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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-95-16-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Jeudi 3 Juin 1999
4 L'audience est ouverte à 9 heures.
5
6 Mme le Greffier. – Affaire IT-95-16-T : le Procureur contre
7 Zoran Kupreskic, Mirjan Kupreskic, Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic,
8 Dragan Papic et Vladimir Santic.
9 M. le Président. - Merci. Bonjour, Professeur Wagenaar. Je vais
10 vous demander de lire la déclaration solennelle.
11 M. Wagenaar (interprétation). - Je jure que je dirai la vérité,
12 toute la vérité et rien que la vérité.
13 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie, vous
14 pouvez vous asseoir. Maître Par, vous avez la parole.
15 M. Par (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,
16 Messieurs les Juges. Bonjour, Monsieur le Professeur Wagenaar. M'entendez-
17 vous, Monsieur le Professeur ?
18 (Le témoin acquiesce.)
19 Pour commencer, Monsieur Wagenaar, pourriez-vous décliner votre
20 identité, s'il vous plaît, pour le procès-verbal ?
21 M. Wagenaar (interprétation). - Je m'appelle
22 Willem Albert Wagenaar.
23 M. Par (interprétation). - Merci.
24 Pourriez-vous, s'il vous plaît, renseigner la Chambre sur votre
25 carrière professionnelle, sur les emplois que vous avez occupés et que
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1 vous occupez aujourd'hui ?
2 M. Wagenaar (interprétation). - Oui. Je suis psychologue en
3 psychologie expérimentale. La psychologie expérimentale s'intéresse aux
4 facultés dont disposent les êtres humains, à savoir la perception, la
5 perception visuelle, auditive, la question de la mémoire et des facultés
6 générales de ce type.
7 J'ai d'abord fait des études à l'université d'Utrecht, j'ai
8 défendu ma thèse à l'université de Leiden. A partir de ce moment-là, j'ai
9 travaillé vingt ans à l'Institut de perception, au TNO, un institut
10 indépendant aux Pays-Bas, qui étudie surtout les questions de la
11 perception, la perception faciale étant l'un des sujets que j'ai étudié à
12 cette occasion.
13 A partir de 1974 jusqu'en 1985, j'ai occupé le poste de chef du
14 service de psychologie dans cet institut. En 1983, j'ai été nommé au poste
15 de Professeur extraordinaire à Leiden, et en 1985 je m'y suis installé
16 complètement et j'y suis devenu professeur en psychologie expérimentale.
17 De 1987 à 1989 , j'ai été recteur ou doyen de la faculté des sciences, et
18 de 1997 à nos jours je suis vice-chancelier, ou rector magnificus comme on
19 dit ici, de l'université de Leiden.
20 M. Par (interprétation). - Merci.
21 Monsieur le Professeur, pourriez-vous nous exposer brièvement
22 votre travail scientifique ? Pourriez-vous citer des publications dont
23 vous êtes auteur, des publications qui relèvent de vos recherches
24 concernant la perception humaine ?
25 M. Wagenaar (interprétation). - Volontiers. J'ai publié plus de
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1 150 titres ; ces publications pour l'essentiel portent sur les questions
2 de la perception et de la mémoire. Là, se pose souvent la question de
3 savoir ce qu'on a comme souvenir de ce qu'on a vu. Nombre de ces
4 publications se présentent dans le contexte ou sont directement inspirées,
5 d'ailleurs, par des problèmes qui se posent au niveau de procédures
6 judiciaires : savoir, par exemple ce que des témoins peuvent voir, ce que
7 des témoins peuvent avoir comme souvenir, ce dont ils se souviennent
8 effectivement, le degré de fiabilité de témoins oculaires déposant devant
9 un Tribunal.
10 J'ai publié de nombreux ouvrages sur la question.
11 Je le répète, ces ouvrages sont en général inspirés par des cas
12 concrets de procès au cours desquels des témoins ont été interrogés. J'ai
13 fait office de témoin expert pour de telles questions dans plus de deux
14 cents procès, je pense.
15 M. Par (interprétation). – Entre autres, devant ce Tribunal
16 pénal international, n'est-ce pas ?
17 M. Wagenaar (interprétation). – C’est exact. J'ai déposé dans le
18 procès Tadic. Je crois que cela a été un des premiers procès qui se sont
19 déroulés ici, dans ce Tribunal,.
20 M. Par (interprétation). – Je vous remercie. Nous venons de nous
21 familiariser en bref avec votre activité scientifique et je propose que
22 nous passions maintenant à l'examen de votre opinion d'expert que vous
23 avez présentée dans cette affaire.
24 Afin de faciliter le suivi de votre déposition, je souhaite
25 faire distribuer aux parties, ainsi qu'à la Chambre, un exemplaire de
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1 votre opinion d'expert et je demanderai donc l'assistance de l'huissier.
2 (L'huissier s'exécute.)
3 Mme le Greffier. – Il s'agit de la pièce D58/3.
4 M. Par (interprétation). – Monsieur le Professeur, à la demande
5 de la défense de l'accusé Vlatko Kupreskic, vous avez émis votre opinion
6 d'expert concernant l'identification de l'accusé Vlatko Kupreskic, de la
7 part du témoin Q. Pourriez-vous nous dire, s'il vous plaît, quels sont les
8 informations et les renseignements fournis par la défense que vous avez
9 utilisés au moment de formuler votre opinion ?
10 M. Wagenaar (interprétation). – Oui, j'avais reçu de la part de
11 la défense une lettre d'introduction. Celle-ci présentait le problème sur
12 lequel je devais me pencher. J'ai d'ailleurs le document ici et j'ai une
13 partie du compte rendu d'audience pour ce procès. C'était très important
14 pour moi d'avoir certaines déclarations, fournies notamment par le
15 témoin Q.
16 M. Par (interprétation). – Afin d'avoir une idée plus complète
17 de cette lettre qui a servi d'information, de base de départ, je
18 demanderai à l'huissier de distribuer un exemplaire de cette lettre aux
19 parties et à la Chambre.
20 (L'huissier s'exécute.)
21 S'agissant de cette lettre, Monsieur le Professeur, vous dites
22 qu'elle contient un certain nombre d'informations dont vous vous êtes
23 servi afin d'émettre votre opinion d'expert. Si vous en êtes d'accord, je
24 donnerai lecture d'une partie de la lettre, de la partie qui contient ces
25 informations de départ, les informations que nous avons fournies afin de
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1 préciser le contexte.
2 Je pense que toutes les personnes ici présentes disposent
3 maintenant d'une copie de cette lettre. Je donnerai donc lecture de la
4 partie concernée.
5 Mme le Greffier. – Il s'agit de la D59/3.
6 M. Par (interprétation). – Dans la partie que je lirai à
7 présent, la défense présente la situation de départ dans laquelle
8 l'identification s'est faite. Je donne lecture de cette partie de la
9 lettre.
10 "L'événement et les conditions dans lesquelles l'identification
11 s'est produite, d'après les affirmations du témoin dans la déposition de
12 nos intérêts, sont les suivants.
13 Au cours des opérations de guerre dans un village bosniaque, à
14 la date du 16 avril 1993, vers 9 heures du matin, un groupe constitué de
15 plusieurs civils, femmes, enfants et personnes âgées, s'enfuit de leur
16 maison afin de sauver leur vie. Des coups de feu tirés d'armes légères et
17 d'armes lourdes se poursuivent pendant plusieurs heures. Des meurtres ont
18 lieu, ainsi que des mises à feu de maison. Le groupe décide de se sauver
19 par la fuite.
20 Au moment de la fuite, ce groupe avance sur une partie du
21 terrain qui est à l'abri pour monter par la suite sur une colline et pour
22 se retrouver sur un terrain où il est vu par des soldats ennemis. Ce
23 groupe est tourné de dos aux soldats et, à un moment, les membres de ce
24 groupe entendent des cris injurieux et très forts provenant de ces
25 soldats. Le groupe se retourne, regarde un instant en direction de ces
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1 soldats qui se trouvent à une distance d'environ 60 mètres. A ce moment-
2 là, les soldats ouvrent le feu en direction de ce groupe. A ce moment, une
3 personne est tuée et deux personnes sont blessées".
4 (Fin de lecture).
5 Il s'agissait donc d'une partie de la lettre que nous vous avons
6 adressée. La défense vous décrit ici la situation telle qu'elle suppose
7 que cette situation a été. Dans la suite de notre lettre, qui est une
8 demande qui s'adresse à vous afin de formuler votre opinion, nous vous
9 posons une série de questions. Autrement dit, nous vous demandons
10 d'émettre votre opinion d'expert sur huit conditions qui pouvaient influer
11 sur la fiabilité de l'identification.
12 Dans votre réponse écrite, vous avez répondu à chacune de nos
13 questions. Je vous demanderai par conséquent d'exposer aujourd'hui, dans
14 cette Chambre, ces réponses. Je souhaiterais que vous commenciez votre
15 exposé par la première partie de votre avis, là où vous constatez qu'il
16 existe deux formes d'identification, de reconnaissance d'une personne.
17 Pourriez-vous nous exposer brièvement, s'il vous plaît, les deux
18 modes de reconnaissance, tout en nous disant quelles sont les questions
19 que vous a posées la défense et quelle est votre opinion d'expert en
20 réponse à ces questions ?
21 M. Wagenaar (interprétation). - De façon générale, peuvent se
22 présenter deux situations concernant un problème d'identification. La
23 première de ces situations est une situation dans laquelle un témoin
24 reconnaît une personne qu'il ou elle connaît ou connaissait avant le
25 moment du crime. Là, le problème se pose de reconnaître, d'identifier une
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1 personne que l'on connaît bien. C'est un processus qui peut être très
2 rapide.
3 En un instant, en un éclair, on peut reconnaître quelqu'un qu'on
4 connaît depuis toujours, par exemple. Par la suite, la seule chose que
5 vous devrez vous remémorer, ce sera le fait que vous avez reconnu cette
6 personne. Vous n'aurez pas à vous souvenir de la totalité de l'image de
7 cet événement ; il suffira ainsi de se souvenir du nom de la personne que
8 vous avez reconnue. C'est donc la première option.
9 La deuxième situation, c'est celle où, au moment de la
10 commission d'un acte criminel, vous faites face à une personne que jamais
11 vous n'avez vue. Il vous est impossible d'essayer de vous remémorer le nom
12 de cette personne puisque vous ne la connaissez pas. A ce moment-là, en
13 règle générale, par la suite, par exemple, s'il y a un test
14 d'identification, d'identité, on vous remet en situation de confrontation
15 avec une ou plusieurs personnes sur une file de personnes. Et la question
16 est de savoir si vous allez reconnaître la personne en question.
17 Pour ce faire, il faudra que vous ayez emmagasiné, stocké au
18 moment du crime et depuis ce moment, une image, l'image de la personne que
19 vous avez vue. En effet, dans votre esprit, vous devrez établir une
20 comparaison entre l'image que vous avez vue au départ, à l'origine, avec
21 l'image de la personne que vous voyez dans ce deuxième moment.
22 Ces deux processus sont des processus tout à fait différents.
23 Les facteurs susceptibles d'influer sur l'un ne sont pas nécessairement
24 les facteurs qui vont influer sur l'autre. En l'occurrence aujourd'hui,
25 nous avons affaire à la situation numéro 1 : la tâche consistait à
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1 reconnaître une personne qui apparemment était connue depuis longtemps du
2 témoin. Les facteurs intervenant dans cette première situation sont des
3 facteurs qui vont avoir une influence sur le processus de reconnaissance
4 immédiate.
5 Le problème du souvenir est tout à fait minime puisque la seule
6 chose dont il faut se souvenir, c'est en fait le nom de la personne que
7 l'on a vue, là, sur les lieux du crime. Des facteurs jouant sur le
8 processus de mémoire ou d'oubli ne sont sans doute pas d'une grande
9 importance puisque le témoin n'avait qu'à se souvenir du nom de la
10 personne qu'il a vue. Le facteur ou les facteurs déterminants sont des
11 facteurs qui influent sur la perception, sur la reconnaissance sur le
12 moment, sur les lieux ; et ce ne sont pas des facteurs qui risquent de
13 détériorer votre mémoire puisque la tâche de mémoire, l'effort de mémoire
14 est tout à fait minime.
15 Vous avez une liste de 8 questions. Vous m'avez remis ces
16 questions et pour certaines d'entre elles, on peut dire qu'elles
17 concernent la situation de perception et sont donc revêtues d'une grande
18 importance. Alors que d'autres questions portent sur le processus du
19 rappel de la mémoire et sont donc d'une importance moindre. C'est la
20 distinction que j'ai opérée.
21 Je vous ai envoyé une lettre dans laquelle j'ai commencé à
22 expliquer ceci. A mon avis, les facteurs les plus pertinents, les plus
23 importants en l'occurrence, c'est la distance à laquelle l'observation
24 s'est faite. Vous m'aviez dit que l'observation s'était faite à une
25 distance d'un ordre de 60 mètres. Là, c'est un facteur qui prend un poids
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1 tout à fait important parce qu'à une telle distance, si la distance est
2 telle que l'on ne peut pas voir le visage, le reste s'arrête. S'il n'y a
3 rien que vous ayez emmagasiné dans votre mémoire, eh bien, vous n'avez pas
4 de problème de mémoire. La première question à poser est donc celle de
5 savoir s'il est possible de reconnaître une personne que vous connaissez,
6 que vous connaissez fort bien d'ailleurs, à une distance de 60 mètres et
7 que vous la reconnaîtriez de telle façon que l'on peut dire sans risques
8 de se tromper qu'il n'y a pas d'erreur possible.
9 A ce stade, se pose un problème que seuls les juges pourront
10 résoudre. C'est celui de déterminer le degré de fiabilité d'une telle
11 identification, d'une telle reconnaissance.
12 Les données expérimentales que je vous ai communiquées ont été
13 établies dans les meilleures conditions, dans des conditions optimales. A
14 notre connaissance, la possibilité que vous reconnaissiez une personne que
15 vous reconnaissez à une distance de 60 mètres sont de l'ordre de 50 % de
16 succès et de 50 % d'erreur et ce serait sans doute là les meilleures
17 performances.
18 Je ne dis pas par là qu'il n'est pas possible de reconnaître une
19 personne à une distance de 60 mètres ; ce que je dis toutefois, c'est que
20 50 % d'erreur ne présente pas un degré de fiabilité que l'on peut retenir
21 dans un cadre judiciaire. Il est fort possible que la personne commette
22 une erreur dans cet effort de reconnaissance. A mon avis, la probabilité
23 d'erreur est aussi grande que la possibilité de succès dans les processus
24 d'identification.
25 Ce degré de fiabilité s'il suffit pour les Juges, ce n'est pas à
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1 moi de juger. Moi, je ne peux que fournir les données de base.
