LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

Affaire n° IT-98-32-PT

LE PROCUREUR DU TRIBUNAL

CONTRE

MILAN LUKIC
SREDOJE LUKIC
MITAR VASILJEVIC

 

ACTE D'ACCUSATION MODIFIÉ

Le Procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, en vertu des pouvoirs que lui confère l'article 18 du Statut du Tribunal, accuse :

MILAN LUKIC

SREDOJE LUKIC

et

MITAR VASILJEVIC

de CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ et de VIOLATIONS DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, comme précisé ci-après :

LES ACCUSÉS

1. Milan LUKIC, Serbe de Bosnie, fils de Mile, né le 6 septembre 1967 à Foca, est originaire du village de Rujiste, qui se trouve à environ 15 kilomètres au nord de Visegrad. Il a vécu pendant quelque temps en Allemagne, en Suisse et à Obrenovac, en Serbie. Milan LUKIC est retourné à Visegrad en 1992 où il a formé une unité avec des paramilitaires locaux, appelés parfois les «Aigles blancs». Ce groupe avait des liens avec la police de Visegrad et des unités militaires serbes.

2. Sredoje LUKIC, Serbe de Bosnie, fils de Djordje, né le 5 avril 1961 à Rujiste, dans la municipalité de Visegrad, est un cousin de Milan LUKIC. Avant et pendant la guerre, Sredoje LUKIC était policier à Visegrad. Lorsque le conflit a éclaté, il a rejoint l'unité paramilitaire de Milan LUKIC.

3. Mitar VASILJEVIC, Serbe de Bosnie, fils de Ljubisav, est né le 25 août 1954, dans le village de Durevici, municipalité de Visegrad. Avant la guerre, il était employé comme serveur à l'hôtel Panos de Visegrad. Lorsque le conflit a éclaté, Mitar VASILJEVIC a rejoint l'unité paramilitaire de Milan LUKIC.

ACCUSATIONS

CHEF 1
(EXTERMINATION)

4. Le Procureur reprend et incorpore dans ce chef d’accusation les allégations contenues dans les chapitres «Responsabilité pénale individuelle» et «Allégations générales» aux paragraphes 28 à 44 infra.

5. Entre mai 1992 environ et juillet 1992 environ, Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et Mitar VASILJEVIC, agissant de concert avec d’autres personnes non identifiées, ont commis, planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, à savoir le massacre d’un nombre important de civils musulmans de Bosnie, y compris des femmes, des enfants et des personnes âgées.

Par ces actes, Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et Mitar VASILJEVIC ont commis :

Chef 1 :

Extermination, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 b) du Statut du Tribunal.

CHEF 2
(PERSÉCUTIONS)

6. Le Procureur reprend et incorpore dans ce chef d’accusation les allégations contenues dans les chapitres «Responsabilité pénale individuelle» et «Allégations générales» aux paragraphes 28 à 44 infra.

7. Entre mai 1992 environ et octobre 1994 environ, Milan LUKIC et Sredoje LUKIC, agissant de concert avec d’autres personnes non inculpées, ont commis, planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, à savoir des actes de persécution à l’encontre de civils musulmans de Bosnie pour des raisons politiques, raciales ou religieuses, à travers la municipalité de Visegrad et ailleurs, sur le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine.

8. Ces persécutions ont été perpétrées, exécutées et accomplies par les moyens suivants :

a) le meurtre de civils musulmans de Bosnie et autres civils non serbes,
b) le traitement cruel et inhumain de civils musulmans de Bosnie et autres civils non serbes, y compris des sévices corporels prolongés,
c) la détention ou l'internement illicite de civils musulmans de Bosnie et autres civils non serbes dans des conditions inhumaines,
d) le harcèlement, l'humiliation, la perpétration d'actes de terreur et d'atteintes psychologiques exercés à l'encontre de civils musulmans de Bosnie et autres civils non serbes, et
e) le pillage et la destruction de biens personnels de civils musulmans de Bosnie et autres civils non serbes.

Par ces actes, Milan LUKIC et Sredoje LUKIC ont commis :

Chef 2 :

Persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 h) du Statut du Tribunal.

CHEF 3
(PERSÉCUTIONS)

9. Le Procureur reprend et incorpore dans ce chef d’accusation les allégations contenues dans les chapitres «Responsabilité pénale individuelle» et «Allégations générales» aux paragraphes 28 à 44 infra.

