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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-16-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Mardi 09 novembre 1999
4 L'audience est ouverte à 09 heures 10.
5 Mlle Lauer. - Affaire IT-95-16-T, le Procureur contre Zoran
6 Kupreskic, Mirjan Kupreskic, Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic, Dragan
7 Papic et Vladimir Santic.
8 M. le Président. - Merci. Bonjour, Maître. Maître Terrier ?
9 M. Terrier. - Bonjour, Monsieur le Président, bonjour Madame le
10 Juge, bonjour Monsieur le Juge.
11 Je voudrais commencer mes conclusions finales en évoquant très
12 brièvement les témoins de l'accusation et en particulier ceux qui sont
13 venus de Bosnie pour déposer devant ce Tribunal. Ce que nous savons de ce
14 qui s'est passé à Ahmici le 16 avril, nous le savons pour l'essentiel par
15 le moyen de leur déposition.
16 Les témoins de l'accusation, à la différence d'ailleurs des
17 témoins de la défense, ont tous ou presque tous, préalablement à leur
18 déposition devant ce Tribunal, fait des déclarations écrites souvent même
19 plusieurs déclarations écrites à des époques différentes. Tous, et c'est
20 très légitime, ont été confrontés ici à ces déclarations écrites et
21 quelquefois, leur crédibilité a été mise en cause.
22 Quels que soient les sentiments que certains de ces témoins ont
23 pu susciter dans cette salle, et parmi les Juges de ce Tribunal, je pense
24 qu'il aura été démontré que ces témoins venus de Bosnie n'ont pas fomenté
25 ensemble un complot contre la vérité, et qu'au contraire tous sont venus
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1 de Bosnie pour obtenir la justice et pour établir la vérité, cela pour
2 leur communauté, leur village, leur famille et leurs proches disparus.
3 Mais je dois dire aussi au début de mes conclusions que les
4 accusés, à mon sens, n’ont pas aidé à la manifestation de la vérité.
5 Certains d'entre eux, et je pense à ceux qui se sont exprimés au cours de
6 leur témoignage, ont reconnu qu'un crime très grave avait été commis à
7 Ahmici le 16 avril 1993. Ils ont reconnu qu'un certain nombre de personnes
8 non combattantes ont été tuées. Mais il ne me semble pas, et la lecture
9 des conclusions écrites de la défense me le confirme, il ne me semble pas
10 que ces accusés aient renoncé à l'allégation de combat, à l'allégation
11 d'une résistance armée à Ahmici comme si la résistance opposée par la
12 victime pouvait constituer une circonstance atténuante pour l'agresseur.
13 Ce qui est certain à la fin de ce procès, comme cela
14 apparaissait avant même le début de ce procès, c'est que l'action engagée
15 à Ahmici le 16 avril 1993, quelle qu’elle soit, aujourd'hui, personne ne
16 la revendique et nous devons considérer que si c'était un combat, c'était
17 un combat douteux, si c'était une victoire des armes, c'était une victoire
18 honteuse, qu'aucun ordre n'a commandé cette opération, qu'aucun rapport
19 n'en rend compte.
20 Dans mes conclusions, je voudrais d'abord évoquer l'attaque qui
21 a été conduite le 16 avril 1993 par les forces armées du HVO contre la
22 population civile musulmane d'Ahmici et en préciser le bilan qui me paraît
23 indiscutable.
24 Je voudrais ensuite, en me rapprochant du droit qu'applique ce
25 Tribunal, définir les caractères de l'agression perpétrée contre la
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1 population civile musulmane d'Ahmici.
2 J'évoquerai ensuite les preuves qui ont été rassemblées au cours
3 de ce procès contre chacun des accusés.
4 Et enfin, l'accusation présentera ses recommandations sur les
5 peines qui lui paraissent devoir être prononcées contre chacun des
6 accusés.
7 Pour évoquer d'une manière aussi véridique que possible
8 l'attaque lancée le 16 avril contre la population civile d'Ahmici, le plus
9 légitime est certainement d'évoquer des tragédies individuelles. Bien
10 entendu, autant de victimes, autant de tragédie individuelle, mais
11 certains des témoignages reçus par ce Tribunal plus que d'autres ont
12 permis de comprendre l'horreur de ce qui s'est passé à Ahmici le 16 avril,
13 de lui donner toute sa substance et toute sa signification.
14 J'évoquerai en peu de mots trois des témoignages reçus par ce
15 Tribunal.
16 En premier lieu, celui du témoin D qui a déposé le 26 août 1998.
17 Le Tribunal se souvient de cette femme musulmane, mère de famille,
18 certainement pieuse, qui habitait dans le bas d'Ahmici non loin de la
19 route principale et du cimetière catholique. Le témoin nous a dit qu'elle
20 s'était levée de très bonne heure pour les prières, que son mari était
21 parti pour la mosquée et que, vers 5 heures 20, comme les autres témoins,
22 elle a entendu qu'on tirait sur la maison. Avec sa fille, ses deux fils,
23 elle a tenté de s'abriter. Un soldat est entré dans la maison, ce soldat a
24 fait sortir par le balcon de l'étage le fils du témoin, le fils aîné du
25 témoin, qui a dû sauter et qui a été fusillé aussitôt. Le fils cadet du
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1 témoin a dû sauter à son tour, mais lui a pu prendre la fuite. Puis le
2 soldat a fait sortir le témoin sur le balcon, elle a vu son fils allongé
3 sur le sol, du sang sur la tête, elle a vu un groupe de soldats en bas
4 devant sa maison et son agresseur lui a ordonné de sauter du balcon,
5 tandis que d'autres soldats riaient et qu'elle pouvait voir son fils
6 étendu sur le sol et mort. Le témoin a refusé de sauter, submergée par
7 l'horreur et à l'audience, elle a dit cette phrase pour décrire le soldat
8 qui se trouvait face à elle : "Ce fauve devant moi insensé, il faisait
9 tout ce qu'il voulait, sans aucune limite."
10 Et en effet, les agresseurs, le 16 avril 1993 à Ahmici, ne se
11 reconnaissaient aucune limite. Ils pouvaient condamner un jeune homme, ils
12 pouvaient en gracier un autre, ils avaient les pleins pouvoirs de vie et
13 de mort sur des hommes désarmés, sur des femmes, sur des enfants, sur des
14 familles, sur une communauté.
15 Le récit du témoin F, qui a déposé devant ce Tribunal le 31 août
16 de l'année dernière, nous a permis d'entrevoir ce que fut le sort des
17 enfants au coeur de cette tragédie. Le témoin F est alors un jeune
18 adolescent de 14 ans. Il vit dans une maison non loin de la mosquée basse
19 avec ses parents, son petit frère de 8 ans, sa petite soeur de 4 ans.
20 Lorsque la maison est assiégée, son père n'est pas présent. La
21 porte de la maison est forcée par les soldats, une grenade est jetée dans
22 la maison, qui roule vers sa mère. Sa mère s'empare de cette grenade pour
23 tenter de la rejeter vers l'extérieur, la grenade explose et sa mère est
24 blessée tandis que son petit frère est tué.
25 Une autre grenade explose dans la maison, qui blesse le témoin
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1 aux jambes, mais le témoin peut se réfugier dans une chambre. Un soldat
2 entre dans la maison, il jette une autre grenade. Ce soldat, nous a dit le
3 témoin, porte un uniforme de camouflage, des peintures de guerre sur le
4 visage, l'emblème du HVO et un ruban de couleur à l'épaule. D'autres
5 grenades sont jetées dans la maison et la maison est en flammes.
6 A la demande de sa mère, le témoin traîne le cadavre de son
7 frère hors de la maison et sa mère, dehors, reçoit une balle dans le
8 ventre. Le témoin se réfugie dans l'étable à proximité de la maison, il y
9 transporte le corps de son frère, il y conduit sa petite soeur. Sa mère en
10 rampant parvient à les rejoindre, il referme la porte de l'étable. Une
11 demi-heure plus tard, sa mère est décédée. Pendant toute la journée,
12 pendant toute la nuit qui suit, il va protéger sa soeur en la plaçant dans
13 une mangeoire en béton. A plusieurs reprises, il perd connaissance car il
14 a perdu beaucoup de sang.
15 Pendant la nuit, des soldats tentent d'entrer dans l'étable, ils
16 parviennent à entrebâiller la porte, jettent une grenade à l'intérieur,
17 tirent des coups de fusil. Ils aperçoivent avec une torche électrique le
18 corps de sa mère, celui de son petit frère. Par radio, ils rendent compte
19 à leur autorité que tout a été tué aux alentours de la mosquée.
20 Dans la journée du lendemain, il quitte l'étable pour trouver
21 quelque chose à manger. Il voit autour de lui des cadavres, il voit autour
22 de lui les cadavres de certains de ses voisins, celui d'Husein Ahmic et le
23 corps sans connaissance de son voisin, le témoin G.
24 Il voit Melisa, une petite fille de 7 ans, qui est allongée à
25 côté de sa mère morte. Lorsqu'il lui demande de venir avec lui, elle lui
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1 répond que sa mère dort, qu'elle veut rester auprès d'elle.
2 Plus tard, le témoin sera conduit à l'école de Dubravica où il
3 sera détenu jusqu'au 1er mai. Entre-temps, un soldat croate lui aura volé
4 l'argent de la famille qu'il avait pu sauver de l'incendie.
5 La déposition du témoin K a été à mon sens certainement l'une
6 des plus émouvantes reçues par ce Tribunal. On se souvient que le témoin K
7 habite à Grabovi, un peu au-dessus du groupe des maisons Kupreskic. Elle
8 vit dans sa maison avec son mari, son fils de 10 ans, ses deux filles de 4
9 et 6 ans. La famille est réveillée par des tirs sur la maison, les balles
10 entrent par les fenêtres, le bruit est assourdissant, ils ne peuvent
11 parler, ils ne peuvent s'entendre. La mère tente de protéger ses enfants,
12 ils ont peur que des grenades soient lancées dans la pièce. La mère hurle
13 et supplie qu'on ne tire pas sur ses enfants. Elle nous a dit qu'à un
14 moment donné son fils a voulu faire pipi. Et comme il insistait, elle lui
15 a permis d'aller vers l'évier de la cuisine, et de la cuisine son fils lui
16 a dit : "Je suis blessé !" en montrant son bras.
17 A ce moment-là, son père a ouvert la porte de la maison et il a
18 crié aux soldats : "Vous avez blessé mon fils !". Le témoin a vu dehors un
19 soldat, un jeune homme blond, qui portait un fusil et qui a ordonné à son
20 mari de sortir. Son mari a pris son fils dans ses bras et il est sorti en
21 criant encore : "Vous avez blessé mon fils !". Le père de famille est
22 pieds nus, en vêtements de nuit. Et deux ou trois mètres devant la porte
23 de la maison, le père et le fils sont fusillés ensemble par une même
24 rafale de fusil automatique. La mère rentre pour protéger ses filles.
25 Autour de la maison, on tire, on court, on crie.
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1 La mère ressort, elle veut voir son fils. Elle l'examine, elle
2 nous a dit : "J'ai vu qu'il avait été blessé du côté droit, pas du côté
3 gauche". Mais en fait, elle sait bien que son fils est mort. Elle le
4 ramène dans la maison, elle continue de veiller sur ses enfants, elle
5 tente de porter secours à son mari. Elle a dit, et je cite ses propos
6 devant ce Tribunal : "Je ne savais pas quoi faire, j'étais paniquée. Je
7 marchais à gauche et à droite d'une fenêtre à l'autre. Je ne pleurais pas,
8 il n'y avait pas de larmes. Je buvais de l'eau, je me versais de l'eau sur
9 la tête, sur le cou, sur les pieds, pour ne pas m'évanouir, pour tenir".
10 Dehors elle voit les maisons incendiées, elle voit les cadavres
11 de ses voisins musulmans et notamment, nous a-t-elle dit, celui d'une
12 femme de 74 ans. Elle se cache, elle cache ses deux petites filles, et
13 dans l'après-midi elle parviendra à rejoindre Vrhovine.
14 Nous savons tous que le témoignage devant un Tribunal criminel
15 est souvent un moyen imparfait de rendre compte d'un crime. Il ne restitue
16 pas le bruit, la fureur de l'agresseur, la panique des victimes. Avec ces
17 témoignages-là et d'autres, bien entendu, un peu de cette vérité
18 substantielle sur le massacre nous a été restituée.
19 A la fin de cette journée du 16 avril 1993, comme le signe
20 définitif de leur victoire sur leurs victimes civiles, sur ces familles
21 surprises en vêtements de nuit, comme l'achèvement de leur volonté
22 criminelle, comme un signature et comme un aveu, les agresseurs abattent à
23 l'explosif le minaret en ciment armé de la mosquée basse.
24 Vers le haut d'Ahmici, on termine le travail, on abat dans leur
25 maison ceux qui n'avaient pas voulu fuir ou qui n'avaient pas pu fuir. Les
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1 témoins Q et S ont dit au Tribunal que leur père et mère âgés de 83 et
2 78 ans, qui n'avaient pas pu fuir, avaient trouvé la mort avec d'autres
3 personnes dans une maison du haut d'Ahmici.
4 Si nous ne savons pas avec certitude le nombre des victimes, du
5 moins nous avons quelque idée. Le témoin S, qui connaissait parfaitement
6 tous les habitants d'Ahmici pour y avoir habité toute sa vie, a dressé les
7 listes de ceux qui sont morts pendant l'attaque. Nous savons, et je crois
8 que cela n'est pas discuté par la défense, nous savons que 600 Musulmans
9 habitaient Ahmici, Santici, Pirici avant le 16 avril. Aux termes de
10 l'opération conduite par le HVO le 16 avril, il n'en reste plus aucun.
11 Ont été dénombrés 116 tués, dont 28 femmes, 16 enfants ou
12 adolescents. De ces 116 victimes, à peine plus de la moitié étaient des
13 hommes en âge de porter les armes et il n'a pas été établi au cours de ce
14 procès qu'un seul d'entre eux ait été tué les armes à la main.
15 De plus, nous a-t-on dit à cette époque à Ahmici vivaient un
16 certain nombre de réfugiés, de réfugiés musulmans. Tous n'étaient pas
17 connus, leur nombre demeure indéterminé aujourd'hui, comme celui des
18 victimes tombées parmi eux.
19 Nous savons aussi que 24 personnes ont été blessées au cours de
20 l'attaque, dont près du tiers était des enfants. Et bien entendu, cela ne
21 fait pas le compte des victimes. Les victimes, ce sont aussi tous ceux qui
22 ont perdu des proches, leur maison, leurs terres et leurs biens.
23 Tous ceux qui ont rencontré les survivants d'Ahmici dans les
24 jours ou les semaines qui ont suivi l'attaque, alors qu'ils étaient
25 hébergés provisoirement dans un quelconque centre de regroupement, ont
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1 décrit leur détresse, leur angoisse, leur misère matérielle et morale.
2 Certaines de ces victimes ont dû bénéficier d'un soutien psychologique ou
3 même d'un traitement psychiatrique et nombreux sont ceux aujourd'hui qui
4 n'ont pas pu retrouver une vie normale.
5 Certains des morts d'Ahmici ont été inhumés à Vitez le
6 28 avril 1993. Le Tribunal se souvient que le témoin Stephen Hugues,
7 membre du Bataillon britannique, a assisté à l'inhumation de 96 corps de
8 Musulmans qui avaient été échangés contre 3 corps croates. Le témoin
9 Nihad Rebihic qui était en charge de cette inhumation collective a relaté
10 au Tribunal les opérations.
11 Il a été établi que les corps inhumés le 28 avril à Vitez
12 viennent de plusieurs endroits de la région de Vitez. Tous n'ont pas pu
13 être identifiés, mais il semble que 70 à 80 des corps inhumés ce jour-là
14 viennent d'Ahmici. Il s'agit de cadavres d'hommes et de femmes de tous les
15 âges ; deux corps seulement parmi ceux inhumés ce jour-là étaient revêtus
16 d'un uniforme.
17 Et l'accusation a soumis au Tribunal des certificats de décès au
18 nombre de 93. Plusieurs familles, nous le savons, ignorent encore
19 aujourd'hui où reposent leurs morts. Ainsi, le témoin R et sa soeur le
20 témoin T ignorent où se trouve leur mère, qui a été tuée en vue de la
21 maison de Vlatko Kupreskic.
22 Ces témoins ont rapporté au Tribunal que le beau-frère de
23 l'accusé Vlatko Kupreskic était venu proposer à l'une et à l'autre de leur
24 révéler le lieu de l'inhumation en contrepartie bien entendu de leur
25 abstention dans ce procès. Cette personne se référait à la Croix-Rouge, ce
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1 qui évidemment était une manière de brouiller les pistes puisque la Croix-
2 Rouge n'a rien à voir avec l'inhumation des victimes d'Ahmici. Et dans ces
3 conditions, nous savons qu'existent encore à Ahmici ou dans les environs
4 d'Ahmici des fosses communes clandestines.
5 Pour ce qui concerne le bilan de l'attaque, nous devons aussi
6 souligner que 169 habitations ont été délibérément détruites à Ahmici,
7 Santici, Pirici ; 102 habitations pour ce qui concerne le seul Ahmici ; et
8 nous savons aussi que les deux mosquées du village d'Ahmici ont été
9 délibérément détruites.
10 Maintenant, pour nous rapprocher du droit, je voudrais évoquer,
11 souligner les caractères de cette attaque qui permettent de la qualifier
12 comme crime.
13 Je voudrais dire d'abord que l'attaque conduite le 16 avril 1993
14 à Ahmici est une action réfléchie et techniquement parfaitement organisée.
15 Ce n'est évidemment pas l'action spontanée d'une unité ayant échappé à
16 tout commandement. Bien au contraire, c'est l'action coordonnée d'unités
17 différentes placées sous la même direction opérationnelle et employant
18 d'un bout à l'autre du village les mêmes procédés.
19 Nous savons que les assaillants se déploient à 5 heures 20 au
20 moment où l'appel à la prière du matin est lancé de la mosquée. Depuis un
21 certain temps, des armements lourds ont été placés en position sur la
22 périphérie du village et nous savons aussi que les agresseurs sont en
23 position en plusieurs lieux du village d'Ahmici, en particulier près du
24 cimetière catholique à Grabovi et du côté des maisons habitées par
25 Drago Josipovic et Dragan Papic ; et l'attaque se déploie simultanément à
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1 partir de ces trois zones.
2 Nous savons que les maisons occupées par des familles musulmanes
3 sont toutes assiégées par des soldats bien armés en uniforme de camouflage
4 ou en uniforme noir, tel celui décrit par de nombreux témoins. Nous savons
5 que certains portent des cagoules ou des peintures de guerre sur le
6 visage. Différents types d'armement sont utilisés : canons antiaériens,
7 mortiers, lance-roquettes, mitrailleuses, et bien entendu fusils
8 automatiques.
9 L'importance de cet armement implique des ordres et une
10 logistique de guerre. Et les seuls Jokers, par exemple, n'auraient
11 évidemment pas pu seuls le mettre en oeuvre. Partout, d'un bout à l'autre
12 du village, on tire sur les maisons, on lance des grenades par les
13 ouvertures, on ordonne aux familles de sortir. Certains hommes sont
14 fusillés sur place, quelquefois des enfants, d'autres trouvent la mort
15 dans leur fuite.
16 Aussitôt, les maisons sont détruites par des moyens
17 incendiaires, les maisons et toutes les dépendances des biens et tous les
18 biens des Musulmans, en particulier le bétail. Certains agresseurs se
19 livrent aussi au pillage. Les effectifs engagés sont certainement
20 importants, évidemment largement supérieurs à ceux d'un peloton car de
21 nombreuses maisons sont attaquées simultanément dès après les premiers
22 tirs par des groupes de cinq ou six soldats.
23 Ces soldats sont nombreux et ils sont donc nécessairement
24 coordonnés. Ils disposent de moyens de communication radio, ils portent un
25 ruban de couleur à l'épaule. Ils sont préparés, ils ont des objectifs
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1 assignés. Ils savent quelles sont les maisons qui doivent être détruites,
2 quelles sont les maisons qui doivent être préservées. Ils savent le nom
3 des chefs de famille et quelquefois leur prénom.
4 Plusieurs des témoins entendus par ce Tribunal ont relaté que
5 les soldats croates évoquaient des ordres reçus auxquels il fallait se
6 conformer. Ils les ont parfois entendus se féliciter de ce que tout aille
7 conformément au plan. Le point de vue du témoin, le major Dooley, était
8 que cette opération a été conduite d'un bout à l'autre de façon militaire
9 par différentes unités coordonnées entre elles et dirigée par quelqu'un
10 qui maîtrise les questions tactiques.
11 En l'absence de résistance, il ne faudra pas longtemps aux
12 forces armées du HVO pour parvenir à leur fin. Et vers midi probablement,
13 comme nous l'a dit le major Dooley, l'opération est terminée dans le bas
14 d'Ahmici et à Grabovi.