2 Si vous voulez que je m'attache davantage aux détails, il faudra
3 expliquer que nous faisons face à un facteur purement biologique : nos
4 yeux sont conçus pour percevoir. A l'intérieur de l'œil, là où la lumière
5 atteint le récepteur, touche le récepteur, c'est la rétine. Celle-ci
6 contient un nombre très important de petits récepteurs que l'on appelle
7 des cônes. Ces cônes sont disposés dans une structure –disons- de
8 mosaïque. Il est manifeste qu'un détail qui serait de taille inférieure à
9 la taille d'un cône ne peut pas être résolu, comme on dit dans notre
10 jargon, ou retenu par la rétine. Un détail doit couvrir au moins la
11 surface d'un cône. Mais ce serait bien sûr préférable si ce détail
12 couvrait plusieurs cônes, ce qui voudrait dire que les détails, les
13 contours de cet objet sont bien perçus. La densité des cônes, le nombre de
14 cônes par millimètre carré, cela, c'est un fait biologique qui est
15 pratiquement invariable quel que soit l'être. Ceci s'applique à tous les
16 êtres humains. Les aigles, en revanche, on davantage de cônes, peuvent
17 voir davantage, mais les êtres humains ne sont pas des aigles. Le nombre
18 de cônes est pratiquement toujours le même quel que soit l'être humain. Il
19 y a de très faibles variations.
20 Autre fait : les détails qu'il faut voir sur un visage d'être
21 humain pour être bien sûr que c'est bien une personne et pas une autre est
22 de l'ordre d'un demi centimètre. S'il vous est impossible de reconnaître,
23 de distinguer des différences d'un demi centimètre, eh bien, à ce moment-
24 là, vous allez confondre la forme d'un œil, la forme d'un nez d'une
25 personne avec celle d'un autre. Pour reconnaître une personne, il faut
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1 pouvoir discerner des détails d'au moins un demi centimètre.
2 Et si la distance d'observation est à ce point grande qu'un demi
3 centimètre sur un visage ne couvre qu'un cône, il vous est impossible
4 d'assurer la résolution de cet état et vous ne les voyez pas. Il devient
5 assez difficile de reconnaître la personne en question.
6 Ces résultats ont été corroborés par plusieurs études. J'ai moi-
7 même effectué certaines de ces études et il est patent que les détails
8 perçus par l'œil humain à une distance de 60 mètres sont de l'ordre de
9 2 centimètres, ne sont pas inférieurs à cette dimension. Ils ne sont en
10 aucun cas d'un demi centimètre. C'est la raison pour laquelle la distance
11 de 60 mètres signifie fort probablement que vous allez commettre des
12 erreurs dans le processus de reconnaissance. Je ne dis pas pour autant,
13 bien sûr, qu'il vous est impossible de reconnaître une personne à cette
14 distance de 60 mètres, je dis que la probabilité s'élève considérablement.
15 Ce que je vous dis concerne des conditions optimales de
16 visibilité. Vous avez une bonne visibilité, il n'y a pas de brouillard, de
17 brume, de fumée, car ce sont des facteurs qui peuvent entraver le
18 processus de reconnaissance d'un individu. Si la lumière du jour n'est pas
19 bonne, s'il y a de la fumée, si vous ne voyez la personne qu'un instant,
20 tout ceci accroît le degré de difficulté. Mais même dans des conditions
21 optimales, la probabilité d'erreur est assez élevée.
22 M. Par (interprétation). - Permettez-moi de vous interrompre un
23 instant. Pourriez-vous nous dire comment augmente le pourcentage d'erreur
24 avec l'augmentation de la distance, s'il vous plaît ?
25 M. Wagenaar (interprétation). - Dans la lettre que je vous ai
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1 envoyée, je vous avais aussi fourni un petit tableau qui s'inspire de mes
2 propres recherches. Si vous prenez la dernière colonne de ce tableau, là,
3 vous avez l'intitulé "3000". Ca, c'est le niveau d'illumination : 3000. Et
4 cela représente un jour normal, peut-être un peu nuageux, mais la
5 luminosité étant normale. Et les chiffres que vous avez ici répertoriés
6 vous donnent le rapport de réponse correcte par rapport, donc, aux
7 réponses incorrectes.
8 Ainsi dans la deuxième colonne, si je vois "108", cela veut dire
9 qu'il y a eu 108 réponses correctes par opposition à une erronée. Ce sont
10 donc des rapports avec des chances ou probabilités d'identification
11 correctes.
12 Quand vous voyez à 357, 3 5 7 mètres, là, les possibilités sont
13 assez élevées.108, 55, 90, il y a toujours des variations parce que ce
14 sont des données expérimentales et non pas théoriques.
15 Et puis tout d'un coup, à une distance de 20 mètres, là cela
16 tombe à moins de 5. Cette chute brusque représente le moment où, tout d'un
17 coup, le détail d'un demi centimètre est couvert par la superficie d'un
18 cône dans la rétine. Si, par contre, ceci touche plusieurs cônes, là il
19 n'y a pas de problème. La distance n'a plus tellement grande importance.
20 Mais il y a une distance critique entre 12 et 20 mètres. Les détails sont
21 trop petits et il est tout d'un coup beaucoup plus difficile de
22 reconnaître une personne.
23 Je n'ai jamais étudié des cas à plus de 40 mètres parce que ce
24 tableau, vous le montre clairement, à une distance de 40 mètres, la
25 probabilité d'erreur est à ce point grande qu'il serait parfaitement
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1 inutile de poursuivre la recherche sur la distance plus longue.
2 M. Par (interprétation). - C'est justement la question que je
3 voulais vous poser. Pourquoi n'avez-vous pas étudié les distances qui
4 dépassent 40 mètres ?
5 La réponse est que le fait qu'il n'y ait pas d'étude à ces
6 distances-là a ses raisons scientifiques.
7 Monsieur le Professeur, je vous ai interrompu au moment où vous
8 évoquiez d'autres éléments qui influent sur la vue, hormis la distance.
9 Vous avez parlé de la luminosité à la lumière du jour de différents
10 obstacles, etc.. Pourriez-vous poursuivre, s'il vous plaît ?
11 M. Wagenaar (interprétation). - Jusqu'à présent, j'ai évoqué
12 votre question numéro 3. Je l'ai prise en premier lieu parce que je
13 pensais que la distance à laquelle l'observation se fait était le point le
14 plus important.
15 Si nous revenons à la question numéro 1, le fait que le témoin
16 se trouvait dans une situation de danger, de risques pour sa vie. Dans
17 notre recherche, c'est ce que nous appelons le facteur de présence
18 d'émotion. Ce que je vous ai expliqué dans la lettre, c'est ceci : les
19 émotions peuvent avoir, en général, c'est du moins ce qu'on pense, deux
20 effets.
21 Votre champ d'attention se rétrécit, vous vous concentrez sur
22 une chose, la chose qui revêt la plus grande importance, qui est la plus
23 cruciale pour vous. Le facteur d'émotion est tel que vous percevez cet
24 élément-là mieux que les autres, et vous allez peut-être mieux vous en
25 souvenir. A cet égard, dans ce sens-là, l'émotion, les émotions peuvent
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1 améliorer, rehausser l'observation.
2 Toutefois, si vous concentrez votre attention sur une chose en
3 particulier, parallèlement, et c'est inévitable, vous n'allez pas faire
4 attention à d'autres choses. La probabilité de perception de ces autres
5 choses diminue du coup. Le facteur des émotions signifie que vous allez
6 sans doute vous souvenir mieux de certaines choses et plus mal d'autres.
7 La seule question à poser est de savoir quel avait été votre
8 point de fixation, qu'est-ce qui a été le plus important au moment de la
9 perception pour vous ?
10 Difficile de le dire, d'ailleurs, parce qu'une personne dans un
11 état de grande émotion perd de sa rationalité. Ce qui va être sélectionné
12 comme étant l'objet méritant l'attention ne sera pas peut-être toujours
13 l'élément qui est le plus important au moment d'un procès. Difficile, dès
14 lors, de dire ce qu'aurait eu comme effet l'émotion, et mes connaissances
15 scientifiques ne peuvent pas me dire si l'émotion aurait peut-être aidé à
16 mieux reconnaître ou elle aurait eu l'effet inverse.
17 La question numéro 2 a trait au fait que le témoin n'a regardé
18 qu'un seul instant. En principe, il est possible de reconnaître une
19 personne par une seule fixation oculaire. Celle-ci peut se faire en une
20 demi-seconde. Donc quand on dit "un moment, un instant", c'est sans doute
21 au moins une demi-seconde et ceci devrait suffire à assurer la
22 reconnaissance d'une personne qu'on connaît parfaitement bien. Donc, là,
23 ça ne devrait pas poser d'obstacle, en principe.
24 Question numéro 3, j'y ai déjà répondu.
25 Question numéro 4 : elle évoque le problème suivant : La
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1 personne qui était reconnue, quelle qu'elle soit, se trouvait dans un
2 groupe ; donc il n'y avait pas qu'une personne à voir. Ce que j'ai posé
3 comme hypothèse dans ma lettre, c'est que c'était un groupe assez serré de
4 personnes qui étaient proches l'une de l'autre et qui se trouvaient
5 ensemble.
6 Si on est à une distance de 60 mètres, il ne faut pas plus d'une
7 fixation pour voir la totalité du groupe. Si on regarde un point précis,
8 il y a autour de ce point tout un champ qu'on peut voir sans déplacer les
9 yeux. C'est ce qu'on appelle le champ stationnaire. N'importe quelle autre
10 chose, à l'extérieur de ce champ stationnaire, peut être vue si l'on
11 déplace les yeux ; et la fixation oculaire prend un certain temps. Donc
12 plus le groupe est grand, plus il vous faudra de fixations oculaires, plus
13 il vous faudra alors de temps. Toutefois, si quatre personnes sont proches
14 l'une de l'autre, on peut les voir en l'espace d'une fixation oculaire. Le
15 fait que ce soit tout un groupe importe peu puisqu'on peut voir toutes les
16 personnes de ce groupe en un seul regard.
17 En principe, ceci ne devrait pas constituer de problème.
18 Question n° 5 : elle portait sur l'âge du témoin Q.
19 Les problèmes de vue, à cause de l'âge, sont souvent des
20 problèmes de lecture, de vision à très faible distance. En règle générale,
21 la vue à distance reste la même, ou la capacité de vision. Bien sûr, il y
22 a toujours des différences selon les individus. Mais, sans disposer de
23 davantage d'informations à propos du témoin Q, tout ce que je peux dire,
24 c'est que, si c'est un individu normal, puisqu'il a 55 ans, il aura sans
25 doute des problèmes de lecture déjà ; il aura besoin de lunettes pour lire
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1 mais pas pour voir à distance. Alors que, si c'est l'inverse,
2 effectivement, la seule solution pour répondre à cette question, c'est de
3 l'envoyer chez l'opticien ou chez le médecin qui va vous dire quelle est
4 la faculté oculaire de ce monsieur.
5 Moi, je peux vous parler de cas ordinaires. Donc l'âge et la vue
6 du témoin Q ne posent pas de problème.
7 Question n° 6. Le fait que les autres personnes qui étaient là
8 aussi n'avaient pas pu reconnaître l'accusé -je l'ai dit dans ma lettre-,
9 cela ne me surprend pas. Parce que je ne m'attendais pas que d'autres
10 personnes reconnaissent exactement une personne à une distance de
11 60 mètres.
12 Le fait que les autres personnes n'aient reconnu aucune autre
13 personne n'a pas besoin de davantage d'explication. Ce qu'il faut
14 expliquer, c'est pourquoi un individu à pourtant, lui, reconnu quelqu'un à
15 une distance de 60 mètres. Donc il n'y a pas là de véritable conflit. Je
16 dirais que c'est tout à fait normal que les autres personnes n'aient
17 reconnu personne.
18 Question n° 7 : là, nous nous aventurons dans le problème de la
19 mémoire. Le fait que le témoin Q n'a pas pu expliquer quels étaient les
20 vêtements portés par les personnes qu'il a dit reconnaître.
21 Eh bien, si il voulait... Enfin, pour reconnaître cette personne
22 à l'époque, sur les lieux, il ne devait pas s'intéresser aux vêtements ;
23 ce qui comptait, ce qui comptait le plus, c'était le visage si l'on veut
24 reconnaître une personne.
25 Et s'il voulait se souvenir de la personne qu'il avait vue, il
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1 suffisait qu'il se souvienne du nom de la personne. Il n'était pas
2 nécessaire qu'il se souvienne également de l'image qu'il a vue de cette
3 personne. Par la suite, il aurait pu vous dire : "Oui, j'ai vu cet homme,
4 mais je me souviens aussi de ses vêtements".
5 Le fait qu'il porte tel ou tel vêtement était sans doute sans
6 importance. L'arme est sans doute l'élément le plus important, puis le
7 visage, mais les vêtements, certainement pas. Et de fait, pour pouvoir
8 déposer dans ce sens, il suffisait qu'il se souvienne du nom de la
9 personne. Il n'est pas surprenant de voir qu'après un certain temps, au
10 moment où il a fini par déposer, il ne se souvenait pas des vêtements. Là,
11 aucun problème.
12 Question n° 8. Celle-là est assez difficile, compliquée. Et il
13 me faudra peut-être un certain temps, si vous me le permettez, pour
14 expliquer la nature complexe de cette question.
15 La question n° 8 est en relation avec ce qui est appelé
16 généralement "suggestion". Si nous voyons quelque chose qui n'est pas tout
17 à fait clair, net, et si nous mémorisons des informations peu claires, peu
18 précises, il est tout à fait probable que les informations que nous allons
19 enregistrer après l'événement, après coup, rendront cette image nette.
20 Mais cela peut également entraîner un changement de cette image parce que
21 l'image de ce que nous avons vu, qui figure dans notre tête, n'est pas du
22 tout stable, figée ; elle est constamment renouvelée par rapport aux
23 informations que nous recevons.
24 Notre mémoire ne correspond pas du tout à un enregistrement
25 vidéo où l'enregistrement ne se modifie pas. Il faut savoir que la mémoire
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1 humaine est très vivante, qu'elle bouge et que les informations ne sont
2 pas simplement enregistrées, figées, mais qu'elles sont constamment
3 renouvelées au contact des informations que nous recevons, au contact de
4 connaissances qui entrent. Donc nous aimerions ici que nos témoins soient
5 plutôt comme des enregistrements vidéo, mais ils ne le sont pas,
6 malheureusement.
7 Alors, la question que vous m'avez posée est la suivante : "Par
8 la suite, le témoin a reçu des informations concernant la personne qu'il a
9 reconnue comme vivant dans sa maison, occupant sa maison. Est-ce que cela
10 a pu influer sur l'image dont il se rappelait ?"
11 Bien entendu, je ne peux pas décrire ce qui s'est produit. Ce
12 que je peux décrire est ce qui aurait pu se produire dans la tête de la
13 personne. Ce que je vais dire, c'est que la condition la plus importante
14 pour que les événements après coup modifient l'image est que la première
15 information ne soit pas tout à fait nette. Si la première observation
16 n'est pas tout à fait précise, elle peut être modifiée. Le contraire n'est
17 pas vrai. Donc, si la première image est floue, si la première observation
18 n'est pas tout à fait précise, il y a une probabilité que cette image
19 devienne plus claire par la suite en fonction des informations que l'on
20 reçoit après coup.