10. Entre mai 1992 environ et juillet 1992 environ, Mitar VASILJEVIC, agissant de concert avec les autres accusés Milan LUKIC et Sredoje LUKIC et d'autres personnes non inculpées, ont commis, planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, à savoir des actes de persécution à l’encontre de civils musulmans de Bosnie pour des raisons politiques, raciales et religieuses, à travers la municipalité de Visegrad et ailleurs, sur le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine.

11. Ces persécutions ont été perpétrées, exécutées et accomplies par les moyens suivants :

a) le meurtre de civils musulmans de Bosnie et autres civils non serbes ;
b) le harcèlement, l'humiliation, la perpétration d'actes de terreur et d'atteintes psychologiques exercés à l'encontre de civils musulmans de Bosnie et autres civils non serbes ;
c) le pillage et la destruction de biens personnels de civils musulmans de Bosnie et autres civils non serbes.

Par ces actes, Mitar VASILJEVIC a commis :

Chef 3 :

Persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 h) du Statut du Tribunal.

CHEFS 4, 5, 6 et 7
(MEURTRE/ACTES INHUMAINS : MEURTRE DE 5 HOMMES MUSULMANS DE BOSNIE AU BORD DE LA DRINA)

12. Le Procureur reprend et incorpore dans ce chef d’accusation les allégations contenues dans les chapitres «Responsabilité pénale individuelle» et «Allégations générales» aux paragraphes 28 à 44 infra.

13. Le 7 juin 1992 ou vers cette date, Milan LUKIC, Mitar VASILJEVIC et d’autres personnes non inculpées ont emmené sept Musulmans de Bosnie au bord de la Drina où ils leur ont ordonné de s'aligner. Milan LUKIC, Mitar VASILJEVIC et les autres personnes ont ensuite ouvert le feu sur ces hommes avec des armes automatiques, provoquant la mort de Meho Dzafic, Ekrem Dzafic, Hasan Kustura, Hasan Mustapcic et Amir Kurtalic.

Par ces actes, Milan LUKIC et Mitar VASILJEVIC ont commis :

Chef 4 :

Assassinat, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 a) du Statut du Tribunal.

Chef 5 :

Meurtre, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE reconnue par l'article 3 1)  a) des Conventions de Genève.

Chef 6 :

Actes inhumains, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 i) du Statut du Tribunal.

Chef 7 :

Atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE reconnue par l'article 3 1)  a) des Conventions de Genève.

CHEFS 8 et 9
(ASSASSINATS : MEURTRE DE 7 HOMMES MUSULMANS DE BOSNIE À L’USINE VARDA)

14. Le Procureur reprend et incorpore dans ce chef d’accusation les allégations contenues dans les paragraphes 28 à 44 infra des chapitres «Responsabilité pénale individuelle» et «Allégations générales».

15. Le 10 juin 1992 ou vers cette date, Milan LUKIC et une autre personne non inculpée se sont rendus en voiture à la scierie et usine de meubles Varda à Visegrad. Ils sont entrés dans l'usine puis en sont ressortis avec sept Musulmans de Bosnie qu’ils ont conduit de force au bord de la rivière qui se trouve à proximité. Milan LUKIC a déchargé sur eux une arme automatique, provoquant la mort de : Nusret Aljosevic, Nedzad Bektas, Musan Cancar, Ibrisim Memisevic, Hamid Osmanagic, Lutvo Tvrtkovic et Sabahudin Velagic.

Par ces actes, Milan LUKIC a commis :

Chef 8 :

Assassinat, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 a) du Statut du Tribunal.

Chef 9 :

Meurtre, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE reconnue par l'article 3 1)  a) des Conventions de Genève.

CHEFS 10, 11, 12 et 13
(MEURTRE/ACTES INHUMAINS : INCENDIE DE LA MAISON DANS LA RUE PIONIRSKA)

16. Le Procureur reprend et incorpore dans ce chef d’accusation les allégations contenues dans les chapitres «Responsabilité pénale individuelle» et «Allégations générales» aux paragraphes 28 à 44 infra.

