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1 Le lundi 7 février 2005
2 [Audience publique]
3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 29.
5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Whiting.
6 M. WHITING : [interprétation] M. Nicholls va interroger le témoin suivant,
7 mais permettez-moi d'intervenir au sujet des témoins de cette semaine. Une
8 semaine qui est raccourcie puisque nous ne siégeons pas mercredi [comme
9 interprété]. Nous avions prévu trois témoins. Je pense, même si cela n'a
10 pas encore été arrêté définitivement que nous allons nous mettre d'accord
11 pour le troisième témoin, qui aurait pris le moins de temps, pour qu'il ne
12 soit pas cité à la barre. Si la Chambre en est d'accord, à ce moment-là,
13 nous pourrons verser sa déclaration au dossier en vertu de l'Article 89(F)
14 du règlement. Ce qui nous laisse deux témoins pour la semaine. Comme je
15 l'ai dit cet accord n'a pas encore été officiellement conclu. C'est une
16 question que nous avons abordée à un moment où il était trop tard pour
17 faire venir un autre témoin pour le remplacer, mais j'imagine que les deux
18 autres témoins vont être des témoins pour lesquels nous aurons besoin de
19 pas mal de temps si bien qu'ils nous prendront peut-être toute la semaine.
20 Je voulais simplement informer la Chambre de cette possibilité.
21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Whiting. Ce
22 sont des remarques liminaires qui sont tout à fait opportunes, puisque je
23 souhaitais moi-même évoquer une question assimilée puisqu'à la fin de la
24 semaine dernière, nous avions commencé à parler du programme des trois
25 semaines à venir. Mais il apparaît que je ne pourrai pas être présent le
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1 jeudi, 17 février. J'avais déjà prévenu que je ne serais pas là le
2 vendredi. C'est toujours le cas, malheureusement, il apparaît que je ne
3 serais pas là non plus le jeudi. Ce qui, côté positif de la chose, vous
4 accordera une pause à tous beaucoup plus longue. Le problème pour moi,
5 c'est que je devrais siéger de huit heures et demie du matin jusqu'en
6 soirée dans une affaire avec d'autres Juges, pour autre question. Je suis
7 prêt à faire ce sacrifice.
8 Je m'excuse auprès des parties, auprès des accusés pour ces retards mais,
9 comme vous le savez, les Juges de la Chambre ont parfois d'autres
10 obligations, et en voilà un exemple.
11 M. WHITING : [interprétation] Permettez-moi, Monsieur le Président, de
12 réagir à ce que vous venez de dire. Bien entendu, nous allons faire de
13 notre mieux pour que les trois jours d'audience soient bien remplis. Je ne
14 pense pas que cela nous causera des difficultés. Ce que nous essayons
15 d'éviter, c'est d'avoir un témoin qu'il faudrait revenir après la pause. Si
16 bien que nous allons essayer de faire de notre mieux. Il est possible que
17 nous finissions un petit peu plus tôt que prévu jeudi. Je pense que nous
18 parviendrons à remplir ces trois jours d'audience.
19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.
20 Je me tourne maintenant vers M. Nicholls qui va procéder à l'interrogatoire
21 principal du témoin suivant.
22 M. NICHOLLS : [interprétation] Nous sommes prêts et je souhaiterais que
23 l'on fasse entrer le témoin dans le prétoire.
24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.
25 M. NICHOLLS : [interprétation] Bonjour à tous.
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1 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, Monsieur. Veuillez
3 prononcer et lire la déclaration solennelle qui vous est présentée.
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
5 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
6 LE TÉMOIN: RUZHDI KARPUZI [Assermenté]
7 [Le témoin répond par l'interprète]
8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Veuillez prendre place.
9 M. Nicholls va vous poser des questions.
10 Allez-y, Monsieur Nicholls.
11 M. NICHOLLS : [interprétation] Merci.
12 Interrogatoire principal par M. Nicholls :
13 Q. [interprétation] Bonjour. Est-ce que vous m'entendez bien, Monsieur
14 Karpuzi ?
15 R. Oui.
16 Q. Merci. Si, à un moment quelconque, vous avez des difficultés à
17 m'entendre, à me comprendre, n'hésitez pas à vous manifester. Veuillez, je
18 vous prie, décliner votre identité.
19 R. Je m'appelle Ruzhdi Karpuzi.
20 Q. Veuillez épeler votre nom, s'il vous plaît.
21 R. R-U-Z-H-D-I.
22 Q. Merci. Dans quelques instants, je vais vous poser des questions au
23 sujet de 1999 [comme interprété], des questions de contexte, mais
24 auparavant j'ai des questions préliminaires à vous poser. Est-ce que vous
25 avez reçu une convocation de la part de la Chambre de première instance, au
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1 terme de laquelle on vous demandait de venir déposer ici aujourd'hui ?
2 R. Oui.
3 Q. Vous avez également fait une déclaration à un enquêteur du TPIY, le 19
4 et le 21 juillet 2003; est-ce exact ?
5 R. Oui.
6 Q. Est-ce que vous avez dit la vérité, autant que vous vous en souvenez,
7 au moment où vous avez fait cette déclaration ?
8 R. Oui.
9 Q. Hier, nous nous sommes rencontrés, vous avez pu relire votre
10 déclaration dans votre langue maternelle, n'est-ce pas ?
11 Q. Vous avez apporté un certain nombre de corrections à cette déclaration
12 faite précédemment, et ceci dans une déclaration que vous avez signée hier;
13 est-ce bien exact ?
14 R. Oui.
15 Q. Est-ce que dans la déclaration que vous avez faite hier, vous avez
16 également dit la vérité ?
17 R. Oui, je me suis toujours efforcé de dire la vérité, et ici encore, je
18 répète, que j'ai dit la vérité dans la mesure où je le savais.
19 Q. Merci. Je vais maintenant vous poser quelques questions au sujet de
20 vous-même et de vos origines. Pouvez-vous me donner votre lieu et votre
21 date de naissance ?
22 R. Je suis né le 23 janvier 1965, dans la municipalité de Lipjan, dans le
23 village de Shale.
24 Q. Où habitez-vous actuellement ?
25 R. J'habite toujours à Shale.
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1 Q. Est-ce que vous êtes marié ?
2 R. Oui.
3 Q. Avez-vous des enfants ?
4 R. Oui, j'en ai deux.
5 Q. Pouvez-vous dire à la Chambre quelles études vous avez faites ? Jusqu'à
6 quel niveau avez-vous étudié ?
7 R. Oui, Éminents Juges de la Chambre, j'ai fini mes études à l'école
8 primaire, ensuite j'ai fait deux années de collège parce que je n'ai pas pu
9 continuer à aller à l'école à cause de mesures qui nous privaient du droit
10 d'aller à l'école à cause de la répression serbe, sous divers prétextes, on
11 nous a empêchés d'étudier. Voilà ce qu'il en est de mes études.
12 Q. Est-ce que vous avez fait votre service militaire obligatoire en 1988 ?
13 R. Oui.
14 Q. Où cela ?
15 R. A Zagreb, dans l'ex-République yougoslave de Croatie.
16 Q. Combien de temps a duré ce service militaire ?
17 R. Cette période de service militaire a duré un an. Ensuite, j'ai fait une
18 période supplémentaire de trois mois et ceci uniquement parce que j'étais
19 albanais. Ils ont trouvé des prétextes pour nous contraindre à rester plus
20 longtemps en service militaire.
21 Q. Quand vous étiez dans l'armée en 1988, avez-vous suivi une formation
22 particulière, vous êtes-vous spécialisé de quelque manière que ce soit ?
23 R. Dans le cadre du service militaire yougoslave, on recevait des
24 formations dans divers domaines. Quand j'ai effectué mon service militaire,
25 moi je me trouvais dans une unité anti-char, l'unité Poc, c'était le sigle
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1 serbe.
2 Q. Maintenant j'ai quelques questions au sujet de votre éventuelle
3 participation à la vie politique. En 1990, 1991, étiez-vous membre d'un
4 parti politique quel qu'il soit ?
5 R. Oui.
6 Q. De quel parti s'agissait-il ?
7 R. Au début, il n'y avait pas d'autre parti politique, en tout cas, moi je
8 n'en connaissais pas d'autre, si bien que j'ai adhéré à la LDK.
9 Q. Avez-vous actuellement des activités politiques de quelque nature que
10 ce soit ?
11 R. Oui, je suis membre du PDK, depuis la guerre.
12 Q. Est-ce que vous travaillez actuellement ?
13 R. Non.
14 Q. Est-ce que dans votre village vous avez des activités quelconque au
15 sein du conseil municipal du village ?
16 R. Oui. Je suis l'adjoint du président du conseil de village dans le
17 village de Shale.
18 Q. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce que cela recouvre, cette
19 fonction de président adjoint ?
20 R. Oui, le conseil du village s'occupe de toutes les difficultés
21 éventuellement rencontrées par les habitants du village. Le conseil
22 s'occupe de tous les problèmes du village, des besoins des villageois, et
23 cetera.
24 Q. Maintenant, j'aimerais vous poser des questions au sujet de votre
25 parcours professionnel. Est-ce que de 1988, après avoir effectué votre
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1 service militaire, est-ce qu'à partir de ce moment-là vous avez eu un
2 emploi et de quelle nature ?
3 R. En 1985, je travaillais à la mine de magnésium de Golesh. Ensuite, j'ai
4 effectué mon service militaire pendant 12 mois plus trois mois
5 supplémentaires. Puis, quand je suis revenu du service militaire, je suis
6 retourné à l'endroit où je travaillais précédemment; mais à l'époque, il y
7 avait des manifestations. On a fait un "sit-in" à la mine de Golesh dans le
8 cadre d'une grève contre les amendements à la constitution. Nous sommes
9 restés à cet endroit pendant huit jours et pendant huit nuits.
10 Q. En quelle année, cette grève s'est-elle passée -- ou plutôt, cette
11 manifestation, a-t-elle eu lieu ?
12 R. C'était en 1989. Je ne peux pas vous donner de date précise. C'était en
13 février, le 8 ou le 21 février. Je ne peux vous donner de date exacte.
14 Q. Vous avez commencé déjà à parler de cela, mais je voudrais que vous
15 développiez un peu, et nous dire quelle était votre vie, votre vie à vous,
16 et celle de votre famille après 1988 sous le pouvoir serbe.
17 R. La vie était très difficile. On était traité comme des citoyens de
18 deuxième classe, et ceci sans aucun motif valable. Ils pouvaient venir chez
19 vous, vous maltraiter sous les yeux même des membres de votre famille.
20 Parfois, cela se passait même sur notre lieu de travail. Quand on quittait
21 le travail, ou bien quand on voulait aller au travail, monter dans un
22 autocar, et bien, sans aucune raison, il arrivait que la police vous fasse
23 descendre du bus, vous passe à tabac, et ensuite, vous dénonce parce que
24 vous ne vous étiez pas présenté au travail. Pendant cette période, la vie
25 était effectivement extrêmement difficile, et ceci jusqu'au retrait des
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1 forces serbes du Kosovo.
2 Q. Est-ce que, vous personnellement, vous avez été victime de mauvais
3 traitements sous les yeux même des membres de votre famille ?
4 R. Oui. Pas une seule fois, mais deux ou trois fois.
5 Q. Pouvez-vous nous dire en quoi ont constitué ces sévices ?
6 R. Ils trouvaient toujours des prétextes, comme je l'ai déjà dit, quand
7 ils voulaient vous maltraiter devant votre famille. Par exemple, Pourquoi
8 est-ce que tu as participé aux manifestations, ou à la grève ? Ils
9 trouvaient toujours un prétexte pour s'en prendre à vous devant les membres
10 de votre famille, et ceci de manière très violente. Ils vous battaient
11 comme plâtre.
12 Q. Est-ce que vous avez été emprisonné ?
13 R. Oui.
14 Q. Pouvez-vous me dire à quel moment cela s'est produit.
15 R. A partir de 1988 jusqu'en 1993 ou en 1994.
16 Q. Pendant cette période, à combien de reprises avez-vous été emprisonné,
17 entre 1988 et 1994 ?
18 R. Cinq fois, me semble-t-il.
19 Q. Pour quels motifs ? Quels délits ou infractions vous reprochait-on ?
20 R. Par exemple, Pourquoi as-tu participé à la grève à la mine ? Cela,
21 c'était la première fois. La deuxième fois, on m'a demandé pourquoi j'avais
22 protesté contre les amendements à la constitution. La troisième fois,
23 c'était parce que j'avais participé aux manifestations quand on a voulu
24 montrer au monde entier ce qu'on devait subir sous le pouvoir serbe. C'est
25 pour ces motifs que j'ai, plusieurs fois, été condamné, comme je l'ai dit.
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1 Q. Je vais maintenant vous poser un certain nombre de questions au sujet
2 de votre engagement au sein de l'UCK. Quand avez-vous entendu parler, pour
3 la première fois, de l'UCK ?
4 R. J'ai entendu, pour la première fois, de l'UCK quand Halit Geci a été
5 tué, un enseignant.
6 Q. Est-ce que vous vous souvenez du moment où cela s'est produit ?
7 R. Non, je ne me souviens pas de la date.
8 Q. Dans le contexte de cet incident, comment avez-vous entendu parler de
9 l'UCK ?
10 R. A ce moment-là, l'UCK s'est montré au grand jour dans les médias.
11 Q. Est-ce que vous avez, vous-même, lu des articles sur l'UCK dans les
12 magazines, dans les journaux ?
13 R. Non. Je me souviens avoir entendu parler d'eux à la télévision. Mais,
14 pour vous dire la vérité, je n'avais pas tellement le temps de m'occuper de
15 ces histoires. J'avais d'autres problèmes personnels. Comme je l'ai dit, la
16 vie était très difficile donc tout ce qui était présent à notre esprit,
17 c'était l'idée de survivre.
18 Q. J'entends bien. Est-ce qu'à un moment donné vous avez décidé de devenir
19 membre de l'UCK ?
20 R. Oui.
21 Q. A quel moment ?
22 R. C'était après le meurtre du -- ou après la mort du commandant
23 légendaire Adem Jashari. Quand il a donné sa vie pour la liberté de notre
24 peuple, j'ai pensé que moi aussi je devais apporter ma contribution à ce
25 combat, que c'était mon obligation.
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1 Q. Qu'avez-vous fait concrètement pour devenir membre de l'UCK, une fois
2 que vous avez eu pris cette décision ?
3 R. Une fois que j'ai décidé de devenir membre de l'UCK, j'ai vu comment il
4 était possible de prendre contact avec les membres de l'UCK. Je me suis
5 renseigné parce que, dans notre région, il n'y avait pas d'UCK. Alors, j'ai
6 décidé d'aller à Drenica le bas, et j'y suis allé à plusieurs reprises. Là,
7 j'ai rencontré certains membres de l'UCK. J'étais très satisfait d'avoir
8 pris cette décision et de voir que l'UCK existait bel et bien. Même si on
9 ne voulait pas ce combat, même si c'était une solution de dernier recours
10 pour résoudre notre situation, c'était vraiment une solution de dernier
11 recours; mais comme je l'ai dit, j'étais content.
