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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-16-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Mardi 18 août 1998
4 L'audience est ouverte à 09 heures 35.
5 (Le témoin est introduit dans le prétoire.)
6 Mme le Greffier. - Affaire IT-95-16-T. Le Procureur du Tribunal
7 contre Zoran Kupreskic, Mirjan Kupreskic, Vlatko Kupreskic,
8 Drago Josipovic, Dragan Papic et Vladimir Santic alias Vlado.
9 M. le Président (interprétation). - Bonjour.
10 Maître Moskowitz, vous pouvez reprendre votre interrogatoire
11 principal bien entendu, mais j'aimerais vous prier vous-même et le témoin
12 également d'avoir la gentillesse de bien vouloir parler un peu plus
13 lentement, notamment à la fin de vos questions, il serait bon que le
14 témoin attende quelques secondes avant de répondre de façon à ce que
15 l'interprétation puisse se faire sans accrocs vers le serbe et le
16 français.
17 M. Moskowitz (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
18 Colonel Watters, hier soir nous en sommes restés au moment où
19 vous décriviez la situation que vous avez vécue le matin du 16 avril 1993
20 au siège, au quartier général de Vitez où vous receviez des informations
21 qui vous parlaient de combats et de coups de feu. Est-ce que vous pourriez
22 nous dire une nouvelle fois de quelle nature étaient ces rapports que vous
23 receviez ce matin-là lorsque vous vous trouviez dans votre quartier
24 général de Vitez ?
25 M. Watters (interprétation). - Oui, Monsieur. Les premiers
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1 rapports que nous avons reçus venaient de positions statiques et il y
2 avait dans ces rapports un rapport émanant d'un escadron néerlandais qui
3 était basé près de Santici, c'était une base logistique qui se trouvait
4 non loin de Vitez. Toutes ces informations, tous ces rapports nous
5 parlaient de combats importants, d'un grand nombre de maisons incendiées
6 en amont et en aval de la vallée de la Lasva.
7 Ce qui était le plus étrange pour nous, c'étaient des
8 informations nous disant qu'il y avait eu d'importants échanges de
9 mortiers et de nombreux obus : 200 à 300 obus ont été tirés ce matin-là
10 dans la région de Vitez.
11 M. Moskowitz (interprétation). - A ce moment-là, alors que vous
12 receviez ces rapports, est-ce que vous aviez une idée assez claire de la
13 situation ?
14 M. Watters (interprétation). - Non, non, non, Monsieur. Au
15 départ, nous ne pouvions même pas imaginer ce qui se passait dans les
16 premières heures du 16 avril, l'importance des combats nous a pris
17 totalement par surprise : comme je l'ai déjà dit, à ce moment-là nous
18 étions plutôt concentrés sur la région de Tuzla et les combats entre les
19 Serbes et l'armée de Bosnie-Herzégovine en Bosnie orientale. Nous
20 travaillions à l'évacuation des blessés et des morts de Srebenica ;
21 c'était cela qui était notre tâche principale.
22 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que vous avez alors pris
23 des mesures pour tenter de déterminer ce qui se passait dans la réalité ?
24 Je sais qu'hier vous nous avez parlé de missions de reconnaissance, mais
25 dans ma question actuelle je vous demande si vous avez pris des mesures
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1 personnellement pour tenter de savoir ce qui se passait dans la vallée de
2 la Lasva.
3 M. Watters (interprétation). - Vers 8 heures ou
4 8 heures et demie à peu près, j'ai décidé de partir moi-même en patrouille
5 de façon à me faire une idée plus précise de ce qui se passait sur la base
6 des rapports reçus des personnes qui effectuaient les reconnaissances.
7 M. Moskowitz (interprétation). - Mais est-ce qu'il était
8 inhabituel pour vous de quitter la salle des opérations alors que votre
9 commandant, votre supérieur n'était pas présent dans la salle des
10 opérations ?
11 M. Watters (interprétation). - C'était assez inhabituel en
12 effet, Monsieur, mais étant donné que mon supérieur était à Zenica, c'est
13 moi qui étais de facto le commandant sur place et j'ai eu le sentiment
14 qu'il me fallait en apprendre davantage quant à ce qui se passait sur le
15 terrain.
16 M. Moskowitz (interprétation). - Qu'avez-vous fait ?
17 M. Watters (interprétation). - J'ai pris un Warrior, c'est un
18 blindé, et j'ai demandé l'aide de plusieurs hommes d'une patrouille. Nous
19 étions trois ou quatre blindés au total et nous sommes allés dans la
20 direction de Vitez, le long de la vallée. Je pense que nous avons tourné
21 vers Jelinak, nous avons pris la direction de Busovaca ; je ne suis pas
22 absolument sûr de cela mais en tout cas je sais que nous avons descendu la
23 vallée et puis nous sommes passés par Vitez pour contacter le commandant
24 de brigade des forces du HVO à Vitez et le commandant de la ville des
25 forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine à Vitez.
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1 M. Moskowitz (interprétation). - Alors que vous vous dirigiez
2 vers la ville de Vitez, est-ce que vous pouvez nous décrire ce que vous
3 avez vu en chemin ? Et peut-être serait-il bon dans votre déposition, avec
4 l'autorisation de la Chambre, que vous vous approchiez de la pièce à
5 conviction numéro 1 qui est une carte de grand taille de la vallée de
6 la Lasva, et que vous nous décriviez ce que vous avez vu sur la route que
7 vous avez suivie le long de la vallée de la Lasva, si cela ne vous ennuie
8 pas. Oui, vous pouvez vous approcher de la carte.
9 M. Watters (interprétation). - Eh bien, je suis sorti de notre
10 base, l'école de Bila, et j'ai pris la route menant vers Vitez,
11 l'embranchement de droite pour rentrer dans la ville de Vitez. Je suis
12 passé devant notre base logistique qui se trouve ici, et j'ai continué
13 dans la direction de la ville. Et à partir d'ici j'ai vu de grandes
14 quantités de fumée qui provenaient du centre de la ville mais il n'y avait
15 aucun signe de combats en périphérie.
16 Et j'ai donc continué mon chemin et puis nous sommes arrivés à
17 un certain moment à l'arrière du quartier musulman de Vitez, de
18 Stari Vitez. Là, les coups de feu que recevaient nos véhicules étaient
19 nombreux au fur et à mesure que nous nous approchions de l'interface entre
20 la
21 partie croate et la partie musulmane de la ville, et lorsque nous avons
22 passé la ligne de combat, ici, le contraste a été tout à fait saisissant.
23 Le centre de Vitez, Stari Vitez avait vraiment l'aspect d'un champ de
24 bataille et il y avait des roquettes qui tombaient un peu partout sur les
25 maisons, de nombreuses traces de balle sur les façades des maisons, des
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1 cadavres jonchant les rues, des cadavres penchés sur les fenêtres, pliés
2 en deux par dessus l'appui de la fenêtre. Je me souviens très bien. Nous
3 avons vu sept à dix corps dans cette partie de la ville.
4 Je n'ai pris aucun virage ni à droite ni à gauche parce qu'une
5 fois que la tourelle de nos blindés est fermée, nous n'avons pas un champ
6 de vision très important et nous avions peur d'endommager les maisons.
7 Donc nous avons continué tout droit et nous avons pénétré dans la maison,
8 et il était tout à fait manifeste qu'au niveau de l'hôtel Vitez se
9 trouvait une autre ligne de combats.
10 Quand nous sommes sortis du quartier musulman pour entrer dans
11 la deuxième partie croate de la ville, je le répète, le contraste était de
12 nouveau tout à fait saisissant parce que, dans la deuxième partie croate
13 de la ville, il n'y avait plus aucun signe de combats, plus aucune
14 destruction. En fait, le sentiment que l'on avait était tout à fait
15 bizarre à ce moment-là. Nous avons continué à traverser la ville pour
16 atteindre le haut de la ville de Vitez qui était tout à fait désert. Il
17 n'y avait pas eu de combats à ce niveau-là.
18 Ensuite, j'ai poursuivi mon chemin, passé sur le pont jusqu'au
19 carrefour, et remonté dans la direction de Dubravica et vers le haut de la
20 vallée, de ce côté de la carte, en tout cas. Nous sommes passés devant
21 quelques maisons de Santici pour atteindre la base de transport des
22 Nations Unies qui se trouvait ici, et, à cet endroit, des flammes
23 s'échappaient de toutes les maisons dans la zone d'Ahmici. Je suis passé
24 ici, au niveau du cimetière, en descendant la colline avant de tourner à
25 droite et là, j'ai vu au niveau du cimetière quatre ou cinq corps de femme
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1 alignés les uns à côté des autres.
2 J'ai continué mon chemin, je ne sais pas exactement jusqu'où je
3 suis allé, peut-être
4 jusqu'au carrefour de Busovaca ou même encore plus loin jusqu'au carrefour
5 de Jelinak, mais en tout cas à un certain moment j'ai fait demi-tour et je
6 suis revenu, et sur le chemin du retour j'ai décidé d'aller visiter les
7 deux commandants de Vitez pour savoir, pour apprendre ce qui s'était
8 passé.
9 Je suis donc allé voir le commandant du HVO ,de la brigade HVO,
10 qui se trouvait au cinéma. Son nom est Mario Cerkez. Je suis allé à son
11 quartier général, je l'ai rencontré. Nous avons discuté de ce que j'avais
12 vu et de ce qui se passait et il n'a pas arrêté de me dire que la
13 situation était très confuse.
14 M. Moskowitz (interprétation). - Permettez-moi de vous
15 interrompre une minute, si vous voulez bien. Sur la base des informations
16 que vous receviez et que.. vous aviez reçu des missions de reconnaissance,
17 et sur la base des observations personnelles que vous avez faites, en
18 traversant la vallée de la Lasva à bord de votre blindé, après avoir vu
19 donc les destructions que vous avez vues, est-ce que vous avez tiré une
20 première conclusion quant à ce qui se passait en fait dans la vallée de
21 la Lasva , le matin du 16 avril ?
22 M. Watters (interprétation). - Oui, en effet et j'ai confronté
23 Mario Cerkez à cette conclusion. J'ai eu là l'impression que nous étions
24 en présence d'une attaque préemptive des forces du HVO contre les villages
25 musulmans et les forces musulmanes dans la vallée de la Lasva. Et il ne
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1 fait aucun doute que nous-mêmes et les Musulmans avons été pris par
2 surprise au moment de cette attaque. J'en ai parlé d'ailleurs avec le
3 commandant de l'armée de Bosnie-Herzégovine à Vitez lorsque je l'ai
4 rencontré, il était en état de choc.
5 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez dit que vous avez vu
6 des cadavres. Avez-vous une idée du nombre de cadavres que vous avez vus
7 pendant votre voyage rapide dans la vallée de la Lasva ?
8 M. Watters (interprétation). - Vingt ou trente cadavres sur les
9 routes, dans les champs ou à l'extérieur des maisons. Et l'impression très
10 durable qui m’est restée, c'est que tous ces cadavres étaient habillés en
11 civil. Ils ne portaient pas l'uniforme, c'était donc tout à fait choquant.
12 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce qu'ils étaient des
13 deux sexes ?
14 M. Watters (interprétation). - Oui, hommes, femmes et enfants.
15 Nous avons vu des enfants dans les champs, en particulier à ce niveau-là.
16 M. Moskowitz (interprétation). - Dans la direction d'Ahmici, aux
17 alentours d'Ahmici ?
18 M. Watters (interprétation). - Oui, à peu près ici.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Vous pointez où ?
20 M. Watters (interprétation). - Je parle de la. zone d'Ahmici qui
21 est la plus proche de la route.
22 M. Moskowitz (interprétation). - Je crois que vous avez dit
23 avoir vu quatre corps aux abords du cimetière. Est-ce que quoi que ce soit
24 quant à la façon dont ces corps étaient alignés vous a suscité une idée
25 particulière ?
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1 M. May (interprétation). - Je crois que le témoin a dit "sept ou
2 huit" lorsqu'il a parlé de Stari Vitez. Combien y avait-il de cadavres au
3 niveau du cimetière ?
4 M. Watters (interprétation). - Je crois que c'était quatre,
5 Monsieur..
6 M. May (interprétation). - Ah, quatre, donc c'est moi qui ai
7 fait erreur.
8 M. Watters (interprétation). - Ils étaient non loin d'une maison
9 et ils étaient alignés les uns à côté des autres. Plus tard, dans la
10 journée, quand je suis repassé à cet endroit, quelqu'un avait mis une
11 couverture sur ces cadavres, mais en tout cas lorsque je les ai vus pour
12 la première fois, ils étaient alignés de façon très ordonnée les uns à
13 côté des autres. En tout cas, l'impact que cela a eu sur moi-même et sur
14 les soldats a été très important.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Peut-être y a-t-il une
16 confusion qu'il vaudrait la peine de lever ? Ces corps qui se trouvaient
17 de part et d'autre de la route, il y en avait en face du cimetière, mais
18 vous avez vu aussi d'autres corps pendant votre voyage dans la vallée de
19 la Lasva, n'est-ce pas ?
20 M. Watters (interprétation). - Oui nous avons vu des corps de
21 chaque côté de la route. Mais ce dont je viens de parler était juste à
22 côté de mon blindé, c’est pour cela que l'impact a été plus important sur
23 nous.
24 M. Moskowitz (interprétation). – Je crois comprendre que vous
25 n'êtes pas descendu de vos blindés pour fouiller à pied la zone.
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1 M. Watters (interprétation). - Non, parce qu'il y avait pas mal
2 de coups de feu tirés, j'ai donc décidé que ce n'était pas prudent mais je
3 l’ai fait. Je suis descendu de mon blindé lorsque nous sommes revenus à
4 Vitez et lorsque j'ai rencontré les deux commandants. En fait, mon Warrior
5 a essuyé plusieurs coups de feu ce matin-là, ce qui ne constituait pas un
6 réel danger parce que c'est un blindé, un véhicule très bien protégé.
7 M. Moskowitz (interprétation). – Mais c'était sans doute une
8 raison…
9 M. Watters (interprétation). – Une raison suffisante pour ne pas
10 en sortir.
11 M. Moskowitz (interprétation). – Merci Colonel Watters, vous
12 pouvez vous rasseoir. Donc, vous nous parliez de votre rencontre avec le
13 commandant du HVO. Je crois que vous avez cité son nom et qu'il s'appelait
14 Cerkez, n’est-ce pas ?
15 M. Watters (interprétation). - Mario Cerkez.
16 M. Moskowitz (interprétation). – Pouvez-vous nous parler de
17 cette rencontre ?
18 M. Watters (interprétation). - Je suis allé à son quartier
19 général avec l'officier de liaison, chargé des liaisons avec lui, le
20 capitaine Dan Swarty. Nous avons parlé de ce qui se passait, et je lui ai
21 demandé de rappeler ses forces et de cesser l'attaque, car nous avions...
22 nous constations de façon manifeste que c'était les forces croates, les
23 forces du HVO qui étaient responsables de cette attaque. Il a accepté de
24 nous rencontrer à midi à notre quartier général pour participer à une
25 conférence de cessez-le-feu avec les forces musulmanes que nous avons
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1 organisée.
2 M. Moskowitz (interprétation). – Et plus tard dans la journée,
3 est-ce que vous avez participé à plusieurs conférences de cessez-le-feu,
4 qui ont été moins que satisfaisantes ?
5 M. Watters (interprétation). - La conférence de cessez-le-feu
6 qui s'est tenue à midi ce jour-là n'a rien changé en dépit du fait que
7 nous avons signé un papier, que nous nous sommes mis d'accord sur
8 l'échange de prisonniers et de blessés et sur l'arrêt des coups de feu.
9 Cela n'a rien changé à la situation jusqu'au matin du 17 avril lors d'une
10 réunion dirigée par le colonel Stewart.
11 C’est après cette première conférence, à midi, le 16, que nous
12 avons décidé d'agir en fait, et que nous avons décidé d'aller patrouiller
13 dans les villages pour essayer d'en extraire les civils, et pour essayer
14 d'imposer le cessez-le-feu par la force des armes en évacuant donc les
15 civils.
16 M. Moskowitz (interprétation). – C'est à ce moment-là que le
17 coeur de la mission dont vous étiez investis, dont nous avons parlé hier,
18 s'est modifié, c'est-à-dire que votre mission principale n'a plus vraiment
19 consisté à distribuer l'aide humanitaire mais qu'elle s'est transformée
20 pour devenir plus active du point de vue de la protection des civils.
21 M. Watters (interprétation). - Je n'y avais pas pensé dans ces
22 termes à l'époque, mais c'était effectivement une période de transition,
23 probablement.
24 M. Moskowitz (interprétation). – Est-ce que vous êtes retourné à
25 Ahmici le 16 ?
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1 M. Watters (interprétation). - Non. Le 16, après la première
2 conférence de paix ou de cessez-le-feu, il faut dire que l'armée de
3 Bosnie-Herzégovine, pour accepter le cessez-le-feu, avait posé comme
4 condition, entre autres, que leurs blessés de Kruscica soient récupérés.
5 Ils n'avaient pas de médecin à Kruscica en effet, et n'avaient aucun moyen
6 pour soigner ces blessés. Donc, ils nous ont demandés si nous acceptions
7 d'évacuer leurs blessés de Kruscica et les forces du HVO ont donné leur
8 accord à cette opération.
9 Donc, j'ai conduit une patrouille à Kruscica le soir du 16 dans
10 le but de récupérer les blessés et de les emmener jusqu'à un centre
11 médical musulman à Travnik.
12 M. Moskowitz (interprétation). – J'aimerais appeler votre
13 attention, mais j'ai une autre question à vous poser d'abord.
14 M. Watters (interprétation). - J'aimerais ajouter quelques mots
15 à ce que je viens de dire. Il y avait des combats qui se déroulaient tout
16 le long de la vallée de la Lasva jusqu'à une heure tardive le 16, et des
17 coups de feu sporadiques, des maisons incendiées dans la plus grande
18 partie de la vallée. Mais les plus grandes concentrations de feu se
19 trouvaient à Kruscica et à Vitez. C'est là qu'il y a eu la plus grande
20 résistance de la part des forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine.
21 Donc, d'un point de vue de commandement, nous avons décidé de
22 concentrer nos efforts sur ces deux villes et notamment d'aller voir s'il
23 y avait des blessés ou qui que ce soit qui avait besoin d'aide dans ces
24 deux endroits.
25 M. Moskowitz (interprétation). – Merci. Deux jours plus tard,
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1 le 18, est-ce que vous vous trouviez dans la salle des opérations au
2 quartier général de Vitez, à votre quartier général de Vitez ce jour-là ?
3 M. Watters (interprétation). - Oui, de temps à autres.
4 M. Moskowitz (interprétation). – Vous rappelez-vous quelque
5 chose d'inhabituel qui se serait passé ce jour-là à Stari Vitez ? Quelque
6 chose de surprenant ?
7 M. Watters (interprétation). - Oui, quelque chose d'assez
8 catastrophique d'après les nouvelles que nous avons reçues. On nous a
9 parlé d'une explosion importante à Stari Vitez, pas loin de la mosquée. Au
10 départ, nous ne savions pas à quoi était due cette explosion. J'ai donc
11 envoyé une compagnie à Vitez pour voir ce qui s'était passé, et lorsque
12 cette compagnie est revenue, elle nous a dit qu'un véhicule de grande
13 taille avait explosé dans le centre de Vitez et qu'il y avait à peu près
14 30 maisons qui avaient été détruites par cette explosion. A ce moment-là,
15 je crois que nous pensions qu'il y avait six morts, huit blessés graves et
16 un grand nombre de blessés plus légers.
17 M. Moskowitz (interprétation). – Pouvez-vous nous dire ce qu’est
18 un "VBID" ?
19 M. Watters (interprétation). - C'est une arme qui a été inventée
20 par l'IRA provisoire en Irlande du Nord au début des années 70. En fait,
21 c'est un camion piégé, c'est-à-dire que vous bourrez d'explosifs un
22 véhicule et vous y mettez un détonateur, c'est une arme de terreur.
23 M. Moskowitz (interprétation). - Qu'est-ce que vous entendez par
24 "arme de terreur" ?
25 M. Watters (interprétation). - C'est une arme employée -en tout
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1 cas d'après l'expérience que j'ai acquise en Irlande du Nord- c'est une
2 arme qui était utilisée par les terroristes de façon à briser la volonté
3 de la population, terroriser la population, paralyser la population.
4 M. Moskowitz (interprétation). - Quel pouvait être l'objectif
5 d'une bombe de ce genre le 18 avril à Vitez, d'après vous ? Et je vous
6 demande votre avis en tant que militaire.
7 M. Watters (interprétation). - Eh bien, il y avait eu une
8 accalmie dans les combats. Les forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine
9 tenaient encore à Kruscica et à Vitez. Le 3e Corps de l'armée de Bosnie-
10 Herzégovine commençait à se renforcer et à préparer une contre-attaque. Et
11 je crois que le camion piégé a été utilisé à Stari Vitez dans le but
12 d'effectuer une espèce de percée dans cette accalmie, dans cette paralysie
13 des combats.
14 C'est une bombe, vous savez, qui est tout à fait terrorisante,
15 qui frappe de façon indiscriminée un grand nombre de personnes à la fois
16 et qui peut servir à chasser telle ou telle population d'une ville, par
17 exemple.
18 M. Moskowitz (interprétation). - Mais quelle était la population
19 qui était visée et que l'on voulait faire sortir de la ville ?
20 M. Watters (interprétation). - La population civile qui était
21 totalement traumatisée. Et même les militaires, d'ailleurs, l'étaient à ce
22 moment-là. Cent-trente personnes ont perdu leur maison, leur maison a été
23 détruite et 400 personnes environ ce soir-là ont quitté Stari Vitez pour
24 chercher refuge ailleurs.
25 M. Moskowitz (interprétation). - Stari Vitez, pouvez-vous nous
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1 redire ce qu'était ce quartier ? Est-ce qu'il était exclusivement
2 musulman ?
3 M. Watters (interprétation). - Oui, pratiquement, pratiquement
4 peuplé uniquement de Musulmans.
5 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez mentionné des actes
6 de terreur destinés à envoyer un message. Est-ce qu'il y a eu d'autres
7 actes de terreur le lendemain, le 19 avril ?
8 M. Watters (interprétation). - Oui, en effet. Il y a eu des
9 coups de feu, 8 tirs d'un canon lourd ont été tirés au centre de Zenica et
10 je décrirai cela comme une attaque stratégique.
11 M. Moskowitz (interprétation). - Qu'entendez-vous par là ?
12 M. Watters (interprétation). - L'arme utilisée à Vitez aurait pu
13 être placée par n'importe qui, qui n'avait pas une connaissance
14 particulière dans tel ou tel domaine mais, pour tirer une arme
15 d'artillerie de calibre important, cela ne pouvait être que le fait du
16 HVO, et tirer 8 fois sur Vitez était un acte délibéré du commandement
17 régional de Vitez. Ce n'était plus l'utilisation d'une arme de terreur qui
18 aurait pu être utilisée par n'importe qui.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que vous pouvez nous
20 donner une idée de la distance à partir de laquelle les obus ont été tirés
21 dans la direction de Vitez et nous dire à peu près quel était le calibre ?
22 M. Watters (interprétation). - Je ne peux pas le prouver, mais
23 les enquêteurs des Nations Unies envoyés à Vitez ont parlé de calibre
24 important.
25 M. May (interprétation). - Excusez-moi de vous interrompre
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1 encore une fois, mais
2 il me semble que le témoin parle de Zenica. Il n'a pas parlé de Vitez.
3 M. Moskowitz (interprétation). - Ah oui, je parlais de Vitez,
4 peut-être faudrait-il éclaircir ?
5 M. May (interprétation). - Je vous en prie.
6 M. Moskowitz (interprétation). - Pourriez-vous je vous prie nous
7 dire encore une fois quelle était la cible de cette attaque du 19 au soir,
8 nous dire quelle était la nature de cette cible et nous dire de façon
9 générale d'où provenaient les obus approximativement ?
10 M. Watters (interprétation). - La cible visée le 19 était la
11 ville de Zenica qui est une ville... qui était une ville largement peuplée
12 de Musulmans et où se trouvait le quartier général du 3e Corps d'armée de
13 l'armée de Bosnie-Herzégovine. C'est ce 3e Corps d'armée qui était sorti
14 des enclaves musulmanes situées à l'Est de la Bosnie le 19 dans la journée
15 et s'était déplacé pour organiser une contre-attaque contre le HVO dans la
16 vallée de la Lasva. J'ai donc parlé des 3... des 8, pardon, chargeurs de
17 canon qui... des 8 obus qui ont été tirés sur la ville de Zenica, qui ont
18 forcé pas mal de gens à quitter la ville.
19 Je ne me rappelle pas le nombre exact. Nous avons reçu des
20 informations selon lesquelles en tout cas ces canons étaient des canons du
21 HVO. On les appelait "Nora", je crois, des canons de gros calibre 150 mm
22 qui étaient utilisés par le HVO et qui ont donc frappé la ville de Zenica.
23 C'était un message tout à fait clair envoyé au 3e Corps d'armée
24 musulman et aux forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine.
25 M. Moskowitz (interprétation). - J'aimerais si vous le voulez
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1 bien que vous nous montriez où se trouve Zenica sur la carte ? Est-ce que
2 c'est cette grande ville qui se trouve au bout de la route de montagne que
3 vous nous avez montrée hier ?
4 M. Watters (interprétation). - Oui, c'est à peu près à cet
5 endroit sur la carte.
6 M. Moskowitz (interprétation). - Donc si l'on suit la route de
7 montagne, on arrive à
8 Zenica ? C'est bien ce que vous nous dites ?
9 M. Watters (interprétation). - Oui Monsieur.
10 M. Moskowitz (interprétation). - C'est une ville assez
11 importante, de 100 000 habitants à peu près ?
12 M. Watters (interprétation). - Oui, c'est une ville, un grand
13 centre métallurgique. C'était un grand centre métallurgique dans l'ex-
14 Yougoslavie.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Avant le 22 avril, et j'appelle
16 votre attention sur cette date, donc avant le 22 avril, est-ce que vous
17 vous étiez concentrés sur le village d'Ahmici ?
18 M. Watters (interprétation). - Du point de vue du commandement,
19 non. Nous avons eu des patrouilles qui se sont rendues à Ahmici et une
20 patrouille notamment a rapporté, je crois, 16 femmes et enfants qui
21 avaient été évacués sous des tirs. Ces personnes-là étaient derrière une
22 montagne de terre, un talus, et ils ont ramené ces 16 personnes à Travnik,
23 je crois. C'est un incident d'Ahmici dont je me souviens. Nous avons eu
24 des comptes rendus selon lesquels des personnes auraient été tuées à
25 Ahmici, et dans d'autres villages de la vallée de la Lasva.
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1 Nous avons également entendu des rapports d'atrocités commises
2 par des forces musulmanes contre des Croates, dans des villages croates.
3 Nous avons également procédé à des enquêtes là-dessus et nous avons trouvé
4 des cadavres dans certains de ces villages croates, mais pas à la même
5 échelle que nous avons constaté dans certains villages musulmans.
6 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce qu'on pourrait dire
7 qu'une des raisons qui explique qu'avant le 22 avril le village d'Ahmici
8 n'a pas attiré votre attention pendant ces événements tragiques, qu'une
9 des raisons est que, selon vos renseignements, il n'y avait pas
10 véritablement d'armée de Bosnie-Herzégovine à Ahmici ou dans les environs
11 immédiats d'Ahmici ?
12 M. Watters (interprétation). - Les deux centres de l'armée de
13 Bosnie-Herzégovine
14 que nous connaissions étaient à Vitez et à Kruscica. Nous ne connaissions
15 pas de concentration de forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine dans
16 d'autres villages. Il y avait des soldats qui revenaient des lignes de
17 front, qui habitaient dans ces villages mais il n'y avait pas
18 d'installations militaires dans ces villages.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Des casernes ?
20 M. Watters (interprétation). - Non.
21 M. Moskowitz (interprétation). - Ce type d'installation ?
22 M. Watters (interprétation). - Non. Et cela a été démontré par
23 le fait qu'il n'y avait pas de combats dans ces villages ; les combats se
24 sont produits violemment le matin du 16 et à part Kruscica et Vitez, il y
25 a eu une accalmie, à part des maisons qui ont été brûlées.
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1 M. Moskowitz (interprétation). - Le 22 avril, comment avez-vous
2 constaté pour la première fois des atrocités à Ahmici ?
3 M. Watters (interprétation). - Le 21, j'ai dirigé une autre
4 conférence de cessez-le-feu dans l'ombre de négociations à haut niveau
5 entre les chefs des armées de la Bosnie-Herzégovine et du HVO, et nous
6 avons tenu une conférence à haut niveau à l'école de Bila, qui était
7 dirigée par les chefs d'état-major de l'armée de Bosnie-Herzégovine et du
8 HVO, le général Petkovic du HVO et le général Halilovic de l'armée de
9 Bosnie-Herzégovine.
10 Nous avons obtenu un accord de cessez-le-feu qui se fondait sur
11 la création d'une zone démilitarisée de chaque côté de la route de la
12 vallée de la Lasva, d'où le HVO se retirait et retournerait à Vitez et
13 Busovaca. Quant à l'armée de Bosnie-Herzégovine, elle se retirerait
14 environ de 6 ou 7 kilomètres, je crois, de la route parallèlement à la
15 route de montagne vers Zenica, et cela créerait une zone tampon qui serait
16 sous notre contrôle et qui nous permettrait de séparer les deux parties en
17 conflit.
18 M. Moskowitz (interprétation). - Je me permets de vous
19 interrompre un instant. L'armée de Bosnie-Herzégovine dont vous parlez,
20 était-ce une armée qui était venue dans la vallée pour réagir à ce qui
21 s'était passé le 16, l'attaque contre Vitez et la vallée de la Lasva ?
22 Est-ce que c'est là les renseignements dont vous disposiez ?
23 M. Watters (interprétation). - Oui. Le commandant du 3e Corps
24 d'armée de l'armée de Bosnie-Herzégovine, Hadzi Hasanovic je crois, avait
25 pris son corps d'armée et il avait parcouru une distance importante en
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1 quelques jours, il avait redéployé son corps d'armée dans une contre-
2 attaque à partir de Zenica, à travers la route de montagne, et il avait
3 rejoint ses forces à Kruscica.
