Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le vendredi 10 août 2007

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 00.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis, pendant qu'on attend

6 l'entrée du témoin dans le prétoire, j'aimerais faire remarquer que la

7 Chambre a reçu hier une requête aux fins de modifier des écritures au titre

8 de l'article 65 ter relatif au deuxième accusé. Peut-être n'avez-vous pas

9 eu la possibilité d'examiner ce texte encore, mais je pense que nous

10 devrions en traité oralement sans grande formalité dès que nous aurons une

11 minute. Vous pourriez peut-être prendre connaissance de ce texte et

12 déterminer votre position de façon à faire entendre celle-ci, et nous

13 pourrons discuter de cette requête un peu plus tard.

14 M. HANNIS : [interprétation] Je le ferai, Monsieur le Président. Je

15 cherchais d'ailleurs un instant pour examiner ce texte déjà.

16 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

17 LE TÉMOIN: RATKO MARKOVIC [Reprise]

18 [Le témoin répond par l'interprète]

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bonjour, Professeur.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Professeur, le contre-interrogatoire

22 se poursuit mené par M. Hannis.

23 Monsieur Hannis.

24 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

25 Contre-interrogatoire par M. Hannis : [Suite]

26 Q. [interprétation] Je crois me rappeler que lorsque l'audience s'est

27 achevée hier, je vous demandais si les provinces autonomes étaient des

28 unités fédérales, et vous m'avez expliqué que tel n'était pas le cas. Mais

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1 j'ai une autre question à vous poser. En Yougoslavie en 1989 ou 1990, les

2 provinces autonomes avaient des représentants qui faisaient partie de la

3 présidence collégiale, n'est-ce pas ?

4 R. Oui. Chaque province avait un représentant, c'est-à-dire, autant que

5 les unités fédérales, à savoir les républiques.

6 Q. J'aimerais vous interroger au sujet d'une pièce que Me Zecevic vous a

7 montrée lundi. Il s'agit de la pièce 1D370, et je dois dire que je ne me

8 rappelle pas le numéro d'intercalaire. En tout cas, c'est un document qui

9 se trouve dans le classeur gris, c'est-à-dire, le volume 1 des pièces.

10 Apparemment, on m'indique qu'il s'agirait de l'intercalaire 89 [comme

11 interprété]. Il s'agit de la loi relative aux amendements à certaines lois

12 et réglementation, qui date du 18 mars 1993.

13 M. ZECEVIC : [interprétation] Intercalaire 8.

14 M. HANNIS : [interprétation] Oui, effectivement.

15 Q. Professeur, nous voyons là donné un exemple de 25 lois environ, qui ont

16 été amendés dans le but d'harmoniser les lois compte tenu des amendements

17 apportés à la nouvelle constitution de la République de Serbie, n'est-ce

18 pas ?

19 R. C'est exact.

20 Q. Je vous prierais de vous pencher sur l'article 2 de cette loi qui

21 traite de la loi relative -- je ne trouve pas le terme technique pour

22 désigner ce dont je veux parler --

23 M. HANNIS : [interprétation] Mais en tout cas, je demande l'affichage de

24 l'article 2 grâce au système du prétoire électronique. Je crois que c'est

25 la page suivante qui nous intéresse. Je vois maintenant sur l'écran

26 l'article 2 dans sa version serbe, mais j'attends la version anglaise.

27 Voilà.

28 Q. Je lis sur l'écran, je cite : La loi sur la mise un terme à l'action de

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1 l'assemblée de la province autonome socialiste du Kosovo. Cette loi devait

2 cesser de valoir dès que l'assemblée serait mise en place. Je vous demande,

3 Professeur, si l'assemblée du Kosovo a effectivement été remaniée après

4 1989 ?

5 R. L'assemblée existait en 1989. C'est en 1990 qu'elle a cessé son

6 travail, après les actes pris unilatéralement par les représentants de la

7 communauté albanaise de cette assemblée. Je veux parler de l'acte relatif à

8 la mise sur pied d'égalité du Kosovo-Metohija avec les autres unités

9 fédérales, c'est-à-dire, l'obtention par le Kosovo-Metohija du statut

10 d'unité fédérale en tant que telle. La Cour constitutionnelle avait estimé

11 que tout cela était contraire à la constitution. C'est la raison pour

12 laquelle l'assemblée a cessé de fonctionner. Et c'est pour cela que

13 l'assemblée de la République de Serbie a voté cette loi sur le

14 fonctionnement de l'assemblée du Kosovo et du comité exécutif de la

15 province autonome du Kosovo.

16 A partir de ce moment-là, il n'y a pas eu création d'une nouvelle

17 assemblée du Kosovo-Metohija, et c'est pour une raison très simple, à

18 savoir que les Albanais de souche ont boycotté les élections et ne sont pas

19 allés voter pour élire les députés de cette assemblée.

20 Q. De quelles élections parlez-vous ? Y a-t-il eu des élections organisées

21 aux fins de récréer une assemblée du Kosovo ?

22 R. C'est la loi constitutionnelle relative à l'application de la

23 constitution de 1990, qui régit ce genre d'activité, à savoir comment

24 l'autonomie doit être transférée de sa définition dans la constitution

25 ancienne vers la constitution de 1990. Donc, c'est une réglementation

26 statutaire. Je pense qu'on l'a trouve au paragraphe 13 de la loi sur la

27 mise en œuvre de la constitution en 1990, ou plutôt, de la loi

28 constitutionnelle sur l'application de la constitution de 1990, excusez-

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1 moi. Mais cette décision n'a jamais été adoptée. Et c'est la raison pour

2 laquelle des élections n'ont pas pu être organisées une nouvelle fois au

3 Kosovo-Metohija. Les Albanais ont boycotté les élections, et après tout ils

4 constituaient la majorité de la population.

5 Q. Après la modification de la constitution en 1990, le Kosovo ne

6 possédait plus une constitution propre ni une Cour constitutionnelle,

7 n'est-ce pas ?

8 R. C'est exact. Selon la constitution de 1990, les provinces autonomes, je

9 parle une nouvelle fois des provinces constitutionnelles, à savoir le

10 Kosovo et la Vojvodine, et ces provinces ne jouissent plus d'un pouvoir

11 exécutif, ce qui entraîne par voie de conséquence qu'elles ne possèdent

12 plus de Cour constitutionnelle.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne comprends pas très bien votre

14 dernière réponse, Professeur.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai dit que selon la constitution de 1990,

16 les provinces autonomes, le Kosovo-Metohija et la Vojvodine n'ont plus de

17 pouvoirs législatifs. Elles n'ont plus pouvoir de voter des lois et, par

18 conséquent, elles n'ont plus de Cour constitutionnelle ou de constitution

19 propre. Elles ont toujours le pouvoir de voter des actes juridiques ayant

20 une certaine force, mais elles n'ont plus la possibilité de voter des lois

21 et des règlementations. Puisque les provinces autonomes n'ont plus de

22 pouvoirs législatifs et qu'elles n'ont pas de pouvoirs exécutifs, elles

23 n'ont plus besoin de posséder une Cour constitutionnelle.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais la question ne portait pas sur ce

25 point; elle portait sur les élections. Vous avez dit qu'une réglementation

26 statutaire avait été prise. Vous pensiez qu'elle figurait au paragraphe 13

27 de la loi sur la mise en œuvre de la constitution de 1990, mais que celle-

28 ci n'avait jamais été adoptée.

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1 Est-ce que ceci aurait été la responsabilité de l'assemblée serbe ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Voyez-vous, selon ce qu'on peut lire à

3 l'article 2 de la loi qui est affichée sur les écrans actuellement, à

4 savoir la loi sur la mise un terme à la validité de certaines lois, article

5 2, paragraphe 2, je cite : "L'assemblée de la province autonome du Kosovo-

6 Metohija est créée après des élections à bulletin secret et scrutin direct

7 conformément aux dispositions de la constitution et à la décision

8 statutaire provisoire émanant de l'assemblée nationale."

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Donc, je suppose à la lecture de

10 cela que l'assemblée nationale n'a pas pris la décision statutaire qu'elle

11 aurait dû prendre ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] L'assemblée n'a pas pris cette décision

13 statutaire - je parle de l'assemblée nationale - pour une raison simple, à

14 savoir que des organes parallèles du pouvoir ont vu le jour, des organes

15 gouvernementaux, des institutions parallèles, si je puis utiliser cette

16 expression générale, ont été créés au Kosovo-Metohija parce que les

17 Albanais refusaient de reconnaître l'Etat serbe.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

19 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

20 Q. Professeur, est-ce qu'on vous a, à quelque moment que ce soit, demandé

21 d'élaborer un projet de statut destiné au Kosovo-Metohija ?

22 R. Oui, ce projet a été élaboré et nous sommes allés en délégation. C'est

23 la délégation dont j'ai parlé hier, la délégation du gouvernement de la

24 République de Serbie. A partir du 12 mars 1998, cette délégation est allée

25 avec ce projet en main à Pristina pour entamer des discussions. Elle

26 apportait à Pristina le projet de loi sur l'autogestion locale également,

27 mais - et j'en ai dit quelques mots hier - les représentants de la majorité

28 des partis politiques albanais ne sont pas venus pas à cette réunion; n'ont

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1 pas répondu aux invitations.

2 Q. Ce projet a été élaboré pour la première fois en 1998 ?

3 R. Non. Ce projet de texte avait été élaboré en 1990 et 1991, mais il

4 n'est jamais entré dans la procédure pour les raisons que je viens

5 d'évoquer. Les Albanais du Kosovo boycottaient les institutions de l'Etat

6 et ont fait savoir publiquement qu'ils ne reconnaissaient pas ces

7 institutions comme les leurs. Je veux parler des institutions de l'Etat

8 serbe.

9 Q. D'accord. J'ai peur de ne pas avoir très bien compris, parce que je lis

10 l'article 2, et je vois que la décision statutaire provisoire devait être

11 prise par l'assemblée. Est-ce que l'assemblée nationale n'aurait pas pu

12 prendre une telle décision, même en l'absence de toute participation de la

13 part des Albanais kosovars ?

14 R. En théorie, bien sûr, elle aurait pu le faire. Mais cela eut été lettre

15 morte sur le papier. Cela n'aurait jamais été appliqué. L'assemblée

16 nationale voulait prendre cette décision dans le cadre d'un accord avec les

17 Albanais kosovars, mais les Albanais kosovars ont boycotté toute cette

18 action en disant que cette autonomie ne les intéressait pas, puisque selon

19 eux, ce qu'ils ont affirmé, c'était qu'ils considéraient cette autonomie

20 comme n'étant pas une autonomie.

21 Q. Cette autonomie était certainement inférieure à ce dont ils jouissaient

22 avant 1990, n'est-ce pas ?

23 R. Elle était inférieure effectivement, même si par rapport aux normes

24 européennes, entre autres, cette autonomie est très importante. Il n'y a

25 pas un pays au monde qui jouit de tels pouvoirs exécutifs, qui a sa propre

26 législation et son propre système judiciaire. Il n'y a pas de province

27 autonome au monde dont l'accord est indispensable pour que l'Etat dont elle

28 fait partie modifie sa constitution. Il n'y a pas d'autonomie de ce genre

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1 où que ce soit dans le monde. Je ne pense pas que cela a existé jamais.

2 C'était un abus de la constitution pourrait-on dire, cette forme

3 d'autonomie qui a été créée par la constitution de 1974.

4 M. ZECEVIC : [inaudible]

5 M. LE JUGE BONOMY : [hors micro] Excusez-moi, je ne vous ai pas entendu.

6 M. ZECEVIC : [interprétation] Il y a un problème à la page 6, ligne 23 du

7 compte rendu d'audience. Je cite : "Sans le consentement de laquelle on ne

8 pourrait pas modifier la constitution." Peut-être n'ai-je pas bien compris.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non, je pense que tout va bien.

10 M. ZECEVIC : [interprétation] Excusez-moi. Excusez-moi. Je suis désolé.

11 M. HANNIS : [interprétation]

12 Q. Je vais poser une question de suivi pour m'assurer que j'ai bien

13 compris. Après 1990, le consentement des provinces autonomes, était-il

14 exigé pour amender la constitution de Serbie ?

15 R. Oui, selon la constitution de 1974. Ce consentement a été demandé et

16 obtenu pour apporter les amendements qui ont été apportés à la

17 constitution, sur la base des lois existantes, à la constitution de 1989 de

18 la République de Serbie. Les deux provinces autonomes, la Vojvodine et le

19 Kosovo-Metohija, ont donné leurs consentements aux fins d'amender la

20 constitution sur la base des amendements précédemment adoptés par la

21 majorité requise de l'assemblée de la République de Serbie.

22 Q. Alors si je vous ai bien compris, avant l'adoption de la nouvelle

23 constitution en 1990, les provinces autonomes, à savoir le Kosovo-Metohija

24 et la Vojvodine, avaient un droit de veto eu égard aux projets d'amendement

25 de la constitution, n'est-ce pas ?

26 R. Oui, c'est exact.

27 Q. En vertu de la nouvelle constitution, après 1990, le Kosovo-Metohija et

28 la Vojvodine n'avaient plus que la possibilité d'exprimer un avis ou de

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1 protester contre un projet d'amendement, mais elles n'avaient plus la

2 possibilité d'exercer un droit de veto contre les amendements à la

3 constitution de Serbie qui étaient proposés, n'est-ce pas ?

4 R. C'est cela.

5 Q. Merci, Professeur. Je pense que je n'ai plus de questions au sujet de

6 cette pièce, en tout cas pour le moment.

7 J'aimerais passer maintenant à la page 12 889 du compte rendu

8 d'audience, où vous parliez de l'article 9, paragraphe 2 de la constitution

9 de la République de Serbie, en indiquant que le président ne jouissait pas

10 du pouvoir exécutif, qu'il n'avait pas ou n'a pas de pouvoir opérationnel

11 s'agissant du pouvoir exécutif, mais que ces pouvoirs incombaient au

12 gouvernement. Mais qu'en est-il de cela en situation extraordinaire, par

13 exemple, en état de guerre ? Est-ce que le président n'a pas quelques

14 pouvoirs exécutifs dans ce cas ?

15 R. En temps de guerre, comme nous l'avons vu, ainsi qu'en cas de

16 menace imminente de guerre, si l'assemblée nationale n'a plus la

17 possibilité de se réunir, le président reçoit des propositions du

18 gouvernement, auquel cas il prend des décrets et fait ce qui normalement

19 devrait être fait par l'assemblée du peuple. C'est sa responsabilité dès

20 lors que l'état de guerre est décrété, il est responsable de la prise de

21 décrets soumis ensuite à ratification par l'assemblée populaire. C'est ce

22 que prévoit l'article 83, paragraphe 7 de la constitution.

23 Q. Mais en temps de guerre, il agit en fait en lieu et place de

24 l'assemblée nationale. Il prend des décrets, il promulgue des lois, n'est-

25 ce pas ?

26 R. Oui. Dans un tel cas, lui et le gouvernement qui ratifient ces

27 textes -- voilà, je pourrais dire qu'il est le législateur temporaire dans

28 un pays pendant la durée de la guerre, étant entendu que ni lui ni le

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1 gouvernement ne peuvent prendre de décision dans le cadre des compétences

2 de l'assemblée nationale dès lors que la situation est normalisée. Tout ce

3 qui a été fait par lui et par le gouvernement pendant la période de guerre

4 doit ensuite être entériné, ratifié par l'assemblée nationale.

5 Q. J'aurais quelques questions à vous poser sur ce point. Vous nous

6 avez expliqué hier comment le gouvernement rédigeait ces projets de décrets

7 pour les remettre au président. Est-ce qu'il pouvait décider de refuser de

8 signer un de ces projets de décret ? Auquel cas, est-ce que le gouvernement

9 qui était à l'origine du projet de décret avait un recours ? Ou est-ce que

10 le président était finalement dans une telle situation, l'arbitre final

11 quant à la prise d'un décret ou pas ?

12 R. Comme nous pourrons tous le voir à la lecture du texte, la

13 constitution ne régissait pas une telle situation, ne s'est pas prononcée

14 sur ce genre de situation. La constitution n'a pas prévu ce qui risquait de

15 se passer si le président refusait de signer un projet de décret proposé

16 par le gouvernement. Même chose pour la question de savoir ce qui pouvait

17 se passer si le président de la république ne promulguait pas, refusait de

18 promulguer, une loi votée par l'assemblée nationale. Le président était

19 censé faire deux choses à la fois, c'est-à-dire prendre un décret dont le

20 projet lui était proposé par le gouvernement, et promulguer des lois, ce

21 qui précédemment était une responsabilité de l'assemblée populaire.

22 Q. Je comprends bien qu'en situation normale, c'est-à-dire en temps

23 de paix, en tout cas, c'est ma façon d'interpréter la constitution, si

24 l'assemblée nationale promulgue une loi, le président n'a pas d'autre

25 possibilité que d'exercer son droit de veto suspensif, première

26 possibilité, ou de promulguer la loi, deuxième possibilité; c'est bien cela

27 ?

28 R. C'est cela.

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1 Q. D'accord. Si le président ne fait ni l'un ni l'autre, est-ce qu'il agit

2 en violation de la constitution ?

3 R. En agissant ainsi, effectivement, il commettrait une violation de la

4 constitution.

5 Q. Mais en situation de guerre, alors que le président dans les faits

6 remplace l'assemblée nationale -- j'ai sans doute quelque mal à comprendre

7 que la possibilité de refuser de prendre un décret proposé par le

8 gouvernement ne lui soit pas donnée. Parce que, dans les faits, est-ce

9 qu'il n'est pas le seul législateur qui reste ?

10 R. Je ne pourrais convenir que la situation correspond à ce que vous avez

11 dit, car c'est le gouvernement qui exerce la créativité de l'action

12 législative et il reprend les compétences de l'assemblée populaire. C'est

13 le gouvernement qui est à l'origine des normes, alors que le président de

14 la république se contente d'apporter son consentement en signant certains

15 documents et certains projets de texte qui lui sont soumis par le

16 gouvernement. Ces projets pouvant être des projets de décrets qui, dès

17 qu'il les a signés, sont confirmés dans leur statut de décrets effectifs.

18 Mais sur le plan de l'action créative, c'est le gouvernement qui reprend

19 les compétences en la matière de l'assemblée populaire. Ce n'est pas le

20 président qui est à l'origine des normes, c'est le gouvernement.

21 Q. Mais d'après ce que vous avez dit hier, j'ai cru comprendre que le

22 gouvernement proposait ces règlementations au président, et le mot

23 "propose," en anglais, quand je l'entends, est synonyme pour moi de

24 suggestion provenant en général de quelqu'un qui exerce un pouvoir

25 supérieur. Donc, celui à qui on fait une proposition peut l'accepter ou la

26 rejeter. Est-ce que ce n'est pas la relation qui liait le gouvernement et

27 le président en situation de guerre ?

