Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-98-33-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

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4 Lundi 03 avril 2000

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6 L'audience est ouverte à 09 heures 48.

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8 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

9 M. le Président. - Bonjour mesdames, messieurs. Bonjour aux

10 interprètes. Est-ce qu’ils nous entendent ?

11 L'Interprète. - Oui.

12 M. le Président. Je salue la cabine technique, l'accusation.

13 Je vois que M. McCloskey n'est pas là.

14 Je salue la défense, le général Krstic.

15 La Chambre siège au complet aujourd'hui avec les mêmes

16 personnes.

17 Nous sommes ici pour l’affaire Krstic.

18 Je salue le colonel Kingori.

19 Avez-vous passé un bon week-end, ici, à La Haye ?

20 M. Kingori (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, j'ai

21 passé un bon week-end.

22 M. le Président. - Vous allez continuer à répondre aux questions

23 que M. Harmon va vous poser.

24 Monsieur Harmon, c'est à vous.

25 M. Harmon (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.

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1 Bonjour, Messieurs les avocats. Bonjour, Colonel.

2 Quand nous avons terminé votre témoignage vendredi, nous avons

3 parlé de l'avancée de Potocari en date du 15 juillet. En date du

4 12 juillet, vous étiez en train de porter des lunettes, n'est-ce pas ?

5 M. Kingori (interprétation). - Oui.

6 M. Harmon (interprétation). - Est-ce que vous pouvez nous dire

7 quelque chose au sujet de ces verres ? Est-ce que vous pouvez répéter

8 votre réponse, Colonel ?

9 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Président, Madame et

10 Monsieur les Juges, ce jour-là, quand j'étais en patrouille dans cette

11 région, là où il y avait les réfugiés, un combattant de l'armée serbe

12 s'est posé devant moi et m’a demandé mes lunettes. Il ne me l'a pas

13 demandé poliment, il voulait me les prendre. Heureusement, un des

14 supérieurs, je me souviens qu'il s'agissait de l'homme qui s'est présenté

15 comme juriste, est intervenu, et il a dit à cet homme-là de me laisser en

16 paix. J'ai reçu mes lunettes.

17 M. Harmon (interprétation). - Vous avez identifié la personne

18 qui était responsable pour avoir essayé de vous prendre vos lunettes ?

19 M. Kingori (interprétation). - Oui, et je peux le reconnaître.

20 M. Harmon (interprétation). - Je voudrais demander que vous nous

21 montriez la pièce à conviction n°76, et que vous identifiez, monsieur le

22 Témoin, la personne qui a essayé de vous piquer vos lunettes.

23 (Diffusion de la cassette vidéo.)

24 Que porte cet homme en question, celui qui...

25 Est-ce que vous pouvez nous repasser cet enregistrement, s'il

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1 vous plaît ?

2 M. Kingori (interprétation). - Un tee-shirt à manches courtes,

3 un revolver...

4 M. Harmon (interprétation). - Il s'agit bien de l'homme qui est

5 ici, sur cet enregistrement vidéo ?

6 M. Kingori (interprétation). - Oui.

7 M. Harmon (interprétation). - Merci. Colonel Kingori, est-ce que

8 vous pouvez nous dire si les soldats des Serbes de Bosnie, qui étaient à

9 Potocari en date du 12 et 13, avaient coutume de prendre, de priver les

10 soldats de la Forpronu de leurs affaires quand vous étiez là-bas ?

11 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Président, Madame et

12 Monsieur les Juges, cela nous arrivait constamment. Ils piquaient les

13 affaires des soldats hollandais du Bataillon néerlandais, et des officiers

14 qui étaient là-bas. Cela arrivait souvent.

15 M. Harmon (interprétation). - Pour changer de sujet, pouvez-vous

16 nous dire si, en date du 13 juillet, vous avez vu le commandant Nikolic ?

17 M. Kingori (interprétation). - Oui, je l'ai vu en date du 13

18 juillet.

19 M. Harmon (interprétation). - Est-ce que vous pouvez nous dire

20 où ?

21 M. Kingori (interprétation). - Il se trouvait un peu partout.

22 Mais je l'ai vu au sein de la base du Bataillon néerlandais.

23 M. Harmon (interprétation). - Est-ce que vous vous souvenez de

24 ce qu'il faisait dans la base du Bataillon néerlandais ?

25 M. Kingori (interprétation). - Il était venu vérifier les

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1 réfugiés qui s'y trouvaient encore, à savoir ceux qui avaient été blessés,

2 puis les malades. Il voulait vérifier s'il y avait là des soldats. Il

3 disposait d'une liste à partir de laquelle il comparait les noms, et je

4 crois qu'il s'agissait de soldats qu'il avait connus... enfin pour

5 lesquels il savait qu'ils avaient été membres de l'armée de Bosnie-

6 Herzégovine. Il s'agissait de vérifier sur la liste pour savoir si,

7 effectivement, un tel était membre de l'armée de Bosnie-Herzégovine.

8 M. Kingori (interprétation). - Combien de temps est-il resté au

9 sein de la base, pour autant que vous vous en souveniez ?

10 M. Kingori (interprétation). - Eh bien, pour autant que je m'en

11 souvienne, il est resté là-bas un certain temps, peut-être une petite

12 heure. Il n'était pas seul d'ailleurs, il se trouvait en compagnie

13 d'autres officiers supérieurs de l'armée des Serbes de Bosnie, il y avait

14 là le colonel Acamovic, il y avait Petar notre interprète, il y avez

15 Vukovic qui était là-bas.

16 M. Harmon (interprétation). - Vous avez mentionné un nom qui est

17 nouveau pour nous, Acamovic. Qui est le colonel Acamovic ?

18 M. Kingori (interprétation). - Eh bien le colonel Acamovic nous

19 avait été présenté comme un officier chargé de la logistique. Par la

20 suite, il nous avait dit qu'il était représentant particulier du général

21 Mladic dans cette région donnée.

22 M. Harmon (interprétation). - Lorsque le colonel Acamovic a fait

23 ses commentaires, pouvez-vous nous situer la date de ces commentaires :

24 12, 13 ou un autre jour ?

25 M. Kingori (interprétation). - Je n'en suis pas tout à fait

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1 certain, Madame et Messieurs les Juges, il me semble qu'il s'agissait de

2 la date du 13.

3 M. Harmon (interprétation). - Dans votre témoignage de vendredi,

4 vous avez dit que vous aviez vu le général Krstic et d'autres officiers

5 supérieurs de l'armée des Serbes de Bosnie, et ce en date du 12 juillet

6 dans la région de Potocari.

7 Je me propose de vous montrer deux enregistrements vidéo,

8 maintenant. Je crois avoir eu l'occasion de vous les montrer déjà. Il

9 s'agit de deux interviews, l'une avec le général Krstic et l'autre avec le

10 général Mladic. Avez-vous eu l'occasion de voir ces enregistrements ?

11 M. Kingori (interprétation). - Oui, j'ai eu l'occasion de les

12 voir.

13 M. Harmon (interprétation). - Est-ce que je vous ai montré ces

14 films pour la première fois vendredi après votre témoignage ?

15 M. Kingori (interprétation). - Oui.

16 M. Harmon (interprétation). - Je voudrais maintenant ajouter à

17 l'intention de la Chambre et des conseils de la défense que le transcript

18 qui suit portera la cote 79A en anglais, et 79B en serbo-croate.

19 Il est utile de vous remettre avant les enregistrements vidéo

20 afin que vous sachiez de quoi il s'agit et afin que vous puissiez suivre.

21 (Les transcripts sont remis aux parties.)

22 Avant de faire passer cet enregistrement, Colonel Kingori, est-

23 ce que vous avez pu vous voir sur ce film dans cette interview avec le

24 général Mladic ?

25 M. Kingori (interprétation). - Oui.

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1 M. Harmon (interprétation). - Vous êtes apparu dès le début de

2 l'enregistrement ?

3 M. Kingori (interprétation). - Oui.

4 M. Harmon (interprétation). - Je voudrais qu'on fasse baisser

5 les lumières maintenant et qu'on passe l'enregistrement vidéo 79 qui

6 montre l'interview avec le général Mladic.

7 (Diffusion de la cassette vidéo.)

8 "Question. - Monsieur le général, après la libération de

9 Srebrenica, il se trouve quelques milliers de civils musulmans. Pouvez-

10 vous nous dire ce qui va se passer avec eux ?

11 Général Mladic. - Eh bien, j'ai reçu aujourd'hui une délégation

12 de cette population ici, et ils m'ont demandé de permettre aux civils qui

13 veulent quitter ce territoire, eh bien de leur permettre de passer par le

14 territoire contrôlé par les Musulmans et les Croates. Notre objectif

15 n'avait pas pour objectif d'agir et d'intervenir contre la population

16 civile, pas plus que contre les forces de la Forpronu. Nous avons les

17 moyens de transport, nous avons assuré des vivres, de l'eau, des

18 médicaments.

19 Dans cette première tournée, au cours de la journée

20 d'aujourd'hui, nous allons évacuer les femmes, les enfants et les

21 personnes âgées, et tous ceux qui de leur plein gré veulent, sans

22 contrainte aucune, quitter cette région de combat.

23 Journaliste. - La libération de Srebrenica a suivi suite à bien

24 des actions terroristes des activités des unités musulmanes en provenance

25 de cette zone soi-disant protégée ?

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1 Général Mladic. - Oui, maintenant, Srebrenica est libérée. Je

2 crois avoir dit à cette délégation, qui est venue ici, que tous ceux qui

3 sont là, il y a encore des petits groupes qui s'efforcent de faire des

4 actions sporadiques et de résister d'une façon quelconque. J'ai ordonné

5 que tous leurs soldats se joignent librement aux autres, qu'ils déposent

6 leurs armes, et ils ont accepté. Je crois que nous allons résoudre cette

7 partie du problème de façon humaine, sans qu'il y ait de victimes inutiles

8 dans la population civile, car ces vieillards ne sont pas coupables de la

9 politique d'Alija.

10 Question. - On a témoigné une fois de plus de l'unité de l'armée

11 du peuple.

12 Réponse. - Eh bien oui, je peux lui dire qu'en ma qualité

13 d'homme secoué par les événements, j'ai appris par la population civile et

14 par leurs officiers civils et leurs soldats, hier, à Srebrenica, plusieurs

15 de ces gens m'ont dit qu'il aurait mieux valu accepter ce que vous aviez

16 suggéré en 1993, c'est-à-dire de faire cesser les combats et de résoudre

17 les problèmes de façon pacifique dans cette région."

18 (Fin de la diffusion de la cassette vidéo.)

19 M. Harmon (interprétation). - Colonel, vous avez été présent à

20 l'occasion de cette interview ?

21 M. Kingori (interprétation). - Oui.

22 M. Harmon (interprétation). - Vous souvenez-vous de la date

23 du 12 ou 13 juillet ?

24 M. Kingori (interprétation). - Il s'agit probablement du

25 12 juillet.

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1 M. Harmon (interprétation). - Je voudrais maintenant vous faire

2 passer l'autre enregistrement vidéo. Il s’agit d'une interview avec le

3 général Krstic.

4 Avant de faire passer cet enregistrement, je vais demander à

5 M. l'huissier de distribuer la pièce à conviction 67A et B, à savoir le

6 transcript, le procès verbal de cet enregistrement en langues anglaise et

7 serbo-croate.

8 Je voudrais vous demander maintenant de nous faire passer cet

9 enregistrement vidéo et de baisser les lumières.

10 (Diffusion de la cassette vidéo.)

11 "Question. - Vous avez mené à terme cette opération avec succès.

12 Général Kristic. - Nous n'avons pas arrêté cette opération, nous

13 irons jusqu'au bout pour libérer le territoire de la municipalité de

14 Srebrenica. Nous garantissons la sécurité à la population civile. Ils

15 seront transportés en toute sécurité là où ils veulent.

16 Comment commentez-vous les attaques des avions de l'OTAN sur

17 l'armée serbe, quoi que l'on sache que les Musulmans de cette ex-enclave

18 avaient constamment attaqué, réalisé des actions terroristes et porté des

19 pertes aux Serbes, ce notamment contre des objectifs civils.

20 Général Krstic. - Eh bien, nous sommes surpris par

21 l'intervention de l'aviation de l'OTAN pour une seule raison : ils savent

22 que le gros des forces du Bataillon hollandais est passé sur notre

23 territoire. Ils nous avaient demandé de leur garantir la sécurité. Je dis

24 bien que nous sommes surpris par la chose. Nous n'avons pas eu peur de

25 l'intervention de l'aviation et nous irons jusqu'au bout."

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1 (Fin de la diffusion de la cassette vidéo.)

2 M. Harmon (interprétation). - Colonel Kingori, avant toute

3 chose, laissez-moi vous demander si, en regardant cet enregistrement, vous

4 pouvez nous dire où il a été pris ?

5 M. Kingori (interprétation). - Oui, je m'en souviens. En

6 comparant les bâtiments que l'on a pu voir, je peux vous dire que cela a

7 été enregistré juste avant Potocari en allant vers Srebrenica. Cela se

8 trouve à proximité des usines qui s'y trouvent. Vous vous souvenez de ces

9 endroits.

10 M. Harmon (interprétation). - Mais vous n'avez pas assisté à

11 cette interview ?

12 M. Kingori (interprétation). - Non.

13 M. Harmon (interprétation). - Vous avez eu à identifier,

14 vendredi, un certain nombre de personnes que vous aviez vues à Potocari.

15 Vous avez identifié des personnes concrètes. Je me propose de vous faire

16 passer des photographies sur le rétroprojecteur. Il s'agit de la personne

17 que vous y avez vue avec le général Krstic.

18 Je prierai que la pièce à conviction 28/8.1 soit placée sur le

19 rétroprojecteur.

20 Une fois de plus, je tiens à dire que, comme Mme la Juge Wald

21 n'était pas là, je voudrais que vous nous répétiez qui vous avez vu à

22 Potocari, sur cette photographie.

23 M. Kingori (interprétation). - Cet homme-ci.

24 M. Harmon (interprétation). - Pour le compte rendu d'audience,

25 je voudrais que l'on dise que le témoin a montré la personne qui porte un

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1 tee-shirt, sur le côté gauche de cette photo.

2 Nous voudrions revenir sur une partie de la vidéo. Je voudrais

3 que l'on bloque l'enregistrement.

4 Je voudrais que nous attirions l'attention du témoin sur la

5 personne que l'on voit à gauche, par dessus l'épaule du général Krstic. Je

6 tiens à attirer l'attention de la Chambre sur cette personne. On la voit

7 arriver du côté droit du moniteur, vers la gauche, c'est-à-dire vers le

8 général Krstic.

9 Monsieur l'huissier, pouvez-vous maintenant nous montrer la

10 pièce à conviction n°58 de l'accusation, et pouvez-vous la distribuer aux

11 Juges ? Il s'agit de la pièce à conviction 58. Je voudrais qu'elle soit

12 également placée sur le rétroprojecteur. Cela suit la pièce à

13 conviction 28/8.1. Je demanderai à la Chambre de concentrer son attention

14 sur le rétroprojecteur.

15 Je voudrais que vous nous montriez non pas le visage du général

16 Krstic, mais la personne qui se trouve derrière son épaule. Et c'est ce

17 que je voudrais que vous joigniez à la pièce à conviction 28/8.1.

18 Colonel Kingori, vous voyez le visage d'un homme qui... C'est

19 une photographie qui a été prise sur enregistrement vidéo. Vous voyez un

20 homme derrière le général Krstic. S'agit-il bien de la même personne que

21 vous avez vue avec le général Krstic en date du 12 juillet ?

22 M. Kingori (interprétation). - Oui, c'est bien la même personne.

23 M. Harmon (interprétation). - Je vous remercie.

24 Monsieur l'huissier, j'en ai terminé avec cette série de pièces

25 à conviction.

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1 Maintenant, Colonel Kingori, est-ce que vous pouvez nous dire si

2 vous avez devant vous une copie du transcript de l'interview du général

3 Mladic qui porte le n°79A ?

4 M. Kingori (interprétation). - Oui, tout à fait.

5 M. Harmon (interprétation). - Je voudrais que vous lisiez les

6 parties de cette interview, et que vous nous donniez des commentaires

7 concernant les différentes parties que je me propose de lire.

8 Pour le procès-verbal d'audience, je voudrais que l'on prête

9 attention au premier paragraphe qui commence par "RM", je commencerai par

10 la première partie de la deuxième phrase où l'on commence en disant "notre

11 armée".

12 Je cite : "Notre armée n'avait pas pour objectif d'intervenir

13 contre la population civile, pas plus que contre les forces de la

14 Forpronu". Fin de citation.

15 Colonel Kingori, vous avez vécu à Potocari pendant toute cette

16 période de conquête de cette localité. Pouvez-vous nous faire un

17 commentaire sur les dires du général Mladic, aux termes desquels il

18 n'avait pas l'intention d'intervenir contre la population civile ?

19 M. Kingori (interprétation). - Avant de répondre, je voudrais

20 revenir à ce que j'ai dit vendredi à propos des cibles de l'armée serbe.

21 Ils avaient concentré leur pilonnage essentiellement sur la ville de

22 Srebrenica et sur Potocari. Il y avait là une population civile à Potocari

23 et Srebrenica. Alors, dire que l'on n'a pas ciblé les civils, je n'y

24 croirais pas beaucoup.

25 Et pour ce qui est de la Forpronu, cela n'est pas vrai non plus,

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1 étant donné qu'ils avaient ciblé le Bataillon néerlandais et ils avaient

2 même touché des postes d'observation. Ils avaient encerclé l'un des postes

3 d'observation et emmené des soldats avec eux. Et l'on ne peut pas dire

4 qu'ils n'avaient pas visé la Forpronu alors que, en fait, ils l'avaient

5 fait. A une occasion, ils avaient touché une base à Potocari avec des obus

6 d'artillerie. Nous avons procédé à des analyses de cratère, et nous

7 parlons là d'une région protégée. Ils n'étaient donc pas censés toucher

8 cette région, mais ils l'ont fait, sachant qu'il s'agissait d'une base de

9 l'ONU. Ils avaient donc ciblé la Forpronu et les civils.

10 M. Harmon (interprétation). - Je voudrais attirer votre

11 attention sur la reste de la phrase où il est dit : "Nous avons fourni des

12 moyens de transport, nous avons assuré des vivres, de l'eau et ainsi de

13 suite". On parle de population civile : pouvez-vous commenter cette

14 partie-là de sa phrase ?

15 M. Kingori (interprétation). - Pour ce qui est des transports,

16 oui, effectivement, ils avaient assuré des moyens de transport pour que

17 les gens puissent quitter l'enclave. C'est-à-dire, ils n'ont pas voulu

18 leur faire quitter l'enclave mais les transporter là où ils voulaient les

19 emmener.

20 Pour ce qui est des vivres, ils n'en ont pas donné, ni à la

21 population civile ni à nous qui nous trouvions dans l'enclave.

22 Quant à l'eau, en date du 12, j'ai demandé au commandant Nikolic

23 de donner de l'eau aux civils parce que nous n'en avions pas assez, et il

24 avait amené une citerne d'eau.

25 Pour ce qui est des médicaments, il n'y avait aucune sorte de

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1 médicaments. Eh bien, nous pouvons dire qu'ils avaient effectivement

2 soigné des personnes blessées à l'hôpital de Bratunac, du moins les

3 personnes qui avaient été emmenées là-bas, mais il n'y avait pas de

4 médicaments pour les gens qui se trouvaient avec nous à Potocari, ni ceux

5 qui se trouvaient dans l'enceinte de la base ni ceux à l'extérieur de

6 celle-ci.

7 M. Harmon (interprétation). - Je voudrais attirer votre

8 attention sur la phrase suivante, maintenant : "Dans le courant de cette

9 journée, nous allons d'abord évacuer les femmes, les enfants, les

10 personnes âgées et tous les autres qui, de leur plein gré, sans contrainte

11 aucune souhaitent quitter cette région de combats". Pouvez-vous nous faire

12 un commentaire, Colonel Kingori, concernant cette partie de la phrase

13 prononcée par le général Mladic aux termes de laquelle les gens pouvaient,

14 de leur plein gré et sans contrainte aucune, s'en aller ?

