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1 (Mardi 23 octobre 2001.)
2 (Audience publique.)
3 (Jugement en appel.)
4 (L'audience est ouverte à 13 heures 50.)
5 Mme la Présidente (interprétation): Bonjour, Mesdames et Messieurs.
6 La Chambre d'appel de ce Tribunal international, siégeant en application
7 d'une ordonnance portant calendrier, émise le 8 octobre 2001, déclare le
8 jour d'aujourd'hui, 23 octobre 2001, jour du prononcé de l'arrêt rendu par
9 la Chambre d'appel dans l'affaire IT-95-16-A, le Procureur contre Zoran
10 Kupreskic et consorts.
11 Le Greffe mettra à la disposition des parties avant la fin de la
12 présentation des copies du texte de l'arrêt. Pour ma part, je ne lirai pas
13 l'intégralité du texte, mais seulement le dispositif.
14 Conformément à la pratique en vigueur dans ce Tribunal, je me limiterai à
15 résumer le texte. Je souligne néanmoins que le seul texte qui fait foi,
16 s'agissant des conclusions de la Chambre d'appel et de ses motifs, est le
17 texte écrit de l'arrêt.
18 A présent, je voudrais demander aux deux parties de se présenter en
19 commençant par l'accusation.
20 M. Yapa (interprétation): Merci, Madame la Présidente. Je m'appelle M.
21 Yapa. Je comparais ici pour l'accusation avec M. Carmona, M. Fabrizio
22 Gariglia, Mme Boelart-Suominen et Mlle Rashid. M. Wolfgang Sakulin est
23 notre substitut d'audience.
24 Mme la Présidente (interprétation): Je demande maintenant à la défense de
25 se présenter. Vous pouvez commencer, Maître Radovic.
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1 M. Radovic (interprétation): Bonjour Madame la Présidente, je m'appelle
2 Ranko Radovic, je suis le défenseur de Zoran Kupreskic et j'ai à côté de
3 moi Tomislav Pasaric, co-conseil.
4 Mme la Présidente (interprétation): Merci.
5 Mme Slokovic-Glumac (interprétation): Merci, Madame la Présidente. Je
6 m'appelle Jadranka Slokovic-Glumac, je défends Mirjan Kupreskic. Mon co-
7 conseil est Desanka Vranica.
8 M. Abell (interprétation): Bonjour, Madame la Présidente, je comparais ici
9 pour Vladko Kupreskic. Je m'appelle Antony Abell et je comparais avec mon
10 co-conseil, Me John Livingston.
11 M. Pavkovic (interprétation): Bonjour, Madame la Présidente. Je m'appelle
12 Peter Pavkovic, je suis le conseil de la défense de Vladimir Santic.
13 M. Clegg (interprétation): Je m'appelle Williams Clegg et je défends
14 l'appelant Drago Josipovic.
15 Mme la Présidente (interprétation): Merci.
16 J'aimerais maintenant m'assurer que tous les accusés m'entendent bien dans
17 une langue qu'ils comprennent. Pouvez-vous me faire un signe? Merci.
18 Avant de commencer la lecture du résumé de l'arrêt en appel, j'aimerais
19 remercier le Procureur et la défense pour leur coopération pendant cette
20 procédure en appel et j'aimerais également saisir l'occasion pour
21 remercier M. Yapa car c'est la dernière fois qu'il comparaît ici, si je
22 suis bien informée, avant de prendre d'autres fonctions en tant qu'avocat.
23 Je vous remercie.
24 Je commence maintenant la lecture du texte:
25 "A l'aube du 16 avril 1993, les forces croates de Bosnie ont lancé une
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1 attaque surprise contre les habitants musulmans bosniaques d'Ahmici, petit
2 village de Bosnie centrale. La Chambre de première instance a conclu que
3 cette opération était un combat illégal, c'est-à-dire une attaque
4 délibérée des civils musulmans par le conseil croate de défense connu sous
5 le sigle de HVO dans le cadre d'une campagne destinée à nettoyer le
6 village d'Ahmici de ses habitants musulmans bosniaques, en application
7 d'une stratégie de plus grande envergure visant à expulser les Musulmans
8 bosniaques de toute la région de la vallée de la Lasva.
9 Plus précisément, la Chambre de première instance a conclu que plus de 100
10 civils, dont des femmes et des enfants, avaient été tués à Ahmici où 169
11 maisons musulmanes ont été détruites ainsi que deux mosquées.
12 Le Président de la Chambre de première instance a déclaré dans ses
13 conclusions ce qui suit, je cite: 'Les événements du 16 avril 1993 à
14 Ahmici sont incontestablement gravés dans la mémoire collective comme l'un
15 des exemples les plus terribles de l'inhumanité de l'homme envers l'homme.
16 Aujourd'hui le nom de ce petit village vient s'ajouter à la longue liste
17 de hameaux et de villes inconnus auparavant qui symbolisent d'atroces
18 méfaits et nous font tous frémir d'horreur: Dachaux, Oradour-sur-Glane,
19 Katijn, Marzabotto, Soweto, Milaï, Sabra et Shatila et tant d'autres'. Fin
20 de citation.
21 La présente affaire n'est qu'un des procès issus du massacre d'Ahmici.
22 D'autres procès ont concerné des dirigeants civils et militaires de haut
23 rang dans la région.
24 La Chambre de première instance de ce Tribunal a eu devant elle six
25 accusés croates de Bosnie qui habitaient tous Ahmici ou ses environs. Un
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1 seul d'entre eux occupait officiellement un poste de commandement
2 militaire, les autres travaillaient dans la région. Qu'ils aient été
3 propriétaires de magasin, ouvriers d'usine ou autres, ils avaient, lorsque
4 la guerre a éclatén vécu toute leur vie en harmonie avec leurs voisins
5 musulmans.
6 Deux accusés, Zoran et Mirjan Kupreskic, son frère, et un troisième accusé
7 Vlatko Kupreskic et leur cousin. L'un des accusés, Dragan Papic a été à la
8 fin du procès acquitté de toutes les charges pesant contre lui. Les cinq
9 autres accusés ont été condamnés pour persécutions, éléments constitutifs
10 du crime contre l'humanité.
11 Zoran, Mirjan et Vlatko Kupreskic ont été acquittés des autres chefs
12 d'accusation retenus contre eux, à savoir meurtres, traitements cruels ou
13 actes inhumains constitutifs de crimes contre l'humanité ou de violations
14 des lois ou coutumes de la guerre. Ils ont été respectivement condamnés à
15 10, 8 et 6 ans d'emprisonnement.
16 Outre leur condamnation pour persécution, Drago Josipovic et Vladimir
17 Santic ont été jugés coupables sur un chef de meurtres et un chef d'actes
18 inhumains, tous deux constitutifs de crimes contre l'humanité mais
19 acquittés sur un autre chef de meurtres et sur un chef de traitements
20 cruels, constitutif de violation aux lois de coutume de la guerre. Ils ont
21 été respectivement condamnés à 15 et à 25 ans d'emprisonnement.
22 La Chambre d'appel se prononce aujourd'hui sur les appels interjetés
23 contre le Jugement de la Chambre de première instance par le Procureur et
24 chacun des accusés.
25 Le Procureur a fait appel sur la seule question de savoir si la Chambre de
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1 première instance avait commis une erreur en ne condamnant pas Josipovic
2 et Santic pour violation des lois aux coutumes de la guerre, en vertu de
3 l'Article 3 du Statut ainsi que pour crimes contre l'humanité en vertu de
4 l'Article 5 du Statut sur la base du même comportement.
5 Ce prononcé sur la remise en cause de leur condamnation et de leur
6 sentence par les 5 villageois croates de Bosnie jugés coupables par la
7 Chambre de première instance, il y a près de deux ans, a exigé d'examiner
8 de très nombreux faits nouveaux.
9 Le présent arrêt se caractérise également par une procédure préalable
10 extrêmement complexe au cours de laquelle 26 requêtes distinctes déposées
11 en vue de présenter de nouveaux éléments de preuve en appel ont donné lieu
12 à décision en application de l'Article 115 du Règlement de procédure et de
13 preuve de ce Tribunal.
14 La condamnation d'un accusé, Vlatko Kupreskic, s'est appuyée sur une fine
15 toile d'araignée construite à partir des éléments de preuve indirects
16 admis en tant que preuve de sa culpabilité au-delà de tout doute
17 raisonnable.