28 R. Je répète une nouvelle fois que ce genre de situation n'est pas

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1 réglementé par la constitution moyennant une disposition expresse. En

2 l'absence d'une telle disposition, nous ne pouvons qu'émettre des

3 conjectures quant au comportement qui pourrait être celui du président. Il

4 n'y a aucune disposition normative relative à une situation de ce genre

5 dans la constitution.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis, la disposition dont

7 nous sommes en train de parler figure, si je ne m'abuse, à l'article 83,

8 paragraphe 7, et le libellé en est très clair, je cite : "De sa propre

9 initiative ou sur proposition du gouvernement, alors que règne l'état de

10 guerre ou le menace imminente de guerre, le président peut adopter des

11 instruments relatifs à des matières relevant de la compétence de

12 l'assemblée nationale."

13 M. HANNIS : [interprétation] Je suis d'accord, Monsieur le Président, c'est

14 l'article dont j'ai pris connaissance pour dire qu'il pouvait adopter.

15 Donc, il peut recevoir une proposition du gouvernement qu'il décide de ne

16 pas adopter. Il n'est pas écrit dans le texte de cet article qu'il doit

17 adopter la proposition du gouvernement.

18 Q. Est-ce bien une interprétation autorisée du texte, Professeur ?

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic, vous avez une

20 objection ?

21 M. ZECEVIC : [interprétation] Non, Monsieur le Président, simplement un

22 éclaircissement. Le libellé de l'article 83.7 dit ce qui suit : "En temps

23 de guerre ou en temps de menace imminente de guerre, il adopte les actes

24 relatifs à des matières faisant partie des compétences de l'assemblée

25 populaire."

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais ce n'est pas cela qui me

27 préoccupait, Maître Zecevic. J'ai dit "peut." Excusez-moi d'avoir introduit

28 le mot "peut," mais ce qui me préoccupait, c'était le libellé du début du

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1 sous-paragraphe 7, je cite : "De sa propre initiative," ce qui permet de

2 penser qu'il pouvait agir en dehors d'un agrément du gouvernement.

3 Est-ce une interprétation exacte, à votre avis, Professeur ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est exact. Mais M. Hannis

5 m'interrogeait au sujet des dispositions qu'on trouve dans le classeur.

6 Toutes ces dispositions ont été adoptées sur proposition du gouvernement.

7 Il n'y en a pas une qui avait été adoptée à l'initiative du président. Mais

8 si nous parlons du libellé de l'article de la constitution que vous venez

9 d'évoquer, vous avez tout à fait raison. Il peut, de sa propre initiative

10 ou sur proposition du gouvernement, faire telle et telle chose. Mais,

11 s'agissant des 16 dispositions qui se trouvent dans ce classeur, et je

12 crois que M. Hannis m'interrogeait finalement sur l'ensemble de ces textes,

13 tous ces textes ont été adoptés sur proposition du gouvernement.

14 M. HANNIS : [interprétation]

15 Q. Merci, Professeur. Pour autant que vous le sachiez, y a-t-il eu des

16 projets de décrets présentés à M. Milutinovic qu'il n'aurait pas pris alors

17 que le pays était en état de guerre ?

18 R. Non. De tels projets de décrets n'ont pas existé. Quel que soit les

19 décrets présentés par le gouvernement, ils ont été confirmés par M.

20 Milutinovic grâce à sa signature.

21 Q. Merci.

22 M. HANNIS : [interprétation] J'aimerais que nous nous penchions sur la

23 pièce P1862, qui correspond à l'intercalaire 14 dans le classeur gris. Il

24 s'agit de la loi relative au gouvernement de la République de Serbie qui

25 date du 21 janvier 1991. L'article qui m'intéresse plus particulièrement

26 est l'article 18.

27 R. Excusez-moi, de quel intercalaire s'agit-il ?

28 Q. Je crois que c'est l'intercalaire numéro 14 dans le classeur gris.

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1 R. [aucune interprétation]

2 Q. C'est l'article 18 de cette loi, Monsieur le Professeur.

3 R. Oui, je l'ai trouvé.

4 Q. Dans le texte traduit que j'ai, le texte dit ceci : "Lorsque l'état de

5 guerre a été décrété, le gouvernement proposera au président de la

6 république l'adoption de documents sur des questions qui relèvent de la

7 compétence de l'assemblée nationale."

8 Pour moi, le terme en anglais de "proposer" indique une "suggestion;" est-

9 ce exact ?

10 R. Lorsqu'on "propose," cela ne signifie pas que l'on "suggère." Autrement

11 dit, qu'on l'encourage d'abandonner le texte. C'est plutôt le gouvernement

12 qui rédige le texte qu'il le lui soumet, le lui propose pour qu'il

13 l'adopte, puisque c'est un document qui a été rédigé par le gouvernement.

14 Ce n'est pas le gouvernement qui demande au président de rédiger les

15 documents ou les différents actes. C'est plutôt un cas où c'est le

16 gouvernement qui rédige cette proposition. Lorsque le gouvernement soumet

17 une proposition, le président n'est pas libre de la modifier.

18 Q. J'entends bien, mais dans cet article-là, ni dans le texte de la

19 constitution, je ne vois rien qui empêcherait le président de refuser

20 d'accepter la proposition en question. Rien l'interdit de le faire. Rien

21 l'interdit de refuser, je crois.

22 R. Non, cela est vrai, et la même chose vaut pour la promulgation des

23 lois. On attend du président qu'il respecte l'esprit de la constitution.

24 Q. Mais nous avons dans ce cas -- dans le cas qui nous intéresse, il n'y a

25 pas l'esprit des lettres de la constitution. Ceci ne s'applique pas à cette

26 question-ci, n'est-ce pas ?

27 R. Oui, effectivement. Cette question-là n'est pas régie par la

28 constitution, et c'est précisément parce que cela ne l'est pas que le

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1 président de la république, lorsque le gouvernement lui soumet une

2 proposition, est tenu de l'accepter. Le président de la république, lorsque

3 le gouvernement lui soumet une proposition, est tenu de l'accepter.

4 Q. Où est-ce que vous avez trouvé cela ? Est-ce que c'est votre opinion

5 personnelle ?

6 R. Cela découle de l'interprétation de la constitution, qui -- ici on peut

7 lire : "Devra promulguer." C'était un impératif qui est utilisé ici.

8 Deuxièmement, la situation que vous évoquez n'est pas envisagée par la

9 constitution du tout. Si la constitution aurait envisagé une situation de

10 ce genre, elle l'aurait évoquée. Elle aurait précisé que le président de la

11 république est en train de refuser ou d'adopter un décret proposé par son

12 gouvernement.

13 Q. On peut lire ici : "promulguera," promulguera de sa propre initiative

14 et promulguera sur proposition de son gouvernement. En fait, ceci se trouve

15 complètement à l'opposé de la situation où le président souhaite faire

16 adopter un décret sur sa propre initiative, donc c'est finalement lui qui a

17 le dernier mot et qui est l'arbitre de la situation ?

18 R. Le président, comme nous l'avons dit, d'après l'esprit de la

19 constitution, ne dispose pas de pouvoir exécutif. En vertu de l'article 9,

20 paragraphe 3 de la constitution, c'est le gouvernement qui dispose du

21 pouvoir exécutif. Le président de la république n'est pas au plan

22 hiérarchique au-dessus du gouvernement. Le gouvernement rend des décrets.

23 Les décrets sont des actes législatifs adoptés par le gouvernement, et ces

24 derniers relèvent de la compétence du gouvernement. Comme les lois sont

25 promulguées par le président de la république, des décrets - qui sont en

26 fait des textes de loi puisqu'ils relèvent de la compétence de l'assemblé

27 nationale - sont adoptés par le président de la république. Dans le cas de

28 textes de loi, il ne fait que les promulguer, mais parce que c'était un

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1 état de guerre, à ce moment-là le président les adopte, ces décrets. Si la

2 situation était différente, on aurait ici une violation du principe de la

3 séparation des pouvoirs, ce qui est clairement expliqué ici, le principe de

4 la séparation des pouvoirs.

5 Ceci est clairement formulé à l'article 9, qui précise que les pouvoirs

6 législatifs et constitutionnels reviennent à l'assemblée nationale. Le

7 pouvoir exécutif appartient au gouvernement, le pouvoir législatif aux

8 tribunaux, la protection de la constitution et de la législation

9 conformément à la constitution revient à la Cour constitutionnelle, alors

10 que la République de Serbie est représentée et son unité exprimée par le

11 président de la république. D'après moi, un refus d'adopter un décret qui

12 serait proposé par le gouvernement serait une violation du principe de la

13 séparation des pouvoirs. C'est une toute autre question lorsque le

14 président, de sa propre initiative, autorise ou est autorisé de façon

15 expresse par la constitution, l'article 83, paragraphe 7.

16 Q. Sur un point purement pratique, comment cela fonctionnerait-il si le

17 président estimait, d'après vous, s'il doit accepter la proposition d'un

18 décret parce que c'est une situation de guerre. Si, par exemple, le mardi

19 il rend un décret proposé par le gouvernement, et si le mercredi il rend un

20 décret qui est tout à fait contraire au décret précédent sur sa propre

21 initiative, que se passerait-il alors ? Parce qu'il n'a pas agi en

22 violation de la constitution. Il a donc adopté ce décret proposé par le

23 gouvernement, et ensuite la constitution l'autorise à rendre des décrets

24 sur sa propre initiative ce qu'il fait le mercredi, et qu'il modifie le

25 décret précédent qui a été proposé par le gouvernement.

26 R. En théorie, ceci est possible. Il s'agit d'une question théorique. La

27 vie, c'est autre chose. Un état de guerre ou un état imminent de guerre est

28 une situation exceptionnelle pour tout Etat, et dans de telles conditions

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1 tous les organes de l'Etat ont un seul et même objectif. Ils ne sont pas

2 mutuellement opposés les uns aux autres. Tout ceci est coordonné. On

3 imagine un état de guerre pour un gouvernement. On n'imagine pas que le

4 président est dans un sens et le gouvernement dans l'autre. Il y a une

5 mobilisation générale. Toutes les forces et toutes les ressources du pays

6 aspirent à la même chose et même objectif. Il s'agit de défendre le pays.

7 Oui, en théorie ce que vous dites est possible, mais c'est purement

8 théorique. Il est difficile d'imaginer une situation de ce genre dans la

9 réalité.

10 Q. Oui, je sais que la réalité est parfois différente, mais je regarde ce

11 qui est possible, en fait, simplement en regardant ce document.

12 Je souhaite que vous vous reportiez à l'article 83, au numéro 2 des

13 pouvoirs du président en vertu de la constitution. Il s'agit ici de ses

14 pouvoirs qui lui permettent de nommer des membres, les juges d'une Cour

15 constitutionnelle, n'est-ce pas ?

16 R. Oui, exact.

17 Q. Si j'ai bien compris votre déposition lundi, parce que vous avez dit

18 que lorsqu'il rempli ces fonctions, ces obligations, le président doit

19 parvenir à un accord avec son gouvernement avant la date prévue pour ces

20 candidats qui vont être proposés à l'assemblée; est-ce exact ?

21 R. Pardonnez-moi, je ne sais pas s'ils m'ont demandé s'il peut nommer ou

22 proposer leurs noms, en d'autres termes, les noms des juges à la Cour

23 constitutionnelle. Je ne vois pas très bien le compte rendu. Si vous me

24 posez la question, et si vous me demandez s'il a les pouvoirs de proposer,

25 oui; si vous me demandez s'il a le pouvoir de nommer, je vous dis, non.

26 Q. Donc, il peut proposer ?

27 R. Oui, il ne peut que proposer les noms des candidats au poste de

28 président ou de juge de la Cour constitutionnelle, mais il ne peut pas

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1 nommer les juges qu'il souhaite nommer ou qui d'après lui seraient de bons

2 juges dans ce cadre-là. Mais ce sont les personnes qui obtiennent la

3 majorité à l'assemblée qui peuvent être nommées. Il doit au préalable

4 consulter son premier ministre, car c'est le gouvernement qui contrôle la

5 majorité parlementaire. Donc, il doit s'assurer que les personnes qu'il

6 pressent à ce poste recueilleront la majorité à l'assemblée nationale;

7 sinon, s'il ne vérifie pas auprès de son premier ministre au préalable,

8 ceci pourrait le compromettre et son candidat pourra ne pas être nommé à

9 l'assemblée nationale et sa proposition ne sera pas adoptée. Comme je l'ai

10 dit, une situation similaire s'est présentée lorsque le président Boris

11 Tadic a fait une proposition à l'assemblée nationale. Un de ses candidats

12 n'a pas été accepté par l'assemblée et n'a pas recueilli la majorité

13 nécessaire pour devenir, pour être nommé juge à la Cour institutionnelle.

14 Q. Si je vous ai bien compris, c'est une question purement pratique. Est-

15 ce que le président doit simplement proposer les noms des personnes dont il

16 sait à l'avance que ces personnes recueilleront la majorité ? Est-ce qu'il

17 pourrait en nommer d'autres ?

18 R. Oui, c'est exact. Il peut nommer qui il veut, ceux qui d'après lui le

19 méritent. Mais je vous ai précisé qu'il prenait un risque s'il faisait

20 cela, mais il a une entière liberté. Il peut nommer qui il veut.

21 Q. Mais ce n'est pas véritablement un pouvoir dont il dispose, n'est-ce

22 pas ?

23 R. Bien, c'est ce que j'essaie de dire. Ce n'est pas un vrai pouvoir qu'il

24 a et il ne peut pas agir seul, de façon indépendante. Ce n'est qu'en

25 théorie qu'il ait le droit ou est libre de nommer qui il veut. En termes

26 purement pratiques, il est tenu de tenir compte de la position de la

27 majorité de l'assemblée nationale.

28 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Pardonnez-moi si je vous interromps.

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1 M. HANNIS : [interprétation] Aucun problème.

2 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Monsieur le Professeur, je souhaitais

3 vous poser une question. Je souhaite savoir quelque chose à propos d'un

4 fait. Il y a des règles qui sont des règles de gestion qui régissent les

5 liens entre différents organes. En réalité, ces règles découlent du

6 pouvoir, qui sont accordées par la constitution parce qu'elles sont

7 promulguées en vertu de la constitution. Aviez-vous de telles règles de

8 gestion, des affaires, car ceci permettrait de régir ce que ferait le

9 président, ce qu'il est en droit de faire et ce qu'il n'a pas le droit de

10 faire ? Est-ce que vous pourriez nous parler de cela, s'il vous plaît. Je

11 vous en serais reconnaissant.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je comprends votre question. Lorsque

13 cette constitution était en vigueur, nous avions une loi sur l'élection du

14 président de la république. Nous avions une loi sur la Cour

15 constitutionnelle, sur les procédures devant la Cour constitutionnelle

16 pendant les décisions étaient impliquées. Nous avions une loi sur le

17 gouvernement, une loi sur l'administration de l'Etat et sur les tribunaux.

18 Toutes ces institutions avaient été créées et existaient grâce à la

19 constitution et étaient régies par des lois. Il y avait une législation

20 constitutionnelle qui permettait de faire appliquer la constitution.

21 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Et parce que ces lois existaient,

22 bien évidemment il n'y avait pas véritablement de confusion ni de

23 contradiction entre des décrets, ce qu'a évoqué votre confrère de

24 l'Accusation. Parce que je pense de telles lois ou des lois régissant la

25 gestion des affaires courantes décideraient de ce que ferait le président,

26 oui ou non, dans l'exercice de ses fonctions. Une fois qu'il y a

27 prescription, il ne peut pas y avoir de discordance ou de contradiction.

28 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela ne portait que sur la question de

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1 l'élection du président de la république, parce que dans le texte de la

2 constitution ceci ne figure pas, et pas de façon détaillée. La constitution

3 de 1990 précise à l'article 87, au paragraphe 7, c'est le dernier

4 paragraphe, que la façon de procéder à l'élection et la révocation du

5 président de la république sera régie par la loi. Comme nous l'avons

6 constaté hier, M. Hannis a également posé une question à ce sujet; le

7 pouvoir du président de la république ne peut pas être régi par la loi.

8 Ceci ne peut être régi que par la constitution. Donc, ce n'est que le texte

9 de la constitution qui peut être régi par un texte de loi et peut être régi

10 par la loi. Les pouvoirs du président, de l'assemblée, du gouvernement et

11 de la Cour constitutionnelle ne peuvent pas être régis par des lois. Et, il

12 y a des articles à l'appui de tout ce que je viens de dire.

13 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Merci.

14 M. HANNIS : [interprétation]

15 Q. Merci, Monsieur le Professeur. Pour ce qui est de la situation

16 hypothétique évoquée en tant de guerre lorsqu'il y aurait un désaccord

17 entre le gouvernement et le président de la république sur le type de loi

18 qu'ils souhaitaient faire adopter, y a-t-il eu des dispositions

19 particulières à cet égard -- vous nous avez dit qu'il n'y avait rien dans

20 la constitution qui permettait d'aborder ce problème. Il n'y avait aucune

21 règle de procédure ou de loi qui traitait de ce cas-là ?

22 R. Non. Non, il n'y avait rien.

23 Q. Merci. Je souhaite maintenant vous parler de l'état de guerre. Vous

24 nous avez dit précédemment, expliqué comment ceci pouvait se produire et

25 qui décrétait qu'il y avait un état de guerre. Qui décidait de la fin d'un

26 état de guerre ?

27 R. C'est l'assemblée fédérale qui met un terme à la déclaration de l'état

28 de guerre conformément à la constitution en vigueur. C'était à ce moment-là

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1 la constitution de 1992. Bien sûr, si l'assemblée nationale ne peut pas

2 être convoquée, ce sera le gouvernement fédéral.

3 Q. C'est le gouvernement ?

4 R. Oui, ceci figure à l'article 78 de la constitution de 1992, au

5 paragraphe 3.

6 "L'assemblée décidera de la guerre et de la paix, déclarera l'état de

7 guerre, une menace imminente de guerre, et un état d'urgence."

8 L'article 99, au paragraphe 10, déclare : "Lorsque l'assemblée fédérale

9 n'est pas en mesure de se réunir, après avoir entendu le point de vue du

10 président de la république et du conseil de l'assemblée fédérale, l'état de

11 guerre ou la menace imminente de guerre" et cetera, ceci est fait par le

12 gouvernement fédéral. Donc, encore une fois, c'est toujours l'assemblée, et

13 si l'assemblée fédérale n'est pas en mesure de se réunir, cela revient à ce

14 moment-là au gouvernement fédéral.