15 M. Kingori (interprétation). - Il s'agit de remarquer ici que

16 ces gens, à savoir les Musulmans, n'avaient aucune possibilité de choisir

17 quoi que ce soit, entre partir ou rester à Srebrenica. Suite à la chute de

18 l'enclave, il leur avait dit : "Nous vous procurerons des moyens de

19 transport pour vous faire partir", et c'était tout ! On ne leur a jamais

20 demandé où ils voulaient aller.

21 Par conséquent, dire qu'on leur a laissé le choix de partir de

22 leur plein gré ne correspond pas à la vérité. Nous avions interrogé

23 l'armée des Serbes de Bosnie pour savoir où ils allaient les emmener. Et

24 comme ces gens n'avaient pas le choix, ils s'étaient vu dire qu'on allait

25 les emmener à Tuzla pour qu'ils rejoignent leurs frères musulmans dans

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1 cette ville.

2 M. Harmon (interprétation). - Avez-vous une copie de la pièce à

3 conviction 67A, Colonel Kingori ? Il s'agit du transcript de l'interview

4 avec le général Krstic. L'avez-vous devant vous ?

5 M. Kingori (interprétation). - Oui.

6 M. Harmon (interprétation). - J'attirerai votre attention sur

7 deux phrases et je voudrais que vous me fassiez quelques commentaires sur

8 les phrases prononcées par le général Krstic. D'abord, l'avant-dernière

9 phrase, je cite : "La population civile se voit garantir la sécurité".

10 Pouvez-vous nous faire un commentaire à ce sujet ?

11 M. Kingori (interprétation). - Je ne sais pas à quoi il avait

12 pensé car la sécurité des civils avait été enfreinte bien avant qu'il ne

13 fasse ce commentaire. Cela a entamé avec le début des pilonnages, c'est là

14 qu'on a enfreint toute sécurité, et nulle part dans l'enclave on ne

15 pouvait se sentir en sécurité. Suite à cela, lorsque les gens se sont

16 rendus dans la base néerlandaise, il n'y avait pas de sécurité non plus,

17 étant donné que les pilonnages se sont poursuivis, les soldats de l'armée

18 des Serbes de Bosnie ne faisaient qu'affluer et tous ceux qui se

19 trouvaient à l'extérieur de la base du Bataillon néerlandais n'étaient pas

20 en sécurité. Les hommes avaient été emmenés vers une maison où ils avaient

21 été entassés à tel point qu'ils étaient l'un sur l'autre, pêle-mêle, pour

22 dormir ou être assis. Cela ne pourrait pas être désigné comme une

23 situation de sécurité.

24 M. Harmon (interprétation). - Est-ce que nous pouvons nous

25 pencher sur la deuxième phrase, je cite : "Ils seront transportés en toute

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1 sécurité là où ils voudront". Pouvez-vous nous faire un commentaire,

2 Colonel Kingori, je vous prie ?

3 M. Kingori (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges,

4 pour ce qui est de la destination au choix de ces gens, comme je l'ai dit

5 tout à l'heure, ces gens n'ont pas été interrogés sur leurs souhaits, pour

6 savoir où ils voulaient aller. Ils n'avaient pas le choix de choisir et la

7 possibilité de choisir leur destination. Ils ne pouvaient prendre appui

8 que sur la destination que les soldats de l'armée des Serbes de Bosnie

9 voudraient bien leur donner. Ils étaient dépendants de leur choix, ils

10 n'avaient pas un libre choix eux-mêmes.

11 Pour ce qui est de la sécurité, non plus. Je ne comprends pas

12 tout à fait car, en effet, ils ont été transportés, c'est vrai. Mais par

13 la suite, bien plus longtemps après, nous avons appris que beaucoup de

14 gens ne sont pas arrivés à destination. Nous ne pouvons donc pas dire

15 qu'ils ont été transportés là-bas en toute sécurité.

16 M. Harmon (interprétation). - Concentrons-nous à présent, si

17 vous le voulez bien, sur le problème, sur la question du choix qu'avaient

18 les réfugiés de rester dans l'enclave de Srebrenica ou de se rendre vers

19 une destination de leur choix.

20 Le 13 juillet, avez-vous eu la possibilité de quitter Potocari

21 pour vous rendre dans la ville de Srebrenica ?

22 M. Kingori (interprétation). - Oui.

23 M. Harmon (interprétation). - Pouvez-vous dire aux Juges ce que

24 vous avez vu au moment où une femme musulmane a effectivement exprimé sa

25 volonté, son choix qui consistait à rester dans la ville de Srebrenica ?

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1 M. Kingori (interprétation). - Eh bien, Monsieur le Président,

2 Madame et Messieurs les Juges, ce jour-là, le 13, nous sommes allés à

3 Srebrenica en patrouille avec des représentants de Médecins sans

4 frontières. Moi, je représentais donc les observateurs militaires de

5 Nations Unies. Alors que nous nous approchions de la ville de Srebrenica,

6 nous avons commencé à voir des cadavres le long de la route, devant les

7 bâtiments, et cela jusqu'à l'arrivée dans la ville de Srebrenica.

8 Une fois arrivés dans la ville, nous nous sommes rendus à

9 l'hôpital où nous avons rencontré 6 femmes âgées à qui nous avons dit que

10 nous souhaitions les emmener à Potocari pour assurer leur sécurité, et

11 notamment les soumettre à des soins médicaux.

12 L'une de ces femmes n'a pas accepté. Elle a dit qu'elle ne

13 voulait pas quitter Srebrenica. Et malheureusement un soldat de l'armée

14 des Serbes de Bosnie s'est trouvé sur les lieux. Il s'est opposé à nous et

15 nous a dit qu'il fallait absolument que cette femme parte avec nous. Si

16 cette femme ne partait pas, ils allaient l'abattre.

17 Donc nous lui avons dit cela. Nous lui avons dit que si elle

18 n'acceptait pas de partir, nous allions l'y contraindre, l'emmener par la

19 force, et c'est ce que j'ai fait personnellement. Je l'ai placée à bord de

20 notre véhicule après l'avoir soulevée dans mes bras. C'est ainsi nous

21 l'avons emmenée hors de la ville de Srebrenica jusqu'au Bataillon

22 britannique de Potocari.

23 M. Harmon (interprétation). - Enfin, colonel Kingori, sur la

24 base de vos observations personnelles, eu égard au général Krstic et

25 autres officiers supérieurs de l'armée des Serbes de Bosnie présents à

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1 Potocari, avant et pendant le transport des civils musulmans hors de

2 l'enclave, vous est-il apparu qu'ils travaillaient ensemble au même

3 objectif ? C'est-à-dire au transport de tous les réfugiés en dehors de

4 l'enclave ?

5 M. Kingori (interprétation). - Certainement, ils travaillaient

6 tous ensemble pour la même cause, dans le seul but de veiller à ce que

7 tous les Musulmans quittent cet endroit à bord des autobus pour sortir de

8 l'enclave.

9 M. Harmon (interprétation). - Merci, Monsieur le Président. Je

10 n'ai plus de questions à poser à ce témoin.

11 Merci, Colonel Kingori.

12 M. le Président. - Merci beaucoup, monsieur Harmon.

13 Maintenant, colonel Kingori, vous allez répondre aux questions

14 que Me Petrusic, avocat de la défense du général Krstic, va vous poser.

15 Vous avez la parole, maître Petrusic.

16 M. Petrusic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

17 bonjour Madame et Monsieur les Juges, bonjour collègues de la défense,

18 bonjour; Colonel Kingori.

19 J'aimerais savoir si les autres cinq officiers qui étaient donc

20 tous observateurs militaires des Nations Unies dans l'enclave, j'aimerais

21 savoir si ces cinq autres officiers sont arrivés en même temps que vous ?

22 M. Kingori (interprétation). - Non.

23 M. Petrusic (interprétation). - Ces autres observateurs ont-ils

24 eu des contacts avec des officiers musulmans et des officiers serbes

25 pendant leur séjour dans l'enclave ? Et ce, indépendamment de vous ?

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1 M. Kingori (interprétation). - Oui, nous travaillions tous

2 ensemble mais il leur était tout à fait possible d'établir ce genre de

3 contact en mon absence.

4 M. Petrusic (interprétation). - Ces autres observateurs ont-ils

5 parfois transmis des rapports différents des vôtres, des rapports

6 indépendants des vôtres après avoir eu, par exemple, des contacts avec les

7 représentants de la partie serbe ou musulmane ?

8 M. Kingori (interprétation). - Non, car tout rapport contenant

9 des observations faites par les observateurs militaires des Nations Unies

10 était un rapport complet, homogène, qui regroupait l'ensemble des

11 observations faites par les différents observateurs militaires des Nations

12 Unies. Il nous fallait les rassembler pour soumettre un seul et même

13 rapport.

14 M. Petrusic (interprétation). - Colonel, le commandant de

15 l'armée musulmane de Srebrenica était-il Naser Oric ?

16 M. Kingori (interprétation). - Oui, on m'a dit qu'il s'agissait

17 de Naser Oric que je n'ai personnellement jamais rencontré.

18 M. Petrusic (interprétation). - Le chef d'état-major était-il

19 Ramiz Becirevic ?

20 M. Kingori (interprétation). - C'est exact.

21 M. Petrusic (interprétation). - Et cette organisation militaire

22 dont le commandant s'appelait Oric, le chef d'état-major Becirevic, avait-

23 elle pour nom la 28e Division ?

24 M. Kingori (interprétation). - La 28e Division était présente sur

25 les lieux effecctivement, mais elle n'était pas organisée comme l'aurait

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1 été une armée classique. Dans une armée classique des ordres sont donnés,

2 des ordres sont reçus et exécutés. Il y a retour d'informations ensuite.

3 Mais celle-ci ne fonctionnait pas de la même façon que l'armée

4 des Serbes de Bosnie.

5 M. Petrusic (interprétation). - Voulez-vous dire par là que

6 l'armée des Musulmans de Bosnie présente sur le territoire de Srebrenica

7 avait un fonctionnement complètement différent, une structure complètement

8 différente ?

9 M. Kingori (interprétation). - Non, ce n'est pas tout à fait ce

10 que je veux dire. Il y a des différences entre une organisation militaire

11 et une autre. Mais s'agissant du fonctionnement d'une organisation

12 militaire, il existe un certain nombre de facteurs, un certain nombre de

13 manières d'exécuter le rôle qui est assigné à une organisation militaire.

14 Et apparemment, l'armée de Bosnie-Herzégovine ne répondait pas à

15 ces critères comme le faisait l'armée des Serbes de Bosnie.

16 M. Petrusic (interprétation). - Mais le commandant, le chef

17 d'état-major et les adjoints du chef d'état-major faisaient-ils partie de

18 la structure hiérarchique de l'armée des Musulmans de Bosnie à

19 Srebrenica ?

20 M. Kingori (interprétation). - Mais je ne suis pas sûr que l'on

21 puisse appeler cela une forme d'organisation. Parce que premièrement, si

22 l'on veut avoir une armée ou des forces armées organisées, il faut pour le

23 moins disposer d'une composante de base qui est constituée par les soldats

24 et leurs armes.

25 Or, ceci n'était pas le cas de l'armée de Bosnie-Herzégovine qui

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1 pour l'essentiel ne disposait pas d'armes. Toutes les armes lourdes

2 étaient regroupées dans la base du Bataillon néerlandais, donc les

3 mitrailleuses se trouvaient à cet endroit. S'il y avait des armes à

4 l'extérieur, il ne s'agissait que d'armes légères.

5 Et que peuvent faire des fusils dans des combats de ce genre.

6 C'est la raison pour laquelle je dis qu'il ne s'agissait pas d'une armée

7 organisée.

8 M. Petrusic (interprétation). - La zone entourant Srebrenica est

9 une zone de montagnes. S'il y avait des unités d'infanterie dans ces

10 lieux, c'est parce qu'il était probablement impossible d'y placer des

11 armes lourdes compte tenu du terrain.

12 M. Kingori (interprétation). - Pour autant que je le sache, des

13 pièce d'artillerie lourde sont mieux positionnées lorsqu'elles sont

14 cachées par des collines puisqu'elles ne peuvent pas être vues par

15 l'ennemi et qu'elles sont plus difficiles à prendre pour cible de la part

16 de l'ennemi et la trajectoire de ces armes peut être adaptée pour lancer

17 des obus qui passent par-dessus la colline. Donc la présence de collines

18 n'intervient pas dans ce sens-là.

19 L'artillerie aurait pu être présente si la volonté avait existé

20 d'en disposer, ou en tout cas si elle existait dans cette armée.

21 M. Petrusic (interprétation). - Colonel Kingori, des membres de

22 l'armée des Serbes de Bosnie, avec leurs officiers de liaison, le

23 commandant Nikolic et le commandant Vukovic, se sont-ils plaints auprès de

24 vous que des hélicoptères survolaient la zone pendant votre séjour à

25 Srebrenica ?

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1 M. Kingori (interprétation). - Un jour, lors d'une réunion tenue

2 à Bratunac, le colonel Vukovic nous a dit avoir entendu un hélicoptère

3 survoler l'enclave. Il a dit que cet hélicoptère avait été abattu par

4 l'armée des Serbes de Bosnie.

5 En effet, il nous a affirmé qu'à ces yeux cet hélicoptère était

6 venu aider les Musulmans, et qu'il avait donc été abattu. C'est la seule

7 fois où il a été question d'un hélicoptère. Lorsque nous lui avons demandé

8 où se sont rendus les occupants de l'hélicoptère, il ne nous a pas

9 répondu.

10 Par la suite, lorsque nous avons eu des contacts avec l'armée de

11 Bosnie-Herzégovine, nous avons demandé à ces représentants s'ils étaient

12 au courant qu'un hélicoptère avait pénétré dans l'enclave. Ils ont dit ne

13 pas avoir vu le moindre hélicoptère. Ils ont nié la chute d'un quelconque

14 hélicoptère également.

15 Mais par la suite, nous avons obtenu des informations de la part

16 de la populations locale qui nous a dit qu'effectivement un hélicoptère

17 s'était écrasé à l'intérieur de l'enclave et que parmi les blessés se

18 trouvait le chef d'état-major, à savoir Ramiz. Lorsque nous l'avons

19 rencontré par la suité à des réunions, nous avons constaté qu'il boitait.

20 Donc cette information semble avoir été exacte.

21 M. Petrusic (interprétation). - Colonel, au cours de votre

22 déposition de vendredi, vous avez dit qu'au début du mois de juin une

23 réunion avait été organisée dans l'hôtel de Bratunac à laquelle ont

24 participé le commandant Nikolic, le colonel Vukovic et un officier

25 supérieur dont la photographie vous a été présentée sur le

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1 rétroprojecteur.

2 Il s'agit de la pièce à conviction de l'accusation 28/4, et vous

3 venez de parler de cette même réunion.

4 Vous rappelez-vous avoir parlé de cette réunion, vendredi ?

5 M. Kingori (interprétation). - Oui.

6 M. Petrusic (interprétation). - Ce troisième officier avait-il

7 un grade supérieur à celui de Nikolic et de Vukovic ?

8 M. Kingori (interprétation). - Nous pensions que cet officier

9 était de rang légèrement supérieur à celui de Nikolic.

10 M. Petrusic (interprétation). - Ces trois officiers faisaient-

11 ils partie de la même formation militaire au sein de l'armée de Serbes de

12 Bosnie ?

13 M. Kingori (interprétation). - Cela, je n'en suis pas tout à

14 fait certain. Mais je sais que dans les environs de l'enclave de

15 Srebrenica, il y avait deux formations militaires. Donc ces trois

16 officiers auraient pu provenir de l'une de ces unités ou des deux.

17 M. Petrusic (interprétation). - Pouvez-vous nous dire quelles

18 étaient ces deux unités ?

19 M. Kingori (interprétation). - Je sais que le Corps de la Drina

20 était sur les lieux. Je ne me rappelle pas le nom exact de la deuxième

21 unité, mais je sais qu'il y en avait deux. J'ai ce nom par écrit quelque

22 part.

23 M. Petrusic (interprétation). - Cet autre homme était-il aussi

24 membre du Corps de la Drina ?

25 M. Kingori (interprétation). - Je pense que c'est le cas, mais

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1 je ne saurais dire avec une certitude absolue si je dois être pris au mot

2 dans le compte rendu d'audience. Je ne suis pas absolument certain que ces

3 trois hommes appartenaient tous au Corps de la Drina.

4 M. Petrusic (interprétation). - Colonel Kingori, lors des

5 entretiens que vous avez eus avec le commandant Nikolic et le colonel

6 Vukovic, avez-vous appris qui les avait affectés au poste d'officier de

7 liaison auprès de vous, les observateurs militaires des Nations Unies ?

8 M. Kingori (interprétation). - On ne nous a jamais dit qui les a

9 nommés à leur poste.

10 M. Petrusic (interprétation). - Vous ne savez pas devant qui ils

11 étaient responsables dans l'exercice de leurs fonctions ?

12 M. Kingori (interprétation). - Eh bien, il existait la

13 hiérarchie de l'armée des Serbes de Bosnie. Hiérarchie classique

14 puisqu'ils étaient tous les deux membres de l'armée des Serbes de Bosnie,

15 le commandant Nikolic étant inférieur hiérarchiquement au colonel

16 Vukovic ; et ensuite, il y avait Acamovic et tous les niveaux supérieurs

17 qui aboutissaient au général Mladic.

18 Même si je suis incapable de dire qui exactement les a nommés à

19 leur poste, je peux dire que la structure habituelle existait au sein de

20 l'armée des Serbes de Bosnie.

21 M. Petrusic (interprétation). - Lors de cette rencontre, vous

22 avez dit que Vukovic a offert un transport destiné à évacuer les Musulmans

23 vers Tuzla et ce, en toute sécurité.

24 Monsieur le Président, permettez-moi de soumettre au colonel

25 Kingori la déclaration qu'il a faite devant les représentants du Bureau du

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1 Procureur ; les 23, 24, 25 septembre 1997.

2 (La déclaration est remise).

3 M. Dubuisson. - Il s'agira de la pièce D10.

4 M. Petrusic (interprétation). - Colonel, il s'agit bien de votre

5 déclaration ?

6 M. Kingori (interprétation). - Oui.

7 M. Petrusic (interprétation). - En page 4, troisième paragraphe

8 à partir du bas, vous dites : "Il a présenté une nouvelle fois la

9 proposition d'ouvrir un passage sûr pour l'évacuation des Musulmans vers

10 Tuzla".

11 M. Kingori (interprétation). - Oui, en effet.

12 M. Petrusic (interprétation). - C'est sur cette base, Colonel

13 Kingori, que vous avez conclu qu'il existait un plan qui a donné lieu aux

14 événements du mois de juillet ?

15 M. Kingori (interprétation). - Oui, j'ai dit cela.

16 M. Petrusic (interprétation). - Colonel, pouvez-vous nous dire

17 quels sont les autres éléments de ce plan dont il a éventuellement été

18 question au cours de cette réunion ? D'autres éléments qui vous auraient

19 permis de tirer des conclusions particulières, donc si d'autres choses

20 auraient été dites en dehors de ce que vous nous avez déjà communiqué ?

21 M. Kingori (interprétation). - Si vous lisez la totalité de ce

22 paragraphe de ma déclaration, le troisième à partir du bas de la page, il

23 apparaît très clairement, comme on le lit à la troisième ligne, je cite :

24 "Durant le dîner, le colonel Vukovic a insisté pour essayer de savoir ce

25 que serait la réaction des Nations Unies si l'armée des Serbes de Bosnie

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1 capturait l'enclave et en expulsait la population".

2 Ce que cela signifie, c'est que quelque chose avait déjà été

3 discuté entre eux, et ce quelque chose ils essayaient de nous le faire

4 savoir de façon à ce que nous le transmettions aux Musulmans, et que ce

5 quelque chose était que l'armée des Serbes de Bosnie risquait de capturer

6 l'enclave. C'est écrit dans le texte.