12 Q. Est-ce que vous vous souvenez du village où vous êtes allé à Drenica
13 quand vous avez essayé de retrouver les membres de l'UCK et d'en devenir
14 membre aussi ?
15 R. Oui, c'était Likovc.
16 Q. Qui avez-vous rencontré à cet endroit ?
17 R. J'ai rencontré là des membres de l'UCK. Il y avait quelqu'un qui
18 s'appelait Raketa qui a pris note de mon nom et de mon prénom, et cetera,
19 et il m'a dit, On sait bien que tout le monde veut combattre, mais
20 malheureusement, on ne peut pas t'accepter tout de suite parce qu'on n'a
21 pas suffisamment d'armes et pas suffisamment de munitions.
22 Q. Vous avez dit, précédemment, que vous êtes allé plusieurs fois à
23 Drenica.
24 R. C'est exact.
25 Q. Pouvez-vous nous parler un plus en détail de vos autres visites à
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1 Likovc.
2 R. Chaque fois que je suis allé là-bas, j'ai rencontré des membres de
3 l'UCK. Ils m'ont accueilli avec beaucoup de chaleur, et cela leur plaisait
4 de voir que les gens étaient intéressés et souhaitaient aussi se joindre à
5 eux. Cela s'est passé comme cela. Chaque fois que je suis allé là-bas, ils
6 me disaient qu'ils regrettaient de ne pas pouvoir me donner une arme. Ils
7 me demandaient si j'étais en mesure de trouver une arme par mes propres
8 moyens, parce qu'ils m'ont expliqué que c'était dans ces conditions
9 uniquement que je pourrais me joindre à eux. Il fallait faire une
10 contribution, disons, pour se joindre à eux.
11 Q. Est-ce que vous vous souvenez de la date à laquelle vous avez pu
12 officiellement devenir membre de l'UCK ?
13 R. Oui, c'était le 18 avril 1998
14 Q. Est-ce qu'à ce moment-là on vous a doté d'un fusil ou d'une arme ?
15 R. Oui. Mais ils ne m'ont pas donné de munition. Ils m'ont simplement
16 remis un petit fusil de chasse -- un fusil de chasse de petit calibre.
17 Q. Et un uniforme ?
18 R. Non. Non, ils ne m'ont pas donné d'uniforme.
19 Q. Après ce 18 avril 1998, quand vous êtes devenu membre de l'UCK, quelle
20 a été la nature de votre mission ? Qu'est-ce vous faisiez concrètement ?
21 R. Pendant cette période où je suis resté à Likovc, j'avais pour mission
22 de reconnaître le territoire, de voir combien de soldats serbes passaient
23 en direction de Skenderaj, quels étaient leur équipement, et cetera.
24 C'était la mission qu'on m'avait confiée en tant que nouvelle recrue.
25 Q. Est-ce qu'on vous a donné une formation pour réaliser cette mission ?
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1 R. Comme je l'ai dit, nous devions noter le nombre de véhicules qui
2 passaient, on devait noter s'il y avait des forces militaires ou
3 paramilitaires serbes qui s'approchaient du village pour essayer d'entrer
4 dans les maisons du village, et on les observait depuis l'endroit où nous
5 nous tenions pour voir s'ils se livraient ou non à des exactions, à des
6 massacres.
7 Q. Excusez-moi, ma question n'a sans doute pas été assez claire. Je
8 voudrais savoir si on vous avait donné des instructions sur la manière dont
9 vous deviez vous y prendre pour réaliser cette tâche.
10 R. Non, je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire par
11 instruction.
12 Q. Je veux simplement savoir si quelqu'un vous a dit où aller, ce que vous
13 deviez chercher. Est-ce qu'on vous a donné des instructions sur la manière
14 dont vous deviez ainsi protéger le village ?
15 R. Au début, non. Avec d'autres camarades, on était là et il y en a un qui
16 était là depuis plus longtemps. Il m'a dit de me joindre à eux. Il m'a
17 montré où il fallait que je me tienne et ce que je devais faire. Mais,
18 enfin, ce n'était rien de vraiment très particulier.
19 Q. Est-ce que vous connaissez un dénommé Sulejman Selimi ?
20 R. Oui.
21 Q. Est-ce qu'il a un surnom ?
22 R. Oui, son surnom c'était Sultani.
23 Q. Est-ce que vous l'avez rencontré en personne ?
24 R. Une fois pendant cette période.
25 Q. Est-ce vous pouvez nous parler de cette réunion, de ce qui s'y est
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1 passé ?
2 R. Oui. Je ne me souviens pas exactement de notre nombre. Je crois qu'on
3 était une vingtaine de soldats, et un jour, il nous a dit, Les gars, nous
4 sommes tous membres de l'Armée de libération du Kosovo, notre devoir c'est
5 de protéger le peuple. Nous avons mis notre vie en jeu, sacrifié notre vie
6 pour protéger les nôtres. Vôtre devoir est donc de vous montrer extrêmement
7 polis envers les habitants de la population civile, de les défendre,
8 puisque nous sommes leurs fils. Voilà à peu près ce qu'il nous a dit.
9 Q. A ce moment-là, quel était le poste occupé par Sultan à Likovc ?
10 R. Il commandait une position de tir.
11 Q. A ce moment-là, vers avril 1998, avec quelle fréquence les soldats de
12 l'UCK utilisaient-ils des pseudonymes ? Je voudrais savoir si c'était, là,
13 chose fréquente.
14 R. Oui. Oui, c'était assez courant comme pratique, et ceci pour la raison
15 simple que nous, en tant que membre de l'UCK, nous devions avoir un
16 pseudonyme parce que, si on savait qui nous étions, et bien, nos familles,
17 non seulement nos familles, mais nos voisins et nos villages auraient été
18 réduits en cendre par les forces serbes. C'est pour cela qu'on avait des
19 pseudonymes.
20 Q. Vous-mêmes, est-ce que vous aviez un pseudonyme en avril 1998 ?
21 R. Oui.
22 Q. Quel était ce pseudonyme ?
23 R. Mon pseudonyme était Shala. Je n'ai pas choisi ce surnom moi-même; ce
24 sont les soldats qui se trouvaient sur place qui se sont adressés à moi
25 comme Shala. Ils ont dit que cet homme de Shala, va lui demander quelque
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1 chose, et c'est ainsi que l'on m'a appelé Shala.
2 Q. Simplement pour être tout à fait clair, quand on a dit, Va voir ce gars
3 de Shala, cela veut dire que c'est un village qui s'appelle Shala, ce
4 village duquel vous venez, n'est-ce pas ?
5 R. Oui.
6 Q. Je souhaiterais, à présent, vous poser des questions concernant le mois
7 de mai 1998. Nous avons parlé-- je souhaiterais plutôt que l'on parle de la
8 première semaine du mois du mai 1998. Vous souvenez-vous où vous vous
9 trouviez à ce moment-là ?
10 R. Oui. J'étais en permission pour aller voir ma famille. J'allais les
11 informer que j'avais rejoint les rangs de l'UCK, donc je me souviens très
12 bien de cette première semaine du mois de mai.
13 Q. Très bien. Vous étiez en permission pour aller voir votre famille.
14 C'est dans quel village que se trouvait votre famille ?
15 R. C'était à Shale.
16 Q. Parlons maintenant du 8 mai. Vous souvenez-vous de cette date ?
17 R. Oui, je me souviens bien.
18 Q. Que s'est-il passé le 8 mai 1998 ? Où êtes-vous allé ?
19 R. Comme je l'ai déjà dit, le 8 mai, je me trouvais à la maison. J'étais
20 allé rendre visite à ma famille, car je voulais les informer que j'avais
21 rejoint les rangs de l'UCK. Ensuite, alors que je me trouvais dans la
22 maison, j'avais entendu des fortes détonations. Ensuite, j'ai senti le
23 devoir de quitter ma famille et d'aller venir en aide aux personnes qui
24 combattaient. Je ne savais pas qui était impliqué dans ce combat, mais, je
25 voulais prendre part à ce combat.
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1 Q. Est-ce que vous avez appris, éventuellement, où ce combat avait lieu ?
2 R. C'était en direction de Komorane, de Nekovce. Lorsque je me suis rendu
3 là, personnellement, j'ai vu que les combats avaient lieu dans le village
4 de Lapusnik.
5 Q. Bien. Maintenant, dites-nous, si vous vous souvenez, de quelle façon
6 vous vous êtes rendu du village de Shale jusqu'à Lapusnik.
7 R. Je suis monté à bord de mon tracteur et je me suis rendu tout près du
8 village de Kizhareke. C'est là que j'ai entendu un pilonnage assez intense.
9 J'ai entendu des bruits d'obus, et ensuite, j'ai pris le chemin qui mène
10 vers la montagne. C'est là que j'ai rencontré quelques membres de l'UCK.
11 Q. Vous souvenez-vous des noms des membres de l'UCK que vous avez
12 rencontrés sur votre chemin ?
13 R. Oui, je me souviens de trois d'entre eux.
14 Q. Pourriez-nous dire de qui il s'agit.
15 R. Oui. J'ai rencontré Ymer Alushani, Enver Mulaku, et Ramadan Zogu. Il y
16 avait également deux autres hommes, je ne me souviens pas de leurs noms.
17 Q. Est-ce que vous savez si Ymer Alushani avait un surnom ?
18 R. Oui, son surnom était Voglushi.
19 Q. Maintenant, lorsque vous avez rencontré ces cinq soldats dont vous
20 venez de nous parler, où êtes-vous allés ? Vous étiez donc six ? En quelle
21 direction êtes-vous allés ?
22 R. Je suis arrivé un peu plus tard. Les combats avaient déjà commencé.
23 C'est à ce moment-là que les ai rejoints. Ils ne savaient pas d'où je
24 venais, mais ils cherchaient quelqu'un qui pourrait les aider. Ils
25 n'avaient pas suffisamment de munitions, et je me suis porté volontaire
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1 pour leur venir en aide, et ils m'ont accueillis puisqu'ils avaient besoin
2 d'aide. Ce n'est que le lendemain qu'on a fait connaissance et que j'ai su
3 de qui il s'agissait.
4 Q. Je me demande s'il y a une erreur au compte rendu d'audience. On
5 indique que vous avez commencé "à vous battre contre eux." En réalité, je
6 crois que vous vouliez dire, vous les avez aidés à combattre. Vous vous
7 battiez avec eux, vous étiez de leurs côtés.
8 R. Oui, oui. C'est ce que je voulais dire.
9 Q. Dites-nous où vous vous trouviez-vous exactement lorsque vous avez
10 commencé les combats alors que vous vous trouviez en présence de ces
11 hommes ?
12 R. Je ne sais pas comment l'expliquer. Il y a cette route, la route
13 Pristina-Peja, et c'est à gauche de cette route en question qu'il y a un
14 grand rocher. Tout près de ce très grand rocher, il y avait un endroit où
15 nous nous sommes rencontrés. Nous ne pouvions pas toujours rester au même
16 endroit. Il nous fallait nous déplacer afin de pouvoir combattre contre les
17 Serbes. Il nous fallait changer de positions d'un endroit à l'autre car
18 nous voulions que les Serbes croient que nous étions plus nombreux.
19 Q. Avant cette date, est-ce que vous ne vous êtes jamais trouvé à Lapusnik
20 auparavant ?
21 R. Non, jamais.
22 Q. Pourriez-vous décrire le combat en question ? Décrivez-nous vos
23 impressions.
24 R. Lorsqu'on parle de combat, on ne peut parler que de combat assez
25 sérieux. Le combat était assez féroce. Nous étions placé du côté gauche de
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1 la route, et les tirs provenaient des deux côtés, du côté gauche de la
2 route et du côté droit de la route. C'est ainsi que le combat s'est
3 poursuivi jusqu'à la fin de la journée, jusqu'au soir. Ils ont déployé
4 l'artillerie lourde. Ils ont déployé toutes les armes qu'ils avaient à leur
5 disposition.
6 Q. Vous avez parlé "du côté gauche de la route." Du côté gauche, en allant
7 vers où exactement ?
8 R. C'est en direction de Pristina, entre Pristina et Peja, sur la route
9 Pristina-Peja.
10 Q. Ce combat sévère s'est poursuivi jusqu'à quand ?
11 R. Jusqu'à la soirée, jusqu'au soir, en fait, de cette journée-là, et les
12 combats se sont poursuivis le lendemain également.
13 Q. On parle de combien de jours en tout ? Cette bataille a duré combien de
14 journées ?
15 R. Le 8 et le 9. Est-ce que vous parlez du combat qui a eu lieu dans la
16 gorge de Lapusnik ?
17 Q. Oui.
18 Après le 8 et le 9 mai 1998, est-ce que vous êtes resté à Lapusnik ou êtes-
19 vous allé ailleurs ?
20 R. Je suis resté à Lapusnik pendant toute la durée jusqu'à ce que je ne
21 sois blessé.
22 Q. Nous allons parler de votre blessure un peu plus tard, mais à quel
23 moment, est-ce que vous pouvez nous donner la date où vous avez été
24 blessé ?
25 R. J'ai été blessé le 26 juillet 1998.
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1 Q. Après le 9 mai, après la fin des combats, est-ce que vous êtes entré en
2 contact avec le commandant Selimi ?
3 R. Non.
4 Q. Le commandant Selimi savait-il que vous vous trouviez à Lapusnik ?
5 R. Il savait seulement que je m'étais rendu auprès de ma famille pour leur
6 rendre visite. Il ne savait pas que je m'étais arrêté là. Ensuite, par le
7 biais d'une personne qui était là, un soldat, je l'ai informé de ce fait.
8 Car en tant qu'amis, il nous fallait informer les uns les autres si nous
9 quittions l'unité, si nous nous rendions à la maison afin que tout le monde
10 le sache où ces personnes se trouvent, pour que tout le monde sache où tout
11 le monde se trouve.
12 Q. Est-ce que vous avez reçu une réponse du commandant Selimi ?
13 R. Oui. Je n'ai pas attendu de recevoir une réponse, je l'ai simplement
14 informé que j'étais en vie, et que je me trouvais dans la gorge de
15 Lapusnik. C'est ce que je lui ai dit par le biais de ce soldat.
16 Q. Bien. Je voulais savoir si vous avez reçu un message, s'il vous a
17 répondu.
18 R. Je n'ai pas reçu de messages de sa part, mais je savais également qu'il
19 ne pouvait pas formuler d'objections, il ne pouvait s'opposer à cela. Je
20 l'avais simplement informé que j'étais en vie et que je me trouvais dans la
21 gorge de Lapusnik. Il n'avait aucune raison de me demander pourquoi j'étais
22 resté là ou de mettre en question le fait que je sois resté à cet endroit-
23 là, et que je n'ai pas regagné mon unité.
