Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 7 juin 2005

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 23.

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Harvey, vous avez la parole.

6 M. HARVEY : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame et

7 Monsieur les Juges.

8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est un plaisir inattendu.

9 M. HARVEY : [interprétation] Avec votre autorisation, je souhaiterais

10 d'éviter la présentation des moyens à charge de M. Bala. M. Bala lui-même

11 s'adressera ensuite aux Juges de la Chambre de première instance depuis son

12 fauteuil. Ensuite, nous allons appeler nos témoins à la barre.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous souhaiteriez obtenir

14 l'autorisation de la Chambre pour que votre accusé fasse une déclaration.

15 M. HARVEY : [interprétation] Oui.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] En vertu de l'Article 84 bis, je

17 suppose.

18 M. HARVEY : [interprétation] Absolument.

19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous avez notre autorisation.

20 [Déclaration liminaire de la Défense de M. Bala]

21 M. HARVEY : [interprétation] Monsieur le Président, Madame et Monsieur les

22 Juges, Messieurs les représentants de l'Accusation, chers collègues,

23 Monsieur Limaj, Monsieur Musliu, Monsieur Bala, c'est un honneur pour moi

24 que d'ouvrir la présentation des moyens à charge de M. Haradin Bala. Je

25 vais vous présenter une introduction des témoins que nous entendons à citer

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1 à comparaître. Je parlerai brièvement de certains principes de droit

2 international. Je souhaiterais commencer, si vous me l'autorisez, par dire

3 quelques mots au sujet du contexte qui nous rassemble ici aujourd'hui. Il

4 s'agit d'une jurisprudence pénale internationale en évolution, depuis 60

5 ans des efforts ont été faits pour créer des principes en matière d'Etat de

6 droit, principes qui doivent s'appliquer aux individus ainsi qu'aux

7 gouvernements et à leurs agents.

8 En 1948, la déclaration universelle des droits de l'homme a stipulé dans

9 son préambule que : "Lorsqu'il est essentiel, il faut lutter contre la

10 tyrannie et l'oppression afin que les droits de l'homme soient protégés par

11 l'Etat de droit…"

12 On vient de me rappeler que je dois ralentir mon débit. Je me brancherai

13 sur le canal français.

14 Cinquante ans plus tard 1998, après de longues et pénibles années de

15 tyrannie et d'oppression alors que le MUP et la JNA renforçaient ses

16 actions au criminel contre la population du Kosovo, Haradin Bala s'est

17 senti obligé, en tant que dernier recours, de prendre son fusil, de quitter

18 sa famille et son domicile de Korretice e Eperme, où lui et d'autres

19 pouvaient entendre de loin les combats qui faisaient rage à Lapusnik. Ils

20 savaient que si des personnes ordinaires comme eux-mêmes ne régissaient

21 pas, leurs familles perdraient leurs domiciles, leurs bétails et

22 certainement leur vie.

23 Pour en revenir aux objectifs affirmés de la déclaration universelle des

24 droits de l'homme, l'Article 11 stipule que : "Chaque personne accusée

25 d'avoir commis une infraction pénale doit avoir le droit d'être présumée

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1 innocente en vertu de la loi et d'être jugée dans le cadre d'un procès

2 public au cours duquel elle aura toutes les garanties nécessaires pour sa

3 défense."

4 Cet article a été interprété et complété par l'Article 14 du pacte

5 international sur les droits civils et politiques. Ce pacte a été proposé

6 pour ratification en 1966. Je souhaiterais exprimer quelques réflexions

7 personnelles à ce sujet. J'ai étudié à l'université en 1967, quelques mois

8 après que ce pacte ait été publié, 10 ans avant que 35 nations ne le

9 ratifient et qu'il ne s'applique. Mes collègues à l'époque parlaient avec

10 mépris de ce pacte international et pensaient : "Qu'aucun pays ne

11 l'appliquerait. Ils pensaient qu'il n'y aurait jamais d'organe

12 international qui pourrait réglementer cela, qu'aucun Etat ne permettrait à

13 une cour internationale d'avoir la compétence nécessaire sur ses citoyens."

14 Nonobstant le cynisme de mes collègues d'université, je croyais à l'époque,

15 et je le crois toujours aujourd'hui, que la déclaration universelle et le

16 pacte international font partie des déclarations universelles les plus

17 importantes qui aient jamais été rédigées. Pendant la plus grande partie

18 des 30 années depuis lesquelles je pratique, j'ai cité ces textes lors de

19 conférences, lors de comités internationaux aux Etats-Unis, devant des

20 étudiants et souvent devant des juges perplexes, notamment aux Etats-Unis.

21 Le droit d'être présumé innocent est un principe noble. Quel est son poids

22 devant ce Tribunal ?

23 Alors que je m'exprime aujourd'hui devant un Tribunal qui s'efforce

24 d'incarner ce principe de droit international, j'ai de grands espoirs. J'ai

25 également de grandes inquiétudes. La plupart d'entre nous qui pratiquent

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1 dans le système de "common law" considèrent que le jury est la plus grande

2 garantie pour que le principe selon lequel toute personne doit être

3 présumée innocente puisse être préservé. Nous pensons que les jurys

4 prennent avec sérieux leur travail lorsqu'il s'agit de la vie d'un homme.

5 Pour reprendre la Bible : "Ces personnes doivent également être jugées."

6 Nous pensons qu'il y a également d'autres garanties dans d'autres systèmes

7 dont nous pouvons tirer des leçons. Il n'y a pas de comparaison avec les

8 juges d'instruction. Nous n'avons pas de juges de carrière qui ont étudié

9 pour exercer leur fonction. Ici, nous combinons les expériences tirées de

10 diverses juridictions, la jurisprudence pénale internationale a ici la

11 possibilité de prendre ce qu'il y a de mieux dans chaque système. Ceci

12 représente un potentiel important, mais pose également des dangers. Si la

13 justice internationale doit prévaloir et donner lieu à un respect

14 universel, nous devons adopter les garanties les plus importantes contre

15 tout déni de justice éventuel. Nous devons éviter à tout prix d'être tenté

16 de choisir la voie la plus simple, les affaires dont vous êtes saisis sont

17 des affaires exceptionnelles.

18 Il ne s'agit pas de cambriolage, de vol à l'étalage. Dans de telles

19 affaires, il est assez facile d'être objectif, que ce soit devant des juges

20 ou devant un jury. L'expression "innocent jusqu'à ce que la culpabilité

21 soit prouvée" est facile à appliquer. Ces affaires sont importantes dans

22 leur propre contexte, mais on ne peut pas dire qu'elles touchent la vie

23 d'un pays tout entier, d'un peuple tout entier. Les crimes de guerre sont

24 quelque chose de bien différent. Nous n'avons pas de problème à reconnaître

25 que les policiers mentent; certes, les victimes se trompent dans

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1 l'identification des auteurs présumés; mais dans de telles affaires, c'est

2 l'individu et non pas le système lui-même qui est jugé. Les conséquences

3 d'une condamnation ou d'un acquittement ne représentent qu'un intérêt

4 limité pour le public.

5 Ici, nous reconnaissons tous que ce qui a conduit Haradin Bala à se

6 retrouver devant se Tribunal n'est pas le parcours d'un criminel de droit

7 commun, si je puis m'exprimer ainsi. Personne ne peut nier que Haradin Bala

8 a pris son fusil pour défendre une juste cause. Quelle personne raisonnable

9 pourrait affirmer que le peuple du Kosovo n'avait aucun droit de se

10 défendre contre ce que l'on appelle par un euphémisme le nettoyage

11 ethnique ? Il s'agissait de défendre une cause telle que celle prévue dans

12 le préambule à la déclaration universelle, ces personnes ont été obligées,

13 en dernier recours, de se rebeller contre la tyrannie et l'oppression car

14 leurs droits fondamentaux n'étaient pas protéger par l'Etat de droit. Sept

15 ans plus tard, Haradin Bala est contraint d'être jugé devant un Tribunal

16 international. Peut-il s'attendre à bénéficier de cette même présomption

17 d'innocence que celle que nous accordons volontiers à une femme accusée

18 d'avoir tenté d'assassiner un mari qui la maltraitait ?

19 Nous ne pouvons pas prétendre que ce que nous faisons ici est banal.

20 Les crimes de guerre sont quelque chose d'exceptionnel. Vous connaissez

21 peut-être l'expression anglaise qui dit que l'exception confirme la règle.

22 Quand j'étais enfant, je pensais que c'était une expression assez étrange

23 jusqu'au moment où je me suis rendu compte qu'il s'agissait de mettre à

24 l'épreuve, de tester. Des cas exceptionnels tels que celui-ci testent,

25 mettent à l'épreuve les valeurs que nous considérons si précieuses, à moins

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1 que nous ne mettions à l'épreuve ces valeurs, elles pourraient être des

2 clichés. Ces valeurs fondamentales qui garantissent le respect de la

3 justice sont le fait d'être présumé innocent jusqu'à ce que la culpabilité

4 soit prouvée, et ce, au-delà de tout doute raisonnable. Nous vous

5 demanderons d'examiner les éléments de preuve présentés au nom de Haradin

6 Bala à cette lumière. Haradin Bala devant ce Tribunal est un homme

7 innocent, il ne s'agit pas d'une expression rhétorique, il s'agit du droit

8 à bénéficier d'une procédure régulière. Jusqu'à présent, rien en ce qui le

9 concerne n'a été prouvé, l'affaire reste ouverte.

10 Après avoir entendu les témoins qui seront cités à comparaître en son

11 nom, nous pensons que vous conviendrez clairement que le doute raisonnable

12 est présent.

13 Comme je l'ai mentionné au début de ma déclaration, M. Bala lui-même va

14 utiliser son droit à faire une déclaration. Nous savons que vous

15 l'écouterez attentivement, que vous écouterez tout ce qu'il a à dire et

16 nous sommes confiants que cela vous aidera à mieux comprendre l'homme qui

17 apparaît devant vous. Ensuite, nous appellerons à la barre un certain

18 nombre de personnes, la plupart de ces personnes sont originaires des

19 villages situés dans la partie haute de Drenica, il s'agit de villageois

20 qui étaient, soit partisans de l'UCK, soit en ont rejoint les rangs;

21 cependant, contrairement à l'Accusation, nous ne sommes pas d'avis que tous

22 les partisans de l'UCK sont des menteurs, nous ne pouvons pas dire que tout

23 le monde ment. Il s'agit de témoins dont vous avez parfois entendu parlé.

24 Elmi Sopi, vous vous en souviendrez a été appelé à barre au nom de Fatmir

25 Limaj et de Haradin Bala. Il vous a déjà raconté que M. Bala était arrivé à

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1 Lapusnik peu de temps après le 9 mai, et qu'il en était parti fin mai. Elmi

2 Sopi originaire de Lapusnik n'a jamais revu Haradin Bala à cet endroit

3 après cela.

4 Nous appellerons à la barre aujourd'hui Shefki Bala, un voisin, mais

5 en dépit de son nom de famille, ce n'est pas un parent de l'accusé, il est

6 également un ami d'enfance de Haradin Bala. Il décrira plus en détail les

7 antécédents médicaux de Haradin Bala. Même s'il n'est pas médecin, il a

8 conduit M. Haradin Bala à l'hôpital de Pristina en 1993 lors de sa deuxième

9 attaque cardiaque. Nous appellerons à la barre le médecin Fitim Selimi, il

10 est chirurgien. A l'époque, il exerçait la médecine, il était également un

11 fervent partisan des droits de l'homme. En tant que médecin, il a rejoint

12 les rangs de l'UCK. Il s'est occupé de l'apprivoisement en matériel médical

13 et il a aidé les civils et les soldats dans la région de Drenica, plus

14 précisément dans la partie haute de Drenica. Il était responsable d'un

15 dispensaire de fortune à Shale en juin et juillet 1998. Haradin Bala est

16 venu le trouver là à de nombreuses occasions afin d'être soigné pour ses

17 problèmes cardiaques.

18 Nous appellerons ensuite à la barre Skender Bylykbashi qui est

19 originaire de Bajice, le village natal de l'épouse de Haradin Bala et de sa

20 famille. Il vous racontera comment Haradin a été contraint de mettre sa

21 famille à l'abri à Bajice au mois de mai 1998. Il vous dira également ce

22 qu'il sait au sujet des activités de Haradin en juin et juillet et

23 l'évolution de son état de santé.

24 M. Kadri Dugoli est un autre ami d'enfance de M. Bala. Il se souvient

25 également avoir rendu visite à Haradin Bala à l'hôpital au moment de ses

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1 attaques cardiaques, il a également offert un abri pendant une courte

2 période à la famille de Haradin pendant la guerre.

3 Avdullah Puka qui ne connaissait pas Haradin avant l'été 1998, l'a

4 rencontré lorsque Kumanova l'a amené dans sa maison à Javor près de

5 Luzhnice.

6 Puis Ali Thaqi, qui est originaire de Lapusnik et qui connaît Haradin

7 depuis toujours, il se souvient, lui aussi, de la deuxième crise cardiaque

8 qu'a eue Haradin en 1993. Il se souvient avoir vu Haradin à Lapusnik peu de

9 temps après le 9 mai.

10 Enfin, nous avons l'intention de citer à comparaître Ferat Sopi, qui,

11 comme vous vous en souviendrez, a été mentionné comme le directeur du

12 dispensaire de Lapusnik. Il vous racontera quand il a ouvert ce dispensaire

13 et avec qui il travaillait.

14 Il y a aura également d'autres moyens de preuve qui vont avoir une

15 incidence sur M. Bala, mais il s'agit en fait des témoins viva voce que

16 nous nous proposons de faire comparaître. Nous avons déjà présenté une

17 notification d'alibi avant le début de cette affaire et, bien sûr, qu'une

18 fois que cela sera présenté comme moyen de preuve, ce qui va être le cas de

19 la part de certains de nos témoins, il appartient à l'Accusation de nier,

20 au-delà de toute doute raisonnable, la validité de cet alibi. Bien entendu,

21 la charge de la preuve ne revient pas à l'accusé. Il s'agit d'une affaire

22 d'alibi en ce sens qu'il y a des éléments de preuve qui ont tendance à

23 prouver que du fait de la présence du défenseur dans une zone déterminée à

24 un moment donné, il était très invraisemblable qu'il se trouva aux endroits

25 qui ont été avancés par l'Accusation au moment où les faits ont été commis.

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1 Il ne s'agit pas d'un homme qui était dans un hôpital, dans une prison,

2 dans une caserne ou dans tout autre endroit gouvernemental où des dossiers

3 sont conservés. Nous ne ferons comparaître personne qui vous dira le 25 ou

4 le 26 juillet, il est absolument indubitable que voilà l'endroit où se

5 trouvait Haradin Bala, et voilà les documents à l'appui. Mais il y a deux

6 facteurs qui sont extrêmement importants et qui suggèrent, en fait, que cet

7 alibi est un alibi dont l'on peut dépendre, et l'autre est un alibi que

8 l'Accusation ne pourra pas nier. Dans un premier temps, nous avons la santé

9 de Bala, ainsi que l'endroit où il se trouvait.

10 Nous ne pouvons pas avancer qu'il aurait été physiquement impossible

11 que Haradin Bala effectue ce dont il est accusé d'avoir commis. Ce n'est

12 pas impossible, mais au vu de sa santé et compte tenu de cette santé, il

13 est extrêmement improbable qu'il aurait pu se trouver dans une situation

14 telle qui lui aurait permis de commettre ces actions. Deuxièmement,

15 l'endroit où il se trouvait. Après le début des combats à Lapusnik, les

16 moyens de preuve vont prouver que l'UCK lui avait octroyé une autre tâche,

17 du fait de sa santé et du fait de son infirmité ou de son handicap

18 physique. Un rôle logistique lui fut confié dans le village de Luzhnice. Il

19 devait d'ailleurs consulter régulièrement un médecin à la clinique de

20 Shale. Nous ne devons surtout pas oublier le contexte qui prévalait et la

21 situation de guerre qui prévalait. Les déplacements étaient

22 particulièrement périlleux et difficiles. Le docteur qui le soignait vous

23 dira pourquoi il n'y a pas de dossier médical qu'il pourra présenter, une

24 fois de plus, du fait des conditions de guerre et du sort réservé à sa

25 clinique lorsque finalement les Serbes sont arrivés et ont commis les

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1 atrocités qu'ils ont été en mesure de commettre à la fin du mois de

2 juillet.

3 Il y a également un facteur supplémentaire à cet alibi, parce que

4 lorsqu'une personne invoque un alibi, cette personne dit : "Je n'étais pas

5 présent," "ce n'était pas moi." "S'il y a des témoins qui disent que je

6 l'ai fait, il ne s'agissait pas de moi." Les autres éléments afférents à

7 l'alibi sont les éléments d'identification, à savoir la fiabilité des

8 témoins qui vous ont dit qu'il s'agissait de Haradin Bala qui avait fait

9 telle ou telle chose à ce témoin ou à quelqu'un d'autre. Nous entendrons

10 des témoignages indiquant que l'on ne peut absolument pas dépendre de ces

11 identifications. Il s'agit d'experts en qui le tribunal peut entièrement

12 faire confiance et qui indiqueront que ces indentifications ne sont pas des

13 identifications dont l'on peut véritablement dépendre.

14 En guise de conclusion, permettez-moi de faire quelques remarques à

15 propos de la charge de la preuve et à propos du corollaire à la charge de

16 la preuve. Il s'agit de la preuve qui est avancée au-delà de tout doute

17 raisonnable. Monsieur le Président, la semaine dernière, vous aviez fait

18 référence au fait que vous-même et vos collègues n'avaient pas de jury.

