Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président
M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Wolfgang Schomburg
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
19 novembre 2003
c/
RADISLAV KRSTIC
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DÉCISION RELATIVE À L’ADMISSIBILITÉ DE PIÈCES À CONVICTION PRODUITES PAR L’ACCUSATION EN RÉPLIQUE À DES PREUVES ADMISES EN APPEL CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 115 DU RÈGLEMENT
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Le Bureau du Procureur :
M. Norman Farrell
Les Conseils de l’Accusé :
MM. Nenad Petrusic et Norman Sepenuk
1. Le 5 août 2003, la Chambre d’appel a, en application de l’article 115 du Règlement de preuve et de procédure du Tribunal (le « Règlement »), admis comme preuves supplémentaires trois documents et une déclaration de témoin produits par la Défense1. L’Accusation demande à présenter des pièces à conviction en réplique à ces preuves conformément à l’article 115 A) du Règlement 2. Les pièces que l’Accusation souhaite produire comprennent quatorze documents et deux déclarations de témoin.
2. L’Accusation soutient que « les pièces à conviction présentées en réplique sont celles qui réfutent, s’opposent, ou limitent la portée d’un fait allégué par le demandeur 3». Cependant, la Chambre d’appel préfère s’en tenir au critère qu’elle a précédemment établi. En effet, comme elle a récemment indiqué dans l’affaire Blaskic « [l]es moyens de preuve présentés en réplique sont admissibles s’ils sont directement en rapport avec des moyens supplémentaires admis en appel4 . Par conséquent, si ces preuves ne font qu’étayer les arguments avancés par l’Accusation durant le procès, ou si elles ne concernent, d’une manière générale, qu’une question en appel, elles ne sont pas admissibles.
3. L’Accusation a déposé quatorze preuves documentaires pour réfuter les trois documents admis par la Chambre d’appel5. Il s’agit de rapports d’un fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur adressés à divers organes de la Republika Srpska. La Défense a produit ces rapports pour démontrer que le Général Mladic n’avait pas, le 13 juillet 1995, suivi la chaîne de commandement habituelle du corps de Drina et confié au Ministère de la police et à l’état-major de l’armée de la Republika Srpska la tâche d’assassiner les soldats musulmans à Srebrenica. La Défense affirme que ces rapports jettent un doute sur la conclusion de la Chambre de première instance que les forces du Ministère de la police auraient procédé à ces exécutions avec le concours du corps de Drina et du Général Krstic ou à leur connaissance6.
4. La Chambre de première instance a examiné un grand nombre de preuves concernant l’allégation de la Défense que le Général Mladic n’aurait pas respecté la chaîne de commandement normale et aurait confié aux organes de sécurité et de renseignement serbes la responsabilité exclusive des prisonniers de guerre musulmans7. Comme la Chambre de première instance l’a elle-même reconnu, cette allégation revêtait une importance capitale pour la question de savoir si le Général Krstic avait connaissance des crimes commis dans la zone de responsabilité du corps de Drina8. Elle a conclu que les preuves ont « attest[é] d’une étroite coordination et coopération » entre les unités du Ministère de l’Intérieur et le corps de Drina, et que « le commandement du Corps de Drina n’aurait pu commettre ces exécutions isolément, en raison de leur ampleur et du degré de coopération et de coordination nécessaire pour y procéder »9. La Chambre de première instance a en outre expressément rejeté l’argument de la Défense selon lequel il existait une chaîne de commandement parallèle, en concluant qu’« [a]près la prise de Srebrenica, le commandement du Corps de Drina a continué d’exercer son pouvoir sur les brigades subordonnées, et […] ce rôle n’a pas été suspendu du fait de l’intervention de l’état-major principal de la VRS et des organes de sécurité dans les opérations qui ont suivi la chute de l’enclave »10.
5. Parmi les documents déposés par l’Accusation, ceux qui constituent les Annexes 1 à 7, 11 et 14 jointes à sa notification, remplissent les critères d’admission de pièces présentées en réplique. Ces documents sont « directement en rapport avec les moyens supplémentaires admis en appel »11. Le document soumis comme Annexe 3 émane de l’auteur des écrits admis par la Chambre d’appel, celui qui constitue l’Annexe 1 est un ordre du Ministre de l’Intérieur par intérim de la Republika Srpska enjoignant à une unité spéciale de son ministère de prendre contact avec le Général Krstic, et les Annexes 2 à 7, 11 et 14 sont des rapports reçus ou rédigés par le Général Krstic ou d’autres fonctionnaires au sein du commandement du corps de Drina, qui tendent à établir un lien direct entre le Général Krstic et l’opération menée pour assassiner les hommes musulmans en fuite12.
