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1 Le vendredi 14 juillet 2006
2 [Audience publique]
3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 8 heures 58.
6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce matin, le Juge Nosworthy siège au
7 procès Martic. Nous avons estimé que, dans l'intérêt de la justice, nous
8 devions tout de même siéger, même en son absence. Nous serons donc trois
9 Juges uniquement ce matin.
10 Bonjour, Monsieur Abrahams. Vous allez poursuivre votre déposition.
11 Monsieur Stamp.
12 M. STAMP : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. J'aimerais
13 commencer par vous présenter M. Keith Scully, qui se trouve à ma droite.
14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien.
15 LE TÉMOIN: FREDERICK ABRAHAMS ; [Reprise]
16 [Le témoin répond par l'interprète]
17 Interrogatoire principal par M. Stamp : [Suite]
18 Q. [interprétation] Monsieur Abrahams, hier après-midi, nous étions en
19 train de parler de la méthode de recherche utilisée pour la rédaction des
20 différentes parties du rapport Comme dit, comme vu -- non, je vous prie de
21 m'excuser -- sous les ordres. Vous avez parlé de la première partie de cet
22 ouvrage que vous nous avez décrite comme resituant le contexte et
23 l'historique. Les collaborateurs qui ont participé à la rédaction de cette
24 première partie du livre, avaient-ils une formation particulière au sujet
25 de l'historique ou au sujet du contexte ?
26 R. Oui.
27 Q. Pouvez-vous nous en parler brièvement.
28 R. Les chercheurs au sein de notre organisation se spécialisent dans un
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1 pays. Très souvent, ils connaissent la langue du pays, ils connaissent
2 l'histoire du pays et la situation politique. Plus encore, ils réalisent ce
3 que nous appelons des missions sur le terrain, en d'autres termes, des
4 missions d'enquêtes leur permettant d'enquêter sur la situation sur le
5 terrain. C'est la pratique qui a été suivie pour tous les rapports rédigés
6 par "Human Rights Watch" sur le Kosovo et pour cette partie de ce rapport
7 sur le contexte plus précisément.
8 Q. Dans la deuxième partie du rapport, on parle de la période allant de
9 février 1998 jusqu'au début des bombardements de l'OTAN, c'est-à-dire mars
10 1999. Pouvez-vous nous expliquer quelle méthode a été utilisée pour
11 rassembler les éléments pour cette partie-là de l'ouvrage.
12 R. La source primaire d'information pour tous nos rapports, et plus
13 particulièrement pour cette partie, réside dans des missions sur le
14 terrain, des missions d'enquête pour cette période, c'est-à-dire la période
15 allant de février 1998 à mars 1999. Pendant cette période, nous avons
16 réalisé quatre missions de recherche distinctes.
17 Q. Au Kosovo ?
18 R. Oui, au Kosovo, pour interroger les témoins et victimes des abus, pour
19 rencontrer les avocats et également pour obtenir des renseignements de
20 sources gouvernementales lorsque cela était possible. Par conséquent, cette
21 partie du rapport a été rédigée sur cette base.
22 Q. Pourriez-vous nous parler de la méthodologie de recherche qui a été
23 utilisée pour la troisième partie du rapport, qui concerne la période
24 couverte par les bombardements de l'OTAN, c'est-à-dire de mars à juin
25 1999.
26 R. Lorsque les bombardements de l'OTAN en Yougoslavie ont commencé, nous
27 avons déployé des chercheurs aux frontières et nous avions quelqu'un sur le
28 terrain au Kosovo et en Macédoine -- je vous prie de m'excuser, en Albanie
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1 et en Macédoine, pendant la période de la campagne aérienne. Ces personnes
2 étaient des chercheurs de "Human Rights Watch" qui étaient expérimentés,
3 qui connaissaient bien les Balkans, pour la plupart d'entre eux, et qui
4 pour d'autres avaient l'habitude de réaliser des enquêtes en matière de
5 droits de l'homme dans d'autres endroits.
6 Ils devaient essentiellement interroger les personnes qui quittaient
7 le Kosovo. Ils devaient leur demander quelle était la situation au Kosovo.
8 La technique principale utilisée était celle d'entretien individuel, qui
9 est la procédure standard suivie au sein de notre organisation. Nous avons
10 essayé de le faire dans un environnement aussi calme que possible. Parfois,
11 ces entretiens étaient courts, parce que les personnes étaient en train de
12 franchir la frontière à bord d'un tracteur, et on se contentait de leur
13 demander pourquoi ils partaient. Alors que la plupart des entretiens
14 individuels ont été réalisés dans un environnement plus calme. Ils se sont
15 déroulés sur plusieurs heures, parfois plus d'une fois, et nous avons pu
16 obtenir des renseignements détaillés. Nous n'avons pas utilisé de
17 questionnaire. Nous avons donné la possibilité aux témoins de s'exprimer
18 librement sur ce qu'ils souhaitaient. Nous n'avons pas orienté leurs
19 réponses. Nous n'avons pas posé de questions directrices, et nous avons
20 essayé d'avoir une idée très approfondie et de poser, certes avec toute la
21 compassion requise, des questions qui fâchent, pour remettre, le cas
22 échéant, en question ce que nous disaient les témoins.
23 Le résultat de ces entretiens a été utilisé pour rédiger les flashs
24 d'information que vous avez évoqués hier, et cela a également servi de base
25 à la rédaction du rapport dont vous êtes en train de parler. J'ajouterais
26 que nous avons complété ces éléments après le 12 juin, au moment où nous
27 sommes arrivés au Kosovo. Nous avons eu un chercheur sur place à compter du
28 14 juin, si je ne m'abuse, et nous sommes restés au Kosovo pendant les 6
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1 mois qui ont suivi. Il y avait généralement plus d'une personne présente en
2 même temps. Je m'y suis rendu à trois reprises, si je ne m'abuse, au
3 deuxième semestre de 1999. Nous avons essayé de nous rendre sur les lieux
4 qui avaient été évoqués par les réfugiés qui fuyaient les bombardements de
5 l'OTAN.
6 Nous nous sommes donc rendus dans les villages dont les témoins nous
7 avaient parlé et pour lesquels ils nous avaient dit que des crimes y
8 avaient été perpétrés. Comme je l'ai indiqué dans le rapport, et je le
9 redis aujourd'hui, j'ai été surpris par le degré de cohérence dans leurs
10 témoignages. En d'autres termes, les détails qui nous étaient fournis par
11 les réfugiés pendant les bombardements, dans une très large mesure,
12 correspondaient à ce que nous avons pu trouver sur le terrain. Les noms et
13 les lieux qui avaient été évoqués ont pu être confirmés sur la base
14 d'autres entretiens ou sur la base de nos visites sur les lieux.
15 Q. Merci. Combien d'enquêteurs aviez-vous pendant cette période de mars à
16 juin, pendant cette période de collecte d'information ?
17 R. Vous voulez dire aux frontières ?
18 Q. Oui.
19 R. Je devrais consulter le rapport pour vous répondre avec certitude, mais
20 il y en avait au moins six, pas tous en même temps, mais par roulement.
21 Q. Pouvez-vous nous dire si vous étiez présent également ? Est-ce que
22 c'est bien ce qui est dit dans votre déclaration ?
23 R. Oui, j'y étais.
24 Q. Combien de personnes ont été interrogées ?
25 R. Je ne peux pas vous dire combien de personnes nous avons interrogées de
26 mars à juin uniquement. Je peux obtenir ces renseignements si cela
27 intéresse la Chambre. Mais je peux vous dire que de mars 1999 à décembre
28 1999, nous avons interrogé plus de 600 personnes différentes.
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1 Q. Puis-je en déduire que 600 entretiens différents ont été réalisés, que
2 600 personnes différentes ont été interrogées pour rédiger le rapport pour
3 cette période-là, c'est-à-dire, la période allant de mars à juin ?
4 R. Oui, c'est exact.
5 Q. Très brièvement, vous nous avez dit précédemment que la méthodologie
6 utilisée pour la rédaction du rapport a été la même pour toutes les parties
7 du rapport. Pourriez-vous revenir sur cette méthodologie de rédaction du
8 rapport et pouvez-vous également revenir sur les procédures de contrôle de
9 la qualité ?
10 R. J'ai été l'auteur principal du rapport et j'ai rédigé bon nombre des
11 chapitres, mais certains de mes collègues ont également rédigé d'autres
12 parties, sur les points sur lesquels ils avaient enquêtés. Je devrais donc
13 reprendre le rapport pour vous dire exactement quelles étaient les parties
14 que j'avais rédigées sur la base de mes recherches et quelles avaient été
15 les parties rédigées par mes collègues.
16 Quoi qu'il en soit, j'ai, à chaque fois, relu les parties qui ont été
17 rédigées par mes collègues et vice-versa. Par ailleurs, tous nos rapports
18 sont soumis à un processus de relecture et de rédaction rigoureux. En
19 l'occurrence, tout a été examiné par un lecteur externe, par notre bureau
20 chargé des programmes et par notre bureau chargé des affaires juridiques.
21 Par ailleurs, le chapitre sur l'analyse statistique a été relu par trois
22 statisticiens professionnels, mais c'est une autre question.
23 Q. Pour ce qui est de la partie statistique, pouvez-vous nous donner le
24 nom de ces trois statisticiens ?
25 R. Oui. C'est le Dr Patrick Ball, qui a essentiellement collaboré à ce
26 projet, qui travaille à l'Association AAAS. Nous avons également bénéficié
27 de la collaboration de trois autres statisticiens, M. Herb Spirer, qui
28 enseignait à Columbia University, et nous avons également bénéficié de la
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1 collaboration de Ray Smith et d'un autre statisticien extérieur -- je vous
2 prie de m'excuser, mais j'ai oublié le nom de ce quatrième statisticien. Il
3 y en avait donc quatre au total.
4 Q. Mais cela figure dans le rapport ?
5 R. Oui, cela figure dans le rapport.
6 Q. Enfin, sur ce rapport, quel critère a été utilisé, s'il y en a eu un,
7 pour sélectionner les personnes qui ont été interrogées ?
8 R. Nous avons sélectionné des personnes qui, selon nous, avaient une
9 histoire à raconter. Nous les avons identifiées, soit suite à nos propres
10 recherches sur le terrain, soit parce que des journalistes les avaient
11 signalées à notre attention ou parce que d'autres Albanais les avaient
12 signalées, parce que des travailleurs humanitaires nous avaient dit que ces
13 personnes méritaient d'être interrogées. Nous avons donc interrogé ces
14 personnes-là.
15 Nous disons, dans le chapitre sur l'analyse statistique, il est vrai que
16 l'on ne peut pas extrapoler sur la base de nos données pour tout le Kosovo,
17 car nous avons recherché des personnes qui apparemment avaient eu
18 connaissance de crimes. Nous sommes donc bien conscients des limites des
19 données que nous avons recueillies et nous pensons qu'il ne faut pas tirer
20 de conclusions sur la base de ces données au-delà de ce qu'elles indiquent.
21 Q. Aux fins de cette affaire, le rapport fait état d'événements dans la
22 région de Drenica, de Djakovica, d'Istok, d'Orahovac, de Pec, Djakovica, de
23 Suva Reka et de Vucitrn. Pouvez-vous nous résumer brièvement les rapports
24 que vous avez reçus quant à l'exode de population de ces régions ?
25 R. La grande majorité des personnes interrogées nous ont dit qu'elles
26 avaient été expulsées par la force de leurs villages, de leurs villes.
27 Q. Par ?
28 R. Par --
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1 M. SEPENUK : [interprétation] Je vous prie de m'excuser, Monsieur le
2 Président, mais le témoin est en train de déposer sur des conclusions sur
3 la base des données qui ont été collectées, et j'aimerais émettre une
4 objection.
5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Sepenuk, si je ne m'abuse, on
6 est en train de nous dire non pas quelle est la conclusion du témoin, mais
7 ce qu'ont dit l'essentiel des personnes interrogées. Je crois que cela est
8 recevable dans le cadre que nous avons défini, et par conséquent votre
9 objection est rejetée.
10 M. STAMP : [interprétation]
11 Q. Vous étiez en train de nous parler des raisons qui les avaient poussés
12 à partir. Ils vous ont dit qu'ils étaient expulsés de leurs villages.
13 R. Oui. La plupart des villageois n'étaient pas en mesure de nous dire
14 quelles étaient les forces qui les avaient chassés précisément; est-ce que
15 c'était la police, la police spéciale. Mais de façon très claire, ils nous
16 ont affirmé que c'étaient les forces gouvernementales, la police serbe,
17 l'armée yougoslave, ou des milices locales ou des paramilitaires.
18 Q. Merci, Monsieur Abrahams.
19 M. STAMP : [interprétation] Monsieur le Président, j'en ai terminé avec mon
20 interrogatoire principal.
21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan.
22 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Monsieur le Président, nous allons suivre
23 l'ordre de l'acte d'accusation pour le contre-interrogatoire.
24 Contre-interrogatoire par M. O'Sullivan :
25 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur.
26 R. Bonjour.
27 Q. J'aimerais commencer par vous parler d'un élément que vous avez
28 mentionné il y a un instant. Vous nous avez dit qu'entre le mois de mars et
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1 le mois de juin, des représentants de votre organisation se trouvaient en
2 Macédoine et en Albanie, il y en avait six. Vous avez interrogé différentes
3 personnes et vous avez dit que vous avez collecté les données, que vous
4 avez réalisé vos entretiens, vos 600 entretiens pendant la période qui
5 allait de mars à décembre.
6 R. Je ne peux vous dire à présent combien d'entretiens ont été réalisés au
7 cours de cette première période par opposition à la période qui a suivi. Je
8 peux retrouver ces données, mais je ne sais pas si la plupart des
9 entretiens se sont déroulés vers la fin.
10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si une question de cet ordre n'est pas
11 controversée, mais si selon vous cet élément mérite une communication
12 supplémentaire une fois que le témoin aura fini de déposer, je suis tout à
13 fait disposé à prendre des dispositions dans ce sens.
14 M. O'SULLIVAN : [interprétation]
15 Q. Disposez-vous de ces éléments ?
16 R. Oui. La base de données que nous avons compilée pour préparer le
17 chapitre sur les statistiques est publique. Elle est accessible, et nous
18 avons inscrit la date et le lieu de chaque entretien.
19 Q. Combien d'enquêteurs étaient impliqués dans ces entretiens entre juin
20 et décembre ?
21 R. Un instant.
22 Q. Vous nous avez dit que vous n'aviez que six représentants sur le
23 terrain, sur une base de roulement, pendant la campagne de l'OTAN ?
24 R. C'est exact.
25 Q. Vous avez poursuivi ces entretiens de juin à décembre. Combien de
26 représentants se trouvaient sur place à ce moment-là ?
27 R. Pour autant que je puisse m'en souvenir, il y en avait au moins cinq.
28 Peut-être qu'il y en avait davantage, mais il y en avait au moins cinq qui
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1 se relayaient, et nous avions au moins une personne présente sur place à
2 tout moment.
3 Q. Bien. Dans le rapport sous les ordres, la pièce de l'Accusation P438 a
4 été publiée en 2001, n'est-ce pas ?
5 R. Oui.
6 Q. Quel mois de l'année ?
7 R. Je crois que c'était le mois d'octobre.
8 Q. Vous venez de nous dire que vous étiez l'auteur principal et que vous
9 avez également relu l'essentiel de ce projet, vous avez donc supervisé la
10 publication de cet ouvrage ?
11 R. Oui.
12 Q. Le travail de rédaction de cet ouvrage sous les ordres a-t-il été
13 réalisé par conséquent au cours du premier semestre 2001 ou au cours du
14 deuxième semestre 2000; est-ce exact ?
15 R. Oui.
16 Q. Mais vous étiez employé du bureau du Procureur du Tribunal en 2000,
17 2001, n'est-ce pas ?
18 R. Oui. En avril, mai et juin 2000, j'étais là, ainsi qu'en août 2001.
19 Q. Votre tâche, n'est-ce pas, consistait à rassembler des éléments pour le
20 bureau du Procureur, n'est-ce pas ?
21 R. Oui.
22 Q. Si j'ai bien compris, vous étiez enquêteur pour le bureau du
23 Procureur ?
24 R. Ma fonction était celle d'analyste de recherche.
25 Q. Mais vous étiez également enquêteur, n'est-ce pas ?
26 R. Non, ma tâche consistait à procéder à des analyses, à rassembler des
27 documents. Les enquêteurs, eux, s'occupaient davantage d'analyses de lieux
28 des crimes.
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1 Q. Vous affirmez donc que vous n'avez pas été enquêteur pour le bureau du
2 Procureur ?
3 R. Non, j'étais analyste de recherche.
4 Q. En 2001, vous avez interrogé un homme du nom de Batan Haxhiu, n'est-ce
5 pas ?
6 R. Oui, c'est exact.
7 Q. Aux fins du compte rendu d'audience, ce nom de famille en anglais
8 s'épelle H-a-x-h-i-u.
9 M. Haxhiu était journaliste, n'est-ce pas ?
10 R. Oui.
11 Q. Il a fourni une déclaration écrite qu'il a signée et que vous avez
12 signée, n'est-ce pas ?
13 R. Oui.
14 Q. C'était donc une déclaration d'un témoin du TPIY, n'est-ce pas ?
15 R. Oui.
16 Q. M. Haxhiu a témoigné dans le procès Milosevic le 23 mai 2002, page
17 5 385, et on lui a posé cette question :
18 "Question : Vous avez parlé à un enquêteur du nom de Fred Abrahams,
19 n'est-ce pas ?
20 Réponse : Oui.
21 Question : Mais il y avait également quelqu'un d'autre présent à la
22 réunion."
23 "L'accusé a dit : Je ne lui ai pas posé de questions au sujet de
24 quelqu'un d'autre, mais uniquement Fred Abrahams."
25 Réponse : Oui.
26 Question : Est-ce que cette personne s'est présentée comme un enquêteur du
27 Tribunal ?
28 Réponse : Oui."
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1 Alors, dites-moi : pourquoi avez-vous dit à cette Chambre que vous n'étiez
2 pas enquêteur alors qu'en réalité vous l'étiez et que vous vous êtes
3 présenté à M. Haxhiu comme étant un enquêteur ?
4 M. STAMP : [interprétation] La question semble accepter des faits qui ne
5 sont pas des éléments de preuve. Je crois qu'il faut d'abord demander au
6 témoin s'il accepte la déposition de l'autre témoin dans l'autre affaire.
7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci, Monsieur Stamp.
8 Il s'agit là d'une question technique concernant une incohérence dans
9 les déclarations, et je crois qu'il faut décomposer la question.
10 M. O'SULLIVAN : [interprétation]
11 Q. M. Haxhiu a déposé sous serment, indiquant que vous vous étiez présenté
12 comme étant un enquêteur.
13 R. Je n'ai pas vu sa déclaration, mais j'imagine que vous avez raison.
14 Q. Vous vous êtes présenté comme enquêteur ?
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous sommes en train de parler de
16 quelque chose qui figure dans un compte rendu d'audience, Monsieur Stamp.
17 Est-ce que vous êtes en train de remettre en question le compte rendu
18 d'audience ?
19 M. STAMP : [interprétation] Je ne suis pas en train de remettre en cause le
20 compte rendu d'audience, mais Me O'Sullivan a demandé au témoin pourquoi il
21 s'était présenté comme enquêteur; or, je crois qu'il faudrait commencer par
22 lui demander s'il reconnaît qu'il s'est présenté comme enquêteur.
23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien. Techniquement, j'imagine que ce
24 n'est pas la question que Me O'Sullivan lui a posée, alors peut-être Me
25 O'Sullivan pourrait-il poser cette question uniquement pour que les choses
26 soient parfaitement claires ?
27 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Quelle serait cette grande différence
28 qui existerait entre la fonction d'enquêteur et la fonction de chercheur ?
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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne pense pas que vous deviez
2 répondre à cette question-là pour l'instant, mais passons plutôt aux
3 éléments de preuve qui nous intéressent ici. Je crois que vous devez
4 commencer par poser la question suivante, Maître O'Sullivan : est-ce que le
5 témoin reconnaît que c'est ainsi qu'il s'est présenté ?
6 M. O'SULLIVAN : [interprétation]
7 Q. Pouvez-vous répondre à cette question ?
8 R. Je ne me souviens plus de la façon dont je me suis présenté à M.
9 Haxhiu. Peut-être qu'il y a eu un certain malentendu parce que M. Haxhiu et
10 moi-même parlions à la fois l'anglais et l'albanais. Il y avait donc un
11 problème de langue, peut-être. Peut-être que M. Haxhiu également a été dans
12 une certaine confusion parce qu'il ne connaissait pas la différence entre
13 les deux, mais je ne me souviens plus de la façon dont je me suis présenté.
14 Q. Merci. Je n'ai pas d'autres questions.
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous n'avez donc pas insisté pour
16 poser la question suivante, si l'on part de l'hypothèse qu'il se soit
17 effectivement présenté comme enquêteur ?
18 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Je crois qu'il a déjà accepté cela.
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Petrovic.
20 M. PETROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
21 Contre-interrogatoire par M. Petrovic :
22 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Abrahams. J'aimerais vous poser un
23 certain nombre de questions de suivi suite aux questions qui vont été
24 posées par mon collègue.
25 Vous avez dit aujourd'hui dans votre déposition comment vous en étiez
26 arrivé à travailler pour le bureau du Procureur du Tribunal. Vous nous avez
27 notamment parlé des analyses que vous avez réalisées pour ce Tribunal. En
28 quoi consistaient ces analyses dont vous vous êtes occupé, et est-ce que
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1 ces analyses ont débouché sur des conclusions ?