7 Une fois que l'enclave aurait été capturée, ils ne disaient pas

8 que les Musulmans auraient toute liberté de continuer à résider à

9 l'intérieur de l'enclave. Ce qu'ils disaient en fait, c'est qu'ils

10 allaient en expulser le population, et lorsque je lis le mot "population",

11 je ne comprends pas qu'il s'agit des soldats de l'armée de Bosnie-

12 Herzégovine uniquement, mais bien de toute la population qui habitait à

13 l'intérieur de l'enclave.

14 Il est donc question ici de création d'un passage sûr, et cela

15 signifie qu'une voie serait ouverte pour permettre à ces personnes de

16 partir, et de partir pas parce qu'elles veulent partir, mais parce

17 qu'elles doivent partir. Autrement dit, on ouvre un passage qui leur

18 permet de se rendre à Tuzla. Mais bien entendu, il ne s'attend pas à ce

19 que ces personne souhaitent quitter ce qui leur appartient, c'est-à-dire

20 l'enclave.

21 Et compte tenu du fait qu'il sait que ces personnes n'auront pas

22 l'envie de partir, il s'attend à une forme de résistance, et c'est la

23 raison pour laquelle, plus loin dans le texte, il dit souhaiter savoir ce

24 que les Nations Unies feraient au cas où l'enclave était capturée. Cela

25 montre donc bien que tout cela est quelque chose à quoi eux ont déjà

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1 réfléchi et peut-être même quelque chose qu'ils ont planifié.

2 Ils nous en parlent de façon à ce que nous le fassions savoir

3 aux Musulmans afin d'éviter qu'ils soient tenus responsables des

4 conséquences de tout cela. C'est la conclusion que j'ai tirée.

5 M. Petrusic (interprétation). - Mais la conclusion dont vous

6 venez de nous faire part, Colonel, n'est pas identique à celle que vous

7 avez exprimée devant les représentants du bureau du Procureur. Ce que vous

8 venez de dire aujourd'hui est beaucoup, beaucoup plus général, beaucoup

9 plus vaste, n'est-ce pas ?

10 M. Kingori (interprétation). - Non, je ne suis pas d'accord. Les

11 deux conclusions sont comparables, sont les mêmes.

12 M. Petrusic (interprétation). - Monsieur le Colonel, confirmez-

13 vous que, le 6 juillet, 250 obus sont tombés sur Srebrenica ? Est-ce

14 exact ?

15 M. Kingori (interprétation). - C'est vrai.

16 M. Petrusic (interprétation). - Les jours suivants, donc après

17 le 6, le pilonnage de la ville s'est poursuivi. Est-ce exact également ?

18 M. Kingori (interprétation). - C'est exact.

19 M. Petrusic (interprétation). - Dans vos déclarations, vous

20 faites état de 50 à 100 obus qui seraient tombés sur la ville, ou parfois

21 davantage.

22 M. Kingori (interprétation). - Oui, je me rappelle avoir dit

23 cela.

24 M. Petrusic (interprétation). - Les dommages infligés aux

25 bâtiments de la ville même de Srebrenica, si l'on tient compte du nombre

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1 des obus qui ont atteint la ville...

2 M. le Président. - Pardon. Monsieur Harmon, je ne sais pas si

3 vous allez mentionner la date. Je crois que, Maître Petrusic, nous sommes

4 à parler du 16 juillet, au moins, c'est ce que je vois dans le transcript,

5 peut-être qu'il s'agit du 6 juillet, non ?

6 M. Harmon (interprétation). - Oui, c'est ce que je voulais dire.

7 M. Petrusic (interprétation). - Eh bien, moi, j'ai parlé du

8 6 juillet, c'est sans doute en interprétation anglaise qu'une erreur s'est

9 glissée. Il s'agit bien du 6 juillet.

10 M. le Président. - Il faut donc corriger le transcript : au lieu

11 du 16 juillet, il s'agit du 6 juillet. Merci beaucoup de votre attention.

12 M. Petrusic (interprétation). - Colonel, la question que je vous

13 posais est donc la suivante : si l'on tient compte de ce très grand nombre

14 d'obus qui a atteint la ville, il semble que les dommages subis par les

15 bâtiments de la ville ne soient pas proportionnels à ce grand nombre

16 d'obus. Etes-vous d'accord là-dessus ?

17 M. Kingori (interprétation). - Oui, je suis d'accord.

18 M. Petrusic (interprétation). - Malheureusement, il y a eu des

19 blessés parmi les civils musulmans. Vous parlez de cibles et c'est à

20 l'intérieur de la ville. Et là encore, je vous pose la même question : si

21 l'on pense à ce grand nombre d'obus -et j'ai bien dit qu'il était

22 regrettable qu'il y ait eu 6 blessés également-, considérez-vous que ce

23 nombre de 6 blessés n'est peut-être pas entièrement proportionnel au

24 nombre d'obus ?

25 M. Kingori (interprétation). - Si nous parlons du nombre d'obus

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1 et du nombre de victimes, nous avons dit quelque part -et d'ailleurs c'est

2 écrit dans un document-, nous avons dit que, compte tenu du grand nombre

3 d'obus qui a atteint la ville, nous avions eu de la chance de ne pas avoir

4 davantage de blessés.

5 Ce qui s'est passé, c'est que les obus, par chance, si je puis

6 utiliser cette expression, sont tombés sur la route, sur le marché, donc

7 par chance à des endroits où il n'y avait pas beaucoup de bâtiments, où en

8 tout cas où il y avait moins d'habitants, mais des endroits où l'armée des

9 Serbes de Bosnie pensait qu'il y aurait du monde, parce qu'ils ont visé le

10 marché, la route, le centre ville de Srebrenica et également la route qui

11 relie Srebrenica à Potocari. Ils pensaient qu'il y aurait des personnes à

12 ces endroits.

13 Donc je répège que c'est par chance que le nombre des victimes a

14 été minimal par le rapport au grand nombre des obus. Nous avons compté le

15 nombre d'obus, nous sommes tout à fait certains que le nombre des obus que

16 nous avons cité est exactement.

17 Quant aux blessés, et j'ajoute qu'il n'y a pas eu que des

18 blessés, il y a eu aussi des personnes décédées et cela figure dans nos

19 documents écrits.

20 M. le Petrusic (interprétation). - Colonel, dans votre

21 déclaration au Bureau du Procureur, en page 6, à l'avant dernière phrase

22 du bas de la page, vous dites, je cite : "Je n'ai pas compris pourquoi ils

23 ont visé la ville de cette façon. La seule explication qui m'est venue à

24 l'esprit consiste à penser que leur but était à terroriser la population

25 pour la contraindre à fuir".

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1 M. Harmon (interprétation). - Pour le compte rendu d'audience,

2 et afin d'aider le témoin, on trouve cela en page 6, au deuxième

3 paragraphe avant le bas de la page. C'est un paragraphe assez long, et la

4 phrase citée par le conseil de la défense se trouve à peu près au milieu

5 du paragraphe.

6 M. le Petrusic (interprétation). - Merci, Monsieur le Procureur,

7 moi j'ai sous les yeux la version serbe.

8 M. le Président. - Je suis désolé de vous interrompre, mais pour

9 des circonstances exceptionnelles nous devons interrompre à 10 heures 45,

10 peut-être que nous allons le faire avant que le colonel Kingori réponde.

11 Sinon, on peut vraiment dépasser, les 10 heures 45. Si vous le permettez,

12 nous allons faire la pause de 20 minutes.

13 (L'audience, suspendue à 10 h 45, est reprise à 11 h 12.)

14 M. le Président. - Maître Petrusic, vous pouvez continuer, s'il

15 vous plaît.

16 M. le Petrusic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

17 Donc, Colonel Kingori, juste avant la pause, nous parlions de la

18 déclaration que vous aviez donnée au Procureur, avec la conclusion que

19 vous n'aviez pas compris pourquoi ils lançaient des obus sur la ville. La

20 seule réponse que j'ai eue c'était dans le but de faire peur à la

21 population pour faire en sorte que ces gens se sauvent, partent ou

22 quittent la ville.

23 Cette même conclusion, vous l'avez donnée à vos supérieurs, est-

24 ce que c'est exact ?

25 M. Kingori (interprétation). - Oui, effectivement. Mais en même

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1 temps, dans le document, il est inscrit qu'ils avaient visé les endroits

2 les plus peuplés, où il y avait plus de population, et les endroits les

3 plus peuplés n'étaient pas seulement la cible. Ils avaient également

4 essayé de... Ils avaient d'autres raisons de cibler ces gens-là.

5 Sur la même page, vous pouvez voir au deuxième paragraphe de la

6 déclaration du 8 juillet que le pilonnage s'était poursuivi sur les

7 endroits les plus peuplés. Et c'est ces endroits-là qu'ils avaient ciblés.

8 Donc ce n'était pas seulement pour harceler les gens, leur faire peur ou

9 intimider la population, mais c'était exactement dans le but de les tuer

10 parce qu'on ne vise pas quelqu'un pour simplement les intimider, mais

11 également pour discriminer, dans le but de tuer les gens, parce que cela

12 peut également tuer les gens. Il est également possible d'intimider la

13 population, mais ce qui est arrivé cela a pu tuer les gens également.

14 M. le Petrusic (interprétation). - Monsieur le colonel, dans la

15 pièce ci-jointe 18, jointe à votre déclaration, vous avez également tiré

16 la même conclusion lorsqu'il s'agit du pilonnage de la base de Potocari,

17 et dans cette déclaration vous dites qu'il était très clair qu'ils font

18 exprès de manquer l'immeuble. Est-ce exact ?

19 M. Kingori (interprétation). - Pourriez-vous me dire où cela se

20 trouve ?

21 M. le Petrusic (interprétation). - C'est la page 8 de la version

22 anglaise, troisième paragraphe à partir du bas.

23 M. Kingori (interprétation). - Je ne la vois pas.

24 M. le Petrusic (interprétation). - Dans la version anglaise,

25 cela se trouve à la page 8. Au quatrième paragraphe, à partir du bas,

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1 c'est la dernière phrase du quatrième paragraphe à partie du bas, Monsieur

2 Kingori, si c'est plus facile pour vous.

3 M. le Président. - Maître Petrusic ?

4 M. le Petrusic (interprétation). - Oui ?

5 M. le Président. - Peut-être que ce serait plus facile de dire

6 le paragraphe, vous dites donc le quatrième paragraphe avant la fin de la

7 page 8. Vous pouvez peut-être dire comment commence le paragraphe, c'est

8 peut-être mieux pour identifier...

9 M. le Petrusic (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

10 C'est exact, on commence avec les mots : "Il était évident que l'on manque

11 les cibles exprès...".

12 M. le Président. - Moi-même, je ne réussis pas à trouver cette

13 partie.

14 M. le Petrusic (interprétation). - Il est possible...

15 M. le Président. - Je disais le paragraphe commence comment ?

16 C'est le paragraphe qui commence par : "The document attached members

17 sixteen is uncompleted because...", et après, c'est la sixième ligne ?

18 M. le Petrusic (interprétation). - C'est exact, Monsieur le

19 Président.

20 M. le Président. - Le colonel Kingori a-t-il trouvé ?

21 M. Kingori (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

22 M. le Président. - Merci beaucoup. Allez-y.

23 M. Kingori (interprétation). - Maintenant, si nous lisons la

24 phrase qui précède, les phrases qui précèdent et particulièrement la

25 deuxième phrase du même paragraphe où l'on mentionne qu'à partir de

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1 8 heures 45 jusqu'à 20 heures 51, 45 obus ont survolé la base et cela a

2 créé beaucoup de panique parmi les réfugiés.

3 Donc si l'on se fie à cette phrase-là ou si on lie cette phrase

4 à la phrase suivante, je parle des immeubles qui se trouvent dans la base

5 néerlandaise, c'est la référence. C'est que délibérément ces gens-là

6 manquaient les buts de la Forpronu. S'ils avaient voulu effectivement

7 frapper la base, ils auraient pu le faire.

8 M. Petrusic (interprétation). - Colonel, vous connaissiez Emir

9 Suljajcic ?

10 M. Kingori (interprétation). - Oui, c'est exact. Il était notre

11 interprète du côté de l'armée de la Bosnie-Herzégovine.

12 M. Petrusic (interprétation). - Et donc il faisait exclusivement

13 le travail d'interprète ?

14 M. Kingori (interprétation). - C'était l'un de nos interprètes,

15 parce que nous en avions deux.

16 M. Petrusic (interprétation). - Colonel, est-ce que vous avez

17 appris de M. Emir qu'entre 12 heures 50 et 13 heures 50, à Srebrenica, il

18 était enregistré 43 grenades, c'est-à-dire que 49 obus avaient été

19 enregistrés ?

20 M. Kingori (interprétation). - Oui, c'est exact.

21 M. Petrusic (interprétation). - Et que 2 obus sont tombés tout

22 près de l'hôpital, est-ce exact ?

23 M. Kingori (interprétation). - Oui, c'est exact. C'est ce qu'il

24 nous a dit.

25 M. Petrusic (interprétation). - Est-ce que l'on pourrait

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1 conclure qu'à partir de ces conclusions vous avez envoyé un rapport à

2 votre commandement concernant ces 49 obus ? Et que 2 obus avaient manqué

3 ou n'avaient pas ciblé l'hôpital. Je suis désolé, Monsieur le Président.

4 J'aimerais m'excuser auprès du témoin.

5 J'aimerais qu'il réponde à ma question : est-ce qu’il s'est

6 servi de cette information pour informer son commandement, sans élaborer

7 sur la réponse ?

8 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, Madame et

9 Monsieur le Juge, j'aimerais demander à ce que l'on puisse permettre au

10 témoin de nous donner toutes les explications nécessaires concernant sa

11 réponse.

12 M. le Président. - Maître Petrusic, est-ce que vous pouvez

13 répéter la question, s'il vous plaît ?

14 M. Petrusic (interprétation). - Est-ce que le colonel Kingori a

15 transmis les conclusions qu'il a obtenu d'Emir Suljajcic à son

16 commandement ?

17 M. le Président. - Le colonel va répondre à cette question avec

18 la vérité, toute la vérité. De toute façon, nous allons attendre la

19 réponse du témoin, Maître Petrusic.

20 Allez-y, Colonel Kingori.

21 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Président, nous

22 n'étions pas en mesure de patrouiller. Nous n'étions pas en mesure de nous

23 rendre à Srebrenica pour voir ce qui se passait. Il était donc de notre

24 initiative, puisque nous voulions savoir ce qui se passait. Nous avions

25 décidé d'envoyer l'un de nos interprètes après l'avoir instruit de quelle

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1 façon il se rendrait à Srebrenica, et qu'il enquêterait pour nous, et

2 qu'il se rapporterait, qu'il nous parlerait par voie de radio, que nous

3 lui avons donné et qu'à ce moment-là on se servirait de cette information.

4 La raison étant que nous n'étions pas en mesure de nous rendre à

5 Srebrenica.

6 Deuxièmement, même le représentant que nous avions envoyé aux

7 Nations Unies... Nous avions dit qu'en fait c'était le NCBO. Il était

8 absolument important d'indiquer le mot "NCBO". L'idée était simplement de

9 nous donner un compte rendu de ce qui se passait, mais nous ne pouvions

10 pas confirmer ou clarifier ses conclusions.

11 M. le Président. - La question est de savoir si cette

12 information obtenue de cette façon a été communiquée à vos supérieurs.

13 M. Kingori (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, mais

14 avec les paroles non conformées par nous-mêmes.

15 M. le Président. - Maître Petrusic, la réponse vous satisfait ?

16 M. Petrusic (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

17 Merci.

18 Je n'ai que quelques questions pour ce témoin. Je vous

19 demanderai d'être patient, et je demanderai à M. Kingori de l'être

20 également.

21 Colonel Kingori, avez-vous vu le général Krstic arriver à

22 Potocari le 12 juillet ?

23 M. Kingori (interprétation). - Oui.

24 M. Petrusic (interprétation). - Quelle était l'heure de la

25 journée ?

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1 M. Kingori (interprétation). - Je ne me rappelle pas de l'heure

2 exacte, mais c'était environ vers le milieu de la journée. Je ne sais pas

3 exactement à quelle heure, mais il est venu avec le commandant Nikolic et

4 les autres officiers supérieurs.

5 M. Petrusic (interprétation). - Vous avez dit, durant votre

6 témoignage du vendredi, que Krstic donnait des ordres aux soldats.

7 M. Kingori (interprétation). - Ce que j'ai dit -et je me

8 rappelle très bien de cela-, c'est que lorsque nous étions ensemble avec

9 le général Mladic et les autres officiers, quelques-uns des plus anciens,

10 incluant Krstic, se rendaient parmi les soldats qui étaient alignés près

11 de la route ou près des immeubles, et il leur parlait. Immédiatement, vous

12 pouviez voir les gens partir et se diriger quelque part. Donc il était

13 clair qu'il leur donnait des ordres.

14 C'étaient des gens, il n'était pas tout seul. Il y avait

15 également le colonel Vukovic qui donnait des ordres. C'est ce que j'ai vu.

16 Par la suite, il revenait. C'est ce que j'ai vu.

17 M. Petrusic (interprétation). - Colonel, ayant vu la hiérarchie

18 et l'organigramme de l'armée, étant donné qu'elles se ressemblent toutes

19 d'une armée à l'autre, est-ce que vous croyez de ce point de vue, pensez-

20 vous que c'est normal qu'un officier supérieur tel qu'un général en

21 présence d'autres officiers, de ses inférieurs, donne des ordres à ces

22 soldats directement ?

23 M. Kingori (interprétation). - Ce qui se passait cette fois-ci

24 était un peu différent de la normale. Même dans les circonstances

25 habituelles, quelqu'un du niveau du général Mladic ne donnerait pas

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1 d'ordres aux soldats, mais cette fois-ci il le faisait.

2 M. Petrusic (interprétation). - Pourriez-vous nous dire pendant

3 combien de temps le général Krstic est resté à cet endroit ?

4 M. Kingori (interprétation). - Je ne peux pas vous donner la

5 réponse avec une exactitude complète, mais je sais qu'ils étaient ensemble

6 pendant un certain temps. Peut-être pas sur le même site, mais au moins

7 ils étaient non loin de là pendant un certain temps.

8 Ils étaient là pendant un certain temps. Cela veut dire que même

9 s'il quittait, il revenait pour continuer son travail.

10 M. le Petrusic (interprétation). - Monsieur Kingori, vous avez

11 donné des renseignements à votre commandement en présence des officiers de

12 la Republika Srpska à Potocari. Est-ce exact ?

13 M. Kingori (interprétation). - Oui, c'est exact.

14 M. le Petrusic (interprétation). - Est-ce que vous avez informé

15 le commandement de la présence du général Krstic ?

16 M. Kingori (interprétation). - Non, je ne l'ai pas fait.

17 M. le Petrusic (interprétation). - Et c'est la même chose avec

18 les autres officiers supérieurs ?

19 M. Kingori (interprétation). - Je n'ai pas rapporté à chaque

20 fois qu'il y avait un officier supérieur, il y en avait tellement.

21 M. le Petrusic (interprétation). - Mais il était d'usage que

22 l'on informe le commandement en présence d'officiers, est-ce exact ?

23 M. Kingori (interprétation). - On peut dire que l'on aurait pu

24 les informer, mais nous n'étions pas en mesure d'informer de la présence

25 de tous les officiers supérieurs qui étaient sur place, considérant les

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1 circonstances et considérant également que nous faisions beaucoup de

2 choses pour ces réfugiés. Et on était très peu, il n'y avait que

3 deux observateurs. Maintenant, il fallait faire face à la situation de

4 l'eau potable, des vivres, des réfugiés. On ne pouvait pas se concentrer

5 sur chaque officier supérieur qui était présent.

6 M. le Petrusic (interprétation). - Est-ce que vous avez informé

7 votre commandement de la présence de Mladic ?