17. Le 14 juin 1992 ou vers cette date, Mitar VASILJEVIC a ordonné à quelque 65 Musulmans de Bosnie — femmes, enfants et hommes âgés — de se rendre dans la maison de Jusuf Memic dans la rue Pionirska, à Nova Mahala dans la municipalité de Visegrad.

18. Plus tard dans la même journée, Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et d’autres personnes non identifiées sont arrivés à la maison et ont emmené le groupe de force dans la maison voisine appartenant à Adem Omeragic, située également dans la rue Pionerska.

19. Milan LUKIC, Sredoje LUKIC, Mitar VASILJEVIC agissant de concert avec d’autres personnes, ont ensuite enfermé le groupe dans une pièce de cette maison et ils y ont lancé un engin incendiaire qui a tout embrasé.

20. Ensuite, Mitar VASILJEVIC a braqué une lampe sur les personnes qui tentaient de fuir par la fenêtre, tandis que Milan LUKIC et Sredoje LUKIC tiraient sur elles avec des armes automatiques, faisant ainsi plusieurs morts et blessés. Par ces actes, Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et Mitar VASILJEVIC ont causé la mort d’environ 70 personnes, dont certaines sont identifiées dans l’annexe A de cet acte d’accusation, et blessé grièvement les quelques personnes qui ont survécu à l’incendie.

Par ces actes, Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et Mitar VASILJEVIC ont commis :

Chef 10 :

Assassinat, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 a) du Statut du Tribunal.

Chef 11 :

Meurtre, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE reconnue par l'article 3 1)  a) des Conventions de Genève.

Chef 12 :

Actes inhumains, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 i) du Statut du Tribunal.

Chef 13 :

Atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE reconnue par l'article 3 1)  a) des Conventions de Genève.

CHEFS 14, 15, 16 et 17
(MEURTRE/ACTES INHUMAINS : INCENDIE DE LA MAISON À BIKAVAC)

21. Le Procureur reprend et incorpore dans ce chef d’accusation les allégations contenues dans les chapitres «Responsabilité pénale individuelle» et «Allégations générales» aux paragraphes 28 à 44 infra.

22. Le 27 juin 1992 ou vers cette date, Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et d'autres personnes non inculpées se sont dirigés vers la localité de Bikavac, à proximité de Visegrad, et ils ont fait entrer de force quelque 70 Musulmans de Bosnie dans la maison de Meho Aljic. Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et d’autres ont ensuite condamné toutes les issues et lancé plusieurs engins explosifs à l’intérieur de la maison, blessant ainsi les personnes qui s'y trouvaient et déclenchant un incendie. Le feu s’est propagé rapidement, et toutes les personnes qui se trouvaient à l’intérieur ont péri dans l’incendie, à l’exception d’une seule. Par ces actes, Milan LUKIC et Sredoje LUKIC ont causé la mort de quelque 70 personnes, dont certaines sont identifiées dans l’annexe B de cet acte d’accusation, et infligé des blessures graves et permanentes au seul survivant de l’incendie.

Par ces actes, Milan LUKIC et Sredoje LUKIC ont commis :

Chef 14 :

Assassinat, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 a) du Statut du Tribunal.

Chef 15 :

Meurtre, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE reconnue par l'article 3 1)  a) des Conventions de Genève.

Chef 16 :

Actes inhumains, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 i) du Statut du Tribunal.

Chef 17 :

Atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE reconnue par l'article 3 1)  a) des Conventions de Genève.

CHEFS 18 et 19
(SÉVICES CORPORELS AU CAMP DE DÉTENTION D’UZAMNICA)

23. Le Procureur reprend et incorpore dans ce chef d’accusation les allégations contenues dans les chapitres «Responsabilité pénale individuelle» et «Allégations générales» aux paragraphes 28 à 44 infra.

24. En maintes occasions entre août 1992 environ et octobre 1994 environ, Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et d'autres personnes non identifiées ont brutalisé des hommes musulmans de Bosnie incarcérés dans le camp de détention installé à la caserne d'Uzamnica à Visegrad.

25. Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et d'autres membres de l'unité paramilitaire de Milan LUKIC sont entrés à de multiples reprises dans le camp et ont brutalisé les détenus à coups de pied, de poing, de crosse de fusils et de bâton. Ces sévices corporels ont causé des blessures graves et durables chez de nombreuses victimes.

