, à savoir que c'est le Procureur qui, par la nature et la réalité
25 des éléments de preuve présentés par lui, doit apporter la preuve
Page 173
1 qu'éventuellement tel ou tel acte peut être imputé à la responsabilité de
2 l'accusé dans le cadre d'une intention discriminatoire.
3 Je considère avoir apporté une réponse au cinquième motif d'appel du
4 Procureur.
5 Et peut-être l'heure de la pause est-elle arrivée?
6 M. le Président: C'est l'heure de la pause. Après la pause, nous
7 reprendrons à 16 heures 30. Après la pause, il vous reste une heure; nous
8 sommes d'accord.
9 L'audience est suspendue.
10 (L'audience, suspendue à 15 heures 59, est reprise à 16 heures 30.)
11 M. le Président: L'audience est reprise. Veuillez faire entrer l'accusé,
12 s'il vous plaît.
13 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)
14 Monsieur le Procureur, j'avais été un peu trop généreux avec vous en vous
15 donnant une heure de plus, mais je suis persuadé qu'avec l'esprit de
16 synthèse qui vous caractérise, vous arriverez à terminer dans les 30
17 minutes qui viennent. Demain vous aurez, à ce moment-là, en plaidant votre
18 propre appel, vous aurez tout le temps qu'on a donné au Procureur ce
19 matin. Voilà. Alors, nous vous écoutons donc jusqu'à environ 17 heures. Et
20 ensuite, il y aura la réplique finale du Procureur. Bien. A vous.
21 M. Bakrac (interprétation): Merci, Monsieur le Juge.
22 Conformément à ce que vous venez de dire, je me propose, pour ce qui est
23 des motifs suivants, de dire pour gagner du temps que j'en reste à ce que
24 j'ai avancé dans mes écritures, en réponse à l'appel présenté par le
25 Procureur.
Page 174
1 Et je me propose maintenant de résumer et dire ce que la défense se
2 proposait de dire à ce sujet.
3 Maintenant, pour ce qui est du motif suivant, je dirais qu'il s'agirait de
4 persécutions et de travaux forcés. L'essentiel ou le reproche principal,
5 de l'avis de la défense, pour ce qui est de ce qui est avancé par le
6 Procureur à l'intention de la Chambre de première instance, c'est le fait
7 du travail effectué de plein gré. Et on a, je pense, déterminé qu'un
8 travail a, de fait, été réalisé au sein du KP Dom.
9 Pour appuyer ces allégations, pour dire qu'il n'y a pas eu consentement de
10 ceux qui avaient à effectuer des tâches, nous estimons que cette forme de
11 responsabilité imputée à l'accusé vise à placer cet acte ou ce délit en
12 parallèle ou sur pied d'égalité avec le délit de viol; viol au sujet
13 duquel il y a eu, dans l'affaire Kunarac, un arrêt de la Chambre d'appel.
14 Et nous estimons que, sans émettre de réserves, placer ce type de délits
15 pénaux sur pied d'égalité n'est pas approprié; on ne saurait s'appuyer sur
16 une situation de ce type.
17 Et nous estimerions dire que la détention illicite et les conditions de
18 vie difficiles, pour ce qui est de ce type de délit, n'exonère pas le
19 Procureur pour ce qui est de son obligation de parler d'un certain degré
20 d'existence de plein gré, pour ce qui est de l'accomplissement de ces
21 travaux. Donc nous n'estimons pas que le degré de responsabilité pénale
22 soit établi de façon adéquate, pour ce qui est de ce travail forcé.
23 Nous voudrions citer certaines erreurs au niveau de la Chambre de première
24 instance concernant les faits à prouver au travers du témoignage d'un
25 certain nombre de témoins. Nous estimons qu'en aucun cas, nous ne
Page 175
1 pourrions… ou il pourrait être dit que l'accusé devrait être considéré
2 responsable de ce qui s'est passé.
3 Partant de tous les exemples avancés par le Procureur devant la Chambre de
4 première instance, il apparaît clairement qu'aucun des témoins n'a refusé
5 d'exercer tel ou tel travail. Chacun, pour un motif qui lui était propre,
6 avait accepté de réaliser certaines tâches.
7 Le fait est qu'au KP Dom, il y a eu des civils de détenus sans fondement
8 juridique approprié. Le fait est que les conditions de vie étaient
9 mauvaises. Mais cela ne saurait exempter le Procureur de son obligation de
10 démontrer qu'il y a eu travaux forcés, qu'il y a eu contrainte à l'égard
11 de telle ou telle personne d'exercer une tâche déterminée et que les
12 travaux forcés n'ont été motivés que par un seul aspect, qui est celui de
13 la discrimination.
14 Je m'excuse une fois de plus à l'intention des interprètes; on vient de me
15 signaler que j'allais trop vite. Je m'excuse auprès des interprètes parce
16 que j'essaie, pour ma part de dire, en très peu de temps, le plus possible
17 de choses.
18 Donc le Procureur était tenu de démontrer que le travail réalisé là-bas
19 était un travail sous la contrainte. Si l'on parle de motif tel que cela
20 est fait dans le mémoire d'appel, il doit être fait état des circonstances
21 qui n'indiquent pas qu'il y a eu absence de la volonté de certaines
22 personnes de travailler ou d'accomplir certaines tâches, parce que ces
23 personnes qui ont travaillé ont exercé des tâches pour une motivation
24 quelconque; certains pour mieux manger, d'autres pour pouvoir se déplacer,
25 deux tiers encore pour se procurer des informations complémentaires. Donc
Page 176
1 il n'y a pas qu'une motivation, la motivation de l'appréhension à l'égard
2 d'une sanction.
3 Donc tous n'ont pas travaillé parce qu'ils avaient peur d'être punis. Les
4 motivations ont été subjectives, telles que les convictions de ces
5 personnes-là. Ces personnes étaient convaincues que le fait de
6 retravailler, d'exercer une tâche leur serait profitable. Donc le fait
7 d'être détenu et d'avoir eu à travailler ne nous illustre pas dans une
8 mesure suffisante que le travail forcé a été prouvé au-delà du doute
9 raisonnable.
10 Nous estimons au contraire que le Procureur n'a présenté aucun élément de
11 preuve pour illustrer le fait… ou son assertion disant que c'était là du
12 travail forcé. Nous estimons que ces personnes ont travaillé de leur plein
13 gré, et ces personnes qui ont fait certaines tâches ont confirmé qu'elles
14 avaient voulu le faire. Donc cela ne saurait déterminer une responsabilité
15 pénale quelconque à l'égard de l'accusé, étant donné que le motif en
16 question -à savoir les travaux forcés en tant que persécution- sous-entend
17 que le Procureur se devait de prouver que ces travaux forcés étaient d'une
18 nature discriminatoire.