8 M. Kingori (interprétation). - Oui.

9 M. le Petrusic (interprétation). - Les avez-vous informés

10 concernant la présence de Vukovic ?

11 M. Kingori (interprétation). - Oui.

12 M. le Petrusic (interprétation). - Les avez-vous informés de la

13 présence du colonel Acamovic ?

14 M. Kingori (interprétation). - Oui.

15 M. le Petrusic (interprétation). - Est-ce que vous les avez

16 informés de la présence du commandant Nikolic ?

17 M. Kingori (interprétation). - Oui, c'est exact. Nikolic était

18 avec nous pendant tout le temps.

19 M. le Petrusic (interprétation). - Des officiers supérieurs que

20 vous mentionnez, qui étaient présents, vous n'avez pas informé votre

21 commandement de la présence du général Krstic. Est-ce exact ?

22 M. Kingori (interprétation). - Ce n'est pas exact. Je crois

23 qu'il y a d'autres officiers supérieurs desquels on n'a pas informé le

24 commandement.

25 M. le Petrusic (interprétation). - Monsieur le Président, je

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1 n'ai pas d'autres questions.Je vous remercie.

2 M. le Président. - Merci, Maître Petrusic.

3 Monsieur Harmon, avez-vous des questions supplémentaires ?

4 M. Harmon (interprétation). - Je n'ai pas de questions

5 supplémentaires, Monsieur le Président.

6 M. le Président. - Merci, Monsieur Harmon.

7 Monsieur le Juge Fuad Riad ?

8 M. Riad (interprétation). - Bonjour, Colonel Kingor.

9 M. Kingori (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Juge.

10 M. Riad (interprétation). - Je vous ai écouté très

11 attentivement, j'ai écouté votre déclaration, j'aimerais néanmoins vous

12 poser quelques questions pour être encore plus précis dans certains cas.

13 Je voulais vous poser la question suivante. Dans l'un des

14 extraits vidéo que nous avons vus, s'agissant du général Krstic, en

15 particulier avec un journaliste, vous avez mentionné, c'est d'ailleurs

16 notre pièce à conviction coté 67, à la fin vous avez mentionné : "Nous

17 n'avons pas peur... frappe aérienne... nous allons poursuivre jusqu'à la

18 fin". Qu'est-ce qu'il pensait par "nous allons poursuivre jusqu'à la

19 fin" ?

20 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Juge, je crois qu'il

21 voulait dire qu'il allait s'assurer que l'enclave soit libérée de tous les

22 Musulmans de l'enclave. C'est cela qu'il voulait dire.

23 M. Riad (interprétation). - Je fais un lien avec une autre

24 déclaration du colonel Vukovic. Je crois que vous avez dit que dans une

25 réunion, lorsque vous avez eu une réunion avec les haut gradés, les

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1 officiers haut gradés, ils ont mentionné que les Musulmans doivent quitter

2 l'enclave en totalité sinon ils seraient tous tués. Pensez-vous que ces

3 deux déclarations soient cohérentes ? L'une confirmait-elle l'autre,

4 c'est-à dire partir ou être tué ?

5 M. Kingori (interprétation). - Oui, c'est exact, Monsieur le

6 Juge, cela confirme ce dont on parlait.

7 M. Riad (interprétation). - A votre opinion, qui était le plus

8 haut gradé, Vukovic ou le général Krstic ? Est-ce qu'il était général à

9 l'époque ?

10 M. Kingori (interprétation). - Je ne le connaissais pas en tant

11 que général, mais comme colonel.

12 M. Riad (interprétation). - Il était donc colonel ?

13 M. Kingori (interprétation). - C'est exact.

14 M. Riad (interprétation). - Le conseil de la défense a mentionné

15 qu'un général ne peut pas donner des ordres à ses soldats. Et maintenant,

16 si l'on prend tout ce qui s'est passé, c'est-à-dire du vol de vos

17 lunettes, et le vol des autres civils et des personnes des Nations Unies,

18 est-ce qu'une action a été prise pour arrêter le tout ?

19 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Juge, la seule chose

20 que nous avons faite était la question concernant mes lunettes de soleil.

21 On ne pouvait rien faire d'autres pour arrêter ce qui se passait dans

22 l'enclave, il n'y a aucun officier supérieur qui a essayé d'arrêter le

23 tout.

24 M. Riad (interprétation). - Mais vous avez fait des plaintes de

25 ce qui se passait. Vous vous êtes plaint de ce qui se passait. Bien sûr,

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1 je comprends que vos lunettes de soleil étaient très importantes pour

2 vous, mais la vie des personnes également est importante.

3 Est-ce que vous vous êtes plaint aux autorités des Serbes ?

4 M. Kingori (interprétation). - Oui. Nous l'avons fait, mais rien

5 n'a été entrepris.

6 M. Riad (interprétation). - Mais la réponse du conseil de la

7 défense, il a dit puisque les généraux ne peuvent pas donner des ordres à

8 des soldats, est-ce que les soldats étaient plus ou moins indisciplinés,

9 ils faisaient n'importe quoi, ou est-ce qu'il y avait quand même une

10 discipline au sein de l'armée ? Ils pouvaient recevoir quand même l'ordre

11 de leur supérieur ?

12 M. Kingori (interprétation). - Les soldats peuvent recevoir des

13 ordres de leur supérieur, mais seulement ils ne suivaient pas les ordres,

14 c'était ça le problème. Ils n'obéissaient pas. Les officiers supérieurs

15 pouvaient donner les ordres, on pouvait les voir, on les voyait leur dire

16 de faire quelque chose de différent, d'aller se rendre quelque part et ils

17 s'y rendaient.

18 Mais concernant cette question, concernant les atrocités, de

19 faire quelque chose d'incorrect envers les civils et nous-mêmes, personne

20 ne leur disait d'arrêter. Je n'ai jamais entendu quelqu'un leur dire

21 d'arrêter ce genre de comportement.

22 M. Riad (interprétation). - Mais j'aimerais avoir une réponse

23 très précise. Il y avait donc un commandement très ferme, si j'ai bien

24 compris. Il y avait une chaîne de commandement très ferme. Je me rappelle

25 très bien de vos paroles.

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1 Vous voulez dire qu'un général peut émettre des ordres aux gens

2 qui sont ses inférieurs jusqu''à ce qu'ils arrivent aux soldats. Mais dans

3 cette chaîne de commandement il n'y avait rien d'irrégulier. Donc tout le

4 monde devait obéir à ses supérieurs ?

5 M. Kingori (interprétation). - C'est exact.

6 M. Riad (interprétation). - Donc c'était une vraie armée ?

7 M. Kingori (interprétation). - Oui, c'était une vraie armée,

8 organisée comme une armée.

9 M. Riad (interprétation). - Vous avez mentionné que non

10 seulement ils étaient très bien équipés avec les chars et avec les armes

11 lourdes, mais est-ce que les Musulmans étaient également aussi bien

12 équipées ?

13 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Juge, les Musulmans

14 n'avaient rien, comparé à ce que l'armée des Serbes de Bosnie avait : ils

15 n'avaient pas de chars, ils n'avaient pas d'artillerie, ils n'avaient pas

16 de mortiers, ils n'avaient pas de mitrailleuses. Et finalement, pendant

17 tout mon séjour, je n'ai vu qu'une mitrailleuse appartenant à l'armée de

18 la BIH. Comparé donc à ce que l'armée des Serbes de Bosnie avait, les

19 Musulmans n'avaient rien.

20 M. Riad (interprétation). - Est-ce qu'à l'intérieur de

21 Srebrenica les Musulmans avaient des armes cachées ? Vous avez mentionné

22 que l'hôpital avait été manqué trois fois, à quelques mètres. Est-ce que

23 l'hôpital a été utilisé, par exemple, pour cacher des armes ? C'est la

24 raison pour laquelle ils évitaient cette cible.

25 Vous avez dit qu'ils ont ciblé les civils. Mais est-ce qu'on se

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1 servait des civils pour cacher, comme des boucliers humains, pour cacher

2 les armes ?

3 M. Kingori (interprétation). - Je crois que c'était un hôpital,

4 il n'y avait pas de base militaire, pas de quartier général, pas de dépôt

5 de munitions à l'intérieur de l'hôpital.

6 M. Riad (interprétation). - Vous avez également mentionné qu'ils

7 ont pilonné les civils, non seulement pour essayer de les forcer à fuir,

8 mais également pour les blessés ? Est-ce exact ?

9 M. Kingori (interprétation). - Oui c'est exact.

10 M. Riad (interprétation). - Dans le cas où ils essayaient

11 effectivement de les forcer à fuir, est-ce qu’ils auraient été en mesure

12 de fuir ?

13 M. Kingori (interprétation). - Non, ils n'étaient pas en mesure

14 de fuir puisqu'ils étaient bombardés de tous les côtés. Ils n'avaient pas

15 de chemin, de porte de sortie, d'issue, il n'y avait aucune issue et

16 sortie, donc ils étaient tous forcés de se rendre vers une région qui

17 était Potocari.

18 M. Riad (interprétation). - Donc vers Potocari ?

19 M. Kingori (interprétation). - Oui, même ceux qui n'étaient pas

20 du côté ouest, du côté occidental, mais du côté est, ils étaient tous

21 forcés de passer ou de se rendre à Srebrenica. Par la suite, ils se sont

22 tous rendus à Potocari. Ils étaient donc menés vers une région.

23 M. Riad (interprétation). - Je tire la conclusion de ce que vous

24 avez dit : ce n'était pas pour leur permettre de fuir mais pour les

25 détruire ?

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1 M. Kingori (interprétation). - C'est exact. C'est ce que j'ai pu

2 conclure de tout ce pilonnage, c'est effectivement d'avoir des blessés.

3 M. Riad (interprétation). - Mais vous avez mentionné cela à vos

4 supérieurs ?

5 M. Kingori (interprétation). - Oui.

6 M. Riad (interprétation). - Rien ne s'est passé ?

7 M. Kingori (interprétation). - Pour les frappes aériennes, pour

8 cibler les cibles militaires de la BSA, c'est ce qu'ils ont eu en tête de

9 faire, mais ce qu'ils ont pu faire, c'est de frapper un char et, je crois,

10 un pont. Je ne sais pas si c'était une pièce d'artillerie ou bien un

11 point, mais je sais que c'est qu'ils ont réussi à frapper.

12 M. Riad (interprétation). - Quand vous dites "eux", de qui vous

13 parlez ?

14 M. Kingori (interprétation). - L'Otan.

15 M. Riad (interprétation). - Mais ils ne pouvait pas poursuivre ?

16 M. Kingori (interprétation). - Non, c'est exact.

17 M. Riad (interprétation). - Etait-ce pour vous aider, vous ?

18 M. Kingori (interprétation). - La raison pour laquelle ils ne

19 l'ont pas fait, c'est pour essayer de sauver l'enclave au complet, parce

20 que l'armée des Serbes de Bosnie nous a demandé, ils ont convoqué une

21 réunion et nous ont dit que si les frappes aériennes se poursuivaient, ils

22 allaient vraiment en finir avec toute l'enclave. C'est ce qu'ils nous ont

23 dit.

24 Alors nous n'avions pas le choix, il a fallu informer les

25 Nations Unies de ce qui se passait. Une chose très importante de se

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1 souvenir c'est que, immédiatement après les frappes aériennes, nous avons

2 été convoqués à une réunion de la part de l'armée des Serbes de Bosnie, et

3 finalement on n'avait pas le droit d'y aller.

4 M. Riad (interprétation). - Qu'est-ce que vous voulez dire ?

5 M. Kingori (interprétation). - On n'avait pas le droit d'y aller

6 puisque les Nations Unies pensaient qu'on serait pris en otage ou en tant

7 que boucliers humains contre ces frappes aériennes.

8 M. Riad (interprétation). - Vous étiez donc en danger ?

9 M. Kingori (interprétation). - Oui, c'est exact. Nous étions en

10 danger.

11 M. Riad (interprétation). - Avez-vous expliqué cela dans les

12 réunions avec les officiers très hauts, les supérieurs, avec Vukovic et

13 les autres que vous avez rencontrés ? Vous leur avez expliqué cela ?

14 M. Kingori (interprétation). - Oui, Monsieur le Juge, je l'ai

15 fait. Nous leur avons expliqué, mais ils nous expliquaient tout le temps

16 qu'ils n'avaient absolument rien contre la Forpronu. Ils n'avaient rien

17 contre nous, absolument. Tout ce qu'ils voulaient, c'était les Musulmans.

18 Mais vous savez, quand un obus tombe à côté de vous, cela ne

19 discrimine pas si vous êtes de la Forpronu ou si vous êtes Musulman. Cela

20 peut vous tuer quand même.

21 M. Riad (interprétation). - Mais vous avez l'impression que

22 cette rencontre, que c'était une opinion, une opposition à cette opinion ?

23 Par exemple, lorsque le colonel Vukovic vous a dit : "Si les Musulmans ne

24 quittent pas, ils seront tous tués", il y avait d'autres officiers -je

25 crois, je ne me rappelle plus des noms-, mais est-ce que le général Krstic

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1 était présent, avec eux ?

2 M. Kingori (interprétation). - Cette fois-là il n'était pas là.

3 Je ne l'ai pas remarqué lors de cette rencontre. Il n'y avait aucun autre

4 officier supérieur pour s'opposer à ce qui a été dit lorsqu'il a dit qu'il

5 allait tous les tuer. Personne ne s'est opposé à ce qu'il a déclaré.

6 M. Riad (interprétation). - Personne, donc. Vous avez mentionné

7 que, le 12 juillet, vous avez remarqué que de nouveaux soldats serbes se

8 sont présentés sur place, ils étaient différents des soldats des Serbes de

9 Bosnie. De quelle façon étaient-ils différents ? Pensez-vous qu'ils

10 provenaient d'autres parties que de la Bosnie ?

11 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Juge, ces soldats qui

12 sont arrivés très rapidement portaient des uniformes noirs. Et si on les

13 compare aux uniformes de camouflage portés par l'armée des Serbes de

14 Bosnie -ils portaient donc des vêtements bleus pour la police, vert olive

15 pour les uniformes de camouflage-, mais ces soldats-là portaient des

16 vêtements noirs. Nous croyions qu'ils venaient de la brigade d'Arkan qui

17 faisait partie des brigades de cette zone.

18 M. Riad (interprétation). - Oui ?

19 M. Kingori (interprétation). - Oui, nous pensions qu'ils

20 provenaient de la brigade d'Arkan.

21 M. Riad (interprétation). - Mais ils venaient de Bosnie.

22 M. Kingori (interprétation). - D'après ce que je savais, c'est

23 qu'ils provenaient de la Slavonie de l'Est, d'Erdut. C'était une brigade

24 redoutée, c'étaient des mercenaires, des gens engagés d'autres pays pour

25 se battre, payés. C'était une armée payée.

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1 M. Riad (interprétation). - Payée par qui ?

2 M. Kingori (interprétation). - Payée par le côté pour lequel ils

3 se battent. Dans ce cas-ci, cela aurait été les Serbes de Bosnie.

4 M. Riad (interprétation). - Merci beaucoup, merci, Colonel

5 Kingori.

6 M. le Président. - Merci beaucoup, Monsieur le Juge Fuad Riad.

7 Madame le Juge Wald ?

8 Mme Wald (interprétation). - Colonel Kingori, je n'ai qu'une

9 question en fait pour vous.

10 La pièce à conviction 67, l'extrait vidéo de l'entrevue d'un

11 journaliste avec le général Krstic, dans cet extrait, il dit que le Corps

12 de la Drina a eu la chance de faire cette opération d'une façon : "Nous

13 allons libérer la municipalité de Srebrenica, nous garantissons la sûreté

14 aux civils, et ils seront emmenés d'une façon sécuritaire à la destination

15 de leur choix". Cette déclaration a été faite à Potocari le 12 juillet.

16 Vous étiez présent à l'époque, si je comprends bien. Vous

17 n'étiez pas présent à la réunion, mais vous vous trouviez à Potocari le 12

18 et les autres jours qui ont suivi.

19 Maintenant, en lisant cette déclaration, d'après ce que vous

20 avez vu vous-même pendant la période pendant laquelle vous vous trouviez à

21 Potocari, est-ce que vous interprétez cette déclaration comme voulant dire

22 que le Corps de la Drina faisait cette opération non seulement pour

23 prendre Srebrenica, mais également pour faire une opération d'évacuation

24 pour garantir la sûreté aux civils vers une destination de leur choix ?

25 Est-ce que le Corps de la Drina était en charge de l'opération

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1 globale ? Est-ce que cela correspond à ce que vous avez pu observer

2 pendant le temps que vous étiez sur place ?

3 M. Kingori (interprétation). - Cela voulait dire, Madame la

4 Juge, qu'ils allaient nettoyer toute cette région, toute l'enclave et la

5 libérer des Musulmans.

6 Mme Wald (interprétation). - "Dans cette enclave" voulant dire

7 Potocari inclus ainsi que Srebrenica ?

8 M. Kingori (interprétation). - Oui, toute l'enclave. Pour

9 s'assurer bien sûr, puisqu'ils utilisaient les villages bien connus,

10 Srebrenica et Potocari, mais ils voulaient libérer cette zone des

11 Musulmans. Ils voulaient terminer leur travail. Le seul problème qu'ils

12 ont eu sur place était d'emmener les gens vers un endroit de leur choix.

13 Cela n'est pas arrivé, ce n'était pas le cas puisqu'on n'a même pas

14 demandé aux civils où ils voulaient aller.

15 Mme Wald (interprétation). - Oui, je comprends cette partie de

16 votre témoignage, mais je voulais simplement vous poser une question,

17 juste pour m'assurer que j'ai bien compris votre réponse. C'était votre

18 impression, cela correspondait à ce que le général Krstic a dit, c'est que

19 "le Corps de la Drina était en charge, voulait s'assurer que non seulement

20 l'enclave soit libérée des Musulmans mais l'évacuation, et c'est ce qui

21 est arrivé aux gens, qu'ils allaient assurer l'opération, qu'ils allaient

22 être responsables de l'opération ?

23 M. Kingori (interprétation). - Oui, d'après ce que je sais,

24 c'est eux qui assuraient la responsabilité.

25 M. le Président. - Merci beaucoup, Juge Wald.

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1 Colonel, J'ai seulement deux questions. Quelque part dans votre

2 témoignage, en réponse à une question de M. Harmon, vous avez dit que les

3 Serbes étaient les agresseurs dans cette situation. Est-ce que vous pouvez

4 nous donner quelles sont les observations, quel est le résultat de vos

5 observations qui vous a permis d'arriver à cette conclusion ?

6 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Président, cette

7 conclusion se base sur la comparaison faite entre ce dont disposaient les

8 Musulmans et ce dont disposaient les Serbes de Bosnie, en outre, partant

9 des activités qui se déroulaient en ce temps-là. Cela veut donc dire que

10 les Musulmans étaient la partie qui recevait plus du côté serbe, nous

11 n'avons pas enregistré des activités du côté musulman. En d'autres termes,

12 si les Serbes de Bosnie tiraient vers les Musulmans, il apparaissait avec

13 évidence qu'ils étaient la partie qui agressait l'autre ; pour autant que

14 nous le sachions.

15 En outre, au début des combats dans l'enclave, ils avaient été

16 les premiers à tirer sur l'enclave, ce n'est pas le contraire qui est

17 arrivé, ce sont donc eux qui ont commencé, c'est pourquoi ils avaient été

18 les agresseurs, pour autant que nous avons pu le conclure.

19 M. le Président. - La question suivante, et pour poser la

20 question, j'ai besoin que la cabine technique passe les pièces à

21 conviction du Procureur 79a, en premier lieu et après 67A.

22 Je voudrais, Colonel, que vous regardiez avec attention les

23 gardes du corps du général Mladic et -si je peux dire- les gardes du corps

24 du général Krstic. Après les avoir observés, je veux vous poser une

25 question.

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1 (Diffusion de la vidéo).