24 Q. Vous n'avez reçu aucun message, n'est-ce pas ?
25 R. Il n'avait aucun besoin de recevoir de message, personne n'était censé
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1 me donner de message. Je voulais simplement l'informer où je me trouvais.
2 Je savais qu'il serait informé de l'endroit où je me trouvais. C'était
3 tout. Il n'était pas nécessaire d'obtenir une réponse de sa part.
4 Q. Après le combat en question, a-t-on entrepris une activité quelconque
5 pour s'assurer que d'autres attaques puissent être repoussées ?
6 R. Je n'ai pas tout à fait bien saisi votre question. Que voulez-vous dire
7 par "les combats" ?
8 Q. Après la fin de ce combat, qu'est-ce que vous avez fait, que vous a-t-
9 on dit de faire en tant que soldat, après le 9 mai ?
10 R. Personne ne m'a ordonné d'instructions particulières. Je suis resté
11 dans la gorge de Lapusnik afin de protéger la population locale. Les
12 habitants de Lapusnik nous ont invités à venir passer quelque temps dans
13 leurs demeures, et ils nous ont donné à manger. Certains d'entres eux ont
14 rejoint notre groupe. Certains portaient des armes, d'autres des haches. Il
15 y avait des civils qui nous disaient : Je vais rester tout près de toi de
16 sorte à ce que je puisse prendre ton arme si jamais tu perds la vie dans le
17 cadre du combat.
18 Q. Bien. Après le 9 mai, a-t-on tenté de creuser des tranchées ou de
19 construire des fortifications ?
20 R. Oui.
21 Q. Pourriez-vous nous décrire cela ?
22 R. Oui, certainement. De la route goudronnée, nous avons essayé de prendre
23 une position de sorte à ce que nous puissions nous déplacer vers d'autres
24 positions. Je veux dire par là, c'est que nous voulions nous assurer qu'il
25 était possible de communiquer en nous servant de ces deux positions.
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1 Q. Je vais maintenant vous présenter une photo. Je me demande s'il ne
2 serait pas plus propice de la vous la présenter un peu plus tard, mais je
3 vous la présente présentement.
4 M. NICHOLLS : [interprétation] Veuillez, je vous prie, placer cette photo
5 sur le rétroprojecteur, M. l'Huissier. Merci.
6 Q. Monsieur, vous ai-je montré cette photo, hier ?
7 R. Oui.
8 M. NICHOLLS : [interprétation] Pour le compte rendu d'audience, il s'agit
9 de l'image 8 du dossier P1.
10 Q. Bien, maintenant pour faciliter la tâche, je souhaiterais que vous
11 regardiez vers la gauche et non pas sur l'ordinateur. Est-ce que vous
12 reconnaissez cette photo, plutôt reconnaissez-vous l'endroit qui est montré
13 sur cette photographie ?
14 R. Oui.
15 Q. Où se trouve cet endroit ?
16 R. Voici Lapusnik.
17 Q. Si vous le pouvez, montrez-nous les positions que vous nous avez
18 indiquées, il y a quelques instants. Vous avez dit que le 9 mai vous avez
19 commencé à construire des fortifications et vous avez creusé des tranchées
20 afin de pouvoir communiquer les uns avec les autres. Pourriez-vous nous
21 montrer, je vous prie, l'endroit en question ?
22 R. Je n'arrive pas à voir cela très clairement car il s'agit d'une photo
23 aérienne. Il m'est un peu difficile de me retrouver sur cette carte.
24 Q. Prenez votre temps, je vous prie, essayez de voir si vous pouvez peut-
25 être vous orienter.
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1 Est-ce que vous voyez la route Peja-Pristina ?
2 R. Oui. Je ne la vois pas très clairement, ou plutôt, oui, je vois la
3 route Peja-Pristina. Le combat avait initialement commencé ici. Je montre
4 un endroit approximatif car, comme je vous l'ai dit, je ne vois précisément
5 l'endroit.
6 Q. Bien. La région que vous venez de nous montrer, est-ce que cette région
7 représente l'une des positions que vous avez évoquée, il y a quelques
8 instants ?
9 R. Je ne comprends pas tout à fait bien votre question.
10 Q. Bien. Je vais essayer de la reformuler. Vous nous avez parlé de deux
11 positions après le 9 mai, n'est-ce pas ? Vous nous avez dit que ces deux
12 positions pouvaient communiquer l'une avec l'autre, et qu'on avait commencé
13 à ériger des fortifications. Est-ce que vous pouvez nous montrer et
14 identifier ces deux positions sur cette photo aérienne ?
15 R. Je n'arrive pas à retrouver ces deux points. Je parle du deuxième jour,
16 je parle du 9 mai. Mais après le 9 mai, les positions dont je vous ai
17 parlé, les tranchées, me sont difficiles. Il m'est difficile de les
18 retrouver, ici, sur cette photo.
19 Q. Vous n'êtes pas en mesure de nous montrer sur cette photo l'endroit
20 exact où vous avez creusé ces tranchées ?
21 R. Ce n'est pas une mauvaise volonté de ma part, mais je n'arrive vraiment
22 pas à retrouver ces positions sur cette photo.
23 Q. Bien. Merci, Monsieur l'Huissier, vous pouvez reprendre cette photo.
24 Nous allons sans doute y jeter un autre coup d'œil un peu plus tard.
25 Bien. Maintenant, dites-nous quand avez-vous commencé à creuser les
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1 tranchées ?
2 R. Pardon. Vous voulez dire quand? Bien, le lendemain, tout le monde a
3 commencé à creuser des tranchées pour lui-même, c'est-à-dire chaque
4 personne, chaque combattant avait commencé à creuser sa propre tranchée.
5 Q. Combien de temps cela a-t-il duré après le 9 mai ?
6 R. Comme je l'ai dit, chaque personne avait commencé à creuser une
7 tranchée pour elle-même, chaque combattant creusait une tranchée.
8 Initialement, chaque personne avait creusé une tranchée pour elle-même, et
9 ensuite, nous avons commencé à creuser des tunnels, des tranchées entre
10 eux, afin que les soldats puissent avoir un moyen de communication pour
11 qu'ils puissent communiquer entre eux en passant par ces tranchées.
12 Q. Très bien. Maintenant, combien de temps cette activité a-t-elle durée,
13 le fait de creuser des tranchées après le 9 mai, et combien de temps cela
14 a-t-il pris aux soldats de creuser des tranchées d'abord pour eux-mêmes, et
15 ensuite des tranchées qui leur permettaient de communiquer les uns avec les
16 autres ?
17 R. Je ne me souviens vraiment pas combien de temps cela a pu prendre.
18 Q. Vous souvenez-vous sur quelle distance ces tranchées se trouvaient ?
19 R. Vous voulez dire quelle était la distance entre les tranchées entre les
20 points individuels ?
21 Q. Non. Je parle de la distance des tranchées en général.
22 R. Ces tranchées étaient très rapprochées les unes des autres. Peut-être
23 10 mètres d'un point à l'autre, car nous n'étions pas très nombreux au
24 début, il y avait peu de soldats.
25 Q. Combien de soldats se trouvaient à Lapusnik à ce moment-là, donc tout
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1 juste après le combat, après le 9 mai ?
2 R. Nous étions environ 12, peut-être 13. Je ne peux pas vous donner de
3 chiffre exact. C'était environ 12 à 13 combattants.
4 Q. Après cette date, le nombre de soldats a-t-il augmenté, a-t-il changé
5 de quelque façon ?
6 R. Comme j'ai dit un peu plus tôt, le nombre de soldats changeait de façon
7 quotidienne. Il y avait beaucoup de personnes qui venaient et demandaient
8 de rejoindre les rangs de l'UCK. Comme je l'ai déjà dit, lorsque j'ai parlé
9 de Drenica, nous étions sur place, nous étions là, nous nous trouvions dans
10 la même situation. Nous étions peut-être 10 à 12 à ce moment-là, et nous
11 n'avions pas suffisamment d'armes à remettre aux personnes qui voulaient
12 rejoindre nos rangs. Il y avait des personnes qui venaient avec leurs
13 propres armes, avec leurs propres munitions. Il y avait également des
14 citoyens qui venaient, ou des villageois avec leurs haches. Comme j'ai dit,
15 il n'y avait pas suffisamment d'armes à distribuer à toutes ces personnes
16 qui voulaient rejoindre les rangs de l'UCK. Les personnes qui disposaient
17 eux-mêmes de leurs armes pouvaient venir et rester.
18 Q. S'agissant de Voglushi, combien de temps est-il resté à Lapusnik ?
19 R. Jusqu'à sa mort, jusqu'au moment où il a été tué.
20 Q. Quand a-t-il été tué ?
21 R. Sa mort était une mort héroïque. Il est décédé le
22 26 juillet 1998. Nous voulions tous mourir de façon héroïque comme lui.
23 Nous voulions tous partager son sort.
24 Q. Est-ce qu'il était très fort ? Est-ce que c'était un bon soldat ?
25 R. C'était un très bon soldat. Il était très fort, très costaud. Nous
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1 l'appelions le lion de la gorge de Lapusnik. Il avait une voix forte.
2 Q. Vous dites "vous l'appeliez ainsi." Est-ce que les autres soldats qui
3 ont combattu à ses côtés dans la gorge de Lapusnik partageaient votre
4 avis ? Tout le monde l'appelait ainsi ?
5 R. Nous l'appelions "Voglushi." Nous considérions que c'était une personne
6 très, très courageuse. Nous avions beaucoup d'estime pour lui. C'est la
7 raison pour laquelle nous l'appelions le lion de Lapusnik.
8 Q. Quelle position avait-il assumé à Lapusnik après le 9 mai ?
9 R. Au tout début, il était un simple soldat comme nous tous. Nous n'avions
10 pas de chef, nous n'avions personne pour commander. Au tout début, il était
11 un simple soldat comme nous tous.
12 Q. Vous dites "qu'au début, il n'était qu'un simple soldat comme les
13 autres." Est-ce que sa position a changé à un certain moment ?
14 R. Oui, bien sûr. Lorsqu'il a vu que nous avions tous énormément de
15 respect pour lui, et comme il venait du village de Komorane de la région de
16 Bushat, il connaissait très bien la région. Toutes les personnes le
17 respectaient énormément. Nous, les camarades, nous tous, sentions le besoin
18 d'avoir un dirigeant, quelqu'un qui pouvait commander l'unité. Nous avons
19 unanimement décidé de l'élire en tant que notre chef, notre commandant.
20 Q. Quel genre de commandant était-il à Lapusnik ?
21 R. Après son élection, nous lui avons demandé de se trouver à la tête de
22 notre groupe. Comme il connaissait très bien la région et que le monde
23 avait énormément de respect pour lui, nous lui avons demandé d'être notre
24 chef, notre commandant afin qu'il puisse nous diriger, nous guider.
25 Q. Merci. Je souhaiterais à présent vous poser des questions concernant la
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1 date du 18 mai. J'aimerais savoir s'il y a eu des combats à Lapusnik ce
2 jour-là.
3 R. Oui. Je ne me souviens pas de la date exactement. Je ne suis pas tout à
4 fait sûr si c'était le 18 ou le 19 mai. Il y avait eu des combats,
5 effectivement, entre nous et les forces serbes, les forces paramilitaires
6 serbes. Les combats étaient très sévères. Le combat a duré jusqu'à 22
7 heures ou 23 heures. Les forces serbes voulaient savoir si nous étions
8 encore là. Ils voulaient simplement ausculter la situation. Ils voulaient
9 essayer de prendre la gorge de Lapusnik.
10 Q. J'ai remarqué que vous clignez des yeux. Je pense que c'est dû à vos
11 blessures. Si vous ne vous sentez pas bien, si vous avez besoin de faire
12 une pause, n'hésitez pas à me le signaler. Je sais qu'il vous est difficile
13 de rester debout ou assis trop longtemps.
14 R. Ceci m'était difficile même pendant la guerre. Malgré nos souffrances,
15 malgré nos blessures, nous voulons dire ici la vérité, et raconter ce qui
16 s'est réellement passé, ce que nous savons. Cette souffrance est
17 permanente, mais je peux poursuivre.
18 Q. Très bien. Si vous le voulez, nous pouvons faire une pause.
19 R. Si nous pouvons faire une pause, oui.
20 Q. Je pense que nous allons faire une pause dans un quart d'heure environ.
21 Si vos souffrances sont trop fortes, dites-le moi, nous pourrons prendre
22 une pause anticipée.
23 R. J'ai bien compris. Merci.
24 Q. Veuillez, je vous prie, décrire plus en détail l'attaque menée contre
25 Lapusnik par les forces serbes, que vous venez de mentionner. Quel type
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1 d'armements les Serbes ont-il utilisés si vous vous en souvenez ?
2 R. Bien sûr que je m'en souviens. Ils ont utilisé toutes sortes
3 d'armements. Au début, ils n'ont pas utilisé de roquettes, mais ils ont
4 utilisé des mines. Ils nous ont pilonnés. Ils ont utilisé toutes sortes
5 d'armes. Il y avait des combats. Nous étions sur la ligne de défense. Nous
6 défendions la population contre les forces serbes. Ils nous pilonnaient à
7 l'aide de roquettes, de mortiers, de tout ce qu'ils avaient à leur
8 disposition, depuis une distance éloignée. Ils ont utilisé toutes sortes
9 d'armements.
10 Q. Quel type d'armements aviez-vous, et comment vous êtes-vous défendus ?
11 R. Il est difficile de croire ce qui s'est passé vu le type d'armements
12 dont nous disposions. Ils avaient des armes modernes; nous avions des armes
13 légères à notre disposition. Heureusement, Dieu était de notre côté, Dieu
14 nous a sauvés. Ils disposaient d'armes lourdes. Il est incroyable que nous
15 n'ayons eu que deux morts de notre côté. J'en reste toujours abasourdi
16 quand j'y pense.
17 Q. Ce combat qui s'est déroulé le 18 mai ou vers cette date, à propos de
18 ce combat, pouvez-vous nous dire combien il y avait de soldats de l'UCK à
19 Lapusnik qui combattaient contre les forces serbes ?
20 R. Je ne peux pas vous donner de chiffre précis. Nous étions peut-être 20
21 plus ou moins. Je ne peux pas vous dire exactement combien de soldats il y
22 avait. Beaucoup de temps s'est écoulé depuis la guerre, et nous avons
23 rencontré de nombreux problèmes depuis. Je ne peux pas me souvenir de tous
24 les détails. En réalité, après la guerre, j'ai voulu oublier tout ce qui
25 s'y rapportait. Lorsque je suis rentré chez moi, j'ai vu des maisons qui
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1 avaient été incendiées, des gens avaient été tués, je ne voulais pas me
2 souvenir de toutes ces choses affreuses.
