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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-95-16-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Mercredi 6 octobre 1999
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5 L'audience est ouverte 9 heures.
6 Mlle Lauer. - Affaire IT-95-16-T, le Procureur contre
7 Zoran Kupreskic, Mirjan Kupreskic, Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic,
8 Dragan Papic et Vladimir Santic.
9 M. le Président (interprétation). - Bonjour. Je vais demander au
10 témoin de prononcer la déclaration solennelle ?
11 Mme Sapina (interprétation). - Je déclare solennellement que je
12 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
13 M. le Président (interprétation). - Merci. Si j'ai bien compris,
14 aucune mesure de protection n'a été demandée, n'est-ce pas,
15 Madame Slokovic-Glumac ?
16 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Bonjour Monsieur le
17 Président, Madame et Messieurs les Juges.
18 Madame, Je vous prie de bien vouloir vous présenter, de nous
19 donner votre nom et votre prénom, votre année de naissance et le lieu où
20 vous habitez.
21 Mme Sapina (interprétation). - Je m'appelle Liljana Sapina, je
22 suis née le 7 septembre 1959 à Vitez où j'habite avec mon époux et mes
23 deux enfants. Je travaille comme employé administratif. Je suis née en
24 1955.
25 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Pourriez-vous me dire où
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1 vous habitez pour l'instant ?
2 Mme Sapina (interprétation). - A Vitez.
3 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Où avez-vous travaillé
4 avant la guerre ?
5 Mme Sapina (interprétation). - A l'usine Slobodan Princip Seljo
6 à Vitez depuis 1974 jusqu'à aujourd'hui.
7 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - A l'époque, vous avez
8 vécu à Vitez ?
9 Mme Sapina (interprétation). - Je n'ai pas vécu à Vitez depuis
10 toujours car j'étais sans emploi pendant un moment, car l'usine a licencié
11 un certain nombre de gens. Donc, en 1991, j'ai été licenciée et puisque
12 mon mari avait un travail en Croatie, nous sommes partis vers la fin de
13 1991 sur l'île de Brac.
14 De temps en temps, je me rendais à Vitez puisque c'est là que
15 vivait ma famille. Nous venions pendant les vacances des enfants, les
16 vacances scolaires. Je suis venue en 1992, au mois de juillet ou au mois
17 d'août. J'étais là au tout début du conflit, au milieu du mois de mars. Et
18 comme le conflit a éclaté juste peu de temps après, je n'ai pas pu revenir
19 en Croatie. Je suis rentrée en Croatie vers la fin du mois de mai.
20 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Ne nous racontez pas
21 tout d'un coup, s'il vous plaît. Essayez de donner des étapes à votre
22 récit. Quand avez-vous quitté Vitez ?
23 Mme Sapina (interprétation). - Vous voulez dire pendant le
24 conflit ?
25 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand avez-vous quitté
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1 Vitez en 1991 ?
2 Mme Sapina (interprétation). - Le 1er décembre ou le
3 2 décembre 1991, je suis partie à Brac.
4 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - De temps en temps vous
5 rentriez à Vitez, vous reveniez à Vitez ?
6 Mme Sapina (interprétation). - Oui parce que j'ai gardé mon
7 appartement à Vitez et comme cela je pouvais rendre des visites à ma
8 famille.
9 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Etes-vous restée pendant
10 une période plus longue à Vitez pendant cette période ?
11 Mme Sapina (interprétation). - Oui, en 1992 pendant l'été, au
12 mois de juillet et au mois d'août.
13 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand êtes-vous rentrée
14 à nouveau avant le conflit ?
15 Mme Sapina (interprétation). - Je suis rentrée vers le milieu du
16 mois de mars mais le conflit a éclaté, je n'ai pas pu revenir à temps en
17 Croatie. Je ne suis revenue en Croatie que vers la fin du mois de mai
18 1993.
19 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Est-ce que vous
20 connaissez (expurgé)?
21 Mme Sapina (interprétation). - Oui, je la connais. Nous étions
22 amies, nous étions de très bonnes amies, même des meilleures amies. Elle
23 était comme une soeur. Et nous sommes restées amies malgré tous les
24 événements, malgré tout ce qui s'est passé pendant la guerre, nous avons
25 continué à rester amies. Nous avons gardé le contact.
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1 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Depuis quand la
2 connaissez-vous et dans quelles circonstances ?
3 Mme Sapina (interprétation). - Nous avons travaillé ensemble
4 dans la même usine. J'ai commencé à travailler avant la guerre, elle a
5 commencé à travailler dans cet endroit vers 1981. C'est depuis ce temps-là
6 que notre amitié a commencé . Nous nous voyions au travail, nous nous
7 rendions visite.
8 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Connaissez-vous
9 Zoran Kupreskic ?
10 Mme Sapina (interprétation). - Oui, car il travaillait dans la
11 même usine que nous. Je l'ai rencontré pour des raisons de travail puisque
12 nous collaborions, nous travaillions dans le même service. C'est comme
13 cela que nous sommes devenus amis aussi. Je le connais bien, je le connais
14 très bien.
15 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Est-ce que vous voyiez,
16 avec Majda Sivro ensemble, Zoran Kupreskic ?
17 Mme Sapina (interprétation). - Oui car au début je travaillais
18 au même endroit et dans le même service que Majda Sivro. Après j'ai été
19 mutée dans un service où je collaborais plutôt avec Zoran Kupreskic.
20 Pendant les pauses, elle venait souvent me voir pour boire un café et
21 Zoran venait aussi. C'est comme cela que cette amitié entre nous trois,
22 Zoran, Majda et moi, est née. Parfois, quand nous nous voyions en dehors
23 de l'usine, nous nous asseyions quelque part dans un café dans la ville
24 pour boire un café ou un pot ensemble.
25 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous dites que vous avez
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1 été licenciée en 1991 ?
2 Mme Sapina (interprétation). - Vers le milieu de 1991.
3 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Est-ce que vous vous
4 rendiez de temps en temps encore à votre travail ?
