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1 Jeudi 04 mai 2000
2 (Audience à huis clos total)
3 (Témoin : Témoin 186, interrogée par Me Uertz-Retzlaff.)
4 (L’audience est ouverte à 9 heures 30.)
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1 (Audience publique avec mesures de protection)
2 (Le témoin 192 est interrogé par Me Ryneveld.)
3 Mme la Présidente (interprétation) : Bonjour, Madame le Témoin. Je vais
4 vous demander de donner lecture de la déclaration solennelle.
5 Témoin 192 (interprétation) : Je déclare solennellement que je dirai la
6 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
7 Mme la Présidente (interprétation) : Je vous remercie, Madame, veuillez
8 vous asseoir. L'accusation a la parole.
9 M. Ryneveld (interprétation) : Je vous remercie, Madame et Messieurs les
10 Juges. Avant que l'huissier se rassied, je vais lui demander de présenter
11 une pièce que j'appellerai la pièce 214 qui reprend la liste des noms et
12 des pseudonymes.
13 Est-ce que nous pourrions avoir une cote officielle ?
14 Mlle Lauer : Le document est coté 214 des pièces du Procureur. Il est
15 enregistré de façon confidentielle.
16 M. Ryneveld (interprétation) : Merci. Témoin, on vous a montré un document
17 qui comporte toute une série de noms, au regard desquels se trouvent des
18 chiffres ou numéros. Vous avez cette liste sous les yeux ?
19 Témoin 192 (interprétation) : Oui, je la vois.
20 Q. Le premier nom qui figure à cette liste, est-ce votre nom avec votre
21 date de naissance ?
22 R. Oui.
23 Q. Est-ce que l'on retrouve aussi votre surnom entre parenthèses à côté
24 de votre nom ?
25 R. Oui.
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1 Q. Désormais, je vais vous appeler témoin 192. Vous me comprenez ? Vous
2 en comprenez la raison ?
3 R. Oui.
4 Q. Sous votre nom, on trouve le nom du témoin 191. Est-ce le nom de
5 votre fille ?
6 R. Oui.
7 Q. Dans le cadre de votre déposition, nous reviendrons sur cette liste.
8 Je vais vous demander de la tenir à disposition.
9 Témoin, je crois comprendre qu'avant que la guerre n'éclate en 1992, vous
10 et votre mari aviez 3 enfants. Vous habitiez Gacko. Est-ce exact ?
11 R. Oui.
12 Q. Je crois que vos enfants avaient 11 ans, 13 ans et 17 ans
13 respectivement, n'est-ce pas, au moment où la guerre a éclaté. Est-ce
14 exact ?
15 R. Oui.
16 Q. Et le témoin 191 est votre fille de 17 ans. Est-ce l'aînée ?
17 R. Oui.
18 Q. Lorsque vous habitiez et viviez à Gacko, avant le mois de juin 1992,
19 quels étaient les rapports entre les Musulmans et les Serbes du village ?
20 Est-ce que vous pouvez nous le dire ?
21 R. Ils étaient bons.
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1 [expurgée]
2 R. Oui.
3 Q. Avant que la guerre n'éclate à Gacko, est-ce que par l'intermédiaire
4 d'articles de presse ou de la télévision, est-ce que vous aviez réalisé
5 que la guerre avait éclaté dans d'autres contrées de la Bosnie ?
6 R. Nous avons vu comment la guerre s'est passée en Slovénie à la
7 télévision.
8 Q. Et qu'en était-il de Foca ? Est-ce que vous aviez appris qu'il se
9 passait des choses à Foca ?
10 R. Foca a commencé à brûler en avril 1992.
11 Q. Lorsque vous avez appris que la guerre éclatait en Slovénie, que
12 Foca brûlait, qu'est-ce que ceci a eu pour effet sur vous et votre famille
13 à Gacko ?
14 R. Cela n'a pas eu beaucoup d'effet parce que mon mari a négocié avec
15 les Serbes, et eux disaient que cela n'allait pas se passer à Gacko. Ce
16 qui fait que nous n'avions pas peur.
17 Q. Est-ce qu'il y avait des signes attestant d'une chose opposée. Je
18 m'explique : est-ce qu'il y avait des soldats venant d'une autre région
19 qui arrivaient dans votre ville ou qui passaient par là ?
20 R. Il y avait des soldats de Serbie, du Monténégro, qui passaient par
21 Gacko pour aller à Nevesijne et à Mostar.
22 Q. Il y avait certains établissements commerciaux à Gacko, est-ce qu'il
23 leur est arrivé quelque chose au mois d'avril 1992 ?
24 R. Non, pas jusque-là. Parce que les soldats qui passaient par Gacko ne
25 faisaient que tirer.
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1 Q. Vous souvenez-vous d'un incident au cours duquel des cafés ont été
2 incendiés à Gacko ?
3 R. Oui, je m'en souviens. Ça s'est passé fin avril 1992. Ils ont
4 commencé à incendier des cafés.
5 Q. Et ce "ils", au pluriel, représente qui ?
6 R. Il s'agissait d'une unité paramilitaire qu'on appelait les Aigles
7 Blancs, Bjeli Orlovi . Ce furent les premiers à venir à Gacko et à semer
8 le trouble.
9 Q. Est-ce que, par la suite, vous avez appris qui avait revendiqué la
10 responsabilité de ces incidents ?
11 R. Il y avait un homme à Kalinovik. Cet homme qui est venu pour emmener
12 les jeunes filles, il s'appelle Dragan Kunarac et il est surnommé Zaga. Il
13 m'a demandé si je me souvenais de ces détails. Moi, j'ai dit que oui. Il a
14 ajouté que c'est lui qui se trouvait dans cette unité et que c'était lui
15 qui avait mis le feu à ces cafés.
16 Q. Passons à une date ultérieure, parlons du 1er juin 1992. Vous
17 souvenez-vous des circonstances ou d’un incident au cours duquel des
18 hommes musulmans ont été arrêtés ?
19 R. Eh bien, à Gacko, le 1er juin, les gens vaquaient à leurs
20 occupations, dans les entreprises ou ailleurs. On commençait à arrêter les
21 gens dans les entreprises, dans la rue, dans les foyers. Ils ont commencé
22 les arrestations le 1er, puis ils les ont emmenés vers une espèce de
23 centre de regroupement qui s'avérait être un hôtel à Gacko.