19 Sans vouloir diminuer la gravité des crimes perpétrés au sein du KP Dom
20 tels qu'établis par la Chambre de première instance, je voudrais indiquer
21 qu'au KP Dom, il y avait entre 500 et 700 personnes du groupe ethnique
22 musulman. Or ces travaux forcés n'ont été réalisés que par quelque 50
23 personnes, donc à peine 10%. Cela nous indique que les raisons étaient
24 tout à fait opposées à celles qui ont été avancées: motiver une
25 discrimination à l'égard des civils en faisant en sorte que certains
Page 177
1 travaillent sous la contrainte et d'autres non, (sic) nous dit qu'il
2 apparaît clairement que chacun d'entre eux viserait à accomplir des tâches
3 quelconques.
4 Maintenant, pour ce qui est du fonctionnement d'un cadre organisé d'une
5 unité économique, qui s'appelait "Drina", il nous fait apparaître avec
6 clarté une conclusion concernant la toile de fond de ces tâches effectuées
7 par un certain nombre de personnes.
8 Nous estimons à cet effet que les allégations du Procureur ne s'appuient
9 pas sur des faits établis et nous estimons que cela ne saurait servir de
10 fondement pour ce qui est d'une modification de la décision ou du jugement
11 de la Chambre de première instance. Et nous avancerions, une fois de plus,
12 toute l'argumentation à avancer par la défense dans ses écritures pour le
13 rejet de ce motif d'appel, en indiquant qu'il n'y a pas de fondement.
14 Le motif d'appel suivant est le délit pénal de déportation, dans le cadre
15 de ces persécutions. Nous estimons en effet que le Procureur, dans la
16 majeure partie du débat concernant ce motif d'appel, s'est référé à des
17 catégories terminologiques ou des conceptions terminologiques de la notion
18 de déportation.
19 Nous estimons que la Chambre d'appel a apporté une aide considérable pour
20 ce qui est de la définition de la notion en question.
21 De l'avis de la défense… Nous dirions que la défense, en répondant à
22 l'appel présenté par le Procureur… il a été procédé à une élaboration des
23 positions et, en somme, nous estimons que ce fondement ne saurait être
24 admis. Et le Procureur n'a pas démontré de façon valable que le Jugement
25 de la Chambre de première instance devrait être rectifié, modifié en
Page 178
1 conséquence.
2 La finalité des positions avancées par le Procureur, pour ce qui est de ce
3 délit pénal de déportation, a été placée en corrélation avec les
4 frontières internationales et les lieux d'acheminement de certaines
5 personnes. Et il est apparu sans importance le fait de savoir si l'on est
6 passé de l'autre côté de la frontière pour déterminer s'il y a eu délit
7 pénal de ce type.
8 Je pense que nous aurions évité de gros problèmes, pour ce qui est de la
9 responsabilité des accusés, si l'on avait appliqué la position du
10 Procureur sur les cas concrets. Donc si on considère que le fait de
11 déplacer une personne est une déportation, indépendamment de la
12 destination affectée, nous serions à même de constater ce qui suit:
13 emmener des personnes du groupe ethnique musulman pour les emmener vers le
14 KP Dom, est une forme de déportation, d'ores et déjà, de ce point de vue-
15 là. Et nous avons là un segment où il n'y a pas responsabilité de
16 l'accusé. Or il y a, selon cette façon de comprendre la notion, une
17 déportation; de leurs maisons, ils sont transférés vers des conditions de
18 détention illicites. Et si l'on se réfère aux positions avancées par le
19 Procureur, il y a eu déjà déportation.
20 Puis, le fait d'avoir libéré des personnes du KP Dom, de cette prison,
21 constituerait une déportation, une fois de plus. Or cela est contraire
22 avec le fait selon lequel ces personnes ont été emmenées de chez elles
23 vers un établissement pour une détention illicite dans des conditions
24 inhumaines. Donc le fait de les libérer ne saurait constituer également
25 une forme de responsabilité pénale du point de vue des échanges qui se
Page 179
1 sont opérés, parce que l'alternative à ces échanges consistait à garder
2 ces personnes dans ces conditions, dans ces circonstances inhumaines de
3 détention de cette nature. Et cela impliquerait que toute entrave au
4 transfert de ces personnes devrait impliquer une responsabilité pénale de
5 l'accusé pour le fait d'avoir entravé ces déplacements.
6 Or, si l'on voyait la notion de déportation -comme le fait le Procureur-,
7 il y aurait un signe d'égalité entre déportation et détention illicite;
8 parce que le fait d'avoir transféré des personnes de chez elles vers le KP
9 Dom, pour une détention illicite, cela constituerait déjà une déportation.
10 Donc nous estimons que ce motif d'appel du Procureur afférent aux délits
11 pénaux de "Persécutions et de déportation" devrait également être rejeté
12 comme infondé.
13 Au cas où il n'y aurait pas de questions soulevées à ce sujet là, je me
14 proposerai de passer au dernier point des motifs d'appel, pour ce qui est
15 de la décision portant sentence.
16 M. Shahabuddeen (interprétation): Une seule question, Maître Bakrac.
17 J'ai trouvé intéressant de vous entendre dire ceci: si l'accusation avait
18 raison, il y aurait un acte de déportation dès qu'un détenu est transféré
19 au KP Dom". Est-ce qu'il existe une difficulté dans ce sens suivant?
20 Pourrait-on considérer que l'acte de déportation est le fait de déplacer
21 par la force une personne d'un milieu de vie vers un autre milieu de vie,
22 milieu dans lequel cette personne devrait vivre? Il ne devrait pas vivre
23 au KP Dom, je suppose?
24 M. Bakrac (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, cela est exact.
25 Toutefois la substance de ce que la défense voulait apporter en réponse au
Page 180
1 Procureur, c'est de dire tout d'abord ce qui suit. Le transfert… -je crois
2 que la défense a avancé plus de détails dans sa réponse écrite au
3 Procureur-, nous avons indiqué que ce déplacement pourrait être admissible
4 si cela s'est fait pour des raisons de sécurité ou si cela s'est fait en
5 fonction de certains besoins militaires.
6 A ce sujet et par analogie à ce qui a été dit, j'estime que le Procureur
7 était tenu de déterminer, de prouver que ces transferts depuis le KP Dom
8 vers ailleurs, sous forme d'échanges, n'avaient pas été de nature à être
9 considérés comme des déplacements complets et durables pour être
10 caractérisés de déportation. Au contraire, ces échanges où des personnes
11 du KP Dom étaient transférées vers des territoires, à l'extérieur du
12 territoire où se trouvaient des personnes qui gardaient des personnes en
13 détention, ne constituent pas un élément suffisant pour parler de
14 déportation aux termes de ce qui constitue jurisprudence dans ce Tribunal.
15 M. Shahabuddeen (interprétation): Merci.
16 M. Bakrac (interprétation): Pour ce qui concerne le dernier des motifs
17 d'appel du Procureur qui parle de quatre entorses de la Chambre de
18 première instance à l'égard de son droit discrétionnaire, et en réponse à
19 son appel, il est apporté une explication disant que l'accusé avait assumé
20 des fonctions de directeur et qu'en sa qualité de supérieur, il était
21 responsable de tout le personnel et de tous les détenus. Il est avancé
22 qu'on ne saurait admettre d'élément à décharge de nature personnelle.