19 Vous avez, en fait, mis en exergue un avantage important que les Juges ont,

20 car il faut qu'ils trient le bon grain de l'ivraie. C'est un avantage, car

21 cela vous permet, par exemple, de reconnaître que des documents que la

22 Défense souhaiterait normalement exclure s'il y avait présence d'un jury,

23 sont des documents qui parfois - pas toujours, je dois le souligner - mais

24 qui parfois pourront être admis ici sans aucun problème. Ils pourront être

25 examinés, puis ensuite, ils pourrant être relégués à la grande pile de

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1 documents qui ne sont pas pertinents lorsque vous commencez véritablement à

2 analyser la valeur des preuves de cette affaire. Mais il y a des moments où

3 nous sommes tous avocats et juges, et nous devons prendre un certain recul

4 par rapport à notre confiance professionnelle, car il y a des moments où le

5 danger est que nous nous trouvons trop confortablement installés dans ce

6 monde confortable des avocats, qui est tout à fait étranger au monde des

7 jurys. Je pense que nous devons particulièrement penser à l'intérêt public

8 général que nous devons, après tout, desservir ici.

9 Alors, il se peut qu'il soit vrai que le peuple du Kosovo ait besoin

10 d'une commission de la vérité et de la réconciliation à l'instar de

11 l'Afrique du Sud. Mais il est vrai également que cette affaire n'est pas ce

12 genre de commission, car la vérité que nous recherchons ici est ce que le

13 grand érudit juridique et le juge Albi Sachs du tribunal sud-africain a

14 appelé une vérité microscopique. Il a dit : "Dans un tribunal, nous

15 utilisons des principes légalistes techniques qui sont tout à fait

16 appropriés. Mais vous ne pouvez pas condamner quelqu'un sans avoir les

17 témoignages en bonne et due forme, sans avoir un contre-interrogatoire, et

18 sans procéder à cet examen microscopique pointu. Si nous utilisons ce

19 microscope médico-légal de façon objective, c'est un exercice qui est tout

20 à fait raisonnable lorsqu'il s'agit de chef d'inculpation tel que vol dans

21 un magasin ou même homicide volontaire dans le contexte social quotidien.

22 Le concept du doute raisonnable est un concept qui, de nos jours, est

23 facilement compris par les membres du jury ou les juges. Mais il faut

24 savoir que plus le crime est grave, plus les répercussions pour la société

25 sont sérieuses. Plus les répercussions sont sérieuses, plus nous devons

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1 véritablement faire en sorte d'obtenir réparation pour ce crime."

2 Le terme "crimes de guerre" est un terme à forte connotation émotive. Nous

3 sommes ici à La Haye aujourd'hui, nous sommes à des centaines de kilomètres

4 de la réalité quotidienne du Kosovo. Ceux d'entre nous qui avons été au

5 Kosovo et avons vu de nos yeux cet endroit sommes conscients du fait qu'il

6 s'agit d'un endroit tout à fait différent placé dans un autre monde. Sept

7 ans se sont écoulés depuis le chaos, l'horreur, et l'anarchie qui ont

8 engouffré cette région en 1998. Ce Tribunal est desservi par une force

9 motrice d'enquêteurs, d'analystes, de procureurs, qui déploient des efforts

10 pour essayer de découvrir des personnes qui ont disparu, et qui essaient

11 également de régler et de trouver des solutions à des meurtres passés.

12 Vous, Messieurs les Juges, Madame la Juge, avez comme mission de rendre

13 justice, de faire en sorte que justice soit faite pour la communauté

14 internationale et pour le peuple du Kosovo. Afin de ce faire, nous savons

15 et nous sommes conscients du fait que vous avez dû faire des sacrifices

16 personnels vous-mêmes. Nous sommes ici, membres de la Défense, pour rendre

17 un service pour la cause des droits de l'homme internationaux. Tout comme

18 vous, nous voulons que les meilleurs critères soient sauvegardés et nous ne

19 voulons pas que cela soit dilué face à des chefs d'inculpation pénaux

20 extrêmement importants. Je vous demande d'être indulgent à mon égard

21 lorsque je mets en exergue les mots "au-delà de tout doute raisonnable."

22 Lorsque vous aurez entendu tous les éléments à décharge pour Haradin

23 Bala, nous indiquons qu'il y a trois éléments qui vous feront réfléchir :

24 dans un premier temps, le moyen de preuve relatif à l'alibi au sens général

25 du terme et dans le contexte des conditions de guerre qui prévalaient au

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1 Kosovo à cette époque-là, à savoir, il n'était pas présent; puis, il y a

2 également les moyens de preuve relatifs à sa santé. Si l'on met cela en

3 parallèle à l'épuisement physique qui aurait dû aller de pair avec les

4 actes qui lui sont reprochés, il n'aurait pas pu véritablement faire cela;

5 en dernier lieu, il y a ce qu'on appelle les preuves relatives à

6 l'identification. Nous vous démontrerons qu'aucun témoin n'a pu identifier

7 Haradin Bala dont pourrait véritablement dépendre de façon raisonnable tout

8 tribunal. Ce n'était pas lui en fait.

9 Au nom des membres de notre équipe, je vous remercie de votre patience et

10 je vous remercie de l'attention avec laquelle vous m'avez écouté.

11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie, Maître Harvey.

12 Monsieur Bala, votre conseil nous a indiqué que vous souhaitez faire une

13 déclaration. Je suppose que l'on vous a indiqué qu'il vous appartient de le

14 faire et que si vous faites cette déclaration, vous savez que vous ne ferez

15 pas l'objet d'un contre-interrogatoire de la part de l'Accusation à propos

16 de cette déclaration. Mais nous comprenons que vous souhaitez faire cette

17 déclaration maintenant.

18 L'ACCUSÉ BALA : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, c'est

19 effectivement mon souhait.

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je pense que vous devez vous

21 rapprocher du microphone, je pense qu'il serait peut-être plus judicieux

22 pour vous de vous rasseoir, de vous rapprocher du microphone et de nous

23 faire votre déclaration ainsi.

24 Peut-être que le microphone qui se trouve entre vous-même et M.

25 Limaj pourrait être branché.

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1 Vous comprenez, Monsieur Bala, que vous devez essayer de ne pas parler trop

2 vite pour que les interprètes puissent faire leur travail.

3 L'ACCUSÉ BALA : [interprétation] Je vais m'y efforcer, Monsieur le

4 Président.

5 Bonjour, Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges. C'est la

6 première fois de ma vie que je m'adresse à un Tribunal, et c'est la

7 première fois de ma vie que je parle dans un microphone. Par conséquent, je

8 vous demanderais d'emblée de faire preuve d'indulgence à mon égard pour

9 toute erreur que je pourrais commettre, parce que comme vous le savez, j'ai

10 terminé l'école primaire, et c'est pour cela que j'aimerais m'excuser pour

11 toute erreur que je pourrais commettre.

12 Cela fait six mois et plusieurs jours que nous sommes assis ici dans ce

13 prétoire, et nous nous connaissons tous ici maintenant; nous connaissons

14 vos noms de famille, vos prénoms, et il en va de même pour vous. Toutefois,

15 j'aimerais quand même, aux fins du compte rendu d'audience, vous décliner

16 mon nom, que vous connaissez. Je m'appelle Haradin Bala. Je suis natif du

17 village de Korretice et Eperme, qui se trouve dans la municipalité de

18 Drenac. J'ai dix enfants. Il faut savoir que sept de mes enfants sont en

19 vie et trois sont décédés. Pour ce qui est de mes sept enfants qui sont

20 encore en vie, j'ai cinq filles et deux fils. L'une de mes filles a

21 maintenant 25 ans. A sa naissance, elle était en bonne santé, mais

22 malheureusement, à l'âge de sept mois, elle est tombée malade et elle est

23 paralysée jusqu'à jour d'aujourd'hui, ne peut pas se déplacer, et n'a pas

24 la maîtrise de son organisme. Comme je vous l'ai dit, j'ai deux fils; mon

25 fils aîné a 18 ans, et le deuxième a 11 ans.

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1 Je suis originaire d'un pays qui a toujours été pauvre, un pays qui a

2 toujours été occupé par une présence étrangère. Monsieur le Président,

3 Madame, Monsieur les Juges, vous avez déjà appris l'histoire de cette

4 nation, vous connaissez la souffrance de notre peuple, vous savez quelle

5 fut l'oppression avec laquelle nous avons vécu pendant de nombreuses

6 années. Comme je vous l'ai dit, je suis originaire d'un tout petit pays qui

7 s'appelle le Kosovo, un pays à la terre très fertile, un pays qui possède

8 également des mines d'or, en dépit du fait qu'il s'agit d'un petit pays.

9 Les étrangers ont toujours été jaloux de mon pays de ce fait, du fait des

10 biens que mon pays possédait. C'est pour cela que mon pays a souffert.

11 Pendant de nombreuses années et même de nos jours, il y avait un

12 slogan qui était usité et qui était comme suit : "Trepca travaille et

13 Belgrade construit." Si cela était le seul problème que nous avons, nous

14 aurions pu surpasser le problème de la pauvreté; cela n'aurait pas été un

15 problème si grave. Mais la violence, l'oppression, les sévices subis dans

16 les rues, dans nos foyers, quel que soit l'endroit où nous nous trouvions,

17 les incarcérations, les emprisonnements en masse, voilà ce qu'ils nous ont

18 fait.

19 C'est un pays qui reconnaissait les droits de l'homme, les droits

20 internationaux. C'est un pays qui avait des lois. Je ne poursuivrai pas

21 parce que je ne sais pas exactement ce que mon pays reconnaissait. Mais je

22 souhaiterais dire que la souffrance de mon peuple dans ce petit pays est

23 une réalité. J'ai entendu parler de cette souffrance de la part de

24 personnes âgées. Mon père en parlait, les membres de ma famille en

25 parlaient, les hommes âgés en parlaient. Ils parlaient de leurs

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1 souffrances. J'ai également souffert de ce dont ils ont souffert par le

2 passé. Je ne suis pas un historien, mais ce n'est pas la peine d'être

3 instruit pour savoir les choses dont j'ai parlé. Ce sont des éléments, des

4 facteurs que tout le monde sait. Toutes les personnes qui n'ont pas suivi

5 des cours jusqu'à la fin de leur scolarité savent cela, parce que ces

6 personnes ont souffert du fait de ces choses. Ces personnes les ont

7 ressenties.

8 Je dirais également que pour ce qui est des propos de mon grand-père,

9 de mon père, et je parlerais de ce que j'ai moi-même vu, si je devais vous

10 relater, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, tout ce que

11 j'ai entendu, j'aurais besoin de beaucoup de temps. J'aurais besoin

12 d'autant de temps que l'affaire Milosevic en prend, parce qu'il y a moult

13 choses à dire. Ce n'est pas la peine d'être instruit, d'être allé à

14 l'école. Ce n'est pas la peine d'avoir terminé ses cours universitaires

15 pour savoir ce qu'un pays tel que le mien a souffert. Toutefois, je vais

16 essayer d'être aussi bref que possible pour me polariser davantage sur ma

17 famille. Mais lorsque je parle de ma famille, lorsque je parle du destin de

18 ma famille, il faut que vous sachiez, Madame, Messieurs les Juges, que la

19 majorité de mon peuple a connu les mêmes souffrances et a souffert de la

20 même destinée. Les différences entre elles, ces destinées, sont

21 secondaires.

22 Après la fin de la Deuxième guerre mondiale, mon grand-père, Haradin

23 Bala - il portait le même nom que moi - mon grand-père disait qu'il a dû

24 quitter son foyer, il a dû laisser ses biens, et a dû se rendre en Albanie,

25 tout simplement parce qu'il fuyait la brutalité serbe. Il a vécu en Albanie

Page 6908

1 pendant 14 années. Lorsqu'il est parti pour l'Albanie, il a fait exactement

2 ce que nous avons fait lorsque nous sommes partis vers les montagnes, il

3 n'a pris avec lui que ses effets personnels; il a laissé ses biens et sa

4 propriété. Il a laissé 20 hectares de terre fertile, qui d'ailleurs, même

5 de nos jours, appartiennent aux occupants serbes. Même si nous avons

6 demandé à ce que notre propriété nous suit restituée, nous n'avons toujours

7 pas obtenu gain de cause. C'est une richesse, cette terre, qui aurait pu

8 nourrir nos familles pendant des générations. Je dois dire que jusqu'à

9 aujourd'hui, nous ne l'avons pas.

10 De nos jours à Korrotice, où j'habite, j'ai cinq frères et quatre

11 sœurs, et nous partageons tous 18 hectares de terre où notre foyer a été

12 construit. Vous pouvez imaginer vous-même quel style de vie nous avons au

13 vu de ces circonstances, puisque nous vivons sur 18 hectares de terre.

14 Après 14 années, lorsque mon grand-père est revenu d'Albanie, il a

15 été accusé. Il a été accusé à une époque que l'on connaissait sous le nom

16 de l'époque de Rankovic. Nous avons dû nous enfuir. On l'a accusé

17 d'organiser et de mobiliser la population afin qu'elle exige de pouvoir

18 utiliser le drapeau albanais. Ils l'ont accusé de ce fait parce qu'ils lui

19 ont dit, Vous avez vécu en Albanie, et maintenant c'est ce que vous voulez

20 faire ici. C'était, bien entendu, une accusation qui était montée de toutes

21 pièces, et il a été condamné à deux ans d'emprisonnement et à trois ans

22 d'assignation à domicile. Je me souviens particulièrement bien de l'époque

23 où il avait été assigné à domicile, parce que j'étais moi-même un enfant,

24 et nous pouvions voir qu'il restait chez lui nuit et jour, et qu'il ne

25 quittait jamais son foyer.

Page 6909

1 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, je vous ai dit

2 et vous le savez d'ailleurs également que le service militaire dans l'ex-

3 Yougoslave était obligatoire pour les jeunes Albanais. Nombreux furent les

4 Albanais qui firent leur service militaire dans l'armée de l'Etat qui sont

5 revenus morts. En fait, ils sont rentrés dans leurs familles dans des

6 cercueils clos. Les familles n'avaient pas le droit de voir s'il y avait

7 leur corps à l'intérieur des cercueils. C'est le même sort qui fut réservé

8 à mon jeune frère Abedin Bala. Ce jour-là lorsqu'il a endossé ses vêtements

9 civils et lorsqu'il a commencé à accueillir ses amis en leur disant de

10 rentrer chez eux, lorsque toute sa famille l'attendait, le jour même il a

11 été arrêté. Ils l'ont arrêté, il était arrêté par un Etat qui avait des

12 lois. Il a été privé de son droit fondamental de vivre par cet Etat qui ne

13 lui a pas permis à lui-même et à d'autres d'être instruits et élevés dans

14 leur langue maternelle.

15 Des forces de cet Etat l'ont arrêté dans la rue chaque fois qu'on le

16 voyait pour la seule raison qu'il ne parlait pas serbe, qu'il était

17 Albanais. Les policiers de cet Etat l'ont passé à tabac, l'ont battu, l'ont

18 torturé. Je ne sais pas s'il existe un autre peuple au monde qui sache

19 comment maltraiter et torturer l'autre comme le savent ceux du peuple

20 Serbe; pour eux ce sont des tortures bien connues. Ils l'ont arrêté, ils

21 l'ont empoisonné, ils empoisonnaient les gens dans les écoles. C'est le

22 même Etat, les mêmes policiers, le même régime qui l'a emprisonné. Dans

23 cette prison de triste réputation, ils l'ont tué.

24 Lorsque nous sommes allés chercher son corps, le seul motif qui nous a été

25 donné c'est l'explication de sa mort, il ne s'agissait pas seulement de sa

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1 mort mais de nombreux autres albanais, c'était qu'il avait commis un crime,

2 un meurtre. Ce qui est arrivé à mon frère Hamdi -- cela on l'a dit à mon

3 frère Hamdi lorsqu'il est allé chercher son cadavre. On lui a dit qu'Abedin

4 avait été emprisonné et mis au secret. Dans la matinée du 12 janvier 1985,

5 on l'a vu prendre son petit déjeuner dans sa cellule, et il l'a vu qui

6 était étendu sur le châlit couvert d'un drap. Il a pensé qu'il dormait, il

7 a bougé ce drap et le cuisinier dit qu'à ce moment-là, il a vu qu'Abedin

8 s'était pendu avec un morceau de ce drap. Comment est-il possible que

9 quelqu'un se suicide, se pende avec un morceau de drap et puisse, à ce

10 moment-là, retomber sur ce châlit et se recouvrir de ce drap ? Je pense que

11 ceci se passe de commentaires.

12 La douleur et le chagrin de notre famille ont été très grands. Mon

13 père qui chantait des chansons populaires et qui avait l'habitude de

14 chanter, après cela a complètement arrêté de chanter. Il n'était plus

15 capable de chanter. Pas alors, mais tout le temps, nous comprenions

16 clairement ce qui se passait. Toutes les familles ont connu une tragédie

17 analogue à ma famille. Je ne dirais pas toutes, mais le plus grand nombre

18 de familles ont subies le même sort. Souvent, nous n'osions même pas nous

19 parler entre nous ou raconter ce qui nous était arrivé, nous ne savions pas

20 quoi faire. Comment sortir de cette situation, mais à l'époque nous

21 n'étions pas aussi unis que nous l'avons été en 1998 lorsque nous nous

22 sommes rassemblés.

23 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, en vous disant

24 ceci, il se peut que quelqu'un pense que je veux dire que tous les Serbes

25 sont responsables du mauvais comportement de leur gouvernement. Je n'ai pas

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1 blâmé et je ne blâme pas les gens ordinaires, ceux qui n'avaient pas de

2 position importante, quelle que soit leur religion ou le groupe ethnique

3 auquel ils appartenaient, ceux qui ont essayé de coopérer avec leurs

4 voisins malgré la religion de leurs dirigeants. Monsieur le Président,

5 Madame et Messieurs les Juges, dans cette salle d'audience même tous les

6 jours assis dans le fauteuil que j'utilise maintenant, toujours le même, le

7 même siège que celui où un monstre et non pas un être humain s'assied, un

8 homme dont on fait le procès pour avoir essayé d'exterminer mon peuple et

9 le faire disparaître de la face de la terre et de la mémoire des hommes pas

10 des massacres des effusions de sang; la destruction par le feu de leurs

11 demeures; en forçant des centaines et des milliers de personnes à s'enfuir

12 de ce petit pays. Il a réussi à les forcer, à forcer certains d'entre eux à

13 s'enfuir et les autres se sont enfuis dans les montagnes.