Par ces actes, Milan LUKIC et Sredoje LUKIC ont commis :

Chef 18 :

Actes inhumains, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 i) du Statut du Tribunal.

Chef 19 :

Traitements cruels, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE reconnue par l'article 3 1)  a) des Conventions de Genève.

CHEFS 20 et 21
(MEURTRE DE HAJIRA KORIC)

26. Le Procureur reprend et incorpore dans ce chef d’accusation les allégations contenues dans les chapitres «Responsabilité pénale individuelle» et «Allégations générales» aux paragraphes 28 à 44 infra.

27. Aux environs du mois de juin 1992, Milan LUKIC s'est rendu dans le quartier de Potok à Visegrad, avec un groupe de personnes non identifiées. Après avoir fouillé quelques-unes des maisons, Milan LUKIC a questionné Hajra Koric, une Musulmane de Bosnie, puis il l’a tuée de plusieurs balles.

Par cet acte, Milan LUKIC a commis :

Chef 20 :

Assassinat, un CRIME CONTRE L'HUMANITÉ sanctionné par l'article 5 a) du Statut du Tribunal.

Chef 21 :

Meurtre, une Violation Des Lois Ou Coutumes De La Guerre reconnue par l'article 3 1)  a) des Conventions de Genève.

RESPONSABILITÉ PÉNALE INDIVIDUELLE

28. Milan LUKIC, Sredoje LUKIC et Mitar VASILJEVIC sont chacun individuellement responsables des crimes présumés qui leur sont reprochés dans le présent acte d’accusation, en vertu de l’article 7 1) du Statut du Tribunal. Chacun des accusé a, de concert avec les autres et avec des personnes non identifiées, planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter les crimes qui lui sont reprochés dans l’acte d’accusation.

ALLÉGATIONS GÉNÉRALES

29. Tous les actes et omissions allégués dans cet acte d'accusation ont eu lieu entre avril 1992 environ et octobre 1994 environ, dans la municipalité de Visegrad et sa région, en République de Bosnie-Herzégovine, sur le territoire de l'ex-Yougoslavie.

30. Pendant toute la période couverte par le présent acte d'accusation, la Bosnie-Herzégovine était le théâtre d’un conflit armé.

31. Tous les actes et omissions reprochés dans cet acte d’accusation étaient liés dans le temps et géographiquement au conflit armé qui existait en Bosnie-Herzégovine.

32. Tous les actes et omissions reprochés dans cet acte d’accusation étaient dirigés contre la population civile.

33. Tous les actes et omissions reprochés dans cet acte d’accusation s’inscrivaient dans le cadre d’une offensive généralisée et systématique dirigée contre les civils musulmans de Bosnie et autres civils non serbes de la municipalité de Visegrad et de ses environs.

FAITS SUPPLÉMENTAIRES

34. Visegrad est une petite ville située dans le sud-est de la République de Bosnie-Herzégovine. Elle est l’une des villes construites sur les rives de la Drina, non loin de la frontière serbe.

35. D’après le recensement effectué en 1991 avant le conflit, la municipalité de Visegrad comptait 21 199 habitants, dont 62,8 % de Musulmans, 32,8 % de Serbes et 4,4 % d'appartenances diverses.

36. L'importance stratégique de la ville de Visegrad pendant le conflit a plusieurs raisons. Premièrement, elle est située à côté d’un grand barrage hydroélectrique qui, non seulement fournissait de l’électricité, mais régulait aussi le niveau de la Drina, pour empêcher l’inondation des zones situées en aval. Deuxièmement, la ville est située sur l’axe principal qui relie Belgrade et Titovo Uzice en Serbie, à Gorazde et Sarajevo en Bosnie-Herzégovine. Cette voie de communication était vitale pour le corps d'Uzice de l'Armée populaire yougoslave (JNA), avec sa base à Uzamnica et d’autres sites stratégiques impliqués dans le conflit.

37. Le 6 avril 1992, les unités de la JNA ont commencé à pilonner la ville et ses environs. Les quartiers et villages musulmans étaient les plus touchés. En représailles, un petit groupe de Musulmans de Bosnie a pris plusieurs Serbes locaux en otage, s'est emparé du barrage et a menacé de le faire sauter. L’un d’eux a ouvert une vanne, inondant ainsi quelques maisons et quelques rues. La crise a suscité un grand intérêt dans les médias, et les dirigeants des deux camps se sont retrouvés engagés dans d’intenses négociations. De nombreux habitants, tant serbes que musulmans sont partis se réfugier sur les collines avoisinantes en attendant l’issue de la crise.

