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1 Le vendredi 28 janvier 2005
2 [Audience publique]
3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 05.
5 M. BLACK : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.
6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, Monsieur Nicholls.
7 M. BLACK : [interprétation] Monsieur Black.
8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je crois de toute façon que je vais
9 vous entendre suffisamment.
10 M. BLACK : [interprétation] Nous essayons de plaider à tour de rôle de
11 façon à semer la confusion dans votre esprit.
12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, je vous demande pardon.
13 M. BLACK : [interprétation] Nous allons, avec votre permission, appeler le
14 témoin suivant, M. Fadil Kastrati.
15 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.
16 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, Monsieur. Auriez-vous
18 l'amabilité de bien vouloir lire le texte de la déclaration solennelle qui
19 se trouve sur le papier qui vous est présenté.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
21 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
22 LE TÉMOIN: FADIL KASTRATI [Assermenté]
23 [Le témoin répond par l'interprète]
24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez vous
25 asseoir.
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1 M. BLACK : [interprétation] Pardonnez-moi, je n'ai pas entendu la
2 déclaration solennelle en anglais. Je n'ai pas reçu la traduction anglaise.
3 Je ne reçois rien.
4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'espère que nous avons pu remédier à
5 cela.
6 M. Black va maintenant vous poser un certain nombre de questions.
7 Monsieur Black, vous avez la parole.
8 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
9 Interrogatoire principal par M. Black :
10 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Kastrati.
11 R. Bonjour.
12 Q. Est-ce que vous me comprenez ?
13 R. Oui.
14 Q. Pardonnez-moi, nous vous avons fait attendre hier et nous n'avions pas
15 pu commencer avant aujourd'hui, néanmoins, nous avons essayé d'accélérer
16 les choses le plus possible.
17 R. Pas de problème.
18 Q. Avant de commencer, est-ce que je puis vous dire ceci. Si à aucun
19 moment vous ne comprenez pas mes questions, n'hésitez pas à me le dire et
20 je reformulerai ma question. Est-ce que vous comprenez ce que je suis en
21 train de vous dire ?
22 R. Oui.
23 Q. Dans quelques instants, je vais vous poser des questions vous
24 concernant et des questions portant sur les événements qui se sont produits
25 en 1998, mais avant de faire cela, je souhaite vous poser quelques
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1 questions préliminaires. Est-ce que vous comprenez ?
2 R. Oui.
3 Q. Avant de venir à La Haye pour témoigner, avez-vous eu un entretien avec
4 l'enquêteur de l'Accusation, le 19 février 2004 ?
5 R. Je ne me souviens pas de la date.
6 Q. Vous souvenez-vous avoir eu un tel entretien avec un enquêteur de
7 l'Accusation ?
8 R. Oui.
9 Q. Lors de cet entretien, avez-vous répondu à toutes les questions de
10 votre plein gré ?
11 R. Oui, j'ai répondu à toutes les questions tout à fait volontairement.
12 L'INTERPRÈTE : Je crois que nous avons des difficultés d'ordre technique.
13 M. BLACK : [interprétation] D'accord.
14 Q. Veuillez nous dire de quoi il s'agit de façon à ce que nous puissions
15 trouver une solution.
16 M. BLACK : [interprétation] Peut-être qu'il s'agit plutôt d'une remarque
17 faite par les interprètes plutôt que par le témoin.
18 [Difficulté technique]
19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Il semblerait que nous pourrions --
20 L'INTERPRÈTE : Veuillez, s'il vous plaît, dire quelques mots dans le micro
21 de façon à ce que nous puissions voir si cela fonctionne correctement.
22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Pourriez-vous nous donner votre nom
23 encore une fois, s'il vous plaît ?
24 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]
25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Comment vous appelez-vous ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Fadil.
2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie. C'était simplement
3 pour pouvoir vérifier si votre microphone fonctionnait correctement.
4 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Black.
6 M. BLACK : [interprétation]
7 Q. Témoin, pardonnez-moi si nous avons quelques difficultés techniques.
8 Bien. Je souhaite poursuivre. J'étais sur le point de vous demander si,
9 lors de l'entretien que vous avez eu avec l'enquêteur de l'Accusation, vous
10 avez répondu à toutes les questions en disant la vérité.
11 R. J'ai toujours essayé de dire la vérité.
12 Q. Avez-vous rencontré des représentants de l'Accusation à un autre moment
13 avant de vous rendre à La Haye cette semaine ?
14 R. Oui. Ils sont venus me voir chez moi, à Lipjan.
15 Q. Ont-ils évoqué la question de votre témoignage ou ont-ils parlé
16 d'autres choses ? Dites-nous simplement ce qui a été évoqué à cette
17 occasion-là ?
18 R. Est-ce que vous voulez parler de notre réunion à Lipjan ou du moment où
19 ils sont venus chez moi ?
20 Q. Je souhaite savoir si vous avez abordé la question de votre témoignage
21 avec les enquêteurs et si vous avez parlé des moyens de transport et de la
22 manière dont vous pourriez vous rendre à La Haye et ce genre de choses.
23 R. Nous avons parlé de la guerre et de quelques questions d'ordre général.
24 Q. Est-ce que ceci a été abordé lors de votre entretien au mois de février
25 2004 ou est-ce que ceci a été abordé à une autre occasion ?
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1 R. Je ne me souviens pas si c'était au mois de février ou si c'était
2 pendant un autre mois. Pour moi cela n'était pas très important. C'est à ce
3 moment-là qu'ils sont venus et qu'ils m'ont posé ces questions.
4 Q. Très bien. Donc ceci ne s'est passé qu'une seule fois ?
5 R. Oui, cela ne s'est passé qu'une seule fois, lorsqu'on m'a posé des
6 questions à Lipjan. Après cela, ils sont venus à une ou deux reprises, chez
7 moi, et ils m'ont demandé si je courais un quelconque danger, et je leur ai
8 répondu que non et que personne ne pouvait me mettre dans cette situation.
9 Q. Avant de poursuivre, lorsque nous nous sommes rencontrés mercredi, aux
10 fins de parler de votre témoignage, nous nous sommes rencontrés pendant
11 deux heures, n'est-ce pas ?
12 R. Ce mercredi-ci ?
13 Q. Non. Pas hier mais avant-hier.
14 R. Oui, effectivement c'est ainsi que cela s'est passé.
15 Q. Merci, Monsieur Kastrati. Je vais maintenant vous poser quelques
16 questions d'ordre personnel. Est-ce que vous vous appelez bien Fadil
17 Kastradi. C'est bien votre nom et prénom ?
18 R. Oui.
19 Q. Et le nom de votre père, c'est Nazmi ?
20 R. Oui, c'est exact.
21 Q. Etes-vous né le 3 avril 1967, dans le village de Vershec qui s'appelle
22 maintenant Blinaje ?
23 R. Je suis né le 3 avril 1967 dans le village de Vershec, qui s'appelle
24 maintenant Blinaje.
25 Q. Et ceci se trouve dans la municipalité de Lipjan, Kosovo, n'est-ce
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1 pas ?
2 R. Oui.
3 Q. Et vous êtes Albanais, n'est ce pas ?
4 R. Oui.
5 Q. Monsieur Kastrati, pourriez-vous nous dire pendant combien d'années
6 vous avez fait vos études ?
7 R. J'ai fait mes études pendant neuf ans.
8 Q. Avez-vous fait votre service militaire au sein de l'armée yougoslave en
9 1988 ?
10 R. Non, je n'ai pas terminé mon service militaire. Je n'ai été dans
11 l'armée que deux mois.
12 Q. Pourriez-vous nous dire pourquoi ?
13 R. Je crois que je serais davantage en mesure de vous expliquer pourquoi,
14 parce que moi je voulais terminer mon service militaire. Ils m'ont
15 simplement dit que c'était suffisant.
16 [Le Conseil de l'Accusation se concerte]
17 M. BLACK : [interprétation]
18 Q. Monsieur Kastrati, après votre service militaire au sein de l'armée
19 yougoslave, n'avez-vous jamais travaillé en dehors du Kosovo ?
20 R. Oui.
21 Q. Dites aux Juges simplement quand ceci a eu lieu.
22 R. J'ai travaillé en Allemagne au cours de l'année 1993.
23 Q. Avez-vous également travaillé en Croatie, c'était peut-être avant votre
24 service militaire ?
25 R. Oui. J'ai travaillé en Croatie entre 1983 et 1985.
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1 Q. Monsieur Kastrati, est-ce que vous avez également travaillé comme
2 chauffeur de taxi au Kosovo ?
3 R. J'ai travaillé comme chauffeur de taxi avant la guerre, et c'est
4 effectivement ce que je fais maintenant aussi après la guerre.
5 Q. Avant la guerre, en tant que chauffeur de taxi, avez-vous jamais eu des
6 difficultés avec les autorités serbes ?
7 R. Oui, j'ai eu des problèmes avec eux.
8 Q. Pourriez-vous expliquer brièvement à la Chambre pourquoi vous aviez ces
9 problèmes ?
10 R. Oui, absolument, je peux vous l'expliquer. Lorsque je travaillais comme
11 chauffeur de taxi, je ne me souviens pas exactement de l'année en question,
12 mais je sais qu'il y a quelque chose dont je me souviens très bien. Les
13 Serbes souhaitaient bloquer et fermer toutes les routes. Nous ne pouvions
14 pas emprunter les routes. Ils arrêtaient les autocars et ne permettaient
15 pas aux élèves d'aller à l'école. Par conséquent, nous avons été obligés
16 d'emmener les élèves à l'école dans nos voitures. Une personne qui
17 s'appelait Stola, et je n'oublierai jamais ce nom-là, m'a insulté en
18 albanais et m'a clairement indiqué que je ne devais transporter personne
19 dans mon véhicule. Il m'a dit que je devais aller chercher mes documents.
20 Je n'avais pas le choix et je savais qu'ils allaient mal se comporter.
21 Lorsque je suis allé chercher mes documents dans leur bureau, ils m'ont
22 passé à tabac et j'ai perdu connaissance. Je ne savais même plus ce qui se
23 passait autour de moi. Quelqu'un m'a saisi par les cheveux et m'a frappé et
24 m'a jeté sur la voiture et les autres me frappaient également et ne
25 cessaient de me frapper. Et je me suis retrouvé à l'hôpital, je ne sais qui
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1 m'a emmené à l'hôpital.
2 Q. Quelles étaient vos blessures, à la suite de ces passages à tabac ?
3 R. J'étais grièvement blessé, au niveau de mon corps et de mon visage.
4 Après quelques jours, j'ai pu me remettre à conduire et les mêmes personnes
5 se sont comportées de la même façon, et leurs collègues également. Ils se
6 sont emparés de mes documents. A ce moment-là, il y avait un Albanais, qui
7 était officier de police et qui travaillait avec eux. Il s'appelait Fatmir.
8 Avec mes amis, nous en avons parlé et nous avons envisagé la question de
9 nous tourner vers Fatmir car nous pensions qu'il pourrait nous aider. Mais
10 il ne nous a pas aidés. Et pour finir, lorsqu'on nous a redonné nos
11 documents, ils nous les ont simplement jetés à la figure. A cette occasion-
12 là, ils ne nous ont pas frappés. C'est à ce moment-là que j'ai dit à mes
13 amis qu'il faut partir d'ici car nous ne pouvons pas continuer à rester ici
14 et à travailler.
15 Q. Merci, Monsieur Kastrati. Je souhaite maintenant porter votre attention
16 plus particulièrement sur l'année 1998. Quand, pour la première fois, avez-
17 vous entendu parler de l'armée de libération du Kosovo ?
18 R. La toute première fois que j'ai entendu parlé de l'UCK, c'est lorsqu'il
19 y a eu la bataille de Prekaz en présence d'Adem Jashari.
20 Q. Vous souvenez-vous à quel moment ceci a eu lieu ?
21 R. Je pense que ceci a eu lieu au mois de mars.
22 Q. Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris ce qui était arrivé à
23 Adem Jashari ?
24 R. Ce qui m'intéressait avant tout était de savoir comment cette guerre
25 évoluait car je voulais prendre les armes et rejoindre l'Armée de
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1 libération du Kosovo.
2 Q. Est-ce que vous avez rejoint l'UCK à ce moment-là ?
3 R. Non, je n'ai pas rejoint les rangs de l'UCK à ce moment-là, car je ne
4 connaissais personne. Je souhaitais rejoindre l'UCK, mais je l'ai rejoint
5 plus tard. Ce n'était pas précisément à ce moment-là.
6 Q. Quand alors avez-vous rejoint l'UCK ?
7 R. J'ai rejoint l'UCK le 9 mai 1998.
8 Q. Pourriez-vous maintenant expliquer à la Chambre de première instance ce
9 qui s'est passé le 9 mai 1998, et qui fait que vous avez rejoint l'UCK ?
10 R. Pourriez-vous répéter votre question s'il vous plaît, je ne l'ai pas
11 comprise ?