18 Quant aux 4 autres accusés, leur culpabilité a été déterminée
19 principalement sur la base de la déposition d'un témoin unique qui les a
20 situés à un endroit particulier au moment d'un meurtre ou d'une expulsion.
21 La plupart d'entre eux ont remis en cause les éléments d'identification
22 présentés par les témoins à leur encontre et affirmé que le témoignage
23 critique de ce témoin était "une tige trop mince pour permettre d'établir
24 leur participation dans l'attaque d'Ahmici".
25 Ainsi, la Chambre d'appel s'est vue confrontée à une question qui hante
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1 les juridictions nationales depuis des siècles: dans quelles circonstances
2 est-il raisonnable pour celui qui se prononce sur les faits de s'appuyer
3 sur les éléments d'identification provenant d'un seul témoin?
4 Outre leur constatation principale des éléments de preuve qu'ils
5 considéraient trop faibles pour étayer leur condamnation, plusieurs des
6 accusés ont soulevé d'autres questions davantage liées à la procédure qui,
7 selon eux, jetaient un doute sérieux sur l'équité de leur procès.
8 Ce Tribunal a pour fonction de se prononcer sur la culpabilité ou
9 l'innocence d'individus accusés en appliquant les normes de procédure et
10 de preuve qui s'imposent à toute nation civilisée. Son Statut exige que
11 l'accusé soit informé dans le plus court délai et de façon détaillée de la
12 nature et des motifs de l'accusation portés contre lui et ce, au-delà de
13 tout doute raisonnable, normes adoptées par le Tribunal pour prononcer ces
14 condamnations.
15 Avant toute chose, ce Tribunal s'est efforcé d'appliquer le principe
16 défini par le premier Procureur général de Nuremberg selon lequel "nous
17 avons à établir des événements incroyables grâce à des preuves crédibles".
18 C'est en pensant à ces précautions nécessaires que nous avons examiné le
19 volumineux dossier du procès sur lequel se sont basées les condamnations
20 des cinq accusés comparaissant devant nous pour parvenir à la conclusion
21 suivante.
22 Dans le premier chapitre de notre arrêt, nous examinons les questions
23 générales liées à plusieurs ou à tous les motifs d'appel invoqués par les
24 accusés contre leur condamnation. La Chambre d'appel souligne que son rôle
25 ne consiste pas à réaliser un procès de novo, mais se limite à examiner
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1 précisément les erreurs de droit ou de fait qui auraient pu provoquer une
2 erreur judiciaire. La procédure en appel ne fournit pas aux parties une
3 tribune à partir de laquelle elles peuvent exprimer tous leurs griefs au
4 sujet du procès ou du Jugement, même si ceux-ci n'ont aucun rapport avec
5 les conclusions de la Chambre de première instance.
6 Dans le corps de l'arrêt, nous discutons longuement des normes qui
7 permettent à une Chambre d'appel de réexaminer les faits déjà entendus par
8 une Chambre de première instance. Nous estimons que le moment est venu de
9 discuter en détail de cet aspect du travail de révision. Il est apparu
10 clairement dans un nombre toujours plus important d'arrêts rendus par la
11 Chambre d'appel de ce Tribunal qu'il s'appuie sur l'examen des faits par
12 les Chambres de première instance car, plus le nombre des procédures en
13 appel augmente, plus les questions de droit sont bien résolues.
14 Quant aux circonstances dans lesquelles une Chambre d'appel est appelée à
15 intervenir pour revenir sur le jugement des faits par une Chambre de
16 première instance, nous réaffirmons que la Chambre de première instance
17 doit bénéficier de l'important respect qui lui est dû, la Chambre d'appel
18 n'intervenant que si les éléments de preuve sur lesquels s'est appuyée la
19 Chambre de première instance pouvaient ne pas être admis par tous les
20 tribunaux raisonnables, ou lorsque l'évaluation des éléments de preuve est
21 totalement erronée.
22 Cependant, nous soulignons que l'on s'attend à ce qu'une Chambre de
23 première instance soit particulièrement vigilante par rapport à ce risque
24 d'erreur liée aux éléments d'identification, notamment lorsqu'une
25 identification est réalisée dans des conditions difficiles.
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1 Le dénominateur commun des démarches adoptées par les juridictions
2 nationales un peu partout dans le monde est la nécessité d'apporter la
3 preuve d'une précaution extrême avant de condamner un accusé sur la base
4 de l'identification faite par un seul témoin, même s'il s'agit d'un témoin
5 très confiant et très convaincant.
6 Lorsque la culpabilité est prononcée sur la base d'éléments
7 d'identification fournis par un témoin dans des conditions difficiles, la
8 Chambre de première instance doit rigoureusement s'en tenir à son devoir
9 en fournissant un avis motivé.
10 Au cours de la procédure en appel dans la présente affaire, les normes
11 régissant la révision de l'examen des faits par la Chambre de première
12 instance, à la lumière des éléments de preuve supplémentaires admis au
13 stade de l'appel, a constitué une question importante.
14 Ces dernières années, grâce à l'évolution du climat politique dans
15 certains des Etats issus de l'ex-Yougoslavie, l'ouverture des archives de
16 guerre a pu se faire et des documents inaccessibles aux parties pendant le
17 procès sont devenus accessibles, ce qui a entraîné dans la présente
18 affaire comme dans d'autres procédures en appel soumises à cette Chambre
19 un déluge de requêtes en vue du versement au dossier d'éléments de preuve
20 supplémentaires en application de l'Article 115.
21 La Chambre d'appel saisit donc l'occasion pour faire la lumière sur
22 certaines des normes régissant l'Article 115. C'est tout particulièrement
23 la norme applicable par la Chambre d'appel pour se prononcer de façon
24 définitive sur le fait de savoir si, au vu des éléments de preuve
25 supplémentaire versés au dossier, il y a eu erreur judiciaire qui fait
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1 l'objet d'un débat acharné par les parties à la présente affaire.
2 Après mûres réflexions, la Chambre d'appel s'est prononcée contre la
3 possibilité d'adopter un test provenant de juridictions nationales, tel le
4 test du "aurait ou aurait pu".
5 La norme pertinente est bien celle de savoir si l'appelant a établi
6 qu'aucun Tribunal raisonnable jugeant sur les faits n'aurait pu prononcer
7 la culpabilité en se fondant sur les éléments de preuve présentés à la
8 Chambre de première instance et les éléments de preuve supplémentaires
9 présentés en appel.
10 Venons-en à présent aux appels interjetés contre leur condamnation et leur
11 sentence par les 5 accusés comparaissant individuellement devant nous.
12 D'abord Vladimir Santic.
13 Durant le procès, Vladimir Santic a vigoureusement contesté sa culpabilité
14 en arguant d'une défense d'alibi. Il n'était pas à Ahmici durant l'attaque
15 du 16 avril 1993, a-t-il affirmé. Depuis sa condamnation, Santic a reconnu
16 avoir commandé la 1ère Compagnie du 4e Bataillon de la police militaire du
17 conseil croate de défense, HVO, et avoir appartenu à l'un des groupes qui
18 se sont lancés à l'assaut d'Ahmici, tôt le matin du 16 avril 1993.
19 Néanmoins, il maintient ses objections par rapport aux conclusions de la
20 Chambre de première instance, s'agissant de l'ampleur de sa participation
21 aux événements d'Ahmici.
22 La Chambre d'appel considère que de nombreuses pièces à conviction
23 crédibles, soumises à la Chambre de première instance, démontrent que
24 Santic commandait bien la 1re Compagnie du 4e Bataillon de la police
25 militaire du HVO ainsi que l'unité anti-terroriste connue sous le nom des
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1 Jokeri, créée au sein du 4e Bataillon.
2 C'est pourquoi, compte tenu de la participation de ces unités à l'attaque
3 d'Ahmici, la conclusion de la Chambre de première instance, selon laquelle
4 Santic avait exercé un rôle de commandement durant l'attaque, est
5 raisonnable.
6 La Chambre de première instance, se prononçant sur la sentence, a aussi eu
7 raison de conclure que, dans le cadre de ses fonctions de commandement,
8 Santic avait transmis les ordres relatifs à l'attaque, de ses supérieurs à
9 ses subordonnés.
10 La Chambre d'appel rejette l'affirmation de Santic selon laquelle la
11 déposition du témoin AT, témoin à charge dans l'affaire Kordic, admise en
12 tant qu'élément de preuve supplémentaire au stade de l'appel, jette le
13 doute sur les conclusions de la Chambre de première instance quant au rôle
14 de commandement rempli par Santic. Au terme de la procédure d'appel
15 relative à Santic, le témoin AT n'est pas considéré comme un témoin
16 crédible, dont la déposition serait susceptible d'infirmer les fondements
17 du verdict rendu par la Chambre de première instance.