15 Q. Quel est le rôle joué par le président de la république lorsqu'il

16 s'agit de décréter qu'on met un terme à l'état de guerre ? Est-ce qu'il ne

17 peut que consulter ou conseiller son gouvernement ?

18 R. Est-ce que vous voulez parler du président de la République fédérale de

19 Yougoslavie ou du président de la République de Serbie ?

20 Q. Oui.

21 R. La constitution ne lui donne aucun pouvoir en la matière, hormis le

22 fait qu'on le consulte. A l'article 96, qui énumère les pouvoirs du

23 président de la république, il n'a pas de tels pouvoirs.

24 Q. Existe-il une disposition dans les textes législatifs lorsqu'en temps

25 de guerre le gouvernement n'est pas en mesure de se réunir, lorsque le

26 gouvernement de ce peuple ne peut pas se réunir ? Vous nous avez parlé d'un

27 organe qui était composé d'une trentaine de personnes, le gouvernement

28 serbe. Le gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie, est-il

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1 important ?

2 R. Dans la République fédérale de Yougoslavie, je crois que le

3 gouvernement était moins important. Il y avait environ dix ministres,

4 président et président adjoint, donc le gouvernement de la fédération était

5 beaucoup plus petit. Il comprenait un nombre moins important de personnes.

6 Il y avait des nombres -- les membres étaient moins importants -- il y

7 avait moins de membres que dans le gouvernement de la République de Serbie.

8 Q. Et il n'y avait pas de dispositions dans les textes de loi qui

9 permettaient au gouvernement de se réunir si le gouvernement fédéral ne

10 pouvait pas se réunir lorsqu'il y avait un état de guerre ?

11 R. Cela devait figurer dans la constitution, car c'est une question

12 constitutionnelle qui ne peut pas être régie par une loi. Comme nous

13 pouvons le constater, une telle disposition n'existait pas dans la

14 constitution.

15 Q. Merci, Monsieur le Professeur. Nous avons, lundi, évoqué le cas où

16 lorsque l'assemblée nationale a pu se réunir à nouveau, alors qu'il y avait

17 l'état de guerre et lorsque l'état de guerre a cessé, le président devait

18 alors leur présenter les actes qui avaient été promulgués pendant l'état de

19 guerre, il devait leur présenter pour confirmation; c'est exact ?

20 R. Oui, c'est exact.

21 Q. L'assemblée nationale, disposait-elle de pouvoirs discrétionnaires lui

22 permettant de confirmer ou de refuser ces décrets, dans le cas où ils

23 seraient en désaccord avec un certain nombre d'entre eux pour un certain

24 nombre de raisons ?

25 R. Oui, l'assemblée disposait de tels pouvoirs discrétionnaires parce que

26 cela relevait de sa compétence. Tous ces décrets ont été promulgués parce

27 qu'il s'agissait de textes législatifs qui relevaient de la compétence de

28 l'assemblée nationale. L'acte de l'assemblée nationale que nous avons ici

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1 sous les yeux, dans ce dossier, montre que a été le sort de ces 16 décrets

2 adoptés par le président et ce que l'assemblée nationale a décidé de faire

3 par rapport à ces 16 décrets.

4 Q. Si, de manière hypothétique, l'assemblée nationale avait décidé de ne

5 pas confirmer l'un ou l'autre de ces décrets qui avaient été adoptés

6 pendant l'état de guerre, quelles en seraient les conséquences,

7 conséquences pour le président, j'entends, si l'assemblée nationale

8 refusait de confirmer les décrets qu'il avait rendus ?

9 R. Je pense que la question qu'on devrait plutôt poser ce serait la

10 question de confiance au gouvernement. La confiance au gouvernement devrait

11 être engagée devant l'assemblée nationale. Je pense qu'un nombre prévu de

12 députés serait en mesure de proposer une motion de censure du gouvernement.

13 Mais s'ils estimaient que le président de la république, lui aussi, avait

14 violé la constitution en prenant un décret donné, un tiers des députés, en

15 fonction du règlement intérieur de l'assemblée qui était en vigueur à

16 l'époque, pouvait poser la question de la responsabilité du président de la

17 république, à savoir s'il a violé la constitution ou non.

18 En d'autres termes, c'est une question politique, voyez-vous. Ce n'est pas

19 une question qui se pose dans le domaine du droit. Il appartient au député

20 d'en décider, de juger s'il y a eu une erreur politique de la part du

21 gouvernement ou du président. S'il s'agit du gouvernement, alors on va

22 engager une motion de censure. Si, en revanche, c'est le président de la

23 république qui a violé la constitution, ils vont demander que l'assemblée

24 détermine si c'est bien cela qui s'est produit ou non. Si l'assemblée

25 estime que le président a violé la constitution, alors les électeurs, les

26 citoyens de Serbie, se prononcent lors d'un référendum sur la révocation du

27 président de la république.

28 Q. Merci. S'agissant des décrets pris par le président en situation de

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1 guerre, décrets pour lesquels l'assemblée décide, à un moment ultérieur, de

2 ne pas les accepter, alors quelles seraient les conséquences de ces

3 décisions ? J'en parle à la lumière de la promotion du général Lukic et de

4 la décision de la Cour constitutionnelle par la suite, estimant que ces

5 décisions avaient été prises de manière anticonstitutionnelle par le

6 président, constituaient une extension, un élargissement

7 anticonstitutionnel de ses attributions.

8 R. Il me semble que j'ai déjà expliqué cela, la décision de la Cour

9 constitutionnelle. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne

10 s'appliquent que pour l'avenir. A partir du moment où la décision est

11 prise, elle se projette vers l'avenir. Mais s'agissant de l'assemblée

12 nationale, elle peut estimer qu'un décret pris en temps de guerre cesse

13 d'être en vigueur à partir du moment où l'état de guerre cesse, lui aussi.

14 Si on vient à estimer que ce décret était anticonstitutionnel, une

15 procédure peut être engagée auprès de la Cour constitutionnelle pour

16 décider de la légalité ou plutôt de la constitutionnalité du décret donné.

17 Q. Professeur, je vous remercie. Revenons maintenant à la constitution si

18 vous voulez bien encore une fois, l'article 135 de la constitution. Nous

19 avons parlé des dispositions qui figurent dans la constitution portant sur

20 les forces armées de Serbie et des questions qui ont à voir avec les

21 Affaires étrangères et ce que vous avez appelé, me semble-t-il, des

22 compétences de réserve, des attributions de réserve qui figurent dans la

23 constitution en anticipation d'un éventuel vide juridique ou

24 constitutionnel risquant de se produire en cas de sécession opérée par

25 l'une des républiques de la Fédération yougoslave de l'époque. Vous avez

26 confirmé que c'était une disposition constitutionnelle qui n'était pas

27 habituelle. A l'époque où la commission a rédigé cette constitution, où

28 elle a fait figurer ces dispositions dans celle-ci, vous saviez que c'était

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1 une violation de la constitution fédérale, et c'est ce que vous dites,

2 n'est-ce pas ?

3 R. Oui.

4 Q. Donc, c'était votre intention dès le départ. N'était-ce pas une

5 attitude anticonstitutionnelle de votre part, Professeur ?

6 R. Il est vrai que c'est anticonstitutionnel du point de vue de la

7 constitution fédérale, mais dans le droit romain déjà, "divisa inter arma

8 silente leges," [comme interprété] dit le droit romain. En temps de danger,

9 en temps de guerre, le droit se tait. C'était une situation de fait

10 politiquement parlant. Il fallait que d'un point de vue formel, législatif,

11 la Serbie soit prête pour affronter une situation où la Fédération

12 yougoslave n'existerait plus.

13 Voyez-vous, nous nous sommes dotés en 1990, en septembre 1990 de

14 cette constitution, or la Slovénie avait adopté des amendements un an plus

15 tôt, les amendements par lesquels la Slovénie décide de la primauté de leur

16 constitution, de leurs lois sur la législation fédérale. Une situation

17 exceptionnelle s'était installée. On ne respectait plus la hiérarchie

18 d'actes juridiques. La Croatie a emboîté le pas à la Slovénie et à la

19 Serbie. Elle s'est dotée de sa propre constitution dans la même année que

20 la Serbie. Vous avez raison. Du point de vue juridique, stricto sensu, ce

21 n'était pas correct, mais la situation était différente à ce moment-là.

22 Q. Oui, je vous entends. Mais si la Yougoslavie venait à se

23 décomposer, si la Serbie devenait un Etat indépendant, elle aurait

24 bénéficié de tous ces droits, n'est-ce pas, de toutes ces compétences,

25 voire même plus, n'est-ce pas ?

26 R. Oui, la Serbie aurait pu, en fait, la Serbie aurait été prête à

27 affronter une telle situation d'un point de vue légal. C'était cela l'une

28 des raisons qui a motivé la prorogation de cette constitution et de ces

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1 dispositions, en particulier l'article 135.

2 Q. Mais ce que j'essaie de vous demander, c'est la chose suivante :

3 Si la Serbie en cas de décomposition de la fédération, si la Serbie pouvait

4 se doter de sa propre constitution avec toutes ces attributions, pourquoi

5 était-il nécessaire de faire figurer cela dans la constitution de 1990 ?

6 Puisque de toute évidence c'était anticonstitutionnel, c'était contraire à

7 la constitution fédérale. Pourquoi est-ce qu'on a décidé de le faire quand

8 même à l'époque ?

9 R. Ce sont toujours ces mêmes raisons. Il me semble les avoir

10 expliquées. Il s'agit là de défendre la Serbie face à une éventuelle

11 sécession. D'ailleurs, c'est ce qui s'est passé par la suite, la sécession

12 a eu lieu. Les républiques qui ont souhaité se désengager de la Yougoslavie

13 l'ont fait. La Serbie, pour sa part, n'aurait pas eu de constitution

14 régissant des questions vitales, à savoir les questions de la défense du

15 pays, des affaires extérieures. Toute une série de domaines, les

16 communications et cetera, tout ceci n'aurait pas été régi par la

17 constitution parce qu'il n'y aurait eu que la compétence fédérale.

18 La Serbie a organisé tout cela par cette constitution-là pour pouvoir

19 faire face à une situation où la Yougoslavie, éventuellement, un jour,

20 n'existerait plus. Effectivement, c'est ce qui s'est passé en 1992, quatre

21 des six entités fédérales ont quitté la fédération et ont accédé à

22 l'indépendance en tant qu'Etats. Les deux entités restantes se sont

23 organisées pour constituer une fédération à deux membres. L'article 135

24 était toujours en vigueur. On était à même de s'attendre à ce que la Serbie

25 harmonise sa constitution avec la constitution de la Fédération de la

26 République fédérale de Yougoslavie de 1992. Cependant, l'article 135 a

27 permis de proroger la valeur de l'article 135. Même en 2003, au moment de

28 la charte constitutionnelle, l'article reste en vigueur jusqu'en 2006.

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1 Q. Les pouvoirs serbes, comment auraient-ils agi, à votre avis, si

2 en 1989 le Kosovo ou la Vojvodine aurait modifié leurs constitutions pour

3 se doter d'une disposition analogue ?

4 R. Le Kosovo et la Vojvodine n'étaient pas sujets à part entière de

5 la fédération. L'article 2 de la constitution fédérale de 1974 énumère six

6 entités fédérales, le Kosovo et la Vojvodine ne figurent pas parmi celles-

7 ci. Ces deux provinces faisaient partie de la République de Serbie; donc,

8 ne pouvaient pas opérer une sécession par rapport à la fédération. Ils

9 pouvaient opérer une sécession de la République de Serbie.

10 Q. Je vous prie de faire preuve de patience avec moi, puisque je ne

11 suis pas du tout un expert dans ce domaine.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous allez poser d'autres

13 questions là-dessus, puisqu'on vous a répondu à la question ?

14 M. HANNIS : [interprétation] Non, je ne vais pas faire cela.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Professeur, la question n'était pas au

16 sujet de la relation entre le Kosovo et la Vojvodine, et la fédération;

17 c'était au sujet de la relation entre ces provinces et la Serbie. Donc, si

18 une disposition analogue avait été inscrite dans la constitution du Kosovo,

19 s'ils avaient décidé de modifier leur constitution, comment est-ce que la

20 République de Serbie aurait réagi dans ce cas de figure ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] La Cour constitutionnelle de Serbie aurait

22 déclaré cet acte anti-constitutionnel, puisqu'au contraire à la

23 constitution de la République de Serbie, qui dispose que la République de

24 Serbie comporte en son sein deux provinces autonomes. Or, la fédération n'a

25 pas déclaré que la constitution de la République de Serbie était anti-

26 constitutionnelle.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] A partir de 1989, pendant cette

28 période-la, qui va jusqu'en 1999, la Serbie avait-elle une Cour

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1 constitutionnelle ?

2 LE TÉMOIN : [interprétation] La Cour constitutionnelle existait en Serbie,

3 oui, en 1989, et cette Cour constitutionnelle était régie d'après la

4 constitution de 1974. A partir de 1990, elle était régie au terme de la

5 constitution de 1990.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Elle était constituée de manière

7 valable et fonctionnelle entre 1990 et 1999 ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Pendant toute cette période, cette cour a

9 fonctionné de manière valable, sauf en l'an 2000, ou puisque de nouveaux

10 membres de la Cour constitutionnelle n'avaient pas été proposés, vu qu'il y

11 a eu des départs à la retraite de certains anciens membres, il n'y avait

12 plus de quorum. Mais c'est quelque chose qui s'est produit uniquement en

13 2000, et ça a duré pendant un an et quatre ou cinq mois. Je ne suis pas

14 tout à fait certain. Aujourd'hui, par exemple, la Cour constitutionnelle de

15 Serbie --

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie de m'avoir répondu à

17 la question.

18 Monsieur Hannis.

19 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

20 Q. L'article 135, et le fait d'inscrire à la constitution ces attributions

21 de réserve, me semble à moi, qui ne suis qu'un profane, que compte tenu de

22 la situation à l'époque, ces dispositions pouvaient être considérées par la

23 fédération, par certaines autres républiques membres de la fédération,

24 comme une forme de menace. Parce qu'en substance, ceci dit : Voyez-vous,

25 nous avons notre armée et nous sommes prêts à nous en aller si la

26 fédération se décompose. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi ?

27 R. Mais la Serbie n'avait pas sa propre armée; il n'y avait que l'armée

28 populaire yougoslave, et c'était l'armée fédérale. C'était un des éléments

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1 de la fédération. Depuis 1974, la constitution fédérale précisait la

2 position des forces armées et la nature des forces armées.

3 Q. Mais, Professeur, en 1989 et en 1990, quelle était la composition

4 ethnique de la JNA ? Quel était le pourcentage des officiers de carrière de

5 la JNA qui étaient des Serbes ? Que savez-vous ?

6 R. Hélas, je ne peux pas vous répondre à cela. Je suis nullement un expert

7 militaire. Jamais je ne me suis penché sur cette question. Je ne saurais

8 pas vous répondre. Il va falloir vous adresser à un autre interlocuteur,

9 quelqu'un qui connaîtrait mieux ce domaine que moi. Je ne peux que

10 spéculer, mais cela n'a aucune valeur pour la Chambre.

11 Q. Je ne vais pas vous inviter à spéculer. Nous aurons ici d'autres

12 témoins qui pourront répondre à cette question, qui sont mieux à même de

13 répondre. Mais seriez d'accord pour dire que c'était la majorité, que les

14 Serbes constituaient une majorité parmi les officiers de carrière ou

15 militaires de carrière ?

16 M. ZECEVIC : [interprétation] Objection. Je ne vois pas en quoi ceci est

17 pertinent et comment est-ce que ceci ressort de l'interrogatoire principal.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais ceci n'a pas nécessairement

19 ressorti de l'interrogatoire principal. C'est de toute évidence pertinent à

20 la question, qui est de savoir comment une Serbie prête et préparée pouvait

21 se doter de ces dispositions anti-constitutionnelles au vu d'une

22 décomposition de la fédération. Et quant à savoir si plus de 50 % des

23 militaires étaient des Serbes aurait pu être quelque chose que tout le

24 monde savait. Si le témoin a la sensation qu'il ne peut pas répondre parce

25 que ce n'est pas quelque chose qui était largement connu, il peut nous le

26 dire.

27 Pouvez-vous répondre à la question, Professeur, s'il vous plaît.

28 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne suis pas en mesure de répondre à cette

Page 13310

1 question. Je suis un scientifique. Je ne peux parler que des choses que je

2 peux étayer par des faits, par des données. A cette question, je ne peux

3 pas répondre, car je ne me suis nullement intéressé d'aucune manière à

4 l'armée ni aux questions militaires.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.

6 Monsieur Hannis.

7 M. HANNIS : [interprétation]

8 Q. Merci. Qui était le président de la République de Serbie en 1990, au

9 moment où on a amendé la constitution ?

10 R. La République de Serbie n'avait absolument pas de président en 1990;

11 elle n'avait qu'une présidence. C'était un organe collégial.

12 Q. Cette présidence, avait-elle un président ?

13 R. Le président de la présidence était M. Slobodan Milosevic à l'époque.

14 Q. Est-ce que vous vous souvenez de cette partie de votre déposition dans

15 le procès contre Slobodan Milosevic ? Vous avez parlé de certaines de ces

16 questions; vous vous en souvenez ?

17 R. Oui, je me souviens.

18 Q. L'audience qui m'intéresse plus précisément est celle du 20 janvier

19 2005. On vous a posé des questions. C'est M. Nice qui vous a posé des

20 questions au sujet de l'article 135 de la constitution, et en particulier

21 vous interrogeait sur ces attributions, ces compétences de réserve portant

22 sur les affaires étrangères, le fait que le président commande les forces

23 armées de Serbie. A ce moment-là, page 35 476, on vous a demandé la chose

24 suivante, je la cite :

25 "A plusieurs reprises, vous nous avez dit que vous n'étiez qu'un

26 technicien. Vous vous êtes contenté de travailler sur la rédaction. Mais

27 dites-nous, qui vous a donné des instructions ? Qui vous a dit d'inscrire

28 cette disposition permettant à la Serbie de placer les forces armées sous

Page 13311

1 le commandement du président ? Qui vous a donné l'instruction d'inscrire

2 cette disposition exceptionnelle ?"

3 Ce sont les lignes 6 à 10. Il y a eu un débat. M. Milosevic est intervenu,

4 et finalement, M. Nice vous a demandé encore une fois si vous pouviez

5 répondre. Page 35 477, le Juge Robinson vous a demandé, Professeur : "Qui

6 vous a donné les instructions de rédiger cela ?"

7 Et vous avez répondu, Monsieur, dans votre réponse : "J'ai compris la

8 question, et la réponse ne comporte qu'un seul mot : "Personne."