12 Q. Bien sûr. Dites au Juges de la Chambre, s'il vous plaît, ce qui s'est
13 passé le 9 mai 1998 ?
14 R. Vous voulez dire ce qui s'est passé au niveau des combats ? Ou les
15 raisons pour lesquelles j'ai rejoint l'armée ?
16 Q. Commençons d'abord par les raisons pour lesquelles vous vouliez
17 rejoindre l'armée ?
18 R. Comme je vous l'ai dit un peu plus tôt, je voulais rejoindre l'armée
19 depuis longtemps. C'est quelque chose que j'avais abordé avec mes amis.
20 Nous voulions à tout prix rejoindre l'armée, tout simplement. Le 9 mai, un
21 de mes amis est venu me voir, il était en contact avec quelqu'un qui savait
22 où se déroulaient les combats. Le 9 mai, il y a eu des combats à Lapusnik,
23 nous avons rejoint les soldats et c'est ainsi que les choses se sont
24 passées.
25 Q. Comment avez-vous pris connaissance des combats à Lapusnik ?
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1 R. Nous habitions à côté. A vol d'oiseau, cela ne doit pas représenter
2 plus de 5 kilomètres. Nous avions donné notre parole. Nous avions juré de
3 rejoindre l'armée si la guerre éclatait, nous voulions aider autant que
4 possible.
5 Q. Vous nous avez dit que vous habitiez tout près de Lapusnik, est-ce
6 qu'on vous a dit que des combats s'y déroulaient, ou avez-vous appris cela
7 d'une source différente ?
8 R. Un ami qui était un ami des deux amis avec lesquels je me déplaçais est
9 venu, il s'appelait Ymer Alushani. Il est venu nous voir et il nous a
10 demandé si on voulait rejoindre les rangs de l'armée, parce qu'il
11 connaissait nos intentions. Il nous a posé la question et nous avons
12 répondu par l'affirmative. Nous avons dit que nous voulions nous battre
13 même si c'était au prix de notre vie.
14 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, dire aux Juges de la Chambre qui est
15 Ymer Alushani ?
16 R. Ymer Alushani était un combattant et un homme très courageux. Je ne le
17 connaissais pas avant ce moment-là. Je peux dire que je l'ai rencontré pour
18 la première fois au début de la guerre. C'était un homme très courageux et
19 un combattant très courageux, très valeureux.
20 Q. Qui étaient les deux autres amis, que vous venez d'évoquer ?
21 R. Les deux autres amis sont de mon village. Ils s'appellent Fadil et
22 Islam, Fadil Qadraku et Islam Qadraku. Ce ne sont pas mes amis, mais des
23 habitants de mon village. Nous nous appelons mutuellement oncles, mais nous
24 ne savons pas si nous avons des liens de parenté. Je voulais rejoindre
25 l'armée, eux-mêmes étaient en contact avec des membres de l'armée, cela
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1 m'était égal de savoir qui avait ces contacts avec l'armée. Tout ce qui
2 m'importait, c'était de rejoindre l'armée.
3 Q. Vous dites que vous avez retrouvé ces deux personnes-là pour pouvoir
4 aller à la guerre. Comment cela s'est-il passé ?
5 R. Les choses se sont passées ainsi. Nous nous sommes rendus chez Ymer
6 Alushani, plus tard nous nous sommes dirigés en direction de Lapusnik, et
7 nous avons pris position au niveau du rocher à cet endroit-là.
8 Q. Vous souvenez-vous à quelle heure du jour vous êtes arrivé à Lapusnik,
9 et à l'endroit où se trouvait ce rocher ?
10 R. Lorsque je suis arrivé à Lapusnik, il ne faisait pas jour, il faisait
11 nuit. Il y avait eu des combats au cours de la journée. Moi, je suis arrivé
12 après les combats qui s'étaient déroulés pendant la journée. Je suis arrivé
13 juste avant la tombée de la nuit.
14 Q. Comment saviez-vous qu'il y avait eu des combats au cours de la
15 journée ?
16 R. Comme je vous l'ai dit, on entendait des tirs, je ne sais pas d'où
17 venaient les tirs, mais je savais simplement qu'il y avait des combats.
18 Ensuite, les amis sont venus nous voir, et à ce moment-là, je suis parti
19 moi-même.
20 Q. Lorsque vous êtes parti pour Lapusnik, est-ce que vous étiez armé ?
21 R. Oui.
22 Q. De quelles armes disposiez-vous ?
23 R. A l'époque, j'avais un fusil.
24 Q. Vos amis, est-ce qu'ils avaient également des armes ?
25 R. Oui. Ils avaient aussi des armes. L'un avait un fusil automatique et
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1 l'autre un fusil dont je ne sais pas exactement le type. Je crois que
2 c'était un fusil.
3 Q. Vous avez dit que vous aviez pris position à l'endroit où il y avait
4 des rochers à Lapusnik. Pourriez-vous décrire où cela se trouve à Lapusnik,
5 par rapport à une route principale dans le secteur ?
6 R. Oui. La route Komorane-Peja partait de cet endroit. Tout en haut au
7 sommet, il y a un rocher. Les forces serbes étaient positionnées à cet
8 endroit-là, et au cours des combats avec l'UCK, elles ont dû se retirer et
9 je ne sais pas où elles se sont rendues.
10 Q. Juste pour être bien au clair, de quel côté de la route, qui relie
11 Komorane à Peja, vous trouviez-vous ?
12 R. Du côté gauche.
13 Q. S'agit-il du côté gauche -- quand on va dans quelle direction ?
14 R. Quand on vient de Komorane, en direction de Peja, c'est du côté gauche.
15 Q. Pourquoi aviez-vous pris position à l'endroit où se trouvait le
16 rocher ? Pourquoi aviez-vous choisi cet endroit ?
17 R. Je ne l'ai pas choisi, ce sont mes amis qui l'ont choisi. C'était une
18 position d'où on pouvait clairement voir les positions serbes, c'est pour
19 cela que nous nous sommes mis à cet endroit-là, et c'est pour cela que je
20 suis resté.
21 Q. Quels amis se trouvaient avec vous ? Qui se trouvait avec vous au
22 moment où vous êtes arrivé au rocher ?
23 R. A ce moment-là, se trouvaient être avec moi, Ymer Alushani, Islam
24 Qadraku, et quelques autres dont je ne connaissais pas les noms, parce que
25 je ne les connaissais pas du tout.
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1 Q. Y avait-il d'autres soldats de l'UCK à Lapusnik, en plus de ceux que
2 vous venez de mentionner ?
3 R. Oui, bien sûr il y en avait d'autres.
4 Q. Pourriez-vous estimer combien ils étaient ce premier jour ?
5 R. Approximativement 20 ce jour-là. J'en ai vu au moins 20, peut-être
6 qu'il y en avait davantage dans les montagnes, mais je ne sais pas, je ne
7 connaissais pas.
8 Q. Est-ce que ces effectifs ont changé le jour suivant, ou dans les jours
9 qui ont suivi ?
10 R. Oui, ces effectifs ont augmenté tous les jours, ils sont devenus de
11 plus en plus importants.
12 Q. Bien. Qu'avez-vous fait lorsque vous êtes arrivé au rocher ?
13 R. Le premier jour, c'était le 10 mai au cours de la journée, il n'y a pas
14 eu de combat, il n'y a pas de lutte. Nous avons simplement observé la
15 région, pour voir si les forces serbes venaient dans notre direction. Notre
16 objectif était de leur interdire l'approche de notre population. A un
17 moment donné dans la soirée, les Serbes ont commencé à tirer dans notre
18 direction avec des armes lourdes et je ne sais pas quelles autres armes.
19 Q. Lorsque les Serbes ont commencé à vous tirer dessus avec des armes
20 lourdes, qu'avez-vous fait ?
21 R. Quand ils ont tiré sur nous, nous étions en train de prendre les
22 positions, de façon à ce qu'ils ne puissent pas nous toucher, nous
23 atteindre.
24 Q. Au cours des journées qui ont suivi, qu'avez-vous fait ?
25 R. Nous avons surveillé le territoire, le terrain, et lorsqu'il y avait
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1 des combats, bien que nous ayons voulu nous voir nous battre et que nous
2 étions prêts à nous battre, nous avons simplement donné notre maximum.
3 Q. Est-ce que vous avez participé à des combats au cours de ces premières
4 journées ?
5 R. J'ai essayé de participer à tout moment, mais à certain moment ce
6 n'était pas possible.
7 Q. Oui, je comprends cela. Vous dites que vous avez donné le maximum
8 possible, mais qu'est-ce que vous avez été en mesure de faire ?
9 R. Et bien, ils nous tiraient dessus, et nous ripostions à ces tirs. Nous
10 essayions de les toucher, il se peut qu'on les ait touchés mais on ne
11 pouvait pas le voir, compte tenu de la distance. Mais le fait est que nous
12 leur avons tiré dessus, tout comme ils nous tiraient dessus.
13 Q. Bien, en plus d'Ymer Alushani, Fadil Qadraku, et Islam Qadraku, est-ce
14 que vous rappelez d'autres personnes que vous avez vues à Lapusnik au cours
15 des premières journées ?
16 R. Je ne me souviens pas d'avoir vu quelqu'un que je connaissais. Il y
17 avait des soldats de ce secteur, mais je crois que je n'en connaissais
18 aucun. Parce que, par exemple, si on était des soldats de l'UCK, si c'en
19 était je ne les connaissais pas. C'est la même chose, je ne connaissais
20 personne là-bas non plus.
21 Q. Mais y a-t-il quelqu'un que vous ayez vu que vous avez particulièrement
22 remarqué au cours de la première journée, ou les premières journées, où
23 vous trouviez ?
24 R. Oui, j'ai vu le premier jour lorsque le commandant Fehmi Lladrovci se
25 trouvait là, j'ai prêté serment devant cet homme, devant ce grand homme.
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1 J'étais tout à fait sincère dans mon souhait de me battre. Lorsque j'ai
2 rencontré de tels commandants, d'aussi grands hommes, mon vœu est devenu de
3 plus en plus fort.
4 Q. Vous avez dit que vous avez prêté serment devant Fehmi Lladrovci,
5 pourriez-vous décrire comment ceci s'est déroulé ?
6 R. Oui. Lorsque nous avons prêté serment, nous étions plusieurs, certains
7 de mes amis que j'ai déjà mentionnés, et d'autres dont j'ai dit que je ne
8 les connaissais pas. Il s'est adressé à nous en nous disant, maintenant,
9 fils, vous êtes venus ici pour combattre. Il vaut mieux que vous retourniez
10 chez vous, parce que c'est une grande guerre qui commence, et il faut être
11 hardis, il faut de l'audace. Mais en ce qui me concerne en entendant ces
12 paroles, ceci n'a fait que m'encourager de plus en plus. Il se battait avec
13 sa femme, que pourrais-je dire de plus en ce qui concerne ce grand homme.
14 Q. Est-ce que vous vous rappelez à quel endroit vous avez prêté serment ?
15 R. C'était à Lapusnik, dans une maison où nous nous trouvions.
16 Q. Pouvez-vous nous décrire cette maison ?
17 R. Je ne sais pas comment vous la décrire. Verbalement sans doute.
18 Q. Oui, je voulais simplement, je me demandais si vous vous rappeliez
19 combien d'étages avait cette maison ? Si elle était vieille, si elle était
20 nouvelle, s'il y avait des détails que vous vous rappelez ?
21 R. C'était une maison, je ne peux pas dire qu'elle était vieille ou neuve,
22 elle n'avait qu'un étage. Elle se trouvait près de la route qui conduit à
23 l'endroit où se trouvent les rochers.
24 Q. Est-ce que vous avez eu l'occasion d'aller à cette maison à d'autres
25 occasions, indépendamment du moment où vous avez prêté serment ?
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1 R. Oui, je suis allé dans cette maison une autre fois, une fois de plus.
2 Q. Qu'est-ce que vous avez fait cette fois-là ?
3 R. Je n'ai rien fait, je voulais simplement rencontrer le commandant,
4 j'étais à Blinaje et je ne l'y ai pas trouvé, et je suis simplement
5 retourné chez moi.
6 Q. Peut-être que nous y viendrons dans un moment. Est-ce que vous savez si
7 d'autres soldats ont utilisé cette maison ou se sont rendus à cette
8 maison ?
9 R. Oui, bien sûr il y avait là aussi d'autres soldats.
10 Q. Je veux dire en plus de cette cérémonie de prestation de serment, y a-
11 t-il eu d'autres occasions -- d'autres soldats qui se sont servis de cette
12 maison pour d'autres circonstances ?
13 R. Non. Non, il n'y en a pas eu. Peut-être qu'il y en a eu, mais en tous
14 les cas, je n'en ai pas vu.
15 Q. Vous nous avez dit que lorsque vous étiez arrivé à Lapusnik, vous avez
16 commencé par aller à l'endroit où se trouvait le rocher. Est-ce que vous
17 êtes allé à d'autres endroits au cours des premières journées où vous vous
18 êtes trouvé là-bas ?
