Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 15 septembre 2011

  2   [Audience d'appel]

  3   [Audience publique]

  4   [Les appelants sont introduits dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 10 heures 00.

  6   M. LE JUGE GUNEY : Bonjour à tous. L'audience en appel est ouverte.

  7   Monsieur le Greffier, je vous serais reconnaissant de bien vouloir de

  8   nouveau appeler l'affaire qui est inscrite au rôle de cette matinée.

  9   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

 10   les Juges. Il s'agit de l'affaire IT-98-32/1-A, le Procureur contre Milan

 11   Lukic et Sredoje Lukic.

 12    M. LE JUGE GUNEY : [hors micro] -- Sredoje Lukic, pouvez-vous entendre et

 13   suivre le déroulement des débats dans une langue que vous comprenez ?

 14   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] Oui, effectivement, Monsieur le

 15   Président, je peux entendre les débats.

 16   M. LE JUGE GUNEY : Micro. Vous m'entendez ?

 17   L'APPELANT SREDOJE LUKIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, je

 18   vous entends.

 19   M. LE JUGE GUNEY : Maintenant les représentants des parties veuillent bien

 20   se présenter, s'il vous plaît, en commençant par la Défense de Milan Lukic,

 21   puis celle pour Sredoje Lukic.

 22   M. VISNJIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

 23   Juges. Je m'appelle Tomislav Visnjic, et il y a également Dan Ivetic, qui

 24   représentent M. Milan Lukic.

 25   M. CEPIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

 26   Juges. Pour M. Sredoje Lukic, donc Djuro Cepic, Jens Dieckmann, et notre

 27   assistante juridique, Mme Sabine Schulz et M. Jacob Nuebel. Merci.

 28   M. LE JUGE GUNEY : Oui. Et maintenant je me tourne vers les représentants


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  1   du bureau du Procureur, s'il vous plaît.

  2   M. KREMER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

  3   Juges. Peter Kremer; Matthew Gillett, qui est à ma gauche; et Matthias

  4   Schuster, qui est derrière moi; assistés par Colin Nawrot, notre commis à

  5   l'affaire.

  6   M. LE JUGE GUNEY : Merci.

  7   Cet avant-midi est consacré à la présentation des arguments du bureau

  8   du Procureur en appel. Les représentants du Procureur auront 30 minutes

  9   pour ce faire. Les conseils pour Sredoje Lukic auront ensuite 30 minutes

 10   pour répondre. Les représentants du bureau du Procureur pourront prendre

 11   jusqu'à 15 minutes en réplique. MM. Milan et Sredoje Lukic seront alors

 12   invités à prendre la parole s'ils le souhaitent, je souligne bien mes mots

 13   - s'ils le souhaitent - pour une courte intervention n'excédant pas dix

 14   minutes.

 15   J'aimerais maintenant inviter les représentants du bureau du Procureur à

 16   présenter leurs moyens d'appel.

 17   M. GILLETT : [interprétation] Monsieur le Président, comme vous l'avez

 18   entendu hier, l'Accusation accepte dans une grande mesure les conclusions

 19   très prudentes et complètes présentées dans ce jugement. Cependant, il y a

 20   deux éléments où nous pensons que les Juges en première instance se sont

 21   trompés.

 22   Tout d'abord, la Chambre a jugé que Sredoje Lukic avait aidé et encouragé

 23   Milan Lukic pour le même crime. Cependant, ils l'ont condamné pour avoir

 24   aidé et encouragé à ce crime. Mais les Juges de cette Chambre devraient

 25   annuler ceci.

 26   Deuxièmement, la Chambre a fait erreur en ne condamnant pas Sredoje Lukic

 27   pour avoir commis des persécutions au camp d'Uzamnica. Cependant, plutôt

 28   que de l'avoir condamné pour avoir commis des persécutions, ils l'ont


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  1   condamné pour avoir aidé et encouragé les actes de persécution à ce camp.

  2   Encore une fois, la Chambre d'appel devrait redresser cette erreur.

  3   Nous avançons que nous devrions tout d'abord nous concentrer sur le premier

  4   motif d'appel concernant l'extermination. Je présenterai le deuxième motif

  5   d'appel concernant la persécution. Et enfin, je proposerai des remarques

  6   concernant les implications d'un prononcé de jugement si l'Accusation en

  7   appel reçoit gain de cause.

  8   Je voudrais parler donc du premier motif d'appel. Au vu des conclusions

  9   factuelles, les Juges de la Chambre auraient dû condamner Sredoje Lukic

 10   pour avoir aidé et encouragé l'extermination à la rue Pionirska. Comme je

 11   l'ai mentionné, la Chambre de première instance a conclu que durant ce

 12   massacre, durant lequel 58 Bosno-Musulmans ont été tués, on pouvait

 13   qualifier ceci d'un crime d'extermination d'une grande ampleur. Et les

 14   Juges en première instance ont conclu que Sredoje Lukic avait fourni une

 15   aide pratique importante à Milan Lukic et aux autres auteurs de ce crime

 16   grave. Elle a conclu que Sredoje Lukic savait que les victimes seraient

 17   tuées et savait que sa participation contribuerait à ces meurtres. Il était

 18   conscient qu'il contribuait à des meurtres à grande échelle, et ceci

 19   devrait répondre au critère de l'élément mental de l'aide et de

 20   l'encouragement à l'extermination.

 21   Malgré ces conclusions qui ont été faites par la majorité, ceci ne les a

 22   pas invalidées. L'article 23(2) du Statut du Tribunal permet clairement aux

 23   Juges d'une Chambre de première instance de prendre une décision à la

 24   majorité. Sredoje Lukic a donc aidé et encouragé à commettre ces mêmes

 25   meurtres.

 26   A ce stade dans la procédure, il est important de se concentrer sur les

 27   points essentiels. La principale question est de savoir si le fait que 58

 28   personnes étaient considérées comme des meurtres dans une grande envergure


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  1   de façon à justifier ou à constituer une extermination.

  2   En acquittant Sredoje Lukic au chef 8, c'est-à-dire le chef

  3   d'extermination, les Juges de la Chambre de première instance ont expliqué

  4   que c'était en raison d'une opinion dissidente concernant différents

  5   aspects de la part de deux des Juges. Vous vous souviendrez que le Juge Van

  6   Den Wyngaert a eu une opinion dissidente quant au caractère à grande

  7   envergure de l'extermination, et le Juge Robinson avait une opinion

  8   dissidente pour savoir si la conduite de Sredoje Lukic répondait aux

  9   critères de l'aide et de l'encouragement.

 10   Cependant, maintenant que la question est portée à la connaissance d'une

 11   Chambre d'appel, la manière dont les Juges ont formulé des opinions

 12   dissidentes en première instance ne devrait pas être une question majeure.

 13   La question majeure devrait être de savoir si ce massacre était un massacre

 14   de grande envergure. Et c'est parce que, en fait, s'il s'agissait d'un

 15   massacre à grande envergure, tel que les Juges en première instance l'ont

 16   déterminé dans leur jugement, il s'agissait d'extermination, et c'est donc

 17   le crime auquel a participé Sredoje Lukic en aidant et encourageant la

 18   commission de ce crime, et il devrait être condamné pour cela.

 19   Pour maintenant passer aux éléments qui constituent une extermination de

 20   grande envergure ou à grande échelle, les conclusions de la Chambre de

 21   première instance dans le jugement sont appuyées par le droit en la matière

 22   et sont tout à fait raisonnables dans les circonstances de cette affaire.

 23   D'abord, d'un point de vue numérique, les conclusions de la Chambre sont

 24   conformes à la jurisprudence en la matière. Comme mon collègue l'a

 25   mentionné hier, le nombre de victimes tuées à la rue Pionirska est à peu

 26   près égal aux 68 victimes qui ont été tuées à l'incident de Brisevo, et les

 27   Juges en appel ont reconnu que ceci, d'un point de vue indépendant,

 28   répondait aux critères d'extermination de l'arrêt en appel dans l'affaire


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  1   Brdjanin.

