Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi, 17 septembre 2003

2 [Arrêt de la Chambre d'appel]

3 [Audience publique]

4 --- L'audience est ouverte à 15 heures 05.

5 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

6 M. LE JUGE JORDA : Monsieur Krnojelac, voulez-vous vous asseoir, s'il vous

7 plaît.

8 Madame la Greffière, pouvez-vous -- Oui, je vous demande de vous asseoir.

9 Voilà. Pouvez-vous vous asseoir ? Vous m'entendez ? Asseyez-vous, s'il vous

10 plaît.

11 Madame la Greffière, pouvez-vous identifier l'affaire qui est inscrite au

12 rôle de la présente audience ?

13 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, bonjour.

14 Monsieur le Président, c'est l'affaire IT-97-25-A, le Procureur contre

15 Milorad Krnojelac.

16 M. LE JUGE JORDA : Est-ce que les parties peuvent -- les deux parties ont

17 fait appel. Est-ce que les deux parties peuvent s'identifier ? Voyons

18 d'abord du côté du Bureau du Procureur, s'il vous plaît.

19 M. CARMONA : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, Messieurs les

20 Juges, je suis Anthony Carmona pour le Procureur avec Norul Rashid, Helen

21 Brady et Lourdes Galicia. Je dois indiquer que notre conseil principal,

22 Christopher Staker a depuis quitté le bureau du Procureur. Je vous

23 remercie.

24 M. LE JUGE JORDA : Merci. Est-ce que les conseils de la Défense peuvent

25 s'identifier, s'il vous plaît ?

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1 M. BAKRAC : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

2 bonjour. Je suis Mihajlo Bakrac et je suis accompagné par mon collègue,

3 Miroslav Vasic. Et nous représentons l'accusé, M. Krnojelac.

4 M. LE JUGE JORDA : Bien, merci. A présent, est-ce que les interprètes

5 m'entendent bien ? Pas de problème ? Je ne les entends pas. Pas de

6 problème. Bien.

7 La Chambre d'Appel tient ce jour son audience publique pour le prononcé de

8 son Arrêt sur l'appel interjeté dans le cadre de l'affaire, le Procureur

9 contre Milorad Krnojelac.

10 Le 12 avril 2002, Milorad Krnojelac a déposé un acte d'appel contre le

11 Jugement rendu le 15 mars 2002 par le Chambre de première instance II,

12 composée des Juges David Hunt, Florence Mumba et Liu Daqun, condamnant ce

13 dit jugement Krnolejac à une peine unique de sept ans et demi

14 d'emprisonnement. La Chambre de première instance avait déclaré Krnolejac

15 coupable de persécution, un crime contre l'humanité, à raison

16 d'emprisonnement, de conditions de vie et de sévices, tant à titre

17 individuel qu'en tant que supérieur hiérarchique. Elle l'avait condamné

18 également pour actes inhumains, un crime contre l'humanité, à raison de

19 sévices, en tant que supérieur hiérarchique, de traitements cruels,

20 violation des lois et coutumes de la guerre, à raison de sévices, en tant

21 que supérieur hiérarchique et de traitements cruels, une violation des lois

22 ou coutumes de la guerre, à raison de conditions de vie, à titre

23 individuel.

24 Milorad Krnojelac avait été acquitté des chefs suivants :

25 Chef 2, torture, violation des lois ou coutumes de la guerre; chef 4,

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1 torture, un crime contre l'humanité; chef 8, meurtre, violation des lois et

2 coutumes de la guerre; chef 10 : assassinat, un crime contre l'humanité;

3 chef 11 : emprisonnement, un crime contre l'humanité; chef 13 : actes

4 inhumains, un crime contre l'humanité (à raison des conditions de vie).

5 Le Procureur a également interjeté appel du jugement du 15 avril 2002. Il

6 est à noter que les deux parties ont fait appel sur la sentence. La Chambre

7 d'appel va rendre ses conclusions relatives à

8 Chaque appel présenté, étant entendu que le présent résumé de l'Arrêt ne

9 constitue en rien la version faisant foi.

10 A cet égard, je vous signale en partie que la version écrite sera retardée

11 dans le dépôt auprès de vous, mais sera retardée de quelques heures. Je

12 signale simplement qu'une des parties ayant déposé des requêtes très

13 tardives la semaine dernière, et cela a retardé quelque peu la finalisation

14 du document, mais qu'il vous sera remis, qui vous sera remis en fin de

15 journée je l'espère.

16 Nous allons traiter d'abord de l'appel de Milorad Krnojelac. En dehors de

17 son motif d'appel relatif à la peine, Milorad Krnojelac a présenté cinq

18 motifs d'appel.

19 Il doit tout d'abord être noté l'allégation du Procureur s'agissant de

20 diverses questions de fait, selon laquelle les erreurs présentées par la

21 Défense ne remplissent pas les critères d'examen fixés dans la

22 jurisprudence du Tribunal.

23 La Chambre d'appel rappelle que la différence des procédures en vigueur

24 dans certains systèmes nationaux, la procédure d'appel prévue par l'Article

25 25 du statut du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie est de

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1 nature corrective et il n'est donc pas l'occasion pour examiner une cause

2 des novo. Ce régime d'appel entraîne des conséquences sur la nature des

3 arguments qu'une partie peu légitimement présentée en appel, ainsi que sur

4 la charge générale de la preuve, que celle-ci doit satisfaire afin que la

5 Chambre d'appel intervienne. S'agissant en particulier des erreurs de fait

6 alléguées, la partie qui allègue ce type d'erreurs au soutien d'un appel

7 contre une condamnation doit rapporter la double preuve de la commission de

8 l'erreur et du déni de justice qui en a résulté. La Chambre d'appel a

9 régulièrement rappelé qu'elle ne modifie pas à la légère les conclusions

10 factuelles dégagées en première instance. La Chambre d'appel souligne qu'il

11 est de sa jurisprudence constante, que lorsqu'une partie n'est pas en

12 mesure d'expliquer de quelle manière une prétendue erreur invalide la

13 décision, elle doit en règle générale s'abstenir de faire appel sur ce

14 point. La Chambre d'appel considère que ce principe vaut tant pour les

15 allégations d'erreurs de droit que les allégations d'erreurs de fait. De

16 manière conséquente, lorsque les arguments présentés par une partie n'ont

17 aucune chance d'aboutir à l'annulation ou à la révision de la décision

18 contestée. La Chambre d'appel pourra les rejeter d'emblée, en tant que

19 motifs non légitimes, et n'aura pas à les examiner sur le fond.

20 De l'avis de la Chambre d'appel, la quasi-totalité des motifs d'appel de la

21 Défense soulevant des erreurs de fait alléguées comme telles, sont en

22 l'espèce non valable. En effet, d'une manière générale, il ressort du

23 mémoire de la Défense, qu'à l'exception d'un motif d'appel et de celui

24 relatif à la peine, cette dernière n'a avancé aucun argument tendant à

25 démontrer le caractère déraisonnable des conclusions de la Chambre de

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1 première instance. Il est en effet impossible pour la Chambre d'appel

2 d'identifier l'erreur qu'aurait commise la Chambre de première instance. Il

3 apparaît que la Défense ne fait en réalité que contester les conclusions de

4 la Chambre de première instance et proposer une appréciation alternative

5 des éléments de preuve. Or, cette simple contestation du jugement ne

6 constitue en rien une démonstration adéquate du caractère erroné des

7 conclusions de la Chambre de première instance. En n'indiquant pas en quoi

8 l'appréciation par la Chambre de première instance des éléments de preuves

9 cités est déraisonnable et erronés, la Défense n'assume la charge de la

10 preuve qui lui est imposée dans le cadre des allégations d'erreurs de fait.

11 La Chambre d'appel a analysé la recevabilité de chaque motif d'appel

12 alléguant des erreurs de fait, et a considéré que les premier, troisième et

13 quatrième motifs d'appel de la Défense étaient, compte tenu des critères

14 d'examen que je viens de rappeler, illégitimes. S'agissant du cinquième

15 motif d'appel alléguant une erreur de fait, la Défense a satisfait la

16 charge de la preuve qui lui incombe. La Chambre d'appel a donc analysé les

17 arguments relatifs à ce motif sur le fond.

18 Le deuxième motif d'appel de la Défense alléguant la commission par la

19 Chambre de première instance d'une erreur sur un point de droit, a

20 également été analysé par la Chambre d'appel.

21 Deuxième motif d'appel donc de Krnojelac, il s'agit d'un motif d'appel sur

22 la complicité de persécution pour emprisonnement et conditions de vie.

23 Ce motif d'appel est divisé en trois moyens principaux :

24 Le premier moyen : Les actes ou omissions de Krnojelac et leur importance

25 pour la commission de crime de persécution à raison de l'emprisonnement et

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1 des conditions de vie.