23 Nous estimons que c'est là une violation de ce qui devrait constituer le
24 droit discrétionnaire. Et l'objection formulée par l'accusation n'a pas de
25 fondement parce que la position de l'accusé, celle du directeur, nous dit
Page 181
1 qu'en sa qualité de supérieur l'accusé est proclamé ou déclaré coupable,
2 et à cet effet on détermine qu'il y a responsabilité de sa part et cela
3 constitue substance, ce qui constitue sa responsabilité en vertu de
4 l'Article 7.3. Et il n'est pas permis d'expliquer l'accomplissement de ses
5 fonctions par des raisons personnelles.
6 Maintenant, pour ce qui est du plaidoyer aux termes duquel la Chambre de
7 première instance aurait commis une deuxième erreur pour ce qui est du
8 recours à son droit discrétionnaire; pour ce qui est de prononcer un
9 jugement en disant que la pertinence des conséquences des délits pénaux,
10 du point de vue du droit pénal international, nous estimons qu'il y a eu
11 incorporation de ce qui constitue délit pénal. Donc une violation
12 quelconque du droit international qui serait qualifiée de "crime de
13 guerre" incorpore ou porte en soi tout ce que tel crime sous-entend, à
14 savoir les souffrances des victimes, les souffrances des familles
15 respectives. En sus donc du fait d'avoir cela d'incorporé dans la nature
16 d'un délit pénal, cela ne saurait être considéré comme élément aggravant,
17 à charge.
18 Pour ce qui est de la troisième erreur quant au droit discrétionnaire de
19 la Chambre de première instance, c'est ce qui est afférent au comportement
20 de l'accusé pour ce qui est de l'atténuation de la peine prononcée à son
21 égard. Et l'opinion aux termes de laquelle cela va au-delà du droit
22 discrétionnaire de la Chambre de première instance, nous estimons que les
23 choses sont suffisamment documentées.
24 En effet, il est clair que les avocats de la défense sont tenus de se
25 comporter devant la Chambre conformément au code de la profession qui est
Page 182
1 la leur. Il est sous-entendu de ce point de vue-là une attitude
2 coopérative et un comportement susceptible d'abonder dans le sens de
3 l'efficacité des travaux de la Chambre de première instance.
4 Nous avons donc estimé que la défense est là pour articuler, sur le plan
5 juridique, les efforts de l'accusé. Et c'est l'accusé qui pouvait demander
6 à la défense ou exiger de la part de ses conseils de la défense
7 d'examiner, d'étudier ou d'insister sur des faits incontestables pour
8 rendre le travail du Procureur et de la Chambre plus pénible, plus ardu.
9 Donc l'esprit de coopération dont a fait preuve l'accusé est évident, et
10 il n'y a point lieu de contester son esprit de collaboration. Et dans la
11 législation qui est celle de mon pays, du pays d'où je viens, cela est
12 toujours un élément à décharge pour ce qui est de l'évaluation d'une
13 sentence. Donc son comportement devant la Chambre de première instance et
14 son assistance à la Chambre devraient être pris en compte pour avoir
15 facilité la procédure, et je crois que la Chambre de première instance n'a
16 en rien enfreint son droit discrétionnaire, pour ce qui est de la
17 détermination de la peine prononcée.
18 De l'avis de la défense, il devrait être rejeté la position de
19 l'accusation au terme de laquelle la Chambre de première instance aurait
20 fait une dernière erreur pour ce qui est de ces droits discrétionnaires, à
21 savoir du fait de ne pas avoir suffisamment insisté sur la gravité des
22 crimes commis par l'accusé dans le prononcé de la peine.
23 Nous estimons que la gravité de la peine et le degré de responsabilité
24 pénale de l'accusé, le degré de sa participation ont certainement été
25 évalués pour ce qui est de la décision prise par la Chambre de première
Page 183
1 instance. Et la Chambre de première instance a dû déterminer et peser le
2 degré de gravité des actes et de responsabilité de l'accusé.
3 Je crois pouvoir parler d'un certain degré de participation de l'accusé à
4 des délits qui sont considérés comme répréhensibles par le Statut de ce
5 Tribunal. Et pour ce qui est du prononcé de sentence à l'intention de
6 Zlatko Aleksovski, on en a fait état en parlant d'une période de neuf mois
7 de mise en liberté de l'intéressé, puis d'un prononcé de peine plus élevé.
8 Donc en tout état de cause, chaque Chambre de première instance a un droit
9 discrétionnaire qui est celui d'évaluer une peine en prenant en
10 considération les spécificités de toute affaire.
11 Nous pourrions dire que ces deux affaires se ressemblent, mais l'une et
12 l'autre comportent des circonstances particulières qui sont à même
13 d'influer sur le niveau ou la longueur de la peine.
14 S'il y a des éléments à charge pour Aleksovski, il doit être pris en
15 considération la présence d'éléments à décharge qui n'étaient pas présents
16 chez Aleksovski et qui le sont dans cette affaire-ci. Dans l'affaire
17 Aleksovski, il a été établi qu'Aleksovski avait été personnellement
18 présent lors de la perpétration de certains crimes, et cela devrait être
19 mis en parallèle avec le cas présent où la Chambre de première instance a
20 déterminé que l'accusé Krnojelac n'a pas été présent et n'a pas pris
21 physiquement part à la perpétration de quelque délit pénal que ce soit qui
22 lui soit reproché.
23 Le Procureur a nié la possibilité d'établir un parallèle avec la sentence
24 dans l'affaire Kvocka, parce que l'affaire n'est pas encore terminée. Mais
25 l'accusé Kvocka a fait l'objet d'une peine de sept ans et il n'y a pas eu
Page 184
1 d'appel.
2 Du point de vue du Procureur, nous pourrions dire qu'aux yeux du
3 Procureur, l'affaire est terminée. Nous estimons donc que l'argument au
4 terme duquel la Chambre de première instance se serait trompée pour ce qui
5 est du recours à ses droits discrétionnaires, en comparant les différentes
6 affaires en question, nous estimons qu'il y a eu étude de cas spécifiques
7 à chacune de ces affaires et nous estimons qu'il n'y a pas eu erreur;
8 aussi faudrait-il rejeter la demande formulée par le Procureur.
9 Et je crois que la requête présentée par le Procureur demandant une peine
10 de 12 ans, devrait également être rejetée. Mais la Chambre d'appel est là
11 pour décider de ce qu'il en sera de la peine à prononcer. Merci.
12 M. le Président: Je vous remercie, Maître.
13 Je me tourne à nouveau vers le Bureau du Procureur pour savoir si vous
14 voulez exercer votre droit de réplique dans un temps qui est à peu près de
15 30 minutes. Peut-être n'aurez-vous pas besoin de tout ce temps, Monsieur
16 Staker?
17 (Réplique du Procureur à la Défense, relative aux motifs d'appel 1 et 2,
18 par M. Staker.)