14 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, peut-être que pour

15 vous cela paraît étrange mais la torture que j'éprouve tous les jours

16 lorsque je pense que je suis en train d'être assis au même endroit où

17 s'assied un barbare dont on fait le procès pour des crimes qui étaient

18 inouïs dans l'histoire du monde. Alors que l'Accusation essaye de me

19 traiter de la même manière qu'on le traite.

20 Je tiens à vous dire encore une chose, c'est que lorsque je vous

21 parlais de ma fille paralysée, je voulais vous dire qu'il est dur d'être un

22 père dans de telles circonstances. Il est très dur en effet parce que

23 pendant 25 ans, elle n'a jamais pu toucher le sol de ses pieds. Aujourd'hui

24 elle gît sur un lit et chaque fois qu'on la change, chaque fois qu'on lui

25 enlève ses vêtements, ceci lui arrache des lambeaux de chair, pourtant

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1 j'arrive à supporter. Quand je dis cela, je ne veux pas manquer de respect

2 à l'égard de votre Chambre, du Tribunal, parce que j'ai le respect le plus

3 grand personnellement pour ce Tribunal et tout le monde le respecte et en

4 attend beaucoup.

5 En disant cela, je voudrais vous dire, Monsieur le Président, Madame,

6 Monsieur les Juges, je voudrais vous demander comment se fait-il que je

7 sois assis dans la même salle d'audience, sur le même siège que celui où

8 vient s'asseoir Milosevic, même si cela n'est pas aux mêmes heures, alors

9 qu'on sait que cette personne, on sait à l'échelon international que cette

10 personne est un barbare, et dans mon procès, j'avais été considéré comme un

11 libérateur par mon peuple, lorsque je vois ceci comparé aux charges qui lui

12 sont reprochées, ceci me cause de grandes douleurs, de grandes souffrances

13 plus que toutes autres choses.

14 Comme je l'ai dit, je vis à Korretice e Eperme; c'est une vallée sur

15 laquelle, le 9 mai, j'ai vu les flammes qui s'élevaient de Lapusnik. J'ai

16 entendu les coups de feu. La distance n'est pas telle. Il semblait que cela

17 venait presque de mon jardin. Pendant ces combats, de braves jeunes gens

18 ont participé à la lutte, des jeunes gens qui, comme nous le disons chez

19 nous, ne s'étaient même pas encore rasés pour la première fois. Ils étaient

20 là, faisant face à l'ennemi; et ils ont gagné cette bataille. J'ai décidé

21 de me joindre à ces jeunes.

22 Lorsque j'ai pris ma décision, j'ai mis au courant l'un de mes frères de ma

23 décision et je lui ai dit que j'allais les rejoindre. Il m'a dit : Non, ne

24 le fais pas. Donne-moi ton arme et c'est moi qui irai à ta place. Tu

25 connais ta situation. Tu ne peux même pas porter cinq kilos de peinture

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1 pour peindre des murs de façon à aider ta propre famille; alors que

2 pourrais-tu faire là-bas avec eux ? Ce qu'il disait était vrai. Malgré

3 cela, c'était mon vœu, j'avais ce vœu au moins de mourir avec ces jeunes

4 gens pour avoir essayé au moins d'assurer la sécurité, le salut de mes

5 frères, de ma famille à domicile parce que j'étais le plus âgé d'entre eux

6 et j'espérais qu'ils pourraient vivre et connaître la liberté et en jouir,

7 c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de me joindre à ces jeunes.

8 C'était un matin, vers 4 heures du matin lorsque je suis arrivé à Lapusnik.

9 J'ai rencontré ces jeunes gens dont j'ai parlé, mais comme on dit chez

10 nous, on aurait dit des enfants. A l'époque, je paraissais plus vieux que

11 mon âge réel à cause des souffrances endurées et à cause des problèmes de

12 santé. Même ces jeunes gens m'ont dit cela, en fait, c'est Ymer Alushani

13 qui m'a dit que j'avais l'air plus âgé. Je connaissais déjà Ymer. Il m'a

14 dit : Mais pourquoi es-tu venu ici ? Tu as de nombreux frères. Tu aurais dû

15 remettre cette arme à l'un de tes frères. J'ai répondu : non, Ymer. Je ne

16 veux pas d'une liberté sans être avec ces jeunes gens. Je ne veux pas

17 rester sans bouger à regarder ces jeunes gens se faire tuer. Je veux faire

18 de mon mieux compte tenu de ma situation pour participer. Il m'a dit : mais

19 tu te connais bien toi-même. Tu n'arrives même pas à marcher, tu

20 n'arriverais pas à t'échapper. Je lui ai dit : oui, c'est vrai, mais il

21 faut que tu saches quelque chose. Il n'y avait trois autres que se

22 trouvaient là.l Je lui ai dit : Chaque fois que je m'assiérai ici, ce sera

23 ou bien que je survivrai, ou bien je mourrai. Mais ne m'abandonnez pas, ne

24 me laissez pas.

25 J'ai rejoint l'UCK, et comme j'ai déjà dit, c'était pour assurer la

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1 sécurité de mes autres frères parce que ceux qui prenaient des armes

2 savaient qu'en fait ils seraient tués. Nous ne nous disions pas : bien,

3 prenons les armes et pardieu, on ne nous tuera pas. Tous savaient que la

4 mort les attendait à un moment donné, à un endroit donné. De temps à autre

5 et à différents moments, ils parvenaient à obtenir des armes et à rejoindre

6 l'UCK aussi. Autrement dit, entre le mois de mai et la fin de la guerre,

7 j'ai participé à la guerre avec quatre de mes frères et deux de mes neveux,

8 deux fils d'un frère. Je suis resté à Lapusnik pendant environ deux

9 semaines. Le commandant Kumanova est venu. A ce moment-là, on ne se

10 connaissait pas. On ne savait pas que nous étions des commandants, des

11 chefs de bataillon, mais maintenant, je connais ce terme de "commandants"

12 ou de "chefs de bataillon," maintenant, nous le savons. A l'époque, nous

13 étions des militaires, des soldats. Nous nous respections l'un l'autre,

14 compte tenu des traditions que l'on a en Albanie, qui est de respecter les

15 personnes âgées, les anciens.

16 Nous lui avons parlé. Nous l'avons informé. Il a compris quel était

17 mon problème de santé. Il m'a demandé de l'accompagner, d'aller avec lui,

18 parce que comme il l'a dit, Ici, se trouve un endroit extrêmement

19 dangereux, et tu serais peut-être plus utile ailleurs qu'ici, maintenant

20 que tu as pris ta décision d'aider notre armée, notre armée de libération.

21 Voilà pourquoi je suis allé avec lui à Luzhnice.

22 Dans cette salle d'audience, j'ai entendu bien des dépositions, des

23 témoignages de personnes qui m'accusaient de les avoir frappées, passées à

24 tabac, d'avoir ouvert et fermé des portes afin que d'autres puissent les

25 passées à tabac, d'avoir exécuté des personnes de mon propre peuple. Ceci

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1 n'est pas vrai. Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, je n'ai

2 pas fait cela. Ce qui est arrivé à ces personnes me trouble beaucoup,

3 m'attriste profondément. Mais je ne sais pas pourquoi ils pensent que j'y

4 ai pris part. Mais, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, vous

5 vous souviendrez probablement du fait qu'une autre personne a été emmenée

6 ici devant cette Chambre. Il a été arrêté par les membres du bureau du

7 Procureur et emmené au tribunal. Nombreux sont ceux qui, étant venus ici

8 pour déposer, ont soutenu que j'étais présent moi aussi et que j'avais pris

9 part à des actes dont je suis accusé. Une erreur a été commise. C'est une

10 erreur, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges. Je n'ai pas

11 participé à ces actions. Je n'étais pas au courant même que de telles

12 choses se soient passées et je ne crois pas qu'il soit une seule personne

13 de notre peuple qui pourrait faire de telles choses, choses comme celles

14 dont nous sommes accusés.

15 J'ai le plus profond respect pour l'OTAN et pour les forces qui ont

16 sauvé mon pays et ont aidé l'UCK à protéger son peuple d'une extermination

17 totale par Milosevic.

18 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, je vous en prie,

19 veuillez croire, le jour viendra où tous les Kosovars vivant au Kosova,

20 garçons et filles, hommes et femmes, seront ensemble comme un seul peuple,

21 une nation indépendante, avec tous les éléments qui le constituent vivant

22 une vie de liberté, travaillant ensemble pour un meilleur sort pour

23 l'ensemble de la population, et pas seulement une partie de la population.

24 Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, pour finir, je

25 voudrais dire que j'ai le plus grand respect pour vous et que je vous

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1 remercie de m'avoir donné cette possibilité de m'adresser à vous. Je vous

2 remercie.

3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

4 Je pense que le moment est bien choisi pour suspendre l'audience,

5 qui reprendra à 16 heures.

6 --- L'audience est suspendue à 15 heures 39.

7 --- L'audience est reprise à 16 heures 04.

8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Guy-Smith.

9 M. GUY-SMITH : [interprétation] [hors micro] J'appelle à la barre M. Shefki

10 Bala, s'il vous plaît.

11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

12 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour. Veuillez donner lecture du

14 texte qui figure sur la carte qui vous est remise, s'il vous plaît.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je déclare solennellement que je dirai la

16 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

17 LE TÉMOIN: SHEFKI BALA [Assermenté]

18 [Le témoin répond par l'interprète]

19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez prendre

20 place.

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Je saisis l'occasion de saluer la Chambre de

22 première instance, les parties présentes, ainsi que mes compatriotes.

23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci. Veuillez vous asseoir.

24 Maître Guy-Smith.

25 M. GUY-SMITH : [interprétation] Merci.

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1 Interrogatoire principal par M. Guy-Smith :

2 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Bala.

3 R. Bonjour.

4 Q. Où habitez-vous actuellement?

5 R. J'habite à Korretice e Eperme, dans la municipalité de Drenoc.

6 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent que le témoin se rapproche du

7 microphone.

8 M. GUY-SMITH : [interprétation]

9 Q. Si vous le pouvez, il a été demandé que vous vous rapprochiez du

10 microphone, car peut-être que vous parlez à voix trop basse.

11 Depuis combien de temps habitez-vous là, Monsieur ?

12 R. Je suis né à cet endroit et j'y habite.

13 Q. Connaissez-vous Haradin Bala ?

14 R. Oui.

15 Q. Depuis combien de temps le connaissez-vous ?

16 R. Je le connais depuis l'enfance. Nous étions ensemble à l'époque du

17 lycée. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble.

18 Q. Je remarque que votre nom de famille est Bala, comme le sien. Etes-vous

19 parents ?

20 R. Nous habitions dans le même quartier. Nous sommes voisins.

21 Q. Pourriez-vous nous dire quelle est la taille du village de Korretice ?

22 R. Korretice est un grand village. Il comporte 400 ou 500 foyers. Je ne

23 peux pas vous dire quelle superficie cela recouvre.

24 Q. Étant donné que vous connaissez Haradin Bala depuis toujours, pouvez-

25 vous me dire si vous êtes plus grand que lui ou plus petit. Est-ce que vous

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1 le savez ?

2 R. Je suis plus grand que Haradin.

3 Q. Est-ce que vous pourriez nous donner une idée de votre taille ?

4 R. Je mesure 1,75 ou 1,80 mètres.

5 Q. Savez-vous, par hasard, de quelle couleur sont ses yeux ?

6 R. Ce sont en général des choses auxquelles nous ne prêtons pas attention,

7 mais je pense qu'ils sont de couleur bleue ou verte.

8 Q. Depuis le temps que vous connaissez Haradin Bala, savez-vous s'il a

9 jamais travaillé ?

10 R. Oui. Il travaillait dans les années 80 dans une entreprise de bâtiment

11 à Drenoc, anciennement Gllogovc. Il était peintre.

12 Q. Si vous le savez, pouvez-vous nous dire combien de temps il a exercé ce

13 métier de peintre ?

14 R. Il a travaillé au sein de cette entreprise pendant toute la durée de

15 son existence. Puis l'entreprise a fait faillite, et tous les employés qui

16 y travaillaient ont été licenciés. Il a été licencié lui aussi.

17 Q. Après que cette entreprise eu fait faillite, savez-vous quel emploi il

18 a exercé par la suite ?

19 R. Je pense que c'était un bon ouvrier, une personne compétente dans cette

20 profession. Il était très recherché. Il n'avait pas de travail régulier,

21 mais il avait beaucoup de travail à faire, un jour ou deux jours par

22 semaine, mais aucun travail régulier.

23 Q. A votre connaissance, est-ce qu'il a travaillé dans les années 90 ?

24 R. Dans les années 90, Haradin faisait le même travail, mais il n'y avait

25 pas beaucoup de travail. Il ne pouvait pas travailler beaucoup en réalité

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1 parce qu'il était malade.

2 Q. Vous dites qu'il ne pouvait pas travailler beaucoup, car il était

3 malade. Vous souvenez-vous du moment où il est tombé malade ? Pourriez-vous

4 nous préciser la date ou la période où cela s'est produit ?

5 R. Je pense que cela s'est produit en 1993. Je ne me souviens pas de la

6 date précise. Ce devait être vers la fin du mois de juin ou le début du

7 mois de juillet. Je l'ai emmené à bord de ma voiture aux urgences à

8 Pristina. Il y avait un poste de contrôle de police serbe à Komorane, et

9 nous avons été contraints d'aller à Pristina. Nous avions peur d'aller à

10 Drenoc où se trouvait une autre clinique, ce à cause de ce poste de

11 contrôle.

12 Q. Lorsque vous nous dites que vous l'avez emmené à bord de votre voiture

13 à Pristina, est-ce que vous pourriez nous en dire davantage ? Pourquoi

14 l'avez-vous emmené là-bas à bord de votre voiture ? Est-ce que quelque

15 chose s'est passé ?

16 R. La raison pour laquelle je l'ai emmené là-bas, c'était que les

17 institutions médicales ne s'occupaient pas beaucoup de ces types de

18 plaintes à l'époque. Les villageois devaient s'occuper d'eux-mêmes.

19 Q. Est-ce qu'il lui est arrivé quelque chose à ce moment-là qui justifie

20 que vous l'emmeniez en voiture à Pristina ?

21 R. J'ai pensé que c'était de mon devoir, non seulement pour Haradin, mais

22 pour tous mes co-villageois. C'est ce que nous avions l'habitude de faire à

23 l'époque assez souvent, car si moi-même je m'étais retrouvé dans la même

24 situation, Haradin aurait fait la même chose pour moi, j'en suis certain.

25 Q. Dans quel état se trouvait Haradin, pourquoi l'avez-vous emmené à

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1 Pristina ?

2 R. Je revenais du travail, je travaillais dans le domaine de

3 l'agriculture. Il était environ 4 heures. J'ai entendu une voix qui venait

4 du jardin de Haradin, je suis allé voir ce qui se passait. Il éprouvait de

5 grandes douleurs au niveau de la poitrine, je lui ai

6 dit : allons voir le médecin. Mais il ne voulait pas y aller, il ne voulait

7 pas aller voir le médecin. Si bien que nous avons dû insister pour qu'il y

8 aille, pour qu'il aille à la clinique.

9 Q. Je suppose que vous avez réussi à le convaincre d'aller chez le

10 médecin, n'est-ce pas ?

11 R. J'ai dit que nous l'avons convaincu d'aller voir un médecin.

12 Q. Est-ce que vous savez si le fait de se plaindre de douleur à la

13 poitrine signifiait quelque chose de particulier ?

14 R. A la clinique de Lipjan, à Pristina, ils lui ont dispensé les premiers

15 soins. Les médecins ont dit qu'il devait être emmené à l'hôpital au service

16 des maladies internes. Je ne m'y connais pas en médecine, mais les médecins

17 nous ont dit pas la suite qu'il avait subi un infarctus, ou quelque chose

18 de ce genre.

19 Q. Un infarctus ou quelque chose de ce genre, dites-vous. Est-ce qu'il

20 s'agit d'une crise cardiaque ou d'un autre type de problèmes cardiaques ?

21 R. L'infirmière nous a dit cela, et il s'est avéré par la suite qu'il

22 avait subi un infarctus car ils lui ont aussitôt fourni des équipements, du

23 matériel pour soigner les problèmes cardiaques.

24 Q. Vous souvenez-vous combien de temps il a été hospitalisé à l'époque ?

25 R. Comme je vous l'ai dit, je ne me souviens pas bien des détails, mais je

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1 pense qu'il a dû rester hospitalisé environ 15 jours.

2 Q. Après son retour de l'hôpital, vous souvenez-vous s'il a continué à

3 travailler comme peintre ?

4 R. Non, mais je me souviens qu'il ne travaillait plus. Il a demandé de

5 l'aide en Albanie et il s'y est rendu pour suivre un traitement.

6 Q. Lorsque vous dites qu'il ne travaillait plus et qu'il a demandé de

7 l'aide, savez-vous si, à votre connaissance, il était en mesure de subvenir

8 aux besoins de sa famille à l'époque ?

9 R. Je peux vous dire que sa vie était très difficile, il a survécu avec

10 difficulté.

11 Q. Est-ce que vous connaissiez son père ?

12 R. Oui, assez bien.

13 Q. Que faisait son père ?

14 R. Son père recevait une petite retraite, mais il y a de nombreux frères

15 dans cette famille. Haradin avait sa propre maison, son père était chanteur

16 folklorique.

17 Q. Je souhaiterais que nous parlions de l'année 1998, et plus précisément

18 du mois de juin de cette année. Avez-vous eu l'occasion de voir Haradin à

19 l'époque dans le village de Korretice ?

20 R. Je l'ai souvent rencontré jusqu'au mois de mai. Je le rencontrais tous

21 les jours jusqu'au mois de mai 1998.