19 R. Indépendamment de l'endroit où se trouvaient les rochers, c'est-à-dire,
20 bon, les deux premiers jours, je les ai passés à l'endroit où se trouvaient
21 les roches, et par la suite, nous avons été un peu -- nous sommes descendus
22 des collines vers la route de Komorane, un terrain qui est un peu plat, et
23 nous y sommes restés encore deux nuits.
24 Q. Qu'est-ce que vous avez fait à cet endroit-là ?
25 R. Nous avons fait la même chose que lorsque nous étions au rocher. Nous
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1 avons observé, nous avons surveillé. Quand il y avait des combats, nous
2 avons combattu. Mais à ce moment-là, il n'y a pas eu de combat et nous
3 avons simplement fait de l'observation, surveillé le secteur.
4 Q. Y avait-il à Lapusnik des fortifications de quelque type que ce soit ?
5 Je veux dire, par exemple, y avait-il des tranchées ou des casemates
6 quelque chose de ce genre ?
7 R. Oui. Il y avait des casemates. Les habitants du village nous avaient
8 aidés, nous avons aidé les habitants du village. C'est l'endroit où nous
9 avions fixé l'opposition, ce qui nous permettait de continuer à surveiller
10 l'ennemi à partir de ces positions.
11 Q. Avec l'aide de l'Huissier, je voudrais vous montrer, Monsieur Kastrati,
12 un croquis.
13 M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les
14 Juges, le numéro ERN correspondant est U007-9681.
15 Q. Monsieur Kastrati, regardez, s'il vous plaît, à gauche et jetez un coup
16 d'œil, enfin, prenez un moment pour regarder ce croquis que je viens de
17 vous faire remettre. Monsieur Kastrati, avez-vous déjà vu ce croquis ?
18 R. Oui.
19 Q. Est-ce que vous réussissez à vous orienter ? Est-ce que vous voyez, par
20 exemple, où se trouve la route qui relie Komorane à Peja sur ce croquis ?
21 L'INTERPRÈTE : L'interprète demande, est-ce que le témoin pourrait se
22 rapprocher du microphone ? On ne l'entend pas.
23 M. BLACK : [interprétation] Peut-être aussi qu'on pourrait faire en sorte
24 que l'image puisse faire un gros plan. Je demande cela à la régie de façon
25 à ce que nous puissions mieux voir le croquis.
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois que c'est ceci.
2 L'INTERPRÈTE : Le témoin désigne un point sur le croquis.
3 M. BLACK : [interprétation]
4 Q. Bien. Là, vous voyez qu'il y a un endroit où cinq routes se croisent,
5 se réunissent. Est-ce que vous voyez l'endroit là, Monsieur Kastrati ?
6 R. Oui. C'est bien à cet endroit-là que vous voulez dire.
7 Q. Oui. Ce que je souhaiterais, en fait, je vais demander de l'Huissier de
8 vous donner de quoi écrire. Est-ce que vous voyez la position où se
9 trouvait le rocher dont vous avez parlé sur ce croquis ?
10 R. Oui, je peux le voir.
11 Q. Je vais vous demander d'inscrire le chiffre 1 à côté, s'il vous plaît.
12 R. [Le témoin s'exécute]
13 Q. Je vous remercie. Vous avez également mentionné un autre endroit où
14 vous vous êtes rendu le deuxième et le troisième jour. Pouvez-vous
15 retrouver l'endroit sur le croquis ?
16 R. Oui.
17 Q. Veuillez inscrire le chiffre 2 à cet endroit-là ?
18 R. [Le témoin s'exécute]
19 Q. Monsieur Kastrati, vous pouvez voir que sur ce croquis on lit, je
20 crois, le mot "position." Est-ce que vous voyez cela ?
21 R. Oui, je le vois.
22 Q. Est-ce que vous saviez qui a écrit ce mot ?
23 R. C'est moi-même. Cela ressemble à mon écriture.
24 Q. Est-ce que vous avez écrit ceci lors de l'audition par l'enquêteur de
25 l'Accusation ? Est-ce que vous en souvenez ?
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1 R. Oui, bien sûr.
2 Q. Vous avez mentionné un autre endroit, à savoir, la maison où vous avez
3 prêté serment auprès de Fehmi Lladrovci. Pourriez-vous retrouver cet
4 endroit sur le croquis ?
5 R. C'est approximativement ici, de ce côté-ci.
6 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, inscrire le 3 à cet endroit ?
7 R. [Le témoin s'exécute]
8 Q. Je vous remercie.
9 M. BLACK : [interprétation] Je crois que nous en avons terminé avec ce
10 croquis.
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous en prie.
12 M. BLACK : [interprétation] Nous en avons fini avec ce croquis, est-ce
13 qu'on pourrait, s'il vous plaît, lui donner un numéro de pièce.
14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui. Cette pièce va être versée.
15 M. LE GREFFIER : [interprétation] Le numéro 114.
16 M. BLACK : [interprétation] Maintenant, je voudrais avec l'aide de
17 l'Huissier, remettre au témoin une photographie aérienne.
18 Q. Il s'agit de l'image numéro 8 qui va avec la pièce à conviction P1,
19 présentée par l'Accusation, les indications en rouge se trouvent -- celles
20 qui font partie du fascicule des cartes. Monsieur Kastrati, là, encore, je
21 voudrais que vous preniez un moment pour regarder cette photographie. Est-
22 ce que vous reconnaissez la région qui est représentée sur cette
23 photographie ?
24 R. Je ne connais pas le village de Lapusnik, enfin, pas très bien, mais je
25 me rappelle les routes où je suis passé. C'est ce que je vous ai dit hier
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1 aussi.
2 Q. Bien. Pourriez-vous montrer aux membres de la Chambre quelles sont les
3 routes que vous avez empruntées et dont vous vous souvenez ?
4 R. Oui. Cette route que vous voyez ici. Je crois que c'est la route
5 goudronnée qui relie Pristina-Peja. Mais la route que j'empruntais avec mes
6 amis ou parfois seul, c'est celle que vous voyez ici. Cette partie-ci
7 s'appelle Komorane Nalte. Je suis allé là à Kishna Reka, Nekovce, et je
8 suis arrivé ici, et je me suis déplacé jusque-là. Il y avait là des
9 casemates et des positions. Nous appelions cette route Te Vllecat.
10 Q. Pouvez-vous retrouver sur cette photographie l'endroit où vous dites
11 avoir passé le deuxième et troisième jour ?
12 L'INTERPRÈTE : Les interprètes ont un problème avec des microphones une
13 fois encore.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Hier déjà je vous ai dit que je n'arrivais pas
15 à retrouver exactement où cela se trouvait, mais je pense que c'était ici.
16 M. BLACK : [interprétation]
17 Q. Bien.
18 R. Il y a de nombreuses routes. Je ne suis pas absolument sûr à ce sujet.
19 Q. Bien oui, évidemment c'est un peu difficile. Mais est-ce que vous
20 pouvez trouver sur cette carte près de -- à la moitié de l'endroit où les
21 cinq routes se réunissent ?
22 R. Je vais essayer. Je ne sais pas si je vais y parvenir.
23 Q. Très bien. Regardez simplement si vous pouvez le faire.
24 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que c'est quelque part par ici, mais
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1 je n'en suis pas sûr. Vous voulez dire les cinq routes et les quatre
2 positions, les quatre positions ? Oui.
3 M. BLACK : [interprétation]
4 Q. Oui, exactement. Pourriez-vous, s'il vous plaît, désigner à nouveau cet
5 endroit ?
6 R. Bien, bien. Parce qu'en fait je croyais que c'était autre chose. Bon,
7 alors c'est ici.
8 Q. Pourriez-vous inscrire le chiffre 2 à cet endroit, s'il vous plaît.
9 R. [Le témoin s'exécute]
10 Q. Je vous remercie. Avant de poursuivre, j'ai oublié de vous demander de
11 montrer aux membres de la Chambre avec votre plume l'itinéraire que vous
12 empruntiez pour aller à Lapusnik, et que vous nous avez montré il y a un
13 instant. Si vous pouviez le marquer sur cette photographie, s'il vous
14 plaît.
15 R. Vous voulez dire la route que je prenais ? Est-ce que vous voulez que
16 j'écrive un chiffre, ou que je vous la montre, à savoir quelle route je
17 prenais ?
18 Q. Je souhaiterais que vous inscriviez le chiffre 1 à côté de la route de
19 l'itinéraire, et qu'ensuite avec cette plume vous traciez simplement la
20 route que vous suiviez ?
21 R. [Le témoin s'exécute]
22 Q. Bien. Je vous remercie beaucoup.
23 R. Je vous en prie.
24 Q. Maintenant, je sais que vous avez dit que vous avez quelques
25 difficultés avec la photographie, c'est que cela se comprend. Pourriez-vous
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1 retrouver ici la maison dans laquelle vous avez prêté serment devant Fehmi
2 Lladrovci ? Regardez tout simplement si vous pouvez le faire ?
3 R. J'ai déjà essayé de la retrouver, mais je ne connais pas très bien le
4 village; c'est pour cela que c'est un peu un problème pour moi. Mais dans
5 le croquis que vous nous avez montré plus tôt, c'était beaucoup plus facile
6 de la retrouver. Donc je vais vous dire approximativement parce que je ne
7 sais pas exactement où elle se situe.
8 Q. Bon. Alors dites-nous approximativement, si vous le pouvez. Si vous ne
9 le pouvez pas, bien il vous suffit de le dire.
10 R. Je crois que c'était quelque part par ici. Si le rocher se trouve à peu
11 près là, voici l'endroit où devrait se trouver la maison.
12 Q. Bien. Pourriez-vous, s'il vous plaît, inscrire le chiffre 3 à l'endroit
13 où vous pensez qu'elle se trouvait ?
14 R. Je pense que c'était ici, mais je n'en suis pas sûr. Je suis en train
15 de regarder les routes qui sont là et qui conduisent au rocher. Ce serait
16 peut-être ici, mais comme je l'ai dit, je n'en suis pas sûr.
17 Q. Bien. Je vous remercie beaucoup de votre aide.
18 M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, Madame et Monsieur les
19 Juges, pourrait-on avoir un numéro de pièce pour cette photographie ?
20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, cette pièce sera reçue.
21 M. LE GREFFIER : [interprétation] C'est le P114.
22 M. BLACK : [interprétation]
23 Q. Merci, Monsieur Kastrati. Je voudrais simplement vous demander de
24 garder l'attention centrée sur les premières journées que vous avez passées
25 à Lapusnik. Vous avez dit que vous étiez arrivé à Lapusnik avec quelques
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1 amis; Ymer Alushani, Fadil Qadraku, et Islam Qadraku. Est-ce que vous les
2 avez revus au cours de ces premières journées ?
3 R. Le premier jour, je les ai vus et je les voyais de temps à autre. Mais
4 je ne les ai pas rencontrés pendant la guerre.
5 Q. Vous avez dit que vous les voyez de temps à autre. Est-ce que vous
6 voulez dire aussi au cours de ces premières journées où vous vous trouviez
7 à Lapusnik ?
8 R. Oui. Je veux dire au cours des premières journées, c'est à ce moment-là
9 que je les voyais de temps à autre.
10 Q. Bien. Est-ce que vous vous rappelez de ce qu'ils faisaient à chaque
11 fois que vous les avez vus ?
12 R. Et bien, comme tout autre soldat, ils faisaient la même chose. Ils
13 défendaient la population et ils causaient autant de dommage que possible à
14 l'ennemi. C'est cela qu'ils faisaient.
15 Q. Bien. Est-ce que vous étiez encore à Lapusnik le 12 mai 1998 ? Est-ce
16 que vous vous en souvenez ?
17 R. Je n'en suis pas sûr.
18 Q. Vous souvenez-vous avoir participé à d'autres réunions en dehors de
19 cette prestation de serment face à Fehmi Lladrovci pendant que vous étiez à
20 Lapusnik ?
21 R. Non, je n'ai jamais participé à une réunion, d'ailleurs cela ne
22 m'intéressait pas. Moi, tout ce que je voulais, c'était faire la guerre,
23 c'était combattre. J'ignore s'il y a eu des réunions.
24 Q. Bien. Nous nous sommes concentrés sur les premiers jours, mais je
25 voudrais savoir si, à un moment donné, vous avez quitté Lapusnik ?
Page 2605
1 R. Oui.
2 Q. Dans quelle circonstance ? Pourquoi êtes-vous parti ?
3 R. Moi, je ne voulais pas partir, mais le commandant, le chef Fehmi
4 Lladrovci, m'ai dit : il vaut mieux que tu partes et que tu surveilles le
5 village où tu habites, le village où j'habitais, donc Blinaje, voir combien
6 il y a de soldats de l'ennemi qui entrent et qui sortent du village. C'est
7 la raison pour laquelle je suis allé là-bas pour exercer cette
8 surveillance. Quand il y avait des combats, quand je le pouvais, et bien,
9 je retournais à Lapusnik.