  2   Il est important de noter que l'incident de Brisevo a été qualifié comme

  3   étant, indépendamment du reste des crimes, un crime d'extermination. Et je

  4   cite le paragraphe 472 de l'arrêt en appel qui n'a pas mentionné les autres

  5   incidents plus mineurs qui avaient également été pris en compte dans

  6   l'affaire Brdjanin. Il est donc clair que pour les cinq incidents

  7   spécifiques qui ont été identifiés, y compris l'incident qui a tué 68

  8   personnes à Brisevo, ceci a été considéré de manière indépendante comme

  9   répondant aux critères pour un crime d'extermination. Ceci est clair

 10   lorsque l'on se penche sur la note en bas de page 987 [comme interprété] de

 11   l'arrêt en appel, et on peut le comparer également au paragraphe 476 du

 12   jugement en appel, qui précise donc quels ont été les autres incidents plus

 13   mineurs.

 14   D'autres arrêts et jugements de tribunaux internationaux ont régulièrement

 15   conclu que le meurtre d'une cinquantaine de personnes répond aux critères

 16   de meurtre de grande ampleur ou de grande envergure. Par exemple, le

 17   meurtre d'une soixantaine de victimes a été qualifié d'extermination par

 18   les Juges en première instance dans l'affaire Stakic, et ceci est au

 19   paragraphe 653 du jugement en première instance. Et ceci a bien été

 20   confirmé en appel.

 21   Les Juges en première instance dans l'affaire Krajisnik ont conclu que le

 22   massacre de la rue Pionirska constituait une extermination, il s'agit des

 23   paragraphes 699 et 720, même s'ils ont mentionné un total de 66 victimes

 24   dans ce cas précis.

 25   Au tribunal spécial pour la Sierra Leone, des meurtres similaires et d'une

 26   envergure similaire ont été considérés comme étant des exterminations dans

 27   le procès Sesay. Ces incidents prenaient en compte les meurtres de 63

 28   victimes, comme ceci est mentionné dans le paragraphe 1 107; entre 30 et 40


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  1   victimes ont été abordées dans le paragraphe 1 271; et 64 victimes ont été

  2   abordées dans le paragraphe 1 449. Encore une fois, ces conclusions n'ont

  3   pas été modifiées en appel.

  4   Après la période de dépôt des mémoires dans cette affaire, la Chambre de

  5   première instance du TPIR dans l'affaire Setako a conclu dans le paragraphe

  6   481 que le meurtre d'environ 30 ou 40 victimes dans un camp constitue de

  7   manière indépendante une extermination.

  8   Donc vous pouvez voir que la jurisprudence en vigueur montre bien que d'un

  9   point de vue numérique, les conclusions de la Chambre de première instance

 10   sont tout à fait cohérentes avec des jurisprudences pertinentes et

 11   comparables.

 12   De plus, les circonstances factuelles au sein desquelles le massacre de la

 13   rue Pionirska a été commis confirment encore plus qu'il s'agissait

 14   effectivement d'un incident de grande ampleur. Les auteurs de ce crime

 15   avaient l'intention d'exterminer un nombre important de personnes. Milan

 16   Lukic et les autres auteurs de ces crimes, aidés par Sredoje Lukic, ont tué

 17   des femmes musulmanes, des enfants et des vieillards de manière impassible

 18   et préméditée. La maison où a eu lieu l'exécution a été préparée avec un

 19   accélérant, et ceci était pour s'assurer qu'autant de victimes que possible

 20   puissent mourir dans l'incendie. Après avoir incendié la maison, les

 21   auteurs de ce crime s'étaient placés devant la maison et, à l'aide d'armes,

 22   ont tiré sur les victimes qui voulaient s'enfuir. Il est évident qu'ils

 23   avaient l'intention de tuer la totalité du groupe de victimes, et pas

 24   simplement quelques individus faisant partie de ce groupe.

 25   Dans l'opinion dissidente qu'a formulée la Juge Van Den Wyngaert pour

 26   l'élément de grande envergure, celle-ci avance que l'extermination devrait

 27   être confinée à des meurtres d'une grande envergure extrême. Cependant, son

 28   approche se base sur un postulat de départ qui est une erreur d'après le


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  1   droit.

  2   Dès le départ, dans son opinion dissidente, elle mentionne, et je la cite :

  3   "… le crime d'extermination doit quasiment nécessairement être d'une

  4   ampleur telle que ceci devrait empêcher d'identifier, de nommer ou de

  5   compter les victimes et de leur donner des caractères spécifiques…"

  6   Ceci est incorrect. Simplement parce que les victimes peuvent être

  7   identifiées ou que l'on peut les compter ne signifie pas qu'on ne peut pas

  8   avoir une condamnation pour un chef d'extermination.

  9   En appui de cette proposition, la Juge Van Den Wyngaert a cité

 10   exclusivement l'arrêt en appel Ntakirutimana. Cependant, elle a mal

 11   interprété le passage en question. Au paragraphe 521 de ce jugement, la

 12   Chambre d'appel a précisé qu'il n'était pas nécessaire d'identifier des

 13   victimes spécifiques afin de prouver le crime d'extermination. Cependant,

 14   ceci ne signifie pas que si les victimes peuvent être identifiées ou ont

 15   été identifiées, le crime ne peut pas être considéré comme un crime

 16   d'extermination. Le passage pertinent ne peut pas être interprété de cette

 17   manière.

 18   De plus, si la Juge Van Den Wyngaert avait une approche qui était acceptée,

 19   on pourrait arriver à des résultats absurdes. C'est-à-dire que si l'on

 20   arrive à une conclusion logique, on pourrait considérer que des meurtres en

 21   masse ne pourraient pas être qualifiés d'extermination tant que les auteurs

 22   conservaient une liste des victimes ou si les victimes pouvaient être

 23   identifiées d'autre manière. Les Juges en appel ne devraient pas accepter

 24   une approche aussi restrictive.

 25   La Juge Van Den Wyngaert insiste qu'un seuil très élevé devrait être

 26   nécessaire afin de refléter la gravité de ce crime. Cependant, la

 27   jurisprudence actuelle traite précisément de cette question de manière tout

 28   à fait appropriée. Lorsque les meurtres impliquent un nombre important de


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  1   victimes qui dépasse de loin le seuil nécessaire pour qualifier ceci

  2   d'extermination, ceci peut être pris en compte dans le prononcé des

  3   jugements comme des circonstances aggravantes. Comme ceci est mentionné

  4   dans l'arrêt en appel Ndindabahizi, au paragraphe 135.

  5   Et dans cette toile de fond, les Juges de la Chambre en première instance

  6   ont conclu que le massacre de la rue Pionirska constituait une

  7   extermination et que ceci était tout à fait fondé dans la jurisprudence et

  8   que ceci était entièrement raisonnable. Etant donné que Sredoje Lukic a

  9   aidé et encouragé à la commission de ce même crime, son acquittement comme

 10   résultat du jugement ne peut être qu'une erreur en droit, et ceci est en

 11   conflit avec les conclusions présentées dans le même jugement. La Chambre

 12   d'appel devrait donc redresser cette erreur et conclure que Sredoje Lukic

 13   avait contribué et était tout à fait conscient qu'il contribuait aux

 14   meurtres de personnes d'une grande envergure. Et il devrait être condamné

 15   pour avoir aidé et encouragé ce crime d'extermination.

 16   Je passe maintenant au deuxième moyen d'appel de l'Accusation. En 1992 et

 17   1993, Sredoje Lukic a battu violemment des détenus musulmans au camp

 18   d'Uzamnica. Il était animé d'une intention discriminatoire. Ceci a été

 19   conclu dans le jugement. Par conséquent, il aurait dû être condamné pour

 20   avoir commis des crimes de persécution contre ces détenus. Au paragraphe

 21   990 du jugement, les Juges de la Chambre étayent donc :

 22   "… satisfaits que Sredoje Lukic avait battu de manière répétée et grave des

 23   détenus… au camp d'Uzamnica… "

 24   Au paragraphe 1 039, les Juges de la Chambre ont conclu que Sredoje Lukic

 25   était animé d'une intention discriminatoire, ce qui est nécessaire pour

 26   qualifier le crime de persécution. Au vu de ces conclusions, la Chambre

 27   aurait dû donc rassembler ces deux éléments et conclure qu'il avait commis

 28   ce crime, plutôt que simplement aidé et encouragé à la commission de ces


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  1   crimes de persécution au camp d'Uzamnica. Le manquement de la Chambre de

  2   première instance à rassembler ces deux éléments constitue une erreur

  3   claire et évidente. Elle n'a fourni aucune raison pour ne l'avoir condamné

  4   que d'une aide et d'un encouragement. De plus, dans des chefs d'accusation

  5   comparables pour des traitements cruels et des actions inhumaines, sur les

  6   mêmes bases factuelles, elle l'a condamné pour avoir commis ces crimes.