4 A ce moment-là, le 21, la contre-attaque de l'armée de Bosnie-
5 Herzégovine avait repoussé le HVO essentiellement vers deux enclaves,
6 l'une à Busovaca, l'autre à Vitez. Et cela avait inversé la situation pour
7 le HVO : le HVO se trouvait dans une position de défense et l'armée de
8 Bosnie-Herzégovine avait procédé à une contre-offensive très réussie.
9 M. Moskowitz (interprétation). - Contre-offensive ?
10 M. Watters (interprétation). - Oui.
11 M. Moskowitz (interprétation). - L'armée n'était pas dans la
12 vallée de la Lasva le 16 avril ?
13 M. Watters (interprétation). - Le 3e Corps d'armée ?
14 M. Moskowitz (interprétation). - Oui.
15 M. Watters (interprétation). - Le 3e Corps d'armée, non. Il se
16 trouvait à l'est vers Srebenica et Konjevic Polje.
17 M. Moskowitz (interprétation). - Il s'occupait de la campagne
18 serbe ?
19 M. Watters (interprétation). - Oui.
20 M. Moskowitz (interprétation). - Passons maintenant à la manière
21 dont vous avez découvert les atrocités d'Ahmici le 22 avril.
22 M. Watters (interprétation). - Nous avons façonné l'accord de
23 cessez-le-feu et il a été signé. Les deux commandants ont pu rendre visite
24 aux lignes de front et les ont informées du
25 cessez-le-feu. Cela a été fait par l'utilisation de nos propres véhicules
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1 et nous avons dit que, le matin suivant, une patrouille dirigée par le
2 colonel Stewart confirmerait le retrait des forces de l'armée de Bosnie-
3 Herzégovine et du HVO ; mais en réalité l'armée de Bosnie-Herzégovine
4 devait se retirer de manière considérable car elle avait gagné énormément
5 de terrain dans sa contre-offensive. Elle se trouvait devant la route de
6 la vallée de la Lasva et elle avait conquis des croisements clés. Le HVO
7 était cantonné à ces deux enclaves quant à lui. Donc, nous avons insisté
8 sur le fait de contrôler le retrait des forces de l'armée de Bosnie-
9 Herzégovine.
10 Car les conséquences de l'attaque de Vitez et d'autres positions
11 du HVO ont été relativement catastrophiques et si Busovaca et Vitez
12 avaient été pris, une guerre totale en Bosnie-Herzégovine allait
13 potentiellement éclater. Des renforts importants de forces du HVO venaient
14 de Prozor, il était important d'arrêter la guerre avant qu'ils ne
15 s'associent.
16 M. Moskowitz (interprétation). - C'était donc un accord de
17 retrait ?
18 M. Watters (interprétation). - Oui. Le matin du 22, le
19 colonel Stewart a conduit une patrouille de lui-même et il a conduit
20 d'autres escadrons, de cavalerie notamment,pour vérifier les lignes de
21 retrait. Et lorsqu'il s'est rendu sur les collines au-dessus d'Ahmici, il
22 subsistait encore des groupes de forces de l'armée de Bosnie-Herzégovine,
23 le 3e Corps d'armée, qui ont refusé de se retirer. Ils lui ont dit que
24 c'était en raison du massacre de femmes et d'enfants qui avait eu lieu à
25 Ahmici. Le colonel Stewart et nous-mêmes, nous ne connaissions pas ce
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1 massacre à Ahmici, nous savions que des personnes avaient été tuées à
2 Ahmici et nous avions procédé à l'évacuation d'Ahmici, mais nous ne
3 connaissions pas l'existence d'un massacre.
4 Le colonel stewart estimait que c'était une exagération, il a
5 dit qu'il allait vérifier la situation à Ahmici et les rassurer quant au
6 fait qu'un massacre n'avait pas eu lieu là-bas. Il s'est rendu à ce
7 moment-là à Ahmici et il a découvert un certain nombre de cadavres. Et des
8 preuves d'un massacre possible.
9 M. Moskowitz (interprétation). - Cela se serait produit dans la
10 matinée du
11 22 avril ?
12 M. Watters (interprétation). - Oui.
13 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce qu'à ce moment-là vous
14 avez pu vous entretenir avec le colonel Stewart, plus tard dans la
15 journée ?
16 M. Watters (interprétation). - Oui. Le colonel Stewart est
17 revenu au quartier général, à notre quartier général. Lui-même et
18 l'ambassadeur Thebault qui était ambassadeur des Nations Unies et qui se
19 trouvait avec le colonel Stewart. Tous deux étaient bouleversés et pleins
20 de colère, suite à ce qu'ils avaient vu. Le colonel Stewart m’a décrit ce
21 qu'il avait vu, et je me suis dit que je devais m’y rendre moi-même comme
22 adjoint au commandement et j'ai compris.
23 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce qu'il vous a parlé de ce
24 qu'il a vu à Ahmici et pourquoi il avait été si bouleversé ainsi que
25 l'ambassadeur Thebault ?
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1 M. Watters (interprétation). - Le village était détruit à une
2 échelle importante, et il a parlé d'un crâne qu'il a vu à l’intérieur
3 d’une maison. Il a pensé également qu'il y avait des cadavres dans toutes
4 les maisons car les maisons avaient été détruites systématiquement, les
5 toits s'étaient écroulés. Il estimait, après avoir vu une maison
6 particulière, qu'il y avait des dizaines de cadavres dans ces maisons,
7 sous le toit qu’il n’avait pas pu voir. Il a tiré des conclusions d'une
8 maison précise qui n’avait pas été détruite où il a vu environ sept...
9 six ou sept cadavres qui étaient calcinés et qui étaient dans un état
10 atroce.
11 Et c'est après avoir vu cela, et après avoir fait des
12 extrapolations sur le reste du village qu'il avait été si choqué et si en
13 colère. Et il avait ressenti un sentiment d'échec personnel en tant que
14 chef d'une unité qui opérait dans cette région.
15 M. Moskowitz (interprétation). - L'huissier pourrait peut-être
16 installer le chevalet pour nous montrer la pièce à conviction numéro 5 qui
17 est un agrandissement d'Ahmici. Je vous prie de m'excuser, la pièce à
18 conviction numéro 2, l'agrandissement d'Ahmici. Et nous demanderons au
19 colonel Watters de nous montrer la route qu'il a empruntée pour se rendre
20 à
21 Ahmici le 22 avril.
22 M. Moskowitz (interprétation). - Je vous remercie. Si la Chambre
23 de première instance est d’accord, Monsieur le Colonel Watters, veuillez
24 vous approcher de cette carte. Il s'agit d'une carte d'Ahmici, Nadivici et
25 Santici, pourriez-vous nous montrer la route que vous avez empruntée pour
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1 vous rendre à Ahmici le 22 avril ?
2 M. Watters (interprétation). - Nos Warriors sont sortis de
3 l'école, nous sommes sortis de Vitez par la route circulaire, et nous
4 avons tourné à gauche et nous avons... nous sommes passés à côté du grand
5 minaret qui avait été détruit ici, dans la mosquée, et nous avons
6 poursuivi jusqu'à cet endroit ici qui n'était pas aussi important que
7 cela. Nous appelions cela un rond-point et conformément à mon expérience,
8 c'était la partie extrême d’Ahmici, je n'étais jamais allé plus loin.
9 Lorsque nous sommes arrivés à cet endroit-là, tout d'abord, il y avait un
10 contraste, nous avons conduit par ici, il y avait des maisons détruites et
11 ici il y avait une série de maisons qui n'avaient pas été touchées par les
12 tirs.
13 M. Moskowitz (interprétation). - Au fin du compte rendu, vous
14 nous décrivez un cercle autour de maisons qui se trouvent essentiellement
15 au centre de la carte aérienne.
16 M. Watters (interprétation). - Oui.
17 M. Moskowitz (interprétation). - Vous nous avez dit que ce rond-
18 point n'était pas si important en 1993 que c'est le cas sur la carte que
19 vous avez sous les yeux.
20 M. Watters (interprétation). - C'était environ un quart de cette
21 taille.
22 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que vous pourriez nous
23 décrire le contraste frappant que vous avez constaté à l'intérieur de ce
24 cercle et en dehors de ce cercle ?
25 M. Watters (interprétation). - Oui, le contraste : lorsque nous
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1 sommes remontés par ici, nous avons traversé de la destruction et nous
2 sommes revenus à la normale, il y avait à nouveau des maisons bosniaques
3 normales qui n'avaient pas souffert de combat. Le colonel Stewart m’a dit
4 que les maisons où il avait trouvé les cadavres étaient au-dessus, vers le
5 haut d'Ahmici, et je n'étais jamais allé dans cette partie. Nous avons
6 décidé à ce moment-là de sortir de nos véhicules.
7 Nous avons souffert de tirs isolés et j'estimais qu'ils
8 n'étaient pas en train d'essayer de nous tuer mais de nous effrayer. Nous
9 avons donc essayé de nous débarrasser de ces tirs isolés, mais nous avons
10 patrouillé la zone à pied pour voir quelle était la situation, et c’est
11 environ ici que nous avions ramené des civils d'Ahmici, et je voulais voir
12 quelle était la situation sur le terrain.
13 M. Moskowitz (interprétation). - J’aimerais vous interrompre un
14 instant pour éclaircir les choses aux fins du compte rendu : des tirs
15 isolés venaient en dehors de ce cercle ?
16 M. Watters (interprétation). - Oui, il y avait une zone boisée
17 et une colline ici et des tirs isolés de tireurs isolés venaient de là-
18 haut. Les tireurs isolés se sont retirés et nous ne les avons jamais vus,
19 en fait.
20 M. Moskowitz (interprétation). - Veuillez poursuivre.
21 M. Watters (interprétation). - Nous avons effectué une
22 patrouille à cet endroit-là, et ce que j'ai vu sur le terrain était des
23 positions qui avaient été occupées par des soldats, manifestement où
24 l'herbe était piétinée, et où il y avait des cartouches vides par terre
25 qui étaient utilisées par les snippers et il était manifeste pour nous
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1 qu'ils utilisaient une certaine doctrine tactique. Les soldats occupaient
2 des positions pour empêcher des personnes d'entrer ou de sortir des
3 opérations et pour attaquer le village. Nous avons parcouru cette zone à
4 pied, et nous n'avons pas constaté qu'il y avait des cadavres.
5 M. Moskowitz (interprétation). – Est-ce que vous pourriez
6 ralentir quelque peu pour les interprètes ? Merci.
7 M. Watters (interprétation). - Nous avons ensuite regagné nos
8 blindés et nous avons remonté le village. Nous sommes passés à côté de la
9 deuxième mosquée qui avait également été détruite à cet endroit-là. Nous
10 avons garé les blindés à cet endroit-là. Nous sommes descendus des
11 véhicules et nous avons patrouillé cette zone-là à pied à nouveau. Nous
12 avons trouvé la maison qui nous avait été décrite par le colonel Stewart.
13 M. Moskowitz (interprétation). – Pouvez-vous nous décrire ce que
14 vous avez vu dans cette maison ?
15 M. Watters (interprétation). - Oui. Il y avait une série… Il y
16 avait un escalier qui menait à une sorte de porte d'entrée, et sur les
17 marches il y avait un petit cadavre calciné, celui d'un enfant
18 probablement. Et à côté de ce cadavre se trouvait un cadavre plus grand,
19 d'un adulte qui était calciné à tel point qu'on ne pouvait pas le
20 reconnaître, même si c'était un cadavre de grande taille.
21 Le reste du premier étage de la maison était détruit, mais il
22 n'y avait pas d'autres cadavres. Nous sommes ensuite allés à la cave, et à
23 la cave il y avait des cadavres. On voyait des cages thoraciques, des
24 crânes. Ils avaient également été calcinés. On voyait un jerrican
25 d’essence également. Le colonel Stewart m'avait dit qu'il estimait que,
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1 compte tenu de la position des cadavres, les personnes avaient… ces
2 cadavres avaient certainement été brûlés vifs dans la cave.
3 J'ai examiné la cave, et je me suis aperçu qu'il y avait des
4 impacts de balle d'une arme automatique, ainsi que du sang qui semblait
5 couler le long des murs de la cave. J'en ai déduit que, probablement, ces
6 personnes-là n'avaient pas été brûlées vives, mais qu'on leur avait tiré
7 dessus, qu'on les avait tuées dans la cave, puis qu'on y avait mis le feu,
8 même si c'était des spéculations théoriques à l'époque. Et je pense qu'il
9 avait été bouleversé.
10 Nous sommes ensuite revenus en haut du village, et les bâtiments
11 avaient tous été détruits. Il y avait une destruction systématique. Il ne
12 s'agissait pas de scènes de batailles que nous avions observées à Vitez et
13 que j'avais vues dans mon expérience en tant que soldat ailleurs dans le
14 monde. Il n'y avait pas des tas de cartouches vides, il n'y avait pas de
15 traces de cadavres de soldats ou autres, mais ce qui était choquant c'est
16 que le village était entièrement détruit, les animaux avaient été
17 détruits, les granges, les caves, tout, rien n'aurait pu permettre aux
18 gens de revenir. Nous sommes revenus sur la route. Nous nous sommes
19 arrêtés une fois de plus au rond-point, ici.
20 M. Moskowitz (interprétation). – Il s'agit de cette zone. Je ne
21 voudrais pas déformer votre déposition, est-ce qu'il s'agissait de cette
22 zone normale au milieu de toute cette destruction ?
23 M. Watters (interprétation). - J'essayais de donner un sens à ce
24 que je voyais. Je n'avais jamais pensé à la composition ethnique des
25 villages en Bosnie, nous ne nous étions pas concentrés là-dessus. Nous
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1 étions là pour distribuer de l'aide à tous les bénéficiaires. Nous
2 n’avions pas de parti pris.
3 Je me suis arrêté, et j'ai essayé de comprendre moi-même
4 pourquoi il y avait une zone entièrement intacte dans le village, alors
5 que le reste du village était entièrement détruit. Et c'était comme si un
6 feu de forêt avait brûlé toute une forêt, et comme si quelques arbres
7 étaient restés intacts. C'était relativement curieux de voir qu'ils
8 n'avaient pas été détruits.
9 Je suis allé frapper à une porte, voyant que les rideaux
10 bougeaient. Je suis allé frapper à la porte pour demander à ces gens ce
11 qui s'était passé. Je pensais qu'ils avaient bien dû être les témoins de
12 ce qui s'était passé et personne n'est sorti pour nous répondre.
13 M. Moskowitz (interprétation). – Monsieur le Colonel, permettez-
14 moi de vous interrompre un instant. Est-ce que vous-même, personnellement,
15 êtes allé jusqu'à cette maison à côté du rond-point ? Est-ce que vous avez
16 frappé à la porte vous-même ?
17 M. Watters (interprétation). – Oui, avec quelques-uns de mes
18 soldats qui ont également frappé à la porte, qui ont crié.
19 M. Moskowitz (interprétation). – Est-ce que vous vous souvenez
20 de ce que vous avez dit ?
21 M. Watters (interprétation). - J'ai dit : "Mais venez nous voir,
22 venez nous expliquer ce qui s'est passé".
23 M. Moskowitz (interprétation). – Avez-vous parlé fort ?
24 M. Watters (interprétation). – Oui, et nous voyions des rideaux
25 qui bougeaient, nous voyions que des personnes bougeaient à l'intérieur de
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1 la maison, mais refusaient de sortir pour nous parler.
2 Nous avons parlé entre nous et avec nos interprètes qui étaient
3 des locaux et qui comprenaient mieux que nous-mêmes la composition
4 ethnique, le mélange ethnique des maisons de la vallée. Il était manifeste
5 que ces maisons appartenaient à des Croates, alors que le reste du village
6 était musulman. Nous savions qu'il s'agissait d'un village musulman car il
7 y avait une mosquée, un minaret. Nous n'avions pas compris qu'il y avait
8 des parties non musulmanes dans le village jusqu'à ce moment-là.
9 Et ces personnes-là étaient épargnées. Le reste du village était
10 détruit, et nous avons extrapolé, comme l'avait fait le colonel Stewart,
11 et nous nous sommes dit que dans les autres maisons il y avait d'autres
12 cadavres.
13 M. Moskowitz (interprétation). – Est-ce que vous avez effectué
14 des recherches à pied pour rechercher d'autres traces d'atrocités ?
15 M. Watters (interprétation). – Oui, quelques maisons, dans cette
16 région-là, n'avaient pas été détruites et nous nous sommes rendus dans ces
17 maisons. J'ai un souvenir très vif d’une cage thoracique dans une de ces
18 maisons. Je ne sais pas si elle était humaine ou non, et dans une de ces
19 maisons il y avait également un crâne humain. C'était là les seuls signes
20 de morts ou de cadavres que nous avons vus.
21 Dans la partie haute du village, il y avait la maison avec tous
22 les cadavres et ensuite une cage thoracique et un crâne, mais comme je
23 viens de vous le dire, la plupart des maisons n'étaient pas accessibles,
24 car les toits s'étaient écroulés dans la maison et tout avait été
25 recouvert.
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1 M. Moskowitz (interprétation). – Je vous remercie
2 Monsieur le Colonel, vous
3 pouvez regagner votre place .
4 M. Moskowitz (interprétation). – Je demanderai maintenant à
5 l'huissier de bien vouloir montrer trois photographies au témoin, dans cet
6 ordre.
7 Veuillez placer ces photographies sur le rétroprojecteur.
8 Mme le Greffier. - La pièce de l'accusation numéro 10.
9 M. Moskowitz (interprétation). - Monsieur le Colonel, est-ce que
10 vous pourriez examiner cette photographie qui est la pièce numéro 10 ?
11 Est-ce que vous pourriez nous dire de quoi il s'agit ?
12 M. Watters (interprétation). - C'est ce que nous appelions la
13 mosquée d'Ahmici. Elle était visible de la route principale de la vallée
14 de la Lasva.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que c'est ce que vous
16 avez vu lorsque vous êtes allé au village d'Ahmici le 22 avril ?
17 M. Watters (interprétation). - Oui, même si j'ai des souvenirs
18 très vifs du minaret encore intact plus tôt, le même mois.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que vous pouvez montrer
20 au témoin la photographie suivante, je vous prie ?
21 Mme le Greffier. - Pièce de l'accusation numéro 11.
22 M. Moskowitz (interprétation). - Il s'agit de la pièce
23 numéro 11, oui, c'est celle-là... non... très bien. Monsieur le Colonel,
24 veuillez nous décrire de quoi il s'agit.
25 M. Watters (interprétation). - Il s'agit d'un agrandissement de
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1 la mosquée d'Ahmici vue de la route qui était plus ou moins parallèle à la
2 route principale.
3 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que cela reflète de
4 manière fidèle ce que vous avez vu le 22 ?
5 M. Watters (interprétation). - Oui, lorsque nous quittions
6 Ahmici... et nous avons vu la mosquée.
7 M. Moskowitz (interprétation). - Lorsque vous avez examiné la
8 mosquée, est-ce que vous avez examiné le minaret ?
9 M. Watters (interprétation). - Oui, il était fait de béton armé,
10 vous voyez qu'il venait d'être détruit ; il s'agissait d'une démolition
11 clinique et efficace.
12 M. Moskowitz (interprétation). - Qu'est-ce qui vous a amené à la
13 conclusion qu'on l'avait démoli ?
14 M. Watters (interprétation). - Il s'agissait d'une structure en
15 béton armée. Lorsque vous examiniez la base de cette structure, vous
16 voyiez que quelqu'un qui savait parfaitement ce qu'il faisait l'avait
17 détruite.
18 M. Moskowitz (interprétation). - Veuillez montrer la
19 photographie suivante.
20 Mme le Greffier. - La pièce d'accusation numéro 12.
21 M. Moskowitz (interprétation). - La pièce 12 vient d'être placée
22 sur le rétroprojecteur. Est-ce que cela illustre vos propos sur la
23 démolition du minaret ou le fait qu'on l'a fait exploser de manière
24 délibérée ?
25 M. Watters (interprétation). - Oui, c'est exactement ce que j'ai
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1 vu et sans insister trop sur cet élément, c'était choquant, c'était un
2 acte sacrilège contre un édifice religieux.
3 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez dit dans votre
4 témoignage précédemment que vous avez également constaté qu'une deuxième
5 mosquée avait été détruite après le rond-point en haut d'Ahmici.
6 M. Watters (interprétation). - Oui, on ne l'avait pas fait
7 exploser de cette manière-là. Elle avait été détruite comme les autres
8 maisons : le toit s'était effondré à l'intérieur de la structure.
9 Mme le Greffier. - La pièce de l'accusation numéro 13.
10 M. Moskowitz (interprétation). - La pièce à conviction 13, c'est
11 bien cela ? La photographie que vous voyez, pouvez-vous nous expliquer ce
12 qu'elle représenterait pour vous ?
13 M. Watters (interprétation). - C'est une mosquée de plus petite
14 taille qui se trouve vers le haut d'Ahmici.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que cette photo
16 représente ce que vous avez vu ce jour-là ou est-ce qu'il y a eu d'autres
17 dégâts ?
18 M. Watters (interprétation). - Non, cette photo ne correspond
19 pas tout à fait à ce que j'ai vu. Je me rappelle que le bâtiment était
20 détruit, mais je me le rappelle avec les murs intacts, mais simplement il
21 n'y avait plus de toit et plus de portes ni de fenêtres. Je ne me rappelle
22 pas que les murs aient été détruits mais c'était peut-être le cas.
23 M. Moskowitz (interprétation). - Peut-on montrer au témoin la
24 photographie suivante ?
25 M. Watters (interprétation). - C'est une photo aérienne du même
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1 bâtiment.
2 M. Moskowitz (interprétation). - La mosquée du haut ?
3 M. Watters (interprétation). - La mosquée du haut.
4 M. Moskowitz (interprétation). - Et quelle est cette pièce à
5 conviction 14 ?
6 Nous allons demander le versement au dossier d'une série de
7 photographies qui représentent la cave d'un certain nombre de maisons. Ces
8 photos sont assez choquantes pour certaines d'entre elles, donc j'en
9 avertis les personnes qui les regarderont.
10 Colonel, pourriez-vous décrire ce que vous voyez à présent sur
11 le rétroprojecteur ?
12 Mme le Greffier. - Pièce à conviction numéro 15.
13 (Maître Moskowitz n'avait pas branché son micro, dit
14 l'interprète.)
15 M. Moskowitz (interprétation). - Je vous prie de m'excuser.
16 Colonel, est-ce que vous pourriez nous décrire ce que représente la pièce
17 à conviction numéro 15 qui se trouve sur le rétroprojecteur en ce moment ?
18 M. Watters (interprétation). - Oui, j'ai pris quelques
19 photographies. Je ne sais pas si celle-ci est l'une d'entre elles, en tout
20 cas j'ai photographié le bâtiment dans lequel nous avons
21 trouvé les cadavres qui se trouvaient en haut du village. Et ici c'est la
22 cave de la maison : vous voyez le crâne d'un des cadavres, en position
23 rétractée vers l'arrière. Donc ici vous voyez le crâne dont je viens de
24 parler, et à l'arrière le long du mur ce que je crois être du sang coulant
25 le long du mur et de chaque côté, ici notamment, des traces de balles sur
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1 les murs. Donc, apparemment, les gens ont été alignés ici, abattus et
2 ensuite brûlés.
3 M. Moskowitz (interprétation). - Peut-on voir la photographie
4 suivante ?
5 Mme le Greffier. - Pièce de l'accusation numéro 16.
6 M. Moskowitz (interprétation). - C'est donc la pièce 16.
7 (Les interprètes n'entendent pas le témoin. Apparemment le micro
8 est débranché.)
9 M. Watters (interprétation). - La photographie que nous avons
10 vue tout à l'heure se trouvait dans cette zone ici, et ce que nous voyons
11 maintenant c'est le reste de la cave avec d'autres corps. Vous voyez ici
12 un cadavre et ici une partie de cadavre. C'était un peu difficile à
13 déterminer mais il y avait sans doute au total quatre ou cinq corps.
14 M. Moskowitz (interprétation). - Photographie suivante, je vous
15 prie, Monsieur l'huissier.
16 Mme le Greffier. - Pièce à conviction numéro 17.
17 M. Moskowitz (interprétation). - C'est la pièce à conviction
18 numéro 17, c'est bien celle-ci, oui.
19 M. Watters (interprétation). - Ici nous sommes au premier étage
20 de la maison, après avoir monté les escaliers, et c'est le cadavre le...
21 de plus grande taille que j'ai déjà décrit, qui était allongé sur les
22 marches lorsqu'on pénétrait dans la maison.
23 M. Moskowitz (interprétation). - Ce n'est pas dans la cave ?
24 M. Watters (interprétation). - Non, pas dans la cave. C'est en
25 haut des escaliers qui mènent au premier étage.
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1 M. Moskowitz (interprétation). - Et donc on pouvait voir ce
2 cadavre si on marchait
3 aux alentours de la maison ?
4 M. Watters (interprétation). - Oui. Nous avons d'ailleurs vu un
5 corps de plus petite taille dans le jardin de cette maison.
6 Mme le Greffier. - Numéro 18.
7 M. Moskowitz (interprétation). - Donc la photographie suivante,
8 il faut la retourner comme ceci, merci. Là encore, je vous demande si
9 cette photographie vous fournit quelques informations supplémentaires au
10 sujet du sang sur le mur, des balles que vous avez vues, des traces de
11 balles dans le mur ?
12 M. Watters (interprétation). - Oui, vous voyez des parties de
13 cadavre ici. Il y a une partie de cage thoracique et derrière, cette série
14 de traces de balles dont nous avons pensé... et ce qui ici a l'air d'être
15 du sang.
16 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que vous pouvez nous
17 dire maintenant ce qui se passe sur cette photographie ?
18 M. Watters (interprétation). - Ce sont des membres de l'équipe
19 médicale et des porteurs de civières qui venaient du bataillon britannique
20 du régiment de Cheshire numéro 1 dans la cave donc, un peu plus tard, je
21 crois que c'était le 27 avril. Apparemment, entre temps, personne n'avait
22 évacué les corps et nous avons donc contacté un homme qui a accompli une
23 cérémonie religieuse. Après quoi nous avons évacué ces cadavres qui ont
24 été emmenés à Zenica pour être enterrés.
25 M. Moskowitz (interprétation). - Et Zenica, c'est là que se
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1 trouvaient l'hôpital et la morgue ?
2 M. Watters (interprétation). - Oui, il y en avait aussi un à
3 Travnik mais les autorités religieuses musulmanes nous ont demandé si nous
4 pouvions emmener ces corps à Zenica et nous avons accepté de le faire.
5 M. Moskowitz (interprétation). - Photographie suivante.
6 Mme le Greffier. - Pièce de l'accusation numéro 20.
7 M. Moskowitz (interprétation). - C'est la pièce à conviction
8 numéro 20, je suppose. Là encore, pouvez-vous nous dire rapidement ce que
9 nous voyons ?
10 M. Watters (interprétation). - C'est la cave de la même maison,
11 le même jour : les mêmes hommes que tout à l'heure en train d'évacuer les
12 corps.
13 M. Moskowitz (interprétation). - Photographie suivante.
14 Mme le Greffier. - Pièce de l'accusation numéro 21.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Pièce 21, toujours la même
16 question.
17 M. Watters (interprétation). - La même cave, nos soldats
18 toujours en train d'évacuer les corps.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Dernière photo de cette série.
20 Mme le Greffier. - Pièce de l'accusation numéro 22.
21 M. Moskowitz (interprétation). - La pièce à conviction 22.
22 M. Watters (interprétation). - C'est le corps le plus petit des
23 deux que nous avons trouvé au premier étage, sur les marches de l'escalier
24 lorsqu'on rentrait dans la maison.
25 M. Moskowitz (interprétation). - Merci.
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1 M. May (interprétation). - Maître Moskowitz, est-ce que nous
2 allons maintenant abandonner ces photographies ?
3 M. Moskowitz (interprétation). - Oui.
4 M. May (interprétation). - Eh bien, peut-être est-ce le moment
5 de traiter de la question que je voudrais aborder maintenant. Cette maison
6 a été indiquée comme étant celle où le colonel Stewart a trouvé les
7 cadavres. Mais pour le reste du procès, il va falloir que nous sachions de
8 quelle maison il s'agit, en tout cas du point de vue de l'accusation.
9 Donc, est-ce que vous pouvez nous informer sur ce point ?
10 M. Moskowitz (interprétation). - Oui, nous pouvons vous informer
11 mais je dois
12 dire que cette maison ne va pas jouer un rôle fondamental pendant la suite
13 du procès. Nous n'y reviendrons pas nécessairement. Donc ce n'est peut-
14 être pas indispensable de la baptiser, mais nous pouvons le faire.
15 M. May (interprétation). - Oui, mais j'ai eu le sentiment que
16 nous allions sans doute, au cours du procès, parler d'un grand nombre de
17 maisons. Et divers témoins vont parler de diverses maisons. Nous ne
18 saurons pas nécessairement de quelle maison nous parlons.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Oui, et lorsque nous avancerons
20 dans le procès, nous aurons une série de pièces à conviction sur
21 lesquelles les maisons seront indiquées par un numéro et une lettre. Et
22 les témoins se référeront à ces maisons par leur numéro et leur lettre.
23 Donc je pense que nous connaîtrons très bien et de façon tout à fait
24 précise les maisons les plus importantes sur lesquelles se concentre ce
25 procès.
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1 M. May (interprétation). - C'est possible, mais je pensais qu'il
2 était utile de commencer par identifier ces maisons et celle-ci en
3 particulier.
4 M. Moskowitz (interprétation). - Très bien. Colonel, vous avez
5 parlé du colonel Stewart qui est arrivé à Ahmici le 22 avril, avant vous.
6 M. Watters (interprétation). - Oui, Monsieur.
7 M. Moskowitz (interprétation). - Vous saviez que cette visite
8 était filmée sur vidéo, n'est-ce pas ?
9 M. Watters (interprétation). - En effet.
10 M. Moskowitz (interprétation). - Il avait donc avec lui un
11 certain nombre de représentants des médias. Est-ce que je pourrais
12 demander maintenant la projection de cette cassette vidéo ? Ce sera notre
13 pièce à conviction suivante, et pendant que nous regardons cet extrait
14 vidéo, qui est très court, je vous prierai, Colonel Watters, de bien
15 vouloir nous dire ce que nous voyons, où nous sommes dans le village
16 d'Ahmici au fil de la projection, si cela vous est possible.
17 (Projection de la vidéo.)
18 M. Moskowitz (interprétation). – Pouvez-vous nous dire, Colonel,
19 ce que nous voyons ici ?
20 M. Watters (interprétation). - Ce sont deux soldats du bataillon
21 britannique, et nous venons de voir une photo de la mosquée d'Ahmici. Ce
22 sont des soldats qui appartiennent aux lanciers ou aux ingénieurs royaux.