18 Qui plus est, la Chambre d'appel souligne que le fait que Santic ait
19 introduit un tout nouveau système de défense à l'issu du procès grâce à la
20 déposition du témoin AT doit être abordé avec un scepticisme extrême.
21 Toutefois, la Chambre d'appel admet que la Chambre de première instance a
22 eu tort de conclure au stade de la sentence que Santic avait participé à
23 l'ensemble de la planification stratégique de l'attaque.
24 Plus simplement, pendant le procès, le Procureur n'a fourni aucun élément
25 de preuve indiquant que Santic aurait été l'un des architectes de la
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1 stratégie d'attaque élaborée contre Ahmici, fait qui n'aurait pas dû être
2 intégré dans la décision relative à la sentence prononcée contre lui.
3 Santic a invoqué un autre motif d'appel assez semblable, selon lequel,
4 dans l'Acte d'accusation modifié, il n'était pas accusé d'avoir exercé un
5 commandement ou joué un rôle de commandement durant l'attaque.
6 La Chambre de première instance souligne que, dans l'Acte d'accusation
7 modifié, il eut été préférable que le Procureur accuse Santic d'avoir
8 exercé un commandement plutôt que de l'avoir simplement décrit comme un
9 soldat du HVO.
10 Pourtant, les charges retenues contre lui se fondaient sur sa
11 participation individuelle à l'attaque et non sur la théorie de la
12 responsabilité hiérarchique. S'il est vrai que la Chambre de première
13 instance, au moment de prononcer sa sentence, a tout de même pris en
14 compte son rôle de commandement comme étant une circonstance aggravante,
15 aucune contrainte juridique ne pèse pour autant sur le Procureur qui
16 l'obligerait à inclure ces circonstances aggravantes dans l'Acte
17 d'accusation.
18 Qui plus est, la Chambre d'appel souligne que même sachant que durant le
19 procès, le Procureur avait versé au dossier des éléments de preuve
20 relatifs à son rôle de commandement, Santic n'a fait aucun effort pour les
21 contester. Au lieu de cela, il a continué à se défendre en invoquant un
22 faux alibi.
23 La Chambre d'appel rejette également l'affirmation de Santic selon
24 laquelle la Chambre de première instance lui aurait à tort imputé un rôle
25 actif dans l'attaque visant la maison des Puscul, le matin du 16 avril
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1 1993.
2 Pour des raisons débattues dans le texte intégral de l'arrêt, la
3 déclaration du témoin a été selon laquelle Santic n'avait pas participé à
4 l'attaque, s'étant tenu à l'écart, appuyé contre le mur, n'est pas
5 considérée comme suffisamment fiable pour jeter le doute sur la conclusion
6 de la Chambre de première instance en la matière.
7 Parlons à présent des questions liées à la sentence.
8 Santic a déclaré que depuis sa condamnation, il a admis sa culpabilité et
9 exprimé des remords sincères pour sa participation à l'attaque d'Ahmici,
10 ajoutant qu'il avait coopéré de manière significative avec le Procureur en
11 l'aidant dans ses enquêtes.
12 Le Procureur a confirmé la coopération fournie par Santic. La Chambre
13 d'appel admet que Santic a, dans une certaine mesure, reconnu sa
14 responsabilité s'agissant du rôle qui a été le sien dans l'attaque
15 d'Ahmici. Par ailleurs, même si rien n'est dit dans le Statut ou dans le
16 Règlement de ce Tribunal à ce sujet-là, la Chambre d'appel constate que,
17 dans les cas qui le permettent, la coopération fournie par un accusé dans
18 le laps de temps séparant sa condamnation de son jugement en appel peut
19 justifier une réduction de peine en fonction des circonstances précises et
20 du degré précis de coopération fournie.
21 En l'espèce, nous estimons qu'une réduction de peine se justifie.
22 En bref, nous estimons que la Chambre de première instance n'a eu qu'un
23 seul tort, celui de conclure que Santic avait contribué à planifier
24 l'attaque d'Ahmici sur le plan stratégique, auquel s'est ajouté le fait
25 d'avoir considéré cela comme une circonstance aggravante au moment de
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1 prononcer la sentence.
2 Tenant compte à la fois de l'admission partielle de sa culpabilité par
3 Santic et de sa coopération substantielle avec le Procureur après sa
4 condamnation, la Chambre d'appel considère qu'il mérite une réduction de
5 peine. La Chambre d'appel estime sans fondement tous les autres motifs
6 d'appel invoqués par lui au sujet de sa condamnation et de la durée de sa
7 peine.
8 Deuxième accusé: Drago Josipovic.
9 Drago Josipovic a invoqué quatre motifs d'appel contre sa condamnation.
10 Premièrement, il a déclaré que la Chambre de première instance a eu tort
11 de rendre un verdict de culpabilité pour persécution en s'appuyant sur la
12 déposition du témoin DD qui a déclaré que Josipovic appartenait au groupe
13 ayant attaqué la maison de Nazif Ahmic le 16 avril 1993. Cette attaque
14 n'est pas décrite dans l'Acte d'accusation modifié. Zoran et Mirjan
15 Kupreskic avancent un argument similaire sur lequel nous reviendrons plus
16 tard, s'agissant du caractère trop vague du chef de persécution retenu
17 contre eux dans l'Acte d'accusation modifié.
18 Il est donc bon à ce stade de décrire plus précisément certains des
19 principes généraux qui régissent la façon de plaider devant ce Tribunal.
20 Chacun des accusés traduit devant ce Tribunal a le droit d'être informé de
21 la nature des charges pesant contre lui et des motifs qui les sous-
22 tendent, ainsi que de disposer de suffisamment de temps et de moyen pour
23 bien préparer sa défense.
24 Cette garantie inscrite dans l'Article 21 du Statut du Tribunal est le
25 coeur même du droit de l'accusé à un procès équitable.
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1 En conséquence le Procureur est tenu dans tous les Actes d'accusation de
2 décrire avec suffisamment de détails les faits matériels constitutifs des
3 crimes reprochés à l'accusé de façon à ce que celui-ci soit convenablement
4 informé des allégations retenues contre lui et puisse préparer sa défense.
5 En revanche rien n'exige de dire dans l'Acte d'accusation par quels
6 éléments de preuve la réalité de ces faits matériels sera démontrée. Il
7 est impossible de déterminer abstraitement ce qui constituera précisément
8 un fait matériel à inclure dans l'Acte d'accusation. Chaque fois que le
9 Procureur impute personnellement à un accusé la commission d'un nombre
10 défini d'actes criminels, les faits matériels invoqués recouvrent des
11 questions tel que l'identité de la victime, l'heure et le lieu des
12 événements ainsi que les moyens utilisés pour commettre ces actes.
13 Il peut y avoir des cas où l'échelle trop importante des crimes présumés
14 empêche le Procureur d'inclure des détails aussi précis. Lorsque par
15 exemple le Procureur affirme qu'un accusé -membre d'un peloton
16 d'exécution- a participé à l'assassinat de centaine d'hommes et ou encore
17 que dans l'exercice d'un commandement hiérarchique, un accusé a ordonné
18 l'attaque d'une ville qui a fait des centaines de victimes civiles compte
19 tenu de la nature de telle situation, il n'est pas impératif que chacune
20 des victimes soit identifiée dans l'Acte d'accusation même si le Procureur
21 se doit de réaliser une telle identification dans la mesure de ses
22 possibilités.
23 En l'espèce cependant, la situation ne relève pas de cette catégorie. Les
24 allégations retenues contre Josipovic dans l'Acte d'accusation couvraient
25 un champ très vaste. Il était accusé de persécution au motif qu'il aurait
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1 systématiquement assassiné des Musulmans bosniaques en détruisant tous
2 leurs biens et qu'il aurait mis en détention et expulsé de façon organisée
3 des Musulmans bosniaques résidants dans la région d'Ahmici et de Santici.
4 Cependant durant le procès le Procureur s'est uniquement efforcé de
5 prouver qu'il avait participé à l'attaque de trois maisons musulmanes
6 bosniaques d'Ahmici le 16 avril 1993. Le Procureur aurait pu et dû inclure
7 des détails précis dans l'Acte d'accusation modifié au sujet des quelques
8 attaques dans lesquelles il cherchait à impliquer Josipovic.