9 Vous vous rappelez cette question et cette réponse ?

10 R. Oui, je m'en souviens. Hier, je vous ai expliqué comment a fonctionné

11 la commission constitutionnelle. C'était un organe collectif. Ce n'était

12 pas moi, l'auteur de la constitution.

13 Q. Oui, je comprends. Mais je pense que nous serons d'accord sur le fait

14 que cet article 135 est un article nouveau. Il n'est pas habituel de le

15 voir. C'est quelque chose d'extraordinaire. Vous deviez y penser à

16 l'époque. Est-ce que vous vous souveniez qui a été le premier à proposer

17 d'inscrire ce genre de disposition, la disposition qui est devenue

18 l'article 135 ?

19 R. Pour autant que je m'en souviens - à savoir que 17 années se sont

20 écoulées depuis - ce genre de proposition, et ce, pour des raisons tout à

21 fait compréhensibles vu la réalité des choses à l'époque, des questions

22 économiques et autre, c'est le président du conseil exécutif de la

23 république de l'époque, M. Stanko Radmilovic. C'est lui qui a proposé cela

24 pour autant que je m'en souvienne, si je ne m'abuse. A l'époque, il a

25 fourni des arguments très forts pour étayer cela. Voyez-vous, le paragraphe

26 2 parle de compensation. Il s'agit avant tout de quelque chose qui

27 répondait à des questions économiques, à une situation économique. Voyez-

28 vous ce qui est dit :

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1 "Si la position d'égalité de la République de Serbie est mise en danger, et

2 si en même temps des compensations ne sont prévues, alors compensation

3 c'est une catégorie que l'on empreinte à la constitution fédérale, les

4 organes de la république prennent des actes visant à défendre les intérêts

5 de la république."

6 C'est une disposition qui cherche à protéger les intérêts de la Serbie. Si

7 ces intérêts étaient menacés au sein de la fédération, ou si la fédération

8 vient à se décomposer par voie de sécession, ces dispositions

9 s'appliqueront. La république de Serbie aura la possibilité de se doter

10 d'actes lui permettant de protéger ses intérêts si le mécanisme de

11 solidarité fédérale sous forme de compensation n'était plus là. Dans mon

12 rapport d'expert, me semble-t-il, je cite un article de la constitution de

13 1974 qui a régi la question de compensation.

14 Q. Très bien. Pour enchaîner, je vais vous poser une ou deux questions.

15 Dites-nous, M. Stanko Radmilovic, il était, d'après vous, à l'époque à la

16 tête du Conseil exécutif fédéral ?

17 R. Non, Conseil exécutif de la république. Ai-je dit "fédéral" ?

18 Q. C'est ce qui figure dans le compte rendu d'audience. Donc, de la

19 République de Serbie --

20 R. Oui, de la République de Serbie. Excusez-moi.

21 Q. Très bien. S'agissant de la disposition qui porte sur la compensation,

22 je comprends ce qui aurait pu l'amener à en parler, mais est-ce que vous

23 êtes en train de nous dire que c'est lui qui a proposé la disposition

24 comportant le commandement des forces armées par le président de la Serbie,

25 ou aussi la disposition portant sur les affaires étrangères ?

26 R. Non, non. Il n'avait pas en vue cette situation-là. C'est l'économie

27 uniquement qui l'intéressait et qu'il a prise en compte. C'est par la suite

28 qu'il s'est avéré qu'il fallait adopter une approche plus globale à cette

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1 question, que c'était quelque chose de plus complexe. C'était de manière

2 collective qu'on s'est rendu compte de cela, mais M. Radmilovic n'a parlé

3 que de l'économie.

4 Q. Mais parce que vous parlez de comité et de manière collective, est-ce

5 que vous entendez par là le comité de coordination, un organe plus

6 restreint ?

7 R. C'est surtout la commission de coordination qui a formulé les

8 dispositions. Lors de la réunion plénière de la commission

9 constitutionnelle, on a apporté des corrections, des corrections visant à

10 corriger des dispositions déjà formulées par la commission de vérification.

11 Q. Au sein de ce comité restreint, comment est-ce qu'il s'est avéré que

12 cet article était nécessaire dans la constitution et qu'il fallait inscrire

13 des attributions de réserve sur les forces armées et sur un organe qui

14 allait être compétent en la matière des affaires étrangères ? Comment est-

15 ce que cela est devenu évident ? Qui a lancé cela ?

16 R. On a vu que l'économie n'était pas la seule qui allait être menacée en

17 République de Serbie. On s'est rendu compte que sa défense ainsi que les

18 relations étrangères allaient être menacées et que tout ceci n'était pas

19 régi par la constitution de Serbie de l'époque. Tout ceci relevait des

20 attributions de la fédération. A ce moment-là, on a estimé que ces

21 questions-là, elles aussi devaient être régies. Il est dit ici que

22 l'assemblée décide de la guerre et la paix. Il ne s'agit pas que du

23 président. L'assemblée et le gouvernement ont la charge de cette question

24 également.

25 Vous vous souviendrez, il y a un instant on en a parlé, en fait, on a donné

26 lecture d'un article qui dit que l'assemblée nationale décide de la guerre

27 et de la paix. Comment peut-elle décider de la guerre et de la paix,

28 puisque la constitution fédérale dit que c'est le parlement fédéral qui en

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1 décide ? Donc, il ne s'agit pas seulement du rôle joué par le président de

2 la république, mais aussi par tous les organes de l'Etat. Chacun d'entre

3 eux est doté d'une attribution de réserves, comme je les ai appelées. Il

4 s'agit là de défendre les intérêts de la République de Serbie si, comme je

5 l'ai dit, une discrimination se produisait au détriment de cette république

6 au sein de la fédération, ou si la fédération venait à disparaître. La même

7 conclusion s'imposerait à toute commission constitutionnelle qui opérerait

8 dans un Etat connaissant la situation qui était celle de la République

9 socialiste fédérative de Yougoslavie de l'époque.

10 Car on a fait des pas menant à la sécession, et cela figure dans les

11 constitutions des républiques membres de la fédération, avant que la Serbie

12 ne se dote de ces dispositions de sa constitution, donc avant qu'on adopte

13 la constitution de la Serbie, je veux dire, parce que cette constitution

14 n'est pas sécessionniste. Elle se déclare loyale à la fédération et il est

15 dit dans cette constitution que tout ce qui est prévu comme attribution

16 fédérale sera exercé au niveau de la fédération, comme cela est prévu par

17 cette constitution fédérale. Mais si des intérêts de la Serbie venaient à

18 être menacés, et qu'aucune compensation n'est prévue comme cela est prévue

19 par la constitution fédérale, à ce moment-là les organes de la république

20 vont prendre des actes permettant de protéger les intérêts de la République

21 de Serbie.

22 Q. Professeur, vous avez longuement répondu à ma question, mais j'ai

23 encore quelques incertitudes à l'esprit. J'aimerais que vous répondiez

24 éventuellement sur ce point, quant à l'identité de la personne qui a

25 proposé qu'un président puisse avoir sous ses ordres des forces armées de

26 Serbie et l'introduction de ce passage dans la nouvelle constitution ?

27 M. IVETIC : [interprétation] Monsieur le Président, je pense que cette

28 question a été posée et a reçu réponse. Il a donné le nom du général qui a

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1 proposé ces amendements. Je ne sais pas pourquoi nous perdons du temps sur

2 ce point-là.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Qui était-ce, Maître Ivetic ?

4 M. IVETIC : [interprétation] Le secrétariat de la république chargé des

5 questions constitutionnelles. Je pense que c'était M. Radinovic.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Radmilovic, je crois, et il a été dit

7 que cet homme ne s'intéressait qu'aux questions économiques. Donc, la

8 question est tout à fait légitime et je rejette l'objection.

9 Veuillez poursuivre, Monsieur Hannis.

10 M. HANNIS : [interprétation]

11 Q. Oui, Professeur, vous rappelez-vous qui a évoqué cette question ?

12 R. En rapport avec les pouvoirs des organes d'Etat, je répète qu'il ne

13 s'agissait pas uniquement du président de la république. Car le président

14 de la république n'est pas le seul qui détient ce type de pouvoir. Il y a

15 aussi l'assemblée populaire et le gouvernement qui détenaient ces mêmes

16 pouvoirs. Il n'y a pas eu un auteur s'agissant de cet amendement. Si vous

17 pensez que c'était Slobodan Milosevic, je vous réponds, non. Ce n'est pas

18 lui qui a été à l'origine de cet amendement. Il ne s'ingérait pas dans le

19 travail de la commission constitutionnelle. La commission constitutionnelle

20 avait des experts spécialistes des questions relatives à la constitution,

21 et tout expert constitutionnel aurait pu ordonner ce genre de dispositions,

22 si le pays concerné était dans la situation dans laquelle se trouvait la

23 République de Serbie à l'époque, si cet expert avait une conscience

24 professionnelle et un certain patriotisme.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais ceci ne répond pas encore à la

26 question. Est-ce que vous ne souhaitez pas répondre ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Je souhaite répondre, absolument je souhaite

28 répondre. Mais il ne s'agissait pas d'un être humain isolé. Il s'agissait

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1 d'un groupe, d'une instance collective. Nous avons tous eu un rôle à jouer

2 dans ces questions qui ont abouti à cette décision. La commission de

3 contrôle, la commission constitutionnelle, comptaient plus de dix membres

4 chacune, donc ceci n'a pas été l'œuvre d'un seul individu. Il y a eu

5 plusieurs personnes qui ont rédigé, formulé, révisé le texte de la

6 constitution, et tous les membres de la commission constitutionnelle

7 faisaient leurs propres propositions. Je ne saurais répondre en vous disant

8 que ceci a été l'œuvre d'un seul individu et que cet individu s'appelle tel

9 et tel, parce que ce n'est pas ce qui s'est passé dans la réalité. Nous

10 étions plusieurs à être impliqués. J'ai participé à la formulation de

11 cette question en partie, mais plusieurs personnes y ont participé.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourriez-vous nous donner un exemple

13 d'une autre constitution où ce genre de mesure défensive, comme vous l'avez

14 qualifiée, a été introduite ?

15 LE TÉMOIN : [interprétation] S'agissant des constitutions des Etats

16 fédéraux, je ne connais pas d'autres constitutions fédérales qui

17 prévoiraient de telles dispositions. Comme je l'ai dit, cette disposition

18 est tout à fait exceptionnelle, s'agissant de la constitution d'un Etat

19 fédéral, mais c'est l'expression d'une situation extraordinaire.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

21 M. HANNIS : [interprétation]

22 Q. Professeur, je suppose que la raison pour laquelle je persiste à vous

23 renouveler mes questions, c'est que vous avez dit qu'il était très

24 exceptionnel pour une constitution de comporter une disposition de ce genre

25 et que les circonstances dans lesquelles vous vous êtes trouvé à cette

26 époque-là étaient très exceptionnelles également. C'est la raison pour

27 laquelle, il me semble, que cet événement devrait avoir été retenu de façon

28 plus profonde par votre mémoire, Professeur, car vous étiez professeur de

Page 13317

1 droit constitutionnel, vous l'étiez depuis de nombreuses années. Il me

2 semble que, dans ce domaine, il y a sans doute des tâches plus ou moins

3 passionnantes ou intéressantes à accomplir, et que l'une des tâches les

4 plus passionnantes de votre carrière a été la rédaction de la nouvelle

5 constitution et l'introduction de cette disposition tout à fait unique en

6 son genre, qui était manifestement anticonstitutionnelle, mais a été mise

7 noir sur blanc pour s'efforcer de répondre aux aspects très spécifiques de

8 la période en cours à l'époque et des circonstances en vigueur. Professeur,

9 ceci a dû être extrêmement passionnant pour vous, n'est-ce pas ?

10 R. Professionnel, oui. Cette époque a été très passionnante, pour

11 reprendre les mots utilisés par vous. Mais sur le plan humain, il est tout

12 à fait compréhensible qu'un pays veuille se défendre, y compris par des

13 moyens constitutionnels. Dans votre pays, entre 1861 et 1865, une guerre

14 civile a fait rage contre des sécessionnistes, et dans le cas dont nous

15 parlons, cela n'a pas été une guerre civile menée avec des armes, mais nous

16 avons mené la guerre avec des constitutions, et je pense que nous avons

17 moins versé le sang que cela n'a été le cas de 1861 à 1865 aux Etats-Unis.

18 La situation était pourtant assez semblable. Vous avez eu une guerre

19 opposant les sécessionnistes aux loyalistes à la fédération, mais dans

20 notre cas, même si la guerre se menait avec des moyens constitutionnels, la

21 situation était semblable, cela dit elle n'a pas été menée avec des armes.

22 Q. Comprenez-moi bien, Professeur, je n'ai aucune intention de vous

23 manquer de respect. Je pense que cette constitution rédigée par vos soins a

24 été une œuvre très créative, où vous avez essayé de répondre à la

25 situation. Mais c'est exactement pour cette raison que j'ai quelque mal à

26 admettre la réponse que vous faites en disant que vous ne savez pas qui a

27 évoqué le premier cette question parce que cela s'est produit au sein d'un

28 groupe. Il me semble que ceci aurait dû marquer davantage votre mémoire.

Page 13318

1 En rapport avec ceci, je trouve votre réponse intéressante à un

2 deuxième titre. Vous avez parlé de quelque chose qui n'était pas dans ma

3 question. Je n'ai pas parlé de l'homme que vous avez évoqué, hormis le fait

4 de dire qu'il était président de la présidence à l'époque. Il me semble que

5 votre attitude a été légèrement défensive par anticipation, comme l'est

6 d'ailleurs le contenu de l'article 135 de la constitution. Pourriez-vous me

7 dire si vous vous rappelez qui a évoqué la question de l'inclusion d'une

8 disposition portant sur les forces armées de Serbie ?

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic.

10 M. ZECEVIC : [interprétation] Je crois, Monsieur le Président, que

11 cette question a reçu trois fois une réponse.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pensais que vous vous seriez

13 davantage préoccupé de l'aspect polémique de la question.

14 M. ZECEVIC : [interprétation] C'est aussi une préoccupation, Monsieur

15 le Président, mais je fais remarquer que c'est au moins la troisième fois

16 que cette question est posée, ce qui est inacceptable. Monsieur le

17 Président, vous avez posé la question, le Professeur y a répondu; et

18 maintenant la question est encore une nouvelle fois posée. Cela fait au

19 moins trois fois.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'entends ce que vous dites,

21 Maître Zecevic, mais il me semble que c'est une question importante.

22 Quelqu'un doit avoir dit un jour : bien, ce serait préférable que nous

23 ayons une armée et un ministère des Affaires étrangères. Tout ce que M.

24 Hannis est en train d'essayer de faire c'est voir qui était à l'origine de

25 ce débat.

26 Entendons si le témoin a un souvenir à ce sujet.

27 Pourriez-vous nous aider en allant un peu plus loin dans votre

28 réponse, Professeur ?

Page 13319

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci. Je vous dois une explication. J'ai

2 parlé du président Milosevic parce que vous aviez parlé de M. Nice. M. Nice

3 voulait que je dise que c'était le président Milosevic qui avait donné des

4 ordres et comme vous parlez de M. Nice, je vous réponds en mentionnant le

5 président Milosevic. Toutefois, j'assume pleinement la responsabilité de

6 mes dires, à savoir que cette proposition n'est pas venue d'un individu.

7 C'était une opinion collective, celle de plusieurs experts qui

8 travaillaient au sein de l'instance chargée de la coordination.

9 Il m'est très difficile de dire quelle disposition ou quelle

10 référence a été proposée initialement par telle ou telle personne. La

11 rédaction de la constitution a été un travail collectif en tant que tel. La

12 constitution a été adoptée par l'assemblée populaire. Chaque député de

13 l'assemblée populaire avait la possibilité de proposer des amendements pour

14 modifier celle-ci. Les constitutions sont une œuvre de rédaction

15 collective. Comment est-ce que s'agissant de votre constitution vous

16 pourriez savoir qui a été l'auteur de chacun des sept articles dont nous

17 sommes en train de discuter. Ce sont les participants à la convention de

18 Philadelphie, tous ensemble, qui sont à l'origine de la constitution de

19 votre pays et pas un individu seul. Est-ce que vous pourriez me dire qui

20 est l'auteur de ce texte, ou est-ce que l'auteur est une collectivité ?

21 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Professeur, quand vous avez

22 fait référence à la constitution américaine, je peux vous dire que nous

23 avons les journaux fédéralistes qui indiquent qui a écrit quoi, parce que

24 chacun gribouillait et écrivait quelque chose sur le papier. On a le détail

25 des objections qui ont été soulevées. On sait qui a fait quelle

26 proposition, et ceci est tout à fait différent de l'époque des Pères

27 Fondateurs. Est-ce que vous avez, vous, un journal de ce genre ?

28 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, nous n'avons pas un document de ce

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1 genre, parce que nous n'avons pas pris note de ce genre de chose.

2 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Mais est-ce que vous avez mis

3 par écrit comme l'affaire Hamilton, les notes dissidentes, ou est-ce que

4 vous n'avez pas tenu un registre aussi important que cela ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien, probablement oui, probablement

6 qu'il existe un registre sténotypique qui comporte ce genre de détail. Pour

7 autant que je me souvienne, c'est la commission constitutionnelle qui

8 tenait ce genre de registre. Je ne suis pas sûr pour la commission de

9 coordination, des notes aient été prises ou que des sténotypies aient été

10 enregistrées, mais il y a sûrement une trace, j'en suis sûr.

11 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Mais ce registre doit montrer qui a

12 fait quelle proposition et qui s'est opposé à quoi, je pense que c'est

13 exactement ce qu'il vous est demandé de déterminer aujourd'hui. Pouvez-vous

14 répondre ? Vous rappelez-vous ? Je vous remercierais si tel était le cas,

15 Professeur.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est l'heure de la pause, Monsieur

17 Hannis.

18 Professeur, nous devons faire la pause comme d'habitude à cette heure-ci.

19 Vous voudrez bien accompagner l'huissier. Nous nous retrouverons dans cette

20 salle à 11 heures 15.

21 [Le témoin quitte la barre]

22 --- L'audience est suspendue à 10 heures 47.

23 --- L'audience est reprise à 11 heures 16.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic, pouvez-vous me

25 rappeler à quel endroit nous pouvons trouver la liste des membres de la

26 commission chargée de la rédaction de la constitution ? Y a-t-il un

27 document où cette liste figure ?

28 M. ZECEVIC : [interprétation] Non, Monsieur le Président, je ne crois pas

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1 que nous ayons proposé un tel document. Mais si les Juges de la Chambre le

2 souhaite --

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non, non, non. Je voulais simplement

4 savoir quelle était la situation, c'est tout. Je vous remercie. Merci,

5 merci.