2 Je crois que c'est suffisant pour l'objectif que je veux. Si la

3 cabine technique peut s'arrêter ici et passer l'autre pièce à

4 conviction 67A, je crois.

5 M. Dubuisson. - Il s'agit de la pièce 66 concernant uniquement

6 la cassette vidéo.

7 M. le Président. - D'accord. Merci. Excusez-moi. Si la cabine

8 technique peut la passer.

9 (Diffusion de la vidéo).

10 M. le Président. - C’est suffisant déjà. Colonel, ma question

11 est la suivante : est-ce que vous voyez quelque relation entre les gardes

12 du corps du général Mladic et les gardes du corps du général Krstic ? Je

13 ne veux pas induire la question mais je voudrais vous poser la question de

14 savoir s'il y a quelque relation notamment, si ce sont les mêmes, si ce

15 sont différentes personnes, les mêmes personnes ?

16 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Président, le général

17 Krstic... Si j'ai bien compris, il s'agissait de personnes différentes.

18 M. le Président. - Votre conclusion, c'est que les gardes du

19 corps... Une autre question avant : Colonel, étiez-vous présent quand le

20 général Mladic a donné cette interview, et quand le général Krstic a donné

21 aussi son interview ? Etiez-vous présent ?

22 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Président, j'étais

23 présent pendant l'interview du général Mladic mais je n'ai pas été présent

24 lors de l'interview du général Krstic. Je devais probablement être à

25 proximité, mais je n'étais pas présent sur le site de l'interview.

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1 M. le Président. - Ma question était celle-ci : est-ce que cette

2 personne, ce soldat blond, qui était garde du corps, qui semblait être le

3 garde du corps du général Mladic, était le même ou non qui était avec le

4 général Krstic ?

5 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai

6 pas pu remarquer la chose comme il le fallait. Je m'en excuse.

7 M. le Président. - Vous avez répondu à mes questions. Merci

8 beaucoup. Je crois que nous n'avons pas d'autres questions.

9 Colonel, nous vous remercions beaucoup d'être venu ici, au

10 Tribunal pénal international. Vous avez passé de mauvais moments en ce

11 temps-là. Nous vous remercions donc beaucoup, et nous vous souhaitons un

12 bon retour à votre travail.

13 Merci beaucoup.

14 Avant de partir, je crois qu'il y avait quelques questions de

15 pièces à conviction à régler. Excusez-moi.

16 Monsieur Dubuisson ou monsieur le Procureur ?

17 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, je voudrais

18 que soient versées au dossier les pièces à conviction

19 suivantes : 28/1, 28/3.2, 28/8.1, puis 5/3B ; puis la pièce à conviction

20 de l'accusation n°58. Ensuite, la pièce à conviction qui porte la cote 66,

21 puis la cote 67A et B -les transcriptions des interviews des généraux

22 Krstic et Mladic.

23 Puis 76 ; il s'agit du film où le colonel Kingori a identifié la

24 personne qui avait essayé de lui voler ses lunettes de soleil.

25 Puis la pièce à conviction n°75, la pièce à conviction de

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1 l'accusation 77, s'agissant des rapports des observateurs militaires de

2 l'ONU et de la Forpronu.

3 Puis les n°37 et 78 où l'on voit les soldats serbes de Bosnie

4 distribuer des bonbons ; et les pièces à conviction 79 et 79a et b,

5 l'interview du général Mladic et les transcripts de ces interviews.

6 Et si j'ai raison de le faire, je crois que ce seraient toutes

7 les pièces à conviction que l'accusation aurait à soumettre quant au

8 témoignage de ce témoin.

9 M. le Président. - Maître Petrusic, avez-vous des observations

10 ou des objections ?

11 M. Petrusic (interprétation). - Monsieur le Président, je

12 voudrais seulement vérifier si cette pièce à conviction -qui avait été

13 soumise sur votre demande, il s'agit de la cote 66A. Il s'agit de

14 l'extrait de l'enregistrement vidéo relatif à l'interview du général

15 Krstic- si cet enregistrement a été également versé par l'accusation ?

16 M. le Président. - Il s'agit bien, je crois, de la pièce à

17 conviction du n°66, n'est-ce pas ?

18 M. Harmon (interprétation). - Oui, il s'agit effectivement de

19 l'enregistrement vidéo. Et le 66A et 66B sont les transcriptions de ces

20 extraits vidéo.

21 M. Petrusic (interprétation). - La défense n'a pas d'objection

22 pour les pièces à conviction versées par l'accusation, sauf pour ce qui

23 est de la pièce 66, étant donné que jusqu'à ce jour la défense n'a pas

24 réussi à vérifier le site d'enregistrement de cette vidéo. Nous n'avons

25 pas d'autre objection concernant les autres pièces à conviction.

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1 M. le Président. - Monsieur Harmon, à propos de la pièce en

2 cause ?

3 M. Harmon (interprétation). - Le témoin a vu l'extrait vidéo. Il

4 était présent à Potocari, il a identifié les immeubles, les bâtiments en

5 arrière-plan qui se trouvent à Potocari. Nous allons présenter des

6 éléments de preuve complémentaires au travers de M. Ruez qui pourra situer

7 l'emplacement exact de l'interview faite avec le général Krstic.

8 Mais je crois que pour le versement au dossier cet

9 enregistrement, il suffit que le témoin l'ait identifié, qu'il ait

10 localisé l'endroit. Dans la pièce à conviction 67A, il est indiqué l'heure

11 et l'emplacement de cet enregistrement. Je crois que le témoin a identifié

12 l'emplacement de cette interview. C'est la raison pour laquelle nous

13 proposons que cette pièce à conviction soit versée à présent.

14 M. le Président. - Maître Petrusic, est-ce que votre objection,

15 seulement pour que la Chambre puisse bien comprendre, porte sur

16 l'authenticité du document ou l'objection a-t-elle une autre raison ?

17 M. le Petrusic (interprétation). - Monsieur le Président,

18 l'authenticité du document de l'interview qui a été accordée par le

19 général Krstic ne fait pas l'objet de notre objection.

20 Ce que nous n'avons pas réussi à déterminer avec certitude en

21 notre qualité de conseil de la défense, c'est l'emplacement de cette

22 interview. En arrière-plan de l'enregistrement vidéo, nous ne pouvons pas

23 déterminer, remarquer avec exactitude et clarté les bâtiments dont a parlé

24 M. Ruez à l'occasion de son témoignage, ici, devant cette Chambre.

25 Monsieur Kingori, aujourd'hui, si vous me le permettez, a dit,

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1 et je paraphraserai, qu'il s'agissait d'un endroit avant Potocari, si j'ai

2 suivi avec une attention suffisante ce qu'il a déclaré. Et c'est la raison

3 pour laquelle justement, dans la procédure à venir, la défense sera amenée

4 à prendre position pour ce qui est de l'acceptation ou de la non-

5 acceptation de cet élément de preuve.

6 M. le Président. - Vous pouvez vous asseoir, Monsieur Petrusic.

7 Je voyais que le colonel Kingori n'était pas d'accord. J'ai vu

8 ses signes non verbaux. Nous avons encore le colonel Kingori ici. Donc je

9 lui pose la question.

10 Colonel Kingori, par rapport à cette vidéo, est-ce que vous

11 aviez quelque chose à ajouter ? Vous vous rappelez, c'est la pièce à

12 conviction 66, la pièce qui contient l'interview donnée par le général

13 Krstic ?

14 M. Kingori (interprétation). - Monsieur le Président, je me

15 souviens de cet extrait vidéo. En répondant, j'ai bien dit qu'il

16 s'agissait d'un endroit dans Potocari et non pas devant Potocari.

17 Si vous regardez attentivement cet enregistrement vidéo, vous

18 pouvez voir des bâtiments que je pourrais identifier avec aisance. Je sais

19 exactement de quels bâtiments il s'agit. Lorsque vous sortez de Potocari,

20 c'est-à-dire lorsque vous sortez du village, vous sortez de cette localité

21 vers le village de Srebrenica, il y a une usine que je sais localiser

22 exactement. La seule chose que j'ai dite, c'est que je n'étais pas présent

23 lors de l'interview, mais je peux identifier l'emplacement même.

24 M. le Président. - D'accord. Merci colonel Kingori. Par rapport

25 à votre pièce à conviction, je crois que c'est D10, Maître Petrusic, est-

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1 ce que vous en demandez le versement au dossier ?

2 M. le Petrusic (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

3 Le numéro de notre pièce à conviction est D10, et nous demandons

4 effectivement que cette pièce soit versée au dossier.

5 M. le Président. - Je vois que Monsieur Harmon n'a pas

6 d'objection.

7 Je vais conférer avec mes collègues avant de décider.

8 (Les Juges se consultent sur le siège.)

9 Les pièces mentionnées par le Procureur, y incluse la pièce 66

10 et la pièce de la défense, sont versées au dossier.

11 Colonel Kingori, c'est vraiment la fin de votre témoignage. Nous

12 vous remercions et nous vous souhaitons un bon retour à votre travail.

13 Merci beaucoup.

14 M. Kingori (interprétation). - Merci aussi, Monsieur le

15 Président.

16 (Le témoin est reconduit hors du prétoire.)

17 Monsieur Harmon, et à la suite, est-ce que vous pouvez nous à

18 annoncer le témoin, mesures de protection ou non ?

19 M. Harmon (interprétation). - Monsieur le Président, notre

20 témoin suivant est Mme Malagic qui n'a pas demandé de mesures de

21 protection quelconque.

22 M. le Président. - Il est convenable de faire une pause

23 maintenant avant de commencer le témoignage de Mme Malagic.

24 Avant de faire la pause, j'aimerais dire aux parties que nous

25 attendons cette décision sur les contacts des parties avec les témoins,

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1 après avoir prêté serment. J'aimerais recueillir vos avis à propos de

2 cela.

3 La Chambre s'incline à décider qu'après avoir prêté serment, le

4 témoin n'aurait pas de contacts avec les parties, sauf cas exceptionnel

5 et, là, la Chambre devrait être informée seulement du besoin des contacts.

6 Pourquoi dis-je cela ? Parce que je crois qu'après avoir prêté

7 serment, le témoin n'appartient à aucune partie ; il appartient, si je

8 peux dire ainsi, à la Justice.

9 Nous, nous inclinons donc à décider plus dans ce sens. Comme je

10 vous l'ai dit, la Chambre exerce son autorité de façon explicative. C'est

11 pour cela qu'avant même de décider je demanderai vos avis.

12 Je vais consulter en premier lieu la défense qui a demandé

13 cela ?

14 Maître Visnjic ?

15 M. Visnjic (interprétation). - Monsieur le Président, Madame et

16 Monsieur le Juge, nous avons effectivement avancée cette proposition.

17 Dans nos consultations avec le Bureau du Procureur, cette

18 demande avait été modifiée d'une certaine façon. Nous sommes arrivés à une

19 solution convenue de concert, et ce après l'interrogatoire principal.

20 Ce que je tenais à dire, c'est que l'accusation a déjà entendu

21 une partie de ses témoins. Si cette décision venait à être prise

22 maintenant, nous serions privés de certaines possibilités en définitive.

23 Si tant est que nous devons soumettre une demande, je crois que la demande

24 à présenter serait celle que nous avons déterminée de concert avec le

25 Bureau du Procureur.

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1 M. le Président. - C'est donc votre avis.

2 Monsieur Harmon, l'avis par rapport à cette proposition de la

3 Chambre, si je peux dire ainsi ?

4 M. Harmon (interprétation). - Quand il s'agit de la proposition

5 de la Chambre, afin qu'il n'y ait pas de contact après la déclaration

6 solennelle du témoin, le bureau du Procureur peut appuyer ces décisions,

7 car nous croyons que c'est une façon plus efficace de faire, et si nous

8 avons la possibilité de contacter les témoins après la prestation de

9 serment, dans les situations –comme par exemple dans le dernier témoignage

10 où le témoin qui a témoigné vendredi avait vu un film important. Il a pu

11 en parler. Nous pourrions, dans certaines circonstances, présenter une

12 demande à la Chambre pour ce qui est de l'existence de certaines

13 circonstances exceptionnelles.

14 M. le Président. - Monsieur Harmon, si vous me permettez, les

15 parties peuvent contacter avec le témoin, mais avec la présence de l’autre

16 partie. C'est une petite chose que j'ai omise de dire. Excusez-moi de ne

17 pas avoir été très clair.

18 M. Harmon (interprétation). - Si j'ai bien compris la

19 proposition de la Chambre, une fois que le témoin a prêté serment ou sa

20 déclaration solennelle, il n'a pas de contact avant -sauf demande expresse

21 à la Chambre et, quand cela a lieu, en présence des conseils des

22 deux parties ; si j'ai bien compris ce que la Chambre a proposé ?

23 M. le Président. – Le principe, c'est après avoir prêté serment,

24 en principe, il n’y a pas à avoir de contact. Si nécessaire, il faudrait

25 au moins communiquer à la Chambre et ce contact serait toujours fait avec

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1 la présence de l'autre partie.

2 M. Harmon (interprétation). - Cela est acceptable pour le

3 bureau du Procureur. Je crois que, pour les deux parties, cela devrait

4 être la même chose certainement.

5 Mme Wald (interprétation). - Monsieur Harmon, permettez-moi de

6 vous poser une question pour ce qui est de votre acceptation cet élément-

7 là. En d'autres termes, dans le cas où il y aurait des circonstances

8 exceptionnelles et que vous soyez amené à consulter votre témoin avant

9 l’interrogatoire principal, vous êtes disposé à le faire en présence de la

10 défense ?

11 M. Harmon (interprétation). - Permettez-moi de répondre de la

12 façon suivante : nous effectuons constamment des enquêtes, et nous

13 arrivons à des éléments de preuve de façon ininterrompue. Dans certaines

14 circonstances, je ne ferai pas objection. Dans d'autres circonstances,

15 oui, je ferai objection, car il se pourrait que nous ayons trouvé des

16 éléments de preuve nouveaux qui seraient de nature fort sensible et qui ne

17 concerneraient pas cet accusé-ci. Et si je réfléchis à proposition de la

18 Chambre de première instance, il est difficile de donner une réponse

19 absolue.

20 Dans certains cas, je ne serais pas très satisfait de la

21 présence des conseils de la défense. En ma qualité d'employé de ce

22 Tribunal, suite à la prestation de la déclaration solennelle, et une fois

23 obtenue l'autorisation de la Chambre, je voudrais pouvoir contacter le

24 témoin.

25 Plus j'y pense, plus je suis enclin à croire qu'il ne serait

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1 peut-être pas toujours souhaitable d'avoir les conseils de la défense

2 présents.

3 Mme Wald (interprétation). - Quelle est votre réaction pour ce

4 qui est de l'argumentation assez convaincante de la défense au terme de

5 laquelle nous nous trouvons en plein milieu du procès, et selon laquelle

6 nous avons fonctionné suivant des règles déterminées ? Si nous venions

7 maintenant à modifier ces règles, cela se ferait au préjudice de la

8 défense.

9 M. Harmon (interprétation). - Nous avons encore pas mal de

10 témoins. Il est vrai que, d'une certaine façon, la règle n'a pas été

11 appliquée de façon égale. Cela a été demandé par la défense et pas par

12 nous. On ne peut donc pas se plaindre de l'illégalité, alors que cela a

13 été demandé par eux-mêmes.

14 M. le Président (interprétation) - Maître Visnjic, pouvez-vous

15 attendre la question de M. le Juge Riad ?

16 M. Visnjic (interprétation). – J’attendrai, oui. J'attendrai,

17 Monsieur le Président.

18 M. Riad (interprétation). - Monsieur Harmon, il ne s'agit pas

19 d'un refus, mais des intérêts de l’accusation. Dans l’intérêt de

20 l'accusation, acceptez-vous d'être traité de la même façon, c’est-à-dire

21 d'avoir les mêmes privilèges, ou préféreriez-vous être présents, vous

22 aussi, lorsque la défense contacterait ses témoins ? Pourriez-vous vous

23 exposer aux mêmes risques ?

24 M. Harmon (interprétation). - Tout ce qui sera décidé par la

25 Chambre sera la même chose. Monsieur Visnjic et M. Petrusic et moi-même,

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1 nous ne nous sommes pas entretenus de ces nouvelles variations. Il nous

2 faudrait peut-être avoir un peu plus de temps pour nous consulter.

3 J’ignore quelles sont leurs positions. Est-ce qu’ils voudraient, eux,

4 avoir l’accusation présente quand ils s'entretiendront avec leurs

5 témoins ? De toute manière, tout ce qui sera décidé devra être valable

6 pour les deux parties.

7 M. le Président. - Je n'avais pas introduit ce détail quand je

8 vous ai donné la parole que, après avoir commencé le témoignage, les

9 parties ne devaient pas contacter avec les témoins, sauf dans des cas

10 exceptionnels, et dans ces circonstances, avec la présence de l'autre

11 partie. Et vous dire que vous avez déposé cette requête après qu'on ait

12 commencé le procès. Ce traitement des égards, c'est à vous. Vous êtes le

13 responsable.

14 Nous pouvons vous entendre, Maître Visnjic.

15 M. Visnjic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

16 Notre demande a été quelque peu modifiée après notre entretien avec

17 l'accusation. Notre demande concerne seulement la période après

18 l'interrogatoire principal. Ainsi, nous éviterons tous les problèmes

19 survenus dans les discussions que nous avons eues et nous éviterons les

20 situations à risques de présence mutuelle lors des entretiens avec les

21 témoins respectifs.

22 M. le Président. - De toute façon, M. Harmon a laissé entendre

23 que sur cette proposition de la Chambre, il était bien d'avoir des

24 échanges entre les parties. Etes-vous disponible pour faire ces échanges

25 ou la Chambre décide ?

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1 M. Visnjic (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Je

2 crois que nous devrions avoir un entretien avec M. Harmon et il se peut

3 qu'après nous venions avec une proposition commune.

4 M. le Président. – Voilà la proposition de la Chambre : après

5 avoir prêté serment, il n’y a pas de contact avec les témoins des deux

6 parties, c’est égal pour la défense et l’accusation. S’il y a une

7 justification, une raison pour avoir un contact, ce contact en principe

8 doit être fait devant la présence de l'autre partie. Voilà donc les

9 grandes lignes de la proposition. De toute façon, vous pouvez quand même

10 élaborer un peu, selon vos vues. De toute façon, c'est cette proposition,

11 la proposition que la Chambre vous fait.

12 Maintenant, nous allons faire une pause de 20 minutes. Après

13 cette pause ou après l'autre pause, ou à la fin de la matinée, vous pouvez

14 nous communiquer vos positions. Vingt minute pour l'instant.

15 (L'audience, suspendue à 12 heures 20, est reprise à

16 12 heures 56.

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18 (Le témoin est introduit dans le prétoire).

19 M. le Président. - Bonjour, madame. Est-ce que vous m'entendez ?

20 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

21 M. le Président. - Vous allez lire la déclaration solennelle que

22 M. l'huissier va vous tendre, s'il vous plaît, Madame.

23 Mme Malagic (interprétation). - Je déclare solennellement que je

24 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

25 M. le Président. - Vous pouvez vous asseoir, madame.

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1 (Le témoin s'exécute).

2 Etes-vous installée confortablement ?

3 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

4 M. le Président. - Est-ce que vous avez eu l'opportunité de vous

5 promener à La Haye ?

6 Mme Malagic (interprétation). - Non.

7 M. le Président. - Nous attendons que vous ayez l'opportunité de

8 profiter de voir une très belle ville. Merci beaucoup d'être venue. Vous

9 allez répondre aux questions que M. le Procureur va vous poser. Il va bien

10 vous traiter, j'en suis sûr.

11 Monsieur Cayley, c'est à vous.

12 M. Cayley (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

13 Madame Malagic, si à quelque moment que ce soit je vous pose une

14 question que vous ne comprenez pas tout à fait bien, n'hésitez-pas à me

15 demander de la répéter ou à demander un éclaircissement.