5 Mme Sapina (interprétation). - Oui, j'étais obligée de revenir
6 au travail de temps en temps car il fallait que je donne mon accord pour
7 continuer à ne pas travailler. Parce que de temps en temps, on pouvait
8 échanger, c'est-à-dire quelqu'un d'autre était mis en attente d'un autre
9 travail, et moi je pouvais éventuellement revenir au travail. Mais moi,
10 j'avais accepté de rester sans travail et sans salaire pendant toute cette
11 période.
12 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Et Majda Sivro, est-ce
13 qu'elle aussi était en congés sans solde ?
14 Mme Sapina (interprétation). - Pour autant que je le sache,
15 quand je suis partie à Brac, je pense qu'elle a continué à travailler.
16 Peut-être qu'elle a pris un congé sans solde, peut-être une quinzaine de
17 jours car dans le service où elle travaillait on n'avait pas tellement
18 cette habitude. Il y avait toujours du travail là où elle travaillait.
19 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Et Zoran Kupreskic ?
20 Mme Sapina (interprétation). - Non car, lui, il s'occupait des
21 machines. Dans ce service, là aussi, il y avait toujours du travail et on
22 ne proposait pas aux gens de prendre des congés sans solde.
23 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand vous êtes rentrée
24 pour passer les vacances de printemps ? Au mois de mars 1993 ?
25 Mme Sapina (interprétation). - Oui.
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1 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Est-ce que vous avez
2 rencontré, ou est-ce que vous visitiez aussi Majda Sivro ou Zoran
3 Kupreskic ?
4 Mme Sapina (interprétation). - Oui, oui. Nous nous voyions car
5 je me rendais parfois à l'usine, et nous nous voyions aussi à Vitez, peut-
6 être plus souvent à Vitez. Nous ne nous voyions pas souvent, mais nous
7 nous voyions.
8 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Est-ce que vous vous
9 rappelez si on a parlé, à une occasion quelconque, de l'appartenance de
10 Zoran Kupreskic au HVO ?
11 Mme Sapina (interprétation). - Non, je ne me m'en souviens pas.
12 Je sais qu'on disait qu'il était très occupé, qu'il avait beaucoup de
13 travail, et qu'on parlait des gardes de village, car il avait des missions
14 pour assurer la sécurité dans le village.
15 Il parlait souvent du travail et de son association folklorique,
16 car cette association fonctionnait toujours à Vitez. Je me souviens qu'il
17 mentionnait cela, de temps en temps.
18 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - L'avez-vous vu, pendant
19 cette période-là, en uniforme ?
20 Mme Sapina (interprétation). - Non.
21 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Est-ce-qu’il vous a dit
22 qu'il se rendait sur les lignes de front contre les Serbes ?
23 Mme Sapina (interprétation). - Non, jamais. Jamais.
24 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous avez dit qu'en été
25 1992, vous étiez à Vitez ?
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1 Mme Sapina (interprétation). - Oui.
2 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous rappelez-vous si, à
3 cette époque-là, il y a eu une cérémonie de prestation de serment sur le
4 stade municipal de Vitez ?
5 Mme Sapina (interprétation). - Non, je ne me souviens pas de
6 cette cérémonie.
7 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Zoran Kupreskic a dit
8 dans sa déposition, devant ce Tribunal, qu'il vous a rencontrée après sa
9 prestation de serment, en compagnie de Majda Sivro, dans la ville ?
10 Mme Sapina (interprétation). - C'est peut-être possible, car
11 nous nous rencontrions de temps en temps, mais je ne savais pas... Nous
12 n'avons pas parlé de cette prestation de serment, donc je ne savais pas
13 d'où il venait.
14 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Où étiez-vous le
15 16 avril 1993 ?
16 Mme Sapina (interprétation). - J'étais dans mon appartement,
17 avec mes enfants et ma soeur ; ses enfants et son mari étaient là
18 également. C'est là que cela a commencé. C'était terrible, nous étions
19 tous dans l'appartement et nous ne savions pas où nous abriter car il n'y
20 avait pas de sous-sol dans cet immeuble. Nous sommes donc restés dans mon
21 appartement qui se trouvait au premier étage. Nous nous sommes tous
22 couchés par terre pour nous protéger, nous ne savions pas d'où venaient
23 les tirs. On entendait des coups de feu de partout, on pilonnait, on
24 entendait les sons d'obus, de balles.
25 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous rappelez-vous si
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1 l'armée s'est rendue dans votre appartement ce jour-là ?
2 Mme Sapina (interprétation). - Oui. A plusieurs reprises, deux
3 soldats venaient chez nous pour voir s'il y avait des hommes. Ils les
4 cherchaient sans doute pour des raisons de mobilisation, car je me
5 souviens que mon beau-frère avait demandé où il pouvait aller, et on lui a
6 dit d'aller au quartier militaire de son village, à Rijeka, dans le
7 village de Rijeka.
8 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - C'était donc le
9 16 avril ?
10 Mme Sapina (interprétation). - Oui, le premier jour.
11 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - A quelle heure ? Vous en
12 souvenez-vous ?
13 Mme Sapina (interprétation). - Il était peut-être 10 heures,
14 11 heures du matin, car tout cela a débuté assez tôt, vers 5 heures du
15 matin. Il était donc peut-être entre 10 heures et 11 heures, ou peut-être
16 midi.
17 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Pourriez-vous nous dire
18 où se trouvait Majda Sivro à cette époque ? Le savez-vous ?
19 Mme Sapina (interprétation). - Je le sais car je l'ai appelée,
20 mais je ne me souviens plus si je l'ai appelée ce même jour ou le
21 lendemain. Je l'ai appelé pour voir si tout allait bien. Elle m'a répondu
22 que tout allait bien, que son mari et ses enfants étaient avec elle, et
23 qu'il n'y avait pas de problème, que tout allait bien. C'était assez bref.
24 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand l'avez vous
25 entendue à nouveau ?
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1 Mme Sapina (interprétation). - C'est difficile de me rappeler
2 précisément le jour, mais en tout cas, c'était le troisième ou le
3 quatrième jour après le début du conflit. Elle m'a appelée, elle était
4 effrayée. J'ai compris, d'après sa voix, qu'elle était effrayée. Elle m'a
5 dit que son mari avait été emmené et qu'il était en détention quelque
6 part.