19 M. Staker (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président. Nous
20 avons effectivement l'intention d'exercer notre droit de réplique; ce sera
21 bref. Mais, avec votre permission, nous allons nous pencher sur chacun des
22 motifs de l'appel, dans l'ordre que nous avons suivi pour nos premiers
23 arguments. Je vais donc évoquer les motifs 1 et 2.
24 S'agissant du motif premier, si j'ai bien compris, le conseil de la
25 défense accepte l'existence en droit des trois catégories de l'entreprise
Page 185
1 criminelle commune telles qu'identifiées dans l'arrêt Tadic. La question
2 qui se pose en l'espèce, c'est l'interprétation à donner aux éléments
3 constitutifs et leur application aux faits de la cause.
4 Apparemment, la défense n'est pas d'accord avec un des éléments de l'actus
5 reus. Mon collègue de la défense a dit que la participation à une
6 entreprise criminelle commune doit être telle que les participants jouent
7 un rôle complémentaire les uns envers les autres de façon significative,
8 et que la contribution doit être soit décisive soit fondamentale.
9 En guise de réponse, je vous renvoie au fait que, dans mes arguments
10 initiaux, j'ai cité le paragraphe 127 ainsi que le paragraphe 171 du
11 Jugement; paragraphes dans lesquels la Chambre a estimé qu'il y avait
12 contribution à l'entreprise criminelle commune. Et même au paragraphe 171,
13 elle a dit que c'était une contribution substantielle.
14 Je ne vais pas répéter les arguments que j'ai déjà présentés, je vous ai
15 renvoyé aux paragraphes du Jugement qui montraient que l'intimé a été
16 directeur pendant 15 mois, qu'il était la personnalité la plus importante
17 dans cette structure: il a donc joué un rôle substantiel, un rôle qui a
18 permis le fonctionnement de toute cette entreprise.
19 A notre avis, la contribution ne doit pas nécessairement être une
20 condition sine qua non de l'entreprise criminelle commune.
21 Reprenons l'analogie du meurtre commis par un groupe d'auteurs. Le sine
22 qua non, l'auteur principal, c'est celui qui a commis l'actus reus. Mais
23 cela ne veut pas dire forcément que les autres, qui ont participé à
24 l'entreprise criminelle commune, ne soient pas responsables eux aussi.
25 Pour ce qui est de l'élément de mens rea: en réponse à une question posée
Page 186
1 par le Juge Shahabuddeen, Me Bakrac a dit que l'accusation n'avait pas
2 prouvé, au-delà de tout doute raisonnable, que l'intimé avait connaissance
3 de l'intention des auteurs de ces crimes. Je vous renvoie une fois de plus
4 à mes arguments de ce matin, j'ai cité le paragraphe 127 -une fois de
5 plus- du Jugement Krnojelac, dans lequel la Chambre de première instance,
6 s'agissant de l'emprisonnement, a estimé que l'intimé connaissait sa
7 contribution au maintien d'un système illicite de la part des auteurs
8 principaux. Nous avons donc une conclusion factuelle de la Chambre.
9 Et puis, au paragraphe 171, s'agissant des conditions de vie inhumaines,
10 la Chambre a dit qu'elle était convaincue que l'intimé avait connaissance
11 des intentions qui étaient celles des principaux auteurs des infractions.
12 Nous avons donc là des conclusions factuelles. Si Me Bakrac allègue
13 qu'aucun juge des faits raisonnable n'aurait pu tirer ces conclusions,
14 c'est à notre avis un critère qui n'a pas été respecté.
15 Dernière question: celle de savoir si l'intimé, à partir du moment où il
16 avait connaissance de l'intention, l'aurait partagée. La défense dit, une
17 fois de plus, que l'accusation n'a pas administré la preuve de cela. Nous
18 estimons que l'erreur commise par la Chambre de première instance, c'est
19 qu'elle a essayé de trouver dans chacun des cas un accord express,
20 explicite.
21 La démarche retenue par la Chambre de première instance, à cet égard,
22 ressemblait beaucoup à la recherche d'une déclaration explicite, expresse
23 chaque fois qu'il y avait passage à tabac. On aurait demandé à ceux qui en
24 étaient les auteurs de demander si c'était motivé par des intentions
25 discriminatoires. Il aurait fallu chercher des preuves directes qui se
Page 187
1 déroulaient dans l'état subjectif de chacun des auteurs au moment des
2 faits.
3 Je dirais qu'en règle générale, c'est rare, dans le genre d'affaires dont
4 connaît ce Tribunal, qu'on aurait des preuves directes de l'élément moral,
5 de l'état d'esprit, et qu'en général l'intention, elle, est déduite des
6 circonstances environnantes.
7 Je ne vais pas répéter la quintessence de mes arguments, mais nous avons
8 des conclusions factuelles de la part de la Chambre de première instance,
9 selon lesquelles l'intimé avait la fonction de directeur -fonction qu'il
10 avait acceptée de son plein gré-, qu'il était la figure de proue, qu'il a
11 été directeur 15 mois et qu'il connaissait les crimes qui étaient
12 systématiquement commis dans son établissement.
13 L'intention est différente de la motivation. Et la seule motivation
14 raisonnable à partir des faits établis, c'est qu'il y avait existence
15 d'une intention.
16 Je vous ai présenté les arguments de l'accusation s'agissant des critères
17 à retenir pour l'intention. Je vous renvoie à cet égard à l'article 30 du
18 Statut de la CPI. Maître Bakrac a adopté un critère quelque peu différent
19 dans ses arguments; il s'est servi d'expressions telles que celles-ci "la
20 volonté d'exécuter" ou "le fait d'être préparé à retenir comme sien" ou
21 "la volonté allant dans ce sens" ou "revenant à cet effet".
22 Le critère à retenir pour l'intention n'est peut-être pas toujours le même
23 en fonction de l'état juridique, mais c'est précisément pour cela que
24 l'arrêt Tadic dit -au paragraphe 225- que "les solutions au problème
25 juridique de ce type qui se posent, ne se trouvent pas dans des systèmes
Page 188
1 nationaux".
2 Je me contenterai de relever ceci: les termes utilisés par le conseil de
3 la défense nous rappellent le critère de l'intention qui permet de faire
4 la distinction entre un auteur principal et quelqu'un qui encourage ou
5 aide en vertu du droit allemand. Ceci a été pris comme référence dans
6 l'affaire Stakic, dans une décision, suite à une demande en application du
7 98bis pour acquittement, en date du 31 octobre 2002, paragraphe 38.
8 Permettez-moi de le citer brièvement. "En vertu du droit allemand,
9 l'auteur doit avoir l'animus auctoris, "l'intention initiale d'agir en
10 tant qu'auteur". L'animus auctoris reflétant la volonté de l'auteur direct
11 nécessite une volonté active de commettre l'infraction; l'animus socii,
12 par contraste, reflète l'intention de quelqu'un qui aide et assiste à la
13 commission de l'infraction."