21 Donc à une distance de 60 mètres, une observation peut donner
22 une image peu précise d'un visage. Cette image est donc floue. Il se peut
23 que la reconnaissance soit précise, mais il se peut aussi qu'il y ait
24 confusion sur la personne. Donc, cette observation fournit une base
25 parfaite pour le remplissage par des informations après coup. Alors, toute
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1 une série d'informations peuvent avoir cet effet. Par exemple, le fait que
2 cette personne se tienne devant une maison ou d'autres faits qui sont
3 connus au sujet de l'accusé. Par exemple, le fait qu'il appartienne à un
4 certain groupe ou qu'il aurait pu porter une arme, toutes sortes
5 d'informations qui auraient pu être reçues par la suite.
6 Donc, il est très difficile de limiter la série de ce genre
7 d'informations et je ne sais pas quelles sont les informations, toutes les
8 informations, qu'il possédait au sujet de l'accusé. Donc, il est
9 extrêmement difficile d'essayer de deviner ce qui s'est produit.
10 Ce que je peux dire, c'est que le point de départ qui est une
11 image floue à cause de la vision à 60 mètres, se prête à ce que les
12 informations reçues après coup aient cet effet. Un aspect important ici
13 est également que si vous avez une image très nette, vous pouvez dire sur-
14 le-champ qui vous avez reconnu. La reconnaissance, habituellement, est un
15 processus qui se produit très rapidement. On se dit "je sais qui sait ; je
16 sais qui j'ai vu". Ce n'est pas un processus qui s'étend sur des mois.
17 Vous savez simplement plusieurs mois après coup que vous avez reconnu une
18 personne, mais sur-le-champ.
19 Si vous commencez à vous apercevoir qui vous avez vu, alors
20 cela, c'est totalement différent de l'identification immédiate. C'est un
21 processus de reconstruction, de reconstitution où vous vous servez de
22 toute sorte d'informations afin de rendre plus nette une image floue que
23 vous aviez au départ. Et vous, au bout du compte, vous dites "oui, je
24 m'aperçois qui j'ai reconnu", mais ce n'est pas la reconnaissance : c'est
25 la reconstitution. C'est un processus qui est très influencé par les
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1 informations que vous recevez pendant la période préalable.
2 Donc, je ne peux pas répondre à votre question qui est de savoir
3 s'il y a eu des éléments de suggestion, mais je peux dire que le point de
4 départ se prête à cela, à savoir l'image floue. Donc, la reconnaissance
5 n'est pas immédiate. C'est un processus qui prend un certain temps et ce
6 n'est qu'au bout d'un certain temps que le témoin Q dépose en disant qu'il
7 savait de qui il s'agissait.
8 M. Par (interprétation). - Excusez-moi. Une question qui est
9 liée à cela. A supposer que, influencé par ces éléments de suggestion, le
10 témoin procède à l'identification. Ce qui m'intéresse est la chose
11 suivante : est-ce que ce témoin est convaincu d'avoir identifié
12 correctement la personne ? Est-ce que l'impression subjective de ce témoin
13 est d'avoir identifié correctement ?
14 M. Wagenaar (interprétation). – Oui. Je vois. C'est un aspect
15 important de toutes les dépositions des témoins oculaires : la certitude
16 ou la conviction que possède le témoin oculaire, une conviction sincère et
17 forte qu'il dit la vérité. Il y a beaucoup de recherches qui sont menées
18 sur la relation entre la certitude du témoin et la fréquence de réponses
19 correctes.
20 Je ne parle pas ici d'une ou deux études, mais d'une centaine
21 d'études vraisemblablement. La réponse dans ces études est la suivante :
22 la relation entre la certitude et l'exactitude est très, très faible. Il y
23 a beaucoup de témoins qui sont parfaitement convaincus qu'ils disent la
24 vérité ; or, ils sont dans l'erreur. Et l'inverse ! En fait, la certitude
25 exprime davantage la personnalité de la personne parce que vous avez des
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1 personnes qui se disent convaincues ou certaines alors qu'elle ne le sont
2 pas. Cela exprime moins la qualité de ce qu'ils ont vu ou de ce qu'ils
3 croient.
4 Un témoin oculaire est totalement honnête, totalement sincère,
5 très convaincu par exemple, mais cela n'est pas une preuve qu'il n'y a pas
6 d'erreur.
7 M. Par (interprétation). - Monsieur le Professeur, je pense que
8 nous avons couvert tous les points que vous avez abordés dans votre
9 opinion d'expert. A la fin, je vous demanderai de nous exposer votre
10 conclusion finale : quelle est votre opinion définitive sur
11 l'identification de Vlatko Kupreskic, effectuée par le témoin Q, sur la
12 base des données dont vous disposiez ?
13 M. Wagenaar (interprétation). – Ma conclusion est la suivante :
14 le facteur le plus important est la distance de vision et la distance est
15 telle qu'elle empêche une reconnaissance fiable. Les données montrent que
16 certains sujets dans des expériences qui ont été menées, peuvent le faire,
17 mais plus de 50 % des personnes font des erreurs dans ces conditions. Et
18 ce type de risques dans l'identification, est-ce qu'il est acceptable ?
19 Cela, c'est à la Chambre de le décider.
20 M. Par (interprétation). - Le degré de fiabilité de ce genre de
21 reconnaissance, vous le qualifiez de fiable ? Peu fiable ? Pas fiable ?
22 M. Wagenaar (interprétation). – Oui, c’est difficile. Il est
23 difficile de traduire ces faits dans les mots. Les chiffres les expriment
24 bien mieux.
25 La probabilité qui dépasse 50 % de commettre une erreur peut
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1 être appelée faiblement fiable ou peu fiable, je ne sais pas. C'est une
2 question de terme. Mais ici, vous devez supposer que la "vraisemblabilité"
3 de commettre une erreur, à 60 mètres, dans les conditions données, est
4 plus élevée que 50 %. Et cela, je ne l'appellerai pas fiable. Mais c'est
5 une question de choix de terme. Je préfère interpréter les données que de
6 choisir ces termes.
7 M. Par (interprétation). - Je pense que nous vous avons compris.
8 Monsieur le Professeur, je vous remercie. Monsieur le Président,
9 Messieurs les Juges, je n'ai pas d'autres questions. Peut-on verser au
10 dossier, s'il vous plaît, les pièces de la défense, les deux documents que
11 nous avons présentés : D58/3 et D59/3 ?
12 M. le Président (interprétation). - Oui. Il n'y a pas
13 d'objection de la part de la défense. Ces pièces sont versées au dossier.
14 Maître Pavkovic ?
15 M. Pavkovic (interprétation). – Bonjour, Monsieur le Président,
16 Messieurs les Juges. Je pensais que vous vouliez savoir qui sont les
17 conseils de la défense qui souhaitaient poser des questions. Or,
18 Professeur, j'ai une question moi-même à poser.
19 Bonjour, Monsieur le Professeur. Je suis Petar Pavkovic, un des
20 conseils de la défense. Il me semble qu'une réponse plus générale, plus
21 complexe, s'imposerait à cette question. Toutefois, je souhaiterais qu'on
22 reste sur le plan d'une position de principe.
23 Pourriez-vous donc, en bref et en termes généraux, nous exposer
24 la relation du temps et de l'écoulement du temps sur la mémoire ainsi que
25 sur la capacité à reproduire ce qui a été enregistré dans la mémoire à un
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1 moment préalable ?
2 M. Wagenaar (interprétation). - Vous avez tout à fait raison de
3 dire que vous posez une question difficile ! En effet, à l'évidence, la
4 réponse sera fonction de savoir ce qu'on veut se remémorer.
5 Je prends un exemple : un numéro de téléphone, on peut l'oublier
6 en l'espace de quelques secondes. Toutefois, le fait que vous avez gagné
7 votre cause dans un procès qu'on pourrait vous annoncer en l'espace du
8 temps d'un coup de téléphone, vous allez peut-être vous en souvenir toute
9 votre vie !
10 Difficile de dire l'effet qu'a le temps sur la mémoire.
11 Certaines choses ne s'oublieront jamais. Là, le temps n'intervient pas
12 alors que d'autres choses, on les oublie très vite. Et ce qu'il y a entre
13 ces deux pôles relève effectivement du possible également.
14 Nous savons que le fait de se souvenir d'un visage qu'on n'aura
15 jamais vu auparavant est un élément qui est influencé effectivement par le
16 facteur temps. Nous avons mené des études qui portaient sur des vols de
17 banques. Dans des banques, on montre que le fait de se souvenir de celui
18 qui a commis l'effraction dans la banque, après six semaines, devient
19 difficile. Donc il suffit là d'un intervalle de six semaines pour que le
20 problème se pose.
21 Mais le fait de se souvenir qu'on a vu quelqu'un qu'on a connu
22 de toute sa vie, ce n'est pas le fait de se souvenir du visage d'un
23 voleur, mais du nom d'une personne. Par exemple, si vous étiez dans une
24 banque et que, tout d'un coup, un de vos collègues entre dans cette banque
25 et semble être la personne qui veut dévaliser cette banque, ça va peut-
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1 être vous surprendre, mais vous n'allez pas oublier ce fait, que ce soit
2 après six semaines, six mois ou six ans.
3 Se pose un autre problème : celui de la répétition. On nous
4 rappelle certaines choses dans notre vie, à tout moment. Cela veut dire
5 que notre mémoire, notre souvenir, est ravivé. Si notre mémoire est
6 ravivée chaque jour, on n'oubliera pas ces choses-là alors que, s'agissant
7 d'autre chose, on ne nous les rappelle jamais. Ce qui veut dire qu'elles
8 vont peut-être s'estomper, disparaître peu à peu. Le problème qu'on a face
9 à un visage, c'est qu'il est difficile de raviver, de renouveler l'image
10 que vous avez de ce visage dans votre mémoire, si on ne vous montre pas
11 une photo, une image.
12 Si vous devez vous souvenir du visage d'un bandit qu'on n'a pas
13 encore capturé, ce qui veut dire que vous ne pouvez pas revoir ce visage,
14 eh bien, dans l'intervalle, il se peut que le témoin oublie ce visage
15 parce que le souvenir de ce visage n'est pas ravivé. Toutefois, si le
16 témoin doit se souvenir d'un nom, à ce moment-là, vous pouvez vous
17 rafraîchir votre mémoire. Chaque fois que vous me racontez ce récit, vous
18 me rafraîchissez la mémoire ; et ceci peut se faire plusieurs fois sur une
19 journée. Il n'y a aucune raison qui voudrait que la mémoire s'estompe en
20 aucune façon.
21 Il y a donc deux facteurs qui jouent et qui signifient que si
22 vous avez une question, il faut la poser très précisément parce que si
23 elle reste générale, on ne pourra pas y répondre.
24 M. Pavkovic (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le
25 Professeur. Votre réponse me satisfait. Si nous rentrions dans les
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1 détails, cela demanderait beaucoup plus de temps et de données. Je vous
2 remercie, Monsieur le Président, Messieurs les Juges. Je n'ai pas d'autre
3 question.
4 M. le Président (interprétation). – Effectivement.
5 Maître Susak ?
6 M. Susak (interprétation). - Monsieur le Président, ce sera
7 plutôt par curiosité intellectuelle que je poserai une question à notre
8 témoin expert. Monsieur le Témoin, je défends M. Drago Josipovic. Je suis
9 l'un des conseils de la défense et je m'appelle Susak.
10 Vous avez parlé de la distance de la reconnaissance et de la
11 distance d'observation. Ce qui m'intéresse est la chose suivante : quelle
12 est la distance maximale à laquelle on peut reconnaître un individu ? Bien
13 entendu, je tiens compte du fait que vous avez dit que la fiabilité peut
14 être, soit absolue, soit moins sûre ; mais ce qui m'intéresse, en
15 l'occurrence, est de savoir à quelle distance on peut reconnaître un
16 individu.
17 M. Wagenaar (interprétation). – Bonne question, car elle me
18 permet de renvoyer, une fois de plus, à ce tableau, qui répercute le
19 résultat d'une seule étude, mais qui nous explique bien le principe.
20 Si vous pensez au rapport, au degré de reconnaissance, au
21 pourcentage de reconnaissance pour une distance de 3 mètres -c'est la
22 distance qui nous sépare, vous et moi, en ce moment même-, ce que vous
23 constatez, c'est qu'avec une luminosité parfaite, la reconnaissance n'est
24 pas parfaite : il y a des risques de se tromper. Effectivement, plus une
25 personne ressemble à une autre, plus grand est le risque.
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1 Mais il n'y a aucune situation dans laquelle moi, en tant que
2 psychologue, je pourrais dire qu'aucune erreur n'est commise, que c'est
3 uniquement dans de telles conditions que la probabilité d'erreur devient
4 infinitésimale. A ce moment-là, on pourrait dire, à des fins
5 scientifiques, que le résultat serait parfait, mais ceci ne se présente
6 pas.
7 Pour ce qui est de très longues distances, on ne baisse pas non
8 plus à zéro. Difficile de dire qu'il est impossible de bien reconnaître
9 quelqu'un, de reconnaître quelqu'un correctement, car même par une
10 devinette, on va peut-être avoir raison, on va peut-être bien reconnaître
11 en devinant.
12 La question n'est pas de savoir à quelle distance il devient
13 impossible de reconnaître une personne ; la question est plutôt,
14 effectivement, à mon avis, de savoir à quelle distance la reconnaissance
15 n'est plus suffisamment fiable pour être utilisée comme élément de preuve.
16 Si je formule la chose de la façon dont je l'ai fait, c'est que
17 le problème, c'est que je peux vous parler des degrés ou pourcentages
18 d'erreur ou de succès, mais que le problème se pose surtout pour vous,
19 hommes de loi, car c'est à vous de déterminer quel est le degré de
20 fiabilité. Mais ce n'est pas une question de reconnaissance parfaite, ou
21 d'absence totale de reconnaissance qui se pose ici. Il y a toujours une
22 zone grise entre les deux, et la question est de savoir ce qui est
23 suffisamment fiable pour une Chambre. C'est là la question qu'il faut
24 résoudre.
25 Mais, à toutes fins pratiques -j'ai fait des publications en la
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1 matière-, je dirai que la reconnaissance à des distances inférieures à
2 15 mètres, c'est ce que les Juges peuvent espérer obtenir de mieux. Il est
3 difficile d'améliorer les degrés de reconnaissance à des distances… Il est
4 peu probable qu'on puisse améliorer la reconnaissance à des distances
5 inférieures à 15 mètres ; au-delà de 15 mètres, ce n'est plus parfait,
6 mais on ne pourra jamais dire que toute reconnaissance au-delà de
7 15 mètres est erronée. Car, au-delà de 15 mètres, la question se pose de
8 savoir ce qu'on veut atteindre comme pourcentage de fiabilité ; là, c'est
9 votre problème, ce n'est plus le mien.
10 M. Susak (interprétation). – Très bien. Une question très brève,
11 s'il vous plaît. A 200 mètres, peut-on reconnaître une personne si elle
12 est assise ?
13 M. Wagenaar (interprétation). – Qu'est-ce que vous entendez par
14 "si la personne est assise" ? Vous voulez dire qu'on voit le visage de
15 cette personne ?
16 M. Susak (interprétation). – Oui. Le visage est visible, mais
17 les gestes ne sont pas visibles.
18 M. Wagenaar (interprétation). – En règle générale, le mouvement,
19 l'attitude, la posture sont des facteurs intervenant peu dans le processus
20 de reconnaissance d'une personne, à moins qu'une personne se déplace d'une
21 façon particulière. Par exemple, si une personne est handicapée
22 physiquement.