3 Q. Après les combats qui se sont déroulés le 18 mai, vous nous avez
4 raconté qu'après les combats du 9 mai, des villageois étaient venus
5 apporter leur aide. Est-ce que ce scénario s'est répété après les combats
6 du 18 mai ? Est-ce que les effectifs à Lapusnik ont augmentés ou diminués ?
7 R. J'ai déjà répondu à cette question. Les rangs de l'UCK augmentaient
8 chaque jour.
9 Q. Alors que les effectifs augmentaient, est-ce que les soldats ont choisi
10 d'autres chefs en plus de Voglushi ?
11 R. De quelle période voulez-vous parler ?
12 Q. Disons en ce qui concerne les semaines qui ont suivi le
13 18 mai 1998 ?
14 R. Je comprends. Je ne me souviens pas de la date exacte, mais plusieurs
15 semaines après le 18 mai, Voglushi a suggéré Qerqizi - c'était son surnom -
16 parce qu'il ressemble à Qerqizi Topulli, l'un des commandants albanais qui
17 a lutté contre les Turcs ottoman. Ymer a proposé son nom. Il a dit qu'il
18 pouvait nous commander comme il convient, et nous étions d'accord. Nous
19 soutenions cette proposition, la proposition qui avait été exprimée par
20 Ymer. C'est Ymer qui était en charge à ce moment-là. Nous avons pensé que
21 s'il était d'avis que cette personne serait un bon chef, c'était la bonne
22 décision à prendre.
23 Q. Quel était le véritable nom de Qerqizi ?
24 R. Isak Musliu.
25 Q. Quand avez-vous rencontré Isak Musliu pour la première fois ?
Page 3077
1 R. Je ne me souviens pas de la date exacte. C'était le 8 ou le 9 mai.
2 Q. Combien de temps Isak Musliu est-il resté à Lapusnik pendant que vous
3 vous y trouviez ?
4 R. Il est resté tout le temps à Lapusnik jusqu'au combat, lorsque la gorge
5 de Lapusnik est tombée. Il s'est ensuite rendu vers d'autres villages à
6 Rahovec, Vustica. Il s'y est rendu pour aider d'autres soldats de l'UCK.
7 Q. La gorge de Lapusnik est tombée le 26 juillet 1998; est-ce exact ?
8 R. Oui.
9 Q. Qerqizi, quel type de chef était-il ?
10 R. Qerqizi était notre chef. Nous avions besoin de quelqu'un qui nous
11 dirige, qui nous guide pour que nous ne soyons pas une armée composée de
12 vagabonds. Pour que nous soyons un tant soit peu organisés, nous avions
13 besoin d'un chef.
14 Q. Quel sentiment avez-vous éprouvé lorsqu'Isak Musliu a été nommé chef ?
15 R. Tout le monde était favorable à cette idée, parce que nous voulions
16 tous que cette armée devienne une véritable armée. Nous devions savoir qui
17 nous dirige.
18 Q. Je vous remercie.
19 M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, dans quelques
20 minutes, l'heure sera venu de faire la pause. Peut-être pourrions-nous la
21 prendre un peu plus tôt.
22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous reprendrons à 16
23 heures.
24 --- L'audience est suspendue à 15 heures 41.
25 --- L'audience est reprise à 16 heures 02.
Page 3078
1 M. TOPOLSKI : [interprétation] Monsieur le Président, je demanderais que
2 l'on ne fasse pas tout de suite entrer le témoin dans le prétoire. J'en ai
3 parlé avec M. Nicholls, et nous sommes tous les deux d'avis qu'il vaut
4 mieux qu'il reste en dehors du prétoire. Il y a un problème dans le compte
5 rendu d'audience, page 25, ligne 13. Notre interprète, après les mots "tout
6 le temps," on peut lire dans le compte rendu d'audience "il était tout le
7 temps à Lapusnik." Notre interprète a entendu que le témoin a rajouté
8 "hormis la période où il est allé à Rahovec en renfort."
9 Nous réécouterons les enregistrements, ce soir. Il s'agit d'un
10 endroit particulièrement important pour Isak Musliu et nous pensons qu'il
11 faut régler ce problème et qu'il valait mieux parler de cela,
12 en l'absence du témoin. Peut-être que M. Nicholls y reviendra avec le
13 témoin.
14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Topolski. Je pense qu'il
15 valait mieux, en effet, soulever ce point en l'absence du témoin. Sous
16 réserve des commentaires que M. Nicholls voudrait éventuellement, faire à
17 ce sujet, mais je vois que non --
18 M. NICHOLLS : [interprétation] Non, Monsieur le Président.
19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je pense qu'il est effectivement
20 opportun de vérifier ces enregistrements ce soir et de vérifier ce qui doit
21 l'être.
22 A présent, je demande que l'on fasse revenir le témoin.
23 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Nicholls, vous avez la
25 parole.
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1 M. NICHOLLS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
2 Q. Monsieur le Témoin, avant la pause, vous nous avez raconté ce que vous
3 avez ressenti lorsqu'Isak Musliu est devenu votre chef. Après cela, en juin
4 et en juillet, combien de fois l'avez-vous vu à Lapusnik ?
5 R. Il est resté là tout le temps avec nous, il nous a aidé énormément. Il
6 nous a donnés du courage. Très souvent, il disait
7 que : "C'est Dieu qui nous avait donné cette terre, et pas les Serbes."
8 Lorsque nous combattions, il chantait des chants avec Ymer, et ils
9 combattaient, ils chantaient en même temps. C'est ce qui nous a donné du
10 courage. Nous nous sentions plus forts lorsque nous les entendions chanter
11 avec nous.
12 Q. Lorsqu'il se trouvait à Lapusnik en juin et en juillet, est-ce que vous
13 le voyiez tous les jours ? A quelle fréquence le voyiez-vous ?
14 R. Tous les jours.
15 Q. De quel secteur de Lapusnik était-il responsable ? Est-ce qu'il était
16 responsable de toutes les zones de Lapusnik ? Quelle était la situation ?
17 R. Oui. Il se trouvait dans la zone où nous étions. Il y avait plusieurs
18 unités à Lapusnik. Il y avait Guri, Pellumbi, Lumi, nous-mêmes. Pour sa
19 part, il était responsable, uniquement, d'un secteur limité de Lapusnik.
20 Q. Est-ce qu'il s'agit là de la partie gauche de la route Pristina-Pec
21 dont vous nous avez parlé un peu plus tôt ?
22 R. Oui.
23 M. NICHOLLS : [interprétation] Un instant, je vous prie.
24 Q. Vous avez mentionné les noms des unités Guri, Pellumbi. Pour autant que
25 vous vous en souveniez, quelle était l'appellation de l'unité dont Qerqiz
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1 responsable, c'est-à-dire, la vôtre ?
2 R. Notre unité s'appelait "Celiku". Lors des premiers combats qui se sont
3 déroulés les 8 et 9 mai, nous nous sentions aussi fort que de l'acier.
4 C'est pour cela qu'on nous a appelés "Celik", car Celik, en Albanais,
5 signifie acier.
6 L'INTERPRÈTE : Celik veut dire acier.
7 M. NICHOLLS : [interprétation]
8 Q. Est-ce que votre unité avait également un numéro ?
9 R. Au cours de cette période, il s'agissait de Celiku 3.
10 Q. Les autres unités que vous avez mentionnées, Pellumbi, Guri et Lumi, où
11 étaient-elles stationnées ?
12 R. La nuit de nos positions, il y avait Guri et Pellumbi sur notre droite.
13 Il y avait la route Pristina-Peja sur la droite. A droite de cette route se
14 trouvait Guri et Pellumbi. Je ne suis pas sûr, mais je crois que l'Unité
15 Pellumbi se trouvait en dessous de nos positions.
16 Q. Qu'entendez-vous par là, lorsque vous dites que l'Unité Pellumbi se
17 trouvait en dessous de vos positions ?
18 R. L'une des unités Pellumbi se trouvait en dessous de notre zone, en
19 contrebas. Il s'agissait d'une zone en relief. En contrebas, il y a un
20 endroit appelé Komorane/Kishna Reka, et c'est là qu'était déployé l'une des
21 unités Pellumbi.
22 Q. Nous allons vous présenter une carte et je vous demanderais de nous
23 indiquer sur cette carte où se trouvaient les différentes unités que vous
24 avez mentionnées.
25 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
Page 3081
1 M. NICHOLLS : [interprétation] Je demanderais que l'on place cette carte
2 sur le rétroprojecteur.
3 Q. Veuillez examiner cette carte. Il s'agit de la carte numéro 6 et traite
4 de la pièce à conviction P1. Je ne vous ai pas montré cette carte
5 auparavant, n'est-ce pas ?
6 R. C'est exact.
7 Q. Regardez cette carte, et essayez de retrouver les endroits où se
8 trouvaient les unités Celiku 3, Pellumbi, Guri et Lumi.
9 R. Les endroits que j'indique représentent les positions où se trouvaient
10 les unités Guri, Pellumbi et Lumi. C'est ce que j'indique maintenant.
11 M. NICHOLLS : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait donner un stylo au
12 témoin, s'il vous plaît.
13 Q. Pourriez-vous indiquer à l'aide de la lettre "P" l'endroit où se
14 trouvaient les unités Pellumbi.
15 R. [Le témoin s'exécute]
16 M. NICHOLLS : [interprétation] Le témoin a apposé la lettre "P" à côté de
17 l'endroit marqué sur la carte comme correspondant à Kishna Reka. Je pense
18 qu'il serait plus facile pour le témoin d'utiliser un stylo à bille.
19 Q. Pouvez-vous inscrire un "G" à l'endroit où se trouvaient les unités
20 Guri, s'il vous plaît.
21 R. [Le témoin s'exécute]
22 Q. Je ne sais pas si c'est très lisible.
23 Pouvez-vous inscrire un "L" à l'endroit où se trouvaient les unités Lumi.
24 R. Je place ces lettres de manière approximative sur la carte parce que je
25 ne sais pas exactement où ils se trouvaient. Mais en tout cas, dans la zone
Page 3082
1 de Lapusnik, c'étaient là les unités qui y étaient actives.
2 Q. Merci. Pouvez-vous également inscrire un "C" à l'endroit où se trouvait
3 votre unité, l'Unité Celiku 3.
4 R. [Le témoin s'exécute]
5 Q. Merci. Précédemment, quand vous nous avez parlé des unités Pellumbi,
6 vous nous avez montré un secteur où se trouvaient stationnées ces unités.
7 Est-ce qu'il y avait d'autres unités qui étaient cantonnées au même endroit
8 que les unités Pellumbi ?
9 R. Je n'ai pas compris.
10 Q. J'ai peut-être mal compris. Mais, précédemment, il me semble que vous
11 nous avez indiqué un autre secteur où il y avait également des unités
12 Pellumbi. Je voudrais savoir si l'endroit que vous nous avez indiqué à
13 proximité de Kishna Reka, que vous avez indiqué avec un P, si c'est le seul
14 endroit où il y avait des unités Pellumbi ?
15 R. Non. Cela faisait partie des unités Pellumbi, mais il y avait des
16 unités de ce type au-delà de la route goudronnée. Mais je n'ai pas eu de
17 contact direct avec ces unités. Cependant, je sais, qu'après la route
18 goudronnée, il y avait des unités Guri, Pellumbi, et Lumi. Là où j'ai écrit
19 le P, c'est là où se trouvait l'Unité Pellumbi que je connais, donc je sais
20 exactement où elle était.
21 Q. Pour que les choses soient claires, quand vous parlez de la zone située
22 au-delà de la route goudronnée où il y avait aussi des unités Pellumbi et
23 d'autres unités, vous nous parlez de la route principale reliant Pristina à
24 Peja, n'est-ce pas ?
25 R. Oui.
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1 Q. En dehors de l'Unité Celiku 3 que vous nous avez indiquée et de l'Unité
2 Pellumbi que vous nous avez indiquée au sud de la route Peja-Pristina, je
3 voudrais savoir s'il y avait d'autres unités de l'UCK dans cette zone au
4 cours des mois de mai, juin et juillet 1998 ?
5 R. Je n'ai pas bien compris -- bien, d'après ce que je sais, c'étaient les
6 unités concernées.
7 Q. Fort bien.
8 M. NICHOLLS : [interprétation] J'aimerais que cette carte soit versée au
9 dossier et qu'on lui attribue une cote.
10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Le document est versé au dossier.
11 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] La carte portera la cote P127, pièce de
12 l'Accusation.
13 M. NICHOLLS : [interprétation]
14 Q. Passons à un autre sujet maintenant. Est-ce que vous connaissez un
15 dénommé Haradin Bala ?
16 R. Oui.
17 Q. Quand l'avez-vous rencontré pour la première fois ?
18 R. Je me souviens de cette personne déjà dès les premiers jours du
19 conflit. Je ne me souviens pas exactement de la date, mais il s'agissait
20 peut-être des premiers combats qui ont eu lieu le 18 et le 19 mai. Il a dit
21 qu'il voulait aller à Korretice pour emmener sa famille, pour la faire
22 partir de cette région qui était trop dangereuse. Il voulait emmener sa
23 famille à un autre endroit. Ensuite, je ne l'ai pas revu, et je me suis dit
24 que peut-être il avait été tué ou qu'il s'était passé quelque chose. Mais
25 ensuite, j'ai entendu dire qu'il avait été quelque part à Luznica.
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1 Q. Vous dites, "pendant les premiers jours du combat," soyons clairs.
2 Ensuite, vous nous parlez du 18 et du 19 mai. Vous dites que vous avez
3 parlé avec Haradin Bala. Est-ce que la première fois que vous avez
4 rencontré Haradin Bala, c'est le premier jour des combats qui ont eu lieu
5 le 18 et le 19 mai, ou bien est-ce que c'est le 8 ou le 9 mai ?
6 R. J'ai déjà dit que c'était les premiers jours du combat. Il y a eu
7 plusieurs combats là-bas pendant cette même période. Mais je me souviens
8 d'une fois où on a vu un hélicoptère arriver, qui nous observait pour voir
9 si on était présent ou pas, et il y avait des pilonnages également tous les
10 jours. Moi, je l'ai vu dès les premiers jours et jusqu'au 18 ou 19 mai, si
11 je ne me trompe.
12 Q. Est-ce que cela signifie que vous l'avez vu pendant une dizaine de
13 jours ?
14 R. A peu près.
15 Q. Est-ce que Haradin Bala portait un pseudonyme au cours de ce mois de
16 mai 1998 quand vous l'avez rencontré ?
17 R. Je ne me souviens pas exactement. Il devait en porter un, mais je ne me
18 souviens pas.
19 Q. Est-ce que cela vous rafraîchirait la mémoire si vous pouviez consulter
20 votre déclaration ?
21 R. Je n'ai pas besoin de la voir, mais comme je vous le dis, je n'ai pas
22 de documents avec moi. J'ai déclaré solennellement que je dirais toute la
23 vérité. Je n'ai pas besoin des déclarations parce que, moi, je ne vais dire
24 que la vérité.