  7   Donc il s'agit d'une erreur patente. Encore une fois, la Chambre d'appel

  8   devrait jouer son rôle de fonction corrective et redresser la barre.

  9   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, si les Juges en appel font

 10   droit à l'appel de l'Accusation, la Chambre d'appel souhaiterait que la

 11   condamnation de Sredoje Lukic soit augmentée. Même si la base factuelle de

 12   sa responsabilité reste la même, la qualification juridique de son

 13   comportement serait plus grave. En ce qui concerne le chef 1, il devrait

 14   donc être condamné pour avoir aidé et encouragé l'extermination plutôt que

 15   le meurtre. L'extermination est un crime plus grave parce qu'il y a

 16   l'élément de grande envergure qui se rajoute à la commission de ce crime.

 17   En ce qui concerne le moyen numéro 2, il devrait être condamné pour avoir

 18   commis, plutôt que pour avoir aidé et encouragé, à persécuter, et d'avoir

 19   commis ces crimes est un mode de responsabilité beaucoup plus grave que

 20   celui d'avoir aidé et encouragé. Ceci justifie donc une condamnation plus

 21   grave.

 22   La Chambre d'appel du TPIY et du TPIR a reconnu qu'il s'agissait d'une

 23   qualification juridique plus grave qui justifie une condamnation plus

 24   importante même si la base factuelle pour la condamnation reste la même.

 25   Ceci, on peut le trouver, par exemple, dans l'arrêt en appel Semanza du

 26   TPIR aux paragraphes 355, 364 et 388, et ceci peut être fait si les

 27   paragraphes sont lus dans leur ensemble plutôt qu'isolément.

 28   En conclusion, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je voudrais


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  1   répéter que même si la Chambre a fait preuve de prudence et a très

  2   soigneusement motivé ses conclusions qui sont donc raisonnables, il y a ces

  3   deux exemples où elle a fait fausse route. Les erreurs de la Chambre sont

  4   liées à un résultat contradictoire, où les éléments des crimes et les modes

  5   de responsabilité n'ont pas été prouvés, mais les condamnations appropriées

  6   doivent être formulées. La Chambre d'appel devrait donc redresser ces

  7   erreurs tant pour condamner Sredoje Lukic d'avoir aidé et encouragé

  8   l'extermination dans la rue Pionirska et pour avoir commis un crime de

  9   persécution au camp d'Uzamnica.

 10   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, si vous avez des questions,

 11   vous pouvez me les poser. Ceci conclut nos arguments.

 12   M. LE JUGE GUNEY : Merci. J'inviterais maintenant le conseil de Sredoje

 13   Lukic à présenter une réponse.

 14   Vous avez la parole.

 15   M. DIECKMANN : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Merci

 16   beaucoup.

 17   La Défense de Sredoje Lukic fait valoir que les moyens d'appel de

 18   l'Accusation tels que précisés dans le mémoire en appel de l'Accusation

 19   sont entièrement sans fondement et devraient être traités comme tels en

 20   appel. La première question sur laquelle se fonde l'Accusation et sur

 21   laquelle elle se fonde pour son appel est que la Chambre de première

 22   instance a commis une erreur de droit en omettant de condamner Sredoje

 23   Lukic pour avoir aidé et encouragé l'extermination de 59 civils musulmans

 24   dans la rue Pionirska. Je vais tout d'abord aborder cette question.

 25   Deuxièmement, la Défense présente ses arguments oraux quant à la première

 26   question posée par la Chambre d'appel dans leur ordonnance du 6 septembre

 27   2011. Et pour finir, la Défense fournira quelques commentaires quant au

 28   prononcé de la peine.


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  1   Pour ce qui est de l'extermination, la Chambre de première instance a

  2   acquitté Sredoje Lukic d'avoir commis ou aidé et encouragé la commission du

  3   crime d'extermination. Nous faisons valoir que cette conclusion coïncide

  4   pleinement avec l'article 23(2) ainsi qu'avec l'article 92 ter (C) des

  5   Règlements de procédure et de preuve.

  6   Messieurs les Juges, vous avez clairement expliqué le raisonnement de la

  7   majorité des Juges de la Chambre au paragraphe 953 du jugement de la

  8   Chambre de première instance, traitant du chef 8 de l'acte d'accusation,

  9   qui concerne l'incident sur la rue Pionirska. Puis-je vous citer l'élément

 10   en question :

 11   "La Chambre de première instance se souvient que les constatations

 12   factuelles concernant la participation de Sredoje Lukic dans les incidents

 13   de la rue Pionirska, et les conclusions sont des conclusions auxquelles

 14   sont parvenus les Juges de la Chambre à la majorité, le Juge Robinson

 15   présentant une opinion dissidente. Pour ce qui est de Mme la Juge Van Den

 16   Wyngaert, son opinion dissidente porte sur le chef numéro 8 et porte sur

 17   les qualifications juridiques du crime en tant qu'extermination, il ne

 18   s'agit pas donc d'une majorité qui a voté en faveur d'une condamnation de

 19   Sredoje Lukic pour extermination. En conséquence, la Chambre de première

 20   instance a acquitté Sredoje Lukic de la commission ou d'avoir aidé ou

 21   encouragé à la commission des crimes d'extermination."

 22   Messieurs les Juges, la constatation factuelle et logique et la conséquence

 23   juridique évidente est celle de la position des trois Juges. Il n'y a qu'un

 24   seul Juge sur les trois qui a voté en faveur de ces conditions nécessaires

 25   à la condamnation pour avoir aidé et encouragé l'extermination. Au lieu de

 26   ça, voici les arguments de l'Accusation aujourd'hui.

 27   M. le Juge David a considéré ces actes et le comportement de Sredoje Lukic

 28   comme fournissant une assistance concrète, qui a eu un effet substantiel


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  1   sur la commission du crime. Outre cela, M. le Juge David est de l'opinion

  2   que Sredoje Lukic --

  3   L'INTERPRÈTE : Veuillez ralentir.

  4   M. DIECKMANN : [interprétation] -- Sredoje Lukic savait que ses actes et

  5   son comportement ont contribué au crime.

  6   De surcroît, M. le Juge David a estimé que le meurtre de 59 personnes

  7   constituait l'extermination. Par conséquent, la voix du Juge David était de

  8   dire que Sredoje Lukic avait aidé et encouragé le crime d'extermination.

  9   M. LE JUGE GUNEY : [hors micro] -- s'il vous plaît, pour les interprètes.

 10   M. DIECKMANN : [interprétation] Merci beaucoup. Pardonnez-moi.

 11   A contrario, la Juge Van Den Wyngaert a estimé que le meurtre de 59 civils

 12   musulmans ne peut pas, au plan juridique, être qualifié d'extermination.

 13   Par conséquent, elle a indiqué par son vote que Sredoje Lukic devait être

 14   acquitté du crime d'extermination, quand bien même elle appuyait la

 15   condamnation de Sredoje Lukic pour avoir aidé et encouragé le meurtre à

 16   propos du même incident.

 17   Le Juge Robinson a estimé, d'autre part, qu'il n'existe aucun élément de

 18   preuve crédible montrant que Sredoje Lukic a fourni une assistance

 19   concrète, un encouragement ou un appui moral qui aurait pu avoir une

 20   incidence substantielle sur la commission du crime de meurtre. D'un autre

 21   côté, le Juge Robinson a estimé que le meurtre des 59 personnes répond aux

 22   conditions juridiques d'extermination. Par voie de conséquence, M. le Juge

 23   Robinson a voté en faveur d'un acquittement de Sredoje Lukic pour

 24   extermination.

 25   Messieurs les Juges, ce raisonnement qui sous-entend que les majorités ne

 26   sont pas d'accord est clair, concis et logique. Un vote d'un Juge de

 27   première instance ne peut être considéré que comme un oui en faveur d'une

 28   condamnation si le Juge est convaincu que toutes les conditions factuelles


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  1   et juridiques sont remplies en ce qui concerne l'accusé. Par conséquent,

  2   nous avons dans le cas qui nous intéresse un seul oui et deux non eu égard

  3   à une condamnation de Sredoje Lukic pour avoir aidé et encouragé

  4   l'extermination.