22 Q. Est-il arrivé qu'à un moment donné au mois de mai vous ayez cessé de le

23 voir à Korretice ?

24 R. Après les événements de Likoshan, notre village lui aussi avait décidé

25 de s'organiser. Nous avons mis en place des gardes villageoises pendant la

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1 nuit jusqu'au mois de mai. Même si Haradin était malade, il voulait prendre

2 part à cela également. Nous faisions la garde ensemble. Nous n'avions pas

3 d'armes, mais nous montions la garde.

4 Q. Haradin est-il resté au village de Korretice pendant toute la durée du

5 mois de mai ?

6 R. Après la bataille de Lapusnik, c'est-à-dire après le 9 mai, Haradin, ou

7 plutôt ses frères m'ont dit qu'il avait rejoint les rangs de l'UCK.

8 Q. Après le départ de Haradin Bala, après la bataille de Lapusnik le 9

9 mai, quand l'avez-vous revu ?

10 R. Le 10 août 1998, je suis allé en Allemagne avec ma famille. Après le 9

11 mai, je me souviens l'avoir vu après mon retour d'Allemagne, c'est-à-dire

12 en novembre 1999. Je ne l'ai pas revu à d'autres moments.

13 Q. Je vous remercie.

14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Guy-Smith.

15 Maître Mansfield.

16 M. MANSFIELD : [interprétation] Pas de questions.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Topolski.

18 M. TOPOLSKI : [interprétation] Pas de questions.

19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Nicholls.

20 M. NICHOLLS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Madame,

21 Monsieur les Juges.

22 Contre-interrogatoire par M. Nicholls :

23 Q. [interprétation] Vous connaissez Haradin Bala depuis l'enfance, vous

24 êtes voisin, n'est-ce pas ?

25 R. Oui.

Page 6923

1 Q. C'est également un ami de votre famille, n'est-ce pas ?

2 R. Oui.

3 Q. Pourriez-vous me dire le nom de ses quatre frères qui eux aussi ont

4 pris part à la guerre ?

5 R. Oui, je peux le faire. Outre Haradin, il y avait Fatmir, Fadil, Bahti

6 et le plus jeune Besim.

7 Q. Savez-vous plus ou moins quand ces hommes sont nés, ou quel est leur

8 âge actuellement si c'est plus facile pour vous ?

9 R. Oui, je peux vous dire grosso modo quel est leur âge. Je ne connais pas

10 leur date de naissance, mais je ferai de mon mieux. Bahti est né 1969;

11 Fadil, 1977; Fatmir, 1972; et Besim, 1979 tout au plus. Ils sont nés dans

12 ces années-là.

13 Q. Merci. Je pense que Haradin Bala avait deux neveux qui eux aussi ont

14 combattu pendant la guerre. Est-ce que vous connaissez leurs noms ou leurs

15 dates de naissance approximative ?

16 R. De quels neveux voulez-vous parler ? Car il en a beaucoup. Je connais

17 leurs noms, ces neveux s'appellent peut-être Kadri et Ali. Ils ont rejoint

18 l'UCK, mais comme je dis, il avait de nombreux neveux.

19 Q. Je parle des deux neveux qui ont rejoint les rangs de l'UCK. S'il

20 s'agit de Kadri et d'Ali, pourriez-vous nous dire quand ils sont nés ?

21 R. Je vois, un instant s'il vous plaît. Il me faut apporter quelques

22 éclaircissements ici, car ce que nous appelons les neveux, ce sont les

23 enfants de nos sœurs, ou des sœurs de nos parents. Ici, vous voulez parler

24 du fils de son frère, c'est-à-dire d'Agron et de Jeton.

25 Q. Quand sont-ils nés, s'il vous plaît ?

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1 R. Agron est peut-être né en 1970, 1972, il appartient à la même

2 génération que Fatmir; Jeton a dû naître vers 1977.

3 Q. Comment s'appelle le père d'Agron et de Jeton ?

4 R. C'est le frère le plus âgé de Haradin.

5 Q. Comment s'appelle-t-il ?

6 R. Hamdi.

7 Q. Merci. Vous nous avez un peu parlé de la manière dont vous avez aidé

8 Haradin Bala. Vous l'avez emmené voir le médecin en 1993, et vous lui avez

9 également prêté de l'argent pour qu'il se fasse soigner à un moment donné;

10 est-ce exact ?

11 R. C'est exact.

12 Q. Vous avez déclaré que vous aviez emmené Haradin Bala voir le médecin à

13 bord de votre voiture. Avait-il lui-même une voiture dans les années 90 ?

14 R. Haradin n'avait pas de voiture.

15 Q. Est-ce qu'il possédait une Lada en 1998, ou en avait-il l'usage ?

16 R. Ses jeunes frères utilisaient une voiture, mais lui-même ne possédait

17 pas de voiture. Ce que je sais, c'est que ses frères se servaient d'une

18 voiture.

19 Q. Vous avez raconté que Haradin Bala peignait des maisons, travaillait

20 dans le bâtiment, et qu'il avait été licencié. Ce fut le cas pour de

21 nombreuses personnes à l'époque, n'est-ce pas ? Beaucoup d'hommes albanais

22 ont été licenciés de leur travail à l'époque, n'est-ce pas ?

23 R. Oui, c'est exact. Haradin s'est retrouvé sans emploi, et il n'a plus

24 exercé d'emploi par la suite.

25 Q. Il est vrai de dire que beaucoup d'hommes, malades ou non, devaient

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1 travailler à temps partiel pour pouvoir survivre, n'est-ce pas ?

2 R. Le régime d'occupation au Kosovo était un régime social, et pour être

3 tout à fait franc avec vous, seule une petite portion de la population

4 albanaise pouvait être employée au sein de ce système. Même ceux qui

5 étaient employés en 1974, compte tenu des amendements apportés à la

6 constitution, de nombreuses Albanais ont perdu leur travail, et ceux qui

7 ont trouvé un emploi étaient peu nombreux, comme je l'ai déjà dit.

8 Q. Après 1993, Haradin Bala a fait ce qu'il a pu pour aider sa famille

9 bien qu'il n'ait pas d'emploi régulier ?

10 R. C'est exact. Je pourrais parler d'une autre vérité. Car nous les avons

11 aidé, les membres de la famille, les neveux, les oncles, parce que Haradin

12 ne se trouvait pas dans une situation qui lui permettait de travailler.

13 Q. Haradin Bala est l'une des personnes à Korretice qui a organisé la

14 garde du village, la défense du village en mars 1998; est-ce bien exact ?

15 R. Certes, mais il n'a pas participé à l'organisation de la défense.

16 D'autres villageois en faisaient partie, tel que Sherif Hoxha, Zymer

17 Shabani, Mehmet Xharahi, ainsi que d'autres.

18 Q. Il faisait partie de cette garde qui assurait la défense du village ?

19 R. Comme je l'ai déjà dit, je vais réitérer ce que j'ai déjà indiqué, nous

20 nous contentions d'observer dans le village, car il y avait plusieurs

21 quartiers dans notre village. Il y avait une garde qui était organisée dans

22 le quartier de Bala. Je faisais partie de la même équipe. Avec lui, nous

23 avions cet exercice d'observation pendant deux heures, nous le faisions

24 ensemble au cas où quelque chose se produirait, de telle sorte que nous

25 soyons réveillés et non pas endormis comme lorsque cela s'est passé à

Page 6926

1 Prekaz ou Likoshan.

2 Q. Le frère aîné de Haradin, Hamdi, est-ce qu'il a rallié les rangs de

3 l'UCK en 1998 ?

4 R. Non, il ne l'a pas fait. Il vivait en Suisse. En fait, il est resté en

5 Suisse pendant toute cette période.

6 Q. Pendant toute la guerre ?

7 R. Pendant toute la guerre, il a été en Suisse.

8 Q. En mai, comme nous l'avons entendu, Haradin Bala a pris son fusil pour

9 aller à Lapusnik où il y avait des combats là-bas. Je voudrais juste

10 m'assurer d'avoir bien compris. Est-ce que c'est quelque chose dont vous

11 avez entendu parler ou vous l'avez vu partir pour se rendre à Lapusnik ?

12 R. Comme je l'ai déjà dit, et je vais le répéter, lors de la première

13 bataille à Lapusnik, Haradin m'a informé et m'a dit qu'il allait s'y rendre

14 pour voir ce qui s'était passé après la fin de la bataille. Plus tard, je

15 n'ai pas vu Haradin, mais ses frères m'ont informé qu'il avait rallié les

16 rangs de l'UCK.

17 Q. Je vous remercie.

18 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Guy-Smith.

19 M. GUY-SMITH : [interprétation]

20 Q. Je vous remercie, Monsieur Bala.

21 M. GUY-SMITH : [interprétation] Je n'ai plus de questions à poser.

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Bala, je souhaiterais vous

23 remercier. Vous pouvez maintenant quitter le Tribunal pour rentrer chez

24 vous. Le personnel va vous escorter.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie.

Page 6927

1 [Le témoin se retire]

2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Quel est le témoin suivant, Maître

3 Guy-Smith ?

4 M. GUY-SMITH : [interprétation] Le témoin suivant sera le Dr Fitim Selimi.

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

6 M. GUY-SMITH : [interprétation] C'est Me Harvey qui va procéder à

7 l'interrogatoire, cela afin que les choses soient un peu plus variées pour

8 vous.

9 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, Docteur. Je vous demanderais

11 de bien vouloir prononcer la déclaration solennelle qui se trouve sur la

12 carte qui est en train de vous être donnée.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

14 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

15 LE TÉMOIN: FITIM SELIMI [Assermenté]

16 [Le témoin répond par l'interprète]

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Veuillez vous asseoir, je vous prie.

18 Maître Harvey, je vous en prie.

19 Interrogatoire principal par M. Harvey :

20 Q. [interprétation] Bonjour, Dr Selimi.

21 R. Bonjour.

22 L'INTERPRÈTE : Les interprètes font remarquer qu'ils n'entendent pas le

23 témoin.

24 M. HARVEY : [interprétation]

25 Q. Est-ce que vous pourriez nous donner votre nom.

Page 6928

1 R. Fitim Selimi.

2 Q. Est-ce que vous pourriez vous rapprocher des microphones parce que les

3 interprètes ont du mal à vous entendre. Merci beaucoup.

4 Vous êtes médecin ?

5 R. Oui.

6 Q. Est-ce que vous avez une spécialité médicale ?

7 R. Oui.

8 Q. Quelle est-elle ?

9 R. Je suis spécialiste en chirurgie thoracique.

10 Q. J'attendais juste l'écran.

11 Où avez-vous étudié pour obtenir vos diplômes de médecin ?

12 R. J'ai suivi les cours de l'université de Pristina à la faculté de

13 médecine.

14 Q. En quelle année avez-vous obtenu votre diplôme ?

15 R. J'ai terminé mes études en 1993.

16 Q. Quand avez vous commencé vos cours à l'université ?

17 R. J'ai commencé en 1980.

18 Q. Entre 1980 et 1993, est-ce que vos études ont été interrompues ?

19 R. Oui, mes études ont été interrompues.

20 Q. Quelle fut la cause de cette interruption ?

21 R. Mes études ont été interrompues, car la situation était telle, pour

22 tous les autres Albanais également, que j'ai été emprisonné.

23 Q. Quel était le motif de votre emprisonnement ? Quel délit aviez-vous

24 commis ?

25 R. J'ai été envoyé en prison sur la base des chefs d'inculpation qui ont

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1 été inventés de toutes pièces par le régime serbe. Il s'agissait d'un chef

2 d'inculpation, collaboration afin de détruire la souveraineté de l'Etat

3 serbe.

4 Q. Merci. Je pense qu'il s'agit d'une traduction approximative, mais je

5 pense que cela ira. Savez-vous quels étaient les articles de la

6 constitution que vous étiez censé avoir enfreints, ou savez-vous quels

7 articles du code pénal s'agissait-il ?

8 R. Nous n'oeuvrions que pour la liberté de notre peuple. Nous n'avons

9 enfreint aucun article. Nous avons été accusés au titre de l'Article 136 de

10 la constitution yougoslave.

11 Q. Avez-vous été accusé d'actes violents ?

12 R. Non. Nous ne faisions que prôner et préconiser nos demandes justes et

13 équitables en tant que peuple.

14 Q. Quand êtes-vous sorti de prison ?

15 R. Je suis sorti de prison après deux années, à savoir en 1988.

16 Q. Aviez-vous dû vous acquitter de votre service militaire ?

17 R. Vous voulez dire au sein de l'armée yougoslave ?

18 Q. Oui.

19 R. Oui.

20 Q. Quand avez-vous fait votre service militaire ?

21 R. Ils m'ont forcé à faire mon service militaire à Karlovce à la fin du

22 mois de septembre 1988.

23 Q. Est-ce que cela se trouve en Croatie ?

24 R. Oui, c'est en Croatie. C'est en 1988 que j'ai fait mon service

25 militaire.

Page 6930

1 Q. Vous êtes sorti de prison en 1988. Vous avez été intégré au sein de la

2 JNA pour votre service militaire. Lorsque vous étiez dans la JNA, avez-vous

3 dû utiliser vos compétences médicales ?

4 R. J'ai fait l'objet d'une longue discrimination du fait de ma profession.

5 Mais après quatre mois, la raison a probablement eu le dessus, et j'ai été

6 engagé pour travailler dans un hôpital militaire.

7 Q. En quel mois avez-vous terminé votre service militaire ? Vous en

8 souvenez-vous ?

9 R. Oui. C'était après une année, en septembre 1989.

10 Q. Etes-vous reparti suivre les cours de l'université de Pristina à ce

11 moment-là ?

12 R. Je suis rentré dans ma ville natale.

13 Q. Y a-t-il une raison qui vous a poussé à ne pas repartir à l'université

14 de Pristina ?

15 R. Je voulais poursuivre mes études et j'avais l'habitude de beaucoup lire

16 chez moi, mais il faut savoir qu'à l'époque, l'université avait été fermée

17 et tous les enseignants ont été licenciés, il a bien fallu marquer un temps

18 d'arrêt.

19 Q. Vous avez dû poursuivre vos études chez vous ?

20 R. Oui.

21 Q. Pendant cette période, est-ce que vous avez eu des activités politiques

22 à nouveau ?

23 R. Oui. Oui, j'étais actif.

24 Q. Pour quelle organisation, ou pour quelles organisations ?

25 R. Au début de l'année 1990, je faisais partie de l'organisation politique

Page 6931

1 de la Ligue démocratique du Kosovo.

2 Q. Quand avez-vous repris vos études ?

3 R. J'ai repris mes études à la fin de 1991.

4 Q. Vous nous avez dit que vous avez obtenu votre diplôme universitaire en

5 1993; c'est exact, n'est-ce pas ?

6 R. Oui.

7 Q. A ce moment-là, vous aviez votre diplôme. Est-ce que les autorités

8 serbes vous ont autorisé à exercer votre profession au sein d'un hôpital

9 d'Etat, ou dans une clinique, ou dans un hôpital contrôlé par les Serbes ?

10 R. Oui. J'avais obtenu mes diplômes. En fait, j'avais obtenu mes diplômes

11 dans une faculté où des professeurs fort connus enseignaient. La situation

12 avait changé toutefois. Ces professeurs, ces cadres travaillaient à

13 l'extérieur de l'institution et avaient une activité indépendante pour ce

14 qui est de l'enseignement.

15 Q. Qu'est-ce que cela signifiait par rapport à vos possibilités d'obtenir

16 un emploi ?

17 R. Pour mes perspectives d'emploi, cela signifiait que mes diplômes

18 n'étaient pas valables et ne me permettaient pas de travailler au Kosovo.

19 Q. Où êtes-vous allé travailler ?

20 R. Nous avons exercé notre profession là où nous le pouvions, dans les

21 villes où nous habitions, dans différentes institutions humanitaires, et

22 cetera, et cetera.

23 Q. Où est votre village ?

24 R. Mon village natal est Banulle, un village qui se trouve près de Lipjan,

25 une petite ville qui n'est d'ailleurs pas très loin de Pristina.

Page 6932

1 Q. Est-ce que vous avez travaillé dans une clinique ? Comment avez-vous

2 exercé votre profession médicale dans votre ville de Banulle ?

3 R. Oui. A cette époque-là, j'étais actif. Je dirais que j'opérais

4 constamment dans mon domicile chez moi. Je m'occupais de personnes qui

5 avaient besoin d'aide médicale.

6 Q. Vous avez également indiqué que vous pouviez travailler avec

7 différentes institutions humanitaires. Avez-vous travaillé pour des

8 organisations humanitaires ?

9 R. Oui. A un moment, j'ai travaillé pour Mère Térésa; pour cet organisme

10 de bienfaisance de Mère Teresa. Puis, à un moment donné, j'ai été directeur

11 de la filiale de la Croix Rouge à Lipjan.

12 Q. Pendant combien de temps avez-vous travaillé pour l'organisation

13 caritative de Mère Teresa ?

14 R. Pendant deux ou trois années consécutives.

15 Q. Est-ce que cela a commencé en 1993 ou quand est-ce que vous avez

16 commencé cela ?

17 R. Depuis le début de 1993 jusqu'en 1997, j'ai travaillé pour ces

18 institutions, mais je n'ai pas travaillé de façon continue.

19 Q. Lorsque vous avez dirigé la filière de la Croix Rouge, est-ce que vous

20 l'avez fait pendant la même période ?

21 R. Oui.

22 Q. Avez-vous travaillé ou avez-vous aidé certaines organisations

23 internationales pour les droits de l'homme pendant cette période ?

24 R. La situation dans laquelle nous nous trouvions était telle que la seule

25 façon de parvenir à nos aspirations était de passer par des institutions

Page 6933

1 internationales, telles qu'Amnesty International ou "Human Rights Watch",

2 et d'autres de ce style.

3 Q. Est-ce qu'il y avait des organisations des droits de l'homme locales,

4 du cru, au Kosovo, à cette époque-là ?