9 Chacun admet que la persécution, crime contre l'humanité en vertu de
10 l'Article 5 du Statut du Tribunal est un délit grave souvent composé de
11 plusieurs actes.
12 Cependant ce qu'on appelle l'aspect "parapluie" d'un crime n'exonère pas
13 le Procureur de son obligation de décrire précisément dans l'Acte
14 d'accusation les faits matériels qui étayent l'accusation de persécution,
15 et ce avec autant de détails que pour les autres crimes.
16 Le crime de persécution ne doit pas être considéré comme un fourre-tout
17 recouvrant tout comportement criminel de l'accusé découvert pendant le
18 procès et impossible à inclure sous un autre chef dans l'Acte
19 d'accusation.
20 Le Procureur doit définir de façon précise les faits matériels étayant
21 selon lui le comportement criminel imputé à l'accusé et définir le rôle
22 joué par ce dernier dans ses persécutions. S'il ne parvient pas à le
23 faire, l'Acte d'accusation souffre d'un défaut matériel est entâché
24 d'irrégularités matérielles puisque qu'une telle omission empêche l'accusé
25 de préparer sa défense ou au moins a un effet négatif sur sa capacité à le
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1 faire.
2 La Chambre d'appel estime que la participation présumée à Josipovic à
3 l'attaque des maisons de Musafer Puscul et Nazif Ahmic constitue certes
4 des faits matériels cités par le Procureur à l'appui de son accusation
5 pour persécution.
6 Or il n'a abordé aucune de ces attaques au cours du procès dans le cadre
7 précis du chef de persécution, il aurait dû le faire.
8 La Chambre d'appel n'exclue toute fois pas la possibilité qu'un Acte
9 d'accusation défectueux puisse être amélioré dès lors que le Procureur
10 fournit à l'accusé dans les délais requis des informations claires et
11 cohérentes établissant les faits sur lesquels se fondent les charges
12 portées à son encombre.
13 En l'espèce, la Chambre d'appel admet que Josipovic a été informé
14 suffisamment à l'avance de l'existence d'une accusation faisant de lui un
15 participant à l'attaque de la maison de Musafer Puscul.
16 Cette attaque n'était pas précisément mentionnée dans le chef
17 d'accusation, mais figurait ailleurs dans l'Acte d'accusation modifié pour
18 étayer la charge de meurtre en tant que crime contre l'humanité.
19 Dans ces conditions, la Chambre d'appel estime que le fait de ne pas avoir
20 inclus l'attaque de la maison Puscul dans le chef de persécution n'a pas
21 matériellement entravé la préparation de sa défense par Josipovic.
22 La participation de Josipovic à l'attaque de la maison de Musafer Puscul
23 peut, par conséquent, servir de base à sa condamnation pour persécution.
24 En revanche, la Chambre d'appel estime que Josipovic n'a pas été informé
25 suffisamment à temps de l'existence d'une accusation le présentant comme
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1 un participant à l'attaque de la maison de Nazif Ahmic, entièrement
2 supprimée de l'Acte d'accusation modifié.
3 En raison de quoi, la Chambre d'appel admet l'argument selon lequel la
4 Chambre de première instance n'avait pas la liberté de s'appuyer sur cette
5 participation présumée pour étayer sa condamnation au motif de
6 persécution.
7 Le second motif d'appel avancé par Josipovic consiste à dire que la
8 Chambre de première instance a commis une erreur en admettant la
9 déposition du témoin E considérée comme suffisamment fiable pour fonder la
10 conclusion qu'il aurait participé à l'attaque de la maison de Musafer
11 Puscul.
12 La Chambre de première instance, en particulier, a admis la déposition du
13 témoin EE malgré les erreurs manifestes commises par ce témoin dans son
14 identification de deux autres hommes bien connus d'elle et qui comptaient
15 au nombre des assaillants.
16 Josipovic n'affirme pas que la Chambre de première instance a omis de
17 prendre en compte un aspect matériel du dossier de première instance
18 susceptible de réduire la crédibilité du témoin EE.
19 Au contraire, il apparaît manifestement à la lecture du Jugement de la
20 Chambre de première instance, que celle-ci savait parfaitement que le
21 témoin EE s'était trompée dans l'identification d'au moins deux des six
22 assaillants de la maison Puscul et qu'en dépit de cela, la Chambre a
23 décidé d'admettre son témoignage.
24 En fait, Josipovic demande à la Chambre d'appel de se prononcer de façon
25 différente de la Chambre de première instance sur la crédibilité à
Page 957
1 accorder au témoin EE.
2 Une Chambre de première instance est tout à fait libre de rejeter une
3 partie de la déposition d'un témoin et d'en admettre le reste. En
4 l'espèce, la décision de la Chambre de première instance de prendre en
5 compte l'identification de Josipovic par le témoin EE comme étant l'un des
6 participants à l'attaque de la maison Puscul est appuyée par divers autres
7 éléments du dossier de première instance.
8 Encore plus significatif, la Chambre de première instance a eu sous les
9 yeux des éléments de preuve démontrant la participation de Josipovic à une
10 autre attaque très semblable à celle de la maison Puscul survenue dans la
11 même période et dans la même zone.
12 La Chambre d'appel a déjà décidé que le fait que Josipovic ait participé à
13 l'attaque de la maison de Nazer Ahmic ne peut pas légitimement servir de
14 base à sa condamnation pour persécution parce que cet incident ne figurait
15 pas dans l'Acte d'accusation modifié.
16 Cependant la déposition du témoin DD qui prouve sa participation à cette
17 attaque peut être considérée comme un élément de preuve corroborant la
18 participation de Josipovic à l'attaque de la maison de Musafer Puscul.
19 Josipovic ne met en cause la crédibilité du témoin DD que sur un point: en
20 s'appuyant sur la déclaration du du témoin CA admise en appel comme
21 élément de preuve supplémentaire.
22 La Chambre d'appel n'admet pas que cet élément supplémentaire détruit la
23 crédibilité du témoin DD, au point de fragiliser l'identification faite
24 par lui de Josipovic en tant que l'un des assaillants de la maison de
25 Nazif Ahmic.
Page 958
1 En bref, nous n'avons au stade de l'appel entendu aucun argument
2 susceptible de mettre en évidence une prise en compte déraisonnable de la
3 déposition du témoin DD par la Chambre de première instance en tant
4 qu'élément corroborant la déposition du témoin EE.
5 Autre élément qui permet de croire à la crédibilité du témoin EE, c'est
6 l'aveux fait ultérieurement par Santic de sa présence pendant l'attaque de
7 la maison Puscul qui démontre que le témoin AA a eu raison précédemment de
8 l'identifier comme l'un des membres du groupe d'assaillants.
9 La Chambre d'appel ne voit aucune justification à s'ingérer dans
10 l'évaluation faite par la Chambre de première instance de la crédibilité
11 du témoin EE. Elle ne trouve aucune raison de contredire la conclusion de
12 la Chambre de première instance selon laquelle Josipovic a participé à
13 l'attaque de la maison Puscul.
14 Le quatrième motif d'appel invoqué par Josipovic consiste à déclarer que
15 l'élément de preuve supplémentaire provenant du témoin AT et admis par la
16 Chambre d'appel au titre de l'Article 115 permet de remettre en cause le
17 bien-fondé de sa condamnation.
18 Devant la Chambre de première instance chargée de l'affaire Kordic, le
19 témoin AT a témoigné avoir été présent au cours de l'attaque de la maison
20 de Musafer Puscul, affirmant que le témoin EE s'était trompée lorsqu'elle
21 avait identifié une troisième personne comme l'un des assaillants de la
22 maison de Musafer Puscul. Le témoin AT a aussi affirmé catégoriquement que
23 Josipovic ne faisait pas partie du groupe.
24 La Chambre d'appel rejette l'argument de Josipovic selon lequel ce nouvel
25 élément de preuve réduit à néant la conclusion de la Chambre de première
Page 959
1 instance, confirmant sa participation à l'attaque.
2 En admettant la déposition du témoin AT, la Chambre d'appel a souligné
3 qu'elle était crédible s'agissant de la préparation et de la planification
4 de l'attaque d'Ahmici.
5 Toutefois, la Chambre d'appel accorde crédit à la Chambre de première
6 instance Kordic qui a déterminé que le témoin AT n'avait pas dit toute la
7 vérité quant à l'importance de sa participation propre à cette attaque.