2 R. J'avais deux tâches, essentiellement, dont je devais m'occuper pendant
3 la période où j'ai travaillé pour le bureau du Procureur. Premièrement,
4 j'étais chargé de collecter des documents au Kosovo après la guerre,
5 documents qui avaient été laissés sur place par le MUP ou par la VJ, donc,
6 par la police ou par l'armée.
7 Deuxièmement, j'étais chargé d'identifier des négociateurs politiques
8 albanais du Kosovo, des personnes qui avaient des contacts pendant la
9 guerre ou avant la guerre avec des représentants du gouvernement serbe ou
10 yougoslave pendant les différentes phases de négociations qui se sont
11 déroulées en 1998 et en 1999, et je devais obtenir de ces personnes des
12 renseignements au sujet du processus de négociation. Voilà les deux tâches
13 principales qui m'ont été confiées.
14 Q. Pendant la période où vous travailliez pour le bureau du Procureur du
15 Tribunal, avez-vous continué à travailler pour l'organisation pour laquelle
16 vous travailliez à l'origine, c'est-à-dire, "Human Rights Watch" ?
17 R. Non. J'ai veillé à séparer les deux. Si vous me le permettez,
18 j'aimerais peut-être ajouter quelques mots suite à la question précédente.
19 Pendant la période où j'ai travaillé au Tribunal, le rapport : "Sous les
20 Ordres" était en cours de rédaction et de relecture. Comme je l'ai dit
21 hier, le processus de rédaction et de relecture est long et rigoureux,
22 surtout pour un rapport de cette longueur. Cela a donc pris plusieurs mois
23 à tous les relecteurs pour s'acquitter de leurs tâches, et cela s'est fait
24 pendant la période que j'ai passée ici au Tribunal.
25 Q. Peut-être pourriez-vous veiller à répondre plus brièvement et de façon
26 plus concise à mes questions pour éviter de perdre du temps et pour que
27 nous puissions passer à la suite ?
28 Dans un certain nombre de déclarations publiques, je peux éventuellement
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1 vous citer lesquelles, vous avez remis en cause la façon dont les
2 enquêteurs du Tribunal ont abordé les événements du Kosovo; est-ce exact ?
3 R. Pourriez-vous m'indiquer la déclaration en question ?
4 Q. Oui, je peux le faire.
5 M. PETROVIC : [interprétation] Je demanderais que le document P385 soit
6 montré au témoin.
7 Q. C'est votre rapport ou l'article que vous avez rédigé, je ne sais pas
8 exactement comment l'appeler. Vous êtes l'auteur de ce texte pour le
9 rapport : "Guerre et Paix."
10 M. STAMP : [interprétation] Excusez-moi, mais je pense que ce qui est
11 montré ici, c'est en B/C/S. Je pense que l'exemplaire présenté devrait être
12 en anglais pour que les Juges de la Chambre puissent le voir, et en B/C/S
13 pour l'accusé.
14 M. PETROVIC : [interprétation] Bien sûr.
15 Pourrions-nous avoir, s'il vous plaît, la version anglaise sur le système
16 e-court à l'écran ? Les deux dernières pages de ce document, s'il vous
17 plaît, peut-on les présenter au témoin ?
18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je suppose que si vous avez des
19 numéros pour ces deux dernières pages, vous pourriez les citer pour nous
20 aider. Je ne veux pas dire des numéros ERN, je veux dire les numéros de
21 pages e-court.
22 M. PETROVIC : [interprétation] Il s'agit des pages 9 et 10, Monsieur le
23 Président.
24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci. Est-ce la page 9 ?
25 M. PETROVIC : [interprétation] C'est la page 10, Monsieur le Président.
26 Je voudrais demander qu'on nous présente la 9, juste avant, s'il vous
27 plaît, qui précède.Non, il s'agit du numéro 8. Page 8.
28 Je vous prie de m'excuser, Monsieur le Président. C'est la page 8. Ce sont
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1 des problèmes de rodage, des problèmes techniques.
2 Q. S'agit-il bien ici de votre article, Monsieur Abrahams ?
3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je crains que nous ne soyons chez le
4 mécanicien jusqu'à la fin du procès, Maître Petrovic.
5 M. PETROVIC : [interprétation] Oui, il me semble que c'est bien le cas,
6 mais nous faisons de notre mieux.
7 Q. Pourriez-vous nous dire, Monsieur Abrahams, ce dont il s'agit ? De quoi
8 parle cet article ? Pour qui a-t-il été écrit ?
9 R. Je ne me rappelle les détails précis concernant cet article, mais sur
10 la base du document, c'est quelque chose que j'ai rédigé pour l'Institut
11 Guerre et Paix, "War & Peace Reporting".
12 Q. Comme nous ne l'avons pas à l'écran, je ne veux pas qu'on perde
13 davantage de temps --
14 M. PETROVIC : [interprétation] Si on pouvait le faire défiler, ou peut-être
15 pourriez-vous avoir l'amabilité de faire descendre un peu cette page,
16 dérouler vers le bas.
17 Encore une fois, je vous prie de m'excuser. Pourrait-on aller à la page
18 suivante, c'est-à-dire, la page numéro 9, s'il vous plaît ? Le quatrième
19 paragraphe de la page 9.
20 Q. Ici, vous parlez d'un nouvel enthousiasme des gouvernements occidentaux
21 qui sont engagés vis-à-vis de la justice internationale, cet enthousiasme
22 des gouvernements occidentaux qui semble se faire jour depuis le début,
23 tout brusquement, depuis le début du bombardement de l'OTAN, de la campagne
24 de bombardement, et n'existait pas avant cela. Pourquoi est-ce qu'à votre
25 avis, cet enthousiasme s'est brusquement fait jour ? Pourquoi avez-vous
26 écrit cela, et en fait, ceci est une sorte de critique qui est adressée à
27 l'attitude de ces gouvernements pour leur attitude avant cette période ?
28 R. C'est tout à fait une critique de ces gouvernements. "Human Rights
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1 Watch" avait préconisé que les gouvernements fournissent les ressources
2 nécessaires au Tribunal pour lui permettre de remplir son mandat, ses
3 fonctions. Nous nous sommes félicités de l'attention que le Tribunal a
4 reçue en 1999 et nous avions souhaité que cela ait pu avoir lieu plus tôt
5 que ce moment-là.
6 Q. Dans ce contexte, vous mettez en question le fait que la majorité des
7 enquêteurs du Tribunal international qui avaient eu des activités au Kosovo
8 après que les forces de l'OTAN soient entrées au Kosovo étaient précisément
9 les enquêteurs d'Etats membres de l'OTAN; est-ce exact ?
10 R. Non. Cet article n'a pas trait à cela en particulier. Il concerne les
11 gouvernements occidentaux, leur appui financier pour financer le bureau du
12 Procureur et le Tribunal d'une façon générale.
13 M. PETROVIC : [interprétation] Pourrait-on encore faire descendre la page
14 un plus loin, s'il vous plaît ? Vers le bas de la page, regardez le
15 troisième paragraphe à partir du bas de la page. Vous dites que
16 l'utilisation d'enquêteurs de pays qui étaient partis aux conflits tels que
17 les Etats-Unis et le Royaume-Uni risque de saper la crédibilité du Tribunal
18 comme organe judiciaire objectif et même de créer un sens de justice des
19 vainqueurs.
20 R. Oui, je peux être corrigé. Je ne me rappelle pas bien cet article, je
21 ne me souviens pas assez bien pour me rappeler de ce paragraphe, mais je
22 m'en tiens à ce que j'ai écrit là. A mon avis, la crédibilité pour le
23 Tribunal, dans la région des Balkans en Yougoslavie, était de la plus haute
24 importance et il fallait faire tous les efforts possibles pour qu'il
25 apparaisse équilibré et indépendant. Le fait qu'il y ait des enquêteurs de
26 pays qui n'appartenaient pas à l'OTAN, à mon avis, aurait amélioré cette
27 image.
28 Q. Très bien. Alors, puisque vous participiez activement aux différentes
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1 étapes de ces travaux, je pourrais dire en ce qui concerne cette affaire,
2 pouvez-vous me dire qui étaient les personnes chargées des enquêtes pour le
3 compte du Tribunal dans le cas du Kosovo ? Quelles étaient leurs
4 nationalités ? De quels pays provenaient-ils ? Je suis sûr que vous savez
5 cela.
6 R. L'équipe pour le Kosovo était très grande et s'est modifiée au fur et à
7 mesure, mais je me rappelle que le chef était britannique, mais y
8 participaient des enquêteurs de la police de nombreux pays, tels que
9 l'Italie, l'Australie, le Pakistan, la Grande-Bretagne, et il faudrait que
10 je puisse réfléchir un peu plus longtemps pour les autres pays qui y
11 participaient.
12 Q. Quel était le nom de ce Britannique ? Quels étaient les noms de ses
13 assistants, de son adjoint ? De quels pays venaient-ils, si vous pouvez
14 nous aider avec cela, s'il vous plaît ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, juste pour préciser les
16 choses, je suppose que ce ne sont pas des renseignements confidentiels du
17 Tribunal. Je ne suis pas tout à fait sûr de ce que j'ai le droit de dire ou
18 de révéler.
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pense que vous auriez immédiatement
20 le Procureur qui demanderait la parole pour objecter à cela. Donc, je pense
21 que vous pouvez partir de l'hypothèse qu'il n'y a rien de confidentiel à
22 cette question qui vous est posée.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien.
24 Le directeur de l'équipe de recherche au Kosovo était Dennis Milner, et son
25 adjoint, qui je crois avait la responsabilité en second comme chef au cours
26 de la deuxième période où j'ai travaillé pour le Tribunal, était Kevin
27 Curtis.
28 M. PETROVIC : [interprétation]
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1 Q. Ces deux messieurs sont tous les deux britanniques, n'est-ce pas ?
2 R. C'est exact.
3 Q. Bien. Alors, à la lumière de cette observation que vous venez de faire,
4 qui je crois est tout à fait appropriée, ne croyez-vous pas que ceci est
5 effectivement une forme de justice des vainqueurs, lorsque vous avez la
6 justice qui procède à des enquêtes par des personnes qui ont une
7 participation active à la question pour laquelle ils cherchent à faire des
8 enquêtes pour le compte de leurs pays ? C'est précisément ce que vous dites
9 dans votre article, n'est-ce pas cela ?
10 R. Non, je ne le crois pas du tout. Mon article parlait de l'image et de
11 la réputation du Tribunal en tant qu'organe indépendant, laquelle aurait
12 été favorisée si le personnel de ces équipes avait été plus diversifié.
13 Toutefois, à mon avis, à la fois M. Milner et M. Curtis, ainsi que d'autres
14 enquêteurs, ont rempli leurs tâches de façon tout à fait professionnelle.
15 Q. Pourriez-vous me donner, s'il vous plaît, des réponses brèves. Pourquoi
16 pensez-vous donc que le fait que l'on ait nommé de telles personnes à de
17 tels postes risquait de saper la crédibilité du Tribunal international ?
18 R. Parce qu'aux yeux des citoyens yougoslaves, ils auraient pu considérer
19 que le Tribunal était une institution partisane.
20 Q. Très bien. Passons maintenant à un autre sujet.
21 M. PETROVIC : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, Madame
22 et Monsieur les Juges, j'ai des problèmes avec l'ordinateur. Je crains
23 d'avoir perdu l'image.
24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] On doit pouvoir vous aider.
25 M. PETROVIC : [interprétation] Non, cela va bien maintenant, je l'ai
26 récupérée. Je vous remercie.
27 Est-ce que l'on pourrait montrer au témoin, s'il vous plaît, le document
28 P2228. Il s'agit ici d'un lot de déclarations qu'il a fait à différentes
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1 reprises, parce que nous allons maintenant en parler, et donc il faudrait
2 qu'on les ait sous la main.
3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Voulez-vous qu'il ait une copie papier
4 de ces déclarations ?
5 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, compte tenu de la
6 nature de mes questions, je ne pense pas que ce sera nécessaire.
7 Q. Dans votre deuxième déclaration, celle de 2002, vous avez toute une
8 série de faits que vous présentez en les tirant de l'histoire du Kosovo-
9 Metohija. Quelles sont les sources sur la base desquelles, dans cette
10 deuxième déclaration que vous avez faite, c'était dans les documents que
11 vous prépariez, quelles sources avez-vous utilisées pour rédiger ces
12 documents ?
13 R. Juste pour préciser les choses, vous vous référez aux déclarations
14 concernant l'histoire du Kosovo précisément ?
15 Q. Oui.
16 R. Il y avait de nombreuses sources, des archives publiques, des discours,
17 des mémoires de l'Académie des sciences, par exemple, plus des articles et
18 des analyses rédigés par des Yougoslaves et par des étrangers, ainsi que
19 mes interviews et ce que je savais à la suite de nombreuses visites que
20 j'avais faites dans le pays.
21 Q. Donc, si vous avez consulté de telles sources si nombreuses, comment
22 est-il possible alors qu'à la page 12 de ce document dont j'ai parlé, vous
23 énoncez que la constitution de 1974, donnait au Kosovo le statut de
24 province autonome dans la RSFY ? Quelle est la source que vous avez
25 consultée pour dire cela ? Où avez-vous trouvé ce type d'information ?
26 M. STAMP : [interprétation] Pourrions-nous, s'il vous plaît, retrouver
27 précisément où ceci est dit dans le document.
28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, à la page 12.
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1 M. PETROVIC : [interprétation] Page 12.
2 M. STAMP : [interprétation] Le numéro ERN de la page -- non, excusez-moi,
3 le numéro e-court de la page ?
4 M. PETROVIC : [interprétation] Le chiffre 12 pour le e-court, dans ce
5 document que j'ai mentionné comme étant le P2228.
6 Malheureusement, ce n'est pas cela, Monsieur le Président.
7 M. STAMP : [interprétation] Je crois qu'il s'agit de la page 13.
8 M. PETROVIC : [interprétation] Oui, je reconnais que c'est bien cela, et je
9 vous présente mes excuses.
10 Q. Donc, la première phrase du deuxième paragraphe que l'on peut voir sur
11 le e-court, à l'écran.
12 R. Oui. Excusez-moi, je ne me rappelle pas la source précise d'où j'ai
13 tiré ces renseignements, mais les changements à la constitution de 1974, à
14 savoir le fait d'accorder le statut autonome à la fois au Kosovo et à la
15 Vojvodina, c'est quelque chose de notoriété publique et de tout à fait
16 documenté.
17 Q. Ma question avait trait à une affirmation de notoriété publique fausse
18 qui est contenue au paragraphe 2 de ce document. Il n'est pas vrai que le
19 Kosovo est devenu une province autonome en 1974, et cela n'était pas au
20 sein de la Yougoslavie que c'est devenu une province, c'était dans la
21 République de Serbie. C'est là que réside le problème. Pouvez-vous vous
22 expliquer à ce sujet; sinon, nous poursuivrons.
23 R. Je crois que vous avez raison. C'était une province au sein de la
24 Serbie. Je sais que vous avez raison. Je pense que le libellé de ce
25 paragraphe se prête à des interprétations. Elle était autonome au sein de
26 la RSFY.
27 Q. Bien. Est-ce que vous savez que l'autonomie du Kosovo au sein de --
28 enfin, que le Kosovo avait été autonome au sein de la Serbie dès 1946 ? A
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1 ce moment-là, il était autonome depuis bien 30 ans. Il n'y avait rien de
2 nouveau qui avait été octroyé au Kosovo en ce qui concerne son statut,
3 statut dont il avait joui pendant toute la période postérieure à la
4 Deuxième guerre mondiale.
5 R. Non, je ne suis pas au courant. Je ne suis pas en mesure de parler des
6 arrangements constitutionnels antérieurs à 1974.
7 Q. Bien. Quand vous parlez de la prétendue abolition de son autonomie par
8 la constitution de 1989, par les amendements de la constitution, vous
9 n'êtes pas au courant du caractère véritable des amendements
10 constitutionnels dont vous parlez ?
11 R. Non, je ne suis pas au courant des particularités des amendements à la
12 constitution, non.
13 Q. Je ne vous pose pas de questions concernant les détails des
14 amendements; je parle de la notion même constitutionnelle d'abolition de
15 l'autonomie. Bien sûr, je ne m'attends pas à ce que vous sachiez les
16 détails des modifications constitutionnelles, quand et où elles ont eu
17 lieu. Je vous demande simplement sur ce facteur essentiel, l'abolition,
18 l'émergence de quelque chose que l'on accordait, que l'on faisait quelque
19 chose en 1974 et ce qui a été accordé en 1989. Je vous pose une question
20 simplement sur le concept général.
21 R. Excusez-moi, mais à quoi souhaitez-vous que je réponde ?
22 Q. Est-ce que vous acceptez tout cela ? Est-ce que vous acceptez que vos
23 allégations dans ce contexte soient incomplètes, incorrectes et
24 superficielles ?
25 R. Non, je n'accepte pas cela. Je pense que ce que je dis traduit de façon
26 précise les grands traits de l'évolution constitutionnelle.
27 Q. Bien, je vous dis que ceci n'est pas vrai. Mais compte tenu de la
28 nature de votre déposition, nous n'allons pas nous attarder sur ce point.
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1 Dans votre déclaration, vous parlez aussi du fait qu'au cours de la période
2 allant des années 1970 aux années 1990 du siècle dernier, un grand nombre
3 de Serbes ont quitté le territoire du Kosovo-Metohija. Vous dites qu'ils
4 ont été exposés à de mauvais traitements, qu'on n'a pas toujours pris des
5 mesures pour les protéger, et ainsi de suite.
6 Donc, la question que je vous pose est la suivante : est-ce que votre
7 organisation s'est jamais renseignée concernant ce phénomène particulier
8 qui a des caractéristiques si dramatiques pour toute cette période en
9 Serbie et en ex-Yougoslavie ?
10 R. Mon organisation est née en 1977 et a eu des activités très limitées en
11 raison de ses effectifs, qui se centraient d'abord sur l'Union soviétique.
12 Nos premiers travaux en Yougoslavie, si je ne me trompe pas, ont commencé
13 en 1990. Toutefois, cette période concernant la discrimination à l'égard
14 des Serbes que vous mentionnez a été étudiée par la suite dans les rapports
15 en tant que contexte général.
16 Q. Donc, par exemple, dans les années 1980, lorsque votre organisation
17 s'occupait plus particulièrement des pays de l'ancien bloc de l'Europe de
18 l'est, vous n'étiez pas intéressés par la situation des droits de l'homme
19 et la position des Serbes alors qu'ils étaient en nombre tragiquement
20 réduit au cours de la période à l'examen ?
21 R. Il y a des dizaines de pays et de questions dans lesquels nous aurions
22 souhaité pouvoir enquêter dans le monde entier à tout moment, et je
23 pourrais en faire une liste en ce qui concerne la période actuelle. Mais
24 nous n'avons pas les ressources ou les moyens pour procéder à des
25 investigations dans tous ces pays.
26 Je dis que nous nous sommes engagés, dans une certaine mesure, en
27 Yougoslavie, en protestant contre les arrestations de prisonniers
28 politiques. Il y a particulièrement lieu de se rappeler -- je me souviens
Page 867
1 d'une protestation évoquée pour le compte de Vojislav Seselj, qui a été mis
2 en prison en 1980 pour des raisons politiques, et nous avons protesté à
3 cela. Donc, nous avons participé dans une certaine mesure, mais pas de
4 façon approfondie, à des enquêtes.
5 Q. Pour conclure, pour en terminer avec ce sujet précis, le fait que des
6 centaines de milliers de personnes aient été déplacées n'était pas un sujet
7 que vous ayez estimé méritait votre attention et vos activités en 1980;
8 c'est bien cela ?
9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il a déjà répondu à la question. Je ne
10 pense pas qu'il soit convenable de continuer à le questionner sur ce point.
11 M. PETROVIC : [interprétation] Je vous remercie. Merci, Monsieur le
12 Président. Je passe à autre chose.
13 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, dire aux Juges de la Chambre qui est
14 Robert Gelbard.
15 R. Robert Gelbard était, vers la fin des années 1990, un diplomate
16 américain de premier plan. Je ne me rappelle pas exactement quel était son
17 poste et je ne sais pas ce qu'il fait aujourd'hui.
18 Q. Pourriez-vous nous dire quelle était l'appréciation de l'activité de ce
19 que l'on avait appelé l'Armée de libération du Kosovo, l'appréciation
20 donnée par Robert Gelbard en mars 1998 ?
21 R. M. Gelbard a fait deux déclarations, à ma connaissance, vers la fin du
22 mois de février 1998, et peut-être également au début du mois de mars, dans
23 lesquelles il a dit que l'Armée de libération du Kosovo était un groupe
24 terroriste. Ceci, c'était une semaine environ avant la première série des
25 événements de la vallée de la Drenica --
26 Q. Veuillez, s'il vous plaît, vous limiter à ma question. Je ne vous pose
27 pas de question en ce qui concerne le contexte général; je vous demande
28 simplement quelle avait été son appréciation et quelle avait été son
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1 attitude en ce qui concerne l'Armée de libération du Kosovo. Je voudrais
2 savoir si vous êtes d'accord avec son appréciation à ce sujet.
3 R. Nous étions très prudents et nous voulions éviter l'utilisation du
4 terme "terroriste." A la place de cela, nous parlions de l'Armée de
5 libération du Kosovo comme une armée d'insurgés, une force de guérilla, et
6 nous utilisions ces dénominations, classifications, lorsqu'on les
7 appréciait du point de vue de respect du droit humanitaire international.