5 R. Oui, il y avait des organisations locales qui s'efforçaient de parler

6 des injustices commises contre le peuple albanais à l'époque. Il y avait,

7 par exemple, le conseil pour la protection des droits de l'homme et pour la

8 liberté, que j'ai fondé et que j'ai dirigé pendant une certaine période de

9 temps.

10 Q. Quand avez-vous fondé et dirigé cette organisation, approximativement ?

11 R. Ce conseil fut fondé en 1993, à la fin de l'année 1993, et ce sur

12 l'initiative d'Adem Demaqi.

13 Q. Jusqu'à présent, nous avons parlé de la période allant de 1993 à 1997.

14 Est-ce qu'il y a eu un tournant ou un changement vers la fin de 1997 ou au

15 début de 1998 ?

16 R. Oui. Au Kosovo, la situation se détériorait, et cela d'ailleurs était

17 une situation absolument inacceptable pour la majorité de la population. Il

18 faut savoir que les gens ont commencé à avoir différentes pensées. Les

19 entités politiques qui étaient formées et qui dirigeaient, en quelque

20 sorte, la population perdaient leur autorité du fait de cette politique

21 passive qu'ils poursuivaient et qui aboutissait à la violation des droits

22 des Albanais. Ce qui fait que de nombreuses personnes se sont enfuies du

23 Kosovo. Je dirais qu'il y a eu 30 % de la population la plus active qui est

24 partie.

25 Q. Le Tribunal a beaucoup entendu parler des massacres qui se sont

Page 6934

1 produits en mars 1998 à Drenica. Est-ce que ces massacres ont eu un impact

2 sur votre travail et sur la façon dont vous avez mené votre vie à partir de

3 ce moment-là ?

4 R. Oui, tout à fait. Nous devions faire partie des gens qui devaient

5 donner le ton et qui devaient essayer de présenter les aspirations de la

6 population. Il fallait essayer de prêter main-forte, de trouver des

7 solutions à une situation qui était très, très sérieuse pour tout le monde.

8 Q. Lorsque vous dites "nous", qui entendez-vous par "nous" ?

9 R. J'entends le peuple albanais, bien sûr.

10 Q. Lorsque vous dites : "Nous devions diriger, nous devions donner le

11 ton," qui a assuré cette direction ?

12 R. J'entends notamment les personnes qui étaient instruites, qui étaient

13 formées pour ce faire.

14 Q. Nous avons parlé -- parlons de la période allant du mois de mars au

15 mois de mai 1998, par exemple. Comment est-ce que la société normale

16 fonctionnait dans les zones où vous résidiez et où vous travailliez ? Pour

17 être un peu plus clair, j'aimerais savoir si les écoles fonctionnaient

18 normalement. J'aimerais savoir si les personnes âgées recevaient une

19 retraite d'Etat ? Est-ce que les institutions médicales fonctionnaient

20 normalement ou est-ce qu'il y avait des difficultés ?

21 R. Il n'était pas question de normalité pendant cette période. C'était

22 hors de question, et ce depuis l'année 1999. Il faut savoir que les

23 institutions ne fonctionnaient pas. Les usines ne fonctionnaient pas. Il

24 n'y avait pas de service de santé. La situation avait atteint son point la

25 plus critique.

Page 6935

1 Q. Comment est-ce que les gens obtenaient des vivres, des vêtements, des

2 médicaments pendant cette période ? Je fais à nouveau référence à cette

3 période allant du mois de mars au mois de mai 1999.

4 R. Pendant cette période, la situation était extrêmement grave, surtout

5 pour les personnes qui vivaient dans les zones de conflits. La seule façon

6 de survivre consistait à obtenir des ravitaillements d'autres parties du

7 Kosovo, et ce grâce à l'organisation de la population qui se trouvait dans

8 ces zones.

9 Q. Lorsque vous avez indiqué que vous vous trouviez à Lipjan, est-ce

10 qu'il s'agit justement de l'une des zones dont vous parlez, à savoir une

11 des zones du conflit ?

12 R. Le territoire de Lipjan était une région où il y a eu des attaques

13 nombreuses. Il faut savoir qu'à la suite des attaques à Drenica, un grand

14 nombre de personnes sont parties en tant que réfugiés à Kroimire, par

15 exemple, à Shale et à Bajice. Il y avait de nombreuses personnes, 1 400

16 personnes en fait, qui étaient venues d'autres régions parce qu'elles

17 avaient été persécutées là-bas.

18 Q. Il y a eu une arrivée de réfugiés en provenance de Drenica ?

19 R. Oui. Il y a eu de nombreux réfugiés qui sont arrivés. Par conséquent,

20 il a fallu que nous fassions tous les efforts politiques possibles pour

21 établir un organe non politique afin de pouvoir fonctionner et régler les

22 nombreux problèmes auxquels nous nous heurtions.

23 Q. Avez-vous participé à la création de cet organe ?

24 R. Oui. Je dirigeais le secteur sanitaire du conseil d'urgence; c'était

25 une structure destinée à gérer une situation d'urgence.

Page 6936

1 Q. Je ne peux pas m'empêcher de voir que vous venez de sortir un document.

2 Est-ce que c'est un document auquel vous allez devoir faire référence pour

3 votre déposition ?

4 R. J'ai ici un document qui mentionne le nombre de personnes qui ont été

5 renvoyées, qui ont été maltraitées par la police, et autres éléments de ce

6 genre. Si vous pensez que je pouvais -- enfin, pour moi il est utile de

7 m'en servir, je me permettrais de le dire. Au cours de cette période, près

8 de 700 000 Albanais ont été maltraités par la police.

9 Q. Pour le moment, je ne -- comme je ne sais pas ce qu'est ce document, je

10 ne demande pas plus particulièrement à le voir. Il se peut que l'Accusation

11 souhaite le voir, mais je voudrais simplement vous demander de mettre ce

12 document de côté pour le moment, laissez-moi simplement vous poser la

13 question suivante : vous dites que ce document, quel qu'il soit, a trait au

14 nombre de personnes qui ont été maltraitées par la police.

15 R. Oui.

16 Q. Avez-vous dû traiter ou soigner des personnes qui avaient été

17 maltraitées par la police, ou pour recueillir des éléments de preuve auprès

18 d'eux à un stade quelconque ?

19 R. Oui, effectivement. Pendant cette période, nous voulions aider tout

20 ceux qui avaient été brutalisés de différentes manières. Le conseil pour

21 les droits de l'homme et les libertés à Lipjan rendait compte à différents

22 organes, organes internationaux et organisations en envoyant des dossiers

23 avec des noms et des photos des personnes qui avaient subi de mauvais

24 traitements ou qui avaient été brutalisées.

25 Q. Je vois. Ecoutez, je n'ai pas l'intention à ce stade de présenter ceci

Page 6937

1 au Tribunal, c'était votre travail, ceci faisait partie de votre travail

2 lorsque vous vous occupiez de travail d'organisation humanitaire.

3 R. Oui.

4 Q. Pendant cette période, est-ce que vous avez eu à recueillir des

5 éléments de preuve concernant les abus dont les personnes avaient été

6 victimes ?

7 R. Ces éléments remontent à 1981 et la suite, y compris les années 1990.

8 Q. Je crois que vous étiez en train de nous parler du travail qu'une

9 organisation qui avait été créée pour s'occuper des réfugiés, qui

10 arrivaient en grand nombre dans la municipalité de Lipjan. Est-ce que cette

11 organisation avait un nom ?

12 R. Oui. Elle n'avait pas été créée uniquement pour traiter des problèmes

13 des réfugiés. C'était une organisation qui avait été constituée compte tenu

14 des circonstances, et qui se voulait une organisation prête à fournir de

15 l'aide à des réfugiés, à des soldats, et à tous ceux qui, devant se

16 déplacer, agissaient au nom de la liberté. C'était un conseil d'urgence qui

17 a commencé à fonctionner en offrant de l'aide pas seulement à la population

18 civile, mais aussi à l'UCK, l'armée de l'UCK qui avait commencé à avoir un

19 rôle plus actif.

20 Q. Quand est-ce que ce conseil d'urgence a-t-il été constitué, si vous

21 vous en souvenez ?

22 R. Il a été constitué à la mi-mars 1998.

23 Q. Est-ce qu'il a été constitué par l'UCK ?

24 R. Non. Il a été constitué par la population. Il comprenait des

25 représentants des différents organes politiques qui, d'une certaine

Page 6938

1 manière, marchaient la main dans la main, ont fusionné. C'étaient des

2 membres du LDK, des représentants du conseil de finance de la municipalité,

3 du conseil pour l'éducation ou l'instruction de cette municipalité, et des

4 membres de partis politiques, ainsi que toutes autres organes politiques ou

5 non politiques qui existaient au Kosova à ce moment-là.

6 Q. Personnellement, qu'est-ce que vous avez fait pour ce conseil

7 d'urgence ?

8 R. Compte tenu du fait que la situation s'aggravait, je m'occupais plus

9 particulièrement de recueillir du matériel, de l'équipement et des

10 médicaments. Dans le cadre de ce conseil d'urgence, je travaillais dans le

11 département de la santé.

12 Q. Lorsque vous parlez de matériel et d'équipement, est-ce que vous parlez

13 de matériel et d'équipement sanitaire pour la santé ou d'autres types de

14 matériel ?

15 R. Je parle exclusivement ou principalement d'équipement, de matériel

16 médical et de fournitures médicales ou médicaments qui seraient nécessaires

17 pour traiter la population et l'armée à l'époque.

18 Q. Est-ce qu'à un moment donné, vous-même, vous avez été invité à

19 rejoindre l'UCK ?

20 R. Oui. Je ne pouvais pas attendre pour rejoindre les rangs de l'UCK, et

21 ceci a abouti à ce que je sois invité, ceci m'a été transmis par mon cousin

22 Shukri Buja, fils de mon oncle. Il a demandé à me rencontrer. Lorsqu'on

23 s'est rencontré, il m'a offert la possibilité de participer de façon

24 directe et d'aider et de fournir de l'aide, de l'assistance à l'UCK.

25 Q. Est-ce que Shukri Buja vous a dit de quel type d'aide et d'assistance

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1 l'UCK aurait besoin que vous lui donniez ?

2 R. Il faudrait peut-être donner quelques éclaircissements sur ce point.

3 Compte tenu du fait que les institutions avaient fonctionné d'une certaine

4 manière jusqu'à ce moment-là, et qu'ensuite elles avaient perdu le contact

5 avec leurs bases, la population civile qui vivait dans les zones où l'UCK

6 avait commencé à se former ne disposait d'aucune aide ou assistance,

7 notamment du point de vue fournitures médicales ou de médicaments. Par

8 conséquent l'initiative de Shukri, c'était qu'il souhaite que j'aille là-

9 bas, que je m'y rende d'une certaine manière pour travailler et m'occuper

10 de fournir des soins médicaux pour la population qui s'y trouvait.

11 Q. D'où s'agit-il ? D'où sommes-nous en train de parler ?

12 R. Nous parlons de la zone qui comprenait un certain nombre de villages en

13 commençant par le village de Pjetershtice, Kroimire, Shale, Bajice, Klecke

14 et autres villages.

15 Q. Qu'avez-vous fait après avoir rejoint l'UCK à la demande de Shukri,

16 après avoir accepté de fournir de l'aide, qu'est-ce que vous avez fait ?

17 R. A partir de ce moment-là, je me suis occupé de tout ce que nous avions

18 à notre disposition, du matériel, des fournitures, de l'équipement, pour

19 que ceux-ci soient placés dans des lieux où il y avait un nombre important

20 de membres de l'UCK afin que ceci puisse être mis au service de la

21 population et de l'UCK.

22 Q. Y avait-il des installations médicales qui existaient déjà ou que vous

23 pouviez utiliser ou avez-vous dû en constituer, en créer vous-même ?

24 R. Les institutions qui existaient jusqu'à ce moment-là étaient

25 administrées par le régime serbe, comme l'était la clinique ambulatoire

Page 6940

1 Shale. Elles avaient été abandonnées, quelqu'un devait s'occuper d'assurer

2 l'administration de ces institutions. Nous étions basés à Shale, c'était à

3 la clinique ambulatoire de Shale, et c'est de là que nous fournissions une

4 aide médicale à ceux qui en avaient besoin.

5 Q. Ce que vous appelez une clinique ambulatoire, ce qui en tous les cas a

6 été traduit comme étant une clinique ambulatoire, vous avez employé le mot

7 "ambulans" en albanais. Parlons-nous là de quelque chose qui était

8 relativement développé, compliqué ou non ?

9 R. Non, nous parlons de moyens de fortune, d'improvisation, qui nous

10 étaient imposés à l'époque.

11 Q. Je ne crois pas que vous nous ayez donné la date à partir de laquelle

12 vous aviez rejoint l'UCK ?

13 R. La date, c'était le 5 mai 1998, et à partir de cette date jusqu'à la

14 mi-juin, peut-être le 10 ou le 15 juin, j'ai pour l'essentiel travaillé

15 dans une semi-illégalité. Au cours de cette période, je me suis déplacé

16 entre Shale, Lipjan et mon domicile. Vers la mi-juin et après cela, lorsque

17 je suis entré dans les troupes de l'UCK, j'y suis resté jusqu'à la fin de

18 la guerre.

19 Q. Nous parlons de la période qui va du 5 mai jusqu'au 10 ou 15 juin.

20 Alors, dans vos déplacements, vos allées et venues, que faisiez-vous ? Est-

21 ce que vous déplaciez des personnes ? Est-ce que vous déplaciez des

22 fournitures médicales ? Où vous rendiez-vous ? Que faisiez-vous ?

23 R. Pendant cette période, nous réunissions, recueillions pour l'essentiel

24 du matériel sanitaire à partir d'une autre zone. D'une certaine manière, il

25 y avait une liberté de mouvements de sorte que d'une zone à l'autre, à la

Page 6941

1 zone de Drenica e Eperme, on emmenait les choses concrètement à Shale.

2 Q. Drenica e Eperme, ceci veut dire la partie supérieure de Drenica; est-

3 ce exact ?

4 R. J'ai parlé de ces quelques villages de Drenica qui appartiennent à la

5 municipalité de Lipjan, Kroimire, Shale, and Pjetershtice qui, en fait,

6 appartiennent à la municipalité de Shtime.

7 Q. Est-ce que Lapusnik était l'un des villages pour lesquels vous étiez

8 responsable et vous deviez apporter une assistance d'une manière ou d'une

9 autre ?

10 R. Nous n'avions pas la possibilité de le faire. Je m'occupais

11 essentiellement de ces questions à Shale de Drenica.

12 Q. A Shale, vous avez dit que vous aviez votre clinique ou dispensaire qui

13 était là. Parlant de l'ensemble de cette zone, de la haute Drenica, est-ce

14 que l'UCK contrôlait totalement cette zone ? Est-ce que les Serbes

15 contrôlaient cette zone ? Est-ce qu'une partie ou une autre contrôlait

16 cette zone à ce moment-là. Nous parlons en fait de mai jusqu'à juillet

17 1998 ?

18 R. Si je comprends bien clairement ce que vous voulez dire par "contrôlé

19 par," je peux dire que la zone était contrôlée par la population qui s'y

20 trouvait. L'UCK, c'était un petit nombre de soldats. De l'autre côté, les

21 forces serbes contrôlaient à distance en les pilonnant quotidiennement à

22 partir de leurs positions, de positions telles que Goles et d'autres

23 positions.

24 Q. Là encore, au cours de cette période qui va de mai à juillet, pouvait-

25 on aller et venir en automobile dans cette région pendant cette période en

Page 6942

1 étant en sécurité ?

2 R. Non. Cela n'était pas du tout sûr de se déplacer en voiture à ce

3 moment-là. Les mouvements des habitants se faisaient essentiellement

4 pendant la nuit.

5 Q. Lorsque vous vous êtes trouvé plus ou moins à plein temps à Shale, si

6 vous aviez besoin de vous rendre à un autre endroit, disons par exemple, à

7 Nekovce, comment vous y rendiez-vous ?

8 R. Nekovce n'est pas très éloigné de Shale. Grand nombre de personnes

9 avaient la possibilité de s'y rendre à pied, mais il y avait également la

10 possibilité d'utiliser des véhicules comme des tracteurs, et cetera.

11 Q. Quel type de route ou de chemin ou de voie est-ce que, vous-même, vous

12 utilisiez au cours de cette période ? Qu'est-ce que vous utilisiez vous-

13 même ?

14 R. La route de Shale à Nekovce n'est pas une route goudronnée, c'est une

15 route en terre et qui comporte de nombreux obstacles.

16 Q. Quel était l'état de la route de Shale à Luzhnice ?

17 R. Je ne suis pas allé à Luzhnice à l'époque, mais c'était aussi un

18 itinéraire très difficile qui ressemblait à d'autres chemins de la région.

19 Lorsque nous parlons de routes, à l'époque, tous les habitants

20 étaient mobilisés pour construire ces routes, parce que les possibilités

21 d'aller et venir sur les grandes routes étaient limitées. Les gens devaient

22 utiliser des chemins de montagne de façon à pouvoir répondre à leurs

23 besoins alimentaires et vestimentaires.

24 Q. Je vais maintenant parler de Haradin Bala. Avez-vous jamais rencontré

25 Haradin Bala ?

Page 6943

1 R. De quelle période voulez-vous parler ?

2 Q. Est-ce qu'à un moment quelconque au cours de votre vie vous avez

3 rencontré Haradin Bala ?

4 R. J'ai rencontré Haradin Bala pour la première fois pendant la période

5 que j'ai passée à Shale. Autrement dit, c'est la période qui va de la mi-

6 juin à la fin du mois de juillet. Je l'ai rencontré plusieurs fois pendant

7 cette période.

8 Q. Que s'est-il passé à la fin de juillet ?

9 R. A la fin de juillet, la situation était très difficile. Les forces

10 serbes avaient entrepris une offensive contre un grand nombre de villages

11 et de bâtiments qui se trouvaient dans cette zone.