23 Je ne suis pas sûr du nom de leur unité, mais en tout cas ils
24 appartiennent au bataillon britannique. Toujours la mosquée avec le
25 minaret, mosquée d'Ahmici. Ici, c’est un de nos CVRT, nos blindés légers
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1 et ici, le corps de grande taille que nous avons trouvé dans la maison et
2 puis le corps de plus petite taille, sans doute celui d'un enfant.
3 Des vues de ces mêmes corps. Le corps plus petit ici.
4 M. Moskowitz (interprétation). – Que se passe-t-il ici ?
5 M. Watters (interprétation). - C'est un ingénieur royal qui
6 cherche des mines ou des explosifs sur le chemin qui mène à la maison qui
7 entoure la maison, avant de permettre au colonel Stewart d'y pénétrer. Les
8 mines étaient un danger permanent, nous avons eu beaucoup de soldats
9 blessés en raison de l'explosion de mines. Ceci est un de nos véhicules de
10 commandement CVRT. Toujours le même véhicule. Ici, celui qui conduit ce
11 blindé, ici une caisse de munitions, une cartouche vide, une douille et
12 puis des vues générales du village d'Ahmici, la partie haute du village.
13 M. Moskowitz (interprétation). – Apparemment, il y avait des
14 coups de feu tirés par des tireurs isolés ?
15 M. Watters (interprétation). - Oui, en effet. Ces soldats
16 pointent le doigt dans la direction d'où, apparemment, les tireurs
17 embusqués venaient de tirer.
18 M. Moskowitz (interprétation). – Pouvez-vous nous dire ce que
19 représente cette image ?
20 M. Watters (interprétation). - La mosquée d'Ahmici-le-haut.
21 M. Moskowitz (interprétation). – Peut-on arrêter la diffusion à
22 ce niveau, et revenir un peu en arrière sur la grande maison blanche ?
23 Pouvons-nous revenir en arrière sur la grande maison blanche ici ? C’est
24 cela. Non, là on est allé trop loin. Merci.
25 Cette maison a-t-elle le même aspect que celle à la porte de
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1 laquelle vous avez frappé ?
2 M. Watters (interprétation). - Oui, elle ressemble à la maison
3 qui faisait face au rond-point. Ce sont des maisons qui, contrairement aux
4 autres, n’ont été absolument pas endommagées, qui étaient encore occupées.
5 M. Moskowitz (interprétation). – Je crois que vous avez montré
6 un certain nombre de maisons intactes qui étaient groupées, alors qu'elles
7 se trouvaient à l'arrière des maisons endommagées.
8 M. Watters (interprétation). – Oui, en effet.
9 M. Moskowitz (interprétation). – Ici nous voyons une maison
10 endommagée à l’arrière ?
11 M. Watters (interprétation). – Oui, en effet.
12 M. Moskowitz (interprétation). – Lorsque vous dites que les gens
13 se sont retirés à l'intérieur de la maison quand vous avez frappé et
14 demandé à leur parler, est-ce que vous avez vu des rideaux bouger ?
15 M. Watters (interprétation). - Oui j'ai vu des rideaux bouger au
16 rez-de-chaussée.
17 M. Moskowitz (interprétation). – Et lorsque vous êtes allé à ce
18 rond-point, est-ce que vous avez remarqué des dégâts au niveau de la
19 maison qui se trouvait sur le rond-point ?
20 M. Watters (interprétation). - Je n'ai pas vu de dégâts, en tout
21 cas par rapport aux autres maisons détruites du village. Ces maisons
22 avaient l'air intactes.
23 M. Moskowitz (interprétation). – Je sais bien que cette image
24 n'est pas de la meilleure qualité possible, mais est-ce que vous voyez des
25 dégâts sur cette maison, sur la photo
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1 de cette maison prise le 22 avril ?
2 M. Watters (interprétation). - Non, je n'y vois aucun dommage,
3 aucun dégât.
4 M. Moskowitz (interprétation). – Merci. On peut poursuivre la
5 projection.
6 Je crois que vous avez parlé d'animaux tués.
7 M. Watters (interprétation). – Oui, on en voit un ici. En fait,
8 ce qui était atroce, c'est que tout était détruit ; le bétail, les
9 moutons, il y avait des animaux morts un peu partout dans le village ici.
10 M. Moskowitz (interprétation). – Ici on voit un chien. Est-ce
11 que vous avez remarqué si les chiens… Je ne sais pas comment dire cela de
12 façon délicate, mais est-ce que les chiens se sont occupés de quelques-uns
13 des cadavres ?
14 M. Watters (interprétation). – Eh bien, l'une des raisons pour
15 lesquelles nous avons décidé d'évacuer les cadavres, c'est que bien
16 entendu au cours de la journée, ils risquaient d'être mangés par des
17 chiens ou d'autres animaux errants.
18 M. Moskowitz (interprétation). – Colonel Watters, après tout ce
19 que vous avez vu dans cette période qui va du 16 au 22 avril, après tout
20 ce que vous avez entendu pendant cette période, et notamment compte tenu
21 de ce que vous avez vu et observé dans le village d'Ahmici dans cette
22 période, pouvez-vous nous dire, en tant que soldat de métier, ce qui s'est
23 passé en fait à Ahmici les 16 et 17 avril ?
24 M. Watters (interprétation). - Le village qui n'avait pas l'air
25 d'être défendu a subi une destruction systématique au cours d'une
Page 182
1 opération militaire tout à fait efficace. Les environs du village ont été
2 isolés, des soldats ont été placés à cet endroit pour encercler le
3 village. Nous l'avons constaté sur la base de l'herbe qui était piétinée
4 et des douilles vides que nous avons trouvées à cet endroit. L'opération
5 de "nettoyage des maisons", comme nous l'appelions, a commencé. Les gens
6 ont été tués dans leur maison, ou à l'extérieur s'ils avaient tenté de
7 fuir, et en même temps ou par la suite toutes les maisons ont été brûlées.
8 M. Moskowitz (interprétation). - Pas toutes ?
9 M. Watters (interprétation). - Toutes les maisons ont été
10 brûlées sauf, comme je l'ai déjà dit, les maisons dont nous avons compris
11 par la suite quelles étaient les maisons croates du village.
12 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que cette distinction
13 entre les maisons détruites qui constituaient la grande majorité et les
14 quelques maisons intactes vous ont fourni une indication quant à la nature
15 de l'opération menée ce 16 avril ?
16 M. Watters (interprétation). - Nous savions qu'il s'agissait
17 d'une offensive croate, d'une offensive du HVO, et par la suite nous avons
18 déduit sur la base des circonstances que nous avons étudiées, donc nous
19 avons compris par la suite pourquoi tout cela s'était passé.
20 En effet, l'opération était une opération brutale et plus tard
21 nous avons compris pourquoi Ahmici a été choisie pour cette opération
22 spécifique, cette opération de destruction totale et de destruction
23 sauvage. Cela était dû au fait que, dans l'ensemble de la vallée de la
24 Lasva, Ahmici était un endroit tout à fait particulier, situé au centre,
25 et je ne pourrais comparer ce village d'Ahmici qu'au village de Guca Gora.
Page 183
1 Les deux villages avaient à peu près la même signification pour les
2 Croates.
3 Ahmici, en effet, était une espèce de centre religieux qui a
4 fourni pas mal de dirigeants religieux dans l'ensemble de la Bosnie, en
5 tout cas beaucoup plus proportionnellement que le nombre d'habitants. Un
6 grand nombre de jeunes gens issus de ce village étaient devenus des
7 enseignants et des imans islamiques, mais nous ne le savions pas à
8 l'époque. Et c'est cela qui a fait d'Ahmici une cible tout à fait
9 importante pour ceux qui défendaient l'idée du nettoyage ethnique,
10 indispensable dans la vallée de la Lasva.
11 Nous pensons qu'Ahmici a servi d'exemple pour montrer ce qui
12 risquait de se passer si les gens ne s'en allaient pas.
13 M. Moskowitz (interprétation). - Un peu comme le camion piégé,
14 un exemple de
15 terreur ?
16 M. Watters (interprétation). - Oui, sans aucun doute, un exemple
17 de terreur. Il y a une chose qui nous a frappés par la suite lorsque nous
18 avons découvert que la majorité des cadavres d'Ahmici ont été emportés à
19 Vitez et y ont été enterrés. Une centaine d'entre eux ont été enterrés par
20 la suite par les autorités de Vitez, je crois que c'était le 28 avril.
21 Pourquoi est-ce qu'une maison a été laissée intacte ? Pourquoi
22 est-ce qu'elle a été laissée intacte pour constituer semble-t-il un signe
23 rituel de terreur, ou parce que les soldats l'avaient oubliée, nous ne
24 savons pas. Mais en tout cas c'était un peu choquant et cela a choqué mes
25 soldats.
Page 184
1 M. Moskowitz (interprétation). - Donc il est permis de dire et
2 de conclure que ce qui s'est passé à Ahmici a été une tentative
3 systématique et organisée de nettoyer le village sur le plan ethnique ?
4 M. Watters (interprétation). - Aucun doute là-dessus dans mon
5 esprit.
6 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que vous avez une idée
7 de la raison pour laquelle ceci s'est passé le 16 avril ? Pourquoi cette
8 attaque systématique de la part du HVO a eu lieu dans la vallée de la
9 Lasva le 16 avril ?
10 M. Watters (interprétation). - Eh bien, il y avait le mobile et
11 il y avait la possibilité quand on analyse les événements. Le mobile
12 consistait à éliminer la présence musulmane du futur canton 10 croate qui
13 était en cours de négociations à l'époque. En effet, c'est une copie tout
14 à fait à l'identique des tactiques utilisées par les Serbes en Bosnie
15 orientale au même moment pour éliminer également la présence musulmane.
16 Et puis, deuxième élément, nous pensions que ce projet faisait
17 partie d'un plan plus important destiné à se donner le contrôle de la
18 route contrôlée par les Croates qui allaient de Prozor à Gornji Vakuf et
19 de Vitez à Kiseljak en traversant la vallée de Kiseljak. Prendre le
20 contrôle de cette ville était important sur le plan stratégique dans le
21 cadre du plan Vance-Owen
22 et de la possibilité pour les Serbes et les Musulmans de couper les
23 principales voies de circulation du pays. En effet, à Mostar les Serbes...
24 et les forces serbes et musulmanes avaient agi de la sorte. Donc voilà
25 quelles étaient les raisons.
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1 Et puis il y a également la possibilité d'agir qui venait de
2 l'éminence de la possibilité de l'adoption du plan Vance-Owen imposé à la
3 Bosnie centrale. D'un point de vue stratégique, les forces musulmanes se
4 concentraient totalement en Bosnie orientale sur leur guerre contre les
5 forces serbes et il n'y avait aucun représentant des médias non plus dans
6 la vallée de la Lasva. Tout le monde était en train d'observer les scènes
7 abominables des réfugiés qui sortaient de Srebenica. Donc, il y avait un
8 créneau à cet endroit que nous n'avions pas identifié à ce moment-là. Nous
9 n'avions pas la moindre idée à ce moment-là des aspirations au nettoyage
10 ethnique que pouvaient avoir les Croates dans cette région. Je parle bien
11 des 16 et 17 avril.
12 Tout cela n'a pas été spontané. Par le passé, nous avions vu des
13 désaccords tactiques, des désaccords au niveau d'un village entre membres
14 de communautés différentes qui se développaient pour devenir un conflit.
15 Et, au départ, c’est ce que nous avions pensé lorsque nous avons eu les
16 premières nouvelles et avant d'entendre parler de l'utilisation des
17 mortiers et des canons.
18 Mais, dans les jours qui ont suivi, lorsque nous avons essayé de
19 confirmer notre hypothèse, nous avons compris qu'il s'agissait d'une
20 attaque coordonnée dans toute la vallée, également au niveau de Prozor et
21 à l'est, donc à l’est, au niveau de Prozor et dans les villages musulmans
22 qui se trouvaient à cet endroit-là. Il y a une route qui contourne
23 Gornji Vakuf, et qui permet de traverser Prozor vers le nord de Kiseljak
24 et de Busovaca et donc, les forces du HVO ont essayé de faire une percée,
25 à partir du nord de Prozor vers Busovaca, pour prendre le contrôle de
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1 Gornji Vakuf et puis, éventuellement, pour interdire l'accès des forces de
2 l'armée de Bosnie-Herzégovine aux routes qui permettaient d'entrer dans le
3 futur canton 10.
4 M. Moskowitz (interprétation). – Donc, pour résumer ce que vous
5 venez de dire
6 dans votre déposition, est-il permis de dire, alors que le monde et
7 l'armée de Bosnie-Herzégovine regardaient dans une autre direction, que le
8 HVO a saisi l'occasion pour effectuer le nettoyage ethnique de la vallée
9 de la Lasva en prévision de l’application du plan Vance-Owen ?
10 M. Watters (interprétation). – Oui c'est exact. Et cela a été
11 illustré par les étapes suivantes des négociations de paix dans les
12 journées des 18, 19 et 20 avril lorsqu'il y a eu des discussions avec le
13 HVO. Le HVO a imposé un cessez-le-feu sans accepter de céder le terrain
14 conquis et ceci, au départ, a reçu l'appui d'Izetbegovic et des Musulmans
15 sur le plan stratégique, mais a été rejeté par le commandement
16 opérationnel. En effet, le commandement opérationnel s’est rendu compte
17 que la position en question était intenable, et c'est à ce moment-là que
18 nous avons établi des lignes.
19 Le commandement opérationnel s’est rendu compte que tant que des
20 lignes officielles n'étaient pas établies, il n'y avait aucune possibilité
21 de faire respecter la paix. C'est sur cette base que nous avons compris,
22 par la suite, pourquoi les cessez-le-feu que nous avions négociés
23 jusqu'au 23 n'avaient pas la moindre chance de succès, si elle n'était pas
24 intégrée au plan des Nations Unies.
25 M. Moskowitz (interprétation). – J'ai, Monsieur le Président,
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1 encore quelques questions très courtes à poser. Je crois que celles-là ne
2 devraient pas durer plus de cinq à dix minutes. Mais je sais qu'il est
3 déjà 11 heures.
4 Donc, jusqu'à présent dans votre déposition, Colonel, vous nous
5 avez parlé de l'école de Dubravica. J'aimerais que vous nous disiez
6 brièvement, au cours de votre trajet sur cette route de montagne, si vous
7 avez remarqué quelque chose d’inhabituel aux alentours de l'école de
8 Dubravica ?
9 M. Watters (interprétation). – Eh bien oui. Je circulais donc
10 sur cette route de montagne, et j'ai vu qu'une colonne d'hommes et de
11 jeunes gens est sortie de l'école de
12 Dubravica. Certains avaient les mains attachées, ligotées dans le dos,
13 donc cela avait tout l'air d'une colonne de prisonniers. Certains d'entre
14 eux portaient également des piques et des pelles, des piolets. Ils étaient
15 entourés de soldats du HVO et grimpaient la route de montagne vers les
16 positions avancées qui se trouvaient sur cette route.
17 M. Moskowitz (interprétation). – Est-ce que vous avez pensé que
18 peut-être quelque chose d'inhabituel se passait à l'école de Dubravica et
19 qu'il fallait vérifier ?
20 M. Watters (interprétation). - J'en ai déduit que le HVO
21 utilisait l’école de Dubravica comme un camp de prisonniers, et j’en ai
22 déduit également que les prisonniers étaient utilisés pour creuser des
23 tranchées, ce qui est contraire aux Conventions de Genève : il est
24 interdit d’utiliser des prisonniers à des fins de ce genre. Donc, j'en ai
25 rendu compte à mon retour, j'en ai informé le Comité international de la
Page 188
1 Croix-Rouge : le CICR.
2 M. Moskowitz (interprétation). – Et c'est sur la base de vos
3 informations que le CICR s'est rendu à l'école de Dubravica pour négocier
4 la libération des Musulmans qui étaient maintenus en détention ?
5 M. Watters (interprétation). - Cela a été assez délicat. Cela a
6 fait suite à toute une série de négociations très difficiles qui ont fini
7 par aboutir à la libération des prisonniers de l'école de Dubravica.
8 M. Moskowitz (interprétation). – J'aimerais revenir sur un autre
9 point que vous avez déjà évoqué il y a quelques instants, à savoir
10 l'enterrement des victimes de l'attaque contre la vallée de la Lasva, dans
11 la ville de Vitez, à Stari Vitez si je ne m'abuse. Un grand nombre de ces
12 victimes venaient d'Ahmici. Est-ce que vous pourriez nous en dire
13 davantage au sujet de cet enterrement ?
14 M. Watters (interprétation). – Eh bien, nous savions que le HVO
15 et les autorités de Vitez avaient improvisé une morgue dans une école de
16 Vitez. Nous avons reçu une demande, je ne sais plus si elle venait des
17 autorités civiles ou militaires, mais on nous a demandé si nous
18 pouvions apporter notre concours à l'enterrement d'une centaine de corps.
19 M. Moskowitz (interprétation). – Quel était le problème que
20 posaient ces corps ?
21 M. Watters (interprétation). - C'était un problème d’hygiène.
22 Ces corps étaient en état de décomposition assez avancée et constituaient
23 une menace sur le plan sanitaire.
24 M. Moskowitz (interprétation). – Et cela s'est passé à quel
25 moment ? Le 28 avril 1993 ?
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1 M. Watters (interprétation). – Oui, le 28 avril 1993.
2 M. Moskowitz (interprétation). – Donc à peu près 12 jours après
3 l'attaque contre Ahmici ?
4 M. Watters (interprétation). – Oui. Nous avons envoyé nos
5 porteurs de civières, nos ingénieurs royaux et nos lanciers à Vitez pour
6 apporter leur aide aux autorités, en fait pour creuser une fosse commune
7 quelque part à Vitez et ensuite, la remplir avec l'aide des autorités.
8 M. Moskowitz (interprétation). – Vous rappelez-vous, pendant
9 cette période, donc suite à l'attaque subie par la vallée de la Lasva,
10 est-ce que vous vous rappelez avoir rencontré une jeune fille du nom de
11 Melisa ?
12 M. Watters (interprétation). - Je l'ai rencontrée chez le
13 colonel Stewart, si je ne m'abuse. Elle était accompagnée de deux délégués
14 de la Croix-Rouge, et j'avais été invité au quartier général du
15 colonel Stewart à dîner, je lui ai donc été présenté. Il y avait également
16 une autre jeune fille, à peu près du même âge, et elle m'a décrit le
17 village d'Ahmici et sa situation qui était tout à fait poignante et
18 tragique. En effet, sa mère, son père et elle-même ont été chassés par les
19 soldats. Il y avait beaucoup de bruit, tout le monde était couché dans
20 l'herbe. Beaucoup de bruit, tout autour et finalement, sa mère et son père
21 ne se sont jamais relevés. Le récit était tout à fait tragique.
22 M. Moskowitz (interprétation). - Et finalement, Colonel, je
23 crois vous avoir entendu évoquer l'utilisation de différentes armes au
24 cours de l'attaque contre la vallée de la Lasva. Pendant votre séjour en
25 Bosnie centrale et dans la vallée de la Lasva, est-ce que vous avez eu
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1 l'occasion de voir des armes antiaériennes placées sur des véhicules ?
2 M. Watters (interprétation). - Oui, à plusieurs reprises,
3 quelquefois des armes à double-canon, à quatre canons, de différents
4 calibres, 20 mm et quelquefois jusqu'à 40 mm. Tout cela était des
5 indications très intéressantes, car elles indiquaient que des combats
6 devaient avoir lieu. Ce sont des armes qui ne sont pas utilisées sur le
7 plan tactique, mais bien sur le plan opérationnel. Donc chaque fois qu'on
8 voit de telles armes à un endroit, on se rend compte que quelque chose
9 d'important va avoir lieu et risque d'arriver en tout cas, en cas de
10 déploiement de telles armes.
11 M. Moskowitz (interprétation). - J'aimerais demander à
12 l'huissier son aide pour communiquer ce document au témoin.
13 M. Watters (interprétation). - Et puis, il y a un autre point
14 qui nous intéressait, qui nous a paru intéressant, c'est que...
15 Mme le Greffier. - Pièce d'accusation numéro 24.
16 M. Watters (interprétation). - Certaine de ces armes pouvaient
17 atteindre nos blindés, donc nous étions particulièrement inquiets.
18 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez donc décidé de les
19 prendre en photo ?
20 M. Watters (interprétation). - Oui.
21 M. Moskowitz (interprétation). - Pouvez-vous nous décrire ce que
22 vous voyez sur cette photographie et à qui semble appartenir cette arme ?
23 M. Watters (interprétation). - J'ai pris des photographies de ce
24 véhicule ou d’un autre qui lui ressemblait énormément dans la vallée de
25 la Lasva à ce moment-là. C’est un véhicule du HVO et, en fait, dans la
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1 photographie que j'avais à l'origine, on pouvait voir un insigne du HVO à
2 côté de la plaque d'immatriculation. Il s'agit d'un véhicule à
3 quatre canons, généralement il y avait également une remorque avec les
4 munitions.
5 M. Moskowitz (interprétation). - Je pense qu'il est difficile de
6 voir les quatre canons, est-ce que vous pourriez nous les montrer ?
7 M. Watters (interprétation). - Il s’agit des canons qui sont
8 dirigés vers le haut, ici il y en a quatre dans cette région-là. C'est
9 donc l'arme en tant que telle. Les sacs de sable probablement visent à
10 stabiliser la base de l’arme et il s'agit là de sorte de soldats qui
11 s'occupent de l’arme ou qui protègent l'arme.
12 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce qu'il s'agit de soldats
13 du HVO ?
14 M. Watters (interprétation). - C'est un véhicule du HVO, il
15 s'agit de soldats du HVO. Sur une meilleure photographie, vous verriez
16 probablement leurs insignes et leurs badges.
17 M. Moskowitz (interprétation). - J'ai une question à vous
18 poser : je comprends mal pourquoi il y avait besoin d'armes antiaériennes
19 en Bosnie centrale ? Est-ce qu'il y avait une menace sérieuse d'attaque
20 aérienne ?
21 M. Watters (interprétation). - Non, ces armes se trouvaient
22 positionnées sur des véhicules pour tirer directement. Elles étaient
23 utilisées pour viser des cibles sur le terrain. Et ils ont une force
24 dévastatrice.
25 M. Moskowitz (interprétation). - Quelle est leur portée ? Et
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1 sont-ils dangereux ? Sont-ils précis ?
2 M. Watters (interprétation). - Ils sont précis, sur une petite
3 distance.
4 M. Moskowitz (interprétation). - Qu'entendez-vous par là ?
5 M. Watters (interprétation). - De l'observation que j'ai faite,
6 je dirai qu’à 6 ou 700 mètres, ils sont précis, et à mesure que la portée
7 augmente et que leur zone augmente, la précision demeure mais la zone dans
8 laquelle atterrissent les balles augmente.
9 M. Moskowitz (interprétation). - Merci.
10 M. Le Président (interprétation). - Avant de faire une
11 interruption, j'aimerais poser
12 une question à Me. Pavkovic : qui va procéder au contre-interrogatoire ?
13 M. Pavkovic (interprétation). - Monsieur le Président, la
14 défense souhaite porter à la connaissance de la Chambre deux questions :
15 tout d'abord, la défense présentera sa déclaration liminaire après la fin
16 des présentations des moyens de preuve de l'accusation et avant
17 l'exposition des moyens de preuve de la défense.
18 Deuxièmement, la défense, par ailleurs, n'est pas de l’avis
19 qu'un seul conseil procède au contre-interrogatoire pour les témoins de
20 l'accusation. La défense estime en effet que cela irait à l'encontre des
21 droits de la défense de la manière suivante : dans les cas où plusieurs
22 personnes sont mises en accusation par un acte d’accusation, comme c'est
23 le cas ici, nous estimons que les droits de chaque accusé ne peuvent être
24 mis en cause dans le cadre d'un contre-interrogatoire. C'est la raison
25 pour laquelle la défense propose qu'il lui soit possible que chaque
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1 conseil procède au contre-interrogatoire de chaque témoin de l'accusation.
2 Je vous remercie.
3 M. Le Président (interprétation). - J'aimerais vous répondre
4 immédiatement. Hier, je vous ai donné lecture d'une de nos directives d'où
5 il ressort clairement que la défense peut envisager de désigner l'un de
6 ses membres pour contre-interroger un témoin. Nous ne disons pas que, dans
7 chaque cas, vous devez désigner un seul conseil, mais, bien entendu, si un
8 témoin, dans ses réponses à l’interrogatoire principal, traite de
9 questions qui sont liées à trois accusés, il va sans dire que les conseils
10 de la défense pour ces trois accusés-là ont le droit de contre-interroger
11 ce témoin.
12 J'ai soulevé ce point-là hier car, en l'espèce, le témoin, le
13 colonel Watters, ne s’est pas prononcé contre ou sur un accusé
14 particulier, et je pense donc qu’en ce cas précis un seul conseil de la
15 défense pourrait procéder au contre-interrogatoire du témoin au nom de
16 tous les autres. Mais bien entendu vous avez la possibilité de décider qui
17 va procéder au contre-interrogatoire et si vous souhaitez faire en sorte
18 que tous les conseils de la défense procèdent au contre-interrogatoire,
19 très bien, mais il s'agit d'une mesure qui vise à économiser du temps.
20 En tout état de cause, si plusieurs conseils de la défense
21 contre-interrogent le témoin, ils n'ont pas le droit de poser les mêmes
22 questions ; les questions doivent être différentes, nous souhaitons éviter
23 toute répétition. Peut-être qu'après la suspension d'audience vous pourrez
24 nous dire qui procédera au contre-interrogatoire du témoin, combien
25 d'entre vous vont le faire, pour que nous voyions de combien de temps nous
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1 avons besoin.
2 Suspension d'audience de trente minutes maintenant.
3 (L'audience, suspendue à 11 heures 10, est reprise à
4 11 heures 45.)
5 M. le Président (interprétation). - Monsieur Pavkovic ?
6 M. Pavkovic (interpration). - Monsieur le Président, la défense
7 s'est ralliée à votre point de vue et nous avons décidé qu'au nom de tous
8 les conseils, c'est Ranko Radovic qui va procéder au contre-interrogatoire
9 du témoin ; son contre-interrogatoire devrait durer une heure ou une heure
10 et demie. Me Krajina va également poser des questions pendant dix minutes
11 environ. Les autres conseils poseront des questions s'ils l'estiment
12 nécessaire, sans répéter les questions posées précédemment, bien entendu.
13 Merci.
14 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie.
15 M. Radovic (interprétation). - Je me présente : Ranko Radovic,
16 je défends Zoran Kupreskic. Colonel, autant que j'ai pu le constater dans
17 votre curriculum vitae, vous avez occupé toutes les fonctions dans
18 l'armée, de commandant de section à d'autres fonctions ?
19 M. Watters (interprétation). - Je n'ai pas occupé de fonctions
20 en-dessous du rang d'officier.
21 M. Radovic (interprétation). - Qu'en est-il de votre formation
22 dans l'armée ? Est-ce qu’il s'agit de questions militaires ou est-ce que
23 dans l'accomplissement de vos fonctions vous avez également traité de
24 questions politiques ?
25 M. Watters (interprétation). - En tant que soldat professionnel
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1 pendant vingt-cinq ans, j'ai exercé ma profession, j'ai étudié ma
2 profession et l'essentiel des opérations
3 militaires vise à arriver à des buts politiques. J'ai donc...
4 M. Radovic (interprétation). - Mais les militaires s'occupent de
5 questions pratiques alors que les politiques donnent des directives
6 politiques, n'est-ce pas ?
7 M. Watters (interprétation). - Oui.
8 M. Radovic (interprétation). - Dans votre réponse à
9 l'interrogatoire principal, vous avez mentionné une situation confuse à
10 Zenica au sujet de Jivko Totic. Est-ce que j'ai bien compris ?
11 M. Watters (interprétation). - Oui Monsieur. Le 15 avril, le
12 commandant Totic a été enlevé à Zenica et ses quatre gardes du corps ont
13 été tués, je crois.
14 M. Radovic (interprétation). - Qui était Jivko Totic ? Que
15 commandait-il ?
16 M. Watters (interprétation). - Si j'ai bien compris, il était
17 chef de la police militaire du HVO à Zenica.
18 M. Radovic (interprétation). - Vous dites que cela est arrivé le
19 15 avril, donc un jour avant les événements d'Ahmici. Est-ce que j'ai bien
20 compris ?
21 M. Watters (interprétation). - Oui.
22 M. Radovic (interprétation). - Passons maintenant à ce que vous
23 savez des accusés. Dans le prétoire, vous avez pu voir un groupe de
24 personnes et j'imagine que dans vos contacts avec le HVO et dans
25 l'accomplissement de vos fonctions sur le territoire de Vitez et dans les
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1 environs de Vitez, j'imagine que vous ne les avez jamais rencontrées.
2 Alors ma question est la suivante : est-ce que vous avez jamais vu ces
3 personnes avant de les avoir vues ici dans le prétoire ?
4 M. Watters (interprétation). - Je ne peux dire que je les ai
5 vues. Je n'ai pas de souvenirs directs des messieurs ici présents.
6 M. Radovic (interprétation). - Est-ce que vous aviez
7 connaissance des noms de ces personnes ? Et si tel n'est pas le cas, je
8 vais vous donner leurs noms. Ou plutôt, je peux tout de suite vous donner
9 les noms pour aller plus vite. Leurs noms sont les suivants :
10 Zoran Kupreskic, Mirjan Kupreskic, Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic,
11 Dragan Papic et Vladimir Santic.
12 Est-ce qu'aucun de ces noms évoque quelque chose pour vous ?
13 M. Watters (interprétation). - Le seul nom que je reconnais est
14 celui de Santic. Je connaissais plusieurs personnes qui s'appelaient
15 Santic à Vitez. Mais généralement, je ne traitais qu'avec les commandants
16 à Vitez. Je ne crois pas me souvenir que M. Santic ait été commandant mais
17 son nom m'est familier.
18 M. Radovic (interprétation). - Vous avez décrit les événements
19 qui se sont produits à Vitez et dans les environs de Vitez. Est-ce que
20 pour aucun de ces accusés vous pouvez nous dire qu'il aurait participé à
21 ces événements de n'importe quelle manière ?
22 M. Watters (interprétation). - Je n'ai pas connaissance directe
23 d'une participation des accusés dans les événements à Vitez et dans les
24 environs.
25 M. Radovic (interprétation). - Etant donné que vous êtes avant
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1 tout militaire, étant donné que vous vous êtes occupé de questions
2 militaires, j'aimerais vous demander si, à votre avis, le HVO avait un
3 intérêt stratégique vis-à-vis d'Ahmici ?