2 Krnojelac affirme que la Chambre de première instance a commis une erreur

3 de droit en le déclarant coupable de complicité de persécutions à raison de

4 l'emprisonnement des détenus civils non-serbes et des conditions de vie

5 imposées à ces derniers sans préciser en quoi il avait contribué de façon

6 importante à la commission de ces crimes par leurs auteurs principaux.

7 La Chambre d'appel a examiné le bien fondé de ce moyen dans un premier

8 temps au regard de l'emprisonnement et dans un second temps au regard des

9 conditions de vie. La Chambre d'appel a analysé ce moyen comme une

10 allégation de motivation insuffisante touchant à l'actus reus de la

11 complicité. Elle a rappelé à titre liminaire que le complice doit par ses

12 actes ou omissions apporter à l'auteur principal du crime une aide, un

13 encouragement ou un soutien moral ayant un effet important sur la

14 perpétration du crime.

15 S'agissant de l'emprisonnement, la Chambre d'appel relève que la lecture du

16 jugement dément l'affirmation de Krnojelac selon laquelle la Chambre de

17 première instance n'aurait pas précisé par quels actes ou omissions il

18 aurait apporté aux auteurs principaux du crime de persécution à raison de

19 l'emprisonnement des détenus civils non-serbes une aide, un encouragement

20 ou un soutien moral ayant un effet important sur la perpétration du crime

21 par ces derniers.

22 S'agissant des conditions de vie, la Chambre d'appel a constaté que la

23 Chambre de première instance a bien contrairement aux affirmations de

24 Krnojelac, caractérisé l'omission sous tendance à condamnation comme

25 complice des auteurs des conditions de vie inhumaines imposées aux détenus

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1 non-serbes.

2 Deuxième moyen de ce deuxième motif d'appel, la connaissance par Krnojelac

3 de ce que par ses actes ou omissions, il contribuait largement au crime

4 sous-jacents commis par les auteurs principaux, à raison des persécutions

5 pour emprisonnement et conditions de vie, ainsi que la connaissance par

6 Krnojelac de l'intention discriminatoire de leurs auteurs.

7 Contrairement au moyen précédent, ce moyen concerne la mens rea et non

8 l'actus reus de la complicité de persécution. En dépit des allégations

9 avancées par la Défense, la Chambre d'appel a considéré que ce motif

10 relevait en substance davantage d'une allégation d'erreur de fait que d'une

11 erreur de droit. La Chambre d'appel a également examiné dans un premier

12 temps les allégations de Krnojelac relatives à l'emprisonnement, puis dans

13 un second temps celles relatives aux conditions de vie.

14 S'agissant des deux allégations, la Chambre d'appel a indiqué que Krnojelac

15 n'a pas démontré que les conclusions factuelles en question étaient

16 déraisonnables. La Chambre d'appel rejette en conséquence les deux branches

17 du second moyen.

18 Quant au troisième moyen, la mens rea du complice d'un acte de persécution.

19 Cette erreur de droit alléguée par Krnojelac pose la question de savoir

20 s'il suffit, pour établir la mens rea du complice d'un acte de persécution,

21 de démontrer que l'intéressé a apporté volontairement son aide ou

22 encouragement à l'auteur principal en sachant que ce dernier poursuivait

23 une intention discriminatoire ou bien s'il faut également démontrer que le

24 complice était lui aussi animé d'une telle intention.

25 De l'avis de la Chambre d'appel, le complice de persécution, infraction

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1 comportant un dol spécial, doit non seulement avoir connaissance du crime

2 dont il facilite la perpétration, mais doit aussi être conscient de

3 l'intention discriminatoire des auteurs de ce crime. Il ne doit pas

4 nécessairement partager cette intention, mais doit être conscient du

5 contexte discriminatoire dans lequel le crime va être commis et savoir que

6 son soutien, ces encouragements ont un effet importance perpétration. La

7 Chambre d'appel constate qu'il s'agit précisément du critère appliqué par

8 la Chambre de première instance en espèce, au paragraphe 489 et 490 du

9 Jugement.

10 Par conséquent, le deuxième motif d'appel de la Défense est rejeté.

11 Abordons le cinquième motif d'appel de Krnojelac : concerne la

12 responsabilité du supérieur hiérarchique pour les sévices infligés à

13 l'encontre des détenus.

14 Krnojelac soutient que la Chambre de première instance a eu tort de le

15 déclarer coupable, en sa qualité de supérieur hiérarchique au sens de

16 l'Article 7(3) du Statut, d'actes inhumains et de traitements cruels à

17 raison des sévices. Il soutient que la Chambre de première instance a eu

18 tort de conclure qu'il savait que des sévices étaient infligés aux détenus.

19 Krnojelac conteste les trois principaux éléments de preuve sur lesquels la

20 Chambre de première instance est appuyée pour déterminer s'il avait la

21 connaissance requise.

22 Les arguments présentés par Krnojelac a l'appui de ce motif d'appel n'ont

23 pas été jugés convaincants par la Chambre d'appel. Cette dernière a donc

24 rejeté les arguments relatifs à ce motif d'appel pour défaut de fondement.

25 Le cinquième motif d'appel est donc rejeté.

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1 Nous abordons à présent l'appel du Procureur. Le Procureur a présenté sept

2 motifs d'appel.

3 La Chambre d'appel va les reprendre successivement.

4 Premier motif d'appel : La Chambre de première instance aurait commis une

5 erreur de droit dans sa définition de la responsabilité découlant de la

6 participation à une entreprise criminelle commune et dans l'application de

7 cette définition aux faits de l'espèce.

8 Selon le Procureur, une application correcte de la définition de

9 l'entreprise criminelle commune aurait conduit è retenir la responsabilité

10 de Krnojelac comme co-auteur et non comme complice des crimes de

11 persécution pour emprisonnement et actes inhumains et de traitement cruel

12 pour les conditions de vie dans le camp au titre des charges 1 et 15 de

13 l'acte d'accusation.

14 La Chambre d'appel considère que, s'agissant d'établir l'intention de

15 participer è une entreprise criminelle commune systémique, la Chambre de

16 première instance a été au-delà du critère posé par la Chambre d'appel dans

17 l'affaire Tadic, en exigeant la preuve d'un accord portant sur la

18 commission de chacun des crimes relevant du but commun. Dès lors qu'il

19 résulte des conclusions de la Chambre de première instance que le système

20 en place au KP Dom, au camp KP Dom visait l'imposition aux détenus non-

21 serbes, dans un but discriminatoire, de conditions de vie inhumaines et de

22 mauvais traitement de la Chambre de première instance se devait de

23 rechercher si Krnojelac avait connaissance de ce système et adhérait à ce

24 dernier, sans qu'il soit nécessaire d'établir qu'il avait passé avec les

25 gardiens et soldats auteurs principaux des crimes impliqués par ce système

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1 un accord en vue de leur commission.

2 De l'avis de la Chambre d'appel, la portée de cette erreur alléguée dépend

3 de la question de savoir si l'application du critère posé par l'Arrêt

4 Tadic, à savoir la détermination de l'intention à partir de la connaissance

5 du système et de l'adhésion à ce dernier, au lieu du critère retenu par la

6 Chambre de première instance exigeant l'accord susvisé, aurait conduit à

7 engager la responsabilité pénale de Krnojelac comme co-auteur et non comme

8 simple complice. Si tel est bien le cas, il y a lieu de considérer que

9 l'erreur en question a invalidé le jugement.

10 Faisant application du critère pertinent aux faits de l'espèce, et compte

11 tenu des conclusions factuelles retenues par la Chambre de première

12 instance au sujet des conditions de vie constitutives d'actes inhumains,

13 des sévices et d'actes de torture ainsi que de l'emprisonnement, la Chambre

14 d'appel a conclu que l'erreur commise par la Chambre de première instance

15 était une erreur invalidant le verdict dans la mesure où l'application de

16 ce critère aurait dû conduire la Chambre de première instance a retenir la

17 responsabilité de Krnojelac comme co-auteur. La Chambre d'appel considère

18 que l'erreur de droit commise par la Chambre de première instance était de

19 nature à invalider le jugement. En conséquence, la Chambre d'appel condamne

20 Krnojelac des Chefs 1 et 15 pour le crime de persécution pour

21 emprisonnement et actes inhumains et pour le crime de traitements cruels à

22 raison des conditions de vie imposées et ceci comme co-auteur.

23 Par ailleurs, le Procureur a reproché à la Chambre de première instance

24 d'avoir compartimenté en fonction des différentes catégories de crimes sous

25 tendant l'incrimination de persécution les comportements qu'il envisageait

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1 comme participant d'un système.