12 Q. Qu'est-il arrivé à votre dispensaire à Shale à la fin de juillet ?

13 R. La clinique à Shale, en raison de la pénétration des forces serbes dans

14 ce secteur, a été brûlée, comme l'ont été d'autres maisons dans le village

15 de Shale. Nous avons été obligés d'abandonner le dispensaire, la clinique,

16 et de poursuivre notre activité dans les montages, c'est-à-dire d'apporter

17 une aide médicale à qui en avait besoin.

18 Q. Est-ce que vous vous rappelez approximativement la date à laquelle vous

19 avez dû quitter la clinique Shale ?

20 R. La date à laquelle j'ai quitté la clinique à Shale est si facile de

21 s'en souvenir à cause des événements qui ont eu lieu ce jour-là. Plusieurs

22 positions qui étaient tenues par des soldats de l'UCK sont tombées aussi.

23 C'était le 25 ou le 26 juillet.

24 Q. Parlons, pour le moment, de la semaine qui a précédé cela, la semaine

25 qui se termine le 25 et le 26 juillet. Est-ce que vous vous rappelez où

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1 vous vous trouviez au cours de cette semaine ?

2 R. Pendant la semaine en question, j'étais à Shale.

3 Q. Est-ce que vous avez quitté Shale pour une raison quelconque, si vous

4 vous en souvenez, au cours de cette semaine ?

5 R. Je ne me rappelle pas, mais je pense que non, parce que nous avions un

6 très grand nombre de patients qui avaient besoin de soins médicaux. Le

7 nombre de médecins était très, très réduit; il y avait seulement moi et

8 deux autres collègues. Certains d'entre eux s'occupaient à Kroimire, à

9 Pjetershtice. Par conséquent, au cours de cette période, j'étais très

10 bloqué à Shale.

11 Q. Quand vous avez quitté ce dispensaire, cette clinique, quand vous aviez

12 à la quitter, est-ce que vous partiez normalement ou est-ce que vous

13 partiez rapidement, de façon précipitée ?

14 R. Il était recommandé par les soldats et les collègues de l'UCK que les

15 membres de la population quittent les immeubles, les bâtiments, parce que

16 plusieurs positions de l'UCK étaient tombées et il y avait la possibilité

17 que le pire arrive. Nous avions pour consigne de quitter les bâtiments et

18 de nous enfuir vers la montagne, où un certain nombre de soldats, par la

19 suite, se positionneraient de façon à défendre la population qui se

20 trouvait dans ce secteur.

21 Q. Lorsque vous dites qu'il était "nécessaire pour nous de partir," est-ce

22 que vous voulez parler d'absolument tout le monde à Shale ou seulement de

23 ceux qui se trouvaient à votre clinique ou quoi ?

24 R. Ceci valait pour l'ensemble de la population, parce qu'à l'époque, ces

25 bâtiments étaient pris pour cibles à distance. Les forces serbes les

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1 pilonnaient, ces bâtiments, et par conséquent, la population était obligée

2 d'aller se réfugier dans les montagnes, de façon à trouver un abri.

3 Q. Je ne sais pas si vous pouvez décrire pour nous comment se passaient

4 les choses à l'époque, mais est-ce que les gens simplement se levaient,

5 faisaient leurs valises, et partaient en bon ordre, ou que faisaient-ils ?

6 R. Au cours de cette période, je peux vous dire ce qui s'est passé parce

7 que nous étions les derniers à quitter la place, en raison d'un grand

8 nombre de blessés dont nous devions nous occuper, à cause du pilonnage. Le

9 nombre de personnes blessées était important. On les a mis sur des

10 remorques. Il est arrivé que des obus tombent sur les remorques et les

11 tracteurs, et de nombreuses personnes ont été blessées, y compris des

12 enfants et des femmes. Il y avait un chaos total, une panique totale. Les

13 habitants couraient, ainsi que les enfants, les femmes, pour essayer de

14 prendre, dans leurs maisons, différents produits, comme de la farine ou

15 d'autres aliments dont ils avaient besoin pour vivre dans la montagne.

16 Q. Dans ces conditions, est-ce que vous avez pu emporter toutes vos

17 fournitures médicales ?

18 R. Oui, mais pas toutes. Puisque vous posez la question, je me rappelle

19 très bien que j'ai dû abandonner un microscope, qui a été détruit très

20 exactement à l'endroit où, nous, nous étions en train de soigner les

21 patients.

22 Q. Est-ce que vous avez pu emporter avec vous des dossiers que vous auriez

23 tenus, correspondant à des traitements des patients au dispensaire pendant

24 que vous vous trouviez à Shale ?

25 R. Non. Peut-être quelques notes, mais les dossier médicaux principaux, et

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1 il y en avait beaucoup, nous n'avons pas réussi à les emporter. J'ai laissé

2 un très grand nombre de livres. Il y avait un livre sur la chirurgie, la

3 chirurgie infectieuse, et d'autres livres. Tout cela, j'ai dû le laisser.

4 Q. Alors, vous avez dit que vous aviez traité -- ou vous aviez vu Haradin

5 Bala à Shale entre la mi-juin et la fin de juillet. Combien de fois vous

6 souvenez-vous l'avoir vu au cours de cette période ?

7 R. Le nombre de visites que M. Bala a fait à notre clinique ou notre

8 dispensaire était important parce qu'il avait de fréquents problèmes de

9 santé. Il est peut-être venu une dizaine de fois pendant cette période, ou

10 même peut-être davantage.

11 Q. Est-ce que ceci s'étale sur l'ensemble de la période de mi-juin à la

12 fin de juillet ou est-ce que le nombre de visites est concentré sur une

13 période plus brève, si vous comprenez ma question ?

14 R. J'ai l'impression que le nombre de visites est allé depuis la mi-juin

15 jusqu'au moment où la panique a éclaté, comme je vous l'ai dit. Je ne me

16 rappelle pas des dates exactes auxquelles il est venu pour une visite

17 médicale, mais je sais qu'il est venu souvent au cours de cette période,

18 pendant toute la période.

19 Q. Si nous parlons de la période qui va de la mi-juin jusqu'au 25 ou 26

20 juin, nous parlons d'une période qui représente six à sept semaines. Ce

21 n'est pas vraiment une question directrice; c'est simplement un fait. Vous

22 dites environ 10 fois au cours de cette période ?

23 M. HARVEY : [interprétation] Je ne pense pas que ce soit une question

24 directrice.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

Page 6947

1 M. HARVEY : [interprétation]

2 Q. Est-ce que j'ai répondu à ma propre question directrice ? Excusez-moi.

3 Je l'ai probablement fait. Dans ce cas, je vais passer à autre chose. Je

4 poursuis.

5 R. Oui, c'est cela.

6 Q. Vous avez dit au Tribunal que vous vous rappelez Haradin Bala. Après

7 l'avoir soigné jusqu'à 10 fois, quand l'avez-vous revu après et dans

8 quelles circonstances ?

9 R. Si je n'avais pas vu Haradin Bala à la télévision lorsque tout ceci a

10 commencé, je ne sais pas quand je l'aurais vu. C'était la première fois,

11 après la période, où je l'ai vu à la télévision.

12 Q. Quelle a été votre réaction lorsque vous l'avez vu à la télévision ?

13 R. Je n'ai pas eu de réaction particulière. Je me suis simplement rappelé

14 ce patient qui pour moi était un patient spécial, parce qu'il était très

15 rare pour moi, à l'époque, cela n'arrivait presque jamais, de voir un des

16 soldats de l'UCK qui venait demander mon aide pour des raisons de santé.

17 Q. Vous dites, "pour des raisons de santé," autre que des blessures

18 causées par la guerre, vous voulez dire des problèmes de mauvaise santé ?

19 C'est cela que vous dites ?

20 R. Oui. D'habitude, les soldats de l'UCK, dans la plupart des cas,

21 lorsqu'ils venaient demander de l'aide, voulaient être traités pour des

22 blessures qu'ils avaient subies au cours d'exercices militaires, ceci, au

23 cours de combats avec les forces serbes.

24 M. HARVEY : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les

25 Juges, je suis sur le point de passer à des plaintes précises et

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1 particulières pour lesquelles le Dr Selimi a traité M. Bala, peut-être que

2 le moment serait bon pour suspendre l'audience, si ceci convient à la

3 Chambre.

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Harvey.

5 Nous reprendrons à 18 heures moins 10.

6 M. NICHOLLS : [interprétation] Excusez-moi.

7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Nicholls.

8 M. NICHOLLS : [interprétation] Une correction du compte rendu, je pense. A

9 la ligne 19, il est dit qu'il se rappelait la passion -- la personne ou le

10 patient, je crois que c'était.

11 M. HARVEY : [interprétation] Oui.

12 M. GUY-SMITH : [interprétation] Je note passion, mais --

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'ai fait automatiquement la

14 correction, mais je suis heureuse si on veut bien me corriger.

15 Docteur, nous allons maintenant suspendre la séance pour changer les bandes

16 d'enregistrement. Nous reprendrons à 18 heures moins dix.

17 --- L'audience est suspendue à 17 heures 30.

18 --- L'audience est reprise à 17 heures 53.

19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Harvey, vous avez la parole.

20 M. HARVEY : [interprétation] Merci.

21 Q. Docteur, lorsque Haradin Bala s'est présenté à votre clinique en juin

22 et en juillet 1998, de quoi souffrait-il ?

23 R. Haradin, comme je l'ai déjà dit, souffrait d'un problème de santé

24 particulier. Il se plaignait de douleurs à la poitrine. Il se sentait

25 faible et fatigué. Il était de façon générale faible.

Page 6949

1 Q. Est-ce que vous avez procédé à des examens médicaux ?

2 R. Oui. Lors de la visite médicale, j'ai écouté ses battements de cœur à

3 l'aide du stéthoscope. Nous n'avions pas de matériel plus sophistiqué pour

4 établir un diagnostique. Nous ne pouvions qu'écouter les battements de son

5 cœur. Je prenais des notes dans son dossier. J'ai noté ses problèmes

6 médicaux passés et présents, et j'ai découvert qu'il suivait un traitement

7 pour ce problème.

8 Q. Vous souvenez-vous aujourd'hui si, lorsqu'il vous a parlé de ses

9 antécédents médicaux, il vous a parlé de certains problèmes chroniques

10 qu'il connaissait depuis longtemps ?

11 R. Oui. Il m'a dit qu'il avait des problèmes depuis longtemps et que

12 lorsqu'il avait ces crises, il utilisait certains médicaments, qu'il m'a

13 montrés. Il avait apporté des médicaments avec lui. Ce sont des médicaments

14 dont il se servait parfois lorsqu'il avait ces problèmes.

15 Q. De quel type de médicament s'agissait-il ?

16 R. Il avait des tablettes de nitroglycérine dont il se servait lorsqu'il

17 éprouvait des douleurs et des sensations d'étouffement

18 Q. En général, à quoi sert la nitroglycérine ?

19 R. En tant que médecin, hors mis les symptômes cliniques que présentait M.

20 Bala et ce dont il se plaignait, les explications qu'il m'a fournies au

21 sujet de ses antécédents médicaux, m'ont permis de me rendre compte,

22 lorsque j'ai vu ces tablettes de nitroglycérine qu'il m'a présentées, qu'il

23 ressentait des douleurs de type d'angine pectorale qui se traduisaient par

24 une restriction des vaisseaux sanguins qui empêchait le cœur de fonctionner

25 convenablement, et ceci conduisait à d'autres problèmes. Il avait des

Page 6950

1 problèmes d'angine de poitrine.

2 Q. A quoi servait la nitroglycérine ?

3 R. Les symptômes que j'ai constatés sur ce patient, c'est-à-dire M. Bala,

4 indiquaient qu'il souffrait de resserrement des coronaires. Les symptômes

5 durant 10 minutes au plus, et au bout de ces 10 minutes, le patient, soit

6 se sent mieux, soit utilise de la nitroglycérine, car la nitroglycérine

7 permet de dilater les vaisseaux sanguins qui sont resserrés. En principe,

8 les vaisseaux sanguins se resserrent à hauteur de 50 ou 80 %, et la

9 nitroglycérine permet de les dilater.

10 Q. Lorsque vous avez procédé à un examen médical sur cette personne, est-

11 ce que vous avez remarqué d'autres problèmes physiques ?

12 R. Il était toujours faible, de façon générale. Il pouvait à peine se

13 déplacer. Il avait du mal à respirer. Tout ceci était la conséquence de ses

14 problèmes de santé. Les vaisseaux ou les muscles du cœur ne fonctionnaient

15 pas convenablement à cause de cela. Compte tenu de l'équipement dont je

16 disposais à l'époque, je n'ai pas pu déterminer dans quelle mesure son

17 insuffisance était grave.

18 Q. En juin et juillet 1998, est-ce que vous avez soigné d'autres soldats

19 de l'UCK qui souffraient de problèmes cardiaques ?

20 R. Non. Comme je l'ai déjà dit, en général, les soldats venaient me voir

21 lorsqu'ils présentaient des blessures, mais pas pour des problèmes

22 cardiaques. Je n'avais pas d'autres patients qui souffraient de problèmes

23 cardiaques.

24 Q. Là encore, le terme utilisé par le témoin est "patient".

25 Le fait qu'il servait en tant que soldat à l'époque, vous a-t-il

Page 6951

1 conduit à formuler des recommandations particulières eu égard aux missions

2 qui devaient lui être confiées ?

3 R. Dans de tel cas, lorsque les soldats n'étaient pas en mesure d'exercer

4 leurs tâches quotidiennes, nous formulions des recommandations. Je ne suis

5 pas certain que, dans ce cas, mes recommandations se soient faites par

6 écrit ou verbalement. Je me souviens avoir recommandé que M. Bala participe

7 à des activités physiques légères, ce qui lui permettrait de ne pas

8 s'épuiser. Compte tenu de son état de santé, je pensais qu'il devait peut-

9 être quitter l'armée.

10 Q. Vous souvenez-vous quelle était la température en juin et en juillet

11 1998 ?

12 R. En principe, le mois de juillet chez nous est un mois très chaud; c'est

13 là qu'il fait le plus chaud. Je ne peux pas vous préciser les températures

14 précises, mais ces températures peuvent monter jusqu'à 30 ou 35 degrés.

15 Q. Vous souvenez-vous si ce fut le cas cet été là, par opposition aux

16 conditions météo qui règnent en général ?

17 R. Oui, c'était le cas.

18 Q. Est-ce que vous connaissez la configuration du terrain dans les monts

19 Berisa ?

20 R. Oui.

21 Q. Vous nous avez dit que vous y aviez trouvé refuge en compagnie de

22 centaines, voire de milliers de réfugiés.

23 R. Oui.

24 Q. Comment décririez-vous ce terrain ? Etait-il facile de se déplacer sur

25 ce terrain ?

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1 R. De façon générale, il s'agit d'un terrain accidenté. Il y a des

2 collines. Il y a des endroits assez abrupts, des sentiers étroits, qui sont

3 difficiles d'accès. Il était très difficile de s'y déplacer. J'avais du mal

4 à m'y retrouver moi-même.

5 Q. Vous trouviez que le terrain était d'accès difficile pour vous-même ?

6 R. Tout à fait.

7 Q. Comment décririez-vous votre état de santé au cours de l'été 1998 ?

8 R. Mon état de santé était très bon.

9 Q. Pour quelqu'un comme M. Bala, compte tenu de son état de santé, de la

10 configuration du terrain, et de la chaleur qui y régnait, que diriez-vous

11 au sujet des répercussions que cela ait pu avoir sur lui au plan médical,

12 s'il avait dû marcher sur une distance de deux ou trois kilomètres à

13 travers les montagnes ?

14 R. L'état de santé de M. Bala ou un état de santé similaire, suppose que

15 le patient doit éviter les températures extrêmes, et doit éviter les

16 activités physiques trop intenses. Les conditions et la configuration du

17 terrain ne pouvaient qu'aggraver son état de santé. C'est la raison pour

18 laquelle, j'ai recommandé qu'il soit soigné dans une institution

19 spécialisée, et si possible qu'il quitte l'armée.

20 Q. Je vous remercie. Il y a aura peut-être des questions supplémentaires

21 qui vous seront posées.

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Mansfield.

23 M. MANSFIELD : [interprétation] Merci, pas de questions.

24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Topolski.

25 M. TOPOLSKI : [interprétation] Pas de questions.

Page 6953

1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Nicholls.

2 Contre-interrogatoire par M. Nicholls :

3 Q. [interprétation] Bonjour Docteur, ou plutôt bonsoir. En premier lieu,

4 pourriez-vous me dire à quelle fréquence vous avez rencontré les conseils

5 de la Défense de M. Bala, en l'espèce ? Il s'agit d'une question

6 préliminaire. Combien de fois les avez-vous rencontré avant de témoigner ?

7 R. J'ai rencontré l'équipe de la Défense de M. Bala à deux reprises avant

8 de venir témoigner ici.

9 Q. Les avez-vous rencontré au Kosovo ?

10 R. Oui.

11 Q. Les avez-vous également rencontré à votre arrivée à La Haye ?

12 R. Oui.

13 Q. Ceci ne pose aucun problème, mais ils vous ont décrit la manière dont

14 les choses se passeraient dans le prétoire, où vous seriez assis, comment

15 les questions vous seraient posées et de quoi vous parleriez lors de votre

16 déposition, n'est-ce pas ?

17 R. Non. J'ai répété aux avocats les propos que j'avais tenus précédemment.

18 Q. Très bien. Vous avez fait une déclaration au Kosovo, et vous avez de

19 nouveau passé en revue cette déclaration ici à La Haye, n'est-ce pas ?

20 R. Oui.

21 Q. Afin de vous assurer que les réponses que vous fourniriez au sujet de

22 M. Bala seraient complètes, n'est-ce pas ?

23 R. Oui.

24 Q. Et aussi précises que possible, d'après vos souvenirs, n'est-ce pas ?

25 R. Oui.

Page 6954

1 Q. Vous avez rejoint les rangs de l'UCK le 5 mai 1998 à Lipjan, ceci par

2 l'intermédiaire de Shukri Buja, qui est un parent. Il faut que vous

3 répondiez à voix haute.

