Affaire n° : IT-95-11-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I

Composée de :
M. le Juge Bakone Justice Moloto, Président
Mme le Juge Janet Nosworthy
M. le Juge Frank Höpfel

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
6 décembre 2005

LE PROCUREUR

c/

MILAN MARTIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE REPORT DU PROCÈS PRÉSENTÉE PAR LA DÉFENSE

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Le Bureau du Procureur :

Mme Hildegard Uertz-Retzlaff
M. Alex Whiting

Les Conseils de la Défense :

M. Predrag Milovancevic
M. Vuk Sekulic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, Section A (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal ») :

VU la demande (Motion to Postpone Setting of the Date of the Commencement of Trial) déposée le 21 novembre 2005, par laquelle la Défense de Milan Martic (la « Défense ») sollicite un report du proccs jusqu’ŕ ce qu’il soit statué sur ses demandes concernant l’aide juridictionnelle, à savoir : i) la demande d’allocation de fonds supplémentaires dans le cadre de l’aide juridictionnelle (Motion for Additional Legal Aid Funds), déposée le 18 mars 2005, ii) la demande adressée au Greffe aux fins d’allocation de fonds supplémentaires dans le cadre de l’aide juridictionnelle (Request to the Registry for Additional Legal Aid Funds), déposée le 27 septembre 2005, et iii) la demande adressée au Greffe aux fins de classer l’affaire dans la catégorie III (Request to the Registry to upgrade the case to Level III) présentée le 1er septembre 2005 et complétée le 12 octobre 2005,

ATTENDU qu’à la réunion tenue en l’espèce le 15 novembre 2005 en application de l’article 65 ter du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), les Parties ont été informées qu’une conférence préalable au procès était fixée au 12 décembre 2005,

ATTENDU que la Défense fait valoir que « le délai et les moyens accordés à l’Accusé et à la Défense pour la préparation du procès sont à ce jour insuffisants », et que l’examen des trois demandes concernant l’aide juridictionnelle est « une condition nécessaire avant d’envisager de fixer la date de l’ouverture du procès »,

ATTENDU que dès sa mise en détention provisoire le 15 mai 2002, l’Accusé remplissait les conditions pour bénéficier de l’aide juridictionnelle en application de l’article 21 4) d) du Statut et de l’article 45 du Règlement1 ; que le montant de l’aide juridictionnelle allouée à la Défense a été estimé par le Greffier sur la base des dispositions de la Directive relative à la commission d’office des conseils de la défense (la « Directive »), qui prévoit que, pour la phase de la mise en état, les sommes forfaitaires allouées à la défense pour la préparation du procès dépendent du classement de chaque affaire ; que le classement d’une affaire est décidé par le Greffier au vu des facteurs de « complexité »2 ; et que, vu la complexité de l’affaire à l’époque, le Greffier l’avait classée en catégorie I,

ATTENDU que le 2 mai 2003, à la suite de modifications apportées à l’acte d’accusation et en application de l’article 22 de la Directive3, le Greffe a classé l’affaire en catégorie II et, en conséquence, a alloué 700 heures de travail supplémentaires au conseil principal et 1000 heures de travail supplémentaires à l’équipe de la Défense,

ATTENDU que le 20 janvier 2004, le Greffier a rejeté la demande de la Défense du 24 novembre 2003 de classer l’affaire, pour son degré de complexité, en catégorie III, mais a alloué 400 heures supplémentaires au conseil et 500 heures supplémentaires à l’équipe de la Défense ; que peu après, le 2 février 2004, la Défense a renouvelé sa demande auprès du Greffier afin qu’il classe l’affaire, pour son degré de complexité, en catégorie III, demande rejetée par le Greffier le 19 mars 2004 ; que sur demande d’examen présentée par la Défense, la Chambre de première instance I a confirmé la décision du Greffier au motif qu’il n’existait aucun élément montrant que le Greffier aurait pris une décision d’une manière manifestement déraisonnable ; que, sur appel interjeté par la Défense, la Chambre d’appel a confirmé le 3 décembre 2004 la décision de la Chambre de première instance du 1er juillet 2004 ; que sur demande de réexamen de la décision de la Chambre d’appel présentée par la Défense le 3 décembre 2004, la Chambre d’appel a confirmé sa décision le 14 mars 2005,

ATTENDU que le 18 mars 2005, la Défense a déposé une demande d’examen de la décision du Greffier refusant d’allouer une aide juridictionnelle supplémentaire à la Défense ; que la Chambre de première instance a rejeté cette demande d’examen le 6 décembre 2005 au motif que la Défense n’avait pas convaincu la Chambre de première instance que le Greffier avait commis une erreur de nature à permettre un examen de la décision par la Chambre de première instance, comme l’indique la Chambre d’appel dans l’affaire Kvocka4,