14 Je le dis… Je ne suis pas expert en droit allemand mais, si j'ai bien
15 compris, même en Allemagne dans les années 50 et 60, je pense que les
16 tribunaux allemands essayaient de trouver des preuves d'un élément
17 subjectif d'un état d'esprit. Mais plus récemment, dans les années 70,
18 même dans le droit allemand, ce "animus auctoris" est déterminé par les
19 tribunaux en se référant aux circonstances environnantes, par des preuves
20 indirectes donc. Et nous estimons que c'est le bon sens… que c'est marquer
21 du coin le bon sens parce que, dans le type de crimes dont connaît le
22 Tribunal, les preuves directes de l'état d'esprit d'un auteur se trouvent
23 rarement. Presque inévitablement, ceci se déduit des circonstances
24 environnantes.
25 S'il y avait d'autres démarches retenues, quiconque aurait participé à des
Page 189
1 crimes, à des crimes contre le droit humanitaire international, serait
2 simplement quelqu'un qui aide et encourage et non pas un auteur.
3 J'en viens maintenant au deuxième motif d'appel présenté par le Procureur.
4 Il a été fait mention du principe de la souplesse dont fait preuve
5 l'accusation dans la rédaction de l'Acte d'accusation.
6 Vous le savez, notre système au Tribunal n'est pas à ce point développé
7 qu'il y a inscrit dans le marbre la façon d'écrire un Acte d'accusation.
8 Nous ne nions pas qu'il y ait un élément évolutif. Il y a eu un degré de
9 souplesse et de flexibilité, mais ceci a été reconnu et accepté dans la
10 jurisprudence comme étant un élément inévitable.
11 L'obligation d'informer la défense de la nature des charges retenues
12 contre l'accusé est reconnue. Ce que nous avons fait valoir, c'est que
13 l'Acte d'accusation n'a pas nécessairement à présenter des termes de droit
14 ni les moyens de preuve en tant que tels.
15 Si l'on nommait telle ou telle référence spécifique à une théorie de droit
16 dans l'Acte d'accusation, ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas se baser
17 sur cette théorie du droit. Il a aussi été suggéré que la forme élargie
18 d'entreprise criminelle commune n'est pas mentionnée expressément dans
19 l'Acte d'accusation, et que ceci a pour conséquence qu'un accusé peut être
20 condamné pour quelque chose dont il n'a pas été accusé dans l'Acte
21 d'accusation. Ce n'est sans doute pas ce que nous affirmons.
22 Notre point de départ, c'est la prémisse selon laquelle il y a, dans un
23 Acte d'accusation, des termes généraux, dont notamment -et c'est certain-
24 la forme élargie d'entreprise criminelle commune.
25 Si vous prenez l'Article 7.1 et si nous plaidons les termes de cet Article
Page 190
1 dans un Acte d'accusation, c'est logique, toutes formes de participations
2 visées par le 7.1 sont incluses, y compris la forme de responsabilité pour
3 entreprise criminelle commune, et la forme élargie également.
4 On ne peut pas affirmer que ceci n'a pas été plaidé. Au contraire, si on
5 exclut la forme élargie de cette entreprise criminelle commune, ce serait
6 ignorer quelque chose qui se trouve effectivement dans l'Acte
7 d'accusation.
8 A notre avis, la Chambre de première instance doit examiner toutes les
9 formes de responsabilités plaidées dans l'Acte d'accusation.
10 La question se posant n'est pas de savoir si ceci se trouve dans l'Acte
11 d'accusation, c'est plutôt de savoir s'il faut communiquer davantage de
12 détails à la défense. Et nous les avons donnés dans toutes les
13 circonstances; c'est une question de faits. Et si la défense éprouve la
14 moindre difficulté à cet égard -comme je l'ai dit ce matin-, il faut que
15 ceci soit dit par la défense, mais au moment qui s'y prête.
16 J'en ai ainsi terminé de ma réplique pour ce qui est du deuxième motif.
17 M. Shahabuddeen (interprétation): Est-ce que la défense demanderait
18 davantage de détails?
19 M. Staker (interprétation): Oui. Il y a toute une série de recours
20 possibles, par exemple des mémoires préalables au procès, mais ceci ne
21 découle pas du tout de la phase préalable au procès.
22 Je me permets de vous demander d'écouter maintenant ma collègue, Mme
23 Brady.
24 (Réplique du Procureur à la défense, relative aux motifs d'appel 3 et 5,
25 par Mme Brady.)
Page 191
1 Mme Brady (interprétation): Messieurs les Juges, ma réplique sera très
2 brève. Je voudrais réagir à deux éléments en ce qui concerne la torture,
3 et un point s'agissant de la persécution.
4 Parlons de la torture.
5 Maître Bakrac a soutenu que, au fond, l'information ne suffisait pas pour
6 être alarmante et pour informer l'intimé, pour lui donner des raisons
7 d'être au courant de l'existence des tortures. Au fond, qu'a-t-il fait? Il
8 a ventilé, il a morcelé les moyens de preuve les plus essentiels sur
9 lesquels nous nous sommes fondés pour expliquer que l'accusé devait
10 forcément être au courant.
11 A notre avis, ce n'est pas là la bonne façon de procéder. Nous nous
12 fondons sur tout un ensemble de connaissances, de savoir. Dans cet
13 ensemble, se trouve ce que le témoin RJ lui a dit, se trouve également ce
14 que l'intimé sait et ce qu'il sait être arrivé à Ekrem Zekovic; il y a
15 aussi les signes visibles et généralisés qui se trouvaient sur le corps
16 des détenus qui déambulaient ou qui ne déambulaient pas parce qu'ils
17 étaient à ce point blessés qu'ils devaient se traîner dans la cour. Et il
18 faut voir toutes ces informations à la lumière de la nature
19 discriminatoire, des conditions de vie inhumaines et de l'emprisonnement,
20 de l'état d'emprisonnement des détenus.
21 A notre avis, si ceci ne suffit pas pour déclencher le droit ou devoir
22 -plus exactement- de diligenter une enquête, qu'est-ce qui le sera? Je ne
23 vais pas parcourir chacun de ces indices qui auraient dû l'alerter à
24 l'existence de torture. Cependant, je dirai en guise de réplique, qu'il
25 semble présenter comme principe juridique que le supérieur doit être au
Page 192
1 courant de la nature exacte des crimes commis. Mais, quant aux
2 informations, elles doivent contenir tout ceci. Et ceci, à notre avis,
3 n'est pas exact en droit.
4 Dans l'affaire Celebici, il a été estimé que les informations à la
5 disposition du supérieur ne doivent pas nécessairement préciser la nature
6 exacte du crime. Il suffit qu'il soit informé. Il ne faut pas
7 nécessairement dire: "Voilà, c'est telle et telle torture qui se produit
8 dans ces pièces". Non, il faut simplement qu'il soit avisé de la situation
9 pour qu'il agisse davantage.
10 Permettez-moi également de répondre au deuxième point concernant la
11 torture. Là où il a été dit qu'il n'y avait aucune certitude qu'une
12 enquête aurait dévoilé le fait que des tortures se produisaient, comme
13 étant un facteur concluant.