4 R. Oui, c'est exact.

5 Q. A l'époque, étiez-vous également en contact avec Ram Buja ?

6 R. Non. A l'époque, je n'étais pas en contact avec Ram Buja.

7 Q. Ram Buja est le frère de Shukri Buja, n'est-ce pas ?

8 R. Oui.

9 Q. C'est également un parent à vous ?

10 R. Oui, ils sont frères, et comme j'ai expliqué, ce sont les fils de mon

11 oncle.

12 Q. Etiez-vous en contact avec Ram Buja en juin et en juillet 1998 ? Lui

13 avez-vous parlé ?

14 R. Je crois que je n'ai pas contacté Ram Buja. J'ai contacté Shukri Buja.

15 Pour ce qui est de Ram, je suis entré en contact avec lui plus tard, au

16 mois de septembre.

17 Q. Comment êtes-vous entré en contact avec Shukri Buja en juin et en

18 juillet 1998 ? Où lui avez-vous parlé ?

19 R. J'ai rencontré Shukri au mois de mai. C'est la première fois que nous

20 nous sommes rencontrés. Après cela, je le rencontrais de temps en temps à

21 Shale. Il avait d'autres missions à effectuer, si bien que je ne pouvais le

22 voir que de temps en temps à la clinique ambulatoire de Shale.

23 Q. Lorsque vous avez rejoint l'UCK, c'était suite à une invitation, je

24 pense que c'est le terme qui a été utilisé, invitation de Shukri Buja,

25 n'est-ce pas ?

Page 6955

1 R. Oui.

2 Q. Est-ce que vous avez invité ou proposé à d'autres personnes de

3 rejoindre les rangs de l'UCK, afin d'essayer de trouver une solution pour

4 le Kosovo ?

5 R. A l'époque, bien entendu, j'ai demandé de l'aide à d'autres personnes

6 afin de rassembler du matériel et de traiter de tout ce qui portait sur la

7 logistique. Il fallait que je puisse accomplir la mission dans mon secteur.

8 Q. Si je vous ai bien compris, afin que vous puissiez accomplir ces

9 missions, exercer ces tâches, vous demandiez à d'autres personnes de se

10 joindre à vous et de rejoindre les rangs de l'UCK ?

11 R. Soit de rejoindre les rangs de l'UCK, soit d'aider l'UCK. Cela

12 dépendait de ce que les gens souhaitaient.

13 Q. Vous avez parlé de votre parcours et des difficultés que vous avez

14 rencontrées à la faculté de médecine lorsque vous y étudiez, difficultés

15 liées aux persécutions exercées par le régime serbe. Veuillez parlez un peu

16 plus fort, s'il vous plaît ?

17 R. Oui, c'est exact.

18 Q. Alors que vous étudiiez à l'époque, je pense que vous avez déclaré que

19 vous aviez obtenu votre diplôme en 1993 ?

20 R. Oui.

21 Q. Vous avez suivi des études de médecine générale, n'est-ce pas ?

22 R. Oui, c'est exact.

23 Q. Vous avez effectué la spécialisation que vous exercez actuellement

24 après la guerre ? Vous avez suivi une formation dans ce domaine après la

25 guerre, n'est-ce pas ?

Page 6956

1 R. Oui. J'ai commencé à me spécialiser après la guerre, et j'ai terminé

2 cette spécialisation, il y a deux ans.

3 Q. Merci.

4 A l'époque, à votre clinique de Shale, clinique que vous avez décrite

5 comme un hôpital de fortune, improvisé ?

6 R. Oui, c'était comme cela.

7 Q. Cet endroit n'avait rien avoir avec l'endroit où vous travaillez

8 actuellement à Pristina ?

9 R. Absolument pas.

10 Q. A cette clinique, est-ce que vous disposiez de matériel informatique

11 vous permettant de vous aider dans vos diagnostics ?

12 R. Non, à l'exception d'équipement manuel, d'outils tels que les

13 stéthoscopes ou des appareils permettant de mesurer la tension artérielle,

14 nous n'avions rien.

15 Q. Vous ne pouviez pas faire d'électrocardiogrammes, ou de choses de ce

16 genre ?

17 R. Non, absolument pas.

18 Q. Vous ne pouviez pas faire d'angiographie coronaire ou d'artériographie,

19 n'est-ce pas ?

20 R. Vous avez raison. Ce n'était pas possible.

21 Q. Malheureusement, vous ne pouviez pas procéder à des examens

22 informatiques permettant de mesurer le fonctionnement du coeur ?

23 R. Non.

24 Q. Si je vous ai bien compris, lorsque M. Bala vous a rendu visite, est-ce

25 qu'il portait un surnom, ou bien le connaissiez-vous sous le nom de Haradin

Page 6957

1 Bala ?

2 R. Lorsqu'il s'est présenté, je crois que dans nos notes nous consignions

3 les noms et les prénoms, je suis sûr qu'il s'est présenté en déclinant son

4 identité complète.

5 Q. Je crois comprendre que lorsqu'il est arrivé vous avez peut-être pris

6 sa tension artérielle et vous avez écouté son rythme cardiaque à l'aide de

7 votre stéthoscope ?

8 R. Oui.

9 Q. Il avait ses cachets de nitroglycérine, et cela vous a permis en

10 quelque sorte d'identifier le problème dont il souffrait, du fait de ces

11 médicaments ?

12 R. Oui, il m'a informé que, dans ce genre de situations, il prenait les

13 cachets de nitroglycérine.

14 Q. Bien. Mais il n'a pas été à même de vous fournir ses radios ainsi que

15 ses dossiers médicaux que vous auriez pu étudier ?

16 R. C'est une situation qui s'est répétée souvent. Lors de toutes ses

17 visites, je me suis forgé une impression de M. Bala, et je lui ai

18 recommandé de faire en sorte de pouvoir faire tous les examens dans des

19 institutions médicales pour ce qui est de son état de santé. En fait, tout

20 ce que j'en ai conclu en tant que médecin se fondait sur ses propos et sur

21 ses antécédents médicaux.

22 Q. Oui, mais ce que je voulais savoir c'est si vous aviez accès à un

23 dossier médical écrit lorsque vous l'avez vu pour la première fois, ou est-

24 ce que vous avez tout simplement écouté ce qu'il vous a dit ?

25 R. Essentiellement, je me suis fondé sur ce qu'il m'avait dit, et j'ai

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1 également pris en considération les possibilités dont je disposais à

2 l'époque pour pouvoir dégager une opinion ou un avis médical.

3 Q. Vous nous dites que vous lui avez dit que, dans la mesure du possible,

4 il devrait se rendre dans des endroits mieux équipés, des hôpitaux où ils

5 pourraient lui faire subir de meilleurs tests et peut-être lui proposer

6 d'autres médicaments parce que vous ne pouviez pas le faire ?

7 R. C'est exact.

8 Q. D'après votre déposition, j'ai l'impression que les visites de M. Bala

9 étaient assez identiques. Vous le voyiez, il vous indiquait ce dont il

10 souffrait, il vous parlait de là où il avait mal, vous vous contentiez de

11 l'observer, et puis ensuite vous le renvoyiez en fait parce que vous ne

12 pouviez pas faire grand-chose, n'est-ce pas ?

13 R. Il était absolument convaincu et déterminé de rester au sein des rangs

14 de l'UCK. Parfois, je lui ai donné des médicaments qui lui faisaient

15 défaut, parfois il est venu chercher des cachets de nitroglycérine qu'il

16 utilisait par la suite.

17 Q. En dépit de vos recommandations, il était résolu ou déterminé de rester

18 au sein de l'UCK ?

19 R. En fait, ce n'est pas dans ce qu'il disait ou par ce qu'il disait que

20 je me suis rendu compte de sa détermination, mais je le voyais dans le fait

21 qu'il n'a pas essayé de chercher un secours médical ailleurs.

22 Q. Est-ce que vous avez suivi cette affaire chez vous grâce à la presse ou

23 à la télévision ou sur Internet ?

24 R. Oui, de temps à autre, mais je ne suis pas cela régulièrement,

25 seulement lorsque je peux le faire.

Page 6959

1 Q. Pourriez-vous nous dire où se trouve l'hôpital Gajrak, il se trouve

2 près de Malisevo. Connaissez-vous un hôpital de ce nom ou une clinique ?

3 R. Oui. Il existait pendant la guerre dans la municipalité de Malisevo,

4 toutefois je n'y suis pas allé. Je sais qu'un de mes confrère, un médecin

5 qui s'appelait Agim Hazrolli, il était urologue -- ou neurologue, je sais

6 qu'il y travaillait.

7 Q. Savez-vous qu'en 1998, lorsque Haradin Bala est venu vous voir, il

8 fumait ?

9 R. Je ne me souviens pas s'il fumait ou non, mais je lui ai recommandé de

10 ne pas fumer.

11 Q. Quelqu'un qui souffre de troubles cardiaques et qui a l'habitude de

12 fumer, je suppose que la chose la plus efficace qui puisse être faite est

13 d'arrêter de fumer, n'est-ce pas ?

14 R. C'est l'une des mesures qui doivent être prises. Je ne me souviens pas

15 avoir parlé de cela avec M. Bala. Toutefois, nous avons évoqué toutes les

16 mesures qu'il devrait prendre pour améliorer son état de santé.

17 Q. Certes, mais s'il y avait quelqu'un qui venait vous voir maintenant,

18 pas Haradin Bala mais quelqu'un d'autre, qui souffre de troubles cardiaques

19 et qui fume deux paquets de cigarettes par jour, et qui vous annonce qu'il

20 n'a absolument pas l'intention de s'arrêter, vous penseriez que cette

21 personne n'est pas forcément particulièrement préoccupée par son état de

22 santé, n'est-ce pas ?

23 R. J'ai de nombreux patients à qui je recommande de ne pas fumer. Mon père

24 est décédé il y a deux mois. Il était dans un état de santé très précaire

25 et insistait pour fumer ses cigarettes. Je n'ai pas essayé de le convaincre

Page 6960

1 d'arrêter. Je l'autorisais à fumer parce qu'il vivait ses dernières heures.

2 Il est très difficile de convaincre les patients.

3 Q. Mais vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Si vous avez un

4 patient qui est un gros fumeur et qui a un problème cardiaque, si cette

5 personne refuse ne serait-ce que d'essayer d'arrêter de fumer, je suppose

6 que vous en déduirez que cette personne ne respecte pas vos recommandations

7 médicales, n'est-ce

8 pas ?

9 R. Non, ce n'est pas ce que je pense.

10 Q. Quelqu'un qui n'a absolument pas l'intention de s'arrêter de fumer

11 alors que les médecins lui disent qu'il a un problème cardiaque, vous ne

12 considérez pas que cette personne ne respecte pas ou ne tient pas compte

13 des recommandations de son médecin ?

14 R. Je considère cette personne comme une personne qui ne respecte pas les

15 recommandations médicales, mais je ne la considère pas comme une personne

16 qui ne s'occupe pas de sa santé.

17 Q. Bien. Mais il s'agit de quelqu'un qui ignore un risque grave pour sa

18 santé, un risque connu parce que cette personne continue de fumer.

19 R. Oui. Cela peut être le cas, mais beaucoup de nos patients ont une

20 véritable passion pour leurs cigarettes ou leur tabac.

21 Q. Je vous avais demandé tout à l'heure combien de fois vous aviez

22 rencontré la Défense, et je vous avais demandé ce que vous leur avez dit,

23 je vous indique que je l'ai fait maintenant parce qu'ils nous ont fourni

24 une synthèse de votre déclaration d'après les réunions que vous avez eues

25 avec eux. La synthèse ou le résumé que nous avons reçu indique que lorsque

Page 6961

1 Haradin Bala est venu vous voir dans votre clinique, il le faisait environ

2 une fois par semaine pendant la période au cours de laquelle vous l'avez

3 vu.

4 R. Oui, environ. Je ne sais pas combien de fois exactement, mais oui,

5 approximativement, certes.

6 Q. Il s'agissait d'une période de sept semaines, comme l'a dit Me Harvey.

7 Est-ce que vous pensez l'avoir vu sept fois, dix fois, ou vous ne vous en

8 souvenez plus ?

9 R. Je ne me souviens pas exactement s'il s'agissait de sept, huit ou dix

10 fois, mais je me souviens que les visites étaient fréquentes. Chaque

11 semaine, il est venu me voir une fois, voire plus d'une fois.

12 Q. J'aimerais vous poser des questions à propos du 18 juillet 1998. Je ne

13 sais pas si vous vous souvenez où vous vous trouviez ce jour-là, mais vous

14 souvenez-vous de l'endroit où vous vous trouviez et de ce que vous faisiez

15 ce jour-là ?

16 R. De quel jour s'agit-il ?

17 Q. Du 18 juillet 1998.

18 Q. Je ne m'en souviens plus, mais étant donné que je me trouvais à Shale

19 la plupart du temps, je suppose que je devais être à Shale ce jour-là parce

20 que je ne suis pas parti de Shale pendant cette période.

21 Q. Vous souvenez-vous avoir rencontré une personne répondant au nom

22 d'Ismail Berbatovci ce jour-là ou pendant cette période ?

23 R. Non.

24 Q. Mais vous vous souvenez de ce nom, n'est-ce pas ?

25 R. Oui, je me souviens de ce nom.

Page 6962

1 Q. Vous savez de qui il s'agissait ?

2 R. Oui.

3 Q. Il était journaliste ?

4 R. Oui, c'est exact.

5 Q. Vous ne vous souvenez pas l'avoir rencontré lorsqu'il est arrivé à

6 Blinaje pour essayer d'obtenir un entretien de Ram Buja ce jour-là, le 18

7 juillet ?

8 R. Non. Je n'étais pas à Blinaje à cette période.

9 Q. Mais vous souvenez-vous lui avoir dit de prendre un rendez-vous pour

10 revenir à une date ultérieure parce que Ram n'était pas là ?

11 R. Non.

12 Q. Vous savez que le 23 juillet, Ismail avait un rendez-vous et est allé

13 trouver Ram Buja ?

14 R. Non, je ne m'en souviens pas.

15 Q. Vous vous souvenez qu'à cette date ou aux alentours de cette date, il a

16 disparu et n'a plus jamais été revu par sa femme et ses enfants, alors

17 qu'il se rendait à cet entretien avec Ram Buja ?

18 R. Non, je ne sais rien de cette affaire dont vous me parlez.

19 Q. Vous n'en savez rien du tout. Vous ne savez pas qu'il a disparu au mois

20 de juillet ?

21 R. Laissez-moi vous expliquer quelque chose si je puis. A la fin de la

22 guerre, j'ai entendu que Ismail Berbatovci figurait sur la liste des

23 personnes portées disparues, à savoir les personnes qui ne sont jamais

24 revenues chez elles.

25 Q. Vous ne vous souvenez pas avoir envoyé un message à sa famille le 24

Page 6963

1 juillet en indiquant qu'il avait été détenu par l'UCK qui souhaitait lui

2 poser des questions, mais qu'il serait mis en liberté assez vite ?

3 Réfléchissez un peu.

4 R. Non, jamais, jamais.

5 Q. N'avez-vous jamais rencontré sa femme ?

6 R. Non.

7 Q. Vous ne l'avez jamais rencontré ? Vous ne lui avez jamais dit qu'il

8 avait été pris par l'UCK et que vous ne pouviez absolument rien faire ?

9 R. Je ne lui ai jamais parlé de cela.

10 Q. Mais vous savez qu'il figurait sur la liste des personnes portées

11 disparues. Vous savez que son nom figure toujours sur cette liste,

12 puisqu'il est toujours porté disparu ?

13 R. Bien, écoutez. Je ne l'ai pas vu. Il ne faut pas oublier que c'était un

14 militant avant la guerre et que nous avons mené à bien des activités

15 ensemble, mais après la guerre, je ne l'ai plus vu.

16 Q. Vous ne savez pas qu'il a été l'une des personnes qui a été prises par

17 l'UCK en juillet 1998 et qu'il n'a plus jamais été revu depuis ?

18 R. Non, je ne sais rien à son sujet.

19 Q. Est-ce que votre pseudonyme était "Docteur" à l'époque ? Est-ce que

20 vous aviez un pseudonyme ?

21 R. Pardon, je vous en prie ?

22 Q. Est-ce que vous aviez un pseudonyme de l'UCK à l'époque ?

23 R. Non, je n'avais pas de pseudonyme, mais les gens avaient l'habitude de

24 faire référence à mon égard en tant que docteur. Il ne s'agissait pas d'un

25 pseudonyme; c'était plutôt par rapport à ma profession.

Page 6964

1 Q. Compte tenu de vos contacts avec l'UCK à l'époque, je pense à Shukri

2 Buja et aux autres personnes avec qui vous travailliez, vous saviez qu'à

3 l'époque, en juillet 1998, l'UCK enlevait des personnes et les gardait

4 prisonnières ?

5 R. Je n'ai jamais été au courant de ces activités.

6 M. NICHOLLS : [interprétation] Je n'ai plus de questions.

7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Harvey.

8 Nouvel interrogatoire par M. Harvey :

9 Q. [interprétation] Docteur, on vous a posé toute une série de questions à

10 propos de violations des conventions de Genève. Connaissez-vous les

11 conventions de Genève ?

12 R. J'ai lu ces conventions, notamment la convention relative aux

13 prisonniers de guerre, la convention relative au comportement à adopter

14 avec les civils, qui remontent à 1949 et qui étaient approuvées en 1950. Je

15 connais ces conventions en tant que membre et directeur de la Croix Rouge

16 internationale.

17 Q. Est-ce qu'à un moment donné, vous avez fourni des recommandations

18 précises ou des réglementations qui devaient être adoptées par l'UCK par

19 rapport justement à ces conventions de Genève ?