2 La Chambre d'appel considère tout d'abord que, si elle est clairement

3 inspirée des affaires de camps d'extermination et de concentration de la

4 seconde Guerre mondiale, la seconde catégorie d'affaires définie par

5 l'Arrêt Tadic (ci-après systémique) peut s'appliquer à d'autres affaires

6 que celle-ci, notamment dans le cadre des violations graves du droit

7 international humanitaire commis sur le territoire de l'ex Yougoslavie

8 depuis 1991. Même si les auteurs des faits jugés dans les affaires de camps

9 de concentrations précitées étaient pour la plupart membres d'organisations

10 criminelles, la jurisprudence Tadic n'a pas considéré qu'une telle

11 appartenance soit nécessaire pour retenir cette forme de participation à

12 l'entreprise criminelle commune. Ce qui caractérise cette catégorie

13 d'affaire, variante de la première, d'après l'Arrêt Tadic, c'est

14 l'existence d'un système organisé visant à la réalisation d'un but criminel

15 commun. S'agissant de l'intention requise, il faut que l'accusé ait eu

16 personnellement connaissance du système en question que cela soit prouvé

17 par voie de témoignage spécifique ou déduit des pouvoirs que détenait

18 l'accusé, et qu'il ait eu l'intention de contribuer à ce système concerné.

19 Le Procureur pouvait donc recourir à cette forme d'entreprise criminelle

20 commune.

21 La Chambre d'appel rappelle que c'est au Procureur de déterminer le choix

22 de la théorie juridique qui lui apparaît la plus à même de démontrer les

23 faits qu'il entend soumettre à l'appréciation de la Chambre de première

24 instance permettent d'établir la responsabilité de la personne poursuivie.

25 Le Procureur peut à cette fin alléguer à titre cumulatif ou alternatif une

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1 ou plusieurs théories juridiques, à condition de le faire clairement,

2 suffisamment tôt et en tout cas, à temps pour permettre à l'accusé de

3 savoir ce qui lui est précisément reproché et de pouvoir organiser sa

4 défense en conséquence.

5 La Chambre d'appel constate que le reproche de compartimentation allégué

6 par le Procureur est bien fondé. Replaçant la démarche suivie par la

7 Chambre de première instance dans son contexte, la Chambre d'appel constate

8 que la Chambre de première instance a clairement suivi l'approche retenue

9 dans l'Acte d'accusation en recherchant pour chacun de ces éléments du but

10 commun allégué par le Procureur si Krnojelac partageait l'intention des

11 auteurs principaux des crimes. Il s'agit de l'avis de la Chambre d'appel

12 d'une approche qui correspond davantage à la première catégorie

13 d'entreprise criminelle commune qu'à la seconde mais ne constitue pas une

14 erreur de droit dans la mesure où le Procureur n'a pas sorti son recours à

15 la théorie de l'entreprise criminelle commune systémique d'une définition

16 plus adaptée du but commun. La Chambre d'appel ne discerne donc aucune

17 erreur dans la démarche suivie par la Chambre de première instance.

18 La Chambre d'appel considère que la question de savoir quelle démarche

19 paraît la plus appropriée pour rechercher si la responsabilité, à titre de

20 co-auteur ou de complice d'un participant à une entreprise criminelle

21 commune systémique, peut être retenue pour des crimes commis par les

22 auteurs principaux dans un contexte tel que celui du KP Dom est une

23 question d'intérêt général pour la jurisprudence du Tribunal et l'a en

24 conséquence examinée en se limitant à l'examen des actes poursuivis comme

25 persécutions. De l'avis de la Chambre d'appel, la démarche la plus

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1 appropriée en l'espèce aurait consisté pour le Procureur à limiter la

2 définition du but commun dans le système KP Dom à la commission des crimes

3 qui, compte tenu du contexte et des preuves présentées, pouvaient au-delà

4 de tout doute raisonnable être considérés comme ayant été commun à tous les

5 auteurs. A titre au moins alternatif, le Procureur aurait alors dû préciser

6 sous quelle forme la responsabilité de l'accusé lui paraissait pouvoir être

7 retenue s'agissant des crimes ne s'inscrivant pas clairement dans le but

8 commun au système ainsi défini. De l'avis de la Chambre d'appel, la

9 démarche suivante pouvait être envisagée.

10 S'agissant des crimes allégués, comme les meurtres, qui tout en ayant été

11 commis au KP Dom dépassaient manifestement le but commun au système : la

12 responsabilité d'un participant au système pourra être engagée pour de tels

13 actes commis par un autre participant s'il était prévisible qu'un tel crime

14 était susceptible d'être commis par l'un ou l'autre des participants et que

15 le premier a délibérément pris ce risque (ou s'y est montré indifférent).

16 La chambre d'appel observe que telle a été la thèse soutenue par le

17 Procureur s'agissant des meurtres dans son Mémoire préalable au procès.

18 S'agissant des crimes allégués, qui tout en réunissant plusieurs co-auteurs

19 au sein du KP Dom n'apparaissent pas au-delà de tout doute raisonnable,

20 constituer un objectif commun à l'ensemble des participants au système, il

21 conviendra de les traiter, sans recourir à la notion de système, comme

22 faisant partie d'une entreprise criminelle commune de la première

23 catégorie, à l'Arrêt du dit monsieur. La Chambre d'appel est d'avis que le

24 crime allégué de travaux forcés doit être traité comme tel. Une personne

25 ayant participé à sa commission pourra être considérée comme co-auteur

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1 d'une entreprise criminelle commune ayant pour but la commission du crime

2 en question à condition que l'intéressé partage l'intention commune des

3 auteurs principaux. Alternativement, l'intéressé pourra être considéré

4 comme complice du crime s'il avait simplement connaissance de l'intention

5 de ses auteurs et leur a apporté un soutien ayant eu un effet important sur

6 la perpétration du crime.

7 S'agissant des crimes allégués s'inscrivant dans un plan plus vaste tel

8 l'emprisonnement et la déportation, il conviendra de distinguer suivant que

9 les crimes en question font à la fois partie du but commun à l'ensemble des

10 participants au système et à d'autres co-auteurs extérieurs au système ou

11 qu'ils s'inscrivent dans un but commun partagé par une partie seulement des

12 participants au système et des personnes extérieures à ce dernier. Dans le

13 premier cas, auquel s'apparent le crime d'emprisonnement, le concept de

14 système pourra être retenu pour l'ensemble de ses participants. La

15 particularité de ces crimes toutefois tiendra au fait que certains de leurs

16 auteurs principaux, à savoir dans le cas de l'emprisonnement, certaines

17 autorités civiles et/ou militaires ayant ordonné les arrestations

18 arbitraires et les internements au KP Dom sont des personnes extérieures au

19 système en place dans le camp. Alors que dans le deuxième cas, auquel

20 s'apparente l'expulsion ou transfert de certains détenus non-serbes, il

21 conviendra de considérer les crimes en question, sans recourir au système.

22 Une personne ayant participé à leur commission pourra être considéré comme

23 co-auteur d'une entreprise criminelle commune ayant pour but la commission

24 des crimes en question à condition que l'intéressé partage l'intention

25 commune des auteurs principaux. Alternativement, l'intéressé pourra être

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1 considéré comme complice des crimes s'il avait simplement connaissance de

2 l'intention des auteurs principaux et leur a apporté un soutien ayant eu un

3 effet important sur la perpétration des crimes.

4 Nous abordons maintenant le deuxième motif d'appel du Procureur. La Chambre

5 de première instance aurait commis une erreur de droit en exigeant que

6 l'acte d'accusation fasse état d'une forme élargie de l'entreprise

7 criminelle commune. Le Procureur soutient que la Chambre de première

8 instance a commis une erreur de droit lorsqu'elle a estimé qu'à moins qu'il

9 ne soit fait expressément état d'une entreprise criminelle commune élargie

10 dans l'acte d'accusation, l'accusé ne pouvait être tenu responsable pour

11 avoir participé à la troisième catégorie d'entreprise criminelle commune

12 décrite dans l'Arrêt Tadic, s'agissant de l'un quelconque des crimes

13 allégués. Le Procureur ne demande que le Jugement en première instance soit

14 infirmé ou révisé sur ce point. Il soulève ce moyen d'appel en raison de

15 son importance générale pour la jurisprudence du Tribunal.

16 La Chambre d'appel relève que, dans sa décision relative à la forme du

17 deuxième acte d'accusation modifié, la Chambre de première instance, qui

18 était notamment saisie d'un grief portant sur le manque de précision du

19 paragraphe 5.2 de l'acte en question, a indiqué que le Procureur exposait

20 pour la première fois dans cet acte la thèse du but commun et a répondu à

21 la question de savoir ce que recouvre exactement cette thèse. Ce faisant,

22 la Chambre de première instance a mentionné les trois catégories d'affaires

23 visées par l'Arrêt Tadic. Compte tenu de sa décision, s'il considérait que

24 la Chambre de première instance s'était méprise sur ses intentions sur ce

25 point, il appartenait au Procureur de lever toute ambiguïté à cet égard,

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1 soit en demandant à la Chambre de première instance de reconsidérer sa

2 décision, dans l'hypothèse où le Procureur n'avait envisagé de se fonder

3 sur une conception extensive de l'entreprise criminelle commune que

4 postérieurement à la décision en question, il lui appartenait de solliciter

5 postérieurement à celle-ci la possibilité de modifier l'acte d'accusation.