ATTENDU que la Défense a avisé la Chambre de première instance qu’elle avait déposé deux demandes auprès du Greffier, afin qu’il classe l’affaire en catégorie III (le 1er septembre et le 12 octobre 2005), et demandé une aide juridictionnelle supplémentaire (le 27 septembre 2005) ; que le Greffier a répondu à ces demandes par une lettre du 30 novembre 2005, confirmant le bien-fondé de sa décision de classer l’affaire en catégorie II à la phase préparatoire, et allouant 160 heures supplémentaires au conseil et 160 heures supplémentaires à l’équipe de la Défense pour la préparation du procès,

ATTENDU que la Chambre de première instance est convaincue que la Défense a reçu une aide juridictionnelle qui aurait dû lui suffire pour préparer efficacement le procès ; que la Défense se verra attribuer une nouvelle aide juridictionnelle pour la durée du procès5 ; et qu’un report du procès retarderait l’attribution de cette nouvelle aide juridictionnelle à la Défense,

ATTENDU que la conférence préalable au procès est fixée au 12 décembre 2005 et que les déclarations liminaires en application de l’article 84 du Règlement sont prévues pour le 13 et le 14 décembre 2005,

ATTENDU que les dépositions ne commenceront pas avant la deuxième semaine de janvier 2006 au plus tôt, à une date qui sera fixée à la conférence préalable au procès, et que, dès lors, l’Accusé aura suffisamment de temps pour préparer sa défense,

ATTENDU que l’ajournement de neuf mois demandé par la Défense est inopportun6, notamment au vu de la durée de la détention provisoire de l’Accusé ; et qu’en conséquence, la Chambre de première instance n’est pas convaincue par l’argument de la Défense selon lequel le calendrier du procès porte atteinte au droit de l’Accusé à disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense, ou pourrait nuire à l’équité du procès,

ATTENDU qu’il est dans l’intérêt de la justice que le procès s’ouvre le 12 décembre 2005, la conférence préalable au procès et les déclarations liminaires de l’Accusation étant prévues pour les 13 et 14 décembre 2005,

EN APPLICATION DE l’article 54 du Règlement,

REJETTE la Demande.

 

Fait en anglais et en français, la version anglaise faisant foi.

Le 6 décembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre
_______________
Bakone Justice Moloto

[Sceau du Tribunal]


1. L’article 21 4) d) du Statut impose au Tribunal de fournir une aide juridictionnelle aux accusés qui n’ont pas les moyens de rémunérer un conseil. L’Accusé a été reconnu indigent par le Greffier du Tribunal international.
2. Les affaires peuvent être classées en catégorie I (difficile), catégorie II (très difficile) ou catégorie III (dirigeants). Les facteurs à prendre en compte pour effectuer cette évaluation comprennent le nombre et la nature des chefs d’accusation, les modifications possibles de l’acte d’accusation, la nature des exceptions préjudicielles (notamment d’incompétence), le nombre d’accusés pouvant faire l’objet d’une jonction d’instance, le nombre de témoins et de pièces, le territoire géographique couvert, le rang de l’accusé dans la hiérarchie politique ou militaire, et les problèmes juridiques susceptibles de se poser au cours du procès. Le système de payement forfaitaire est décrit en termes généraux dans le Rapport présenté par le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie à l’Assemblée générale des Nations Unies sur la structure et le fonctionnement de l’aide juridictionnelle, 31 mai 2003 (le « Rapport présenté aux Nations Unies »), par. 18 à 32.
3. L’article 22 A) de la Directive relative à la commission d’office des conseils de la défense est ainsi rédigé :
Lorsqu’un conseil a été commis d’office, les dépenses nécessaires et raisonnables pour assurer la défense du suspect ou de l’accusé sont à la charge du Tribunal, sous réserve des dispositions budgétaires, des règles et règlements, et de la pratique établie par les Nations Unies. Toutes les dépenses doivent être préalablement autorisées par le Greffier. Ce dernier peut refuser de régler les dépenses qui n’ont pas été autorisées. Au début de chaque phase de la procédure, le Greffier alloue une somme maximale à chaque équipe de la défense en se fondant sur la durée probable de cette phase. Lorsqu’une phase de la procédure est sensiblement plus longue ou plus courte que prévu, le Greffier réévalue la somme allouée. En cas de désaccord sur la dotation, le Greffier prend une décision, après consultation de la Chambre et, au besoin, du Conseil consultatif.
4. Voir Le Procureur c/ Kvocka et consorts, Décision relative à la demande d’examen de la décision du Greffier de suspendre l’aide juridictionnelle accordée à Zoran Zigic, rendue par la Chambre d’appel le 7 février 2003, par. 13 et 14.
5.La Défense a été informée de cette allocation à venir au cours de la réunion tenue en application de l’article 65 ter du Règlement le 22 novembre 2005.
6. La Défense a affirmé à la réunion qui s’est tenue le 22 novembre 2005 en application de l’article 65 ter du Règlement qu’elle avait besoin de neuf mois pour poursuivre la préparation du procès, conférence tenue en application de l’article 65 ter, 22 novembre 2005, CR, p. 264.