8 Q. Bien. Mais lorsque l'on parle d'une organisation qui, comme vous le
9 dites dans un grand nombre de vos déclarations, assassine, enlève,
10 emprisonne des personnes, met des bombes, pourquoi est-ce qu'on ne peut pas
11 l'appeler par son nom ? Pourquoi en pratique est-ce qu'on ne lui donne pas
12 son nom véritable ? Pourquoi est-ce qu'on emploie des euphémismes tout au
13 long de la série de vos déclarations et de vos documents ? Parce que ce
14 sont bien des caractéristiques d'actions terroristes, une activité telle
15 qu'elle est décrite par le diplomate Gelbard
16 R. Ma tâche, notre tâche en tant qu'organisation était de documenter des
17 violations du DIH. Ce que nous avons fait concerne l'UCK, et on utilisait
18 des termes appropriés qui, à mon avis, n'imposaient pas des interprétations
19 et n'avaient pas des connotations comme c'est le cas pour le terme
20 "terroriste".
21 Q. Comment se fait-il -- comment interprétez-vous alors la différence
22 entre vos propres attitudes et celles qui correspondaient aux évaluations
23 officielles du gouvernement des Etats-Unis à un moment précis ?
24 M. STAMP : [interprétation] Ce sont là des hypothèses qui ne sont pas
25 justifiées par des éléments de preuve. Je ne pense pas qu'il soit accepté
26 que ce fût là des appréciations de caractère officiel.
27 Deuxièmement, la question lui demande d'interpréter ou de deviner les
28 intentions et le sens que d'autres personnes voulaient y donner.
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1 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président --
2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je n'accepte pas cette objection.
3 L'ambassadeur qui était en fonction à ce moment-là peut être considéré
4 comme exprimant le point de vue officiel. Par conséquent, je rejette cette
5 objection.
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien. Pour commencer, je voudrais faire
7 observer que malgré les commentaires de l'ambassadeur Gelbard, l'Armée de
8 libération du Kosovo n'a jamais été ajoutée par le département d'Etat à la
9 liste qu'il tient des organisations terroristes, de sorte qu'il n'y a
10 jamais eu décision officielle sur ce point ou de désignation officielle sur
11 ce point. Mais même si cela avait été le cas, il y a eu de nombreuses
12 occurrences tout au long du confit pendant lesquelles "Human Rights Watch",
13 le point de vue de "Human Rights Watch" et le point de vue du gouvernement
14 des Etats-Unis étaient différents. En fait, nous avons critiqué les Etats-
15 Unis, le gouvernement des Etats-Unis à plusieurs reprises, de sorte que
16 l'incohérence que vous mentionnez pour nous correspond bien, s'adapte bien
17 à nos travaux indépendants.
18 M. PETROVIC : [interprétation]
19 Q. Donc, y a-t-il une différence -- il y a bien une différence
20 d'évaluation pour ce qui est d'apprécier comment appeler les personnes qui
21 assassinent, enlèvent des personnes, mettent des bombes, et c'est
22 particulièrement sur ce point que vous êtes en désaccord avec le
23 gouvernement des Etats-Unis ? Est-ce que je peux comprendre votre réponse
24 comme voulant dire cela ? Je n'évoque pas toute une série d'autres
25 questions où des différences pourraient être tout à fait possibles, je vous
26 pose la question précisément en ce qui concerne cet aspect particulier.
27 R. Le rôle du gouvernement américain, c'est de prendre des décisions
28 politiques. Le rôle de mon organisation, en revanche, c'est de rassembler
Page 870
1 des informations et de faire connaître des violations du droit
2 international humanitaire lorsqu'elles ont lieu. Nous nous laissons guider
3 dans notre travail pour le droit international.
4 Q. Avec tout le respect que je vous dois, je ne pense pas que vous ayez
5 répondu à ma question. Peut-être pourriez-vous essayer de le faire. Si le
6 gouvernement américain juge que certaines actions sont de nature terroriste
7 et si vous avez une autre opinion sur cette même question, acceptez-vous de
8 reconnaître que votre position diverge de celle du gouvernement américain
9 qui qualifie quelqu'un de terroriste lorsque ce quelqu'un pose des
10 explosifs, commet des meurtres, des enlèvements, tandis que vous, ce n'est
11 pas quelque chose que vous reconnaissez ? Peut-être que vous utilisez un
12 autre terme pour qualifier ce genre d'activités. Si tel est le cas, quel
13 est le terme utilisé par vous ?
14 R. Nous avons évité d'utiliser le terme de "terroriste" ou de
15 "terrorisme". Je pense que le gouvernement des Etats-Unis à de nombreuses
16 reprises a critiqué ouvertement les violations du droit international
17 humanitaire par l'Armée de libération du Kosovo et par toutes les forces en
18 présence dans le conflit. Je ne pense pas qu'ils aient utilisé le terme de
19 terroristes après que l'ait fait l'ambassadeur Gelbard, mais je le répète,
20 nous avons évité d'utiliser un terme qui nous paraît connoté.
21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Petrovic, je reconnais qu'il
22 s'agit là d'un ensemble de questions tout à fait acceptables et que des
23 arguments seront présentés en temps opportun, j'en suis certain, sur
24 l'utilisation des termes pour qualifier telle ou telle conduite ou
25 comportement. Mais je fais observer qu'à la même question posée plus tôt,
26 le témoin a répondu qu'ils utilisaient le terme de groupe d'insurgés, une
27 expression intéressante à la lumière de l'utilisation de cette expression à
28 l'heure actuelle, et il a également parlé de forces de guérilla.
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1 Je ne pense pas que vous puissiez pousser beaucoup plus avant ces
2 questions-là.
3 M. PETROVIC : [interprétation] J'accepte pleinement votre observation,
4 Monsieur le Président, et je vais passer à la question suivante.
5 Q. L'ambassadeur Gelbard, en mars, s'est exprimé sur les activités de
6 l'Armée de libération du Kosovo. Par la suite, vous avez raison, le
7 gouvernement des Etats-Unis a modifié son appréciation de l'Armée de
8 libération du Kosovo même si celle-ci n'a pas changé son mode opératoire.
9 Elle est même devenue plus radicale encore dans son action. Alors que
10 savez-vous de ce changement dans la caractérisation ou la qualification de
11 ce groupe dans les déclarations officielles du gouvernement des Etats-
12 Unis ?
13 R. La seule chose que je sais là-dessus, c'est que l'ambassadeur Gelbard a
14 fait un certain nombre de commentaires et je sais également que l'Armée de
15 libération du Kosovo n'a pas été rajoutée par la suite sur la liste des
16 organisations terroristes du ministère américain des Affaires Etrangères.
17 Q. Le fait que seuls quelques mois après la déclaration de l'ambassadeur
18 Gelbard, un autre ambassadeur de haut vol, ambassadeur américain, M.
19 Holbrooke, s'est rendu au siège de l'UCK, légitimant ainsi les actions ou
20 leurs mouvements, en quelque sorte. A votre avis, quelle incidence ceci a-
21 t-il eu sur la situation sur le terrain ? Comment qualifieriez-vous le
22 changement survenu sur place, notamment au vu des événements qui se sont
23 produits ?
24 R. Je pourrais vous donner mon interprétation ou l'analyse que je fais de
25 l'incidence qu'a eu cet événement sur la situation au Kosovo. Est-ce ce que
26 vous me demandez ?
27 Q. Oui.
28 R. A mon avis, le gouvernement des Etats-Unis et l'ambassadeur Holbrooke,
Page 872
1 en particulier, recherchaient des moyens de résoudre le conflit au travers
2 de négociations politiques. Il y avait une certaine réticence au départ
3 d'entrer en contact avec l'Armée de libération du Kosovo. A mon avis, et
4 cela je le répète, mon interprétation de ce qu'a fait le gouvernement, le
5 gouvernement avait peur de légitimer le mouvement. Toutefois, à un moment
6 donné, il semblerait que le gouvernement se soit rendu compte que l'UCK
7 était un facteur à prendre en considération, que l'UCK n'allait pas
8 disparaître par enchantement et qu'aucune solution politique ne pourrait
9 être trouvée en se limitant à Rugova et son parti, le LDK. Par conséquent,
10 dans le village de Junik, comme vous en avez parlé tout à l'heure,
11 Holbrooke a décidé d'entrer en contact avec l'UCK.
12 Q. Ma dernière question sur ce point sera la suivante. Que pensez-vous du
13 fait qu'une personne qui ne change pas son mode opératoire ou une entité
14 qui ne change pas son mode opératoire, qui ne met pas un terme à des
15 actions essentiellement terroristes, se transforme soudain en un
16 interlocuteur, en un partenaire légitime ? Que pensez-vous de cette
17 attitude ayant consisté à légitimer une telle organisation qui utilise des
18 méthodes manifestement terroristes ?
19 R. Je le répète, nous avons évité d'utiliser le terme "terroriste", mais à
20 ce qu'il me semble, il y a deux processus tout à fait distincts, ici. Il y
21 a d'une part des négociations politiques et il y a un processus plus
22 concret. Les crimes commis par l'Armée de libération du Kosovo, nous avons
23 rassemblé des documents, des éléments d'information sur ces crimes, les
24 enlèvements, les expulsions, les assassinats, et cetera, devraient faire
25 l'objet de sanctions devant un tribunal du Kosovo ou devant un tribunal
26 international. Ceci est indiscutable. Ce qui se passe sur la scène
27 politique qui engage -- entame des négociations avec qui, c'est une autre
28 question. A notre avis, il y a là deux processus clairement distincts.
Page 873
1 Q. J'ai une question que vous jugerez peut-être être davantage une
2 observation, mais peut-être aurez-vous quelque chose à dire là-dessus
3 néanmoins. Si vous êtes suffisamment nombreux ou si vous êtes suffisamment
4 persistants, il se peut que vous parveniez à devenir un partenaire
5 légitime. Pensez-vous que vous pourriez qualifier ainsi la politique menée
6 par les Etats-Unis vis-à-vis d'organisations telles que celle-ci ?
7 R. Je m'excuse, je n'ai pas très bien compris la question.
8 Q. Peut-être y a-t-il eu un petit problème d'interprétation. Si une
9 organisation recourt à la violence, et ce, pendant une période de temps
10 suffisamment importante et de manière suffisamment répétée, cette
11 organisation ou cette personne, s'il s'agit d'une personne, pourrait être
12 amenée à devenir un partenaire ou un interlocuteur légitime dans le
13 processus politique; n'est-ce pas exact ?
14 R. Je ne peux pas répondre à cette question de manière générale, mais pour
15 ce qui concerne le Kosovo en particulier, il est devenu tout à fait clair,
16 en tout cas de mon point de vue et après le travail réalisé sur place, il
17 m'est apparu clairement que l'UCK était une organisation relativement
18 importante en taille et qu'il s'agissait aussi d'une force armée, d'une
19 force armée structurée opérationnelle, et qu'aucune solution à la crise ne
20 serait possible sans que l'UCK intervienne d'une manière ou d'une autre.
21 Q. Quels que soient les moyens utilisés pour parvenir à cet objectif ?
22 R. Là encore, je ne comprends pas. L'objectif quoi ? L'objectif consistant
23 à faire participer l'UCK ?
24 Q. Non, Monsieur. Nous parlons ici du processus de légitimation des
25 activités de l'UCK. Ce statut d'organisation légitime est accordé si l'on a
26 recourt à la violence de manière persistante et de manière suffisamment
27 systématique.
28 R. Je ne peux vous parler que du point de vue de mon organisation, ici.
Page 874
1 Notre travail ne consiste pas à légitimer ou délégitimer qui que ce soit.
2 Notre travail consiste à faire des recherches sur des éléments factuels sur
3 le terrain. Nous entrons donc en contact avec tous les intervenants
4 pertinents gouvernementaux et non gouvernementaux.
5 Q. Merci. Je vais poursuivre. Nous en sommes toujours à l'examen de la
6 pièce P2228. Page 18 sur l'écran.
7 M. PETROVIC : [interprétation] Je ne l'ai pas encore sous les yeux, cette
8 page 18, grâce au système e-court. J'espère que je ne me suis pas trompé
9 dans les chiffres. Page 18, s'il vous plaît. Merci. Oui, c'est cela.
10 Dernier paragraphe, c'est ce que l'on voyait juste avant que vous ne
11 fassiez défiler l'image vers le bas. Oui, c'est bien.
12 Q. Dernier paragraphe.
13 "Au cours du deuxième trimestre de 1998…"
14 Dans ce paragraphe, vous dites : "Au cours du deuxième trimestre 1998,
15 l'UCK a pris globalement le contrôle de ce que l'on peut estimer être
16 représenté 42 % du territoire du Kosovo."
17 Puis, vous poursuivez en disant : "Des civils serbes des régions placées
18 sous le contrôle de l'UCK ont fait l'objet de harcèlement ou ont été
19 terrorisés, ce qui les a conduits à quitter leur habitation, après des
20 attaques, des enlèvements et des assassinats sporadiques."
21 C'est bien ce que vous dites ici, n'est-ce pas ?
22 R. Oui.
23 Q. Disposez-vous d'une estimation du pourcentage de l'ensemble de la
24 population qui vivait dans cette région-ci du Kosovo où il est question des
25 40 %, en l'occurrence ?
26 R. Non. Je ne dispose pas d'une telle estimation. Toutefois, les zones aux
27 mains de l'UCK étaient de manière générale des zones rurales, à l'exception
28 de la ville de Malisevo. Je suppose que le pourcentage de la population qui
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1 vivait dans ces zones était relativement limite. En tout cas, moins de 40
2 %.
3 Q. Par conséquent, vous n'avez pas d'estimation précise, n'est-ce pas ?
4 R. Non.
5 Q. En occupant 40 % du territoire du Kosovo au cours de la période
6 considérée --
7 "Deuxième trimestre de 1998…"
8 Comme vous le dites ici, s'agit-il ici de 40 % qui couvrirait les
9 parties du Kosovo dans lesquelles se trouvaient les principaux axes
10 connectant la partie orientale et occidentale du Kosovo ?
11 R. Pour certaines zones, oui. Toutefois, j'ai utilisé ici un terme assez -
12 - moins précis que contrôle. J'ai parlé d'un contrôle vague ou lâche de la
13 région, parce qu'à ma connaissance, le gouvernement à Pale conservait le
14 contrôle des principaux axes. L'UCK a peut-être eu ce contrôle pendant des
15 périodes de temps limitées ou le soir ou pendant la nuit, mais il me semble
16 que tout au long de cette période, les forces gouvernementales avaient
17 maintenu le contrôle de ces axes.
18 Q. Savez-vous si les principaux axes de Pristina à Pec ou de Pristina à
19 Prizren étaient ouverts ? Les civils pouvaient-ils utiliser ces axes, ou
20 des vivres pouvaient-ils être convoyés le long de ces axes ?
21 R. Oui. Je crois que, la plupart du temps, ces axes étaient ouverts, même
22 s'ils ont été fermés au cours de périodes particulières.
23 Q. Savez-vous combien d'attaques ont eu lieu le long de ces axes routiers
24 au cours de la période considérée, des attaques de l'UCK contre des
25 véhicules militaires, véhicules de police ou véhicules civils ?
26 R. Je ne le sais pas. Nous avons demandé cette information aux autorités,
27 mais n'avons reçu aucune réponse.
28 Q. Pouvez-vous nous dire où vous vous êtes adressés pour obtenir ces
Page 876
1 informations ? Auprès de qui, et qui a omis de vous répondre ?
2 R. Suite à ma mission d'étude au Kosovo au printemps, en mai/juin 1998, en
3 juillet, j'ai envoyé un certain nombre de courriers à différentes instances
4 gouvernementales demandant des informations sur des attaques menées contre
5 des civils serbes. Je pense que dans ces courriers, je posais également une
6 question sur les victimes au sein des services de police, victimes
7 yougoslaves. Mais je demanderais à pouvoir vérifier ces courriers pour en
8 être tout à fait certain.
9 Q. Vous parlez ici de communication par biais des axes routiers, de la
10 question de savoir si les axes routiers étaient ouverts pour la circulation
11 ou pas. Avez-vous posé la question à qui que ce soit ? Parce que ces
12 routes, la capacité de circuler sur ces axes était nécessaire pour assurer
13 la libre circulation des personnes, le transport des vivres et le survie en
14 gros.
15 R. Ces lettres dont j'ai parlé ne contenaient pas de questions
16 particulières sur les axes routiers et je ne sais plus si j'ai posé de
17 questions particulières sur la circulation des personnes et des biens.
18 Q. Très bien. Savez-vous que deux grandes villes au Kosovo étaient sous
19 siège, Djakovica et Decani ? Savez-vous que ces villes n'avaient plus aucun
20 moyen de communiquer avec l'extérieur ? Bien entendu, elles étaient
21 encerclées par des unités de l'UCK.
22 R. Je sais que l'UCK intervenait à Decan et dans les environs. Je sais que
23 l'UCK intervenait également aux alentours de Djakovica, mais je ne suis pas
24 informé du fait que Djakovica ait été soumise à un siège. Il peut y avoir
25 eu des incidents ponctuels à Djakovica, mais à ma connaissance, pendant
26 toute la période en question, la ville globalement était ouverte et
27 fonctionnait normalement.
28 Q. Savez-vous combien d'attaques ont eu lieu à la fin du printemps et au
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1 début de l'automne contre la République de Serbie et la police et l'armée
2 yougoslave ?
3 R. Je n'ai pas de chiffre précis à donner.
4 Q. Avez-vous des données approximatives ? En cas contraire, pourquoi n'en
5 avez-vous pas ? Pourquoi n'avez-vous pas pris la peine de recueillir de
6 telles informations ? Pourquoi ne pas s'être adressé aux autorités ?
7 Pourquoi ne pas avoir utilisé vos collaborateurs pour rassembler des
8 informations qui étaient importantes dans le cadre des recherches que vous
9 effectuiez ?
10 R. Nous avons demandé ces informations auprès des différentes instances de
11 Belgrade, mais là encore, nous n'avons pas reçu de réponse. Nous avons donc
12 été contraints d'utiliser des sources secondaires telles que des articles
13 et des bulletins de média dans ce domaine-là, et pour cette période-la
14 précisément.
15 Q. Bien. S'agissant de ces sources secondaires, je suppose que vous avez
16 lu la presse à Pristina, à Belgrade. Si vous avez bien fait des recherches
17 là-dessus et si vous avez pris connaissance de ces informations, quelles
18 ont été vos conclusions ? Quels ont été vos résultats ? Combien y a-t-il eu
19 d'attaques ? Combien y a-t-il eu de victimes ? Où, et cetera ?
20 R. Oui, c'est tout à fait exact. Nous avons consulté ces sources. Nous
21 avons également consulté la presse internationale. Dans notre rapport, nous
22 avons indiqué qu'au moins 100 personnes d'origine serbe -- civils, ont
23 disparu, ont disparu au cours de la première moitié de l'année 1998 -- ou
24 pour être plus précis, pendant toute l'année 1998. Ces personnes étaient
25 des personnes civiles qui vivaient dans les zones aux mains de l'UCK.
26 Q. Monsieur Abrahams, merci de ces informations, mais ma question était
27 autre. Suite aux recherches que vous avez réalisées, quelles données avez-
28 vous obtenues ? Combien d'attaques ont été menées contre la police, contre
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1 l'armée ? Combien d'attaques ont été menées contre des véhicules et des
2 camions civils, et à quel endroit ? On en parlait tous les jours dans les
3 médias. Vous nous avez dit que vous n'aviez pas d'autre source que les
4 médias. Alors, quelles ont été les conclusions de vos recherches ?
5 R. Les attaques contre les médias -- non, pardon. Les attaques contre
6 l'armée nous intéressent dans la mesure où elles nous aident à mieux
7 comprendre le conflit, mais elles ne touchent pas au cœur de nos
8 évaluations parce que l'armée et la police sont des cibles militaires
9 légitimes.
10 J'aimerais nuancer également la chose en disant que la méthode, le moyen de
11 l'attaque est très important pour déterminer si cette attaque est
12 proportionnée et ciblée. Mais en ce qui concerne le Kosovo, nous avons
13 concentré notre travail sur l'incidence de la guerre sur la population
14 civile.
15 Q. Monsieur Abrahams, c'est vrai que nous ne parlons pas les mêmes
16 langues, mais il me semble que ce que je vous demande est bien interprété.
17 Peut-être que la police et l'armée ne vous intéressaient pas, mais combien
18 d'attaques ont ciblé des civils et des véhicules civils au cours de la
19 période concernée ? Je parle de femmes, d'hommes et d'enfants qui allaient
20 de Djakovica à Pristina. Combien d'attaques ont été perpétrées contre ces
21 personnes-là ? Vous vous y intéressiez, n'est-ce pas, à cela ? Le savez-
22 vous ? Y a-t-il eu des incidents qui concernaient directement votre
23 organisation ?
24 R. Je ne peux pas vous donner de statistiques sommaires. Je ne peux pas
25 vous dire combien d'attaques ont eu lieu à ce moment-là. Je ne le sais pas.
26 Je peux vous parler d'incidents particuliers qui ont fait l'objet de
27 recherche de notre part. Notamment, l'enlèvement par l'UCK d'environ 80,
28 voire même 85, je crois, civils serbes dans la ville d'Orahovac. Par la
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1 suite, 40 de ces personnes ont été libérées, 45 de ces personnes restent
2 disparues à ce jour et sont présumées décédées. Je peux parler de
3 l'enlèvement de dix employés serbes de la mine de Belacevac qui, à ce jour-
4 ci, manquent toujours à l'appel et dont on pense qu'ils sont morts. Je peux
5 vous parler de l'enlèvement de différentes personnes, de différentes
6 familles au Kosovo. Je peux vous donner ces informations-là, mais je n'ai
7 pas de chiffre total à vous donner.