6 La Chambre d'appel constate qu'il ressort du Jugement de la Chambre de

7 première instance que c'est précisément dans la mesure où le Procureur

8 s'est abstenu de modifier l'acte d'accusation, après que la Chambre de

9 première instance eut sans ambiguïté interprété le second acte d'accusation

10 modifié comme n'envisageant pas une forme élargie de l'entreprise

11 criminelle commune, que cette dernière a conclu comme elle l'a fait. La

12 Chambre de première instance a estimé, compte tenu de ces circonstances,

13 dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, que ce serait faire preuve

14 d'injustice que d'autoriser le Procureur à se fonder sur une conception

15 extensive de l'entreprise criminelle pour établir sa responsabilité.

16 Force est de constater qu'il résultait de ces circonstances une certaine

17 incertitude pour la Défense quant à la thèse de l'accusation. Dès lors,

18 même s'il ressort du Mémoire en clôture de Krnojelac qu'il a bien pris en

19 considération les trois catégories d'entreprise criminelle commune décrites

20 par l'Arrêt Tadic avant de conclure qu'il n'avait pas pris part à une

21 entreprise criminelle commune, la Chambre d'appel considère que, compte

22 tenu de l'ambiguïté persistante s'agissant du point de savoir quelle était

23 exactement la thèse du Procureur, la Chambre de première instance était

24 bien fondée à refuser, en équité, d'envisager une forme extensive de

25 responsabilité à l'encontre de Krnojelac.

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1 Ce motif d'appel est donc rejeté.

2 Examinons à présent le troisième motif d'appel du Procureur :

3 La Chambre de première instance aurait commis une erreur de fait en

4 concluant que Krnojelac ne savait pas et n'avait pas de raison de savoir

5 que ses subordonnés torturaient les détenus et en estimant, en conséquence,

6 qu'il ne pouvait être tenu responsable au regard de l'Article 7(3) du

7 Statut.

8 La Chambre d'appel a rappelé les faits pertinents admis par la Chambre de

9 première instance. Ces faits concernent à la fois le contexte de la

10 commission des sévices et le caractère généralisé de leur commission,

11 l'autorité exercée par Krnojelac sur ses subordonnés en tant que directeur

12 de la prison, et la fréquence des interrogatoires et des punitions

13 infligées aux détenus.

14 De l'avis de la Chambre d'appel, le contexte tant externe, à savoir les

15 circonstances dans lesquelles a été créé le centre de détention, qu'en

16 contexte interne, c'est-à-dire le fonctionnement du centre, notamment le

17 caractère systématique des sévices et la fréquence des interrogatoires, mis

18 en relation avec le fait que Krnojelac a été le témoin des sévices infligés

19 à un témoin nommé Zekovic, apparemment dans le but défendu de le punir de

20 sa tentative d'évasion, le fait qu'ultérieurement à cet événement, au moins

21 un autre détenu, le témoin FWS-73, a été victime d'actes de torture, ainsi

22 que le fait que la Chambre de première instance n'a pas admis la

23 déclaration de Krnojelac selon laquelle ce dernier n'aurait pas été au

24 courant d'un quelconque châtiment infligé en raison de l'évasion de

25 Zekovic, impliquent, tous ces événements donc, impliquent qu'aucun juge du

Page 353

1 fait raisonnable ne pouvait manquer de conclure que Krnojelac avait des

2 raisons de savoir que certains des actes avaient été ou pouvaient avoir

3 être commis dans un but prohibé par les règles de droit relatives à la

4 torture. Krnojelac possédait un certain nombre d'informations générales de

5 nature à le mettre en garde contre d'éventuels agissements de ses

6 subordonnés constitutifs d'actes de torture. Par conséquent, sa

7 responsabilité doit être engagée en vertu de l'Article 7(3) du Statut.

8 On ne saurait trop souligner que, lorsqu'il est question de responsabilité

9 du supérieur hiérarchique, l'accusé n'est pas mis en cause pour les crimes

10 commis par ses subordonnés, mais pour un manquement à l'obligation qu'il

11 avait en tant que supérieur hiérarchique d'exercer un contrôle. Il ne fait

12 pas de doute que compte tenu des informations dont il disposait, Krnojelac

13 était en mesure d'exercer un tel contrôle, c'est-à-dire d'enquêter sur la

14 commission éventuelle d'actes de torture. La Chambre de première instance

15 ayant en outre considéré que, s'agissant des sévices, il avait le pouvoir

16 de prévenir les crimes ou d'en punir les auteurs. En jugeant qu'aucun juge

17 des faits raisonnable n'aurait pu tirer les conclusions factuelles

18 auxquelles la Chambre de première instance est parvenue, la Chambre d'appel

19 est d'avis que la Chambre de première instance a commis une erreur de fait.

20 S'agissant de savoir si cette erreur a entraîné un déni de justice, la

21 Chambre d'appel fait sienne les conclusions de la Chambre d'appel du

22 Tribunal pénal international pour le Rwanda dans l'affaire Rutaganda, et

23 considère que lorsque l'accusé a erronément été acquitté par la Chambre de

24 première instance, cette dernière a manqué à son devoir en ne dégageant pas

25 toutes les implications juridiques requises des éléments de preuve

Page 354

1 présentés.

2 La Chambre d'appel examine à présent le quatrième motif d'appel du

3 Procureur :

4 La Chambre de première instance aurait commis une erreur de fait en

5 concluant qu'aux fins de l'Article 7(3) du Statut, les informations dont

6 disposait Krnojelac n'étaient pas suffisantes pour l'avertir que ses

7 subordonnés étaient impliqués dans le meurtre de détenus du KP Dom.

8 Le Procureur fait valoir que, compte tenu des conclusions factuelles

9 acceptées par la Chambre de première instance, la seule conclusion

10 raisonnable possible pour la dite Chambre était que Krnojelac disposait de

11 suffisamment d'informations de nature à l'avertir du risque d'implication

12 de ses subordonnées dans le meurtre de détenus.

13 Comme pour le motif d'appel précédent, la Chambre d'appel a rappelé les

14 faits pertinents admis par la Chambre de première instance s'agissant des

15 meurtres.

16 De l'avis de la Chambre d'appel, un certain nombre de faits constituent des

17 informations suffisamment alarmantes exigeant de Krnojelac qu'il procède à

18 une enquête complémentaire. Ayant connaissance des sévices ainsi que de

19 disparitions suspectes, et voyant les impacts de balle sur les murs,

20 Krnojelac était en mesure de se dire que les auteurs étaient susceptibles

21 d'avoir commis des meurtres. A tout le moins, il aurait dû diligenter une

22 enquête. De l'avis de la Chambre d'appel, aucun juge des faits raisonnable

23 n'aurait donc pu tirer les conclusions factuelles auxquelles la Chambre de

24 première instance est parvenue. La Chambre d'appel considère donc que la

25 Chambre de première instance a commis une erreur de fait et que, pour les

Page 355

1 raisons précédemment évoquées, celle-ci a entraîné un déni de justice.

2 Regardant à présent le cinquième motif d'appel du Procureur : La Chambre de

3 première instance aurait commis une erreur de fait en concluant que les

4 sévices constituant des actes inhumains et des traitements cruels n'ont pas

5 été infligés pour des motifs discriminatoires et qu'en conséquence,

6 Krnojelac ne pouvait être tenu responsable de persécutions en tant que

7 supérieur hiérarchique

8 Le Procureur soutient que la Chambre de première instance s'est fourvoyée

9 en concluant que les sévices corporels constitutifs d'actes inhumains et de

10 traitements cruels infligés par les gardiens à des détenus du KP Dom n'ont

11 pas été commis pour des motifs discriminatoires et qu'ils ne constituent

12 donc pas des persécutions pour lesquelles la responsabilité de Krnojelac en

13 tant que supérieur hiérarchique pouvait être mise en cause sur la base de

14 l'Article 7(3) du Statut.

15 La Chambre d'appel rappelle qu'en droit, la persécution en tant que crime

16 contre l'humanité requiert la preuve d'une intention spécifique pour

17 discriminer sur la base de motifs politiques, raciaux ou religieux, et

18 qu'il appartient au Procureur de prouver que les actes en question ont été

19 commis avec l'intention discriminatoire requise. La Chambre d'appel ne

20 saurait considérer que l'intention discriminatoire des sévices commis peut

21 être directement déterminée sur la base du caractère discriminatoire

22 général d'une attaque qualifiée de crime contre l'humanité. Selon la

23 Chambre d'appel, un tel contexte ne peut à lui seul, constituer la preuve

24 d'une intention discriminatoire. Cependant, la Chambre d'appel est d'avis

25 que l'intention discriminatoire peut être déduite d'un tel contexte, à

Page 356

1 condition qu'il existe au regard des faits de l'espèce, des circonstances

2 entourant la commission des actes reprochés, qui confirment l'existence

3 d'une telle intention. Parmi ces circonstances, peuvent être pris en compte

4 par exemple le fonctionnement de la prison notamment, le caractère

5 systématique des crimes commis à l'encontre d'un groupe racial ou religieux

6 ou l'attitude générale de l'auteur présumé de l'infraction au travers de

7 son comportement.