8 La Chambre d'appel conclut que lorsque la déposions du témoin AT porte sur
9 d'autres participants à l'attaque, elle n'est pas non plus totalement
10 fiable. Josipovic n'a pas réussi à établir qu'aucun tribunal raisonnable
11 jugeant les faits n'aurait pu conclure à la culpabilité en s'appuyant sur
12 les éléments de preuve soumis à la Chambre de première instance, ainsi que
13 sur les nouveaux éléments de preuve versés au dossier au stade de l'appel.
14 Bien que Josipovic ait officiellement abandonné ce motif d'appel durant la
15 procédure en deuxième instance, la Chambre d'appel affirme néanmoins que,
16 dans l'intérêt de la justice, il importe de se demander si la Chambre de
17 première instance a disposé d'éléments suffisants pour justifier la
18 conclusion qui était la sienne, à savoir que Josipovic a exercé un
19 commandement sur des soldats durant l'attaque d'Ahmici.
20 A notre avis, il n'y avait pas dans le dossier de première instance
21 suffisamment d'éléments de preuve et la Chambre a commis une erreur en se
22 prononçant dans ce sens.
23 Donc, s'agissant de Josipovic, nous déclarons que la Chambre de première
24 instance s'est trompée seulement sur deux points: en prononçant la
25 condamnation pour persécution fondée en partie sur le rôle de Josipovic
Page 960
1 dans l'attaque de la maison de Nazif Ahmic, absente de l'Acte d'accusation
2 modifié; et en considérant comme un fait l'exercice d'un commandement par
3 Josipovic vis-à-vis d'autres soldats participant à cette attaque.
4 Pour ces raisons, la Chambre d'appel estime que la sentence imposée à
5 Josipovic doit être réduite. La Chambre d'appel considère infondés tous
6 les autres motifs d'appels invoqués par Josipovic pour remettre en cause
7 sa condamnation et sa sentence.
8 Autres accusés, Zoran et Mirjan Kupreskic.
9 Tout au long du procès, de même que dans le jugement en première instance,
10 les frères Mirjan et Zoran Kupreskic sont intimement liés l'un à l'autre,
11 accusés qu'ils sont d'une même participation présumée aux événements
12 d'Ahmici. Leur pourvoi en appel soulève un bon nombre de questions
13 identiques qui justifient donc de le traiter conjointement.
14 Zoran et Mirjan Kupreskic affirment que la Chambre de première instance a
15 eu tort de les condamner pour persécution sur la base de faits matériels
16 ne figurant pas dans l'Acte d'accusation modifié. La Chambre de première
17 instance a notamment admis la déposition du témoin H qui déclarait que les
18 deux frères se trouvaient dans la maison de Suhret Ahmic peu de temps
19 après que ce dernier et Meho Hrstanovic aient été tués, et quelques temps
20 avant que les occupants, survivants de la maison, ne se fassent expulser
21 de celle-ci et qu'on y mette le feu.
22 L'Acte d'accusation modifié ne dit mot de la participation présumée de
23 Zoran et de Mirjan Kupreskic à ces événements le 16 avril 1993.
24 Les principes régissant les débats d'un procès décrits précédemment
25 s'appliquent ici également. L'attaque de la maison de Suhret Ahmic était
Page 961
1 un fait matériel invoqué à l'appui des accusations du Procureur contre
2 Zoran et Mirjan Kupreskic. Durant le procès, cette attaque a constitué
3 l'un des deux seuls incidents à la participation desquels le Procureur
4 associe les deux frères ce jour funeste.
5 La Chambre de première instance a cependant rejeté leur participation à la
6 deuxième attaque et, de ce fait, leur implication dans l'attaque de la
7 maison de Suhret Ahmic est devenu le noeud de sa condamnation pour
8 persécution.
9 L'omission de la moindre référence à l'attaque de la maison Ahmic dans
10 l'Acte d'accusation modifié ne pouvait que constituer une erreur
11 matérielle.
12 La Chambre d'appel fait observer que le Procureur a délibérément choisi,
13 pour ne par retarder le procès, de ne pas modifier encore l'Acte
14 d'accusation pour y inclure l'attaque de la maison de Suhret Ahmic. Le
15 souci d'un procès rapide ne doit jamais l'emporter sur le droit
16 fondamental d'un accusé à un procès équitable.
17 La Chambre d'appel doit donc conclure que le procès en première instance
18 de ces deux accusés a donc été rendu inéquitable par les vices constatés
19 dans l'Acte d'accusation modifié.
20 La Chambre d'appel n'est en particulier pas convaincue par les arguments
21 de l'accusation selon lesquels tous ces vices auraient été éliminés
22 puisque Zoran et Mirjan Kupreskic ont été informés dans les délais requis
23 avant le procès de l'existence d'allégations les impliquant dans l'attaque
24 de la maison de Suhret Ahmic.
25 Le mémoire préalable au procès, sur lequel l'accusation s'est tant appuyée
Page 962
1 en deuxième instance, est très général et ne fait aucune référence
2 particulière à une attaque ou à un meurtre impliquant les frères
3 Kupreskic. Même dans son propos liminaire, à l'ouverture du procès, le
4 Procureur n'a rien dit de l'attaque de la maison de Suhret Ahmic. En fait,
5 l'avant-dernier jour du procès, le Président de la Chambre s'efforçait
6 encore de comprendre quelle était exactement la pertinence de la
7 déposition du témoin H dans les accusations retenues contre Zoran et
8 Mirjan Kupreskic.
9 Par ailleurs, la défense n'a cessé tout au long des débats en première
10 instance de s'élever contre la forme de l'Acte d'accusation modifié. En
11 l'espèce, la rédaction très vague du chef de persécution dans l'Acte
12 d'accusation modifié pose crucialement le problème de la garantie qu'un
13 Acte d'accusation est censé fournir à un accusé en l'informant des charges
14 dont il va devoir répondre.
15 La Chambre d'appel ayant retenu les objections de Zoran et Mirjan
16 Kupreskic quant à la rédaction trop vague de l'Acte d'accusation modifié,
17 s'est posé la question de savoir si la meilleure solution ne consisterait
18 pas à renvoyer l'affaire en première instance.
19 Il serait compréhensible qu'une Chambre de première instance montre
20 quelques réticences à permettre qu'un vice de forme dans l'Acte
21 d'accusation détermine finalement la conclusion d'une affaire dans
22 laquelle des éléments de preuve puissants existent pour conclure à la
23 culpabilité des accusés.
24 Cependant, Zoran et Mirjan Kupreskic ont élevé de nombreuses objections
25 par rapport aux conclusions sur les faits de la Chambre de première
Page 963
1 instance qui réduisent à néant les preuves appuyant leur condamnation.
2 Nous nous proposons à présent de revenir sur ces objections.
3 La première de leurs préoccupations vient du fait que le témoin H, qui
4 avait 13 ans à l'époque de l'attaque d'Ahmici et 18 ans lorsqu'elle a
5 témoigné en première instance, n'est pas un témoin suffisamment fiable
6 pour justifier de conclure par son biais à leur participation à l'attaque
7 de la maison de Suhret Ahmic.
8 La décision de la Chambre de première instance d'admettre la déposition du
9 témoin H a été largement influencée par la confiance en elle de ce témoin
10 dans le prétoire et par la certitude qu'elle avait d'avoir correctement
11 identifié les frères Kupreskic ce matin-là. Il n'y a eu aucun autre
12 élément de preuve jugé crédible par la Chambre de première instance qui
13 ait corroboré directement les observations du témoin H.
14 Le témoin H est une jeune femme qui, à la veille du massacre commis en
15 avril 1993 à Ahmici, assumait de lourdes responsabilités quant à la survie
16 de sa famille et a indéniablement fait preuve d'un courage qui illustre
17 bien sa déposition devant la Chambre de première instance. Il n'est pas
18 surprenant qu'un témoin ait fait énorme impression sur la Chambre de
19 première instance dans un sens positif.
20 Cependant, ayant revu cette déposition avec le plus grand soin, la Chambre
21 d'appel se doit de conclure que l'évaluation par la Chambre de première
22 instance est entachée d'irrégularités majeures quant à l'évaluation de la
23 déposition du témoin H.
24 C'est un témoin qui dit avoir identifié les accusés dans des circonstances
25 extrêmement difficiles. Les assaillants ont déferlé sur sa maison dans les
Page 964
1 premières heures de la matinée, alors qu'elle-même et les autres membres
2 de la famille étaient endormis. Son père a été tué pendant qu'elle-même et
3 les autres occupants de la maison se cachaient dans la cave. Les
4 assaillants avaient le visage recouvert de peinture qui leur servait de
5 camouflage.