14 Je pense que la défense n'a pas compris la responsabilité telle que visée
15 à l'Article 7.3. C'est pour l'omission du devoir, c'est l'abandon du
16 devoir. La prémisse, ce n'est pas tellement ce qui aurait pu être le
17 résultat final, ce qui aurait pu être découvert si l'enquête avait été
18 menée. Il ne doit même pas terminer cette enquête, il doit simplement
19 prendre des mesures pour la déclencher, pour envoyer les rapports
20 nécessaires à qui de droit. C'est plutôt l'abandon de son devoir
21 d'enquête, alors qu'il avait été avisé de certaines choses. Il était
22 avisé, il savait qu'il y avait des crimes qui se produisaient. C'est tout
23 ce que je dirai pour ce qui est de la torture.
24 Parlons maintenant de la persécution, à raison de passages à tabac ou
25 sévices.
Page 193
1 L'essentiel de son argument, c'est ceci: il dit que l'accusation voulait
2 une démarche contextuelle pour établir l'intention discriminatoire; que
3 l'accusation, quelque part, essaie de se délester du fardeau de la preuve
4 qui pèse sur ses épaules.
5 L'accusation n'essaie pas du tout, Messieurs les Juges, de déplacer ce
6 fardeau de la preuve qui reste fermement sur les épaules de l'accusation;
7 ce n'est pas ce que nous faisons. En réalité, dans la plupart des cas, la
8 seule façon de prouver l'intention dans un crime -et c'est vrai pour les
9 affaires que connaît le Tribunal, mais c'est vrai aussi dans les système
10 nationaux-, la seule façon d'administrer la preuve, c'est de la déduire de
11 toutes les circonstances environnantes.
12 Rares… enfin, pas très courants, sont les cas où il y a l'expression
13 directe de l'intention de la part de l'auteur. Il ne va pas crier son
14 intention au moment où il commet l'acte! Il n'est pas donné qu'une
15 personne va passer aux aveux, aveux qui vont révéler son intention, au
16 moment même des faits.
17 La Chambre de première instance doit pouvoir déduire l'intention des
18 circonstances environnantes. Et ici, les circonstances sont précisément la
19 nature systémique du comportement discriminatoire au KP Dom, la nature
20 systémique et systématique des sévices qui étaient infligés dans cet
21 établissement.
22 Ce contexte s'établit par un schéma fréquent, par la fréquence de ces
23 passages à tabac, à tel point qu'il est fort improbable que ceci aurait pu
24 être motivé par des facteurs inopinés.
25 A notre avis, si les moyens de preuve dévoilent un schéma généralisé
Page 194
1 d'actes qui auront eu lieu dans un environnement dont la caractéristique
2 essentielle est la discrimination pour une des raisons énumérées, raisons
3 religieuses, raciales ou politiques, la seule déduction ou inférence
4 logique -sauf preuve du contraire- c'est que ces actes, de façon
5 significative, ont été exécutés avec l'intention discriminatoire requise.
6 En d'autres termes, nous estimons qu'on est forcé à la déduction lorsque
7 l'environnement est tel qu'il est marqué, surtout par la discrimination.
8 En particulier, nous renvoyons à la proximité très grande qui existe entre
9 ces sévices et les autres crimes dont il est certain qu'ils ont une
10 motivation discriminatoire. Or ces actes ont été commis par les mêmes
11 personnes, les gardiens.
12 Ceci ne renverse pas la charge de la preuve. La charge de la preuve
13 demeure sur les épaules de l'accusation; c'est elle qui doit présenter
14 toutes les preuves nécessaires permettant de déclencher cette présomption.
15 Que disons-nous, en résumé? Si la Chambre de première instance est en
16 mesure de conclure que ces actes ont effectivement eu lieu et
17 qu'effectivement, c'est un environnement surtout caractérisé par des
18 pratiques systématiquement discriminatoires, on a du mal à se demander… on
19 peut se demander cette question rhétorique en prenant un exemple tout à
20 fait hypothétique: on peut se demander si l'accusé peut dissimuler ce
21 genre de présomption.
22 Nous avons mentionné des exemples venant du droit romano-germanique, de la
23 common law, mais aussi de décisions prises notamment par la Commission
24 interaméricaine sur les Droits de l'homme. Ce sont là des sources des plus
25 précieuses; vous le constaterez, j'en suis sûr. Ce Tribunal a reconnu
Page 195
1 aussi qu'il était possible, qu'il était légitime de tirer certaines
2 présomptions dans des circonstances précises. Je ne vais pas donner trop
3 de détails pour laisser le temps à mes collègues d'intervenir sur leurs
4 motifs.
5 Mais rappelez-vous l'affaire Aleksovski en appel, paragraphe 42; et même,
6 effectivement, la décision que vous avez prise dans l'arrêt Kunarac
7 s'agissant du viol. Là où il y a preuve de la présence de forces ou de
8 contrainte, de coercition, en l'absence d'autres moyens de preuve, il n'y
9 a pas d'autre choix, il ne peut pas y avoir consentement. Et ici, nous
10 reprenons par analogie ce type de raisonnement.
11 Voilà ce que je voulais dire. Je ne sais pas si je peux vous aider
12 davantage? Si ce n'est pas le cas, je vais donner la parole à Mme Rashid
13 qui va évoquer les sixième et septième motifs.
14 (Réplique du Procureur à la défense, relatives aux motifs d'appel 6 et 7,
15 par Mme Rashid.)
16 Mme Rashid (interprétation): Merci, Messieurs les Juges.
17 Permettez-moi de répondre à deux points évoqués par Me Bakrac. Ils ont
18 tous deux trait à la déportation, septième motif.
19 Mon confrère a soulevé la question de la déportation, ou plutôt du
20 transfert. Il donne l'exemple d'un transfert de Musulmans depuis leur
21 domicile jusqu'au KP Dom.
22 Ceci ressemble à la question que deux d'entre vous, Messieurs les Juges
23 -M. le Juge Shahabuddeen et M. le Juge Schomburg-, avez posée.
24 Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de répondre à ce moment-là et je
25 vais saisir l'occasion qui m'est donnée pour répondre maintenant.
Page 196
1 Transfert de maison à maison; c'était le cas. Ou trajet de faible
2 distance.
3 L'acte de déportation, tel que défini notamment dans le Jugement Blaskic
4 ou vertu de l'Article 7.1)d) du Statut de la CPI ne pose pas de limite; la
5 distance n'est pas en cause.
6 Je l'ai dit dans mes présentations précédentes: il faut mettre l'accent
7 sur les intérêts que la déportation cherche à protéger et par rapport au
8 préjudice qu'on essaie d'éviter.
9 L'acte de déportation est, en quintessence, le déplacement par la force,
10 le déplacement illicite d'une personne du lieu de résidence. Pour répondre
11 rapidement à la question soulevée par Me Bakrac, ce sera oui. Tout est
12 fonction de la raison pour laquelle une victime est transférée.