8 Q. Seriez-vous d'accord avec moi pour reconnaître que les attaques dont
9 j'ai parlé ont été perpétrées par dizaines ou par centaines ?
10 R. Pourriez-vous être plus précis ? Les attaques contre les civils ou
11 contre les forces armées ?
12 R. Non, des attaques visant des véhicules civils, des moyens de transport
13 civils, des attaques perpétrées contre des militaires qui n'étaient pas en
14 action, des patrouilles de policier, ou d'autres organes d'Etat et des
15 gens, des fonctionnaires employés par l'Etat, des gardes forestiers, des
16 facteurs. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'il y a eu des
17 centaines d'attaques de ce genre ?
18 R. Je ne peux pas vous donner de chiffre, mais je suis d'accord pour
19 reconnaître que l'UCK était en activité à l'époque, qu'elle perpétrait des
20 attaques contre des cibles militaires, qu'elle perpétrait des violations du
21 droit international humanitaire sous la forme d'expulsions, d'enlèvements,
22 d'assassinats de civils serbes, dans certains cas.
23 Q. Vous serez d'accord avec moi pour dire que leurs activités étaient
24 extrêmement étendues géographiquement, que ce genre d'attaques a été
25 perpétré sur près de la moitié du territoire du Kosovo ?
26 R. A l'époque, l'UCK était une force d'insurrection active, oui.
27 Q. Merci.
28 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, nous pourrions peut-
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1 être faire la pause maintenant puisque je suis sur le point de passer à un
2 autre sujet.
3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.
4 Nous reprendrons nos travaux à 10 heures 50.
5 --- L'audience est suspendue à 10 heures 27.
6 --- L'audience est reprise à 10 heures 50.
7 L'INTERPRÈTE : L'interprète précise pour le compte rendu d'audience qu'il
8 faut remplacer "procédures plus concrètes" par "procédures judiciaires".
9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Petrovic.
10 M. PETROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
11 Q. Monsieur Abrahams, j'aurais encore une question en rapport avec la
12 série de questions précédentes. J'aurais bien aimé obtenir une réponse.
13 J'ai posé des questions au sujet d'attaques contre l'armée et la police
14 dans la période qui nous occupe et vous m'avez répondu que cela ne vous
15 occupait pas, que vous ne vous en êtes pas occupé, que vous ne vous y êtes
16 pas intéressé et que l'armée et la police étaient des cibles légitimes et
17 que par conséquent, vous n'avez pas enquêté à ce sujet. Pouvez-vous me dire
18 comment il est possible -- je vois que mon confrère --
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne pense pas que cela reflète
20 fidèlement ce que le témoin nous a dit. Le témoin nous a dit qu'ils se sont
21 intéressés à toute entreprise disproportionnée vis-à-vis de l'armée.
22 M. PETROVIC : [interprétation] Oui. Je comprends bien, Monsieur le
23 Président.
24 Q. Comment est-il possible d'attaquer de façon légitime, l'armée ou la
25 police dans une situation où il n'y pas d'état de guerre, dans une
26 situation où il n'y a pas de conflit armé ouvert ? Comment est-ce possible
27 de le faire de manière légitime ?
28 R. L'analyse que nous avons faite de la situation en tant qu'organisation
Page 881
1 nous a poussé à conclure qu'il existait un état de conflit armé au Kosovo.
2 A compter de la fin du mois de février ou à compter du début du mois de
3 mars 1998, nous nous sommes fondés pour arriver à cette conclusion sur une
4 analyse de la situation sur le terrain et sur le fait que l'UCK existait en
5 tant que force armée organisée. Compte tenu de ce fait, nous avons procédé
6 à notre analyse en nous concentrant sur les répercussions de la guerre pour
7 les civils. Est-ce que cela répond à votre question ?
8 Q. J'aimerais comprendre votre point de vue. Vous affirmez donc que dans
9 un pays organisé, on peut en toute légitimité s'en prendre à l'armée et à
10 la police et que cela peut même arriver à la qualification juridique de
11 conflit armé; est-ce que c'est là votre point de vue ?
12 R. La façon dont je comprends le droit international humanitaire m'amène à
13 penser que de telles attaques ne sont pas interdites. C'est la manière dont
14 ces attaques sont conduites qui est évaluée selon les principes du droit.
15 Mais je suis également d'avis qu'en cas de conflit armé interne, des
16 attaques de la part d'un groupe d'insurgés peuvent faire l'objet de
17 poursuites en vertu du droit interne. Les autorités serbes et les autorités
18 yougoslaves avaient donc la faculté sur le plan juridique d'arrêter et de
19 poursuivre des individus qui, à leurs yeux, s'étaient rendus coupables de
20 crimes tels que la détention illégale d'armes, l'enlèvement ou le meurtre.
21 Q. Ou des attaques contre des membres de la police ou de l'armée
22 également ?
23 R. Oui.
24 Q. Merci. Nous parlons toujours de l'année 1998; avez-vous des données au
25 sujet des effectifs de l'Armée de libération du Kosovo ? Quels étaient les
26 effectifs de l'UCK ? Comment était-elle organisée, et cetera ?
27 R. Quel mois de l'année 1998 ?
28 Q. Concentrons-nous sur les mois de juin, juillet et août 1998.
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1 R. A l'époque, l'UCK était encore un groupe armé et organisé de façon
2 disparate. Ce que j'ai cru comprendre à l'époque et par la suite et suite à
3 des recherches ultérieures, c'est qu'il s'agissait d'une organisation
4 fortement décentralisée. En d'autres termes, il existait bien un
5 commandement central, mais dans une large mesure, les commandants régionaux
6 étaient investis d'une grande autorité, commandants régionaux sur le
7 terrain. Nous avons constaté qu'une politique unifiée avait été mise en
8 place au mois de septembre 1998, par exemple, où il était nécessaire
9 d'obtenir une passe média, comme ils l'appelaient, si je ne m'abuse.
10 C'était essentiellement un laissez-passer qui permettait de circuler à
11 travers le territoire contrôlé par l'UCK. Des postes de contrôle avaient
12 été établis où l'on vérifiait ces documents, ce qui laissait penser qu'il
13 existait une certaine coordination et un certain contrôle à ce moment-là.
14 Q. Merci. Quels étaient les effectifs de l'UCK à ce moment-là, à l'époque
15 dont nous parlons ? Quel était le nombre de ses membres ?
16 R. Je l'ignore.
17 Q. Si vous ignorez combien de membres comptait l'UCK, comment pouvez-vous
18 en tirer des conclusions quant au caractère adéquat de la réponse des
19 forces de la défense de l'Etat ? Car dans votre rapport, vous parlez du
20 caractère proportionné ou disproportionné de ces forces. Sur quoi vous
21 fondez-vous pour le dire si vous n'avez aucune idée des effectifs de
22 l'UCK ?
23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je crois que la réponse qui a été
24 donnée précédemment concernait une action disproportionnée de la part de
25 l'UCK, n'est-ce pas ?
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, effectivement.
27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Par conséquent, n'interprétez pas la
28 réponse précédente comme voulant dire qu'il était nécessaire de connaître
Page 883
1 le nombre de membres de l'UCK. Je pense là qu'il s'agit là d'une question
2 séparée.
3 M. PETROVIC : [interprétation] Je vais reformuler la question, dans ce cas.
4 Q. Monsieur Abrahams, la réaction des forces de la Défense nationale serbe
5 et yougoslave étaient proportionnelles par rapport aux menaces et aux
6 actions des forces de l'UCK sur la partie du territoire du Kosovo, sur au
7 moins 40 % du territoire du Kosovo ?
8 R. A mon avis, sur la base des enquêtes réalisées sur le terrain, je
9 dirais que la réponse des forces gouvernementales a été fortement
10 disproportionnée et a utilisé une méthode indiscriminée qui a eu des
11 répercussions sur les civils --
12 Q. Monsieur Abrahams, ce n'est pas la question que je vous ai posée. Je
13 vous ai demandé si l'on peut en conclure que la réaction des forces de
14 l'armée et de la police était appropriée par rapport à la menace qui
15 existait. Je ne vous demande pas de vous exprimer sur des questions ayant
16 trait au droit international humanitaire, je vous parle de la réaction de
17 la police et de l'armée. Est-ce que cette réaction a été proportionnelle à
18 la menace qui existait ?
19 R. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de savoir si un gouvernement réagit à
20 une menace en termes de sécurité, ce qui m'intéresse, c'est comment un
21 gouvernement réagit à une menace en termes de sécurité. C'est là-dessus que
22 nous avons axé nos recherches.
23 Q. Par conséquent, dans votre travail, dans vos rapports, dans vos
24 documents, à aucun moment on ne se pose la question de savoir si la
25 réaction à cette menace en termes de sécurité a été adéquate ou non. Ai-je
26 raison ?
27 R. Adéquate dans quel sens ?
28 Q. Adéquate en rapport avec la menace qui pesait sur la sécurité de
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1 l'Etat, à savoir que quelqu'un s'était emparé de 50 % du territoire d'une
2 région.
3 R. Il y avait une insurrection armée active au Kosovo. Du point de vue des
4 autorités serbes et yougoslaves, cela représentait une menace pour leur
5 sécurité. Nous en sommes conscients, j'en suis conscient, et ce qui
6 m'intéressait, c'était de voir comment l'Etat avait réagi à cette menace
7 telle qu'elle était perçue.
8 Q. Bien. Passons à autre chose. Dans votre déclaration écrite de 2002, du
9 mois de juillet 2002, il est question de la période qui suit immédiatement
10 les événements de juin, juillet, août.
11 M. PETROVIC : [interprétation] En page 20 -- j'aimerais que l'on fasse
12 apparaître sur l'écran e-court la page 20 de votre déclaration. En page 20
13 -- pourrait-on montrer le bas de la page, je vous prie ?
14 Un instant, Monsieur le Président, je vous prie.
15 Q. Etant donné que je n'arrive pas à retrouver ce passage, je vais vous
16 donner lecture d'une partie de votre déclaration écrite. J'espère que cela
17 ne donnera pas lieu à contestation.
18 M. PETROVIC : [interprétation] Je vais procéder sur cette base, si la
19 Chambre m'autorise à aller de l'avant.
20 Q. "En août, les autorités serbes ont ouvert au Kosovo 11 centres
21 humanitaires pour distribuer de l'aide humanitaire. Très peu d'Albanais
22 sont venus chercher cette aide. Bon nombre d'Albanais avaient peur des
23 représentants des autorités serbes, compte tenu de ce qu'ils avaient vécu."
24 Il s'agit là d'un passage de votre déclaration; vous vous en souvenez ?
25 R. Oui.
26 Q. Savez-vous en quoi consistait cette aide humanitaire que les autorités
27 serbes et yougoslaves souhaitaient fournir à la population en danger ?
28 R. Concrètement, non, mais j'ai cru comprendre qu'il s'agissait de denrées
Page 885
1 alimentaires et éventuellement de matériel médical.
2 Q. Sur la base du passage que j'ai lu, peut-on en déduire que cette aide
3 était destinée à tous les habitants qui pouvaient en avoir besoin,
4 indépendamment de leur appartenance ethnique ?
5 R. Oui, c'était là la destination affichée de ce projet, mais à mon avis,
6 il n'y a pas eu d'effort sincère de la part du gouvernement pour qu'il en
7 soit ainsi.
8 Q. Qu'est-ce qui vous amène à conclure qu'il n'y a pas eu d'effort sincère
9 de la part du gouvernement pour le faire, étant donné que dans la suite de
10 votre déclaration écrite, vous affirmez, et je peux vous en donner lecture
11 également, que "beaucoup d'Albanais n'étaient pas venus chercher cette aide
12 précisément parce qu'ils avaient besoin -- ils avaient peur de la réaction
13 des membres de l'UCK" ?
14 R. Non, vous avez mal interprété ce que j'ai dit.
15 M. STAMP : [interprétation] Pouvez-vous nous indiquer à quelle partie de la
16 déclaration écrite vous faites référence, apparemment, avec cette
17 citation ?
18 M. PETROVIC : [interprétation] Oui, un instant, je vais retrouver le
19 passage.
20 [Le conseil de la Défense se concerte]
21 [Le conseil de la Défense se concerte]
22 M. PETROVIC : [interprétation]
23 Q. Je pense qu'il est peut-être plus facile de vous donner lecture du
24 passage concerné en B/C/S plutôt que d'essayer de retrouver le passage en
25 anglais, mais je vais certainement garder cela présent à l'esprit.
26 Donc, avec votre autorisation, je vais donner lecture de la déclaration de
27 2002, le passage en question, où il est dit -- le premier paragraphe est le
28 paragraphe que je viens de lire, et immédiatement après, le paragraphe
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1 suivant dit que :
2 "L'UCK, pendant cette période et au début de 1999, s'est livré à des
3 violations graves du droit humanitaire international, y compris la prise
4 d'otages et des exécutions sommaires. Les victimes étaient essentiellement
5 des Albanais et des Serbes qui apparemment avaient collaboré."
6 Voilà, j'espère que les choses sont claires.
7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] On vous demande de ralentir, Maître
8 Petrovic.
9 Mais cela n'éclaircit pas votre question, à savoir que les Albanais ne sont
10 pas venus chercher l'aide humanitaire au centre de distribution parce
11 qu'ils avaient peur de représailles de la part de l'UCK.
12 M. PETROVIC : [interprétation] Oui, effectivement, mais c'est le paragraphe
13 suivant qui le dit, le premier paragraphe, celui qui parle des centres de
14 distribution d'aide humanitaire. Alors que le paragraphe suivant parle du
15 sort réservé aux Albanais, s'ils collaboraient d'une quelconque manière
16 avec l'Etat serbe. En d'autres termes, j'ai établi un lien entre les deux
17 parce qu'ils s'insèrent dans le même contexte. J'espère que le témoin
18 pourra y réagir.
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'aimerais poser une question à M.
20 Abrahams. Vous nous dites que : "Vous avez rencontré bon nombre d'Albanais
21 qui avaient peur d'entrer en contact avec les autorités serbes compte tenu
22 du degré de violence auquel ils avaient été exposés." Qu'entendez-vous par
23 violence ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Ils ont fait référence aux violences dont ils
25 avaient été victimes de la part des forces serbes et des forces
26 yougoslaves. Ils se sont vus, d'après eux, offrir de l'aide de la part des
27 personnes qui les avaient chassés de chez eux pour commencer.
28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Petrovic, veuillez poursuivre.
Page 887
1 M. PETROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
2 Q. Monsieur Abrahams, peut-être vous sera-t-il possible de répondre à
3 présent à la question que je vous ai posée, et je peux répéter ma question.
4 Le fait que l'UCK avait perpétré des violences et avait tué des Albanais
5 qui avaient collaboré avec l'Etat serbe,
6 a-t-il eu une influence sur le fait que les Albanais acceptent ou non
7 l'aide dont ils avaient besoin de la part de l'Etat serbe ?
8 R. Les personnes que j'ai interrogées se sont montrées préoccupées et
9 inquiètes vis-à-vis des autorités de l'Etat. Mais je reconnais ce que vous
10 avancez, à savoir que de manière générale, les habitants d'appartenance
11 ethnique albanaise ont été intimidés de façon générale par l'UCK. Il est
12 possible que certains villageois ou certaines personnes aient reçu pour
13 ordre de ne pas accepter cette aide humanitaire. Personne ne me l'a dit,
14 mais je reconnais que c'est peut-être possible.
15 Q. Pouvez-vous me dire quelle est la nature de l'organisation World
16 Vision ?
17 R. Pour autant que je puisse le savoir, "World Vision" est une
18 organisation humanitaire basée aux Etats-Unis qui est rattachée à l'église,
19 même si je serais incapable de vous dire à quelle église elle est rattachée
20 plus précisément.
21 Q. Est-ce que cette organisation a fourni une aide quelconque en février
22 1999 au Kosovo, dans le cadre de la reconstruction de certaines maisons ou
23 autre ?
24 R. "World Vision" était présente au Kosovo, notamment dans le cadre de la
25 reconstruction de maisons, mais je ne sais pas à quelle date ces opérations
26 ont commencé.
27 Q. Est-ce que l'activité de cette organisation en rapport avec la
28 reconstruction des maisons aurait été possible sans l'accord et l'aval des
Page 888
1 autorités serbes et yougoslaves ?
2 R. C'est une question que vous devriez poser à "World Vision". Mais
3 j'imagine qu'une telle coopération était nécessaire.
4 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, un instant, je vous
5 prie.
6 [Le conseil de la Défense se concerte]
7 M. PETROVIC : [interprétation] J'aimerais que l'on présente au témoin la
8 pièce P386. Il s'agit là du rapport intitulé Kosovo : le viol en tant
9 qu'arme de 'nettoyage ethnique.'
10 Un instant, Monsieur le Président, que je trouve la page qui m'intéresse.
11 Q. Pouvez-vous nous dire -- c'est un ouvrage qui contient votre analyse
12 des événements en rapport avec les viols au Kosovo pour lesquels il est
13 affirmé qu'ils auraient eu lieu pendant la période qui nous occupe. Vous
14 souvenez-vous d'une déclaration du ministre des Affaires étrangères
15 britanniques à l'époque, Robin Cook, quant à l'existence de camps, comme il
16 les a appelés, pour des femmes qui auraient été violées au Kosovo en mars
17 et en avril 1999?
18 R. Oui, je me souviens de ces déclarations, de façon générale. Je ne me
19 souviens plus des détails.
20 Q. J'aimerais vous demander d'examiner la page -- la page 10 de la version
21 e-court. C'est la page 8 du document, mais la page 10 sur e-court.
22 La page suivante, qui porte le numéro ERN qui se termine par 828 -- pardon,
23 c'est le numéro qui se termine par 827. Voilà. Examinons le premier
24 paragraphe de cette page.
25 Pouvez-vous nous dire quand Robin Cook a fait cette déclaration ?
26 R. En vertu de ce rapport, c'était le 13 avril 1999.
27 Q. Nous parlons de votre rapport, le rapport que vous avez rédigé ou que
28 l'organisation à laquelle vous appartenez a rédigé, c'est exact ?
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1 R. Oui, c'est exact.
2 Q. Le 13 avril 1999, Robin Cook, le ministre britannique des Affaires
3 étrangères a affirmé que les forces serbes avaient ouvert, à proximité de
4 Djakovica, un camp où des viols étaient perpétrés; est-ce exact ?
5 R. Oui, c'est exact.
6 Q. Pouvez-vous me dire à quelles conclusions votre organisation est
7 arrivée en rapport avec cette affirmation de
8 M. Cook ?
9 R. Nous n'avons pas rassemblé d'éléments ou d'informations pour confirmer
10 cette allégation.
11 Q. Avez-vous mené l'enquête au sujet de ces accusations ?
12 R. Oui.
13 Q. La conclusion, c'est que ce qu'affirme Robin Cook ici était inexact ?
14 R. Nous n'avons pas été en mesure de trouver des éléments de preuve à
15 l'appui de ses allégations.
16 Q. Je vous remercie.
17 [Le conseil de la Défense se concerte]
18 M. PETROVIC : [interprétation]
19 Q. Quelle a été l'incidence de ces rumeurs concernant des viols perpétrés
20 contre des habitantes d'une certaine partie du territoire ? Comment est-ce
21 que vous décrivez cela dans votre rapport ?
22 R. Notre point de vue était, et est toujours, qu'il y a eu des incidents
23 très graves de violence sexuelle et de viol commis contre des personnes
24 civiles d'origine ethnique albanaise de souche au moment, sur la base de
25 nos renseignements --
26 Q. Excusez-moi, je dois vous interrompre.
27 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je voudrais vous
28 demander de demander au témoin de répondre à ma question. Je voulais savoir
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1 quelle était l'incidence des rumeurs. Peut-être que le témoin pourrait
2 limiter sa réponse à ce que je lui ai demandé. Le reste était dans
3 l'interrogatoire principal et pourrait être retrouvé dans le rapport, qui
4 peut peut-être par la suite être versé ou non au dossier. Je ne veux pas
5 perdre notre temps. Je voudrais lui demander de se centrer sur ce que je
6 lui ai demandé.
7 M. STAMP : [interprétation] Je dois objecter à la question telle que vous
8 l'avez posée maintenant et avant. La question des rumeurs est vague et elle
9 laisse le témoin dans l'incertitude. La question devrait être un tout petit
10 peu plus précise à mon avis.
11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Petrovic.
12 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, cette question est
13 quelque chose qui est englobé dans les rapports dont nous discutons et elle
14 découle directement de ma question précédente. M. Robin Cook a déclaré --
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que votre question est limitée
16 à ce qu'a dit M. Cook, à savoir que ce n'était pas fondé, tel que les
17 choses se présentaient, en l'occurrence ? Est-ce que c'est cela que vous
18 décrivez comme étant une rumeur ?
19 M. PETROVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. C'est évidemment
20 --
21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si c'est la rumeur, alors c'est à cela
22 que la question se rapporte. Ce qui est dit comme remarque, ce n'est guère
23 plus que cela.
24 La question est : quel était l'effet de cette allégation qui s'est
25 révélée, d'après les enquêtes de M. Abrahams, apparemment, non fondée, dans
26 cette communauté ? Est-ce que c'est bien cela, votre question ?
27 [Le conseil de la Défense se concerte]
28 M. PETROVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Abrahams.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. J'étais en train
3 de répondre précisément à cette question-là.
4 A cause des crimes très graves de violence sexuelle que nous avons pu
5 documenter, nous étions à ce moment-là très préoccupés, très troublés par
6 des allégations faites par des protagonistes du domaine politique qui
7 semblaient ne pas être basées sur des faits, parce que ceci risquait
8 d'éroder, de diminuer la crédibilité des crimes véritables qui avaient été
9 commis.