23 Mais il est difficile et très complexe de reconnaître une
24 personne uniquement à partir de l'attitude qu'elle prend physiquement, ou
25 d'un mouvement. Le facteur le plus important reste le visage. Il suffit
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1 pour cela d'examiner des études comparatives entre des personnes qui se
2 déplacent, qu'il s'agit de reconnaître, ou le fait de reconnaître une
3 personne uniquement à partir de la photo d'un visage. Je ne ferai pas de
4 différence parce que c'est le visage qui est l'élément déterminant. Pour
5 ce qui est de la posture, du mouvement, il y a tellement de personnes qui
6 se déplacent de la même façon qu'il devient très difficile d'accepter les
7 résultats de l'identification à partir de ces seuls facteurs. La question
8 est vraiment de savoir si l'on peut voir le visage.
9 Et comme je l'ai déjà dit, pour 60 mètres, la probabilité
10 d'erreur à une distance de 60 mètres est à ce point élevée que, pour moi,
11 ce ne serait jamais un niveau fiable et, manifestement, à une distance de
12 200 mètres, c'est encore pire.
13 M. Susak (interprétation). – Je voulais simplement obtenir votre
14 réponse, que je n'ai pas eue : peut-on reconnaître une personne à une
15 distance de 200 mètres ? Oui ou non ? Une personne qui est assise et dont
16 on voit le visage ?
17 M. Wagenaar (interprétation). – Eh bien, vous me mettez à mal,
18 un peu, en me demandant de répondre par oui ou par non : je viens de vous
19 expliquer précisément que, malheureusement, on ne peut pas répondre de
20 façon aussi simple par un oui ou par un non. Jamais je ne dirai que, si
21 vous voyez une personne à une distance de 200 mètres et que vous dites que
22 c'est telle ou telle personne, vous serez toujours dans l'erreur. Je dis
23 seulement que la probabilité de faire une erreur à une distance de
24 200 mètres est très élevée.
25 M. Susak (interprétation). – Autrement dit, si j'ai bien
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1 compris, un individu moyen peut reconnaître un autre individu à une
2 distance de 200 mètres ? Je l'affirme, c'étaient des questions posées par
3 ma propre curiosité. Je n'ai pas d'autres questions, Monsieur le
4 Président.
5 M. le Président (interprétation). – Maître Terrier ?
6 M. Terrier. – Merci, Monsieur le Président. Bonjour,
7 Monsieur l'expert. Mon nom est Franck Terrier ; je suis l'un des avocats
8 de l'accusation.
9 Compte tenu de votre longue expérience des procès, vous
10 n'ignorez pas que je vais procéder au contre-interrogatoire.
11 Tout d'abord, Monsieur l'expert, je souhaiterais que vous nous
12 disiez si vous avez pris connaissance des transcripts qui vous ont été -je
13 crois- communiqués par Maître Krajina, votre correspondant.
14 M. Wagenaar (interprétation). – Effectivement, dans la lettre
15 que j'ai envoyée à Maître Krajina, j'ai d'ailleurs cité les pages
16 pertinentes du compte rendu d'audience que j'ai utilisées pour me
17 familiariser avec la situation que j'étais censé étudier.
18 M. Terrier. - Monsieur l'expert, vous avez pu, dans ces
19 conditions, corriger deux erreurs certainement involontaires, incluses
20 dans la lettre d'introduction de Maître Krajina. La première erreur
21 consistant à dire qu'un groupe s'est retourné au moment où on lui a tiré
22 dessus et a regardé pendant un moment les soldats. La deuxième erreur
23 étant de dire que ces soldats se trouvaient à 60 mètres.
24 Je voudrais souligner qu'il résulte des transcripts que le
25 groupe ne s'est pas tourné, mais certains éléments du groupe. Et ceci peut
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1 avoir une incidence sur votre réponse à la question n°6 -je crois- ou 8.
2 La deuxième observation que je souhaite faire,
3 Monsieur l'expert, au début de ce contre-interrogatoire, c'est que le
4 témoin a parlé d'une distance de 50 à 60 mètres et non pas d'une distance
5 de 60 mètres.
6 Je voudrais aussi vous prier de considérer l'hypothèse que la
7 distance aurait été inférieure à 50 ou 60 mètres, qu'elle peut avoir été
8 de l'ordre de 40 mètres. J'indique au Tribunal qu'ultérieurement, nous
9 apporterons de nouveaux éléments sur ce point. Ces preuves ne sont pas
10 rapportées aujourd'hui. C'est simplement à titre d'hypothèse que je les
11 soulève pour avoir le bénéfice de votre expérience et de vos
12 connaissances.
13 Donc, dans la suite de mes questions, je vous demande de
14 considérer aussi cette hypothèse d'une quarantaine de mètres.
15 Monsieur l'expert, je voudrais vérifier avoir parfaitement
16 compris ce que sont vos conclusions. Vous dites que, s'agissant de la
17 reconnaissance d'une personne antérieurement connue, le risque d'erreur
18 d'identification augmente avec la distance et singulièrement au-delà de
19 12 mètres. Vous dites qu'à une distance de 40 mètres, le ratio
20 fausse/correcte identification est de un à un, c'est-à-dire que le risque
21 d'erreur est de 50 %.
22 Je vous ai bien compris, Monsieur l'expert ?
23 M. Wagenaar (interprétation). – Oui. Si je reprends vos deux
24 derniers points, c'est bien ce que j'ai dit.
25 M. Terrier. - Et vous dites -je crois que c'est à la fin de la
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1 lettre que vous adressez à Me Krajina- que 60 mètres, c'est quatre fois la
2 distance requise pour qu'une reconnaissance soit faite dans des conditions
3 acceptables. C'est donc que, de votre point de vue, la distance requise
4 est de 15 mètres ?
5 Et vous dites aussi qu'à 60 mètres, une identification demeure
6 possible. Pour reprendre une question que vient de poser Maître Susak,
7 d'une manière un peu différente, je voudrais vous demander si vous pouvez
8 nous dire, compte tenu des performances physiologiques de l'œil humain,
9 quelle est la distance maximale à laquelle on peut reconnaître un visage,
10 sans faire intervenir les circonstances, les problèmes de suggestion, de
11 mémoire etc. Simplement, compte tenu des performances physiologiques d'un
12 œil humain, quelle est la distance maximale ?
13 M. Wagenaar (interprétation). – Est-ce que je vais reprendre
14 chacun des points que vous avez évoqués dans l'ordre ? Ce qui me ferait
15 commencer par le fait qu'ils se sont tous retournés dans le groupe ou bien
16 est-ce que je réponds à la dernière question ?
17 M. Terrier. - D'abord à la dernière question, s'il vous plaît.
18 M. Wagenaar (interprétation). – J'avoue que les sciences du
19 droit sont tout à fait différentes de celles que je connais. Il serait du
20 plus haut intérêt d'étudier les performances physiologiques de l'œil
21 humain, hors mémoire, hors tout. Malheureusement, chez les êtres humains,
22 l'œil est lié à la mémoire. Il est impossible de déconnecter l'œil de la
23 mémoire ; il n'est pas possible de répondre à la question de savoir ce que
24 l'œil peut faire s'il n'est pas rattaché au cerveau. Il est rattaché, il
25 est relié au cerveau et il doit l'être parce que la reconnaissance se fait
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1 au niveau du cerveau et pas de l'œil.
2 Pourtant, parallèlement, tous les autres apports que peut faire
3 le cerveau sont faits au moment de la reconnaissance. On n'y peut rien. Un
4 exemple : votre problème qui est de savoir à quelle distance il est
5 possible de reconnaître une personne. Je prends un autre exemple. Nous
6 savons qu'à travers une porte, à 200 mètres de distance, deux personnes
7 peuvent entrer. C'est vous ou le Président de la Chambre de première
8 instance. Je connais ces possibilités. Si je le sais, cela veut dire qu'à
9 200 mètres, je n'aurais aucune difficulté à savoir si c'est le Président
10 ou vous-mêmes qui êtes passé par cette porte. Parce qu'il n'est pas
11 nécessaire d'identifier des détails minimes du visage, tout ce qu'il me
12 faut faire, c'est simplement reconnaître le gros du détail et ceci me
13 suffit. Vous êtes suffisamment différents l'un de l'autre pour que je
14 puisse vous reconnaître à 200 mètres.
15 Par ailleurs, si vous avez deux personnes qui se ressemblent
16 assez, s'il faut que j'opère une distinction, à ce moment-là, je dois voir
17 le détail du visage de chacune d'entre elles. C'est à ce moment-là qu'il
18 devient très vite nécessaire de se trouver à une distance de 15 mètres. La
19 question n'est donc pas de savoir ce que peut faire l'œil, mais plutôt de
20 quelle information, l'oeil a besoin en sus d'autres informations dont
21 dispose déjà le cerveau afin de procéder à une identification correcte, on
22 n'y peut rien. Le problème est toujours à ce point compliqué parce qu'on
23 ne parle pas simplement de l'oeil en tant que tel. L'oeil n'est que le
24 départ, le début du procès, la partie caméra, si vous voulez. La
25 reconnaissance, elle, s'opère dans le cerveau à partir des informations
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1 envoyées par l'oeil et il y a beaucoup plus d'informations dans le
2 cerveau, ce qui veut dire qu'on ne peut pas donner une réponse générale à
3 la question.
4 Toutefois, si nous sommes précis quant à la situation à laquelle
5 nous faisons face, par exemple des gens sont en fuite, ils se retournent,
6 le témoin Q se retourne, il voit quatre personnes, quatre individus. La
7 question qui se pose est de savoir qui sont ces individus. Il semble
8 reconnaître l'un d'entre eux. En principe, il pourrait y avoir un grand
9 nombre de personnes, des gens qu'il n'a jamais vus, c'est fort possible,
10 mais il semble reconnaître une personne qu'il connaît fort bien, et il est
11 à ce point certain qu'il dépose ici devant cette Chambre et dit qu'il
12 était impossible que ce soit quelqu'un d'autre.
13 Pour avoir suffisamment de fiabilité, il faut s'assurer que ce
14 n'était pas une personne qui ressemblait assez fort à la personne que,
15 lui, il connaissait auparavant. Et afin d'opérer cette distinction de
16 façon suffisamment fiable, le témoin doit opérer la résolution de petits
17 détails du visage, car il serait fort possible que ce soit deux personnes
18 qui se ressemblent beaucoup mais qu'il y aurait des différences au niveau
19 des détails du visage, si on passe à un degré d’un demi-centimètre de
20 résolution.
21 A mon avis, pour donner une déposition fiable et pour pouvoir
22 dire que c'est effectivement cette personne-ci et qu'il serait impossible
23 que ceci en soit une autre, il faut assurer la résolution de petits
24 détails, et ceci ne peut se faire qu'à une distance de 15 mètres ou à une
25 distance inférieure à 15 mètres.
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1 Et donc, il faut limiter la question et non pas l'élargir à la
2 question de savoir ce que des gens peuvent faire dans des circonstances ;
3 il faut parler de ces circonstances-ci, et dans ces circonstances-ci, il
4 vous faut une distance de 15 mètres au maximum, ou inférieure à 15 mètres.
5 Désolé d'avoir répondu si longuement, mais vous avez posé une
6 question très compliquée.
7 M. Terrier. - Monsieur l'expert, je vous ai écouté avec beaucoup
8 d'attention et beaucoup d'intérêt, mais je vais tout de même vous poser
9 une autre question, peut-être encore plus compliquée.
10 J'aimerais tout d'abord que l'on fasse bien la distinction, à
11 cet instant en tout cas, de notre discussion entre ce que sont les
12 variables qui permettent de dire qu'une reconnaissance a été exacte ou
13 qu'il y a un risque d'erreur et puis la question de la fiabilité. La
14 question de la fiabilité de la reconnaissance, c'est une toute autre
15 chose, ce n'est pas à mon sens la responsabilité de l'expert, c'est à mon
16 sens la responsabilité des Juges, qui peuvent avoir à prendre en
17 considération d'autres éléments d'appréciation que ceux que vous évoquez,
18 et en particulier -c'est un exemple parmi d'autres- le fait que la
19 présence de cette personne reconnue à cet endroit aurait été corroborée
20 par un autre témoignage, par exemple.
21 Donc la question de la fiabilité, c'est l'affaire des Juges, qui
22 apprécient souverainement. C'est en tout cas mon point de vue. Et ce que
23 je veux examiner, ce sont les variables qui conduisent à penser qu'une
24 reconnaissance a été exacte ou qu'il existe un certain pourcentage
25 d'erreurs.
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1 Et je reviens à ma question, à laquelle je tiens, pardonnez-moi,
2 parce que vous avez évoqué dans votre réponse des considérations relatives
3 à la physiologie de l'oeil. Et il me semble qu'une réponse est possible
4 tout de même puisque lorsque nous allons chez un ophtalmologiste pour nous
5 faire des lunettes, on nous demande de reconnaître un A, un B et un
6 Z et on sait bien, par expérience, qu'à une certaine distance, on ne peut
7 plus reconnaître le A, le B et le Z, hélas.
8 Donc ma question était : y a-t-il une distance, peut-on dire
9 qu'il y ait bien une distance au-delà de laquelle la reconnaissance d'un
10 visage est physiologiquement impossible parce que c'est au-delà des
11 performances de l'oeil, comme chez le cabinet du médecin, où nous ne
12 pouvons plus reconnaître, à un moment donné, le A, le B ou le Z.
13 M. Wagenaar (interprétation). - Je pense que l'exemple des
14 lettres est excellent si l'on veut illustrer le problème qui se pose à
15 moi. A une distance très grande, on va peut-être vous montrer une lettre,
16 vous allez peut-être deviner simplement. Vous avez une probabilité de
17 1 sur 26 pour donner la réponse exacte. Je suis psychologue et je ne peux
18 pas savoir ce que vous avez fait, si vous avez deviné ou pas ou si vous
19 avez effectivement vu cette lettre.
20 Tout ce que je peux dire, c'est que, si on augmente la distance,
21 le niveau de performance diminue et tombe à une réponse correcte sur 26.
22 Cela n'ira sans doute pas à zéro réponse correcte.
23 Ceci vaut également pour la reconnaissance faciale. Le degré de
24 performance diminue avec la distance qui, elle, s'accroît, mais on ne
25 tombe pas pour autant à zéro. Pourquoi ? Parce qu'il y a toujours d'autres
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1 informations dans la tête du témoin, qui vont aider celui-ci à bien
2 deviner. Manifestement, vous, vous ne voulez pas de témoins qui ont
3 simplement des conjectures, vous voulez des témoins qui déposent sur ce
4 qu'ils ont vu effectivement de façon fiable.
5 Par conséquent, si on parle de niveau ou de degré de performance
6 qu'on pourrait simplement interpréter comme étant des devinettes ou des
7 conjectures, il faut faire preuve de la plus grande prudence. Et soyez
8 circonspects même quand vous avez un degré de performance qui n'est pas
9 zéro parce que le niveau de devinettes, de conjectures, est supérieur à
10 zéro.