4 M. Watters (interprétation). - Je ne pense pas qu'Ahmici était
5 importante de manière stratégique militaire. Je ne pense pas qu'Ahmici ait
6 été défendue en tant que qualité. Je ne pense donc pas que c'était une
7 cible militaire, mais comme je l’ai dit dans ma déposition, à mesure que
8 le temps passait, nous avons pensé qu'Ahmici avait une signification
9 psychologique dans le nettoyage ethnique de la population musulmane de la
10 vallée de la Lasva. La signification était donc affective pour le peuple
11 musulman.
12 Je n'ai pas pensé à la tactique du nettoyage ethnique, mais je
13 pense que si vous devez décider ou envoyer un message, à l'intention des
14 autres habitants de la vallée de la Lasva ; qu'ils n'étaient plus les
15 bienvenus et qu'ils devaient partir, je pense, avec le recul, qu'Ahmici
16 était l'endroit le plus approprié pour envoyer un tel message. Et notre
17 grand regret est de ne l'avoir
18 pas compris plus tôt.
19 M. Radovic (interprétation). – Dites-nous, est-ce qu'Ahmici
20 arrive jusqu'à la route Vitez Busovaca ? Ou plutôt, est-ce que la route
21 traverse Ahmici ?
22 M. Watters (interprétation). - Je ne pourrais vous dire où se
23 trouvent les limites des villages de Santici Ahmici et des autres petits
24 villages. Nous avons examiné les noms sur la carte et les zones plus
25 vastes des villages, et je n'avais pas compris qu'Ahmici allait aussi
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1 loin.
2 M. Radovic (interprétation). – Sur le territoire d'Ahmici, est-
3 ce que certaines maisons vont de l'autre côté de la route ?
4 M. Watters (interprétation). - Je l'ignore, Monsieur.
5 M. Radovic (interprétation). – Est-ce qu’il existe une autre
6 route qui va de Vitez à Busovaca et plus loin, à part cette route qui
7 passe à côté ou qui traverse Ahmici ?
8 M. Watters (interprétation). - Non, je n'ai jamais emprunté une
9 telle route et nos véhicules Warrior ne l'ont jamais empruntée.
10 M. Radovic (interprétation). – S'il s'agit de la seule route, et
11 si vous ne connaissiez pas une autre route, est-ce que cette route serait
12 cruciale pour les manoeuvres du HVO et pour la force du HVO ?
13 M. Watters (interprétation). – Oui, et dans ma déposition j'ai
14 décrit l'importance de cette route qui relie Novi Travnik à Gornji Vakuf
15 en passant par Vitez, Busovaca et Kiseljak. Il s'agissait d'une route
16 d'une importance stratégique pour le HVO.
17 M. Radovic (interprétation). – Quand vous êtes arrivé à Vitez,
18 est-ce que vous avez eu connaissance de ce qui s'est produit avant votre
19 arrivée à Vitez ? Plus concrètement, est-ce que vous saviez que
20 le 20 octobre 1992 les Musulmans ont coupé la route près du cimetière
21 catholique à Ahmici et ont donc empêché le passage des forces du HVO qui
22 allaient dans une certaine direction ?
23 M. Watters (interprétation). - Je n'ai pas eu connaissance de ce
24 barrage routier
25 précis, mais je savais qu'en 1992, jusqu'au mois d'octobre, arrivée de mon
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1 bataillon, et jusqu'au mois de février ou je suis arrivé, je savais qu'il
2 y avait eu énormément de combats dans la zone entre Busovaca et Kiseljak,
3 et dans la zone entre le carrefour de Busovaca et le contournement de
4 Zenica, comme nous l'avons appelé. Et nous avions des véhicules blindés au
5 mois de janvier et février, à des points stratégiques, comme Kaonik, suite
6 à la demande des forces du HVO pour leur sécurité et pour la sécurité de
7 leur peuple.
8 M. Radovic (interprétation). – Parlons de points militaires
9 maintenant. Lorsqu'il existe des renseignements selon lesquels la partie
10 adverse expulse des civils de leur maison, et lorsque le commandant de la
11 partie adverse l’apprend, qu'est-ce que cela indiquerait pour le
12 commandant de l'autre partie au conflit ?
13 M. Watters (interprétation). - Dans un cas hypothétique, si vous
14 croyez que des civils sont évacués d'une zone déterminée, cela vous amène
15 à penser que la partie adverse avait l'intention de mener une opération
16 militaire. Et comme l'exige les Conventions de Genève, la partie adverse a
17 donc déplacé les populations civiles. Les commandants militaires ont pour
18 obligation, aux termes des Conventions de Genève, d'améliorer la situation
19 des civils en cas de combat. Donc, ce serait une indication qu'il y a une
20 possibilité qu'une opération militaire soit imminente.
21 M. Radovic (interprétation). – Si le commandant qui a reçu cette
22 information n'a pas entrepris les actions que vous venez de décrire comme
23 lui incombant, incombant comme étant de son devoir de réaliser, qu'est-ce
24 que cela signifierait pour ce commandant ?
25 M. Watters (interprétation). - Si le commandant en question n'a
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1 pas évacué les civils de la zone, ou en tout cas n'a pas essayé d'évacuer
2 les civils de la zone, ce commandant serait en infraction par rapport aux
3 Conventions de Genève, ou alors il faudrait qu'il apporte la preuve qu'il
4 a fait de son mieux dans ce sens.
5 M. Radovic (interprétation). – Mais est-il possible que l'on
6 concentre suffisamment de forces pour une attaque, et que des gardes qui
7 sont en faction à l'endroit où ils sont en faction, où ils montent la
8 garde, ne se rendent pas compte de ces préparatifs ?
9 M. Watters (interprétation). - J'espérerais pouvoir réaliser
10 cela, oui.
11 M. Radovic (interprétation). – Si les gardes ont remarqué et
12 informé leur commandant, et que le commandant n'a rien fait, que pourrait-
13 on dire d'un tel commandant ? Excusez-moi, Monsieur le Président, mais je
14 dois poser cette question parce que nous avons certains témoins qui vont
15 corroborer les faits sur lesquels j'interroge le colonel, mais j'aimerais
16 avoir également l’avis du colonel en personne.
17 M. Watters (interprétation). – Eh bien, toujours dans un cas
18 hypothétique, si le commandant se rend compte que l'opposition est en
19 train de regrouper ses forces, il en déduira que la partie adverse va sans
20 doute attaquer et c'est l'un des principes de la guerre que la personne
21 qui attaque la première remporte en général le succès, car elle tire
22 profit de l'effet de surprise.
23 M. Radovic (interprétation). - Si un Croate s'approche d'un
24 Musulman pour l'avertir : "Il va se passer quelque chose cette nuit", et
25 que le Musulman en informe un policier musulman, s'il dit à un policier
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1 musulman ce que le Croate lui a dit et qu'il n'y a toujours rien de fait,
2 que penseriez-vous personnellement d'un commandant qui ne ferait rien dans
3 ces conditions, vous qui êtes un officier de haut rang ?
4 M. Watters (interprétation). - Je ne suis pas tout à fait sûr
5 de bien comprendre votre question.
6 M. Radovic (interprétation). - Il existe une information selon
7 laquelle un Croate a informé un de ses amis musulmans en lui disant qu'une
8 attaque était en cours de préparation pour la nuit à venir. Ce Musulman en
9 a informé un policier musulman. Et lui n'a rien fait pour avertir les
10 autres. Que diriez-vous d'un tel policier, sous l'angle des services
11 d'information de
12 l'armée ?
13 M. Watters (interprétation). - Toujours dans un cas
14 hypothétique, il aurait failli à son devoir, et si l'on replace ceci dans
15 le contexte de ce qui se passait en Bosnie centrale à l'époque, si c'est
16 moi qui avait eu à traiter avec ce policier, il se pourrait que j'ai
17 quelque empathie par rapport à son absence d'action parce que de très
18 nombreuses rumeurs circulaient. Donc, tout dépend du jugement du policier
19 en question et du contexte dans lequel il se trouve, je ne peux pas en
20 juger. Mais si ce que vous venez de dire s’est produit, cela signifierait
21 que le policier n'a pas informé d'autres personnes d'un événement tout à
22 fait important.
23 M. Radovic (interprétation). - Monsieur, est-ce que vous
24 connaissez la doctrine militaire qui avait cours sur le territoire de
25 l'ex-Yougoslavie, de l'ex-RSFY, et des anciennes Républiques de la RSFY y
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1 compris sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine ?
2 M. Watters (interprétation). - Eh bien, je ne sais pas
3 exactement ce que vous entendez par doctrine militaire. Quand je suis
4 arrivé sur le terrain, la doctrine militaire qui avait cours en
5 Bosnie centrale consistait à défendre les positions contre les Serbes et
6 il y avait une alliance entre le HVO et l'armée de Bosnie-Herzégovine à
7 cette fin. Je dirais que la doctrine défendue par cette alliance à
8 l'époque était une doctrine de survie.
9 M. Radovic (interprétation). - J'ai lu votre déclaration selon
10 laquelle l'organisation de l'armée était comparable à celle de la Première
11 Guerre mondiale, mais ce qui m'intéresse c'est de savoir si vous
12 connaissiez la doctrine de la défense générale des travailleurs.
13 M. Watters (interprétation). - De façon générale, je connais la
14 doctrine de survie qui consiste à mobiliser chacun, pour que chacun puisse
15 jouer son rôle dans la survie de l'Etat tel qu'il existait. Mais je ne
16 peux pas dire que j'ai étudié, en tout cas, je ne connais pas de doctrines
17 publiées, en tout cas dans le sens où j'entends ces termes, donc, de
18 doctrines militaires s'appliquant à la Bosnie centrale de l'époque. Je
19 n'ai pas vu de doctrines militaires, Monsieur, en tout cas je n'ai rien lu
20 personnellement sur ce sujet à l'époque.
21 M. Radovic (interprétation). - Est-ce que vous savez qu'il
22 existait des lois de la défense générale des travailleurs qui
23 contraignaient chacun à participer à la défense, indépendamment de son âge
24 ou de son sexe ?
25 M. Watters (interprétation). - Je savais qu'il existait un appel
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1 national à la défense de la Bosnie centrale et que chacun avait un rôle à
2 y jouer, mais je n'ai jamais vu de femmes ou d'enfants portant des armes.
3 M. Radovic (interprétation). - Vous avez dit dans votre
4 déclaration ne pas avoir vu de cadavres de soldats. Est-ce que cela
5 signifie qu'il n'y avait aucun soldat mort ou est-ce que vous acceptez la
6 possibilité qu'il y avait aussi des soldats morts ?
7 M. Watters (interprétation). - Je n'ai fait que relater ce que
8 j'avais vu. C'est en fait l'un des seuls champs de bataille que j'ai vu où
9 je n'ai pas vu un seul soldat mort. C'est une situation qui m'a frappé.
10 Bien sûr, il est possible qu'il y ait eu des soldats morts en dehors du
11 bâtiment où je me trouvais et en dehors de mon champ de vision, mais je
12 n'en ai pas vus. Les seuls cadavres que j'ai vus étaient des cadavres de
13 civils.
14 M. Radovic (interprétation). - Est-ce que je vous ai bien
15 compris, à savoir que vous estimez qu'il n'y avait pas de soldats morts
16 parce que pas un seul cadavre que vous avez vu ne portait un uniforme ?
17 M. Watters (interprétation). - C'est exact. L'hypothèse que j'ai
18 faite, quant au fait que ces personnes n'étaient pas des soldats, vient de
19 l'absence d'uniforme et également du fait que certains cadavres étaient
20 des cadavres de personnes âgées et de femmes et d'enfants. Donc, c'est
21 cela qui m'a amené à la conclusion qu'il ne s'agissait pas de soldats.
22 M. Radovic (interprétation). - Est-ce que vous excluez la
23 possibilité que certains soldats de l'armée de Bosnie-Herzégovine ont pu
24 enlever leur uniforme au moment du combat pour s'habiller en civil et se
25 cacher de cette façon ? Parmi les moyens de preuve de l'accusation, il
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1 existe la déclaration d'un témoin qui dit qu'il a dormi en uniforme et
2 qu’au début du combat, il
3 a enlevé son uniforme et s'est habillé en civil.
4 M. Watters (interprétation). - Bien entendu, c'est une
5 possibilité. Comme je l’ai dit, ce qui m'a choqué c'est que ces cadavres
6 étaient en civil, ils avaient l'air de civils et certains d'entre eux
7 étaient des cadavres de femmes et d'enfants. S'il y avait eu quelques
8 soldats isolés qui auraient été des combattants et se seraient habillés en
9 civils, je ne peux pas faire de commentaire à ce sujet.
10 M. Radovic (interprétation). - Ce qui m'intéresse à présent,
11 c'est la réponse que vous avez apportée, il y a quelques instants, en
12 disant que la surprise constituait un élément très important dans une
13 opération militaire bien menée. Est-ce que je vous ai bien compris ?
14 M. Watters (interprétation). - Oui, Monsieur.
15 M. Radovic (interprétation). - En tant que commandant de section
16 et d'unité militaire inférieure, je suppose que vous entraîniez également
17 vos soldats au combat dans des zones urbanisées ?
18 M. Watters (interprétation). - Oui, nous appelons cela "FIPU"
19 dans notre doctrine militaire, c'est-à-dire opérations de combat dans des
20 zones urbaines.
21 M. Radovic (interprétation). - Je suppose que lors de ces
22 entraînements, les soldats apprennent à pénétrer dans des bâtiments, dans
23 des maisons, en tout cas nous pourrions peut-être comparer notre
24 entraînement à moi et à vous. De quelle façon pénètre-t-on dans une maison
25 dans le cadre de la doctrine du combat dans les zones urbaines, lorsqu'on
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1 s'attend à la possibilité qu'il y ait dans la maison des personnes en
2 armes ?
3 M. Watters (interprétation). - Eh bien dans la phase initiale,
4 on voit les premières maisons du village et à ce moment-là, on utilise
5 toute la puissance de feu que l'on a à sa disposition. En tirs directs. Et
6 sur le plan tactique, il faut également se donner le contrôle d'une façade
7 de la maison alors que la façade de l'autre côté est neutralisée par du
8 contre-feu de façon à éviter que des soldats puissent tirer de l'intérieur
9 de la maison. Et puis ensuite il faut pénétrer
10 dans la maison au moment où la décision est prise d'y pénétrer.
11 Normalement, si la possibilité existe, nous utilisons un char ou
12 une charge pour faire un trou dans une des façades de façon à éviter de
13 passer par une fenêtre ou une porte, ce qui serait trop évident. Une fois
14 que nous avons fait ce trou, nous jetons des grenades à l'intérieur de la
15 maison pour neutraliser la première pièce, nous rentrons dans cette pièce,
16 et à partir de cette pièce nous nettoyons la maison dans la direction que
17 nous avons choisie, soit du bas vers le haut, soit dans une autre
18 direction.
19 M. Radovic (interprétation). - Vous venez de donner la
20 description d'une opération plus parfaite que celles qui auraient pu être
21 appliquées dans le cadre de la technologie de l'armée de Bosnie-
22 Herzégovine ou du HVO, car vous avez dit que ni l'une ni l'autre des
23 parties ne possédait des chars. Est-ce que vous acceptez la possibilité
24 qu'une armée qui ne possède pas de chars commence par jeter des grenades à
25 l'intérieur du bâtiment puis rentre en force, et tire avec des armes à
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1 feu ? En tout cas, c'est de cette façon que moi j'ai été entraîné à une
2 certaine époque.
3 M. Watters (interprétation). - Oui, si vous ne pouvez pas
4 accéder à la maison à partir d'une position inattendue en vous servant de
5 la surprise, vous allez utiliser une fenêtre ou une porte comme point
6 d'accès initial ; vous jetterez vos grenades par la fenêtre ou par la
7 porte et ensuite vous entrez en tirant des coups de feu dans cette pièce,
8 puis vous tirez vers le sol ou vers le plafond.
9 M. Radovic (interprétation). - Vous avez dit que les combats ne
10 se sont pas déroulés exclusivement à Ahmici, mais qu'il y avait des
11 combats simultanément dans toute la vallée de la Lasva, et vous avez
12 ajouté qu'il s'agissait d'une action militaire coordonnée au plus haut
13 niveau. Est-ce que je vous ai bien compris ?
14 M. Watters (interprétation). - Oui, Monsieur.
15 M. Radovic (interprétation). - Cette action militaire coordonnée
16 au plus haut niveau... Est-ce que lorsqu'une telle action est planifiée,
17 des soldats de deuxième classe participent à une telle planification ?
18 M. Watters (interprétation). - Normalement non, Monsieur. Ce
19 sont les commandants qui se chargent de la planification.
20 M. Radovic (interprétation). - Mais est-ce que des représentants
21 de section participent à une telle planification ? Est-ce que les
22 commandants de section y participent ?
23 M. Watters (interprétation). - Ils planifient la zone de
24 responsabilité qui leur est déléguée en fonction des ordres qu'ils ont
25 reçus de leur bataillon ou de leur commandant. Donc ils planifient une
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1 partie de l'opération et il s'agit de la procédure de combat, comme nous
2 l'appelons, préalable à la bataille à proprement parler. Et un certain
3 nombre de facteurs interviennent pour déterminer à quel moment se situe
4 cette étape préalable.
5 M. Radovic (interprétation). - La planification du haut
6 commandant de section, si j'ai bien compris, n'intervient que lorsqu'ils
7 reçoivent les ordres de leurs supérieurs, leur zone de responsabilité et
8 la définition des tâches qu'il convient qu'ils accomplissent, après quoi
9 ils affectent des soldats à ces tâches ; est-ce que je vous ai bien
10 compris ?
11 M. Watters (interprétation). - C'est exactement cela, Monsieur.
12 Oui, en effet.
13 M. Radovic (interprétation). - Mais le plan de départ, le plan
14 qui est appliqué du haut vers le bas, vers les soldats de deuxième classe,
15 à quel niveau se situe la planification du plan de départ destiné à une
16 opération de si haut niveau ? Est-ce que c'est le commandant de brigade
17 qui se charge de cette planification, ou un commandant de rang supérieur ?
18 M. Watters (interprétation). - Eh bien si nous voulons être
19 précis par rapport à la vallée de la Lasva, il aurait fallu que cette
20 planification se situe au niveau opérationnel, c'est-à-dire qu'un
21 commandant régional se charge de la planification. A l'époque, ce
22 commandant était M. Blaskic, et ce commandant aurait besoin de ressources
23 venant d'un niveau encore supérieur. Donc une telle action doit être
24 planifiée au niveau régional et si possible au niveau stratégique, sur le
25 plan militaire.
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1 M. Radovic (interprétation). - Quand l'armée arrive à
2 l'emplacement de ce que j'appellerais des maisons amies, le Procureur vous
3 a montré des maisons qui n'étaient pas des maisons de Musulmans mais des
4 maisons de Croates. Donc lorsqu'un soldat arrive auprès d'une telle maison
5 et dit au propriétaire : "L'armée a besoin de votre maison", est-ce que la
6 possibilité existe que le propriétaire de la maison permette à l'armée de
7 se servir de sa maison ? Ou est-ce qu'il peut le refuser ?
8 M. Watters (interprétation). - Eh bien pour ma part, je n'aurais
9 pas très envie de rester avec ma famille dans une maison qui se trouverait
10 dans une zone de combats ; si j'étais le propriétaire de cette maison et
11 que quelqu'un venait me dire : "Nous allons attaquer le village où se
12 trouve votre maison", je pense que... on n'a qu'une envie, c'est celle de
13 partir. Moi j'aurais envie de partir.
14 M. Radovic (interprétation). - Vous avez parlé d'explosions dues
15 à des moyens d'artillerie lourde, mais nous avons bien dit à ce moment-là
16 qu'il ne s'agissait pas de Vitez, n'est-ce pas ?
17 M. Watters (interprétation). - J'ai dit qu'il y avait des coups
18 de mortier et de canons qui ont été tirés dans la région de la ville de
19 Vitez et dans les environs le matin du 16.
20 M. Radovic (interprétation). - Mais de quelles armes
21 d'artillerie parlez-vous ? Est-ce que vous parlez uniquement de canons ou
22 de mortiers ou des deux ?
23 M. Watters (interprétation). - Nous avons compris qu'il
24 s'agissait et de mortiers et de canons. Techniquement, il est très
25 difficile, lorsque vous êtes au niveau de la réception, de déterminer d'où
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1 vient ce que vous recevez qui vous vient du ciel. Lorsqu'il y a explosion,
2 en fonction de l'importance de l'explosion, on peut estimer s'il s'agit de
3 mortiers ou d'artillerie, mais puisque les mortiers en Bosnie avaient des
4 calibres qui allaient jusqu'à 120 mm, ils avaient en fait
5 une puissance équivalente à la plupart des pièces d'artillerie. La seule
6 différence, c'était la portée de ces armes et, au départ, nous n'avons pas
7 vu les endroits d'où partaient les tirs de mortiers. Nous en avons
8 identifiés par la suite et il s'agissait de positions croates.
9 M. Radovic (interprétation). - D'où vous vient l'information
10 selon laquelle de nombreux imams sont issus, étaient issus d'Ahmici ?
11 M. Watters (interprétation). - C'est quelque chose qu'on nous a
12 dit au fil des jours et des semaines. En effet, cela nous a beaucoup
13 étonnés. Nous nous demandions vraiment pourquoi Ahmici avait été choisie
14 pour subir une destruction aussi totale. Donc, nous nous demandions
15 pourquoi Ahmici était considérée comme plus importante que d'autres villes
16 où il y avait des casernes militaires, et c'est cette raison qui a été
17 avancée par un certain nombre de personnes à qui nous avons parlé, parmi
18 les personnes que nous connaissions.
19 M. Radovic (interprétation). – Donc, c'est une information qui
20 vous a été donnée de source musulmane ?
21 M. Watters (interprétation). - Très probablement, pour être
22 honnête, c'étaient des conversations que l'on avait de façon banale. Il
23 est possible que ces conversations aient eu lieu avec des interlocuteurs
24 musulmans.
25 M. Radovic (interprétation). - En dehors de ce conflit d'Ahmici,
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1 pour lequel la défense affirme qu'il a été dû à la présence de la route,
2 parce que la route traverse Ahmici, est-ce qu'il y a eu des combats dans
3 d'autres endroits situés sur la route ?
4 M. Watters (interprétation). - Je suppose qu'il faut définir le
5 mot "conflit". Ce conflit avait l'air d'être à sens unique, à l'exception
6 de Vitez et de Kruscica. Il ne semblait pas qu'il s'agissait de combats,
7 mais plutôt de nettoyage ethnique. Le 19 avril, je rentrais de Zenica, et
8 dans la vallée de la Lasva, au sud d'Ahmici, j'ai vu quelques maisons et,
9 à l'arrivée de mon Warrior, les habitants de ces maisons se sont mis
10 devant mon véhicule et l'ont arrêté. Donc, je suis descendu et j'ai
11 utilisé les services d'une interprète qui venait d'une agence d'aide des
12 Nations Unies et qui nous accompagnait, pour parler à ces personnes.
13 Il y avait un groupe de soldats croates qui venaient de ce que
14 l'on appelait le "Bungalow", et qui disaient à ces habitants des maisons
15 que s'ils ne quittaient pas leur maison, ils brûleraient vifs à
16 l'intérieur. Les femmes et les hommes âgés, pour la plupart, ainsi que les
17 enfants qui se trouvaient sur les lieux étaient totalement terrorisés.
18 J'ai parlé avec le commandant de ces soldats qui m'a dit que ces
19 maisons… qu'il avait besoin de ces maisons pour y placer des familles
20 croates déplacées, et que ses ordres étaient de faire partir les habitants
21 de ces maisons. Les habitants de ces maisons semblaient croire qu'ils
22 allaient être tués. Je dois admettre qu'à l'époque j'avais quelques doutes
23 sur le fait que toutes ces personnes risquaient d'être tuées. Ils étaient
24 quarante ou cinquante. Mais, leur terreur, leur crainte étaient si réelles
25 que nous avons décidé de les déplacer ailleurs avec l'aide d'une autre
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1 organisation d'aide des Nations Unies.
2 Et c'est encore un exemple que j'ai eu de la signification du
3 nettoyage ethnique, la menace que vous recevez, c'est-à-dire qu'on vous
4 dit que si vous ne partez pas, votre maison va être brûlée, et ces
5 personnes sont parties. Pendant le reste du temps que j'ai passé en
6 Bosnie, ces bâtiments n'ont pas brûlé, mais leurs habitants n'y sont
7 jamais rentrés non plus.
8 M. Radovic (interprétation). - Dites-moi, est-ce que vous
9 connaissez un endroit quelconque où les Croates ont subi le nettoyage
10 ethnique de la part des Musulmans ?
11 M. Watters (interprétation). - Dans cette période de temps, il y
12 avait effectivement des endroits dans ma zone de responsabilité où cela
13 s'est produit, et, une fois, cela s'est produit dans la période dont nous
14 parlons, je crois, en réaction au pilonnage de Zenica. Les forces
15 musulmanes de Zenica ont procédé au nettoyage ethnique de la population
16 croate de Zenica. Le colonel Stewart circulait sur la route de montagne
17 quand il a vu 400 personnes environ entourer son Warrior qui lui ont dit
18 que leur vie était en danger.
19 Nous avons envoyé des blindés à l'église catholique qui se
20 trouve en périphérie de
21 Zenica ; nous avons envoyé ce blindé pour protéger les gens qui étaient
22 toujours à Zenica. Nous avons contacté le maire de Zenica qui a envoyé des
23 moyens, des autobus pour ramener les gens chez eux, et nous avons fait en
24 sorte que ces personnes puissent retourner dans leur maison. Cela a été la
25 fin de l'incident, mais c'était un exemple de nettoyage ethnique des
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1 Croates qui finalement n'a pas eu lieu, même si pas mal de gens sont tout
2 de même partis parce que ces personnes ne se sentaient pas en sécurité.
3 Donc, oui, j'ai vu de tels événements.
4 M. Radovic (interprétation). - Est-ce que vous avez entendu
5 parler des événements survenus dans les lieux appelés Poculica et Bobasi
6 où les Croates ont subi le nettoyage ethnique ?
7 M. Watters (interprétation). – Poculica, oui je m'en souviens
8 sans aucun doute et il vrai que la population de Poculica a été nettoyée
9 ethniquement. Nous n'avons jamais trouvé de cadavres à cet endroit, nous
10 pensons que les gens sont partis, que les habitants sont partis avant
11 l'incendie de leur maison.
12 M. Radovic (interprétation). - Vous voulez dire que les Croates
13 de ces villages sont partis ?
14 M. Watters (interprétation). – C'est cela, Monsieur.
15 M. Radovic (interprétation). – A votre avis, qui en fait est
16 responsable de la guerre entre les Croates et les Musulmans ? Est-ce que
17 vous conviendriez que cela dépend de l'endroit et du temps, de la date ?
18 C'est-à-dire que la réponse n'est pas univoque.
19 M. Watters (interprétation). - Nous n'avons jamais adopté un
20 point de vue unilatéral. Dans l'ensemble de la Bosnie, la propension au
21 nettoyage ethnique débouchait, en général, sur le fait que la population
22 majoritaire réalisait le nettoyage ethnique quel que soit le lieu en
23 Bosnie dont on parle, et que la population minoritaire était victime de ce
24 nettoyage ethnique.
25 Cela ne dépendait pas de la religion ou de la culture, mais
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1 plutôt d'une situation démographique. Par exemple, à Tuzla, la population
2 opprimée, victime du nettoyage, victime de l'oppression, était plutôt la
3 minorité serbe et la minorité croate, et en Bosnie centrale, c'était la
4 minorité musulmane qui a été victime. Donc oui, effectivement, cela
5 dépendait de l'endroit en Bosnie et de la population concernée.
6 Mais ce qui était visible, c'est qu'en Bosnie orientale, il
7 était demandé, il était souhaité que soient créées des zones ethniquement
8 homogènes en Bosnie-Herzégovine pour anticiper sur l'application du plan
9 Vance-Owen qui, par sa structure, créait un certain nombre de cantons qui
10 devaient, selon les concepts démocratiques, être contrôlés par la
11 population majoritaire, et dans l'ensemble de la Bosnie. Donc, ce plan
12 devait être appliqué, y compris dans la zone contrôlée par les Serbes. Il
13 fallait donc débarrasser les cantons de leur population minoritaire.
14 M. Radovic (interprétation). – Est-ce que vous pouvez nous dire
15 quelques mots de l'équilibre des armes, ou du rapport entre les armes des
16 Musulmans et des Croates pendant la période où vous vous trouviez sur les
17 lieux ? Et pouvez-vous nous dire d'où vous vient l'information que vous
18 allez nous transmettre ?
19 M. Watters (interprétation). - Je ne peux vous donner qu'une
20 perception générale, et ma perception générale, c'était que les zones
21 contrôlées par le HVO abritaient très peu de Musulmans armés et que dans
22 les zones contrôlées par l'armée de Bosnie-Herzégovine, il y avait très
23 peu de Croates armés. Les forces effectives, et je parle de la période
24 postérieure au 16 avril, les forces effectives engagées dans la vallée de
25 la Lasva, présentaient initialement une majorité écrasante de Croates par
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1 rapport aux Musulmans, et les Croates avaient sans aucun doute des armes
2 lourdes ; des mortiers, des canons et cela est resté un élément constant
3 pendant toute la durée du mois d'avril. Mais au fur et à mesure que le
4 3e Corps d'armée de l'armée de Bosnie-Herzégovine se dirigeait de l'Est de
5 la Bosnie vers la vallée de la Lasva, le nombre des
6 Musulmans a fini par dépasser le nombre de soldats croates.
7 Mes sources sont les observations que nous avons faites, les
8 discussions que nous avons eues avec des commandants militaires et les
9 bulletins d'informations de l'armée qui parvenaient à notre quartier
10 général de Kiseljak.
11 M. Radovic (interprétation). – Dites-moi si l'enlèvement
12 Gifko Totic et l'assassinat des hommes qui l'accompagnaient s’est produit
13 dans l'intention de battre le HVO à Zenica ? Est-ce que cela faisait
14 partie de cette opération ?