8 En l'espèce, la Chambre de première instance a indiqué, je

9 cite :

10 "La détention des non-Serbes au KP Dom, et les actes ou commissions qui y

11 étaient commis, étaient manifestement liés è l'attaque généralisée et

12 systématique lancée contre la population civile non-serbe dans la

13 municipalité de Foca."

14 De l'avis de la Chambre d'appel, on pourrait déduire de cette constatation

15 que les traitements infligés aux détenus non-serbes sont le résultat de la

16 politique discriminatoire précitée, à l'origine de leur mise en détention.

17 Encore faut-il que des circonstances entourant la commission des actes

18 reprochés confirment cette première déduction.

19 En l'espèce, il ressort des conclusions de la Chambre de première instance

20 qu'en réalité, seuls les détenus non-serbes faisaient l'objet de sévices.

21 La Chambre d'appel est d'avis que les différences de traitement entre les

22 détenus serbes et non-serbes ne peuvent raisonnablement être attribuées au

23 hasard d'affectation du personnel de garde. Cette constatation vient donc

24 confirmer la déduction précitée. La Chambre d'appel considère donc que la

25 seule conclusion raisonnable possible sur la base des faits pertinents

Page 357

1 admis par la Chambre de première instance, était que les sévices ont été

2 commis à l'encontre des détenus non-serbes en raison de leur appartenance

3 politique ou religieuse, et que par conséquent ces actes illicites ont été

4 commis avec l'intention discriminatoire requise. La Chambre d'appel

5 considère qu'à supposer que les coups portés aux détenus non-serbes l'aient

6 été pour punir ces détenus de violations du règlement, le choix de cette

7 sanction, dès lors qu'elle n'a été infligé qu'à des détenus non-serbes,

8 procédait d'une volonté de les discriminer pour des motifs religieux ou

9 politiques.

10 Le Procureur soutient que Krnojelac devrait être reconnu coupable, sur la

11 base de l'Article 7(3) du Statut, des persécutions commises. S'agissant de

12 Krnojelac, la Chambre d'appel rappelle que la Chambre de première instance

13 a reconnu que ce dernier a librement accepté le poste de directeur en

14 sachant pertinemment que des civils non-serbes étaient détenus illégalement

15 au KP Dom en raison de leur origine ethnique. Krnojelac a par ailleurs

16 admis qu'il savait que des non-Serbes étaient détenus précisément parce

17 qu'ils étaient non-Serbes, et qu'aucune des procédures instituées pour les

18 personnes détenues légalement n'était suivie au KP Dom. Enfin, la Chambre

19 de première instance a reconnu que Krnojelac savait que des détenus non-

20 serbes étaient battus et généralement maltraités. Il avait connaissance

21 des conditions de vie des détenus non-serbes, des exactions et autres

22 mauvais traitements dont ils étaient victimes au KP Dom et il savait que

23 ces sévices s'inscrivaient dans le cadre de l'attaque lancée contre la

24 population non-serbe de la municipalité de la ville de Foca. Compte tenu de

25 tous les éléments précités, la Chambre d'appel est d'avis que Krnojelac,

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1 qui, en tant que directeur de la prison, a toujours eu autorité sur tous

2 les détenus du KP Dom, disposait d'informations suffisantes pour l'alerter

3 du risque que les actes inhumais et traitements cruels étaient commis à

4 l'encontre des détenus non-serbes en raison de leur appartenance politique

5 ou religieuse. La Chambre d'appel conclut donc que la Chambre de première

6 instance a commis une erreur de fait qui a entraîné un déni de justice.

7 Nous abordons maintenant le sixième motif d'appel du

8 procureur : La Chambre de première instance serait fourvoyée en acquittant

9 Krnojelac du chef de persécution en raison de travaux forcés

10 A l'appui de ce motif d'appel, le Procureur soutient que la Chambre de

11 première instance s'est fourvoyée en concluant à l'insuffisance des

12 éléments de preuve pour établir le caractère non volontaire du travail. Il

13 soutient qu'en appliquant aux faits le critère juridique du caractère non

14 volontaire, la Chambre de première instance a conclu à tort, dans le cas de

15 huit détenus, que les éléments de preuve produits étaient insuffisants pour

16 établir qu'ils avaient été contraints à travailler.

17 Là encore, la Chambre d'appel a récapitulé les faits pertinents qui

18 auraient été admis par la Chambre de première instance. Elle n'y reviendra

19 pas, elle n'y revient pas, vous le trouvez dans le jugement écrit.

20 Néanmoins, la Chambre d'appel rappelle ici que les conditions de vie

21 régnant au KP Dom étaient manifestement déplorables. Parmi les faits

22 précédemment récapitulés, certains sont particulièrement significatifs et

23 doivent être soulignés. La Chambre de première instance a en effet conclu

24 qu'au sein du KP Dom, on a délibérément nourri les détenus non-serbes juste

25 assez pour qu'ils survivent. Tous les non-serbes ont perdu beaucoup de

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1 poids, entre 20 et 40 kilos, pendant leur détention au KP Dom. En outre,

2 les détenus non-serbes restaient la plus grande partie de la journée

3 enfermés dans leurs cellules, ils n'étaient autorisés à sortir que pour se

4 rendre à la cantine. Certains, cependant, étaient emmenés à travailler,

5 sachant qu'ils recevraient pour cela une ration supplémentaire, ce dont ils

6 avaient grand besoin. Enfin, les détenus non-serbes étaient victimes de

7 terribles sévices psychologiques pendant leur séjour au KP Dom. Ils ont

8 entendu pendant des mois, en particulier en juin et juillet 1992, des gens

9 être frappés et torturés, ils craignaient constamment d'être les prochains.

10 La Chambre d'appel considère qu'au vu des circonstances particulières de

11 détention des détenus non-serbes au sein du KP Dom, un juge du fait

12 raisonnable aurait dû aboutir à la conclusion que la situation générale des

13 détenus excluait toute possibilité de consentement libre. La Chambre

14 d'appel est convaincue que les détenus ont travaillé dans le but d'éviter

15 les coups ou dans l'espoir d'avoir un supplément de nourriture. Ceux qui

16 ont refusé de travailler l'ont fait par peur, compte tenu des disparitions

17 de détenus qui sont sortis du KP Dom. Le climat de peur a rendu impossible

18 L'expression d'un libre consentement et on ne peut pas attendre d'un détenu

19 qu'il exprime une objection, ou considérer qu'il est nécessaire, pour

20 établir le travail forcé, qu'une personne en position d'autorité le menace

21 de punition en cas de refus de sa part. Le fait qu'un détenu ait formé une

22 objection n'est pas pertinent si la capacité réelle d'objecter n'existe

23 pas.

24 De l'avis de la Chambre d'appel, les circonstances propres à la vie

25 carcérale des détenus de KP Dom étaient donc telles qu'aucun consentement

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1 libre n'était possible. Par conséquent la Chambre d'appel annule les

2 conclusions de la Chambre de première instance s'agissant des témoins FWS-

3 249, FWS-144, Rasim Tarnin, FWS-66, FWS-198, Edrem Zekovi, Muhamed Lisica

4 et FWS-71 et conclut que ces témoins ont été contraints de travailler.

5 Le Procureur a soutenu dans un deuxième temps que si le travail forcé

6 devait être établi, les constations faites par la Chambre de première

7 instance, étaient suffisantes pour justifier une déclaration de culpabilité

8 de Krnojelac pour persécution fondée sur le travail forcé.

9 Sur ce point, la Chambre d'appel rappelle que les actes sous-jacents au

10 crime de persécution qui soient considérés isolément ou en conjonction avec

11 d'autres actes, doivent constituer un crime de persécution qui est de même

12 gravité que les crimes listés à l'Article 5 du statut. Selon elle, en

13 l'espèce, le travail forcé doit être considéré comme faisant partie d'une

14 série d'acte comprenant la détention illégale et les sévices, dont l'effet

15 cumulatif est d'une gravité suffisante pour équivaloir un crime de

16 persécution, étant entendu que la détention illégale et les sévices ont été

17 commis sur la base d'un ou plusieurs motifs discriminatoires énumérés à

18 l'Article 5 du statut. Par conséquent, le degré de gravité de la

19 persécution à raison de ces actes atteint celui des crimes mentionnés

20 expressément à l'Article 5 du statut.