11 Dans la situation qui nous occupe, le fait de deviner n'est pas
12 sans importance. En effet, si, parmi ce groupe de personnes debout là, à
13 tirer, il y avait quelqu'un que le témoin connaissait, de combien de
14 personnes aurait-il pu s'agir ? Combien est-ce qu'il y avait de personnes
15 dans la région, dans la zone ? Si le témoin avait le sentiment qu'il
16 connaissait une personne ou plusieurs, le fait de deviner aurait pu
17 aboutir à l'observation qu'il a faite. Le niveau de devinettes ou le fait
18 de deviner est une réalité et le degré de succès n'est jamais zéro.
19 Et c'est à fort juste titre que vous avez dit que la seule
20 contribution que je peux vous faire, c'est de vous fournir certains
21 résultats d'études que nous avons menées.
22 Je répugne à me répéter, mais au fond, je dirai que, jamais, je
23 ne pourrai dire que, à des distances, on ne parle pas de kilomètres parce
24 qu'à ce moment-là, bien sûr, on ne peut reconnaître quoi que ce soit, mais
25 à des distances qui nous concernent ici, 60 mètres, 50, 70, ça n'a pas
Page 9418
1 d'importance, le degré de réussite n'est jamais zéro. On n'y peut rien, ce
2 n'est jamais zéro.
3 Toutefois, autour de 40 mètres, déjà, il y a autant d'erreurs
4 que de réussites dans l'identification, et plus la distance s'accroît,
5 plus le résultat diminue en qualité. Malheureusement, dans votre problème,
6 vous avez une zone qui n'est pas idéale, qui n'est même pas fiable, à mon
7 humble avis, mais qui n'est pas zéro non plus. Je n'y peux rien, c'est
8 comme ça, et c'est la distance qui est concernée, c'est comme cela que la
9 situation s'est présentée. Et manifestement, c'est la responsabilité des
10 Juges de dire quels sont les critères qui s'appliquent, s'agissant de
11 témoins oculaires, pour ce qui est de leur fiabilité. Ca, c'est votre
12 problème, moi je ne peux que vous esquisser diverses possibilités
13 d'erreurs, par exemple. A vous de voir si ceci suffit, à la lumière
14 d'autres informations que vous avez peut-être reçues dans l'intervalle et
15 que, moi, je n'ai pas.
16 Je ne veux pas, je ne peux pas faire ce jugement à votre place.
17 M. Terrier. - Je comprends bien, Monsieur l'expert.
18 Je vais poser ma question de manière un peu différente. J'essaie
19 à cet instant d'examiner, et je vous demande de nous dire s'il existe à
20 une distance de l'ordre de 60 mètres un obstacle physiologique, lié à la
21 physiologie de l'oeil, qui rende la reconnaissance, soit impossible, soit
22 extrêmement dangereuse. Et je me réfère à la physiologie de l'oeil sans me
23 référer au cerveau ou aux interprétations, en reprenant l'exemple du
24 cabinet médical : si le médecin me demande de reconnaître le A, le B ou le
25 Z et que j'essaie de deviner la lettre qui m'est montrée, vous
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1 reconnaîtrez que ce n'est pas très malin de ma part car je serai mal
2 corrigé dans ces conditions. Donc simplement en considérant cette
3 situation presque expérimentale, où l'affectivité, la mémoire, les
4 sentiments n'interviennent pas ou peu, est-ce qu'on peut dire qu'il existe
5 une difficulté physiologique pour l'œil humain à reconnaître un objet de
6 la taille d'un visage à une distance de 60 mètres ?
7 M. Wagenaar (interprétation). – Oui. Si vous pensez aux lettres
8 chez l'ophtalmologiste, effectivement, la réponse est simple. Les lettres
9 sont construites, sont façonnées de telle façon qu'il vous faut résoudre
10 une "minute d'arc"(L'interprète n'est pas sûre du terme scientifique.)
11 C'est une observation à 60 mètres c'est-à-dire que l'épaisseur de la ligne
12 de la lettre doit être 2 centimètres. A 50 mètres, les lettres du médecin
13 sont d'un demi-centimètre. Le docteur bien sûr le fait d'une façon
14 différente ; il garde constante.
15 Vous, vous ne bougez pas de votre fauteuil, mais c'est lui qui
16 modifie la taille des lettres qu'il vous montre. C'est plus commode que
17 d'accroître la distance entre l'objet et l'observateur, mais la règle
18 reste la même : il n'est pas possible de voir les lettres dans le bureau
19 du médecin s'il n'est pas possible de résoudre une "minute d'arc" qui
20 coïncide aux tailles que je vous ai données.
21 Ces lettres sont construites de telle façon qu'il est très
22 facile pour le médecin de voir si vous les reconnaissez ou pas.
23 Malheureusement, les visages ne sont pas tout fait comme des lettres. Les
24 visages ne sont pas construits pour assurer une reconnaissance optimale
25 entre le fait de voir ou de ne pas voir. C'est bien plus facile avec des
Page 9420
1 lettres effectivement.
2 M. Terrier. - Monsieur l'expert, j'aimerais que nous examinions
3 quelques instants le tableau qui était joint à la lettre que vous avez
4 adressée à Me Krajina. Les deux variables qui ont été introduites sont la
5 distance, 3 à 40 mètres, et la luminosité, 0,3 lux à 3000 lux.
6 Est-ce que vous pouvez nous dire à quelle luminosité correspond
7 la lumière que l'on peut avoir en Europe vers 8 ou 9 heures du matin par
8 temps couvert ? C'est juste une approximation que je vous demande bien
9 entendu.
10 M. Wagenaar (interprétation). – Mais, cela dépend de la date !
11 M. Terrier. - Vous avez tout à fait raison, Monsieur l'expert.
12 Je parle du mois d'avril dans l'hémisphère nord.
13 M. Wagenaar (interprétation). – Probablement, on est près de
14 3000, effectivement. Donc, c'est la colonne de droite. C'est là où vous
15 avez les données pour une luminosité normale. 300, c'est la valeur
16 inférieure. Là, on est déjà pratiquement au crépuscule. Donc, luminosité
17 normale pendant la journée : 3000. Cela peut être beaucoup plus, si
18 vraiment le soleil brille. Le problème, c'est que... Ce que l'on peut
19 faire en laboratoire, si vous essayez d'avoir une meilleure maîtrise des
20 conditions au maximum dans les meilleures conditions, vous avez 3000.
21 C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas dépassé cette valeur, mais
22 3000, cela vous donne une bonne idée d'une journée normale. Si on n'est
23 pas à la plage, brûlé par le soleil.
24 M. Terrier. - 2 lux correspondent à peu près à quelle
25 luminosité ?
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1 M. Wagenaar (interprétation). – Je n'ai pas fourni un descriptif
2 des significations. 0,3 : c'est au plus sombre, dans un endroit où il n'y
3 a pas d'éclairage artificiel. On est vraiment au coeur de la nuit, sans la
4 lune.
5 2 : même zone avec très mauvais éclairage et puis, on améliore
6 petit à petit la situation.
7 2, 3 et 5 sont repris ici spécifiquement parce que souvent des
8 questions se posent dans un prétoire qui consistent à reconnaître une
9 personne qui se trouve dans un milieu urbain, en ville, la nuit. 2, 3 et 5
10 comme valeur, ce sont des situations que l'on peut rencontrer dans un
11 milieu urbain où vous avez peu ou beaucoup d'éclairage sur des routes.
12 C'est la raison pour laquelle j'ai rapproché 2, 3 et 5 parce que le
13 domaine est pertinent et puis, on passe à des variations plus grandes en
14 fonction de la luminosité.
15 M. Terrier. - Monsieur l'expert, pour lire correctement le
16 tableau, nous devons considérer que, par exemple, pour une luminosité de
17 2 lux à 12 mètres de distance, nous trouvons 2.6 c'est-à-dire
18 2 reconnaissances exactes contre 6 reconnaissances inexactes. Est-ce que
19 c'est bien comme cela que nous devons lire ce tableau ?
20 M. Wagenaar (interprétation). – Non. Ce sont des degrés de
21 probabilité, des chances si vous voulez. C'est toujours 2.6 sur 1, par
22 rapport à 1. C'est un ratio. Donc, vous venez de mentionner une valeur :
23 2,6 sur 1. 2,6 cas où il y a une réponse correcte par rapport à une
24 réponse erronée. C'est toujours un ratio, un rapport à 1.
25 Si on se déplace vers la droite, avec 10 lux, vous avez 28 par
Page 9422
1 rapport à 1. Et puis au 30, 67 sur 1. C'est toujours autant de réponses
2 correctes par rapport à une réponse incorrecte.
3 Et ce que vous voyez à la dernière ligne où on va à moins de 1 ?
4 Vous pouvez avoir 0,2 par rapport à 1. 0,2 réponse correcte par rapport à
5 1 réponse incorrecte. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup plus de réponses
6 incorrectes que de réponses correctes. Donc, si le chiffre est 1 par
7 rapport à 1, vous avez 50 % de réponses correctes et de réponses
8 incorrectes. Si on est en deçà de 1, il y a plus d'identifications
9 incorrectes qu'il n'y a d'identifications correctes. Ce que l'on voit avec
10 3000 lux à une distance de 40 mètres, là, vous avez 0,8 sur 1, c'est-à-
11 dire que c'est pratiquement 50 % par rapport à 50 % d'erreur. Un peu en
12 deçà, mais cela, c'est sans grand intérêt. Ce sont bien sûr des données
13 expérimentales, je le rappelle.
14 M. Terrier. - Alors justement, Monsieur l'expert, est-ce que
15 vous pouvez nous dire quel a été le protocole d'expérience qui a été suivi
16 pour établir ce tableau ?
17 M. Wagenaar (interprétation). – Eh bien, le protocole, c'est que
18 des personnes voient un visage dans ces conditions et sur-le-champ, sans
19 aucun retard, avec un temps de rétention de zéro seconde, pour ainsi dire,
20 la personne doit indiquer sur certaines images qui elle a vu. Et cet
21 affichage peut inclure le visage qui a effectivement été vu ; c'est
22 lorsque vous avez un défilé où, évidemment, vous avez un suspect qui est
23 coupable ; et puis là, vous pouvez peut-être choisir, si vous choisissez
24 la bonne question, c'est une bonne réponse ; l'autre moitié des sujets
25 voit un affichage de personnes et le visage qu'ils ont vu n'est pas
Page 9423
1 présent dans le défilé. Cela est une situation où vous avez un suspect qui
2 se trouve ne pas être coupable, ce n'est pas la personne que le témoin a
3 vue précédemment. A ce moment-là, c'est ce qu'on appelle une fausse
4 alerte, fausse alarme. Si le témoin indique une personne erronément à ce
5 moment-là, c'est une fausse alarme, ou une fausse alerte. Et ce qu'on
6 reprend ici, c'est le rapport entre les bonnes réponses et les mauvaises
7 réponses, entre identification correcte et identification erronée.
8 Pour ce faire, vous avez besoin de ces deux conditions, de ce
9 qu'on appelle la cible présente dans le défilé et de la cible qui est
10 absente du défilé de la présentation de personnes.
11 M. Terrier. - Et qui était, Monsieur l'expert, les sujets qui
12 regardaient, qui devaient identifier ?
13 M. Wagenaar (interprétation). - Les sujets, c'étaient des
14 étudiants de notre université, des jeunes qui avaient une vue parfaite. Ce
15 sont donc... Là, ce sont les meilleurs résultats que les sujets peuvent
16 obtenir.
17 M. Terrier. - Le visage qu'ils devaient reconnaître, est-ce que
18 c'était un visage réel ou est-ce que c'était une photographie ?
19 M. Wagenaar (interprétation). - C'étaient des photographies.
20 M. Terrier. - Et s'agissant de personnes qu'ils connaissaient
21 auparavant et qu'ils devaient reconnaître ou ne pas reconnaître, est-ce
22 que c'étaient les photographies de personnes de leur famille ou simplement
23 de personnes connues ?
24 M. Wagenaar (interprétation). - Non, comme je l'ai expliqué
25 d'ailleurs dans ma lettre, c'étaient des photographies de personnes qu'ils
Page 9424
1 ne connaissaient pas. Je l'ai dit, d'ailleurs, dans cette lettre, à quel
2 endroit ? A la page 2, au dernier paragraphe de cette page : "les
3 résultats en annexe représentent…" etc.
4 Ce que j'indique dans cette lettre, c'est que ce que ces données
5 ont pour objet d'illustrer, c'est cette chute brusque entre 12 et
6 20 mètres, car cette chute n'a rien à voir avec le cerveau où on aurait
7 situé les faits de connaître cette personne ou pas ; mais c'est que, là,
8 l'oeil ne peut pas assurer la résolution, ne peut plus assurer la
9 résolution de ce visage, d'où cette chute brusque.
10 Si ceci vous intéresse, comparez l'effet qu'il y a à aller de la
11 droite vers la gauche du tableau, quand on va de beaucoup de luminosité à
12 moins de luminosité. Là, vous avez une diminution progressive des
13 variables, il n'y a pas de chute brusque parce que l'oeil ne réagit pas
14 tout d'un coup à cette perte de lumière, ce n'est pas un "oui ou non".
15 Par contre, si on passe du haut vers le bas, là, vous constatez
16 cette chute brusque. Vous le voyez dans toutes les colonnes. C'est présent
17 pour 10 lux comme ça l'est pour 3000 lux. Et pourquoi ? Parce que, là, on
18 dépasse un système de oui/non dans l'oeil. C'est ce que je voulais
19 illustrer par le biais de ce tableau.
20 Cet élément d'information physiologique vaut pour des visages
21 qu'on connaît comme pour des visages qu'on ne connaît pas. Il n'y a plus
22 de résolution, l'oeil cesse de fonctionner. C'est ce qui est illustré par
23 ce tableau.
24 M. Terrier. - Je reviens au protocole de l'expérience pour vous
25 demander encore deux ou trois précisions. Les photographies que ces
Page 9425
1 étudiants devaient reconnaître, est-ce qu'elles étaient plusieurs ou est-
2 ce qu'il s'agissait simplement d'une seule photographie ? Est-ce qu'il y
3 avait plusieurs photographies ?
4 M. Wagenaar (interprétation). - Oui. Nous avons utilisé un grand
5 nombre de photographies, bien entendu, et cela, pour plusieurs raisons.
6 D'une part, si vous demandez à un étudiant de reconnaître toute
7 une série de personnes qui sont toujours les mêmes, cela devient très
8 facile. Donc on ne peut pas procéder ainsi.
9 Et puis une autre raison est que quand on teste leur mémoire, on
10 leur présente une série de photographies et on leur demande quelle est la
11 photographie qu'ils ont vue. Donc vous avez là encore besoin d'un grand
12 nombre de photographies pour pouvoir choisir.
13 M. Terrier. - Mais ma question était plus spécifique. Lorsque ce
14 sujet d'expérience était présenté à la photographie, est-ce qu'il ne
15 voyait qu'une seule photographie ou est-ce qu'il en voyait plusieurs à
16 côté comme dans une parade d'identifications ?
17 M. Wagenaar (interprétation). - Bien entendu, nous avons deux
18 étapes dans l'expérience. Premièrement, vous voyez un visage et, puis,
19 tout de suite après, vous voyez une série de photographies où vous devez
20 indiquer quelle est la personne que vous venez de voir. Donc vous voyez
21 d'abord un visage et puis, dans la seconde étape, vous voyez une série de
22 visages.