6 Dans de telles conditions, il était indispensable que la Chambre de
7 première instance procède avec extrême précaution avant d'admettre les
8 éléments d'identification fournis par le témoin H comme base de leur
9 conclusion que les accusés avaient participé à l'attaque de la maison de
10 Suhret Ahmic.
11 Même si le témoin H s'est avéré un témoin empli de confiance et faisant
12 grande impression au procès, aucune Chambre de première instance ne doit
13 oublier le fait que, s'agissant des éléments d'identification, le degré de
14 certitude exprimé par un témoin n'est pas nécessairement représentatif de
15 la fiabilité de ses dires.
16 Une Chambre de première instance doit étudier avec attention le dossier
17 complet des preuves avant de se prononcer sur la crédibilité d'un témoin.
18 Ces précautions ne sont pas suffisamment manifestes dans le traitement
19 dont a bénéficié la déposition du témoin H.
20 Plus significatif encore, la Chambre de première instance n'a absolument
21 pas pris en compte une autre preuve matérielle, à savoir les déclarations
22 du témoin SA, proche parent du témoin H, également présent au moment de
23 l'attaque de la maison de Suhret Ahmic.
24 Tout au long du procès, Zoran et Mirjan Kupreskic ont insisté pour que le
25 témoin SA soit citée à comparaître. Ils affirmaient qu'elle était le seul
Page 965
1 témoin oculaire capable de faire la lumière sur les événements survenus
2 dans la maison des Ahmic, et que les déclarations précédentes de ce témoin
3 permettaient de semer le doute sur des aspects importants de la déposition
4 du témoin H au cours du procès.
5 Au début, il a semblé que le Procureur allait citer le témoin SA à la
6 barre. Plus tard, le Procureur ayant abandonné cette idée, la Chambre de
7 première instance, consciente que les frères Kupreskic n'avaient guère de
8 chances d'obtenir sa comparution en qualité de témoin de la défense, a
9 cité le témoin SA en tant que témoin de la Chambre.
10 Cependant, la Chambre de première instance a annulé cette décision
11 lorsqu'un membre de l'unité du Tribunal chargée de l'aide aux témoins et
12 aux victimes lui a appris que le témoin SA ne pourrait pas venir pour des
13 raisons de santé.
14 En agissant de la sorte, la Chambre de première instance a versé dans
15 l'erreur. Même si le Règlement de ce Tribunal octroie un grand pouvoir
16 discrétionnaire aux Juges de première instance s'agissant de décider qui
17 ils citeront en qualité de témoin de la Chambre, la Chambre de première
18 instance n'aurait pas dû, ayant convoqué le témoin SA, revenir sur sa
19 décision au détriment de la défense sans avoir reçu un certificat délivré
20 par un professionnel qualifié de la médecine démontrant l'incapacité
21 médicale du témoin à comparaître.
22 S'efforçant de compenser la non-comparution du témoin SA devant le
23 Tribunal, la Chambre de première instance a décidé d'admettre six de ces
24 déclarations écrites antérieures. Le jugement en première instance révèle
25 cependant qu'elle a examiné ces six déclarations dans le contexte étroit
Page 966
1 consistant à déterminer si elles étayaient la déposition du témoin H.
2 La Chambre de première instance n'a pas franchi un pas critique,
3 consistant à se demander si les déclarations du témoin SA permettaient de
4 mettre en doute les éléments d'identification fournis par le témoin H. La
5 Chambre d'appel dit que tel est bien cas.
6 Entre autres choses, ces déclarations permettent tout à fait de penser que
7 l'identification par le témoin H de Zoran et davantage encore de Mirjan
8 Kupreskic en tant que participants à l'attaque de sa maison a
9 progressivement pris corps au cours des mois suivant les atrocités d'avril
10 1993. Le dossier du procès révèle qu'immédiatement après l'attaque d'avril
11 1993, la participation de leurs voisins croates à cette attaque a fait
12 l'objet d'intenses spéculations de la part des habitants musulmans
13 bosniaques d'Ahmici, et notamment des membres de la famille du témoin H.
14 La Chambre de première instance aurait dû envisager la possibilité que le
15 témoin, encore un enfant à l'époque, ait été influencé dans son
16 identification tardive par les spéculations qui circulaient dans son
17 milieu familiale.
18 La Chambre de première instance n'a pas non plus pris à compte les
19 contradictions matérielles existant entre les dépositions du témoin H au
20 cours du procès et une autre déclaration faite antérieurement par ce même
21 témoin H qui, entre autres, permettent de douter de sa prétention à avoir
22 eu la possibilité d'identifier Zoran et Mirjan Kupreskic au cours de
23 l'attaque ce matin-là.
24 Par ailleurs, les déclarations du témoin SA n'apportent aucun soutien au
25 témoin H lorsqu'elle prétend avoir eu cette possibilité-là.
Page 967
1 La Chambre de première instance a omis de se prononcer sur les faits liés
2 à cette question cruciale ainsi qu'à d'autres qui permettent de mettre en
3 doute la crédibilité du témoin H comme, par exemple, les dénégations
4 spontanées quand on lui parle d'une déclaration faite précédemment par
5 elle dans un sens contraire devant un juge d'instruction de Zenica, ou
6 encore le fait qu'elle affirme à tort avoir reconnu Zoran Kupreskic dans
7 le vendeur d'un magasin fréquenté par elle.
8 La Chambre de première instance ne dit rien non plus de la probabilité
9 très nette, compte tenu de la description faite par le témoin H de
10 l'aspect physique des frères Kupreskic ce jour-là, qu'elle ait pu les
11 confondre avec deux membres de l'unité des Jockery à laquelle ils
12 n'appartenaient pas.
13 Nous estimons que la Chambre de première instance n'a pas accordé
14 l'attention suffisante à ces éléments d'identification cruciaux pour nous
15 permettre de conclure qu'elle a rempli l'obligation qui est la sienne de
16 fournir un avis motivé.
17 La Chambre d'appel a également profité du nouvel élément de preuve apporté
18 par le témoin AT qui a éclairé certains aspects de l'organisation de
19 l'attaque d'Ahmici en faisant la lumière sur certaines des difficultés
20 dues au traitement réservé à la déposition du témoin H par la Chambre de
21 première instance.
22 La Chambre de première instance n'a pas eu la tâche facile dans cette
23 affaire. Il lui a fallu traiter de problèmes dus à un dossier d'instance
24 contenant d'importantes omissions, tel le témoignage en direct du témoin
25 SA, témoin oculaire clé, très lié au témoin H, et dont les déclarations
Page 968
1 pouvaient faire naître des doutes sur certains aspects de la déposition du
2 témoin H.
3 Une Chambre de première instance doit procéder avec beaucoup de
4 précautions lorsqu'elle condamne un accusé sur la base d'un dossier
5 renfermant des omissions manifestes. La difficulté à obtenir tous les
6 éléments de preuve pertinents malheureusement inhérente à tant d'affaires
7 jugées par ce Tribunal ne doit pas réduire la nécessité pour le Procureur
8 de prouver la culpabilité de l'accusé au delà de tout doute raisonnable.
9 Pour récapituler, nous rappelons que les frères Kupreskic ont été lésés en
10 raison d'abord du fait que le Procureur n'a pas retenu contre eux dans
11 l'Acte d'accusation modifié l'attaque de la maison du témoin H et en
12 second lieu en raison de la divulgation tardive des déclarations
13 antérieures de ce témoin. La défense n'a eu que quelques semaines pour
14 préparer son contre-interrogatoire de ce témoin qui s'est avéré être la
15 pierre angulaire des présomptions visant les accusés.
16 Si on laisse de côté la déposition du témoin H, les accusations contre
17 Zoran et Mirjan Kupreskic tombent d'elles-mêmes. La Chambre de première
18 instance a obtenu du témoin JJ quelques assistantes pour juger de la
19 participation de Zoran Kupreskic à l'attaque d'Ahmici.
20 Selon ce témoin, Zoran Kupreskic aurait dit que le jour de l'attaque
21 d'Ahmici et sous la menace du Jokeri, il aurait tiré en l'air pour faire
22 semblant de tirer sur des civils. Cependant, en l'absence de la déposition
23 du témoin H, les propos du témoin JJ ne sont pas une base suffisante pour
24 imputer à Zoran Kupreskic une responsabilité criminelle.