6 [Le témoin vient à la barre]

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Professeur, j'aurais quelques

8 questions à vous poser moi-même avant la reprise du contre-interrogatoire.

9 Je crois me rappeler que vous avez dit quels étaient les membres de la

10 commission chargée de rédiger la constitution. Si je me souviens bien, vous

11 avez dit que cette commission était présidée par le président de

12 l'assemblée, n'est-ce pas ?

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, tout à fait. Par ailleurs, la composition

14 de cette commission a été publiée par le journal officiel de la République

15 de Serbie. La liste des membres de la commission constitutionnelle a été

16 publiée; ce n'est pas du tout un secret.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais nous n'avons pas vu ce document

18 durant votre déposition, si je ne m'abuse. Je voudrais simplement que ceci

19 soit précisé. Nous n'avons pas reçu ce document, ce qui pourrait peut-être

20 avoir de l'importance. Combien de membres de cette commission étaient des

21 représentants politiques ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois que les représentants politiques

23 constituaient la majorité de la commission. Quand je suis devenu membre de

24 la commission, j'ai pour ma part été engagé en tant que professionnel. A

25 l'époque je ne m'occupais absolument pas de la politique.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il existait un deuxième groupe plus

27 petit. Pourriez-vous me rappeler la dénomination ?

28 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce groupe était désigné sous les mots de

Page 13322

1 comité de coordination de la commission constitutionnelle.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Combien de membres du comité de

3 coordination étaient des représentants politiques ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Hormis Zoran Sokolovic, décédé aujourd'hui, et

5 Slobodan Vucetic, je crois qu'il n'y avait pas d'autres représentants

6 politiques au sein du comité de coordination. Tous les autres membres

7 avaient été choisis pour leurs spécialités professionnelles.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourriez-vous nous rappeler quelles

9 étaient les fonctions de MM. Sokolovic et Vucetic à l'époque ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] M. Sokolovic était à l'époque président de

11 l'assemblée, et M. Vucetic était membre de la présidence de la République

12 socialiste de Serbie. Je dis bien de la République socialiste de Serbie.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous pose toutes ces questions car

14 certains pourraient avoir le sentiment que la décision d'introduire ces

15 dispositions exceptionnelles dans la constitution avait été motivée par des

16 considérations politiques plutôt que juridiques. Je vous demande : est-ce

17 que cette décision n'a pas été une décision politique ?

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Voyez-vous, je considère que toute la

19 constitution est une entité politique, car au départ on cristallise un

20 certain nombre d'idées politiques qui ensuite sont formulées de façon

21 conforme aux normes par les juristes.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vais vous poser ma question d'une

23 façon plus précise. Certains pourraient penser que l'idée d'introduire ces

24 dispositions exceptionnelles si nous ne parlions que de ces dispositions

25 exceptionnelles dans la constitution, avait été motivée par des

26 considérations politiques prises à l'avance, eu égard à la façon dont cette

27 constitution devait être rédigée et qu'il ne s'agissait pas de propositions

28 de rédaction spontanées venant spontanément au cours du débat.

Page 13323

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Cette décision, et j'en suis tout à fait

2 certain, elle n'a pas été prise pour contourner le travail de la commission

3 constitutionnelle ou du comité de coordination de cette commission. C'est

4 au sein de la commission et du comité de coordination que cette idée est

5 venue. Maintenant, comment est-ce qu'elle est apparue ? Durant le travail

6 effectué sur la constitution, il est peu à peu devenu clair que dans la vie

7 réelle cette situation pouvait survenir, et la question s'est posée de

8 savoir quelle pouvait être la réponse de la constitution à ce genre de

9 situation si elle survenait ? Ça, c'est quelque chose qui s'est passé

10 spontanément. Ce n'est pas venu de l'extérieur, comme contrairement à

11 l'idée de modifier la constitution. Ça, je vous l'ai dit. J'ai travaillé

12 sur la rédaction de cette constitution de façon très systématique. J'ai

13 essayé de commencer par l'épine dorsale de ce que devrait être une

14 constitution, s'agissant de sa présentation et du sujet que la constitution

15 doit aborder. Quant aux décisions normatives, la rédaction a été une œuvre

16 collective.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

18 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

19 Q. Professeur, j'aimerais vous poser des questions de suivi après les

20 questions du président à l'instant. Le comité de coordination, qui était

21 l'organe de taille plus petite, est-ce que tous ses membres ont également

22 eu leurs noms publiés au journal officiel qui a publié les noms, les

23 membres de la commission constitutionnelle ?

24 R. Pour la commission constitutionnelle, je sais que les noms de tous ces

25 membres ont paru au journal officiel. Ça, j'en suis certain. Je l'ai vu de

26 mes yeux, parce qu'en tant que membre de cette commission, j'ai reçu, bien

27 sûr, une livraison de ce journal officiel. Quant au comité de coordination,

28 je n'en suis pas certain, mais je suis sûr que tous les noms paraissent

Page 13324

1 dans les notes de sténotypie de réunions de la commission

2 constitutionnelle, et je suis certain qu'on y trouve les détails de la

3 composition du comité de coordination. Peut-être celui a-t-il également été

4 publié au journal officiel, mais je ne saurais l'affirmer avec certitude

5 contrairement à la composition de la commission constitutionnelle qui,

6 elle, a été publiée parce que je l'ai vue des mes yeux.

7 Q. Savez-vous où se trouve les notes de sténotypie des séances de la

8 commission constitutionnelle aujourd'hui, et est-ce qu'elles pourraient

9 être conservées et archivées ?

10 R. Elles se trouvent certainement dans les archives de l'assemblée. Ces

11 archives n'ont pas été détruites; elles existent toujours. Si je ne

12 m'abuse, il y a eu un jour ou un extrait des notes de sténotypie était

13 nécessaire et elles ont été trouvées dans les archives de Zeleznik, qui est

14 un quartier périphérique de Belgrade.

15 Q. Je vous remercie, Professeur. Et le comité de coordination, je ne me

16 souviens plus si vous avez répondu à cette question. Qui a décidé des

17 candidatures ou des nominations au comité de coordination ?

18 R. La décision a été celle de la commission constitutionnelle. C'est elle

19 qui a décidé que dans ses rangs elle allait constituer un groupe de taille

20 plus restreinte qui travaillerait à l'élaboration de la constitution, car

21 la commission constitutionnelle comptait plusieurs dizaines de membres, et

22 il est difficile de s'attendre à ce qu'un groupe aussi important travaille

23 de façon efficace. Donc, la commission constitutionnelle a choisi les

24 membres du comité de coordination. Et je répète que ce comité de

25 coordination comptait des membres qui étaient avant tout des professionnels

26 spécialisés dans des domaines déterminés.

27 Q. Mais il y avait aussi quelques responsables politiques ?

28 R. Oui, y compris deux responsables politiques. Mais Slobodan Vucetic est

Page 13325

1 un responsable politique, certes, mais également très spécialisé sur le

2 plan professionnel dans toutes ces questions. M. Sokolovic n'était pas

3 quelqu'un qui avait une formation juridique, mais il a participé à l'examen

4 des solutions proposées. Il ne pouvait pas déterminer le style de la

5 rédaction parce que ce n'était pas un juriste, mais en tout cas les deux

6 représentants politiques dont nous parlons n'étaient pas des analphabètes

7 en matière de droit, ils étaient très informés, très instruits de toutes

8 ces questions.

9 Q. Je vous remercie. Je pense qu'en répondant aux questions du président

10 au début de l'audience, quant au fait de savoir si la décision était avant

11 tout politique, vous affirmez, certes, que tout cela s'est passé

12 spontanément au sein du comité de coordination, mais n'existe-t-il pas une

13 possibilité au moins que l'un de membres du comité de coordination ait

14 voulu introduire ce sujet dans le débat après que la demande lui en est été

15 faite par quelqu'un qui se serait situé en dehors du comité de coordination

16 ? Vous ne pouvez pas exclure cette possibilité, n'est-ce pas ?

17 R. Croyez-moi, à l'époque où cette disposition a été proposée, personne

18 n'attachait à celle-ci le genre d'importance que l'on lui attache

19 aujourd'hui. Cette disposition a été placée au centre de toutes les

20 attentions grâce à ce Tribunal, le Tribunal de La Haye. Les projecteurs se

21 sont centrés sur cette disposition à partir de ce qu'a fait le Tribunal de

22 La Haye sur cette disposition particulière. Nous n'avions pas la moindre

23 idée que cette disposition aurait un jour une telle importance, qu'elle

24 deviendrait d'une importance capitale par rapport à l'examen de la

25 constitution. Nous, nous étions concentrés sur des questions tout à fait

26 différentes, et c'est à ces questions que nous avons consacré toute notre

27 énergie.

28 Ici, on attache à cette disposition une très grande importance, mais pour

Page 13326

1 ce qui nous concerne, nous avons participé à la rédaction d'une

2 constitution sans attacher une importance particulière à cette disposition

3 précise. C'était simplement une façon de réagir à la situation qui existait

4 dans la réalité, et qui au départ n'a pas été une réaction normative en

5 tant que telle, donc ce n'était pas une réaction motivée uniquement par le

6 fait que le pays était une fédération, mais c'était en tout cas une

7 réaction indispensable, incontournable. C'est ce qu'ont fait aussi les

8 autres républiques socialistes, pas toujours dans la plus grande équité,

9 mais en tout cas, c'est la République de Slovénie qui a initié ce genre de

10 travail. Pourquoi est-ce que la Serbie aurait dû mourir en beauté dans le

11 droit fil du droit ou sans que justice prévale. A l'époque, l'avantage

12 était accordé à d'autres valeurs.

13 Q. Si nous pouvions disposer du journal officiel dans lequel sont publiés

14 les noms de tous les membres de la commission constitutionnelle, est-ce que

15 vous pourriez, à la lecture de cette liste, nous dire qui étaient les

16 membres de la commission constitution qui étaient également membres du

17 comité de coordination ?

18 R. Je pense que oui. Je ne pense pas que je pourrais le faire sans erreur

19 de mémoire, mais avec l'aide de M. Slobodan Vucetic, je pourrais

20 certainement déterminer qui étaient les membres de la commission, qui

21 étaient membres du comité de coordination.

22 Q. Je vous remercie.

23 R. Excusez-moi. En fait, certains noms me reviennent en mémoire, mais je

24 ne suis pas sûr de pouvoir vous les donner tous.

25 Q. Pourriez-vous me dire quels sont les noms que vous avez en mémoire ?

26 R. Je suis certain que le secrétaire chargé des questions législatives en

27 faisait partie. Il s'agit du M. Negovan Kljac; je pense que le vice

28 secrétaire de l'assemblée, M. Perisa Jovanovic en faisait également partie;

Page 13327

1 ainsi que M. Vladan Kutlesic; puis, M. Zoran Sokolovic; et M. Slobodan

2 Vucetic, que j'ai déjà cité, et moi-même. Il y en avait certainement

3 d'autres, mais quelquefois je me souviens des visages et pas des noms.

4 Q. Croyez-moi, j'ai déjà vécu cela également, Professeur. Les noms que

5 vous venez de citer, M. Kljajic, M. Jovanovic, M. Kutlesic, d'après ce que

6 vous avez dit vous-même, il semble qu'il s'agissait également de

7 représentants politiques. Je croyais, lorsque j'ai entendu votre première

8 réponse à cette question, vous avoir entendu parler uniquement de deux

9 représentants politiques au sein du comité de coordination ?

10 R. Non, ce n'était pas des représentants politiques. Negovan Kljajic était

11 un professionnel de la rédaction des lois. Il était fonctionnaire du

12 secrétariat chargé de la proposition des lois au niveau de la république.

13 C'était donc un fonctionnaire, pas un représentant politique. Perisa

14 Jovanovic, aussi, venait de l'assemblée chargée du fonctionnement des

15 administrations. M. Kutlesic était pour sa part fonctionnaire du

16 secrétariat fédéral chargé de la rédaction des lois. Donc, ils étaient tous

17 fonctionnaires, hauts fonctionnaires, mais pas représentants politiques.

18 Q. Merci de ces explications. Passons maintenant à un autre sujet. Vous

19 avez parlé lundi, en page 12 938 du compte rendu d'audience, de ce qui

20 suit. Je cite : "En règle générale, la constitution fédérale a prédominance

21 sur la constitution des républiques." J'ai cru comprendre qu'il s'agissait

22 d'un principe général, mais est-ce que ceci est écrit quelque part dans la

23 constitution ou dans l'une ou l'autre des lois de Yougoslavie, ou est-ce

24 simplement un principe général ?

25 R. Cela figure noir sur blanc dans la constitution de la République

26 fédérale de Yougoslavie, à l'article 115 de celle-ci, en trois paragraphes.

27 Q. Merci. Pour ce qui est de l'article 85 de la constitution de la

28 République de Serbie, constitution de 1990, je crois que c'est la

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1 disposition qui parle des pouvoirs du président lorsqu'il doit demander au

2 gouvernement de déclarer quelle est sa position sur certaines questions qui

3 relèvent de sa compétence. Pourriez-vous nous dire comment ceci fonctionne.

4 Est-ce que le président doit faire une demande écrite officielle ? Est-ce

5 que c'est quelque chose qu'il peut faire oralement ? Veuillez nous dire

6 comment ceci fonctionne.

7 R. Ceci n'a pas grand-chose à voir avec la position constitutionnelle. Je

8 ne sais pas quel terme vous avez utilisé en anglais, mais ceci a trait au

9 point de vue, par rapport à son domaine de compétence, et ce qui relève de

10 sa compétence. Le président de la république demande au gouvernement de

11 recueillir les différents avis dans leurs domaines de compétence, et c'est

12 ce qu'ils font. Ensuite, ceci est soumis par écrit, une réponse est envoyée

13 par écrit également. Ceci est régi par la loi sur le gouvernement, et c'est

14 régi dans le temps. On donne un délai minimum de 48 heures, ce qui permet

15 au gouvernement de préparer sa position, son point de vue. Ceci est préparé

16 par le ministère en question. Cela dépend du domaine de compétence du

17 ministère en question pour lequel le président souhaite recueillir l'avis

18 du gouvernement.

19 Ceci s'est passé souvent pendant la période de cohabitation, comme cela

20 s'appelait à l'époque, et surtout lorsque la majorité au gouvernement n'est

21 pas celle du même parti politique ou qu'il y a d'autres partis politiques

22 que celui du président de la république, qui n'est pas représenté au sein

23 de la majorité parlementaire. Ceci a été institué par le président actuel,

24 M. Boris Tadic, qui s'est tourné vers le gouvernement pour lui demander de

25 prendre position et de donner son avis sur certaines questions. C'est ainsi

26 qu'il essayait de faire avancer et d'accélérer les décisions prises par le

27 gouvernement. Ceci a été fait -- pardonnez-moi, je me suis mal exprimé.

28 C'est ainsi que l'opinion publique était tenue informée du fait que le

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1 président avait demandé au gouvernement de prendre position sur des

2 questions qui étaient des questions qui avaient trait à la vie de tous les

3 jours, par exemple, les maladies infectieuses, la sécheresse, et cetera.

4 Qu'est-ce que le gouvernement a l'intention de faire, quelle est la

5 position qu'il souhaite adopter par rapport à telle ou telle question.

6 A l'époque où le président de la république venait du même parti que le

7 parti qui avait la majorité au parlement, je ne sais pas si ceci était

8 appliqué à l'époque, mais si ceci était appliqué, ceci devait être appliqué

9 très rarement.

10 Q. Dans votre déposition, à la page 12 957, je crois avoir compris que

11 vous avez dit que ceci a été assez important pour le président dans

12 l'accomplissement de ses tâches. Pourquoi ceci était-il important pour le

13 président ?

14 R. C'était important pour le président puisqu'il a des pouvoirs limités,

15 d'après l'article 83 de la constitution, mais il est néanmoins en mesure de

16 communiquer avec le public. Lorsque vous regardez quels sont les besoins au

17 quotidien du public, à ce moment-là, ceci l'incite à réagir. Il recueille

18 non seulement des éléments d'information, ceci est vrai, et ceci se traduit

19 par cela. Devant le public, il influe sur le gouvernement, exerce des

20 pressions. Cela n'est pas sous la forme de sanction, mais il souhaite faire

21 réagir le gouvernement sur un certain nombre de thèmes brûlants.

22 Je ne me souviens pas exactement sur quelles questions le président

23 Tadic a demandé au gouvernement de prendre position, parce que le

24 gouvernement pouvait se démarquer par rapport à de telles demandes. Ceci a

25 été réglementé plus en détail dans la nouvelle loi sur le gouvernement qui

26 a été adoptée en 2005. En fait, je n'ai pas préparé quelque chose pour

27 cette question-là. Je n'ai pas apporté ce texte de loi.

28 Q. Il me semble que, d'après les pouvoirs dont était investi le

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1 président au terme de la constitution, qu'il s'agit là d'un de ses

2 meilleurs instruments, n'est-ce pas ?

3 R. Je ne peux pas être d'accord avec vous et je vais vous dire pourquoi.

4 S'il n'est pas satisfait de la position adoptée par le gouvernement, le

5 président de la république, hormis son insatisfaction personnelle, n'a

6 aucune autre voie de recours. Il ne peut pas demander à l'assemblée de

7 rappeler le ministre ou le premier ministre. Comme je l'ai dit, tout

8 simplement, il peut simplement montrer son insatisfaction, mais il n'a

9 aucun instrument constitutionnel à sa disposition.

10 Le gouvernement peut adopter toutes les positions qu'il souhaite. Le

11 président de la république peut ne pas être d'accord, mais il ne peut rien

12 faire d'autre.

13 Q. J'entends bien. Il ne peut pas formellement révoquer un ministre ou le

14 démettre de ses fonctions, d'après ce que je comprends, au terme de la

15 constitution. Il ne peut pas faire cela de manière officielle, puisque

16 c'est un président qui est élu au suffrage universel, n'est-ce pas ?

17 R. C'est exact. Cette institution est particulièrement précieuse justement

18 parce qu'elle a cette légitimité démocratique; c'est très symbolique. Ceci

19 fait partie de l'institution même des pouvoirs dont il dispose. Le

20 président de la république a une autorité parce qu'il représente les

21 valeurs démocratiques. Il a été élu au suffrage universel. Mais, au terme

22 de la constitution, cela n'est pas quelqu'un qui dispose d'énormément de

23 pouvoir.