10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais ceci ne répond pas à la question
11 qui vous a été posée, à savoir quelle incidence est-ce que cela avait pour
12 la communauté en général.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] En partie, cela pouvait avoir comme impact de
14 diluer les faits qui étaient prouvés au cours des enquêtes. Il se peut
15 qu'en plus il y ait eu, et à mon avis, il y a eu, une incidence politique.
16 Je peux seulement supposer que l'intention de Robin Cook, qui à l'époque
17 était d'obtenir un appui, un appui politique pour l'entreprise de l'OTAN.
18 Je peux seulement supposer que ses commentaires à cet égard visaient cet
19 objectif-là.
20 [Le conseil de la Défense se concerte]
21 M. PETROVIC : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à poser au
22 témoin, Monsieur le Président.
23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie, Maître Petrovic.
24 Maître Sepenuk.
25 M. SEPENUK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
26 Contre-interrogatoire par M. Sepenuk :
27 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Abrahams. Je suis Norman Sepenuk, et
28 je suis l'un des avocats du général Ojdanic.
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1 M. STAMP : [interprétation] Si l'Huissier voulait bien mettre à l'écran la
2 pièce à conviction 544 de l'Accusation, à la page 2.
3 Est-ce que c'est bien sur votre écran, Monsieur le Président ?
4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, je l'ai.
5 M. SEPENUK : [interprétation] Je vous remercie.
6 Q. Monsieur Abrahams, vous l'avez également sur votre écran ?
7 R. Oui.
8 Q. Je vous remercie. Vous allez reconnaître, je le pense, une lettre du 20
9 juillet qui est de Holly Cartner, directeur exécutif de "Human Rights
10 Watch" pour l'Europe et l'Asie centrale. D'après de ce que j'ai compris
11 dans votre déposition, c'est vous qui avez rédigé cette lettre ?
12 R. C'est exact.
13 Q. Elle a été signée par Mme Cartner.
14 R. Si vous voulez bien aller jusqu'à la signature, je pourrai vous
15 répondre.
16 Q. Oui, nous pouvons le faire.
17 R. Je ne me rappelle pas, mais sur la base de mon analyse personnelle de
18 ma propre écriture, j'ai signé cette lettre au nom de Mme Cartner étant
19 donné qu'elle m'avait demandé de le faire pour elle.
20 Q. Donc, il s'agit bien de votre signature ?
21 R. Je crois que c'est ma signature, mais il faudrait qu'il y ait un expert
22 pour procéder à une analyse.
23 Q. On n'a pas besoin de cela.
24 Cette lettre, est-ce que c'était vous qui aviez eu l'idée d'envoyer
25 cette lettre ?
26 R. Cette lettre correspond à une procédure régulière de routine à la suite
27 de missions visant à demander des renseignements au gouvernement.
28 Q. Je pense que vous avez dit hier que vous la qualifieriez de lettre
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1 d'enquête ou de lettre d'investigation ?
2 R. Je pense que c'est une bonne description, oui.
3 Q. C'est ce que vous avez dit dans votre déposition hier, d'accord ?
4 R. D'accord.
5 Q. Il n'y a rien dans cette lettre que vous qualifieriez comme étant, tout
6 au moins, un type d'accusation quelconque, comme une accusation implicite
7 de violation du droit international humanitaire ?
8 R. Vous voulez dire à l'adresse des autorités ?
9 Q. Mais n'importe quoi dans cette lettre.
10 Prenons simplement un exemple. La première question était : "Combien
11 de soldats de l'armée yougoslave sont morts au Kosovo depuis le mois de
12 janvier 1998 ? Combien ont été blessés ?"
13 Le fait de demander ceci, de demander des renseignements de faits;
14 vous voulez des réponses ?
15 R. C'est exact.
16 Q. C'est exact, bien. Si vous voulez nous aider juste un moment pour
17 replacer les choses dans leur contexte, cette lettre a été datée du 20
18 juillet 1998. Si nous pouvons remonter un petit peu et passer au deuxième
19 trimestre de 1998, qui est exactement dans ce qui nous concerne, c'est dans
20 cette période que l'UCK a pris plus ou moins le contrôle, enfin, a estimé
21 45 % du territoire du Kosovo; c'est bien cela ?
22 R. C'est exact.
23 Q. A la suite, également pendant cette période, des civils serbes dans des
24 secteurs sous le contrôle de l'UCK ont été harcelés ou terrorisés jusqu'au
25 point de quitter leurs maisons à la suite d'attaques, d'enlèvements et
26 d'assassinats sporadiques; c'est exact, n'est-ce pas ?
27 R. C'est exact.
28 Q. Il est également exact, n'est-ce pas, que le jour précédant cette
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1 lettre qui a été envoyée le 19 juillet 1998, l'offensive principale de
2 l'UCK a commencé, lorsqu'elle a tenté à prendre la ville d'Orahovac; c'est
3 exact ?
4 R. C'est exact.
5 Q. Bien. Cette lettre est datée du 20 juillet 1998, et il y a beaucoup de
6 choses qui se passent à ce moment-là au cours de cette période.
7 R. C'était pendant cette période, oui.
8 Q. Le jour précédent, l'attaque contre Orahovac, n'est-ce pas, il y avait
9 donc 40 % du territoire qui était contrôlé par l'UCK ?
10 R. C'est exact.
11 Q. Donc, les autorités serbes avaient fort à faire pendant cette période ?
12 R. Probablement, oui.
13 Q. Vous leur avez donné un délai de dix jours pour répondre à cette
14 lettre. Vous l'avez envoyée pendant la période des vacances, le 20 juillet,
15 et vous leur avez donné un délai de dix jours pour répondre. Est-ce que
16 ceci est une façon exacte de présenter les choses ?
17 R. Je ne suis pas en mesure de voir la date précise à la fin du
18 paragraphe.
19 Q. Mais c'est ici.
20 R. Est-ce qu'il est question de juillet ?
21 Q. Regardez là.
22 M. SEPENUK : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait faire descendre --
23 déplacer vers la droite ? Je ne vois pas la date, mais je suppose que c'est
24 bien juillet.
25 Q. Oui, c'est exact. A ce moment-là, on leur a donné un délai de dix
26 jours, un délai de dix jours pour répondre ?
27 R. C'est exact.
28 Q. Est-ce que vous avez envoyé cette lettre par courrier électronique ?
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1 R. Mon souvenir, c'est que cette lettre a été envoyée par télécopie.
2 Q. Par télécopie ?
3 R. Oui.
4 Q. Là encore, d'après ce que je comprends des choses, il n'y a pas eu de
5 réponse.
6 R. C'est exact.
7 Q. Bien. Est-ce que vous avez demandé quel était le bureau le plus proche
8 de Belgrade pour les droits de l'homme ?
9 R. Géographiquement, c'était probablement Bruxelles à l'époque.
10 Q. Donc, vous êtes sûr que cette télécopie est arrivée ?
11 R. Oui, j'en suis sûr. Enfin, je le crois.
12 Q. Est-ce que vous avez une trace de cela ? Est-ce que vous êtes en train
13 dire dans votre déposition que vous avez un moyen qui montre bien que le
14 message par télécopie est bien arrivé ?
15 R. Pour répondre à votre question, il faut que j'explique la procédure de
16 distribution de ces lettes.
17 Q. Bien.
18 R. Elles sont envoyées par un serveur de télécopie sur un ordinateur qui
19 compose le numéro et qui n'arrête pas de composer jusqu'à ce que ce message
20 par télécopie ait été envoyé avec succès.
21 Q. Vous n'avez pas obtenu de réponse dans les quelques jours. Est-ce que
22 vous avez peut-être pensé à faire déposer ou remettre la lettre, la faire
23 porter à la main ?
24 R. Je ne me rappelle pas si on a même réfléchi à cela, mais d'après mes
25 souvenirs, je crois qu'aucune n'a jamais été portée physiquement.
26 Q. Bien. Vous n'avez pas fait d'appels téléphoniques à qui que ce soit de
27 l'armée, par exemple, d'après ce que je comprends ?
28 R. Je ne me rappelle pas pour cette époque. Toutefois, un grand nombre de
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1 ces questions ont réellement été évoquées en personne. Je les ai évoquées
2 en personne quand je me suis réuni avec M. Bosko Drobnjak à Pristina
3 pendant ma mission de recherche. Je lui ai demandé des renseignements
4 précis, et il a dit qu'il n'était pas autorisé à me les fournir.
5 Q. Vous avez déjà discuté d'un certain nombre de questions contenues dans
6 cette lettre ?
7 R. J'aurais dû, évidemment, voir chacun des détails de cette lettre pour
8 pouvoir déterminer précisément ce que j'ai discuté avec M. Drobnjak ou pas.
9 Q. Vous avez rencontré M. Drobnjak le 11 juillet 1998 ?
10 R. Il faudrait que je vérifie cela d'après mes archives.
11 Q. Je vous le présente comme était une possibilité. Je lis cela de votre
12 déclaration.
13 R. Oui, donc je l'accepte.
14 Q. Il était au ministère serbe de l'Information à Pristina; c'est exact ?
15 R. C'est exact.
16 Q. Il n'a pas refusé de s'entretenir avec vous ?
17 R. Il a accepté de me parler, oui.
18 Q. Est-ce que vous avez eu une conversation d'une assez large portée ?
19 R. Pour autant que je me souvienne, c'était une conversation de 30 à 35
20 minutes concernant les affaires du Kosovo.
21 Q. Est-ce qu'il vous a parlé d'un certain nombre de choses ?
22 R. Nous avons parlé -- si vous voulez le savoir exactement, je peux le
23 rappeler.
24 Q. Oui. Quels que soient vos souvenirs, certainement.
25 R. Je me rappelle que M. Drobnjak s'est référé à l'UCK comme étant une
26 organisation terroriste, comme étant des terroristes. Je me rappelle qu'il
27 a dit que les forces serbes yougoslaves répondaient de façon appropriée.
28 J'ai posé en particulier deux questions. L'une concernait les comptes
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1 rendus concernant les autorités de l'Etat qui bloquaient la livraison
2 d'aide humanitaire aux populations de souche albanaise, et il a répondu que
3 le gouvernement l'avait fait parce qu'une partie de ces organisations
4 étaient en train de livrer les fournitures à l'UCK, bien qu'il ne soit pas
5 en mesure de fournir des détails. Deuxièmement, si ma mémoire me sert bien,
6 je lui ai présenté une liste d'Albanais de souche qui étaient portés
7 disparus. Je lui ai demandé des renseignements, s'il avait des
8 renseignements concernant ces personnes.
9 Q. Donc, M. Drobnjak a essentiellement défendu la position de son
10 gouvernement. Est-ce que ceci traduit bien ce que vous voulez dire ?
11 R. Ceci traduit bien sa position.
12 Q. Il a dit que les autorités serbes étaient en train de lutter contre les
13 terroristes et que leurs actions étaient justifiées, l'action de ces
14 autorités ?
15 R. C'est exact, oui.
16 Q. Ensuite, dans cette lettre, vous demandiez à l'armée -- j'appelle cela
17 l'armée, enfin, vous n'avez jamais eu de discussions avec une personne
18 particulière, n'est-ce pas, au moment où cette lettre a été envoyée ?
19 R. Non.
20 Q. Bien. Alors vous l'avez simplement envoyée à l'armée; c'est exact ?
21 R. Je pense que cela a été envoyé au bureau d'information de l'armée.
22 Q. Donc, c'est -- non, excusez-moi. Mais où est-ce que c'est indiqué,
23 cela ?
24 R. Je crois que c'est sur la feuille de couverture qui précède le message
25 par télécopie.
26 Q. Bien.
27 M. SEPENUK : [interprétation] Pourrions-nous voir un instant, s'il vous
28 plaît ?
Page 899
1 Q. C'est la page 1.
2 R. Oui.
3 Q. Service d'information; c'est bien cela ?
4 R. Oui, c'est cela.
5 Q. Bien. M. Drobnjak, il était au ministère serbe de l'Information; c'est
6 exact ?
7 R. C'est exact.
8 Q. Il était autorisé à vous parler de ces questions et vous lui avez parlé
9 au mois de juin.
10 R. C'est exact.
11 Q. Bien. L'une des questions était : "Pouvez-vous nous donner des comptes
12 rendus militaires concernant les actions menées par l'armée au Kosovo
13 depuis janvier 1998 ?"
14 Est-ce que vous vous attendiez vraiment - et je pose la question
15 sérieusement - est-ce que vous vous attendiez vraiment à ce que vous
16 obteniez des rapports militaires du gouvernement ? Ne pensez-vous pas qu'il
17 y avait des éléments confidentiels qui faisaient que le gouvernement ne
18 serait pas disposé à communiquer ceci à "Human Rights Watch" ?
19 R. Ma tâche était de poser des questions, et la tâche du gouvernement, de
20 déterminer quelles seraient ses réponses.
21 Q. Mais la confidentialité au sein d'une organisation particulière lorsque
22 des vies sont en danger, sont en jeu, plus particulièrement concernant
23 cette situation de guerre entre l'UCK et les forces yougoslaves, c'était
24 quelque chose de très important; n'est-ce pas ?
25 R. J'aurais été surpris si les militaires nous avaient répondu en nous
26 donnant des documents internes.
27 Q. Bien. Vous avez des questions, mais du point de vue pratique, vous ne
28 vous attendiez pas à obtenir une réponse; n'est-ce pas, Monsieur le
Page 900
1 Témoin ?
2 R. Sur ce point précis, j'aurais été surpris d'obtenir les documents
3 militaires.
4 Q. Bien. Toujours sur le plan de la confidentialité, à ce que je
5 comprends, c'est quelque chose qui est très important pour votre
6 organisation, "Human Rights Watch" ?
7 R. La confidentialité à quel égard ?
8 Q. Par exemple, pour des rapports ou des entretiens.
9 R. Il y a une différence entre les rapports et les entretiens.
10 Q. Bien. Parlons des entretiens. D'après ce que je comprends, le livre
11 intitulé : "Sous les ordres", "Under Orders," était essentiellement basé
12 sur des entretiens avec quelque 600 Albanais du Kosovo; est-ce que c'est
13 exact ?
14 R. Pour la période qui est couverte dans ce rapport de mars à juin 1999,
15 ceci est exact.
16 Q. C'est bien de cela que je veux parler.
17 R. Oui.
18 Q. Vous avez dit que vous aviez choisi des personnes qui, selon vous,
19 avaient des récits à faire.
20 R. C'est exact.
21 Q. Bien. Ensuite, vous avez modifié cela quelques secondes plus tard et
22 vous avez dit : "Rechercher des personnes qui avaient connaissance de
23 crimes"; c'est exact ?
24 R. C'est exact.
25 Q. Donc, vous n'étiez pas en train de chercher des personnes qui aient des
26 renseignements à décharge, vous cherchiez des personnes qui avaient des
27 renseignements à charge ?
28 R. Nous cherchions des personnes qui avaient des récits à faire. Nous
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1 avions donc ces récits qui font que nous en avons rendu compte. Il y a des
2 exemples dans l'ouvrage "Under Orders" dans lesquels la police serbe et
3 l'armée yougoslave ont répondu de façon satisfaisante du point de vue légal
4 et du point de vue moral. Nous avons inclus cela.
5 Q. Oui.
6 R. Il y a un exemple dans les éléments de preuve présentés où nous avons
7 réfuté les renseignements présentés par Robin Cook. Donc, nous faisions
8 très attention de présenter aussi des renseignements à décharge. Si nous
9 apprenions, peut-être que ceci pourrait permettre de préciser, de clarifier
10 ma déposition précédente, pour être absolument clair sur ce point, si nous
11 apprenions qu'une personne disposait d'informations à décharge, nous
12 aurions également cherché à retrouver cette personne. Nous recherchions
13 activement des personnes qui avaient connaissance des événements sur le
14 terrain.
15 Q. Si vous apprenez quelque chose par chance, par hasard, plus ou moins,
16 qu'il y avait des personnes qui avaient des renseignements à décharge,
17 alors vous alliez les chercher; c'est bien cela ?
18 R. C'est exact. Ou si ces personnes étaient -- si on appelait notre
19 attention sur ces personnes.
20 Q. Mais vous n'étiez pas en train de rechercher des personnes qui
21 disposaient de renseignements à décharge. Au contraire, d'après ce que je
22 comprends de votre déposition, vous cherchiez des personnes qui avaient
23 connaissance des crimes ?
24 R. Connaissance des crimes, il faudrait peut-être que je précise.
25 Connaissance des crimes dont on avait rendu compte, de sorte que nous
26 puissions procéder à une enquête dans un village précis. Evidemment, on
27 ratissait large pour parler de façon à pouvoir entendre des personnes, de
28 réunir des documents, visiter les lieux du crime allégué, obtenir ainsi une
Page 902
1 vaste palette de renseignements aussi large que possible, qu'il s'agisse à
2 charge ou à décharge.
3 Q. Comme vous l'avez dit dans une réponse à une question posée par le Juge
4 hier -- supprimez cela, s'il vous plaît, supprimez cela.
5 Non, ne le supprimez pas.
6 Vous cherchiez des pistes, n'est-ce pas ? Le Président Bonomy a dit
7 que vous cherchiez des pistes pour pouvoir continuer des enquêtes, tout au
8 moins ?
9 R. Au cours de nos enquêtes, nous, tout comme des journalistes, nous
10 cherchions des pistes, nous suivions des pistes. Nous essayions de partir
11 de bribes d'information.
12 Q. Ensuite, vous avez travaillé pour le Procureur pendant un certain
13 temps; c'est exact ? Vous avez dit cela dans votre déposition en 2000,
14 2001 ?
15 R. C'est exact.
16 Q. Je pense qu'il est juste de dire ou est-il juste de dire que vous avez
17 partagé ces pistes avec le bureau du Procureur ?
18 R. Pour certaines d'entre elles, oui.
19 Q. Je veux dire, s'il y avait des éléments à charge, vous pouviez les
20 communiquer au bureau du Procureur ?
21 R. C'est exact.
22 Q. Est-ce que vous avez examiné les quelque 600 rapports d'audition au
23 bureau du Procureur ?
24 R. Non, nous ne l'avons pas fait.
25 Q. Pourquoi pas ?
26 R. Les dépositions écrites, les déclarations écrites ou les notes de nos
27 auditions ou entretiens sont la propriété de "Human Rights Watch", donc,
28 nous ne les communiquerons pas à l'extérieur de l'organisation sans qu'il y
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1 ait une demande précise qui soit présentée. Nous avons fourni au Tribunal
2 le nom de personnes avec l'approbation de ces personnes pour celles qui
3 pourraient présenter un intérêt pour le bureau du Procureur lorsqu'elles
4 avaient des connaissances concernant un incident particulier. Nous avons
5 présenté au Tribunal nos conclusions sommaires, à savoir, les rapports qui
6 ont été présentés ici aujourd'hui et hier.
7 Q. Est-ce qu'un membre du bureau du Procureur, à un moment quelconque,
8 vous a jamais demandé, "vous," puisque vous êtes de "Human Rights Watch",
9 vous êtes un des représentants, est-ce qu'on ne vous a jamais demandé des
10 copies de ces déclarations correspondant à des auditions ou des
11 entretiens ?
12 R. Pas que je sache.
13 Q. Il n'y pas eu de demandes non plus de M. Stamp ou de M. Hannis ou de
14 qui que ce soit concernant le bureau du Procureur pour essayer de remettre
15 ces formules ? Etes-vous sûr de cela, Monsieur le Témoin ?
16 R. Demande -- vous voulez dire demande pour que l'on fournisse au bureau
17 du Procureur --
18 Q. C'est exact.
19 R. Je ne suis pas au courant d'une demande dans ce sens, non.
20 M. SEPENUK : [interprétation] Monsieur Stamp, peut-être que vous pourriez
21 préciser quelque chose qui a été dit hier. Je pensais qu'une telle demande
22 avait effectivement été faite.
23 M. STAMP : [interprétation] Non, non. Nous avons -- et je ne sais pas si
24 nous devrions faire ceci devant le témoin.
25 M. SEPENUK : [interprétation] Et bien --
26 M. STAMP : [interprétation] Nous avons demandé au témoin où se trouvaient
27 les documents, et le témoin nous a dit comment nous pouvions nous procurer
28 les documents, et nous sommes en train de le faire. Nous n'avons pas
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1 demandé au témoin de nous remettre des documents.
2 M. SEPENUK : [interprétation] Je vous remercie. Je vous remercie beaucoup.
3 Q. Il y a donc eu des discussions avec M. Stamp, tout au moins en ce qui
4 concerne la procédure pour obtenir ces documents ?
5 R. C'est exact.
6 Q. Etant donné les travaux du bureau du Procureur pour mettre au point des
7 actes d'accusation et réunir des éléments de preuve aux fins du procès,
8 vous dites qu'à aucun moment ils vous ont demandé où on pourrait obtenir
9 l'accès aux 600 déclarations sur lesquelles est fondé votre livre "Under
10 Orders" ?
11 R. Ce qui est disponible, ce sont les données, ensemble de données. Ce
12 sont des informations codées concernant ces entretiens. Mais pour ce qui
13 est des déclarations écrites précises, on n'a pas demandé de les fournir.
14 Q. Est-ce que vous avez maintenant fourni ce que vous avez appelé les
15 données au bureau du Procureur ?
16 R. A ce que j'ai compris, mais il faudrait que je puisse confirmer cette
17 information, ces données sont disponibles dans le public. Je pense qu'on
18 peut les trouver sur Internet, mais il faudra là aussi que je confirme ce
19 fait. Quant à savoir si le bureau du Procureur y a eu accès et les a
20 utilisées, je ne le sais pas.