15 Nous savons aussi que 150 à 200 personnes toutes musulmanes,
16 dans une large majorité de femmes et d'enfants, quelques personnes âgées
17 aussi venant pour certains d'Ahmici, pour les autres d'autres villages de
18 la vallée de la Lasva, ont été détenues du 16 avril, après le 16 avril
19 jusqu'au 1er mai dans l'enceinte de l'école de Dubravica. Ils ont été
20 détenus sous la garde des forces armées du HVO et il est bien évident que
21 cette détention n'a pas pu être improvisée.
22 Plusieurs témoins nous ont dit aussi qu'au cours de cette
23 détention, des femmes avaient fait l'objet de mauvais traitements et
24 d'abus sexuels.
25 Le premier caractère de l'attaque est donc d'avoir été
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1 minutieusement préparée et organisée et d'impliquer des moyens importants
2 en effectifs et en matériel.
3 Le deuxième caractère de cette attaque, c'est qu'en l'absence
4 d'objectifs militaires elle est conduite contre une population civile.
5 Nous ne disposons d'aucun indice d'une présence militaire musulmane à
6 Ahmici le 16 avril, malgré les efforts qui ont été déployés par la défense
7 pour l'établir.
8 Le major Dooley a confirmé qu'en avril 1993 l'armée de Bosnie
9 est pratiquement absente de la région de Vitez Ahmici. Le témoin AA, qui
10 était à l'époque membre de la police militaire et sous les ordres de
11 l'accusé Vladimir Santic, a dit n'avoir jamais constaté la présence à
12 Ahmici de forces de l'armée de Bosnie.
13 Il n'existe donc aucune défense organisée du village. Le major
14 Dooley n'a vu aucun signe d'une résistance. Les victimes étaient toutes
15 civiles, hommes et femmes, aucune d'entre elles n'était armée. Et nous
16 savons que la Défense territoriale à Ahmici n'est pas, à l'époque, une
17 force à caractère militaire susceptible de résistance ou d'opposition. Au
18 début de 1993, la Défense territoriale à Ahmici, ce sont quelques hommes
19 en civil, peut-être une vingtaine. Ils peuvent avoir des obligations
20 militaires mais, lorsqu'ils se trouvent à Ahmici, dans leur famille, leur
21 activité se borne à circuler de nuit dans le village pour assurer la
22 protection de leur maison, de leur quartier, de leur famille.
23 Leur organisation est embryonnaire. Beaucoup d'entre eux,
24 exagérément confiants, ne prennent pas au sérieux ces gardes et tentent de
25 s'y soustraire. Il y a donc de la part des membres de cette Défense
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1 territoriale peu d'engagement et peu de discipline.
2 Il n'existe à Ahmici aucune installation de caractère militaire,
3 aucun casernement, aucun dispositif de défense, aucun dépôt de matériel
4 militaire. Et par conséquent, au cours de ce débat, de ce procès, la
5 défense n'a pas pu établir l'existence d'une bataille opposant des forces
6 armées. Elle n'a pas pu établir l'existence d'une attaque légitime dans
7 son principe ni même une simple résistance des Musulmans à l'agression
8 dirigée contre eux. Le colonel Watters, lors de son témoignage, a déclaré
9 qu'il s'agissait du premier champ de bataille qui lui était donné de voir
10 où aucun soldat mort n'était visible, où toutes les victimes étaient à
11 l'évidence civiles.
12 Le troisième caractère, c'est que cette population civile est
13 musulmane. De nombreux témoignages concordants, il apparaît que les
14 agresseurs employaient systématiquement des injures à caractère raciste
15 contre leurs agresseurs, et en particulier le terme "Balija",
16 qualification péjorative des Musulmans employée par les Croates. Il est
17 donc clair que les victimes de l'agression n'ont été visées que parce
18 qu'elles n'étaient pas croates, mais musulmanes, et que les maisons ont
19 été détruites parce qu'elles abritaient des familles musulmanes.
20 J'ai évoqué il y a quelques instants le nombre important des
21 maisons détruites, je dois aussi dire que toutes les maisons musulmanes
22 d'Ahmici ont été détruites ainsi que leurs dépendances et le bétail. Et le
23 résultat le plus évident de l'attaque est le fait que, des 600 résidents
24 musulmans d'Ahmici, il n'en subsiste aucun après le 16 avril. C'est une
25 communauté entière qui est effacée d'un territoire, toute trace de son
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1 existence étant supprimée et toute possibilité d'un retour délibérément
2 anéantie.
3 A l'inverse, la communauté des Croates d'Ahmici est indemne. Il
4 a été établi qu'aucun civil croate n'a été atteint, tué ou même blessé,
5 qu'aucune atteinte n'a été portée aux intérêts croates à Ahmici, qu'aucun
6 symbole religieux catholique n'a été touché. Les membres du Bataillon
7 britannique ont été frappés, et l'ont dit devant le Tribunal, par le
8 contraste, le caractère évidemment sélectif des destructions qu'ils
9 pouvaient voir, par le caractère presque chirurgical de cette opération
10 qui serait l'excision d'une communauté religieuse culturelle et politique
11 hors d'un territoire.
12 Je n'ignore pas que les accusés ont tenté d'établir que leur
13 maison avait été touchée ou pillée, voulant -c'est mon point de vue- de
14 cette manière mêler leur sort à celui des victimes musulmanes. Mais il est
15 clair qu'aucun début de preuve n'a été apporté de cette action.
16 Il n'a pas été établi, par ailleurs, que les Croates aient subi
17 des pertes militaires tant soit peu significatives le 16 avril à Ahmici.
18 Nous avons eu de longs débats sur cette question. Et ce que nous savons de
19 source sûre aujourd'hui, c'est que deux blessés appartenant aux forces
20 croates ont été établis. Il s'agit de Nikola Omazic et d'Ivica Semren.
21 Le dernier caractère de l'action conduite à Ahmici par les
22 forces du HVO le 16 avril 1993, que je voudrais souligner, est le fait que
23 cette action s'insère dans le cadre plus étendu et général d'une offensive
24 à caractère militaire poursuivant des buts politiques.
25 Certes, le crime commis à Ahmici, par l'étendue géographique du
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1 village, par le nombre des victimes, par la gravité des dommages causés et
2 l'importance des moyens militaires mis en oeuvre constitue déjà à lui
3 seul, bien entendu, un crime étendu. Mais il est important aussi de
4 souligner qu'Ahmici n'est pas un fait isolé. Que le 16 avril et les jours
5 qui ont suivi, d'autres villages musulmans de la vallée de la Lasva ont
6 été attaqués et que toutes ces attaques avaient les mêmes buts : le
7 nettoyage ethnique.
8 Et ces attaques s'inscrivent dans le cadre d'une politique
9 délibérée de prise du pouvoir du HVO en Bosnie centrale. Au cours de ce
10 procès, par les moyens de l'accusation et aussi par certains témoignages
11 de la défense, de nombreuses preuves de cette évolution politique et
12 militaire ont été soumises au Tribunal. Nous avons été informés du
13 développement à compter de novembre 1991 du mouvement des Croates de
14 Bosnie, de ces objectifs politiques et de ces objectifs territoriaux. Ces
15 objectifs étaient un territoire autonome constituant le premier pas vers
16 la souveraineté.
17 Les Croates se sont donné une armée. Cette armée s'est équipée,
18 les communautés croates et musulmanes se sont séparées et éloignées l'une
19 de l'autre. Le HVO s'est progressivement emparé de la totalité du pouvoir
20 sur tous les aspects de la vie civile, sociale et économique.
21 Les tensions entre les communautés, qui étaient jusqu'alors
22 alliées dans la lutte contre l'agresseur serbe, se sont accentuées et les
23 événements qui se sont produits à Ahmici en octobre 1992 en sont la claire
24 illustration.
25 L'accusation ne conteste pas et considère même établi que des
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1 membres de la communauté croate en Bosnie centrale ont été aussi victimes
2 d'atrocités pas à Ahmici, mais ailleurs dans la vallée de la Lasva, pas le
3 16 avril, mais avant le 16 avril et peut-être après le 16 avril. Je me
4 souviens en particulier du témoignage de Zeljka Rajic le 27 janvier
5 dernier, qui nous a relaté ce qui s'est passé à Dusina en janvier 1993,
6 mais il va de soi qu'aucun crime ne peut se justifier par un autre crime.
7 Et il est tout autant établi que, dans la vallée de la Lasva, au
8 cours de la période qui précède le 16 avril 1993, pour la communauté des
9 Musulmans, l'insécurité est allée grandissante. Nous en avons eu plusieurs
10 preuves au cours de ces débats, et je me souviens en particulier de ce
11 film vidéo, c'est la pièce 352, tourné en novembre 1992 par les moyens de
12 propagande croate sur lequel nous pouvons voir au centre d'Ahmici deux
13 soldats en uniforme noir faire une démonstration de tirs pendant que le
14 journaliste -si c'est un journaliste- profère des commentaires clairement
15 menaçants à l'égard des Musulmans.
16 Nous avons eu plusieurs indices de la préparation à la guerre
17 conduite par la communauté croate de Bosnie centrale, en tout cas par les
18 autorités du HVO et je me souviens en particulier de tous ces ordres pris
19 par le commandement de la zone opérationnelle, le colonel Blaskic, à
20 partir de janvier 1993 jusqu'au 16 avril 1993.
21 Le colonel Watters a rapporté devant le Tribunal le caractère
22 général de l'offensive conduite par les Croates le 16 avril. Les tirs ont
23 commencé à Vitez à la même heure qu'à Ahmici et sa description de Vitez le
24 16 avril à 8 heures 30 est celle d'un champ de bataille où toutes les
25 victimes sont civiles.
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1 Et les dépositions du major Dooley et de Stephen Hughes vont
2 exactement dans le même sens. Tout au long de la vallée, on peut voir
3 brûler des maisons musulmanes, tout au long de la vallée, les civils
4 musulmans doivent fuir ou bien ils sont tués, ou bien ils sont arrêtés et
5 conduits vers des camps tel que celui de Kaonik ou d'autres centres de
6 détention.
7 Un camion piégé explose, le Tribunal s'en souvient, le 18 avril
8 à Stari Vitez, six personnes sont tuées, huit personnes gravement
9 blessées. Il s'agit pour les auteurs de cet attentat de terroriser la
10 population civile musulmane, de l'obliger à partir, quitter la ville,
11 quitter la vallée. Le bombardement de Zenica, le 19 avril par le HVO
12 relève de la même logigue de terreur.
13 Le colonel Watters nous a dit que les Croates avaient mis à
14 profit cette fenêtre d'opportunité qui s'était alors ouverte, puisque les
15 forces musulmanes étaient occupées à l'ouest sur le front contre les
16 Serbes et que les médias étaient occupés par les événements se déroulant
17 alors à Srebrenica.
18 Dès lors, compte tenu des caractères de l'attaque, nous pouvons
19 la qualifier comme crime. Nous savons que ses auteurs sont des Croates de
20 Bosnie, qu'ils ont agi de manière délibérée et systématique en pleine
21 conscience des objectifs qu'ils poursuivaient. Nous savons que leur
22 objectif était le nettoyage ethnique du village d'Ahmici et plus
23 généralement des différentes agglomérations de la vallée de la Lasva. Nous
24 savons que leur attaque est dirigée contre une population civile non armée
25 et non défendue et nous savons que cette population civile est musulmane
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1 par religion et par culture.
2 Nous savons qu'au cours de cette attaque de nombreuses personnes
3 civiles ont été assassinées, que leur patrimoine a été détruit, que les
4 survivants ont dû quitter leur terre et cette attaque s'insère à
5 l'évidence dans le cadre d'un conflit armé opposant le HVO et les moyens
6 militaires de la Bosnie-Herzégovine. Cette attaque ne peut recevoir par
7 conséquent qu'une seule qualification : celle de crime contre l'humanité.
8 Je voudrais maintenant évoquer le rôle des résidents croates
9 d'Ahmici avant de venir à la situation de chacun des accusés. Nous savons
10 que, avant la guerre, les communautés cohabitaient, que leurs relations
11 étaient parfois cordiales, mais toujours pacifiques. Mais nous savons
12 aussi qu'à compter de 1993 ces relations se sont détériorées. Les organes
13 d'information croates ont commencé de diffuser en 1991 une propagande
14 intense. Le sentiment nationaliste s'est développé chez les Croates, le
15 sentiment d'être catholique et croate avant que d'être bosnien et le
16 sentiment de ne pas appartenir à la même communauté nationale que les
17 Musulmans, ce qui les a conduits à vouloir s'en séparer.
18 Plusieurs témoins ont décrit ce processus de séparation qui
19 conduit au désastre et je pense en particulier au professeur Tone Bringa.
20 Certains témoins ont mentionné des faits insignifiants en apparence comme
21 ces mots nouveaux qui apparaissent dans le vocabulaire des Croates de
22 Bosnie, mais tous ces faits bout à bout donnent un sens à l'histoire.
23 Il existe un élément propre à Ahmici que de nombreux témoins,
24 notamment pour la défense, ont évoqué. Il tient à l'afflux des réfugiés
25 musulmans à Ahmici alors que les réfugiés croates de la ligne de front ne
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1 s'installent pas dans la région de Vitez, mais poursuivent leur chemin. Et
2 il en est résulté, semble-t-il, pour les Croates de la région d'Ahmici une
3 situation préoccupante. Je me souviens que le témoin Ivica Kupreskic a
4 évoqué un doublement de la population d'Ahmici par l'afflux des réfugiés,
5 tous Musulmans.
6 Dans cette situation, dans ce processus de séparation des
7 communautés, nous avons vu que les moyens armés du HVO ont fait leur
8 apparition au sein du village d'Ahmici. Il faut s'arrêter quelques
9 instants sur ce qu'est le HVO à cette époque-là.
10 Au cours des débats, on a très longuement évoqué des lois, des
11 règlements. Mais, à ce stade du procès, je voudrais faire valoir trois
12 idées.
13 La première idée, c'est que, dans les circonstances d'alors, la
14 réalité opérationnelle devance la réalité administrative. Je me souviens
15 que le témoin DA pour la défense, qui était chargé d'administrer et de
16 réorganiser la brigade de Vitez, en est convenu. Le témoin a reconnu que
17 la brigade de Vitez existe sur le terrain avant d'exister
18 administrativement.
19 La deuxième idée, c'est que dès que la communauté des Croates se
20 croit menacée, il n'existe plus de différence entre le réserviste et le
21 soldat d'active.
22 Et la troisième idée, c'est que l'opposition actifs non actifs
23 est supplantée à cette époque-là, et dans les circonstances de l'époque,
24 par l'opposition volontaire professionnelle. En 1992 et 1993, les Croates
25 de Bosnie vivent une période révolutionnaire et je veux dire par là qu'ils
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1 tentent d'établir un ordre nouveau national et politique sur les ruines
2 d'un ordre ancien. Et dans ces circonstances, le réel et l'officiel ne
3 peuvent plus coïncider, l'un ne traduit pas l'autre.
4 De plus, les Croates sont peu nombreux, ou se croient peu
5 nombreux. Tous sont mobilisés de fait et la mobilisation au nom de la
6 communauté prétendument en danger est effective avant d'être officielle.
7 Par exemple, le témoin Rudo Vidovic, restaurateur à Zume, a déclaré qu'à
8 plusieurs reprises, bien que n'appartenant pas officiellement aux forces
9 armées du HVO, il est allé combattre les Serbes au mont Vlasic en 1992 et
10 il a précisé que son fils a fait de même à plusieurs reprises.
11 Le témoin décrivait une pratique répandue : les uns se rendaient
12 sur le front en vêtements civils, les autres, en uniforme de camouflage.
13 Le témoin Milutin Vidovic, toujours pour la défense, a déclaré être allé
14 deux fois en 1992 sur le front contre les Serbes pour deux périodes de
15 7 jours chacune comme volontaire sans être officiellement membre du HVO.
16 Il en a été de même pour le témoin DH et pour Ivo Pranjkovic qui s'est
17 rendu sur la ligne de front à Kuber notamment le 13 avril 1993 ; et il en
18 était encore de même pour le témoin Anjelko Vidovic qui nous a dit s'être
19 rendu lui aussi à Kuber le 13 avril 1993.
20 Et souvenons-nous aussi de Stipo Alilovic qui quitte la Bosnie
21 pour la Hollande le 29 mars 1992 et qui déclare aux autorités
22 néerlandaises à l'appui d'une demande de statut de réfugié qu'il a dû
23 quitter la Bosnie parce qu'il était sommé de rejoindre l'armée des Croates
24 de Bosnie.
25 Souvenons-nous aussi que dans son ordre daté du 16 janvier 1993,
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1 le colonel Blaskic ordonne que soit élevée au plus haut niveau la capacité
2 de combat du HVO, que tous les membres armés du peuple croate soient
3 inclus dans les unités du HVO. Et nous pouvons présumer que quelques
4 conséquences ont bien dû s'attacher à cet ordre, qui signifie à la fois la
5 levée en masse des Croates de Bosnie et le branle-bas de combat.
6 Goran Males, qui témoigne pour la défense et qui est un soldat
7 professionnel, admet qu'à cette époque il n'y a pas grande de différence
8 entre la position de réserviste et la position d'active. En fait, même a-
9 t-il précisé devant le Tribunal, il n'y a pas de réservistes parce que les
10 Croates sont trop peu nombreux. Et le registre du HVO, le registre des
11 soldats du HVO, distingue entre professionnels et réservistes ; il ne
12 distingue pas entre actifs et réservistes. Tous les soldats
13 professionnels, non professionnels sont réservistes, qu'ils soient actifs
14 ou non.
15 Et ce HVO, qui à partir de la fin 1992 et au début de 1993 est
16 partout, il est aussi bien entendu présent à Ahmici. Le 1er Bataillon de
17 la brigade de Vitez est responsable d'un territoire qui englobe Ahmici.
18 Son commandant est Slavko Papic qui a été abondamment cité au cours de nos
19 débats. Selon plusieurs témoins, et en particulier des témoins de la
20 défense, il est présent à Ahmici le 16 avril à compter de 4 heures du
21 matin et le lendemain ; et je me réfère en particulier à la déposition de
22 Milutin Vidovic.
23 Ce que l'on a désigné comme les Home Guards existe bien à
24 Ahmici. Ils ne sont peut-être pas encore administrés, mais ils ont un
25 commandant, Nenad Santic, qui est nommé par un ordre du 12 mars 1993. Et
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1 Nenad Santic est bien à cette époque une figure prééminente comme de
2 nombreux témoins tant pour l'accusation que pour la défense l'ont
3 souligné. Il donne des ordres à caractère militaire et notamment selon la
4 défense elle-même à l'accusé Dragan Papic.
5 Nous savons que les forces territoriales croates sont soumises
6 aux instructions du commandement de la zone opérationnelle. Rappelons que
7 le témoin Zvonimir Santic appelé par la défense, qui est non d'Ahmici mais
8 de Rovna, a déclaré que les gardes villageois de Donja Rovna ont reçu
9 avant l'attaque du 16 avril 1993 du quartier général HVO de Busovaca
10 l'ordre de garder le pont de Radak.
11 Dans ces conditions, avons nous des indices et des preuves de ce
12 que la communauté des Croates résidant à Ahmici, Santici, Pirici ait été
13 impliquée d'une manière quelconque, c'est-à-dire passive ou active dans
14 l'agression conduite contre les Musulmans. C'est évidemment une question
15 difficile de ce procès et je m'exprimerai évidemment avec beaucoup de
16 précautions.
17 La défense a fait état de forces venues d'ailleurs. La défense a
18 affirmé que les Croates d'Ahmici ne savaient pas ; et on doit bien entendu
19 reconnaître que pour les accusés admettre que les habitants d'Ahmici
20 étaient impliqués, c'était s'incriminer soi-même.
21 Mais je voudrais faire un certain nombre d'observations. Tout
22 d'abord, on notera et c'est important que les seules pertes alléguées des
23 forces croates à Ahmici le 16 avril concernent des personnes qui habitent
24 Ahmici : Mirjan Santic, selon les accusés et plusieurs témoins de la
25 défense, Nikola Omazic, Ivica Semren ; et ces deux derniers appartiennent
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1 aux unités régulières du HVO. L'armée régulière du HVO est présente à
2 Ahmici, et les résidents d'Ahmici ont leur place dans cette armée
3 régulière du HVO.
4 Deuxième observation : les agresseurs étaient parfaitement
5 informés. Ils savaient qui habite où, ils savaient que telle maison est
6 musulmane, telle autre est croate, même si aucune différence dans leur
7 aspect extérieur ne permette de les distinguer. Les agresseurs ne
8 commettent aucune erreur puisqu'aucune maison croate n'a été détruite. Et
9 je rappelle que plusieurs témoins ont dit que les agresseurs connaissaient
10 les noms et les prénoms de leurs victimes.
11 Troisième observation : les résidents croates d'Ahmici sont
12 prévenus à l'avance et évacuent. Plusieurs des témoins de l'accusation ont
13 dit que cette journée du 15 avril leur avait paru étrange, inhabituelle.
14 Le témoin A voit Dragan Papic partir dans une Lada rouge avec sa famille
15 vers Busovaca et revenir seul une demi-heure plus tard sans sa famille.