10 Q. Est-ce que votre chef, Fehmi Lladrovci, vous a dit cela littéralement,
11 qu'il valait mieux que vous alliez à Blinaje pour surveiller les forces
12 ennemies ? Est-ce qu'il vous l'a dit en personne ?
13 R. Oui.
14 Q. Quand il vous a tenu ces propos, est-ce qu'il était accompagné de
15 quelqu'un d'autre ou est-ce qu'il était seul ?
16 R. J'étais seul quand il m'a tenu ces propos. Plus tard, il a désigné un
17 autre soldat, Islami, qui était un autre combattant. Il me l'a affecté pour
18 qu'il soit avec moi, parce qu'il connaissait les gens qui savaient se
19 procurer des armes. Quand on a été en mesure de le faire, on a ramené des
20 fusils, des armes, parce qu'ils savaient où s'en procurer. Quand on le
21 pouvait, on les ramenait aux soldats de Lapusnik.
22 Q. Afin que les choses soient claires, pouvez-vous nous dire s'il s'agit
23 bien du même Islam dont vous nous avez déjà parlé précédemment ?
24 R. Oui.
25 Q. Vous souvenez-vous du moment où vous êtes retourné à Blinaje après
Page 2606
1 votre retour de Lapusnik, combien de jours se sont écoulés entre ces deux
2 événements ?
3 R. Environ trois ou quatre jours.
4 Q. A Blinaje, qu'avez-vous fait ?
5 R. Quand je suis allé à Blinaje, je suis resté chez moi, pour qu'on ignore
6 que je participais aux opérations de guerre, il ne fallait pas que cela se
7 sache, parce que cela aurait été dangereux pour les autres membres de ma
8 famille. Je suis allé dans une montagne, et là j'ai pu les voir, alors
9 qu'ils ne pouvaient pas me voir. Enfin, ils auraient pu me voir, mais moi
10 j'étais en civil, ils ne savaient pas ce que je faisais là. Quand il y
11 avait des soldats qui venaient, il fallait que j'attende pour voir s'ils
12 allaient rester, ou s'ils allaient partir. Parfois ils restaient. Quand
13 c'était le cas, le soir j'allais voir Fehmi Lladrovci en voiture à Lapusnik
14 et je lui racontais ce qui s'était passé.
15 Q. Afin que les choses soient bien clairement consignées au compte rendu
16 d'audience, vous dites je pouvais les voir, mais eux ne pouvaient pas me
17 voir. Qui sont ces "ils" ?
18 R. Quand je parle de "ils", je parle des Serbes. Shkji, c'est le nom qu'on
19 emploie pour désigner les Serbes.
20 Q. Quand êtes-vous allé pour la première fois à Lapusnik en voiture pour
21 rapporter à Fehmi Lladrovci ce que vous aviez vu ?
22 R. Je ne me souviens pas de la date exacte, mais c'était à peu près deux
23 ou trois jours après.
24 Q. Que s'est-il passé ce jour-là, pouvez-vous nous relater ce qui s'est
25 passé, je parle du moment où vous êtes arrivé à Lapusnik ?
Page 2607
1 R. Quand je suis arrivé à Lapusnik, il n'y avait pas de combats très
2 violents, les combats étaient sporadiques. Je n'ai pas vu le chef, il a
3 donc fallu que j'aille au combat moi aussi. C'est seulement ensuite que
4 j'ai rencontré Fehmi Lladrovci, le chef, et il a dit, c'est bon et qu'il y
5 avait eu un véhicule de transport de troupes blindé, un APC, mais qu'il
6 était parti. Ce véhicule qui transportait des policiers. Mais il a dit
7 qu'on irait dans la zone.
8 Q. Est-ce que vous avez parlé à Fehmi Lladrovci en personne à cette
9 occasion ?
10 R. Oui, je m'en souviens parfaitement, je me souviens très bien que j'ai
11 parlé avec le chef, Fehmi Lladrovci.
12 Q. Vous souvenez-vous du lieu où vous lui avez parlé ?
13 R. Cela se trouvait à côté des bunkers, près des premières positions dans
14 les montagnes quelque part.
15 Q. Est-ce qu'il y a eu d'autres occasions où vous êtes allé à Lapusnik
16 pour signaler ce que vous aviez vu, ou ce qui s'était passé ?
17 R. Oui, une autre fois, ou peut-être même deux, je n'en suis pas sûr, mais
18 ces fois-là je n'ai pas pu voir Fehmi Lladrovci en personne.
19 Q. Pouvez-vous nous dire ce qui s'est passé, ces deux fois là.
20 R. Les autres fois, quand j'étais à Blinaje, je vous ai dit avant que
21 quand ils nous provoquaient, ils avaient leurs propres raisons, leurs
22 propres objectifs, je parle des Serbes. Donc ils sont venus avec deux APC,
23 des véhicules de transport de troupes blindés. Donc ils sont venus, il y en
24 a qui s'étaient attachés des espèces de foulards, de mouchoirs autour de la
25 tête, et ils montraient leurs armes, ceci afin que tous les gens voient
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1 bien les armes et aient peur. Parfois un APC restait et l'autre s'en
2 allait, parfois il restait la nuit, et cetera. Voilà le genre de chose que
3 j'étais censé signaler au chef. Mais parfois quand j'allais le voir, il
4 n'était pas là.
5 Q. Si vous n'étiez pas en mesure de rencontrer votre chef en personne, que
6 faisiez-vous ?
7 R. Quand je ne pouvais pas rencontrer le chef, il fallait que je parle à
8 Ymer Alushani, qui m'avait dit, ce que tu me dis là, personne d'autre n'est
9 censé le savoir. Si je ne suis pas là, tu vas voir Ymer Alushani. Donc
10 quand il n'était pas là, j'allais voir Ymer Alushani. Ce jour-là, je suis
11 allé voir Ymer Alushani, je lui ai expliqué ce qui s'était passé dans le
12 village de Blinaje.
13 Q. Vous souvenez-vous de l'endroit où vous avez rencontré Ymer Alushani ?
14 R. J'ai rencontré Ymer Alushani à côté du carrefour où se rencontre cinq
15 routes, voilà l'endroit. Je ne lui ai pas demandé où il était, parce que ce
16 n'était pas de mon ressort, je n'avais pas à lui demander où il était. Ce
17 que j'ai fait, j'ai demandé à un des soldats, est-ce que le chef est là ?
18 On m'a répondu que non. Ensuite, j'ai dit est-ce que Voglushi est là ? Je
19 voulais voir Ymer Alushani, et le soldat m'a dit, je vais aller le chercher
20 pour toi. Il est parti, il est allé chercher Voglushi. Je lui ai relaté
21 tout ce qui s'était passé à Blinaje.
22 Q. Est-ce qu'Ymer Alushani et Voglushi c'est une seule et même personne ?
23 R. Oui, c'est une seule et même personne. Voglushi, c'était son surnom.
24 Q. Bon, oublions Ymer Alushani, je vous ai demandé si pendant les premiers
25 jours à Lapusnik, vous aviez revu vos amis. Maintenant ce qui m'intéresse
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1 c'est le moment où vous êtes retourné à Lapusnik, est-ce que vous les avez
2 revus à ce moment-là, vos amis ?
3 R. Non.
4 Q. Monsieur Kastrati, quand vous êtes allé pour la première fois de
5 Lapusnik à Blinaje, est-ce qu'il y avait d'autres soldats de l'UCK à
6 Blinaje en dehors de vous ?
7 R. Il y en avait un autre, mais j'ignore quelles étaient ses fonctions,
8 quelle était sa mission, ce que lui avait dit le chef. Lui, il se trouvait
9 sur la partie inférieure de la route goudronnée; moi, j'étais vers le haut.
10 Il n'avait pas à venir dans la zone où je me trouvais et moi je n'avais pas
11 à aller dans son secteur non plus. On avait chacun sa mission, qui nous
12 avait été donnée par le chef. Moi, je ne lui ai jamais demandé quelle était
13 sa mission, et lui non plus ne m'a jamais demandé quelle était la mienne.
14 Q. Vous parlez d'une route goudronnée, pouvez-vous nous expliquer
15 précisément de quelle route il s'agit, parce que ce n'est pas très clair
16 pour l'instant ?
17 R. C'est la route qui va du rocher à Blinaje -- ou plutôt la route qui va
18 de Magure à Blinaje. Ma maison se trouve sur le coté droit de la route et
19 la sienne sur le coté gauche. C'est la route qui va de Magure à Blinaje.
20 Q. Merci. Cet autre homme qui était-il ? Savez vous comment il s'appelle ?
21 R. Islam.
22 Q. C'est le même Islam dont vous nous avez parlé précédemment.
23 R. Oui.
24 Q. Est-ce qu'à un moment l'UCK a augmenté le nombre de soldats qui se
25 trouvaient à Blinaje ? Est-ce qu'on a vu arrivé plus de soldats de l'UCK ?
Page 2610
1 R. Pouvez vous répéter la question ?
2 Q. Est-ce qu'au bout d'un certain, l'UCK est arrivé en plus grand nombre à
3 Blinaje, s'y installer ?
4 R. Plus tard, effectivement, il y avait plus de soldats. Mais je ne leur
5 ai pas dit que moi aussi j'étais soldat. Pour eux, je n'étais qu'un
6 villageois comme les autres. Au bout d'une semaine, j'ai demandé aux gens
7 de Lapusnik de pouvoir aller à Blinaje parce que je connaissais la zone et
8 que je pouvais être plus utile à Blinaje qu'à Lapusnik.
9 Q. Est-ce qu'on vous a autorisé de retourner à Blinaje ?
10 R. Oui.
11 Q. Qui vous a autorisé de retourner à Blinaje ?
12 R. Je suis allé à Lapusnik où je suis resté environ une semaine parce
13 qu'en janvier l'armée était à Blinaje. J'ai vu Ymer Alushani et je lui ai
14 dit Fehmi Lladrovci n'est pas là donc je ne peux pas le voir. Je lui
15 demandé qui était le responsable, qui était en mesure de me donner
16 l'autorisation de retourner à Blinaje ? J'ai expliqué que je connaissais
17 bien la zone, que je connaissais les gens et que je pourrais être plus
18 utile là bas qu'ici. Il a répondu, je vais aller demander à quelqu'un.
19 Q. Qui est-il allé voir ?
20 R. Maintenant, je sais qui c'est, mais dans le temps je ne le savais.
21 C'était le chef. C'est comme cela qu'on l'appelait. Mais on ne posait pas
22 de questions surtout les soldats, ils n'avaient pas l'autorisation de
23 demander qui c'était. Lorsqu'on prononçait ce nom de "commandant" ou
24 "chef", on respectait la personne à qui cela s'appliquait quelle qu'elle
25 soit.
Page 2611
1 Q. Mais cet homme, ce chef en question, qui était-ce ? Connaissez-vous son
2 nom, son surnom ?
3 R. Maintenant je le sais, je sais qui était le chef, celui qui m'a
4 autorisé d'aller à Blinaje; c'était Qerqizi, commandant Qerqizi. Il a dit,
5 il vaudrait mieux que tu restes ici pour nous aider, mais ce n'est pas
6 grave. Je lui ai dit, oui, je pourrais rester ici, mais je connais la zone
7 là-bas beaucoup mieux chef. A ce moment là, je l'ai appelé "chef" parce que
8 je ne savais pas quel était son nom ou son surnom.
9 Q. Quand avez-vous parlé au commandant Qerqizi ?
10 R. C'était à peu près deux mois plus tard, deux mois après le début de mes
11 activités dans le cadre de la guerre.
12 Q. Donc deux mois après le 9 mai ?
13 R. Oui, à peu près.
14 Q. Je ne sais pas quand vous aviez l'intention, Monsieur le Président, de
15 prendre la pause. Ce serait une bonne césure pour moi, mais je m'en remets
16 entre vos mains.
17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous allons encore travailler pendant
18 dix à 12 minutes.
19 M. BLACK : [interprétation] Merci.
20 Q. Est ce qu'on vous a donné l'ordre de retourner à Blinaje à ce moment-
21 là ?
22 R. Oui, le chef m'a autorisé de retourner là-bas. Je voulais absolument
23 retourner dans cette région, dans cette zone où j'habitais parce que je la
24 connaissais très bien cette région.
25 Q. Quand vous avez été transféré à Blinaje, combien y avait-il de soldats
Page 2612
1 à cet endroit ?
2 R. Quand je suis allé à Blinaje, au début, il y en avait 30 à 40, mais je
3 ne suis pas sûr du chiffre.
4 Q. Est-ce que ce nombre a changé ?
5 R. Oui.
6 Q. De quelle façon ?
7 R. Je peux dire qu'il y en avait plus chaque jour, mais je ne savais pas
8 combien il y avait de soldats. En tout cas, il y en avait beaucoup, cela je
9 le sais.