24 Q. Pourriez-vous nous donner une idée approximative du nombre d’hommes
25 arrêtés ce jour-là, le 1er juin ?
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1 R. Environ 200.
2 Q. Est-ce que vous étiez là, sur place ? Est-ce que vous l'avez, vous,
3 vu de vos propres yeux ? Ou est-ce que vous l'avez appris d'autres
4 sources ?
5 R. Je ne l'ai pas entendu dire. Nous avons vu les gens arrêter les
6 autres gens. Ils disaient aux autres d'arrêter et on voyait des gens qui
7 prenaient la fuite. Et ils disaient aux gens de prendre la fuite.
8 Q. Merci. Et votre époux était-il arrêté ?
9 R. Il a été arrêté le premier, mais cela n'a pas duré longtemps. On l'a
10 rendu et il était revenu. Comme il négociait avec des politiques serbes,
11 il était revenu pour un rendez-vous.
12 Q. Vous souvenez-vous à quel moment ces négociations ont eu lieu, les
13 négociations auxquelles votre époux a participé ? Et pourriez-vous nous
14 dire sur quoi portaient ces négociations ?
15 R. Oui.
16 Q. S’agissait-il des armes ?
17 R. Oui, il négociait autour des armes. Il fallait que les Musulmans
18 rendent leurs armes et, en contrepartie, les Serbes devaient lâcher ceux
19 qu'ils avaient pris, mais les Musulmans n'avaient pas d’armes. Ils
20 n'avaient que quelques fusils de chasse avec des permis. C'étaient des
21 fusils qu'ils avaient avec des permis de chasse.
22 Q. Merci. Et que s'est-il passé à la suite de ces négociations ? Est-ce
23 que les armes ont été rendues, pour autant que vous le sachiez, et qu'a
24 fait votre époux ?
25 R. Certaines personnes qu’on avait arrêtées envoyaient des messages à
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1 leur famille par les femmes qui étaient venues leur apporter de la
2 nourriture. Ils avaient envoyé les messages disant aux villageois de
3 rendre leurs fusils. Mais il y avait des gens qui étaient partis dans la
4 montagne et ils avaient probablement pris leurs fusils avec eux.
5 Q. Quelles étaient les conséquences de l'arrestation de 200 hommes
6 musulmans ? Quel impact cela a eu sur le reste de la population, s'il y a
7 eu un résultat quelconque ?
8 R. Une partie des personnes s'est enfuie vers Borce et Zelengora et une
9 autre partie des femmes et des enfants est restée. On les a transportés
10 vers la Macédoine par des bus. Ceux qui sont restés sont restés en
11 détention.
12 Q. Vous-mêmes, vous vous êtes enfuie ?
13 R. Oui. Moi, j'ai été à Borce. Je suis partie à Borac avec toute ma
14 famille puisque nous avions une maison à Borac. Nous y passions nos
15 vacances d'été.
16 Q. A quelle distance se trouve Borac par rapport à Gacko, à peu près ?
17 R. A peu près une heure.
18 Q. Une heure de trajet en voiture, vous voulez dire ?
19 R. Oui, en voiture.
20 Q. Quand vous êtes arrivée à Borac, avez-vous rencontré d'autres
21 personnes là-bas sur place ?
22 R. Oui, des gens arrivaient car ils n'avaient pas tous une maison ou
23 une famille là-bas. Il y avait beaucoup de femmes, des enfants chez nous
24 car ils n'avaient pas de nourriture. Et nous leur donnions de la
25 nourriture, nous donnions de la nourriture aux autres personnes aussi.
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1 Q. A-t-on, à la fin, pris la décision de tenter de se rendre à un autre
2 lieu ?
3 R. Nous sommes allés à Zelengora à un moment, quand les Serbes se sont
4 approchés de Borac. Donc, nous étions obligés d'aller vers la montagne
5 vers Zelengora.
6 Q. Avez-vous essayé d'aller sur un territoire contrôlé par des
7 Musulmans, à la différence de ce territoire contrôlé par des Serbes ?
8 R. Nous avons essayé. Le 1er juillet, nous avons voyagé pendant 4 jours.
9 Du 1er au 4 juillet. Le jour où nous avons été arrêtés, dans la nuit, à
10 côté de Ulog.
11 Q. Pendant ce voyage de 4 jours, vous l'avez fait à pied ?
12 R. Oui, nous avons traversé la forêt à pied et nous marchions la nuit.
13 Q. Pourriez-vous dire à la Chambre combien vous étiez dans ce groupe
14 qui s'était dirigé vers Ulog, à travers la forêt ?
15 R. Je pense qu'il y avait à peu près 1000 personnes. Il y avait des
16 femmes, des enfants, des personnes âgées. Quand on marche en colonne, en
17 file indienne… C'était une colonne très longue et il y avait beaucoup de
18 kilomètres que nous devions traverser. C'était la forêt.
19 Q. Vous avez dit que vous êtes arrivés à Ulog. Vous vous souvenez de la
20 date de votre arrivée ?
21 R. Le 4 juillet.
22 Q. Comment vous vous êtes trouvés en arrestation ?
23 R. Nous avons été remarqués par les Serbes. Ils sont venus à plusieurs.
24 Ils nous ont arrêtés. Ils nous ont mis dans des camions, ils nous ont
25 transportés jusqu'à l'école à Ulog.
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1 Q. Quand vous dites "les Serbes, nous avons été vus par des Serbes", et
2 quand vous dites qu'ils vous ont transportés en camion, vous parlez de
3 1000 personnes ? De vous tous ou bien juste d'un groupe de personnes ? Et
4 si c'était un groupe, est-ce que vous pourriez nous en donner le nombre ?
5 R. Moi, je parlais d'un groupe parce qu’au moment où il nous ont vus,
6 ils nous ont tiré dessus et on s’est séparés en groupes. Dans notre
7 groupe, dans la colonne où je me trouvais, moi, il y avait à peu près
8 150 personnes, des femmes et des enfants.
9 Q. Et ce groupe de 180 personnes, c'est bien le groupe qui avait été
10 arrêté et transporté à un endroit par un camion ?
11 R. Oui.
12 Q. Si j'ai bien compris, vous avez été transportés à l'école à Ulog.
13 R. Oui.
14 Q. Et vous êtes restés en détention pendant 2 ou 3 jours à cet endroit
15 et ensuite vous avez été transportés ailleurs ?