13 Effectivement, l'accusation estime qu'elle a le devoir et la
14 responsabilité de prouver que, en vertu du droit international, la
15 déportation était un acte illicite.
16 Tout est fonction des éléments constitutifs de la déportation, de voir si
17 ces éléments sont réunis ou pas en l'espèce. Si la victime a été
18 transférée par la force, délogée d'une maison pour être déplacée dans une
19 autre pour des raisons de sécurité ou des raisons militaires -c'est
20 selon-, comme le droit de Genève, à ce moment-là ce n'est pas
21 nécessairement de la déportation.
22 Mais prenons l'effet de cette cause-ci. Aucune exception de ce genre n'a
23 surgi. Jamais il n'a été allégué et il n'y a pas eu de moyens de preuve
24 selon lesquels les détenus auraient été transférés pour des raisons de
25 sécurité ou pour des raisons militaires. Des détenus ont été emmenés de
Page 197
1 chez eux, ont été placés au KP Dom. En théorie, c'est de la déportation,
2 ils ont été déplacés de chez eux par la force, mais ce n'est pas du tout
3 l'allégation que nous avions. Ici, je réponds uniquement à l'hypothèse
4 évoquée par mon confrère. La plupart des détenus qui ont quitté le KP Dom,
5 qui ont été soi-disant échangés ou ont simplement disparu, ce n'est pas là
6 quelque chose de rare dans un conflit.
7 Prenons Srebrenica: ici, nous parlons de 25.000 femmes et enfants qui ont
8 été déportés d'un endroit à l'autre. Si les forces serbes entrant dans
9 Ahmici décidaient d'en expulser tous les habitants musulmans, les
10 expulsaient sans trop se préoccuper de la destination ultime de ces
11 personnes, mais avaient pour seul objectif de veiller à ce que ces
12 personnes partent d'Ahmici, l'accusation se trouve dans l'impossibilité de
13 prouver le lieu où se sont retrouvées toutes ces personnes. Certains sont
14 devenus des réfugiés, vivent toujours dans la région, d'autres sont en
15 Allemagne aujourd'hui ou aux Pays-Bas; nous ne le savons pas. C'est la
16 raison pour laquelle, à notre avis, il faut dans l'acte de déportation se
17 concentrer sur l'acte de délogement d'une personne, de faire sortir une
18 personne de son lieu de résidence. Ce n'est pas la destination qui compte.
19 Autre point soulevé par Me Bakrac, il concerne les échanges. Permettez-moi
20 d'apporter un éclaircissement sur ce que j'avais dit précédemment à propos
21 de l'échange; le droit international n'est pas clair. L'échange en tant
22 que tel est-il un crime? Ce n'est pas clair et nous n'avons pas dans notre
23 acte d'appel évoqué cette question. Tout simplement, cette question ne
24 découlait pas des faits de la cause. La question de la légalité d'un
25 échange reste toujours peu claire.
Page 198
1 La Chambre de première instance a catégorisé les incidents de déportation
2 d'échanges, de soi-disant échanges à partir des faits; car, nous l'avons
3 dit dans l'Acte d'accusation, c'étaient des actes de transfert. La défense
4 au moment du procès n'a pas allégué que les soi-disant échanges qui se
5 sont produits auraient été légaux, licites. Au moment du procès, les
6 avocats de Krnojelac ont dit que ce n'était pas Krnojelac qui était
7 responsable de ce programme d'échanges, que c'était un certain Kovac,
8 Marko Kovac, que c'était lui, ce militaire.
9 La question de la légalité des échanges n'a jamais été un moyen de défense
10 au moment du procès. Si la Chambre d'appel veut un complément
11 d'informations et d'arguments à ce propos, nous sommes tout à fait prêts à
12 déposer de nouvelles écritures sur ce point. Mais à partir des faits de la
13 cause et aux fins du présent appel, c'est sans intérêt.
14 J'en ai ainsi terminé de ma réplique. Je pense que c'est maintenant Me
15 Carmona qui va vous parler des deux derniers motifs: les motifs 4 et 8.
16 Merci Monsieur le Président et Messieurs les Juges.
17 M. le Président: Merci Maître Rashid.
18 Maître Carmona? Vous n'avez pas de chance, vous êtes toujours le dernier!
19 (Réplique du Procureur à la défense, relative aux motifs d'appel 4 et 8,
20 par M. Carmona.)
21 M. Carmona (interprétation): Effectivement, Monsieur le Président!
22 Messieurs les Juges, au départ j'aimerais revenir sur un point soulevé par
23 l'un d'entre vous à propos du paragraphe 98. Des préoccupations ont été
24 manifestées quant à la question de savoir si, par exemple, un certificat
25 présenté aux Juges en date du 11 janvier 2000… de savoir si la défense
Page 199
1 était autorisée à présenter pour appréciation ce document à la Chambre. Il
2 faut voir la genèse de cette procédure.
3 Que s'est-il passé dans les faits? Il existait un autre document qui, lui,
4 portait la date… Il provenait de Momcilo Mandzic, le Président, qui avait
5 désigné Krnojelac en tant que directeur permanent, et ceci prenait effet à
6 partir du 17 mai 1992.
7 Voici ce qui s'était passé. Ce document venait bien sûr du ministère de la
8 Justice. La défense demandait le versement d'un document qui venait du
9 département de la Défense, où on résumait des données quant au
10 fonctionnement, aux réglementations et aux responsabilités de Krnojelac.
11 Et ce document disait au fond que sa responsabilité se limitait à
12 maintenir le bien culturel que représentait l'établissement pénitentiaire.
13 Par excès de prudence, la Chambre de première instance a reconnu qu'il y
14 avait deux documents controversés. Et c'est un résumé qui est contemporain
15 et qui aura une influence sur le poids donné à ce document. Nous avons
16 laissé l'option qui consistait à avoir un supplément de documents et à
17 demander le versement s'ils le voulaient. Or ils ne l'ont pas fait, les
18 avocats de la défense; ils n'ont pas demandé le versement de ce document.
19 Apparemment, il y avait une espèce de dispense ou d'exemption. Mais même
20 ceci étant donné, l'accusation essayait de contre-interroger à propos de
21 ce document et ceci a fait l'objet d'une objection de la part de la
22 défense. La démarche n'était pas constante, si vous voulez.
23 La possibilité de verser le document a été donnée à la défense, or elle
24 n'en a pas tiré partie. Mais je ne veux pas ici polémiquer parce que je
25 suppose que, demain, Me Bakrac va soulever cette question des documents et
Page 200
1 je devrai y répondre au moyen de faits.
2 Mais ceci mis à part, Me Bakrac a dit que, pour ce qui est des moyens de
3 preuve, il a dit qu'il n'était pas possible d'en conclure au crime, au
4 meurtre.
5 Madame Brady l'a dit, il n'est pas nécessaire d'avoir une connaissance
6 spécifique. Mais j'ajouterai qu'il n'est pas nécessaire de connaître tous
7 les éléments constitutifs de l'infraction. C'est bien ce que dit Celebici,
8 au fond.