24 Q. Mais dans la vie de tous le jours, conviendrez-vous avec moi qu'un

25 président qui est populaire, qui mobilise les médias, qui se repose sur sa

26 popularité, parce qu'il a été élu par le peuple, sur certaines questions,

27 pourra peut-être en réalité provoquer des changements ? Si, par exemple, il

28 demande à un ministère de donner sa position sur des questions

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1 controversées, difficiles, à ce moment-là il pourrait peut-être effectuer

2 des changements, même s'il n'en a pas le pouvoir au terme de la

3 constitution.

4 R. Oui, c'est exact, vous avez tout à fait raison. Mais qu'est-ce que vous

5 laissez entendre ici ? Il dirige le principal parti politique. Si c'est le

6 président qui est à la tête du principal parti politique, et si ce parti à

7 la majorité au parlement, à ce moment-là, c'est important si c'est un

8 gouvernement de coalition. Mais, si le président de surcroît, en tant que

9 personne, a beaucoup de charisme, à ce moment-là, c'est envisageable, c'est

10 possible. Sinon, un président qui n'est pas à la tête d'un parti politique

11 se trouve handicapé, parce qu'il n'a pas le même pouvoir au plan politique,

12 en fait, de pouvoirs qui ne sont pas ceux dont il est investi par la

13 constitution. Il n'a pas les mêmes pouvoirs que quelqu'un qui est à la tête

14 d'un parti politique.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je suppose qu'en Serbie, il peut y

16 avoir des circonstances dans lesquelles un gouvernement peut, dans

17 l'exercice de ses fonctions et au fil des jours, devenir impopulaire ?

18 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est exact. Oui, bien sûr.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vos réponses ne tiennent pas du fait

20 qu'un gouvernement est toujours populaire. Vous ne vous basez pas sur

21 l'hypothèse qu'un gouvernement est toujours populaire lorsque vous avez

22 répondu aux questions.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Un gouvernement peut parfois être très

24 impopulaire, mais pour autant que la majorité parlementaire reste stable,

25 le gouvernement est en place. Donc, c'est une question morale. Pour autant

26 qu'elle dispose de la majorité au parlement, elle a le pouvoir. Le

27 gouvernement devra rendre des comptes lors des élections suivantes, et il

28 peut être sanctionné si le parti d'opposition, à ce moment-là, gagne les

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1 élections. Mais le gouvernement peut fonctionner même s'il est très

2 impopulaire, en particulier dans nos régions où les gens critiquent

3 toujours le gouvernement, et pensent toujours que le gouvernement est

4 responsable de tous ses malheurs.

5 M. HANNIS : [interprétation]

6 Q. Bien. Professeur, nous allons passer à la journée de mardi de cette

7 semaine. En début de journée mardi, nous avons parlé de la prestation de

8 serment d'un président par rapport à la constitution. Je crois que vous

9 avez dit qu'il y a un mécanisme au sein de la constitution qui permet de

10 mettre en exergue la responsabilité du président à l'égard de ses citoyens;

11 est-ce exact ? Est-ce que vous parliez d'autre chose ? Vous parliez peut-

12 être d'autre chose ? Vous ne parliez pas de la prestation de serment.

13 R. Ma thèse pour l'essentiel a toujours été celle-ci. Une prestation de

14 serment n'est pas une norme constitutionnelle, ce qui apparaît clairement

15 par le fait que ceci est placé entre des guillemets. Donc, c'est un texte

16 que quelqu'un d'autre prononce. Ce n'est pas la constitution qui le dit,

17 cela c'est le premier point. Le deuxième point, c'est qu'un serment a une

18 connotation morale, a une valeur morale, et un serment relève de la

19 crédibilité. Est-ce que le président de la république sera crédible ou non

20 ?

21 Le serment englobe certaines valeurs qui sont essentielles pour tout Etat,

22 comme l'intégrité territoriale, le souveraineté d'un Etat, la protection

23 des droits de l'homme et des droits des citoyens, la défense de la

24 constitution, le maintien de la paix et le bien être des citoyens, mais ce

25 n'est pas le président de la république qui en réalité peut défendre la

26 souveraineté et l'intégrité territoriale d'un pays; ceci sera fait par les

27 forces armées. Lui n'est pas la personne qui peut protéger les droits de

28 l'homme et les droits des citoyens. C'est aux tribunaux de se charger de

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1 cela et à la cour constitutionnelle. Ainsi, la loi sera défendue par les

2 tribunaux et par la cour constitutionnelle. Le bien-être et la prospérité

3 dépendront de l'économie et des autres activités annexes.

4 Si on regarde ceci de plus près, lorsque le président de la république

5 prête serment pour dire qu'il va protéger, il s'agit de valeurs qui sont

6 appliquées par tout Etat. Il ne peut pas être tenu pour responsable s'il ne

7 respecte pas ces valeurs, parce que ce n'est pas lui qui peut les faire

8 appliquer. Ce qu'il exprime simplement, c'est sa loyauté, il indique qu'il

9 partage ces valeurs-là avec ses concitoyens. C'est la raison pour laquelle

10 j'estimais que la responsabilité au plan juridique du président de la

11 république ne peut pas se fonder sur un manquement à son serment. Il ne

12 peut qu'avoir une responsabilité morale et politique s'il ne respecte pas

13 le serment qu'il a donné. Voilà ma position. J'espère que j'ai été

14 suffisamment clair.

15 Q. Par exemple, nous avons évoqué, un peu plus tôt, le droit du président

16 de demander à son gouvernement de donner sa position. Lorsque le président

17 élu au suffrage universel n'est pas d'accord avec son gouvernement, que le

18 gouvernement est impopulaire à propos d'une question donnée; est-ce que le

19 président, à ce moment-là, peut invoquer ce serment, lorsqu'il se tourne

20 vers le gouvernement pour lui demander quelle est sa position, et faire

21 cela devant le public, en disant, j'essaie de respecter le serment que j'ai

22 fait, de faire tous les efforts nécessaires pour protéger la paix et le

23 bien-être de tous les citoyens en demandant au gouvernement de donner sa

24 position sur, par exemple, la question des allégations faites par la

25 communauté internationale sur la VJ et le MUP, qui ont utilisé une force

26 aveugle au Kosovo ?

27 R. Je ne sais pas comment il peut demander à son gouvernement de prendre

28 position là-dessus, étant donné que les forces armées ne relèvent pas la

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1 compétence du gouvernement. Voyez-vous, il peut demander au gouvernement de

2 donner son point de vue que sur les questions qui relèvent de la compétence

3 du gouvernement, comme cela est indiqué à l'article 99. Ce n'est que --

4 Q. Oui, j'entends bien ce que vous dites, Monsieur le Professeur.

5 R. Pardonnez-moi, j'ai mal cité l'article. C'était l'article 90. C'est

6 dans cet article-là que l'on évoque les compétences du gouvernement.

7 Q. Si vous voulez bien, je vais ne pas parler de la VJ et ne parler que du

8 MUP, du ministère de l'Intérieur de la Serbie. Quelle serait votre réponse

9 dans ce cas ?

10 R. Le président peut demander à son gouvernement de présenter son point de

11 vue, mais je vais redire ceci encore une fois, il ne dispose d'aucun

12 instrument pour le faire, et il ne peut pas faire en sorte que le

13 gouvernement modifie son point de vue. Tout ce qu'il peut faire, si ceci

14 pouvait avoir un effet sur l'opinion publique, la seule chose qu'il puisse

15 faire, c'est donner sa démission.

16 Q. Combien de fois peut-il demander au gouvernement, à son gouvernement,

17 de donner son point de vue ? Par exemple, dans le cas hypothétique que je

18 vous ai cité, est-ce qu'il peut réitérer sa demande ? Est-ce qu'il peut

19 demander à nouveau au gouvernement de donner sa position sur les

20 allégations faites à propos d'un recours à la force aveugle et

21 disproportionnée par le ministère de l'Intérieur à l'encontre de civils

22 albanais à chaque fois qu'un nouveau rapport était communiqué par les

23 organisations internationales et toute autre source ? Est-ce qu'il pouvait

24 réitérer sa demande le jour même ? Ou est-ce qu'il pouvait la semaine

25 d'après refaire cette demande ?

26 R. Il n'y a quasiment aucune restriction là-dessus. Il peut faire cette

27 demande et se tourner vers son gouvernement toutes les fois qu'il le juge

28 nécessaire politiquement parlant.

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1 Q. Merci, Monsieur le Professeur. Je vais maintenant, quelques instants,

2 parler des relations entre le président et l'assemblée nationale. Je crois

3 que vous avez parlé de l'article 89 qui, si je ne me trompe pas, évoque les

4 pouvoirs du président. Il peut décider de la dissolution de l'assemblée

5 nationale sur proposition du gouvernement. D'après ce que j'ai compris, la

6 proposition doit d'abord être présentée par le gouvernement avant que le

7 président ne puisse prendre de telles mesures, n'est-ce pas ?

8 R. Oui, vous avez bien compris.

9 Q. La proposition doit être une proposition motivée. On ne peut pas

10 simplement le demander parce qu'on n'aime pas l'assemblée nationale ?

11 R. Oui. La proposition doit être motivée et les raisons doivent être très

12 convaincantes, car tout ceci est dans le domaine public.

13 Q. Ma question est : Convaincre qui ? Convaincre le président ? Convaincre

14 le public ? Convaincre les deux ?

15 R. Les raisons devaient être convaincantes, devaient à la fois convaincre

16 le président et l'opinion publique, parce qu'il s'agit là d'un geste

17 politique important, c'est le parlement, l'assemblée nationale, c'est

18 l'expression même de la volonté du pays. Si on demande une dissolution, les

19 citoyens doivent être convaincus des bonnes raisons pour lesquelles le

20 président de la république souhaite faire cette proposition, la remettre au

21 gouvernement, il faut que ceci soit justifié, parce que l'assemblée a été

22 élue conformément à leur volonté, et la composition est l'expression de

23 cela. Les forces politiques doivent être réparties de cette manière-là. Si

24 quelqu'un souhaite dissoudre l'assemblée, les raisons doivent être de

25 vraies raisons. Pour ce qui est de ce type de situations, si l'assemblée

26 est dissoute, les raisons doivent être des raisons importantes. C'est

27 quelque chose que nous avons évoqué hier.

28 Q. Lorsque vous dites que les raisons doivent être de vraies raisons ou

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1 justifiées, vous voulez dire parce qu'il y aurait des conséquences si on

2 avait l'impression que cette dissolution n'était pas justifiée ? Est-ce

3 qu'il y aurait des conséquences ?

4 R. Si le gouvernement décide de prendre de telles mesures, à savoir de

5 dissoudre l'assemblée, en règle générale, l'opinion publique est

6 convaincue, parce que le mandat du gouvernement cesse lorsque l'assemblée

7 est dissoute. Donc, l'opinion publique comprend que le gouvernement et

8 l'assemblée ont perdu leur légitimité, à ce moment-là, ceci est approuvé

9 par l'opinion publique.

10 Q. Si le gouvernement décide de soumettre cette proposition au président,

11 à savoir que l'assemblée doit être dissoute, est-ce que le président

12 dispose de pouvoirs discrétionnaires ou doit-il déclarer que l'assemblée

13 est dissoute ou déclarer l'assemblée dissoute ?

14 R. Il dispose d'un pouvoir discrétionnaire et décide de dissoudre ou non

15 l'assemblée sur une proposition motivée du gouvernement. S'il doit le

16 faire, à ce moment-là, l'assemblée sera simplement dissoute par le fait que

17 le gouvernement le souhaite. Dans bon nombre de systèmes et dans les

18 systèmes qui sont ceux de la fédération, en 1992, c'était le gouvernement

19 et non pas le président qui a dissout l'assemblée.

20 Q. Que se passerait-il dans un cas où le président décide qu'il n'est pas

21 satisfait des raisons avancées ou qu'il n'invoque aucune raison et qu'il

22 souhaite simplement ne pas dissoudre l'assemblée ? Que se passe-t-il dans

23 ce cas-là ? L'assemblée continue de siéger, que se passe-t-il, et le

24 gouvernement perd la face ?

25 R. L'assemblée continue à siéger, c'est clair, si l'assemblée n'est pas

26 dissoute. Le gouvernement, comme vous l'avez dit, perd la face parce que

27 son image a été ternie aux yeux de l'opinion publique, et le président de

28 la république n'a donc pas accepté la proposition.

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1 Q. Merci. Je vais maintenant me tourner vers les dispositions de la

2 constitution qui permettent au président - je crois qu'il s'agit de

3 l'article 132 - qui permet au président de proposer un amendement à la

4 constitution. D'après ce que j'ai compris, il peut le faire sur sa propre

5 initiative; c'est exact ?

6 R. Oui, vous avez bien compris, c'est effectivement sur sa propre

7 initiative.

8 Q. L'autre manière de faire une proposition aux fins d'amender la

9 constitution, le gouvernement peut le faire aussi, et dans ce cas, c'était

10 un groupe d'une trentaine de personnes ?

11 R. Oui, le gouvernement peut le faire également.

12 Q. La cinquantaine de députés de l'assemblée nationale ?

13 R. Oui, c'est exact, ou en tout cas, 100 000 électeurs.

14 Q. Donc, dans ce cadre-là, le rôle du président est assez important, et

15 lui peut faire la même chose, ce que peut-être d'autres pourraient faire,

16 mais ils devraient être en plus grand nombre. Ce serait 100 000 électeurs

17 ou 50 députés, ou l'ensemble du gouvernement ?

18 R. Oui, c'est exact. Comme je vous l'ai dit, on trouve la même solution

19 dans la constitution française de 1958.

20 Q. Si on établit un lien entre cette capacité qu'il a de demander à son

21 gouvernement de donner son point de vue sur un certain nombre de questions

22 et ce que vous venez d'évoquer, ceci lui permet un petit peu de remuer

23 l'opinion publique et peut-être d'introduire des changements qu'il ne

24 pourrait pas faire en vertu de ses pouvoirs constitutionnels, n'est-ce pas

25 ?

26 R. Je n'ai pas très bien compris. De quelles modifications parlez-vous ?

27 Des modifications de la constitution ?

28 R. Si le président a un avis sur une politique mise en place par le

Page 13339

1 gouvernement, ou sur des lois faites par l'assemblée nationale, donc s'il

2 n'approuve pas de cela, il n'a pas de pouvoir de veto. La constitution ne

3 le lui confère pas. Mais il peut mobiliser l'opinion publique parce que

4 c'est un président qui a été élu par la voix du peuple, les électeurs.

5 Donc, il peut remettre en question les positions du gouvernement. Il peut

6 même suggérer des amendements à apporter à la constitution, et ceci peut

7 exercer une pression sur le gouvernement, sur l'assemblée nationale, et

8 cela pourrait les entraîner à accepter certaines concessions, ou, par

9 exemple, à admettre la position adoptée par le président juste pour réduire

10 le mécontentement de la population. Vous serez d'accord avec cela ?

11 R. Ecoutez, tout ceci se situe à l'extérieur du champ couvert par la

12 constitution. Quant à savoir s'il peut mobiliser l'opinion pour obtenir un

13 soutien pour la position qu'il adopte, est-ce que l'opinion a le pouvoir

14 d'exercer des pressions sur le gouvernement, sur l'assemblée nationale,

15 tout cela ce sont des questions de faits. La loi se tait là-dessus. Comme

16 nous venons de le dire, tout ceci dépend du charisme dont jouit le

17 président, de sa capacité à retourner l'opinion contre l'assemblée

18 nationale et contre le gouvernement. Ce sont des questions de faits,

19 concrètes qui se posent.

20 Je continue de penser que le président qui a son parti politique et qui est

21 à la tête d'un parti politique est bien mieux placé envers l'opinion qu'un

22 président qui ne serait pas à la tête d'une formation politique.

23 Q. Je vous remercie. Professeur, il me semble que page 12 977, ligne 14,

24 une erreur s'est glissée. Je ne me souviens plus exactement quel a été

25 l'objet des questions et des réponses à ce moment-là. Vous étiez en train

26 de parler de l'assemblée fédérale. Vous disiez qu'elle avait le pouvoir

27 d'élire la république fédérale, mais en fait vous vouliez dire le président

28 fédéral; c'est bien cela ? C'est au sujet de la constitution de 1992 de la

Page 13340

1 République fédérale de Yougoslavie.

2 R. Oui, vous avez raison. Au sein de la fédération, c'est l'assemblée

3 fédérale qui élit le président de la République fédérale de Yougoslavie. Ce

4 ne sont pas là des citoyens qui le font en suffrages directs et j'ai

5 expliqué pourquoi. Parce qu'il y a un grand déséquilibre entre le nombre

6 d'électeurs en République de Serbie et ceux en République de Monténégro.

7 Pour ce qui est de l'assemblée fédérale, elle se compose de chambres, la

8 chambre haute. Le conseil des républiques permet d'assurer l'équilibre au

9 sein du parlement. Comme il y a représentation égale pour chacune des

10 républiques, à raison de 20 députés représentant chacune d'entre elles, il

11 est impossible qu'il y ait élection du président sans que les deux

12 républiques soient d'accord sur la nomination de l'individu en question.

13 Q. Je vous remercie. Cela répond à ma question. Un autre droit conféré au

14 président dans la constitution était un droit de veto. Si l'assemblée

15 nationale adopte une loi, l'assemblée a la possibilité de suspendre

16 l'adoption de cette loi pour sept jours, ou est-ce qu'il a sept jours à sa

17 disposition pour faire part de son rejet de cette loi ? Que signifient ces

18 sept jours ?

19 R. Premièrement, on ne peut pas publier une loi qui n'a pas été promulguée

20 précédemment par le président de la république. Une loi ne devient pas une

21 loi sans avoir été promulguée préalablement par le président. Ça, c'est

22 première chose. Une deuxième chose : le délai de sept jours court à partir

23 de l'adoption du texte de loi par l'assemblée nationale. A partir de ce

24 moment-là, on compte les sept jours qui constituent le délai pour la

25 promulgation de la loi. C'est le délai qui permet au président de la

26 république de renvoyer le texte de loi au vote à l'assemblée nationale. Je

27 dois dire que c'est le mécanisme le plus souple de suspension sous forme de

28 veto dans le droit comparé constitutionnel. Parce qu'on ne bloque pas la

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1 politique législative du gouvernement, l'activité est déployée par le

2 gouvernement sur le plan législatif, puisque c'est le gouvernement qui

3 propose des textes de loi à l'assemblée nationale. C'est juste pendant

4 cette période très brève que l'on ralentit le processus législatif.

5 Q. L'assemblée nationale, lorsqu'elle est ressaisie du même texte pour

6 adopter la loi en question, il lui fait la même majorité ou une autre

7 majorité ? Est-ce qu'il y a une autre exigence, une exigence

8 supplémentaire, à partir du moment il y a eu le renvoi du texte par le

9 président ?