10 Q. Quand vous êtes retourné à Blinaje, qui assurait le commandement des
11 troupes ?
12 R. Quand je suis allé à Blinaje, le chef était un autre habitant du
13 village; Dardani de son surnom. Il y avait aussi mon frère et son ami qui
14 était le commandant Blini. J'ai demandé à être soldat moi aussi. Cela les a
15 fait rire et ils m'ont dit que je ne pouvais aller me battre parce que je
16 n'étais assez courageux. J'ai répondu que je voulais essayer au moins. Ils
17 ont dit d'accord, tu peux venir avec nous.
18 Q. Savez-vous quels étaient les postes occupés par Dardan et Blini ? Quels
19 étaient leurs grades, leurs titres ?
20 R. A ce moment-là et jusqu'à la fin, je peux dire que j'ignorais leur
21 grade, mais les soldats disaient "chef" ou "commandant". Ce qui suscite
22 toujours un sentiment de respect et de discipline parmi les soldats. Peu
23 m'importait en fait quel était leur grade exact.
24 Q. Je n'ai peut-être pas été très précis quand j'ai posé ma question. Je
25 voudrais savoir quelles étaient leurs responsabilités ? Commençons par
Page 2613
1 Dardan.
2 R. Oui, j'ai bien compris la question et j'ai dit c'était pour moi un
3 chef. Il était le chef du groupe de soldats qui se trouvaient là. Pour ce
4 qui est de Blini, il me l'a expliqué mais il n'a pas été assez clair. Il
5 m'a dit qu'il était à la tête de la zone opérationnelle. J'ai dit : mais
6 qu'est-ce que cela veut dire, une zone opérationnelle ? Cela l'a fait rire,
7 et il a dit : mais tu ne comprends rien. J'ai répondu : oui, c'est vrai, je
8 ne connais pas ces choses-là. Je ne comprends pas, mais je sais me battre
9 contre l'ennemi, je sais défendre les miens. Il m'a répondu -- parce que
10 c'était quelqu'un qui était officier dans la 7e Armée, et il avait beaucoup
11 d'expérience. Il avait l'expérience des bunkers, il avait l'expérience des
12 tranchées. C'était son travail. C'était sa responsabilité. Nous les
13 habitants du village, on les aidait. On essayait de faire face à l'ennemi
14 autant que possible.
15 Q. Monsieur le Témoin, dans la traduction on a entendu que Blini était
16 chef de la zone opérationnelle. Est-ce que vous parliez de zone
17 opérationnelle ou de zone des opérations ?
18 R. J'ai dit que c'était un chef des opérations.
19 Q. Merci.
20 R. Je voudrais ajouter que moi -- je ne sais pas exactement ce que cela
21 veut dire, ce titre, mais parfois quand on était chez nous, on se parlait,
22 on discutait. Il a essayé de m'expliquer, mais je ne comprenais pas très
23 bien ce que recouvrait ce titre.
24 Q. Ce n'est pas grave. Est-ce que vous savez qui était le supérieur de
25 Dardani et Blini ?
Page 2614
1 R. Je pense que c'était Shukri Buja. Enfin, c'est ce que je pensais, mais
2 il y avait aussi un certain Luani, qui occupait un poste de commandement.
3 Je ne sais pas exactement quelles étaient leurs activités, leurs postes
4 exacts, mais comme je l'ai dit, moi, je respectais tous ceux qui avaient un
5 poste de commandement. Si un de ces chefs me disait d'aller sur un point de
6 contrôle serbe, et bien, j'y allais sans poser de questions.
7 Q. Savez-vous qui était celui qui était le supérieur de Shukri Buja et de
8 Luani ?
9 R. Je l'ai déjà dit. A l'époque, je ne le savais pas, mais maintenant vous
10 le savez et moi aussi je le sais.
11 Q. Qui est-ce ? Qui était-ce ?
12 R. C'est le monsieur qui est assis là-bas, Fatmir Limaj.
13 M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, je vais maintenant
14 aborder un thème qui me prendra un peu plus de temps. Peut-être le moment
15 serait-il bienvenu de faire la pause.
16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bien, dans ces conditions, nous allons
17 suspendre l'audience jusqu'à 11 heures moins 10.
18 --- L'audience est suspendue à 10 heures 26.
19 --- L'audience est reprise à 10 heures 52.
20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Black, vous avez la parole.
21 M. BLACK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
22 Q. Monsieur Kastrati, juste avant la pause, vous nous avez dit que Fatmir
23 Limaj était le commandant au dessus de Shukri Buja et du commandant Luani.
24 Comment avez-vous appris que Fatmir Limaj était leur commandant ?
25 R. Nous avons appris ceci en vous écoutant et en écoutant un certain
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1 nombre de mes amis. J'ai appris qu'il commandait la brigade. A ce moment-
2 là, le terme de "brigade" n'était pas utilisé; rien n'a été invoqué à ce
3 propos à ce moment-là. A ce moment-là, on ne parlait que de l'armée de
4 libération du Kosovo.
5 Q. Avez-vous jamais rencontré Fatmir Limaj personnellement ?
6 R. Avant la guerre, vous voulez dire, ou après la guerre, ou pendant la
7 guerre ?
8 Q. A aucun moment.
9 R. Je l'ai rencontré une fois pendant la guerre. Je savais que c'était
10 lui. En réalité, au début, je ne savais pas qui c'était, mais plus tard,
11 j'ai découvert que c'était le commandant Celiku.
12 Q. Très bien. Dites-nous ce qui s'est passé à cette occasion là, s'il vous
13 plaît.
14 R. Vous voulez que je reparte un petit peu en arrière dans le temps, ou
15 est-ce que vous voulez que je parle précisément du moment où j'ai rencontré
16 le commandant Celiku ?
17 Q. Vous pouvez repartir un petit peu en arrière si vous en avez besoin
18 pour fournir votre explication.
19 R. Lorsque je me suis trouvé sur les positions à Blinaje, il était
20 important que de rester au sein d'une seule et même unité, mais en tant que
21 soldat nous étions très fatigués, et quelquefois les villageois venaient
22 prendre la relève, munis de leur fusil de chasse qui faisaient office
23 d'arme. Dans ce cas-là, ils empêchaient les Serbes de venir dans notre
24 direction. Entre-temps, un des habitants de mon village m'a regardé comme
25 s'il voulait perturber l'ordre public. Comme les Serbes se trouvaient très
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1 près de cet endroit, je leur ai demandé de ne pas s'exprimer à voix haute.
2 Je lui ai demandé de ne pas parler à voix haute, de s'exprimer à voix
3 haute. Il m'a
4 dit : peu importe. Cela m'est égal si tu es muni d'une arme. Bien que tu
5 sois muni d'une arme, tu n'es rien pour moi. Je lui ai dit : bien sûr je
6 sais que je ne représente rien pour toi, mais tu devrais parler à voix
7 basse. Il m'a rétorqué : tais-toi, parce que, sinon, tu devras rentrer chez
8 toi. Tu ne peux pas prendre mon arme. Tels sont les propos que nous avons
9 échangés. J'ai estimé qu'il allait trop loin et qu'il a dépassé la limite,
10 puisque l'ennemi n'était pas loin, et j'estimais qu'il nous mettait en
11 danger. C'était risqué. Nous avons donc organisé une réunion dans mon
12 village. Je n'ai pas assisté à cette réunion, et je ne me souviens pas
13 exactement à quel moment cette réunion a eu lieu. Cette personne a abordé
14 cette question au cours de la réunion. On a parlé avec le commandant Shukri
15 Buja. Je ne sais pas comment cette question est arrivée aux oreilles du
16 commandant Celiku. Je ne sais pas si c'est lui ou une autre personne qui
17 lui a rapporté cela. Je sais simplement que cela était connu de tous. Il y
18 avait un certain nombre d'autres soldats qui n'avaient pas de grade dans
19 l'armée, mais les soldats savaient qui étaient le commandant.
20 Malheureusement pour moi, le commandant Celiku est venu et il m'a demandé
21 si j'étais Fadil Kastrati. J'ai répondu que oui, que c'était bien moi. Il
22 m'a dit : vous, monsieur, il faut que vous remettiez votre arme. J'étais
23 tout à fait désolé. C'était très dur pour moi, et j'étais très en colère.
24 Je lui en voulais, mais maintenant je suis convaincu qu'il avait raison. Je
25 le respecte profondément, je respecte tout autre soldat de l'UCK. Je lui ai
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1 demandé si c'était possible pour lui de le faire si lui, en tant que
2 commandant, pouvait m'enlever mon arme et que j'avais pris les armes, parce
3 que je le voulais vraiment. Il n'y avait qu'un petit nombre de membres de
4 l'UCK qui était présent à cet endroit là. Nul n'est besoin de m'enlever mon
5 arme. Il m'a répondu : ce n'est pas à toi de parler. Je sais quand je dois
6 reprendre une arme à quelqu'un et quand je ne dois pas le faire. Vous avez
7 perturbé l'ordre public dans le village. Je lui ai répondu : non, je n'ai
8 pas fait cela. Je n'ai pas perturbé l'ordre public. Mais j'ai simplement
9 rappelé à cette personne qu'il ne devait pas parler trop fort car ceci
10 pourrait faire du tort à nos soldats. Le commandant Celiku m'a dit : il
11 faut que vous me remettiez votre arme. Il y a des règles et une certaine
12 discipline qui est appliquée dans les rangs de l'UCK. En vertu de cela,
13 nous devons agir ainsi. Si nous permettons ces petits débordements, et
14 bien, cela ne sera pas conforme. C'est mieux si je vous reprends votre
15 arme. Mais il n'a pas donné suite à cela.
16 J'ai rencontré mon frère et je lui ai dit : Baca Gani, aide-moi avec ce
17 commandant. S'il m'enlève mon arme, je ne sais pas où je peux aller. Je ne
18 pouvais pas attendre. Quinze jours, c'était trop long. Je ne sais pas s'il
19 est allé parler au commandant, ou non. Je lui ai demandé de plaider ma
20 cause auprès du commandant pour me permettre de battre, en tout cas,
21 pendant la durée des combats. Il m'a autorisé à prendre mon arme et à me
22 battre. A la fin des combats, j'étais censé poser mon arme à l'endroit où
23 je me trouvais et rentrer chez moi. A ce moment-là, je ne lui ai pas dit
24 ceci, mais maintenant il est en mesure de l'entendre. Le commandant Dardan
25 et Blini ne lui ont pas dit, M. le commandant, je n'ai pas déposé mon arme
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1 pendant 15 jours, mais neuf jours seulement car mon frère, son ami, les
2 habitants de mon village n'en ont pas parlé au commandant, mais ils m'ont
3 redonné mon arme au bout de huit jours. Lorsque j'ai récupéré mon arme, je
4 ne peux pas vous dire comment je me sentais. J'étais ravi de pouvoir
5 combattre l'ennemi à nouveau.
6 Q. Merci, Monsieur Kastrati. Savez-vous à quel moment les gorges de
7 Lapusnik sont retombées sous le contrôle des Serbes à la fin du mois de
8 juillet 1998 ?
9 R. Je m'en souviens, mais je n'y étais pas moi-même, parce que j'étais à
10 Blinaje, mais j'ai entendu dire que les gorges de Lapusnik ont été reprises
11 par les forces serbes.
12 Q. A ce moment-là, lorsque vous avez rencontré le commandant Celiku,
13 Fatmir Limaj, était-ce avant ou après la reprise des gorges de Lapusnik par
14 les forces serbes ?
15 R. Ceci s'est passé avant, avant la reprise des gorges de Lapusnik par les
16 forces serbes.
17 Q. Vous souvenez-vous combien de temps avant ?
18 R. Je ne peux pas vous dire exactement à quel moment, mais je peux vous
19 dire que cela devait être un mois ou un mois et demi avant. Je n'ai pas
20 consigné les dates. Cela ne m'intéressait pas. Les dates ne m'intéressaient
21 pas. Ce qui me préoccupait surtout, c'était les combats. Je voulais être un
22 bon soldat de l'UCK.
23 Q. Savez-vous où était la base de Fatmir Limaj à ce moment-là au moment où
24 vous l'avez rencontré ?
25 R. Non. Je ne le savais pas.
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1 Q. Avez-vous jamais eu des échanges ou échangez quoi que ce soit avec
2 Fatmir Limaj après cet incident ?
3 R. Non. Je n'ai jamais échangé quoi que ce soit avec lui, mais il est
4 possible que nous ayons combattu côte à côte et que je ne l'ai pas reconnu.
5 A vrai dire, j'étais très en colère. J'étais en colère contre lui et je ne
6 voulais pas le voir à vrai dire.