7 Nous pouvions sortir dans la ville, car les tirs s'étaient
8 calmés, et donc je suis allée la visiter chez elle, dans son appartement,
9 car son immeuble n'était pas trop loin de mon immeuble ; il était peut-
10 être à 200 mètres. Je suis donc allée la voir pour voir ses enfants, et je
11 l'ai invitée à venir chez moi pour qu'elle se sente mieux, pour qu'elle se
12 sente plus en sécurité, même si ce n'était pas très sûr chez moi non plus.
13 Mais elle n'a pas accepté, car elle avait peur que quelqu'un
14 entre dans son appartement, elle avait peur de perdre son appartement.
15 Elle m'a demandé si je pouvais venir coucher chez elle, puisque ma soeur
16 était dans mon appartement. J'ai accepté, même si j'avais peur de laisser
17 mes enfants tout seuls, sans moi, mais j'ai accepté pour l'aider.
18 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Combien de nuits avez-
19 vous passées dans son appartement ? Vous en souvenez-vous ?
20 Mme Sapina (interprétation). - Je ne peux pas vous répondre avec
21 exactitude, mais je pense qu'il s'agissait d'une dizaine de nuits, peut-
22 être plus. Il y a peut-être une ou deux nuits où je n'étais pas dans son
23 appartement, mais c'était vraiment parce que je ne pouvais pas le faire.
24 Je lui ai dit de m'appeler à quelque moment que ce soit, si elle
25 avait besoin d'aide, et qu'elle n'avait pas à avoir peur. Mais lorsque je
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1 lui disais cela, je le faisais uniquement pour la calmer, pour essayer de
2 la tranquilliser, même si la situation était dangereuse pour tout le
3 monde.
4 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Savez-vous où se
5 trouvait son époux à cette époque ?
6 Mme Sapina (interprétation). - Oui, je le sais. Elle m'a demandé
7 d'aller avec elle pour rendre visite à son mari, car elle avait peur. Son
8 mari était hébergé dans l'université des travailleurs, des ouvriers. Les
9 visites étaient permises, et on pouvait aussi leur apporter de la
10 nourriture. Elle avait tout de même peur d'y aller. Elle n'y est pas allée
11 à chaque fois avec moi, mais en tout cas, nous y sommes allées. Même si
12 c'était dangereux pour elle et pour moi, parce que cela se trouvait vers
13 la Mahala musulmane, il y avait un tireur embusqué à cet endroit, qui
14 était actif. Nous devions courir pendant tout ce temps-là.
15 Après, ils ont été transférés ailleurs. Ils ont été détenus dans
16 un autre endroit, à l'endroit du club d'échecs de Vitez. Là, les visites
17 n'étaient pas permises. Elle me disait qu'elle avait peur. Moi aussi, je
18 dois dire que j'avais peur, car l'immeuble où elle vivait, il y avait des
19 gardes près de cet immeuble et donc, nous partions là-bas ensemble, nous
20 leur donnions de la nourriture à travers les fenêtres. J'avais peur pour
21 moi, pour mes enfants, il y avait la guerre, donc c'était dangereux pour
22 tout le monde, mais je le faisais malgré tous les dangers, pour elle, pour
23 notre amitié.
24 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Est-ce que vous pensiez
25 que vous couriez un danger aussi par rapport au côté croate ?
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1 Mme Sapina (interprétation). - Oui, bien sûr. Je ne pouvais pas
2 vérifier les qualités humaines des gens. De toute façon, ces visites
3 étaient interdites. Quand les visites étaient permises, je n'avais pas
4 peur. Là, ce n'était pas le cas.
5 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). – Est-ce que (expurgé), à
6 l'époque, puisque vous avez passé beaucoup de nuits chez elle, est-ce
7 qu’elle vous a parlé des soldats qui seraient venus dans son appartement ?
8 Mme Sapina (interprétation). - Oui, elle m'a dit qu'un soir,
9 c'était un soir où je n'étais pas venue, peut-être que je n'ai même pas
10 passé la nuit chez elle cette nuit-là, elle m'a raconté que des soldats
11 étaient venus, qu'elle avait très peur et que ces soldats lui ont demandé
12 pourquoi elle était toujours là, pourquoi elle ne partait pas, pourquoi
13 elle restait à Vitez, pourquoi elle restait dans son appartement. Elle
14 avait peur. Je lui ai réitéré mon invitation à venir dans mon appartement
15 car je considérais que je ne pouvais pas l'aider d'une autre façon.
16 Donc, je ne pouvais pas l'aider, même si j'étais chez elle, je
17 ne pouvais pas empêcher quelqu'un de venir chez elle. La seule sécurité
18 que je pouvais lui proposer, c'était de l'inviter chez moi. Mais elle
19 voulait garder son appartement, elle voulait rester à cet endroit, car
20 elle ne savait pas ce qui allait arriver, elle ne savait pas où aller, que
21 faire avec ses enfants.
22 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous souvenez-vous de
23 l'époque où cela s'est produit ?
24 Mme Sapina (interprétation). - Si vous me demandez l'époque,
25 donc c'était toujours cette période, la période où je dormais chez elle.
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1 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Je pensais à cette
2 visite, la visite précise, la visite des soldats ?
3 Mme Sapina (interprétation). - Je dormais chez elle depuis un
4 moment déjà. Cela s'est produit un soir, une nuit où je n'ai pas dormi
5 chez elle. C'était une fois, quand elle a de nouveau refusé de venir à mon
6 appartement. Mais après, personne n'est arrivé. Le lendemain ou dans la
7 journée, donc, je disais que j’allais la voir malgré mes enfants qui
8 restaient dans mon appartement.
9 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand avez-vous
10 rencontré Zoran Kupreskic ? Pourriez-vous nous dire quand vous l'avez-
11 rencontré après que le conflit a éclaté ?