16 Le témoin F voit lui aussi dans l'après-midi du 15 avril partir
17 la lada rouge de la famille Papic avec à son bord des femmes et des
18 enfants ; cette voiture revient plus tard avec d'autres personnes. Ce même
19 témoin F, au cours de cet après-midi, voit aussi Ivica Kupreskic au volant
20 de son véhicule Mercedes quitter Ahmici avec sa famille.
21 Le témoin Fahrudin Ahmic voit le 15 avril au soir Vinko Vidovic,
22 sa femme et ses enfants se préparer à partir en voiture en direction de
23 Busovaca. Les témoins F et G ont dit au Tribunal que les enfants croates,
24 leurs camarades de classe et de jeu sont absents le jeudi 15 avril 1993.
25 Quatrième observation : nous savons qu'à l'initiative de
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1 Nenad Santic, au cours de la nuit du 15 au 16 avril 1993, s'est tenue une
2 réunion à laquelle plusieurs habitants d'Ahmici ont été conviés. Je me
3 réfère au témoignage de Dragan Vidovic. Dragan Vidovic a déclaré avoir
4 reçu vers 2 heures 30 ou 3 heures du matin un appel téléphonique de Nenad
5 Santic lui demandant de se rendre à la maison du témoin DH. Il y trouve
6 d'autres Croates résidant à Ahmici. Il en donne les noms au cours de son
7 témoignage, bien entendu. Et selon le témoin, au cours de cette réunion,
8 on évoque une attaque imminente des forces musulmanes, le témoin se voit
9 assigner la tâche de réveiller un certain nombre de personnes. Selon
10 Dragan Vidovic, qui le dit au cours de l'interrogatoire principal et puis
11 qui le répète au cours de son contre-interrogatoire, est notamment présent
12 au cours de cette réunion (expurgé), décédé par la
13 suite.
14 Nous savons par un autre témoin, Zvonimir Silic, que
15 (expurgé) faisait partie probablement de la police militaire. Et
16 c'est cet homme que le témoin EE a dit avoir vu devant sa porte le
17 16 avril au matin en compagnie de Vlado Santic et de Drago Josipovic.
18 C'est (expurgé)qui s'exprime au cours de cette réunion, qui passe
19 les consignes, et évidemment nous devons nous interroger sur ce qu'il a pu
20 dire aux habitants croates d'Ahmici.
21 La cinquième observation tient au caractère très partiel et très
22 localisé de l'évacuation. En réalité, cette évacuation, quel que soit le
23 moment à laquelle elle s'est produite, que ce soit la veille ou que ce
24 soit dans les premières heures du 16 avril, ne concernait que les Croates
25 habitant au milieu des Musulmans, par exemple les Kupreskic mais pas les
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1 Sakic. Et si, effectivement, comme les accusés l'ont prétendu, on craint à
2 ce moment-là une attaque des Musulmans sur le village, une attaque de
3 Moudjahidin venant du nord ou de la montagne, ce sont évidemment toutes
4 les maisons croates qui sont menacées.
5 Enfin, je voudrais me référer au témoignage du professeur
6 Tone Bringa qui, sur la base de son expérience dans un village distinct,
7 qui n'est pas Ahmici mais qui ressemble beaucoup à Ahmici, nous a dit, a
8 dit au Tribunal que, selon les informations qui lui avaient été
9 communiquées, l'attaque contre ce village avait été préparée de
10 l'extérieur, mais que certains Croates habitant le village y avaient
11 participé au terme d'un processus comparable à celui qui s'est déroulé à
12 Ahmici.
13 Par conséquent, l'accusation dit que la communauté des Croates
14 d'Ahmici ne pouvait pas et n'a pas été laissée en dehors de ce qui se
15 tramait, que certains des Croates d'Ahmici ont été associés à l'attaque
16 qui se préparait et y ont concouru.
17 Je voudrais maintenant évoquer les preuves qui pèsent contre
18 chacun des accusés et, en premier lieu, évoquer les accusés Zoran et
19 Mirjan Kupreskic. Je vais examiner leur situation ensemble car il me
20 semble que, sur le terrain et aussi dans le cadre de ce procès, ils ont
21 très largement lié leur destin et l'examen des faits révèle
22 qu'effectivement ils étaient bien inséparables.
23 L'accusation dit que les preuves ont été rapportées devant ce
24 Tribunal que les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic se sont activement
25 engagés dans l'agression conduite contre la population civile musulmane
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1 d'Ahmici, qu'ils ont activement contribué à ce que le HVO réalise ses
2 objectifs militaires et politiques et qu'ils sont aussi les auteurs
3 directs de la destruction de la famille du témoin KL.
4 Le premier élément que je veux faire valoir devant le Tribunal
5 contre ces deux accusés est que l'un et l'autre sont impliqués dans les
6 forces armées du HVO. Zoran Kupreskic et son frère Mirjan ont tous les
7 deux une formation militaire acquise dans le cadre de l'armée de
8 l'ancienne Yougoslavie. Tous les deux sont vus par de nombreux témoins
9 avant le 16 avril 1993 en uniforme et armés aller et venir dans le village
10 d'Ahmici. Le témoin S, par exemple, le témoin T, le témoin V voient
11 fréquemment Zoran circuler en uniforme du HVO et armé. Il en est de même
12 pour Mirjan Kupreskic avec cette réserve, cependant, que Mirjan apparaît
13 moins souvent en uniforme que son frère.
14 Mais le témoin Z relate que, peu après les événements
15 d'octobre 1992, il a participé à un point de contrôle installé à l'entrée
16 d'Ahmici en compagnie, notamment, de Mirjan Kupreskic, qui était en
17 uniforme de camouflage et portait un fusil automatique. Du reste, au cours
18 de sa déposition, l'accusé Mirjan Kupreskic n'a pas nié qu'il pouvait se
19 déplacer dans le village en uniforme en portant la veste de camouflage de
20 son frère. Il n'a pas nié qu'il pouvait monter la garde, armé d'un fusil
21 automatique AK47.
22 Le témoin JJ, qui entretenait et peut-être entretient toujours
23 avec l'accusé Zoran Kupreskic des liens d'amitié étroits et qui
24 travaillait dans la même entreprise que l'accusé, a déclaré de façon
25 formelle que Zoran Kupreskic était avant le 16 avril 1993 un membre du
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1 HVO. Elle a déclaré qu'elle avait personnellement constaté que Zoran
2 Kupreskic se rendait sur la ligne de front contre les Serbes, qu'il ne
3 s'en cachait pas, que c'était normal pour un Croate.
4 Le témoin Abdullah Ahmic a confirmé lui aussi qu'à sa
5 connaissance Zoran Kupreskic se rendait souvent sur la ligne de front. Et
6 cette notion d'un engagement volontaire et temporaire sur la ligne de
7 front des Croates, nous l'avons rencontrée au cours de ces débats, je l'ai
8 dit à plusieurs reprises.
9 Nous avons appris que, selon le témoin JJ, Zoran Kupreskic a
10 personnellement, en uniforme, prêté serment de fidélité au HVO au cours
11 d'une cérémonie qui s'est tenue sur le stade de Vitez, cette cérémonie
12 ayant manifestement un caractère nationaliste et de mobilisation.
13 Bien que plusieurs témoins de la défense, je me souviens, aient
14 nié l'existence de ces cérémonies, l'accusé Zoran Kupreskic a reconnu
15 avoir assisté à l'une d'entre elles, mais dans le public et en vêtements
16 civils. Cependant, il n'a pas pu expliquer au Tribunal, me semble-t-il,
17 pour quelle raison et comment son ami avait pu faire une aussi grossière
18 confusion.
19 Les noms des témoins... les noms des accusés Zoran et Mirjan
20 Kupreskic apparaissent tant sur le registre du HDZ que sur celui du HVO,
21 et cela implique une association ancienne et étroite, autant politique que
22 militaire avec les Croates de Bosnie. Je rappelle que ces deux documents
23 portent les numéros 371 et 353.
24 Et je voudrais dire qu'il est à cet égard curieux que nous
25 n'ayons pas reçu de la défense le livret militaire de Zoran et pas
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1 davantage le livret militaire de Mirjan à la différence, par exemple, de
2 la défense de l'accusé Vlatko Kupreskic.
3 Les accusés nous ont dit que ce livret existe, mais que chacun
4 avait égaré le sien. En revanche, aucun d'entre eux n'avait, bien entendu,
5 égaré son certificat de démobilisation.
6 Plusieurs des témoins de l'accusation ont rapporté que, selon
7 leurs constatations et selon leur expérience, Zoran Kupreskic n'était pas
8 seulement un soldat du HVO, il en était aussi un responsable. Abdullah
9 Ahmic a dit que Zoran Kupreskic était le commandant du HVO à Grabovi,
10 souvent il le voit en uniforme et armé, il le voit en particulier en
11 compagnie de Slavko Sakic, autre commandant du HVO, comme il est apparu
12 aux dires même des témoins de la défense.
13 Le témoin Y a relaté une réunion qui s'est tenue quelque jours
14 avant l'attaque d'avril 1993 à l'initiative de Zoran Kupreskic sur la
15 question des gardes. Cette réunion a été présidée par Zoran Kupreskic. Au
16 cours de cette réunion, la partie croate a souhaité que les gardes montées
17 par les Musulmans cessent dans le village. Les Musulmans ont alors proposé
18 de conduire des gardes conjointes et Zoran a refusé ce compromis. Pour
19 justifier son refus, il a invoqué ces ordres. Selon le témoin, Zoran
20 Kupreskic, à cette occasion, a fait savoir à ses interlocuteurs qu'il
21 allait bientôt prendre un nouveau commandement et que ses responsabilités
22 à Ahmici seraient exercées par une autre personne.
23 Le protocole du 21 octobre 1992, c'est la pièce D 27, est l'une
24 des preuves du rôle notable joué par Zoran Kupreskic au sein des
25 structures du HVO et localement dans la communauté des Croates d'Ahmici.
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1 Ce document, comme on sait, conclut les négociations pour le retour des
2 réfugiés musulmans. Qu'est-ce qu'il signifie ? Il signifie la reddition
3 des Musulmans d'Ahmici. Premièrement, il est établi sous l'égide du HVO.
4 Deuxièmement, il prescrit le désarmement des Musulmans d'Ahmici. Et
5 troisièmement, par ce document, le HVO en contrepartie du désarmement,
6 garantit la sécurité des Musulmans.
7 Nous savons que ce document n'est pas resté lettre morte, il
8 convient de se reporter aux déclarations du témoin Abdullah Ahmic et à
9 celles du témoin U.
10 Le désarmement a bien eu lieu même si, évidemment, il n'a pas
11 été total. On se souvient que Fahrudin Ahmic se verra confisquer son arme
12 par Nenad Santic lequel la remettra ou la fera remettre à Drago Josipovic.
13 En revanche, nous savons ce qui devait en être des garanties
14 promises par les signataires. Mais il apparaît clairement que le
15 désarmement des Musulmans d'Ahmici en application de cet ordre, a facilité
16 et n'a pu que faciliter l'agression conduite le 16 avril 1993.
17 L'accusé Zoran Kupreskic nous a expliqué qu'il avait écrit sous
18 la dictée, qu'il était le secrétaire de séance et qu'il n'a pris aucune
19 part réelle dans ce processus de décision. Mais tous les autres
20 signataires de l'accord étant morts, il ne prend évidemment pas le risque
21 d'être démenti. Et surtout, le témoin B nous éclaire sur ce qu'a été le
22 rôle réel de Zoran Kupreskic dans cette négociation. Il nous a dit que le
23 lendemain du premier conflit, celui d'octobre 1992, il avait rencontré
24 Nenad Santic pour négocier le retour des réfugiés. Avec Nenad Santic, il
25 s'est rendu chez Zoran Kupreskic et Zoran Kupreskic devant lui a pris des
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1 engagements : au nom de la communauté croate, il a garanti la sécurité des
2 réfugiés musulmans à leur retour, affirmant qu'il n'y aurait pas de
3 problème.
4 Le témoin GJ a déclaré que dix jours avant le conflit
5 d'avril 1993, son ami Zoran lui a révélé qu'il était un commandant local
6 du HVO à Ahmici. Le témoin a ajouté que, dans les jours qui ont précédé le
7 16 avril, Zoran a mentionné devant elle un barrage installé par les
8 Musulmans d'Ahmici pour empêcher Dario Kordic d'entrer dans le village et
9 Zoran lui a dit qu'il avait négocié très facilement le démantèlement de ce
10 barrage et ainsi s'explique à mon sens que Zoran Kupreskic soit en mesure
11 de faire bénéficier de sa protection son ami le témoin GJ. Il est apparu
12 selon les déclarations de ce témoin que son nom avait pour elle constitué
13 un sauf-conduit, que ce nom de Zoran Kupreskic avait été respecté par des
14 soldats, alors même que l'attestation signée de Marjan Skopljak avait été
15 considérée comme sans valeur par ces mêmes soldats.
16 Nous avons, l'accusation, au cours de ces débats a établi que
17 les deux accusés Zoran et Mirjan Kupreskic avaient pris une part active et
18 consciente à l'agression dirigée le 16 avril contre la population
19 musulmane d'Ahmici. Et l'accusation, pour établir cela, s'est fondée sur
20 les éléments suivants.
21 J'ai dit que Zoran et Mirjan Kupreskic sont chacun d'entre eux
22 membres actifs du HVO. A ce titre, ils ne peuvent qu'être associés et dès
23 le stade de sa conception à une opération conduite par le HVO dans le
24 village qu'ils habitent. Le contraire, à mon sens, serait tout simplement
25 impensable.
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1 Deuxième élément : nous savons que des préparatifs de guerre ont
2 été conduits autour des maisons Kupreskic. Le témoin V a déclaré que le
3 15 avril 1993 en fin d'après-midi, alors qu'il circule en voiture, il
4 aperçoit entre les maisons d'Ivica et Zoran Kupreskic une dizaine de
5 soldats qui portent des uniformes de camouflage et qui sont armés et
6 deux civils. Cet attroupement l'a inquiété et il en a parlé aussitôt à
7 certains de ses amis, tels le témoin Y, qui l'a confirmé lorsqu'il a
8 déposé devant le Tribunal.
9 Et compte tenu des moyens militaires et en effectifs mis en
10 oeuvre le 16 avril au matin, il est évidemment vraisemblable qu'une
11 logistique de guerre ait été mise en place dès la veille de l'agression.
12 Par conséquent, à supposer que Zoran et Mirjan Kupreskic ne
13 soient pas encore à ce stade autrement impliqués dans l'agression, ce qui
14 se passe autour de leur maison le 15 avril, ils ne peuvent pas l'ignorer
15 et, sachant ce qui se passe, ils ne peuvent pas manquer d'en comprendre la
16 signification.
17 Troisième élément : comme les accusés l'ont reconnu au cours de
18 leur déposition, ils n'ont pris le matin aucune mesure pour informer leurs
19 voisins de ce qui allait se produire.
20 Et compte tenu des informations qui, à les croire, bien entendu
21 leur avaient été données, ils ne pouvaient manquer de penser que, comme
22 eux, les habitants musulmans d'Ahmici se trouvaient aussi en danger.
23 Zoran Kupreskic, au cours du contre-interrogatoire, l'a très
24 clairement admis, et je le cite : "J'avais probablement des raisons de
25 croire que ces gens arrivés de l'extérieur, les Mudjahidin, allaient
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1 également causer du mal à mes voisins musulmans. Je ne connaissais pas
2 cette armée, ces soldats, on avait appris qu'ils égorgeaient, qu'ils
3 tuaient, qu'ils incendiaient les maisons. Les Musulmans avaient aussi
4 peut-être peur de ces gens-là. On avait aussi peur des Vitezovi, des TPN,
5 des Zuti, les Musulmans en avaient peur. On essayait de s'écarter, de
6 s'éloigner, de ne pas être à côté, par conséquent, je pouvais supposer que
7 les Musulmans s'écartaient et s'éloignaient aussi et ne voulaient pas
8 s'attendre à ce que les Mudjahidin arrivent".
9 Et cette abstention à agir de Zoran et de Mirjan Kupreskic dans
10 ces circonstances ne pouvait que favoriser les agresseurs et le succès de
11 leur entreprise.
12 Le quatrième élément sur lequel se fonde l'accusation est bien
13 entendu la déclaration du témoin C. Le témoin C est, le Tribunal s'en
14 souvient, alors un très jeune adolescent : 13 ans et demi. Il a été chassé
15 de sa maison après que son frère a été tué sous ses yeux, il a été conduit
16 chez Jozo Alilovic, et caché dans la maison très proche de celle de Jozo
17 Alilovic, en compagnie de Tomislav, le frère de Jozo, il voit arriver en
18 fin de matinée quatre hommes en uniforme de camouflage, ruban vert à
19 l'épaule, armés, quatre hommes qu'il reconnaît pour être Zoran Kupreskic,
20 Mirjan Kupreskic, le frère de Dragan Papic et le surnommé "Asko", qui a,
21 le Tribunal s'en souvient, déposé ici.
22 A l'audience de ce Tribunal, le témoin a confondu Zoran et
23 Mirjan, mais cela, à mon sens, ne peut conduire à remettre en cause sa
24 crédibilité puisqu'il désigne collectivement les frères Zoran et Mirjan
25 Kupreskic, il les identifie clairement et sans hésitation. Ce témoin
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1 s'est-il trompé ou a-t-il menti ?
2 Je crois qu'il n'est guère envisageable que ce témoin se soit
3 trompé. Il connaissait parfaitement les accusés, il les a vus à courte
4 distance, il a toujours été précis et exact dans le récit des événements
5 qu'il a vécus.
6 Est-ce que le témoin peut mentir ? Je dirai que, en règle
7 générale, lorsqu'un témoin ment, il ne cite pas de tiers qui pourraient
8 venir le démentir. Et je pense que si le témoin C avait voulu par un
9 mensonge porter tort aux frères Zoran et Mirjan Kupreskic, il n'aurait pas
10 cité d'autres personnes que les frères Kupreskic. Et surtout, pour mentir,
11 il faut un mobile, et ce mobile, nous ne l'avons pas découvert ici. Nous
12 n'avons trouvé aucune trace d'un mobile de cette sorte.
13 Je vais en venir maintenant à l'agression contre la maison de la
14 famille du témoin H. Mais peut-être Monsieur le Président, souhaitez-vous
15 une interruption.
16 M. le Président. - Oui, c'est le bon moment pour une pause de
17 trente minutes.
18 (L'audience, suspendue à 10 heures 30, est reprise à 11 heures.)
19 M. le Président. - Maître Terrier, avant de commencer, puis-je
20 vous poser une question ? Vous nous donnerez un peu de temps à la fin pour
21 des questions ou bien vous comptez aller jusqu'à 13 heures 30 ?
22 M. Terrier. - J'espère vous donner du temps pour les questions,
23 Monsieur le Président.
24 M. le Président. - Quinze minutes, peut-être ?
25 M. Terrier. - Entendu. J'en étais arrivé dans l'examen des
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1 preuves réunies contre les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic à l'agression
2 conduite...
3 M. le Président. - Attendez. Vous pouvez parler, cela marche
4 maintenant.
5 M. Terrier. - Merci, Monsieur le Président. J'en étais arrivé à
6 l'agression contre la maison de la famille du témoin H. Le Tribunal s'en
7 souvient, le témoin H était en avril 1993 âgée de 13 ans. Elle habite une
8 maison qui n'est pas éloignée des maisons Kupreskic, avec son père, sa
9 mère et ses deux soeurs cadettes.
10 Au cours des débats, nous avons vu des photographies de cette
11 maison. Et le Tribunal a sans doute en mémoire l'agencement un peu
12 particulier de cette maison avec cette cave, cette sorte de cave, à
13 laquelle on accède par une trappe qui s'ouvre dans la chambre des enfants
14 et qui dispose d'une autre ouverture sur le garage.
15 En décembre 1993, devant le juge d'instruction de Zenica, et en
16 septembre 1998 devant ce Tribunal, le témoin H fait le récit de ce qui se
17 passe dans cette maison le 16 avril. Lorsque la famille entend les
18 premiers tirs, les parents viennent réveiller leurs filles et ils
19 descendent dans la cave par la trappe. Des grenades sont lancées dans la
20 maison. Devant, à l'extérieur de la maison, devant la porte du garage, on
21 appelle son père par son prénom et on lui demande d'ouvrir la porte.
22 Le témoin H croit que ce sont des voix amies, des gens qui
23 veulent les rejoindre dans l'abri ; et elle prie son père d'ouvrir la
24 porte du garage. Elle ne peut pas imaginer bien entendu que ces agresseurs
25 utilisent le prénom de son père. Son père quitte la cave, ouvre la porte
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1 du garage et, à ce moment-là, le témoin entend qu'on ordonne à son père de
2 sortir, elle entend son père supplier et elle entend une rafale d'arme
3 automatique.