25 Q. Je vous comprends bien. Je sais bien que vous êtes là pour dire la
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1 vérité. Mais ce que je veux dire c'est que, quand vous avez fait votre
2 déclaration de juillet 2003, vous avez donné le pseudonyme de Haradin Bala,
3 et vous avez dit, quand vous avez fait cette déclaration, que vous avez dit
4 la vérité. Je me demande si cela ne pourrait pas vous aider si vous pouviez
5 consulter la déclaration.
6 M. GUY-SMITH : [interprétation] Si je comprends bien, M. Nicholls essaie de
7 guider les réponses du témoin.
8 M. NICHOLLS : [interprétation] J'essaie de lui rafraîchir la mémoire.
9 M. GUY-SMITH : [interprétation] Mais, il s'y prend d'une manière totalement
10 incongrue.
11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Nicholls, le témoin vous a
12 répondu. Il n'a pas besoin de consulter la déclaration. Peut-être vaudrait-
13 il passer à un autre sujet.
14 M. NICHOLLS : [interprétation] Je ne suis pas sûr que le témoin sache bien
15 du document dont je parle. Il a dit qu'il ne disposait pas du document.
16 J'essayais de lui expliquer exactement de quel document je parlais, c'est-
17 à-dire d'une déclaration faite au TPY. Je voulais savoir si cela l'aiderait
18 de le consulter.
19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, mais il est en train de nous dire
20 qu'il sait parfaitement ce qu'il dit.
21 M. NICHOLLS : [interprétation]
22 Q. Pendant ces dix jours, combien de fois avez-vous vu Haradin Bala ?
23 R. Bon, je dirais régulièrement.
24 Q. Où l'avez-vous vu ?
25 R. Je dis "régulièrement" parce qu'on n'était pas des milliers à cet
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1 endroit; on était 20 ou 22 soldats pendant la période dont on est en train
2 de parler. On était donc pas très nombreux, et il est probable que certains
3 jours je ne l'aie pas vu. Mais, moi, je dirais que je l'ai vu tous les
4 jours.
5 Q. Où est-ce que vous le voyiez ainsi à Lapusnik ?
6 R. Je le voyais à l'endroit où on était installé, parce qu'au début on
7 était installé du coté de la route goudronnée, c'est là qu'on dormait, et
8 chaque jour, on était de garde et on le voyait quand on était à cet endroit
9 ensemble.
10 Q. Quelles étaient ses fonctions pendant la période où vous l'avez connu à
11 Lapusnik ?
12 R. Les mêmes que les miennes : il s'agissait d'observer le terrain. Il y
13 avait un point de control à Komorane qui se trouvait à 200 à 300 mètres à
14 vol d'oiseau, et on devait observer cette zone, on devait surveillez
15 l'arrivée éventuelle de soldats, leur nombre, et cetera. Il avait les
16 fonctions que nous avions tous.
17 Q. Nous en parlerons de manière plus approfondie ultérieurement. Mais
18 soyons clair, le point de contrôle de Komorane, c'était un point de
19 contrôle tenu par les Serbes ou par l'UCK ?
20 R. C'était un point de contrôle serbe bien sur, un point de contrôle de
21 l'armée et de la police serbe.
22 Q. Vous avez peut-être répondu à la question que je vais vous poser, mais
23 je n'en suis pas sûr donc je la repose. Je voudrais savoir : après avoir vu
24 Haradin Bala à Lapusnik pour la dernière fois, quand l'avez-vous revu ?
25 M. KHAN : [interprétation] Je m'excuse de vous interrompre, mais je pense
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1 qu'il vaut mieux intervenir pour ce genre de question aussi rapidement que
2 possible. Il me semble qu'il y a de nouveau une erreur qui s'est glissée
3 dans le compte rendu d'audience, puisque, d'après ce que l'on me fait
4 savoir, le témoin n'a pas dit qu'il se trouvait à "200 ou à 300 mètres à
5 vol d'oiseau," mais à deux ou trois kilomètres de Komorane. Peut-être
6 pourrais-je procéder à une vérification.
7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est quelque chose qu'on pourra sans
8 doute vérifier ou peut-être vérifier cette nuit.
9 M. NICHOLLS : [interprétation] Je vais demander tout de suite au témoin ce
10 qu'il en est.
11 Q. Le point de contrôle de Komorane, Monsieur le Témoin, est-ce qu'il se
12 trouvait à 200 ou à 300 mètres d'où vous étiez ou à deux ou trois
13 kilomètres ?
14 R. A environ deux kilomètres et 200 ou 300 mètres. Bien entendu, je ne
15 pouvais pas procéder à une mesure exacte parce que je n'en n'avais pas les
16 moyens, mais cela se trouvait à 2,2 ou 2,3 kilomètres à vol d'oiseau.
17 Q. Merci. Avant l'interruption de Me Khan, je vous posais la question
18 suivante : avez-vous revu Haradin Bala après son départ de Lapusnik ?
19 R. Oui je l'ai vu à Bajice vers le nouvel an 1998/1999, et quand je l'ai
20 vu, je lui ai dit en plaisantant, Mais je croyais que tu avais été tué ou
21 je croyais que tu avais déserté. Il a répondu, Non, non. Mais il m'a dit
22 qu'il avait une maladie du cœur et qu'il avait eu la permission de rentrer
23 dans sa famille. C'est à ce moment-là que je l'ai vu, pendant cette
24 période, ainsi que pendant les combats.
25 Q. Quand avez-vous entendu dire qu'il avait été à Luznica ?
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1 R. C'est lui qui me l'a dit, parce que je lui ai dit : Mais alors, tu as
2 déserté ou alors on t'a tué ? Il a répondu : Non. Non, non. Je sers à
3 Luznica, mais notre commandant m'a donné l'autorisation de partir
4 temporairement pour aller rejoindre ma famille pendant une période brève.
5 Q. J'aimerais que nous passions à un autre sujet maintenant. Vous nous
6 avez dit que vous dormiez à côté des positions de combat près de la route
7 goudronnée quand vous êtes arrivé à Lapusnik. Plus tard, est-ce que vous
8 avez été en mesure de trouver des endroits plus confortables pour passer la
9 nuit, des endroits abrités ?
10 R. Oui.
11 Q. Où est-ce que c'était ? Dans quel bâtiment avez-vous ensuite dormi ?
12 R. Au début, on est resté sur nos positions. Mais les habitants du village
13 sont venus nous voir et ils nous ont emmenés. On a laissé deux ou trois
14 gardes sur place et les autres sont allés dormir dans les maisons des
15 habitants du village. Ils nous ont offert du thé, ils nous ont offert à
16 manger, ils nous préparaient de l'eau pour qu'on puisse faire notre
17 toilette.
18 Q. Qui était Gzim Gashi ? Est-ce que ce nom vous dit quelque chose ?
19 R. Oui. C'était un habitant du village de Lapusnik.
20 Q. Est-ce que vous avez séjourné dans sa propriété, chez lui ?
21 R. Oui.
22 Q. A quel moment ? Pendant quelle période ?
23 R. C'était vers la fin, avant la chute des gorges de Lapusnik. Je suis
24 resté chez Gzim Gashi, chez lui.
25 Q. Vous y êtes resté pendant combien de temps avant la chute de la gorge
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1 de Lapusnik ?
2 R. Vous voulez dire combien de temps j'y suis resté ?
3 Q. Oui. Combien de temps êtes-vous resté chez Gzim Gashi ?
4 R. Je ne peux pas vous le dire exactement, peut-être un mois.
5 Q. Est-ce que d'autres soldats de l'UCK ont été logés à cet endroit avec
6 vous ?
7 R. Oui.
8 Q. Vous étiez combien à peu près ?
9 R. Je n'ai pas bien entendu la question.
10 Q. Excusez-moi. Combien de soldats ont logé chez Gzim Gashi, à peu près,
11 chez lui, pendant ce mois que vous y avez passé ?
12 R. Cela évoluait constamment. Parfois, il y avait trois soldats, parfois
13 cinq, parfois sept, fois deux. Le nombre de soldats qui étaient logés là
14 n'était pas toujours identique.
15 Q. J'aimerais vous présenter maintenant une photographie qui porte le
16 numéro U003-4901.
17 M. NICHOLLS : [interprétation] Je pense que je pourrais utiliser le
18 logiciel Sanction pour présenter cette photographie.
19 Q. Veuillez, s'il vous plaît, examiner cette photographie, Monsieur.
20 R. Oui.
21 Q. Est-ce vous voyez une signature sur ce document ?
22 R. Oui, c'est ma signature.
23 Q. Est-ce que vous reconnaissez ce document ? Est-ce que vous l'avez vu
24 déjà précédemment ?
25 R. Oui. Oui, pendant qu'Ole Lehtinen, l'enquêteur m'interrogeait, il m'a
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1 montré cette photographie. On y voit ma signature ainsi que la signature de
2 Lehtinen.
3 Q. Est-ce que ceci s'est passé pendant l'entretien que vous avez eu en
4 juillet 2003 ?
5 R. Oui. A ce moment-là, on m'a montré une photographie qui était plus
6 grande et qui était plus nette que celle-ci.
7 Q. Je vous ai également présenté cette photographie hier.
8 R. Oui.
9 Q. Est-ce que vous voyez des annotations, des transcriptions en albanais à
10 l'extérieur de la photographie ?
11 R. Oui.
12 Q. Qui a ainsi établi la légende de ce document ?
13 R. C'est moi.
14 Q. Qu'est ce qui est représenté sur cette photographie ? Qu'est-ce qu'on
15 voit ici ?
16 R. Quand Ole m'a montré cette photographie, il m'a demandé si je
17 reconnaissais ce lieu. J'ai répondu oui. Ensuite, il m'a posé des questions
18 au sujet d'une prison à Lapusnik. Il m'a dit que la prison était là. Je lui
19 ai dit que je ne savais rien de tout cela, mais que je pouvais lui dire que
20 moi-même j'étais resté à cet endroit, que j'y avais logé, que c'était la
21 maison de Gzim. Tout est indiqué ici. On a indiqué ce qu'était chacun des
22 lieux représenté sur la phographie.
23 Q. Passons en revue les annotations que vous avez portées sur cette
24 photographie. J'espère que tout le monde dispose d'une traduction. Ce n'est
25 pas très lisible à l'écran.
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1 M. TOPOLSKI : [interprétation] Excusez-moi d'interrompre
2 M. Nicholls, Monsieur le Président. Je me demande si je pourrais lui
3 demander d'être prudent. Je sais qu'il va l'être, mais je pense que
4 lorsqu'on montre la photographie au témoin et qu'on lui pose la question
5 que je vois à la ligne 22 : "Quel est l'endroit qui est représenté par
6 cette photographie ?" Je pense que là on parle du principe que l'on parle
7 d'un endroit bien précis. Je ne veux pas en dire plus en présence du
8 témoin. Je demanderais à M. Nicholls de faire preuve de sa coutumière
9 prudence.
10 M. NICHOLLS : [interprétation]
11 Q. Monsieur le Témoin, examinons les premières annotations que vous avez
12 apportées ici en commençant par le coin supérieur droit. Qu'est ce que vous
13 avez écrit à cet endroit ?
14 R. Cuisine.
15 Q. C'était la cuisine de qui ?
16 R. C'était la cuisine de Gzim.
17 Q. Est-ce que vous-même vous avez déjà été dans cette cuisine ?
18 R. Oui.
19 Q. Vous nous dites que c'est une cuisine. A quoi cette cuisine servait
20 cette cuisine à l'époque ?
21 R. C'est là qu'on mangeait.
22 Q. Le bâtiment à droite, vous avez également indiqué de quoi il
23 s'agissait. Pouvez-vous nous dire ce que c'est ?
24 R. Oui.
25 Q. Vous avez écrit en face de ce bâtiment, "maison de Gzim." Pouvez-vous
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1 nous dire à quoi servait ce bâtiment ?
2 R. C'est là que vivait la famille de Gzim. Plus tard, enfin, - je parle
3 toujours de la période pendant laquelle j'ai logé à cet endroit. Plus tard,
4 on allait faire notre toilette dans cette maison, ce que vous appelez, la
5 maison.
6 Q. En plus de vous y faire votre toilette, de vous y laver, est-ce vous
7 faisiez autre chose dans cette maison.
8 R. Non.
9 Q. Est-ce qu'il ne vous est jamais arrivé d'y loger ?
10 R. C'est dans la même cour. Je ne comprends pas très bien ce que vous
11 dites quand vous dites : "Est-ce que vous y avez logé ?" Je ne comprends
12 pas très bien.
13 Q. J'ai compris. C'était un endroit que vous alliez uniquement pour vous
14 laver. Ensuite, en dessous, vous avez écrit: "oda de Gzim, Vojvoda."
15 Qu'est-ce que ce bâtiment ? Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ?
16 R. C'est ce qu'on appelle un oda chez nous. C'est un lieu qui est réservé
17 aux hommes.
18 Q. Si j'ai bien compris, vous nous avez dit précédemment que c'est là que
19 vous dormiez.
20 R. Oui.
21 Q. Vous avez écrit la chose suivante : "oda Gzim, Vojvoda," c'est bien
22 exact ? C'est bien Gzim Vojvoda ou Gzim Gashi ?
23 R. Il s'appelait Gzim Gashi. Ils sont de Llapi. On les surnomme Shalajns
24 ou Vojvoda. C'est comme cela qu'on les appelle.
25 Q. Est-ce qu'il vous est arrivé dans la propriété de Gzim Gashi.
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1 R. Est-ce que vous pourriez être plus spécifique ?
2 Q. Vous étiez là, vous vous y laviez, vous mangiez, vous y dormiez. Je
3 voudrais savoir si vous avez eu d'autres fonctions à cet endroit ? Est-ce
4 vous y avez travaillé ?
5 R. Oui.
6 Q. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus à ce sujet ?
7 R. Oui. J'étais chargé de tenir une liste des soldats, parce qu'il fallait
8 que nous sachions d'où venaient les soldats. Par exemple, s'il y en avait
9 un qui était blessé ou qui était tué, il fallait qu'on sache exactement qui
10 ils étaient et d'où ils venaient.
11 L'INTERPRÈTE : L'interprète demande à ce que l'un des microphones du
12 témoin, ou l'autre microphone de témoin soit allumé. Il vient de
13 s'éteindre. Merci.
14 M. NICHOLLS : [interprétation]
15 Q. Je vous remercie, Monsieur. Maintenant, je vais vous poser quelques
16 questions concernant ce journal. Dites-nous, où exactement dans la
17 propriété de Gzim gardait-on ce journal ?
18 R. C'était dans l'oda de Gzim. Le journal concernant les soldats que j'ai
19 rédigé tous les jours, je l'ai gardé dans l'oda. Il n'y avait pas
20 énormément de place. Il était impossible de les garder ailleurs. C'est là
21 que je gardais le journal. En fait, il ne s'agissait pas de journaux sec --
22 de documents secrets ou confidentiels.