12 Mme Sapina (interprétation). - Je l’ai rencontré à l'extérieur
13 de Vitez, à Kamenjaca. Je vivais chez un ami. Il était dans la voiture
14 avec son épouse. Il s'est arrêté. Il m'a demandé comment cela allait, si
15 je voyais Majda, il m'a demandé aussi de l'aider le plus possible. Je lui
16 ai dit qu'elle était bien, qu'elle allait bien et que j'habitais dans son
17 appartement. Alors, il a dit : "Aide-la le plus que tu peux et si je peux,
18 je l'aiderai aussi".
19 J'étais vraiment contente qu'il l'ait dit, j'avais peur, mais
20 j’en avais un peu marre. C'est pas que j'en avais marre, mais j'avais ma
21 famille, mes propres soucis et je me disais que c'était bien que quelqu'un
22 d'autre puisse l'aider aussi, puisse s'occuper un peu d'elle. Et quand je
23 suis allée chez elle, je lui ai raconté cela. Elle m'a dit quelle aimerait
24 bien aussi discuter avec Zoran. Et donc elle m'a proposé, puisqu'ils m'ont
25 dit qu'ils étaient dans la maison des Garic chez Jerolim et chez leurs
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1 parents... Ils m'avaient dit qu'ils étaient assez nombreux là-bas, qu'il y
2 avait Mirjan, l'épouse de Mirjan et puis les enfants de Mirjan, Ljubo et
3 la mère de Ljubo. Donc, elle a dit que peut-être ils pourraient venir
4 habiter chez elle, car elle savait qu'elle me dérangeait et que mes
5 enfants avaient besoin de moi aussi.
6 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Pourriez-vous situer
7 cela dans le temps ?
8 Mme Sapina (interprétation). - Le moment où j'ai rencontré
9 Zoran ?
10 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Oui.
11 Mme Sapina (interprétation). - C'était le dixième ou le onzième
12 jour après le début du conflit.
13 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Après cette rencontre,
14 vous avez dit à Majda Sivro que Zoran avait dit qu'il était prêt à
15 l'aider ?
16 Mme Sapina (interprétation). - Oui.
17 (expurgé), je suis allé chez le frère
18 de ma marraine, chez Garic. Je lui ai demandé de m'accompagner, car vous
19 savez, ce n'était pas très sûr de circuler, pour se rendre jusqu'à la
20 maison de Jadranka, car il y avait des tireurs embusqués. Nous avons donc
21 pris des chemins plus longs. Nous n'avons pas pris le chemin direct pour
22 nous rendre à la maison de Jadranka, car nous pouvions aussi être tués si
23 nous circulions dans la ville.
24 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Pourriez-vous ralentir
25 s'il vous plaît ? Donc après, vous êtes allée jusqu'à la maison de
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1 Jerolim ?
2 Mme Sapina (interprétation). – Oui, c'était au moment où Majda
3 m'a dit qu'elle voulait les inviter chez elle.
4 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Avez-vous parlé à Zoran
5 à l'époque ? Etait-il là ?
6 Mme Sapina (interprétation). – Oui, l'épouse de Zoran était là,
7 l'épouse de Mirjan était là. J'ai déjà dit que la mère de Ljubo était là
8 et ses enfants, peut-être qu'ils étaient... J'ai raconté ce que Majda m'a
9 dit. Je leur ai fait part de sa proposition.
10 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand vous dites "eux",
11 vous pensez à Zoran et son épouse, ou à quelqu'un d'autre ?
12 Mme Sapina (interprétation). - Je pense à Zoran et Mira. Je ne
13 me souviens pas exactement. Ils sont venus à la fin, ils n'étaient pas
14 dans l'appartement au début. Mais je ne me rappelle pas si j'ai parlé avec
15 eux. Donc, quand j'ai dit "eux", j'ai dit qu'eux devaient voir Majda et
16 donc se mettre d'accord avec elle.
17 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Après, qu'avez-vous
18 fait ? Donc après, qu'avez-vous fait ? Etes-vous allée à nouveau chez
19 Majda ? Avez-vous dit ce qui s'est passé chez elle ?
20 Mme Sapina (interprétation). - Je suis allé chez Majda, je lui
21 ai dit que Zoran était là, que j'avais vu Zoran et qu'il viendrait
22 discuter avec elle. Les jours suivants, je suis allée chez elle et j'ai vu
23 qu'il y avait un morceau de papier où c'était écrit : "Zoran Kupreskic".
24 Elle m'a dit que Zoran était venu chez elle, qu'il lui avait laissé son
25 laissez-passer, sa pièce d'identité, et qu'il a écrit aussi sur la porte
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1 "Zoran Kupreskic" pour que l’on voie que c'était un Croate qui était là,
2 qui vivait là, et pour qu'on ne la dérange plus. Elle avait donc aussi ce
3 document qu'elle pouvait montrer en cas de besoin.
4 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand Zoran est-il allé
5 à nouveau chez Majda ?
6 Mme Sapina (interprétation). - Peut-être le lendemain, déjà il
7 est venu avec son épouse. Moi, j'étais là quand ils sont arrivés, lui, son
8 épouse et leurs enfants.
9 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - A quelle heure cela
10 s'est-il produit ?
11 Mme Sapina (interprétation). - Dans l'après-midi, je crois que
12 c'était dans l’après-midi. Je ne m'en souviens pas avec précision.
13 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Est-ce que vous avez
14 entendu dire que Zoran, son épouse et ses enfants allaient rester chez
15 Majda Sivro ?
16 Mme Sapina (interprétation). - Non, pas à cette occasion, car je
17 ne suis pas restée tout le temps. Je suis partie et je pense qu'ils ont
18 passé cette nuit-là dans l'appartement de Majda. Ils ont passé encore
19 d'autres nuits dans cet appartement, peut-être pas toutes les nuits parce
20 que moi aussi j'y allais de temps en temps -car quand elle n'avait pas
21 besoin, je n'y allais pas, mais quand elle avait besoin de moi j’allais
22 chez elle à nouveau.
23 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - A l'époque où vous étiez
24 chez Majda Sivro, aux occasions où vous étiez chez elle et quand l'épouse
25 de Zoran était là, est-ce qu'on parlait des événements d'Ahmici : qui
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1 était où, ce qui se passait ?