15 M. Watters (interprétation). – Non, les deux incidents que j'ai
16 décrits, c'est-à-dire l'attaque contre la population croate de Zenica
17 notamment, se sont produits après l'enlèvement de M. Totic. Et
18 l'enlèvement de M. Totic ainsi que l'assassinat de ses gardes du corps à
19 Zenica ont constitué un événement que nous n'avons pas compris au départ.
20 C'est la raison pour laquelle le colonel Stewart s'était rendu à
21 Zenica, dans la nuit du 15, pour discuter avec le maire et le commandant
22 du 3e Ccorps d'armée de l’armée de Bosnie-Herzegovine et essayer de
23 comprendre ce qui s'était passé, de façon à nous permettre de faire ce
24 qu'il fallait pour récupérer M. Totic, retrouver M. Totic. Nous avions
25 déjà fait ce genre de chose en cas de vol d'un véhicule nous appartenant,
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1 ou en cas d'enlèvement.
2 M. Radovic (interprétation). – Est-ce que vous aviez
3 connaissance d'une unité du HVO à Zenica, ou du HES ?
4 M. Watters (interprétation). – Il y avait des unités du HVO en
5 dehors de la ville dans certains des villages. J'ignore où elles étaient
6 postées exactement. Peut-être que je le savais à l'époque, mais cinq ans
7 plus tard je ne me souviens plus des détails. Il y avait certainement des
8 éléments du HVO à Zenica en périphérie.
9 M. le Président (interprétation). – Maître Radovic, est-ce que
10 je peux suggérer une pause maintenant ? Est-ce que cela vous convient ?
11 Est-ce que nous pouvons suspendre l'audience pour le déjeuner, et nous
12 retrouver à 14 heures précises ? J'espère que cela ne posera pas de
13 problème pour le colonel Watters. Je crois que vous deviez rentrer chez
14 vous, mais nous avons besoin de vous ici.
15 M. Watters (interprétation). - Mon adjoint s'occupe du bataillon
16 en Irlande du Nord à l'heure actuelle.
17 M. le Président (interprétation). - Suspension d'audience pour
18 la matinée.
19 (L'audience, suspendue à 12 heures 30, est reprise à 14 heures.)
20 M. le Président (interprétation). - Bonjour. Maître Radovic,
21 vous avez la parole.
22 M. Radovic (interprétation). - Merci. J'aimerais,
23 Monsieur le Président, tout simplement faire quelques explications
24 auxquelles on n'a pas fait attention ce matin. Monsieur le Colonel, le
25 Procureur s'était posé la question, ce que les canons antichars ont fait à
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1 Vitez. Vous savez qu'il y avait également une usine de dynamite,
2 d'explosifs à Vitez ?
3 M. Watters (interprétation). - Oui, c'est vrai.
4 M. Radovic (interprétation). - Est-ce que vous savez que dans le
5 cadre de cette usine, il y avait également des armes antichars, des armes
6 antiaériennes, des canons, dans le cadre donc du système de la Défense
7 territoriale généralisée ?
8 M. Watters (interprétation). - Non, je ne savais pas que la
9 défense était assurée par des canons antiaériens.
10 M. Radovic (interprétation). - Est-ce que, pendant le temps où
11 vous étiez dans la région de Vitez, il y avait donc l'interdiction de
12 vol ?
13 M. Watters (interprétation). - Oui.
14 M. Radovic (interprétation). - Est-ce que vous savez si avant
15 l'interdiction de vol au-dessus de Bosnie-Herzégovine, les avions serbes
16 ou de l'ex-Yougoslavie essayaient de bombarder l'usine d'explosifs ?
17 M. Watters (interprétation). - Je le croirais aisément. Lorsque
18 j'ai parlé de ce canon antiaérien qui était placé sur un camion, c'est
19 parce que nous l'avons vu utilisé dans des combats directs au sol contre
20 des maisons et des positions qui se trouvaient un peu partout dans la
21 vallée et dans d'autres endroits en Bosnie.
22 Du point de vue du HVO et de l'armée de Bosnie-Herzégovine, ces
23 armes étaient des armes de prestige qui avaient une puissance de combat
24 suffisante pour contribuer de façon importante à une bataille. Et lorsque
25 ces armes étaient déployées, en fait elles donnaient à ceux qui les
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1 détenaient un avantage important. Nous les avons vu utilisées dans ce
2 cadre mais jamais contre des avions.
3 M. Radovic (interprétation). - Est-ce que vous savez quelque
4 chose au sujet des villages Javor, Putis, Nezirovici, Kacuni, Bilalovac,
5 Jelinak, les villages croates dans la région de Busovaca qui ont été
6 ethniquement purifiés au cours du mois de janvier 93 ?
7 M. Watters (interprétation). - Oui j'ai entendu parler de ces
8 villages. Je sais que des combats ont eu lieu dans ces villages en
9 janvier 1993, je ne les connais pas tous personnellement mais je sais
10 qu'ils existent.
11 M. Radovic (interprétation). - Vous parlez des combats, mais
12 est-ce que les villages ont été purifiés sur le plan ethnique ? Est-ce
13 qu'ils ont été nettoyés de la présence croate ?
14 M. Watters (interprétation). - Eh bien, le village de Jelinak
15 par exemple, j'ai une expérience personnelle dans ce village... aux
16 alentours du 24 ou 25 avril à Jelinak, le village a été pillé, les
17 habitants l'ont quitté, et il y a un cadavre qui a été trouvé. Donc on
18 peut utiliser l'expression de nettoyage ethnique pour ce village.
19 M. Radovic (interprétation). - Et maintenant, encore une
20 question. Le Procureur incrimine les accusés indépendamment du fait que
21 les preuves soient donc présentées, dans quelles étapes les accusés ont
22 participé ou pas dans les opérations en questions, etc. (inaudible) avant
23 l'attaque d'Ahmici de ne pas informer donc l'ennemi de cette attaque. Est-
24 ce que, dans les conditions de guerre, on informe l'ennemi de la date
25 quand elle va attaquer ?
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1 M. Watters (interprétation). - Non, ce n'est pas habituel. Mais
2 sur la base des éléments dont je disposais, je conteste le fait qu'il
3 s'agissait d'un objectif militaire. C'était un village qui était occupé en
4 grande partie par des soldats en permission ou des habitants, ce n'était
5 pas une localité défendue qui exigeait d'être le lieu de combats au moment
6 d'une attaque. Les deux localités défendues de l'armée de Bosnie-
7 Herzégovine dans la vallée de la Lasva étaient Kruscica et Vitez, les
8 autres villages n'étaient pas défendus.
9 La vitesse à laquelle ces villages ont été détruits nous a
10 renforcés à l'époque dans notre avis qu'il ne s'agissait pas de positions
11 de l'armée de Bosnie-Herzégovine et que dans le cadre des règles
12 applicables à la guerre sur le plan international, il ne s'agissait pas de
13 cibles militaires.
14 M. Radovic (interprétation). - Je vais demander donc au témoin
15 de bien vouloir tout simplement me répondre à la question directement. Je
16 ne voulais pas l'interrompre, je ne vous ai pas posé la question pour me
17 donner votre point de vue mais je vous demande de répondre directement,
18 sinon je pourrais dire également qu'en ce qui concerne les témoins du
19 Procureur, il y a 15 ou 20 personnes qui reconnaissent qu'elles portaient
20 les armes et qu'elles se défendaient. Par conséquent, je pense qu'il ne
21 faut pas sortir de la question mais répondre directement, s'il vous plaît.
22 M. Watters (interprétation). - Vous me demandez mon avis et vous
23 obtenez mon avis, Monsieur.
24 M. le Président (interprétation). - Maître Radovic, vous avez
25 demandé s'il était habituel, dans des conditions de guerre, de prévenir
Page 219
1 l'ennemi de la préparation d'un combat, d'une attaque, et je crois que le
2 témoin a répondu à votre question.
3 M. Radovic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
4 J'ai terminé avec les questions, merci. Les autres peuvent poser les
5 questions.
6 M. le Président (interprétation). - Merci, je vous remercie. Je
7 pense donc que c'est
8 Me Krajina qui va reprendre le relais maintenant. Maître Krajina, vous
9 avez la parole.
10 M. Krajina (interprétation). - Monsieur le Président, notre
11 collègue Me Radovic a posé un certain nombre de questions que
12 personnellement je voulais poser de mon côté, donc je ne vais pas les
13 répéter et pour ne pas abuser trop de votre temps, pour ne pas vous faire
14 perdre votre temps, je voudrais tout simplement poser une question, peut-
15 être deux.
16 Monsieur le Colonel, je vais vous demander de bien vouloir
17 essayer de vous souvenir du film vidéo qui vous a été présenté par le
18 Procureur. Il s'agit à mon avis de la pièce à conviction numéro 23 où il y
19 avait une maison qui n'a pas été touchée à Ahmici, dont vous avez parlé,
20 et vous avez fait la comparaison avec un certain nombre de maisons qui ont
21 été détruites et qui étaient dans le voisinage. Je voulais vous poser la
22 question suivante : est-ce que vous savez de quelle maison parlons-nous
23 pour pouvoir vous poser la question plus concrète ?
24 M. Watters (interprétation). - ...
25 M. Krajina (interprétation). - Est-ce que vous savez à qui
Page 220
1 appartenait cette maison ? Qui est le propriétaire, qui était le
2 propriétaire ?
3 M. Watters (interprétation). - Non, je ne le sais pas, Monsieur.
4 M. Krajina (interprétation). - Est-ce que vous avez vu de vos
5 propres yeux cette maison une fois que vous étiez sur le terrain ?
6 M. Watters (interprétation). - Oui, je l'ai vue, Monsieur.
7 M. Krajina (interprétation). - Est-ce que vous avez gardé le
8 souvenir de la position de cette maison dans le village d'Ahmici, donc sa
9 position par rapport au village Ahmici, le Haut-Ahmici, le Bas-Ahmici,
10 étant donné que la maison se trouvait au bord de Donji Ahmici, de Ahmici-
11 du-Bas ?
12 M. Watters (interprétation). - Oui, je l'ai décrite, cette
13 maison, comme se trouvant en face de ce que nous appelions le rond-point.
14 C'était l'endroit par lequel nous pénétrions dans Ahmici avec nos
15 Warriors. Donc, sur la carte, c'est cet emplacement qui est plus clair.
16 C'était la
17 première maison d'un groupe de maisons qui n'ont pas été détruites.
18 M. Krajina (interprétation). - Auriez-vous l'amabilité de nous
19 dire, étant donné que vous êtes soldat professionnel du point de vue
20 doctrine militaire, quelle était la position stratégique de cette maison ?
21 Est-ce que cette maison avait une position stratégique, une importance
22 stratégique par rapport à l'opération militaire dont vous avez parlé ce
23 matin ?
24 M. Krajina (interprétation). - A l'époque, je n'avais aucune
25 raison de penser que cette maison ou les autres d'ailleurs qui
Page 221
1 l'entouraient avaient une importance stratégique et je ne le crois pas
2 aujourd'hui non plus. Les seules maisons que nous avons découvertes plus
3 tard étaient les maisons dans lesquelles des gens habitaient et elles
4 avaient peut-être une importance ethnique mais aucune importance
5 stratégique à mon avis sur le plan militaire.
6 A l'époque, je ne me suis pas rendu compte qu'elles étaient
7 habitées par des Croates. Simplement, je me demandais comment les gens
8 avaient survécu, comment il se faisait qu'il y avait encore des habitants
9 à l'intérieur de ces maisons. Mais quand nous essayions de parler à ces
10 habitants, ils refusaient de parler avec nous et nous avons pensé qu'ils
11 étaient trop effrayés. Nous ne savions pas ce qui s'était passé, nous
12 essayions de répondre à un certain nombre de questions et la plus grande
13 question que nous avions à l'esprit était pourquoi est-ce qu'il y a un
14 groupe de maisons intact alors que le reste du village est absolument
15 détruit, c'était tout de même difficile à comprendre.
16 M. Krajina (interprétation). - Je vous prie, étant donné que
17 vous connaissiez très bien le terrain, vous avez donc fait toutes les
18 visites possibles. Est-ce que, après tout cela, vous pouviez nous répondre
19 à la question que je vous ai posé étant donné que cette maison se trouve à
20 la limite entre le quartier musulman, le quartier croate, est-ce que selon
21 vous du point de vue militaire, stratégique, cette maison présentait
22 quelque chose ?
23 M. Watters (interprétation). - Je ne peux tirer aucune
24 conclusion, Monsieur. Je n'y ai jamais réfléchi, je ne vois pas quelle
25 pouvait être l'importance militaire de ces maisons. A part
Page 222
1 le fait qu'il y avait des zones plus élevées que d'autres, je ne vois pas
2 quelle pouvait être l'importance de cette maison par rapport aux autres ;
3 sur le plan tactique elle occupait un emplacement très semblable aux
4 autres maisons.
5 M. Krajina (interprétation). - S'il vous plaît, est-ce que vous
6 vous souvenez s'il y avait des maisons qui n'ont pas été détruites et qui
7 avaient à peu près la même position par rapport à celle-là dont on parle ?
8 M. Watters (interprétation). - Il y avait un groupe de maisons,
9 au sommet de la route, si vous préférez au bas d'Ahmici-le-haut, ou en
10 haut d'Ahmici-le-bas, il y avait un groupe de maisons avec quelques
11 maisons détruites parmi elles, mais ce qui rendait celles-ci particulières
12 à nos yeux, c’est qu'elles n'étaient pas détruites, elles étaient donc
13 différentes des autres.
14 M. Krajina (interprétation). - Excusez-moi, mais si une armée
15 considérait que la maison dont on parle représente, a une importance
16 stratégique du point de vue militaire, quel serait votre point de vue ?
17 Est-ce que ce serait justifié ou non ?
18 En d’autres termes, que cette maison donc soit prise, étant
19 donné qu'elle représente un point stratégique important ?
20 M. Watters (interprétation). - Je suis incapable de trouver la
21 moindre raison pour laquelle cette maison aurait dû être prise sans être
22 détruite. Non Monsieur, moi je peux penser à une demi-douzaine de maisons
23 qui auraient pu subir le même sort si le village était pris. Je ne
24 comprends pas vraiment dans quel but vous posez cette question, Monsieur.
25 M. Krajina (interprétation). - Qu'est-ce que vous pensez... Est-
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1 ce que l'armée qui avait entrepris l'opération dont vous avez parlé
2 s'emparait de cette maison ? De ces maisons ?
3 M. Watters (interprétation). - Ma conviction à l'époque était
4 que le HVO attaquait ce village, que les maisons en question étaient
5 habitées par des Croates et que c'est la raison pour laquelle le HVO n’a
6 pas attaqué, n’a pas détruit ces maisons. Nous avons vu des gens qui
7 étaient encore dans ces maisons le 22 à notre retour, et c'étaient les
8 seules personnes qui habitaient à Ahmici à cette date.
9 M. Krajina (interprétation). - S'il vous plaît, est-ce que vous
10 êtes d'avis que l'armée qui était... qui avait entrepris l'opération en
11 question n'avait aucun besoin d'utiliser cette maison comme un point
12 stratégique ?
13 M. Watters (interprétation). - Je ne crois pas qu'elle l’ait
14 fait. La seule raison pour laquelle nous pensions que ces maisons
15 n'étaient pas détruites résidait dans le fait qu'elles avaient des
16 habitants croates et que les soldats qui ont attaqué le village étaient
17 des soldats croates, qui n'allaient pas attaquer les leurs. C'est la
18 déduction que nous avons tirée par la suite mais au moment où nous avons
19 pénétré dans le village, c'était un phénomène que nous ne réussissions pas
20 à comprendre.
21 M. Krajina (interprétation). - Est-ce que vous pourriez dire
22 quelque chose à ce sujet-là, si on affirme que les Croates, les soldats
23 croates se sont emparrés de la maison et qu'ils ont tiré à partir de cette
24 maison, étant donné que c'est le Procureur également qui l'affirme ?
25 M. Watters (interprétation). - Puisque ces maisons avaient des
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1 habitants croates, je suppose que le HVO n'avait pas besoin de s'en
2 emparer. Maintenant, si vous parlez de cette maison en particulier, je
3 dirais par exemple qu'elle avait une vue ouverte sur Ahmici-le-bas et si
4 vous me posez cette question je vous répondrai oui. A partir de cette
5 maison, on pouvait couvrir les voies d'évasion d'un certain nombre de
6 personnes menant à Ahmici le bas, mais cela n'a pas été le cas. Les seules
7 positions de feu que nous avons trouvées se trouvaient sur les routes qui
8 menaient vers les champs, comme je l'ai décrit précédemment, aux alentours
9 de cette maison.
10 M. Krajina (interprétation). - Si je vous ai bien compris,
11 Monsieur le Colonel, il en ressort qu'effectivement, cette maison était
12 tout à fait bien en place du point de vue stratégique. Cela ressort de
13 tout ce que vous avez dit.
14 M. Watters (interprétation). - Je crois que le mot "stratégique"
15 est un peu fort dans ce cas. J'utiliserais plutôt le mot "tactique". Mais
16 placer des soldats dans cette maison n'aurait eu de sens que sur le plan
17 tactique.
18 M. Krajina (interprétation). – Merci, je n'ai plus de questions.
19 Merci, Monsieur le Président.
20 M. le Président (interprétation). - Merci, Maître Krajina.
21 Maître Puliselic.
22 M. Puliselic (interprétation). – Monsieur le Président, je
23 voudrais poser trois questions au témoin, Monsieur le Président si vous me
24 le permettez.
25 Monsieur Watters, compte tenu des données dont nous disposons,
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1 il est évident qu'en tant qu'officier du bataillon britannique, vous avez
2 acquis une expérience assez grande, que vous avez une formation militaire,
3 vous étiez à Ahmici après le 16 avril 93. J'aimerais vous demander si, au
4 moment où vous avez visité le terrain, vous avez pu conclure qu'Ahmici a
5 été pilonnée ou non ?
6 M. Watters (interprétation). - Nous n'avons vu, au cours de la
7 patrouille que j'ai dirigée, aucun signe de sites d'explosions, de
8 mortiers ou de canons. Je n'ai trouvé aucun indice susceptible de montrer
9 que des mortiers ou des canons avaient été utilisés contre ce village,
10 mais je ne peux pas parler de tous les endroits, car je ne me suis pas
11 rendu partout. En tout cas, là où je suis allé, je n'ai vu aucun signe.
12 M. Puliselic (interprétation). – Lors de l’une de vos
13 déclarations précédentes, vous avez parlé qu'il n'y avait pas de vestiges
14 de mortiers qui ont été tombés, de pilonnages...
15 M. Watters (interprétation). – C’est ce que je viens de redire,
16 je n'ai trouvé aucun indice susceptible de prouver que des mortiers ou des
17 canons avaient été utilisés pour tirer sur Ahmici. Il y en avait dans la
18 vallée. Pas mal d'obus étaient tombés à Vitez et autour de Vitez et à
19 Kruscica, en revanche.
20 M. Puliselic (interprétation). – Compte tenu de vos
21 connaissances au niveau de l'armement, je suppose que vous pourriez me
22 répondre à la question suivante : quels étaient les types de destruction ?
23 Par exemple, vous avez les murs dont la largeur était de 30, 40 cm et les
24 projectiles laissent un certain nombre de traces, de trous. S'ils tombent
25 d'une distance pas trop grande, le calibre par exemple, 12,7 mm, cela
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1 voudrait dire qu'il s'agissait d'une mitrailleuse. Si c’est 20 mm
2 calibre 30,2 mm ou calibre 40 mm, ou calibre 70 mm quand il s'agit des
3 canons. Est-ce que vous pourriez nous dire quel est le type de projectiles
4 donc, qui pénètre un mur d'une épaisseur entre 30 et 40 cm, et quelles
5 étaient les destructions, d'après vous, qui auraient pu être faites à
6 partir de ces projectiles ? Pourriez-vous nous donner une réponse plus
7 précise, s'il vous plaît ?
8 M. Watters (interprétation). - Je ne me protégerais derrière
9 aucun mur si on tirait sur moi avec ces armes. Je pense que toutes ces
10 armes pénétreraient le mur d'une maison. En fait, j'en suis sûr. Ces
11 projectiles laisseraient des trous de tailles diverses, et si l'on parle
12 d'une arme de 70 mm, de calibre 70 mm, cela dépend également de la façon
13 dont est disposé le projectile et dont il est construit.
14 Est-ce que c'est un projectile qui a une charge inerte, ou est-
15 ce un explosif comme par exemple dans un obus ? Si l'on parle de gros
16 calibres jusqu'à 20 mm, au jour d'aujourd'hui ce sont des armes qui ont la
17 capacité d'être explosives. Pour les calibres plus importants, si l'on
18 tire sur une maison, on détruit la maison. Une arme de 12,7 suffit pour
19 endommager gravement une maison.
20 M. Puliselic (interprétation). – Merci. Est-ce que vous vous
21 souvenez du fait, qu'au moment où l'armée de Bosnie-Herzégovine s'est
22 emparé du carrefour à Kaonik, ce qui représentait le blocus vis-à-vis du
23 village de Vitez, est-ce que d'après vous, après donc cette opération les
24 Croates devaient prendre une autre voie et quelle était la voie qu'ils
25 avaient empruntée pour circuler jusqu'à Busovaca ?
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1 M. Watters (interprétation). - Je commencerai par répondre à la
2 première partie de votre question en disant que je sais que le 3e Corps
3 d'armée considérait la prise du carrefour de Kaonik comme la prise d'un
4 objectif stratégique. C'est le général Halilovic qui me l’a expliqué lors
5 de la réunion du cessez-le-feu du 21 avril. Je crois que ce lieu a été
6 pris aux alentours du 18 ou du 19, et cela signifiait pour l'essentiel que
7 les communications entre Busovaca et Vitez étaient coupées et qu'il
8 n'était plus possible que d'utiliser des pistes à travers bois.
9 Je ne connais pas d'ailleurs toutes ces pistes, mais en tout
10 état de cause la prise du carrefour de Kaonik était un élément important,
11 empêchant le HVO de défendre ses positions dans la vallée de la Lasva,
12 parce que la contre-attaque de l'armée de Bosnie-Herzégovine avait créé
13 deux poches isolées entre Vitez et Busovaca, l'une à Vitez, l'autre à
14 Busovaca et donc empêchait ces deux villes de s'entraider. Donc, les
15 positions étaient devenues intenables.
16 Le général Petkovic, le colonel Blaskic et le général Halilovic
17 ont discuté de ce fait à la conférence dont je viens de parler.
18 M. Puliselic (interprétation). – Eh bien, lors d'une déclaration
19 préalable, Monsieur le Colonel, vous avez dit que la voie qui a été
20 empruntée était la voie qui passait par Donja Rovna, si vous vous en
21 souvenez.
22 M. Watters (interprétation). - Je ne me rappelle pas avoir dit
23 cela. Je ne connais pas dans le plus grand détail les itinéraires
24 secondaires permettant de relier Busovaca et Vitez. La seule route que
25 nous utilisions pour relier ces deux villes était la route principale qui
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1 longe la vallée de la Lasva.
2 M. Puliselic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président,
3 merci je n'ai plus de questions.
4 M. le Président (interprétation). - Merci, Maître Puliselic. Je
5 me demandais si Me Moskowitz souhaitait poser des questions
6 supplémentaires au témoin.
7 M. Moskowitz (interprétation). - Brièvement, Monsieur le
8 Président.
9 M. le Président (interprétation). - Je vous en prie.
10 M. Moskowitz (interprétation). - Colonel, on vous a demandé si
11 vous aviez vu des signes de pilonnage à Ahmici le 22 avril. Combien de
12 temps avez-vous passé à Ahmici ce jour-là ?
13 M. Watters (interprétation). - J'avais pour but de trouver la
14 maison que le colonel Stewart m'avait décrite et qui a produit une si
15 forte impression sur moi. Donc je n'ai sans doute pas passé plus d'une
16 heure et demie, peut-être deux heures dans le village et puis nous étions
17 inquiets à cause des mines, aussi. Donc, nous n'avons pas pénétré très
18 avant dans le village.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Donc il est permis de dire que
20 vous n'avez pas fouillé le village à fond.
21 M. Watters (interprétation). - Je n'ai jamais dit que je l'avais
22 fait, Monsieur.
23 M. Moskowitz (interprétation). - On vous a également interrogé
24 quant à la connaissance que vous aviez des commandants du HVO. Pouvez-vous
25 décrire à notre intention à quel niveau une personne de votre grade trouve
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1 ses interlocuteurs du point de vue des commandants du HVO ?
2 M. Watters (interprétation). - Cela n'a pas grand-chose à voir
3 avec mon grade, mais plutôt avec ma fonction. En tant que commandant-
4 adjoint du bataillon britannique, je me concentrais sur les commandants de
5 brigade, de temps en temps mais, normalement, mes interlocuteurs étaient
6 au niveau régional. Donc la plupart de mes contacts se faisaient avec le
7 colonel Blaskic et ses adjoints.
8 Le matin du 16, j'ai rencontré le commandant de la brigade de
9 Vitez que je n'avais rencontré qu'une seule fois auparavant, je crois. La
10 responsabilité de l'établissement des rapports avec les officiers de grade
11 inférieur incombait aux officiers de liaison. Quant au colonel Stewart et
12 moi-même, si nous voulions établir un contact avec des commandants, nous
13 étions
14 normalement présentés par les officiers de liaison.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Donc normalement vous n'aviez
16 pas de rapport avec les commandants au niveau des villages ?
17 M. Watters (interprétation). - Non, Monsieur.
18 M. Moskowitz (interprétation). - Si l'un ou l'autre des accusés
19 assis ici étaient des commandants au niveau d'un village, vous n'auriez
20 pas eu connaissance de ce fait ?
21 M. Watters (interprétation). - Non Monsieur, sauf si je les
22 rencontrais par hasard, dans l'hôtel Vitez, par exemple, ou ailleurs.
23 M. Moskowitz (interprétation). - Et en fait, traiter avec des
24 commandants à un niveau inférieur à celui de Blaskic n'était pas courant
25 pour vous ?
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1 M. Watters (interprétation). - Non, je ne l'ai fait qu'une fois
2 et c'était le matin du 16.
3 M. Moskowitz (interprétation). - Donc vous ne connaissiez pas
4 entièrement la personnalité des commandants de grade inférieur à Blaskic
5 au sein du HVO à l'hôtel Vitez, par exemple ?
6 M. Watters (interprétation). - Non, je connaissais sans doute
7 leur nom et leur fonction militaire mais je ne les connaissais pas
8 personnellement, Monsieur.
9 M. Moskowitz (interprétation). - On vous a aussi interrogé sur
10 d'autres exemples de nettoyage ethnique dans la même période et je crois
11 vous avoir entendu parler d'un incident survenu le 19 avril près du
12 "Bungalow".
13 Je me demandais, si cela ne vous ennuie pas trop, si vous ne
14 pourriez pas vous approcher de la grande carte d'Ahmici pour nous montrer
15 à l'aide du pointeur où se trouve le "Bungalow" de façon à ce que nous
16 sachions exactement où s'est situé cet incident que vous avez évoqué au
17 cours du contre-interrogatoire.
18 (Le colonel s'approche du tableau.)
19 M. Watters (interprétation). - Ici, nous avons le carrefour qui
20 mène à Ahmici et ici le cimetière, très important, et le "Bungalow" se
21 situe dans cette zone, ici, c'est-à-dire au niveau d'une unité du HVO qui
22 était assez peu nombreuse et dont les membres portaient des uniformes
23 noirs et les uniformes de camouflage. L'incident est survenu à l'extérieur
24 de la photographie, ici, mais il a impliqué des soldats qui venaient de
25 cet endroit. Et il s'est déroulé le 19 avril.
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1 M. Moskowitz (interprétation). - Le commandant avec lequel vous
2 avez eu à traiter le 19 était-il un commandant du HVO ?
3 M. Watters (interprétation). - Oui.
4 M. Moskowitz (interprétation). - Quelle était la couleur de
5 l'uniforme que vous vous rappelez lui avoir vu porter ?
6 M. Watters (interprétation). - Un uniforme noir.
7 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez dit qu'à votre avis
8 c'était un exemple de nettoyage ethnique et vous avez expliqué pourquoi
9 vous formuliez cette affirmation.
10 M. Watters (interprétation). - Oui, c'est un incident qui est
11 survenu avant le 22 avril et ce que nous avons vu à Ahmici, nous avons
12 estimé que c'était un incident caractéristique de ce que nous avons vu au
13 début du 16 et du 17, à savoir que la population civile a été chassée hors
14 des maisons. C'était en fait l'une des premières occasions après le 16 et
15 la seule occasion où j'ai pu empêcher personnellement un incident de
16 nettoyage ethnique pendant qu'il survenait. Moi-même et les membres des
17 autres institutions des Nations Unies qui m'accompagnaient, pour être tout
18 à fait honnête, n'étions pas convaincus que les gens seraient tués s'ils
19 ne partaient pas. Parce qu'il y avait 30 femmes et enfants, et des
20 vieillards, et nous ne pensions pas que les soldats du HVO allaient les
21 tuer.
22 Mais lorsque nous avons parlé avec les soldats du HVO et avec
23 les habitants de ce petit hameau, nous avons décidé, ou plutôt j'ai décidé
24 d'agir, parce que ces personnes pensaient qu'elles allaient être tuées. Et
25 plus tard, lorsque nous avons vu la situation à Ahmici, nous avons
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1 pensé que notre décision était correcte car ces personnes auraient pu être
2 tuées.
3 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que vous avez pu sauver
4 aussi bien les hommes que les femmes de ce groupe ?
5 M. Watters (interprétation). - Nous avons eu une discussion très
6 longue avec les soldats du HVO qui au départ ne voulaient laisser partir
7 personne, qui ensuite ont accepté d'autoriser les femmes et les enfants à
8 partir mais n'autorisaient pas les hommes à partir. Finalement, nous avons
9 obtenu un compromis qui stipulait que les hommes âgés pourraient partir du
10 village mais pas avec nous. Et nous leur avons proposé d'emprunter la
11 route qui longe la voie ferrée jusqu'à Zenica, la vieille route. Et
12 pendant ce temps-là, nous allions rester avec les soldats de façon à nous
13 assurer qu'ils pouvaient partir en toute sécurité, après quoi nous
14 emmènerions les femmes et les enfants vers Travnik.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Comment est-ce que les femmes
16 et les enfants ont réagi à cette proposition ?
17 M. Watters (interprétation). - Ils étaient... Les femmes et les
18 enfants étaient très perturbées car ils pensaient qu'ils ne verraient plus
19 ces hommes, et un vieil homme a subi une crise cardiaque, en fait, pendant
20 cet événement. Finalement, nous avons réussi à convaincre le HVO d'emmener
21 ce vieil homme qui réellement avait subi une crise cardiaque avec nous,
22 car au départ le HVO refusait cette solution. A un moment, j'ai pris la
23 décision d'utiliser toutes les forces nécessaires pour atteindre
24 l'objectif qui était le mien, et le HVO a cédé et nous a laissé faire.