4 Alors la trappe de la cave est ouverte au-dessus d'elle, de la
5 chambre d'enfant, et elle entend une voix d'homme demander qui est là en
6 bas. Sa mère, dit-elle, est en état de choc, incapable de parler, serrant
7 ses deux petites filles contre elle. Le témoin sort de la cave et se
8 trouve en présence de Zoran Kupreskic. Il est face à elle, à un mètre de
9 distance pas davantage, et elle le reconnaît sans aucun doute possible. Il
10 porte un uniforme, des peintures de guerre sur le visage. Il porte un
11 fusil automatique.
12 Elle lui dit que sa mère et sa soeur sont en bas, Zoran lui
13 demande alors s'il y a des armes en bas, si des hommes se cachent dans la
14 cave car, dit-il, il a ordre de les tuer tous. Puis, selon le récit du
15 témoin, Zoran s'éloigne de quelques pas pour se rapprocher de Mirjan,
16 lequel porte le même costume et le même équipement que son frère.
17 Zoran demande à Mirjan ce qu'il faut faire d'eux, Mirjan répond
18 qu'il ne sait pas. Puis Zoran revient vers le témoin et ordonne à tous de
19 sortir de la cave. Le témoin se met à genoux devant Zoran et supplie qu'il
20 lui laisse la vie sauve ainsi qu'à sa famille. Outre Zoran et Mirjan,
21 selon le témoin, trois autres soldats sont dans la maison, deux dans la
22 cuisine, un devant la porte d'entrée. Ils sont en train de mettre le feu
23 au moyen d'essence.
24 Que penser de ce témoignage ?
25 Tout d'abord, à mon sens, qu'il n'existe aucune possibilité
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1 d'erreur ou de confusion de la part du témoin H. Les hommes que le
2 témoin H affirme avoir reconnus, elle les connaissait bien. Et ces hommes
3 se tenaient à très courte distance d'elle et ils lui ont parlé. Par
4 conséquent, elle n'a pas seulement reconnu leur physique, elle a aussi
5 reconnu leur voix.
6 Si le témoin H n'a pas commis d'erreur, ne peut pas avoir commis
7 d'erreur, peut-elle avoir menti ? Peut-il exister entre un certain nombre
8 de témoins un pacte au terme duquel, c'est ce que suggère la défense, ce
9 qu'ont suggéré en tout cas les accusés au cours de leur témoignage, un
10 pacte au terme duquel différents témoins considèrent que Zoran et
11 Mirjan Kupreskic doivent assumer la culpabilité des Croates.
12 Pour répondre à cet argument, j'appellerai l'attention du
13 Tribunal sur les éléments d'appréciation suivants. Premier point, le
14 témoin H, le 17 décembre 1993, est entendu par le juge d'instruction de
15 Zenica. Dans mon esprit, la réalité de cette audition, et je me réfère
16 bien entendu au témoignage de Mme Ajanovic, le juge d'instruction lui-
17 même, ne fait pas de doute même si le témoin paraît avoir oublié cette
18 rencontre. Et, sur l'essentiel, ce qui frappe lorsqu'on considère la
19 déclaration écrite du 17 décembre 1993, qui est la pièce D1/2 du Tribunal,
20 c'est que sur tous les points majeurs, sur la connaissance par les
21 agresseurs de l'existence de cette cave, sur l'identification de Zoran et
22 de Mirjan, sur le fait que Zoran et Mirjan parlent, qu'ils échangent
23 ensuite tous les deux des propos, sur le fait qu'elle s'agenouille devant
24 l'un d'eux, sur le fait qu'elle, sa mère et sa soeur sont chassées ensuite
25 de la maison pendant qu'on y met le feu, sur tous ces points majeurs, le
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1 témoignage de décembre 93 et celui fait devant le Tribunal en septembre 98
2 sont cohérents, et que le nom de Zoran et Mirjan Kupreskic apparaissent
3 dès décembre 1993 dans une déclaration recueillie par un juge
4 d'instruction, est évidemment un élément d'appréciation important.
5 J'observe cependant, et c'est peut-être une concession que je
6 ferai à la défense, que, comme le témoin C, le témoin A paraît confondre
7 Zoran et Mirjan Kupreskic et il est possible, à lire très attentivement sa
8 déclaration de décembre 1993, que ce soit Mirjan et non pas Zoran qui ait
9 ouvert la porte de la trappe et Zoran qui se trouvait en retrait, mais
10 cela, bien entendu, ne porte aucune atteinte à la crédibilité du témoin
11 sur l'essentiel des propos qu'il a tenus, elle connaissait les accusés,
12 elle pouvait confondre les prénoms.
13 Deuxième point : les déclarations écrites de la mère du
14 témoin H. L'accusation a voulu citer la mère du témoin H, mais cette
15 personne, le Tribunal s'en souvient, n'a pas pu déposer devant le Tribunal
16 compte tenu de l'état de santé dans lequel elle se trouvait. Le Tribunal a
17 entendu le chef de l'unité de protection des victimes et des témoins qui a
18 fait état de l'avis du médecin et un dossier médical a été remis au
19 Tribunal. Les déclarations écrites de la mère du témoin H ont été versées
20 au dossier du Tribunal.
21 Il est à mon sens très important de constater que, le
22 23 avril 1993, dans une déclaration écrite, la mère du témoin H dit que sa
23 fille l'a informée de ce qu'elle avait reconnu Zoran Kupreskic dans la
24 maison.
25 Il est vrai, et je le concède là encore à la défense, que la
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1 mère du témoin H a fait par la suite des déclarations qui sont très
2 largement incohérentes, mais souvenons-nous de la description qu'a fait le
3 témoin H de sa mère, c'est-à-dire d'une femme submergée par la panique,
4 l'angoisse, incapable de parler et incapable d'agir.
5 Il est donc important de retenir que, dès le 23 avril 1993, la
6 mère du témoin H rapporte les propos, ou certains des propos, tenus par sa
7 fille, que celle-ci développera ensuite en décembre 1993 devant le juge
8 d'instruction de Zenica et, enfin, quelques années plus tard, devant le
9 Tribunal.
10 De la maison du témoin H, je souhaite que, maintenant, nous nous
11 rendions jusqu'à la maison du témoin KL. Ces deux maisons sont à très
12 courte distance, quelques dizaines de mètres, et entre les deux, il existe
13 un lien technique qui a été mis en lumière par les investigations
14 conduites par les experts de la police néerlandaise. Le Tribunal se
15 souvient que, devant la maison du témoin H, est découverte notamment une
16 douille d'arme à feu.
17 Et il apparaît probable, comme l'a démontré le témoin Kherkhoff,
18 que cette douille découverte devant la maison du témoin H et trois autres
19 douilles découvertes dans la maison du témoin KL proviennent de la même
20 arme.
21 S'agissant de ce qui s'est passé dans la maison du témoin KL, le
22 Tribunal se souvient de la très longue déclaration faite devant lui par ce
23 témoin. Il a dit qu'en avril 1993 il vit dans cette maison avec son fils,
24 sa belle-fille, un enfant de 6 ou 7 ans, qui est le fils de sa belle-
25 fille, et un bébé de 3 mois, qui est son petit-fils. Et le témoin KL
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1 occupe dans cette maison une chambre qui ouvre sur la pièce principale où
2 demeure sa famille.
3 Le 16 avril 1993, quelques instants après les premières
4 détonations, un soldat entre dans la maison. Ce soldat, le témoin KL, qui
5 est venu sur le seuil qui sépare la chambre, sa chambre, de la pièce
6 principale, le reconnaît, il dit que c'est Zoran Kupreskic.
7 Derrière lui, derrière Zoran Kupreskic, entre Mirjan Kupreskic.
8 La lumière est allumée dans la pièce, elle lui permet de reconnaître ces
9 deux personnes. Zoran Kupreskic, selon le témoin, tire immédiatement sur
10 le fils du témoin ; il tire ensuite sur la belle-fille du témoin, il se
11 dirige ensuite vers le jeune garçon qui est couché sur un canapé-lit. En
12 même temps, Mirjan Kupreskic verse le liquide d'une bouteille dans la
13 pièce et met le feu.
14 Le témoin KL tombe par terre, sa tête heurte le mur au pied du
15 canapé-lit, et il perd, nous a-t-il dit, conscience quelques très brefs
16 instants.
17 Zoran Kupreskic, selon le témoin, tire dans sa direction sans le
18 toucher, les balles étant arrêtées par l'accoudoir du canapé. Ensuite, le
19 bébé pleure, et de nouveaux coups de feu claquent. Et enfin, les
20 agresseurs se retirent. Selon le témoin, ils portaient des peintures
21 noires sur le visage et l'un et l'autre étaient revêtus d'un uniforme
22 noir.
23 Tel est le récit que le Tribunal a reçu de ce témoin. Ce témoin
24 a fait, bien entendu, avant sa comparution comme témoin devant le
25 Tribunal, de très nombreuses déclarations. J'évoquerai les
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1 trois premières.
2 Il a d'abord fait une déclaration le 22 avril 1993 devant le
3 représentant d'un institut de recherche sur les crimes contre l'humanité,
4 et au cours de cette déclaration il ne nomme pas Zoran et Mirjan
5 Kupreskic. Il fait ensuite une déposition le 1er octobre 1993 devant un
6 juge d'instruction de Zenica ; il dit qu'il n'a pas reconnu le visage des
7 agresseurs, mais qu'ils ressemblaient à Zoran et Mirjan Kupreskic. Et dans
8 une troisième déclaration faite le 20 février 1994 devant le représentant
9 du même institut de recherche, il nomme en la personne de Zoran et de
10 Mirjan Kupreskic les deux Oustachis qui ont massacré sa famille et détruit
11 sa maison.
12 Le témoin, alors qu'il est à l'hôpital, fait aussi une
13 déclaration sous la forme d'une interview à la télévision qui est diffusée
14 en avril 1993.
15 Je concéderai à la défense, qui, certainement, reviendra en
16 détail sur ce point, qu'entre ces déclarations et celles qui suivent,
17 faites devant un enquêteur du Tribunal, du Bureau du Procureur, de
18 nombreuses contradictions apparaissent. Mais, à mes yeux, l'essentiel est
19 bien entendu qu'il ne nomme pas ses agresseurs avant le 20 février 1994.
20 Pourquoi ?
21 La question lui a été posée à l'audience de ce Tribunal par
22 vous-même, Monsieur le Président, et il a expliqué qu'il n'avait pas eu ce
23 courage parce que c'était la guerre, que personne ne savait comment cela
24 allait finir, que, par la suite, il a réfléchi, que, par la suite, il a
25 jugé qu'il ne devait pas protéger les auteurs d'un massacre de cette
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1 nature.
2 Est-ce que les contradictions relevées entre le déclaration
3 successive du témoin et le retard de ce témoin à nommer les agresseurs
4 doivent conduire à penser qu'il a subi des influences, ou qu'il a
5 délibérément déposé contre des innocents ?
6 Je ferai d'abord, sur la question de la crédibilité du
7 témoin KL, une réflexion à caractère général. Le Tribunal sait bien que la
8 déclaration écrite d'un témoin est le résultat d'un exercice à
9 quatre mains. Je veux dire que, pour qu'une déclaration soit exacte et
10 complète, il faut que le témoin ait des souvenirs précis, qu'il dise la
11 vérité, mais il faut aussi que l'enquêteur ait du talent et de
12 l'expérience. Or, nous ne savons rien, nous ne savons rien des qualités
13 professionnelles de ceux qui ont recueilli les premières déclarations du
14 témoin KL. Par ailleurs, je tiens à souligner que la moralité du témoin KL
15 a été passée au crible, mais que rien de sérieux ne lui a été opposé.
16 Les quelques incidents évoqués par la défense sont si rares et
17 si anciens qu'ils constituent pratiquement un brevet de civisme et de
18 moralité. Et ce témoin n'avait, jusqu'au 16 avril 1993, aucune raison d'en
19 vouloir aux accusés qu'il a nommés. Si le témoin KL a menti, il n'avait
20 aucun mobile d'agir ainsi, aucune raison ne saurait expliquer son
21 comportement.
22 Je voudrais aussi souligner que la preuve me semble avoir été
23 rapportée que le témoin KL est bien le témoin de l'assassinat de sa
24 famille par deux hommes qui mettent ensuite le feu à la maison.
25 Le déroulement des faits, dans ces grandes lignes, est donné dès
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1 les premières auditions. Et les contradictions qui apparaissent ensuite,
2 relatives à ce déroulement des faits, sont d'un intérêt et d'une
3 importance secondaires.
4 Nous savons aussi que, partiellement, son récit a été confirmé
5 par le résultat des investigations techniques conduites dans la maison par
6 les experts de la police néerlandaise. Cette confirmation est évidemment
7 très partielle mais elle est néanmoins importante.
8 Le témoin Prudon, officier de police néerlandais qui a examiné
9 la maison du témoin KL en juillet 1998, a fait, malgré le temps très
10 limité qui lui était imparti, un certain nombre de découvertes et de
11 constatations, et aucune d'entre elles ne vient contredire le récit du
12 témoin KL.
13 Les ossements d'enfant, par exemple, découverts dans la maison,
14 ont été calcinés, selon les experts, à une température très élevée :
15 1000°C à 1630°C. Et le témoin a dit qu'à cette température très élevée il
16 est une explication possible : l'utilisation par les agresseurs d'un
17 accélérateur de combustion. Il n'a pas été retrouvé trace d'un
18 accélérateur de combustion, cela est vrai, mais le témoin Van der Peijl,
19 qui est un expert chimiste auprès du ministère de la Justice des Pays Bas,
20 a dit qu'il était possible, compte tenu du temps écoulé et de la situation
21 de la maison, que ces traces avaient simplement disparu au cours de la
22 période qui a précédé l'expertise.
23 De la même manière, dans la partie de la pièce où le témoin KL
24 dit avoir vu Mirjan Kupreskic renverser un produit inflammable, le
25 plancher en bois a lui-même brûlé ce qui peut signifier, selon le témoin
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1 Prudon, une concentration d'incendie à cet endroit, c'est-à-dire un foyer
2 d'incendie.
3 Dans le récit du témoin KL il y a, c'est vrai, un certain nombre
4 d'étrangetés et de bizarreries et moi-même, je le dis au Tribunal, lorsque
5 j'ai pris connaissance de cette audition, je me suis étonné de certaines
6 de ces bizarreries. Mais, sur la plupart de ces points, le témoin KL a
7 donné des explications qui sont tout à fait convaincantes.
8 Par exemple, je m'étais étonné que, dans sa première déposition,
9 le témoin ne dise pas s'être dissimulé derrière un sofa, avoir disparu
10 derrière un sofa. Mais dans la déclaration du témoin KL, telle qu'elle a
11 été recueillie le 5 mai 1993 par le représentant de la commission des
12 Droits de l'Homme et incluse dans le rapport de la commission des Droits
13 de l'Homme, il est dit que le témoin s'est caché derrière le sofa. Il est
14 donc bien clair qu'un certain nombre des contradictions relevées, au
15 moins, tiennent à la manière dont ces dépositions ont été recueillies.
16 De la même manière, c'est un second exemple, je ne comprenais
17 pas qu'il ait pu échapper à la mort en disparaissant derrière l'accoudoir
18 d'un canapé et sentir tomber sur ses jambes les douilles éjectées par
19 l'arme automatique tenue par l'agresseur. Mais tout s'éclaire en fin de
20 compte lorsqu'on sait que les douilles sont éjectées d'un fusil AK47 sur
21 la droite et plutôt vers l'avant, comme l'a démontré le témoin Kerkhoff au
22 cours de sa déposition.
23 Maintenant, sur la question de l'identification, je voudrais
24 souligner tout d'abord que le témoin KL n'a jamais donné un autre nom que
25 ceux des accusés, s'il est vrai qu'il a retardé le moment où il les a
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1 nommés. Il n'a pas été prouvé, me semble-t-il, que le témoin KL avait
2 publiquement, lors de son interview télévisée en avril 1993, dit qu'il ne
3 connaissait pas les assassins de sa famille. Les deux témoins que nous
4 avons entendus à cet égard ne me semblent pas avoir été suffisamment
5 convaincants, compte tenu du caractère extrêmement sélectif de leurs
6 souvenirs.
7 Je veux encore souligner que le retard à nommer les agresseurs
8 n'est qu'officiel parce qu'en réalité, très rapidement et avant la fin
9 même du mois d'avril, le nom de Kupreskic apparaît en liaison avec le
10 massacre de la famille du témoin KL. Et la source ne peut évidemment en
11 être que le témoin, seul survivant de ces événements.
12 De la fin du mois d'avril 1993 apparaît cette notion que les
13 auteurs du crime sont des voisins. Le témoin JJ, présent à Zenica pour le
14 compte d'une organisation internationale et qui parle la langue bosnienne,
15 rencontre le 7 mai à l'hôpital de Zenica le témoin KL, et celui-ci lui dit
16 alors qu'il connaît le nom des assassins et il précise qu'il s'agit des
17 voisins de la première maison.
18 Par ailleurs, le témoin JJ a dit au Tribunal qu'elle a entendu à
19 la radio, quelques jours après le 16 avril, que les crimes d'Ahmici
20 avaient été commis par un certain nombre de personnes qui étaient nommées.
21 Le nom de Zoran Kupreskic était mentionné. Le témoin a dit qu'un peu plus
22 tard, le 24 ou le 25 avril, à l'occasion d'une rencontre avec Zoran
23 Kupreskic, celui-ci a évoqué lui-même le nom du témoin KL. Il a dit qu'il
24 était accusé par cette famille d'avoir tué l'un d'entre eux. Il a bien
25 entendu nié sa culpabilité, mais le fait est en soit tout à fait
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1 important, et lors de sa déposition le témoin JJ a affirmé ne pouvoir
2 commettre aucune confusion sur le moment où elle a reçu ces confidences de
3 la part de Zoran Kupreskic.
4 Puisque, très rapidement et de manière non officielle mais de
5 manière cependant certaine, le témoin KL nomme en tout cas Zoran
6 Kupreskic, est-ce qu'il peut avoir commis une erreur de bonne foi ? La
7 réponse, bien évidemment, doit être négative car le témoin KL connaissait
8 parfaitement et depuis très longtemps les personnes qu'il a identifiées.
9 Il s'agissait de familiers, la distance qui les séparait était très courte
10 et la luminosité suffisante. Et ces deux personnes n'ont pas vraiment
11 tenté de se dissimuler, pensant sans doute ne laisser derrière elles aucun
12 témoin.
13 Reste bien entendu une dernière hypothèse soulevée par la
14 défense : est-ce que le témoin KL, avec les autres témoins qui ont mis en
15 cause les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic, a conclu un pacte frauduleux
16 contre la vérité ? Le Tribunal se fera bien entendu son opinion sur cette
17 question mais je voudrais faire deux remarques.
18 La première remarque, c'est qu'il est très difficile de croire
19 qu'un pacte de cette nature puisse se conclure dans les jours mêmes qui
20 suivent le massacre, compte tenu bien entendu de la situation qui était
21 celle des victimes à ce moment-là.
22 Et deuxième remarque : il me semble que dans cette affirmation,
23 une contradiction grave affecte la défense. On nous dit à la fois que
24 Zoran et Mirjan Kupreskic étaient des personnages modestes, ne jouant
25 qu'un rôle insignifiant et qu'on aurait voulu faire d'eux les boucs
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1 émissaires de la culpabilité croate. Je pense que si des témoins avaient
2 cherché un bouc émissaire, c'est-à-dire une culpabilité emblématique, ils
3 auraient désigné d'autres personnages, peut-être plus notables et plus
4 influents que les deux accusés.
5 En fin de compte, nous pouvons, je crois, comprendre sans trop
6 de peine le témoin KL et le retard qui a été le sien dans la désignation
7 officielle des agresseurs de sa famille. Il n'est pas aisé pour ces
8 témoins, qui sont aussi et bien entendu les victimes de crimes très
9 graves, de citer le nom de voisins comme auteurs de ces crimes.
10 Nous savons que dans les semaines et même les premiers mois qui
11 suivent le massacre d'Ahmici, la situation dans la vallée de la Lasva est
12 tout à fait incertaine. L'issue du conflit est imprévisible. Le simple
13 exercice de la justice est alors improbable, même si officiellement une
14 résolution a été prise pour la création de ce Tribunal. Les victimes sont
15 isolées, elles sont sans soutien, elles sont sans aucun moyen.
16 Et sans doute, ces victimes ou certaines d'entre elles ne
17 peuvent pas rompre avec Ahmici, même si elles ont été chassées d'Ahmici ;
18 elles ne peuvent pas rompre avec leur maison, même si leur maison était en
19 ruines. Certaines de ces victimes ont certainement du mal à imaginer leur
20 vie ailleurs qu'à Ahmici. Or, citer le nom d'un voisin croate comme
21 l'auteur d'un crime, c'est alors se couper tous les ponts derrière soi,
22 c'est s'interdire tout espoir de retour à Ahmici. On comprendra que
23 désigner par exemple l'accusé Vlatko Kupreskic, pour ce qui concerne le
24 témoin KL, comme étant présent à proximité des maisons en feu, ce n'est
25 pas la même chose que de désigner les assassins de sa famille.