2 Mme Sapina (interprétation). - Oui, on parlait de la façon dont
3 nous avons vécu ces événements, qui se trouvait où, etc. Je sais que
4 l'épouse de Zoran était là et Zoran y était aussi de temps en temps. Mais
5 de temps en temps il sortait aussi pour se promener avec son enfant. Il
6 nous laissait toutes les trois ensemble. Je sais que l'épouse de Zoran
7 disait qu'ils se sont retirés dans la partie du village qui était sous le
8 contrôle croate, Zume, au tout début du conflit, que les tirs et les coups
9 de feu étaient terribles, que tout le monde avait peur.
10 Je me souviens qu'elle a dit que l'épouse de Mirjan est partie à
11 Rovna deux ou trois jours plus tard et que Mirjan était resté là-bas.
12 Encore quelques jours plus tard, deux ou trois jours plus tard, ils sont
13 partis à nouveau ensemble à Kamenjaca, que Zoran était tout près, qu'il
14 les a donc aidés à sortir avec leur famille. En tout cas c'est ce que j'ai
15 entendu dire pour l'essentiel. Tout le monde était non loin de ces
16 habitations, de ces maisons.
17 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Est-ce que son épouse
18 lui a raconté plus en détail où elle est allée, dans la maison de qui ? Ou
19 l’a-t-elle dit en passant uniquement ?
20 Mme Sapina (interprétation). - Peut-être qu'elle me l’a raconté,
21 mais je ne me rappelle vraiment pas les détails.
22 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Avez-vous parlé d'Ahmici
23 avec Zoran, des événements survenus à Ahmici ?
24 Mme Sapina (interprétation). - En fait non, parce que la
25 situation était terrible pour nous tous. Nous savions tous ce qui s'était
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1 passé, mais nous l'avons appris après les événements. Moi non plus, je
2 n'aimais pas en parler parce que ce jour-là nous ne cessions de pleurer
3 dans la maison en parlant ou en pensant à ces événements qui s'étaient
4 produits si près de nous, ces événements dépourvus d'humanité et si durs
5 pour les femmes et les enfants.
6 Penser que quelque chose d'anormal s'était passé était très
7 difficile, donc je n'en ai pas parlé avec Zoran, j'en ai parlé un petit
8 peu avec Majda, mais peu. Je sais que lui aussi nous a dit qu'il avait
9 appris cela après les faits, qu'il trouvait cela horrible et qu'il n'avait
10 pas envie d'en parler.
11 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous rappelez-vous si
12 Majda a parlé d'un coup de téléphone qu'elle aurait reçu de Zoran au début
13 du conflit ?
14 Mme Sapina (interprétation). - Je sais qu'un jour je suis allée
15 la voir, elle m'a dit que Zoran l'avait appelée. Moi aussi, je l'avais
16 appelée pour vérifier que tout allait bien. Et elle m'a dit qu'il lui
17 avait demandé s'il y avait quelqu'un qui pouvait l'aider dans son
18 voisinage au cas où il y aurait des problèmes. Il lui a dit qu'il fallait
19 qu'elle prenne soin d'elle, c'est ce qu'elle m'a raconté.
20 Entre autres, il a aussi posé des questions à mon sujet parce
21 qu'il savait que j'étais dans ce même secteur, et qu'en fait je n'avais
22 pas eu de chance de me trouver là. Eux étaient là, d'accord, mais moi, le
23 fait que je me sois trouvée là c'était vraiment un manque de chance. C'est
24 donc ce qu'elle m'a raconté.
25 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous a-t-elle dit à quel
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1 moment elle a reçu ce coup de téléphone ?
2 Mme Sapina (interprétation). - Non, vraiment je n'arrive pas à
3 me rappeler à quel moment exactement elle m'a parlé de ce coup de
4 téléphone, à quel moment a eu lieu ce coup de téléphone. Mais elle m'a dit
5 qu'il l'avait appelée quand je me suis trouvée chez elle et que j'ai
6 appris que son mari avait été arrêté. Cela devait donc se situer aux
7 alentours du troisième jour après le début du conflit.
8 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Dites-moi, vous avez
9 déclaré que Zoran Kupreskic et sa femme avaient passé quelques nuits, deux
10 ou trois nuits, n'est-ce pas, dans cet appartement ?
11 Mme Sapina (interprétation). - Oui.
12 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Et vous avez déclaré
13 que, lorsque lui ne pouvait pas être là, vous y faisiez un saut de temps
14 en temps ?
15 Mme Sapina (interprétation). - Oui.
16 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Mais après cela, qui
17 s'est trouvé avec Majda Sivro dans cet appartement ?
18 Mme Sapina (interprétation). - Eh bien, Majda m'a appelée encore
19 une fois un certain jour, et m'a dit que Mira, la femme de Zoran, ne
20 pouvait pas rester plus longtemps avec elle. Elle aurait voulu que ma
21 soeur aille habiter avec elle, et comme ma soeur était avec moi, que cela
22 ne la gênait pas -je veux dire, pour elle, c'était la même chose, elle
23 souhaitait apporter son aide-, elle est donc allée chez elle et elle a
24 habité avec elle jusqu'à son départ pour Zenica.
25 Ensuite, c'est moi qui m'arrêtais très souvent chez elle parce
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1 que ma soeur était avec elle, avec mes enfants. Elle aussi était sur le
2 point de partir. Elle m'a appelé un jour, elle m'a dit qu'elle allait
3 partir et qu'il y aurait un échange avec son mari, qu'ils allaient tous à
4 Zenica et qu'ils seraient échangés contre des Croates qui souhaitaient
5 revenir, qu'il y avait eu un accord signé à ce sujet. Donc, elle m'a
6 appelée pour me dire au revoir.
7 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Pourriez-vous parler un
8 peu plus lentement ?
9 Mme Sapina (interprétation). - Je vous prie de m'excuser.
10 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Elle vous a appelée pour
11 vous dire qu'elle partait, n'est-ce pas, Majda Sivro ? Au moment où elle
12 partait pour Zenica ?