  5   Messieurs les Juges, aux paragraphes 5, 6, et 7 du mémoire en appel de

  6   l'Accusation, ainsi que de leurs arguments présentés oralement aujourd'hui,

  7   il peut être facilement déduit que l'Accusation estime que les constations

  8   juridiques concernant Milan Lukic par rapport au seuil numérique à établir

  9   dans le cadre d'un crime d'extermination auraient dû être exécutoires pour

 10   les Juges de la Chambre de première instance lorsqu'il s'agissait

 11   d'apprécier la responsabilité pénale individuelle de Sredoje Lukic. En

 12   tenant compte de l'article 87(B) du Règlement de procédure et de preuve, le

 13   point de vue de l'Accusation est tout à fait surprenant. L'article 87(B),

 14   dans sa deuxième phrase, prévoit que :

 15   "Si deux ou plusieurs accusés sont jugés ensemble en application de

 16   l'article 48 ci-dessus, la Chambre statue séparément sur le cas de chacun

 17   d'eux."

 18   C'est précisément ce qu'a fait la Chambre de première instance lorsqu'elle

 19   a acquitté Sredoje Lukic pour avoir aidé et encouragé l'extermination. Nous

 20   faisons valoir que l'Accusation a omis de présenter un fondement juridique

 21   suffisant par rapport à ce moyen d'appel dans leur mémoire en appel écrit

 22   et dans les arguments d'aujourd'hui.

 23   Pour justifier ce moyen d'appel, l'Accusation a simplement cité la décision

 24   de la Chambre d'appel dans l'affaire Prlic sur les éléments de preuve, au

 25   paragraphe 27, et je vais vous lire la citation :

 26   "Toutes les fois qu'une Chambre rend une décision conforme au Statut, la

 27   décision est la décision de la Chambre de première instance; il ne s'agit

 28   pas simplement d'une série d'avis fournis individuellement par les Juges."


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  1   A la note de bas de page 22 du mémoire en appel de l'Accusation,

  2   l'Accusation insiste sur le fait que la question soulevée dans cette

  3   décision rendue en appel dans le cadre de l'affaire Prlic "est différente

  4   de la question qui nous intéresse ici." Malgré cela, et sans autre

  5   justification ou explication, l'Accusation affirme tout simplement que le

  6   raisonnement qui est le leur et sur lequel se repose la décision en appel

  7   dans l'affaire Prlic était une décision prise parce que "applicable par

  8   analogie" en l'espèce.

  9   L'Accusation, dans son mémoire en appel, a fourni une correction à ses

 10   arguments écrits, et la Défense de Sredoje Lukic fait valoir aujourd'hui

 11   que l'Accusation n'a pas montré dans les arguments qu'elle a présentés en

 12   appel qu'il existait une situation comparable au plan de la procédure qui

 13   aurait permis l'application de cette analogie. En réalité, l'Accusation a

 14   omis de mentionner au paragraphe 27 de la décision dans l'affaire Prlic que

 15   l'appelant ne peut pas prétendre à une violation des droits à un procès

 16   équitable par le simple fait qu'il y a un Juge qui a fourni une opinion

 17   dissidente et n'a pas versé au dossier certains éléments de preuve.

 18   L'appelant fait valoir dans cette affaire qu'un Juge dans la minorité

 19   devrait avoir le droit de se reposer sur des éléments de preuve qui n'ont

 20   pas été versés au dossier au moment où la Chambre de première instance doit

 21   rendre son jugement définitif.

 22   La Chambre d'appel, au paragraphe 27 dans la décision Prlic, a dit de

 23   surcroît - l'Accusation a cité ce paragraphe dans une note en bas de page

 24   22 :

 25   "En l'espèce, la Chambre de première instance a décidé, même si c'est à la

 26   majorité, de ne pas verser au dossier certains documents. L'effet de cette

 27   décision est tel que ces documents ne font pas partie du dossier.

 28   L'appelant peut contester cette décision et a plusieurs moyens pour le


Page 196

  1   faire, y compris des requêtes aux fins de revoir ou de réexaminer la

  2   question, un appel interlocutoire ou un appel au fond. Quoi qu'il en soit,

  3   si cette contestation n'est pas couronnée de succès, les parties et les

  4   Juges sont tenus de se reporter aux éléments de l'affaire au dossier."

  5   C'est ainsi que la situation dans l'affaire Prlic est différente de

  6   l'affaire qui nous intéresse, et nous faisons ici référence à l'article

  7   87(A) du Règlement, qui prévoit comme suit :

  8   "Après le réquisitoire et les plaidoiries des parties, le Président de la

  9   Chambre déclare clos les débats et la Chambre se retire pour délibérer à

 10   huis clos."

 11   En l'espèce, la Défense ne peut tout simplement pas contester les

 12   conclusions de la Chambre une fois que les Juges sont au stade des

 13   délibérations. La seule possibilité consiste à déposer une requête aux fins

 14   d'un réexamen, et il n'y a pas d'appel interlocutoire --

 15   L'INTERPRÈTE : Veuillez ralentir, s'il vous plaît.

 16   M. DIECKMANN : [interprétation] Il n'y a qu'un jugement sur la base

 17   d'éléments de preuve fournis devant la Chambre de première instance et

 18   versés au dossier. En conséquence, la situation dans l'affaire Prlic au

 19   début de la procédure et devant le jugement en première instance ne peut

 20   pas être comparée avec l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui.

 21   Messieurs les Juges, pour ce qui est des arguments supplémentaires de la

 22   Défense qui font valoir qu'il y a eu des erreurs commises sur cette

 23   question, je me réfère au premier moyen d'appel de l'Accusation, la Défense

 24   fait référence à la réponse écrite de l'Accusation en appel, aux

 25   paragraphes 22 à 30.

 26   Messieurs les Juges, pour ce qui est de la première question posée par la

 27   Chambre d'appel dans leur ordonnance du 6 septembre 2011, ainsi que la

 28   question du Juge Liu d'hier, la Défense de Sredoje Lukic fournit ce qui


Page 197

  1   suit.

  2   La jurisprudence du TPIY a été établie quant à la question de

  3   l'extermination et exige que les mêmes éléments physiques que le meurtre

  4   soient présents ainsi qu'une condition supplémentaire qui est celle du

  5   meurtre qui doit survenir à grande échelle. Dans l'affaire Stakic, la

  6   Chambre d'appel a décidé ce qui suit :

  7   "L'actus reus constitutif d'extermination est le fait de tuer à grande

  8   échelle. L'actus reus comprend également le fait de soumettre un nombre

  9   important de personnes de façon généralisée et systématique à cela ainsi

 10   que de placer ces personnes dans des conditions de vie qui, inévitablement,

 11   conduiraient à la mort."

 12   La Chambre d'appel dans l'affaire Stakic, en citant l'arrêt du TPIR dans

 13   Ntakirutimana, déclare comme suit :

 14   "L'expression à grande échelle ou à nombre important ne doit pas pour

 15   autant suggérer un minimum au plan numérique."

 16   Paragraphe 260.

 17   La Chambre de première instance dans l'affaire Lukic a indiqué que la loi

 18   portant sur la définition de l'extermination est la suivante : il s'agit

 19   d'un meurtre à grande échelle. Dans ses conclusions, la Chambre de première

 20   instance, à la majorité, a cité le jugement en première instance dans

 21   l'affaire Krajisnik, où la Chambre a effectivement tenu compte, entre

 22   autres, de l'incident de la rue Pionirska et a constaté que les meurtres au

 23   cours de cet incident ont été commis de façon individuelle et que le niveau

 24   requis pour le caractère massif a été déterminé aux fins d'établir qu'il y

 25   a eu extermination. Cependant, même si la Chambre de première instance dans

 26   l'affaire Krajisnik a estimé que plusieurs incidents individuellement

 27   étaient considérés comme étant à caractère massif, la Chambre de première

 28   instance s'est fondée sur plusieurs incidents pris ensemble, paragraphe


Page 198

  1   721.

  2   Pour finir, Krajisnik a été déclaré coupable d'extermination pour la mort

  3   d'environ 3 000 personnes. Il faut noter que la Chambre d'appel n'a pas

  4   confirmé les conclusions dans l'affaire Krajisnik, qui a finalement été

  5   acquitté par la Chambre d'appel pour avoir commis le crime d'extermination,

  6   étant donné que ce crime ne rentrait pas dans le champ d'application de

  7   l'entreprise criminelle commune à laquelle avait participé Krajisnik.