16 R. Oui, on nous a ensuite transportés à l'école de Kalinovik.
17 Q. Est-ce que vous êtes déjà allée à Kalinovik auparavant, avant d’y
18 avoir été amenée ?
19 R. Non.
20 Q. Que s'est il passé quand vous êtes arrivés à l'école à Kalinovik ?
21 R. Nous avons été enfermés dans une école, dans une grande salle. Nous
22 ne tenions pas tous, alors ils nous ont séparés. Il y en a qui avaient été
23 placés dans d'autres pièces de cette école, plus petites. Car avant nous,
24 il y avait des gens qui avaient été déjà détenus à cet endroit mais on les
25 avait transférés dans un dépôt d’armes à Kalinovik. C'étaient des
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1 Musulmans, les personnes qui avaient été enfermées avant nous, à l'école.
2 Q. Est-ce qu'ils étaient là quand vous êtes arrivés ou bien vous avez
3 appris par une autre source qu'un autre groupe avait été là avant vous ?
4 R. Il y avait des femmes qu'on avait arrêtées et c'est elles qui nous
5 avaient dit que leurs hommes avaient été transférés dans ces hangars, dans
6 cet hangar qui servait de dépôt d'armes de poudre.
7 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire où vous avez été placés, dans
8 quelle pièce de l'école ?
9 R. Nous étions dans la grande salle.
10 Q. Pour que ce soit plus clair, je voudrais vous poser la question
11 suivante : vous avez dit que votre mari s'est enfui. S'est-il enfui avec
12 vous ou bien tout seul ?
13 R. Quand nous avons été arrêtés, il était devant nous parce que nous ne
14 pouvions pas marcher ensemble et donc il était devant moi.
15 Q. Donc la conséquence de ceci était qu'il n'était pas dans le même
16 groupe que vous au moment où vous avez été arrêtés ?
17 R. Oui, il n'était pas avec nous.
18 Q. Et vos 3 enfants ?
19 R. Mes 3 enfants étaient avec moi à l'école.
20 Q. Je sais que je vous ai déjà posé cette question, mais je ne sais pas
21 si vous avez eu l'occasion de répondre à cette question avant que je n'ai
22 posé une autre question. Où étiez-vous détenus à l'école ? Je pense que
23 vous avez parlé d'une salle de gym, d'une grande salle de gym ?
24 R. Oui, c'était une grande salle, et j'étais là avec mes enfants. Il y
25 avait plein d'autres gens qui étaient là dans cette salle.
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1 Q. Est-ce qu'il y avait d'autres personnes de votre groupe qui étaient
2 placées dans d'autres salles de classe, ailleurs ? Pas dans la même salle
3 que vous ?
4 R. Oui, il y avait des gens dans la salle de classe et puis il y en
5 avait d'autres aussi qui étaient avec nous dans la salle.
6 Q. Est-ce que vous pourriez nous dire combien il y avait de gens dans
7 cette grande salle avec vous et vos enfants ?
8 R. Il y avait à peu près encore 10 personnes avec nous dans cette
9 grande salle.
10 Q. Pourriez-vous regarder la liste qui est sous vos yeux ? Est-ce que
11 vous voyez les numéros 185 et 186 ?
12 R. Oui, je les vois.
13 Q. Connaissez-vous ces personnes ?
14 R. Oui, je les connais.
15 Q. Est-ce qu'ils étaient détenus dans la même salle que vous, ou bien
16 ailleurs ?
17 R. Ils n'étaient pas avec moi, ils étaient dans une autre pièce.
18 Q. Très brièvement, est-ce que vous pouvez nous décrire les conditions
19 de vie à l'école de Kalinovik ? Quelles étaient les conditions sanitaires,
20 les toilettes, etc. ?
21 R. Il n'y avait pas de conditions du tout. Il y avait encore des
22 personnes de Kalinovik et de Ulog avec nous. Il y avait juste un
23 sanitaire. Pendant deux mois, nous n'avons pas pu nous laver, personne n'a
24 pu se laver, tout était sale.
25 Q. Où couchiez-vous ?
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1 R. Il y avait des petits matelas en mousse, mais il ne faisait pas
2 froid, c'était l'été, nous dormions à même le sol qui était en parquet.
3 Q. Est-ce que vous receviez suffisamment de nourriture ? Est-ce que
4 vous la receviez régulièrement ?
5 R. Il n'y avait pas assez de nourriture et nous ne la recevions pas
6 régulièrement.
7 Q. Est-ce que vous étiez libres d'aller et venir, de quitter l'école,
8 ou bien étiez-vous gardés par des gardiens, par des soldats qui vous
9 empêchaient d'aller et de venir ?
10 R. Non, ne pouvions pas à aller librement où nous voulions, nulle part
11 nous ne pouvions aller. Nous étions enfermés comme du bétail : il y avait
12 des gardiens à la porte et ils ne nous laissaient pas sortir de l'école.
13 Q. Quels étaient ces gens qui vous gardaient, ces gardiens ?
14 R. Il y avait des membres de la police et il y avait aussi des soldats.
15 Q. Comment voyiez-vous la différence entre les deux ?
16 R. Eh bien, les policiers avaient les mêmes uniformes qu'avant la
17 guerre, ils avaient des chemises bleues ; alors que les soldats portaient
18 des uniformes bariolés.
19 Q. Etaient-ils armés ?
20 R. Oui.
21 Q. Comment ils se comportaient avec vous ? Je parle des soldats ou des
22 policiers.
23 R. Ils étaient épouvantables. Il y avait une relève tous les jours,
24 mais il y avait deux policiers qui étaient différents des autres. Ils
25 étaient gentils et même, parfois, quand des soldats venaient, ils nous
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1 disaient de ne pas leur donner de briquet, de ne pas leur donner des
2 allumettes -car eux ils nous les demandaient- mais en fait ils demandaient
3 ceci pour faire de la lumière, pour choisir des femmes et des jeunes
4 filles.
5 Q. Donc ces policiers vous avertissaient et vous suggéraient une
6 manière de vous protéger, en quelque sorte ?
7 R. Oui et ces policiers étaient au nombre de deux.
8 Q. Vous avez dit que les autres ne vous ont pas bien traités. Est-ce
9 que vous pouvez nous donner des exemples qui vous ont conduits à arriver à
10 la conclusion que vous n'étiez pas bien traités ?