16 Je vous prierai aussi de penser à ménager une brève pause à la

17 fin de mes questions, car nous sommes, vous et moi, interprétés

18 simultanéménet dans deux autres langues.

19 Mme Malagic (interprétation). - Très bien. Merci.

20 M. Cayley (interprétation). - Vous vous appelez Mirsada Malagic,

21 n'est-ce pas ?

22 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

23 M. Cayley (interprétation). - Je crois savoir que vous êtes née

24 le 10 janvier 1959 à Potocari non loin de Srebrenica, n'est-ce pas ?

25 Mme Malagic (interprétation). - En effet.

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1 M. Cayley (interprétation). - Avant le début de la guerre, en

2 1992, je crois savoir que vous habitiez dans le village de Vojavica sur

3 les rives de la Drina, tout près de Bratunac, n'est-ce pas ?

4 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

5 M. Cayley (interprétation). - Au milieu de l'année 1992, je

6 crois savoir que vous avez été contrainte de quitter votre village par les

7 forces serbes et, qu'après une quinzaine de jours, vous-même et votre

8 famille, vous êtes trouvés dans la ville de Srebrenica.

9 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

10 M. Cayley (interprétation). - Et je crois savoir que vous êtes

11 restée à Srebrenica jusqu'à la chute de l'enclave en juillet 1995, n'est-

12 ce pas ?

13 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

14 M. Cayley (interprétation). - Suis-je en droit de dire que vous

15 habitiez à Srebrenica avec votre mari Salko et vos trois fils, Elvir,

16 Admir et Adnan ?

17 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

18 M. Cayley (interprétation). - J'aimerais maintenant que nous

19 avancions dans le temps pour parler du 11 juillet 1995, date à laquelle je

20 crois savoir que vous vous êtes trouvée sur la route reliant Srebrenica et

21 la base des Nations Unies de Potocari. Vous rappelez-vous cela ?

22 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

23 M. Cayley (interprétation). - Qui vous accompagnait à ce moment-

24 là ?

25 Mme Malagic (interprétation). - Ce jour-là, j'étais avec ma

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1 famille, mon mari Salko et mes fils Elvir, Adnan et Edmir. Le père de mon

2 mari, Omer Malagic -mon beau-père- était avec nous également, ainsi que

3 mon frère Sadik Salihovic et de nombreuses autres personnes.

4 M. Cayley (interprétation). - A un moment, est-il arrivé où vous

5 vous êtes trouvée séparée de certains des membres de votre famille ?

6 Mme Malagic (interprétation). - Nous nous sommes séparés lorsque

7 nous étions tout près de la ville de Srebrenica, sur la route de Potocari

8 et, depuis ce moment-là, nous ne nous sommes plus jamais revus.

9 M. Cayley (interprétation). - De qui avez-vous été séparée à ce

10 moment-là ? De quels membres de votre famille ?

11 Mme Malagic (interprétation). - Tant que nous étions tous

12 ensemble sur la route qui mène à Potocari, il y avait encore de très

13 nombreuses personnes autour de nous. Lorsque les soldats serbes ont

14 commencé à pilonner la ville, toutes ces personnes hésitaient. Elles ne

15 savaient pas où se diriger. Nous, les femmes, les enfants, les personnes

16 âgées, nous avons décidé d'aller vers la base des Nations Unies à

17 Potocari. C'est à ce moment-là que je me suis trouvée séparée de mon mari,

18 Salko Malagic, ainsi que de mon fils Elvir Malagic et de mon autre fils,

19 Admir Malagic.

20 L'Interprète. - Nous ne pouvons pas travailler avec ce bruit,

21 Monieur le Président.

22 M. le Président. - Les interprètes disent qu'elles ne peuvent

23 pas travailler avec ce bruit, mais nous aussi. Je crois que des mesures

24 sont en train d'être prises.

25 M. Dubuisson. - Oui, tout à fait, Monsieur le Juge. Pour le

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1 moment, nous essayons de remédier au problème.

2 M. le Président. - On peut attendre un peu.

3 M. Dubuisson. - On peut également essayer d'éviter le problème

4 en mettant les écouteurs le plus loin possible des micros.

5 M. le Président. - S'il y a quelqu'un qui a des écouteurs tout

6 près des micros, il faut les éloigner un peu. Est-ce que les interprètes

7 n'ont pas d'écouteurs ?

8 L'Interprète. - Non, non.

9 M. le Président. - Je crois que nous sommes en condition de

10 continuer. Monsieur Cayley ?

11 M. Cayley (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

12 Madame Malagic, je vous prie de nous excuser pour ce problème

13 technique. Vous avez sans doute entendu ce son strident dans vos oreilles,

14 mais j'espère que tout est réglé désormais.

15 Vous avez dit vous être trouvée séparée de votre mari Salko et

16 de vos fils Elvir et Admir ainsi que de votre frère.

17 A quel moment Salko... Ou plutôt où votre mari Salko, votre fils

18 Admir, votre fils Elvir et votre frère sont-ils allés lorsque vous vous

19 êtes trouvés séparés ?

20 Mme Malagic (interprétation). - Ils se sont dirigés vers le

21 village Susnjari de passant par la forêt.

22 M. Cayley (interprétation). – Avez-vous par la suite eu des

23 nouvelles quant à ce qui est arrivé à votre mari et à vos fils ?

24 Mme Malagic (interprétation). – J’ai eu une information par des

25 personnes qui se sont également dirigées vers la forêt, à savoir qu'à un

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1 certain moment ils se sont tous trouvés au carrefour de Konjevic Polje,

2 sur la route asphaltée et qu'à cet endroit ils ont tous été abattus. C’est

3 la dernière information que j'ai reçue.

4 M. Cayley (interprétation). – Avez-vous appris qui les avaient

5 capturés ?

6 Mme Malagic (interprétation). – Des soldats serbes, mais je ne

7 sais pas qui exactement.

8 M. Cayley (interprétation). - Après avoir été séparée de votre

9 mari et d'un de vos fils…

10 Excusez-moi, vous vouliez dire quelque chose ?

11 Mme Malagic (interprétation). - J'ai été séparée de deux de mes

12 fils également.

13 M. Cayley (interprétation). - Si l'on compte Elvir, en effet.

14 Mais vous vous êtes trouvée sur la route reliant Srebrenica et Potocari

15 avec votre fils le plus jeune, Adnan, et avec votre beau-père, n'est-ce

16 pas ?

17 Mme Malagic (interprétation). – Oui.

18 M. Cayley (interprétation). – Alors que vous étiez sur la route

19 reliant Srebrenica et Potocari, avez-vous vu un des membres de votre

20 famille passer à côté de vous, pendant que vous marchiez vers Potocari ?

21 Mme Malagic (interprétation). – Non loin de Potocari, à un

22 kilomètre à peu près, mais je ne suis pas certaine de cette distance, de

23 très nombreuses personnes nous ont rejoints, ainsi que deux camions de la

24 Forpronu à bord desquels se trouvait beaucoup, beaucoup de monde.

25 Parmi les personnes qui se trouvaient à bord de ces camions,

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1 j'ai reconnu un de mon fils, Elvir, et l'un de ses amis, un de ses amis de

2 Srebrenica. Nous nous sommes vus. Je l'ai vu, il m'a vue parce que les

3 camions avançaient lentement. Il a fait un signe de la main dans ma

4 direction et je n'ai plus eu aucune nouvelle de lui depuis ce moment-là.

5 M. Cayley (interprétation). - A ce moment-là, madame Malagic,

6 dans quel état physique vous trouviez-vous ?

7 Mme Malagic (interprétation). - J'étais tout à fait consciente,

8 mais à notre départ de Srebrenica, des obus étaient tombés au milieu de la

9 foule et, parmi d'autres personnes qui ont été blessées, j'ai aussi été

10 blessée. J'avais donc une douleur dans le bras droit, parce que j'ai été

11 atteinte à la clavicule droite. J'avais donc mal, mais j'étais tout a fait

12 consciente.

13 M. Cayley (interprétation). – Je sais bien que vous aviez tous

14 vos esprits mais je crois savoir que vous avez été blessée, mais que vous

15 étiez aussi enceinte, n'est-ce pas ?

16 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

17 M. Cayley (interprétation). – Et par la suite, après tous ces

18 événements, vous avez donné naissance à une petite fille, n'est-ce pas ?

19 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

20 M. Cayley (interprétation). - Comment s’appelle-t-elle ?

21 Mme Malagic (interprétation). – Amela Malagic.

22 M. Cayley (interprétation). - Pouvez-vous décrire aux Juges le

23 trajet que vous avez fait sur la route pour aller à Potocari et, plus

24 précisément, jusqu'à l'usine de zinc ?

25 Mme Malagic (interprétation). - A notre départ de Srebrenica,

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1 quand nous sommes arrivés à la première base de la Forpronu, tout près de

2 Srebrenica, comme je l'ai déjà dit, les obus ont commencé à tomber. Un de

3 ces obus m’a blessée, moi et beaucoup d'autres personnes, car à cet

4 endroit, une foule très importante était réunie. Nous étions tous sur la

5 route à la sortie de la ville. Le chaos régnait ; les gens ne savaient pas

6 quoi faire. Tout le monde voulait entrer de force dans la base des Nations

7 Unies à Srebrenica. Au départ, les soldats nous ont empêché d'y pénétrer.

8 Mais cette foule était tellement terrorisée, tellement perdue, personne ne

9 savait où aller… Donc les gens ont réussi pour certains à pénétrer de

10 force dans la base.

11 Et moi, j'étais au milieu de cette foule accompagnée de mon fils

12 Adnan, qui avait terriblement peur. Il avait peur des obus, il avait peur

13 aussi parce que j'étais blessée. Il était très effrayé par le sang qu'il

14 voyait couler, et puis il y aussi j'avais aussi mon beau-père qui était

15 avec nous.

16 A l'intérieur de la base, les gens ont commencé à grimper à bord

17 des camions de la Forpronu, car ils pensaient qu'une fois à bord de ces

18 camions, ils allaient être emmenés jusqu'à Potocari. Les soldats ne

19 réagissaient plus, ils étaient dans leur petite guérite. Il faisait très

20 chaud, la température était très élevée. Ce n'était pas la température

21 normale pour la saison. Et la foule était si importante que pas mal de

22 personnes ont perdu connaissance.

23 Après avoir passé quelques heures à l'intérieur de cette base,

24 des soldats de la Forpronu nous ont dit qu'il fallait que nous nous

25 dirigions vers Potocari, vers la base principale de Potocari. A ce moment-

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1 là, les gens ont commencé à prendre la route. A l’entrée de la base, des

2 soldats se trouvaient là avec un blindé. Ils nous ont dit que nous ne

3 devions pas avoir peur. Nous avions entendu des avions de l’Otan. Ils nous

4 ont dit que ces avions allaient bombarder et que nous serions sur la route

5 en toute sécurité.

6 A ce moment-là, nous avons pris le chemin de Potocari. Et à

7 quatre kilomètres à peu près de Srebrenica, toute la route a été arrosée

8 par des obus. D'un côté à l'autre de la route, les obus pleuvaient. Ces

9 obus ont terrorisé cette population impuissante et ces enfants. Personne

10 ne savait ce qui allait se passer demain, personne ne savait jusqu'où nous

11 pourrions aller. Quand nous sommes arrivés aux premières usines, l’usine

12 de zinc, l'usine du 11 mars, un peu avant la base de la Forpronu, nous

13 avons trouvé les premiers soldats de la Forpronu qui nous ont dit que nous

14 ne pouvions plus aller à l’intérieur de leur base, parce que qu’il y avait

15 déjà trop de monde et qu’ils ne pouvaient plus accueillir personne.

16 Nous sommes donc restés dans la cour de l'usine du 11 mars, dans

17 l'usine de transport, dans l’usine de zinc, dans les prés entourant la

18 route, sur la route elle-même, enfin…, un peu partout et nous sommes

19 restés là jusqu'au soir.

20 M. Cayley (interprétation) - Pour que tout soit tout à fait

21 clair, madame Malagic, c'est alors que vous marchiez entre Srebrenica et

22 Potocari que vous avez vu votre fils Elvir pour la dernière fois à bord

23 d'un camion de la Forpronu, n'est-ce pas ?

24 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

25 M. Cayley (interprétation) - Quel âge avait votre fils Adnan au

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1 moment de ces événements ?

2 Mme Malagic (interprétation). - 11 ans.

3 M. Cayley (interprétation) - Quand la Forpronu vous a fait

4 quitter la base, où êtes-vous allée ?

5 Mme Malagic (interprétation). - J'étais blessée, je ne pouvais

6 rien porter dans ma main droite, et je tenais par la main gauche mon fils

7 qui avait terriblement peur. Je cherchais donc un abri. Je connaissais ces

8 usines parce que j'avais travaillé dans ces locaux avant la guerre, et

9 nous sommes entrés dans une pièce, un bureau avant la guerre. Il n'y avait

10 plus de fenêtres, il n'y avait plus de portes, tout était démoli, mais je

11 pensais tout de même que je pourrais protéger mon fils si je le mettais

12 sous un toit, entre quatre murs de façon à ce qu'il ne soit pas à l'air

13 libre. Il se sentait tout de même un peu plus en sécurité à l'intérieur.

14 M. Cayley (interprétation) - Vous rappelez-vous le nom du

15 bâtiment dans lequel vous êtes entrée ?

16 Mme Malagic (interprétation). - Avant la guerre, quand nous y

17 travaillions, c'était l'usine de zinc de Potocari.

18 M. Cayley (interprétation) - J'aimerais, monsieur l'huissier,

19 que l'on remette au témoin la pièce à conviction de l'accusation 5/2.

20 Pendant que nous attendons cette pièce, madame Malagic, pourriez-vous

21 décrire la première nuit que vous avez passée à Potocari ?

22 Mme Malagic (interprétation). - Quand nous nous sommes installés

23 dans cette usine, moi je me suis assise par terre avec mon fils Adnan et

24 mon beau-père est resté à l'extérieur, devant la fenêtre, parce qu'il n'y

25 avait plus de place dans la pièce, dans ce bureau où je suis entrée avec

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1 mon fils. Donc lui est resté à l'extérieur, mais nous pouvions nous voir à

2 travers la fenêtre parce qu'il n'y avait aucun obstacle, il n'y avait plus

3 de vitres, donc nous pouvions même nous parler.

4 Et pendant tout l'après-midi et toute la soirée les soldats

5 serbes ont pilonné les alentours de Potocari, plus précisément ce qui,

6 avant, était la ligne de démarcation dans cette zone démilitarisée de

7 Srebrenica, entre eux et les soldats de la Forpronu.

8 Dans la soirée, je suis restée à l'intérieur et il arrivait que

9 des soldats de la Forpronu passent lorsqu'ils effectuaient leur

10 patrouille. Ils venaient rendre visite à toutes ces personnes, il y avait

11 à cet endroit de très nombreuses femmes, des enfants. Il y avait aussi des

12 soldats serbes. On entendait des coups de feu d'un peu partout, des balles

13 tirées par des tireurs embusqués volaient un peu partout, les gens étaient

14 terrorisés. Mais, pour l'essentiel, la nuit s'est écoulée ensuite assez

15 tranquillement.

16 Les gens ont pris cela pour une trêve. Ils ont pensé que nous

17 étions en sécurité parce que nous étions protégés par les soldats de la

18 Forpronu et donc ils pensaient que rien ne nous arriverait. C'est ainsi

19 que nous avons attendu l'aube. Moi, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit,

20 j'étais donc toujours dans cette pièce avec mon fils.

21 M. Cayley (interprétation) - Madame Malagic, cette première

22 journée que vous avez passée à Potocari était une journée du mois de

23 juillet. Vous rappelez-vous exactement la date de votre arrivée à

24 Potocari ?

25 Mme Malagic (interprétation). - Le 11 juillet 1995, un mardi.

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1 M. Cayley (interprétation) - Quel âge avait votre beau-père à ce

2 moment-là ?

3 Mme Malagic (interprétation). - Il avait 70 ans, enfin je crois

4 qu'il avait à peu près 70 ans.

5 M. Cayley (interprétation) - Parlons à présent du lendemain, le

6 12 juillet. Pourriez-vous décrire aux Juges ce que vous avez vu ce jour-

7 là, au lever du jour le 12 juillet ?

8 Mme Malagic (interprétation). - Quand le jour s'est levé le

9 12 juillet, un mercredi, nous avons essayé d'obtenir des informations au

10 sujet de l'endroit où nous pouvions aller. Nous n'avions rien à manger.

11 Les gens avaient faim. Nous ne parlions pas la langue des soldats de la

12 Forpronu qui passaient là de temps en temps. Nous n'avions pas de montre,

13 nous ne savions pas quelle heure il était exactement. Donc, lorsque je

14 parlerai d'heure, je risque de me tromper.

15 Mais je pense qu'il devait être 9 heures, 9 heures et demie du

16 matin à peu près quand, sur les collines avoisinantes, nous avons pu voir

17 des maisons brûler. Moi, je suis née dans cette région, je connaissais

18 tous ces endroits, j'ai travaillé dans ce secteur pendant de nombreuses

19 années, donc je sais que les maisons qui ont commencé à brûler étaient des

20 maisons d'habitation. Et tout cela se rapprochait de l'endroit où nous

21 nous trouvions. Il y avait aussi des étables qui brûlaient.

22 Et à un certain moment, je ne sais pas exactement combien ils

23 étaient, mais je dirais 15 à 20 soldats serbes sont arrivés et ils

24 venaient de ces maisons parmi lesquelles se trouvait également la maison

25 de mon frère. Ils amenaient avec eux des chevaux, je ne sais pas à qui

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1 appartenaient ces chevaux. Ils tiraient en l'air, ils riaient et ils ont

2 fini par atteindre cette masse de gens qui se trouvaient dans la base de

3 Potocari. D'ailleurs, ils avaient expulsé les habitants de ces maisons et

4 ils les ont amenés jusqu'à l'endroit où se trouvait la foule. La masse

5 s'est donc accrue.

6 Ils ont fini par atteindre la route asphaltée et nous rejoindre,

7 nous, et là ils nous ont posé des questions au sujet de nos hommes : ils

8 nous ont demandé où ils étaient, ils nous demandé où étaient les soldats,

9 ils nous ont provoqués, en tout cas ils provoquaient ceux qui se

10 laissaient provoquer. Certains nous insultaient, insultaient nos mères,

11 "Balija", et disaient qu'il leur avait été tellement facile de rentrer à

12 Potocari que, finalement, tous leurs voeux avaient été exaucés.

13 Ensuite, par groupe de deux ou trois soldats, ils ont commencé à

14 nous interroger en nous demandant où étaient nos hommes. Ils ont emmené

15 certains d'entre nous, ils emmenaient telle ou telle personne à quelques

16 mètres des membres de sa famille pour lui poser des questions, mais nous

17 n'entendions pas les questions car ils étaient trop loin. Et tout cela a

18 duré jusqu'à midi, à peu près.

19 A ce moment-là, ils ont commencé à s'adresser aux enfants en

20 leur donnant des bonbons, des chewing-gum et, puisque cela faisait

21 plusieurs années qu'ils n'avaient pas vu un bonbon à Srebrenica, les

22 enfants étaient tout contents. Mais moi je sais que tout cela c'était un

23 subterfuge et je pensais qu'ils avaient les pires intentions. Tout cela a

24 donc duré jusque dans l'après-midi.

25 A côté de moi se trouvait une femme qui avait trois enfants. Un

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1 de ses fils circulait à gauche, à droite, il était assez turbulent et

2 deux soldats sont arrivés. Ils ont demandé à cette femme où était son

3 mari ; elle a dit que son mari était à ce moment-là en Allemagne ;

4 qu’en 1993, il avait été évacué parce qu’il avait été blessé.