  8   Outre cela, la Chambre de première instance dans Stakic a déclaré que

  9   plusieurs incidents de meurtres individuellement pouvaient répondre au

 10   seuil de caractère massif, cependant cette constatation, encore, n'a pas

 11   été présentée en appel. La Chambre d'appel dans l'affaire Stakic s'est

 12   fondée sur toute une série d'incidents au cours desquels 1 500 personnes

 13   ont été tuées.

 14   Dans l'arrêt rendu dans l'affaire Brdjanin, apparemment ils ont

 15   reconnu que cinq incidents de meurtres en masse, dont chacun conduit à des

 16   décès d'entre 68 et 300 victimes, était tel que cela répondait au seuil

 17   d'extermination à caractère massif. Quoi qu'il en soit, pour finir, au

 18   paragraphe 472, Brdjanin a été déclaré coupable d'extermination pour la

 19   mort de 1 669 personnes.

 20   M. LE JUGE GUNEY : [hors micro] -- aux interprètes de ne souffrir autant et

 21   pour nous permettre à l'association des idées. Merci.

 22   M. DIECKMANN : [interprétation] Pardonnez-moi, Messieurs les Juges.

 23   La Chambre d'appel, dans son arrêt, n'a pas statué sur l'extermination et

 24   indiqué que ces conditions n'ont pas été remplies en l'espèce puisqu'il ne

 25   s'agit que d'un seul incident dans le cas de Sredoje Lukic.

 26   Quoi qu'il en soit, il faut insister sur le fait que la conclusion portant

 27   sur la culpabilité de l'accusé dans le cas d'extermination, les trois

 28   Chambres dans l'affaire Krajisnik, Stakic et Brdjanin, pris ensemble, tous


Page 199

  1   les meurtres qui figuraient dans les actes d'accusation se sont produits

  2   dans le cadre temporel précisé par l'acte d'accusation. Ils n'avaient pas

  3   l'obligation de statuer sur l'extermination représentée par un seul

  4   incident.

  5   Dans l'affaire Blagojevic, la constatation de la Chambre de première

  6   instance cite un meurtre, mais que ceci a conduit à la mort de 7 000

  7   personnes. Le jugement de la Chambre de première instance dans l'affaire

  8   Blagojevic, paragraphe 577, répondant ainsi à cette condition de commission

  9   à grande échelle.

 10   Ces différences substantielles entre les jugements dans l'affaire

 11   Lukic n'ont pas été prises en compte par la Chambre de première instance

 12   dans sa majorité, aux paragraphes 937 à 939.

 13   Outre cela, les références faites au jugement du TPIY, la Chambre de

 14   première instance a insisté particulièrement sur certains critères

 15   supplémentaires. La Chambre de première instance semble avoir tenu compte

 16   de la vulnérabilité des victimes comme étant un élément pertinent, en

 17   autant que ces personnes qui ont été tuées au cours de l'incident de la rue

 18   Pionirska comprenaient des personnes âgées et des enfants. La Défense fait

 19   valoir que ce facteur, pour autant qu'il existe, ne porte pas sur le

 20   caractère massif du crime et n'a aucune incidence sur la condition requise

 21   qui est celle que ces actes doivent avoir été commis à une grande échelle,

 22   et, par conséquent, il ne faudrait pas en tenir compte.

 23   Pour ce qui est de la planification et de la préparation, il est

 24   clair que la jurisprudence de la Chambre d'appel a sans équivoque rejeté la

 25   proposition que le plan ou la politique constituait un élément du crime

 26   d'extermination, je cite l'arrêt dans l'affaire Krstic, paragraphe 225.

 27   Toutes les références citées par l'Accusation aujourd'hui constituent

 28   également une série d'incidents.


Page 200

  1   Pour ce qui est -- pour ce qui est de la question d'une densité

  2   démographique faible, nous sommes d'accord avec la position de Mme la Juge

  3   Wyngaert ainsi que sa position lors de l'opinion dissidente, qu'elle donne

  4   au paragraphe 1 119 du jugement de la Chambre de première instance dans

  5   l'affaire Lukic. Une approche assez restrictive étayée par Mme l Juge

  6   Wyngaert permettrait aux Juges de la Chambre de faire une distinction plus

  7   claire entre l'extermination et le meurtre. Et nous citons la position de

  8   Mme la Juge Wyngaert au paragraphe 1 120 du jugement de première instance

  9   dans l'affaire Lukic.

 10   L'Accusation a quitté la Chambre d'appel sans pour autant fournir une

 11   réponse aux Juges en appel, comment établir une différence entre des

 12   affaires impliquant des meurtres multiples et les affaires impliquant les

 13   meurtres à petite échelle. Et nous sommes d'accord avec la position de Mme

 14   la Juge Wyngaert dans son opinion dissidente lorsqu'elle dit :

 15   "Ce qui me préoccupe particulièrement c'est si nous constatons que

 16   les meurtres à caractère massif sont à faible échelle et qu'ils constituent

 17   dans ce cas une extermination, ceci peut, de façon inadvertante [phon],

 18   suggérer que l'accusation de meurtre n'est pas suffisamment importante et

 19   ne peut pas répondre de la gravité des crimes."

 20   [Le conseil de la Défense se concerte]

 21   M. DIECKMANN : [interprétation] Alors, pour ce qui est du deuxième moyen

 22   d'appel de l'Accusation, nous faisons valoir que ceci doit être entièrement

 23   rejeté. L'Accusation se fonde sur le fait que la Chambre de première

 24   instance a commis une erreur de droit en omettant de condamner Sredoje

 25   Lukic pour avoir commis le crime de persécution par rapport aux passages à

 26   tabac au camp d'Uzamnica. Alors, la Chambre de première instance a conclu

 27   que Sredoje Lukic était coupable pour avoir aidé et encouragé les

 28   persécutions dans le camp d'Uzamnica.


Page 201

  1   Tout d'abord, il est quelque peu surprenant que l'Accusation ait demandé à

  2   ce que Sredoje Lukic soit condamné pour avoir commis le crime de

  3   persécution concernant les passages à tabac dans le camp d'Uzamnica dans

  4   l'appel présenté par l'Accusation, mais en déclarant dans sa réponse à

  5   mémoire en appel de Sredoje Lukic aux paragraphes 186 à 188 que Sredoje

  6   Lukic répondait aux conditions nécessaires d'actus reus et de mens rea pour

  7   avoir aidé et encouragé les persécutions concernant les passages à tabac

  8   dans le camp d'Uzamnica. Donc, si je pars de cette position de ce point de

  9   vue de l'Accusation, je dirais qu'elle est contradictoire et incohérente.

 10   Deuxièmement, Messieurs les Juges, la Défense de Sredoje Lukic maintient sa

 11   position en indiquant que la Chambre de première instance a commis une

 12   erreur de droit et/ou de fait en condamnant Sredoje Lukic pour les crimes

 13   commis au camp d'Uzamnica. C'est effectivement le cas de Sredoje Lukic en

 14   ce qui concerne les passages à tabac au camp d'Uzamnica. La Défense de

 15   Sredoje Lukic fait valoir qu'aucune chambre de première instance

 16   raisonnable aurait pu conclure que Sredoje Lukic a participé à un

 17   quelconque acte que ce soit au camp d'Uzamnica. En conséquence, la Défense

 18   fait valoir que les éléments versés au dossier ne permettent pas d'étayer

 19   une condamnation de Sredoje Lukic pour persécution au camp d'Uzamnica.

 20   Messieurs les Juges, dans son mémoire en appel, la Défense avait développé

 21   dans le détail la branche du moyen d'appel 8(A) qu'aucune chambre de

 22   première instance raisonnable n'aurait pu conclure que des éléments de

 23   preuve fournis par les quatre témoins à charge concernant le camp

 24   d'Uzamnica étaient crédibles pour ce qui est de la question de la

 25   participation de Sredoje Lukic à l'incident du camp d'Uzamnica. La Défense

 26   fait une citation --

 27   M. LE JUGE GUNEY : Il vous reste cinq minutes avant de conclure. Merci.

 28   M. DIECKMANN : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.


Page 202

  1   La Défense fait mention des paragraphes 238 à 248 de son mémoire en appel

  2   en ce qui concerne Nurko Dervisevic, paragraphes 243 à 248 en ce qui

  3   concerne Islam Kustura, paragraphes 249 à 253 en ce qui concerne Adam

  4   Berborovic. Deuxièmement, la Défense fait valoir à la branche du moyen

  5   d'appel 8(B) que la Chambre de première instance a commis une erreur de

  6   droit en appliquant une méthode d'application des éléments de preuve

  7   erronés et incompréhensibles lorsqu'elle a pris sa décision.