11 R. Eh bien ils nous demandaient pourquoi nous prenions la fuite,
12 pourquoi nous étions arrivés. Ils nous disaient que la guerre, c'était de
13 notre faute, que c'était de la faute des Balija, ils nous injuriaient.
14 Q. Est-ce qu'ils ont jamais essayé de vous interroger, de prendre des
15 déclarations ?
16 R. Oui, la police, à Ulog : ils avaient pris des déclarations, et quand
17 nous sommes arrivés à Kalinovik, ils nous ont demandé de signer ces
18 déclarations.
19 Q. Est-ce que vous savez, est-ce que vous connaissez des cas où on a
20 passé à tabac certains individus à Kalinovik ?
21 R. Je me souviens qu'une fois ils avaient amené un homme et ils l'ont
22 passé à tabac. Quand il est revenu, il était couvert de bleus. Cet homme
23 s'appelait Suad Hasanbegovic, il était vétérinaire.
24 Une deuxième fois, ils l'ont emmené, ils l'ont emmené au deuxième étage et
25 il avait été escorté par un homme : c'était Vojvoda, "Duc", c'est écrit
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1 sur son fusil. Et nous avons entendu des coups de feu, deux ou trois coups
2 de feu qui venaient de l'étage.
3 Mais cet homme est revenu, il est redescendu, et les femmes qui étaient au
4 deuxième étage l'ont vu revenir avec un couteau ensanglanté. Et Sutko
5 n'est pas retourné, il n'est pas revenu, cet homme. Ils l'ont mis dans une
6 couverture, ils l'avaient mis dans un camion et après nous n'avons pas eu
7 de nouvelles de lui.
8 Q. Cet homme dont vous parlez, l'homme qu'on avait mis dans une
9 couverture et que vous n'avez plus vu, s'agit-il bien de M. Hasanbegovic,
10 le vétérinaire ?
11 R. Oui.
12 Q. Vous souvenez-vous d'un incident concernant une jeune fille ?
13 R. Les soldat venaient tous les soirs. C'étaient des soldats
14 différents, il y avait pas de restriction, ils venaient le jour comme la
15 nuit. Les enfants avaient peur, les femmes avaient peur. Et même quand on
16 disait : "Tiens, un bariolé arrive !", eh bien les enfants faisaient pipi
17 dans leur culotte. Et même, à cause de la peur, cela arrivait parfois aux
18 femmes.
19 Un soir, il y avait des soldats serbes qui étaient venus et ils n'avaient
20 pas vu, ils ne voyaient pas bien et ils sont tombés sur une petite fille
21 qui avait une dizaine d'années, et on lui a donné des coups de pied. Elle
22 était avec son grand-père. Ils lui donnaient des coups de pied et ils lui
23 disaient : "Lève-toi, lève-toi !". Les policiers étaient là et ils
24 n'avaient le droit de rien faire, ils ne pouvaient pas réagir.
25 Cela a duré, on lui a infligé des coups de pied. Elle pleurait, mais nous
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1 aussi on pleurait, mais nous ne pouvions pas l'aider. On ne pouvait pas
2 nous aider nous-mêmes ! Et ne parlons pas d'aider l'autre, d'aider un
3 enfant !
4 Q. Après qu'on lui a infligé des coups de pied, est-ce que vous savez
5 ce qui lui est arrivé ?
6 R. Ils ne l'ont pas emmenée. Le grand-père de l'enfant leur disait :
7 "Ne prenez pas cet enfant ! Son père est enfermé, arrêté. Il est à Gacko
8 et sa mère a été transférée en Macédoine!" Donc cet enfant était tout seul
9 avec son grand-père. Elle n'avait qu'une dizaine d'années.
10 Q. Je voudrais que vous pensiez à la date du 2 août 1992. Vous
11 souvenez-vous de cette date pour une raison particulière ? Et si oui,
12 pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Et pouvez-vous nous dire si cela
13 s'est passé ce jour-là ?
14 R. Le 2 août, eh bien, il y a une fête, une fête serbe et musulmane à
15 la fois. Les Musulmans appellent cette fête Alidza et les Serbes appellent
16 cette fête Ilinden.
17 Et ce jour-là, Pero Elez était venu, il était déjà venu. Il n'était pas
18 tout seul, il était accompagné de quelques personnes. Et il a pris une
19 fille, il l'a emmenée quelque part. Nous savions qu'il allait sans doute
20 forcer cette jeune fille à lui dire ce qu'elle savait au sujet des deux ou
21 trois jeunes filles qui étaient restées.
22 Et moi j'avais peur. Avec ma fille, je suis passée de l'autre côté, dans
23 une autre pièce où il y avait une femme avec un bébé parce que j'ai voulu
24 qu'il pense que cet enfant était l'enfant de ma fille, si jamais il
25 venait.
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1 Alors, elle s'est couchée à côté de l'enfant, elle s'est couverte avec une
2 couverture. Moi, je me suis assise à côté d'elle, et mes deux autres
3 enfants sont restés dans la grande salle. Comme ils étaient plus petits,
4 j'avais moins peur pour eux.
5 Vers 7 heures et demie, il faisait déjà nuit, la porte s'est ouverte et
6 deux hommes qui portaient des uniformes de camouflage sont venus. Un
7 policier se tenait à la porte et l'un d'entre eux s'est approché et il a
8 donné un coup de pied à ma fille. Il lui a ordonné de se lever, il lui a
9 dit : "Lève-toi ! Qu'attends-tu ?" Elle avait peur, elle ne disait rien.
10 Il lui a répété à nouveau de se lever et elle lui a posé la question, et
11 elle lui a dit : "Mais c'est à moi que tu parles ?". Il lui a dit : "Oui,
12 oui, à toi. Lève-toi ! Qu'attends-tu ?"
13 Moi, je me suis soulevée, j'ai commencé à pleurer. Je lui ai dit :
14 "Ecoute, ne l'emmène pas, elle. C'est encore un enfant. Si tu dois faire
15 quelque chose, moi je veux bien le faire. Moi je veux bien le faire à sa
16 place. Ne l'emmène pas, elle ! Ce n'est qu'un enfant !"