23 Q. Si l'on passe à droite, si l'on regarde ce qui apparaît sur la photo à
24 droite. Vous avez indiqué "la maison de Bali Vojvoda." Il y a une flèche
25 qui indique le bâtiment qui porte le numéro 3. Pourriez-vous nous décrire à
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1 quoi servait ce bâtiment exactement ?
2 R. Il y avait quelques soldats qui étaient abrités à cet endroit-là. Il ne
3 fallait pas être nombreux à un endroit particulier, c'est-à-dire que si
4 jamais un obus nous tombait dessus, on n'allait pas perdre trop d'hommes.
5 C'est ainsi que l'on s'assurait que la perte serait minime.
6 Q. Est-ce que vous êtes déjà rentré dans cette maison, la maison de Bali
7 Vojvoda ?
8 R. Oui, pourquoi pas ?
9 Q. Que faisiez-vous dans cette maison ?
10 R. Pendant notre temps libre, pendant que nous ne faisions rien, lorsqu'il
11 n'y avait pas de combat, nous séjournions là entre amis.
12 Q. Les soldats qui séjournaient dans cette maison, devaient-ils traverser
13 la route, et traverser, en fait, la propriété de Gzim pour entrer dans
14 l'oda ?
15 R. Oui.
16 Q. Maintenant, s'agissant de ce que vous avez indiqué sur la photo comme
17 bâtiment 2B, pourriez-vous nous dire ce que représente ce bâtiment-là ? Il
18 semblerait qu'il s'agisse d'une "étable." A quoi servait ce bâtiment ou
19 cette remise ?
20 R. Le propriétaire de cette maison gardait à cet endroit ces vaches.
21 Q. Ne vous est-il jamais arrivé d'entrer dans cette étable ?
22 R. Non.
23 Q. S'agissant de la propriété -- de l'enceinte que nous voyons ici, nous
24 voyons que cette étable appartient à l'enceinte. Est-ce que vous n'êtes
25 jamais entré à l'intérieur de l'enceinte ? Je retire cette question. Je
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1 crois qu'elle n'est pas tout à fait claire.
2 La prochaine annotation qui se trouve à gauche de celle que l'on vient de
3 montrer porte une simple désignation "bunari," donc le puits. Je crois que
4 c'est assez clair. Avez-vous des commentaires à nous faire concernant ce
5 puits ?
6 R. Je ne sais pas quoi vous dire de plus. C'est un endroit où nous allions
7 pour prendre de l'eau.
8 Q. Très bien. Si l'on balaie la page -- si on continue de nous déplacer
9 vers la gauche, vous avez indiqué un autre bâtiment avec le numéro 2. Vous
10 avez dit qu'il s'agissait de "l'oda de quelqu'un ?" A qui appartenait ce
11 bâtiment ? Que représentait ce bâtiment ?
12 R. Ce bâtiment était réservé aux soldats. C'est là que les soldats
13 dormaient.
14 Q. Savez-vous qui était le propriétaire de cette enceinte -- de ce
15 bâtiment que vous avez indiqué comme "oda 2 ?" Son nom ?
16 R. Je ne sais pas à qui appartenait cette salle de réception -- cet oda.
17 Je sais que cela appartenait à un vieillard, mais je ne sais pas quel est
18 son nom. Il avait un nom très court.
19 Q. Très bien. Merci. Le bâtiment qui se trouve à la gauche sur la photo
20 est annoté par le chiffre 1. Vous n'avez pas indiqué autre chose concernant
21 ce bâtiment. Est-ce que vous n'êtes jamais entré à l'intérieur de ce
22 bâtiment ?
23 R. Non.
24 Q. En parlant du bâtiment numéro 2, de l'oda numéro 2, à quelle fréquence
25 vous est-il arrivé au mois de juillet d'entrer dans ce bâtiment ?
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1 R. Je ne peux pas vous donner une évaluation précise de la fréquence à
2 laquelle j'y suis allé ou je m'y suis trouvé à cet endroit-là, mais je sais
3 que j'y ai passé plusieurs heures. Je suis allé assez souvent à cet
4 endroit-là.
5 Q. Lorsque vous parlez de "la pièce, la salle de réception, l'oda," est-ce
6 que c'était à l'étage ou en bas ?
7 R. Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? Que voulez-vous dire par "en
8 bas ou à l'étage" ?
9 Q. S'agissant du bâtiment numéro 2, est-ce que c'était une salle de
10 réception qui se trouve au rez-de-chaussée, ou bien se trouvait-elle à
11 l'étage ?
12 R. Lorsque vous entriez dans ce bâtiment, depuis la rue c'était à droite.
13 Je crois que c'était à l'étage, maintenant que j'y pense.
14 Q. Que faisiez-vous dans ce lieu, cet oda en compagnie d'autres soldats ?
15 Pourriez-vous nous décrire à quoi servait cette pièce ?
16 R. Après les combats, nous allions regarder la télévision. Lorsqu'on avait
17 du temps libre, nous passions notre temps libre ensemble. Certains d'entre
18 nous chantaient. Il y avait d'autres personnes qui chantaient aussi. On les
19 écoutait chanter. C'est ainsi que nous rassemblions notre courage ensemble
20 en ces jours difficiles.
21 Q. Simplement pour être tout à fait sûr de vous avoir compris, dans le
22 bâtiment numéro 2 que vous avez indiqué comme étant l'oda 2, vous nous avez
23 dit que c'est là que vous regardiez la télévision,. Est-ce que vous êtes
24 allé dans d'autres bâtiments appartenant à ce bâtiment-là ?
25 R. Il y avait une pièce vide et une autre pièce qui la suivait, qui
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1 s'appelait l'oda. Je me suis trouvé plusieurs fois.
2 Q. Outre cette salle de réception que vous avez appelée oda, est-ce que
3 vous êtes allé dans d'autres bâtiments appartenant à l'enceinte -- à la
4 propriété, dans d'autres maisons ?
5 R. Non, non. Nous n'avions pas tant de temps libre. Nous n'étions pas là
6 pour célébrer un mariage. Je me souviens très bien, comme je l'ai dit, je
7 me souviens très bien de cette salle de réception -- de cette pièce, l'oda.
8 J'y suis allé plusieurs fois. C'est là que nous chantions, que nous buvions
9 du thé, nous regardions la télévision. C'est tout ce que je me souviens.
10 Q. Est-ce que vous n'avez jamais vu Haradin Bala dans l'oda dont nous
11 parlons. Je parle toujours de ce bâtiment marqué bâtiment numéro 2 ?
12 R. Non.
13 Q. Qu'en est-il d'Isak Musliu ? Est-ce que vous l'avez déjà vu dans l'oda
14 ?
15 R. Oui, bien sûr, il chantait avec Ymer Alushani et d'autres camarades,
16 Qerqizi, Ymer et d'autres personnes qui savaient chanter et qui savaient
17 jouer -- jouer à certains instruments; ces personnes-là s'accompagnaient et
18 aussi elles chantaient.
19 Q. Est-ce que vous avez déjà vu les personnes -- les soldats de l'UCK dans
20 ce bâtiment dont nous parlons, le bâtiment qui se trouve de l'autre coté de
21 la route de la maison de Gzim Gashi ? ?
22 R. Que voulez-vous dire par là ? De quelle maison parlez-vous ?
23 Q. Je parle de la oda qui se trouvait dans le bâtiment numéro 2 et donc,
24 vous m'avez posé des questions comme étant le bâtiment -- décrit comme
25 étant "l'oda de…," donc, je ne me souviens pas le nom.
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1 Vous voulez dire si j'ai vu des personnes là ?
2 R. Oui.
3 Q. Bien. Le nombre changeait constamment -- nous le savons, mais, est-ce
4 que vous pouvez nous dire combien de soldats pouvait-il y avoir dans un
5 bâtiment, à un moment précis ?
6 R. Comme j'ai déjà dit un peu plus tôt, le nombre variait, dans aucune de
7 ces maisons, je ne peux vous donner le nombre de soldats qui y
8 séjournaient. Nous devions changer d'endroit constamment afin que les
9 forces serbes ne sachent pas combien nous étions. C'est la raison pour
10 laquelle nous changions de lieux constamment. C'est la raison pour laquelle
11 je ne peux pas vous donner de nombre précis.
12 Q. Très bien. Maintenant, je voudrais passer à autre chose et nous pouvons
13 laisser ce document-là de côté, pour l'instant. Pendant que vous vous
14 trouviez à Lapusnik, c'est-à-dire au moi de mai, juin 1998, est-ce que vous
15 avez prononcé un serment ? Est-ce que vous avez fait un serment
16 d'allégeance à L'UCK ?
17 R. Oui.
18 Q. Vous souvenez-vous à quel moment vous avez fait cela ?
19 R. Je ne me souviens pas précisément si c'était vers la fin du moi de juin
20 ou bien si c'était en début du mois de juillet, je ne me souviens pas. Je
21 l'ai déjà dit -- je l'ai déjà dit dans ma déclaration.
22 Q. Très bien. S'agissant de cette prestation de serment où cela a-t-il eu
23 lieu ?
24 R. Je n'ai pas tout a fait bien saisi, qu'est-ce que vous voulez dire par
25 là ?
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1 Q. Où étiez-vous physiquement lorsque vous avez prêté serment à la cause,
2 lorsque vous avez prêté le serment d'allégeance à L'UCK ?
3 R. C'était dans la cour de la maison de Bali.
4 Q. Je vous remercie. Pourriez-vous, je vous en prie, nous indiquer sur le
5 diagramme qui se trouve à votre gauche, si vous pouvez voir l'endroit en
6 question. Vous dites "dans la cour de la maison de Bali." Pourriez-vous
7 nous montrer cet endroit sur la photographie ? Pourriez-vous nous, je vous
8 prie, nous montrer sur la photo qui se trouve sur le rétroprojecteur
9 l'endroit où cette cérémonie a eu lieu ?
10 R. L'endroit ne se trouve pas sur la photo. C'est environ ici.
11 Q. Je suis vraiment désolé, Monsieur. Je n'ai pas saisi, je n'ai pas
12 vu l'endroit que vous avez montré. Pourrait-on peut-être faire un zoom out
13 de la photo. Bien, comme cela.
14 Monsieur Karpuzi, je vous demanderais, maintenant, de nous indiquer à
15 l'aide du pointeur l'endroit où la cérémonie a eu lieu.
16 R. C'est environ, comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, ici, car
17 l'endroit n'est pas photographié, ne se trouve pas sur la photo même.
18 M. NICHOLLS : [interprétation] Pourrait-on donner au témoin un stylo, je
19 vous prie ?
20 Q. Monsieur, pourriez-vous nous indiquer avec un "X" l'endroit où la
21 cérémonie a eu lieu ?
22 R. Est-ce que je peux l'indiquer même si l'endroit ne figure pas sur la
23 photo ?
24 R. Oui, indiquez-nous approximativement l'endroit où il se trouverait si
25 la photo était plus large, plus grande.
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1 R. [Le témoin s'exécute]
2 Q. Je vous remercie.
3 M. NICHOLLS : [interprétation] Le témoin, pour le compte rendu d'audience,
4 vient d'indiquer à l'aide d'un "X" le coin supérieur gauche au-dessus du
5 numéro 3 sur la photographie. Je demanderai à ce que ce document soit versé
6 au dossier.
7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien.
8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce document portera la cote P128. Il
9 s'agira d'une pièce de l'Accusation.
10 M. NICHOLLS : [interprétation]
11 Q. Monsieur, je souhaiterais vous demander de nous dire comment cette
12 cérémonie s'est déroulée. Vous nous avez dit un peu plus tôt, je cite :
13 "Nous avons prêté serment dans la cour." Dites-nous combien de soldats y
14 avaient-il qui aient eu à prononcer le serment d'allégeance, ce jour-là ?
15 R. Je ne peux pas vous donner de chiffre précis. Il y avait sans doute de
16 50 à 60 soldats. C'est une évaluation libre bien sur.
17 Q. Outre de prononcer vous-même le serment, est-ce que vous avez pris part
18 à cette cérémonie d'aucune façon ?
19 R. Je ne comprends pas votre question, je suis désolé. Pourriez-vous
20 simplifier votre question, je vous prie ?
21 Q. Certainement. Pourriez-vous décrire la cérémonie, je vous prie, dans
22 vos propres termes. Que s'est-il passé lorsque vous êtes arrivé dans cet
23 endroit ?
24 R. J'ai vu Ymeri qui appelait tout le monde. Il voulait que tout le monde
25 sorte là et il faisait des blagues et il disait :
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1 Allez les gars, sortez. Nous devons tous nous mettre ensemble. Il y avait
2 également un drapeau qui était hissé et en compagnie de deux autres soldats
3 nous avons hissé le drapeau.
4 Q. Ymeri, c'est Voglushi, n'est-ce pas ?
5 R. Oui.
6 Q. Ici, au compte rendu d'audience nous pouvons lire que "vous avez hissé
7 le drapeau en compagnie de deux autres soldats," c'est ce que je voulais
8 vous demander un peu plus tôt. Est-ce que vous avez vous-même participé à
9 ce fait, cette action ?
10 R. Oui, oui, j'ai dit ce que j'ai fait.
11 Q. Vous souvenez-vous si Isak Musliu était présent ?
12 R. Je crois que oui. Mais je ne suis pas tout à fait certain car cela fait
13 assez longtemps. Mais du meilleur de mon souvenir, je crois que oui.
14 Q. Vous souvenez-vous de quelle façon on vous a demandé de prononcer le
15 serment d'allégeance ? Qui vous demandait de répéter les mots après lui ?
16 R. Lorsque l'enquêteur m'a posé cette question, je lui ai dit que lorsque
17 nous nous sommes présentés, il y avait une ligne de 50 à 60 soldats. Nous
18 avons pris part à cette cérémonie, nous sommes entrés dans cette ligne,
19 nous avons fait partie de la ligne et j'ai demandé à Ymer si je pouvais
20 hisser le drapeau à cause de mon père, mon père avait été condamné. J'ai
21 demandé si je pouvais participer à cette cérémonie. Il m'a dit que oui.
22 Quelqu'un a lu le texte de la déclaration solennelle et nous l'avons
23 répété, nous avons après lui, ces propos.
24 Q. Je sais que l'enquêteur vous a déjà posé un certain nombre de
25 questions, mais je dois vous reposer les mêmes questions, car nous sommes
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1 ici devant les Juges. Je vais devoir vous reposer certaines questions.
2 R. D'accord.
3 Q. Vous souvenez-vous du texte du serment ou de la déclaration solennelle
4 qu'on vous a demandé de prêter ?
5 R. Non.
6 Q. Y a-t-il eu un discours que quelqu'un aurait prononcé au cours de cette
7 cérémonie ?