7 Q. Savez-vous à quel moment vous avez appris que son véritable nom était
8 Fatmir Limaj ?
9 R. Oui.
10 Q. Quand ? A quel moment ?
11 R. Au moment où il m'a demandé de déposer mon arme j'ai appris quel était
12 son véritable nom. J'ai appris que son nom était commandant Celiku. Pour
13 moi, c'était un grand nom. Je dois répéter encore une fois qu'à ce moment-
14 là je ne voulais pas le voir, car je pensais que je m'étais trompé à
15 nouveau, et peut-être qu'il allait encore une fois me demander de déposer
16 mon arme.
17 Q. Vous souvenez-vous à quel moment vous avez appris qu'il s'appelait
18 Fatmir Limaj ?
19 R. Oui.
20 Q. C'était quand ?
21 R. A un moment où l'armée de libération -- à un moment où les membres de
22 l'armée de libération du Kosovo sont venus à La Haye. C'est à ce moment-là
23 qu'on a révélé que le nom du commandant Celiku était Fatmir Limaj.
24 Q. Bien. Vous nous avez dit que vous avez passé quelques jours à Lapusnik
25 autour de la date du 9 mai 1998, et que vous vous y êtes rendu à deux
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1 reprises après cela. Avez-vous jamais entendu parler d'un camp à Lapusnik
2 où des gens étaient retenus par l'UCK ?
3 R. Non, je n'ai jamais entendu parler de cela. J'ai entendu parler de
4 prisons, mais pas de celle-ci.
5 Q. Qu'avez-vous entendu dire à propos des autres prisons ?
6 R. J'ai entendu dire qu'il y avait des prisons dans les postes de police à
7 Magure, à Lipjan, et que toutes ces personnes étaient recouvertes du sang
8 des Albanais. Moi, j'étais un d'entre eux. Je n'ai pas entendu parler d'une
9 prison à Lapusnik. Je ne sais pas s'il y en avait une effectivement à cet
10 endroit-là.
11 Q. Simplement pour que les choses soient bien claires, est-ce que ces
12 prisons dont vous avez entendu parler, est-ce qu'il s'agissait de prisons
13 serbes ?
14 R. Oui, bien sûr.
15 Q. Avez-vous jamais entendu parler des arrestations menées par l'UCK, ou
16 du fait que l'UCK détenait des personnes, des Serbes ou des Albanais, au
17 mois de mai, juin ou juillet 1998 ?
18 R. Ecoutez, c'est quelque chose dont j'ai déjà parlé, mais je vais redire
19 ceci. Je n'ai jamais entendu parler de prisons dans les régions que vous
20 évoquez. Mon seul souci était de me battre, et je crois que les personnes
21 qui ont pris part à la guerre parlaient surtout de combats et ne se
22 préoccupaient pas d'arrestations ou d'emprisonnement. Je dis cela en toute
23 connaissance de cause parce que nous, les Albanais, nous avons toujours été
24 en prison que ce soit mon père, mon grand-père, et mon arrière grand-père,
25 jusqu'au jour d'aujourd'hui. Nous n'avions pas, nous-mêmes, à nous
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1 préoccuper de ce genre de chose. Nos responsabilités étaient ailleurs. Nous
2 voulions venir en aide à notre peuple et nous ne voulions pas les arrêter.
3 Je n'ai jamais entendu parler d'une prison.
4 Q. Merci, Monsieur Kastrati. Je n'ai plus de questions à vous poser à ce
5 stade.
6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Black.
7 Maître Khan, vous avez la parole.
8 M. KHAN : [interprétation] Je vous remercie.
9 Contre-interrogatoire par M. Khan :
10 Q. [interprétation] Monsieur Kastrati, je m'appelle Karim Khan et je
11 représente M. Fatmir Limaj. J'ai quelques questions à vous poser et
12 j'espère que je ne serai pas trop long.
13 Vous nous dites avoir rejoint l'UCK après la bataille de Prekaz. Simplement
14 pour que les choses soient claires, c'était après le meurtre d'Adem
15 Jashari, n'est-ce pas ?
16 R. Oui, c'est exact.
17 Q. Et c'était après la mort d'Adem Jashari que vous vous êtes rendu compte
18 que la guerre était devenue inévitable, n'est-ce pas ?
19 R. Oui.
20 Q. Et au moment où vous vous êtes rendu à Lapusnik, près du rocher, le 9
21 mai 1998, vous veniez de chez vous et vous portiez des habits de civil,
22 n'est-ce pas ?
23 R. Oui, c'est ainsi que les choses se sont passées.
24 Q. A l'exception de deux mois, où vous avez fait votre service militaire,
25 vous n'aviez pas d'expérience de la vie dans une armée ?
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1 R. Non, c'est exact. Mais à ce moment-là et au cours de toute cette
2 période, j'ai beaucoup appris.
3 Q. Vous a-t-on forcé à rejoindre l'UCK ?
4 R. Non.
5 Q. Ymer Alushani, vous a-t-il menacé d'une quelconque manière, autrement
6 dit, qu'il adviendrait quelque chose de mal si vous ne rejoignez pas les
7 rangs de l'UCK ?
8 R. Non, pas du tout. Au contraire, il m'embrassait.
9 Q. Lorsque vous étiez près du rocher, et lorsque vous étiez dans la région
10 de Lapusnik, vous dites que le commandant général était Fehmi Lladrovci,
11 n'est-ce pas ?
12 R. J'ai entendu dire, comme je l'ai précisé plus tôt, j'ai entendu que
13 c'était un commandant. Je me rends compte maintenant que c'était Fehmi
14 Lladrovci. Il est vrai qu'il s'est présenté à nous dans une pièce qui était
15 réservé aux invités.
16 Q. D'après vous, qui était plus important; Fehmi Lladrovci ou Ymer
17 Alushani ? Quel était celui qui avait le plus haut rang ?
18 R. Pendant un certain temps, j'ai cru que c'était Ymer Alushani, mais
19 après j'ai réalisé que Lladrovci était l'homme en question, bien qu'Ymer
20 Alushani n'était pas un mauvais homme non plus.
21 Q. Lorsque vous étiez à Lapusnik, qui tentait d'organiser les choses ?
22 R. C'est quelque chose que j'ai déjà dit. Je vais répéter ce que j'ai déjà
23 dit. Au début de la guerre, dans les tout premiers jours lorsque je ne
24 savais pas comment les choses allaient évoluer, il me semblait que c'était
25 Ymer Alushani en même temps que 10 à 15 autres personnes. Entre-temps,
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1 Fehmi Lladrovci, le commandant est venu nous voir et c'est ainsi que les
2 choses se sont passées.
3 Q. Vous nous dites que les Serbes ont tiré avec des armes lourdes à
4 Lapusnik. Savez vous quels types d'armes ont été utilisés ?
5 R. Je crois que vous faite allusion au premier jour n'est ce pas ?
6 Q. Oui.
7 R. Lorsque nous avons abordé cette question avec les soldats, ils nous ont
8 dit qu'il s'agissait d'armes antiaériennes. Je ne sais pas exactement
9 comment ils les ont appelées, mais je sais simplement que c'était des armes
10 à grande portée. Pendant un certain temps, j'ai cru qu'ils nous tiraient
11 dessus depuis des chars et qu'ils avaient l'intention de nous tuer dès le
12 premier jour. Mais fort heureusement ceci ne c'est pas passé ainsi.
13 Q. En fait, vous combattiez la police Serbe, n'est-ce pas ?
14 R. Oui. Nous nous battions contre la police Serbe et l'armée Serbe. Ils se
15 battaient contre nous et nous avons riposté dans la mesure de nos moyens.
16 Q. Vous dites que vous vous êtes rendu à Lapusnik deux ou trois fois --
17 R. Oui.
18 Q. -- aux fins de faire un rapport à Fehmi Lladrovci, n'est-ce pas ?
19 R. Oui, c'est ainsi que les choses se sont passées.
20 Q. Hormis ces deux ou trois reprises où vous vous êtes rendu à Lapusnik
21 pour faire un rapport, vous dites vous y êtes rendu à d'autre occasions
22 également aux fins d'aller chercher des fusils accompagné d'Islam; est-ce
23 exact ?
24 R. Oui. Je n'ai pas emmené les armes avec Islam à ce moment-là. En
25 général, j'emmenais les armes moi-même parce que j'estimais qu'il valait
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1 mieux que je me fasse tuer moi si j'étais pris dans une embuscade qui avait
2 été montée par les Serbes. Il m'emmenait voir des personnes qui étaient en
3 possession d'armes, il savait que ces personnes avaient des armes. C'était
4 à moi d'aller les chercher.
5 Q. Si je puis vous poser la question, où emmeniez-vous ces armes à
6 Lapusnik ? A quel endroit avez remis ces armes ?
7 R. Oui.
8 Q. Pardonnez-moi, je n'ai pas été très clair. Vous avez emmené les armes à
9 Lapusnik, n'est ce pas ?
10 R. Oui.
11 Q. Ces armes, Islam Qadraku -- pardon, et Islam Qadraku vous a remis ces
12 armes; est-ce exact ?
13 R. Non. Il ne m'a pas remis les armes. Il connaissait des personnes qui
14 pouvaient obtenir des armes, il parlait avec eux. J'attendais dans un café
15 quelque part de façon à ce que personne ne sache que j'étais un membre, car
16 je ne n'avais plus qu'à dire au revoir à tout ceci. J'attendais dans un
17 café. Lorsqu'il en avait terminé, il me disait, suis cette personne, va
18 chercher une arme ou deux. J'emmenais l'arme. Une fois, lorsque j'ai fait
19 ceci avec lui, la police Serbe m'a arrêté. Je lui ai dit que je devais
20 faire ceci en présence de quelqu'un dans lequel il avait confiance. Je
21 devais après cela remplir cette mission en présence de ma femme, car à ce
22 moment-là, cela n'éveillerait pas le soupçon des Serbes. A deux ou trois
23 reprises, je suis donc parti avec ma femme. J'avais les armes sur moi et
24 les Serbes ne m'ont pas arrêté.
25 Q. A qui avez-vous remis ces armes à Lapusnik ?
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1 R. Oui. J'ai remis ces armes à Ymer Alushani, et je lui ai dit cette arme
2 a été achetée. Je ne sais pas où Islam l'a emmené, mais c'est moi qui vous
3 l'ai déposée chez vous. Il répondait, merci beaucoup vous venez d'équiper
4 en arme un nouveau soldat de l'UCK.
5 Q. Au cours de ces différents allers et retours à Lapusnik vous n'avez
6 jamais appris qu'il y avait un endroit où des gens étaient détenus ?
7 R. Je ne comprends pas votre question. Vous voulez parler de la route qui
8 mène à Lapusnik ?
9 Q. Malgré ces différents allers et retours à Lapusnik et malgré votre
10 participation à l'UCK, vous n'avez jamais entendu parler d'une prison à
11 Lapusnik, de l'existence d'une prison à Lapusnik ?
12 R. Je n'ai jamais eu l'occasion d'entendre parler de ceci comme je vous
13 l'ai déjà dit. Parce que j'abandonnais des armes à cet endroit, je les
14 déposais là mais je ne restais pas à cet endroit. Peut-être que j'y restais
15 à cet endroit dix à 15 minutes et ensuite je repartais pour Blinaje.
16 Q. Est-il exact de dire que lorsque vous avez eu affaire avec le
17 commandant de Lapusnik, vous étiez en contact avec Fehmi Lladrovci, Ymer
18 Alushani et, à une occasion, avec Isak Musliu. Vous n'avez jamais eu
19 affaire à Fatmir Limaj, n'est ce pas ?
20 R. Oui. Les choses étaient ainsi car je n'ai jamais eu l'occasion de
21 rencontrer Fatmir Limaj à cet endroit-là. Je ne me souviens pas d'avoir
22 rencontré Isak Musliu. Peut-être que nous avons pris part au même combat,
23 cela je ne le savais pas. Comme je vous l'ai dit précédemment, nous ne
24 pouvions pas poser des questions et nous ne voulions pas savoir qui était
25 qui, et qui était membre.
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1 Q. Vous n'avez jamais entendu parlé du commandant Celiku avant le moi de
2 juillet 1998, n'est ce pas ?
3 R. C'est ainsi que les choses se sont passées. Lorsque je suis rentré à
4 Blinaje et lorsqu'il m'a enlevé mon arme, à ce moment-là, je le connaissais
5 sous le nom de commandant Celiku.
6 Q. Votre principale préoccupation était de prendre part au combat et dans
7 les activités menées contre les Serbes, n'est ce pas ? C'était votre
8 principal souci, n'est-ce pas ?
9 R. Oui, les choses était ainsi. Je n'ai jamais fait autre chose. Nous
10 avions cette réputation et nous étions sous leur contrôle en permanence.
11 Q. Vous prêtiez attention toujours aux paroles de quelqu'un s'il avait le
12 titre de commandant ?
13 R. Je ne comprends pas très bien, ce n'est pas très clair.
14 Q. Vous dites avoir appris que Fatmir Limaj était un commandant en
15 entendant les propos de M. Black et d'autres. Vous avez appris de lui que
16 c'était un commandant de brigade, vous avez appris cela de lui ainsi que
17 d'autres personnes, n'est ce pas ?