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1 J'ai évoqué certains points de l'argumentation de la défense. Je
2 voudrais en évoquer rapidement deux autres. La défense a dit et dira
3 encore que les accusés sont incapables d'avoir agi comme le prétend
4 l'accusation dans la maison du témoin KL compte tenu de leurs qualités
5 humaines.
6 Je ne discuterai pas dans ce procès des qualités humaines des
7 accusés, mais je suis bien obligé de constater que le matin du 16 avril,
8 selon leur propre déclaration, alors qu'ils en ont le temps et l'occasion,
9 ils ne prennent aucune disposition pour prévenir leurs voisins musulmans
10 ou leurs amis musulmans d'une situation dans laquelle les Musulmans eux-
11 mêmes ne peuvent pas se trouver en parfaite sécurité.
12 Et quant à l'aide apportée par Zoran Kupreskic à son témoin JJ,
13 je n'en conteste pas la réalité, bien entendu, mais je demande au nom de
14 quoi cette aide a été apportée au témoin JJ. Je dis que ce n'était pas au
15 nom de l'humanité, je dis que c'était au nom d'une amitié, une amitié
16 étroite et exclusive ; et que de cet intérêt le témoin JJ est apparemment
17 la seule à avoir bénéficié.
18 La défense évoque aussi une sorte d'alibi. Cet alibi tient à un
19 séjour dans la dépression derrière les maisons Kupreskic, à tenter
20 d'observer sans rien voir ce qui se passe à Ahmici. Nous avons entendu de
21 très nombreux témoins qui se sont accordés sur un même récit.
22 Tous ces témoins ou la plupart d'entre eux ont évoqué ces
23 30 policiers militaires, cette trentaine de policiers militaires ; ils les
24 ont décrits de manière identique. Et ces policiers militaires ont provoqué
25 chez tous ces témoins les mêmes sentiments d'angoisse et de répulsion.
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1 Tous ces témoins ont évoqué ce séjour de trois jours passé dans la
2 dépression ; passé dans la dépression sans pouvoir pratiquement en bouger
3 et sans savoir rien de ce qui se passe, sans savoir par exemple quelles
4 sont les maisons qui brûlent.
5 Nous avons du mal à croire à la réalité de ce séjour lorsque
6 l'on sait que cette dépression ne peut pas être un abri pour les accusés
7 et leurs amis, ne peut pas être un moyen de garantir la sécurité de leur
8 famille ; lorsque l'on sait que dès la fin de la matinée, au plus tard,
9 Zoran et Mirjan Kupreskic sont en contact avec Nikola Omazic, dont on sait
10 qu'il est un membre du HVO impliqué dans l'attaque ; lorsque l'on sait que
11 dès le milieu de la matinée du 16 avril Vlatko Kupreskic affirme circuler
12 sans grande difficulté entre Zume et sa maison ; lorsque l'on sait que
13 d'autres personnes au cours de cette même matinée circulent librement
14 notamment pour faire connaître aux accusés la nouvelle de la mort de
15 Fahrudin Ahmic et que, de la même manière, Drago Josipovic nous est décrit
16 comme allant et venant au milieu du champ de bataille dans le bas
17 d'Ahmici ; et lorsqu'on se souvient que Zoran Kupreskic nous a dit que le
18 matin du 16 avril, il entend des femmes, il reconnaît pour être des femmes
19 musulmanes, hurler de terreur.
20 Et enfin, nous savons que l'agression conduite contre la
21 population civile d'Ahmici avait atteint son objectif au plus tard en fin
22 d'après-midi du 16 avril avec la destruction hautement symbolique du
23 minaret.
24 Je ne relèverai pas tous les détails sur lesquels les témoins se
25 sont accordés à une si longue distance des faits. Il est évident, me
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1 semble-t-il, que même confronté aux seules allégations de la défense que
2 je viens d'évoquer cet alibi perd sa crédibilité.
3 Nous sommes évidemment frappés que ce récit des témoins sur ce
4 qui s'est passé le 16 avril 1993 recoupe si parfaitement ce qui selon ces
5 mêmes témoins s'est passé le 20 octobre 1992 alors que les circonstances
6 sont évidemment totalement différentes.
7 Tout s'écroule plus encore lorsqu'on écoute le témoin JJ. Le
8 témoin JJ a déclaré que Zoran dès le 16 avril a appelé son domicile pour
9 l'enjoindre de rechercher un abri. Le témoin JJ a dit que Zoran Kupreskic
10 lui avait dit un peu plus tard, vers le 21 avril, qu'avant les premiers
11 tirs dans la nuit du 15 au 16 avril, il avait avec sa voiture et devant
12 faire plusieurs voyages avec sa voiture mis à l'abri à Rovna toute sa
13 famille.
14 Le témoin JJ a dit qu'en confidence Zoran lui avait raconté qu'à
15 Ahmici ce 16 avril les membres des unités des Jokers tiraient sur les
16 civils qui fuyaient ; que l'un de ces Jokers a remarqué que, lui,
17 Zoran Kupreskic ne tirait pas et l'a alors menacé de son arme s'il ne se
18 décidait pas à tirer. Et alors Zoran a tiré en l'air, il n'a pas tiré sur
19 les civils, il a tiré en l'air.
20 Pourquoi est-ce qu'il a dit cela à son amie, le témoin JJ ?
21 S'il l'a dit, les Juges de ce Tribunal devront décider si cela
22 était vrai, s'il a menti au témoin JJ. S'il a dit la vérité au témoin JJ,
23 il a menti devant ce Tribunal. Et, au regard de tout ce que nous savons au
24 terme de ce procès, il est clair à mon sens pour l'accusation que
25 Zoran Kupreskic n'a dit la vérité ni à son amie le témoin JJ ni à ses
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1 Juges. Et à son ami comme à ses Juges, Zoran Kupreskic avait évidemment de
2 bonnes raisons de cacher la vérité.
3 Compte tenu de tous ces éléments recueillis au cours des débats
4 et que bien entendu dans le temps qui m'est imparti je n'ai fait que
5 brièvement évoquer, je demande aux Juges du Tribunal de dire que les chefs
6 d'accusation 1 à 11 retenus contre les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic
7 sont établis par les preuves et tous les éléments d'appréciation soumis au
8 Tribunal dans le cours de ce procès.
9 J'en viens maintenant à la situation de l'accusé
10 Vlatko Kupreskic. Contre l'accusé Vlatko Kupreskic, l'accusation considère
11 avoir établi qu'il a personnellement pris part à l'agression conduite par
12 le HVO contre la population civile musulmane d'Ahmici et que, par son
13 comportement et par ses actes, il en a facilité la réalisation et le
14 succès, l'accusation considère avoir établi de la même manière qu'il est
15 personnellement et directement, avec d'autres personnes, responsable de la
16 mort de Fata Pezer et des blessures infligées à la fille de celle-ci.
17 Je voudrais évoquer d'abord la question que beaucoup de témoins
18 de la défense ont soulevée de l'état de santé de l'accusé Vlatko
19 Kupreskic.
20 Il n'est pas contesté par l'accusation que Vlatko Kupreskic ait
21 pu dans son enfance rencontrer de sérieux problèmes de santé et il est
22 certainement vrai que l'accusé a été, en 1970, déclaré inapte au service
23 militaire en temps de paix.
24 De la même manière, il est, me semble-t-il, établi qu'en
25 mai 1993 une commission de réforme du HVO l'a déclaré inapte au service
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1 armé. Mais qu'en est-il avant le mois de mai 1993 ?
2 La notion de service en temps de paix dans le cadre de
3 l'ancienne Yougoslavie est certainement différente de celle de service en
4 temps de guerre pour les Croates de Bosnie centrale dans les circonstances
5 de 1992 et 1993.
6 Et on ne peut croire, dans ces conditions, que le citoyen
7 ordinaire que Vlatko Kupreskic prétend avoir été, ait pu opposer à l'ordre
8 de mobilisation d'avril, par exemple, une inaptitude constatée en 1970 par
9 les autorités de l'ancienne Yougoslavie.
10 La décision de réforme du 27 mai 1993, c'est la pièce D 16/3 du
11 Tribunal, est notifiée non seulement à l'intéressé, mais aussi à la
12 brigade de Vitez. C'est à mon sens la preuve que l'accusé Vlatko Kupreskic
13 avait été versé dans les cadres de cette brigade. Et c'est ce que confirme
14 le document 335, qui est le rapport sur la mobilisation, d'où il apparaît
15 que l'accusé a été déployé dans les forces actives du HVO pendant la
16 période débutant le 16 avril 1993.
17 Mais peut-être toute cette discussion sur l'appartenance de
18 l'accusé Vlatko Kupreskic au cadre du HVO est peu pertinente, car il est
19 apparu par les témoignages recueillis devant ce Tribunal qu'à l'époque qui
20 nous intéresse, l'accusé n'est en rien handicapé dans ses mouvements, dans
21 ses activités.
22 Le plus souvent, il est décrit comme un homme actif et
23 dynamique, en particulier dans la conduite de ses affaires, et plus tard,
24 au moment de son arrestation, il fait usage d'un fusil automatique AK47,
25 arme qu'il conservait auprès de lui, chargée et prête à tirer.
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1 Et le témoin pour la défense Mario Rajic a déclaré le 8 février
2 dernier que, pour utiliser un AK47, il faut un certain entraînement.
3 Par conséquent, l'accusé Vlatko Kupreskic était physiquement
4 parfaitement en mesure de tenir le rôle que lui impute l'accusation.
5 Deuxième élément d'appréciation que je soumets au Tribunal :
6 l'engagement nationaliste de Vlatko Kupreskic n'est pas douteux. Et c'est
7 certainement cet engagement qui le conduit à revendiquer un temps son
8 appartenance au service armé du HVO ; je me réfère bien entendu au
9 document 329, c'est-à-dire le certificat qui indique que Vlatko Kupreskic
10 était membre de la brigade de Vitez pendant la période allant du
11 16 avril 1993 au 15 janvier 1996.
12 Nous avons d'autres éléments d'appréciation à cet égard ; je me
13 réfère au témoin T, qui a dit que, dans le courant du mois d'octobre 1992,
14 elle a vu Vlatko Kupreskic accompagné de son épouse et d'un autre homme
15 sortir des armes d'une voiture et les transporter dans sa maison.
16 Je me souviens aussi de la déposition du témoin H, qui a relaté
17 un incident qui s'est déroulé bien après les événements du 16 avril 1993 :
18 lorsqu'elle est retournée voir sa maison, elle a rencontré Vlatko
19 Kupreskic, qui lui a demandé ce qu'elle faisait là, qui lui a dit que ce
20 n'était plus sa maison et que cette maison ne serait plus jamais à elle.
21 Je sais bien que l'accusé lui-même, au cours de son témoignage,
22 et la défense, ont beaucoup insisté sur le fait que Vlatko Kupreskic est
23 un commerçant, qu'il fait du commerce avec les membres de toutes les
24 communautés, qu'il fait des actes de commerce avec la Croatie, mais je
25 voudrais faire cette observation générale que le commerce en temps de
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1 guerre n'implique pas la neutralité puisqu'il ne s'exerce pas librement et
2 que, au contraire, il implique des relations étroites avec les autorités ;
3 et l'autorité, à cette époque, c'est le HVO.
4 Et en effet, lorsque l'on examine les documents 359, 377 et 378,
5 l'accusé Vlatko Kupreskic apparaît avoir été alors beaucoup plus engagé
6 qu'il ne le prétend avec les autorités du HVO.
7 Le document 359, on s'en souvient, c'est le rapport d'inventaire
8 établi par une commission, qui est daté de février 93 et signé notamment
9 de Vlatko Kupreskic. Cette signature a été authentifiée devant le Tribunal
10 par l'épouse de l'accusé et le document lui-même n'a pas été contesté.
11 Le document 377 est un rapport daté du 28 décembre 1992, adressé
12 au ministère de l'Intérieur sur les effectifs de la police de Vitez. Et
13 l'accusé Vlatko Kupreskic y est mentionné comme inspecteur de première
14 classe, chargé, je cite, "de combattre les infractions d'intérêt spécial
15 pour l'Etat ".
16 Le document 378 est un rapport du 22 février 93 d'inspection des
17 services de la police de Vitez qui mentionne l'accusé comme étant
18 l'officier chargé de combattre la criminalité et investi d'une mission
19 d'intérêt spécial pour l'Etat.
20 Au cours de son contre-interrogatoire, l'accusé a expliqué qu'il
21 s'agissait d'un montage administratif pour assurer la rémunération de son
22 travail d'inventaire.
23 Je considère que cette justification est d'une particulière
24 inconsistance lorsqu'on sait que Vlatko Kupreskic a réalisé le travail
25 d'inventaire au sein d'une commission exclusivement composée de membres de
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1 la police et que le rapport final tient en trois pages.
2 Il est clair que ces documents démontrent la considération dont
3 bénéficiait, de la part des autorités officielles du HVO, Vlatko
4 Kupreskic. Ces documents démontrent qu'à un certain moment, et pour une
5 certaine période, l'accusé Vlatko Kupreskic a été membre d'une police
6 civile et spéciale tout à la fois, ce qui pourrait expliquer qu'on ne le
7 retrouve pas dans les cadres militaires avant le 16 avril 1993, mais à mes
8 yeux, cela soulève aussi toute la question de ce qui nous demeure encore
9 aujourd'hui caché de la situation et du rôle joué par l'accusé Vlatko
10 Kupreskic à cette époque-là dans la région de Vitez.
11 Ma troisième observation se rapporte au prétendu voyage effectué
12 en Croatie la veille et l'avant-veille de l'agression du 16 avril 1993.
13 Je ne consacrerai pas beaucoup de temps à cette question car
14 l'accusé admet en fin de compte avoir été présent à Ahmici à compter de la
15 fin d'après-midi du 15 avril, mais je voudrais souligner cependant que
16 nous n'avons pas, à mon sens, reçu de preuve irréfutable de la réalité de
17 ce voyage, et en particulier, aucune preuve documentaire tenant par
18 exemple à des documents ou des contrats commerciaux ou bancaires qui
19 auraient établi la réalité de ce voyage.
20 Et surtout, le Tribunal se souvient que plusieurs des témoins de
21 l'accusation ont rencontré Vlatko Kupreskic avant l'agression du 16 avril,
22 dans les jours et la journée qui l'ont précédée, dans la région de Vitez
23 et à Ahmici à un moment où l'accusé prétend avoir été en voyage. Je me
24 réfère en particulier au témoin B, qui voit Vlatko Kupreskic plusieurs
25 fois entre octobre 1992 et avril 1993 à l'hôtel Vitez, et la dernière fois
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1 le 15 avril 1993, dans l'après-midi.
2 Je me réfère au témoin L qui habite en bordure de la route qui
3 monte vers Ahmici, non loin de la maison de Vlatko Kupreskic. Le témoin L
4 a expliqué qu'il rentrait à pied de Zume le 15 avril entre 5 et 6 heures
5 de l'après-midi, et qu'en allant vers sa maison il est passé devant le
6 magasin Sutra et la maison de Vlatko Kupreskic. Devant le magasin Sutra il
7 a vu Vlatko Kupreskic ainsi que d'autres personnes, une dizaine environ,
8 qu'il ne connaissait pas. Sur le balcon de la maison de Vlatko Kupreskic,
9 il a vu des soldats.
10 Le témoin M voit le 15 avril, en fin de journée mais avant la
11 tombée de la nuit, un camion s'arrêter près de la maison de Vlatko
12 Kupreskic, des soldats en descendre et entrer dans la maison de l'accusé.
13 Cette déclaration du témoin M est corroborée par le témoin O qui voit vers
14 6 heures de l'après-midi le 15 avril des soldats, quatre à six soldats,
15 entrer dans la cour de la maison de Vlatko Kupreskic.
16 Par conséquent, nous ne pouvons pas croire que l'accusé Vlatko
17 Kupreskic soit rentré à Ahmici le 15 avril au soir d'un voyage d'affaires
18 en Croatie, ignorant tout de ce qui se tramait.
19 Nous devons au contraire constater que sa maison et ses environs
20 immédiats ont été utilisés pour les préparatifs de guerre et l'accusé, à
21 supposer qu'il n'ait pas été autrement informé de ce qui se tramait, ne
22 pouvait pas manquer de constater ces préparatifs de guerre et d'en
23 comprendre, bien entendu, la signification.
24 Je voudrais montrer aussi que l'accusé Vlatko Kupreskic ne
25 pouvait pas ignorer l'utilisation par l'agresseur de sa maison dans
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1 l'action conduite par les forces du HVO contre les populations civiles
2 d'Ahmici.
3 Il est parfaitement établi par de nombreux témoignages que la
4 maison de l'accusé et ses environs immédiats ont été utilisés dès les
5 premiers instants de l'agression et pendant pratiquement toute la journée
6 du 16 avril par les forces du HVO. Cette maison a été utilisée comme base
7 pour l'action conduite contre les maisons musulmanes des environs. Elle a
8 été utilisée aussi pour refermer le piège sur ceux des civils musulmans
9 qui tentaient de fuir vers le haut d'Ahmici.
10 Nous nous souvenons que, dès les premières minutes de
11 l'agression, les maisons du voisinage immédiat sont attaquées. Nous nous
12 souvenons que les premiers civils qui tentent de fuir vers le haut
13 d'Ahmici sont stoppés devant la maison de l'accusé et le magasin Sutra.
14 Nous nous souvenons qu'au cours de la matinée du 16 avril
15 plusieurs femmes, en particulier, sont tuées ou grièvement blessées devant
16 cette maison.
17 Le témoin W se retrouve piégé en contre-bas de la maison de
18 Vlatko Kupreskic et doit y rester trois ou quatre heures. Son épouse
19 reçoit là une balle dans la tête à laquelle elle ne survivra pas.
20 Le témoin X est elle aussi piégée devant cette maison de
21 8 heures du matin jusqu'à midi environ. L'une de ses filles est tuée, une
22 autre de ses filles est blessée après que son mari ait été abattu sous ses
23 yeux, à un autre endroit, d'une balle tirée à bout portant. Devant cette
24 maison, le témoin X voit Slavko Sakic, fils de Niko Sakic, un habitant
25 d'Ahmici, qui est en compagnie des soldats.
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1 Le témoin BB confirme que la maison de Vlatko Kupreskic était un
2 piège où ceux qui tentaient de fuir vers Ahmici-le-Haut étaient pris et
3 que de nombreux soldats se trouvaient rassemblés devant cette maison. Le
4 témoin BB a relaté qu'en début d'après-midi on peut entendre ces soldats
5 se féliciter du bon travail accompli.
6 Le major Dooley a constaté que vers 13 heures 30, le 16 avril,
7 on opérait à partir des maisons Kupreskic avec du gros calibre, du
8 calibre 50 ; et le témoin N a vu lui aussi une arme de gros calibre en
9 position devant le magasin Sutra.
10 L'accusé a prétendu que sa maison avait été utilisée à son insu
11 et qu'il l'avait retrouvée pillée et abîmée par les soldats. Cette
12 allégation n'a en aucune manière été prouvée au cours des débats.
13 D'un document du 5 avril 1995 il apparaît que certains dommages
14 ont été causés sur la maison, mais nous savons aussi que cette même maison
15 a été cambriolée le 7 mai 1994 et qu'à cette occasion des dommages ont été
16 causés sur la porte d'entrée et sur le balcon.
17 L'accusé dit avoir quitté sa maison devenue inhabitable le
18 16 avril 1993 et avoir vécu ensuite une vie de réfugié. Or, quelques jours
19 après l'agression, le caporal Skillen, qui circule à pied dans le village,
20 est surpris de voir sur la maison, sur le balcon de la maison de Vlatko
21 Kupreskic une femme et un enfant assis qui -je cite le témoin- "semblaient
22 vivre un jour tout à fait normal. Ils se comportaient comme si rien ne
23 s'était passé dans le village d'Ahmici". Un peu après, en repassant devant
24 cette même maison, le caporal Skillen a remarqué que deux adultes en
25 uniforme avaient rejoint cette femme et cet enfant sur le balcon.
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1 Le témoin G, caché dans une maison non loin de la mosquée basse,
2 environ trois jours après le massacre, voit Vlatko Kupreskic sortir de sa
3 voiture et entrer dans une maison ayant appartenu à un Musulman.
4 Mais je voudrais aussi souligner que plusieurs témoins ont
5 rapporté la familiarité de Franjo Kupreskic, père de Vlatko, avec les
6 soldats. Le témoin W relate que, sa femme ayant reçu une balle dans la
7 tête en contre-bas de la maison de Vlatko Kupreskic, il s'adresse en début
8 d'après-midi à Franjo et lui demande une brouette pour transporter son
9 épouse ou un instrument pour fabriquer un brancard. Franjo Kupreskic
10 refuse, mais un soldat lui demande d'accepter et Franjo Kupreskic lui
11 remet une hache avec laquelle il peut couper les branches et constituer un
12 brancard.