17 Il m'a frappée avec sa main. Il m'a menacée avec une arme qu'il a posée
18 sur mon front. Et il a soulevé son pied, il voulait me donner un coup de
19 pied. Ma fille s'est levée, elle s'est dirigée vers la porte. Moi, je l'ai
20 vue, j'étais hors de moi, je ne pouvais plus voir ce qui a suivi.
21 Q. Au début de cette partie de votre déposition, vous avez dit que Pero
22 Elez était venu pour emmener une fille. Cela s'est-il produit plus tôt
23 dans la même journée, c'est-à-dire le 2 août, ou bien cela s'est-il
24 produit le même jour, le jour où on a emmené votre fille ?
25 R. Non, il était déjà venu plus tôt. Mais quand il était venu plus tôt,
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1 il avait emmené quelqu'un. Mais ce jour-là, une heure plus tôt, ils
2 avaient emmené une autre fille.
3 Q. Pourriez-vous regarder la liste ? Est-ce que vous voyez le nom de la
4 jeune fille que Pero Elez avait emmenée ? Est-ce que ce nom figure sur la
5 liste ?
6 R. Oui, je vois le nom de cette jeune fille.
7 Q. Est-ce que c'est bien le dernier nom sur la liste ? Il n'y a pas
8 d'initiales, il n'y a pas de nombre à côté de ce nom ?
9 R. Oui.
10 Q. Donc elle avait été emmenée une heure avant votre fille ?
11 R. Oui, une heure plus tôt car, dès qu'ils avaient emmené cette jeune
12 fille, cette première jeune fille, nous craignions déjà ce qui allait se
13 passer avec les autres jeunes filles.
14 Q. Vous avez dit "Pero Elez". Etait-il seul ou bien est-ce qu'il y
15 avait d'autres personnes qui étaient avec lui au moment où la dernière
16 personne sur la liste, la n°214, avait été emmenée ?
17 R. Non, il n'était pas tout seul, il y avait encore deux ou trois
18 personnes avec lui.
19 Q. Quand vous dites "deux ou trois hommes", est-ce que vous pensez aux
20 soldats ? Pouviez-vous les voir ?
21 R. Oui, il y en avait qui portaient des uniformes de camouflage. Il y
22 en avait qui étaient habillés dans des vêtements civils. Il y en avait qui
23 portaient des vêtements civils.
24 Q. Après cet incident, est-ce que Pero Elez et son groupe sont partis
25 avec la dernière jeune fille qui est sur la liste de la pièce à
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1 conviction 214 ? Sont-ils partis ?
2 R. Oui, ils sont partis et elle n'est plus jamais réapparue. Sa soeur
3 était à l'école et c'est elle qui nous a dit que cet homme s'appelait Pero
4 Elez car elle avait travaillé à Kalinovik avant la guerre, elle le
5 connaissait.
6 Q. Avez-vous vu Pero Elez à l'école à Kalinovik avant cet événement ?
7 Et si tel est le cas, vous l'avez vu combien de fois ?
8 R. Il est venu à plusieurs reprises avant cette nuit-là.
9 Q. Est-ce qu'il est venu à nouveau plus tard ?
10 R. Oui, je pense qu'il était venu le lendemain encore une fois, je
11 pense que je l'ai vu encore une fois.
12 Q. Vous nous avez dit que, après que Pero Elez a emmené cette jeune
13 femme, cette jeune fille, que vous avez tenté de cacher votre fille, votre
14 propre fille. Et si je vous ai bien comprise, elle était couchée par
15 terre, couverte par une couverture avec un enfant à côté d'elle ?
16 R. Oui, c'est exact. Mais elle ne pouvait pas se cacher car cet homme
17 s'est dirigé tout de suite vers elle, et il lui a demandé tout de suite de
18 se lever.
19 Q. Vous nous avez décrit comment cela est arrivé, vous nous avez dit
20 que c'était arrivé vers 7 heures 30. Comment savez-vous que c'était vers
21 7 heures 30 ?
22 R. J'avais une montre quand ils sont arrivés. Quand ils sont rentrés
23 dans la salle, j'ai regardé l'heure. Je sais très bien qu'il était
24 7 heures et demie.
25 Q. Le 2 août, si cela est la bonne date, est-ce que, dehors, il faisait
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1 encore jour ou bien la nuit commençait à tomber ? Est-ce que vous pourriez
2 nous le dire ou non ?
3 R. La nuit commençait à tomber, mais on pouvait voir encore parce que
4 c'était l'été. Et l'été, la lumière du jour dure plus longtemps.
5 Q. Vous dites que cet individu est rentré et qu'il avait emmené votre
6 fille. Vous avez décrit cela. A ce moment-là, y avait-il d'autres gens qui
7 étaient avec lui ?
8 R. Il y avait un autre homme avec lui et aussi le policier qui les
9 avait probablement emmenées par là.
10 Q. Avez-vous pu bien regarder l'homme qui a emmené votre petite fille ?
11 R. Oui, oui, parce que je le regardais. Je l'ai supplié de me prendre,
12 moi, à la place.
13 Q. Avez-vous vu cet homme avant qu'il ne vienne chercher votre fille ?
14 Je veux dire par cela, lors d'une occasion précédente ?
15 R. C'était la première fois que je le voyais, la fois où il est venu et
16 où il avait emmené les filles.
17 Q. L'avez-vous vu par la suite ?
18 R. Oui, il était venu à deux autres occasions. En tout, je l'ai vu
19 trois fois.
20 Q. Lors des autres occasions, avez-vous parlé avec lui du fait qu'il a
21 enlevé votre fille ? Comment était votre fille ? Mais ne nous donnez pas
22 les détails, nous y viendrons par la suite.
23 R. Mais oui ! Cet homme est revenu probablement deux ou trois jours
24 plus tard. Je l'ai tout de suite reconnu. Je me suis approchée de lui, je
25 lui ai posé la question : pourquoi avait-il pris ma fille ? Qu'allait-il
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1 se passer avec elle ? Il m'a dit que les filles étaient chez lui.
2 Q. L'homme pour lequel vous affirmez qu'il avait dit à votre fille de
3 se lever et qui l'avait emmenée, eh bien, avez-vous appris son nom ? Et si
4 oui, comment ?
5 R. Quand je me suis un peu reprise... Puisque j'étais dans tous mes
6 états quand il avait pris ma fille, c'était un grand choc pour moi. Par la
7 suite, quand je me suis sentie un peu mieux, je suis sortie dans le
8 couloir et je me suis dirigée tout droit vers le garde. Je lui ai posé la
9 question : qui étaient les hommes qui avaient enlevé les filles et ce qui
10 allait en advenir ?