  8   Messieurs les Juges, hier, nous avons entendu parler des critères établis

  9   par le TPIY et la Chambre d'appel de cette dernière dans l'arrêt Kupreskic.

 10   La Défense de Sredoje Lukic vous a enjoints d'appliquer ces critères à

 11   l'arrêt en l'espèce lorsqu'il s'agira de rendre votre décision sur la

 12   condamnation de Sredoje Lukic pour sa participation aux passages à tabac au

 13   camp d'Uzamnica. En conséquence, Sredoje Lukic doit être acquitté de toutes

 14   les autres charges, y compris le fait d'avoir aidé et encouragé la

 15   persécution, et ainsi la conséquence du deuxième moyen d'appel de

 16   l'Accusation doit être rejetée.

 17   La Défense fait valoir que la Chambre de première instance n'a pas fait

 18   preuve d'une extrême prudence lorsqu'elle a apprécié des identifications de

 19   témoin contradictoires qui se sont déroulées dans des circonstances

 20   difficiles, et la Chambre de première instance n'a pas fourni d'opinion

 21   motivée non plus qui aurait clairement permis d'articuler les différents

 22   facteurs sur lesquels elle s'est appuyée en matière d'identifications.

 23   Pour ce qui est du prononcé de la peine, Messieurs les Juges, vous avez

 24   évoqué le moyen d'appel numéro 15 du mémoire en appel de Sredoje Lukic aux

 25   paragraphes 310 à 341. En guise de conclusion, Messieurs les Juges, par

 26   l'intermédiaire de son conseil, Sredoje Lukic fait valoir que l'Accusation

 27   n'a pas, que ce soit isolément ou de façon agrégée, pu fournir des moyens

 28   d'appel fondés et ne devrait, par conséquent, pas être pris en compte par


Page 203

  1   la Chambre de première instance. Sredoje Lukic demande, par conséquent, que

  2   la Chambre d'appel reprenne cela en rejetant l'ensemble de l'appel de

  3   l'Accusation.

  4   Merci, Messieurs les Juges. Ceci met un terme à mes arguments.

  5   M. LE JUGE GUNEY : J'inviterais maintenant les représentants du Procureur à

  6   présenter leur réplique. Vous avez dix minutes à ce faire.

  7   M. GILLETT : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  8   Messieurs les Juges, Sredoje Lukic n'a pas réussi à contrer les arguments

  9   de l'Accusation en appel. Au lieu de cela, il s'est concentré sur les

 10   questions qui portent en particulier sur le premier moyen d'appel, à savoir

 11   l'extermination pour la rue Pionirska, et des questions qui ne sont pas

 12   fondamentales dans la décision des Juges de la Chambre d'appel à ce stade

 13   de la procédure. Il a répété le même argument, à savoir que la démarche

 14   suivie par l'Accusation contraindrait les Juges à voter contre leur

 15   volonté. Mais ceci n'est pas la question principale. La question principale

 16   est celle de savoir si le crime qui a été commis a été un crime de grande

 17   envergure. Et à mon avis, et sur la base des arguments présentés, il est

 18   convenable de le qualifier ainsi.

 19   La Défense a déclaré qu'au moment de se prononcer sur le caractère massif

 20   du crime commis par Milan Lukic à la rue Pionirska, il avait été décidé

 21   qu'il s'agissait d'un crime de grande ampleur et que la même qualification

 22   devrait s'appliquer à Sredoje Lukic. Nous sommes totalement en désaccord

 23   avec cette position. Ce ne sont pas deux meurtres distincts. Il s'agit d'un

 24   seul et même événement. D'un seul et même crime. Et dans son jugement, la

 25   majorité des Juges en première instance a convenablement jugé en déclarant

 26   qu'il s'agissait d'une extermination. Sredoje Lukic a aidé et encouragé son

 27   cousin Milan et les autres auteurs à commettre un crime qui est absolument

 28   le même.


Page 204

  1   Messieurs les Juges, vous ne devriez pas ajouter votre agrément à un

  2   résultat où tous les éléments du crime et tous les modes de responsabilité

  3   ont été prouvés, mais où la condamnation n'a pas été prononcée. Vous

  4   devriez corriger cette erreur.

  5   La Défense a évoqué les aspects de contexte que la Chambre de première

  6   instance a pris en compte. Le représentant de la Défense évoque en

  7   particulier la question de la densité démographique. Je réitère à l'issue

  8   de la présente audience que la conclusion de la Chambre de première

  9   instance correspond à la jurisprudence numérique de ce Tribunal. Les

 10   jugements que j'ai évoqués parlent d'eux-mêmes. Toutefois, les aspects de

 11   contexte fournissent, en effet, des éléments aptes à confirmer que

 12   l'incident de la rue Pionirska a été qualifié à juste titre d'incident de

 13   grande envergure. Les circonstances démontrent qu'il s'agissait d'un

 14   événement de meurtre unique et que les auteurs avaient l'intention de tuer

 15   toutes les victimes présentes. En tenant compte que la densité

 16   démographique du village d'origine des victimes était totalement

 17   raisonnable. Pour les victimes et leurs familles, l'effet de ce meurtre a

 18   été massif. La grande majorité des victimes étaient membres de la famille

 19   Kurspahic de Koritnik, petit village dont la population se compose

 20   d'environ 60 habitants, peut-être à peine davantage. Ce village a été

 21   décimé en raison de ce meurtre de grande ampleur qui a constitué un

 22   événement désastreux. Dans les circonstances caractéristiques de l'espèce,

 23   cet événement était un élément qu'il convenait effectivement de prendre en

 24   compte.

 25   Sredoje Lukic connaissait Hasib Kurspahic et il connaissait toute la

 26   famille Kurspahic. Il se rendait chez eux avant les événements, donc il

 27   connaissait la localité d'où provenaient ces victimes. Par ailleurs, comme

 28   il a aidé à faire avancer en troupeau toutes ces victimes jusqu'à la maison


Page 205

  1   Omeragic, qui avait été préparée pour leur exécution, il a vu toutes ces

  2   personnes passer devant lui. Il connaissait le nombre de personnes

  3   présentes dans le groupe et il savait combien de victimes devaient périr

  4   dans l'incendie. En dépit de cela, il a continué à apporter son concours à

  5   ce crime.

  6   Alors, lorsque vous apprécierez cet événement-clé de grande envergure, je

  7   propose que vous vous posiez la question suivante : si vous lisez dans un

  8   journal qu'un meurtre a été commis et a fait 58 victimes et que vous

  9   souhaitiez décrire ceci à votre voisin, est-ce que vous parleriez d'un

 10   meurtre de grande envergure ? Messieurs les Juges, la Chambre a examiné la

 11   jurisprudence pertinente, elle s'est penchée sur les circonstances

 12   pertinentes et, dans le corps du jugement, elle a rendu la conclusion qui

 13   convient, à savoir qu'il s'agissait d'un meurtre à grande échelle.

 14   Quant au moyen numéro 2, je ne répondrai pas sur le fond, puisque ceci a

 15   déjà été fait par M. Schuster hier. Je préciserais simplement que dans la

 16   réponse de l'Accusation au mémoire en appel de Sredoje Lukic, nous

 17   défendions la condamnation prononcée dans le jugement. C'est une question

 18   tout à fait distincte de l'appel que nous proposons ici aujourd'hui, qui

 19   doit trouver réparation et nous disons qu'il s'est agi d'une erreur dans le

 20   jugement. Donc il n'a pas contradiction entre les deux positions.

 21   Messieurs les Juges, ces deux erreurs liées au jugement dans son ensemble

 22   ont fait qu'il y a un résultat incohérent après examen des éléments de

 23   crimes et de tous les éléments de modes de responsabilité pour les

 24   différents crimes, et nous estimons que tous les éléments nécessaire sont

 25   présents et que leur présence a été prouvée. La condamnation qui aurait dû,

 26   toutefois, être prononcée ne l'a pas été. Les Juges de cette Chambre

 27   d'appel corrigeront sans doute ces erreurs et veilleront à ce que le

 28   résultat de la présente procédure soit convenable.


Page 206

  1   A moins que vous ayez des questions à me poser, ceci est le point final de

  2   mon exposé pour l'Accusation.