25 Sans que la situation se dégrade davantage.
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1 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez parlé du "Bungalow"
2 comme n'étant pas loin. Est-ce que vous avez connu le "Bungalow" au cours
3 de cette période, entre le 16 et le 22 ?
4 M. Watters (interprétation). - Je n'y suis jamais allé mais je
5 suis très souvent passé devant, le matin ou le soir, et il y avait des
6 soldats du HVO qui étaient assis dans une espèce de
7 véranda, devant le "Bungalow", et qui faisaient des signes à nos véhicules
8 lorsque nous passions devant le "Bungalow". Nous y voyions également
9 souvent des membres d'une organisation particulière dans ce champ ici, qui
10 réglaient des fusils Draganov.
11 M. Moskowitz (interprétation). - Qu'est-ce que vous voulez dire
12 par "régler" ?
13 M. Watters (interprétation). - C'est une façon particulière de
14 traiter un fusil, on utilise un morceau de bois comme cible et on tire à
15 une certaine distance dans un champ pour régler le centrage du fusil sur
16 la cible, de façon à ce que le tir soit très précis et convergeant.
17 M. Moskowitz (interprétation). - Merci. Finalement on vous a
18 interrogé quant à l'identité des responsables du nettoyage ethnique qui a
19 eu lieu dans diverses parties de Bosnie-Herzégovine le 16 avril 1993 dans
20 la vallée de la Lasva. Sur la base des connaissances que vous aviez et de
21 tout ce que vous avez vu, à votre avis, qui a commencé l'attaque, le
22 nettoyage ethnique à cette date et en ce lieu ?
23 M. Watters (interprétation). - Sans aucun doute je répondrai
24 qu'il s'agissait d'une attaque préemptive de la part du HVO, menée de
25 façon coordonnée sur l'ensemble de la vallée, dans toute sa largeur et
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1 toute sa longueur, et que la résistance qui a existé s'est située à Vitez
2 et à Kruscica de la part de l'armée de Bosnie-Herzégovine. Dans tous les
3 autres endroits, les Musulmans ont été nettoyés ethniquement et forcés de
4 quitter leur village.
5 M. Moskowitz (interprétation). - Merci, Colonel. Je n'ai plus de
6 questions.
7 M. le Président (interprétation). - Je suppose qu'il n'y a pas
8 d'objection ?
9 M. Radovic (interprétation). - Monsieur le Président, juste
10 deux questions, si vous me permettez, Monsieur le Président.
11 M. le Président (interprétation). - Normalement, nous
12 n'autorisons pas de questions.
13 M. Radovic (interprétation). - Petite question.
14 M. le Président (interprétation). - Vous savez, nous autorisons
15 des questions après
16 les questions supplémentaires de l'accusation uniquement si elles
17 découlent des questions que nous, les Juges, avons posées au témoin. Donc,
18 à mon grand regret, nous ne pouvons pas vous autoriser à poser des
19 questions supplémentaires. Je suppose qu'il n'y a pas d'objection à ce que
20 le témoin soit libéré ?
21 Colonel Watters, je vous remercie d'être venu ici témoigner
22 devant le Tribunal. Vous pouvez maintenant disposer.
23 M. Watters (interprétation). - Je vous remercie.
24 (Le témoin est reconduit hors du prétoire.)
25 M. le Président (interprétation). - Maître Moskowitz, allez-vous
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1 citer votre témoin suivant ?
2 M. Moskowitz (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.
3 Nous appelons à la barre Abdullah Ahmic.
4 M. le Président (interprétation). - C'est le témoin numéro 3 ?
5 M. Moskowitz (interprétation). - Oui, Monsieur le Président,
6 c'est le témoin numéro 3.
7 (Le témoin est introduit dans la salle.)
8 M. Le Président (interprétation). - Bonjour Monsieur Ahmic, je
9 vous demanderai de prononcer la déclaration solennelle.
10 M. Ahmic (interprétation). - Je déclare solennellement que je
11 dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
12 M. Le Président (interprétation). – Merci, vous pouvez-vous
13 asseoir.
14 Maître Moskowitz, vous pouvez procéder.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
16 Bonjour, Monsieur Ahmic.
17 M. Ahmic (interprétation). - Bonjour.
18 M. Moskowitz (interprétation). - Monsieur Ahmic, vous êtes de
19 confession islamique, n'est-ce pas ?
20 M. Ahmic (interprétation). - Je suis de Bosnie-Herzégovine, je
21 suis bosniaque et de confession musulmane.
22 Je suis de nationalité bosnienne (a dit le témoin... se corrige
23 l’interprète).
24 M. Moskowitz (interprétation). - Jusqu'au 16 avril 1993, vous
25 viviez dans le village ou la ville d'Ahmici, n'est-ce pas ?
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1 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
2 M. Moskowitz (interprétation). - Depuis combien de temps viviez-
3 vous à Ahmici ?
4 M. Ahmic (interprétation). - Dix ans.
5 M. Moskowitz (interprétation). - Pourriez-vous répéter votre
6 réponse Monsieur Ahmic, je vous prie ?
7 M. Ahmic (interprétation). - Trente ans, j'ai 36 ans, et un peu
8 moins de trente ans, j'ai vécu dans cette ville.
9 M. Moskowitz (interprétation). – Donc, vous avez passé toute
10 votre vie à Ahmici
11 jusqu'en 1993 ?
12 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
13 M. Moskowitz (interprétation). - Avec l'aide de l'huissier,
14 j'aimerais que soit remis à Monsieur Ahmic une photographie aérienne qui
15 nous permettra de localiser sa maison.
16 Mme Le Greffier. - C'est la pièce de l'accusation numéro 25.
17 M. Moskowitz (interprétation). - Monsieur Ahmic, est-ce que
18 cette photo vous semble familière, cette photo que nous vous montrons à
19 l'instant ?
20 M. Ahmic (interprétation). - 38, c'est ma maison.
21 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez placé le pointeur sur
22 le cercle à côté duquel figure le chiffre 38, n'est-ce pas ?
23 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
24 M. Moskowitz (interprétation). - Voyez-vous d'autres maisons
25 dans les cercles inscrits sur la photographie aérienne que vous pourriez
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1 identifier ?
2 M. Ahmic (interprétation). - La lettre "i" devrait être la
3 maison de Papic Marija, alors que la lettre "h" Papic Pero, la lettre "a"
4 la maison de Papic Iva et le chiffre numéro 4, c'est la maison
5 d'Ahmic Sakib.
6 M. Moskowitz (interprétation). - Sakib Ahmic est votre oncle,
7 n’est-ce pas ?
8 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
9 M. Moskowitz (interprétation). - Il y avait un autre Sakib Ahmic
10 qui habitait à Ahmici en 1993, n'est-ce pas ?
11 M. Ahmic (interprétation). - Oui, mais il s'agit de mon oncle,
12 là, Sakib Ahmic... Son fils était Metmer Ahmic, alors qu'à Grabovi,
13 c'était le fils de Rachid.
14 M. Moskowitz (interprétation). - Regardons ce cercle surmonté de
15 la lettre "a". Vous avez dit que cette maison était celle de Iva Papic.
16 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
17 M. Moskowitz (interprétation). - Qui habitait dans cette maison
18 avec Iva Papic ?
19 M. Ahmic (interprétation). - Avec lui, il y avait les deux fils
20 Papic Dragan, Goran Papic et la fille Ivanca et la femme Dragiza , ainsi
21 que la femme de Dragan Papic, je ne me souviens pas de son nom.
22 M. Moskowitz (interprétation). - Connaissiez-vous Dragan Papic
23 avant 1993 à Ahmici ?
24 M. Ahmic (interprétation). - Oui, je le connaissais.
25 M. Moskowitz (interprétation). - Comment est-ce que vous le
Page 238
1 connaissiez ?
2 M. Ahmic (interprétation). - Je le connaissais, c'était mon
3 voisin, nous vivions ensemble, on se voyait souvent.
4 M. Moskowitz (interprétation). - Vous rappelez-vous avoir eu une
5 conversation avec Dragan Papic, à un moment donné en 1991 ?
6 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
7 M. Moskowitz (interprétation). - Que vous rappelez-vous de cette
8 conversation ?
9 M. Ahmic (interprétation). - Eh bien, ce qui serait peut-être
10 intéressant à dire ici, c'est que notre conversation portait bien
11 évidemment sur le sujet de la guerre. Dragan Papic, pendant son enfance,
12 s'intéressait énormément pour les voitures, pour les vélos, mais à la
13 veille de la guerre, ce qui commençait à l'intéresser, c'étaient les
14 armes, la stratégie militaire et même les stratégies de la Deuxième Guerre
15 mondiale.
16 Et je me souviens l'avoir entendu dire qu'il avait reçu la
17 littérature de quelqu'un de Zagreb, donc un livre qui a été traduit à
18 l'époque de l'Allemagne fasciste. Donc, lui, il étudiait ce livre, cela
19 lui plaisait, il considérait que la méthode de la destruction des juifs et
20 d'autres peuples était appuyée... et lui-même il appuyait, et
21 personnellement je le regardais et je me disais : "Mon Dieu, mais c'est un
22 homme qui a complètement changé". Et, en gros, il s'intéressait à tout ce
23 qui était armes, munitions, même les avions, c'était une de nos
24 conversations, qui est
25 probablement essentielle, sur laquelle je voulais attirer votre attention.
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1 M. Moskowitz (interprétation). – Au cours de ces conversations,
2 est-ce qu’il a prononcé le nom d'Adolph Hitler ?
3 M. Ahmic (interprétation). - Oui, il l'avait dit.
4 M. Moskowitz (interprétation). – Qu’a-t-il dit ? Que disait-il
5 au sujet d'Adolph Hitler ?
6 M. Ahmic (interprétation). – Eh bien, il disait qu'Adolph Hitler
7 était un chef de guerre très important, qu'il avait des objectifs très
8 précis, qu'il avait très bien organisé l'armée, qu'il avait organisé
9 également bien un peuple, le peuple donc allemand fasciste.
10 Et puis, il disait également que c'était indispensable, que
11 c'était indispensable également du côté des Croates. Cela veut dire que
12 les Croates devaient appliquer ce système-là.
13 M. Moskowitz (interprétation). – Vous rappelez-vous où cette
14 conversation a eu lieu ?
15 M. Ahmic (interprétation). - Oui, cette conversation a eu lieu à
16 ce carrefour donc. C'était dans le village d'Ahmici, c'était dans la nuit
17 vers 10 heures, et vers la route qui menait vers ma maison.
18 M. Moskowitz (interprétation). – Pourquoi cette conversation
19 est-elle gravée dans votre esprit aujourd'hui encore ?
20 M. Ahmic (interprétation). - Je ne peux pas ne pas me souvenir
21 de cette conversation parce que cette conversation, et c'est ce qu'il me
22 disait en quelque sorte, annonçait la disposition du peuple croate qui,
23 par la suite, a organisé cette attaque en 93 à l'encontre de leurs
24 voisins, des Musulmans. Ils avaient effectivement utilisé les mêmes
25 méthodes, les camps de détention qu'ils organisaient, les attaques de la
Page 240
1 même manière, etc. En d'autres termes, je me disais qu'ils avaient la
2 littérature dont ils ont tiré l'expérience, et qu'ils ont préparé
3 l'attaque bien avant, bien avant nous. Ce n'était pas vraiment dû à une
4 coïncidence.
5 M. Moskowitz (interprétation). – J'aimerais appeler votre
6 attention sur le mois d'octobre 1992. A cette époque-là, il y avait un
7 conflit à Ahmici. Pourriez-vous nous parler de ce conflit, des souvenirs
8 que vous avez de ce conflit en octobre 1992 à Ahmici ?
9 M. Ahmic (interprétation). – Eh bien, il y avait effectivement
10 un conflit à cette époque-là qui s'est manifesté. Personnellement, je
11 préférerais parler d'une attaque, car il s'agissait d'une unité croate qui
12 nous a attaqués et ceci, à cause d'une barricade que nous avons érigée.
13 Les villageois de mon village l'ont érigée sur la route, alors qu'il y
14 avait des centaines de points de contrôle et des barricades croates. Nous
15 avons eu une seule barricade et le lendemain, ils nous ont attaqués, ils
16 ont attaqué notre village et la barricade. Ils ont riposté de manière très
17 sévère et très rigoureuse.
18 M. Moskowitz (interprétation). – Est-ce que vous teniez, vous
19 gardiez ce barrage ? Est-ce que vous étiez l'un des hommes qui gardaient
20 ce barrage ?
21 M. Ahmic (interprétation). – Non, non ce n'est pas moi. Moi, je
22 n'y étais pas.
23 M. Moskowitz (interprétation). – Je vous demanderai, si vous
24 voulez bien, de regarder la pièce à conviction qui se trouve sous vos
25 yeux, Monsieur Ahmic, et de placer le pointeur à l'endroit où vous vous
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1 rappelez vous être trouvé le jour où a eu lieu ce conflit, au mois
2 d'octobre 1992 ?
3 M. Ahmic (interprétation). – Eh bien, vous voyez ici, c'était
4 le 20 octobre 1992. J'étais tout à fait par hasard ici, là où vous voyez
5 la flèche, et c'était à peu près 9 heures. Je me suis dirigé dans cette
6 direction, et à cette époque-là, quelqu'un avait tiré de cette
7 installation, donc de la maison de Dragan Papic, la lettre A. Il y avait
8 plusieurs balles de snippers, deux, trois, peut-être même plus qui sont
9 passées à côté de ma tête, et je me souviens que j'étais obligé de
10 chercher un abri. En ce qui me concerne, c'était de cela dont je me
11 souviens.
12 M. Moskowitz (interprétation). – A ce moment-là, étiez-vous
13 membre de ce que l'on appelle la Défense territoriale ?
14 M. Ahmic (interprétation). – Oui, oui. J'étais moi-même membre
15 de la Défense territoriale.
16 M. Moskowitz (interprétation). – Pourriez-vous expliquer en
17 quelques mots, à l'intention des Juges, ce qu'était la Défense
18 territoriale en 1992 ?
19 M. Ahmic (interprétation). – Eh bien, en ce qui concerne la
20 Défense territoriale, je vais essayer d'expliquer de façon la plus
21 précise. Au moment où la guerre a commencé en Bosnie orientale en 1992,
22 les villageois de notre village ont commencé à s'organiser d'une façon.
23 Etant donné que nous étions dans un état extraordinaire, et c'est la
24 raison pour laquelle nous avons désigné un certain nombre de membres qui
25 faisaient partie d'une direction.
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1 Je me souviens que le commandant, dans notre village, était mon
2 frère Muris.Il était commandant de la Défense territoriale. Il est allé à
3 la réunion à Vitez. A l'époque, il y avait le quartier général de la
4 Défense territoriale dont le siège était à Vitez. En gros, c'était une
5 unité dont le but était défensif. L'unité qui n'avait pas été
6 véritablement armée ou presque pas.
7 M. Moskowitz (interprétation). – Serais-je en droit de dire,
8 Monsieur Ahmic, que la Défense territoriale, telle que vous venez de la
9 décrire, a été créée, au départ, pour permettre la défense contre
10 l'agresseur serbe à Ahmici ?
11 M. Ahmic (interprétation). – Oui, c'est comme cela qu'il faut la
12 concevoir.
13 M. Moskowitz (interprétation). – Est-ce qu'il y a eu un moment
14 où la Défense territoriale d'Ahmici était placée sous commandement
15 conjoint, où les patrouilles étaient mixtes entre Musulmans et Croates qui
16 travaillaient main dans la main ?
17 M. Ahmic (interprétation). - Non, du point de vue donc
18 structurel, ils n'ont jamais été véritablement ensemble. Mais les voisins
19 se sont mis d'accord, et souvent il y avait les patrouilles dans un
20 certain nombre de points où il y avait aussi bien les Croates que les
21 Musulmans, donc Santic et les autres.
22 M. Moskowitz (interprétation). – Est-ce qu'il est arrivé un
23 moment où ces
24 patrouilles conjointes ont disparu, où il n'y a plus eu cet accord
25 officieux de travailler ensemble ?
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1 M. Ahmic (interprétation). – Oui. Après leur attaque qui a eu
2 lieu le 20 octobre 92, à ma connaissance, il n'y avait plus de patrouilles
3 conjointes. Ils ont pris le contrôle en totalité, dans le bas d'Ahmici et
4 à Santici où les Bosniens habitaient.
5 M. Moskowitz (interprétation). – Vous avez dit qu'en
6 octobre 1992 vous vous trouviez à l'emplacement de la flèche sur la carte
7 qui se trouve sous vos yeux. Est-ce que vous étiez en service pour la
8 Défense territoriale ce jour-là ?
9 M. Ahmic (interprétation). - Non, non. Je n'avais pas de tâches
10 précises. Je me suis trouvé à cet emplacement tout à fait par hasard. Je
11 n'avais absolument aucune tâche à remplir. Je n'avais pas d'arme, et
12 c'était déjà un conflit armé qui commençait. Je me suis souvenu, je
13 pensais que c'était utile d’aider les civils et notamment de leur faire
14 éviter de se trouver dans ce conflit.
15 M. Moskowitz (interprétation). – Vous avez dit que des coups de
16 feu ont été tirés contre vous à partir de la maison de Dragan Papic.
17 Dragan Papic savait-il que vous étiez le frère du dirigeant militaire de
18 la Défense territoriale, en octobre 1992 ?
19 M. Ahmic (interprétation). - Oui, bien sûr il le savait.
20 M. Moskowitz (interprétation). – Vous avez dit que vous vous
21 efforciez, en 1992, de sauver des civils. Où est-ce que vous concentriez
22 vos efforts lorsque vous vous efforciez de sauver des civils à cette
23 époque-là ? Je vous demanderai de pointer l'endroit... de placer le
24 pointeur à l'endroit que vous nous indiquerez sur le rétroprojecteur.
25 M. Ahmic (interprétation). - Tout d'abord, j'ai sorti ma mère et
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1 mon frère et puis ma soeur de ma propre maison. Donc, c'est le chiffre
2 numéro 38. J'ai sorti ma mère, ma soeur, mon père. Il y avait encore le
3 brouillard et ensuite je suis parti vers d'autres maisons, celles que je
4 pointe où j'ai essayé de sortir d'autres personnes, ainsi que vers le
5 village, le Bas et le Haut-Ahmici. Etant donné que le pilonnage a
6 commencé, nous avons pris la décision de déplacer la population civile
7 vers le village Vrhovine qui était au-dessus par rapport à Ahmici.
8 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce que vous avez remarqué
9 si des coups de feu étaient tirés -en dehors des coups de feu qui vous
10 étaient destinés- si d'autres coups de feu ont été tirés sur le minaret de
11 la mosquée ce jour-là ?
12 M. Ahmic (interprétation). - D'abord, il y a le minaret qui a
13 été... on a tiré sur le minaret. C'était en provenance de Zume, c'est un
14 canon à retardement, je pense. Vers 8 heures, l'attaque a commencé.
15 Ensuite, on a tiré en provenance de Nadioci vers le barrage et
16 vers 8 heures, à mon avis, l'artillerie d'infanterie a commencé avec les
17 bombes incendiaires. Ils ont incendié les maisons, les étables partout, ou
18 dans mon voisinage.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez dit que les forces
20 musulmanes avaient érigé un barrage routier sur la route. Est-ce que la
21 carte que vous voyez sur le rétroprojecteur à votre côté indique... est-ce
22 qu'elle contient l'endroit où se trouvait ce barrage ?
23 M. Ahmic (interprétation). - Oui, c'était vers le cimetière
24 catholique.
25 M. Moskowitz (interprétation). - Et finalement, est-ce que le
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1 barrage routier a été démantelé ?
2 M. Ahmic (interprétation). - Oui, dès qu'on a commencé à tirer,
3 les gens se sont retirés pour ne pas tomber. Donc automatiquement, le
4 barrage a été démantelé.
5 M. Moskowitz (interprétation). - Les coups de feu ont-ils
6 continué, y compris après le démantèlement du barrage ?
7 M. Ahmic (interprétation). - Oui, nos gens se sont déplacés vers
8 une position qui était plus propice. Moi, je n'y étais pas mais d'après ce
9 que j'ai entendu dire, ceux qui sont restés en place ont dit qu'ils ont
10 continué à tirer et que, de toute façon, ils n'avaient plus de munitions.
11 Par conséquent, ils étaient obligés de se retirer à Ahmici, le haut
12 d'Ahmici.
13 M. Moskowitz (interprétation). - Savez-vous si ce conflit a fait
14 des victimes ?
15 M. Ahmic (interprétation). - Oui. Pezer Halid a été abattu, il
16 n'avait même pas 18 ans. Il était mineur.
17 M. Moskowitz (interprétation). - Etait-ce un jeune homme
18 musulman ?
19 M. Ahmic (interprétation). - Oui, oui.
20 M. Moskowitz (interprétation). - Je crois vous avoir entendu
21 dire que la Défense territoriale d'Ahmici manquait le plus souvent
22 d'armes. Pouvez-vous nous expliquer pour quelle raison ces armes
23 manquaient -et je parle de la première période, c'est-à-dire avant le
24 premier conflit en 1992 ?
25 M. Ahmic (interprétation). - Eh bien, au moment où la Bosnie-
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1 Herzégovine a été reconnue par la communauté internationale, il y a
2 d'abord la Yougoslavie qui avait entrepris l'agression sur les parties
3 orientales et le Nord du pays. Ensuite, les Bosniens pouvaient s'armer
4 tout simplement en passant par la Croatie. Toutefois, les Croates à partir
5 d'Herzégovine ont organisé un certain nombre de points de contrôle et tout
6 ce qu'ils ont pu... ils se sont emparé de ces armes. Ils nous ont
7 pratiquement pris toutes les armes et généralement parlant, on peut
8 constater que les Bosniens étaient handicapés de ce point de vue car ils
9 n'avaient absolument aucune possibilité de s'approvisionner en armes d'où
10 que cela venait.
11 Et nous sommes restés avec très peu d'armes mais nous avons été
12 obligés de mettre sur place les structures pour nous défendre. C'est comme
13 cela que nous avons créé la Défense territoriale. Ensuite, nous avons mis
14 sur place les brigades. Enfin, c'était plutôt lettre morte sur le papier
15 parce qu'on ne pouvait pas créer véritablement une armée si on n'avait pas
16 d'armement et de munitions.
17 M. Moskowitz (interprétation). - Est-il exact qu'en raison de la
18 pénurie en équipement, les hommes d'Ahmici sont allés à Turbe, par
19 exemple, pour combattre les Serbes et que souvent à leur retour à Ahmici,
20 ils devaient laisser leurs armes à Turbe parce que le front contre les
21 Serbes avait besoin de ces armes ?
22 M. Ahmic (interprétation). - Oui, c'est exact. Les Croates, et
23 notamment en Bosnie centrale, n'allaient pas sur le front avec les Serbes,
24 donc ils s'emparaient des positions en Bosnie centrale. Et au moment où
25 nous étions dans la situation la plus délicate, ils ont fait le plan dans
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1 le sens justement de nous donner un coup de couteau dans le dos.
2 M. Moskowitz (interprétation). - Je vous demanderai de vous
3 concentrer sur la période qui va du conflit de 1992 à Ahmici à l'attaque
4 subie par Ahmici en 1993. Et je vous demande si pendant cette période vous
5 avez remarqué une intensification des tensions à Ahmici entre les
6 deux communautés, entre les communautés musulmane et croate.
7 M. Ahmic (interprétation). - Oui, certainement. C'était bien
8 visible. On a pu remarquer que les voisins se sont armés de manière
9 intense, ils se déplaçaient souvent entre Busovaca et Vitez. Il y avait
10 également des provocations à notre égard : ils tiraient, il y avait les
11 détonations également d'explosifs et tout ce qui est matériel explosif.
12 J'ai pu remarquer par la suite qu'ils avaient des chaînes à la télévision,
13 avec une activité hostile, une propagande hostile.
14 M. Moskowitz (interprétation). - Après l'attaque ou le conflit
15 de 1992 à Ahmici, je crois que vous avez dit que vous avez eu à sauver
16 quelques civils au cours de ce conflit. Ces civils ont-ils immédiatement
17 été autorisés à retourner chez eux, dans leur maison ?
18 M. Ahmic (interprétation). - Après un certain temps, il y avait
19 quelques accords auxquels on est parvenu et la population est retournée
20 dans les maisons. En gros, il y avait quelques maisons qui ont été
21 incendiées. Il y en a qui n'ont pas pu retourner, mais en gros la
22 population qui était réfugiée est retournée effectivement.
23 M. Moskowitz (interprétation). – Et des conditions ont-elles été
24 fixées avant qu'un tel retour ne soit autorisé ?
25 M. Ahmic (interprétation). - Oui, à ma connaissance, ils
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1 n'avaient pas le droit de porter les armes. Ils avaient le droit, en
2 revanche, s'ils devaient faire partie de la patrouille, de patrouiller
3 uniquement dans ces deux directions que je montre par le pointeur. Je ne
4 pense pas qu'ils avaient le droit de porter les armes, mais de toute
5 façon, ils avaient le droit de patrouiller donc en bas d'Ahmici.
6 M. Moskowitz (interprétation). – Qui a fixé ces conditions ?
7 M. Ahmic (interprétation). - C'était nos voisins. Le plus
8 responsable c'était Zoran Kupreskic qui était un des commandants, et
9 Milicevic Slavko également.
10 M. Moskowitz (interprétation). – Est-ce qu'une autre condition a
11 également été fixée ? Je veux parler du couvre-feu.
12 M. Ahmic (interprétation). - Oui, ils avait prononcé le couvre-
13 feu à partir de 10 heures du soir. Cela c'était très strict. On n'avait
14 pas le droit de nous déplacer pendant cette période-là. En revanche, nous
15 avons pu remarquer que les Croates avaient reçu les renforcements. J'ai pu
16 personnellement constater qu'à côté de la maison de Maria, ils avaient un
17 certain nombre de personnes qui mon été inconnues, et le soir quand je
18 sortais de chez Sakib, je me souviens avoir vu un certain nombre de
19 personnes qui m'étaient complètement inconnues. Ils nous ont provoqués
20 également à l'époque, mais ils ne nous ont pas maltraités à cette époque-
21 là.
22 J'ai pu donc constater et remarquer qu'ils avaient des personnes
23 qui sont venues de quelque part de loin, et qu'ils faisaient part
24 également des patrouilles. Personnellement, je pense que même ce bois du
25 côté de la maison de Maria et de Papic abritait un certain nombre de
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1 personnes. Ils avaient peut-être même les installations là-dessus, mais
2 cela je ne peux pas le dire exactement. Mais je me souviens que la mère de
3 Papic Dragan, à un moment donné, portait le matin le café par exemple vers
4 le bois. Y avait probablement des effectifs dans le bois.
5 M. Moskowitz (interprétation). – Pouvons-nous rester sur ce
6 point quelques instants ? Avez-vous jamais vu des livraisons, des
7 déchargements de caisses dans le secteur que vous venez de nous montrer,
8 dans le secteur où se trouvait la maison Papic pendant la période séparant
9 le conflit de 1992 et l'attaque de 1993 ?
10 M. Ahmic (interprétation). – Oui, j'ai vu de mes propres yeux
11 souvent Zoran Papic. Il prenait sa voiture, et il avait transporté dans la
12 voiture les armes. Pero Papic également. Et j'ai pu constater qu'il était
13 assez expert en électronique militaire. Et j'ai vu également un camion en
14 provenance de Busovaca qui s'était rendu vers la maison de
15 Ivica Kupreskic. On ne voit pas très clairement ici. C'est quelque peu
16 plus loin, un peu plus haut, et ils ont déchargé les caisses qui
17 contenaient la munition, et ils ont posé dans la cave cette munition.
18 M. Moskowitz (interprétation). – Vous avez dit que les armes
19 devaient être rendues par les Musulmans avant leur retour chez eux. Savez-
20 vous si en fait, effectivement des armes ont été rendues ?
21 M. Ahmic (interprétation). – Eh bien, vous parlez de la
22 population de Zume. Toutes les armes qu'ils possédaient, ils ont été
23 obligés de les déposer en avril, les armes. Je pense qu'il y avait un
24 accord auquel ils sont parvenus, que les fusils soient rendus. Il y en
25 avait quatre au total. D'abord on avait dit qu'il fallait absolument
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1 rendre tous les fusils, les gens de chez nous ne l'ont pas accepté. Donc,
2 ils sont arrivés à un accord pour rendre les quatre fusils.
3 M. Moskowitz (interprétation). – Combien de jours ou de semaines
4 après le conflit de 1992 les gens ont-ils commencé à retourner dans leurs
5 maisons, dans cette partie d'Ahmici ?
6 M. Ahmic (interprétation). - Je pense qu'une dizaine de jours à
7 peu près se sont écoulés. Je me souviens que ma famille était parmi les
8 dernières familles qui sont retournées.
9 Peut-être même plus de dix jours, mais au bout de dix jours, en
10 ce qui nous concerne, c'est même un mois entre vingt jours et un mois, je
11 ne peux pas vous dire exactement, mais au plus un mois.
12 M. Moskowitz (interprétation). – Pendant la période séparant
13 l'attaque de… le conflit de 1992 et l'attaque de 1993, avez-vous vu
14 Dragan Papic de temps en temps dans le village d'Ahmici ?
15 M. Ahmic (interprétation). - Oui, je le voyais, mais j'ai
16 contacté très peu avec lui.
17 Je me souviens ce qui pourrait être intéressant à constater ici.
18 Je les ai aperçus à Zume dans cette agglomération avec son frère Zoran et
19 il portait snipper, il portait l'uniforme
20 militaire et il avait un instrument également d’étranglement, ce qui
21 m'avait un petit peu choqué. C'est un instrument donc à manivelle. Vous
22 mettez cela autour du cou de la personne et vous l'étranglez et cela je me
23 souviens avoir aperçu cet instrument dans ses mains. J'ai pu voir
24 également sur la route principale vers Rovajci, on ne peut pas
25 véritablement voir, je l’ai aperçu, et je sais qu'il portait le snipper,
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1 par moment il avait l'uniforme noir, par moment l'uniforme de camouflage,
2 par moment il était en civil, mais de toute façon il séjournait dans nos
3 agglomérations, dans nos villages.
4 M. May (interprétation). - Le témoin parle de porter un fusil
5 snipper. Est-ce que vous pouvez lui demander davantage de détails ?
6 M. Moskowitz (interprétation). - Oui. Monsieur Ahmic,
7 qu'entendez-vous par le terme "fusil snipper", lorsque vous dites que vous
8 avez vu un fusil snipper entre les mains de Dragan Papic ?