10 R. La même majorité est requise pour adopter la loi en question. C'est par

11 la même majorité que se prononce l'assemblée nationale qu'elle décide. Il

12 n'y a pas de majorité qualifiée. Vous voyez, à l'article 80, il est dit :

13 "L'assemblée nationale décide par la majorité des voix lors d'une session à

14 laquelle assiste la majorité du nombre total des députés si la constitution

15 ne dispose pas autrement -- ne prévoit pas une majorité qualifiée."

16 Puisque l'article que vous avez cité, je précise, l'article 84, ne prévoit

17 pas de majorité spécifique, qualifiée, cela veut dire que la majorité

18 simple est suffisante lors s'une session à laquelle assiste la majorité du

19 nombre absolu total de députés. Donc, c'est toujours la même majorité par

20 laquelle la loi qui a fait l'objet de veto a été adoptée par l'assemblée

21 nationale.

22 Q. Professeur, vous seriez d'accord pour dire qu'en réalité, lorsqu'il y a

23 suspension d'une loi pour une période de sept jours, ça pourrait s'avérer

24 significatif en situation réelle. Un exemple, remontons un petit peu dans

25 le temps, le 20 mars 1999, si l'assemblée nationale avait adopté une loi et

26 si le président Milutinovic aurait fait l'exercice de ce droit qui est le

27 sien de renvoyer le texte, le 23 mars, avant l'expiration du délai de sept

28 jours, il y a eu déclaration de l'état de droit [comme interprété] et

Page 13342

1 l'assemblée nationale ne s'est pas réunie. Donc, quel aurait été le sort de

2 cette loi adoptée, mais renvoyée par le président ?

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic.

4 M. ZECEVIC : [interprétation] Mais c'est une question qui invite le témoin

5 à spéculer. C'est la troisième ou la quatrième question du genre qui est

6 conditionnelle au passé.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Lorsque nous avons affaire à un témoin

8 expert, les théories ont toujours leur place, sont toujours importants. Il

9 me semble que ceci n'est pas la même question que celles qui ont été posées

10 précédemment.

11 [La Chambre de première instance se concerte]

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous estimons tous que la question est

13 acceptable et nous rejetons l'objection.

14 M. HANNIS : [interprétation]

15 Q. Professeur --

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Professeur, répondez à cette question,

17 s'il vous plaît. Que se serait-il passé si on avait renvoyé un texte de loi

18 le 20 mars, lorsque l'assemblée nationale n'était pas en mesure de se

19 réunir en session ?

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Premièrement, pour autant que je le sache - et

21 j'en suis certain - le président Milutinovic n'a jamais utilisé son droit

22 de suspension, son droit de veto suspensif que lui confère l'article 84 de

23 la constitution. Quant à savoir, ce qui se serait passé d'un point de vue

24 hypothétique, vous savez très bien que vous avez le régime de "pocket veto"

25 dans votre système, à savoir votre président conserve le texte de loi dans

26 sa poche et attend la session suivante.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il me semble que vous avez utilisé le

28 terme de "pocket veto," et on ne le retrouve pas dans le compte rendu

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1 d'audience.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, c'est que se passe-t-il lorsqu'il n'y a

3 pas d'assemblée. On attend à ce que l'assemblée se réunisse, mais j'ai

4 voulu simplement rappeler à M. le Procureur un droit qui existe dans son

5 propre pays, dans son propre système judiciaire, à savoir le droit de

6 "pocket veto."

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

8 M. HANNIS : [interprétation]

9 Q. Professeur, je vous remercie. Un autre pouvoir présidentiel qui me

10 troublait est le pouvoir de remettre des décorations et des distinctions au

11 terme de l'article 83. Il me semble que ce qui pose problème, c'est le

12 point 10 dans cette liste de 12 éléments. Nous avons parlé de cela lorsque

13 nous avons parlé de la loi sur les grades et la promotion du général Lukic.

14 Au terme de la constitution et après cette décision de la Cour

15 constitutionnelle, le président de Serbie avait-il toujours le pouvoir de

16 remettre des décorations et des distinctions ?

17 R. Je vais vous corriger, pour commencer. Un grade ne constitue pas une

18 décoration, ni un titre honorifique, ni une distinction. C'est une tout

19 autre chose. Afin que le président puisse exercer cette attribution qui est

20 prévue là à la constitution, il faut qu'une loi précise de quelle

21 décoration il s'agit au sein de la République de Serbie. Puisque cette loi

22 n'a jamais été adoptée, il n'est resté que la disposition formelle prévue

23 par la constitution, mais qui n'a jamais été traduite dans les faits.

24 Encore aujourd'hui le président de la république, M. Boris Tadic, ne peut

25 remettre des décorations et des distinctions, puisque nous n'avons toujours

26 pas adopté cette loi.

27 Au niveau de la fédération, il y a une loi qui a été reprise par la

28 communauté d'Etat de Serbie-et-Monténégro, et au terme de cette loi le

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1 président de la fédération, et plus tard le président Svetozar Marovic, par

2 exemple, qui a été le président de la communauté de Serbie-et-Monténégro,

3 remettait des décorations. Mais le président Tadic a dit explicitement

4 qu'il n'était pas prêt à remettre des décorations au terme de la loi de

5 l'ex-fédération, qu'il allait le faire à partir du moment où une nouvelle

6 loi au niveau de la République de Serbie allait être adoptée.

7 Le président Milutinovic, quant à lui, ne pouvait pas non plus remettre des

8 décorations ou des distinctions; seul le président fédéral pouvait le

9 faire. Par exemple, le président Milosevic, à l'époque où il était

10 président, il le faisait, mais il le faisait en sa qualité de président de

11 la République fédérale de Yougoslavie. En sa qualité de président de

12 Serbie, il n'a remis aucune décoration, aucune distinction puisque la loi

13 ne précisait pas cela. Ce n'était pas prévu dans le texte de la loi.

14 Q. Par conséquent, entre 1992 et l'an 2000 en Serbie, même s'il y avait

15 cette disposition constitutionnelle, pratiquement il n'y avait pas de loi

16 permettant d'appliquer ces dispositions constitutionnelles. Le président

17 Milutinovic, par exemple, ne pouvait remettre les décorations ni de

18 distinctions à personne. Il en avait les attributions, mais il n'y avait

19 pas de loi d'application permettant de le faire. Ai-je raison ?

20 R. Oui, c'est exact.

21 Q. Mais j'essaie de voir si la constitution accorde des pouvoirs forts au

22 président ou plutôt faibles, ou quelque chose à mi-chemin entre les deux.

23 Donc je vais vous poser maintenant une question hypothétique. Page 12 990,

24 vous parliez du président. Vous disiez qu'il n'avait pas d'attributions

25 spécifiques par rapport à l'administration d'Etat. S'il y avait eu une loi

26 au terme de laquelle le président Milutinovic aurait pu remettre des

27 décorations, est-ce que ce n'est pas quelque chose qui aurait permis au

28 président d'avoir un impact sur la marche du pays ? Par exemple, au sein

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1 d'un ministère ou d'une institution d'Etat, il aurait pu remettre des

2 décorations qui auraient créé, par exemple, des rivalités au sein de ces

3 institutions ou des agences d'Etat ?

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Zecevic.

5 M. ZECEVIC : [interprétation] Encore une fois, la même objection. C'est

6 très hypothétique. S'il y avait une loi, est-ce que ceci aurait eu une

7 telle ou telle conséquence ? C'est encore une spéculation.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je comprends la raison pour laquelle

9 vous soulevez votre objection, mais n'oubliez pas le début de la question.

10 Il faut replacer cela dans le contexte de l'étude de l'impact général de

11 ces dispositions par rapport aux pouvoirs et à la place du président. Si

12 l'on tient compte de cela, nous autoriserons la question. En temps voulu,

13 nous serons parfaitement en mesure de voir quel point attribuer à la

14 réponse, à savoir de juger si elle a certaines valeurs ou elle n'en a pas

15 du tout.

16 M. ZECEVIC : [interprétation] Je vous ai compris.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

18 Monsieur Hannis.

19 M. HANNIS : [interprétation]

20 Q. Merci --

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Professeur, est-ce que vous pouvez

22 répondre à la question ?

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Pour autant que je connaisse la loi sur les

24 décorations, à chaque fois une proposition doit émaner de quelqu'un qui est

25 habilité à faire ce genre de proposition, soit l'Académie serbe des

26 sciences, soit une faculté, donc des institutions de ce niveau-là. Le

27 président ne peut pas agir de son propre chef. Il ne peut pas, sur sa

28 propre initiative, décider de remettre telle ou telle décoration à

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1 quelqu'un. Il y a une procédure qui est prévue. La même chose s'applique

2 aux grâces.

3 Vous dites, il aurait pu distribuer des promotions, mais enfin ça aurait

4 été un abus caractérisé de son attribution. Il devrait y avoir une opinion

5 généralement partagée et une opinion communie s'il devrait s'agir d'un

6 individu qui, d'un commun accord, mérite d'être récompensé. Le président

7 Svetozar Marovic a remis une décoration au patriarche Pavle, qui est à la

8 tête de l'Eglise orthodoxe serbe. Il s'agit là de personnalités,

9 d'individus pour lesquels il ne fait l'objet d'aucun doute qu'ils méritent

10 ce genre de décoration. Il n'est pas comme s'il est au président à choisir

11 n'importe lequel commun des mortels pour le décorer simplement parce que

12 cela lui agrée. Enfin, ce serait un cas de violation de la constitution. Ce

13 serait contraire à l'esprit de la constitution.

14 M. HANNIS : [interprétation]

15 Q. Je vous remercie, Professeur. Je comprends qu'il convient qu'il y ait

16 un protocole, qu'il y ait des normes pour remettre des conventions. Mais, à

17 l'époque, il n'y avait pas de lois d'application, n'est-ce pas ? Donc, je

18 ne vois pas très bien ce que vous me dites dans votre réponse.

19 R. Oui, c'est cela.

20 Q. Alors, l'assemblée nationale et le président ont le droit de demander

21 un rapport de la part du ministre de l'Intérieur. Vous vous souvenez,

22 mardi, on en a parlé. Je pense que c'est la page 12 991 du compte rendu

23 d'audience. Est-ce que vous vous souvenez de cet article ? Je ne l'ai pas

24 sous les yeux, mais il me semble que cela concernait la loi sur les

25 affaires intérieures ou le ministère de l'Intérieur ?

26 R. Oui, c'est cela. Vu que je suis fatigué, il se peut que je me trompe,

27 mais il me semble que c'est l'article 9 de la loi qui porte sur le

28 ministère de l'Intérieur.

Page 13347

1 M. ZECEVIC : [interprétation] C'est l'intercalaire 46.

2 M. IVETIC : [interprétation] Est-ce que je peux avoir la cote, s'il vous

3 plaît, puisque nous n'avons pas les intercalaires, et le fait de citer le

4 numéro de l'intercalaire ne nous sert à rien ?

5 M. ZECEVIC : [interprétation] P1737.

6 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Maître Zecevic.

7 Q. D'après vous, à la fois le président et l'assemblée nationale doivent

8 exiger qu'un rapport soit fait. Il est requis que ce soit une demande

9 conjointe. Je pense que c'est que vous avez dit dans le cadre de votre

10 déposition; est-ce exact ?

11 R. Linguistiquement parlant, c'est vrai, c'est la conclusion qui s'impose.

12 Autrement, on aurait eu cela formulé sous forme d'alternative, soit

13 l'assemblée nationale, soit le président de la république formule une

14 demande. Or, ici, il est dit : "Sur demande formulée par l'assemblée

15 nationale et le président de la république," donc c'est cumulatif, les deux

16 instances doivent formuler cette demande. Or, si l'une seule de ces deux

17 instances était nécessaire pour le faire, ce serait formulé sous forme

18 alternative.

19 Q. Donc, le ministère de l'Intérieur d'après ce qu'on a ici, d'après ce

20 texte-là, serait en droit de refuser une demande formulée par le président

21 à lui seul ?

22 R. Si c'est mon avis personnel qui vous intéresse ici, je dois vous dire

23 que cet article est anticonstitutionnel, sauf que la Cour constitutionnelle

24 ne l'a pas dit, elle. Cette disposition n'a pas sa place dans la loi.

25 Pourtant, elle s'y trouve, et personne n'a jamais remis en question sa

26 constitutionnalité. Excusez-moi, je suis un petit peu fatigué. Je ne sais

27 plus ce que vous m'avez demandé.

28 Q. Très bien. Je vous ai demandé si le ministère pouvait refuser de

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1 fournir un rapport s'il n'y avait que le président qui en avait formulé la

2 demande, si l'assemblée nationale ne s'était pas jointe à cette demande ?

3 R. Alors, il n'y a pas de demande. C'est ce qui ressort du libellé que

4 nous avons sous les yeux, puisque cette demande n'existe que si les deux

5 sujets en question l'exigent, à savoir l'assemblée nationale et le

6 président de la république.

7 Q. Précédemment dans votre réponse, vous avez dit que votre opinion

8 personnelle était que cette loi était anticonstitutionnelle. Qu'est-ce qui

9 en fait une loi anticonstitutionnelle, d'après vous ?

10 R. Non, je n'entendais pas par là la loi dans sa totalité. Je me référais

11 uniquement à cet article-ci, et ce qui est anticonstitutionnel, c'est ce

12 dont nous avons déjà parlé. Au tout début, vous m'aviez posé une question

13 sur la nature des attributions du président de la république, ces

14 attributions constituent une catégorie constitutionnelle. Il n'est pas

15 possible de les élargir par une loi. Or ici, une loi attribue au président

16 une attribution qui ne lui a pas été conférée initialement par la

17 constitution. Ce qui est encore plus important, c'est que l'assemblée

18 nationale se voit conférer un pouvoir, une attribution qui ne lui est pas

19 donné par la constitution. C'est dans ce sens-là que l'on viole la

20 disposition constitutionnelle au terme de laquelle le président de la

21 république exerce d'autres fonctions, mais uniquement conformément à la

22 constitution et telles que prévues par la constitution.

23 Voyez-vous, nous avons ici l'assemblée nationale, et s'agissant de

24 l'assemblée nationale, l'article 73, par exemple. Au point 13, le dernier

25 point, vous avez le même libellé que pour le président de la république :

26 "Exerce d'autres fonctions conformément à la constitution." On ne peut pas

27 non plus attribuer un pouvoir à l'assemblée nationale par une loi.

28 L'assemblée nationale est le législateur. Qui peut créer une loi pour lui

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1 conférer des pouvoirs ? C'est la raison pour laquelle, je pense - cette loi

2 d'ailleurs n'est plus en vigueur - que tout cet article neuf est

3 anticonstitutionnel. Nous avons mis cette disposition qui n'est conforme ni

4 à l'article 73 ni à l'article 80. La fédération et le président de la

5 république se voient conférer des pouvoirs qu'on ne trouve pas dans la

6 constitution. Or, la constitution dit que le président et l'assemblée

7 nationale n'ont que les pouvoirs qui leur sont conférés par la

8 constitution. Ceci étant dit, je ne sais pas si ce pouvoir a été traduit

9 dans les faits, a été exercé.

10 M. ZECEVIC : [interprétation] Monsieur le Président.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.

12 M. ZECEVIC : [interprétation] Page 68, ligne 3 ou 4 du compte rendu

13 d'audience, il est dit, article 73 ou 83. Or, le Pr a dit 73 ou 13.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] 73 ou 13, je vous remercie.

15 Professeur, s'agissant de la deuxième partie de cette réponse, que

16 l'article serait anticonstitutionnel en accordant un pouvoir à l'assemblée

17 nationale, lui donnant le pouvoir d'exiger un rapport de la part du

18 ministre. En tant qu'organe qui a la charge de la nomination du ministre,

19 n'aurait-il pas ce droit d'office, n'est-ce pas son droit d'office de

20 demander des rapports ? N'est-ce pas la substance de la démocratie

21 parlementaire ? Je fais là une distinction entre cet aspect-là et la

22 question qui concerne le président.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est vrai que c'est là la substance de la

24 démocratie parlementaire, également en vertu de cette constitution-ci, mais

25 toutes les compétences de contrôle par rapport au ministère appartiennent

26 au gouvernement. Le gouvernement est en droit d'exiger des rapports, est en

27 droit d'invalider les actes des ministères. Quant à l'assemblée,

28 l'assemblée nationale, elle peut soumettre une proposition afin de procéder

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1 à un vote de confiance, qu'il s'agisse d'un ministre ou d'un gouvernement

2 dans sa totalité. La révocation du ministre peut être proposée à

3 l'assemblée par le gouvernement.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vais vous arrêter là. La loi sur

5 les affaires intérieures a nécessairement été proposée initialement par le

6 gouvernement. Le texte a été soumis par le gouvernement à l'assemblée

7 nationale ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Par conséquent, le gouvernement

10 concède à l'assemblée nationale le pouvoir de s'adresser directement au

11 ministère. Je ne vois pas ce qui est anticonstitutionnel.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce qui est anticonstitutionnel, c'est que la

13 loi s'occupe de l'assemblée populaire. Or, la loi n'est pas censée avoir

14 quoi que ce soit à voir avec l'assemblée populaire. Elle ne peut pas lui

15 accorder un quelconque pouvoir. Les pouvoirs de l'assemblée populaire sont

16 décrits à l'article 73 de la constitution, paragraphe 11. Il est question

17 du contrôle exercé par l'assemblée sur le travail du gouvernement et

18 d'autres intervenants, d'autres responsables, conformément à la loi et à la

19 constitution. A mon avis, d'un point de vue juridique, si l'on fait

20 intervenir la loi à ce niveau, on réduit la dignité de la norme dont on

21 parle.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais l'article 73, paragraphe 11,

23 donne certes pouvoir de demander un rapport du gouvernement au sujet du

24 travail d'un ministre ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Absolument, mais ce n'est pas ce qui est écrit

26 dans le libellé --

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un peu de patience, je vous prie. Si

28 l'assemblée populaire est habilitée à demander au gouvernement un rapport

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1 et que toutes les lois sont promulguées sur proposition du gouvernement,

2 n'est-il pas parfaitement conforme à leurs attributions de dire : Bien,

3 quand vous faites cela par rapport au ministère de l'Intérieur, vous pouvez

4 le faire directement ? D'ailleurs, si vous me le permettez, j'irai encore

5 un pas plus loin, en ajoutant que c'était tel est bien le cas, le fait

6 d'ajouter le président à cet ensemble, reviendrait, d'une certaine façon, à

7 limiter la liberté de l'assemblée à demander un tel rapport. Cela pourrait

8 être vu comme le gouvernement décidant : Eu égard au ministère de

9 l'Intérieur, vous pouvez agir de cette façon pour nous demander des

10 renseignements.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais

12 tout cela implique que la constitution doit être respectée. D'un point de

13 vue juridique, il n'est pas acceptable que ce qui est déjà écrit dans la

14 constitution soit repris dans la loi, et ce de façon aussi modifiée que

15 nous le voyons ici. Parce que tout cela est écrit à l'article 73,

16 paragraphe 11 de la constitution, et maintenant, nous avons une loi qui

17 présenterait exactement la même demande, mais dans des termes différents,

18 puisqu'il est dit qu'il faut qu'il y ait demande double venant d'une par de

19 l'assemblée du pays et d'autre part du président de la république. Cela

20 signifierait, en réalité, une modification de la constitution.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

22 M. HANNIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

23 Q. Professeur, j'aimerais maintenant aller un peu plus loin sur un autre

24 point. Le Président, M. le Juge Bonomy, vous a interrogé quant au droit de

25 l'assemblée de demander des renseignements en se fondant sur les

26 dispositions de la loi sur l'Intérieur. Professeur, si vous êtes un

27 spécialiste du droit constitutionnel ou un bon juriste formé à défendre des

28 arguments favorables à deux parties en présence, si vous étiez un

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1 représentant du président Milutinovic et que vous le représentiez dans une

2 situation où vous vous efforceriez d'affirmer qu'en tant que président, je

3 suis habilité, en vertu de la constitution, à demander ces rapports au

4 ministère de l'Intérieur, comme on le voit dans telle et telle disposition

5 de la loi, et ceci n'est pas un élargissement anticonstitutionnel de mon

6 pouvoir, est-ce que vous ne pourriez pas dire : Cela fait partie de mes

7 pouvoirs en vertu de la constitution puisque ces pouvoirs m'autorisent à

8 demander au gouvernement un avis exprès, et cela est inclus dans la

9 disposition un peu fourre-tout que constitue l'article 83.12 où il est

10 question de la possibilité pour moi de mener d'autres affaires dans le

11 respect de la constitution ? Parce que si je peux demander à tout le

12 gouvernement d'exprimer sa position, là il n'est question que d'un

13 ministère au sein du gouvernement. Est-ce que vous pourriez soutenir un

14 argument comme celui que je viens de vous donner, Professeur ?