21 M. SEPENUK : [interprétation] Je voudrais certainement faire une demande
22 maintenant à l'Accusation de les mettre à disposition ainsi que les
23 déclarations d'entretiens.
24 Q. Est-ce que vous savez quelle est la position de votre organisation ou
25 de votre ancienne organisation pour ce qui est de communiquer ou de
26 divulguer ces informations ?
27 R. Oui.
28 Q. Quelle est cette position ?
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1 R. En ce qui concerne la politique en général, c'est que ces notes sont la
2 propriété privée de l'organisation, mais les personnes et les organisations
3 peuvent présenter des demandes précises à notre bureau des affaires
4 juridiques pour en obtenir communication, et ceci fait l'objet de décisions
5 au cas par cas.
6 Q. Est-ce que vos affirmations en tant que consultant et/ou enquêteur pour
7 le bureau du Procureur, est-ce qu'il ne vous est jamais arrivé, à un moment
8 quelconque, de dire à l'un quelconque des membres du bureau du Procureur :
9 voilà, nous avons ces 600 déclarations, et vous devriez jeter un coup
10 d'œil.
11 Est-ce que cela ne vous est jamais arrivé ?
12 R. Franchement, non, et je pense pour deux raisons. Premièrement,
13 j'ai estimé que nos conclusions telles qu'elles sont présentées dans
14 l'ouvrage, "Under Orders", et d'autres rapports étaient suffisants pour
15 donner une indication pour les éléments de preuve que nous avions
16 recueillis. Deuxièmement, que les enquêteurs du bureau du Procureur
17 devaient procéder à leurs propres auditions, réunir leurs propres
18 informations, de façon à pouvoir utiliser nos rapports comme guide, si vous
19 le voulez, pour déterminer s'il y avait un schéma d'abus, quels étaient les
20 villages qui pouvaient présenter un intérêt pour eux et ceux qui n'en
21 présentaient pas, mais pour finir ces investigations, devaient être faites
22 par un de leurs propres enquêteurs.
23 Q. Donc, il y avait une préférence à ce moment-là en faveur de l'idée que
24 le bureau du Procureur utiliserait vos rapports plutôt que les données
25 brutes elles-mêmes, qui auraient été les entretiens. Est-ce que ceci est
26 exact ?
27 R. C'est comme cela que cela s'est finalement révélé. Mais aussi parce
28 que, du point de vue de principe, nous ne communiquons pas les déclarations
Page 906
1 elles-mêmes.
2 Q. A ce moment-là, lorsque vous étiez en train d'écrire ces rapports,
3 disons au cours de la période du mois d'août 1998, lorsque vous étiez en
4 train de rédiger les différents rapports et jusqu'à la fin, est-ce qu'il
5 est juste de dire qu'en fait -- je ne peux pas vraiment vous dire que vous
6 étiez un observateur désintéressé de ce processus, n'est-ce pas ?
7 R. Cela dépend de la façon dont vous comprenez le terme "désintéressé."
8 Q. Bien. N'est-il pas juste de dire que vous aviez déjà conclu, dès le
9 mois d'août 1998, que la première priorité pour la politique des Etats-Unis
10 devrait être l'accusation de M. Milosevic ? Vous avez conclu cela dès le
11 mois d'août 1998, n'est-ce pas ?
12 R. Je pense que ceci est exact, oui. Je veux dire qu'il faudrait que l'on
13 sache exactement à quoi vous vous référez précisément.
14 Q. Je pense que vous le savez. Votre article du 5 août 1998 dans le Herald
15 Tribune, dans lequel vous dites précisément qu'on vous a posé des questions
16 concernant le procès Milosevic ?
17 R. Oui, je me rappelle cet argument -- cet article.
18 Q. C'est là que vous avez dit : "La première priorité" -- 5 août 1998 --
19 "la priorité de la politique des Etats-Unis devrait être l'accusation de
20 Milosevic."
21 R. Oui, j'ai écrit cela.
22 Q. C'était l'état d'esprit que vous avez eu tout le temps, depuis le
23 moment où vous avez recueilli des renseignements, rédigé des rapports,
24 traité avec le bureau du Procureur, et vous vous êtes intéressé à tous les
25 processus. Vous avez suivi tous ces processus sur lesquels vous avez
26 déposé.
27 R. Je ne dirais pas que c'était un état d'esprit décidé, que c'était une
28 décision. Je décrirais ceci comme étant une opinion basée sur nos
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1 investigations sur le terrain jusqu'à ce point.
2 Q. Je vous remercie.
3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Aleksic.
4 M. ALEKSIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
5 Contre-interrogatoire par M. Aleksic :
6 Q. [Interprétation] Bonjour, Monsieur Abrahams. Mon nom est Aleksander
7 Aleksic, avocat à Belgrade. Je suis ici pour la Défense du général
8 Pavkovic. J'ai quelques questions à vous poser, mais premièrement je
9 voudrais reprendre à la suite des questions de Me Sepenuk.
10 M. ALEKSIC : [interprétation] Pourrions-nous, s'il vous plaît, regarder
11 maintenant la pièce P544, la présenter à nouveau au témoin.
12 Q. Répondant à ces questions, vous avez dit que pour ce qui vous
13 concernait jusqu'à présent, fondamentalement vous étiez l'auteur de cette
14 lettre et que vous l'aviez cosignée avec Mme Holly.
15 L'INTERPRÈTE : Correction d'interprète.
16 M. ALEKSIC : [interprétation]
17 Q. Vous étiez autorisé à la signer. C'est elle qui vous a autorisé à le
18 signer.
19 M. ALEKSIC : [interprétation] C'est de l'autre côté du document, sur
20 l'autre page.
21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous avons besoin de voir la page 2.
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est exact, oui.
23 M. ALEKSIC : [interprétation]
24 Q. Excusez-moi.
25 M. ALEKSIC : [interprétation] Peut-on revenir à la première page, s'il vous
26 plaît, la première page du document.
27 Q. Monsieur Abrahams, il semble qu'il s'agisse d'un formulaire de
28 télécopie. Pouvez-vous nous dire qui a écrit à la main les mots qui
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1 figurent sur cette page. Il y est dit : "Forces armées de Yougoslavie,
2 commandement du Kosovo, service d'information," et en dessous, service
3 d'information en B/C/S.
4 R. C'est écrit de ma main.
5 Q. Avez-vous remarqué qu'il y a également un numéro, le numéro du
6 destinataire de la télécopie ?
7 R. Oui effectivement, il y a un espace prévu à cet effet.
8 Q. Puisque vous avez vous-même été l'expéditeur de cette lettre. N'aurait-
9 il pas été normal que vous ou une autre personne travaillant à vos côtés
10 fasse figurer ce numéro sur le document ?
11 R. Parfois, le numéro y figure et parfois pas. Dans ce cas-ci, il n'a pas
12 été inscrit.
13 Q. Alors, comment savons-nous que le destinataire a bien reçu le fax en
14 question ?
15 R. Pour répondre à cette question, je devrais me pencher sur notre liste
16 de contacts à New York pour vous dire à qui ce fax a été envoyé.
17 Q. Excusez-moi. Je n'ai peut-être pas suivi le compte rendu de manière
18 suffisamment précise, mais n'avez-vous pas dit aujourd'hui que votre bureau
19 le plus proche était à Bruxelles et que cette télécopie avait été envoyée
20 de Bruxelles ? Si j'ai tort, je m'en excuse.
21 R. La question était notre bureau le plus proche. Je confirme, c'est bien
22 Bruxelles. Mais cette télécopie et les autres télécopies ont été envoyées
23 de New York.
24 Q. Excusez-moi. Merci de votre explication. Puisque vous avez écrit ce
25 courrier de votre main, je rappelle ce qui est dit dans ce courrier, "les
26 forces armées de Yougoslavie, commandement du Kosovo, et service
27 d'information." C'est bien cela ?
28 R. Oui.
Page 909
1 Q. Savez-vous s'il existait un commandement du Kosovo au sein des forces
2 armées du Yougoslavie véritablement ?
3 R. Avec les informations dont je dispose aujourd'hui, j'aurais libellé les
4 choses de manière différente. J'aurais dit service d'information de la 3e
5 Armée ou du Corps d'armée de Pristina. Mais étant donné les connaissances
6 qui étaient les miennes à l'époque, c'est ainsi que j'ai formulé la chose.
7 Q. Merci. D'après les informations dont vous disposez aujourd'hui, où se
8 trouvent le commandement de la 3e Armée et le commandement du Corps de
9 Pristina, ainsi que leur service d'information respectif ? Où ils se
10 trouvaient à l'époque, peut-être.
11 R. Je n'en sais rien, je n'en sais rien. Je suppose qu'il y avait des
12 bureaux à Belgrade et à Pristina. Peut-être que la 3e Armée est basée à
13 Nis, mais je n'en suis pas tout à fait certain.
14 Q. Ma dernière question sur ce point-ci.
15 M. ALEKSIC : [interprétation] Passons à la deuxième page du document, si
16 vous le voulez bien, et au titre de cette page -- ou plutôt, au
17 destinataire. Voyons ce qui figure en haut à gauche : "Forces armées de
18 Yougoslavie, rue Kneza Milosa 33, Belgrade 11000" - c'est le code postal -
19 et ensuite : "Yougoslavie." Alors, y a-t-il une différence entre la
20 première et la deuxième page, différence de destinataire ?
21 R. Je ne sais pas, je ne sais pas.
22 Q. J'ai, finalement, une autre question à poser sur ce document et sur
23 d'autres d'ailleurs qui sont identiques à celui-ci, celui-ci étant la
24 lettre du 20 juillet 1998. Il n'est peut-être pas nécessaire pour moi de
25 vous parler des deux autres documents et de les montrer, mais les deux
26 lettres étaient adressées à une certaine personne. Peut-être que vous en
27 avez le souvenir, ministre de l'Information, et cetera, et cetera.
28 R. Oui, c'est vrai.
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1 Q. Or, dans cette lettre, deuxième page, la seule chose que l'on voit,
2 c'est forces armées de Yougoslavie, rue Kneza Milosa, 33, et cetera ?
3 R. C'est exact.
4 Q. Alors, serait-il possible que cette lettre n'ait jamais été reçue à la
5 bonne adresse, du fait justement de la manière dont l'adresse a été
6 présentée ici ? Je ne sais pas si j'ai été bien clair.
7 R. Je crois et je suppose que cette lettre est bien arrivée. Puis-je le
8 confirmer, puis-je arriver qu'elle est bien arrivée entre les mains du
9 commandement du Kosovo, la réponse est non, je ne le peux pas.
10 Q. Merci, Monsieur Abrahams. Je n'ai plus qu'une question sur votre
11 rapport, Sous les ordres, "Under Orders," en anglais. C'est une question
12 d'ordre général; pas besoin de placer quoi que ce soit sur l'écran.
13 En réponse à l'une des questions posées par Me Sepenuk, vous avez dit
14 que la principale source d'information utilisée dans la rédaction du
15 rapport était les entretiens que vous avez menés à un moment donné avec des
16 Albanais du Kosovo ?
17 R. C'est exact.
18 Q. J'aimerais rappeler que c'est une question d'ordre général. J'ai lu la
19 version en serbe, et en note de bas de page, aucune mention n'est faite
20 d'une quelconque source. On parle d'une date et de lieu d'entretien -- ou
21 du moment auquel les déclarations ont été relevées. Puis, sur certaines
22 pages, il y a certaines initiales.
23 R. Pour chaque entretien, nous avons inclu une note de bas de page, et
24 pour de nombreux entretiens, voire la plupart d'entre eux, nous avons
25 précisé le nom de la personne interrogée, la date et le lieu de
26 l'entretien. Mais il y a des cas, notamment pour ce qui est du rapport
27 Under Orders, des cas dans lesquels la personne interrogée a demandé
28 certaines mesures de protection par peur de représailles, parce qu'à
Page 911
1 l'époque, au cours de la période allant de mars à juin 1999, la guerre
2 faisait rage. La résolution du conflit n'était pas claire, et les personnes
3 avec qui nous nous entretenions avaient des craintes, à mon avis légitimes,
4 vis-à-vis d'éventuelles représailles si nous devions communiquer leurs noms
5 dans son intégralité. Ces craintes se sont dissipées après le mois de juin
6 lorsque les Albanais du Kosovo sont rentrés chez eux et se sentaient
7 davantage en sécurité. A ce moment-là, moins de personnes ont exprimé des
8 craintes par rapport à la communication de leur identité. Lorsqu'ils ont
9 demandé à ce que certaines mesures de protection soient prises, nous les
10 avons octroyées parce que porter atteinte ou mettre en danger des témoins
11 ou des victimes constitue une grande préoccupation pour nous, et nous
12 voulons l'éviter.
13 Q. Bien. Merci beaucoup. Pour cette période-ci, je veux bien admettre ce
14 que vous venez de nous dire, sachant que nous ne pouvons pas vérifier cette
15 information, puisque dans les notes de bas de page de votre rapport, rien
16 d'autre que la date et le lieu n'est indiqué. Donc, nous ne pouvons pas
17 vérifier cette information, précisément pour cela.
18 R. Je peux vous dire que ces entretiens ont bel et bien eu lieu, qu'un
19 compte rendu exact de ce qui a été dit a été rédigé.
20 Q. Une autre question, Monsieur Abrahams. Dans les notes de bas de page de
21 votre rapport, dans une large mesure, vous avez dit que vous vous étiez
22 fondé largement sur le rapport de l'OSCE intitulé Dit, comme vu; est-ce
23 exact ?
24 R. Non, ce n'est pas exact. Pourriez-vous me renvoyer aux notes de bas de
25 page dont vous parlez ?
26 Q. Elles sont nombreuses. Par exemple, à la page 102, note de bas de page
27 10 : "Voir rapport Dit comme vu, Kosovo OSCE." Il y a également autre chose
28 du genre avant. Page 160, note de bas de page 3, là encore, "voir Dit comme
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1 vu, sur le Kosovo, OSCE : partie I, ensuite page 163, note de bas de page :
2 "Voir OSCE Kosovo : Dit comme vu, premier chapitre, 21 à 30," et cetera.
3 M. ALEKSIC : [interprétation] Je m'excuse. J'utilise la version en B/C/S,
4 mais les deux versions devraient correspondre.
5 Q. Ensuite, on parle de la page 216 à 226 une nouvelle fois, du rapport de
6 l'OSCE, Dit comme vu, et cela continue comme cela encore et encore.
7 R. Il me faudrait regarder "Under Orders" pour pouvoir répondre
8 précisément à votre question, mais je peux vous donner une réponse
9 générale. La source première est fondamentale, des informations qui
10 figurent dans ce rapport c'est les entretiens que nous avons menés. Nous
11 citons effectivement des informations secondaires telles que celles
12 figurant dans le rapport de l'OSCE, mais fondamentalement, lorsque ces
13 éléments d'information viennent corroborer d'autres informations. Donc,
14 nous ne nous fondons pas sur ce document en tant que source unique de
15 l'information, ou s'il y a des cas dans lesquels nous mentionnons
16 spécifiquement un rapport de l'OSCE, nous précisons que nous n'avons pas
17 mené notre propre enquête et que nous citons une autre source.
18 Q. Merci. J'ai mes raisons pour poser cette question. Du point de vue de
19 la procédure, ceci nous renvoie à d'autres éléments de preuve et à d'autres
20 témoins, des déclarations entendues ici.
21 M. ALEKSIC : [interprétation] Merci. Je n'ai plus de questions, Monsieur le
22 Président.
23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Bakrac.
24 M. BAKRAC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
25 Contre-interrogatoire par M. Bakrac :
26 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Abrahams. Tout d'abord, j'aimerais
27 vous demander la chose suivante : dans votre souvenir, en 1998, combien de
28 fois vous êtes-vous rendu dans la République fédérale de Yougoslavie -- ou
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1 plutôt, au Kosovo ?
2 R. Quatre fois, je crois.
3 Q. Donc, vous êtes allé quatre fois au Kosovo; c'est cela ?
4 R. Je suis allé au Kosovo quatre fois, et à chaque fois -- en tout cas,
5 sur trois de ces quatre fois, je suis également allé à Belgrade. J'arrivais
6 en avion à Belgrade et je me rendais ensuite au Kosovo. Je revenais du
7 Kosovo à Belgrade et je reprenais l'avion pour quitter la région.
8 Q. Pourriez-vous préciser à quelle période vous vous êtes trouvé au Kosovo
9 et combien de temps vous y avez passé à chaque fois ?
10 R. Le premier déplacement a eu lieu en mai/juin 1998. J'y suis reparti en
11 septembre. Puis, je crois en novembre, et si je ne m'abuse, en décembre.
12 Peut-être que je confonds le voyage de décembre avec le voyage de février
13 1999. Je m'excuse de manquer de précision sur ces dates.
14 Q. Alors, si j'ai bien compris, peut-être que vous n'avez fait que trois
15 voyages en 1998 et pas quatre ?
16 R. C'est possible. Il se peut qu'il y ait eu quatre voyages sur la période
17 1998 et début de 1999, avant les bombardements de l'OTAN. Je ne suis pas
18 tout à fait sûr du moment de ce quatrième voyage.
19 Q. La première fois que vous vous êtes rendu sur place, vous avez passé
20 tout le mois mai et le mois de juin sur place, n'est-ce pas, ou pas ?
21 R. Ce voyage a duré environ trois semaines.
22 Q. Si j'ai bonne mémoire, hier vous avez dit que vous étiez venu à la mi-
23 septembre 1998. Combien de temps êtes-vous resté à ce moment-là ?
24 R. Là encore, trois semaines à peu près. Je pourrais vous donner les dates
25 exactes si cela vous intéresse.
26 Q. Non, non. Non, non, cela va. Des approximations suffisent. Donc, trois
27 semaines. La dernière fois en 1998, le dernier voyage que vous avez fait,
28 il a également duré trois semaines, ou moins ?
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1 R. Oui, à peu près trois semaines également.
2 Q. Au cours de ces trois voyages de trois semaines chacun, combien de
3 villages et combien de municipalités au Kosovo avez-vous visités ?
4 R. Je ne peux pas vous donner de réponse, mais je dirais des dizaines.
5 Q. Savez-vous surtout combien il y a de municipalités au Kosovo, sachant
6 que les municipalités recouvrent un grand nombre de villages ou de
7 hameaux ? Faites-vous cette distinction entre les deux ?
8 R. Oui.
9 Q. Vous savez combien de municipalités il y a au Kosovo ?
10 R. Comme cela, spontanément, je n'ai pas en tête le souvenir exact du
11 chiffre, mais je dirais aux alentours de 14.
12 Q. Vous avez visité une dizaine d'entre elles; c'est cela ?
13 R. Si vous me donniez le temps de revoir mes archives personnelles, je
14 pourrais vous le dire avec précision, mais je n'ai pas en tête le nombre
15 précis. Je pourrais vous mentionner le nom de municipalités dont je me
16 souviens que j'ai visitées, si cela vous intéresse.
17 Q. Oui, allez-y.
18 R. Bien sûr. Pristina; Djakovica; la région de Drenica, où se trouvent
19 deux municipalités, Srbica et Glogovac, et je me suis rendu dans les deux;
20 Pec et sa municipalité; Suva Reka, la municipalité de Suva Reka; la
21 municipalité de Prizren; je sais que je suis allé à Podujevo et à Vucitrn.
22 Je ne sais pas dans quelles municipalités se trouvent ces villes ou ces
23 petites bourgades. Orahovac et sa municipalité.
24 Q. Conviendriez-vous avec moi qu'il s'agissait surtout de municipalités
25 situées à la frontière avec l'Albanie et partiellement avec la Macédoine, à
26 part Pristina ?
27 R. Non, non. J'ai passé beaucoup de temps dans les municipalités de
28 Glogovac et de Srbica, ces deux municipalités étant à l'intérieur du
Page 915
1 Kosovo.
2 Q. Bien. On peut dire que principalement, vous vous êtes rendu dans les
3 municipalités situées en frontière.
4 R. Non. Je ne crois pas que ce soit exact, parce que notre travail s'est
5 largement concentré sur Drenica, donc, j'y ai passé un temps important,
6 dans le village de Gornje Obrinje, par exemple, et la région environnante
7 qui se trouve dans la municipalité de Glogovac.
8 Q. Au cours de ces trois déplacements de trois semaines au Kosovo, qui
9 vous accompagnait dans le cadre de vos missions ?
10 R. Au cours de la première visite en mai/juin, j'étais seul. En septembre
11 et en novembre, j'étais avec mon collègue, Peter Bouckaert. Lors de la
12 quatrième visite, et je ne sais plus très bien quand elle a eu lieu, si
13 c'était en décembre ou en février, j'étais avec un autre collègue, Gordana
14 Igric.
15 Q. Vous déplaciez-vous avec un permis quelconque que vous auraient délivré
16 les autorités yougoslaves ou les autorités serbes, qui vous permettait de
17 vous déplacer sans entrave pendant vos missions ?
18 R. Oui, oui. Je me souviens avoir reçu une accréditation ou une
19 habilitation de la part du ministère ou peut-être du secrétariat de
20 l'Information à Pristina, ministère ou secrétariat serbe.
21 Q. Avec ce sauf-conduit, disons, vous pouviez vous déplacer librement dans
22 ces différentes zones dont nous avons parlé ?
23 R. L'idée de ce document, c'était effectivement de nous permettre de
24 circuler librement, mais parfois nous nous sommes retrouvés bloqués par les
25 forces du gouvernement, qui nous ont empêché l'accès à certaines zones.
