LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I

Devant:
M. le Juge Claude Jorda, Président
M. le Juge Fouad Riad
M. le juge Almiro Simões Rodrigues

Assistée de:
M. Jean-Jacques Heintz, Greffier-adjoint

Décision rendue le:
12 mars 1999

 

LE PROCUREUR

C/

RADISLAV KRSTIC

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ORDONNANCE CONTRAIGNANTE A LA REPUBLIKA SRPSKA POUR LA PRODUCTION DE DOCUMENTS

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Le Bureau du Procureur:

M. Mark Harmon
M. Peter W.McCloskey
M. Alberto E.Perduca

Le Conseil de la Défense:

M. Nenad Petrusic

 

NOUS, Claude Jorda, Président de la Chambre de première instance I du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (ci-après "le Tribunal"),

VU l’article 29 du Statut du Tribunal et les articles 39 et 54 du Règlement de procédure et de preuves (ci-après "le Règlement "),

VU la requête ex parte et sous scellés du Procureur en date du 24 février 1999 (ci-après "la Requête") et tendant à la délivrance d’une ordonnance contraignante à la République de Bosnie-Herzégovine aux fins de production de documents,

ATTENDU que dans son arrêt du 29 octobre 1997 (ci-après "l’arrêt"), la Chambre d’appel a précisé les quatre critères que toute ordonnance contraignant à la production de documents doit respecter ; que ces critères exigent d’une telle ordonnance 1) une formulation précise des documents demandés et non pas de larges catégories ; 2) la pertinence des documents pour le procès, 3) l’éxécution relativement aisée de l’ordonnance ; 4) un délai suffisant donné à l’Etat pour s’éxécuter,

ATTENDU que les documents requis numérotés 5 et 15 par le Procureur tendent à identifier clairement le commandant du Corps Drina dans la période couverte par l’acte d’accusation et dès lors pourraient conditionner l’application des articles 7(1) ou 7(3) à l’accusé ; que ces documents, qui seraient de nature officielle, constateraient l’abandon de ses fonctions par le précédent commandant du corps Drina, puis, par décret présidentiel porteraient nomination de l’accusé à ce même poste ; que ces documents ont fait l’objet de plusieurs demandes amiables du Procureur, sur la base de l’article 39 du Règlement, auprès du Ministère de la Défense de la Republika Srpska et ce depuis le 13 janvier 1998 ; qu’à ce jour aucun de ces documents n’est parvenu au Procureur malgré l’engagement de coopération pris par le Ministère de la Défense de la Republika Srpska le 31 juillet 1998 envers l’officier de liaison de la Republika Srpska auprès du Tribunal,

ATTENDU que d’une part, selon les termes même du Ministère de la Défense de la Republika Srpska, dans sa lettre du 31 juillet 1998 adressée à l’officier de liaison de la Republika Srpska auprès du Tribunal, la production de ces documents ne saurait présenter de difficultés insurmontables, celles-ci restant plutôt circonscrites à des questions de délais ; que d’autre part il convient de prendre en compte l’ensemble de la correspondance échangée par le bureau du Procureur et la Republika Srpska depuis le 13 juillet 1998 dans l’évaluation d’un délai suffisant et raisonnable pour produire ces documents,

ATTENDU que les dates, auteurs et destinataires des documents requis numérotés 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 13, 14 permettent leur identification ; que leurs contenus respectifs et complémentaires pourraient permettre de préciser les chaînes de commandement et les responsabilités au sein du Corps Drina ainsi que la nature des ordres donnés dans la période couverte par l’acte d’accusation ; que dès lors la pertinence de ces documents ainsi que la faisabilité de leur production paraîssent avérées,

ATTENDU néanmoins que dans son arrêt, la Chambre d’appel a émis le souhait que le Procureur ou le conseil de la défense cherchent d’abord à obtenir, " par des mesures de coopération, l’assistance des Etats et [qu’ils ne demandent] à un juge ou à une Chambre de première instance de recourir à une ordonnance contraignante, prévue à l’article 29 [du Statut du Tribunal], que s’ils refusent de prêter leur concours " ; que la Chambre de première instance, en l’état, fait sienne cette préoccupation de " bonne politique ",

ATTENDU que la pertinence des documents requis numérotés 10, 11 et 12 dans la Requête apparaît comme insuffisamment démontrée en l’absence d’indication générale sur leurs contenus respectifs ; que le Procureur ne parait pas avoir précédemment demandé ces documents aux autorités susceptibles de les détenir,

ATTENDU que l’ensemble des documents requis sont présumés détenus par le Ministère de la Défense de la Republika Srpska, ladite République ne constituant pas un Etat mais une entité incluse dans la République de Bosnie-Herzégovine ; que pour cette raison, le Procureur a sollicité qu’une éventuelle ordonnance aux fins de production de documents soit adressée à la République de Bosnie-Herzégovine,

ATTENDU cependant que l’article 2 du Règlement définit l’Etat comme un " Etat membre ou non membre des Nations Unies ou une entité autoproclamée exerçant de facto des fonctions gouvernementales, qu’elle soit ou non reconnue en tant qu’Etat ",

ATTENDU également que la Constitution de la République de Bosnie-Herzégovine, telle que figurant dans l’annexe IV des Accords de Dayton, dispose d’une part dans son article II.8. que " Toutes les autorités compétentes de Bosnie-Herzégovine coopèrent et donnent accès sans restriction [...] au Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (notamment en se conformant aux ordonnances rendues en application de l’article 29 de l’Acte de création du Tribunal)", d’autre part dans son article III.2 (b) que " chaque entité fournit au gouvernement de Bosnie-Herzégovine toute l’assistance nécessaire pour lui permettre d’honorer les obligations internationales de la Bosnie-Herzégovine " ; qu’enfin l’article X de l’annexe I-A, concernant les aspects militaires du règlement de la paix, des mêmes Accords, dispose que " Les parties coopéreront intégralement avec [...] le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie ",

PAR CES MOTIFS,

ORDONNONS à la Republika Srpska de communiquer au Procureur les documents numérotés 5 et 15 dont la description figure dans l’annexe confidentielle ci-jointe, dans les meilleurs délais et au plus tard dans le mois suivant l’émission de la présente ordonnance,

DEMANDONS à la République de Bosnie-Herzégovine de fournir au Procureur les documents 5 et 15 sus-visés s’ils sont en sa possession, à défaut, d’apporter toute l’assistance nécessaire à l’exécution de la Requête du Procureur sur ce point,

REJETONS à ce stade la Requête du Procureur aux fins de production des documents numérotés 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 13, 14 dont la description figure dans l’annexe confidentielle ci-jointe et renvoyons le Procureur à s’adresser, le cas échéant, à la Republika Srpska aux fins de se faire délivrer ces documents,

REJETONS en l’état la requête du Procureur aux fins de production des documents numérotés 10, 11 et 12 dont la description figure dans l’annexe confidentielle ci-jointe.

 

Fait ce douze mars 1999,
A La Haye,
Pays Bas

Fait en français et en anglais, la version française faisant foi.

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Juge Claude Jorda
Président de la Chambre de première instance I

[sceau du Tribunal]