11 Il m'a répondu comment s'appelait cet homme. Il m'a dit que l'homme
12 s'appelait Dragan Kunarac. A l'époque, il ne connaissait pas son vrai nom.
13 Mais il m'a dit que l'autre s'appelait Zaga. Avec lui, il y avait un autre
14 homme qui s'appelait Gaga.
15 J'ai posé la question : où ils étaient ? L'autre m'a répondu que c'étaient
16 des gens qui étaient dangereux, qu'ils avaient une unité, et que leur
17 unité s'appelait les "Bjeli Orlovi" -les Aigles blancs- et qu'ils étaient
18 de Foca. C'est comme ça que j'ai appris son nom.
19 Q. Pourriez-vous décrire l'individu qui a emmené votre fille ?
20 R. Oui, je peux le faire. Il portait un uniforme de camouflage, il
21 était armé, il avait un bandeau autour de sa tête, il avait aussi des
22 bandeaux qui étaient attachés autour de l'épaule. Il était assez grand, il
23 avait des grands yeux, son visage était mince et ses cheveux étaient
24 légèrement ondulés.
25 Q. Si jamais vous voyez cet homme, est-ce que vous pourriez le
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1 reconnaître ?
2 R. Je pense que oui.
3 Q. Madame, pourriez-vous jeter un coup d'oeil dans le prétoire ? Si
4 l'homme qui a enlevé votre fille s'y trouve, pourriez-vous nous dire où il
5 est ?
6 R. C'est le premier homme, ici.
7 Q. Vous montrez vers le mur, derrière, à l'opposé de vous. Si vous
8 comptez de gauche à droite, quelle position occupe l'individu que vous
9 montrez ?
10 R. La première personne est un policier qui porte une blouse bleue.
11 L'homme dont je parle est le premier à côté de lui.
12 Q. Est-ce que c'est bien celui dont vous parliez en disant qu'il avait
13 emmené votre fille ?
14 R. Oui, c'est bien lui.
15 Q. Madame la Présidente, je souhaiterais que dans le compte rendu soit
16 inscrit que le témoin a reconnu Dragoljub Kunarac.
17 Mme la Présidente (interprétation) : Oui.
18 M. Ryneveld (interprétation) : Pourriez-vous décrire la personne qui était
19 avec Dragoljub Kunarac et qui s'appelait Gaga ?
20 Témoin 192 (interprétation) : C'était un homme qui avait à peu près le
21 même âge que lui.
22 Q. Est-ce qu'il y avait d'autres caractéristiques particulières sur cet
23 individu ?
24 R. Oui. Il n'était pas très grand, il n'était pas plus grand que
25 l'autre. Il avait les cheveux châtains et courts. Il était peut-être un
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1 peu plus petit.
2 Q. Vous avez dit "quand vous avez repris connaissance" ou quelque chose
3 dans ce sens-là. Vous avez donc dit que vous étiez un peu étourdie.
4 R. Oui.
5 Q. Vous avez appris par la suite comment votre fille a été emmenée de
6 l'école de Kalinovik ?
7 R. J'ai posé la question aux femmes plus tard. C'est elles qui
8 m'avaient raconté cela. Ces femmes pleuraient parce que ce soir-là, sept
9 ou huit jeunes filles avaient été enlevées. Les femmes pleuraient, les
10 mères pleuraient. Je ne savais pas tout de suite quel était le nombre de
11 jeunes filles qui avaient été emmenées.
12 On nous avait dit que, ce soir-là, l'homme avait emmené sept jeunes
13 filles. On les a entassées dans une voiture et on les a emmenées.
14 Q. Pourriez-vous regarder à nouveau la liste dans la pièce à
15 conviction P214 ? Et pourriez-vous nous dire, mis à part votre fille qui
16 est enregistrée sous le numéro 191, quelles sont les autres filles qui
17 avaient été emmenées ce soir-là ?
18 R. Il y a donc le numéro 190, puis le numéro 186. Et aussi, ici...
19 Enfin, il y a d'autres jeunes filles qui avaient été emmenées ce soir-là,
20 mais je ne trouve pas leurs chiffres.
21 Q. Il y a une personne où il y a les initiales JG. Est-ce que vous
22 savez si cette personne se trouvait à l'école et si elle avait été
23 emmenée ?
24 R. Oui, elle se trouvait à l'école dans la même salle où je me
25 trouvais. Cette jeune fille avait 13 ans. Elle allait à l'école avec ma
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1 fille cadette. C'était la septième année de l'école. Elle avait été
2 emmenée ce soir-là.
3 Q. Est-ce que vous connaissiez les noms des autres filles qui avaient
4 été emmenées ce soir-là ? Ou bien, elles n'étaient pas de Gacko ?
5 R. Je connaissais les cinq qui étaient de Gacko, mais il y en avait
6 trois autres qui étaient de Kalinovik. Je ne connaissais pas leurs noms.
7 Q. A ma question de savoir si vous avez revu cet individu, vous nous
8 avez dit que vous l'avez revu 2 ou 3 jours plus tard. Est-ce bien la même
9 personne que vous avez identifiée dans ce prétoire comme étant Zaga ?
10 R. Oui.
11 Q. Est-ce qu'il était seul à l'époque ?
12 R. Non.
13 Q. Qui était avec lui ?
14 R. La première fois, il y avait... je n'arrive pas à me souvenir du nom
15 maintenant... oui, Gojko Jankovic. Et il y avait d'autres soldats aussi.
16 Q. Est-ce que vous aviez quoi que ce soit à faire avec eux à cette
17 occasion-là ?
18 R. Oui, je lui ai demandé tout de suite des nouvelles de ma fille et
19 des autres filles. Il m'a répondu qu'elles étaient chez lui.
20 Q. Avez-vous parlé de quoi que ce soit d'autre ? Avez-vous continué la
21 conversation ?
22 R. Il est venu une autre fois par la suite.
23 Q. Et que s'est-il passé à ce moment-là ?
24 R. Cette autre fois où il est venu, Gaga était avec lui. Puis, il y
25 avait aussi une femme menue, blonde, armée. Elle m'a beaucoup provoquée
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1 quand j'ai demandé des nouvelles de ma fille. Elle m'avait beaucoup
2 provoquée. Il y avait d'autres soldats aussi.