38. Le 12 avril 1992, les commandos de la JNA ont réussi à prendre le contrôle du barrage, mettant ainsi fin à la crise. Ils ont été rejoints le lendemain par le corps d'Uzice de la JNA, en provenance de Titovo Uzice, de l’autre côté de la frontière. Après avoir rencontré quelques îlots de résistance, il n’a guère eu de mal à prendre le contrôle de la ville. La JNA a ensuite positionné ses chars et des pièces d'artillerie lourde autour de la ville. Elle a ensuite arrêté des hommes et des femmes pour les interroger, et certains d’entre eux ont dit avoir été battus. Peu après, les officiers de la JNA et les dirigeants musulmans de Bosnie ont conjointement mené une campagne médiatique invitant les gens à rentrer chez eux et à reprendre le travail. Craignant de perdre leur emploi, de nombreux Musulmans de Bosnie sont rentrés chez eux et ont repris le travail.

39. Relativement calme et stable pendant la deuxième quinzaine d’avril et la première quinzaine de mai, la situation à Visegrad s’est considérablement dégradée après le départ officiel du Corps d'Uzice, le 19 mai 1992. Les Serbes de la région ont aussitôt formé «la municipalité serbe de Visegrad» et se sont emparés de tous les locaux de l'administration municipale. Les Serbes locaux, la police et les unités paramilitaires ont ensuite entamé l’une des campagnes de nettoyage ethnique les plus tristement célèbres du conflit, dont l’objectif était de débarrasser définitivement la ville de toute sa population musulmane.

40. Les forces serbes ont attaqué et détruit un certain nombre de villages peuplés de Musulmans. De nombreux civils musulmans non armés habitant Visegrad ont été tués en raison de leur appartenance ethnique. Les corps des hommes, des femmes et des enfants qui étaient exécutés à travers la ville et sur le célèbre pont turc enjambant la Drina étaient jetés dans la rivière. Les forces serbes ont entrepris de piller et détruire systématiquement les maisons et les villages habités par les Musulmans. Les deux mosquées de la ville ont été complètement détruites.

41. Bon nombre de Musulmans qui n’ont pas été immédiatement tués ont été arrêtés et détenus dans divers endroits de la ville, y compris un camp établi dans l'ancienne caserne de la JNA à Uzamnica, à 5 kilomètres en-dehors de Visegrad. Certains ont été détenus à l’hôtel Vilina Vlas ou dans d’autres centre de détention de la région.

42. À Uzamnica, les Musulmans étaient détenus dans des conditions inhumaines. Bon nombre d’entre eux étaient régulièrement battus. Les membres des unités paramilitaires serbes avaient accès au camp, eux aussi, et ils venaient battre et torturer les prisonniers. De nombreux détenus ont été utilisés dans le cadre de projets de travaux forcés épuisants. Certains sont restés dans ce camp pendant plus de deux ans.

43. Au printemps 1992, Milan LUKIC, ancien habitant de Visegrad, est revenu dans la ville et a formé une unité paramilitaire qui, de concert avec la police locale et des unités militaires, s’est appliquée à terroriser la population musulmane locale. Le cousin de Milan LUKIC, Sredoje LUKIC, et un ami de la famille, Mitar VASILJEVIC, faisaient partie de cette unité paramilitaire, que l’on surnommait souvent les «Aigles blancs» ou les «Justiciers».

44. Entre mai 1992 et octobre 1994, Milan LUKIC et les hommes de son unité paramilitaire ont commis une multitude de crimes dans la municipalité de Visegrad, y compris des meurtres, des actes de torture, des sévices corporels, des actes de pillage et la destruction de biens.