13 Le récit du témoin X qui, en début d'après-midi, elle aussi,
14 décide de se rendre -si je puis employer ce mot- aux soldats avec les
15 personnes qui l'accompagnent, nous permet de voir Franjo Kupreskic en
16 compagnie de soldats du HVO et, visiblement, non pas menacé mais au
17 contraire très à son aise. Il est même en position sinon de commandement,
18 du moins d'influence à l'égard des soldats qui se trouvent déployés autour
19 de cette maison.
20 En conséquence, compte tenu de tous ces éléments et compte tenu
21 en particulier de l'attitude qui a été celle du père de l'accusé, nous ne
22 pouvons penser que cette maison a été utilisée à l'insu de l'accusé.
23 Nous avons aussi, pour le confirmer, les dépositions de deux
24 témoins, le témoin H et le témoin KL, selon lesquelles, en début de
25 matinée, vers 6 heures ce matin du 16 avril, l'accusé Vlatko Kupreskic se
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1 trouve à proximité de sa maison.
2 J'en viens maintenant au récit du témoin Q qui est, en ce qui
3 concerne le crime spécifique reproché à l'accusé, évidemment le témoin
4 principal. Le témoin Q vit avec Fata, son épouse, trois de ses enfants, sa
5 belle-fille et trois des enfants de sa belle-fille.
6 Entre 5 heures 20 et 5 heures 30 ce matin là, alors qu'il
7 s'apprête à partir au travail, les tirs commencent. Il rassemble sa
8 famille, il rassemble aussi la famille de son frère, et d'autres réfugiés
9 les rejoignent. Ils quittent sa maison et rejoignent un garde-manger où
10 ils demeurent un moment.
11 Et ensuite, vers 8 heures 8 heures 30, formant un groupe de
12 14 personnes environ et disposées en colonne, ils progressent vers le haut
13 d'Ahmici. Toutes ces personnes sont en civil, aucune de ces personnes
14 n'est armée, le témoin Q ferme la marche.
15 Nous avons vu des photographies et des films des lieux où cette
16 action s'est passée. Nous savons que le chemin monte une étroite vallée,
17 qu'à leur gauche une colline allongée les sépare de la route et de la
18 maison de Vlatko Kupreskic, et qu'à leur droite se trouve une autre
19 colline, parallèle à la première mais plus élevée et plus longue.
20 En progressant vers le haut, ces personnes se trouvent à un
21 moment donné exposées aux soldats qui sont positionnés dans et autour de
22 la maison de l'accusé Vlatko Kupreskic. Le groupe à ce moment-là
23 entreprend de monter sur la colline à sa droite pour s'éloigner de la
24 route où réside le danger.
25 Et alors qu'ils parviennent au sommet de la colline, ils
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1 entendent des injures, le témoin Q se retourne, il voit quatre hommes se
2 tenant à proximité de la maison de Vlatko Kupreskic, trois soldats en
3 uniforme de camouflage qu'il n'identifie pas et l'accusé, Vlatko
4 Kupreskic, en habit civil. Tous sont armés. Vlatko Kupreskic porte son
5 arme en position de tirs.
6 Après les cris, ces quatre hommes, je veux dire les
7 quatre hommes y compris l'accusé Vlatko Kupreskic, ouvrent le feu sur le
8 groupe de personnes qui prend la fuite. Tout d'abord, la fille du témoin
9 est blessée. Elle appelle sa mère, sa mère revient sur ses pas, sa mère
10 est touchée de la même manière ainsi, pratiquement au même moment, que
11 l'un des réfugiés qui fait partie de ce groupe de fuyards. A ce moment-là,
12 le témoin Q traîne sa fille sur le versant opposé de la colline, de
13 manière à la mettre à l'abri des tirs qui proviennent de la maison de
14 Vlatko Kupreskic. Il revient ensuite vers son épouse et la traîne elle
15 aussi jusqu'à l'endroit où il a laissé sa fille.
16 Très longuement et par de nombreux témoins, par de nombreux
17 documents aussi, la défense a entendu contester le lieu indiqué par le
18 témoin Q comme étant celui où son épouse avait été tuée et sa fille
19 blessée.
20 Pour tenter d'établir que le groupe, au moment des tirs,
21 progressait hors de vue de la maison de Vlatko Kupreskic, la défense s'est
22 largement appuyée sur les déclarations du témoin CF. Mais nous savons que
23 ce témoin CF, qui était un réfugié, ne connaissait pas la topographie des
24 lieux, et les indications qu'il donne cinq ans plus tard à ce sujet
25 manquent évidemment de crédibilité.
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1 Nous avons constaté que le récit du témoin Q sur le trajet suivi
2 par son groupe et sur le lieu où se trouvaient son épouse et sa fille
3 lorsqu'elles ont été, tuée pour la première et blessée pour la seconde, a
4 été corroboré par les témoins P, R, S et T.
5 Ces témoins nous ont indiqué que lorsqu'ils ont quitté la maison
6 pour prendre la fuite vers le haut d'Ahmici, des tirs d'armes de gros
7 calibre provenaient du sud, de la direction de la route principale, et que
8 par conséquent, prendre par le sud de la colline comme le prétend la
9 défense c'était s'exposer en terrain découvert et prendre des risques
10 alors que l'autre voie paraissait à cet instant-là plus sûre.
11 De plus, tous les témoins ont dit avoir fait une halte au garde-
12 manger qui est un local creusé dans la colline, à une distance de 35 ou
13 40 mètres de la maison du témoin Q, selon les indications données au
14 Tribunal par Howard Tucker enquêteur au Bureau du Procureur.
15 Les témoins ont dit tous qu'en sortant de ce local, ils ont pris
16 à droite vers le haut d'Ahmici, ils n'ont pas pris à gauche pour revenir
17 vers la maison du témoin Q ; et même pour la défense, le témoin CE, épouse
18 du témoin CF, l'a confirmé.
19 Et en définitive, le témoin CF lui-même est apparu devant le
20 Tribunal comme manquant de souvenirs précis. Il a fait une déclaration en
21 1998 selon laquelle on lui avait tiré dessus alors qu'il était en train de
22 courir pour s'éloigner de la route et du magasin Sutra. Et sur le lieu où
23 se trouvaient les personnes tuées et blessées appartenant à la famille du
24 témoin Q, les témoins se sont vu corroborer par la découverte au sommet de
25 cette colline, sur les indications du témoin Q, d'objets personnels dont
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1 beaucoup ont été reconnus comme appartenant à leur famille par les
2 témoins Q et R.
3 La défense a également contesté que le témoin Q à la distance
4 qui le séparait des tireurs ait pu reconnaître l'accusé Vlatko Kupreskic.
5 On se souvient que pour la défense est apparu devant le Tribunal le
6 professeur Wagenaar qui a dit que l'identification d'une personne à une
7 distance de 60 mètres, si elle est possible, si elle demeure possible,
8 présente un risque d'erreur notable de l'ordre de 50 %.
9 On se souvient que cette distance qui séparait l'accusé du
10 témoin, selon les déclarations et indications du témoin, a été mesurée à
11 53 mètres. Mais il me semble que l'expérimentation sur laquelle se fonde
12 le professeur Waagenaar n'est pas pertinente au regard de la situation
13 d'espèce, puisque selon le protocole qu'il avait défini, il s'agissait de
14 reconnaître parmi différents visages photographiés un visage aperçu
15 quelques instants auparavant, lui aussi sur photographie.
16 Nous devons constater que ce protocole d'expérience ne pouvait
17 pas prendre en compte premièrement, la différence notable qui existe entre
18 le fait de reconnaître un visage sur une photographie et le fait de
19 reconnaître une personne réelle, en relief, en couleur, dont on peut voir
20 la taille, l'allure, le mouvement, les gestes caractéristiques ; et
21 deuxièmement, ne pouvait pas prendre en compte l'incidence du lien de
22 familiarité, c'est-à-dire le fait que le témoin connaît parfaitement et
23 depuis longtemps a souvent rencontré et aperçu la personne qu'il affirme
24 avoir identifiée.
25 La distance est évidemment un facteur important mais nous
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1 n'avons pas, par la bouche du témoin, entendu dans quelle mesure
2 précisément ce facteur pouvait être jugé important. Et nous devons bien
3 constater que les observations et les travaux du professeur Waagenaar ne
4 sont pas pour nous d'un grand secours. Nous nous trouvons renvoyés à notre
5 expérience personnelle et nous savons par expérience personnelle qu'il
6 nous est facile de reconnaître sans erreur une personne familière par sa
7 nature, son allure, sa morphologie autant que par les traits de son
8 visage, même si nous la voyons à une grande distance.
9 J'ajoute que le témoin Q a été partiellement corroboré par le
10 témoin S qui a vu un civil et trois soldats, et j'ajoute enfin que je
11 crois que le témoin Q a fait ici la preuve de sa fiabilité ; aucune sorte
12 d'incohérence, aucune sorte de contradiction n'a été relevée dans
13 l'ensemble de son témoignage.
14 L'accusé Vlatko Kupreskic a bien entendu fait état ici d'un
15 alibi, et nous avons entendu plusieurs témoins dont son épouse pour
16 établir la réalité de cet alibi. Mais, sans m'attarder au détail des
17 incohérences et des incertitudes qui subsistent, je voudrais dire très
18 brièvement pour quelles raisons nous ne pouvons pas croire à son récit.
19 Tout d'abord, il existe de très importantes discordances entre
20 la déclaration faite au Bureau du Procureur le 11 juin 1998 par l'accusé
21 et les témoignages que nous avons reçus à l'audience, en particulier sur
22 l'heure à laquelle il rejoint sa maison et sur la présence de soldats dans
23 ou autour de sa maison.
24 Sont apparues aussi de très graves incohérences relatives aux
25 raisons pour lesquelles il quitte l'abri et rejoint sa maison. Il a dit au
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1 cours de son témoignage s'être inquiété pour son père qu'il avait dû
2 laisser seul, en raison de son état physique. Or, dans une lettre écrite
3 au Procureur de ce Tribunal en novembre 1997, l'épouse de l'accusé écrit
4 que son mari qui se trouvait avec elle dans l'abri a reçu l'ordre de se
5 rendre à la maison de Niko Sakic où il devait s'occuper des blessés.
6 Et de fait, selon le témoignage reçu par ce Tribunal de la part
7 de l'accusé et de la part de Niko Sakic, c'est bien dans la maison de ce
8 dernier que se rend l'accusé Vlatko Kupreskic après avoir quitté l'abri.
9 Et par conséquent, il ne semble pas que sa préoccupation ait été alors de
10 rejoindre son père ; d'autant d'ailleurs que nous savons par d'autres
11 témoins de l'accusation que le père de l'accusé n'était en aucune manière
12 dans une situation de danger et que son état de santé lui aurait permis,
13 sans aucun doute possible, de rejoindre l'abri comme il l'a fait
14 d'ailleurs dans l'après-midi.
15 Il semble donc que l'accusé ait reçu des ordres, des ordres de
16 s'occuper des blessés. Et nous avons à cet égard une dernière
17 interrogation qui est celle de savoir pourquoi l'accusé n'apparaît pas
18 quand le corps de Mirjan Santic par exemple est transporté vers Zume, ou
19 quand Nikola Omazic est blessé puisque ni Zoran Kupreskic ni son frère
20 Mirjan ni aucune des personnes qui les accompagnent n'aperçoivent au cours
21 de cette journée l'accusé Vlatko Kupreskic.
22 Ce qui fait que, me semble-t-il, compte tenu de l'ensemble de
23 ces contradictions, encore une fois, il apparaît que nous n'avons que très
24 peu d'idées sur le rôle joué effectivement par l'accusé Vlatko Kupreskic
25 au cours de cette journée et que tout indique qu'il était, en tout cas,
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1 très étroitement associé à la conduite de l'agression par le HVO et, en
2 tout cas, présent aux alentours de 8 heures 30 devant sa maison lorsque
3 des fuyards ont été visés et pour certains d'entre eux tués et blessés.
4 Compte tenu de l'ensemble de ces éléments réunis par
5 l'accusation et que j'évoque bien entendu brièvement, je demande au
6 Tribunal de déclarer l'accusé coupable pour les chefs d'accusation
7 numéro 1 et numéros 12 à 15.
8 J'en viens maintenant à la situation...
9 M. le Président. - Peut-être pourrions-nous faire une pause de
10 dix minutes, mais seulement dix minutes, sinon vous n'arriverez pas à
11 finir.
12 M. Terrier. - Très volontiers, Monsieur le Président.
13 (L'audience, suspendue à 12 heures 10, est reprise à
14 12 heures 25.)
15 M. le Président. – Maître Terrier.
16 M. Terrier. – Merci, Monsieur le Président. J'en viens
17 maintenant aux charges retenues contre l'accusé Dragan Papic. Je pense que
18 l'accusation a établi contre lui sa participation personnelle et active
19 aux faits de persécution commis le 16 avril contre la population civile
20 musulmane d'Ahmici.
21 En premier lieu, j'évoquerai son engagement nationaliste. Je me
22 réfère à tous les témoins de l'accusation -et ils sont nombreux- qui ont
23 déclaré de manière unanime qu'avant avril 1993 ils voient couramment
24 Dragan Papic porter un uniforme noir et porter un fusil.
25 Tous ces témoins ont dit aussi que le comportement de
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1 Dragan Papic à leur égard, c'est-à-dire à l'égard des Musulmans, est
2 clairement menaçant, intimidant.
3 En deuxième lieu, je me réfère au document 371 qui est le
4 registre des membres du HDZ pour la période de septembre 1991 à
5 avril 1992. Le nom de l'accusé comme membre du parti HDZ y figure et sa
6 signature valide ces indications.
7 Je veux faire valoir ensuite que l'accusé Dragan Papic est à
8 cette époque un membre actif d'une unité militaire du HVO.
9 Je me réfère à plusieurs témoignages et en particulier à des
10 témoignages reçus de la défense. Pour la défense, le témoin Zvonimir
11 Santic a déclaré que le 20 octobre 1992 vers 8 heures du matin, il voit
12 Dragan Papic qui porte un mortier M60 et un sac et qui dit avoir reçu de
13 Nenad Santic l'ordre d'aller jusqu'à Njive. Ceci a été confirmé par la
14 défense de l'accusé au cours de la déclaration liminaire.
15 Il apparaît donc que, le 20 octobre 1992, l'accusé exécute des
16 ordres à caractère militaire et utilise une arme de guerre puisque, bien
17 entendu, l'utilisation d'un mortier est une prérogative militaire et non
18 pas une occupation civile.
19 Le témoin B a évoqué un barrage installé à Ahmici devant la
20 maison de l'accusé Dragan Papic en novembre 1992. Sur ce barrage, on peut
21 voir des sacs de sable placés en chicane et un fusil mitrailleur.
22 Nenad Santic est présent ainsi que Mario Cerkez et Dragan Papic et au
23 terme d'une négociation, Dragan Papic donne aux soldats l'ordre de
24 démonter le barrage. C'est donc lui qui est au commandes du barrage selon
25 la déposition du témoin B.
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1 Avant le 16 avril 1993, la maison de Dragan Papic est couramment
2 utilisée comme base par les forces armées du HVO. Elle est encore utilisée
3 en octobre 1992 puisque, selon les témoins, et en particulier je me réfère
4 au témoin D et au témoin Mehmed Ahmic, des tirs peuvent être vus de cette
5 maison, et notamment le témoin Mehmed Ahmic a indiqué qu'il avait essuyé
6 des tirs de l'accusé lui-même alors revêtu d'un uniforme noir et armé d'un
7 fusil automatique.
8 En janvier 1993, le témoin Fahrudin Ahmic a vu l'accusé
9 accompagné d'autres personnes transporter du matériel militaire hors de sa
10 maison.
11 Le témoin B a vu, après octobre 1992, des armes lourdes
12 stationner à proximité de la maison de Dragan Papic. Cette maison est donc
13 couramment le centre d'une activité militaire.
14 D'autres éléments soumis par l'accusation -et parfois même par
15 la défense- établissent l'appartenance de l'accusé à une unité militaire.
16 Je me réfère au document D 18/2 daté de février 1993, au vu duquel
17 l'accusé apparaît sur la liste des personnels du deuxième bataillon de la
18 brigade de Vitez. Le nom de Dragan Papic y figure avec cette précision que
19 son incorporation remonte à juin 1992.
20 Le 16 avril 1993, la maison de l'accusé est utilisée comme en
21 octobre 1992, comme base de feu et base d'appui par les forces croates.
22 Plusieurs témoins ont rapporté qu'une importante activité militaire était
23 déployée le 16 avril 1993 au cours de cette maison.
24 Je me réfère au témoin Fahrudin Ahmic qui a déposé pour
25 l'accusation ainsi qu'au témoin A qui a vu une mitrailleuse le
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1 16 avril 1993 en position à proximité de la maison de Dragan Papic.
2 Dragan Papic est présent dans le village le 16 avril 1993, il prend part à
3 l'agression conduite contre les populations civiles musulmanes.
4 Le témoin G a déclaré qu'au cours de la matinée du 16 avril sur
5 le seuil de la maison de Hussein Ahmic, dont le cadavre gît à ce moment-là
6 sur le sol, à une dizaine de mètres de lui, il voit Dragan Papic debout.
7 Dragan Papic est revêtu d'un uniforme, il porte un fusil, d'autres soldats
8 se trouvent près de lui et le témoin reverra Dragan Papic au cours de
9 l'après-midi en compagnie d'autres soldats.
10 Ce témoignage est apparu crédible compte tenu de ce que le
11 témoin G connaissait parfaitement Dragan Papic pour être depuis longtemps
12 un très proche voisin, et sur l'ensemble de sa déclaration, ce témoin ne
13 s'est pas livré à des contradictions ou à des incohérences.
14 Le témoin A a vu Dragan Papic le lendemain, le 17 avril,
15 toujours en uniforme noir, debout devant sa maison à côté d'une
16 mitrailleuse, en compagnie d'autres soldats et selon le témoin A, l'accusé
17 a alors fait des plaisanteries aux dépens des réfugiés musulmans qui
18 étaient emmenés en direction d'un centre de détention.
19 La défense nous a indiqué par la voie de ses témoins -pas par la
20 voix de Dragan Papic qui a choisi de ne pas s'exprimer- que l'accusé était
21 ignorant de ce qui se tramait le 16 avril à Ahmici et qu'il ne se trouvait
22 pas de toute la journée du 16 avril à Ahmici, mais sur le pont de Radak où
23 il était chargé de monter une garde.
24 Tout d'abord, pour répondre à cette thèse de la défense, je
25 voudrais souligner que compte tenu de l'étroitesse des liens qui unissent
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1 Dragan Papic au HVO, compte tenu de ce qu'a été son rôle en particulier au
2 cours du conflit d'octobre 1992, compte tenu de l'utilisation qui est
3 faite de sa maison, l'ignorance prétendue est a priori peu crédible.
4 Sa présence prétendue sur le pont de Radak appelle évidemment un
5 certain nombre d'observations. Nous avons reçu le témoignage d'Ivo Vidovic
6 pour la défense, qui a vu arriver Dragan Papic vers 6 heures 30, non pas
7 d'Ahmici, mais de Rovna et nous avons reçu aussi le témoignage de
8 Zvonimir Santic.
9 L'un et l'autre témoin, Ivo Vidovic et Zvonimir Santic, ont dit
10 avoir été là en exécution d'ordres très stricts. Ces ordres incluaient le
11 fait qu'ils ne devaient en aucune manière s'éloigner du pont de Radak. Il
12 apparaît que ces hommes, ces deux témoins en particulier ainsi que
13 l'accusé qui les accompagnait, sont devenus donc le 16 avril, aux
14 premières heures du 16 avril, des soldats. Mais n'a pas été résolu au
15 cours de ces débats par les témoins de la défense la question de savoir
16 quand ces hommes sont devenus des soldats, quand Nenad Santic a-t-il pu
17 donner des ordres à Dragan Papic ?
18 Nous nous souvenons du témoignage du frère cadet de l'accusé
19 Goran Papic, qui a dit que Dragan avait avec sa famille pris la fuite dans
20 la forêt qui jouxte sa maison ; puis ensuite, qu'il avait emmené les
21 femmes de la famille vers Rovna par le pont de Radak. Et quand il en
22 revient, il s'arrête pour entamer sa garde. Et selon le témoin, ce n'était
23 pas ce matin-là du 16 avril que son frère avait pu rencontrer Nenad Santic
24 et recueillir les ordres qu'il a exécutés.
25 Nous devons donc considérer même si la crédibilité du témoin
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1 Goran Papic a paru plus que suspecte, que si Dragan Papic comme le prétend
2 la défense a reçu instructions de monter la garde sur le pont, ces
3 instructions n'ont pu lui être données le matin après le début du tir mais
4 seulement avant et probablement la veille de l'agression du 16 avril.
5 Il est possible que l'accusé ait passé une partie et les jours
6 suivant le 16 avril, une partie de la journée du 16 avril et les jours
7 suivants sur le pont de Radak, mais il est aussi établi par les témoins de
8 l'accusation qu'il se trouvait bien au milieu du village le 16 avril et
9 sur les lieux de tueries indiscutables comme celles de Husein Ahmic et de
10 la famille du témoin G.