3 Je reconnaissais tout de suite cet homme quand il venait. Je lui demandais
4 quand il allait nous ramener nos enfants. Il disait qu'elles étaient chez
5 lui et qu'il n'allait pas nous les ramener.
6 Q. Vous souvenez-vous d'un incident où un policier est venu dans ce
7 gymnase et vous a demandé en vous appelant par votre surnom ?
8 R. Oui, je m'en souviens.
9 Q. Pourriez-vous nous relater cet incident ?
10 R. Une dizaine de personnes sont venues dans la salle, elles me
11 cherchaient. J'avais un vrai nom et un surnom. Elles m'ont cherché d'après
12 mon surnom. Les femmes se taisaient. Nous nous taisions tous.
13 Il a dit que si jamais cette personne ne répondait pas, ils allaient tous
14 nous tuer. Donc je me suis levée. J'ai dit : "Ecoutez, c'est moi, mais ce
15 n'est pas vrai nom, j'ai un autre nom. Et ils m'ont fait sortir pour aller
16 dans une autre pièce. C'était en fait la pièce adjacente de la salle de
17 gym où il y avait des vestiaires. Ils m’ont interrogée. Il y avait Gojko
18 Jankovic et Zaga.
19 Gojko Jankovic m'a demandé si je pouvais reconnaître l’écriture de ma
20 fille. Je lui ai dit que oui. Il a sorti une lettre et quand j'ai vu la
21 lettre, j'ai reconnu l'écriture, mais je n'arrivais pas à lire parce que
22 je tremblais. Donc, il a lu la lettre et il l’a gardée. Ce qui était
23 marqué dans la lettre, c’était : "Maman, je suis bien. Je suis avec
24 d'autres jeunes filles et, s'il te plaît, envoie-moi quelques vêtements".
25 Je lui ai envoyé un peu de vêtements, des sous-vêtements. J'ai posé la
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1 question puisque j'avais un peu d'argent et j’ai dit si je n'allais pas
2 lui envoyer un peu d'argent. Zaga et Gojko m’ont dit que non, elle n'avait
3 pas besoin d'argent.
4 Cependant, ils ont pris cet argent, ils ne lui ont jamais remis cet
5 argent. Mais ils lui ont remis des vêtements.
6 Q. A qui avez-vous donné l'argent et les vêtements pour qu'ils les
7 donnent à votre fille ?
8 R. Les vêtements et l'argent, je l'ai donné à Zaga car il m'a dit que
9 ma fille se trouvait chez lui.
10 Q. Est-ce que vous saviez qui étaient les autres jeunes filles qui se
11 trouvaient au même endroit que votre fille ?
12 R. Il y avait une jeune fille, qui est là sous le chiffre 186, puis
13 cette jeune fille de 13 ans. La petite a ultérieurement été séparée des
14 autres. A la petite, on avait dit qu'on allait la ramener chez sa mère à
15 Kalinovik. Elle n'a pas été ramenée chez sa mère. Elle a été ramenée à
16 Miljevina où il y avait une maison close. Un grand nombre de jeunes filles
17 étaient détenues. Je pense que cet endroit s'appelait la maison Karaman.
18 Cette jeune fille est restée à Miljevina jusqu'en 1993.
19 Q. Quand vous dites "la petite", c'est donc la personne qui avaient les
20 initiales JG ?
21 R. Oui.
22 Q. Vous saviez que le numéro 806 était avec votre fille ?
23 R. Oui.
24 Q. Est-ce que vous saviez où se trouvait la mère de 186 ?
25 R. Sa mère était à Kalinovik mais elle n'était pas dans la même salle
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1 où je me trouvais, elle était dans une autre salle.
2 Q. Est-ce que sa mère est le numéro 185 ?
3 R. Oui.
4 Q. Sachant que 185 se trouvait ailleurs dans le couloir, quand Zaga et
5 Jankovic étaient arrivés avec cette lettre, est-ce que vous les avez
6 emmenés voir le numéro 185 ?
7 R. Gojko m'a demandé où se trouvait la mère de cette personne, de cette
8 jeune fille qui est là enregistrée sous le numéro 186. Et il m'a dit de
9 m’emmener la voir. C’est ce que j’ai fait et je lui ai dit : "Voici, c'est
10 sa mère". Elle lui a dit de ne pas s'inquiéter, qu'elle était chez lui.
11 Q. Quand vous dites "elle", il se référait à 186 ?
12 R. Non, pardon. C'était la jeune fille de cette mère-là. Donc, la jeune
13 fille est le numéro 186 tandis que la mère est enregistrée sous le
14 numéro 185.
15 Q. Vous étiez donc là quand M. Jankovic a dit à 185 que sa fille à
16 elle, numéro 186, était chez lui ?
17 R. Oui.
18 Q. Est-ce que 185 a donné des vêtements pour qu'on les rapporte à sa
19 fille ? Est-ce que vous êtes au courant de cela ?
20 R. Je sais qu'elle lui disait de demander s’il allait prendre des
21 vêtements pour elle. Moi, je suis sortie. Je ne sais pas si elle a préparé
22 des vêtements ni si cet homme a pris des vêtements pour les apporter.
23 Q. Vous avez donné de l'argent à Zaga pour le donner à votre fille.
24 Est-ce que, ce même soir, quelque chose est arrivé à tout l'argent que
25 vous possédiez ?
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1 R. Juste avant le soir, un groupe est arrivé et quand ils sont arrivés,
2 ils nous ont dit : "Sortez tout ce que vous avez, l'argent, les bijoux".
3 Nous avions des bijoux, nous avions de l'argent. Toutes les femmes en
4 avaient. Il y avait des personnes qui avaient essayé de le coudre à
5 l'intérieur des tissus. Je me souviens, ma fille a fait un bandeau et dans
6 lequel elle a cousu de l'argent et des bijoux. Et avant qu’ils n'arrivent,
7 j'ai déchiré cela avec mes dents et j'ai donné tout mon argent et tous mes
8 bijoux.
9 Tous ceux qui en avaient avaient donné ce qu'ils avaient. Moi, j'avais
10 juste gardé un peu dans une poche. J'ai essayé peut-être de le cacher ou
11 de le préparer pour ma fille, mais en tout cas rien n'est resté et de
12 toute façon elle ne l'a jamais reçu.