8 R. Il n'y avait pas de discours. Je l'ai déjà dit un peu plus tôt. Il n'y
9 a pas eu de discours formels prononcés par qui que ce soit. Je ne me
10 souviens pas du nom du commandant Celiku. A ce que je sache à l'époque, il
11 n'y avait pas de commandant Celiku, mais parmi les soldats, il y avait un
12 soldat que l'on appelait Celik et il nous a dit : Les gars, nous nous
13 battons pour le Kosovo et nous devons défendre la population par tous les
14 moyens. Il nous fallait verser la dernière goutte de sang pour notre
15 peuple. C'est ainsi que les choses se sont déroulées.
16 Q. Maintenant, ce Celiku qui a prononcé ce petit discours, est-ce que vous
17 l'aviez jamais vu auparavant ?
18 R. Non.
19 Q. Est-ce que vous avez parlé d'autres choses ?
20 R. Je ne me souviens pas.
21 Q. Vous souvenez-vous d'avoir parlé de ce discours lorsque vous avez donné
22 votre déclaration en 2003 ?
23 M. KHAN : [interprétation] Monsieur le Président, je voulais simplement
24 aviser mon collègue de faire attention au fait qu'avant de venir témoigner
25 aujourd'hui, le témoin a déjà donné une déclaration solennelle et donc je
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1 demanderais à mon éminent confrère de bien porter attention sur le passage
2 ou la partie qu'il entend -- sur laquelle il entend interroger le témoin.
3 Je crois que mon éminent confrère me comprend lorsque je fais ce petit
4 commentaire.
5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.
6 M. NICHOLLS : [interprétation]
7 Q. Vous souvenez-vous d'avoir parlé de ce discours qui a été prononcé par
8 Celiku lorsque vous avez fait votre déclaration à l'enquêteur en 2003 ?
9 M. KHAN : [interprétation] Monsieur le Président, mon objection est
10 maintenue. Ce qui est important c'est ce qui a été dit concernant ce qui
11 s'est passé lors de ce discours.
12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Il n'y a absolument rien
13 d'inappropriée dans cette question, Maître Khan.
14 M. KHAN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, mais je soulève une
15 objection sur la pertinence.
16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous allons voir ce qui en sera.
17 Veuillez poser votre question.
18 M. KHAN : [interprétation] Je vous en suis reconnaissant.
19 M. NICHOLLS : [interprétation]
20 Q. Très bien. Merci. Pouvez-vous répondre à ma question, Monsieur
21 Karpuzi ? Est-ce que vous vous souvenez de ce qui a été dit lors de cette
22 déclaration -- ce que vous avez dit dans votre déclaration à l'enquêteur en
23 2003 ?
24 R. J'ai déjà dit ce qui avait été dit dans cette déclaration.
25 Q. En fait, ma question était la suivante : vous vous souvenez d'avoir
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1 parlé à l'enquêteur en 2003 lorsque vous avez donné votre déclaration suite
2 aux questions posées par l'enquêteur en 2003 ? Vous souvenez-vous d'avoir
3 parlé du discours en question ?
4 R. Oui.
5 Q. Vous souvenez-vous de ce que vous avez dit à l'enquêteur en 2003
6 concernant ce discours ?
7 R. J'ai déjà dit -- je vous ai déjà dit de quoi il a été question. Je vous
8 ai déjà dit quels ont été les mots prononcés dans ce que vous appelez un
9 discours.
10 Q. Pour rafraîchir votre mémoire, vous serait-il utile de relire votre
11 déclaration ?
12 R. Je n'ai pas de déclarations, ici, avec moi et j'ai déjà répondu à votre
13 question, n'est-ce pas ?
14 Q. J'ai un exemplaire de votre déclaration en langue albanaise. Je
15 voudrais savoir si le fait de relire votre déclaration -- ce passage en
16 question pourrait rafraîchir votre mémoire.
17 M. KHAN : [interprétation] Monsieur le Président, --
18 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Khan, je vous arrête
19 immédiatement. Je sais exactement ce que vous allez me dire, mais
20 j'attends.
21 M. NICHOLLS : [interprétation]
22 Q. Monsieur, est-ce que le fait de relire votre déclaration pourrait
23 rafraîchir votre mémoire ?
24 R. Je ne crois pas. Il n'est pas nécessaire de relire ma déclaration
25 puisque je sais ce que j'ai dit. J'ai déjà expliqué -- je vous ai déjà dit
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1 qu'il n'y avait pas de discours en tant que tel. C'était une conversation
2 informelle. Il a dit : Nous sommes les fils du peuple. Je crois l'avoir
3 déjà dit un peu plus tôt. Je crois que c'est clair, non.
4 Q. Oui. Très bien, merci. Cette personne, Celiku, cette personne qui a
5 fait cette déclaration, qui a prononcé ces paroles, est-ce que -- l'a-t-on
6 présenté aux autres soldats ?
7 R. Je ne me souviens pas s'il s'est présenté lui-même ou si quelqu'un
8 parmi les soldats a dit, voilà Celiku, mais il n'a pas été présenté de
9 façon formelle.
10 Q. Est-ce que vous aviez déjà entendu parler de Celiku avant ce jour-là ?
11 R. Non.
12 Q. Jamais auparavant ?
13 R. Non.
14 Q. Comment les soldats qui étaient présents ont-ils réagi à cette -- une
15 courte déclaration, à ces propos prononcés par Celiku ?
16 R. Les soldats ont accueilli ce petit discours très bien; parmi les
17 camarades, quelques-uns ont commencé à faire des blagues, lorsqu'il a dit :
18 Nous sommes les fils du peuple, et que nous devons faire attention aux
19 civils indépendamment de l'apparence ethnique et que tous les citoyens
20 civils devaient être traités de la même façon. Certains avaient rigolé pour
21 dire : Quoi, vous voulez traiter les Serbes comme tous les autres Kosovars.
22 Ils se moquaient un peu de ses propos. Il a dit : Je n'accepterais pas
23 cette tâche, car on lui a demandé de reprendre ces responsabilités. Est-ce
24 que c'est cela que vous vouliez savoir ? C'est votre question ?
25 Q. Oui, justement, on y arrive. Comment avez-vous réagi aux propos que
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1 vous avez entendus prononcer par ces personnes -- ce petit discours ?
2 R. Je ne me souviens pas de ma réaction.
3 Q. Vous avez dit que certaines personnes se sont moquées de ses propos de
4 traiter tout le monde de façon égale. Tout ce que vous pensiez, c'était une
5 bonne idée ou non ? Ce que je veux savoir, est-ce que vous étiez d'accord
6 avec ces paroles, avec cette affirmation faite par Celiku que tous les
7 citoyens devaient être traités de la même façon ?
8 R. Oui, j'étais favorable à cette idée.
9 Q. Qui a demandé à Celiku d'assumer ces fonctions ?
10 R. Nous, les soldats. Nous lui avons demandé de nous guider, de nous
11 diriger après ce discours. Nous lui avons demandé :
12 Pourriez-vous nous diriger ? Vous savez bien parler, vous savez
13 communiquer.
14 Q. Qu'a-t-il répondu à cela ?
15 R. Après son discours et après avoir entendu la réaction de certains
16 soldats, il a refusé.
17 Q. N'avez-vous jamais appris le véritable nom ce Celiku ?
18 R. Après cela, oui.
19 Q. Quand avez-vous appris quel était le véritable nom de Celiku ?
20 R. J'ai appris quel était son nom quelque temps après la formation des
21 brigades. C'est à ce moment-là que j'ai appris sa véritable identité.
22 Q. D'après ce que vous avez appris, quel était le véritable nom de
23 Celiku ?
24 R. Celiku s'appelait en réalité Fatmir Limaj.
25 Q. Après cette prestation de serment au cours de laquelle on a demandé à
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1 Celiku d'être chef, l'avez-vous revu à Lapusnik avant la date du 26 juillet
2 1998 ?
3 R. Oui, pendant les combats.
4 Q. Pendant quels combats au juste ?
5 R. Il y avait souvent des combats dans cette zone. Je l'ai revu deux ou
6 trois fois.
7 Q. A ces différentes occasions lorsque vous l'avez rencontré de nouveau,
8 que s'est-il passé ?
9 R. Je me trouvais sur la ligne de front.
10 Q. Que faisait Fatmir Limaj lorsque vous l'avez vu sur la ligne de front ?
11 R. Il combattait à nos côtés. Est-ce que je pourrais expliquer quelque
12 chose ?
13 Q. Je vous en prie.
14 R. A l'époque, pendant les combats, ils l'appelaient oncle, "daja," en
15 albanais. C'est la vérité.
16 Q. Très bien. Lors de ces deux ou trois occasions que vous avez rencontré
17 Fatmir Limaj, entre le moment où la prestation de serment a eu lieu et le
18 26 juillet, vous avez déclaré qu'il combattait à vos côtés ?
19 R. Oui.
20 Q. Pendant combien de temps avez-vous combattu aux côtés de Fatmir Limaj ?
21 R. Je ne vous comprends pas très bien. Pendant combien de temps,
22 qu'entendez-vous par là ? Pendant la journée ou pendant cette période ?
23 Q. Excusez-moi, ma question n'était pas très bien formulée. Lorsque vous
24 dites que vous avez vu Fatmir Limaj à ces occasions, pendant combien de
25 temps l'avez-vous vu au cours de chacune de ces occasions ?
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1 R. Pendant l'un des ces combats, je me souviens l'avoir vu pendant la
2 journée deux ou trois heures, peut-être toute la journée, il a peut-être
3 passé toute la journée avec nous.
4 Q. Ne l'avez-vous jamais vu après la prestation de serment dans une
5 situation qui n'était pas une situation de combat ?
6 R. Non.
7 Q. Après cette prestation de serment, d'autres chefs ont-ils été
8 sélectionnés de la même manière que Voglushi et Isak Musliu ?
9 R. Pour autant que je m'en souvienne, non.
10 Q. N'avez-vous jamais entendu dire que Celiku occupait un poste différent
11 de celui de simple soldat ?
12 R. Oui. Vers septembre, octobre ou novembre, j'ai entendu dire qu'il était
13 commandant de cette zone.
14 Q. De quelle zone parlez-vous ?
15 R. De la zone de la 121e Brigade.
16 Q. Quelles unités composaient la 121e Brigade ?
17 R. Tous les petits groupes qui étaient déployés entre Kizhareke, Nekovce,
18 Bajice, Kroimire, Pjetershtice, Carraleve, Shale, jusqu'à Luzhnice. Tous
19 ces groupes ont fusionné pour devenir la
20 121e Brigade.
21 Q. Si vous vous en souvenez, qu'elle était l'appellation de ces unités qui
22 ont fusionné pour devenir la 121e Brigade ?
23 R. Je ne m'en souviens pas, car je n'étais pas membre de chacune des ces
24 unités. Comment pourrais-je vous en dire le nom ?
25 Q. Vous avez parlé de Celiku 3. Savez-vous si l'Unité Celiku 3 est devenue
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1 une composante de la 121e Brigade ?
2 R. Oui. Celiku 3, après les combats de la gorge de Lapusnik s'est
3 dissolue. Les soldats qui la composaient ont regagné les endroits qu'ils
4 connaissaient le mieux.
5 M. NICHOLLS : [interprétation] Dans cinq minutes, l'heure sera venue de
6 faire la pause. Peut-être pourrions-nous la faire dès maintenant.
7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Nous reprendrons nos
8 travaux vers six heures moins quart.
9 --- L'audience est suspendue à 17 heures 26.
10 --- L'audience est reprise à 17 heures 50.
11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Nicholls, vous avez la
12 parole.
13 M. NICHOLLS : [interprétation] Merci.
14 Q. Monsieur Karpuzi, je souhaiterais vous poser quelques questions
15 supplémentaires. Nous allons revenir à la prestation de serment qui, selon
16 vous, s'est déroulé fin juin ou début juillet 1998. Après cette prestation
17 de serment, avant le 26 juillet 1998, au cours de cette période, avez-vous
18 jamais entendu appeler Celiku commandant ?
19 R. Non.
20 Q. Vous avez déclaré que lors de la prestation de serment, on lui avait
21 demandé d'être chef et il a répondu qu'il n'était pas prêt à le faire. Est-
22 ce qu'à un moment quelconque, lors de cette cérémonie, il a changé d'avis
23 et dit que finalement, il serait prêt à être chef -- chef des soldats de
24 Lapusnik ?
25 R. Non.
Page 3110
1 Q. Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre, tout ce qu'il a dit c'est
2 qu'il était prêt -- la seule chose qu'il a déclaré, c'est qu'il ne
3 souhaitait pas être chef; c'est bien ce que vous dites ?
4 R. Comme je vous l'ai déjà expliqué, il a dit pourquoi il n'était pas prêt
5 à être chef.
6 Q. Pour être tout à fait clair, pendant toute cette période, sa position a
7 toujours été de dire qu'il ne voulait pas être chef, est-ce bien cela ?
8 R. Je ne suis pas resté tout le temps avec lui.
9 Q. Je veux parler de la prestation de serment.
10 R. Lors de la prestation de serment, nous avons prêté serment, cela n'a
11 duré qu'une ou deux minutes.
12 Q. Le jour de cette cérémonie, au cours de laquelle vous avez prêté
13 serment, est-ce qu'à un moment donné Celiku a déclaré qu'il était prêt à
14 être chef -- qu'il voulait être chef ?
15 M. KHAN : [interprétation] J'ai évité d'intervenir aussi longtemps que
16 possible. Peut-être ne suis-je pas très patient. Mais j'ai essayé de ne pas
17 intervenir. Mon confrère a posé un certain nombre de questions de nature à
18 guider le témoin. Il sait comment procéder à un interrogatoire principal,
19 le témoin a déclaré, bien entendu, ce qui s'était passé lors de la
20 prestation de serment. Je demanderais que la Chambre donne des instructions
21 à l'Accusation concernant ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Je
22 n'aime pas interrompre les débats, mais malheureusement, je suis obligé de
23 le faire.
24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Khan. La Chambre ne
25 donnera pas d'instruction de ce type. La réponse donnée au début était
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1 claire et je comprends que M. Nicholls souhaite s'assurer que le témoin a
2 bien compris la question et j'invite M. Nicholls à poursuivre.
3 M. KHAN : [interprétation] Merci.
4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je souhaite ajouter que cette question
5 est rendu d'autant plus compliquée par des problèmes de traduction et en
6 raison de difficultés manifestes de bien faire comprendre aux témoins qui
7 viennent ici des questions qui peuvent nous paraître claires, mais qui ne
8 le sont pas pour tous. Pour cette raison, je pense que je peux accorder une
9 plus grande marge de manœuvre que ce ne serait le cas pour un témoin
10 anglophone.
11 M. KHAN : [interprétation] Merci.
12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais, j'espère que nous ne perdons pas
13 de vue la vérité.
14 M. NICHOLLS : [interprétation]
15 Q. Monsieur le Témoin, vous souhaitez, sans doute, que je vous pose de
16 nouveau la question. Je vous parlais de la prestation de serment. Au cours
17 de cette journée pendant laquelle vous avez prêté serment, est-ce qu'à un
18 moment quelconque Celiku a déclaré qu'il était prêt à être chef, qu'il
19 voulait être chef ?