20 R. Oui. Cela n'était pas précisément lié aux conventions de Genève ou à

21 une convention donnée, mais plutôt pour ce qui est de la santé au sein des

22 rangs de l'UCK. Je l'ai fait en décembre, et j'ai préparé ces règles en

23 décembre 1998, que j'ai présentées aux fins d'approbation à l'état-major

24 général.

25 Q. En dernier lieu, on vous a posé des questions à propos de l'examen

Page 6965

1 physique que vous avez mené sur la personne de Haradin Bala. Est-ce qu'il y

2 avait d'autres manifestations, je pense à son visage ou à d'autres parties

3 de son anatomie, qui confirmaient la préoccupation que vous aviez, à savoir

4 qu'il souffrait véritablement d'un problème cardiaque très grave, et

5 d'autres questions qui n'auraient pas été mentionnées jusqu'à présent ?

6 M. NICHOLLS : [interprétation] Monsieur le Président, je ne pense pas que

7 soit une bonne question à poser. C'est quelque chose qui aurait dû être

8 posé pendant l'interrogatoire principal.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Poursuivez, Maître Harvey.

10 M. HARVEY : [interprétation] Je m'excuse, j'étais un peu distrait une

11 seconde. Je poursuis avec le microphone branché. Peut-être que je devrais

12 le faire plus souvent.

13 Q. Docteur, est-ce qu'il y avait d'autres manifestations physiques ?

14 R. Je me souviens, à la suite des visites fréquentes de M. Bala et compte

15 tenu de tous les symptômes - les symptômes cliniques, et les symptômes

16 physiques - que j'ai remarqués, qu'il avait de graves problèmes de santé.

17 Il y avait des manifestations qui étaient évidentes. De toute façon, je

18 n'avais pas d'autres possibilités pour confirmer ses symptômes, au vu des

19 moyens dont je disposais. Ses lèvres étaient bleutées. Son état de santé

20 était tel que l'on pouvait voir qu'il souffrait de problèmes cardiaques.

21 Q. Lorsque vous avez ces lèvres bleuâtres, qu'est-ce que cela indique ?

22 R. Ce genre de coloration indique une phase qui est expliquée par le

23 resserrement des coronaires, et le patient souffre d'insuffisance

24 cardiaque. Ce qui fait qu'il n'y a pas suffisamment de sang oxygéné qui

25 arrive au niveau des nerfs périphériques. Cette coloration montrait qu'il

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1 en était au début de la phase d'insuffisance cardiaque. Tous les symptômes

2 dont j'ai parlé indiquaient cela. C'est pour cela que je lui ai dit qu'il

3 fallait qu'il essaye d'obtenir une aide médicale beaucoup plus spécialisée.

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Docteur, je vous remercie beaucoup.

5 Nous en avons terminé avec les questions qui vous ont été posées. Vous

6 pouvez maintenant rentrer chez vous et rentrer dans votre cabinet pour

7 exercer votre profession. Je vous remercie de votre aide.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci beaucoup.

9 [Le témoin se retire]

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Votre prochain témoin, Maître Guy-

11 Smith.

12 M. GUY-SMITH : [interprétation] Pourrions-nous demander l'indulgence de la

13 Chambre. Nous avons un autre témoin qui attend, mais apparemment il n'est

14 pas dans le bâtiment.

15 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous pensez que demain à 14 heures

16 15 ?

17 M. GUY-SMITH : [interprétation] Je pense que demain à 14 heures 15, nous

18 aurons plus qu'assez de témoins pour remplir la journée. Nous avons,

19 apparemment, un témoin qui n'a pas réussi à prendre son avion, mais qui

20 sera là en temps utile, donc nous serons certainement en mesure d'avoir

21 assez de témoins pour l'audience.

22 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

23 M. GUY-SMITH : [interprétation] Je me permettrais de suggérer --

24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] On nous a dit qu'un troisième témoin

25 vient d'arriver.

Page 6967

1 M. GUY-SMITH : [interprétation] Parfait. Dans ce cas-là, je serais tout à

2 fait prêt à utiliser le temps qui reste.

3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Il s'agit de M. Bylykbashi, n'est-ce

4 pas ?

5 M. GUY-SMITH : [interprétation] Il s'agit de Skender Bylykbashi, oui.

6 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Témoin. Voudriez-

8 vous, s'il vous plaît, lire la déclaration solennelle qui figure sur la

9 carte qui vous est présentée.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

11 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

12 LE TÉMOIN: SKENDER BYLYKBASHI [Assermenté]

13 [Le témoin répond par l'interprète]

14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie. Vous pouvez vous

15 asseoir.

16 Maître Guy-Smith, c'est à vous.

17 Interrogatoire principal par M. Guy-Smith :

18 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur le Témoin.

19 R. Bonjour.

20 Q. Où demeurez-vous actuellement, Monsieur ?

21 R. Je vis au village de Bajice, dans la municipalité de Lipjan.

22 Q. Depuis quand y vivez-vous ?

23 R. J'y vis depuis une vingtaine d'années.

24 Q. Est-ce que vous avez un emploi actuellement ?

25 R. Oui.

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1 Q. Quel est votre travail ?

2 R. Je travaille au bureau de poste et je suis responsable des questions

3 juridiques.

4 Q. Lorsque vous dites que vous êtes responsable de questions juridiques,

5 de quel type de questions juridiques êtes-vous responsable, Monsieur ?

6 R. Elles ont trait essentiellement à des questions de propriété, c'est-à-

7 dire que je m'occupe des réclamations ou plaintes qui ont trait à des biens

8 du bureau de poste.

9 Q. Est-ce que vous êtes juriste ?

10 R. Oui, je suis juriste. J'ai un diplôme de droit.

11 Q. Quand vous dites que vous "avez un diplôme de droit," est-ce que vous

12 pratiquez comme avocat, par exemple, dans un tribunal comme celui-ci, dans

13 un prétoire, ou est-ce que vous pratiquez votre activité dans un autre

14 domaine ?

15 R. Je suis juriste de profession. Je suis juriste au sens général du

16 terme. Je m'occupe de représenter devant des cours et des tribunaux jusqu'à

17 un certain niveau.

18 Q. Je voudrais vous demander si vous connaissez Haradin Bala.

19 R. Oui, je le connais bien.

20 Q. Quand l'avez-vous rencontré pour la première fois ?

21 R. Je l'ai rencontré pour la première fois vers la mi-juin ou juillet - je

22 ne suis pas sûr du jour - de l'année 1998.

23 Q. A l'époque où vous l'avez rencontré, à mi-juin ou juillet 1998, où vous

24 trouviez-vous ?

25 R. J'étais dans le village de Bajice, comme il est appelé. Bajice.

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1 Q. Comment l'avez-vous rencontré ? Comment est-ce que cela a eu lieu,

2 votre rencontre, si vous voulez bien nous le dire ?

3 R. A l'époque, je m'occupais de l'organisation du village à cause de la

4 situation très difficile qui existait, et Haradin avait apporté de la

5 farine pour sa famille.

6 Q. Lorsque vous dites, "Haradin avait apporté de la farine pour sa

7 famille," quelle famille avait Haradin ? Pour quelle famille apportait-il

8 de la farine ?

9 R. Il s'agit de sa famille au sens restreint, c'est-à-dire la famille du

10 frère de sa femme, qui vit dans le même village que moi.

11 Q. Lorsque vous l'avez rencontré là, vous dites que "la situation était

12 difficile." A ce moment-là, est-ce que vous faisiez partie d'un groupe

13 combattant ou d'une organisation combattante ?

14 R. Pas encore à ce moment-là, mais j'avais des activités pour

15 l'organisation des tours de garde du village, parce que nous autres,

16 habitants du village, nous nous organisions, nous voulions observer les

17 mouvements des militaires serbes et des forces de police serbe.

18 Q. Est-ce que vous avez été membre de l'UCK au cours de cette période de

19 juin à juillet 1998 ?

20 R. Non, parce que je ne possédais pas d'arme. J'avais déjà exprimé le vœu

21 d'en devenir membre, mais j'attendais d'avoir une arme.

22 Q. Est-ce que le moment est venu où finalement vous êtes devenu membre de

23 l'UCK ?

24 R. Oui.

25 Q. Quand cela ?

Page 6970

1 R. Cela a été au cours de la journée où a commencé la grande offensive

2 contre les gorges de Lapusnik, le défilé de la Lapusnik, le 26 juillet

3 1998.

4 Q. Avant l'offensive du 26 juillet 1998, pourriez-vous nous dire, si vous

5 vous en souvenez, environ combien de fois vous avez vu Haradin Bala dans

6 votre village ?

7 R. Je l'ai peut-être vu quatre ou cinq fois. Je ne suis pas sûr parce que

8 je l'ai vu aussi par la suite.

9 Q. Lorsque vous dites que vous l'avez vu aussi par la suite, quand est-ce

10 que cela a eu lieu ?

11 R. Je l'ai vu après l'offensive, lorsque nous avons commencé à nous

12 réorganiser, et depuis lors, nous avons pratiquement été tout le temps

13 ensemble parce que nous avons servi dans le même endroit.

14 Q. Avant l'offensive du 26 juillet, lorsque vous l'avez vu, est-ce que

15 vous avez eu l'occasion de faire le point, de voir quelle était son

16 apparence, d'une façon ou d'une autre ?

17 R. Oui. Je pouvais me rendre compte de son apparence parce que moi-même

18 j'ai été surpris de la façon dont il tenait sont arme. Il avait l'air plus

19 âgé que les autres personnes qui voulaient devenir membres.

20 Q. Lorsque vous dites que vous avez été surpris, pourquoi avez-vous été

21 surpris ?

22 R. Parce qu'il semblait assez pâle, fatigué. Il avait des poches sous les

23 yeux, des cernes. Il avait le teint très pale et il ne semblait pas en

24 bonne santé. Il semblait avoir une mauvaise santé.

25 Q. Est-ce que vous avez eu une conversation avec lui concernant sa santé ?

Page 6971

1 R. Je ne me rappelle pas si c'est la première ou la deuxième fois que je

2 l'ai rencontré, mais je sais que lorsqu'il a apporté la farine, je voulais

3 savoir où il se l'était procuré. Je lui ai demandé, Où est-ce que tu t'es

4 procuré cette farine, comment as-tu pu l'apporter ici ? Il m'a dit qu'il

5 travaillait à Luzhnice, qu'il habitait à Luzhnice, et qu'il s'occupait

6 d'entreposer les choses là-bas.

7 Q. Pourquoi est-ce que --

8 R. Il y avait un entrepôt là.

9 Q. Pourquoi étiez-vous intéressé par de la farine ?

10 R. Parce qu'à l'époque, il n'était pas facile pour nous de trouver des

11 vivres et des aliments, parce que notre territoire était encerclé par les

12 forces ennemies et parce que nos mouvements étaient très limités. C'est

13 pour cela que je tenais beaucoup à apprendre tout ce qui n'était inhabituel

14 dans ces circonstances, dans ces conditions.

15 Q. Au cours de cette période - et là encore, je veux parler de la période

16 qui va de la mi-juin à juillet, lorsque vous l'avez vu à Bajice - pourriez-

17 vous nous dire quand vous l'avez vu, pendant combien de temps vous l'avez

18 vu ? Est-ce que vous l'avez vu rapidement, un instant ? Est-ce que vous

19 avez passé du temps avec lui, des journées, des heures, des minutes, même

20 des secondes ?

21 R. Je crois que nos conversations -- notre réunion a duré aussi longtemps

22 que la conversation dont j'ai parlé. Je ne peux pas vous dire combien de

23 minutes cela a duré.

24 Q. Indépendamment de la conversation que vous avez eue avec lui, est-ce

25 que vous avez eu l'occasion de le voir dans le village proprement dit, au

Page 6972

1 cours de la période qui a suivi votre conversation à tous les deux ?

2 R. Je pense que je vous ai dit que, d'après mes souvenirs, je l'ai vu

3 quatre ou cinq fois, mais les autres fois, nous avons moins parlé. La fois

4 dont j'ai parlé est celle où nous avons parlé le plus, mais je l'ai vu à

5 d'autres occasions également.

6 Q. A ces autres occasions lorsque vous l'avez vu, je comprends qu'il y a

7 eu des moments ou vous ne lui avez pas parlé, mais vous l'avez vu dans

8 votre village. Est-ce que c'est une façon exacte de dire les choses ?

9 R. Oui, c'est cela.

10 Q. Je vous remercie. Veuillez attendre un instant.

11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Mansfield.

12 M. MANSFIELD : [interprétation] Pas de questions, merci.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Topolski ?

14 M. TOPOLSKI : [interprétation] Pas de questions.

15 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Whiting.

16 Contre-interrogatoire par M. Whiting :

17 Q. [interprétation] Monsieur Bylykbashi, j'espère avoir correctement

18 prononcé votre nom. Le mien est Alex Whiting; je suis membre du bureau du

19 Procureur, substitut dans la présente affaire. Vous avez dit dans votre

20 déposition que vous aviez servi avec Haradin Bala au même endroit après le

21 26 juillet 1998; est-ce exact ?

22 R. C'est exact.

23 Q. C'était où ?

24 R. Au début, c'était aux gorges de Bajice.

25 Q. Pendant combien de temps avez-vous assuré votre service aux gorges de

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1 Bajice ?

2 R. D'après mes souvenirs, j'y étais pendant deux ou trois semaines.

3 Q. Haradin Bala se trouvait là pendant ces deux ou trois semaines, était

4 sur place ?

5 R. Oui, il était avec nous.

6 Q. Après ces deux ou trois semaines, où vous êtes-vous allés ?

7 R. Après ces deux ou trois semaines, nous sommes allés au village. C'était

8 une situation très difficile après l'offensive, et pendant deux ou trois

9 semaines, d'après mes souvenirs, nous ne nous sommes pas exposés. Nous

10 sommes restés à deux ou trois positions différentes, et c'étaient les

11 habitants du village qui nous ont apporté des vivres.

12 Q. Lorsque vous dites que vous êtes descendus au village, est-ce qu'il

13 s'agit du village de Bajince ?

14 R. Oui, le village de Bajince.

15 Q. Juste pour être bien au clair, je crois que vous en avez parlé, mais

16 juste pour être bien au clair, il s'appelle maintenant Bajince, mais

17 pendant la guerre, son nom était Bajice ?

18 R. Bajice, c'était pendant la guerre, et maintenant, c'est Baiz, B-a-i-z.

19 Q. Pendant la guerre, c'était Bajice ou Bajince ?

20 R. Je n'ai pas prêté un intérêt particulier à cela. Nous l'appelions

21 Bajice, et d'autres l'ont peut-être appelé Bajince. Le problème, c'est que

22 dans le village, nous l'appelons comme nous l'appelons, et les

23 municipalités l'appelaient de la façon qu'elles croyaient être correcte et

24 l'occupant avait ses propres raisons de l'appeler de la manière qu'il l'a

25 fait.

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1 Q. Je comprends. Lorsque vous êtes allé au village pendant deux ou trois

2 semaines et vous dites que vous êtes resté à différentes positions, deux ou

3 trois positions différentes, est-ce qu'Haradin Bala était toujours avec

4 vous ?

5 R. Il a été là pendant toute la période. Je n'étais pas seul. Au début,

6 nous étions 12 ou 13 pour autant que je puisse me souvenir. Nous restions

7 en petits groupes. Parfois, nous restions tous ensemble, parfois nous nous

8 égarions en groupes de quatre, cinq ou six.

9 Q. A la fin de cette période de deux ou trois semaines, où vous êtes-vous

10 rendus ?

11 R. Dans le village. Nous nous regroupions dans des maisons du village.

12 Q. S'agit-il toujours du village de Bajice ?

13 R. Oui. Je parle toujours de Bajince en ce qui concerne cette période.

14 Q. Est-ce qu'à un moment donné, vous avez quitté Bajice ?

15 R. Oui.

16 Q. Quand cela ?

17 R. Quelque temps après le Nouvel An. Nous avons passé la veille du Nouvel

18 An à Bajince. Ensuite, l'ensemble du groupe est allé à Zabel i Ulet -- ou,

19 je me corrige, à Zabel i Nalte.

20 Q. Est-ce qu'Haradin Bala est resté avec vous pendant toute cette période

21 à Bajince, jusqu'au moment où vous êtes parti la veille du Nouvel An, ou

22 après la veille du Nouvel An ?

23 R. Oui. Il est resté avec nous pendant toute la période. Il est même resté

24 avec nous après la veille du Nouvel An à Zabel.

25 Q. Où se trouve Zabel ?

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1 R. Zabel est une petite localité qui se trouve au sud du village de

2 Komorane -- en l'occurrence, je me corrige, à l'est du village de Komorane.

3 Q. Approximativement à quelle distance vers l'est ?

4 R. Je pense à deux kilomètres vers l'est, pas plus loin.

5 Q. Que faisiez-vous à Zabel ? Qu'est-ce que vous avez fait ? Est-ce que

6 vous étiez toujours avec l'UCK ?

7 R. Avec les soldats.

8 Q. Quels étaient vos fonctions, vos missions ?

9 R. Au début, je veux dire immédiatement après le Nouvel An, j'étais, en

10 fait, le chef du groupe qui se trouvait là.

11 Q. Quelles étaient les fonctions d'Haradin Bala ?

12 R. Les tâches d'Haradin Bala étaient d'observer à partir d'une pièce,

13 c'était une chambre d'amis dans une maison, avec une paire de jumelles,

14 d'observer les mouvements de l'ennemi parce qu'il y avait là la route

15 principale de Peja-Pristina. Donc sa mission était d'observer les

16 mouvements de l'ennemi et de voir quel était le nombre de véhicules qui se

17 déplaçaient dans les deux directions.

18 M. WHITING : [interprétation] Monsieur le Président, peut-être que le

19 moment serait venu.

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous devons lever la séance maintenant

21 à cause de l'heure. Nous reprendrons demain à 14 heures 15, à 2 heures et

22 quart. On vous prie d'être de retour à ce moment-là. Je vous remercie.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

24 --- L'audience est levée à 18 heures 59 et reprendra le mercredi 8 juin

25 2005, à 14 heures 15.