23 M. Terrier. - Est-ce que vous pouvez, puisque nous nous
24 intéressons à la question de la reconnaissance d'une personne
25 antérieurement connue, est-ce que vous pouvez nous dire quel était le type
Page 9426
1 de lien qu'il y avait entre ces personnes qui figuraient sur les
2 photographies, ces visages, et vos sujets d'expérience, vos étudiants ?
3 M. Wagenaar (interprétation). - Comme je l'ai déjà expliqué, en
4 page 2 de ma lettre, ce n'était pas ça, l'objet de l'expérience. Et la
5 raison pour laquelle je m'y suis référé est la chute brutale entre 12 et
6 20 mètres, donc le moment où l'oeil ne peut plus assurer la résolution des
7 visages.
8 M. Terrier. - J'ai bien compris. Effectivement, vous avez
9 précisé cela dans votre lettre. Mais nous nous intéressons à cette
10 question très spécifique et un peu différente, effectivement, du sujet de
11 votre expérience, qui est la reconnaissance d'une personne antérieurement
12 connue.
13 Et puisque, à cet instant, nous devons, je dois essayer de
14 vérifier ou de contribuer à vérifier si cette situation d'expérience que
15 vous évoquez peut être transmise dans la réalité, je dois vous demander
16 quels étaient les visages que ces étudiants devaient reconnaître. Quels
17 étaient ces visages ? Est-ce que c'étaient des visages connus ? Un acteur
18 de cinéma, un homme politique, ou est-ce qu'il y avait un lien affectif
19 avec ces sujets d'expérience, c'est-à-dire est-ce que c'était un membre de
20 leur famille ? Un père, une mère ?
21 M. Wagenaar (interprétation). - Non, il n'y avait pas de lien,
22 comme je l'ai expliqué dans ma lettre. Il n'y avait aucun lien. Les
23 visages de ces gens étaient des photographies prises dans une autre ville,
24 donc il était peu vraisemblable que ces personnes avaient été vues
25 auparavant.
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1 (Les Juges se consultent sur le Siège).
2 M. le Président. – Vous avez beaucoup d'autres questions, Maître
3 Terrier ?
4 M. Terrier. – Je crains d'en avoir encore d'autres, Monsieur le
5 Président.
6 M. le Président. – Car le Juge May doit présider une audience
7 dans une autre Chambre.
8 M. Terrier. – Oui, je comprends.
9 M. le Président (interprétation). – Ensuite, Me Par, je crois,
10 va poser d'autres questions ; et moi-même, j'ai une question.
11 Maître Terrier, prenez votre temps parce qu'on vient de décider
12 de continuer jusqu'à 11 heures 30. Je crois que trois quarts d'heure
13 devraient suffire.
14 M. Terrier. – Je vais m'y efforcer, Monsieur le Président.
15 Monsieur l'expert, j'avais compris que l'on demandait aux
16 étudiants d'identifier des photos de personnages connus ; est-ce que je me
17 suis trompé ?
18 M. Wagenaar (interprétation). – Oui, comme je l'ai expliqué et
19 je pensais l'avoir bien expliqué. Vous avez le dernier paragraphe, en
20 page 2 de ma lettre, où il est dit que les résultats dans l'annexe
21 représentent l'identification de personnes qui n'étaient pas connues
22 auparavant, avec une période de rétention de zéro seconde. Par conséquent,
23 cela n'est pas tout à fait représentatif pour la reconnaissance de
24 personnes connues.
25 Mais une chute brutale au-delà d'une distance de 12 mètres est
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1 hautement pertinente pour la reconnaissance de personnes connues parce que
2 cela représente une limite physiologique de l'œil humain.
3 Donc je ne pense pas qu'il y a une ambiguïté quelconque
4 s'agissant de cet aspect. Il s'agit uniquement de cette chute brutale que
5 représente un mécanisme de l'œil humain qui s'applique à tout visage,
6 qu'il soit connu ou inconnu, à savoir on ne peut plus assurer la
7 résolution de ce visage.
8 Ainsi donc, en deçà de la partie inférieure du tableau, vous
9 avez des situations où l'œil ne peut plus assurer la résolution d'un
10 visage ; l'œil humain ne peut plus le faire. Voilà. Et ce, à l'intérieur
11 des réserves, des limites que j'ai exposées.
12 M. Terrier. – Mais, Monsieur l'expert, quand vous parlez
13 d'identification d'un visage, c'est une identification par rapport à quel
14 système de référence ? Qu'est-ce que cet étudiant, sujet d'expérience,
15 devait reconnaître ? Est-ce que vous pouvez me le préciser ?
16 Vous vous êtes certainement très bien exprimé, c'est moi qui
17 vous ai mal compris ; j'en suis désolé.
18 M. Wagenaar (interprétation). – Dans cette expérience, le sujet
19 d'expérience voit un visage. Il le voit pendant la moitié d'une minute.
20 Tout de suite après -donc la période d'intervalle est de zéro seconde-, il
21 voit un alignement de personnes ; il doit dire laquelle des personnes
22 qu'il voit est la personne qu'il vient de voir il y a trente secondes.
23 Et ce qu'on peut observer, c'est qu'on voit un visage à une
24 distance, par exemple de 20 mètres pendant trente secondes. Donc on l'a
25 observé comme on l'a pu, au mieux, pendant trente secondes. Et tout de
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1 suite après, quand on voit ce visage, mais à l'intérieur d'une série
2 d'autres visages et quand il s'agit de dire qui est la personne qu'on a
3 vue,…
4 Par exemple, si nous avons 3000 lux, on obtient 5 réponses
5 correctes par rapport à une réponse fausse ; si c'est à 20 mètres, nous
6 avons 20 à 1. Donc la différence est immense. Il y a une perte de
7 performance considérable ; cette perte, au niveau de la qualité de
8 performance, est liée au fait que l'œil humain pendant la première
9 observation qui a duré trente secondes n'a pas pu percevoir les détails de
10 ce visage.
11 M. Terrier. – Je vous remercie, Monsieur l'expert, de cette
12 clarification.
13 Une autre précision cependant. Dans cette expérience, est-ce que
14 le sujet d'expérience, cet étudiant, devait obligatoirement donner une
15 réponse ou est-ce que la part de l'incertitude et du doute lui était
16 réservée ? Est-ce que l'étudiant avait le droit de dire "Je ne sais pas" ?
17 M. Wagenaar (interprétation). – Oui, absolument. Tout à fait.
18 Mais ce que nous avons pu voir dans nos expériences est que les
19 sujets le font très rarement ; je dois l'ajouter.
20 Mais, si vous permettez que j'ajoute un élément, c'est toujours
21 clair qu'une expérience n'est pas absolument la même chose que de se
22 trouver dans une guerre. Si vous posez des questions sur les détails de
23 l'expérience, nous vous indiquerons toujours que l'expérience a toujours
24 un aspect artificiel et qu'on ne peut pas recréer des conditions d'une
25 guerre lorsqu'on mène une expérience. Donc, pour certains points comme,
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1 par exemple, l'étude de l'affectivité, cela est tout à fait pertinent
2 parce que qu'on ne peut pas recréer les mêmes émotions. Donc nous faussons
3 les résultats de l'expérience.
4 Mais, lorsqu'il s'agit des propriétés biologiques de l'œil
5 humain, je pense que nous pouvons créer toutes sortes de conditions. Mais
6 il n'est pas nécessaire d'aller au-delà des conditions biologiques. Par
7 exemple, quand vous allez voir un ophtalmo, il va vous présenter une série
8 de lettres pour voir si vous voyez toujours correctement à plus de
9 distance. Et quand vous porterez les lunettes qu'il a prescrites, vous
10 n'aurez pas besoin de lire les lettres : vous aurez besoin de conduire
11 correctement votre voiture ! Donc cela ne s'applique pas dans les mêmes
12 conditions, les mêmes circonstances. Du moins, à mon avis, nous présentons
13 donc des visages à des sujets d'expérience, dans des conditions
14 d'expérience qui sont un peu artificielles, pour des intervalles où l'œil
15 peut assurer la résolution.
16 Mais là, l'information que nous obtenons est une information sur
17 le comportement biologique de l'œil.
18 M. Terrier. – Monsieur l'expert, encore une dernière question
19 sur ce tableau que vous nous avez soumis. Est-ce que je lis bien le
20 tableau en constatant qu'à 3000 lux, le ratio est inférieur à 1, en ce qui
21 concerne la distance de 40 mètres, il est de 0,8 ; et à 2 lux, ce qui est
22 un très mauvais éclairage, toujours à 40 mètres, le ratio est de 4.
23 M. Wagenaar (interprétation). - Oui, vous avez raison. Cela
24 illustre très bien que l'oeil est connecté au cerveau. Donc vous avez ici
25 des ratios, ces chiffres traduisent les ratios. Alors deux modes de chute
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1 sont possibles : soit c'est la partie inférieure qui descend, soit c'est
2 la partie supérieure qui augmente. La partie inférieure augmente, cela
3 veut dire que les fausses alertes augmentent.
4 Alors que se passe-t-il lorsque vous observez la colonne des
5 3 000 lux ? Non seulement l'identification correcte descend, baisse, mais
6 aussi les fausses alertes augmentent. Pourquoi ? Parce que les gens ont
7 tendance à ne pas être tout à fait prudents quand il y a beaucoup de
8 lumière ; parce que quand ils ont 30 secondes pour observer quelqu'un, ils
9 se disent : "mais enfin, ce serait idiot de ma part de ne pas reconnaître
10 un visage quand il y avait suffisamment de lumière", donc ils ont tendance
11 à répondre avec plus d'assurance et de ne pas être précautionneux.
12 Alors que, dans l'autre cas, ils se disent "mais ce n'est pas
13 étonnant si je ne connais pas la réponse, celui qui m'examine ne pensera
14 pas que je suis stupide puisque c'est tout à fait logique de ma part de ne
15 pas pouvoir répondre". Donc ils font moins de fausses alertes.
16 Cet élément d'information est tout à fait pertinent pour vous
17 parce que ce que la Chambre doit décider est de savoir si l'identification
18 qui est présentée dans les éléments de preuve est une identification
19 correcte ou une fausse alerte.
20 Alors à la lumière du jour, les gens ont tendance à faire des
21 fausses alertes. C'est ce que je viens de dire parce que ce sont des
22 conditions dans lesquelles les personnes se disent : "mais je vois bien,
23 ce sont des conditions de bonne visibilité", donc ils auront tendance à
24 répondre affirmativement.
25 Donc vous avez une différence de résultat en fonction des
Page 9432
1 conditions.
2 Je suis désolé, c'est très complexe, mais même si on se penche
3 sur quelque chose qui nous paraît simple, à savoir la reconnaissance, on
4 s'aperçoit très vite qu'il s'agit d'un processus complexe parce que quand
5 on se met dans de bonnes conditions de visibilité, est-ce qu'il n'est pas
6 logique, pour un individu, de dire, d'affirmer, qu'il a bien reconnu une
7 personne ?
8 M. Terrier. - Ce qui me pose difficulté, Monsieur l'expert,
9 c'est que vous faites intervenir deux -et vous avez certainement raison,
10 bien entendu- deux séries de considérations qui sont, premièrement, les
11 performances physiologiques de l'oeil humain, et deuxièmement, les
12 interférences du cerveau, de la mémoire, des sentiments, les interférences
13 à caractère psychologique.
14 Et je dois l'avouer, mais c'est certainement une insuffisance de
15 ma part, j'ai quelquefois du mal à faire la part de l'un et celle de
16 l'autre.
17 Je m'étonnais simplement, tout de même, qu'il y ait beaucoup
18 plus d'erreurs ou de fausses alertes, comme vous dites, dans des
19 conditions de parfaite luminosité à 3000 lux que sous un très mauvais
20 éclairage à 2 lux et à la même distance. Je trouvais cela tout à fait
21 paradoxal et je me demandais si les considérations ou les interférences
22 psychologiques l'expliquaient suffisamment puisque ces deux éclairages
23 très différents, les performances physiologiques de l'oeil, sont
24 nécessairement très différentes, l'oeil étant handicapé, comme chacun
25 sait, par une mauvaise visibilité.
Page 9433
1 M. Wagenaar (interprétation). - Oui. Je crois que je dois vous
2 présenter mes excuses parce que je ne pensais pas que vous alliez rentrer
3 dans les détails d'une étude aussi approfondie de ces données parce
4 qu'autrement, je vous aurais présenté et communiqué l'ensemble de mes
5 publications ; parce que vous avez ici un tableau...
6 En fait, il existe en tout 7 tableaux avec des représentations
7 séparées des réponses correctes et de fausses alertes. Donc il est
8 possible de suivre de manière séquentielle comment se modifient ces
9 ratios, et puis on peut voir un fait paradoxal où les gens font des
10 fausses alertes dans des conditions de visibilité qui sont bonnes, et
11 l'inverse est également vrai.
12 Donc vous pouvez voir le même effet si vous observez la
13 différence entre la distance de 3 mètres et la distance de 5 mètres. Ce
14 que vous voyez à 3 mètres pour 3000 lux, vous voyez que ce n'est pas la
15 meilleure performance. Elle devient un peu meilleure à 5 mètres, ce qui
16 est paradoxal parce que ce n'est pas en relation avec les bonnes réponses,
17 donc de nouveau, c'est relié aux fausses alertes parce que si vous voyez
18 une personne à 3 mètres et vous la voyez par la suite, vous ne
19 reconnaissez pas cette personne, vous avez l'air un peu idiot.
20 Donc les sujets d'expérience ont tendance à ne pas indiquer la
21 personne parce qu'ils se rendent compte...(L'interprète se reprend), ils
22 ont tendance à reconnaître et à identifier une personne parce qu'ils se
23 disent que les conditions de vision étaient tout à fait parfaites. Et de
24 nouveau, puisque l'oeil ne peut pas être séparé du cerveau, vous avez
25 toujours ce genre d'effet et vous avez une chute brutale de 12 à 20 mètres
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1 qui est produite effectivement par une baisse considérable de réponses
2 correctes.
3 Donc si cela vous intéresse et si cela est pertinent, je pense
4 que je peux présenter l'ensemble de la publication parce que vous aurez
5 donc l'ensemble des informations que cette publication contient.
6 Mais je tiens à vous avertir que ce que j'ai dit sur l'oeil
7 humain n'est bien sûr pas uniquement fondé sur cette publication. Nous
8 connaissons la densité des cônes sur la rétine, nous connaissons cela par
9 exemple très bien ; ça c'est complètement hors de question. Tout manuel de
10 base pourrait vous donner ce genre d'information, mais je peux vous
11 présenter l'ensemble de ces informations.