20 R. Non. Je l'ai déjà expliqué.
21 Q. Pour être tout à fait clair, entre la date de la prestation de serment
22 et le 26 juillet à un moment quelconque, Celiku a-t-il été d'accord pour
23 être chef ?
24 R. Je ne sais pas. Je ne m'en souviens pas.
25 Q. Est-ce que cela vous aiderait de regarder votre déclaration dans
Page 3112
1 laquelle vous faites mention de ce fait ? Est-ce que cela pourrait raviver
2 vos souvenirs ?
3 M. KHAN : Bien --
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous dis ce que je sais.
5 M. NICHOLLS : [interprétation]
6 Q. En réponse à la question que je viens de vous poser, vous m'avez dit
7 que vous ne vous souveniez pas. Peut-être que cela vous aiderait si je vous
8 présentais votre déclaration, peut-être que cela raviverait vos souvenirs ?
9 R. Si vous pensez que cela est nécessaire, vous pouvez me présenter une
10 copie de ma déclaration.
11 Q. Très bien.
12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je ne suis pas sûr d'avoir bien
13 compris ce que vous proposez, Monsieur Nicholls.
14 M. NICHOLLS : [interprétation] Je proposais de présenter au témoin une
15 copie de sa déclaration car le témoin dit que si je le jugeais nécessaire,
16 je pourrais la lui montrer.
17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Pourquoi pensez-vous qu'il serait
18 nécessaire qu'il voie sa déclaration à ce stade ?
19 M. NICHOLLS : [interprétation] Pour raviver ses souvenirs --
20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Comment cela pourrait-il raviver ses
21 souvenirs que de voir une déclaration faite cinq ans après les événements ?
22 M. NICHOLLS : [interprétation] Peut-être pourrait-on faire sortir le témoin
23 quelques instants.
24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Non, je ne pense pas. Je vous pose là
25 une question juridique.
Page 3113
1 M. NICHOLLS : [interprétation] Il a fourni une déclaration cinq ans après
2 les événements, c'est plus proche que maintenant.
3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'était peut-être trois ans après les
4 événements.
5 M. NICHOLLS : [interprétation] Cette déclaration a été faite cinq après les
6 événements en 2003.
7 M. LE JUGE PARKER : Cinq ans.
8 M. NICHOLLS : [interprétation] C'était plus proche des événements que
9 maintenant.
10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous voulez simplement lui raviver ces
11 souvenirs.
12 M. NICHOLLS : [interprétation] Si le témoin pense que cela peut aider à
13 mieux se souvenir, je pense que l'on peut lui montrer sa déclaration.
14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est ce que vous proposez ?
15 M. NICHOLLS : [interprétation] Oui.
16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre n'est pas de cet avis. On
17 ne peut pas rafraîchir la mémoire du témoin de cette manière.
18 M. NICHOLLS : [interprétation] Si le témoin estime que cela pourrait
19 l'aider à mieux se souvenir des événements s'il regardait sa déclaration,
20 déclaration qu'il a faite et signée, je pense que cela serait utile et pour
21 ces motifs, je pense qu'on devrait l'autoriser à examiner cette
22 déclaration.
23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce que vous pouvez citer des
24 textes de droit à l'appui de votre proposition ?
25 M. NICHOLLS : [interprétation] Je n'ai pas de tel texte sous la main, mais
Page 3114
1 je pense que cela pourrait aider le témoin qu'il y ait suffisamment
2 d'éléments à l'appui de cela --
3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je pense que, dans ce domaine, il
4 existe peut-être des différences entre les différents systèmes de droit.
5 Dans le système de "common-law," d'après ce que je sais, on peut rafraîchir
6 la mémoire d'un témoin sur la base d'une déclaration ou de notes prises
7 alors que les souvenirs sont frais.
8 M. NICHOLLS : [interprétation] D'après le système auquel je suis habitué il
9 n'est pas nécessaire de présenter des notes prises au même moment.
10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] D'après de ce que je connais de la
11 pratique du Tribunal, je ne connais pas cette procédure, mais vous pouvez
12 soumettre cela à l'attention de la Chambre.
13 M. NICHOLLS : [interprétation] Je n'ai pas la jurisprudence en tête
14 s'agissant de la procédure suivie lorsqu'il s'agit de rafraîchir la mémoire
15 du témoin, mais il a déjà été accepté de présenter un témoin ses
16 déclarations antérieures, même si celles-ci ont été faites plusieurs années
17 après les événements en cause.
18 M. KHAN : [interprétation] Je souhaiterais formuler un commentaire afin
19 d'aider au débat. Hormis les commentaires qui ont été faits par la Chambre,
20 d'après -- mon argument consiste à dire que si le témoin a eu la
21 possibilité de raviver ses souvenirs à partir de ces documents, c'est ce
22 qui a été fait lors de la séance de recollement en compagnie des
23 représentants du bureau du Procureur. Le témoin a déjà eu l'occasion de
24 raviver ses souvenirs. Ce que nous voulons entendre, ce que la Chambre
25 souhaite entendre, ce sont les déclarations du témoin concernant ce qui
Page 3115
1 s'est réellement passé et non pas, le fait que l'Accusation cherche à
2 interpréter une déclaration faite il y a deux jours, alors qu'on ne peut
3 pas voir les questions qui ont été posées.
4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Khan, vous pouvez, en effet,
5 aider la Chambre. Y a-t-il des pratiques au sein de ce Tribunal que vous
6 connaissez et qui étaieraient la position adoptée par M. Nicholls ?
7 M. KHAN : [interprétation] Je pense que l'Article 89 du Règlement pourrait
8 aider la Chambre à trancher cette question. Une déposition n'est pas un
9 test de mémoire. On pourrait autoriser un témoin à lire une déclaration,
10 même si celle-ci a été faite plusieurs années après les événements si on
11 pense que cela pourrait l'aider à relater les faites tels qu'ils se sont
12 véritablement passés.
13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, je ne mets pas en doute cela. Il
14 s'agit d'une pratique habituelle.
15 M. KHAN : [interprétation] En effet.
16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La question est de savoir ce qu'il en
17 est dans le cadre d'une déposition.
18 M. KHAN : [interprétation] Si vous me laissez le temps, je pourrais peut-
19 être examiner les décisions pertinentes rendues par d'autres Chambres de
20 première instance en la matière. D'après moi, il s'agit d'une simple
21 question de logique. Si une déposition n'est pas un test de mémoire, et
22 bien, il ne devrait pas être de pratique courante de présenter une
23 déclaration faite à un enquêteur, qui a été signée par un témoin à ce même
24 témoin afin d'obtenir certaines déclarations de sa part. Ce que vous
25 souhaitez entendre, bien entendu, c'est ce dont le témoin se souvient à
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1 propos des événements en cause.
2 Pour ce qui est de la jurisprudence, je l'interprète de façon assez
3 différente de mon confrère. L'Accusation ne peut pas présenter de façon
4 frivole des déclarations antérieures aux témoins, à moins qu'elle ne prouve
5 que ceci soit nécessaire. D'après moi, l'Accusation a déjà eu la
6 possibilité de le faire avant la déposition, en présentant au témoin des
7 déclarations antérieures lors de la séance de récolement. A ce stade, je
8 pense que ceci n'est pas nécessaire.
9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Khan.
10 Est-ce qu'un autre conseil de la Défense souhaite s'exprimer sur ce point ?
11 M. NICHOLLS : [interprétation] Est-ce que je pourrais répondre brièvement à
12 cela ?
13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Monsieur Nicholls.
14 M. TOPOLSKI : [interprétation] Peut-être que je peux vous aider, mais il me
15 faut un peu de temps pour voir les passages pertinents.
16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Comme vous le savez, la Chambre est
17 toujours prête à être informée de l'évolution de la pratique dans ce
18 Tribunal. Nous ne connaissons peut-être pas tout. C'est la raison pour
19 laquelle je vous autorise à présenter ces arguments. Je pense que M.
20 Nicholls souhaite s'exprimer à ce sujet.
21 M. NICHOLLS : [interprétation] Très brièvement. L'argument présenté par mon
22 confrère n'a rien à voir avec le fait de raviver les souvenirs du témoin.
23 Le fait de raviver les souvenirs du témoin n'a rien à voir avec le fait
24 d'examiner ce qui se trouve dans sa déclaration, et ceci, indépendant, des
25 souvenirs du témoin. Il peut examiner la déclaration de façon à pouvoir
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1 relater du mieux de ses souvenirs ce qui, selon lui, représente la vérité.
2 Le fait qu'il ait examiné sa déclaration préalable hier, ne doit pas
3 l'empêcher de pouvoir avoir la possibilité de la réexaminer si cela peut
4 l'aider à raviver ses souvenirs au sujet de ce qui s'est passé. Le but de
5 cela n'est pas de lui faire lire ce qui est contenu dans la déclaration,
6 mais simplement d'utiliser la déclaration comme un outil lui permettant de
7 se souvenir de certaines choses.
8 A une occasion précédente, je lui ai demandé quelque chose. Il ne s'en ait
9 pas souvenu tout de suite. Finalement, ses souvenirs sont revenus, et il a
10 déclaré exactement ce qui est relaté dans la déclaration. Peut-être que
11 cela pourrait clarifier certaines choses s'il avait la possibilité de
12 regarder sa déclaration. Je ne lui demande pas de lire ce qui figure dans
13 la déclaration, de dire si c'est vrai ou pas, je lui demande simplement de
14 l'examiner afin de l'aider à se souvenir de certaines choses. Le fait est
15 que le témoin a déclaré qu'il n'était pas sûr de se souvenir de certains
16 points particuliers. Le témoin peut dire lui-même si cela l'aidera ou pas,
17 de relire cette déclaration. La déposition ne fera que refléter ses
18 souvenirs.
19 Me Khan a dit qu'il ne s'agissait pas d'un test de mémoire, et il a tout à
20 fait raison. Mais le témoin a certaines difficultés à se souvenir de
21 certaines choses alors qu'il est à la barre. Peut-être qu'une déclaration,
22 un carnet, un enregistrement audio ou autre chose pourrait l'aider à se
23 souvenir, et pourrait faciliter sa déposition.
24 [La Chambre de première instance se concerte]
25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Monsieur Nicholls.
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1 M. NICHOLLS : [interprétation] Il y a quelque chose qui pourrait vous
2 aider. Il s'agit d'une décision rendue par la Chambre d'appel dans
3 l'affaire Hadzihasanovic en date du 2 avril 2004. Je n'ai pas lu
4 l'intégralité de la décision, mais je pense que cela étaye ma position. Il
5 s'agit d'une décision relative à la pratique à suivre s'agissant de
6 rafraîchir la mémoire à l'aide de leurs déclarations préalables. Je pourrai
7 me pencher plus en détail là-dessus.
8 M. KHAN : [interprétation] D'après mes souvenirs s'agissant de l'affaire
9 mentionnée par mon confrère, la Chambre de première instance Hadzihasanovic
10 a décidé que l'Accusation ne pouvait pas présenter de déclaration préalable
11 au témoin. La question qui a été tranchée par la Chambre d'appel, d'après
12 mes souvenirs, concernait un témoin au titre de l'Article 92 bis, la
13 Défense avait fait valoir que certains passages qui ne figuraient pas dans
14 la déclaration 92 bis, ne devaient pas être présentés au témoin pour
15 raviver ses souvenirs. C'est cette question qui a été tranchée par la
16 Chambre d'appel. Je ne pense pas qu'il n'était pas autorisé de présenter
17 une déclaration à un témoin pour rafraîchir sa mémoire. Je pense que ce qui
18 était au centre de cette décision, d'après mes souvenirs - mais je peux me
19 tromper - concernait un témoin 92 bis et la manière dont on devait traiter
20 un témoignage 92 bis s'agissant d'une déposition dans le prétoire. Mon
21 confrère pourra se pencher sur la question de plus près, car il dispose
22 d'une base de données qui est beaucoup plus fiable que nos souvenirs à
23 nous.
24 M. NICHOLLS : [interprétation] Très bien.
25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Avant que vous ne poursuivez, Monsieur
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1 Nicholls, et avant que les arguments fusent de part et d'autre sur ce
2 point, il s'agit d'une question qui dépasse largement la portée de la
3 déposition du témoin d'aujourd'hui, et qui peut se reposer dans ce procès.
4 Il convient d'examiner cette question plus attentivement. Comme je l'ai
5 déjà dit, je ne connais pas bien la pratique suivie dans vos systèmes de
6 droit d'origine. D'après ce que je sais, il n'y a rien dans ce règlement
7 qui s'applique dans le cas d'espèce. Ceci étant dit, je suggère que les
8 parties se penchent plus avant sur la question cette nuit, et présentent
9 des arguments plus détaillés à ce sujet demain. Je pense que cela nous
10 aidera non seulement pour ce qui concerne ce témoin, mais également pour
11 veiller à ce que tout se déroule conformément aux dispositions en vigueur,
12 et pour la suite du procès.
13 On vient de me remettre le passage pertinent de la décision mentionnée. A
14 première vue, je ne sais pas si cela peut nous aider à trancher la question
15 qui se pose, mais je pense que si l'on prend le temps de réfléchir
16 d'avantage sur cette question, je pense que cela nous aiderait. Est-ce que
17 nous pouvons poursuivre l'audition de ce témoin ou non ?
18 M. NICHOLLS : [interprétation] Je préférerai que l'on lève l'audience et
19 que l'on réfléchisse à cette question. Je pense que ceci pourrait nous
20 faire gagner du temps demain.
21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Si nous pouvons résoudre cette
22 question, cela nous fera gagner du temps, car je pense que nous devons nous
23 pencher sur la question et rendre une décision à ce sujet. La Chambre
24 serait reconnaissante aux parties d'étudier la question, et si possible, de
25 nous soumettre leurs arguments par écrit. Une décision à cet égard sera
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1 prise demain matin. Si d'autres arguments vous semblent utile à présenter,
2 vous pourrez le faire demain après-midi.
3 M. NICHOLLS : [interprétation] Merci.
4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je suis désolé de nous voir contraints
5 de suspendre l'audience, mais je pense que cette question est d'une
6 importance suffisante pour le justifier.
7 Je vous prie de m'excuser, Monsieur le Témoin, tout ceci vous parait peut-
8 être un petit peu confus, mais nous sommes contraints de suspendre
9 l'audience, parce qu'il y a une question de droit sur laquelle il convient
10 de statuer. Vous allez, de toute manière, revenir parmi nous demain pour
11 continuer à déposer à 14 heures 15. On va vous donner des informations
12 supplémentaires en dehors du prétoire sur le moment exact où vous devez
13 revenir au Tribunal. Merci.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
15 --- L'audience est levée à 18 heures 17 et reprendra le mardi
16 8 février 2005, à 14 heures 15.
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