21 La Chambre d'appel a précédemment rappelé qu'en espèce, la Chambre de

22 première instance a indiqué je cite :

23 "Que la détention des non-Serbes au KP Dom, et les actes ou omissions qui

24 étaient commis, étaient manifestement liés à l'attaque généralisée et

25 systématique lancée contre la population civile

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1 non-serbe dans la municipalité de Foca. La Chambre d'appel a également

2 précédemment indiqué qu'il pouvait être déduit de ce contexte que les

3 traitements infligés aux détenus non-Serbes étaient le résultat de la

4 politique discriminatoire précitée à l'origine de leur mise en détention, à

5 condition, je l'ai rappelé tout à l'heure qu'il existe au regard des faits

6 de l'espèce, des circonstances entourant la commission des actes de travaux

7 forcés qui confirment l'existence d'une telle intention. De l'avis de la

8 Chambre d'appel, il ne fait aucun doute qu'en l'espèce, les prisonniers

9 non-serbes étaient détenus et contraints de travailler à raison de leur

10 origine ethnique. La Chambre de première instance a souligné, je cite :

11 "Que les quelques condamnés serbes qui étaient détenus au KP Dom n'étaient

12 pas logés dans la même aile que les non-Serbes. Ils n'étaient pas

13 maltraités comme les détenus non-serbes. Ils étaient un peu mieux nourris

14 et recevaient parfois des portions supplémentaires. Ils n'étaient pas

15 battus ou autrement maltraités, ils n'étaient pas enfermés dans leur

16 cellule. Ils étaient relâchés lorsqu'ils avaient purgés leur peine, avaient

17 accès aux sanitaires et bénéficiaient d'autres avantages dont les détenus

18 non-serbes étaient privés."

19 Il apparaît clairement que les détenus non-serbes étaient en revanche,

20 soumis à un tout autre régime. La surpopulation des cellules individuelles

21 dans lesquelles les détenus étaient entassés au point de ne pouvoir ni se

22 déplacer, ni se coucher, la sous-alimentation et ses effets majeurs en

23 terme de perte de poids, la généralisation des coups et mauvais

24 traitements, les sévices psychologiques liés aux conditions de détention et

25 aux mauvais traitements constituent des circonstances particulièrement

Page 362

1 significatives du caractère discriminatoire dans lequel s'inscrivent les

2 actes de travaux forcés imposés aux détenus non-serbes.

3 De l'avis de la Chambre d'appel, la Chambre de première instance a été

4 induite en erreur par son approche au cas par cas de chacun des actes de

5 travaux forcés et a de ce fait, omis de considérer toutes les circonstances

6 entourant la commission de ces actes, lesquelles confirment en l'espèce que

7 les dits actes s'inscrivaient bien dans le contexte discriminatoire régnant

8 au KP Dom, au même titre que la détention illégale et les sévices commis.

9 La Chambre d'appel considère donc qu'au vu de ces circonstances, aucun

10 Tribunal raisonnable des faits n'aurait omis de conclure que les actes des

11 travaux forcés ont été commis avec une intention discriminatoire.

12 Il ne fait aucun doute pour la Chambre d'appel que les huit détenus qui ont

13 été contraints de travailler, ont donc été victimes de persécutions au sens

14 de l'Article 5 du statut.

15 La persécution à raison de travaux forcés ayant été établie, la Chambre

16 d'appel s'est ensuite penchée sur la responsabilité de Krnojelac à raison

17 de ces crimes.

18 La Chambre d'appel a précédemment indiqué que s'agissant du crime allégué

19 de travaux forcés, il convient en l'espèce de le traiter comme faisant

20 partie d'une entreprise criminelle commune de la première catégorie sans

21 recourir à la notion de système, et que les personnes ayant participé à

22 cette commission, pourront être considérées comme co-auteurs d'une

23 entreprise criminelle commune ayant pour but la commission de crime en

24 question ou comme complice de celle-ci suivant que, dans le premier cas,

25 l'intéressé partage l'intention commune ou, dans le second cas, on a

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1 simplement connaissance.

2 Sur ce point, la Chambre d'appel est d'avis que Krnojelac ne doit pas être

3 considéré comme un simple complice, mais comme un co-auteur des crimes des

4 travaux forcés commis. Selon la Chambre d'appel, Krnojelac partageait

5 l'intention de faire travailler illégalement les détenus non-serbes dans

6 des conditions que la Chambre d'appel a considéré comme étant telles qu'il

7 était impossible pour ces derniers de librement consentir à travailler. La

8 Chambre d'appel considère que la seule conclusion à laquelle un juge des

9 faits raisonnable aurait dû aboutir, est la culpabilité de Krnojelac en

10 tant que co-auteur pour persécutions à raison de travaux forcés des

11 détenus non-serbes et ceux pour les raisons suivantes : Krnojelac était au

12 courant de la décision initiale de faire travailler les détenus de KP Dom.

13 Il était responsable de toutes les unités économiques et lieux de travail

14 liés à la prison et jouait donc un rôle central en la matière. En outre,

15 Krnojelac a librement accepté le poste en sachant pertinemment que des

16 civils non-serbes étaient détenus illégalement au KP Dom en raison de leur

17 origine ethnique. Il savait aussi qu'aucune des procédures en vigueur

18 instituées pour les personnes détenues légalement, n'était suivie à l'égard

19 des non-Serbes au KP Dom. Il contrôlait en dernier ressort le travail

20 effectué par les détenus dans et pour le KP Dom. Il rencontrait

21 régulièrement les responsables de la fabrique des meubles, de l'atelier de

22 travail des métaux et la ferme, où travaillaient les détenus.

23 De l'avis de la Chambre d'appel, compte tenu de ce qui précède, il est

24 impossible que Krnojelac n'ait pas partagé l'intention de faire travailler

25 les détenus non-serbes illégalement détenus. La Chambre d'appel estime donc

Page 364

1 que la conclusion de la Chambre de première instance relative à

2 l'acquittement de Krnojelac pour le crime de persécution à raison de

3 travaux forcés doit être annulée et que doit être prononcée la culpabilité

4 de Krnojelac pour persécution à raison de travaux forcés en tant que co-

5 auteur de l'entreprise criminelle commune visant à persécuter les détenus

6 non-serbes en exploitant leur travail forcé, et ce en vertu de l'Article

7 7(1) du statut.

8 La Chambre a présent examiné le septième motif d'appel du Procureur. La

9 Chambre aurait commis une erreur en acquittant Krnojelac du chef de

10 persécution pour des faits de déportation.

11 Ce motif d'appel est relatif aux conclusions de la Chambre de première

12 instance concernant le premier chef dans l'acte d'accusation, persécution à

13 raison " de déportation, expulsion."

14 Les arguments du Procureur sont relatifs aux actes de persécutions et au

15 type de responsabilité encouru par l'accusé.

16 D'abord les actes de persécution, à l'appui de ce moyen, le Procureur

17 évoque principalement une erreur de la Chambre de première instance quant à

18 la définition de la déportation, et dans une certaine mesure, une erreur

19 dans la définition de l'expulsion.

20 La Chambre d'appel en considère pas qu'en l'espèce, la question principale

21 sur la définition de ces termes. La Chambre d'appel souligne que l'objet

22 des débats devant la Chambre de première instance étaient au regard de

23 l'acte d'accusation présenté par le Procureur, la persécution et la Chambre

24 d'appel estime par conséquent, que deux questions découlent des conclusions

25 du Procureur, d'une part celle de savoir si la Chambre de première instance

Page 365

1 a bien interprété les allégations des persécutions figurant dans l'acte

2 d'accusation et d'autre part, celle de savoir si les actes de déplacements

3 constatés par la Chambre sont tels qu'ils peuvent constituer des crimes

4 sous-jacents de persécution.

5 Dans l'acte d'accusation Krnojelac est accusé de persécutions, sanctionnées

6 par l'Article 5 (h) du statut, pour des actes de déportation et

7 d'expulsion. Il n'est pas accusé séparément d'expulsion crime contre

8 l'humanité. La Chambre d'appel est d'avis que si la formulation retenue par

9 l'acte d'accusation n'était pas des plus adaptées, elle ne contenait

10 cependant aucune ambiguïté quant au fait que Krnojelac était poursuivi pour

11 avoir commis le crime de persécution au moyen de déplacements forcés à

12 l'intérieur comme à l'extérieur des frontières de la Bosnie-Herzégovine.

13 La Chambre d'appel est d'avis qu'il n'est pas nécessaire de se prononcer,

14 ni pour l'infirmer ni pour la confirmer, sur la définition donnée par la

15 Chambre de première instance des termes "déportation" et "expulsion". En

16 effet, la question posée en l'espèce était celle de savoir si les actes de

17 déplacement forcés allégués, à supposer qu'ils aient été commis avec une

18 intention discriminatoire, pouvaient constituer un crime de persécutions.

19 La Chambre d'appel remarque que les termes "déportation" et "expulsion"

20 visés au paragraphe 5(2)(f) de l'acte d'accusation ont manifestement été

21 utilisés par le Procureur comme des termes génériques englobant l'ensemble

22 des comportements allégués en l'espèce comme sous-jacents au crime de

23 persécution. Aucune référence n'a été faite dans l'acte d'accusation à

24 l'Article 5(d) du Statut visant l'expulsion. Il n'est donc pas nécessaire

25 de définir un terme qui n'apparaît pas dans la disposition sur la base de

Page 366

1 laquelle l'acte d'accusation est fondé.