 

Le Procureur,
/signé/
Carla Del Ponte

Fait le 12 juillet 2001
La Haye (Pays-Bas)

 

ANNEXE A

Liste des victimes de l'incendie de la maison de la rue Pionirska (chefs 10, 11, 12 et 13 de l’acte d’accusation)

   

(âge approximatif des victimes)

1

Ajanovic, Mula 75 ans

2

Delija, Adis 2 ans

3

Delija, Ajnija 50 ans

4

Delija, Jasmina 24 ans

5

Nom inconnu, Hasena âge inconnu

6

Jasarevic, Tima âge inconnu

7

Jasarevic, Hajra 35 ans

8

Jasarevic, Meho 42 ans

9

Jasarevic, Mujo 47 ans

10

Kurspahic, Aisa 49 ans

11

Kurspahic, Aida 12 ans

12

Kurspahic, Ajka 62 ans

13

Kurspahic, Alija 55 ans

14

Kurspahic, Almir 10 ans

15

Kurspahic, Aner 6 ans

16

Kurspahic, Becar 52 ans

17

Kurspahic, Bisera 50 ans

18

Kurspahic, Bula 58 ans

19

Kurspahic, Dzheva 22 ans

20

Kurspahic, Enesa 2 ans

21

Kurspahic, prénom inconnu 2 days old

22

Kurspahic, Hasa 18 ans

23

Kurspahic, Hajrija 60 ans

24

Kurspahic, Halida 10 ans

25

Kurspahic, Hana 30 ans

26

Kurspahic, Hasan 50 ans

27

Kurspahic, Hasiba âge inconnu

28

Kurspahic, Hasnija 62 ans

29

Kurspahic, Hata 68 ans

30

Kurspahic, Ifeta 17 ans

31

Kurspahic, Igabala 58 ans

32

Kurspahic, Ismet 3 ans

33

Kurspahic, Ismeta 26 ans

34

Kurspahic, Izeta 24 ans

35

Kurspahic, Kada 40 ans

36

Kurspahic, Latifa 23 ans

37

Kurspahic, Lejla 4 ans

38

Kurspahic, Maida petite fille, âge inconnu

39

Kurspahic, Medina 28 ans

40

Kurspahic, Medo 50 ans

41

Kurspahic, Mejra 47 ans

42

Kurspahic, Meva 45 ans

43

Kurspahic, Mina 20 ans

44

Kurspahic, Mirela 3 ans

45

Kurspahic, Mujesira 35 ans

46

Kurspahic, Munevera 20 ans

47

Kurspahic, Munira 12 ans

48

Kurspahic, Munira 55 ans

49

Kurspahic, Osman 67 ans

50

Kurspahic, Pasana ou Pasija 56 ans

51

Kurspahic, Ramiza 57 ans

52

Kurspahic, Sabiha 14 ans

53

Kurspahic, Sadeta 18 ans

54

Kurspahic, Safa 50 ans

55

Kurspahic, Saha 70 ans

56

Kurspahic, Sajma 20 ans

57

Kurspahic, Seila 2 ans

58

Kurspahic, Seniha 9 ans

59

Kurspahic, Sumbula 62 ans

60

Kurspahic, Vahid 8 ans

61

Memisevic, Fazila 54 ans

62

Memisevic, Redzo 57 ans

63

Sadikovic, Rabija 52 ans

64

Sehic, Enver 13 ans

65

Sehic, Faruk 12 ans

66

Sehic, Haraga âge inconnu

67

Sehic, Kada 39 ans

68

Velic, Nurka 70 ans

69

Velic, Tima 35 ans

70

Vila, Jasmina 20 ans

ANNEXE B

Liste des victimes de l'incendie de la maison à Bikavac (chefs 14, 15, 16 et 17 de l’acte d’accusation)

    (âge approximatif des victimes)

1

Un garçon dont le nom est inconnu 11 ans

2

Aljic, prénom inconnu, père de Suhra Aljic 65 ans

3

Aljic, prénom inconnu, mère de Suhra Aljic 65 ans

4

Aljic, prénom inconnu, fils de Suhra Aljic 1 an

5

Aljic, Suhra 25 ans

6

Jelacic, prénom inconnu âge inconnu

7

Tufekcic, Dehva 28 ans

8

Tufekcic, Elma 5 ans

9

Tufekcic, Ensar 1.5 ans

10

Turjacanin, Dulka 51 ans

11

Turjacanin, Sada 29 ans

12

Turjacanin, Selmir 9 ans

13

Vilic, prénom inconnu, fille de Mina Vilic âge inconnu

14

Vilic, prénom inconnu, fils de Mina Vilic âge inconnu

15

Vilic, Mina 32 ans

16

Vilic, Mirzeta 8 ans