11 Par conséquent, l'accusation pense avoir démontré que l'accusé
12 s'est associé à la cause du nationalisme des Croates de Bosnie, qu'il
13 s'est associé aux forces armées du HVO quelles que soient les modalités
14 juridiques de cette association, qu'il était inséré dans une chaîne de
15 commandement, qu'il était nécessairement informé de ce qui se tramait
16 avant le début de l'agression, qu'il avait évacué sa famille et qu'il
17 était présent le 16 avril à Ahmici en uniforme et porteur d'une arme.
18 L'accusation demande au Tribunal de le déclarer coupable sur le
19 chef d'accusation n° 1 c'est-à-dire de persécution.
20 J'en viens maintenant à la situation de l'accusé
21 Drago Josipovic. L'accusation pense avoir démontré la réalité de son
22 engagement nationaliste même si son tempérament est évidemment moins
23 expressif que celui de Dragan Papic. Son nom figure sur la liste des
24 membres du HDZ et les liens familiaux notoires qui l'unissent notamment à
25 Nenad Santic, même s'ils ne l'impliquent pas personnellement, dressent un
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1 contexte qui ne peut pas être méconnu.
2 De la même manière, son implication dans les unités armées du
3 HVO a été établie. On se souvient que l'accusé est mentionné sur le
4 registre du HVO pour la période du 8 avril 1992 au 15 octobre 1995, et la
5 réalité de sa signature n'a pas été, je crois, contestée.
6 S'agissant de son implication dans l'agression conduite le
7 16 avril contre les Musulmans d'Ahmici, je ferai valoir les éléments
8 d'appréciation suivants. Premièrement, il n'est pas contesté que l'accusé
9 se trouvait le 16 avril au matin en uniforme et armé à l'extérieur de sa
10 maison lorsque commencent les tirs, lorsque commence l'agression. De très
11 nombreux témoins à la fois pour la défense et pour l'accusation ont
12 rapporté ce fait.
13 Nous ne savons pas, par les témoins de la défense, ce qui a
14 conduit Drago Josipovic à quitter sa maison au petit matin de ce 16 avril
15 avant le début de l'agression en uniforme et armé alors qu'il prétend
16 avoir tout ignoré de ce qui allait se passer. Nous ne savons pas, par les
17 témoins de la défense, ce qui l'a conduit à rejoindre le témoin DG, si
18 c'est ce qu'il a fait, et ensuite à se diriger vers le lieu d'où
19 proviennent les tirs lorsque commence l'agression.
20 Mais nous sommes invités bien évidemment à conclure que
21 Drago Josipovic sait ce qui va se passer et que s'il est dehors en
22 uniforme et armé avant que cela commence, c'est qu'il a l'intention d'y
23 prendre part. Quand il rejoint le témoin DG, sa famille se trouve à
24 l'abri. Elle aurait trouvé refuge à Rovna, selon ce témoin DG, mais nous
25 ne savons pas quand elle s'y est rendue ni par quel moyen.
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1 Le témoin Z a par ailleurs relaté que dans l'après-midi du
2 16 avril, vers 16 heures 30, alors qu'il se trouvait auprès de la grande
3 route, il a aperçu au moment où il embarquait dans un véhicule du
4 Bataillon britannique Drago Josipovic à la tête de quatre hommes au bord
5 de la route. Tous sont en uniforme de camouflage, tous armés de fusils
6 automatiques, et compte tenu de la parfaite connaissance qu'a le témoin Z
7 de l'accusé aucune possibilité d'erreur ou de confusion n'a pu s'élever
8 puisque ce groupe de soldats se trouvait à une vingtaine de mètres de lui.
9 Ce même témoin Z a déclaré devant votre Tribunal que, peu avant
10 d'embarquer dans le véhicule du Bataillon britannique, il a aperçu un
11 certain Aladin Karahoda qui se trouvait dans l'enceinte de l'entreprise
12 Ogrev et qui lui faisait des signes. Le témoin André Kujawinski, sergent
13 du Bataillon britannique, a pris une photographie de ces instants. Il a
14 confirmé que, au moment où un certain nombre de victimes, de réfugiés,
15 embarquaient dans un des véhicules du Bataillon britannique, il a remarqué
16 un jeune homme très effrayé qui a réussi à sortir du bâtiment Ogrev après
17 avoir essayé d'ouvrir sans succès la porte de l'enceinte. Il a dû passer
18 sous cette porte en rampant.
19 Nous savons que ce Aladin Karahoda, qui est depuis décédé, a eu
20 par la suite l'occasion de relater dans quelles circonstances il s'était
21 trouvé enfermé dans l'enceinte de l'entreprise Ogrev. Le témoin BB qui,
22 comme le témoin Z, a embarqué dans l'un des véhicules de la Forpronu, a
23 déclaré qu'Aladin lui avait relaté que Drago Josipovic l'avait enfermé
24 dans ce bâtiment alors qu'il se trouvait accompagné de soldats, lui avait
25 coupé le téléphone et l'avait menacé.
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1 Autre élément d'appréciation que je veux soumettre au Tribunal :
2 les soldats qui agissent dans ce quartier d'Ahmici viennent de la maison
3 de l'accusé. Nous le savons de manière certaine par la déposition du
4 témoin CA et par la déposition du témoin CB, et ceci nous montre que
5 l'accusé en quittant sa maison le 16 avril au matin ne pouvait pas avoir
6 manqué d'apercevoir ces soldats ni de comprendre ce qui allait se passer
7 s'il n'en était pas autrement informé.
8 Il est apparu aussi au cours de ces débats que des Musulmans,
9 femmes, enfants et personnes âgées sont détenus au cours de cette journée
10 du 16 avril 1993 dans la maison du témoin DG avant d'être transférés vers
11 l'école de Dubravica. Et nous avons pu constater que l'accusé
12 Drago Josipovic a concouru activement à cette détention de réfugiés
13 musulmans.
14 La défense a bien entendu essayé de faire valoir que ce
15 regroupement de Musulmans dans la maison du témoin DG avait un caractère
16 humanitaire et charitable. En réalité, nous avons constaté que ces
17 Musulmans ont été regroupés dans une seule maison et dans aucune autre ;
18 que ces Musulmans ont rencontré dans cette maison des conditions
19 extrêmement difficiles. Selon le témoin DG lui-même, 38 personnes ont été
20 rassemblées dans deux pièces de 9 mètres carrés. Les réfugiés, a dit le
21 témoin -je le cite- "étaient debout comme des allumettes l'un à côté de
22 l'autre".
23 Le témoin DG et Drago Josipovic sont très présents autour de
24 cette maison dans la journée du 16 ainsi que le 17 avril, le lendemain.
25 Ils viennent dans la maison, ils requièrent les hommes présents de sortir
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1 pour aller collecter des cadavres. Ils font, selon le témoin CA, référence
2 à leurs ordres. Nenad Santic vient aussi dans cette maison. Le lendemain
3 17 avril, toutes les personnes rassemblées dans la maison du témoin DG
4 sont transférées à Zume dans une autre maison et puis le jour suivant, ils
5 seront transférés à l'école de Dubravica. C'est lorsqu'ils se trouvent à
6 Zume que quatre personnes sont appelées par les soldats et disparaissent
7 ensuite à tout jamais. Drago Josipovic accompagne le transfert de ces
8 réfugiés musulmans, il refuse au témoin CA qui exprime la volonté de
9 rester, le droit de rejoindre sa maison.
10 Il est possible que certains réfugiés musulmans dans cette
11 maison n'aient pas eu le sentiment d'avoir été détenus, il est possible
12 que certains d'entre eux aient considéré que cette maison, après l'enfer
13 du début de matinée, était un refuge. Mais nous devons constater que tout
14 simplement ils n'avaient pas le choix et c'est bien ce que le témoin CB
15 nous a dit : "Nous n'avions pas d'autre solution, tout simplement ".
16 Par conséquent, cette maison était un centre de détention, de
17 transit, et l'accusé Drago Josipovic a joué un rôle très actif dans cette
18 détention. Il est clair que, ce faisant, il a pris une part active à
19 l'opération du HVO dont le caractère de persécution est tout à fait
20 établi.
21 Je me réfère maintenant à la déposition du témoin DD, dont le
22 fils de 15 ans et l'époux sont exécutés alors que, selon son témoignage,
23 Drago Josipovic se trouve sur les lieux. Le témoin a déclaré, et le
24 Tribunal s'en souvient, dans quelles circonstances son fils de 15 ans et
25 son époux avaient été emmenés par les soldats et exécutés.
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1 Elle a déclaré que Drago Josipovic se trouvait sur les lieux de
2 ces faits. Elle a affirmé avoir vu son visage, en particulier lorsqu'à un
3 moment donné, Drago Josipovic a soulevé sa cagoule pour s'essuyer le
4 front.
5 Elle a affirmé avoir entendu à deux reprises sa voix. Une
6 première fois, lorsque le témoin se bat avec un soldat, Drago Josipovic
7 intervient et ordonne aux soldats de la laisser tranquille. Il apparaît
8 d'ailleurs que Drago Josipovic est à cet instant en situation de
9 commandement des soldats qui l'accompagne.
10 Une deuxième fois, lorsqu'elle est emmenée dans une étable et
11 enfermée dans cette étable, elle entend la voix de Drago Josipovic qui
12 recommande aux soldats d'une maison proche appartenant à un Croate qu'elle
13 soit épargnée. Là encore, Drago Josipovic est en position d'influence ou
14 de commandement à l'égard des soldats qui l'accompagnent.
15 Et enfin, je me réfère au témoignage du témoin EE et lorsque
16 j'évoque ce témoignage, j'évoque en réalité les charges qui pèsent à la
17 fois contre Drago Josipovic et contre l'accusé Vladimir Santic. Nous nous
18 souvenons du récit du témoin EE, nous nous souvenons que sa maison est à
19 très courte distance de celle du témoin DD, nous nous souvenons que le
20 témoin EE a reconnu parmi les agresseurs qui se sont présentés devant sa
21 maison notamment les accusés Vladimir Santic et Drago Josipovic, tous les
22 deux comme les autres soldats présents habillés d'un uniforme de
23 camouflage. Vlado Santic, selon le témoin, porte à cet instant un casque
24 avec une personne dont le nom est Zeljo Livancic que nous connaissons. Il
25 emmène son mari et le témoin ne le reverra jamais.
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1 Le témoin a indiqué que, dans les instants qui ont suivi,
2 lorsqu'elle quitte sa maison à laquelle on met le feu, elle doit avoir
3 affaire avec l'accusé Drago Josipovic qui lui dit où elle doit se rendre
4 ainsi qu'une nouvelle fois à Vlado Santic qu'elle voit passer à 3 mètres
5 d'elle.
6 Lorsque la nuit tombe, elle voit Drago Josipovic une nouvelle
7 fois en uniforme et en armes ainsi que les témoins DG et DH.
8 Le témoin EE a identifié Drago Josipovic devant ce Tribunal,
9 elle a dit l'avoir vu à courte distance à plusieurs reprises le 16 et le
10 17 avril sur les lieux où son mari a été emmené, puis exécuté, et pendant
11 le cours de l'agression.
12 Elle a dit avoir connu de longue date Drago Josipovic, par
13 conséquent, n'avoir pu commettre une possible erreur ou une possible
14 confusion.
15 De la même manière, elle a identifié l'accusé Vladimir Santic
16 qu'elle a vu à deux reprises et à courte distance ce matin du 16 avril et
17 qu'elle connaît bien.
18 L'accusation affirme que, sur les aspects essentiels de son
19 témoignage, le témoin a fait la preuve de sa crédibilité. Nous disons au
20 Tribunal que, bien entendu, il appréciera la portée de cette crédibilité
21 et de ce témoignage. Je sais que la défense conteste les déclarations du
22 témoin en faisant valoir en particulier qu'elle a cité trois personnes qui
23 ne pouvaient pas être présentes, selon elle, ce 16 avril à Ahmici, et je
24 veux parler de Stipo Alilovic, Zeljo Livancic et Marinko Katava.
25 Je veux simplement souligner pour ce qui concerne Stipo Alilovic
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1 que la preuve n'a pas été établie au cours de ces débats et en particulier
2 par les témoins appelés par la défense, que Stipo Alilovic qui se trouvait
3 avec sa famille à Amsterdam depuis le mois de mars 1992, n'avait pas pu
4 quitter la Hollande pour rejoindre la Bosnie au début de l'année 1993 et
5 en particulier aux alentours du mois d'avril 1993.
6 Le Tribunal appréciera ce point, de même qu'il appréciera la
7 portée des déclarations du témoin CD qui a déclaré devant ce Tribunal que
8 Marinko Katava se trouvait bien à Vitez le 16 avril aux alentours de
9 5 heures 30 et qui a affirmé aussi l'avoir revu entre 9 heures et
10 9 heures 30.
11 L'accusation, sur ces deux points, ne veut pas spéculer
12 davantage. En revanche, nous affirmons que pour ce qui concerne
13 Zeljo Livancic, nous avons suffisamment d'éléments et suffisamment
14 d'éléments que nous tenons même de certains des témoins de la défense,
15 pour dire que Zeljo Livancic, très probablement, pratiquement
16 certainement, se trouvait bien le 16 avril au matin à Ahmici et se
17 trouvait engagé dans l'action conduite par le HVO contre la population
18 civile d'Ahmici.
19 En toute hypothèse, sur les points que je viens d'évoquer, il ne
20 semble pas que le témoin, que la crédibilité du témoin EE se trouve
21 compromise. Nous avons à l'encontre de l'accusé Drago Josipovic un certain
22 nombre de preuves qui sont précises et convergentes. Nous avons les
23 preuves que, par son comportement et par ses actes, il a pris une part
24 personnelle à l'agression qui a été conduite contre les civils musulmans
25 d'Ahmici, qu'il s'est impliqué de manière très active et personnelle dans
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1 la détention illégale d'un nombre important de Musulmans et, de la même
2 manière, dans l'assassinat de l'époux du témoin EE, qu'il était présent
3 sur les lieux lorsque des membres de la famille du témoin DD ont été
4 emmenés et exécutés.
5 Du récit des témoins il apparaît que Drago Josipovic était
6 parfaitement conscient des raisons de sa présence, du sort réservé à la
7 famille du témoin EE comme à la famille du témoin DD et qu'en conséquence
8 il a, activement et en pleine connaissance de cause, concouru à la
9 réalisation des buts criminels poursuivis par les agresseurs.
10 J'en viens maintenant à l'accusé Vladimir Santic. Vladimir
11 Santic, c'est l'évidence, se distingue des autres accusés en ce sens qu'il
12 n'est pas un résident d'Ahmici, d'une part, et d'autre part en ce sens
13 qu'il exerce à cette époque-là d'importantes responsabilités militaires.
14 Le rôle de commandement de l'accusé Vladimir Santic a été établi, et
15 d'ailleurs non contesté par la défense, et je crois que nous pouvons
16 considérer que Vladimir Santic, policier de formation, membre de la police
17 militaire du HVO, exerçait bien depuis janvier 1993 les responsabilités de
18 commandant de la 1ère Compagnie du 4e Bataillon de police militaire, unité
19 comprenant notamment le peloton dit "antiterroriste" des Jokers.
20 Nombre de témoins entendus par le Tribunal, nombre de documents
21 reçus par le Tribunal ont établi ce rôle militaire et de commandement
22 exercé alors par l'accusé Vladimir Santic. Je me réfère en particulier au
23 récit du témoin AA, qui était un subordonné de l'accusé, et qui a indiqué
24 au Tribunal que Vladimir Santic exerçait un commandement extrêmement
25 étroit sur les unités placées sous ses ordres, et en particulier sur
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1 l'unité qui devait prendre le nom d'unité des Jokers, peloton à la tête
2 duquel la désignation d'Anto Furundzija comme chef a été approuvée par
3 l'accusé.
4 Selon le récit du témoin AA, il est apparu aussi que le chef de
5 ce peloton des Jokers, Anto Furundzija, ne pouvait agir sans les ordres ou
6 sans l'approbation de Vladimir Santic, commandant de la compagnie, et que
7 Vladimir Santic était très présent auprès de ses hommes, et en particulier
8 auprès du Bungalow.
9 Nous avons d'autres confirmations de ce fait : nous avons
10 certains des ordres écrits émis par l'accusé Vladimir Santic -je me réfère
11 au document 390. Nous avons la preuve aussi, et c'est important, que
12 Vladimir Santic exerçait sur ses hommes le pouvoir disciplinaire lorsqu'il
13 l'estimait utile et nécessaire.
14 Nous savons qu'après le 16 avril, avant et après le 16 avril et
15 le 16 avril lui-même, l'accusé Vladimir Santic s'est trouvé présent, a été
16 vu au Bungalow auprès de ses hommes de l'unité dite des Jokers.
17 Nous savons aussi que Vladimir Santic n'a pas exercé ses
18 responsabilités de commandement d'une manière impartiale et avec un souci
19 normal de ses devoirs de responsable public. Le témoin AA l'a décrit comme
20 particulièrement indulgent, voire totalement passif à l'égard d'exactions,
21 d'ailleurs sérieuses et répétées comme le pillage, le vol, commises au
22 préjudice des Musulmans, parfois par des membres de son unité.
23 Nous nous souvenons de l'incident grave constitué par
24 l'arrestation de Miroslav Bralo pour l'assassinat d'Esad Sakic. Bralo a
25 été arrêté, détenu quelques temps à la prison de Kaonik dans des
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1 conditions d'ailleurs confortables, et ensuite libéré avec la
2 bienveillance active ou passive de Vladimir Santic.
3 Le rôle des Jokers au cours de la journée du 16 avril 1993 à
4 Ahmici a été établi par de très nombreux témoignages, non seulement des
5 victimes de l'agression -Abdullah Ahmic, le témoin E, le témoin A, le
6 témoin F, CA, G et GG-, mais aussi par des membres du Bataillon
7 britanniques qui sont entrés dans Ahmici ou qui sont passés devant le
8 Bungalow au cours de cette journée du 16 avril. Je pense au témoignage
9 d'André Kujawinski qui, devant le Bungalow au cours de l'après-midi du
10 16 avril, a vu un certain nombre de soldats portant des toasts et
11 paraissant très heureux, ce qui l'a conduit évidemment à considérer qu'ils
12 étaient impliqués dans l'agression commise contre Ahmici.
13 Et nous nous souvenons aussi du témoignage de Lee Withworth qui
14 a rencontré des hommes du Bungalow, plus tard, et à qui il a semblé que,
15 de manière implicite, les Jokers revendiquaient leur -je cite entre
16 guillemets bien entendu- "victoire militaire à Ahmici".
17 La présence de Vlado Santic à Ahmici le 16 avril 1993 auprès de
18 ses hommes a, elle aussi, été établie au-delà de tout doute raisonnable et
19 en particulier par les considérations soumises au Tribunal par le
20 brigadier Asim Dzambasovi. Ce témoin, en se référant aux principes qui
21 régissent le fonctionnement des armées dans tous les pays du monde, a
22 expliqué qu'un chef de peloton tel qu'Anto Furundzija ne peut référer à sa
23 hiérarchie qu'à travers son commandement de compagnie et que, inversement,
24 tout ordre donné au peloton ne peut l'être que par la voie du commandant
25 de compagnie.
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1 Il nous a expliqué aussi qu'un commandant de compagnie à le
2 devoir de veiller concrètement à la bonne exécution de l'ordre qu'il donne
3 ou qu'il transmet et, qu'à cette fin, il est requis de se trouver présent
4 sur le terrain avec ses hommes.
5 De ces principes élémentaires applicables dans toutes les
6 armées, nous devons conclure que des ordres illégaux ont été donnés aux
7 Jokers, premièrement. Deuxièmement, que ces ordres illégaux ont été donnés
8 par ou par l'intermédiaire de l'accusé Vlado Santic, et troisièmement que
9 ces ordres, bien entendu, ne pouvaient comporter aucune trace écrite.
10 Enfin, que le commandant de compagnie ne pouvait qu'accompagner ses hommes
11 sur le terrain, c'est-à-dire, en l'espèce, être physiquement présent le
12 16 avril 1993 à Ahmici.
13 Par conséquent, par ses responsabilités à la tête de la
14 1ère Compagnie du 4e Bataillon de police militaire, Vlado Santic se trouve
15 étroitement impliqué dans les faits de persécution, l'opération de
16 nettoyage ethnique. Il est le donneur d'ordres, c'est-à-dire qu'au moins,
17 au moins, s'il a reçu des directives générales, il les a transmises malgré
18 leur caractère manifestement illégal et il les a complétées de ses ordres
19 d'exécution.
20 Mais la contribution aux crimes commis à Ahmici par l'accusé est
21 plus vaste encore puisque l'accusé était présent le 16 avril aux premières
22 heures de la journée devant la maison du témoin EE et en compagnie de ses
23 hommes.