18 R. Qui est M. Black ? Je ne sais pas.
19 Q. M. Black est le monsieur qui vous a posé des questions il y a quelques
20 instants. Est-ce que vous le pensiez lorsque vous dites que Fatmir Limaj
21 était un commandant de la brigade car vous avez entendu ceci de la bouche
22 de M. Black, ainsi que d'autres personnes qui se trouvaient au Kosovo ?
23 M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, est-ce que nous
24 pourrions relire ceci, parce qu'il a dit qu'il parlait de moi, ainsi que de
25 ses amis ? Je souhaite que ceci soit précisé.
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1 M. KHAN : [interprétation] Très bien. Je vais poursuivre. Je ne vais pas
2 insister sur ce point.
3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous vous encourageons à
4 poursuivre.
5 M. KHAN : [interprétation]
6 Q. Vous avez entendu dire que Shukri -- Fatmir Limaj, le commandant
7 Celiku, était le supérieur hiérarchique de Shukri Buja. C'est quelque chose
8 dont vous avez entendu parler, n'est-ce pas ?
9 R. Je n'ai pas dit -- pardonnez-moi, M. Black, pardonnez-moi si je ne me
10 suis pas souvenu de votre nom, mais j'ai dit que j'ai entendu parler de
11 Fatmir Limaj, j'ai entendu parler de lui au moment où les personnes qui
12 étaient nos supérieurs hiérarchiques à nous soldats, y compris Fatmir Limaj
13 et Thaqi pour ne pas dire leurs noms, c'est à ce moment-là que j'ai appris
14 que Fatmir Limaj était en réalité Celiku. Je peux dire que c'est à ce
15 moment-là.
16 Q. Savez-vous que Fatmir Limaj est devenu le commandant de la 121e Brigade
17 au mois d'août 1998 ? Le savez-vous ?
18 R. Je ne sais pas ce qui s'est passé au mois d'août ni pendant un autre
19 mois du reste. Mais je sais qu'il était le commandant de la 121e Brigade à
20 la période en question que je viens d'évoquer. Pour moi, ce n'était pas
21 très important de savoir qui était commandant et à quel moment.
22 Q. Vous nous dites que vous aviez du mal à comprendre les différentes
23 tentatives d'organisation de l'UCK. Par exemple, vous n'avez pas compris le
24 commandant Blini lorsqu'il vous a expliqué qu'il était un commandant
25 opérationnel. Vous avez été assez franc à cet égard ?
Page 2628
1 R. Oui, bien sûr.
2 Q. Savez-vous qu'en réalité Fatmir Limaj n'a jamais été, à aucun moment,
3 le commandant ou le supérieur hiérarchique de Shukri Buja ? Etes-vous
4 d'accord avec moi pour dire cela ?
5 R. Pourriez-vous répéter votre question, s'il vous plaît ?
6 Q. Vous ne pouvez vous appuyer sur rien de particulièrement concret pour
7 dire que M. Limaj était le commandant supérieur ou le supérieur
8 hiérarchique et commandant de Shukri Buja, n'est-ce pas ? Il n'a jamais été
9 le supérieur hiérarchique de Shukri Buja. Il n'a jamais donné des ordres à
10 Shukri Buja, n'est-ce pas, d'après vous ?
11 R. D'après moi, il n'a pas donné des ordres à Shukri Buja, ni à quelqu'un
12 d'autre. Mais je sais également que quelqu'un d'autre a donné des ordres à
13 d'autres à ce moment-là. Comme je l'ai déjà dit, je ne me préoccupais pas
14 de ce genre de chose et je ne m'inquiétais pas de savoir qui donnait des
15 ordres à qui ? Je savais simplement qu'il y avait de grands hommes, qu'ils
16 étaient à la tête de l'UCK. Ces grands hommes allaient nous emmener sur le
17 chemin de la liberté et que ces grands hommes allaient apporter la liberté
18 au peuple du Kosovo. Je souhaite ajouter ceci, si vous me le permettez. Je
19 suis très triste de constater que ces hommes sont ici. Je les respecte
20 beaucoup et je ne pense pas qu'ils aient pris part à tout ceci.
21 Q. Savez-vous qu'après, lorsque le conflit s'est intensifié, Shukri Buja
22 était le commandant de la zone de Nerodime au mois d'août 1998 ? Savez-vous
23 cela ?
24 R. Mes amis m'ont dit que lorsque le combat faisait rage dans la région de
25 Nerodime, j'ai entendu dire que Shukri Buja était le commandant de cette
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1 zone-là. Mais je ne l'ai pas vu pendant un certain temps à Blinaje.
2 Ensuite, mes amis m'ont dit qu'il s'est rendu dans la zone où il était
3 déployé.
4 Q. Je crois que Shukri Buja a commencé à s'occuper de la zone de Nerodime
5 avant le mois d'août 1998. Pourriez-vous nous faire un commentaire là-
6 dessus ou non ?
7 R. Pardonnez-moi mais je crains de me tromper. Ici, j'ai prêté serment, et
8 j'ai dit que je dirais la vérité et je ne peux, par conséquent, que parler
9 de choses que j'ai vues de mes propres yeux, et de choses que je connais.
10 Shukri Buja, et je ne sais pas ce qu'il a fait à cet endroit-là car je ne
11 m'y trouvais pas, moi-même.
12 Q. Savez-vous qu'après le mois d'août, après le mois d'août 1998, la zone
13 de responsabilité de M. Limaj était la zone de Pastrik, une zone
14 différente. Etes-vous en mesure de nous dire quelque chose à ce sujet ou
15 non ?
16 R. Non. Je ne peux rien vous dire à ce sujet. Je ne sais pas.
17 Q. Vous dites lorsque vous avez rencontré M. Limaj dans votre village,
18 votre arme -- votre fusil -- peut-être que je ne vous présente pas bien ma
19 question -- Vous dites que lorsque vous avez rencontré M. Limaj dans votre
20 village, il vous a dit de ne pas détenir d'arme pendant 15 jours; est-ce
21 bien cela ?
22 R. Oui, mais je ne savais pas que c'était cette personne. Je savais
23 simplement qu'un commandant me faisait quitter mon arme désormais, c'est
24 tout ce que je savais. Voilà comment c'était.
25 Q. Est-ce qu'en fait cette réunion aurait pu avoir lieu à la fin de
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1 juillet 1998 ? Est-ce que c'est à ce moment-là que vous auriez pu le voir ?
2 R. Je ne sais pas quand cela a eu lieu. Comme je l'ai déjà dit, c'était
3 une ou deux semaines après mon retour à Blinaje, mais je ne peux pas le
4 dire de façon certaine, mais c'était vers cette époque-là que je suis
5 retourné à Blinaje.
6 Q. Je pense que vous avez dit qu'en dépit de l'ordre qui vous avait été
7 donné, ou des instructions qui vous avaient été données de ne pas conserver
8 votre arme pendant 15 jours, en fait à l'insu de M. Limaj, on vous a rendu
9 votre arme au bout de 9 jours; est-ce exact ?
10 R. Oui, c'est comme cela que cela s'est passé.
11 Q. Oui, si vous pouviez attendre un instant, s'il vous plaît. Je serais
12 très reconnaissant.
13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Khan.
14 Maître Guy-Smith.
15 M. GUY-SMITH : [interprétation] Pas de questions, Monsieur le Président.
16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.
17 Maître Topolski.
18 M. TOPOLSKI : [interprétation] Juste quelques questions.
19 Contre-interrogatoire par M. Topolski :
20 Q. [interprétation] Monsieur Kastrati, je représente Isak Musliu, dont
21 vous connaissiez seulement le nom comme étant Qerqiz. Bien. Juste quelques
22 questions. Pour commencer, des questions qui ont trait à la géographie.
23 M. TOPOLSKI : [interprétation] Je me demande si on pourrait remettre la
24 carte. Il faudrait que ce soit la carte numéro 5 devant le témoin. Si on
25 pouvait la mettre sur le rétroprojecteur.
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1 Q. Je voudrais voir si vous pouvez repérer à quel endroit se trouve votre
2 village sur cette carte ?
3 M. TOPOLSKI : [interprétation] Peut-être qu'il vaudrait mieux la redresser
4 en fait, en ce qui me concerne, elle peut également être à l'envers pour
5 que je puisse voir sur cet écran.
6 Q. Bon, je pense maintenant, Monsieur Kastrati, que le nom de Blinaje,
7 lui-même, n'apparaît pas sur cette carte, mais il se peut que ce le soit,
8 je n'arrive pas à le trouver. Si ce n'est pas marqué sur cette carte,
9 auriez-vous la bonté de prendre le pointeur et de désigner l'endroit qui
10 est le plus proche de Blinaje, si vous pouvez nous montrer.
11 R. [Le témoin s'exécute]
12 Voici Magure et je n'arrive pas à voir Blinaje. Cela se trouve par ici; si,
13 oui c'est ici. On voit écrit Vershec qui est écrit ici.
14 Q. Vershec, oui. Vershec, c'est Blinaje.
15 R. Oui.
16 Q. Je vous remercie. C'est maintenant tout à fait clair.
17 On n'a plus besoin de la carte. Monsieur le Témoin, vous avez rejoint le 9
18 mai, l'endroit prévu, et n'est-il pas vrai que vous-même je crois, et peut-
19 être un ou deux autres, vous êtes partis donc de votre propre village, et
20 vous vous êtes rendus à Lapusnik. Je vais vous poser la question suivante :
21 est-ce que vous y êtes allés avec un véhicule ? Est-ce que vous avez obtenu
22 interprétation de ce que je viens de vous demander ?
23 R. Non.
24 Q. Bien. Alors je vous repose la question, on va voir si vous avez
25 l'interprétation.
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1 Le 9 mai, vous avez rallié et je vous demande comment votre trajet s'est
2 fait de Blinaje à Lapusnik. Est-ce que vous êtes allés en automobile ou par
3 un autre moyen de transport ?
4 R. Oui, par voiture.
5 Q. Donc une voiture.
6 R. Excusez-moi. Jusqu'à Leletig, le village qui s'appelle maintenant
7 Rreze, nous sommes allés à pied. Un peu plus loin, nous avons rencontré
8 Ymer Alushani et quelques autres que je n'ai jamais revus par la suite.
9 Nous sommes donc montés en voiture, et nous nous y sommes rendus.
10 Q. A ce moment-là, vous vous considériez, n'est-ce pas vrai, comme un
11 membre de l'UCK ? C'est bien ce que vous étiez,
12 n'est-ce pas ?
13 R. Je ne saurais décrire ce moment. Lorsque je me suis trouvé à côté du
14 rocher, je me suis rendu compte que mon rêve s'était réalisé. Après toutes
15 les tortures que j'avais endurées, avec toute la population, je me suis
16 rendu compte que mon rêve s'était réalisé.
17 Q. Je me demande si on pourrait tout simplement faire une description, un
18 tableau pour les membres de la Chambre de ce moment-là, dans l'espoir qu'en
19 temps utile ceci pourrait aider les Juges à comprendre ce qui s'est passé
20 au cours de ces mois, de ces semaines. Alors que vous vous teniez sur ce
21 rocher, ce rocher qui surplombe la route qui va de Peja-Pristina, en
22 surveillant les Serbes, est-ce que vous portiez un uniforme ?
23 R. [aucune interprétation]
24 Q. Est-ce qu'à un certain moment vous avez reçu un uniforme ?
25 R. A un moment donné, j'ai fabriqué, enfin j'ai taillé pour moi-même un
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1 uniforme. J'ai pris du tissu, j'ai acheté du tissu qui servait à faire des
2 tentes, et que les Serbes utilisaient pendant la guerre. Je l'ai acheté, ce
3 tissu, et je l'ai coupé chez moi. A l'époque, peu de personnes avaient des
4 uniformes.
5 Q. Lorsque vous vous trouviez sur ce rocher, en train de surveiller, voir
6 s'il y avait des Serbes sur la route, vous aviez une arme, est-ce que vous
7 aviez une arme ?
8 L'INTERPRÈTE : Est-ce que le témoin pourrait se rapprocher du microphone,
9 s'il vous plaît.
10 M. TOPOLSKI : [interprétation]
11 Q. Pourriez-vous vous rapprocher du microphone, Monsieur Kastrati, les
12 interprètes ont du mal à vous entendre.
13 R. Oui.
14 Q. Depuis combien de temps aviez-vous cette arme avant le 9 mai ?
15 R. A la maison ? Chez moi, pendant combien de temps je l'ai conservée chez
16 moi ?
17 Q. Oui.
18 R. Je ne me rappelle pas exactement. Peut-être cinq à six mois ou une
19 année tout au plus.
20 Q. Quelle sorte, non, excusez-moi de vous avoir interrompu, de quelle
21 sorte d'arme s'agissait-il ?