13 Mme Sapina (interprétation). - Oui, elle m'a appelée pour me
14 dire qu'elle partait, pour me dire au revoir.
15 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand vous êtes allée
16 dans son appartement, y avez-vous trouvé d'autres personnes ?
17 Mme Sapina (interprétation). - Il y avait pas mal de monde. Il y
18 avait ma soeur, ses enfants, Zoran qui étaient venus lui dire au revoir ;
19 une voisine, d'ailleurs une ou deux voisines. Je suis allée chez elle avec
20 mon mari pour l'aider un petit peu, lui porter quelques bagages. Elle a
21 emporté tout ce qu'elle pouvait emporter, pour elle, pour ses enfants et
22 pour son mari. Est-ce que je peux ajouter quelque chose ?
23 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Je vous en prie.
24 Mme Sapina (interprétation). - Je ne sais pas ce que cela vaut
25 mais je tiens à dire que nous étions vraiment de très bonnes amies.
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1 J'avais un peu d'argent sur moi. Je savais qu'elle allait à Zenica, je
2 savais qu'elle n'avait rien de sûr qui l'attendait à Zenica, donc je lui
3 ai donné un peu d'argent, 100 deutche Marks. Elle a protesté, elle n'a pas
4 voulu accepter et m'a dit : "Toi aussi, tu en auras besoin". Et moi, je
5 lui ai dit : "Ecoute, moi je reste chez moi dans mon appartement. Toi, tu
6 vas dans l'inconnu donc, je t'en prie, prends cet argent". Et elle l'a
7 pris et nous nous sommes dit au revoir. Nous étions amies comme toujours.
8 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Cent deutche Marks, à ce
9 moment-là, c'était beaucoup d'argent ?
10 Mme Sapina (interprétation). - Oui, puisque juste avant le
11 conflit, le salaire moyen à l'usine Princip -enfin je ne vais peut-être
12 pas citer un chiffre absolument exact- tournait autour de 20 deutche
13 Marks. Il était très peu élevé.
14 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - A quel moment à peu près
15 Majda Sivro est-elle partie pour Zenica ?
16 Mme Sapina (interprétation). - Elle est partie à la mi-mai,
17 dirais-je, enfin je ne me rappelle pas avec précision, mais je crois que
18 c'est sans doute cela parce que je suis partie en Croatie à la fin du mois
19 de mai, donc peu de temps après et cela me sert de point de repère.
20 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Il y a une erreur au
21 transcript anglais, pourriez-vous répéter votre réponse ? A non ! Cela va,
22 tout va bien. Je vous prie de m'excuser.
23 Donc Majda Sivro est partie à Zenica avec son mari, et l'échange
24 les a concernés tous les deux, n'est-ce pas ?
25 Mme Sapina (interprétation). - C'est cela.
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1 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Avez-vous eu des
2 contacts avec elle à partir du moment où elle s'est installée à Zenica ?
3 Mme Sapina (interprétation). - Elle m'a appelée le jour même ou
4 le lendemain, je ne me rappelle pas exactement. Elle m'a appelée pour dire
5 qu'elle avait trouvé un logement. Elle habitait chez le frère de son mari.
6 Elle m'a rappelée par la suite pour nous demander comment nous allions et
7 me dire de faire attention. Ces mots-là, je les ai interprétés à ma
8 manière parce que j'ai cru comprendre qu'une fois arrivée à Zenica elle a
9 été mieux informée de la situation, et elle m'a dit de faire attention
10 pour éviter que nous ne soyons tués. Elle était au courant des
11 pilonnages.
12 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Mais qu'est-ce qui a été
13 pilonné ?
14 Mme Sapina (interprétation). - Vitez et Zenica.
15 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous avez dit qu'ensuite
16 vous avez quitté Vitez peu de temps après le départ de Majda Sivro ?
17 Mme Sapina (interprétation). - Oui.
18 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Mais Vitez était
19 encerclé à ce moment-là. Comment avez-vous fait ?
20 Mme Sapina (interprétation). - J'ai déjà dit que mon mari avait
21 un travail en Croatie. J'étais à Vitez avec les enfants, le conflit a
22 commencé, et durant la guerre, il a réussi, grâce à la Forpronu ou je ne
23 sais pas exactement grâce à qui, à revenir pour essayer de nous chercher
24 et de nous faire partir avec lui. C'est ce qu'il a réussi à faire puisqu'à
25 la fin du mois de mai nous sommes partis en Croatie à bord d'un
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1 hélicoptère.
2 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand êtes-vous revenue
3 à Vitez plus tard ?
4 Mme Sapina (interprétation). - Je suis revenue à Vitez au mois
5 de septembre 1994. Et je n'ai plus quitté Vitez.
6 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous êtes arrivée à
7 Vitez à ce moment-là pour y vivre de façon permanente ?
8 Mme Sapina (interprétation). - Oui.
9 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Avez-vous eu des
10 contacts avec (expurgé) ensuite ?
11 Mme Sapina (interprétation). - Oui, même pendant la guerre, elle
12 avait mon numéro, elle m'appelait chez des voisins. Ce n'était pas mon
13 numéro, c'était le numéro de voisins. Mais elle m'a appelée chez les
14 voisins y compris pendant la guerre, et encore plus bien sûr quand je suis
15 revenue à Vitez. Nous avons donc maintenu des contacts téléphoniques.
16 Elle est venue me voir chez moi. Je suis allée à Zenica pour lui
17 rendre visite, je n'ai pas habité dans le même appartement qu'elle. Mais
18 ma fille, à ce moment-là, a eu un enfant à Zenica en 1996. Quand j'ai eu
19 de meilleures conditions matérielles, parce qu'à Zenica personne n'était
20 tout à fait sûr, j'ai insisté pour qu'elle vienne me voir si elle avait
21 besoin de quelque chose.
22 Elle m'a aidé d'ailleurs au moment de l'accouchement de ma fille
23 et pendant le mois qui a suivi, parce que ma fille a dû passer pas mal de
24 temps à l'hôpital. Elle a donc aidé ma fille sur le plan matériel
25 alimentaire, etc. Et puis elle m'informait de la situation. Elle aussi,
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1 avant cela, venait à Vitez parce qu'elle avait besoin de venir chercher
2 certains objets qu'elle avait laissés et qui étaient restés chez ma
3 soeur : des vêtements, des appareils qu'elle avait laissés et qu'elle
4 voulait emporter avec elle.