9 M. Ahmic (interprétation). - Papic Dragan portait le fusil
10 snipper pour des raisons de publicité, c'était plutôt pour nous faire
11 peur. Je l’ai dit au début, c'est quelqu'un qui commençait à s'intéresser
12 énormément aux armes, ça je l’ai précisé tout à l'heure. Et il portait le
13 fusil snipper non pas parce qu'il avait une tâche toute précise, parce que
14 c'est un fusil. On tire de ce fusil à une distance qui est beaucoup plus
15 grande mais, personnellement je pense, qu'il le portait plutôt comme
16 publicité, si vous voulez, pour nous faire peur dans notre hameau.
17 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez également dit l'avoir
18 vu porter un instrument d’étranglement en même temps que le fusil snipper.
19 Qu'est-ce que vous entendez par là ? Je vous demanderai d'éclairer un peu,
20 de donner davantage de détails.
21 M. Ahmic (interprétation). - Il s'agit d'un instrument, comme je
22 dis, d’étranglement. Il y a les deux manivelles et ensuite, il y a un fil
23 autour que vous mettez autour du cou de la personne. Vous tirez la
24 manivelle et puis c’est comme cela que vous pouvez étrangler la personne
25 en question.
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1 M. Moskowitz (interprétation). - Outre ces deux instruments, ces
2 deux armes, est-ce que vous avez jamais vu des armes dans la maison de
3 Dragan Papic, aux alentours de cette maison, au cours de la période dont
4 nous parlons, c'est-à-dire la période qui sépare les deux conflits ?
5 M. Ahmic (interprétation). - Je vais citer un détail, j'ai vu de
6 mes propres yeux qu'il passait souvent, au fond il s'agissait d'un camion,
7 c'est le PAZ à quatre tuyaux, ou PAM. Et je me souviens que Dragan Papic
8 souvent appelait ces gens-là qui étaient des conducteurs de ces véhicules
9 qu'ils viennent chez lui dans sa cour.
10 Draguan Papic également montait sur les véhicules et tirait en
11 l'air mais juste pour nous provoquer, juste pour nous faire peur. Il n'a
12 pas détruit de maisons, aucune maison n'a pas été détruite à ma
13 connaissance, mais c'était plutôt des provocations à partir de ces armes.
14 M. Moskowitz (interprétation). - J'aimerais appeler votre
15 attention Monsieur Ahmic, sur la nuit qui a précédé l'attaque contre
16 Ahmici au mois d'avril. Vous rappelez-vous où vous vous trouviez cette
17 nuit-là, le 15 avril 1993 ?
18 M. Ahmic (interprétation). - Je suis allé chez Ahmici avec mon
19 frère, chez mon oncle. C'est le chiffre numéro 4. J'étais chez mon oncle
20 avec mon frère, et, je l’ai précisé, avec mon frère Muris jusqu'à
21 10 heures du soir. Et en rentrant de cette maison, donc qui porte le
22 numéro 4, j'ai remarqué chez Dragan, j'ai entendu la voix de son
23 frère Iva, qui l’appelait et qui disait : "Viens ici, viens ici", et j'ai
24 même remarqué des effectifs assez importants, mais je n'ai pas pu
25 véritablement regarder de très près car souvent, j'ai pu constater
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1 plusieurs voitures dans la cour de Dragan Papic, il y avait une trentaine
2 de voitures.
3 C'était en quelque sorte le quartier général. Ils se sont réunis
4 souvent dans cette maison. Ce n'était pas uniquement les voisins qui se
5 rendaient chez lui, mais de Vitez, de Busovaca également, et je n'ai pas
6 fait très attention cette nuit-là, je n'ai pas véritablement fait très
7 attention à ce qui se passait dans la cour, mais je suis sûr que
8 Dragan Papic était cette nuit,
9 à la veille de l'attaque, ainsi que son père parce que je les ai entendus.
10 M. Moskowitz (interprétation). - Pour que les choses soient
11 claires : son père s'appelle Ivo Papic, c'est bien cela ?
12 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
13 M. Moskowitz (interprétation). - Au fait, savez-vous où
14 Dragan Papic habitait dans cette maison, la maison de son père Ivo ?
15 Habitait-il au premier étage ou au deuxième étage ?
16 M. Ahmic (interprétation). - Je ne peux pas vous dire
17 exactement. Je ne m'en souviens pas exactement. Mais je pense que de toute
18 façon il y avait un qui habitait le premier et l'autre le deuxième étage,
19 mais je ne sais pas qui.
20 M. Moskowitz (interprétation). - La nuit du 15, vous rentriez
21 chez vous de la maison de votre oncle Sakib, vous avez entendu cette
22 conversation entre le père et le fils, de l'autre côté de la route, donc
23 conversation entre Ivo et Dragan Papic et vous êtes rentré chez vous ?
24 M. Ahmic (interprétation). - Oui, ils s'appelaient l'un l'autre,
25 ce n'était pas véritablement une conversation.
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1 M. Moskowitz (interprétation). - Et à ce moment-là vous habitiez
2 dans votre maison avec votre frère Muris et qui d'autre, pouvez-vous nous
3 le dire ?
4 M. Ahmic (interprétation). - Mon père, ma mère et les trois
5 soeurs.
6 M. Moskowitz (interprétation). - Monsieur le Président, il est
7 15 heures 30 et cela me paraît une bonne césure.
8 M. Le Président (interprétation). - Oui, nous allons suspendre
9 l'audience pendant trente minutes.
10 (L'audience, suspendue à 15 heures 30, est reprise à 16 heures.)
11 M. le Président (interprétation). - Maître Moskowitz, avant que
12 vous ne commenciez, je pense à une chose : vous n'avez pas demandé au
13 témoin de donner son nom et sa date de naissance, ce serait sans doute bon
14 de lui poser cette question. De façon à ce qu'il s'identifie.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Oui, cela aurait sans doute été
16 une meilleure idée au début, mais c'est une bonne idée de le faire
17 maintenant.
18 M. le Président (interprétation). - Oui.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
20 Monsieur Ahmic, avant que nous ne revenions sur les événements du
21 16 avril, je vous prierai de bien vouloir nous donner votre nom complet et
22 votre date de naissance pour le compte rendu.
23 M. Ahmic (interprétation). - Je m'appelle Ahmic Abdullah et je
24 suis né le 29 janvier 1963.
25 M. Moskowitz (interprétation). - Merci.
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1 Avant d'abandonner la pièce à conviction 25 qui se trouve sur le
2 rétroprojecteur à côté de vous, je tiens à dire pour le compte rendu qu'il
3 s'agit d'un agrandissement d'une zone déterminée à Ahmici où l'on voit en
4 haut le cimetière et en bas la route qui est un embranchement de la route
5 principale et qui se dirige vers Ahmici-le-Bas. C'est à ce niveau que se
6 trouve le quartier dans lequel habitait M. Ahmic.
7 Et puis, Monsieur le Témoin, Monsieur Ahmic, si vous le voulez
8 bien, avant de poursuivre j'aimerais vous ramener brièvement aux
9 événements d'octobre 1992. Vous avez indiqué que votre famille et d'autres
10 familles ont évacué cette partie d'Ahmici, et que dans le temps ces
11 familles sont retournées chez elles. Votre famille est rentrée, mais
12 pouvez-vous nous dire si votre famille a été l'une des premières à rentrer
13 ou l'une des dernières à rentrer en 1992 dans sa maison ?
14 M. Ahmic (interprétation). - Eh bien, ma famille était une des
15 dernières qui est retournée à Ahmici.
16 M. Moskowitz (interprétation). - Très bien. Eh bien nous pouvons
17 maintenant
18 avancer pour passer au matin du 16 avril 1993.
19 Et pour illustrer votre témoignage, je prierai l'huissier de
20 bien vouloir vous remettre la pièce à conviction qui, je crois, sera
21 enregistrée sous la cote 26.
22 Monsieur Ahmic, de façon à ce que chacun s'y retrouve, notamment
23 les Juges et les conseils de la défense, je vous demanderai de placer le
24 pointeur à l'endroit où se trouve votre maison sur cette pièce à
25 conviction numéro 26.
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1 M. Ahmic (interprétation). - C'est ici, le rond et le
2 chiffre 38.
3 M. Moskowitz (interprétation). - Pourriez-vous à présent montrer
4 aux Juges où se trouve la route qui se dirige vers Ahmici à partir de la
5 route principale, sur cette pièce à conviction ?
6 M. Ahmic (interprétation). - Voici.
7 M. Moskowitz (interprétation). - Ceci est un agrandissement d'un
8 secteur d'Ahmici qui se trouve juste en-dessous de la première photo
9 aérienne que nous avons regardée. Et on voit maintenant votre maison,
10 votre quartier au sommet de cette pièce à conviction alors qu'elle se
11 trouvait au bas de la pièce à conviction précédente, n'est-ce pas ?
12 (Signe du témoin.)
13 Très bien. Alors, je vous demanderai maintenant de nous dire le
14 premier souvenir que vous avez des événements du matin du 16 avril 1993.
15 Je vous invite, lorsque vous le souhaiterez, à utiliser l'agrandissement,
16 pièce à conviction 26, pour expliquer ce que vous nous dites.
17 M. Ahmic (interprétation). - Eh bien, je me souviens
18 premièrement que les détonations assez puissantes m'ont réveillé, c'était
19 au petit matin, cela a duré à peu près pendant un quart-d'heure, c'était
20 une détonation fort puissante. Je suppose que c'était une attaque
21 d'artillerie sur un certain nombre de cibles dans le village.
22 M. Moskowitz (interprétation). - Permettez-moi de vous
23 interrompre avant que
24 vous ne poursuiviez. Vous étiez dans votre maison ce matin-là, n'est-ce
25 pas ?
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1 M. Ahmic (interprétation). - J'étais chez moi, dans ma maison,
2 j'ai passé la nuit ; mon père, ma mère, mes trois soeurs et mon frère, et
3 nous étions tous réveillés par les détonations.
4 M. Moskowitz (interprétation). - Dans quelle partie de la maison
5 dormiez-vous et dans quelle partie de la maison se trouvaient les membres
6 de votre famille ce jour-là ?
7 M. Ahmic (interprétation). - Muris dormait dans la cave, il
8 était le seul et nous autres nous étions au rez-de-chaussée.
9 M. Moskowitz (interprétation). - Que s'est-il passé ensuite ?
10 M. Ahmic (interprétation). - Après ce pilonnage, nous ne savions
11 pas effectivement ce qui se passait. Nous avons regardé par la fenêtre et
12 la première chose que j'ai faite c'est d'appeler mon frère Muris, lui
13 demander ce que nous allons faire. Il m'a dit que la maison a été
14 encerclée de tous les côtés, que par conséquent nous allons rester à la
15 maison.
16 M. Moskowitz (interprétation). - Excusez-moi, mais je vais vous
17 interrompre de temps en temps. Vous avez déjà parlé, il y a quelques
18 instants, du fait que votre frère Muris était l'un des dirigeants de la
19 Défense territoriale à Ahmici en 1992. Etait-il toujours dirigeant de la
20 Défense territoriale en 1993 au moment de l'attaque ?
21 M. Ahmic (interprétation). - Non, il n'occupait aucun poste. Il
22 se préparait ce matin-là pour aller travailler, à cette époque-là il
23 travaillait, il ne faisait pas partie de l'armée.
24 M. Moskowitz (interprétation). - Pourquoi n'était-il plus
25 dirigeant de la Défense territoriale en 1993 ?
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1 M. Ahmic (interprétation). - Ou bien il a donné la démission ou
2 bien on l'avait remplacé. Je ne peux pas vous répondre exactement mais je
3 sais qu'il n'y était plus.
4 M. Moskowitz (interprétation). - Eh bien poursuivez, je vous
5 prie de m'excuser pour ces interruptions. Mais poursuivez, dites-nous ce
6 qui s'est passé.
7 M. Ahmic (interprétation). - J'ai remarqué tout d'abord les
8 soldats, il y en avait cinq ou six, vers la maison dont le propriétaire
9 était Ahmic à (non audible) chiffre 35. Egalement autour de la maison qui
10 est marquée par le chiffre 37, c'était pratiquement en même temps. Il y
11 avait quatre, cinq soldats ; Ahmic Fahrudin était le propriétaire de la
12 maison. Autour de la maison qui est marquée par le chiffre 35, les soldats
13 tournaient autour, et nous n'avions aucune chance. 37 a été incendiée,
14 donc nous, on ne pouvait pas sortir. Nous avons été encerclés et il y
15 avait probablement beaucoup de soldats dans le bois, autour donc de Dragan
16 et Pero Papic. Ensuite, il y avait des soldats qui se sont dirigés vers
17 notre maison numéro 38.
18 M. Moskowitz (interprétation). – Monsieur Ahmic, vous avez dit
19 avoir vu des soldats autour de la maison de votre premier voisin,
20 Fahrudin. Est-ce que c'est bien la maison numéro 37, la maison de
21 Fahrudin ?
22 M. Ahmic (interprétation). - Oui, mais ces soldats ne sont pas
23 venus vers notre maison, mais les autres, tout à l'heure, je vais pouvoir
24 vous expliquer en détail si vous voulez bien. Donc, après j'ai entendu une
25 détonation très forte. C'était une grenade, ensuite, les deux tirs. C'est
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1 à ce moment-là, probablement, que mon frère Muris a été abattu. Peu de
2 temps après s’est passé. J'ai entendu plusieurs tirs, et la rafale a fait
3 des trous sur la porte d'entrée. Personne ne se trouvait, à cette époque-
4 là, dans le couloir.
5 Mon père et moi-même nous sommes sortis, nous avons ouvert la
6 porte, il y avait les deux soldats, dont l'un était de très grande taille,
7 blond, rasé, comme des "Pankers" (inaudible). Ils étaient colorés par des
8 couleurs différentes, portaient des armes, en uniforme également. L'autre
9 a été de petite taille ; 170 cm à peu près, brun. Celui qui était plus
10 grand, comme je l’ai dit, avait 190 cm, à peu près de cette taille-là et
11 assez costaud.
12 La première chose qu'ils nous ont posée comme question, c'était
13 si on avait des armes. Nous avons dit qu'on n'avait pas d'armes. Moi
14 j'avais une grenade et je l’ai remise à ce soldat qui était de grande
15 taille. Ensuite, il m'avait donc demandé de sortir dans la cour, et lui
16 est
17 rentré dans la maison. Il a cherché quelque chose, ensuite il est ressorti
18 et il a dit à l'autre qui était plus jeune : "Comporte-toi comme ceci nous
19 a été ordonné". L'autre avait dit : "Non". Le grand, une fois de plus, lui
20 a dit : "Mais il faut absolument que tu agisses comme il nous a été
21 ordonné". L'autre avait refusé, et en définitive il lui a dit : "Si tu ne
22 veux pas le faire, moi je le ferai mais toi tu ne l'oublieras pas. Tu t’en
23 souviendras". Il lui a dit : "Tu restes avec les jeunes femmes, avec les
24 femmes, et moi je vais donc exécuter l'ordre".
25 Il m'a demandé, moi-même, ainsi qu'à mon père, d'aller derrière
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1 la maison. Nous nous sommes retrouvés donc à cet emplacement que je
2 pointe, et j'ai pu constater le corps de Muris, mon frère, retourné vers
3 la terre, portait un jean avec un béret rouge, des chaussures de sport. Il
4 avait demandé donc le grand, il avait demandé à mon père de faire les
5 deux pas en avant, mais lui il était tout confus, il ne l'a pas fait et ce
6 soldat , Hagan (inaudible), avait tiré. Moi, je l'ai vu tiré. Il m'a
7 demandé de faire exactement la même chose. Il a tiré et la balle est
8 rentrée d'un côté et sortie de l'autre. J'ai senti le sang couler, la
9 chaleur du sang également. J'ai fait semblant de tomber et je suis resté
10 quelques temps couché par terre comme cela.
11 Ensuite, j'ai soulevé la tête, j'ai regardé un petit peu autour
12 de moi, j'ai vu qu'il n'y avait plus personne autour de moi, et j'ai couru
13 le temps que je pouvais bien évidemment, dans cette direction, je pointe.
14 Je suis arrivé, donc il y a une vallée et je suis arrivé jusqu'à la route
15 principale que je pointe.
16 M. Moskowitz (interprétation). – Monsieur Ahmic, permettez-moi
17 de vous interrompre à ce stade. Quand les soldats ont pénétré dans votre
18 maison, quels vêtements portiez-vous ce matin-là ?
19 M. Ahmic (interprétation). - J'ai mis en vitesse un jean, un
20 vieux, et une veste très vieille, c’est tout ce que j'ai pu mettre.
21 C'était véritablement en vitesse. C’est civil, j'étais en vêtements
22 civils.
23 M. Moskowitz (interprétation). – Quels vêtements portait votre
24 père ?
25 M. Ahmic (interprétation). - Mon père était vêtu également en
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1 civil. Il a pris un anorak bleu qui se trouvait dans le couloir, et il
2 avait un pantalon. On pensait qu'on l'emmenait quelque part dans un camp
3 de détention, par exemple.
4 M. Moskowitz (interprétation). – Quand on vous a ordonné de
5 sortir de la maison, qu'est-il arrivé aux femmes de la maison et aux
6 enfants de la maison ?
7 M. Ahmic (interprétation). - Les femmes et les enfants sont
8 restés dans la maison, dans le couloir, toutes pâles, confuses, perdues un
9 petit peu. Elles ne savaient pas ce qui se passait.
10 M. Moskowitz (interprétation). – Combien de soldats vous ont
11 escortés, vous et votre père, à l'extérieur de la maison ?
12 M. Ahmic (interprétation). - Ils étaient deux,
13 uniquement deux soldats, et les autres qui étaient chez Fahrudin Ahmic,
14 ils observaient tout simplement ce qui se passait.
15 M. Moskowitz (interprétation). – Quelles étaient les armes que
16 portaient ces soldats, les soldats qui vous ont escortés à l'extérieur de
17 la maison ?
18 M. Ahmic (interprétation). - Ils étaient bien armés, très bien
19 armés.
20 M. Moskowitz (interprétation). – Pouvez-vous nous dire quels
21 types d'armes ils portaient ?
22 M. Ahmic (interprétation). - Ils portaient les fusils
23 automatiques avec les crosses. Ils n'avaient pas des sacs de transport.
24 C'était ceux qui organisaient les diversions, les sabotages, etc. Ils
25 avaient des vêtements de camouflage.
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1 M. Moskowitz (interprétation). – Vous-même et votre père avez-
2 vous opposé une résistance à ces soldats ?
3 M. Ahmic (interprétation). – Non, non, absolument pas.
4 M. Moskowitz (interprétation). – Quand on vous a escortés, vous,
5 votre père à l'extérieur de la maison, à quel moment est-ce que vous avez
6 vu le corps de votre frère Muris, et
7 où ce corps gisait-il au sol ?
8 M. Ahmic (interprétation). - Nous avons remarqué, juste à
9 l'angle, c'était à trois mètres par rapport à la maison, et c'est là où on
10 a tiré sur nous, mon père et moi-même.
11 M. Moskowitz (interprétation). – Comment votre père a-t-il réagi
12 quand il a vu le corps sans vie de son fils gisant sur le sol ?
13 M. Ahmic (interprétation). - C'était très dur pour lui, très,
14 très dur.
15 M. Moskowitz (interprétation). – Le soldat a donc demandé à
16 votre père de s'avancer, de faire quelques pas en avant, avant de lui
17 tirer dessus, c'est bien cela ?
18 M. Ahmic (interprétation). - Oui c'est cela. Et il me l’a
19 demandé également.
20 M. Moskowitz (interprétation). – Votre père a-t-il pu obéir à
21 l'ordre de ce soldat qui lui demandait de faire quelques pas en avant ?
22 M. Ahmic (interprétation). - Il l'a fait avec beaucoup de peine,
23 il ne pouvait pas probablement.
24 M. Moskowitz (interprétation). – Et vous avez également évoqué
25 une discussion entre les deux soldats qui portaient sur leurs ordres.
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1 Pourriez-vous, je vous prie, nous donner quelques détails supplémentaires
2 au sujet de ce que les deux soldats se sont dit à ce moment-là et que vous
3 avez entendu ?
4 M. Ahmic (interprétation). – Le soldat qui était grand, comme je
5 l’ai dit, il avait dit au jeune homme qui nous a gardé dans la cour : "Il
6 faut suivre l'ordre, exécuter l'ordre". Il a répondu : "Non". Ensuite,
7 pour la deuxième fois, il lui a dit : "Il faut exécuter l'ordre", il a
8 répondu "Non". La troisième fois, il a dit : "Exécute l'ordre", il avait
9 répondu "Non". Ensuite, le grand a dit : "C’est moi qui exécuterait
10 l'ordre mais tu t’en souviendras", donc il l'a menacé.
11 M. Moskowitz (interprétation). – Que pensiez-vous qu'ils
12 entendaient par ces mots "exécuter les ordres" ? De quels ordres pensiez-
13 vous qu'il s'agissait, qu'ils parlaient ?
14 M. Ahmic (interprétation). - J'ai compris tout de suite qu'il
15 allait nous fusiller, nous
16 abattre. C'était le signe qu'ils avaient donc le devoir de nous abattre,
17 ils avaient l'ordre, probablement, de leur commandant. C'était évident,
18 c'était l'évidence même, il y avait un ordre qu'il devait exécuter de
19 fusiller.
20 M. Moskowitz (interprétation). – Avez-vous vu votre père quand
21 il s'est fait abattre ?
22 M. Ahmic (interprétation). – Oui, je l'ai vu, j'ai vu de mes
23 propres yeux ; c'est le cerveau qui est sorti de la tête.
24 M. Moskowitz (interprétation). – Et que vous a dit le soldat
25 après avoir fait cela à votre père ?
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1 M. Ahmic (interprétation). - Ensuite il m'a dit de m'avancer
2 deux pas en avant et je lui ai obéi : j'ai fait les deux pas en avant,
3 ensuite il avait tiré.
4 M. Moskowitz (interprétation). - Qu'avez-vous pensé juste avant
5 le coup de feu tiré contre vous ?
6 M. Ahmic (interprétation). - A ce moment-là, on n'a pas pensé.
7 On ne pense pas. Si n'importe qui parmi vous avait été dans une situation
8 pareille, doit réfléchir si on peut penser à quelque chose.
9 M. Moskowitz (interprétation). - A quel endroit vous a-t-on tiré
10 dessus, vous avez essayé de le dire tout à l'heure ? Est-ce que vous
11 pouvez pointer le doigt à l'endroit où la balle est rentrée et à l'endroit
12 où elle est sortie ?
13 M. Ahmic (interprétation). - C'est à peu près là où la balle est
14 rentrée (il montre sa joue) et elle est sortie de l'autre côté. Voilà, je
15 fais signe.
16 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez toujours une marque à
17 l'endroit où la balle a pénétré ?
18 M. Ahmic (interprétation). - Oui, j'ai effectivement une marque
19 et ceux qui veulent voir de très près peuvent venir vers moi et voir.
20 M. Moskowitz (interprétation). - Que s'est-il passé après que
21 cette balle a traversé votre tête ? Qu'est-ce que vous avez fait ensuite ?
22 M. Ahmic (interprétation). - J'ai compris que je n'étais pas
23 abattu véritablement, et j'ai fait semblant de tomber, j'étais couché par
24 terre, je suis resté sans bouger pendant quelques secondes. Ensuite j'ai
25 soulevé la tête, j'ai vu qu'il n'y avait plus personne autour de moi et je
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1 me suis soulevé et j'ai couru.
2 M. Moskowitz (interprétation). - A ce moment-là, ressentiez-vous
3 une douleur ?
4 M. Ahmic (interprétation). - Je n'avais pas véritablement de
5 très grande douleur, mais c'est le sang qui coulait. Non, je n'avais pas
6 beaucoup souffert.
7 M. Moskowitz (interprétation). - ...
8 M. Ahmic (interprétation). - C'est normal que quand vous êtes
9 dans une situation pareille, vous êtes sous le choc, il faut survivre,
10 c'est un fait.
11 M. Moskowitz (interprétation). - Donc, vous êtes resté allongé
12 au sol quelques instants, vous vous êtes rendu compte que vous n'étiez pas
13 mort, vous avez regardé autour de vous et vous vous êtes déplacé.
14 Pourriez-vous nous montrer sur la photo aggrandie l'endroit où vous êtes
15 allé ?
16 M. Ahmic (interprétation). - Ici il y a une vallée,donc je me
17 suis dirigé vers cette vallée, et puis, je suis descendu vers la route
18 entre Vitez et Busovaca, une fois quand je me suis rendu sur la route, je
19 me disais que j'allais rencontrer quelqu'un. J'ai oublié de dire tout à
20 l'heure qu'au moment où on a tiré sur mon père et sur moi-même, j'ai pu
21 remarquer un certain nombre de véhicules de la Forpronu et personnellement
22 j'espérais qu'un camion pouvait survenir et que je pouvais donc m'évader
23 de cette façon-là.
24 J'ai attendu pendant cinq minutes, aucun véhicule n'est apparu.
25 Donc, j'ai remarqué qu'on incendiait les maisons ici, l'endroit que je
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1 pointe, il y avait les soldats également qui se dirigeaient vers... dans
2 cette direction vers les flèches que j'ai pointées tout à l'heure.
3 Ensuite, il y
4 a un petit pont en-dessous de la route et je me suis abrité en-dessous.
5 M. Moskowitz (interprétation). - Pour que tout soit tout à fait
6 clair, que nous voyons bien à quel endroit vous vous trouviez au moment où
7 vous avez fui votre maison en courant après qu'on vous a tiré dessus, quel
8 est le premier endroit où vous vous êtes rendu ? Et je vous invite à
9 utiliser la photographie et le pointeur de façon à ce que nous voyons bien
10 et que le compte rendu... que les renseignements soient consignés au
11 compte rendu.
12 M. Ahmic (interprétation). - Je marque avec le pointeur la
13 flèche. C'est ce petit trait, c'est là où je me suis rendu d'abord, mais
14 c'est une dizaine de mètres à peu près : vous voyez le petit rond et le
15 trait, c'est une dizaine de mètres à peu près, pas plus.
16 M. Moskowitz (interprétation). - Il y a une petite ligne le long
17 de la route à côté de la lettre "v", n'est-ce pas ?
18 M. Ahmic (interprétation). - Oui, c'est le pont, à mon avis.
19 M. Moskowitz (interprétation). - Comment vous êtes-vous caché
20 sous ce pont ? Qu'avez-vous fait ?
21 M. Ahmic (interprétation). - L'eau arrivait jusqu'à la taille,
22 je me suis donc abrité sous ce pont, je suis resté toute la nuit jusqu'à
23 10 heures du soir, mais je suis resté dans l'eau tout le temps. Tout à
24 l'heure, je peux vous donner plus de détails car il y avait les soldats
25 qui sont arrivés, mais au moment où ils sont arrivés, j'étais obligé de
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1 rester sous l'eau pratiquement. J'étais mouillé. Jusqu'à 10 heures du
2 soir, je suis resté dans l'eau comme je l’ai dit. J'ai remarqué également
3 au moment où je me suis abrité sous le pont, j'ai vu les soldats qui, en
4 provenance donc de cette direction que je pointe, se répartissent pour
5 organiser une attaque, pour tirer et ils étaient entre 30 et 40, une
6 section de 30 ou 40 soldats.
7 J'ai vu Ivica, j'ai pu reconnaître Ivica Safradin qui était
8 commandant de la police militaire, il était chauve, on l'appelait Cico ,
9 et c'est lui qui avait réparti les soldats. J'ai remarqué, j'ai aperçu
10 plutôt Santic Dragan, Santic Ilija, également Debarala : il était
11 moustachu, il était de Nadioci, il était marié, lui aussi faisait partie
12 de la police, Blazo Tutic qui a travaillé dans une usine de mécanique,
13 Ratko le connaît car lui aussi il a travaillé dans cette usine.
14 Ensuite, j'ai pu apercevoir certaines autres personnes que je
15 connaissais. Il y en avait qui étaient en uniforme militaire, en police et
16 d'autres en civil, tous étaient armés, tous étaient armés et tous ont été
17 répartis dans les directions diverses.
18 Tout de suite après, il y a un autre groupe, c'était à peu près
19 une section une fois de plus entre 30 et 40 personnes qui portaient les
20 uniformes noirs. On les appelait des Oustachis. Pendant la Deuxième Guerre
21 mondiale ils portaient le même uniforme et ils ont été répartis à une
22 distance un peu plus grande par rapport à cette première section.
23 Cela c'était le matin ; au cours de la journée, deux heures,
24 trois heures plus tard, j'ai vu que les soldats en provenance du Sud sont
25 arrivés, en provenance de Cerki et ils venaient jusqu'à l'endroit où
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1 j'étais et puis ils étaient répartis une fois de plus, c'était une unité
2 d'une dizaine de soldats très bien armés avec des casques, avec des
3 véhicules antiaériens, RPG, des lance-roquettes multiples. Ils avaient
4 également des rubans bleus qu'ils portaient sur les uniformes, des
5 uniformes jaunes, blancs et autres. Donc des soldats qui ont été très bien
6 armés et pendant une demi-heure, ils étaient répartis à des endroits
7 différents. Un mortier également et puis le PAZ, je ne l'ai pas aperçu,
8 mais j'ai entendu parler du PAZ.
9 M. Moskowitz (interprétation). - Monsieur Ahmic, vous avez dit
10 avoir vu des membres de la police militaire. Est-ce que les membres de la
11 police militaire avaient un uniforme particulier que vous pouviez
12 reconnaître ?
13 M. Ahmic (interprétation). - Oui, ils avaient des bandes
14 blanches, des ceintures blanches et de toute façon c'était facile à
15 remarquer, c'est la police qui portait cela.
16 M. Moskowitz (interprétation). - Tous ces soldats que vous avez
17 décrits, vous semblaient-ils agir de façon coordonnée ou aviez-vous
18 l'impression qu'ils se combattaient les uns les autres ?
19 M. Ahmic (interprétation). - Non, je pense que tout cela était
20 très bien planifié. C'était une attaque qui était orientée vers cette
21 partie de l'agglomération que je vous montre par le pointeur.
22 M. Moskowitz (interprétation). - Et c'étaient des soldats du
23 HVO, à cet endroit-là ?
24 M. Ahmic (interprétation). - Oui, j'ai vu les soldats qui
25 portaient les signes HVO ou HV. J'ai remarqué également un soldat qui
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1 était tout près de moi, qui avait le signe des soldats qui appartenaient à
2 une unité spéciale.
3 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez parlé d'emblème.