25 Finalement la Chambre d'appel ne trouve aucun fondement à l'appui de la
Page 969
1 conclusion de la Chambre de première instance qui fait de Zoran et Mirjan
2 Kupreskic les participants à une campagne de persécution dont le début
3 remonterait à octobre 1992. La Chambre de première instance ne décrit en
4 rien le comportement illégal imputé aux accusés dans la période allant
5 d'octobre 1992 au 15 avril 1993 alors qu'ils sont présumés avoir participé
6 à la réalisation de l'attaque du 16 avril 1993. Donc cette conclusion doit
7 être rejetée au motif de l'absence de preuve pour l'étayer.
8 Globalement, la Chambre d'appel déclare que la condamnation de Zoran et
9 Mirjan Kupreskic a entraîné une erreur judiciaire et doit être annulée.
10 Vlatko Kupreskic:
11 Des 5 accusés comparaissant devant la Chambre d'appel, Vlatko Kupreskic
12 est celui contre lequel les éléments de preuves fournis à l'appui de sa
13 condamnation sont le moins convaincants.
14 Le Procureur n'affirmait pas qu'il a directement participé à une attaque
15 déterminée d'une quelconque maison musulmane de Bosnie le matin du 16
16 avril 1993. En fait, sa condamnation s'appuie sur un réseau de preuves
17 indirectes fondé sur l'affirmation de la Chambre de première instance
18 selon laquelle il était policier en service. C'est cela qui a amené la
19 Chambre de première instance à conclure qu'il avait aidé et encouragé ceux
20 qui préparaient l'attaque d'Ahmici.
21 Vlatko Kupreskic affirme en appel que les conclusions de la Chambre de
22 première instance sur les faits qui font de lui un participant à l'attaque
23 ne sont, pour commencer, prouvées par aucun élément de preuve et
24 deuxièmement les nouveaux éléments de preuve admis en appel ne font que
25 souligner encore davantage la fragilité des accusations portées contre
Page 970
1 lui.
2 Nous admettons que sur la base du dossier d'instance, il était raisonnable
3 que la Chambre de première instance conclut que Vlatko Kupreskic était
4 officier de police. Le Jugement de première instance permet de penser que
5 cette conclusion a joué un rôle important dans la décision de la Chambre
6 de première instance de le condamner pour persécution. La Chambre de
7 première instance a déduit que sa situation d'officier de police
8 n'impliquant aucune culpabilité en soi, que son comportement a consisté à
9 encourager et soutenir moralement le crime de persécution. Toutefois, au
10 vu de l'ensemble des éléments de preuve, c'est-à-dire le dossier
11 d'instance et les éléments admis en appel, force est de constater que les
12 fonctions de policier de Vlatko Kupreskic quelles qu'elles aient été, ont
13 pris fin en février 1993. Aucun élément de preuve ne permet de se
14 convaincre que cet emploi dans les forces de police a duré jusqu'à la date
15 d'Ahmici en avril 1993.
16 Quant à la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle
17 Vlatko Kupreskic aurait aidé les assaillants en faisant de sa maison une
18 base pour les troupes d'assaut, nous admettons qu'elle était également
19 raisonnable si elle se fonde sur le seul dossier des preuves en première
20 instance.
21 Quatre sources différentes évoquent des mouvements de troupes dans la
22 maison de l'accusé et autour de celle-ci mais la Chambre d'appel a admis
23 de nouveaux éléments de preuve en rapport avec ce point. La déposition du
24 témoin ADA déclarant qu'il était assis sur les flans d'une colline située
25 en face du magasin de Vlatko Kupreskic pendant toute l'après-midi et le
Page 971
1 début de soirée du 15 avril et qu'il n'a vu ni Vlatko Kupreskic ni le
2 moindre mouvement de troupes n'était pas très convaincante.
3 La déposition du témoin AT qui affirme que le plan de l'attaque d'Ahmici
4 n'a été dévoilé que l'après-midi du 15 avril 1993 et les troupes n'ont été
5 déployés aux abords du Bungalow que tard dans la nuit du 15 au 16 avril
6 1993 rend très improbable la possibilité que d'autres hommes aient pu être
7 envoyés dans la maison de Vlatko Kupreskic plus tôt dans la journée afin
8 de se préparer à l'attaque. Par conséquent, la Chambre d'appel se doit de
9 conclure à l'existence d'un doute sérieux quant à l'éventualité que, tôt
10 dans la soirée du 15 avril, il y a eu des soldats dans la maison de Vlatko
11 Kupreskic en train de préparer l'attaque du lendemain matin.
12 Les autres éléments de preuve contre Vlatko Kupreskic ne fournissent pas
13 une base suffisante pour conclure qu'il a aidé et encouragé les
14 persécutions. Durant le procès, un témoin a déclaré sous serment qu'en
15 octobre 1992 il avait vu Vlatiko Kupreskic décharger des armes de sa
16 voiture et les emporter à l'intérieur de sa maison. Aucun élément de
17 preuve n'a démontré que ces armes dont la nature ou le nombre n'ont pas
18 été dévoilés, aient jamais été utilisées pendant l'attaque du 16 avril
19 1993, c'est-à-dire six mois plus tard ou aient eu le moindre rapport avec
20 cette attaque.
21 La Chambre d'appel estime qu'il était déraisonnable pour la Chambre de
22 première instance de s'appuyer sur des preuves aussi maigres pour déduire
23 que Vlatko Kupreskic avait commis des actes précisément destinés à aider,
24 encourager ou soutenir moralement les auteurs de persécutions contre les
25 habitants musulmans, quelque 6 mois plus tard.
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1 La Chambre de première instance a conclu également à la présence de Vlatko
2 Kupreskic dans les environs de la maison de Suhret Ahmic peu de temps
3 après l'attaque de celle-ci. Elle conclut par conséquent qu'il était prêt
4 à aider les assaillants de n'importe quelle manière et notamment grâce à
5 sa connaissance de la région. Cette conclusion s'appuyait sur la
6 déposition du témoin H corroborée par celle du témoin KL qui affirment
7 avoir vu Vlatko Kupreskic après l'attaque de la maison des Ahmic devant la
8 porte du garage.
9 La Chambre d'appel estime que cet élément de preuve, même si on y croit,
10 ne suffit pas à fonder la conclusion de la Chambre de première instance
11 selon laquelle Vlatko Kupreskic a aidé les assaillants. Il vivait dans le
12 village et compte tenu de la petitesse de l'endroit, il est risqué de
13 prononcer la culpabilité en s'appuyant simplement sur le fait qu'une
14 personne aurait été vue sur les lieux d'une attaque, surtout lorsque ce
15 lieu est proche de sa maison. Cela n'est qu'une preuve indirecte assez
16 faible de sa participation à l'attaque mais ne suffit pas à fonder une
17 condamnation pour persécution.
18 Nous concluons globalement que les accusations retenues contre Vlatko
19 Kupreskic ont débouché sur une erreur judiciaire et doivent donc être
20 contredites.
21 Parlons maintenant de l'appel interjeté par le Procureur. La question la
22 moins indiscutable devant la Chambre d'appel a été l'affirmation du
23 Procureur selon laquelle la Chambre de première instance avait fait erreur
24 en n'introduisant pas les accusations contre Josipovic et Santic dans le
25 cadre de l'Article 3 et en tenant compte du même comportement dans le
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1 cadre de l'Article 5 du Statut du Tribunal dans la période écoulée entre
2 le prononcé du Jugement en première instance et les audiences en appel, le
3 problème du cumul des charges et des condamnations a été éclairci
4 considérablement grâce à la jurisprudence du Tribunal.
5 Suite aux arrêts en appel dans les affaires Celebici et Jelisic, il est
6 absolument incontestable aujourd'hui que le cumul des charges est en
7 général autorisé et que le cumul des condamnations en application de
8 l'Article 3 et de l'Article 5 est autorisé.
9 Nous maintenons l'appel du Procureur et estimons que la Chambre de
10 première instance acommis une erreur en ne condamnant pas Josipovic et
11 Santic pour meurtre et traitement cruel en tant qu'éléments constitutifs
12 des violations des lois ou coutumes de la guerre en application de
13 l'Article 3 du Statut.
14 Cependantn compte tenu des peines d'emprisonnement prononcées, ces
15 condamnations supplémentaires ne sont pas considérées comme une base
16 suffisante pour modifier la sentence dans un sens ou dans l'autre.
17 J'en arrive au dispositif de cet arrêt en appel.
18 Appel interjeté par Zoran et Mirjan Kupreskci par rapport à leur
19 déclaration de culpabilité.