5 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Savez-vous si
6 (expurgé) et Zoran Kupreskic se sont revus depuis la guerre ?
7 Mme Sapina (interprétation). - Je ne sais pas exactement. La
8 seule chose que je sais, c'est que Zoran un jour m'a demandé de me
9 renseigner auprès de (expurgé) pour savoir si elle serait prête à faire une
10 déclaration en sa faveur, à lui, parce qu'un avocat lui avait dit que le
11 témoignage d'un Musulman était plus important à ses yeux que celui de
12 cent Croates.
13 Donc, il m'a demandé à ce moment-là d'organiser un rendez-vous
14 avec (expurgé), ce que j'ai fait. J'ai fait ce qu'il fallait, mais est-ce
15 qu'ils se sont vus ? Je ne sais pas.
16 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Mais se sont-ils
17 rencontrés en d'autres occasions ? Cela, vous ne le savez pas ?
18 Mme Sapina (interprétation). - Je ne sais pas vraiment.
19 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Ce jour-là où Zoran vous
20 a demandé de parler à (expurgé), savez-vous s'ils se sont vus ?
21 Mme Sapina (interprétation). - Oui, parce que j'ai appelé (expurgé)
22 et elle est venue chez moi deux ou trois jours plus tard dans mon
23 appartement. Nous étions tous ensemble. C'est à ce moment-là qu'il a parlé
24 avec elle.
25 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Qu'est-ce que Zoran a
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1 demandé à (expurgé)ce jour-là ?
2 Mme Sapina (interprétation). - Zoran a d'abord demandé à (expurgé)
3 si elle savait qu'un acte d'accusation avait été dressé à son encontre.
4 Elle a répondu que oui, elle le savait. Il lui a demandé alors si elle
5 pourrait faire une déclaration pour dire qu'il l'avait aidée pendant la
6 guerre parce que cela serait très utile pour lui. Elle a répondu
7 immédiatement qu'elle ferait cette déclaration mais qu'elle avait peur
8 d'être un témoin au procès, qu'elle était d'accord pour faire une
9 déclaration et dire ce qui s'était passé mais qu'elle craignait d'aller à
10 La Haye. Elle savait où cela se passerait pour témoigner.
11 Elle a dit à ce moment-là qu'elle avait peur pour sa famille.
12 Elle a raconté un événement au cours duquel elle avait parlé de Zoran à
13 des Musulmans qui l'entouraient à Zenica, qu'elle avait dit que c'était un
14 homme très bon, un homme qu'elle appréciait, et que la réaction de ces
15 personnes a consisté à lui dire qu'elle ferait mieux de faire attention et
16 que la réaction a été négative. Elle a répondu qu'il y avait des gens bons
17 et mauvais de tous les côtés. Mais la réaction a continué à être négative,
18 elle a donc dit qu'elle avait peur pour sa famille.
19 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Elle avait peur de venir
20 témoigner en raison des éventuelles conséquences ?
21 Mme Sapina (interprétation). - Oui.
22 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Quand cela s'est-il
23 passé, d'après vous ?
24 Mme Sapina (interprétation). - C'était au cours de l'été 1997.
25 La date exacte, je ne me la rappelle pas, mais c'était au cours de
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1 l'été 1997.
2 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous rappelez-vous quels
3 ont été les autres sujets de la conversation ce jour-là, en dehors de
4 cette déclaration ou de ce témoignage qui lui était demandé en faveur de
5 Zoran ?
6 Mme Sapina (interprétation). - Je me rappelle que Zoran a dit à
7 (expurgé) deux ou trois fois qu'il ne lui demandait que de dire la vérité,
8 rien d'autre. Il lui a dit cela deux ou trois fois. Il lui a dit qu'elle
9 n'avait pas besoin d'avoir peur, parce que ce qu'elle devrait dire dans sa
10 déclaration ne serait que la vérité.(expurgé), à ce moment-là, m'a interrogée
11 au sujet de mon frère notamment qui avait disparu à Mahala, à Vitez
12 pendant la guerre. Et elle m'a demandé si Marija, sa sœur, avait retrouvé
13 mon frère à Vidovici. J'ai répondu que non et qu'à partir du dernier
14 endroit où on l'avait vu, il n'y avait eu aucune nouvelle supplémentaire.
15 J'ai interrogé (expurgé) au sujet de son frère aussi. Elle m'a dit :
16 "Je n'ai jamais eu de nouvelles à son sujet, je ne l'ai pas retrouvé". Et
17 Zoran a demandé si elle savait s'il avait été détenu, et notamment dans
18 l'école de Dubravica. Et puis il a ajouté qu'il essaierait de trouver des
19 renseignements et que s'il en obtenait, il ferait tout pour que les choses
20 s'améliorent, qu'il l'informerait si on le retrouvait quelque part. Cela,
21 je me rappelle.
22 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). – A-t-il été question du
23 fait que (expurgé), pourrait éventuellement trouver des gens à Vitez, des
24 Bosniens, des Musulmans qui étaient à Zenica à l'époque et qui pourraient
25 aussi témoigner en faveur de Zoran ?
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1 Mme Sapina (interprétation). - Je ne me rappelle pas exactement.
2 Je crois qu'il a été question de cela, effectivement. Mais de quelle
3 personne exactement il a été question, cela, je ne me rappelle pas. Mais
4 je sais qu'ils ont parlé de cela effectivement, puisqu'elle m'a dit
5 qu'elle avait parlé avec pas mal de gens, qu'elle avait trouvé pas mal de
6 gens qui pensaient comme elle, qui pensaient que Zoran n'aurait pas pu
7 faire des choses pareilles. C'était des gens qui le connaissaient parce
8 qu'ils avaient tous travaillé dans notre usine par le passé. Ils étaient
9 partis à Zenica en même temps qu'elle. Ils étaient assez nombreux à le
10 connaître, là-bas.