5 Les soldats nous on dit : "Mais où est-ce que vous allez ? Où

6 vous enfuyez-vous ?". Elle a répondu, comme chacun d'entre nous, qu'elle

7 ne savait pas ce qui allait nous arriver, où nous allions être évacués. A

8 ce moment-là, le soldat serbe nous a dit que nous allions être transférés

9 à Kladanj et qu'à partir de là nous allions être emmenés jusqu’à Tuzla. Il

10 nous a dit qu'il serait bon que nous allions à Tuzla très rapidement, car

11 sinon nous verrions les mêmes scènes à Tuzla que celles que nous étions en

12 train de voir à Potocari. Ils ont continué à emmener des hommes pour les

13 interroger. Ces hommes revenaient ensuite effrayés, troublés. Ils

14 n'avaient pas la moindre idée de ce qui allait leur arriver ensuite.

15 Un peu plus tard, dans l'après-midi, je ne sais pas exactement à

16 quelle heure… Il était peut-être 2 ou 3 heures de l'après-midi, ou même

17 plus tard. Avec cette femme dont je viens de parler, je suis allée

18 chercher de l'eau dans une maison voisine, parce qu’il y avait des pompes

19 à eau. Il faisait très chaud. Nous n'avions pas d’eau, pas de quoi manger.

20 Nous n'avions rien et, à la porte de l'usine du 11 mars et de

21 l'usine de zinc, les deux portes étaient l'une à côté de l'autre, j'ai vu

22 un groupe d’hommes, parmi lesquels se trouvait un homme. Je ne

23 l'appellerai pas un soldat serbe, Milislav Gavric. Je le connaissais de

24 Srebrenica, c'était un policier. Et à juger par les traits de son visage,

25 il était en train d'avoir une conversation tout à fait amicale avec des

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1 personnes qu'il connaissait, des voisins qui le connaissaient avant la

2 guerre.

3 Nous sommes donc aller chercher de l'eau dans une maison et, sur

4 la route, devant la maison, il y avait des véhicules de la Forpronu et un

5 soldat de la Forpronu attaché, enchaîné à un véhicule. Quand j'ai vu cela,

6 j'ai été prise de panique. J'ai compris qu'à Potocari rien de bon ne

7 pouvait nous attendre et que ces soldats de la Forpronu n'étaient plus

8 capables de nous protéger, qu’eux-mêmes étaient peut-être impuissants

9 compte tenu de tout ce qui passait.

10 Nous avons pris de l'eau et nous sommes retournés à l'endroit où

11 j'avais laissé mon fils. J’étais donc plongée dans mes réflexions, j’étais

12 terrorisée et, comme il n'y avait pas de toilettes, j'ai essayé d'emmener

13 mon fils dans une autre maison, qui se trouvait de l'autre côté de l'usine

14 de zinc, où il y avait quelques maisons d'habitation qui avaient des

15 toilettes à l'extérieur. Nous l'avions vu le mardi, quand nous nous

16 dirigions vers Potocari. Nous avions également utilisé ces toilettes le

17 matin même mais, quand je suis arrivée à la clôture de cette habitation

18 privée, il y avait une clôture métallique qui entourait l'usine de zinc et

19 une partie de la cloture avait été ouverte pour permettre le passage.

20 A cet endroit, j'ai vu un des soldats serbes, je les ai regardés

21 et un, à ce moment-là, m’a fait un geste de la main m’indiquant qu’il

22 fallait que je retourne d'où je venais. Auprès de cette maison, il n'y

23 avait plus personne de notre groupe. Il n’y avait que des soldats serbes,

24 j’ai donc tout à fait bien compris le message. J’ai fait demi-tour avec

25 mon fils et nous sommes retournés d'où nous venions.

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1 Ce jour-là, dans la soirée, ils ont commencé à emmener les

2 hommes les uns après les autres et ils les emmenaient dans cette maison

3 qui se trouvait derrière l’usine de zinc. J'ai vu un grand nombre

4 d’hommes, 8, 9, 10 homme à la fois qui étaient emmenés par deux au

5 trois soldats serbes et ces hommes ne revenaient pas ensuite.

6 A un certain moment, dans un groupe de huit hommes, j'ai reconnu

7 un de mes voisins qui s'appelait Ahmed Salihovic. Lui non plus n'est pas

8 revenu et nous n'avons aucune nouvelle de lui aujourd'hui. Il y avait

9 aussi une de mes collègues qui travaillait avec moi avant la guerre dans

10 la foule, et son fils l'accompagnait. Il a été emmené à un certain moment,

11 on lui a posé des questions, on l’a aussi emmené vers cette maison et il

12 n’est jamais revenu. Ils ont emmené pas mal d’hommes dans la direction de

13 cette maison. Ils ont interrogé Hamed Efendic de Potocari également ce

14 jour-là, je l'ai vu. Et ils ont interrogé beaucoup d'autres hommes qui ont

15 tous disparus cette nuit-là. J’ai eu des contacts avec les membres de leur

16 famille et, aujourd'hui, je puis dire que leur famille n'a aucune nouvelle

17 d’eux.

18 Donc la nuit a fini par tomber. C’est sans doute la nuit la plus

19 pénible, la plus difficile de mon existence.

20 M. Cayley (interprétation). - Madame Malagic, si je puis vous

21 interrompre et vous demander de jeter un coup d'oeil sur la photo qui se

22 trouve sur le rétroprojecteur juste à côté de vous. C’est une photographie

23 que je vous ai déjà montrée auparavant. Pourriez-vous nous indiquer, s’il

24 vous plaît, l'emplacement que vous m'avez mentionné comme étant l'usine de

25 zinc ?

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1 (Le témoin indique l’emplacement.)

2 Pour le compte rendu d’audience, le témoin montre l'usine de

3 zinc, à côté de laquelle il est inscrit "usine de zinc" sur la pièce à

4 conviction de l'accusation 5/2.

5 En deuxième lieu, madame, pourriez-vous nous indiquer l'endroit

6 approximatif des maisons dans lesquelles les soldats serbes emmenaient les

7 hommes ce soir-là, le soir du 12 juillet ? On parle de la maison devant

8 laquelle deux soldats serbes vous ont demandé de rebrousser chemin. Si

9 vous pouviez la montrer aux Juges, s'il vous plaît ?

10 (Le témoin indique l’endroit.)

11 Pour le compte rendu d'audience, le témoin montre un endroit

12 approximatif, un emplacement approximatif, dessous l’usine de zinc, 2 ou

13 3 centimètres plus bas que l'usine de zinc.

14 Merci, madame Malagic. Vous nous avez dit que le fils d'une

15 collègue de travail avait été emmené par des soldats serbes. Vous

16 rappelez-vous quel était son nom ?

17 Mme Malagic (interprétation). – Rijad Fejzic.

18 M. Cayley (interprétation). – Quel âge avait-il à ce moment-là ?

19 Mme Malagic (interprétation). - Je crois qu'il est né en 1978,

20 donc il avait un an de plus que mon fils Admir.

21 M. Cayley (interprétation). – Il aurait donc 16 ou 17 ans

22 aujourd'hui ?

23 Mme Malagic (interprétation). - Oui.

24 M. Cayley (interprétation). - Est-ce que sa famille l’a revu

25 depuis ?

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1 Mme Malagic (interprétation). – Non, jamais. Je demeure tout

2 près. Présentement, je demeure à Sarajevo, je suis en contact avec sa mère

3 qui n'a plus jamais eu aucune nouvelle de lui, et son mari non plus n'est

4 jamais revenu puisqu'il a disparu dans la forêt. Elle n’a plus jamais eu

5 de ses nouvelles.

6 M. Cayley (interprétation). - Vous rappelez-vous quel était le

7 nombre d’hommes qui avaient été emmenés de l'usine de zinc par les soldats

8 serbes de Bosnie ?

9 Mme Malagic (interprétation). – Eh bien le nombre, non, je ne

10 pourrais pas vous donner un nombre précis. Par contre, ces gens étaient

11 emmenés durant toute la nuit. Donc les soldats serbes, d'après moi,

12 emmenaient… En fait, il y en avait quelques-uns qui étaient habillés, qui

13 portaient des uniformes de la Forpronu, ils portaient des lampes de poche.

14 Ils venaient parmi nous et choisissaient, chaque fois qu'ils voyaient un

15 homme ils l’emmenaient et ces hommes ne sont plus jamais revenus.

16 Cette nuit-là, un chaos régnait, et à chaque fois qu'on emmenait

17 un homme, la famille de cet homme criait, pleurait. Donc les femmes et les

18 enfants criaient, pleuraient.

19 Et de la direction de ces maisons dans lesquelles ces hommes

20 étaient emmenés, je ne pourrais pas vous dire exactement ce qui passait

21 dans ces maisons, mais nous pouvions entendre des cris. Cela ressemblait…

22 Comme si vous regardiez des films d'horreur, je ne sais pas si c’était des

23 casettes, je ne sais pas ce que c’était, mais c’était tellement

24 effroyable, et l'atmosphère qui régnait et qui se créait à cause de ces

25 cris, le sang se gelait dans nos veines. On ne pouvait pas dormir, on ne

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1 savait plus quoi faire.

2 M. Cayley (interprétation). – Vous dites que vous croyiez, à

3 l'époque, que les soldats serbes portaient des uniformes de la Forpronu ?

4 De quelle façon en êtes-vous venue à cette conclusion ?

5 Mme Malagic (interprétation). - Leur visage, parce que vous

6 savez, j'ai vécu trois ans à Srebrenica et, d'une certaine façon, j’avais

7 eu l'occasion de rentrer en contact avec les soldats de la Forpronu et ils

8 nous ont parlé. Ils nous parlaient. Aucun soldat de la Forpronu ne pouvait

9 communiquer avec nous de la sorte, ne pouvait parler si bien notre langue.

10 Leur sourire, quand quelque chose se passait, quand on leur demandait…

11 Les hommes leur ont posé des questions : "Que se passe-t-il ?

12 Que va-t-il nous arriver ? Qu’adviendra-t-il de nous et qu'adviendra-t-il

13 avec les hommes dont les familles criaient ?". Ils nous répondaient que

14 "ces gens-là avaient perdu la tête et que l'on ne devrait pas avoir peur ;

15 ce n'était rien finalement". Et cela a duré toute la nuit jusqu'à jeudi

16 matin.

17 M. Cayley (interprétation). - Avant de parler de jeudi matin,

18 madame, vous souvenez-vous d'autre chose d'important qui a eu lieu cette

19 nuit-là concernant les hommes qui se trouvaient dans l'usine de zinc avec

20 vous ?

21 Mme Malagic (interprétation). - Cette nuit-là, je ne sais pas

22 quelle heure il était exactement -c'était en plein milieu de la nuit-,

23 dans cette usine de zinc, dans le hall, quelqu'un avait trouvé un homme

24 pendu. En fait, c'était un de mes cousins. Avant la guerre, il avait

25 travaillé dans l'usine de zinc. C'est simplement nos propres conclusions,

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1 mais lorsque qu'il a dû voir ce qui est arrivé, il a décidé de se suicider

2 en se pendant. Son frère aîné, juste avant l'aube, est parti avec

3 quelques-uns des hommes. Ils l'ont descendu. Je l'ai vu personnellement

4 pendu. Ils l'ont descendu et, tôt le matin, ils l'ont enterré dans la

5 terre, finalement. Ils ont pris un petit tas de terre et ils l'ont

6 carrément enterré, là, tout près de l'usine de zinc, près de la forêt pour

7 ne pas le laisser là, comme ça.

8 M. Cayley (interprétation). - Madame Malagic, vous rappelez-vous

9 du nom de cet homme ?

10 Mme Malagic (interprétation). - Oui, Smajlovic Hamdija de

11 Potocari, de la municipalité de Srebrenica.

12 M. Cayley (interprétation). - Et pendant ce temps, est-ce que

13 vous avez eu vent que d'autres hommes s'étaient pendus de façon

14 semblable ?

15 Mme Malagic (interprétation). - Oui. De la première voisine qui

16 avait une maison tout près de cette usine, j'ai entendu dire qu'à un

17 moment donné ils revenaient à la maison. Ils étaient partis pour essayer

18 de trouver de la nourriture. Et ils m'ont dit qu'ils ont vu deux autres

19 hommes, deux voisins pendus. C'étaient Smajic Kiram et Hasanovic Fehim. Je

20 ne les ai pas vus personnellement, mais leur famille nous l'ont dit.

21 M. Cayley (interprétation). - Parlons maintenant du matin du

22 13 juillet 1995. Et d'abord, si vous pouviez expliquer au Tribunal quelle

23 était l'atmosphère qui régnait là où vous vous trouviez ce matin-là ?

24 Mme Malagic (interprétation). - Dans cette enceinte d'usine,

25 l'atmosphère était très lourde. Les gens, les femmes avec les enfants,

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1 tout le monde en avait vraiment assez ; les gens voulaient vraiment

2 partir. Ils voulaient franchir les barricades -comme la Forpronu les

3 appelait. Ils voulaient simplement quitter les lieux, ils voulaient

4 quitter cette enceinte d'usine de Potocari puisqu'ils pensaient que,

5 lorsqu'ils se rendraient à la base de la Forpronu, ils seraient protégés

6 et, par la suite, évacués vers un endroit sûr.

7 Il y avait énormément de gens. C'était une masse énorme. Tout le

8 monde voulait partir en même temps. C'était impossible bien sûr puisqu'il

9 y avait une masse de gens. L'espace était tellement restreint que les gens

10 perdaient connaissance. Les gens n'avaient même pas où tomber puisque tout

11 le monde était tellement près les uns des autres. Et même aujourd'hui, je

12 ne sais pas comment les gens ne sont pas tous morts asphyxiés. Je ne sais

13 pas comment ils ont survécu. Il y avait des enfants, des femmes. C'était

14 un chaos absolument incompréhensible, indescriptible.

15 Ce qui s'est passé, ce matin-là, à Potocari... En fait, c'est

16 très difficile de vous expliquer les événements, de vous les raconter. Il

17 a fallu le vivre. Donc je suis partie avec mes enfants sur la rue. Nous

18 avons quitté le bâtiment de l'usine de zinc et nous attendions notre tour.

19 Nous voulions que l'on nous permette de pénétrer cette masse de gens qui

20 se dirigeait vers Bratunac. Cela a duré quelques heures. Pendant que l'on

21 attendait, je ne pouvais plus me tenir debout. Donc je me suis mise un peu

22 à l'écart de la masse. Je m'étais assise sur le bord de l'asphalte pendant

23 que les gens essayaient de s'entasser, essayaient de partir. J'étais avec

24 ma belle-mère et avec mon fils. J'attendais que nous ayons un petit peu

25 plus de place sur la rue.

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1 Pendant ce temps-là, leurs soldats passaient par là. A un moment

2 donné, ils avaient emmené une citerne avec de l'eau, ils nous ont donné de

3 l'eau. Pendant ce temps, il y avait un camion avec du pain ; ils jetaient

4 le pain, ils le donnaient aux gens qui avaient faim. Comme tous les

5 autres, je me sentais humiliée, tellement humiliée ! Ils lançaient ce pain

6 sur la foule des gens. Les enfants qui avaient peur couraient pour

7 attraper ces morceaux de pain.

8 La situation était très chaotique et ils ne faisaient que

9 regarder. Ils passaient par là sur la rue. Il y avait également des hommes

10 en civil. Etaient-ils des soldats de réserve ? Je pense que oui, parce

11 qu'ils avaient quand même des armes. A un moment donné, une personne un

12 peu plus âgée est passée par là et nous a dit que nos hommes ne devraient

13 pas se promener librement sur l'asphalte comme ça. Alors ils se sont

14 promenés parmi nous. Je les ai regardés et, en regardant leur visage, je

15 ne m'attendais absolument à rien de bien.

16 Pendant qu'ils passaient par là, j'ai vu d'autres visages

17 familiers, des gens que je connaissais du temps de la paix, ; entre autres

18 un grand ami -du moins c'est ce que l'on croyait. C'était un policier de

19 circulation. Pendant la paix, il est venu souvent à la maison. Il est venu

20 souvent boire du café, il se reposait chez nous lorsqu'il était libre. Son

21 épouse travaillait avec moi à l'usine de zinc et de plomb à Srebrenica. Et

22 donc il était là. Il portait un uniforme de policier. Il me regardait. Je

23 l'ai vu et il m'a vue, mais il ne m'a rien dit. Je ne lui ai pas adressé

24 la parole non plus. C'est comme si on ne s'était jamais connus.

25 Entre autres, j'ai reconnu Rakic Stanko de la municipalité de

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1 Srebrenica. Il était mon superviseur, mon chef au sein de l'entreprise.

2 Ensuite, j'ai vu Milovanovic Petko qui venait de Pobrdze, de la

3 municipalité de Bratunac. Pendant des années, il partageait la voiture

4 avec nous pour aller au travail, il ne m'a rien dit non plus. Alors ils

5 passaient là. Qu'est-ce qu'ils voulaient voir ? Je ne sais pas, mais ils

6 étaient là parmi cette masse de gens. Ils portaient des vêtements civils.

7 Ensuite, un peu plus loin, je ne sais pas à combien de mètres de

8 là, lorsque je me suis levée pour me joindre à la masse de gens, pour me

9 diriger vers les barricades, il y avait des soldats serbes avec les

10 soldats de la Forpronu. Il y avait également un blindé sur place.

11 Etant donné qu'il faisait très chaud et que les gens perdaient

12 connaissance, ils ont pris des arrosoirs et ils arrosaient la masse de

13 gens pour nous aider à supporter cette chaleur, pour nous refroidir ou

14 nous rafraîchir un peu. Ratko Mladic adressait la parole aux gens qui

15 étaient auprès de la barricade. Il disait aux gens de ne pas avoir peur,

16 de ne pas paniquer, que tout le monde serait évacué ce jour-là et qu'avant

17 la nuit on serait tous évacués, de ne pas avoir peur.

18 Ces vieilles personnes, et les femmes et les enfants qui

19 constituaient cette masse croyaient que ce serait comme cela. Nous

20 l'applaudissions, nous le remerciions même si, moi personnellement, je ne

21 croyais pas qu'il avait de si bonnes intentions et que cela se déroulerait

22 exactement il l'avait dit. Et c'est ainsi que cela a duré pendant des

23 heures jusqu'à ce que j'arrive devant la barricade avec les miens et

24 jusqu'à ce que ces soldats nous laisse partir vers Bratunac, c'est-à-dire

25 vers la base de la Forpronu. En fait, c'est l'usine de plomb de

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1 Srebrenica. Il y avait une très grande, en fait c'est une ancienne usine

2 de batteries et il y avait une colonne de gens. On permettait aux gens de

3 monter à bord de ces autobus.

4 Et à côté de ces autobus et des portes il y avait des soldats

5 serbes avec des chiens. Ils permettaient aux gens de monter à bord de ces

6 autobus et, lorsqu'ils le voulaient, les gens qu'ils voulaient séparer,

7 ils les séparaient effectivement. Lorsqu'on voulait franchir les

8 barricades, on n'était pas encore rendus tout près des autobus -c'est la

9 direction de Bratunac-, une voiture s'est dirigée. Je ne peux pas vous

10 dire à quoi ressemblait ce véhicule, cela ressemblait plutôt à une jeep

11 militaire de l'armée yougoslave. Il n'y avait pas de toit, c'était une

12 jeep ouverte.

13 Dans ce véhicule, il y avait une personne qui m'était très

14 familière. Il était entouré de soldats serbes portant des armes qu'ils

15 pointaient vers cette masse de gens. Il y avait Ilija Petrovic, de Spat,

16 de la municipalité de Srebrenica. Ce véhicule s'est arrêté à quelques

17 mètres de nous, il nous a demandé où nous allions. Il était de bonne

18 humeur, en fait. Il injuriait notre mère de Balija et nous injuriait en

19 disant : "Allez chez votre Alija !". Il disait : "Si vous aviez écouté

20 Babo -on savait qu'il parlait de Fahret-, ce ne se serait pas passé comme

21 cela".

22 J'étais simplement pétrifiée, je savais très bien que c'était un

23 homme dangereux. Je le connaissais d'avant la guerre. Et tous ces hommes

24 qui étaient autour de nous, il y avait également mon beau-père qui

25 connaissait ce Petrovic avant puisqu'il avait déjà travaillé auparavant

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1 dans l'usine. Même avant la guerre il n'était pas en très bonnes relations

2 et j'avais très bien compris que ça n'irait pas bien.