24 J'ai déjà examiné le témoignage de EE, je n'y reviens pas, je
25 dois seulement rappeler que, pour ce qui concerne le rôle joué par
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1 l'accusé Vladimir Santic, les déclarations du témoin EE sont corroborées,
2 premièrement par le fait que le témoin CA a rapporté que le témoin EE, dès
3 son arrivée dans ce centre de rassemblement et de détention, a mentionné
4 le nom de l'accusé Vladimir Santic comme étant l'une des personnes qu'elle
5 a vues autour de sa maison au moment où son époux a été assassiné. Et
6 deuxièmement, le témoin CB cité par la défense a dit aussi d'une manière
7 claire et formelle qu'elle se souvient que le témoin EE a mentionné ce
8 16 avril le nom de Vlado Santic qui était venu devant sa porte et qui
9 avait refusé de répondre à sa question lorsque le témoin EE lui avait
10 demandé : "Que fais-tu là, Vlado ?"
11 Dernier élément sur ce plan que je soumets : l'accusation a
12 soumis au Tribunal un moyen de preuve tenant dans un film vidéo ; c'est la
13 pièce 253 du Tribunal, de l'accusation du dossier du Tribunal. C'est un
14 film tourné dans le cadre du Bungalow. Sur ce film, on peut voir l'accusé.
15 Le témoin AA a reconnu de manière catégorique le lieu où le film a été
16 tourné, c'est-à-dire le Bungalow, et a formellement identifié l'accusé
17 Vladimir Santic. Comme il apparaît tant du commentaire que de la mention
18 inscrite sur ce film, il a été tourné le 16 avril dans la soirée.
19 Et nous savons que le témoin de la défense Davor Biletic a dit
20 avoir vu Vladimir Santic et attesté de sa présence à 8 heures 30 ce
21 16 avril au Bungalow au milieu de ces hommes.
22 Je ne crois pas, compte tenu des charges réunies contre
23 l'accusé, que la défense ait pu démontrer l'alibi qu'elle a prétendu
24 soutenir par des témoins tels Ivica Franjic et Davor Biletic. Je n'évoque
25 pas Ivica Franjic, qui n'a attesté de la présence de l'accusé à Vitez qu'à
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1 6 heures 30, ce qui, évidemment, compte tenu de la très courte distance
2 qui sépare Vitez d'Ahmici ne l'empêche pas de se trouver au début de
3 l'agression devant la maison du témoin EE.
4 Quant au témoin Davor Biletic, je souligne les incohérences et
5 les bizarreries de son témoignage, et en particulier le fait que si le
6 témoin est formel quant à la présence de l'accusé à l'hôtel Vitez, dans
7 les premières heures du 16 avril, il a, semble-t-il, tout oublié des
8 personnes qui se trouvaient présentes à l'hôtel Vitez ce matin-là et des
9 circonstances de cette journée.
10 Et par conséquent, je ne pense pas que Davor Biletic ait pu être
11 en position d'apporter au Tribunal un témoignage utile, ni, surtout, que
12 sa seule déposition soit suffisante à discréditer les preuves de
13 l'accusation.
14 Dans ces conditions, je demande au Tribunal de dire que l'accusé
15 Vladimir Santic s'est bien rendu coupable, par les ordres donnés et les
16 responsabilités exercées, et par ses actes personnels, des crimes
17 mentionnés aux chefs d'accusation n° 1, et n° 16 à 19.
18 J'ai dit au début de mes conclusions orales, Monsieur le
19 Président, Madame et Monsieur les Juges, que l'accusation entendait par ma
20 voix dire quelles sont, selon son point de vue, les peines qui doivent
21 être prononcées contre chacun des accusés. Je me réfère, compte tenu du
22 temps qui me reste, Monsieur le Président, et pour réserver du temps à vos
23 questions, je me réfère aux conclusions écrites de l'accusation pour ce
24 qui concerne les critères qui paraissent devoir être pris en compte dans
25 la détermination de cette sanction qui doit être prononcée contre chacun
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1 des accusés.
2 Pour ce qui concerne Dragan Papic, Dragan Papic est-il celui que
3 le capitaine Stevens a formellement reconnu pour avoir, le 21 avril 1993,
4 à Ahmici, pendant une vingtaine de minutes, exprimé toute la satisfaction
5 qu'il ressentait à l'idée de ce qui s'était passé et des morts musulmans ?
6 Je ne veux pas spéculer, mais je veux simplement souligner que,
7 compte tenu des preuves rassemblées contre lui, compte tenu de son
8 caractère, du fanatisme de son engagement, le fait est pour le moins
9 plausible.
10 Pour la période antérieure au massacre et le 16 avril 1993,
11 l'accusé a déployé une activité zélée pour le compte du HVO en exerçant
12 l'intimidation contre la population musulmane, en contribuant notoirement
13 et notablement à l'accroissement des tensions et de l'insécurité.
14 Il a prêté sa maison à l'agresseur, qui en a fait une base
15 d'appui-feu et une sorte de quartier général. Il est actif, il exécute les
16 ordres qui lui sont donnés par le commandement du HVO, il est présent sur
17 le lieu des tueries, mais l'accusation prendra bien entendu en compte le
18 fait qu'aucun assassinat spécifique ne lui est imputé.
19 Contre lui, l'accusation recommande une peine de l'ordre de
20 8 ans d'emprisonnement.
21 Vlatko Kupreskic : je ne crois pas que nous sachions vraiment ce
22 que fut l'étendue de son rôle et son implication réelle dans les
23 entreprises du HVO. Du moins, nous savons sans aucun doute possible qu'il
24 ne fut pas l'honnête commerçant tout occupé au développement de ses
25 affaires qu'il prétend avoir été.
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1 Les preuves de l'accusation ont montré l'étroitesse de ses
2 relations avec le HVO et ont établi qu'il était nécessairement associé à
3 la préparation de l'attaque, qu'il a contribué activement et sans risque
4 au succès de l'agresseur, qu'il leur a prêté une assistance au moins
5 matérielle en leur permettant d'utiliser sa maison, qui s'est refermée
6 comme un piège mortel sur de nombreuses victimes.
7 Agissant en compagnie d'autres soldats, il a personnellement
8 fait feu sur un groupe de Musulmans essentiellement composé de femmes et
9 d'enfants et il est coperpétrateur direct de la mort d'une mère de famille
10 et des blessures causées à sa fille.
11 Contre lui, l'accusation recommande une peine de l'ordre de
12 12 ans d'emprisonnement.
13 Zoran Kupreskic a toujours affirmé être attaché à la paix entre
14 les communautés, mais les preuves de l'accusation ont montré qu'il n'est
15 pas vrai qu'il soit demeuré neutre. Bien au contraire, l'accusé s'est
16 vivement engagé dans la cause des Croates de Bosnie et il a exercé dans ce
17 cadre un rôle de responsabilité. Averti de ce qui allait se passer, il n'a
18 pris aucune disposition pour prévenir ses voisins ou amis musulmans pour
19 les sauver alors que, quelques mois auparavant, sous sa signature, il leur
20 demandait de se désarmer et garantissait en contrepartie leur sécurité.
21 L'accusation a établi qu'il a pris une part active, et peut-être
22 déterminante, dans l'agression du 16 avril 1993, et s'il a peut-être,
23 comme a dit le témoin JJ, conçu du remord par la suite, il n'a pas, en
24 tout cas, voulu le dire à ses Juges. Et quand, le 16 avril 1993, il
25 parcourt Ahmici les armes à la main, il sait ce qu'il fait ; ce qu'il
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1 fait, il ne peut pas le faire.
2 Et selon les termes de l'accusation, il a tué, persécuté sans
3 vouloir même épargner l'innocence de deux enfants. Et l'assassinat de ces
4 deux enfants, je le souligne auprès du Tribunal, relève moins du nettoyage
5 ethnique que d'une logique génocidaire, c'est-à-dire de la volonté
6 d'interrompre la ligne des générations.
7 Si les Juges de ce Tribunal sont convaincus par les preuves de
8 l'accusation quant à la responsabilité de Zoran Kupreskic sur tous les
9 chefs de l'accusation, l'accusation recommande que soit prononcée contre
10 lui une peine qui ne soit pas inférieure à 20 ans d'emprisonnement.
11 L'accusation soutient que l'implication de Mirjan Kupreskic dans
12 les crimes retenus contre lui est égale à celle de son frère Zoran. Lui
13 aussi est étroitement associé aux forces du HVO, dont il partage le projet
14 militaire et politique. Comme son frère, il s'abstient de prévenir qui que
15 ce soit, pas même son ami Fahrudin, qui aurait été son meilleur ami. Dès
16 le début de l'attaque, il agit en compagnie de son frère dans les maisons
17 proches de son domicile, dont il connaît depuis toujours les occupants.
18 Quand il entre dans la maison du témoin KL en compagnie de son
19 frère, il sait ce qui attend cette famille, dont il connaît tous les
20 membres. Il ne fera rien pour épargner qui que ce soit, pas même les
21 enfants.
22 Mais l'accusation comprendrait que le Tribunal considère aussi
23 que l'accusé a pu subir l'ascendant de son frère plus âgé, plus instruit
24 et en position de commandement dans le cadre du HVO.
25 Si le Tribunal s'est convaincu des preuves de l'accusation et
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1 partage le point de vue de l'accusation sur la situation de cet accusé,
2 l'accusation recommande que soit prononcée une peine qui ne soit pas
3 inférieure à 15 ans d'emprisonnement.
4 Pour ce qui concerne Drago Josipovic, nous savons que, par son
5 entourage familial, et évidemment aussi par conviction, l'accusé est
6 étroitement lié aux autorités du HVO dès les premières heures de
7 l'aventure des Croates de Bosnie. Il a nécessairement été associé à
8 l'attaque, à la préparation de l'attaque, et évidemment aussi à la
9 conduite de cette attaque. Il est présent sur les lieux de plusieurs
10 tueries, il est le coauteur, ou le coperpétrateur, de deux assassinats,
11 dont celui d'un jeune adolescent.
12 Certains des témoignages reçus le présentent comme en position
13 d'autorité, ou du moins d'influence à l'égard des hommes qui
14 l'accompagnent. Il prend une part notable dans la détention de plus d'une
15 trentaine de Musulmans chassés de leur maison et déportés ensuite en-
16 dehors du village.
17 Contre lui, l'accusation recommande une peine de l'ordre de
18 15 ans d'emprisonnement.
19 Vlado Santic, de tous les accusés, est celui dont la
20 responsabilité pénale est la plus lourdement engagée. Homme d'autorité,
21 homme d'expérience et homme de pouvoir, il est nécessairement étroitement
22 impliqué dans la préparation de l'attaque et dans son déroulement. Sa
23 fonction de commandement, sa position hiérarchique, indiquent qu'il sait
24 parfaitement la nature, l'étendue et la portée de ce qui se prépare.
25 Sans lui, sans les ordres d'exécution qu'il donne à ses hommes,
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1 rien n'aurait été possible. Il est présent le 16 avril à Ahmici parmi ses
2 hommes, il agit à leur tête et, ainsi, il les encourage. Il est encore
3 présent auprès de ses hommes après le 16 avril, approuvant ainsi l'action
4 qui a été la leur. Et comme ancien officier de police connaissant la loi,
5 connaissant la typologie des crimes, il sait mieux que personne, en tout
6 cas mieux qu'aucun des accusés présents, il sait la nature criminelle de
7 son comportement et la nature criminelle du comportement des hommes qu'il
8 a lancés dans l'attaque.
9 Contre lui, l'accusation recommande une peine de l'ordre de
10 30 ans d'emprisonnement.
11 Je voudrais dire maintenant, Monsieur le Président, Madame,
12 Monsieur, les Juges, très brièvement, quelques mots pour conclure.
13 On se souvient au tout début de ce procès que nous avons projeté
14 un film vidéo. Sur ce film vidéo, on pouvait voir un soldat britannique
15 anonyme présent à Ahmici lorsque certains des cadavres calcinés ont été
16 découverts et ce soldat a exprimé son indignation, son dégoût et sa
17 protestation en disant : "Nous sommes en 1993, pas en 1943".
18 Et ces mots sont peut-être les plus forts et les plus violents
19 de ceux que nous avons entendus dans le cadre de ce procès. Mais ce n'est
20 pas seulement l'observation de ce soldat qui nous renvoie dans le passé,
21 nous avons beaucoup d'échos dans ce procès de ce qui s'est passé dans
22 cette région de l'Europe une cinquantaine d'années auparavant, que ce soit
23 le 16 avril 1941 quand Ante Pavelic rentre à Zagreb de son exil d'Italie
24 pour prendre la tête de la sinistre aventure des Oustachis, c'est peut-
25 être une coïncidence.
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1 Mais il est évidemment significatif que la brigade du HVO de
2 Zenica prenne le nom de brigade Jure Francetic. Le témoin de la défense,
3 Jadranka Tolic, membre de cette brigade, a dit que Francetic était un
4 personnage historique sous le patronage duquel ils s'étaient placés ; Mais
5 elle a affirmé ne pas en savoir davantage. Or, il est notoire que
6 Francetic était le chef d'une unité spéciale Oustachi, dite "légion
7 noire", qui a semé la terreur en Bosnie orientale par des actions contres
8 les populations civiles.
9 Et, en effet, en manifestant une même volonté hégémonique, les
10 mêmes références nationalistes et historiques, la même volonté
11 d'appropriation exclusive de territoires, une violence de même nature, un
12 même mépris des personnes appartenant à d'autres communautés, certains des
13 Croates de Bosnie et je dis, bien entendu, pas tous les Croates de Bosnie,
14 certains des Croates de Bosnie ont lié ces deux périodes de l'histoire :
15 1943 et 1993.
16 La justice n'a pas été rendue contre les responsables des crimes
17 oustachis pour que l'Histoire ne se répète plus, ce Tribunal existe. Merci
18 Monsieur le Président, j'en ai terminé.
19 M. le Président. - Merci beaucoup, Maître Terrier.
20 J'imagine que vous êtes très fatigué, mais j'aimerais bien vous
21 poser une question à propos d'un problème qui a été aussi soulevé par la
22 défense.
23 Dans le mémoire que vous avez déposé la semaine dernière, vous
24 accusez Zoran, Mirjan Kupreskic, entre autres, du meurtre du père du
25 témoin H. Et peut-être vous vous rappelez que le 3 septembre j'avais posé
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1 la même question à votre collègue, M. Moskowitz, lorsque je lui ai posé la
2 question si l'accusation avait décidé de formuler une charge bien précise
3 contre les deux accusés au sujet de ce meurtre.
4 Et à l'époque, M. Moskowitz avait dit : "Oui, on avait pensé à
5 faire une charge précise et puis on a décidé de ne pas amender l'acte
6 d'accusation, et en tout cas vous allez prendre en considération nos
7 éléments de preuve et j'ai ici devant moi les pages pertinentes du
8 transcript, c'est page 1696 et suivantes". Et il avait ajouté : "C'est à
9 vous de décider ce que vous comptez faire… dans quelle mesure prendre en
10 compte ces éléments de preuve pour ce qui est de la persécution".
11 Alors, ma question est la suivante : quelle est votre position
12 maintenant au sujet de ce meurtre ? Parce que, je le répète, dans le
13 mémoire écrit, vous avez accusé les deux accusés de ce meurtre qui
14 toutefois ne figure pas formellement dans l'acte d'accusation. Dans quelle
15 limite le Tribunal peut-il prendre en considération des charges qui n'ont
16 pas été formulées d'une manière formelle dans l'acte d'accusation, mais
17 qui ont été avancées au cours du procès ?
18 M. Terrier. – Monsieur le Président, en fait, je vous ferai une
19 réponse tout à fait analogue à celle qu'avait faite à l'époque M.
20 Moskowitz au nom de l'accusation et que vous avez rappelée.
21 Il est vrai que l'assassinat du père du témoin H ne figure pas
22 dans l'acte d'accusation. Il est vrai que les preuves -du moins c'est le
23 point de vue de l'accusation- les preuves que nous avons rassemblées et
24 soumises au Tribunal indiquent que très probablement, l'un et l'autre des
25 accusés Zoran et Mirjan Kupreskic se trouvaient sur les lieux de cet
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1 assassinat. Ces preuves n'indiquent pas qu'ils aient agi en même temps que
2 les auteurs de cet assassinat ou qu'ils soient eux-mêmes les auteurs de
3 cet assassinat. Nous ne connaissons pas ceux qui ont tué le père du
4 témoin H. En revanche, nous savons que les deux accusés, selon les preuves
5 de l'accusation, se trouvaient présents.
6 Par conséquent, selon le point de vue que j'exprime ici
7 aujourd'hui, il me semble que c'est au titre du chef de persécution que
8 l'on peut retenir cet aspect du comportement de l'un et l'autre des
9 accusés devant la maison du témoin H et non pas bien entendu comme un
10 crime spécifique qui leur serait reproché.
11 Ce que nous savons de source plus certaine, en tout cas, c'est
12 le point de vue de l'accusation, c'est leur présence dans la maison,
13 quelques instants après l'assassinat du père du témoin H et l'échange qui
14 à ce moment-là s'est produit entre les deux accusés et le témoin H.
15 Donc, en fait, ma réponse à la question, Monsieur le Président
16 rejoint tout à fait celle qui vous avait déjà été faite et que je juge
17 excellente de M. Moskowitz.
18 M. le Président. - D'accord, mais je vous pose une autre
19 question. Vous suggérez de prendre en considération, à supposer que la
20 Cour soit convaincue de ces allégations de l'accusation de prendre en
21 considération le meurtre en tant que manifestation de la persécution, du
22 crime de persécution, crime contre l'humanité ?
23 M. Terrier. - Plus précisément Monsieur le Président,
24 l'accusation suggère au Tribunal de prendre en compte au titre du chef
25 d'accusation n° 1 persécution, le comportement des accusés devant et dans
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1 la maison du témoin H tel qu'il est apparu selon les preuves de
2 l'accusation et dont le Tribunal appréciera la portée.
3 Encore une fois, nous ne pouvons pas dire… nous savons que le
4 père du témoin H a été fusillé, exécuté à cet endroit et à ce moment dans
5 sa maison, nous savons que les accusés Zoran et Mirjan Kupreskic se
6 trouvaient à quelques mètres de là, mais nous ne savons pas davantage ce
7 qu'a été leur rôle dans cette exécution. En revanche, nous savons par le
8 témoin H ce qu'a été leur rôle dans la maison du témoin H et en fin de
9 compte, au titre de la persécution dirigée contre cette famille.
10 M. le Président. – Encore quelques minutes, j'ai d'autres
11 questions, mais je me borne à une petite question concernant ce que vous
12 avez dit aujourd'hui au sujet de l'attaque armée et du manque de
13 résistance de la part des Musulmans. Toutefois, vous avez noté qu'il y a
14 eu deux Croates qui ont été blessés et en plus, un militaire croate qui a
15 été tué. Donc il y a eu aussi des témoins ici qui ont témoigné dans le
16 sens qu'ils ont tiré. Donc, ils ont participé à un minimum de combat. De
17 quelle manière expliquez-vous ce minimum d'échanges de coups de fusil et
18 de tir entre un groupe de civils armés et les militaires croates ?
19 M. Terrier. – Ce que l'accusation dit au terme de ce procès sur
20 cette question, Monsieur le Président, c'est la chose suivante : nous
21 n'excluons pas que certains des habitants musulmans d'Ahmici qui pouvaient
22 disposer d'une arme personnelle aient opposé une certaine forme de
23 résistance à l'agression pour protéger leurs maisons et pour protéger
24 leurs familles. Nous savons en particulier ce que nous a dit le témoin V.
25 Nous n'excluons pas qu'une certaine forme de résistance ait été
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1 opposée à l'agresseur, mais nous disons que cette résistance a été
2 extrêmement localisée, elle a été le fait de civils tentant de protéger
3 leur propriété, leur famille, elle n'a pas duré, cette résistance n'a pas
4 duré, et en fin de compte, cette résistance n'a rien empêché de
5 l'agression. Peut-être l'a-t-elle retardé quelques instants du côté de
6 Grabovi ou au-dessus de Grabovi, mais elle n'a rien empêché.
7 Pour ce qui concerne les victimes croates, nous savons par des
8 documents du HVO -non pas par des témoins de l'accusation, mais par des
9 documents du HVO- que deux personnes habitant Ahmici et membres du
10 bataillon de la brigade de Vitez ont été blessées au cours de cette
11 action. Nous n'avons pas d'autres détails sur les circonstances dans
12 lesquelles elles ont été blessées, bien entendu.
13 On nous a dit que le dénommé Mirjan Santic a été tué. Nous
14 n'avons aucune preuve documentaire de ce que cette mort soit survenue à
15 Ahmici et ce jour-là en-dehors d'un livre consacré à la gloire de la
16 police militaire du HVO. Les documents officiels ne font pas état de la
17 mort de Mirjan Santic à Ahmici et ce jour-là.
18 Mais nous n'excluons pas que ceci ait pu survenir. En tout cas,
19 si cela est survenu, c'est par le fait d'une résistance personnelle de
20 quelques citoyens, non organisée, ponctuelle, qui n'a pas duré et qui n'a
21 rien empêché.
22 M. le Président. - Merci. Donc on peut maintenant lever
23 l'audience et donc, on se revoit demain à 9 heures pile.
24 L'audience est levée à 13 heures 25.
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