13 Q. Est-ce qu’on vous a dit ce qui allait vous arriver si vous ne
14 donniez pas les objets de valeur que vous aviez chez vous ?
15 R. Ils nous avaient dit que, si jamais on ne leur donnait pas ça,
16 qu'ils allaient revenir et tout prendre. Si jamais ils retrouvaient
17 quelque chose par la suite, ils allaient tuer la personne chez laquelle
18 ils allaient le trouver. Donc, tout le monde a tout donné.
19 Q. Vous nous avez dit que vous avez vu Zaga à plusieurs reprises. Y
20 avait-il des occasions où des hommes appartenant à l'unité de Zaga étaient
21 venus à l’école, à Kalinovik ? Et si oui, comment saviez-vous que
22 c'étaient des hommes à lui ?
23 R. Je savais que c'étaient des hommes à lui puisqu'ils étaient en sa
24 compagnie. Lui-même, il est venu 3 fois la première fois, le 2 août, quand
25 il a emmené les filles. Par la suite, il est venu encore 2 fois et plus
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1 tard je ne l'ai pas revu.
2 Q. Ces hommes ont-ils continué à venir sans lui ?
3 R. Non, ils ne sont plus revenus.
4 Q. Vous souvenez-vous d'un incident où Zaga est venu avec une femme
5 soldat ?
6 R. C’était bien celle-là. J'ai entendu Zaga l’appeler Jasna ou Jaza.
7 Cette femme s'appelait Jadranka, je crois que son nom de famille était
8 Zdralo.
9 Q. Est-ce que c'était l'occasion où vous avez posé des questions sur
10 l'endroit où se trouvaient les enfants qui avaient été emmenés ?
11 R. Oui, c'est à cette occasion-là que j'ai demandé où étaient. Ils se
12 trouvaient dans la salle et je les ai suivis. J'ai posé la question : "Où
13 sont les enfants ? Quand vont-elles revenir ?" Et il m'a dit qu'elles
14 étaient chez lui et qu'elles n'allaient pas être de retour. J'ai posé la
15 question : "Que va-t-il se passer avec nous ?" Il m'a dit comme ça : "Nous
16 allons vous tuer. Moi, j'ai tué 20 personnes la nuit dernière à
17 Barutnjerac". Là, je n'ai plus rien dit.
18 Cette femme avait un couteau et elle le faisait passer entre ses lèvres.
19 Elle me disait que sa famille était en Croatie sur les lignes de front et
20 que sa famille avait été tuée. Vraiment, pour une femme, atroce !
21 Q. Avez-vous reçu une deuxième lettre à un moment ? Et si oui, de la
22 part de qui ?
23 R. J’ai reçu une lettre de ma fille. Cette lettre a été apportée par
24 Zaga. Dans cette lettre, ma fille a écrit : "Maman, je vais bien, je suis
25 avec d'autres filles. S'il te plaît, prends garde à mon frère et à ma
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1 sœur. Votre fille qui vous aime".
2 Q. Avez-vous eu le droit de garder cette lettre ? A la différence de la
3 première ?
4 R. Oui, cela m'a été permis. Je l’avais gardée mais je l'ai perdue par
5 la suite.
6 Q. Quand Zaga est arrivé avec les soldats, pourriez-vous nous dire qui
7 semblait être à la tête du groupe ?
8 R. Zaga était le chef. Quand je lui posais des questions concernant ma
9 fille, il faisait des indications : il était dans le couloir et, de la
10 fenêtre, il indiquait des choses, il y avait 5 ou 6 soldats et donc il
11 leur indiquait par la fenêtre qu'il fallait cambrioler les garages et
12 prendre des voitures. Et ils sont partis, puis il est resté avec Jadranka
13 et Gaga.
14 Q. Est-ce qu'il avait répondu après, est-ce que vous lui avez répondu
15 quelque chose ?
16 R. Oui, je lui ai dit que nous avons été pillés, qu'on avait pris notre
17 argent et notre or, et il a dit que ce n'étaient pas ses hommes à lui. Je
18 n'arrive pas à me souvenir du nom, je connais le nom, mais maintenant le
19 nom m'échappe.
20 Q. Est-ce que c'était la dernière fois que vous avez vu Zaga à
21 Kalinovik ?
22 R. Oui.
23 Q. Est-ce que vous savez dans quel laps de temps entre le 2 août et
24 donc dans ces 2 ou 3 fois vous avez vu Zaga ?
25 R. Cela s'est passé dans le cadre d'une semaine. Je viens de me
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1 souvenir, quand il m'a dit que ce n'étaient pas ses hommes à lui, mais que
2 les gens qui nous avaient pris notre argent c'étaient des hommes à Cosa.
3 Q. Madame la Présidente, je vois que nous avons le temps, j'aurais
4 encore un quart d'heure ou 20 minutes pour poser des questions, mais je
5 sais que ce témoin est prêt à rester ici pendant la fin de la semaine. Je
6 me remets entièrement à la décision des Juges.
7 (Les Juges se consultent sur le siège.)
8 Il y a bien sûr encore le contre-interrogatoire, une fois que j'aurais
9 fini l'interrogatoire principal.
10 Mme la Présidente (interprétation) : Effectivement, nous devons
11 interrompre nos débats maintenant, nous devons reprendre nos travaux, je
12 ne sais plus quand exactement.
13 M. Ryneveld (interprétation) : Je crois qu’on reprend le 15.
14 Mme la Présidente (interprétation) : Le 15 juin ?
15 M. Ryneveld (interprétation) : Non, non, le 15 mai.
16 Mme la Présidente (interprétation) : Je suis un peu en avance. Fort bien.
17 Nous allons nous retrouver le 15 mai, à 9 heures 30.
18 Madame, il faudra, Madame, que vous reveniez.
19 M. Ryneveld (interprétation) : Permettez-moi d’indiquer que, afin de
20 préparer les semaines suivantes, nous disposons d'une liste des témoins
21 que nous pouvons vous distribuer dès maintenant, ce qui permettra aux
22 Juges et à la partie adverse de connaître les témoins que nous prévoyons
23 pour les prochaines semaines.
24 Mme la Présidente (interprétation) : Dans l'intervalle, l'audience est
25 suspendue.
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1 L'audience est levée à 16 heures.
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