3 Je n'ai plus rien dit et ils nous ont donc tous laissé passer.

4 Ces hommes et les voisins qui étaient avec nous, ils séparaient les hommes

5 à gauche de nous et à droite les autobus, étaient stationnés, et du côté

6 gauche, et les autobus étaient stationnés près d'une maison. Ils étaient

7 tous autour d'une station d'électricité et c'est donc là qu'on emmenait

8 les gens, les hommes qu'on avait séparés.

9 Devant cette maison il y avait beaucoup de sacs à dos, de sacs.

10 Les gens qui étaient séparés, qui étaient emmenés vers ces lieux devaient

11 laisser leurs effets personnels devant. Ainsi que mon beau-père, je l'ai

12 bien vu : il a dû laisser ses effets personnels également. Il y avait donc

13 un voisin que je connaissais, il y avait beaucoup de gens. Si vous voulez,

14 je peux énumérer ces gens-là, je peux donner leur nom.Nous, les femmes

15 avec les enfants, ils nous ont laissés partir en direction des autobus.

16 Lorsque nous sommes arrivés devant ces autobus, vers la porte

17 arrière de l'autobus où j'allais monter, il y avait la tante de mon mari

18 avec sa fille, sa belle-fille avec un petit bébé. Et cette fille, sa fille

19 qui allait monter -j'allais monter moi-même-, un soldat serbe lui a crié

20 depuis notre porte à nous en disant : "Qui est-ce qui lui a permis de

21 monter par la porte arrière ?". Alors elle a regardé, elle a compris qu'on

22 parlait d'elle, et elle s'est approchée de nous pour monter vers la porte

23 avant. Elle avait peur qu'on ne la sépare puisqu'on avait déjà séparé pas

24 mal de jeunes femmes. Elle est arrivée à nous, elle ne savait pas quoi

25 dire, mais un soldat serbe lui a dit qu'il fallait qu'elle prenne un bébé

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1 jusqu'à Kladanj.

2 Moi, j'étais en train de monter sur le bus. Je me suis

3 retournée. Il y avait un voisin qui portait un bébé, il lui a remis son

4 bébé parce que nous nous connaissions fort bien. Il a commencé à pleurer

5 et il a prié de ne pas jeter le bébé quelque part, mais de le confier à de

6 la famille si elle arrivait à trouver sa famille là-bas. Effectivement,

7 nous avons emporté le bébé jusqu'à des parents à lui, mais le père du bébé

8 n'a jamais réapparu puisqu'il avait été séparé avec les autres hommes. Au

9 jour d'aujourd'hui, nous n'avons plus eu plus eu de nouvelles, toute trace

10 de cet homme est perdue.

11 M. Cayley (interprétation) - Madame Malagic, permettez-moi de

12 vous interrompre juste un moment avant d'arriver à la fin de votre

13 déclaration. Vous avez parlé de façon fort claire, mais je voudrais que

14 vous nous apportiez quelques éclaircissements.

15 Vous avez dit que vous aviez vu Milandin Jokic à Potocari.

16 Pouvez-vous nous dire comment il était vêtu .

17 Mme Malagic (interprétation). - Milandin Jokic, oui. Je m'en

18 souviens. Il portait une chemise de couleur bleue claire, c'est un peu

19 l'ex couleur de la police avant la guerre et c'est une chemise que

20 portaient nos policiers sur leur uniforme gris. Il n'avait pas de couvre-

21 chef, il avait une main posée sur son ceinturon. Il était debout, il ne

22 disait rien, il observait ce qui se passait, mais il n'a rien commenté à

23 mon égard.

24 M. Cayley (interprétation) - Et les deux autres que vous aviez

25 mentionnés s'appelaient Stanko Rakic et Petko Milovanovic. Est-ce que vous

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1 vous souvenez de ce qu'ils portaient, eux ?

2 Mme Malagic (interprétation). - Ils étaient, je crois, en civil.

3 Je n'arrive pas à me souvenir exactement, je ne saurais vous décrire ce

4 qu'ils avaient sur eux. Stanko Rakic avait toujours une veste et un

5 pantalon, mais maintenant je ne saurais vous dire de quelle couleur

6 étaient cette veste et ce pantalon. Mais ils étaient de toute manière en

7 civil.

8 M. Cayley (interprétation) - Et ces trois hommes que vous venez

9 de nous mentionner, étaient-ils armés ?

10 Mme Malagic (interprétation). - Stanko Raki et Petko Milovanovic

11 ne portaient pas de fusil, on ne pouvait pas distinguer d'arme. Alors que

12 Miladin avait un ceinturon et je ne sais pas s'il s'agissait d'un

13 revolver, mais il y avait un étui accroché à ce ceinturon.

14 M. Cayley (interprétation). - Si vous arrivez à vous en

15 rappeler, les autres soldats serbes que vous avez aperçus dans l’usine de

16 zinc et autour, à l'époque, pendant que vous étiez dans cette colonne,

17 dans cette queue qui attendait pour accéder à l'autobus, est-ce que vous

18 vous souvenez des noms de certains de ces individus ?

19 Mme Malagic (interprétation). – Eh bien, il y avait là pas mal

20 de soldats serbes. Là, il y avait beaucoup de jeunes gens en uniforme de

21 camouflage, ce qui m'a laissé conclure qu'il s'agissait d'une armée

22 régulière, puisque ces gens étaient tous fort jeunes.

23 Pour ce qui est maintenant de nos connaissances, c'est-à-dire de

24 nos ex-voisins, j'ai vu en passant Spajic Zoran, qui était dans un

25 vêtement de camouflage. Il en est passé un autre que je ne connaissais pas

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1 et qui nous a dit : "Tu vois, mon frère, comment j'ai facilement libéré

2 mon village", et son village était très près et on pouvait le voir de là

3 où nous nous trouvions.

4 M. Cayley (interprétation). - Vous souvenez-vous de quelques

5 autres noms de vos ex-voisins serbes que vous avez pu voir en uniforme de

6 camouflage ce jour-là ?

7 Mme Malagic (interprétation). – Non, je ne m'en souviens pas.

8 M. Cayley (interprétation). - Vous avez mentionné dans vos

9 déclarations…

10 Mme Malagic (interprétation). - Excusez-moi.

11 M. Cayley (interprétation). - Revenons un instant à la

12 personnalité de Zoran Spajic. Vous rappelez-vous de quel village il

13 venait ?

14 Mme Malagic (interprétation). - Il s'agit d'un village près de

15 Potocari, qui s'appelait Studenac. C'est toujours la municipalité de

16 Srebrenica.

17 M. Cayley (interprétation). – Et vous souvenez-vous à peu près

18 de son âge à l'époque ?

19 Mme Malagic (interprétation). – Eh bien ce Zoran, je l'avais

20 connu dès l'école primaire. Il avait peut-être un ou deux ans de moins, ce

21 qui fait qu'il est de la génération de l'un de mes frères. Je crois qu'ils

22 allaient ensemble, qu'ils allaient à l'école dans la même classe. Il

23 devait être né en 1961. Je crois qu'il avait quelques années de moins que

24 moi, mais je crois que c’est une génération qui a suivi la mienne à

25 l'école.

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1 M. Cayley (interprétation). – Je vous remercie, Madame Malagic.

2 Vous avez dit dans vos déclarations que vous aviez aperçu Ilija Petrovic,

3 du village de Spat. Pouvez-vous décrire aux Juges son aspect ?

4 Mme Malagic (interprétation). – Eh bien, ce jour-là, enfin je le

5 connaissais d'auparavant mais, ce jour-là, il n'avait pas de couvre-chef.

6 Il s'est redressé une fois que le véhicule s'était arrêté. Il avait des

7 cheveux blancs, il avait de grandes moustaches qu'il avait

8 traditionnellement portées auparavant mais il s’était laissé pousser une

9 barbe.

10 M. Cayley (interprétation). – Avait-il des enfants ?

11 Mme Malagic (interprétation). – Oui, je sais qu’il avait deux

12 fils. L'un des deux s'appelait Sreten Petrovic, que je connaissais de mon

13 travail. Il avait été chargé de l'exercice des contrôles à l'usine de

14 plomb et de zinc. Les quatre premières années de travail dans cette usine,

15 il était chargé des contrôles et il était présent. Il était chargé, par

16 exemple, des décomptes des salaires. Et je connaissais fort bien ce fils-

17 là. Pour l'autre, on racontait qu'il était militaire mais je ne l’avais

18 pas connu.

19 M. Cayley (interprétation). - Monsieur le Président, il serait

20 peut-être bon pour nous de faire une pause, si vous le souhaitez.

21 M. le Président. - Oui, Monsieur Cayley, je crois que l’on doit

22 quand même respecter la fatigue du témoin. On va faire une pause d'un

23 quart-d'heure.

24 (L'audience, suspendue à 12 h 04, est reprise à 14 h 20.)

25 M. le Président. - Madame Malagic, vous vous sentez mieux

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1 maintenant ?

2 Mme Malagic (interprétation). - Oui, je vais bien.

3 M. le Président. - Madame Malagic, vous allez continuer à

4 répondre aux questions que M. Cayley va vous poser.

5 Allez-y, Monsieur Cayley.

6 M. Cayley (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

7 Madame Malagic, encore une petite question concernant Zoran

8 Spajic. Est-ce que vous vous rappelez le nom de son père ?

9 Mme Malagic (interprétation). - Je n'en suis pas sûre. Il y

10 avait deux frères. Il y avait Radoje ou Blagoje Spajic. L'un des deux est

11 son père, mais je n'en suis pas tout à fait sûre. Ils avaient tous les

12 deux travaillé à la mine. Je les connaissais personnellement tous les

13 deux, mais je ne sais lequel des deux était son père puisqu'ils étaient

14 plusieurs frères.

15 M. Cayley (interprétation). - Avant la pause, vous avez dit

16 qu'avant de monter dans le bus un homme avait été séparé, y compris votre

17 beau-frère. Pouvez-vous, pour le compte rendu d'audience, nous donner les

18 noms de tous les hommes que vous avez vus séparés ?

19 Mme Malagic (interprétation). - Oui. Mon beau-père Malagic Omer,

20 ensuite mon beau-frère Cakar Ramiz, puis un cousin, le frère de celui qui

21 s'était pendu dans l'usine de zinc, il s'agissait de Ismet Smajlovic, puis

22 il y avait Sadik Hasanovic, l'un des proches parents, Sakib Suljagic,

23 Salih Rizvanovic -c'est l'homme à qui on avait pris le bébé, il y avait

24 Salihovic Behaja de Bratunac aussi, Ibrahimovic Hamid, Hasanovic Alija,

25 Malic Ismet, Malic Ragib, Hasanovic Kasim, Hasanovic Rasim -son frère

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1 d'ailleurs, Huseinovic Hajro....

2 Je n'arrive plus à me souvenir d'autres noms. J'ai cité ceux qui

3 se trouvaient le plus près de moi, que j'ai vu emmener.

4 M. Cayley (interprétation). - Madame Magalic, cette réponse est

5 tout à fait suffisante. Je n'ignore pas que toutes les familles de

6 Srebrenica sont reliées entre elles.

7 Pouvez-vous nous dire si l'un de ces hommes a été revu par la

8 suite ?

9 Mme Malagic (interprétation). - Non, jamais plus.

10 M. Cayley (interprétation). - Je demanderai à M. l'huissier de

11 montrer au témoin la pièce à conviction 5/17.

12 Madame Malagic, je vous ai déjà montré cette photographie

13 auparavant. Est-ce que vous savez reconnaître cet immeuble ? Pouvez-vous

14 dire aux Juges, je vous prie, ce que vous savez, leur dire au sujet de ce

15 bâtiment ?

16 Mme Malagic (interprétation). - Il s'agit du bâtiment qui était

17 le bâtiment administratif des services de distribution d'électricité. Y

18 habitaient deux familles dont les membres travaillaient dans cette

19 compagnie. En venant de Bratunac, elles se trouvent à gauche. En face,

20 s'étaient arrêtés les autocars. C'est dans cet immeuble-là que l'on avait

21 emmené les hommes qui étaient séparés. Dans la cour il y avait beaucoup de

22 sacs qui avaient dû être abandonnés là-bas.

23 Puis, une fois montés dans les autobus, nous n'avions pu voir où

24 étaient passés ces hommes. Mais avant que nous partions, nous avons vu ces

25 hommes dirigés vers la cour de cet immeuble.

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1 M. Cayley (interprétation). - Madame Malagic, après être montée

2 dans l'autobus avec votre fils cadet, je crois que vous vous étiez dirigée

3 vers Kladanj. Pouvez-vous dire aux Juges quelques mots sur ce voyage ?

4 Mme Malagic (interprétation). - Il y avait une grande colonne

5 d'autobus. Nous avons dû attendre que tous les bus soient remplis pour

6 démarrer et nous nous sommes dirigés vers Bratunac. Il y avait beaucoup

7 d'autobus, d'autobus militaires... enfin, toutes sortes d'entreprises de

8 transport qui avaient leur siège en Serbie : "Raketa" de Tituvovice,

9 "Lasta" de Belgrade, "Selnjuli" de Sabat, "Strela" de Vajlevo et bien

10 d'autres autocars. Et nous nous sommes dirigés alors vers Bratunac.

11 En traversant Bratunac, moi j'étais debout dans le bus, il n'y

12 avait pas assez de place, nous étions trop nombreux à l'intérieur. Et à

13 Bratunac, nous avons été suivis par bien des regards, des gens qui

14 habitaient à côté de la route goudronnée. Ils nous montraient trois

15 doigts, certains jetaient des pierres vers nous. Et les autocars ne se

16 sont pas arrêtés là.

17 Puis, de Bratunac nous nous sommes dirigés vers Kravica. Jusqu'à

18 Kravica il s'est passé la même chose. Donc nous ne nous sommes pas

19 arrêtés. Le chauffeur ne disait rien, il conduisait seulement et personne

20 n'osait poser de question sur la destination finale.

21 Lorsque nous avons traversé Kravica, juste à la sortie de cette

22 localité, les autocars se sont arrêtés et trois soldats serbes sont montés

23 à bord. Ils avaient des rubans noirs sur le front, attachés derrière la

24 tête. Ils avaient des yeux plutôt rouges, ils avaient l'air d'être ivres.

25 On avait l'impression qu'ils étaient drogués selon la façon dont ils se

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1 comportaient.

2 Ils sortaient leur couteau de leur étui à grande vitesse. Ils

3 menaçaient de nous égorger, ils demandaient des devises comme si nous

4 étions surchargés de devises nous-mêmes. Les femmes n'avaient rien à leur

5 donner. La plupart des autres, après trois ans de chaos à Srebrenica,

6 n'avaient rien à donner ; pas de devises ni rien d'autre.

7 Alors certaines femmes leur avaient proposé des bijoux en or

8 mais ils n'en voulaient pas ; ils demandaient des devises. Ils ont menacé

9 de nous fouiller une par une et que s'ils trouvaient des devises, qu'ils

10 allaient nous égorger devant nos enfants. Plusieurs des femmes présentes

11 qui avaient quelques sous leur ont donné cela. Ils ont quitté notre bus et

12 nous avons pu continuer la route.

13 Cela s'est répété à plusieurs reprises à intervalles fort

14 courts. La troisième fois qu'ils sont remontés dans le bus, le chauffeur

15 leur a dit qu'ils n'étaient pas les premiers à demander et qu'il n'y avait

16 plus rien à prendre. Alors ils ont quitté le bus et nous avons pu

17 continuer.

18 Et à un endroit que je ne saurais vous désigner exactement, mais

19 en direction de Sandici, en provenance de Gravice. Tut à coup, puisque le

20 bus roulait doucement, il n'allait pas vite, j'ai vu une grande colonne

21 d'hommes qui tenaient leurs mains derrière la nuque, ils étaient très en

22 sueur, certains étaient torse nu, n'avaient aucun tee-shirt, certains

23 avaient des tee-shirts, enfin je ne sais pas pourquoi on a enlevé les

24 vêtements de certains, mais je n'ai pas compris tout de suite qui étaient

25 ces gens. Les quatre premiers portaient probablement un blessé sur une

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1 couverture.

2 Et pendant que nous passions, j'ai observé la colonne, j'ai

3 reconnu quelques personnages, des voisins, des parents, et quand je les ai

4 reconnus j'ai compris qu'il s'agissait des jeunes gens qui avaient pris le

5 chemin des forêts et qu'ils avaient été emprisonnés et qui l'avaient été

6 par ces soldats serbes qui les emmenaient je ne sais où.

7 Entre autres, j'ai reconnu là le fils de mon parent Ahmet...

8 (L'interprète s'excuse, il n'a pas entendu son nom.)

9 Il y avait Smajic Ibro, un autre parent de Bratunac, puis il y

10 avait Husic Mujo, un autre voisin de la municipalité de Bratunac, il était

11 policier avant la guerre, et bien des jeunes gens qui habitaient à

12 proximité à Srebrenica, que j'avais l'habitude de voir. Il y avait des des

13 gens de Cerska que je reconnaissais de visage mais dont j'ignore les noms.

14 Ils avaient tous l'air d'être épuisés, exténués, la

15 transpiration collait le long de leur visage. Smahic Ibro, je m'en

16 souviens bien, avait les cheveux complètement mouillés de transpiration.

17 L'autocar est passé à côté, il ne s'est pas arrêté. Peu après,

18 dans ma tête cela commençait déjà... comment dire cela commencé un peu à

19 tourner, je me sentais plutôt mal.

20 Et tout à coup, sur le côté droit de la route goudronnée, sur un

21 pré, j'ai vu une grande masse d'hommes qui étaient assis. A côté de cette

22 route goudronné, il y avait tout un monticule de sacs à dos, de sacs

23 qu'ils avaient emmenés. Et eux se trouvaient au fond du pré vers les bois.

24 Devant eux, il y avait un soldat que nous ne pouvions pas bien voir de

25 notre autobus. Il avait une arme quelconque et il allait et venait devant

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1 ces hommes qui étaient assis sur cette clairière.

2 La plupart d'entre eux étaient en tee-shirt blanc et d'après les

3 sacs de voyage, j'ai compris qu'il s'agissait de jeunes de Srebrenica

4 parce que personne n'avait rien à se mettre et ces tee-shirts blancs

5 étaient distribués par l'aide humanitaire, c'est pour ça que tout le monde

6 en avait. Et c'est à cela que j'ai su qu'ils étaient tous prisonniers,

7 qu'ils avaient voulu traverser le territoire serbe pour se rendre à Tuzla

8 et qu'ils n'ont pas pu arriver.

9 M. Cayley (interprétation). - Madame Malagic, je me propose de

10 vous interrompre à ce moment-ci.

11 Nous sommes en train d'achever notre journée de travail et j'ai

12 encore plusieurs questions à lui poser, Monsieur le Président. Si vous

13 avez l'intention de terminer avec cet interrogatoire principal pour

14 aujourd'hui, ma foi...

15 M. le Président. - Monsieur Cayley, de combien de temps, plus ou

16 moins, vous avez besoin ?

17 M. Cayley (interprétation). - Je crois que nous sommes en train

18 de toucher à la fin de la déposition de ce témoin, je crois que j'ai

19 besoin encore d'une dizaine de minutes.

20 M. le Président. - Il est donc préférable de terminer pour

21 aujourd'hui.

22 Madame Malagic, excusez-nous d'interrompre votre communication,

23 mais nous allons reprendre demain. J'espèce seulement que la nuit que vous

24 allez passer ici ne sera pas comme les autres que vous avez passées, vous

25 êtes sous la protection du Tribunal maintenant. On se verra demain à

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1 9 heures 30. Merci beaucoup.

2 Mme Malagic (interprétation). - Merci.

3 M. le Président. - Merci beaucoup à M. Cayley.

4 Donc jusqu'à demain, 9 heures 30.

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6 L'audience est levée à 14 heures 35.

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