12 M. Terrier. – Pardonnez-moi, Monsieur l'expert, mais puisque
13 vous vous êtes fondé assez largement, m’a-t-il semblé, sur vos
14 connaissances expérimentales pour dire que, dans ces faits qui sont à
15 juger aujourd'hui par ce Tribunal, la reconnaissance par le témoin dont on
16 parle comporte un risque important d'erreur, mon rôle comme représentant
17 de l'accusation -il s'agit d'un point important de ce procès, pas le seul
18 point important, mais l'un des points importants-, mon rôle en tant que
19 représentant de l'accusation est d’examiner si cette expérience et ces
20 connaissances expérimentales dont vous faites état nous permettent
21 valablement de lire et de comprendre la réalité qui est à juger par ce
22 Tribunal.
23 Et je voudrais, dans cette perspective, vous demander si vous ne
24 considérez pas que le relief du visage qui est reconnu ou qui est à
25 reconnaître, c'est-à-dire le relief qui s'attache à la réalité, n'est pas
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1 un élément très important à prendre en considération et que la situation
2 d'expérience que vous avez évoquée, compte tenu du protocole qui a été le
3 vôtre, n'a pas du tout pris en considération.
4 M. Wagenaar (interprétation). – Oui, il est certain que l'on
5 pourrait dire beaucoup de choses sur cette question. L'expérience se fonde
6 sur toute une série de visages, pas sur un seul visage. Les données vous
7 donnent des informations sur la reconnaissance de visages humains en
8 général. S'il y a un visage qui a des traits tout particuliers, là il est
9 certain que l’on a raison de croire que tout sera différent, s'agissant de
10 ce visage très marquant. On fait alors des expériences avec des sujets
11 d’expérience et ce visage en particulier. C'est faisable.
12 Cependant, ce que j'ai fait, moi, c'est décrire ce qui se
13 passerait, quels seraient les risques si l’on parlait d'un visage
14 ordinaire d'être humain qui ne présenterait pas des traits aussi
15 particuliers, aussi singuliers que le visage pour lequel tout serait
16 différent. Là, je n’ai recueilli aucune information dans la documentation
17 que j'ai reçue, qui m'aurait porté à croire que l'on avait affaire à un
18 visage tout à fait spécifique, tout à fait remarquable avec des traits
19 tout à fait particuliers.
20 Là, je ne peux pas juger, je n'ai même pas vu la photo de la
21 personne qu'on aurait vue. Je ne peux pas formuler d'avis. Mais si vous
22 avez des raisons de croire que tout serait différent pour ce visage
23 particulier, à ce moment-là, effectivement, il faut requérir une étude
24 particulière, une recherche précise sur ce visage.
25 Je voudrais quand même vous mettre en garde. A une distance de
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1 60 mètres, si vous pensez qu'un visage particulier, singulier pourrait
2 être reconnu avec fiabilité, il faudrait vraiment que ce soit un visage
3 qui soit remarquablement différent, qui présente des détails importants,
4 qui diffère nettement de la normale. Un exemple : si une personne est
5 cyclope, n'a qu'un œil au milieu du front, cela peut se voir à 60 mètres ;
6 c'est assez évident. Mais le fait d'avoir un nez assez gros, là, ce serait
7 assez différent, parce que des gros nez ne sont pas finalement si gros.
8 Donc il faudrait vraiment qu'il soit très gros, ce nez.
9 Mais je ne dispose pas d'informations quant au visage
10 particulier qui nous intéresse. C'est à vous de juger s'il y a des raisons
11 peut-être qui vous porteraient à demander cette étude ou pour rejeter
12 celle-ci. A vous de jouer.
13 M. Terrier. – Monsieur l'expert, je ne parlais pas vraiment d'un
14 visage particulièrement reconnaissable et encore moins d'une monstruosité.
15 Je posais la question suivante : est-ce que c'est vraiment la même chose
16 de regarder une photographie et de regarder une personne réelle à la même
17 distance ? Est-ce que c'est la même chose ?
18 M. Wagenaar (interprétation). – Oui. Il est certain que nous
19 avons, bien sûr, étudié ceci avant de lancer de telles expériences. Un
20 élément qui est rapporté dans cette publication -il sera peut-être utile
21 pour vous d'avoir la totalité de l'application-, d'abord c'est que nous
22 avons une comparaison entre le fait de voir une photo et une personne
23 réelle ; et, dans ces conditions-là, de voir si ceci n'a pas une incidence
24 sûre.
25 L'avantage qu'il y a à utiliser des photos plutôt que d'avoir
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1 des personnes en chair et en os, plutôt que d'avoir à faire des "paras"
2 d'identification, sans arrêt. Les avantages sont tels que, s'il est
3 possible de le faire -et comprenez bien ici que ce tableau représente sept
4 fois neuf expériences : dans chacune des cases, c'est une expérience-,
5 l'étude est donc énorme et il y a certains avantages à utiliser des
6 photographies.
7 C'est la raison pour laquelle nous avons d'abord une étude
8 pilote veillant à voir si les résultats différeraient si l'on utilisait
9 des visages réels, des personnes réelles plutôt que des photographies. Et
10 nous avons eu les mêmes résultats.
11 Donc je ne pense pas que cela pose véritablement problème.
12 M. Terrier. – Est-ce que, par exemple, le contexte dans lequel
13 se présente le visage doit être connu ? L'arrière-plan peut jouer un
14 rôle ? Est-ce que c'est la même chose de reconnaître un visage sur un
15 arrière-fond, un arrière-plan blanc ou sur un arrière-plan de forêt ? Est-
16 ce que l'arrière-plan joue un rôle ?
17 M. Wagenaar (interprétation). – C'est certain. Absolument. Ici,
18 nous avons utilisé les toiles de fond présentant des contrastes optimaux
19 pour donner les meilleures possibilités de reconnaissance des visages. Et
20 il est facile de rendre la chose beaucoup plus difficile. Par exemple, un
21 trait important d'un visage d'une personne serait sa chevelure, sa coupe
22 de cheveux. Si on utilise la même couleur pour la toile de fond que pour
23 les cheveux, il est difficile de reconnaître les cheveux. Alors, on perd
24 un trait caractéristique.
25 Ces données ici reflètent des conditions optimales : par
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1 exemple, la coupe de cheveux peut être vue aisément. Donc on peut
2 compliquer l'exercice et, à ce moment-là, on a des résultats plus
3 difficiles, moins performants.
4 Mais puisque je n'avais pas d'information quant à la toile de
5 fond dans laquelle ce visage a été vu dans la réalité, il faut à ce
6 moment-là procéder à une reconstruction minutieuse, parce que, si vous
7 avez des personnes devant une maison : disons que le mur extérieur serait
8 blanc ; à ce moment-là, le résultat serait tout à fait différent que si
9 ces personnes se tenaient debout devant une fenêtre noire. La différence
10 ne serait pourtant que de 50 centimètres à gauche ou à droite.
11 Je n'ai même pas essayé de reconstituer la situation. Je suis
12 parti de l'idée que nous avions des conditions optimales et, pourtant,
13 nous avons quand même ce problème.
14 M. Terrier. – Je vous remercie. Je voudrais en venir aux effets
15 de la peur et du danger que vous avez évoqués. Vous avez dit, si je vous
16 ai bien compris, qu'une situation de peur et de danger peut conduire à
17 rétrécir le champ d'observation, mais, en même temps, à accroître
18 l'attention du sujet dans ce champ d'observation.
19 Je voudrais vous demander si -je crois que vous avez déjà
20 répondu- …
21 M. le Président (interprétation). – Maître Radovic ?
22 M. Radovic (interprétation). – Monsieur le Président, mon client
23 demande de sortir pour se rendre aux toilettes.
24 M. Terrier. – Monsieur l'expert, je voulais simplement vous
25 demander de nous dire si cet effet que vous avez décrit comme pouvant être
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1 celui de la peur et du danger est valable pour toutes les personnalités ou
2 bien, au contraire, est-ce que certaines personnalités peuvent perdre tous
3 leurs moyens, toutes leurs capacités d'observation dans une situation de
4 peur et de danger ?
5 M. Wagenaar (interprétation). – Tout d'abord, je crois avoir dit
6 clairement qu'en matière de peur, je n'ai pas d'avis quant à l'incidence
7 que ceci aurait pu avoir ici, en l'espèce : cela aurait pu améliorer le
8 degré d'observation, cela aurait pu détériorer la situation. Impossible de
9 prévoir où le témoin regarderait en un tel cas.
10 Des différences individuelles vont, dans la plupart des cas,
11 avoir une incidence sur la question de savoir si, dans une situation
12 donnée, une personne va ressentir de la peur. Parce que si on est habitué
13 à une situation, il se peut que l'on ait moins de peur que si la situation
14 est tout à fait nouvelle pour vous. Il y a donc des différences
15 individuelles qui, en général, sont fonction de la situation dans laquelle
16 la situation de peur se présente.
17 Toutefois, si on a la même quantité de peur chez les mêmes
18 personnes, les effets seront pratiquement les mêmes. En l'occurrence donc,
19 il faudrait savoir combien de peur il y aurait chez ce témoin-ci en
20 particulier. Comment voulez-vous que je sache ? Je ne connais même pas la
21 personne.
22 La question n'est pas tant de se dire s'il y avait de la peur,
23 est-ce qu'elle aurait le même effet que chez d'autres personnes. Parce que
24 je pense que le phénomène de la peur est à peu près universel ; la
25 différence, bien sûr, c'est que certains ont peur, d'autres pas.
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1 M. Terrier. – Je comprends bien vos observations, mais je vous
2 fais respectueusement observer qu'elles ne répondent pas à ma question,
3 Monsieur l'expert.
4 Est-ce que l'on doit... Nous nous trouvions, pour me reporter
5 aux faits qui sont à juger, indiscutablement dans une situation de danger,
6 puisque le groupe de personnes qui a fait l'objet de tirs était en train
7 de fuir et qu'il était menacé. Aucun d'entre eux n'étaient armés, tous
8 étaient des civils : certains étaient des femmes, d'autres étaient des
9 enfants.
10 Donc indiscutablement, nous nous trouvons devant une situation
11 de danger. Alors, ne parlons pas de peur, examinons simplement la question
12 de savoir si cette situation de danger indiscutable a pu avoir, sur la
13 capacité d'observation et d'attention de ces personnes, des conséquences
14 différentes selon les personnalités de chacun.
15 Je ne vous demande pas quelle conséquence précisément, mais est-
16 ce qu'il a pu y avoir des différences ?
17 M. Wagenaar (interprétation). – Eh bien, si vous partez du
18 principe qu'il y a la même quantité de danger, ce n'est pas forcément le
19 cas, mais disons, posons l'hypothèse qu'il y a même volume ou quantité de
20 peur chez chacune de ces personnes. Demeure la question de savoir à quoi
21 va s'intéresser, sur quoi va se concentrer chacune de ces personnes. L'une
22 va se concentrer sur l'arme qui est dirigée contre elle, l'autre sur le
23 visage qui se trouve derrière ces armes, les différents visages derrière
24 les armes. Ce sont deux choses différentes.
25 D'autres vont peut-être se concentrer sur d'autres choses, peut-
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1 être sur là d'où ils attendent un autre danger. Donc les différences quant
2 aux réactions éventuelles de personnes dotées, si j'ose dire, du même
3 volume de peur, eh bien, la différence portera sur l'objet de leur
4 concentration.
5 Un exemple très simple qui n'a rien à voir avec l'affectivité
6 des sentiments, mais cela m'arrive tout le temps. Si je rends visite à
7 d'autres personnes, ma femme sait toujours ce que les autres personnes
8 portaient, mais moi, je ne sais jamais quels étaient les vêtements portés.
9 J'ai vu les mêmes personnes, mais je ne me suis pas concentré sur les
10 mêmes choses. Et je crois qu'il y a des différences entre les femmes et
11 les hommes pour ce qui est sur quoi les personnes se concentrent.
12 Ici nous parlons de femmes, d'hommes, d'enfants. Il se peut que
13 ces personnes fassent attention à des choses différentes. Là, le facteur
14 peur aura un effet considérable, je pense, parce que si l'on se concentre
15 sur quelque chose, ça veut dire aussi qu'on ne se concentre pas sur
16 quelque chose. Vous avez raison de dire qu'il peut y voir des différences
17 considérables quant à l'objet qui attire l'attention des personnes.
18 Je voulais aussi attirer votre attention sur une chose. En tant
19 qu'expert, je ne peux pas vous dire grand chose à ce propos parce que je
20 ne dispose pas d'une base, d'un fondement qui me permette de décider si le
21 témoin, en l'occurrence, a vraiment concentré toute son attention sur ce
22 visage ou pas. Il se peut qu'il se soit vraiment concentré, attaché son
23 attention à ce visage, mais il est possible aussi qu'il ne l'ait pas fait.
24 Comment voulez-vous que moi, je le sache ?
25 Je ne pense pas qu'on peut poser une telle question à un expert
Page 9442
1 qui n'était pas sur les lieux.
2 M. Terrier. – Mais, Monsieur l'expert, est-ce que nous n'avons
3 pas là justement la réponse à la question de n° 6 qui vous était posée par
4 Me Krajina : "Pourquoi d'autres personnes qui ont vu le même groupe n'ont-
5 elles pas reconnu le visage dont il est question ?" Vous avez répondu :
6 "C'est à cause de la distance". Est-ce que la réponse n'est pas tout
7 simplement : "C'est parce que d'autres personnes pouvaient regarder
8 ailleurs" ? Elles pouvaient avoir leur attention appelée par d'autres
9 détails ?
10 M. Wagenaar (interprétation). – Vous avez tout à fait raison. Il
11 était tout à fait possible que ces autres personnes n'étaient pas en train
12 de regarder le visage en question. Ce que je voulais ajouter, c'est que
13 même s'il l'avait fait, même s'il s'était concentré sur ce visage, il
14 demeure que la distance de 60 mètres rend assez improbable qu'il ait
15 reconnu qui que ce soit.
16 C'est peut-être une mauvaise habitude qu'ont les scientifiques ;
17 s'il y a une réponse simple qui ne rend pas nécessaire d'étudier les
18 domaines plus compliqués, eh bien nous nous contentons de l'argument le
19 plus simple, et ceci nous exonère de l'obligation d'étudier des choses
20 beaucoup plus compliquées à propos desquelles je ne peux pas vous dire
21 grand chose.
22 Pourquoi spéculer sur des choses plus compliquées quand je peux
23 vous dire quelque chose qui est assez fiable sur la simple question de la
24 distance ?
25 Donc vous avez tout à fait raison et si vous voulez émettre de
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1 telles spéculations, je serai le dernier à vous empêcher de le faire. Tout
2 ce que je peux vous dire, je ne peux pas vous dire ce qu'auraient regardé
3 les autres personnes.
4 M. Terrier. - Je ne me livre, Monsieur l'expert, à aucune sorte
5 de spéculation, j'essaie simplement de profiter, de tirer profit de votre
6 expérience et de vos connaissances pour lire au mieux la situation réelle
7 extrêmement complexe qui est donnée à juger à ce Tribunal.
8 Je voudrais en venir maintenant à une autre question.
9 La question du degré de familiarité entre la personne qui
10 observe, la personne qui est reconnue. Est-ce que cette très grande
11 familiarité peut faciliter à une distance de l'ordre de 40, 50, 60 mètres,
12 peu importe, la reconnaissance du visage ?
13 M. Wagenaar (interprétation). - Je dirai qu'au-delà d'un certain
14 niveau ou degré de familiarité, les différences ne sont plus à ce point
15 importantes. Il y a beaucoup de personnes que nous connaissons et que nous
16 allons reconnaître en l'espace d'une demi-seconde. Et il ne faut pas
17 nécessairement que ces personnes soient encore plus familières pour que
18 nous les reconnaissions.