20 Ayant statué à l'unanimité, la Chambre d'appel fait droit au moyen d'appel
21 par lequel Zoran et Mirjan Kupreskic s'opposent à la décision de la
22 Chambre de première instance de prononcer les décisions de culpabilité
23 sous le chef 1 de l'Acte d'accusation modifié sur la base de faits
24 matériels qui n'y étaient pas allégués, à savoir la participation à
25 l'attaque de la maison de Suhret Ahmic le 16 avril 1993.
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1 Fait droit au moyen d'appel par lequel Zoran et Mirjan Kupreskic
2 s'opposent à la décision de la Chambre de première instance de se fonder
3 sur l'identification par le témoin H pour conclure que Zoran et Mirjan
4 Kupreskic on participé à l'attaque de la maison de Suhret Ahmic le 16
5 avril 1993, et ont de ce fait commis un acte de persécution visé sous le
6 chef 1 de l'Acte d'accusation modifié.
7 Fait droit, au vu des nouveaux éléments de preuve admis en appel, au moyen
8 d'appel par lequel Zoran et Mirjan Kupreskic s'opposent à la conclusion de
9 la Chambre de première instance selon laquelle ils auraient mis à
10 disposition leur connaissance des lieux et offert leur maison comme base
11 aux forces qui ont attaqué Ahmici le 16 avril 1993, et commis de ce fait
12 un acte de persécution visé par le chef 1 de l'Acte d'accusation modifié.
13 Fait droit au moyen d'appel par lequel Zoran Kupreskic s'oppose à la
14 conclusion de la Chambre de première instance qui lui impute la
15 responsabilité criminelle de persécution remontant à octobre 1992 et visée
16 au chef 1 de l'Acte d'accusation modifié et déclare que cette conclusion
17 vaut également pour Mirjan Kupreskic.
18 Rejette ou refuse d'examiner tous les autres moyens d'appel soulevés par
19 Zoran et Mirjan Kupreskic.
20 Par conséquent, la Chambre de première instance annule les déclarations de
21 culpabilité prononcées à l'encontre de Zoran Kupreskic et Mirjan Kupreskic
22 en raison des persécutions visées sous le chef 1 de l'Acte d'accusation
23 modifié et déclare que Zoran Kupreskic et Mirjan Kupreskic ne sont pas
24 coupables de ce chef.
25 Appel de la déclaration de culpabilité interjeté par Vlatko Kupreskic.
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1 Ayant statué à l'unanimité, la Chambre d'appel fait droit, vu les nouveaux
2 éléments de preuve admis en appel au moyen d'appel par lequel Vlatko
3 Kupreskic s'oppose à la conclusion de la Chambre de première instance
4 selon laquelle il était l'officier chargé des opérations pour la
5 prévention des crimes touchant à l'intérêt de l'Etat lorsque l'attaque
6 d'Ahmici s'est produite le 16 avril 1993.
7 Fait droit au moyen d'appel par lequel Vlatko Kupreskic s'oppose à la
8 conclusion de la Chambre de première instance, affirmant qu'il aurait aidé
9 à l'attaque d'Ahmici le 16 avril 1993 en déchargeant des armes de son
10 véhicule en octobre 1992 et se serait de ce fait rendu complice de
11 persécution visé par le chef 1 de l'Acte d'accusation modifié.
12 Fait droit au moyen d'appel par lequel Vlatko Kupreskic s'oppose à la
13 déduction de la Chambre de première instance selon laquelle, du simple
14 fait de sa présence devant l'hôtel Vitez vers 14 ou 15 heures le 15 avril
15 1993, il se serait rendu complice de persécutions visé au chef 1 de l'Acte
16 d'accusation modifié.
17 Fait droit, au vu des nouveaux éléments de preuve admis en appel, au moyen
18 d'appel par lequel Vlatko Kupreskic s'oppose à la conclusion de la Chambre
19 de première instance selon laquelle des troupes se seraient trouvées chez
20 lui au début de la soirée du 15 avril 1993, et qu'en prêtant ainsi sa
21 maison comme zone de déploiement d'attaque aux forces impliquées, il se
22 serait rendu complice au titre du chef 1 de l'Acte d'accusation modifié.
23 Fait droit au moyen d'appel par lequel Vlatko Kupreskic s'oppose à la
24 déduction de la Chambre de première instance selon laquelle sur la foi
25 d'un témoignage affirmant qu'il se trouvait à proximité de la maison de
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1 Suhret Ahmic après l'attaque de celle-ci, le 16 avril 1993, il était prêt
2 à porter assistance aux forces impliquées dans l'attaque et qu'il se
3 serait de ce fait rendu complice de persécution visé au chef 1 de l'Acte
4 d'accusation modifié.
5 Par conséquent, la Chambre d'appel annule la déclaration de culpabilité de
6 Vlatko Kupreskic vis-à-vis des persécutions visées au chef 1 de l'Acte
7 d'accusation modifié et le déclare non coupable de ce chef.
8 Appel interjeté par Drago Josipovic de la déclaration de culpabilité et de
9 la peine. Déclaration de culpabilité.
10 Ayant statué à l'unanimité, la Chambre d'appel fait droit aux moyens
11 d'appel par lequel Drago Josipovic s'oppose à la décision de la Chambre de
12 première instance de prononcer des déclarations de culpabilité au chef 1
13 de l'Acte d'accusation modifié en se fondant sur les faits matériels qui
14 n'y sont pas allégués, à savoir la participation à l'attaque de la maison
15 de Nazif Ahmic, mais conclut qu'aucune réparation ne s'ensuit, sauf pour
16 ce qui concerne sa peine abordée ci-dessous.
17 Fait droit aux moyens d'appel par lequel Drago Josipovic s'oppose à la
18 déduction de la Chambre de première instance selon laquelle il occupait un
19 poste de commandement pendant l'attaque d'Ahmici le 16 avril 1993.
20 Rejette tous les autres moyens d'appel interjeté par Drago Josipovic par
21 rapport à sa culpabilité.
22 Par conséquent, la Chambre d'appel confirme les déclarations de
23 culpabilité prononcées par la Chambre de première instance contre Drago
24 Josipovic au titre des chefs 1, 16 et 18 de l'Acte d'accusation modifié;
25 les ajustements apportés à sa peine sont exposés ci-dessous.
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1 Ayant statué à l'unanimité, la Chambre d'appel, étant parvenue à la
2 conclusion que la Chambre de première instance avait eu tort de conclure
3 que Drago Josipovic avait joué un rôle dirigeant pendant l'attaque de la
4 maison de Nazif Ahmic, conclut que la Chambre de première instance a versé
5 dans l'erreur en retenant ce fait comme circonstance aggravante de la
6 peine de Drago Josipovic.
7 Ayant conclu que la Chambre de première instance s'était fourvoyée en
8 considérant que la participation de Drago Josipovic de l'attaque dans la
9 maison de Nazif Ahmic faisait partie de sa déclaration de culpabilité au
10 chef 1, conclut que les motifs de la déclaration de culpabilité de Drago
11 Josipovic au chef 1 sont à présent réduits.
12 (Arrêt de l'interprétation.)
13 En application de l'article 101 C) du Règlement, toute personne retenue
14 coupable a droit à la déduction de la durée de sa détention préventive en
15 attendant d'être remis au Tribunal ou en attendant d'être jugé par une
16 Chambre de première instance ou par la Chambre d'appel.
17 Par conséquent, Drago Josipovic et Vladimir Santic ont droit à voir
18 déduire de leur peine le temps qu'ils ont passé en détention depuis qu'ils
19 se sont livrés au Tribunal le 6 octobre 1997.
20 Conformément aux articles 103 C) et 107 du Règlement, la Chambre d'appel
21 ordonne que Drago Josipovic et Vladimir Santic restent sous la garde du
22 Tribunal international jusqu'à ce que soient déterminées de façon
23 définitive les dispositions relatives à leur transfert dans l'Etat ou les
24 Etats où ils purgeront leur peine respective.
25 En application de l'Article 99 A) du Règlement, la Chambre d'appel ordonne
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1 que Zoran Kupreskic, Mirjan Kupreskic et Vlatko Kupreskic soient
2 immédiatement libérés du quartier pénitentiaire des Nations Unies.
3 La Chambre d'appel rend maintenant public les motifs de cet arrêt.
4 M. Z. Kupreskic (interprétation): Madame la Présidente, est-ce que je peux
5 dire quelque chose?
6 Mme la Présidente (interprétation): (Hors micro.)
7 (Arrêt de l'interprétation)
8 (L'audience est levée à 14 heures 48.)
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