11 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Après cela, avez-vous
12 eu, dans votre appartement, d'autres rencontres avec (expurgé), en
13 rapport avec ce témoignage ?
14 Mme Sapina (interprétation). - A partir de cette date, elle
15 n'est plus revenue dans mon appartement. Nous nous sommes parlé un certain
16 nombre de fois au téléphone. Vous voulez que je raconte ?
17 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Oui, dites.
18 Mme Sapina (interprétation). - Quand Mirjana, "Mira", la femme
19 de Zoran Kupreskic, a dit qu'elle devrait faire cette déclaration devant
20 les avocats parce que les avocats étaient à Vitez, elle m'a demandé
21 d'établir un contact avec (expurgé), pour voir quand elle pouvait venir à
22 Vitez, dans quelles conditions, etc.. J'ai appelé (expurgé), je me suis rendue
23 compte qu'elle était réticente, qu'elle avait peur de faire cette
24 déposition. C'est la conclusion que j'ai tirée.
25 D'abord, elle m'a dit qu'elle n'avait pas le temps. Je lui ai
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1 donc proposé de venir chez elle avec les avocats mais cela non plus, cela
2 ne lui paraissait pas satisfaisant. Elle a éludé tout cela. J'ai donc
3 appelé Mira pour lui dire que (expurgée)
4 Mira m'a alors demandé d'intervenir auprès de (expurgée)
5 (expurgée)
6 (expurgée)
7 (expurgée)
8 (expurgée)
9 (expurgée)
10 (expurgée). Mira m'a demandé de la rappeler, je me suis rendu
11 compte qu'elle était très, très réticente. Chaque fois que je l'appelais,
12 elle manifestait davantage de réticence. (expurgée)
13 (expurgée)
14 (expurgée). Et un soir, j'ai réussi à l'avoir
15 au bout du fil.
16 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). – Un instant, je vous
17 prie. Dites-moi, qui vous a appelé en rapport avec cette déclaration,
18 parce que dans le compte rendu anglais, il y a une erreur ?
19 Mme Sapina (interprétation). – Mirjana, la femme de Zoran. Je
20 l'appelle "Mira", mais c'est un diminutif, son prénom exact est Mirjana.
21 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Au compte rendu anglais,
22 nous lisons le prénom Mirjan. Or, le prénom qui doit s'inscrire n'est pas
23 Mirjan, mais Mirjana, le prénom d'une femme, Mirjan étant un prénom
24 masculin.
25 Vous avez donc eu de nouveaux contacts avec (expurgée), mais
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1 que vous a-t-elle dit à la fin ?
2 Mme Sapina (interprétation). - Finalement, quand j'ai réussi à
3 l'avoir au bout du fil, elle m'a dit que vraiment, elle ne pouvait rien
4 faire, qu'elle ne pouvait même pas soumettre cette déclaration écrite,
5 qu'elle recevait des coups de fil anonymes, des menaces, qu'elle était
6 harcelée au téléphone, qu'elle ne pouvait même plus parler au téléphone
7 avec moi. Et j'en ai conclu que certains des siens, des Musulmans,
8 voulaient lui interdire de faire une telle déclaration. C'est la
9 conclusion que j'en ai tiré, parce que qui d'autre aurait pu la menacer ?
10 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - A quel moment cela
11 s'est-il passé ? Pouvez-vous tenter de le déterminer ?
12 Mme Sapina (interprétation). - Cela s'est passé très peu de
13 temps avant la déclaration que j'ai faite moi-même, c'est-à-dire au mois
14 de mars… j'ai un blocage... 1998. J'ai donc fait ma déposition en
15 mars 1998 et donc cela a dû se passer en février, parce que j'ai décidé de
16 faire ma déposition en voyant qu'elle ne pouvait pas faire la sienne.
17 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Vous a-t-elle parlé
18 davantage de ces pressions, de ces menaces venant de la partie musulmane ?
19 Mme Sapina (interprétation). - Ce jour-là, elle ne m'en a pas
20 dit davantage, mais le lendemain ou quelques jours plus tard, je ne m'en
21 rappelle vraiment pas exactement, elle m'a rappelée et m'a dit qu'elle
22 n'appelait pas de chez elle, mais qu'elle appelait d'un autre téléphone.
23 Elle tenait à me dire qu'elle regrettait beaucoup, mais que vraiment elle
24 n'osait pas faire cette déposition parce qu'elle avait vécu quelque chose
25 de très désagréable. Elle m'a dit qu'on lui avait proposé de faire quelque
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1 chose, et que cela elle ne le ferait pour rien au monde.
2 A ce moment-là, j'ai compris que ce qui était en cause, c'est ce
3 que j'ai dit, ce que j'ai pensé il y a quelques instants, à savoir qu'on
4 lui avait demandé une déclaration contre Zoran, et non pas en faveur de
5 Zoran. C'est ce que j'ai cru comprendre et à partir de ce jour-là, je n'ai
6 plus jamais appelé. Je ne voulais pas troubler sa tranquillité ou la
7 mettre dans une situation désagréable. Donc, c'est moi qui ai fait une
8 déclaration, et elle et moi n'avons plus jamais parlé de cela ensemble.
9 Mme Slokovic-Glumac (interprétation). - Après cela, c'est-à-dire
10 durant le reste de l'année 1998 et en 1999, à l'occasion des contacts que
11 vous avez eus avec elle, avez-vous appris qu'elle avait été menacée par
12 d'autres personnes en relation avec sa venue à La Haye, son éventuelle
13 déposition, etc. ?
14 Mme Sapina (interprétation). - Je vous ai dit tout ce que je
15 sais, je n'ai pas eu d'autres informations par la suite.
16 (expurgée)
17 (expurgée)
18 (expurgée)
19 Audience huis clos
20 (expurgée)
21 (expurgée)
22 (expurgée)
23 (expurgée)
24 (expurgée)
25 (expurgée)
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12 Pages 11838 à 11855 – expurgées – audience à huis clos partiel.
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12 Pages 11856 à 11868 – expurgées – audience à huis clos.
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25 L'audience est levée à 11 heures 30.