22 R. C'était un fusil.
23 Q. Était-ce un fusil de chasse ?
24 R. Oui, c'était un fusil de chasse.
25 Q. Est-ce qu'il avait une optique télescopique ?
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1 R. Je ne comprends pas.
2 Q. Est-ce que c'était tout simplement un fusil ou est-ce qu'il y avait
3 quelque chose qui y était adapté pour voir plus facilement une cible à une
4 grande distance ?
5 R. Maintenant, je comprends. Ce n'était pas un fusil ordinaire.
6 Q. Est-ce qu'il était ou non muni d'une optique télescopique ? Est-ce que
7 vous aviez la possibilité de voir les cibles de loin, soit même très loin ?
8 R. Je comprends la question. Mais il n'était pas muni de cela; c'était un
9 fusil, un simple fusil.
10 Q. Combien de munitions aviez-vous ?
11 R. Je ne sais pas exactement. J'en avais assez, peut-être pas tout à fait
12 assez, mais assez pour combattre et tuer les Serbes.
13 Q. Je vais vous poser la question concernant des chiffres. Lorsque vous
14 êtes arrivé à Lapusnik le 9 mai, au coucher du soleil, vous avez dit à
15 l'Accusation là-bas, à M. Black qu'il y avait environ une vingtaine
16 d'autres soldats de l'UCK à Lapusnik, au moment où vous êtes arrivé. Je
17 voudrais simplement vous demander de réfléchir à ce chiffre que vous avez
18 donné pendant un instant. Et la raison pour laquelle je vous pose la
19 question, c'est parce que, lorsque vous avez été auditionné par les
20 enquêteurs du Tribunal, vous leur avez dit que c'était environ 12 ou 13
21 soldats. C'est à la page 32 du texte de votre audition. Alors, ceci peut
22 avoir une importance pour les premiers jours. Donc, je voudrais que l'on
23 essaie d'être aussi précis que possible à ce sujet : 12, 13 ou 20 ? Quel
24 est le nombre d'hommes qui se trouvaient avec vous, dites-vous, qui
25 combattaient ou étaient prêts à combattre le 9 mai à Lapusnik ?
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1 R. J'ai dit qu'à ce moment-là, ce que j'ai vu moi-même de mes propres
2 yeux, ce que je sais de ma propre expérience, je peux dire la vérité à ce
3 sujet, ce jour-là c'était environ 12 ou 13. Mais au bout d'un ou deux
4 jours, c'était probablement dans les 20 et même davantage. Là encore, c'est
5 un chiffre approximatif.
6 Q. Je comprends.
7 Après trois ou quatre jours vous étiez censé quitter Lapusnik, et ensuite
8 vous n'êtes revenu que pour de brèves visites. Est-ce que j'ai bien compris
9 ce que vous avez dit dans votre déposition ?
10 R. Oui.
11 Q. La conversation qui vous a amené à quitter Lapusnik avait eu lieu avec
12 le commandant Fehmi, qui vous a dit qu'il valait mieux pour vous de partir
13 et d'être un observateur dans votre propre village. C'est cela que vous
14 nous avez dit il y a un moment; c'est bien cela ?
15 R. Bien, je ne me suis pas enfui, mais il fallait bien qu'il y ait
16 quelqu'un à Blinaje. Le commandant Fehmi m'a envoyé là-bas, il m'a désigné
17 pour cela comme étant la personne qui devait remplir des missions là-bas.
18 Q. Vous nous avez dit que c'était dangereux, qu'il aurait été dangereux
19 même pour des membres de votre famille de savoir qu'à l'époque vous aviez
20 rallié l'UCK. C'est bien cela Monsieur Kastrati ? Il aurait été dangereux
21 pour eux d'avoir connaissance même du fait que vous aviez rejoint l'UCK à
22 ce moment-là ?
23 R. Oui, c'est bien cela.
24 Q. Donc lorsque vous êtes retourné à Blinaje - là encore afin que les
25 membres de la Chambre puissent vraiment comprendre ce qui se passait sur le
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1 terrain au cours de ces journées - lorsque vous êtes retourné à Blinaje,
2 vous avez repris les vêtements civils et vous vous êtes fondu dans la
3 population de votre village, c'est bien cela votre déposition, mais en même
4 temps vous gardiez les yeux ouverts en ce qui concerne les Serbes. C'est
5 bien cela qui se passait ?
6 R. Oui.
7 Q. Plus encore que cela, lorsqu'un plus grand nombre de soldats de l'UCK
8 est venu à Blinaje, est-ce que j'ai bien compris ce que vous avez dit dans
9 votre déposition, vous ne leur avez même pas dit que vous étiez maintenant
10 avec l'UCK. Ainsi que vous l'avez dit à la page 26, ligne 24, vous n'étiez
11 qu'un habitant normal du village. Vous n'avez même pas dit aux autres
12 hommes de l'UCK que vous apparteniez à l'UCK à Blinaje; est-ce bien cela,
13 Monsieur Kastrati ?
14 R. Vous avez très bien compris. C'est comme cela que c'était.
15 Q. Bien. Alors maintenant, je voudrais savoir si j'ai compris comment les
16 choses ont changé ? Est-il venu à un moment, au fur et à mesure que les
17 mois s'écoulaient et que l'été avançait en 1998, où vous avez eu la
18 possibilité de montrer plus librement que vous étiez membre de l'UCK, de
19 parler plus ouvertement à ce sujet, et ainsi de suite ?
20 R. Bien, le dire à qui ?
21 Q. Et bien, vous aviez commencé à porter un uniforme que vous aviez
22 confectionné vous-même, chez vous. Quand avez-vous porté un uniforme afin
23 que des gens puissent voir que vous portiez un uniforme de l'UCK ?
24 R. J'ai coupé cet uniforme chez moi après mon retour à Blinaje.
25 Q. Etiez-vous prêt et est-ce que vous avez eu la possibilité de vous
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1 exprimer plus ouvertement pour dire que vous étiez un combattant de l'UCK
2 plus tard au cours de l'été, après la chute de Lapusnik, disons, vers la
3 fin de juillet ou d'août ? Est-ce que vous avez eu la possibilité de parler
4 plus librement de cela à ce moment-là ?
5 R. Oui, bien sûr. A ce moment-là, j'étais à Blinaje après la chute de
6 Lapusnik.
7 Q. Parce que dans le courant du mois d'août, des brigades ont été formées,
8 n'est-ce pas ?
9 R. Je ne me rappelle pas à quel moment les brigades ont été formées. Comme
10 je l'ai dit plus tôt, mon vœu sincère était d'être un combattant, et rien
11 d'autre ne m'intéressait.
12 Q. Je comprends cela. Est-ce que vous avez rejoint une brigade ? Est-ce
13 que vous êtes devenu membre d'une brigade ?
14 R. Quand ? A quelle époque, à quel moment ?
15 Q. Je suis en train de dire qu'elles n'ont pas été formées avant le mois
16 d'août, dont il faudrait que cela ait été après le mois d'août 1998. Etes-
17 vous devenu membre d'une brigade ?
18 R. Lorsque je suis parti pour la guerre et que j'ai rejoint, je me suis
19 rendu compte qu'il y avait la 121e Brigade qui couvrait aussi ce
20 territoire. Je le dis encore une fois ici, je n'étais pas intéressé à
21 savoir quel était le numéro de la brigade. Mon intérêt principal, ma
22 préoccupation essentielle c'était d'aller à la guerre et de combattre en
23 même temps que mes frères.
24 Q. Est-ce que vous avez combattu au sein de l'UCK jusqu'à la fin de la
25 guerre ?
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1 R. Oui.
2 Q. Le commandant adjoint de la 121e Brigade était Qerqiz. Est-ce que vous
3 vous rappelez de cela ?
4 R. Je n'en ai aucune idée. Je ne sais absolument pas.
5 Q. Parlons de lui encore un moment. Vous avez eu une conversation avec
6 Qerqiz à Lapusnik lorsqu'il était -- le commandant Qerqiz comme vous l'avez
7 décrit et qu'il avait eu une conversation avec vous pour vous dire s'il
8 fallait que vous restiez à Lapusnik ou que vous retourniez à Blinaje. Est-
9 ce que vous vous rappelez que vous nous avez parlé de cette conversation ?
10 R. Oui, oui.
11 Q. Vous nous avez dit que c'était environ deux mois après le 9 mai
12 approximativement.
13 R. Approximativement, oui. C'était comme cela.
14 Q. Je ne conteste pas un instant que cette conversation ait eu lieu, et je
15 ne conteste pas un instant qu'elle puisse effectivement avoir eu lieu au
16 moment où vous dites qu'elle a eu lieu. Je voudrais simplement vous poser
17 une question concernant le commandant Qerqiz. Est-ce que vous n'avez jamais
18 entendu dire, ou est-ce que vous n'avez jamais appris que, vers la fin du
19 mois de mai 1998, il était devenu le commandant d'une unité à Lapusnik qui
20 était dénommé Celiku 3 ? Maintenant, est-ce que vous appris cela de lui ou
21 de quelqu'un d'autre à Lapusnik ?
22 R. J'ai appris de quelqu'un d'autre que c'était Celiku 3. A l'époque, je
23 ne savais pas qui était Qerqizi, ou que c'était quelqu'un d'autre, mais
24 c'est ce que je savais, c'était qu'il y avait une personne là qui était
25 quelqu'un de brave.
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1 Q. Voilà, mais encore une fois ma dernière question qui a trait tout
2 simplement à la toute première période quand vous êtes devenu membre de
3 l'UCK. Nous nous trouvons maintenant encore en mai et en juin. Lorsqu'il a
4 fallu que vous alliez vous présenter, par exemple, à Fehmi, le commandant
5 Fehmi pour lui rendre comte de la situation à Blinaje, avons-nous bien
6 compris qu'il était nécessaire que vous alliez le voir en personne pour lui
7 parler ? Est-ce que c'était bien la situation ?
8 R. Oui, je me suis rendu là-bas pour le voir en personne. Cela n'a été
9 qu'une fois que j'ai eu la possibilité de le voir. Les deux ou trois autres
10 fois, je n'ai pas pu le rencontrer. Je n'ai pas pu le voir.
11 Q. S'ensuit-il de cette réponse que vous venez de faire, que vous n'aviez
12 pas accès à un émetteur transmetteur, ou à d'autres moyens de
13 communication, et que la seule façon de le voir était de vous rendre auprès
14 de lui pour le voir, ou voir quelqu'un en son nom ? Quelle était la
15 situation ?
16 R. Si j'avais eu un émetteur transmetteur, un émetteur récepteur, les
17 choses auraient été beaucoup plus faciles pour moi. A l'époque, les
18 conditions et les circonstances étaient difficiles, et il était nécessaire
19 que j'y aille en personne pour lui parler et discuter de ce qui s'était
20 passé à Blinaje.
21 Q. Je vous remercie de votre patience. Je vous suis reconnaissant. C'est
22 tout ce que je veux vous demander.
23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Topolski.
24 Oui, Monsieur Black.
25 M. BLACK : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à poser,
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1 Monsieur le Président.
2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.
3 Monsieur Kastrati, vous serez sans doute heureux d'apprendre que ce sont
4 toutes les questions qu'on voulait vous poser. Ceci fait donc que votre
5 déposition est achevée et que vous êtes maintenant libre de repartir et de
6 rentrer chez vous. Nous vous remercions beaucoup de votre aide. Vous pouvez
7 maintenant quitter la salle d'audience. Merci.
8 [Le témoin se retire]
9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Black.
10 M. BLACK : [interprétation] Monsieur le Président, le prochain témoin est
11 prêt à commencer lundi à 14 heures 15. Nous avons également su de l'équipe
12 de la Défense qu'ils pensaient que nous pourrions finir relativement tôt.
13 Nous ne nous sommes pas rendu compte qu'on terminerait si tôt.
14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Evidemment, la gestion des affaires
15 par les conseils n'est peut-être pas la meilleure des solutions.
16 M. GUY-SMITH : [interprétation] En ce qui concerne ce point,
17 personnellement, je suis disposé de poursuivre aussi tard que vous le
18 voudrez.
19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Il y a certaines questions sur
20 lesquelles nous souhaiterions avoir vos observations ou conclusions, Maître
21 Guy-Smith. Peut-être que vous voudrez les évoquer. Je pense que, vu la
22 situation pour aujourd'hui, nous allons tout simplement accepter les choses
23 telles qu'elles sont et lever la séance, et ce, jusqu'à lundi à 14 heures
24 15. Dans l'intervalle, si Maître Guy-Smith veut penser à certaines des
25 conclusions qu'il souhaiterait présenter, nous souhaiterions les recevoir
Page 2641
1 par écrit.
2 M. GUY-SMITH : [interprétation] Je vous remercie.
3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous attendons de voir le prochain
4 témoin lundi. Je vous remercie. La séance est levée.
5 --- L'audience est levée à 11 heures 55 et reprendra le lundi 31 janvier
6 2005, à 14 heures 15.
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