  3   [La Chambre d'appel se concerte]

  4   M. LE JUGE GUNEY : Maître, merci.

  5   J'inviterais maintenant les appelants à prendre la parole s'ils le

  6   souhaitent.

  7   Monsieur Milan Lukic, est-ce que vous souhaitez prendre la parole ?

  8   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] Oui, absolument.

  9   M. LE JUGE GUNEY : Monsieur Milan Lukic, j'aimerais d'abord vous rappeler

 10   que ceci est une audience publique et que les mesures de protection des

 11   témoins demeurent en vigueur. Il est, par conséquent, strictement interdit

 12   de faire référence à des informations confidentielles ou de révéler

 13   l'identité de témoins protégés. Est-ce que j'ai pu me faire comprendre,

 14   Monsieur Lukic ?

 15   Je vous rappelle que vous disposez de dix minutes. Vous avez la parole.

 16   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] J'ai tout compris parfaitement

 17   bien. Est-ce que je devrais me mettre debout pour que chacun me voie bien ?

 18   M. LE JUGE GUNEY : [hors micro]

 19   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] Je souhaite que vous me voyiez

 20   bien tous.

 21   Honorables Juges, je souhaite que vous-mêmes et toute l'opinion sache que

 22   vous avez devant vous des personnes innocentes, Milan Lukic et Sredoje

 23   Lukic, qui ont été condamnées en première instance pour des crimes que nous

 24   n'avons pas commis. Messieurs, le Milan Lukic qui vous parle aujourd'hui

 25   n'est pas un tueur, ce n'est pas un fasciste. Et je vais l'expliquer dans

 26   le peu de temps dont je dispose, je vais dire qui je suis et quelles sont

 27   les fonctions que j'ai occupées pendant la guerre.

 28   Mais le temps me manque, je ne pourrai donc pas tout dire, et ce que je ne


Page 207

  1   dirai pas, je l'ai écrit dans le livre dont je suis l'auteur, un livre dont

  2   20 000 exemplaires ont été publiés en anglais et en serbe.

  3   Milan Lukic s'est comporté bien pendant la guerre, avant la guerre, ainsi

  4   que dans le quartier pénitentiaire ici. Je suis un homme honorable. Je suis

  5   né ainsi. Je le resterai jusqu'à ma mort. Messieurs les Juges, je vous

  6   prierais de me regarder, de regarder mon visage et mes yeux. Est-ce que je

  7   vous fais penser à quelqu'un qui pourrait assassiner des hommes, des

  8   femmes, des enfants, des vieillards ou qui que ce soit ?

  9   Messieurs, qu'est-ce que je peux faire si je suis Serbe ? Je ne suis pas

 10   coupable d'être né Serbe. Vous m'avez vu, vous avez vu mon visage, mes

 11   yeux, et vous pouvez donc constater que ce sont mes yeux et mon visage qui

 12   sont censés me donner la liberté, alors que l'homme à côté de moi est tout

 13   aussi innocent que moi. Messieurs les Juges, si vous respectez le droit,

 14   j'ai confiance dans ce respect, et nous serons tous les deux acquittés. Des

 15   Musulmans qui sont venus témoigner et qui sont honorables ont écrit au

 16   sujet de moi, Milan Lukic, que j'avais les yeux bleus, que j'avais une

 17   marque de naissance sur la joue et une autre sur le bras. Malheureusement,

 18   ce sont des descriptions faites par des témoins à charge. Le Procureur a

 19   trahi ses responsabilités - je vous soumets le document 1D22-381 dans la

 20   version serbe, et 1D22-0494 pour la version anglaise - c'est le numéro du

 21   mandat d'arrêt lancé par Interpol à la demande traîtresse de l'Accusation.

 22   Messieurs les Juges, je n'ai pas les yeux bleus, je ne les ai jamais eus,

 23   et je n'ai pas non plus de marque de naissance.

 24   Un expert américain, M. Jenkins, qui est venu au quartier pénitentiaire a

 25   constaté et confirmé que je ne présentais pas ces caractéristiques

 26   physiques. M. Jenkins a passé 30 ans dans les rangs de la police américaine

 27   dans laquelle il est devenu un expert de la police. Il a dit à mes conseils

 28   de la Défense et à moi personnellement que si cela se passait aux Etats-


Page 208

  1   Unis, deux heures après j'aurais été remis en liberté, alors que cela fait

  2   plus de deux ans que je suis ici enfermé.

  3   Messieurs les Juges, hier, le Président de la Chambre d'appel a dit que

  4   j'avais vécu dans la rue Pionirska de Visegrad avec mes parents. Je vous

  5   affirme que pas un instant de ma vie je n'ai résidé dans la rue Pionirska.

  6   Mes parents ont résidé jusqu'en décembre 1992 dans leur village de Rujiste,

  7   qui est à 20 kilomètres de Visegrad. En décembre 1992, tout ce village a

  8   été déplacé. La population a été logée dans le village de Prestani [phon]

  9   avant de regagner son village d'origine à la fin de la guerre, parce que ce

 10   village se trouvait en première ligne sur le front.

 11   On me dit également que j'aurais été membre des Aigles blancs, une espèce

 12   de groupe paramilitaire ou je ne sais quoi. Tous les témoins à charge ont

 13   dit que les Aigles blancs avaient commis toute une série de crimes à

 14   Visegrad, et je suis tout à fait d'accord, cette bande de voyous a commis

 15   effectivement des horreurs. Mais, Messieurs les Juges, je n'ai rien à voir

 16   avec les Aigles blancs ou avec quelque autre groupe paramilitaire, parce

 17   que lorsque la guerre a commencé à Visegrad, lorsque des bandes

 18   incontrôlées circulaient partout dans la région, moi j'étais en Suisse, je

 19   travaillais, j'étais garçon de café. J'étais un homme simple. Et c'est

 20   seulement le 6 mai 1992 que je suis revenu à Visegrad pour essayer d'en

 21   extraire mes parents, les faire sortir de l'enfer. A ce moment-là, j'ai été

 22   déployé dans les rangs de la police de réserve, et Dragan Tomic était mon

 23   commandant. Il était avec moi depuis l'école primaire. Il me connaît bien,

 24   il sait que je suis un homme honnête, et c'est la raison pour laquelle,

 25   d'ailleurs, il m'a engagé pour lui servir de garde du corps.

 26   Je suis resté là-bas jusqu'au 19 juillet dans la police, jusqu'à la mort de

 27   M. Dragan Tomic, la mort de Vidoje Andric et de Tomi [phon] Andric, deux de

 28   ses gardes du corps. Après avoir servi de garde du corps à Dragan Tomic,


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  1   j'ai occupé d'autres fonctions --

  2   M. LE JUGE GUNEY : [hors micro] -- mais essayez de conclure, s'il vous

  3   plaît.

  4   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] Mais ça ne fait pas dix minutes

  5   que je parle quand même ? Je vais conclure, bien sûr. Je vous remercie.

  6   Quand j'étais réserviste de la police, j'ai occupé également d'autres

  7   fonctions, j'ai eu d'autres activités. Moi-même et mes collègues, lorsque

  8   nous allions arrêter quelqu'un qui devait être arrêté, nous n'avons jamais

  9   eu le moindre geste répréhensible. Par la suite, j'ai été déployé en tant

 10   que simple soldat dans l'armée de la Republika Srpska.  Voilà ce que

 11   j'avais à dire sur ce plan. Eu égard aux faits importants qui viennent

 12   d'être évoqués, il aurait été logique que je sois acquitté. Le Procureur

 13   aurait dû examiner, avant de lancer ces charges, si j'étais innocent ou si

 14   en 1992 jusqu'à 1995 d'autres n'ont pas commis les actes qui me sont

 15   reprochés.

 16   Messieurs les Juges, vous avez le commandant de la cellule de Crise, le

 17   chef de la police à votre disposition; mais finalement ce qui ressort,

 18   c'est que les réservistes de la police étaient supérieurs hiérarchiquement

 19   à leurs véritables supérieurs hiérarchiques. Ici, c'est le seul endroit où

 20   une chose pareille peut se produire. Et moi-même ainsi que d'autres

 21   personnes innocentes sommes appelés à rendre compte de crimes commis par

 22   d'autres. Le Procureur a fabriqué toutes les charges qu'il a retenues

 23   contre nous, il a sans doute ses propres raisons, et si ces raisons sont

 24   bonnes, à ce moment-là il devrait se voir octroyer le prix Nobel de la

 25   paix, mais moi je suis innocent. Je ne vois pas pourquoi je devrais

 26   répondre de ce que je n'ai pas fait. Il est, Messieurs les Juges, tout à

 27   fait incorrect de condamner des hommes pour des actes qu'ils n'ont pas

 28   commis.