26 Q. La première fois, vous étiez seul, la deuxième fois, vous étiez avec
27 votre collègue, et la troisième fois, avec un autre collègue. Au cours de
28 ces différentes missions, combien d'entretiens avez-vous effectués et quel
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1 est le nombre d'endroits dans lesquels vous avez effectué ces entretiens,
2 et sur combien d'incidents, si vous vous en souvenez ?
3 R. C'est une question difficile. Il faudrait que je jette un œil à mes
4 archives personnelles.
5 La première fois que j'y suis allé, lorsque j'étais seul, j'ai dû
6 m'entretenir avec au moins 40 personnes dans le cadre de nos enquêtes. Par
7 la suite, avec M. Bouckaert, au cours des deux missions suivantes, je pense
8 que nous en avons rencontré deux fois plus; c'est sûr, étant donné que mon
9 collègue a lui aussi mené des entretiens. Au cours du dernier voyage, je me
10 souviens avoir mené des recherches approfondies sur des exactions, des
11 détenions et la destruction de biens appartenant à des civils. Ceci m'a
12 amené à réaliser de nombreux entretiens, sans doute plus de 25, 24 ou 25,
13 mais pour vous donner un chiffre exact, non, je ne peux pas le faire à ce
14 stade.
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Lorsque vous dites "deux fois plus au
16 cours des deuxième et troisième visites," c'est-à-dire, vous dites deux
17 fois plus à chaque visite ou deux fois plus globalement sur les deux
18 visites ?
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non, globalement sur les deux.
20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.
21 M. BAKRAC : [interprétation] Bien.
22 Q. Si j'ai bien compris, au total, cela fait 60, c'est cela, entretiens ?
23 R. Vous avez bien dit 60 ? Je ne peux pas répondre à cette question parce
24 que vraiment, je n'ai plus le souvenir du nombre exact. Si vous me demandez
25 --
26 Q. Non, je ne vous demande pas de vous souvenir du nombre exact, je
27 voudrais simplement savoir si chacun de ces supposés entretiens portait sur
28 un incident en particulier ou si vous avez parlé d'un incident en
Page 917
1 particulier avec plusieurs personnes ?
2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si mes calculs sont exacts, j'ai eu au
3 moins 144 entretiens, 40 plus 80 plus 24.
4 M. BAKRAC : [interprétation] Oui, vous avez raison, effectivement. J'avais
5 oublié ceux réalisés avec son collègue, mais je me suis trompé dans mes
6 calculs, quoi qu'il en soit.
7 Q. Enfin, la question reste la même. Est-ce que ces entretiens ont porté
8 sur un incident à chaque fois, ou est-ce que vous avez posé à plusieurs
9 personnes des questions sur un incident donné ?
10 R. Ces entretiens portaient sur une multitude d'incidents.
11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Bakrac, nous allons devoir
12 prendre une pause.
13 M. BAKRAC : [interprétation] On pourrait peut-être le faire dès maintenant.
14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Parfait.
15 Nous allons faire cette pause et nous nous retrouverons à 12 heures
16 40.
17 --- L'audience est suspendue à 12 heures 18.
18 --- L'audience est reprise à 12 heures 41.
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Bakrac, veuillez poursuivre.
20 M. BAKRAC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
21 Q. Monsieur Abrahams, avant la pause, nous parlions du nombre de
22 municipalités au Kosovo. Si j'affirmais qu'il y a 29 municipalités au
23 Kosovo et non pas 14, comment réagiriez-vous ?
24 R. Je vous croirais.
25 Q. Etant donné que vous avez mené des recherches très poussées quant aux
26 atteintes aux droits de l'homme sur ce territoire, il me semble peu sérieux
27 que vous ignorez une telle chose et que vous affirmiez qu'il y avait 14
28 municipalités au lieu de 29.
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1 R. Alors, peut-être que j'ai mal compris la distinction entre les
2 municipalités et les districts. Peut-être que cela était un peu confus pour
3 moi. Lorsque j'ai évoqué Glogovac, Srbica, Orahovac et autres, je faisais
4 référence à des districts administratifs. Car c'est ainsi que nous avons
5 divisé la province à des fins d'analyse statistique, plutôt que de nous
6 fonder sur des municipalités à proprement parler, entités auxquelles vous
7 faites référence apparemment.
8 Q. Si je vous disais qu'il y avait sept districts et non pas 14, que
9 répondriez-vous à cela ?
10 R. Pour répondre à votre question, je pourrais peut-être vous demander de
11 pouvoir examiner le passage pertinent de l'ouvrage Sous les ordres, "Under
12 Orders," pour vous fournir une réponse exacte.
13 Q. Non, ce n'est pas nécessaire. Je vais passer à un autre sujet. Je ne
14 faisais que réagir à ce que vous venez de dire.
15 J'aimerais revenir à la pièce P2228 de l'Accusation, votre déclaration
16 écrite. Etant donné que cette déclaration écrite est en réalité une
17 compilation de trois déclarations --
18 M. BAKRAC : [interprétation] J'aimerais demander que l'on montre, par le
19 biais de e-court, la déclaration du 8 au 11 mars 2003, page 3 de la version
20 anglaise.
21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Bakrac, pourriez-vous répéter
22 la date de cette déclaration.
23 M. BAKRAC : [interprétation] Il s'agit du 8 au 11 mars 1999, la troisième
24 page dans la version en anglais et en B/C/S; les pages correspondent.
25 Q. Pouvez-vous suivre ce document sur e-court ?
26 R. Non, malheureusement pas.
27 Q. Je peux vous poser une question indépendamment de cela, mais pour que
28 vous suiviez mieux, je crois qu'il est préférable que vous puissiez
Page 919
1 examiner ce document par le biais du système e-court.
2 M. BAKRAC : [interprétation] Il s'agit là de la page 3 sur un total de 14
3 pages. Peut-être que je peux même vous donner le numéro ERN pour que cela
4 nous aide à trouver la page concernée. 225290, voilà le numéro ERN.
5 Oui, c'est bien cela. Le quatrième paragraphe, on voit : "Le 7 juin 1998…"
6 Ici, il est question d'un incident qui a eu lieu dans le village de
7 Vasiljevo, qui se trouve à proximité de Novi Poklek. Pouvez-vous me dire
8 quand l'incident que vous mentionnez dans ce paragraphe s'est produit ?
9 R. L'incident s'est produit dans le village de Poklek et n'ont pas à
10 Vasiljevo. Vasiljevo était l'endroit où s'étaient réfugiés les villageois
11 parce que Poklek n'était plus sûr.
12 L'incident précis qui s'est produit à Poklek, je ne me souviens plus
13 de la date exacte, mais c'était probablement au printemps de l'année 1998,
14 en avril ou en mai de cette année. D'ailleurs, si mes souvenirs sont bons,
15 c'était probablement le 31 mai. Je devrais encore vérifier, mais je le
16 pense.
17 Q. Mais il est possible, selon vous, qu'il y ait eu lieu au mois d'avril,
18 n'est-ce pas, donc bien avant que vous ne vous rendiez dans le village de
19 Vasiljevo ?
20 R. Cet incident a certainement eu lieu avant que je ne me rende à
21 Vasiljevo; c'est indéniable. Mais quant à la date exacte de cet incident,
22 je devrais vérifier au préalable dans le rapport.
23 Q. Si vous examinez le paragraphe qui précède, sur la même page, il est
24 question d'un incident à Likosane et à Cirez. Vous dites que le 24 mai
25 1998, vous vous y êtes rendus. Vous y avez séjourné. Savez-vous quand s'est
26 produit l'incident au sujet duquel vous vous êtes entretenu avec ces
27 personnes le 24 mai 1998 ?
28 R. Oui. Les incidents de Likosane et Cirez ont eu lieu tous les deux le 28
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1 février et le 1er mars 1998.
2 Q. En d'autres termes, deux mois avant que vous ne vous rendiez sur place
3 et que vous ne réalisiez ces entretiens; est-ce exact ?
4 R. Oui, c'est exact.
5 Q. Vous nous avez dit hier, si j'en crois le compte rendu d'audience, en
6 réponse à une question de mon confrère M. Stamp, que vous êtes arrivé à
7 Drenica en septembre 1998 uniquement et qu'au mois de décembre, vous avez
8 réalisé une enquête approfondie; est-ce exact ?
9 R. La première fois que je me suis rendu dans la région de Drenica,
10 c'était en mai 1998, le 24 mai plus précisément. Par la suite, je suis
11 retourné à Drenica fin septembre pour enquêter sur les massacres de Gornje
12 Obrinje que nous avons évoqués précédemment.
13 Q. Vous nous parlez de cette enquête détaillée, comme vous l'avez appelée
14 hier, alors j'aimerais vous poser la question suivante. Le 24 mai, vous
15 étiez seul; en septembre, vous étiez accompagné d'un collègue, M.
16 Bouckaert. En quoi consistait cette enquête détaillée ? Est-ce que vous
17 disposiez d'experts en médecine légale, en balistique ou autres, ou alors
18 cette enquête s'est-elle composée uniquement d'entretiens avec différentes
19 personnes ?
20 R. A la fois M. Bouckaert et moi-même avons une longue expérience des
21 zones de guerre, et dans ce contexte, nous réalisons des enquêtes sur
22 différents plans. Elles se composent, bien sûr, essentiellement des
23 entretiens, mais en plus de cela, nous parcourons le terrain, nous dressons
24 une carte du lieu, nous examinons les preuves matérielles, pour nous
25 prononcer sur les événements qui se sont déroulés. Nous ne procédons pas à
26 des examens sur le plan médico-légal, car nous ne disposons pas de ces
27 compétences. Dans le cas de Gornje Obrinje, nous avons préconisé qu'une
28 telle enquête soit réalisée, mais cette enquête n'a pas pu être réalisée
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1 parce que l'équipe médico-légale a été empêchée de réaliser son enquête.
2 Q. Dans ces autres cas -- enfin, j'aimerais commencer par vous demander ce
3 que vous êtes de formation. Quelle est votre profession ? Quelles études
4 avez-vous faites ? De quel diplôme êtes-vous titulaire ?
5 R. J'ai une licence en allemand et en études internationales et une
6 maîtrise en relations internationales, avec un accent sur l'Europe
7 orientale, les médias et les droits de l'homme.
8 Q. Pouvez-vous m'expliquer le rapport entre cela et la médecine légale, la
9 balistique ou autre ?
10 R. Je ne dispose pas d'une formation particulière dans le domaine médico-
11 légal. Je n'ai jamais revendiqué une telle expérience. Par contre, j'ai
12 réalisé des enquêtes relatives aux droits de l'homme dans des situations de
13 conflit et dans d'autres situations. J'ai notamment été formé à des tâches
14 telles que l'évaluation globale des lieux de crimes et la détermination des
15 hostilités, à savoir la détermination de l'existence ou non d'hostilités.
16 Q. Bien. Vous venez de nous dire, et précédemment vous nous avez dit que
17 vous aviez une certaine expérience des zones de conflit, je ne vous demande
18 pas quelle est votre expérience à présent, mais je vous demande quelle
19 était votre expérience avant 1998. Sur quels lieux de ce type vous êtes-
20 vous rendu pour réaliser de telles enquêtes ?
21 R. Les enquêtes relatives aux droits de l'homme les plus pertinentes se
22 sont déroulées en République tchèque, en République slovaque et en Albanie.
23 L'exemple de l'Albanie comprenait une composante de conflit armé en raison
24 des troubles qui se sont déroulés en 1997, au mois de mars et jusqu'à la
25 fin de l'année 1997. Mais pour ce qui est d'un conflit armé tel que couvert
26 par le droit international, la première fois que j'ai participé à une
27 enquête de ce type c'était au Kosovo.
28 Q. Merci. Puisque nous sommes en train de parler d'enquêtes, j'aimerais
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1 vous dire la chose suivante. Vous vous souvenez certainement que vous avez
2 déjà déposé devant ce Tribunal dans l'affaire Milosevic. Est-il exact qu'à
3 la page 6113 du compte rendu d'audience, en réponse à une question de M.
4 Milosevic, qui vous a demandé si le bombardement de civils était un crime,
5 est-il vrai que vous ayez répondu -- si je ne suis pas précis à 100 %,
6 veuillez m'excuser : "L'organisation 'Human Rights Watch' n'a pas conclu
7 que l'OTAN avait commis des crimes de guerre, même si notre organisation a
8 critiqué l'OTAN en raison de certaines cibles qui étaient visées. Nous ne
9 disposions pas d'éléments fiables indiquant que l'OTAN avait délibérément
10 visé de telles cibles."
11 Ensuite, en réponse à une question de M. Milosevic sur l'utilisation
12 de bombes à fragmentation de la part de l'OTAN, vous avez répondu, et je
13 cite, que votre organisation a critiqué l'utilisation de telles bombes à
14 fragmentation, qui ne font pas de distinction et qui -- donc, vous avez
15 émis une grande préoccupation, mais que vos niveaux -- vos points de
16 référence quant au recueil d'éléments de preuve étaient si élevés, étaient
17 tels que sans preuve contraignante, vous n'avez pas été en mesure de
18 prouver l'existence d'un crime de guerre; est-ce exact ?
19 R. Je devrais examiner la version anglaise plus attentivement pour réagir
20 à cette affirmation de votre part.
21 M. BAKRAC : [interprétation] Monsieur le Président, je peux remettre cela à
22 l'Huissier et je vous prie de m'excuser, car nous avons annoté ce texte,
23 mais en tout cas, la partie qui m'intéresse est indiquée. C'est la page 6
24 113 du compte rendu d'audience et la page 6 114.
25 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]
26 M. STAMP : [hors micro]
27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Dans l'intervalle, Me Bakrac, vous
28 pourrez peut-être me donner quelques indications. Nous devons suspendre
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1 l'audience à 13 heures 45. Si le témoin doit revenir, nous prendrons les
2 dispositions qui s'imposent, mais il serait peut-être dommage qu'il
3 revienne pour cinq minutes à peine. Peut-être que le contre-interrogatoire
4 durera nettement plus que 45 minutes, mais j'attire votre attention au cas
5 où cela soit une question de quelques minutes à peine pour en terminer avec
6 le contre-interrogatoire. Cela concerne également la Défense de M. Lukic.
7 M. BAKRAC : [interprétation] Monsieur le Président.
8 [La Chambre de première instance se concerte]
9 M. BAKRAC : [interprétation] Si vous me permettez d'intervenir, Monsieur le
10 Président.
11 [La Chambre de première instance se concerte]
12 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Je vous prie de m'excuser, mais
13 j'aimerais poser une question.
14 Le fait que quelque chose constitue un crime ou non n'est pas une
15 question qu'il convient de poser à un témoin. Nous devons en juger par
16 nous-mêmes. Si une telle déclaration a été faite dans une autre affaire,
17 cela ne change rien, car je ne sais pas sur quelle base on a accepté que
18 cette question soit posée. Mais je m'oppose à ce que vous posiez une
19 question à ce témoin ici, à savoir, est-ce que telle ou telle action
20 constitue un crime car c'est une question juridique, et ce type de question
21 ne devrait pas être posée dans le cadre d'un contre-interrogatoire ? Voilà
22 mon point de vue.
23 M. BAKRAC : [interprétation] J'ai précisément compris ce que vous
24 souhaitiez dire, mais il s'agit là d'une question qui est liée aux
25 principes de deux poids, deux mesures. C'est la raison pour laquelle j'ai
26 posé une question à ce témoin au sujet de la nature des enquêtes qu'il a
27 réalisées. Ce qu'il a affirmé dans cette autre affaire concerne précisément
28 les méthodes d'enquêtes qui lui ont permis de tirer certaines conclusions.
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1 M. IVETIC : [interprétation] J'aimerais ajouter quelque chose, si vous me
2 le permettez.
3 [La Chambre de première instance se concerte]
4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous en prie, Maître Bakrac, vous
5 pouvez poursuivre.
6 M. BAKRAC : [interprétation] Avant de continuer, j'aimerais, étant donné
7 que vous m'avez posé une question précise, vous dire que je m'efforcerai
8 d'en terminer jusqu'à 13 heures 45, mais même avec un tel cas de figure, M.
9 Lukic n'aura pas terminé avec ses questions avant 13 heures 45, donc le
10 témoin devra revenir.
11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui. J'ai bien compris que cela serait
12 peut-être nécessaire. Je vous en prie, veuillez poursuivre.
13 M. BAKRAC : [interprétation]
14 Q. Monsieur Abrahams, vous avez eu le temps d'examiner ce texte. Est-il
15 vrai que vous vous soyez exprimé ainsi ? Ne pensiez-vous pas qu'il existe
16 une différence importante entre ce que vous avez affirmé et les enquêtes
17 détaillées, telles que vous les avez décrites, que vous avez réalisées au
18 Kosovo ?
19 R. Oui, ce qui est dit ici correspond à ma déposition, mais non, je ne
20 pense pas qu'il y ait une incohérence.
21 Q. Vous pensez que trois séjours de trois semaines et des entretiens avec
22 un certain nombre de personnes dans un nombre limité de municipalités et de
23 tels entretiens à eux seuls suffisent, en termes d'enquêtes, pour tirer de
24 quelconques conclusions ?
25 R. Les quatre missions que nous avons réalisées entre le mois de mai 1998
26 et le mois de mars 1999 étaient importantes, approfondies. Même si je ne
27 peux pas vous fournir le nombre exact de personnes que nous avons
28 interrogées ni le nombre de municipalités dans lesquelles nous nous sommes
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1 rendus, je peux vous dire que ces enquêtes étaient approfondies et
2 prolongées, tout comme les enquêtes que nous avons réalisées sur l'impact
3 des bombardements de l'OTAN sur les civils par la suite.
4 Q. Monsieur Abrahams, je ne souhaite pas entrer dans une polémique avec
5 vous ici, mais j'aimerais savoir si vous avez également sollicité le point
6 de vue de l'autre partie. Est-ce que vous avez interrogé des civils
7 albanais uniquement, ou alors est-ce que vous saviez qui avait
8 éventuellement participé à tel ou tel incident, interrogé l'autre partie
9 également ? Ou alors votre enquête consistait-elle uniquement à prendre des
10 photographies sur les lieux et à vous entretenir avec des civils
11 d'appartenance ethnique albanaise ?
12 R. Nous nous sommes efforcés de faire état des exactions perpétrées des
13 deux côtés, et le rapport sur les violations du droit international
14 humanitaire au Kosovo contient d'importants éléments en matière d'exactions
15 perpétrées contre des civils serbes et des ressortissants albanais de la
16 part de l'UCK.
17 Q. Monsieur Abrahams, apparemment, nous nous sommes mal compris. Lorsque
18 nous parlons d'un incident -- prenons concrètement l'incident qui s'est
19 produit dans les villages de Likosane et de Cirez. Est-ce que sur ce point,
20 vous avez parlé à des auteurs présumés, à d'éventuels auteurs qui auraient
21 participé à ces incidents ? Est-ce que vous avez essayé également de parler
22 à l'autre partie ou est-ce que vous vous êtes contenté de parler aux civils
23 albanais ?
24 R. Dans le cas de Likosane et de Cirez, nous avons essayé d'obtenir des
25 renseignements par le biais de lettres que nous avons envoyées. J'ai
26 également rencontré M. Drobnjak, comme je l'ai déjà dit, même si je ne me
27 souviens pas suffisamment bien de notre conversation pour vous dire si nous
28 avons parlé plus précisément de Likosane et de Cirez, mais nous nous sommes
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1 efforcés d'obtenir des réactions du gouvernement et de présenter le point
2 de vue du gouvernement en citant également des rapports publics ou des
3 articles dans les médias qui donnaient la position gouvernementale et la
4 position officielle.
5 Q. Monsieur Abrahams, vous me répondez à chaque fois au pluriel. Vous nous
6 dites que "vous" avez fait telle chose, "nous" avons fait telle chose, et
7 cetera. Mais est-ce qu'au mois de mai et au mois de juin, vous n'étiez pas
8 seul, d'après ce que vous nous avez dit ?
9 R. Oui, vous avez raison. Effectivement, j'aurais dû dire "moi", "je",
10 "personnellement", même si du simple fait que je travaille au sein d'une
11 organisation, je peux bénéficier du soutien d'un grand nombre de
12 collaborateurs. Par conséquent, oui, certes, j'étais le chercheur
13 responsable, mais j'étais en contact constant avec mes collègues et avec
14 mes responsables.
15 Q. Monsieur Abrahams, j'aimerais maintenant revenir à cette question des
16 enquêtes approfondies et détaillées. J'aimerais que l'on revienne sur la
17 pièce P437 de l'Accusation, que l'on examine un aspect de cette pièce. Il
18 s'agit de la page 63 de la version anglaise. Il s'agit là de la page 71
19 dans e-court.
20 Est-ce que vous avez cette partie-là de votre rapport sous les yeux ?
21 C'est là un rapport du mois d'octobre 1998.
22 R. Non, je ne vois pas cette partie-là.
23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que c'est un document différent
24 par rapport aux déclarations écrites ? S'agit-il d'un des rapports ?
25 M. BAKRAC : [interprétation] Il s'agit là du rapport datant d'octobre 1998,
26 qui porte la cote P437, page 63 de la version anglaise, dont la
27 numérotation qui figure sur le document est page 71 du document dans e-
28 court.
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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quel est le problème ?
2 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]
3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous n'avez pas, par hasard, un
4 exemplaire de ce rapport ?
5 M. BAKRAC : [interprétation] Non, je ne l'ai pas, Monsieur le Président.
6 M. LE JUGE BONOMY : [chevauchement]
7 M. BAKRAC : [interprétation] Monsieur le Président, mes confrères viennent
8 de voler à mon secours. Maintenant, je dispose d'un exemplaire de ce
9 rapport.