9 Pour ce qui est du témoin RJ, je suis un peu perplexe face à la réponse
10 donnée par Me Bakrac à propos de RJ. Lorsqu'il dit que ce que la défense
11 estime… ou ce qu'a dit le témoin à l'accusé n'est pas nécessairement vrai.
12 Mais vous savez que c'était l'homme de confiance de Krnojelac, ce témoin;
13 (expurgé). Et il a dit: "Mais non, 'Mico'
14 n'aurait pas pu être arrêté". Or, il l'a été.
15 La déposition que fait RJ à propos de la conversation qu'il a eue avec
16 Krnojelac a été crue par la Chambre de première instance. Et si l'on pense
17 aux informations relayées au directeur, s'agissant de ce qui se passait,
18 vous avez ici, à l'endroit du compte rendu d'audience où il dit à
19 Krnojelac qu'il y a beaucoup de personnes portées disparues, Krnojelac
20 répond en disant: "(expurgé), ne me pose pas cette question, je ne veux pas
21 savoir ou je ne sais pas".
22 Autre question soulevée par l'avocat de la défense: il a demandé s'il
23 était nécessaire d'agir par rétroactivité pour diligenter une enquête.
24 Ceci concernait Ekrem Zekovic. Rappelez-vous, ce tabassage-là, il a eu
25 lieu vers le 8 ou le 9 juillet, quelque trois semaines avant que Krnojelac
Page 201
1 n'abandonne ses fonctions. Et Me Bakrac a dit qu'on n'aurait pas dû
2 utiliser cet incident pour dire qu'inévitablement, forcément, à notre
3 avis, Krnojelac était avisé.
4 Or ceci concerne un individu dont tous reconnaissent que c'était un homme
5 au tempérament très violent, très brutal, avant le conflit et pendant; que
6 c'était là un homme qui, objectivement, n'aurait jamais dû être gardien
7 d'un camp, vu son comportement général.
8 Ceci est intervenu à un moment tardif de ses fonctions, mais ceci ne
9 l'empêchait pas de réagir, d'assumer ses responsabilités. Rien ne prouve
10 qu'il n'était pas au courant de cet incident.
11 Et aussi pour l'incident avec Burilo; effectivement, là, il s'en est un
12 peu lavé les mains. Or il a reçu des informations tout à fait étonnantes
13 et il était présent au moment où le passage à tabac se faisait.
14 Pour ce qui est maintenant de l'absence du camp, je pense que nous avons
15 très adéquatement réagi à ceci dans notre mémoire. En note de bas de page
16 184, nous faisons référence au commentaire du CICR, à un protocole
17 additionnel: le fait que l'intimé ait été absent pendant une période
18 donnée ne suffit pas en tant que tel. On ne peut pas être exonéré de ses
19 responsabilités de supérieur en invoquant l'ignorance de rapports étant
20 adressés à cette personne ou en invoquant une absence temporaire.
21 Rappelez-vous Mucic, à Celebici, qui était un grief similaire. Seulement,
22 la Chambre d'appel ne l'a pas retenu. Il s'est absenté lui-même du camp.
23 Certes, il n'y a passé que sept mois alors que Krnojelac, lui, il a été
24 directeur pendant 15 mois.
25 J'ai parlé de la fonction de directeur. Maître Bakrac s'en inquiétait; il
Page 202
1 estimait que ceci, c'était dans le contexte de sa personnalité de
2 conformiste. Et le fait que la Chambre de première instance s'en serait
3 servi pour donner moins de poids à sa position de supérieur hiérarchique.
4 Mais nous estimons que ce n'est pas correct. Quelqu'un qui est un
5 commandant ne peut pas simplement dire: "Voilà, je suis directeur, mais il
6 ne faut pas en tenir compte".
7 Pour ce qui est de la question des victimes, une fois de plus, dans notre
8 mémoire, nous avons répondu de façon adéquate en parlant du rôle de plus
9 en plus important joué par les victimes au plan international. Et le
10 témoin FWS-183 avait effectivement fait une référence; il a indiqué le
11 type de souffrances subies par les familles qui n'avaient pas le droit de
12 visite, qui savaient que leur père avait été passé à tabac, ce genre de
13 choses. Je crois que nous avons répondu à ce genre d'argument dans nos
14 écritures.
15 Est évoquée maintenant la question de la coopération. Nous ne pensons pas
16 que la souplesse affichée par un conseil de la défense doit nécessairement
17 être prise en compte au moment de formuler la peine. Tout est question de
18 comportement, en fin de compte. Nous l'avons dit dans nos écritures, dans
19 notre réplique à la réponse. Pourquoi sommes-nous de cet avis? Pourquoi
20 pensons-nous qu'un conseil plaidant ici a une responsabilité et qu'il ne
21 doit pas simplement tomber sous ce principe de l'unité entre conseil et
22 client? Parce que le conseil est là pour accélérer le déroulement d'une
23 procédure et n'a rien à voir avec la conduite même de l'appelant, de
24 l'intimé ou de l'accusé.
25 Quatrième chose: toute cette question de la comparaison entre des
Page 203
1 personnes qui sont du même acabit dans le contexte de poste occupé dans un
2 camp. On a cité Aleksovski, on a cité Kupreskic. Mais dans ces deux
3 affaires, on s'est servi du précédent de la peine. Mais ceci doit se faire
4 en fonction de la similitude substantielle, pas d'une similitude générale.
5 Prenez Aleksovski: en fait, il aurait pu écoper d'une peine beaucoup plus
6 lourde s'il n'y avait pas eu cette question de "non bis in idem". Mais au
7 fond –et nous l'avons déjà dit-, la Chambre d'appel a reconnu notre
8 argument. Si on pense à la peine, aux meurtres, aux tortures –nous parlons
9 ici de tortures perpétrées sur 26, ou plutôt 23 individus-, c'est un
10 facteur qui devrait avoir un poids conséquent lorsqu'on se demande si la
11 peine à prononcer correspond aux critères appropriés. Et je le dis
12 d'autant, si l'on voit ce que la Chambre de première instance a dit au
13 paragraphe 514: "La sentence doit montrer à d'autres qui se trouvaient,
14 comme l'accusé, dans une position, dans un poste de responsabilité, dans
15 l'exercice de ses fonctions, qu'ils doivent être prêts à être punis pour
16 tout manquement".
17 Nous avons une peine ici de sept ans et demi qui renvoie à ce qui étaient,
18 en fait, les objectifs assez creux de la Chambre de première instance.
19 Voilà. Sans en dire davantage, je pense que j'ai ainsi terminé ma
20 présentation.
21 M. le Président: Est-ce qu'il y a des questions? Je ne pense pas. Qui a
22 des questions? Il n'y a pas de questions.
23 Je vais donc lever l'audience et puis, vous donner rendez-vous demain
24 matin à 9 heures pour entendre l'appel de la défense. En essayant de ne
25 pas trop vous répéter, si vous pouvez. Merci.
Page 204
1 (L'audience est levée à 17 heures 39.)
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25