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  1   Chaque personne sur Terre a sa propre valeur. Pourquoi est-ce que les deux

  2   personnes que vous avez devant vous n'auraient pas leur propre valeur ?

  3   Vous pourrez décider dans le sens que vous souhaitez. Mais ce que les

  4   individus font sur le plan personnel, cela n'a rien à voir avec la

  5   procédure ici.

  6   Il importerait de savoir qui sont les personnes qui ont recherché des

  7   informations pour le bureau du Procureur afin que les personnes mises en

  8   accusation ici puissent être condamnées comme le bureau du Procureur le

  9   souhaite. J'aimerais d'abord mentionner une femme dont le nom est Bakira

 10   Hasecic. Quatre-vingt-quinze pourcents de ses déclarations ont été soumises

 11   au TPIY. Elle a recueilli des déclarations auprès de faux témoins qu'elle a

 12   remises au TPIY. Je mentionnerais également ce que cette personne a dit au

 13   moment où la centrale électrique de Visegrad a été prise par un groupe

 14   extrémiste avant le début de la guerre à Visegrad, un explosif avait été

 15   placé dans cette usine et ceux qui l'avaient placé là ont menacé de faire

 16   sauter toute la ville. Ils ont ensuite kidnappé un groupe de policiers

 17   serbes qui accomplissaient leurs devoirs pour les enfermer dans un tunnel

 18   derrière la centrale hydraulique. Le numéro un dans cette affaire était

 19   Bakira Hasecic, qui a torturé tous ces hommes --

 20   M. LE JUGE GUNEY : [hors micro] -- vous avez besoin pour conclure, s'il

 21   vous plaît ?

 22   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] Pas longtemps, Monsieur le

 23   Président, permettez-moi, je vous prie. Ça ne sera vraiment pas long.

 24   M. LE JUGE GUNEY : Très bien.

 25   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 26   Ce que je vous raconte, on l'a vu sur les images de la télévision, mais

 27   parmi les policiers qui ont été maltraités ce jour-là, il y avait le

 28   monsieur que vous avez devant vous aujourd'hui, Sredoje Lukic.


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  1   La guerre, Messieurs les Juges, a donc commencé sur ces mots. Les bandits

  2   dont je parle, certains étaient encore restés sur les lieux après

  3   l'incident, après que Bakira Hasecic ait maltraité tous les hommes qui

  4   étaient enfermés dans le tunnel. La guerre a fait de nombreuses victimes.

  5   Il a fallu obtenir des déclarations et le Procureur a reçu de cette femme

  6   toutes sortes de déclarations qu'elle-même avait recueillies un peu partout

  7   auprès de n'importe quelle personne qui souhaitait lui raconter n'importe

  8   quelle histoire montée de toutes pièces. Une enquête a été menée contre

  9   Bakira Hasecic, contre elle et contre d'autres qui ont incité des personnes

 10   à fournir de faux témoignages contre des personnes innocentes. Bakira,

 11   avant la guerre, était l'amie de Branimir Savovic, qui était un juge qui

 12   pouvait décider de la vie et de la mort de la plupart des habitants de

 13   Visegrad. Comme pouvait le faire également le chef de la police de

 14   Visegrad.

 15   Il est fort probable que toutes ces personnes se sont entendues pour que

 16   cette femme les protège et couvre tous les actes que ces responsables ont

 17   commis à l'encontre du peuple musulman innocent --

 18   M. LE JUGE GUNEY : Je vous accorde encore deux minutes pour conclure.

 19   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] -- donc il était sans doute

 20   entendu entre eux qu'elle les couvre et qu'eux la couvrent. Quant au reste

 21   des événements, l'histoire parle d'elle-même. Un témoin de deuxième main

 22   est venu ici pour raconter toutes sortes de choses à la Chambre de première

 23   instance. Il a raconté que 70 personnes avaient été tuées à la rue

 24   Pionirska, et c'est par téléphone qu'il a raconté tout ce qu'il a raconté

 25   au Tribunal de La Haye. S'agissant de Mita Vasiljevic [phon], quand il est

 26   sorti de la prison, il a fait savoir que tout avait été inventé et qu'il

 27   avait passé dix ans en prison.

 28   Quant à un autre témoin, celui qui a été pris en compte en première


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  1   instance ici aussi, il a balancé une bombe dans un café après et il a tué

  2   trois personnes, et c'est de prison qu'il est arrivé jusqu'ici, alors que

  3   moi, l'innocent, je suis enfermé au quartier pénitentiaire. Comment est-ce

  4   que je peux me défendre ? Je ne peux pas le faire. S'agissant de la Serbie

  5   et de la Bosnie, chaque fois que nous demandions un document qui pouvait

  6   m'être utile, il m'était refusé. Regardez le journal hier, les Serbes, les

  7   Albanais, les Croates. Voilà ce qu'il raconte : Milan Lukic qui aurait tué

  8   Djindjic. Vous voyez la photo ? Ce n'est absolument pas la mienne. C'est

  9   peut-être cet homme-là qui a participé aux crimes dont nous parlons ici.

 10   Moi j'aime les Musulmans. Derniers mots --

 11   M. LE JUGE GUNEY : [hors micro]

 12   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] Un dernier mot. Une seconde. Une

 13   seconde, une phrase; je peux ?

 14   M. LE JUGE GUNEY : [hors micro]

 15   L'APPELANT MILAN LUKIC : [interprétation] Les Musulmans sont mes frères.

 16   Nous appartenons au même peuple, nous avons la même culture. Encore

 17   aujourd'hui, j'ai des amis musulmans. Je n'ai pas de haine. Je ne suis pas

 18   fasciste. Je suis très malheureux pour mon peuple innocent qui a souffert.

 19   Toutes mes excuses pour la longueur de cet exposé.

 20   M. LE JUGE GUNEY : Merci beaucoup, Milan Lukic, pour votre intervention.

 21   Monsieur Sredoje Lukic, vous souhaitez prendre la parole ?

 22   L'APPELANT SREDOJE LUKIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je tiens à

 23   dire, tout d'abord, que personne n'a le droit de parler en mon nom, je suis

 24   le seul à pouvoir m'exprimer en mon nom et mon avocat peut le faire

 25   également. Quant au fait de savoir si je suis coupable ou si je ne le suis

 26   pas, eh bien, avec le respect que je vous dois, je laisse la décision entre

 27   vos mains. Je n'ai rien d'autre à ajouter. Merci de votre attention.

 28   M. LE JUGE GUNEY : Puis-je comprendre que vous n'avez pas l'intention


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  1   d'intervenir ? Vous n'avez pas l'intention de prendre la parole pour

  2   intervenir ou faire une déclaration ? Si vous souhaitez.

  3   [La Chambre d'appel et le Juriste se concertent]

  4   L'APPELANT SREDOJE LUKIC : [interprétation] En effet. Je m'écarterais des

  5   propos tenus par mon voisin ici. Personne d'autre que moi et mon avocat n'a

  6   le droit de parler en mon nom. Et avec le respect que j'ai pour vous, je

  7   laisse entre vos mains la décision de déterminer si je suis coupable ou

  8   pas. Je vous remercie.

  9   M. LE JUGE GUNEY : Merci beaucoup. Si mes collègues ou les parties n'ont

 10   pas de questions supplémentaires, je propose à présent de lever l'audience.

 11   L'arrêt d'appel sera rendu dans les meilleurs délais. Au nom de la Chambre

 12   d'appel -- est-ce que mes collègues ou les parties ont des questions

 13   supplémentaires ? Non.

 14   Au nom de la Chambre d'appel, je tiens à remercier les représentants de

 15   Milan et Sredoje Lukic ainsi que ceux de l'Accusation pour leur

 16   coopération. Les Juristes de la Chambre d'appel et les représentants du

 17   Greffe pour leur précieuse collaboration tout au long de l'audience. Que

 18   soient également dûment remerciés les techniciens, les rédacteurs des

 19   comptes rendus d'audience et les interprètes, bref tous ceux qui ont bien

 20   voulu contribuer derrière de la scène, pour leur inestimable contribution à

 21   la tenue de cette audience.

 22   Donc l'audience en appel est levée.

 23   --- L'audience d'appel est levée à 11 heures 18.

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