10 Je peux le remettre à l'Huissier. Voilà. Dans l'intervalle, j'ai pu
11 obtenir ce rapport.
12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci. Est-ce que c'est bien la page
13 concernée, la page 55 ?
14 M. BAKRAC : [interprétation] Non, Monsieur le Président.
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ah, voilà. Est-ce celle-ci ?
16 M. BAKRAC : [interprétation] Oui, c'est bien cela. J'aimerais demander au
17 témoin de bien vouloir examiner le quatrième paragraphe qui commence par :
18 "Au mois de juillet, deux membres de la Société de Mère Théresa…"
19 Je vous prie de m'excuser, Monsieur le Président. En réalité, c'est le
20 troisième paragraphe, qui commence par : "Cet incident a été la deuxième
21 attaque signalée contre des membres de l'Organisation de Mère Théresa. Le
22 11 juillet, trois hommes ont essuyé des tirs de la part des personnes qui
23 étaient, croyait-on, des membres de la police, alors qu'ils rentraient d'un
24 acheminement d'aide dans le village de Sibovac et Obilic. Xhevdet Stulcaku,
25 vice-président de la Société de Mère Théresa à Obilic, a été touché à la
26 tête par une balle et il est encore paralysé sur tout le côté droit du
27 corps. Elatine Asani [phon], secrétaire de la société à Obilic, a également
28 été blessé."
Page 928
1 Est-ce que bien l'incident que vous mentionnez dans votre déclaration du 8
2 au 11 mars 1999 ?
3 R. Je devrais vérifier la déclaration pour être bien sûr que c'est le cas,
4 mais je me souviens de cet incident et je me souviens d'avoir interrogé M.
5 Stulcaku qui était paralysé.
6 Q. Vous avez mentionné cela dans votre rapport sur les violations des
7 droits internationaux humanitaires -- en tout cas, je vous demanderais de
8 me croire. Vous dites que des personnes qui auraient été des membres de la
9 police lui auraient tiré dessus. Est-ce que vous continuez à croire que ce
10 niveau de précision est suffisant en termes d'éléments de preuve ?
11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp.
12 M. STAMP : [interprétation] J'aimerais émettre une objection. J'aimerais
13 que le témoin puisse vérifier le paragraphe concerné de la déclaration. Il
14 me semble que le témoin nous ait dit qu'il pourrait être plus précis s'il
15 avait le moyen de vérifier le passage concerné.
16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Bakrac, vous nous dites qu'il y
17 est fait spécifiquement référence dans la déclaration qui porte la cote
18 P2228, n'est-ce pas ?
19 M. BAKRAC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Si vous me donnez
20 quelques instants, je vais retrouver le passage en question.
21 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, c'est à la page
22 4. Mais je suppose que pour la version anglaise, c'est la page 5 de la
23 déclaration dont nous avons parlé, du 8 au 11 mars. Nous parlons du
24 cinquième paragraphe qui commence par "le 22 septembre 1998, [supprimé],
25 donc j'avais dit qu'il fallait [supprimé], qui avait été touché à la tête
26 par une balle au cours de l'attaque du 11 juin."
27 Est-ce que c'est à cet incident que vous avez fait allusion ? Je
28 pense que c'est un incident dont il est également question dans le livre.
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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Le paragraphe auquel vous vous
2 référez, où il est question d'avoir frappé une jeune fille, je crois, il
3 commence par : "En septembre 1998, à l'hôpital de Pristina"; est-ce que
4 c'est cela ?
5 M. BAKRAC : [interprétation] Non, Monsieur le Président, excusez-moi de
6 vous interrompre, mais dans la version en B/C/S, il s'agit de la page
7 numéro 4, et dans la version anglaise, c'est la cinquième page.
8 Je vous prie de m'excuser, c'est également la page 4, en fait, pour
9 le texte anglais, excusez-moi.
10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] S'agit-il de la page 4 ou de la page
11 14 ?
12 M. BAKRAC : [interprétation] Oui, 4 sur 14. Cela commence par -- c'est le
13 deuxième paragraphe à partir du bas. Ce paragraphe -- l'avant dernier, il
14 commence par un paragraphe 8 du rapport de "Human Rights Watch".
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, je vous remercie. Poursuivez,
16 Maître Bakrak.
17 M. BAKRAC : [interprétation]
18 Q. Est-ce que ceci, c'est bien l'incident dont vous avez parlé dans votre
19 déclaration ? Avez-vous votre déclaration devant vous ?
20 M. BAKRAC : [interprétation] Pourrais-je, avec votre permission, Monsieur
21 le Président, donner lecture pour le témoin ?
22 Le chapitre 8 du HRW, 1998, intitulé : "Attaques et restrictions apportées
23 aux secours médicaux et au personnel."
24 "J'ai fait référence à un certain nombre de victimes et de témoins, le 22
25 septembre, que j'ai entendus, [supprimé] qui a été frappé à la tête par une
26 balle au cours de l'attaque le 11 juillet 1998 et qui est actuellement
27 paralysé du côté droit, et j'ai également entendu la personne, la
28 kinésithérapeute qui s'en occupe et les membres de sa famille."
Page 930
1 Est-ce que c'est bien cela, l'événement ?
2 R. Oui, c'est cela.
3 Q. Vous serez d'accord avec moi que votre enquête détaillée concernant cet
4 incident que vous appelez une attaque affirme bien que certaines personnes
5 ont tiré sur ces gens, des personnes que l'on pensait être des policiers ?
6 R. Pour répondre à votre question, il faudrait que je puisse consulter la
7 documentation de façon plus approfondie. Mes souvenirs sont que le témoin a
8 vu la police dans ce secteur à ce moment-là, mais je ne peux pas vous
9 donner de renseignements précis. Franchement, je ne me rappelle pas les
10 précisions en ce qui concerne cette affaire, mais je peux certainement les
11 retrouver pour vous, si c'est nécessaire.
12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourquoi se fait-il, Maître Bakrac,
13 que vous ayez un exemplaire avec des parties qui sont supprimées ? Vous
14 avez omis -- est-ce que vous avez délibérément omis le nom vous-même
15 lorsque vous posiez la question ?
16 M. BAKRAC : [interprétation] Non, Monsieur le Président. Maintenant, j'ai
17 une version avec des noms qui sont occultés et j'utilisais cela.
18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais est-ce que vous avez une version
19 qui comporte le nom ?
20 M. BAKRAC : [interprétation] Oui, effectivement.
21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.
22 M. BAKRAC : [interprétation]
23 Q. Donc, si je vous comprends bien, votre conclusion est basée sur le fait
24 qu'il y avait de la police dans le secteur, que certaines personnes ont vu
25 qu'il y avait là de la police, mais que personne en fait ne les a vus tirer
26 sur cette personne ?
27 R. En vérité, je ne sais pas si l'un de nos témoins a dit qu'il avait vu
28 les policiers tirer. Il faudrait que je consulte directement les documents
Page 931
1 pour vous donner une réponse exacte à ce sujet.
2 Q. Je vous remercie. Pendant une certaine période en 1998, vous avez
3 également passé du temps dans la partie septentrionale de l'Albanie; c'est
4 bien cela ?
5 R. Exact.
6 Q. C'était quand ?
7 R. C'était en juillet, peut-être vers la fin de juin, début de juillet
8 1998.
9 Q. Alors, lorsque vous vous trouviez en Albanie septentrionale, est-ce que
10 vous avez vu des camps d'entraînement de l'UCK ?
11 R. Je n'ai pas vu de camps d'entraînement, mais j'ai rencontré des
12 personnes de l'UCK.
13 Q. Lorsque vous dites que vous avez rencontré des personnes, ces
14 rencontres ont-elles eu lieu à un quartier général ou est-ce que c'était
15 juste par hasard que vous les avez rencontrées ?
16 R. L'une des rencontres, je m'en souviens, était à l'hôtel de Bajram
17 Curri, où nous avons rencontré un homme qui a dit qu'il était l'un des
18 chefs, un des commandants, et je ne me rappelle pas son nom. De nombreuses
19 personnes affirmaient être chefs ou commandants alors que ce n'était pas le
20 cas. Mais je me rappelle aussi que l'UCK avait capturé deux soldats, enfin,
21 des hommes qui prétendaient être des soldats. En fait, ils avaient déserté
22 l'armée, soutenaient-ils, disaient-ils, et l'UCK avait tenu une sorte de
23 conférence de presse pour présenter ces hommes, lesquels avaient fait une
24 déclaration publique et avaient ensuite été remis à l'OSCE, qui avait
25 également du personnel présent en Albanie septentrionale à l'époque.
26 Q. Nous entrerons très rapidement dans ces détails, mais avant cela,
27 pourriez-vous me dire si ces personnes de l'UCK portaient des uniformes,
28 quel type d'armes avaient-ils, quels étaient les types d'uniformes dont ils
Page 932
1 étaient vêtus, s'ils en portaient, et des détails de ce genre ?
2 R. La personne qui se trouvait à l'hôtel ne portait pas d'uniforme et
3 n'était pas armée, à moins qu'il n'ait eu une arme cachée. Les personnes
4 qui ont tenu ce qu'on a appelé cette conférence de presse, je ne me
5 rappelle pas, mais je crois qu'ils portaient des uniformes. Je ne me
6 rappelle pas quelles étaient les armes qu'ils pouvaient porter. Ce n'était
7 certainement pas visible à l'œil nu. L'UCK, à l'évidence, considérait que
8 cette partie du territoire était sûre, donc ils n'étaient pas en position
9 défensive. Il se peut qu'il y ait eu des armes dans le voisinage, et si tel
10 avait été le cas, cela aurait été des armes automatiques, des fusils,
11 probablement des AK-47.
12 Q. Monsieur Abrahams, veuillez me dire s'il vous plaît quels uniformes
13 portaient ces personnes ? Est-ce que c'étaient des uniformes de l'armée
14 albanaise ou d'une autre armée ou d'autres types d'uniformes ?
15 R. Je ne me rappelle pas, mais je sais que par la suite, j'ai vu au Kosovo
16 et peut-être en Albanie septentrionale, dans le nord de l'Albanie, bien que
17 je sais que c'étaient certainement des membres de l'UCK qui portaient des
18 uniformes militaires verts, mais de façon très claire, avec des insignes de
19 l'UCK. En particulier, on pouvait lire "UCK", ce qui est donc le nom
20 albanais pour l'Armée de libération du Kosovo.
21 Q. Bajram Curri est dans le territoire de la République d'Albanie, n'est-
22 ce pas ?
23 R. Vous avez raison.
24 Q. Monsieur Abrahams, maintenant, il faudrait qu'on revienne sur ce que
25 vous avez dit il y a un moment, à savoir, dans cet endroit, il y avait
26 Bajram Curri, lors de la conférence de presse, vous avez vu deux soldats
27 monténégrins, dites-vous dans votre déclaration, des Monténégrins qui
28 avaient déserté de l'armée yougoslave. Pour commencer, je souhaiterais vous
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1 demander si vous leur avez parlé, si vous les avez interviewés ?
2 R. Nous leur avons parlé très brièvement, mais nous n'avons pas procédé à
3 une interview avec eux, la raison étant que nous n'étions pas sûrs qu'ils
4 feraient des déclarations vraiment libres, indépendantes. Etant donné le
5 fait qu'ils étaient gardés par des membres de l'UCK, nous n'étions pas
6 certain que ces personnes pourraient nous donner des renseignements
7 objectifs et libres, indépendants, en toute indépendance.
8 Q. Je vous remercie beaucoup de votre réponse. C'est pour cela que je suis
9 d'autant plus surpris par la question de savoir pourquoi les allégations
10 concernant les déclarations de ces deux soldats faisaient partie de votre
11 déclaration, parce qu'à l'instant même, vous venez de dire que vous ne
12 pouviez pas les interviewer parce qu'il était à l'évidence impossible pour
13 eux de vous donner des renseignements détaillés et véridiques, compte tenu
14 des circonstances.
15 M. STAMP : [interprétation] Excusez-moi, mais ceci n'est pas une question.
16 Ceci est un commentaire du conseil. Mais là encore, je voudrais demander
17 qu'on veuille bien nous dire à quel endroit cela se trouve, si ce n'est pas
18 trop difficile. A quel endroit de la déclaration on cite ce passage, s'il
19 vous plaît ?
20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourriez-vous, s'il vous plaît, Maître
21 Bakrac, retrouver le passage de la déclaration dont il s'agit ?
22 M. BAKRAC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Un instant, je
23 vous prie, pour le retrouver.
24 C'est la même déclaration qui concerne la période du 8 au 11 mars 1999, à
25 la page 8 sur 14. Au cinquième paragraphe en commençant par le haut, on
26 voit "le 21 juin 1999."
27 Q. En fait, vous citez les mots qu'ils ont prononcés lors de la conférence
28 de presse.
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1 M. BAKRAC : [interprétation] Si vous me permettez de répondre, je ne suis
2 pas en train d'essayer d'obtenir un commentaire. Le témoin a dit qu'il
3 n'avait pas procédé à une interview de ces hommes parce qu'ils doutaient de
4 la possibilité d'avoir des propos objectifs et valables d'une telle
5 interview, compte tenu du fait qu'ils étaient gardés et qu'ils avaient été
6 faits prisonniers par les Albanais. Donc, ma question est plutôt un
7 commentaire. Ce témoin ayant dit cela maintenant, pourquoi ceci fait-il
8 partie de sa déclaration sous cette forme ? Pourquoi cela en fait partie ?
9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Nous avons présenté ce renseignement, les
11 mots qu'ils avaient prononcés, mais en voulant également donner clairement
12 le contexte dans lequel ces déclarations étaient faites, afin que le
13 lecteur puisse déduire et décider quel était le poids qu'il pourrait
14 accorder à ces observations. Je voudrais demander aux membres de la Chambre
15 de faire en sorte que je puisse voir ce passage du rapport afin que je
16 puisse répondre avec la plus grande précision possible pour voir si, par
17 exemple, nous avons eu un commentaire pour ce qui est de l'édition du texte
18 ou si -- comment se présentent ces citations, qu'on puisse les replacer
19 dans leur contexte, ces citations de ces soldats.
20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien, il s'agit de P2228. Je ne sais
21 pas quel est le numéro de la page pour le système e-court. C'est donc à la
22 page 8 par rapport aux 14 pages de la déclaration.
23 M. STAMP : [interprétation] [hors micro]
24 Excusez-moi, c'est à la page 35 pour la pagination e-court.
25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.
26 M. STAMP : [interprétation] Je vous prie de m'excuser. La pièce à laquelle
27 se réfère le conseil, si je pouvais m'assurer --
28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est le P2228.
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1 M. STAMP : [interprétation] -- 2228. Ceci n'est pas la pièce qui apparaît à
2 l'écran maintenant. Il faut que l'on voie la page 35 du document P2228.
3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si vous pouvez faire défiler le texte,
4 c'est au paragraphe suivant, le paragraphe que nous ne pouvons pas encore
5 voir. Un peu plus bas, il y a une partie en italique de votre texte, et
6 c'est là que se trouve la portion qui intéresse le conseil. C'est très
7 bien, je vous remercie.
8 Maintenant, vous avez le texte complet, Monsieur Abrahams, et gardez
9 à l'esprit lorsque vous répondez qu'il s'agit ici de votre déclaration
10 devant la Chambre. Ce n'est pas un rapport.
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je ne suis pas sûr, Monsieur le
12 Président, que nous ayons inclus une partie quelconque de ces
13 renseignements dans le rapport proprement dit. En fait, je doute que nous
14 l'ayons fait.
15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, je comprends. Mais la question
16 vous est posée de la façon suivante qui est : est-ce que vous avez
17 simplement présenté ceci sous cette forme sans faire de commentaires, comme
18 vous l'avez fait dans votre déclaration verbalement, que vous ne vouliez
19 pas vous fonder sur les circonstances dans lesquelles ceci a été obtenu ?
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. J'ai présenté ces renseignements de façon
21 à ce qu'on puisse savoir ce que j'avais observé et, bien franchement, avec
22 du recul, en rétrospective, j'ajouterais qu'il y a cet élément pour nuancer
23 les choses que je repère aujourd'hui et qui dit que nous n'avons pas
24 procédé à une interview de ces hommes à cause du fait que nous pensions
25 qu'il y aurait des questions concernant leur fiabilité en tant que témoins.
26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Bakrac.
27 M. BAKRAC : [interprétation] Monsieur le Président, je sais que nous sommes
28 près de la levée de la séance, et je voudrais poser une question que je
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1 considère comme essentielle, et je souhaite la poser avant que vous ne
2 leviez l'audience. Ceci est aussi une déclaration pour la période du 8 au
3 11 mars 1999. En anglais, le numéro de la page est la page 10 du document
4 de 14 pages, au troisième paragraphe. Pour la pagination e-court, il s'agit
5 de la page 37.
6 M. LE JUGE BONOMY : [hors micro]
7 M. HANNIS : [interprétation] Je crois qu'on ne vous entend pas parce qu'il
8 y a un microphone qui est encore branché.
9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Tout ce que je disais, c'était que
10 ceci donne une réponse à une autre question qui avait été posée plus tôt et
11 qui était que M. Abrahams s'est rendu au Kosovo pendant la période
12 pertinente, et cette déclaration est celle qui a été produite beaucoup plus
13 près de la période en question, et ceci donc donne cinq visites.
14 Veuillez poursuivre, Maître Bakrac, avec votre question.
15 L'INTERPRÈTE : Conseil, s'il vous plaît, pourriez-vous allumer votre
16 microphone ?
17 M. BAKRAC : [interprétation] Monsieur le Président, je vais lire une partie
18 de la déclaration de ce témoin et je vais lui demander de me donner une
19 réponse sur la base de ce que nous avons discuté jusqu'à maintenant, en ce
20 qui concerne le nombre de ses visites, par qui il était accompagné, et la
21 phrase est la suivante.
22 "A partir de mai 1998 jusqu'en février 1999, j'ai été témoin de destruction
23 dans l'ensemble des villages du Kosovo qui avait été causée par les
24 offensives des forces serbes. Il y avait cinq missions distinctes au
25 Kosovo."
26 Alors, la question qui se pose maintenant est de savoir s'il s'agit de
27 trois, ou de quatre ou de cinq ? Est-ce que le témoin peut faire une telle
28 allégation, étant donné ce que nous avons entendu de lui concernant la
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1 situation dans le territoire, comment ils étaient en mesure de couvrir ce
2 qui se passait sur le territoire compte tenu de leurs effectifs et compte
3 tenu du fait qu'ils étaient là avec un seul collègue, un seul collègue.
4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien. Il y a deux questions là,
5 Monsieur Abrahams. La question est de savoir combien de fois vous vous êtes
6 rendu en visite dans la région; et est-ce que vous pouvez faire une telle
7 affirmation sur la base des visites que vous avez faites ? Quand vous avez
8 fini de répondre à cela, nous lèverons la séance. Pourriez-vous répondre à
9 cette question ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Je me fonde sur ma déclaration pour
11 laquelle j'ai prêté serment, qu'il y a eu cinq missions en tout. Peut-être
12 qu'il y a eu quelque confusion sur le point de savoir si je me référais
13 seulement aux visites effectuées en 1998, mais il y a certainement eu une
14 dernière visite au début de 1999 dont je me souviens précisément parce que
15 c'était précisément au cours des journées qui ont précédé les premières
16 négociations de Rambouillet. Donc certainement, j'étais là en 1999 et
17 quatre fois en 1998.
18 Quant à la façon dont nous avons couvert les événements du conflit à
19 l'époque, personnellement, j'ai entrepris ces cinq missions. Mon collègue,
20 M. Peter Bouckaert, était avec moi. Il y avait une troisième personne qui
21 est venue avec nous, Gordana Igric, qui a été fréquemment présente dans la
22 province. Elle vivait à Belgrade. Elle s'est rendue au Kosovo fréquemment.
23 Je suis parfaitement conscient du fait qu'elle a entrepris deux missions de
24 recherche sur place. En février 1999, elle était avec moi. Si ma mémoire me
25 sert bien, également en décembre 1998 j'étais avec elle. Il se peut qu'il y
26 ait eu d'autres fois également où elle était au Kosovo. De sorte que ces
27 trois chercheurs, moi-même et les deux autres, nous sommes les personnes
28 qui ont procédé aux recherches sur lesquelles nos conclusions sont fondées.
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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que votre enquête était
2 suffisante pour parvenir aux conclusions que vous énoncez dans ce
3 paragraphe ou tout au moins pour faire la déclaration, plutôt que la
4 conclusion qui se trouve dans cette déclaration ?
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que nous avons procédé à des enquêtes
6 adéquates pour parvenir aux conclusions telles qu'elles sont publiées dans
7 nos rapports.
8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.
9 Bien, je crois qu'il va falloir maintenant lever la séance pour
10 aujourd'hui.
11 Je crois, Monsieur Abrahams, que ceci veut dire qu'il vous faudra revenir
12 ici, et ce sera le 7 août, commençant à 9 heures. Dans l'intervalle, peut-
13 être n'ai-je pas besoin de vous rappeler, mais je pense qu'il vaut mieux de
14 le faire, de façon à ce que l'on sache, la position est très claire que
15 vous ne devez avoir absolument aucune communication avec qui que ce soit
16 concernant la déposition que vous avez faite ou la déposition que vous
17 allez faire concernant cette affaire. Vous le comprenez ?
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie beaucoup.
20 Bien, je lève la séance, qui sera reprise le 7 août à 9 heures.
21 --- L'audience est levée à 13 heures 44 et reprendra le lundi 7 août 2006,
22 à 9 heures 00.
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