6. Les autres documents à charge (les Annexes 8 à 10, 12 et 13) sont divers rapports du Général Krstic. L’Accusation n’a établi aucun lien entre certains de ces documents et la substance des preuves à décharge admises par la Chambre d’appel. D’autres documents contiennent les mêmes informations que celles rapportées dans des pièces à conviction déposées en réplique, qui ont déjà été admises par la Chambre d’appel. La Chambre d’appel rejette donc la demande d’admission de ces documents.
7. L’Accusation demande que soient admis au dossier les témoignages faits par MM. Momir Nikolic et Dragan Obrenovic dans Le Procureur c/ Blagojevic, affaire nºIT -02-60-T13. Elle souhaite produire ces témoignages pour réfuter la déclaration d’un témoin à décharge, qui a été admise par la Chambre d’appel14. L’Accusation souhaite également, pour révoquer en doute cette déclaration, soumettre ce témoin à un contre-interrogatoire et produire d’autres déclarations qu’il a faites15.
8. L’élément de preuve produit par la Défense est une déclaration faite par un officier de la brigade Zvornik à des membres du Bureau du Procureur et dont la Défense a affirmé qu’elle réfutait la conclusion de la Chambre de première instance que, soit le commandement du corps de Drina, soit le Général Krstic avait connaissance des activités menées par les unités de la police militaire. Elle a en outre soutenu que la déclaration démontrait au contraire que ces unités agissaient pour le compte de l’état-major, en dehors de la chaîne de commandement habituelle16.
9. Les témoins dont l’Accusation demande que les dépositions soient admises étaient tous deux des officiers du corps de Drina, et avaient des grades plus élevés que le témoin à décharge. M. Nikolic était le chef des services de renseignement et de la sécurité de la brigade de Bratunac, qui était sous le commandement direct du corps de Drina, tandis que M. Obrenovic était le commandant adjoint et chef de l’état-major de la brigade de Zvornik17. L’Accusation soutient que ces témoins étaient bien mieux placés pour savoir s’il existait effectivement une chaîne de commandement parallèle, qui excluait les officiers militaires du corps de Drina, si le Ministère de l’Intérieur avait procédé à l’exécution de prisonniers musulmans indépendamment du corps Drina et, si le Général Krstic avait connaissance ou non de cette opération18. Les preuves à décharge admises par la Chambre d’appel se rapportent à ces questions. Les témoignages de MM. Nikolic et Obrenovic concernent directement les éléments essentiels des preuves supplémentaires admises et sont en conséquence admissibles en réplique19.
10. L’Accusation demande également l’autorisation de contre-interroger le témoin à décharge dont la Chambre d’appel a, le 5 août 2003, admis la déclaration comme preuve supplémentaire. Elle soulève des arguments convaincants en ce qui concerne la fiabilité de cette déclaration, en s’appuyant sur des déclarations contradictoires que ce témoin aurait faites précédemment20. L’Accusation ayant démontré que les preuves précédemment admises étaient sujettes à caution, et bien que la Défense ait renoncé à son droit d’interroger le témoin21, la Chambre d’appel, en application des articles 98, 2e alinéa et 107 du Règlement, ordonne que durant les audiences consacrées aux éléments de preuve, le témoin à décharge se tienne à la disposition de l’Accusation pour être soumis à un contre -interrogatoire, lequel ne pourra porter que sur la teneur de la déclaration précédemment admise.
La Chambre d’appel ORDONNE ce qui suit :
1. Les éléments de preuve soumis comme Annexes 1 à 7, 11 et 14 jointes à la notification de l’Accusation sont admis en réplique. Les éléments de preuve constitués par les Annexes 8 à 10, 12 et 13 ne sont pas admis.
2. Les témoignages de MM. Nikolic et Obrenovic sont admis en réplique. Ces témoins se présenteront aux audiences consacrées aux éléments de preuve le 21 novembre 2003 et (si nécessaire) le 24 novembre 2003. Leurs conseils seront présents à leur déposition, si les témoins le souhaitent.
3. Le témoin dont la déposition figure à l’onglet 5 de l’Annexe jointe à la requête de la Défense aux fins de la présentation de moyens de preuve supplémentaires en application de l’article 115 du Règlement (« Rule 115 Defence Motion to Present Additional Evidence »), déposée le 10 janvier 2003, et que la Chambre d’appel a admis le 5 août 2003, se présentera aux audiences consacrées aux éléments de preuve le 21 novembre 2003 et (si nécessaire) le 24 novembre 2003. L’Accusation est autorisée à soumettre ce témoin à un contre-interrogatoire, qui ne pourra porter que sur la teneur de la déclaration précédemment admise comme moyen de preuve supplémentaire.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le 19 novembre 2003
La Haye (Pays-Bas)
Le Président de la Chambre d’appel
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Theodor Meron
[Sceau du Tribunal]