19 Le degré de familiarité n'a pas fait l'objet d'études et donc,
20 les recherches scientifiques ne se sont pas appesanties sur la question.
21 Mais je peux revenir à cette déclaration que j'ai déjà faite. Même s'il y
22 a davantage de familiarités au-delà d'une certaine distance, vous allez
23 faire des erreurs, finalement. Vous penserez peut-être qu'à une certaine
24 distance, cette personne, c'est votre femme alors qu'elle ne l'est pas.
25 Certaines distances sont tout simplement trop grandes pour permettre une
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1 identification fiable.
2 Il y a bien sûr un autre problème. Mais je ne voudrais pas
3 compliquer cette question. Nous parlons ici de personnes familières dans
4 une situation qui, elle, est loin d'être familière. Elle est assez
5 exceptionnelle et je l'ai aussi dit dans cette lettre. Est-ce qu'il avait
6 un couvre-chef ? Est-ce que la personne portait quelque chose d'inusité ?
7 Qui serait inusité par rapport à cette personne que vous connaissiez dans
8 un environnement ordinaire ?
9 Je trouve qu'il est difficile de se pencher sur cette question
10 de la familiarité si on n'a pas davantage de détails à propos de la
11 situation précise qui nous intéresse. Et là, je reviens à ce que j'ai dit
12 en quintessence : 60 mètres, c'est rédhibitoire si l'on veut procéder à
13 une identification avec un degré quelconque de fiabilité.
14 M. Terrier. - Ma question était la suivante, Monsieur l'expert.
15 Vous nous avez dit « à 60 mètres, une identification n'est pas impossible,
16 elle comporte un risque d'erreur » ; la question était : est-ce qu'une
17 familiarité très importante -qu'on supposera très grande- entre le sujet
18 observé et le témoin ne réduit pas ce risque d'erreur ?
19 M. Wagenaar (interprétation). - Pas forcément. Et il nous faut
20 revenir au problème des reconnaissances exactes et erronées et fausses
21 alertes. Le premier problème est que c'est une réponse qui était à
22 l'avant-plan de votre esprit. C'est une des premières réponses qu'on
23 fournirait plutôt qu'une autre réponse. Ce qui signifie que la familiarité
24 va peut-être accroître le nombre de bonnes réponses, c'est-à-dire que si
25 c'est effectivement la personne dont vous pensez qu'il s'agit, il y a plus
Page 9445
1 de chances que vous l'identifiiez, mais si ce n'est pas la personne, il
2 est plus probable que vous nous donniez une mauvaise réponse et le ratio
3 ne va pas forcément augmenter. Mais c'est, disons, une réponse théorique,
4 j'en suis conscient.
5 Mais il n'y a pas de recherche qui... on utilise le degré de
6 familiarité dans une expérience pour voir quel serait à ce moment-là le
7 ratio entre les bonnes et les mauvaises réponses. Je vous mets en garde :
8 ne pensez pas que, pour des raisons logiques, par exemple, il faudrait
9 nécessairement que le ratio s'améliore, il pourrait se détériorer.
10 M. Terrier. - Monsieur l'expert, vous nous avez dit et vous avez
11 écrit que les traits pertinents du visage qui doivent être résolus par
12 l'oeil de manière à permettre une reconnaissance sont typiquement de
13 0,5 centimètres, et vous avez ajouté que les plus petits détails qui
14 peuvent être résolus par l'oeil humain à une distance de 60 mètres sont de
15 2 centimètres.
16 Et donc là, nous nous trouvons effectivement en face d'une
17 difficulté à caractère physiologique.
18 Je voudrais vous demander, et je m'adresse au psychologue et à
19 votre expérience professionnelle en ce domaine, quels sont les traits d'un
20 visage qui doivent être vus, reconnus de manière à permettre une
21 identification ? Et est-ce que tous les traits du visage contribuent de
22 manière égale à une identification ?
23 M. May (interprétation). - Je crois qu'on a déjà eu ce type de
24 question. Nous avons discuté du nez, par exemple. Est-ce que c'est
25 vraiment utile pour les Juges si nous entrons dans ce niveau de détail ?
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1 M. Terrier. - Ma question, Monsieur le Juge, était la suivante :
2 M. l'expert nous dit que des détails d'une certaine surface ou d'une
3 certaine taille doivent être identifiés. Ma question est : quels sont les
4 traits et les caractéristiques d'un visage qui doivent être reconnus et
5 quelle est leur taille pour que cette identification soit possible ?
6 Il me semble, -je me trompe peut-être, peut-être que je vais au-
7 delà de ce qu'est mon devoir ici- mais il me semble que je peux contribuer
8 dans une certaine mesure à la compréhension de cette affaire par Mme et
9 MM. les Juges. Mais je crois que c'est une question qui peut être
10 utilement posée au témoin. Néanmoins, bien entendu, si vous l'estimez
11 parfaitement inutile, je la retirerai.
12 M. May (interprétation). - A vous de décider. Je ne vais pas
13 vous empêcher de poursuivre. Toutefois, faites jouer quand même le bon
14 sens dans tout ceci.
15 M. Terrier. – Bien, Monsieur le Juge.
16 Monsieur l'expert, est-ce que, comme psychologue, vous pouvez
17 dire ce que sont les traits d'un visage qui doivent être identifiés pour
18 être reconnu, et est-ce que certains traits du visage contribuent plus
19 particulièrement à une identification ?
20 M. Wagenaar (interprétation). - Il y a beaucoup de préjugés et
21 de malentendus quant aux éléments qui sont importants dans
22 l'identification faciale. On a tendance à croire que ce sont les yeux, le
23 nez, la bouche, alors qu'en fait, c'est le rapport entre ces différents
24 éléments. La distance qu'il y a entre les yeux, le nez, la bouche ; si les
25 yeux sont écartés ou la taille des yeux par rapport à la taille de la
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1 tête. Donc c'est une question de perception des rapports et non pas le
2 fait de voir l'oeil ou le nez.
3 Une légère modification dans ce rapport, dans la position, le
4 placement de ces éléments, va vraiment donner des résultats tout à fait
5 différents. Difficile de dire : "oui, j'ai vu les yeux, ça me suffit, j'ai
6 vu le nez et ça me suffit". Non, c'est le rapport entre ces traits qui
7 compte le plus et qui explique pourquoi il est si peu tangible d'avoir une
8 telle description.
9 Vous demandez à un témoin "pourquoi vous avez reconnu cette
10 personne que vous dites reconnaître ? Qu'est-ce que vous avez reconnu chez
11 lui -ou chez elle- ?" Quelquefois, le témoin va vous répondre qu'il a
12 reconnu les yeux ou le nez, mais en fait, les témoins ne savent pas ce
13 dont ils ont besoin pour reconnaître un visage parce que c'est le rapport
14 entre les traits du visage et, là, c'est assez abstrait. C'est là qu'un
15 demi-centimètre compte.
16 M. Terrier. - Je vais aborder une dernière question,
17 Monsieur l'expert, qui est celle de la suggestion. Vous avez dit : "la
18 reconnaissance d'une personne que l'on connaît auparavant est un phénomène
19 immédiat" et à une question de Me Krajina, vous avez considéré comme
20 pouvant révéler la suggestion le fait que ce témoin n'ait pas
21 immédiatement donné à ses interlocuteurs le nom de la personne qu'il avait
22 reconnue.
23 Est-ce que, dans les circonstances dont vous avez pu prendre
24 connaissance, les circonstances de l'époque et du lieu, il vous paraît
25 vraiment anormal que le témoin n'ait pas aussitôt informé ses
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1 interlocuteurs ou les personnes autour de lui du nom de la personne qu'il
2 avait reconnue ?
3 M. Wagenaar (interprétation). - Vous avez tout à fait raison,
4 bien sûr. Il aurait été vraiment très utile pour moi si j'avais pu savoir,
5 si, immédiatement, il s'était écrié : "C'est Untel" parce que cela aurait
6 signifié une reconnaissance immédiate.Et par là, il n'y aurait plus pu
7 avoir de suggestions puisqu'il y aurait une référence qui aurait été
8 formulée.
9 Ici, je me trouve dans une situation dont on m'a dit qu'il en
10 avait fait état, mais beaucoup plus tard. Et à partir de cela, je ne peux
11 pas trancher dans la question de savoir s'il y a eu reconnaissance
12 immédiate ou pas.
13 Tout ce que je sais, c'est qu'il n'en a pas parlé immédiatement.
14 Il m'est impossible de déterminer s'il l'avait reconnu immédiatement, mais
15 avait de bonnes raisons de ne pas dévoiler cette information, ou s'il
16 avait reconnu non pas immédiatement, mais que progressivement, il s'était
17 aperçu de ce qu'il avait vu. Je ne peux pas opérer de distinction à partir
18 de ce qui m'a été fourni.
19 Question de la plus haute pertinence, bien sûr : il faudrait
20 bien sûr y répondre, mais moi, à partir des informations dont j'ai
21 disposé, je ne peux pas vous fournir de réponse.
22 M. Terrier. - Donc, en soi, le silence du témoin pendant un
23 certain temps ne conduit pas nécessairement à penser qu'il y ait eu
24 suggestion ?
25 M. Wagenaar (interprétation). - Non. Cela ouvre quelques
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1 possibilités, il faut déterminer ce qui s'est passé effectivement.
2 M. Terrier. - Monsieur l'expert, je vous remercie d'avoir
3 répondu à mes questions. Je n'ai pas d'autres questions, Monsieur le
4 Président.
5 M. le Président (interprétation). – Merci, Maître Terrier.
6 Maître Par ?
7 M. Par (interprétation). - Je n'ai pas de questions, Monsieur le
8 Président, je vous remercie.
9 M. le Président (interprétation). - Je crains malheureusement
10 avoir personnellement une petite question à vous poser, Monsieur le
11 Professeur. J'avais compris que vous étiez intéressé et concentré sur le
12 visage de la personne qu'il s'agissait de reconnaître. A un moment donné,
13 j'ai pris des notes et vous avez minimisé le mouvement et la posture.
14 Est-ce parce que vous êtes influencé par votre propre étude qui
15 portait sur les visages et des visages représentés dans des photos ? Parce
16 que je suis profane, bien sûr, moi je suis un homme de la rue, j'ai
17 l'habitude de déambuler dans des pays pas comme celui-ci, qui est très
18 plat, mais dans des reliefs vallonnés et je peux vous dire que, très
19 souvent, de loin, même à une distance de 50, 60, 70 mètres, on voit des
20 gens dont le visage n'est pas très clair, mais on fait quelquefois
21 attention au fait de savoir si la personne est grande, petite, chauve ou
22 très chevelue, mais ce qui est peut-être encore plus important, mince,
23 ronde ou ce genre de chose.
24 Et c'est ce type d'information qui me permet l'identification,
25 c'est l'entièreté du corps et non pas le visage qui me fait dire : "Voilà,
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1 cette personne correspond à tel ou tel nom". Et alors je dis : "Voilà,
2 cette personne m'est familière, personne que je vois depuis 10 ans dans la
3 région".
4 Cela m'est arrivé quelquefois en Toscane, quand je me promène.
5 Je vois des gens et étant donné ce faisceau de facteurs, je suis en mesure
6 de reconnaître la personne.
7 D'où ma question : est-il exact d'insister aussi sur le rôle
8 joué par les autres éléments qui, de concert avec le visage, vont peut-
9 être concourir à vous permettre de dire : "Oui, c'est effectivement
10 l'homme que je connais, et il est là-bas sur la colline, et je le vois
11 même s'il est dans un bosquet, dans un bois, dans une clairière, il
12 n'empêche que je le vois assez bien" ?
13 M. Wagenaar (interprétation). - Vous avez tout à fait raison,
14 Monsieur le Président, de tels effets existent, mais moi, je me suis
15 concentré non pas j'espère sur les études que j'ai menées, mais sur la
16 situation qui m'a été présentée dans le cadre du procès.
17 Et les traits suivants sont importants. Il y a plusieurs
18 personnes qui se tiennent debout à une distance de 60 mètres ; pour
19 déterminer leur taille, il faut quelques éléments de référence et il n'est
20 pas évident qu'il y avait un bon point de référence permettant de savoir
21 si ces personnes étaient petites ou grandes. La taille des personnes est
22 difficile à établir s'il vous manque des points de référence.
23 Ensuite, je n'ai pas de renseignements me permettant de dire que
24 la taille des personnes observées ait été en quelque façon que ce soit
25 remarquable, ce qui veut dire que même si vous avez bien perçu la taille,
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1 cela ne veut pas dire que c'est telle ou telle personne parce que si
2 beaucoup de personnes ont la même taille, ceci ne vous aide pas vraiment à
3 percevoir la taille que vous pourriez terminer avec des points de
4 différence.
5 Pareil pour la posture : certains, on les reconnaît facilement
6 parce qu''ils sont gros, gras ou maigres, un peu courbés, mais si
7 quelqu'un est normal, tout à fait normal, comment reconnaître une telle
8 personne à partir de la façon dont elle se tient ? Des données
9 expérimentales le prouvent, c'est là un exercice très difficile.
10 Voici en général comment se déroulent les expériences : on
11 établit une comparaison entre les scores de reconnaissance et plusieurs
12 situations.
13 La situation réelle : quelqu'un se déplace. La vie statique :
14 immobile, on exclut le mouvement. Situation suivante : à la télé,
15 mouvement à la télévision, puis situation sans mouvement à la télévision.
16 Ensuite, on passe à une situation où on a une photographie, photographie
17 du corps tout entier, et puis on a une photographie du seul visage.
18 Ce que vous constatez si vous créez de telles conditions, c'est
19 que les différences sont minimes ; l'apport du mouvement, de la posture,
20 de la taille, est minime par rapport à ce que l'on peut discerner à partir
21 d'un visage.
22 Et puis si on a une autre condition, on a dit qu'il a regardé
23 l'espace d'un instant ; la question est de savoir combien de mouvements
24 humains on peut apercevoir, percevoir, en l'espace d'un moment, si on
25 parle d'une seule fixation ; c'est ce dont je parle dans ma lettre ; en
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1 l'espace d'une fixation, on ne peut pas voir de mouvements, on voit, si
2 vous voulez, une image figée, arrêtée, et là, on ne peut pas dire grand-
3 chose du mouvement.
4 Moi je ne me suis pas concentré sur ces éléments-là de ce qu'il
5 y avait à voir, peut-être, sur les lieux parce que le visage joue, dans
6 une telle situation, un rôle tellement plus important que les autres
7 facteurs que, pour nous, la perception du visage, cet élément-là, serait
8 déterminant.
9 M. le Président (interprétation). - Je suppose que l'on ne verra
10 aucun inconvénient à ce que le témoin se retire. Merci, Professeur
11 Wagenaar, d'être venu déposer devant nous aujourd'hui, vous pouvez
12 disposer.
13 (Le témoin est reconduit hors du prétoire).
14 Avant de lever l'audience, un simple rappel : nous allons
15 reprendre nos travaux le 21 juin pour une semaine, puis nous allons faire
16 l'impasse sur la semaine suivante et nous reprendrons nos débats le
17 5 juillet jusqu'au 23 juillet. Un simple rappel.
18 L'audience est levée.
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20 L'audience est suspendue à 11 heures 35.
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