4 Qu'est-ce que vous entendez par le mot "emblème" ?
5 M. Ahmic (interprétation). - Quand je parle d'emblème, ou vous
6 pensez au ruban bleu dont j'ai parlé ?
7 M. Moskowitz (interprétation). - L'emblème du HVO, l'emblème du
8 HV, l'emblème des forces spéciales... Pouvez-vous nous décrire ce que vous
9 entendez par emblème, où se portaient ces emblèmes, quel était leur
10 aspect ?
11 M. Ahmic (interprétation). - En ce qui concerne les emblèmes
12 c'est sur les épaules, ou juste en-dessous, c'est marqué "HV" ou "HVO". En
13 ce qui concerne les unités spéciales, c'est sous une forme ronde, je
14 pense.
15 M. Moskowitz (interprétation). - Savez-vous quelle était la
16 signification des lettres HVO ?
17 M. Ahmic (interprétation). - HVO, c'est le conseil de la défense
18 croate, c'était l'armée croate en Bosnie-Herzégovine alors que HV, ce sont
19 les unités de la République de Croatie.
20 M. Moskowitz (interprétation). - Ces soldats que vous avez
21 observés toute la journée, vous les avez regardés depuis l'endroit où vous
22 vous trouviez sous le pont alors que
23 vous étiez à moitié dans l'eau, n'est-ce pas ? Il faut que vous répondiez,
24 Monsieur.
25 M. Ahmic (interprétation). - Oui, c'est exact.
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1 M. Moskowitz (interprétation). - Pendant la journée, est-ce que
2 vous avez ressenti un inconfort plus important à cause de la blessure que
3 vous aviez au visage ?
4 M. Ahmic (interprétation). - Oui, je ne me suis pas évanoui,
5 mais j'avais des vertiges.
6 M. Moskowitz (interprétation). - Vous rappelez-vous à peu près à
7 quel moment vous avez fini par sortir de votre cachette sous le pont, par
8 sortir de l'eau ce jour-là ?
9 M. Ahmic (interprétation). - Je suis sorti de mon abri vers
10 10 heures du soir. Je me suis dirigé d'abord vers cet endroit que je
11 pointe par le pointeur, c'était une petite maisonnette pas trop loin, donc
12 là où c'est marqué le "v". Il y avait trois ou quatre soldats qui
13 fumaient, qui étaient sur une balustrade. Je ne pouvais pas passer, par
14 conséquent je suis sorti et je me suis dirigé ailleurs.
15 Mais j'ai pu constater que les maisons ont été incendiées, donc
16 j'étais obligé de retourner sous le pont et après le repos, parce qu'il me
17 fallait du repos, j'ai décidé de sortir de nouveau, j'ai remarqué
18 également trois ou quatre soldats qui se trouvaient de l'autre côté de la
19 route, vers le chiffre 6. Donc, j'ai essayé de passer par là et j'ai pu
20 regagner la maison qui est marquée par le chiffre 40. C'est là où je me
21 suis séché, mais dès que j'ai pénétré dans cette maison, j'ai pu constater
22 qu'on m'avait repéré et il y avait huit soldats qui m'ont encerclé. A
23 cette époque-là, il y avait deux personnes qui portaient les uniformes
24 blancs. C'est comme les observateurs européens, je n'étais pas tout à fait
25 au clair de qui il s'agissait.
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1 J'ai passé la nuit dans cette maison, les soldats n'ont rien
2 entrepris. Et le matin, j'ai pu remarquer que les six sont partis, alors
3 qu'il y en avait deux qui sont restés, un qui était en haut de la maison
4 et l'autre en bas.
5 Vers 8 heures, j'ai entendu la voix de la mère qui avait passé
6 la nuit, comme
7 Ivo Papic me l'avait dit, dans la cave de Pero Papic. Elle pleurait, elle
8 sanglotait, il y avait du brouillard, je ne l'ai pas aperçue, mais j'ai
9 entendu sa voix, elle disait que son père et son fils malheureusement ont
10 été abattus. Papic Ivo m'avait dit ultérieurement qu'il les avait emmenés
11 à un endroit tout à fait précis. Il les avait emmenés pour les abattre, il
12 les avait emmenés vers les lignes bosniaques, mais c'est quelque part par
13 là où il les a laissés et ce sont les soldats du HVO qui les ont fusillés.
14 M. Moskowitz (interprétation). - Vous nous avez dit avoir
15 entendu la voix de votre mère dans la maison à côté de laquelle figure la
16 lettre "h", c'est la maison de Pero Papic, n'est-ce pas ?
17 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
18 M. Moskowitz (interprétation). - Et vous étiez dans la maison
19 correspondant au numéro 40, n'est-ce pas ?
20 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
21 M. Moskowitz (interprétation). - Au départ, il y avait plusieurs
22 soldats autour de cette maison, mais le matin, il n'en restait que deux.
23 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
24 M. Moskowitz (interprétation). – Que vous est-il arrivé dans
25 cette maison plus tard dans la journée ou dans la matinée ?
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1 M. Ahmic (interprétation). - Mais jusqu'à midi, il n'y avait
2 pratiquement rien qui s'est passé. J'ai pu remarquer qu'il y avait un
3 certain nombre de tracteurs et de voitures qui ont été conduits vers
4 Busovaca, les tracteurs, les voitures également ont été transportés vers
5 Busovaca. C'est ce que j'ai remarqué.
6 Ensuite à midi, c'était vers une heure à peu près, il y avait
7 quelques véhicules qui se sont arrêtés à ce carrefour que je pointe. Il y
8 avait deux agents de police qui sont sortis, militaires, ils ont marché à
9 pied vers l'endroit que je pointe et j'ai pu, très peu après, entendre
10 une explosion qui était très forte. C'est sur le minaret et la mosquée
11 qu'ils ont probablement posé l'explosif et personnellement, je me suis
12 trouvé là, à l'endroit que je pointe, c'est le chiffre 40. J'ai donc
13 entendu qu'ils sortaient. J'ai entendu dire également, j'ai remarqué parce
14 que j'ai un petit peu regardé à travers la porte, j'ai vu que c'était un
15 policier militaire, il avait… et j'ai entendu dire : "Nous avons ici un
16 Mudjahidin, qu'est-ce qu'on va faire avec lui ?" L'autre lui a dit : "Mais
17 tu n'as qu'à jeter la grenade". Il avait jeté la grenade effectivement.
18 Elle est tombée à côté de moi. Moi, je me suis tout simplement retiré
19 quelque peu, elle a explosé et, même aujourd'hui, j'entends à peine ou
20 presque pas de l'oreille gauche et j'ai des sifflements dans l'oreille
21 également en permanence.
22 J'ai fait semblant une fois de plus que j'étais mort. Et comme
23 ils ont apporté beaucoup d'explosifs, probablement de la dynamite, ils ont
24 commencé à détruire autour de la maison, des "départements"…, il y avait
25 là-bas une installation qui a été destinée pour la fabrication des
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1 lessives, etc. Ensuite, ils ont mis de l'explosif dans une voiture qui
2 n'était pas trop loin par rapport à la maison également. Donc, ils ont
3 incendié tout cela, ils sont partis. Ils ont salué les deux soldats, celui
4 qui avait jeté la grenade ;il n'était pas trop âgé, il avait un vêtement
5 de camouflage, un béret bleu, l'autre était tout jeune, il avait 13,
6 14 ans, il portait également le vêtement de camouflage, il avait
7 l'uniforme de camouflage, il avait la tête couverte.
8 Ils m'ont observé, ils étaient à un mètre de moi. Moi, je
9 faisais semblant d'être mort. Je pense qu'ils ont remarqué que je
10 respirais encore, mais ils m'ont regardé, ils m'ont observé. Le jeune
11 avait dit : "Mais pourquoi on attend ? On va jeter les deux grenades et on
12 va le tuer". L'autre qui était adulte avait dit : "Il y a de la dynamite
13 de l'autre côté, on va jeter de la dynamite". Moi j'ai commencé par les
14 appeler, ils ont été surpris, il y avait le matériel de construction au
15 bois qui était de ce côté-là. Ils se sont abrités derrière.
16 Personnellement, je suis resté à l'endroit où j'étais et j'attendais, je
17 ne savais pas ce qui allait se passer par la suite. J'ai pu remarquer
18 Papic qui se dirigeait en provenance de sa maison, Ivo Papic. Il allait
19 vers Cime Vidovic, sa maison. Ils sont arrivés assez vite à l'endroit que
20 je marque par le pointeur, c'est l'étable Ahmici.
21 Moi j'ai fait signe de la main, ils sont arrivés jusqu'à chez
22 moi. Ils m'ont posé la question, ils m'ont demandé qui j'étais, ce que je
23 voulais, etc. Je me suis présenté, j'ai demandé l'aide, j'ai dit : "On
24 veut me tuer". Donc ils m'ont proposé de venir avec eux. Ils sont arrivés
25 jusqu'à la porte, ils m'ont soulevé, ils m'ont emmené dans la direction
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1 que je montre par le pointeur. Donc, j'ai pris cette route-là.
2 M. Moskowitz (interprétation). - Monsieur Ahmic, nous allons
3 faire une pause à ce niveau et pour que les choses soient très claires, je
4 vous pose quelques questions : vous avez décrit des membres de la police
5 militaire ou des officiers de la police militaire qui ont garé leur
6 véhicule au carrefour entre la route principale et la route conduisant à
7 Ahmici et qui ensuite se sont dirigés vers la mosquée du bas. Est-ce que
8 vous pourriez nous dire si vous avez vu ces véhicules de la police
9 militaire garés dans le cercle qui sur la photo aérienne,
10 l'agrandissement, se trouve à côté du numéro grand 7 ? Est-ce que c'est
11 bien cela ?
12 M. Ahmic (interprétation). - La voiture est restée en bas, ils
13 ne sont pas allés en voiture là-haut, à ma connaissance.
14 M. Moskowitz (interprétation). - Vous avez reconnu ces hommes
15 comme étant membres de la police militaire à cause du ceinturon blanc
16 caractéristique qu'ils portaient, n'est-ce pas ?
17 M. Ahmic (interprétation). - Oui, c'est vrai. Oui, j'ai même pu
18 apercevoir de très près au moment où j'ai regardé par la porte, quand ils
19 sont arrivés vers moi, il y avait même un commandant de police militaire
20 mais j'ai compris qu'ils étaient de Busovaca parce qu'ils conversaient
21 entre eux, celui qui m'avait gardé, il avait demandé ce qui se passait à
22 Busovaca, etc. Il avait même répondu que tout est sous le contrôle, etc.
23 Donc j'ai compris qu'ils sont arrivés de Busovaca, c'est une agglomération
24 qui est à peu près de la même grandeur que Vitez.
25 M. Moskowitz (interprétation). - Et pour que tout soit bien
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1 clair, peu de temps après que vous ayez vu ces véhicules de la police
2 militaire garés au niveau du numéro grand 7, vous avez entendu une
3 explosion très puissante provenant de la direction de la mosquée du bas où
4 ils s'étaient dirigés lorsque vous les avez perdus de vue, c'est bien
5 cela ?
6 M. Ahmic (interprétation). - Oui oui, très peu de temps après.
7 D'abord il y a eu une épaisse fumée comme celle que peuvent produire des
8 pneus qu'on incendie et ensuite une explosion très puissante, j'ai vu le
9 haut du minaret qui s'écroulait.
10 M. Moskowitz (interprétation). - Avec l'aide de l'huissier, je
11 voudrais maintenant montrer une autre pièce au témoin.
12 Mme le Greffier. - La pièce de l'accusation numéro 27.
13 M. Moskowitz (interprétation). - Monsieur Ahmic, vous avez
14 indiqué qu'on vous avait emmené hors de cette maison à laquelle vous avez
15 fait référence sur la pièce à conviction 26, je parle de la maison
16 correspondant au numéro 40, que c'est Ivo Papic qui vous a fait sortir de
17 cette maison. Pouvez-vous maintenant nous dire où on vous a emmené et par
18 quel itinéraire ?
19 M. Ahmic (interprétation). - Eh bien on m'avait donc emmené par
20 cette route que je pointe par le pointeur, j'ai pu voir que toutes ces
21 maisons bosniaques ont été incendiées, en flammes, tout ce qui est marqué
22 par les chiffres différents et que je montre avec le pointeur a été
23 incendié. Donc c'est là où il m'a emmené, c'est la troisième maison, c'est
24 quelque part par là. Voilà. C'est là où j'ai pu apercevoir beaucoup de
25 femmes, beaucoup d'enfants, beaucoup qui ont été dans les deux pièces, on
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1 les a installés dans ces deux pièces, elles étaient bien avant moi.
2 M. Moskowitz (interprétation). - Toujours pour que tout soit
3 très clair pour le compte rendu, cette pièce à conviction, la pièce à
4 conviction 26 si je ne m'abuse... Excusez-moi, la pièce à conviction 27
5 est un agrandissement de la grande carte d'Ahmici que nous avons déjà
6 utilisée et qui a été versée au dossier et on y voit la route principale
7 qui descend, on y voit
8 également la zone indiquée sous le nom de Santici et également la localité
9 dont vous avez déjà parlé dans votre déposition, qui s'appelle Zume.
10 J'aimerais vous demander où se trouve Zume sur ce document ?
11 M. Ahmic (interprétation). - A ma connaissance, mes voisins et
12 moi-même, c'est cette région qu'on appelait Zume : c'est la communauté
13 municipale de Santici alors que Santici était beaucoup plus grand. Voilà,
14 ce que je marque avec le pointeur c'est cela Zume, je ne pense pas que de
15 l'autre côté c'était Zume, c'est cette région que nous appelons Zume et
16 cela appartenait à la communauté municipale de Santici.
17 M. Moskowitz (interprétation). - C'était peut-être un quartier,
18 donc ?
19 M. Ahmic (interprétation). - C'était un hameau.
20 M. Moskowitz (interprétation). - Est-ce qu'on peut dire que Zume
21 se trouvait entre Santici et Ahmici ?
22 M. Ahmic (interprétation). - Non, on ne peut pas. Non, Zume
23 appartenait à Santici.
24 M. Moskowitz (interprétation). - C'est donc une partie de
25 Santici. Merci de cet éclaircissement.
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1 Nous voyons sur ce document plusieurs maisons autour desquelles
2 vous avez tracé un cercle. Quelle est la signification de ces cercles ?
3 M. Ahmic (interprétation). - Eh bien moi j'ai marqué par les
4 cercles les maisons des Bosniens que j'ai pu voir, donc, incendiées au
5 moment où j'ai été emmené par la route. Ce sont uniquement des maisons de
6 Bosniens, je ne peux pas vous donner tous ces noms, je pourrais bien
7 évidemment mais je vais abuser trop de votre temps, mais il y a beaucoup,
8 beaucoup de maisons qui ont été détruites.
9 M. Moskowitz (interprétation). - Et ce sont les maisons que vous
10 avez vues de vos propres yeux alors que vous avanciez sur la grand route
11 dans la direction de Santici ?
12 M. Ahmic (interprétation). - Oui, c'est exact.
13 M. Moskowitz (interprétation). - Je remarque qu'il y a d'autres
14 maisons qui, elles, ne sont pas inscrites dans un cercle ; qu'est-ce que
15 cela veut dire ?
16 M. Ahmic (interprétation). - Ce sont les maisons des Croates qui
17 n'ont pas été détruites. Elles n'ont même pas été endommagées.
18 M. Moskowitz (interprétation). - Ivo Papic, le père de
19 Dragan Papic, vous a emmené jusqu'à la troisième maison. Je vous
20 demanderai, si vous voulez bien, de placer le pointeur sur cette
21 troisième maison. Et peut-être aurez-vous besoin de l'aide de l'huissier
22 mais en tout cas il y a un marqueur à côté de vous, je vous demanderai de
23 bien vouloir inscrire un cercle autour de cette troisième maison, si vous
24 voulez bien.
25 L'image n'est pas très nette, c'est donc un peu difficile, mais
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1 faites de votre mieux, et puis pendant que vous tenez le marqueur à la
2 main, je vous demanderai d'inscrire également le sens de votre trajet à
3 vous, à Ivo Papic et au troisième homme qui était avec vous lorsque vous
4 êtes allé de la maison numéro 40 vers cette troisième maison de Santici.
5 (Signe du témoin.)
6 M. Moskowitz (interprétation). - Alors, quand vous avez pénétré
7 dans cette troisième maison à Santici, qu'est-ce que vous avez vu ?
8 M. Ahmic (interprétation). - J'ai vu un très grand nombre de
9 femmes et d'enfants, c'étaient en gros les femmes qui venaient des maisons
10 qui ont été endommagées et détruites, elles étaient seules, il n'y avait
11 pas d’hommes avec.
12 Et puis, il y avait d'autres femmes qui ont été emmenées de la
13 région de mon voisinage, là où j’habitais.
14 M. Moskowitz (interprétation). – Pourriez-vous décrire la scène,
15 nous dire quel était l'état d'esprit des personnes que vous avez vues dans
16 cette troisième maison, dans la maison de l'un de vos anciens voisins
17 musulmans ?
18 M. Ahmic (interprétation). – Oui, les femmes étaient sous le
19 choc, elles se
20 trouvaient dans un état de choc, dans un état qui était extrêmement
21 pénible ; elles ont perdu les maris, et les maris ont été abattus,
22 d'autres également. Mais je dois dire que moi aussi j'étais dans un état
23 qui était extrêmement pénible, par conséquent, je n'avais pas beaucoup non
24 plus observé ce qui se passait autour de moi, je ne les ai pas observées
25 elles-mêmes.
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1 M. Moskowitz (interprétation). – Que s'est-il passé ? Au fait,
2 tout cela se passait bien le 17 avril 1993, n'est-ce pas ?
3 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
4 M. Moskowitz (interprétation). – Que s'est-il passé alors que
5 vous vous trouviez dans cette troisième maison à Santici ?
6 M. Ahmic (interprétation). - Ils nous ont apporté quelque peu de
7 vivres de ces maisons qui étaient dans le voisinage. A 10 heures dans la
8 nuit, il y avait les trois soldats qui sont arrivés, et qui ont dit qu'ils
9 avaient besoin d'un homme qui allait se rendre avec eux à la Forpronu,
10 pour demander le camion, soi-disant, et pour nous sortir vers Zenica.
11 Donc, ils m'ont proposé de venir avec eux. J'ai refusé. J'ai dit que
12 j'avais le vertige, que je ne pouvais pas les accompagner. Et je pense
13 qu'ils avaient l'intention presque de m'abattre, mais pendant la nuit, il
14 n'y avait pratiquement rien qui s'était passé par la suite. Je me souviens
15 qu'au carrefour il y avait encore "PAZ" (inaudible) d’où venaient les
16 tirs, c'était cette activité-là que j'avais aperçue.
17 M. Moskowitz (interprétation). – Vous avez parlé de Mahala.
18 Pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit ?
19 M. Ahmic (interprétation). - Il s'agissait d'un village
20 catholique au nord-ouest par rapport à mon village, au nord de Santici sur
21 la colline.
22 M. Moskowitz (interprétation). – Avez-vous parlé à qui que ce
23 soit, ou quelqu'un vous a-t-il parlé lorsque ce soldat est arrivé dans la
24 troisième maison, qui cherchait un homme pour se rendre à la Forpronu ?
25 M. Ahmic (interprétation). – Oui. (expurgée) m'avait dit : "Surtout
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1 ne pars pas, parce
2 que c'est de cette manière-là qu'ils avaient demandé aux trois hommes de
3 sortir, et jamais ils ne sont retournés. Soi-disant, ils devaient enterrer
4 les autres et ils ne sont jamais retournés." Donc, comme elle m'avait
5 chuchoté cela à l'oreille, moi j'avais obéi. Il est un fait que moi
6 j'avais le vertige, par conséquent je ne pouvais même pas l'accompagner.
7 J'ai refusé tout simplement.
8 M. Moskowitz (interprétation). – Et (expurgée) était une de
9 vos anciennes voisines, n’est-ce pas ? Elle vivait dans le quartier de
10 Zume, c'est bien cela ?
11 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
12 M. Moskowitz (interprétation). – Comment s’est-il fait que vous
13 avez pu quitter cette troisième maison à Santici, vous et les autres
14 personnes qui l'ont quittée ?
15 M. Ahmic (interprétation). - Nous avons passé la nuit là.
16 Blaskinic est arrivé vers huit heures, il était peintre à Vitez, et il
17 nous a dit : "On va vous échanger contre les autres, vous allez donc tous
18 venir avec nous. C’est à Tolovici que l'échange se produira, c'est la
19 ligne de démarcation". Il a dit qu'il y avait des Croates qui ont été
20 emprisonnés, de l'autre côté nous également. Il nous a emmenés à Dubravica
21 à l'école, il nous a emmenés dans un camp de détention et dès que nous
22 sommes arrivés, dans la cour de l'école, les soldats nous ont encerclés.
23 Autour de l'école, il y avait des tranchées qui ont été creusées.
24 C'étaient les camps de détention, les camps de détention militaires.
25 M. Moskowitz (interprétation). – On vous a donc emmené à l'école
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1 de Dubravica. Et comment, vous-mêmes et les trois personne qui étaient
2 sorties de la troisième maison de Santici pour être capturées, pour être
3 détenues, comment est-ce que vous êtes allés de cette troisième maison de
4 Santici jusqu'à l'école de Dubravica ?
5 M. Ahmic (interprétation). - Nous sommes allés à pied, c'était
6 entre trois et quatre kilomètres. Nous avons suivi la route, la route qui
7 était asphaltée en direction de Vitez.
8 M. Moskowitz (interprétation). – Suis-je en droit de dire que
9 cette école de Dubravica se trouve près du carrefour, entre la route
10 principale Busovaca-Vitez et la route qui
11 mène à Zenica ?
12 M. Ahmic (interprétation). - C'est une route régionale, pas une
13 piste de montagne, mais c'est à côté, c'est vrai. Et c'est à côté
14 également de la route principale Zenica-Vitez, Vitez-Busovaca, c'est à
15 proximité mais c'est quelque peu plus haut.
16 M. Moskowitz (interprétation). – Donc vous-même et les autres
17 personnes déplacées, les femmes, les enfants musulmans, ont été, avaient
18 été obligés de marcher à pied jusqu'à l'école de Dubravica, n’est ce pas ?
19 M. Ahmic (interprétation). - Oui.
20 M. Moskowitz (interprétation). – Pouvez-vous décrire les
21 conditions d'existence dans l’école de Dubravica ?
22 M. Ahmic (interprétation). - Quand nous sommes arrivés à
23 l'école, nous avons pu constater qu'il y avait entre 30 et 40 hommes, en
24 général ils provenaient de Vitez, de Gacice. Ils sont arrivés deux heures
25 avant nous, c’est ce qu’ils nous ont dit. Ils ont été emprisonnés, et tout
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1 de suite à l'entrée de l'école, ils ont commencé à mettre de côté les
2 jeunes femmes et les enfants, et nous autres, nous sommes allés vers la
3 salle de gymnastique.
4 M. Moskowitz (interprétation). – Quand vous dites "nous", vous
5 faites référence aux hommes ?
6 M. Ahmic (interprétation). – Non. Les femmes âgées, les femmes
7 âgées et usées effectivement étaient avec nous, mais il y avait quelques
8 autres également jeunes, mais ils ont emmené dans des classes des jeunes
9 femmes, mais il y avait des femmes qui étaient avec nous également dans la
10 salle de gymnastique, je ne sais pas pourquoi ils les ont séparées.
11 M. Moskowitz (interprétation). – Combien de jours avez-vous
12 passés dans l’école de Dubravica avec les autres ?
13 M. Ahmic (interprétation). – J’ai passé cinq, six jours, et les
14 autres sont restés beaucoup plus longtemps.
15 Moi, j'étais blessé donc, je suis sorti un peu plus tôt. Il y
16 avait la Croix-Rouge, les médecins, et ils m'ont sorti avant. D'autres
17 sont restés jusqu'à un mois, peut-être même un peu plus, à l'école.
18 Je pense que nous étions cinq ou six qui sommes sortis, et qui
19 étions escortés par les représentants de la Croix-Rouge. Et nous avons été
20 transportés à Zenica.
21 M. Moskowitz (interprétation). – Dans quel état était votre
22 plaie, votre blessure, au moment où vous êtes sorti, où vous avez quitté
23 l’école de Dubravica ?
24 M. Ahmic (interprétation). - J'étais enflé, j'étais dans un état
25 assez grave.
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1 M. Moskowitz (interprétation). – Pendant votre séjour dans
2 l’école de Dubravica, j'aimerais que vous nous donniez une idée des
3 conditions d'existence que vous y avez vécues, et d'un incident qui s'est
4 produit pendant votre séjour, si vous vous le rappelez ?
5 M. Ahmic (interprétation). - Au début, on avait très peu à
6 manger. Par la suite, on avait permis à des femmes de Bosniens qui n'ont
7 pas été emprisonnés de nous apporter les vivres. Les conditions
8 d'existence n'étaient pas faciles ; on se couchait par terre, il n'y avait
9 pas de couvertures au début, mais par la suite il y en avait quelques-
10 unes.
11 La première nuit, ils ont pris les hommes, ils leur imposaient
12 de creuser les tranchées vers les villages, dans le voisinage. C'est les
13 lignes de front qui ont été renforcées. Il y avait des commandants qui se
14 sont rendus à l'école. Je me souviens que Safradin Ivica était venu
15 également une fois. Il est venu, il avait demandé les hommes pour l’aider.
16 Ensuite, Vlatko de Krcevine, surnommé Cicin, il a mon âge, il est venu
17 également. Il était le pire, d'après ce que j'ai entendu dire. Il a
18 maltraité les gens qu'il avait emmenés avec lui.
19 Il y avait d'autres commandants également, qui se rendaient tous
20 les jours, plusieurs fois par jour, plusieurs fois par nuit, prenaient les
21 hommes. Il y avait des hommes qui revenaient, qui étaient blessés, qui
22 était fatigués, épuisés parce qu'ils travaillaient dans des conditions
23 extrêmement dures au moment où ils creusaient les tranchées. Il y avait
24 même un accident qui est survenu, un homme qui était tué sur place, il y
25 en avait qui étaient blessés et qui revenaient, qui étaient blessés, je ne
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1 peux pas dire qui les a blessés.
2 M. Moskowitz (interprétation). – Comment les femmes étaient-
3 elles traitées ?
4 M. Ahmic (interprétation). - En ce qui concerne les femmes, je
5 me dois de vous dire qu'il y avait des viols, entre autres. Et notamment,
6 quand il s'agissait des femmes, des jeunes femmes qui étaient emprisonnées
7 dans des classes qui étaient à côté de la salle de gymnastique, il y avait
8 à côté de moi un homme qui était couché à côté de moi et dont la femme se
9 trouvait de l'autre côté, qu'il avait visité un jour et qui pleurait, qui
10 sanglotait. Et personnellement, j'ai pu conclure qu'elle a été violée. Il
11 y avait des viols dans ces classes où se trouvaient les jeunes femmes.
12 M. Le Président (interprétation). - Maître Moskowitz, excusez-
13 moi de vous interrompre mais de combien de temps avez-vous besoin parce
14 qu'il est 17 heures, nous devrions nous arrêter normalement, mais...
15 M. Moskowitz (interprétation). - J'ai en fait une seule question
16 encore au sujet de cette pièce à conviction, après quoi ce serait sans
17 doute une bonne idée d'effectuer la césure, et puis j'aurai encore
18 quelques photographies à montrer au témoin, ce qui risque de prendre
19 quelque temps avant d'arriver à la fin de l'interrogatoire principal.
20 M. Le Président (interprétation). - Vous aviez estimé une heure
21 et demie. Enfin. Posez encore une question et ensuite, nous lèverons la
22 séance.
23 M. Moskowitz (interprétation). - Oui. Monsieur Ahmic, en vous
24 fondant sur la pièce à conviction 27, si je ne m'abuse, qui se trouve sur
25 le rétroprojecteur à côté de vous, vous avez déjà dit, il y a quelques
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1 instants, avoir vu Dragan Papic en 1992/1993, qui portait un fusil de
2 tireur embusqué et un instrument destiné à étrangler les gens. Et vous
3 avez dit que c'est à Zume et à Santici que vous le voyiez à l'époque. Mais
4 nous n'avions pas le rétroprojecteur à ce moment-là, ni cette partie de la
5 carte, maintenant nous en disposons. Alors est-ce que vous pourriez nous
6 montrer où vous avez vu Dragan Papic, entre 1992 et 1993 qui portait ces
7 armes ?
8 M. Ahmic (interprétation). - Je les ai vus à ce carrefour, j’ai
9 marqué la flèche d'où je venais, c'est là, à l'endroit que je marque par
10 le pointeur que nous nous sommes rencontrés et salués. Je suis donc… j'ai
11 continué, eux, ils sont restés sur la route.
12 M. Moskowitz (interprétation). - Merci. Merci,
13 Monsieur le Président.
14 M. Le Président (interprétation). - Nous suspendons l'audience.
15 M. Krajina (interprétation). - Excusez-moi, un instant.
16 M. Le Président (interprétation). - Oui, je vous en prie.
17 M. Krajina (interprétation). - Monsieur le Président, si vous me
18 le permettez, nous avons une remarque. Le témoin a dit que Blazo Tutic
19 connaît ou connaissait Vlatko Kupreskic parce qu'ils ont travaillé
20 ensemble dans la même entreprise.
21 M. Le Président (interprétation). - Excusez-moi de vous
22 interrompre mais pourquoi maintenant ? Vous pouvez poser cette question,
23 toutes les questions au moment du contre-interrogatoire. Pourquoi
24 souhaitez-vous la poser maintenant ?
25 M. Krajina (interprétation). - C'est simplement une remarque au
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1 sujet du compte rendu.
2 M. Le Président (interprétation). - Je vous en prie.
3 M. Krajina (interprétation). - Il nous semble que dans le compte
4 rendu, cette partie de la déposition du témoin n'a pas été bien
5 interprétée, car il est possible sur la base de ce qui a été dit de
6 déduire qu'à ce moment critique le témoin a vu Vlatko Kupreskic, ce qui
7 n’est pas le cas. Nous savons bien que nous pourrons poser la question,
8 mais nous insistons pour que cette phrase soit corrigée sur le compte
9 rendu ou que la question soit reposée au témoin de manière à ce qu'il
10 éclaircisse le problème.
11 M. Le Président (interprétation). - Oui, oui, vous avez raison.
12 Merci. Nous
13 demanderons au greffier de vérifier le compte rendu et, en tout état de
14 cause, si le moindre doute demeure, la question sera reposée au témoin
15 demain de façon à lui permettre de clarifier sa position. Merci.
16 (L'audience est suspendue à 17 heures 06.).
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