2 La Chambre d'appel estime que la Chambre de première instance était tenue

3 de se prononcer sur les faits essentiels allégués et de juger si ces actes

4 étaient constitutifs de persécutions au sens de l'Article 5(h) du Statut.

5 La Chambre d'appel a examiné quels sont les actes de déplacement qui

6 peuvent être constitutifs de persécution lorsqu'ils sont perpétrés avec

7 l'intention discriminatoire requise et si les actes allégués par le

8 Procureur étaient bien de nature à constituer des actes sous-jacents au

9 crime de persécution. La Chambre d'appel considère que les actes de

10 déplacements forcés sous-jacents au crime de persécutions sanctionné par

11 l'Article 5(h) du Statut ne sont pas limités à des déplacements effectués

12 au-delà d'une frontière nationale. La Chambre d'appel estime en effet que

13 le crime de persécutions peut revêtir différentes formes. Il peut s'agir de

14 l'un des autres actes constitutifs de crimes visés à l'Article 5 du Statut

15 ou de l'un des actes constitutifs de crimes visés par d'autres Articles du

16 Statut. Pour que ces actes puissent être considérés comme des actes sous-

17 jacents au crime de persécution, ils doivent, séparément ou cumulativement,

18 être commis avec une intention discriminatoire et constituer un crime de

19 persécution de même gravité que les autres crimes visés à l'Article 5 du

20 Statut. La Chambre d'appel conclut que les déplacements à l'intérieur d'un

21 pays ou au-delà d'une frontière nationale, commis pour des motifs que

22 n'autorise pas le droit international, sont des crimes sanctionnés en droit

23 international coutumier et que ces actes, s'ils sont commis avec

24 l'intention discriminatoire requise, sont constitutifs du crime de

25 persécution visé à l'Article 5(h) du Statut. Selon la Chambre d'appel, les

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1 faits constatés par la Chambre de première instance entrent dans la

2 catégories des déplacements qui peuvent être constitutifs de persécutions.

3 La Chambre d'appel constate qu'en ne déterminant pas si les actes de

4 déplacement forcé allégués constituaient des persécutions, la Chambre de

5 première instance a commis une erreur de droit qui invalide sa décision.

6 Le Procureur soutient que la Chambre de première instance a commis une

7 erreur de fait en considérant maintenant que les 35 détenus non-serbes du

8 KP Dom conduits de l'autre côté de la frontière avec le Monténégro ont

9 librement choisi d'être échangés. Elle avance que la Chambre de première

10 instance a eu tort de ne pas tenir compte du régime de coercition auquel

11 étaient soumis les détenus du KP Dom.

12 La Chambre d'appel constate que les conditions de vie au KP Dom

13 soumettaient les détenus non-serbes à un régime carcéral coercitif tel

14 qu'ils n'étaient pas en mesure d'exercer un choix véritable. La Chambre

15 d'appel en conclut que les 35 détenus ont été soumis à la contrainte et que

16 la Chambre de première instance a eu tort de considérer qu'ils avaient

17 librement choisi d'être échangés.

18 Le Procureur avance ensuite qu'aucune Chambre de première instance n'aurait

19 pu raisonnable conclure qu'il n'était pas établi que le transfert des 35

20 détenus au Monténégro avait été établi pour les motifs discriminatoires

21 requis. Le Procureur renvoie, d'une manière générale, aux arguments mis en

22 avant pour justifier son cinquième moyen d'appel et, en particulier, au

23 climat de violence et de discrimination systématiques dans lequel vivaient

24 les détenus du KP Dom en raison de leur appartenance ethnique.

25 Compte tenu de ces conclusions, ainsi que du caractère discriminatoire

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1 ayant présidé à l'incarcération illégale et à l'imposition aux détenus non-

2 serbes du KP Dom de conditions de vie telles que précédemment décrites, la

3 Chambre d'appel estime qu'il était déraisonnable pour la Chambre de

4 première instance de conclure que rien ne démontrait que le transfert des

5 35 détenus au Monténégro avait été opéré pour les motifs discriminatoires

6 requis. La Chambre d'appel considère que le raisonnement relatif au

7 caractère forcé des déplacements des 35 détenus non-serbes vers le

8 Monténégro, s'applique mutatis mutandis aux autres déplacements reconnus

9 par la Chambre de première instance. Il en va de même s'agissant de

10 l'intention discriminatoire qui animait Krnojelac.

11 Et à présent, examinons quelle est la responsabilité de Krnojelac pour ce

12 moyen d'appel -- ce motif d'appel.

13 Le Procureur soutient que la Chambre de première instance a eu tort de

14 juger que Krnojelac n'était pas responsable du déplacement de détenus à

15 l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine qui lui était reproché au chef 1,

16 persécutions, et que l'acquittement devrait être infirmé. En outre, il

17 avance que la Chambre de première instance a commis une erreur en ne

18 déclarant pas Krnojelac coupable au regard de l'Article 7(1) du Statu, du

19 transfert de 35 détenus non-serbes au Monténégro et de celui d'autres

20 détenus non-serbes en d'autres lieux de Bosnie-Herzégovine.

21 La Chambre d'appel est convaincue que l'administration du KP Dom exécutait

22 les ordres des autorités militaires et que les gardiens du KP Dom

23 remettaient les détenus en vue de leur transfert. Elle n'est toutefois pas

24 convaincue que Krnojelac ait eu le pouvoir de peser dans le choix des

25 détenus qui allaient être déplacés. Il apparaît que Krnojelac a tenté en

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1 vain d'aider le témoin RJ qui souhaitait être échangé et qu'il pensait

2 aider celui-ci à se mettre en lieu sûr et à rejoindre sa famille. En outre,

3 le Procureur avance que Krnojelac :

4 "Savait que le transport des détenus posait problème et qu'il y avait lieu

5 de veiller à la sécurité des détenus après leur départ du camp."

6 La Chambre d'appel considère que Krnojelac connaissait en fait les

7 conséquences du transport des détenus mais qu'il n'a joué aucun rôle dans

8 celui-ci.

9 Cependant, Krnojelac est pénalement et individuellement responsable de ces

10 échanges qui s'inscrivaient dans le cadre de l'entreprise criminelle

11 commune où il a personnellement joué un rôle dans le but ultime d'obtenir

12 le déplacement forcé des détenus qui se trouvaient sous son contrôle au KP

13 Dom. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de prouver qu'il a

14 personnellement participé à l'établissement des listes. Les échanges ont

15 débuté durant l'été 1992 et se sont poursuivis jusqu'en mars 1993 au moins.

16 Comme elle l'a constaté plus haut, la Chambre d'appel est convaincue que

17 les détenus non-serbes étaient emmenés du KP Dom avec une intention

18 discriminatoire. Selon son propre témoignage, Krnojelac savait que les

19 détenus étaient emmenés du KP Dom. En outre, la Chambre de première

20 instance a établi que Krnojelac, de par ses fonctions de directeur de la

21 prison, savait que les prisonniers non-serbes étaient détenus illégalement

22 en raison de leur appartenance ethnique. En sa qualité de directeur,

23 Krnojelac a autorisé le personnel du KP Dom à remettre des détenus non-

24 serbes. Il a favorisé ces départs en permettant qu'ils se poursuivent. Sans

25 emprisonnement illégal, il n'aurait pas été possible de continuer à

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1 procéder aux échanges. La Chambre d'appel est convaincue que Krnojelac

2 partageait l'intention des principaux auteurs de l'entreprise criminelle

3 commune visant à emmener les détenus non-serbes du KP Dom.

4 La Chambre d'appel considère donc que Krnojelac est responsable, en tant

5 que co-auteur, de persécutions qui ont pris la forme de déplacements

6 forcés, tels qu'allégués par le Procureur comme déportation et expulsion.

7 Abordons maintenant le chapitre de la peine. Les deux parties ont, en

8 l'espèce, présenté des motifs d'appel relatifs à la peine de sept ans et

9 demi fixée par la Chambre de première instance. La Chambre d'appel a

10 procédé à l'examen des différents motifs d'appel en appliquant le critère

11 d'examen des erreurs alléguées, tel que fixé dans sa jurisprudence.

12 La Chambre d'appel a rejeté tous les motifs d'appel présentés par les

13 parties à l'exception d'un moyen d'appel du Procureur.

14 Le Procureur a en effet contesté le poids accordé par la Chambre de

15 première instance à la coopération de la Défense, et non de Krnojelac, avec

16 le Tribunal et l'Accusation qui avait été abordé sous l'angle d'une

17 circonstance atténuante. Selon le Procureur, le comportement diligent et

18 coopératif du conseil de la Défense ne saurait constituer une circonstance

19 atténuante justifiant une réduction de la peine pour l'accusé, pas plus

20 d'ailleurs que le comportement inverse dudit conseil ne saurait être

21 considéré comme une circonstance aggravante justifiant un alourdissement de

22 la peine.

23 La Chambre d'appel considère que le comportement tel que décrit dans le

24 paragraphe du Jugement contesté est le comportement normal que tout conseil

25 devrait adopter devant une Chambre de première instance. La Chambre d'appel

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1 considère donc que la Chambre de première instance a commis une erreur en

2 créditant l'accusé pour le comportement de son conseil. La Chambre d'appel

3 conclut que la commission de cette erreur implique comme indiqué

4 précédemment que le comportement du conseil de Krnojelac ne doit pas être

5 pris en compte pour la fixation de la peine prononcé sur la base des

6 nouvelles condamnations en appel.

7 La Chambre d'appel s'attache maintenant à fixer la peine compte tenu des

8 nouvelles condamnations prononcées en appel. Le Procureur a demandé, en cas

9 d'annulation par la Chambre d'appel d'une ou plusieurs décisions

10 d'acquittement, un alourdissement en conséquence de la peine. Elle a fait

11 valoir que la Chambre d'appel est en mesure de réviser elle-même la peine

12 au lieu de renvoyer la question devant la Chambre de première instance.

13 Cette dernière affirmation n'a pas été contestée par Krnojelac et est

14 acceptée par la Chambre d'appel.

15 Ayant dûment pris en considération la gravité des crimes et la

16 responsabilité de Krnojelac telle qu'établis par la Chambre de première

17 instance, et prenant en considération la responsabilité de Krnojelac

18 établie sur la base des nouvelles condamnations en appel, la Chambre

19 d'appel a révisé la peine en vertu de son pouvoir discrétionnaire et à la

20 lumière des circonstances atténuantes et aggravantes retenues.

21 Monsieur Krnojelac, je vous demanderais à présent si vous voulez bien vous

22 lever pour entendre la peine qui va être prononcée et le dispositif du

23 présent Arrêt de la Chambre d'appel.

24 La Chambre d'appel, vu l'article 25 du Statut et les articles 117 et 118 du

25 règlement, vu les écritures respectives des parties et les arguments

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1 qu'elles ont présentés à l'audience des 14 et 15 mai 2003, siégeant en

2 audience publique, accueille le premier motif d'appel du Procureur et

3 annule les condamnations de Krnojelac en tant que complice des persécutions

4 (crime contre l'humanité, pour emprisonnement et actes inhumains) et

5 traitements cruels (pour violations des lois ou coutumes de la guerre pour

6 les conditions de vie imposées) ceci pour les chefs 1 et 15 de l'acte

7 d'accusation en vertu de l'Article 7(1) du Statut;

8 Accueille le troisième motif d'appel du Procureur et infirme l'acquittement

9 de Krnojelac des chefs 2 et 4 de l'acte d'accusation (torture en tant que

10 crime contre l'humanité et violations des lois ou coutumes de la guerre) et

11 ce en vertu de l'Article 7(3) du Statut;

12 Accueille le quatrième motif d'appel du Procureur et infirme l'acquittement

13 de Krnojelac des chefs 8 et 10 de l'acte d'accusation (assassinat en tant

14 que crime contre l'humanité et meurtre en tant que violations des lois ou

15 coutumes de la guerre) et ce en vertu de l'Article 7(3) du Statut;

16 Accueille le cinquième motif d'appel du Procureur visant à réviser la

17 condamnation de Krnojelac du chef 1 de l'acte d'accusation (persécutions en

18 tant que crime contre l'humanité) ce en vertu de l'Article 7(3) du Statut

19 pour y inclure un certain nombre de sévices que vous trouverez dans

20 l'Arrêt;

21 Accueille le sixième motif d'appel du Procureur et infirme l'acquittement

22 de Krnojelac du chef 1 de l'acte d'accusation (persécution en tant que

23 crime contre l'humanité) à raison des travaux forcés imposés aux détenus

24 non-serbes;

25 Accueille le septième motif d'appel du Procureur et infirme l'acquittement

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1 de Krnojelac du chef 1 de l'acte d'accusation (persécution en tant que

2 crime contre l'humanité) à raison des déportations et expulsions de détenus

3 non-serbes;

4 Rejette le second motif d'appel du Procureur relatif à la forme de l'acte

5 d'accusation;

6 Rejette tous les motifs d'appel soulevés par Krnojelac;

7 Déclare Krnojelac coupable des chefs 1 et 15 de l'acte d'accusation en tant

8 que co-auteur du crime contre l'humanité de persécutions (emprisonnement et

9 actes inhumains) et de violations des lois ou coutumes de la guerre de

10 traitements cruels (pour les conditions de vie imposées) en vertu de

11 l'Article 7(1) du Statut;

12 Déclare Krnojelac coupable des chef 2 et 4 de l'acte d'accusation (torture

13 en tant que crime contre l'humanité et violations des lois ou coutumes de

14 la guerre)en vertu de l'Article 7(3) du Statut pour les faits suivants :

15 paragraphes 5.21 (concernant FWS-73), paragraphe 5.23 (à l'exception

16 néanmoins de FWS-03), paragraphe 5.27 (concernant Nurko Nisic et Zulfo

17 Veiz), 5.28 et 5.29 (concernant Aziz Sahinovic) de l'acte d'accusation et

18 des faits décrits aux points B4, B14, B22, B31, B52, B57 de la liste C de

19 l'acte d'accusation;

20 Déclare Krnojelac coupable des chefs 8 et 10 de l'acte d'accusation

21 (assassinat en tant que crime contre l'humanité et meurtre en tant que

22 violations des lois ou coutumes de la guerre) en vertu de l'Article 7(3) du

23 Statut;

24 Révise la condamnation de Krnojelac du chef 1 de l'acte d'accusation

25 (persécutions en tant que crime contre l'humanité) en vertu de l'Article

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1 7(3) du Statut pour y inclure les sévices décrits aux paragraphes 5.9,

2 5.16, 5.18, 5.20 5.21 (s'agissant de FWS-110, FWS-114 [sic], Muhamed Lisica

3 et de plusieurs autres détenus non identifiés), 5.27 (s'agissant de Salem

4 Bico) et 5.29 (s'agissant de Vahida Dzemal, Enes Uzunovic et Elvedin Cedic)

5 de l'acte d'accusation, ainsi que décrits dans les faits correspondant aux

6 numéros A2, A7, A10, A12, B15, B17, B18, B19, B20, B21, B25, B26,B28, B30,

7 B33, B34, B37, B45, B46, B48, B51 et B59 de la liste C de l'acte

8 d'accusation;

9 Déclare Krnojelac coupable du chef 1 de l'acte d'accusation en tant que co-

10 auteur du crime contre de persécutions (travaux forcés, déportations et

11 expulsions) en vertu de l'Article 7(1) du Statut;

12 Annule toutes les condamnations au titre du chef 5 de l'acte d'accusation

13 (actes inhumains en tant que crime contre l'humanité) en vertu de l'Article

14 7(3) du Statut ainsi que les condamnations au titre du chef 7 de l'acte

15 d'accusation (traitement cruel en tant que violations des lois ou coutumes

16 de la guerre) en vertu de l'Article 7(3) du Statut pour les faits suivants

17 : paragraphes 5.21 (concernant FWS-73), 5.23, 5.27 (concernant Nurko Nisic

18 et Zulfo Veiz), 5.28 et 5.29 (concernant Aziz Sahinovic) de l'acte

19 d'accusation et des faits décrits aux points B4, B14, B22, B31, B52 et B57

20 de la liste C de l'acte d'accusation;

21 Rejette les appels formés par Krnojelac et par le Procureur (à l'exception,

22 pour ce dernier, du moyen d'appel accueilli au paragraphe 262 du présent

23 Arrêt contre la sentence) et fixe une nouvelle peine, compte tenu de la

24 responsabilité de Krnojelac établie sur la base des nouvelles condamnations

25 en appel et en vertu de son pouvoir discrétionnaire;

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1 Condamne Krnojelac à une peine d'emprisonnement de 15 années à compter de

2 ce jour, sous réserve que soit déduit de cette peine, conformément à

3 l'Article 101(C) du Règlement, la durée de la période que Krnojelac a déjà

4 passée en détention, soit du 15 juin 1998 à ce jour.

5 Cet Arrêt de la Chambre d'appel a été fait en ce jour, proclamé en ce jour,

6 a été fait en français et en anglais. Le texte en français faisant foi. Il

7 est signé les Juges Wolfgang Schomburg, Mohamed Shahabuddeen, Mehmet Guney,

8 Carmel Agius et moi-même, Claude Jorda, Président de cette formation.

9 J'ajoute que les Juges Schomburg et Shahabuddeen joignent chacun une

10 opinion individuelle au présent Arrêt.

11 Le tout étant fait ce jour à La Haye au Tribunal pénal international, 17

12 septembre 2003.

13 --- L'audience est levée à 16 heures 19.

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