15 R. Précisément. C'est ce que je voulais dire, que tout cela se retrouve

16 dans l'article 85 de la constitution. Le gouvernement est appelé à prendre

17 position, le ministère de l'Intérieur est un sous-groupe du gouvernement;

18 le ministère de l'Intérieur est un des ministères du gouvernement.

19 Pourtant, encore une fois, comme je l'ai déjà dit, l'assemblée du pays a le

20 pouvoir d'exercer son contrôle sur le travail de tout le gouvernement, par

21 conséquent, sur l'un de ses ministères également. Singulariser un seul

22 ministère, à savoir le ministère de l'Intérieur, de cette façon, en

23 laissant de côté les autres ministères, n'est pas acceptable du point de

24 vue de la constitution. C'est ma position. Pourquoi dire que si tout est

25 inclus dans l'article 85 et l'article 73, d'ailleurs, les deux articles

26 n'ont pas un libellé absolument identique dans la constitution; donc, du

27 point de vue du président de la république et de l'assemblée nationale, les

28 libellés sont différents.

Page 13353

1 Q. Merci, Professeur.

2 M. HANNIS : [interprétation] Monsieur le Président, je vais maintenant

3 passer à la SDC et à d'autres sujets. Je pense que nous avons dépassé de

4 quelques minutes ce matin. Le Pr est de plus en plus fatigué, je me

5 demandais si on ne pourrait pas faire la pause déjeuner un petit peu plus

6 tôt que prévu.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien, Monsieur Hannis.

8 Nous suspendons jusqu'à 13 heures 45.

9 [Le témoin quitte la barre]

10 --- L'audience est levée pour le déjeuner à 12 heures 43.

11 --- L'audience est reprise à 13 heures 48.

12 [Le témoin vient à la barre]

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

14 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

15 Q. Professeur, je sais que la semaine a été longue, mais nous en arrivons

16 à la dernière séance de la semaine. Si besoin est, faites-nous savoir au

17 cas où vous voudriez une pause.

18 J'aimerais que nous parlions maintenant du rôle du président de la

19 république par rapport au conseil suprême de la Défense. Dans votre

20 déposition mardi, vous avez dit qu'il occupait cette présidence du conseil

21 suprême de la Défense ex officio, et lorsque je dis "il," je pense à M.

22 Milutinovic. Pourriez-vous nous dire, d'après ce que vous savez, qui était

23 les membres du conseil suprême de la Défense en 1998 et 1999 -- d'ailleurs,

24 je devrais être plus précis et dire en 1998 et 1999, jusqu'au 23 mars,

25 parce que si je suis bien informé, les règles de procédure ont été

26 modifiées le 23 mars 1999.

27 R. En 1998, les membres du conseil suprême de la Défense, CSD, étaient le

28 président de la république fédérale, Slobodan Milosevic; le président de la

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1 République de Serbie, Milan Milutinovic; et le président de la République

2 de Monténégro dont j'ai oublié le nom -- Milan Djukanovic. Enfin, ce

3 n'était pas une très grande erreur de ma part.

4 Q. En 1999, le 23 mars, le moment où les règlements de procédure du CSD

5 ont été modifiés, ce changement des procédures a-t-il permis de la

6 participation de nouveaux participants aux réunions du conseil suprême de

7 la Défense, des personnes qui n'auraient pas été membres de ce conseil ?

8 R. Oui. De nouveaux participants se sont ajoutés aux anciens, ex officio

9 toujours, et ce qui est intéressant, c'est qu'ils ne pouvaient pas se voir

10 octroyé le statut de membres, parce que c'est la constitution qui détermine

11 qui peut être membre du conseil suprême de la Défense. Les personnes dont

12 nous parlons étaient autorisées à assister aux réunions du conseil, compte

13 tenu des fonctions qui étaient les leurs, à savoir le ministre de la

14 Défense fédérale, le chef du Grand état-major, et si je ne m'abuse le

15 président du gouvernement fédéral, mais je ne suis pas sûr. Telles étaient

16 les personnes qui étaient autorisées à participer aux réunions du conseil,

17 selon les dispositions du règlement de procédure instaurées le 23 mars

18 1999. Ce qui est intéressant ici, c'est que nous voyons que de cette façon

19 une correction est finalement apportée à la constitution, notamment dans

20 son article 135, parce que l'article 135 de la constitution, paragraphe 2,

21 ne fait état que des membres du conseil suprême de la Défense comme étant

22 autorisés à participer aux réunions de celui-ci.

23 Q. Et je suppose que compte tendu des conditions qui prévalaient à

24 l'époque, le 23 mars, à la veille de la guerre, il était justifier

25 d'élargir la participation aux réunions du conseil suprême de la Défense

26 pour y ajouter le chef d'état-major de l'armée et le ministre de la

27 Défense. Est-ce que vous seriez d'accord avec ce que je viens de dire ?

28 R. Oui, cela avait un sens tout à fait justifié, compte tenu des matières

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1 qui étaient celles dont s'occupait le conseil suprême de la Défense et

2 compte tenu du fait que les membres du conseil suprême de la Défense

3 étaient choisis en fonction des fonctions qui étaient les leurs ex officio.

4 Quant aux choix de ces personnalités pour exercer les fonctions qui étaient

5 les leurs, d'autres critères avaient prévalu qui n'étaient pas des critères

6 militaires. Toutefois, ces personnes qui sont devenues membres du conseil

7 suprême de la Défense ne pouvaient pas prendre part aux décisions, parce

8 que ceci aurait été contraire à la constitution.

9 Q. Donc si j'ai bien compris, Professeur, à partir du 23 mars, même si le

10 ministre de la Défense et le chef d'état-major de l'armée devaient assister

11 aux réunions, en réalité ils n'étaient pas membres à part entière. Ils ne

12 votaient pas à l'issue des réunions du conseil suprême de la Défense.

13 R. C'est ainsi que les choses auraient dû se passer. En vertu de la

14 constitution, ces personnes ne jouissaient pas des mêmes droits que les

15 membres à part entière parce que la constitution ne les reconnaissait pas

16 comme membres à part entière du conseil suprême de la Défense. Elles ne

17 pouvaient que contribuer aux débats sur certains points de l'ordre du jour

18 des réunions du conseil suprême de la Défense.

19 Q. D'accord. A présent, Professeur, vous bien sûr, vous n'avez jamais

20 assisté aux réunions du conseil suprême de la Défense, n'est-ce pas ?

21 R. Non, non. Je n'étais aucunement qualifié pour ce faire.

22 Q. Vous n'avez jamais eu la possibilité de prendre connaissance d'un

23 procès-verbal complet pris par les sténotypistes d'une de ces réunions,

24 n'est-ce pas ?

25 R. J'ai eu l'occasion de lire de tels procès-verbaux. Quant aux notes

26 sténographiques des séances qui ont eu lieu en 1997 et 1998, je les

27 connais, j'ai relu avec une grande attention le procès-verbal d'une réunion

28 de 1999 pendant que je me préparais à la responsabilité que je suis en

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1 train de remplir ici devant vous.

2 Q. J'aimerais être sûr que je vous ai bien compris. Est-ce que vous avez

3 vu le texte pris verbatim par le sténotypiste pendant ces réunions ou est-

4 ce que vous avez eu sous les yeux le procès-verbal ?

5 R. J'ai aussi eu sous les yeux les notes prises par le sténotypiste, mais

6 j'ai aussi lu les procès-verbaux. S'il n'y avait qu'un procès-verbal et

7 qu'il n'y avait pas de notes sténographiques, alors je n'ai lu que le

8 procès-verbal, mais lorsque les deux étaient disponibles, j'ai lu les deux,

9 procès-verbal et notes sténographiques. Tout ceci se retrouve dans les

10 documents annexés, si je ne m'abuse, à ma déposition.

11 Q. Vous rappelez-vous quelles sont les réunions pour lesquelles vous avez

12 pu obtenir les notes littérales prises par les sténotypistes ?

13 R. Je les ai eues sous les yeux pour la séance du 28 octobre 1997, puis

14 également pour toutes les séances tenues durant l'année 1998, ainsi que

15 pour la séance qui s'est déroulée le 23 mars 1999.

16 M. HANNIS : [interprétation] Je vois que Me Zecevic est debout, Monsieur le

17 Président.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic.

19 M. ZECEVIC : [interprétation] Je demande un instant. Monsieur le Président,

20 je crois qu'une certaine confusion s'est installée ici. Il serait peut-être

21 plus facile de soumettre les documents dont parle le témoin à ce dernier.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

23 M. ZECEVIC : [interprétation] Pour être sûr que tout soit clair, car le Pr

24 a dit, il y a un instant, que tous les documents qu'il a examinés se

25 trouvaient dans le classeur fourni aux parties. Donc, pour que tout soit

26 absolument clair, je pense que ce serait sans doute plus facile de les lui

27 soumettre dans ce prétoire. Je peux vous donner les numéros, si vous le

28 souhaitez --

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est à M. Hannis qu'il appartient de

2 décider de la marche à suivre pour le moment --

3 M. ZECEVIC : [interprétation] Je sais.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Manifestement, vous pourrez traiter de

5 cela à votre gré au cours des questions supplémentaires. Mais, si M. Hannis

6 souhaite que cela soit fait à l'instant, il vous sera sans doute très

7 reconnaissant de lui donner les références.

8 M. ZECEVIC : [interprétation] Merci beaucoup.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

10 M. HANNIS : [interprétation]

11 Q. Je pense, Professeur, que pour le moment, je décide de revenir sur ce

12 point plus tard. Mais d'après vous, ce que vous avez eu sous les yeux,

13 c'est-à-dire les documents contenus dans ces classeurs que vous avez

14 évoqués, sont tous les documents que vous avez pu voir, et il n'y a rien

15 qui concerne le conseil suprême de la Défense qui ne figure pas dans ces

16 classeurs ?

17 R. Je pense que tout figure dans les classeurs. Mais, même si tel n'est

18 pas le cas, durant la préparation à ma déposition ici, j'ai relu tous les

19 procès-verbaux, d'ailleurs, je ne me suis pas contenté de les relire, je

20 les ai étudiés de très près, et je vous ai dit quels sont les procès-

21 verbaux que j'ai relus. Le premier date du 28 octobre 1997. J'ai lu tous

22 les procès-verbaux, toutes les notes sténographiques des réunions de

23 l'année 1998 également, et j'ai lu le procès-verbal de la réunion du 23

24 mars 1999. Ce que je n'ai pas lu ce sont les procès-verbaux antérieurs à

25 l'année 1997, c'est-à-dire durant une période où M. Slobodan Milosevic

26 n'était pas président de la République fédérale. Je n'ai pas lu non plus

27 les procès-verbaux ultérieurs à l'année 1999, parce que dans la période

28 allant de 1999 à octobre 2000, il n'y a eu aucune réunion du conseil

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1 suprême de la Défense.

2 Q. J'aurais une question à vous poser, parlant des documents que vous avez

3 passés en revue et qui portaient sur la réunion du 23 mars 1999. Est-ce que

4 pour cette réunion vous avez relu un seul document, auquel cas j'aimerais

5 que vous nous disiez s'il s'agit du procès-verbal ou des notes

6 sténographiques, ou avez-vous lu le procès-verbal et les notes

7 sténographiques ?

8 R. Pour certaines réunions, il y a eu publication des deux documents, mais

9 si ma mémoire est bonne, s'agissant de la réunion du 23 mars 1999, il n'y a

10 pas eu de notes sténographiques, mais uniquement un procès-verbal. En tout

11 cas, c'est le souvenir que j'en ai. Mais évidemment, le temps fait son

12 œuvre, il y a certaines choses que j'ai pu oublier.

13 Q. Je comprends tout à fait, Professeur. Qui vous a montré ces documents ?

14 R. Tous ces documents, je les ai reçus de la part des équipes de la

15 Défense pour pouvoir préparer ma déposition.

16 Q. Est-ce que vous êtes toujours en possession des documents qui vous ont

17 été remis ?

18 R. J'ai redonné ces documents à la Défense parce que je les ai parcourus.

19 Q. Quand avez-vous redonné ces documents ?

20 R. Je crois que je leur ai redonné ici à La Haye --

21 Q. Simplement --

22 R. -- parce que cela signifie que je devais avoir des valises assez

23 lourdes, puisqu'il y a des documents assez importants et je n'avais pas la

24 force physique de ramener tout ceci à Belgrade.

25 Q. Peu de temps avant votre déposition au début de la semaine ?

26 R. Non, pas cette semaine, dès mon arrivée à La Haye, et lorsque je suis

27 arrivé à La Haye le 20 -- non, pardonnez-moi -- le 30 juillet de cette

28 année.

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1 Q. Merci, Monsieur le Professeur.

2 Je souhaite vous poser une question à propos d'un commentaire que vous avez

3 fait mardi, à la pièce 17004 [comme interprété]. Me Zecevic vous a posé une

4 question à propos de l'article 133 de la constitution fédérale et les

5 devoirs de l'armée en matière de défense de l'ordre constitutionnel. Vous

6 avez donné une réponse hypothétique, vous avez dit que vous convenez du

7 fait que ceci constituerait une attaque contre l'ordre constitutionnel.

8 Vous avez dit : "Parce que tout ce qui change ou souhaite changer quelque

9 chose par des moyens qui sont anticonstitutionnels ou qui ne relèvent pas

10 de la constitution, hormis les procédures régulières, constituent une

11 attaque contre l'ordre constitutionnel."

12 En fait, je souhaite vous poser une question par rapport à cette

13 définition-là. Monsieur le Professeur, vous connaissez, en tout cas, vous

14 savez qu'il y a certaines allégations qui ont été faites dans ce procès en

15 mars 1989, lorsque la question de l'amendement apporté à la constitution de

16 la Serbie a été débattue au sein de l'assemblée au Kosovo, certains

17 éléments de preuve semblent indiquer qu'à ce moment-là, il y avait des

18 chars postés autour du bâtiment de l'assemblée, qu'à l'intérieur de

19 l'assemblée, il y avait des membres de la VJ en uniforme, des officiers de

20 police, des personnes qui portaient des vêtements civils, qui n'étaient pas

21 des députés, certaines allégations qui semblaient indiquer qu'il y avait un

22 certain nombre de personnes non membres qui ont levé la main lorsqu'il

23 s'agissait de voter, et que l'on n'a pas compté les voix. C'est la preuve

24 même que des changements ont été apportés en dehors des voix

25 constitutionnelles. Conviendrez-vous avec moi qu'il s'agit là d'un exemple

26 de cela ?

27 R. Bien, je pourrais en convenir avec vous si je n'avais pas regardé la

28 télévision à Belgrade, la déposition de Vukasin Jokanovic, qui était

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1 président de l'assemblée du Kosovo-Metohija à l'époque, et qui par

2 l'intermédiaire d'un film a montré comment on avait procédé au vote à

3 l'assemblée. C'était un témoin qui a vu cela de ses propres yeux, le

4 président de l'assemblée, il a témoigné, et il a dit dans sa déposition que

5 la majorité avait été obtenue de façon tout à fait conforme à la

6 constitution. Je n'étais pas là à cette réunion de l'assemblée, mais je

7 crois à ce que dit le président de l'assemblée, comme il le montre ici, non

8 seulement il l'a vu de ses propres yeux, mais c'est lui qui présidait la

9 réunion d'office, en tant que président de l'assemblée, il était censé voir

10 s'il y avait le quorum nécessaire, et si on pouvait procéder au vote, si

11 tout ceci était véritablement conforme à la constitution, comme la

12 constitution l'exige.

13 D'après votre hypothèse, si on en tient compte, ce que vous dites

14 alors, c'est qu'il y aurait eu une modification qui aurait été apportée, en

15 dehors de la voie constitutionnelle habituelle. Mais d'après ce que dit sa

16 déclaration, M. Jokanovic, comme il l'a montré, il a clairement indiqué que

17 le changement était conforme à la constitution. Il a témoigné sous serment,

18 il a montré ce film. Nous avons tous pu voir cela lorsqu'il a témoigné dans

19 l'affaire Milosevic, au procès Milosevic.

20 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Pardonnez-moi si je pose une

21 question. Est-ce qu'il a parlé de l'assemblée qui était encerclée par des

22 troupes et des chars ? Est-ce que le président de l'assemblée a dit quelque

23 chose à ce sujet ?

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous savez, j'ai simplement regardé la

25 télévision, ce qui a été diffusé à la télévision. Je ne peux rien dire avec

26 certitude, mais je sais que la présidence fédérale à l'époque, la

27 présidence de la RSFY était là. Nous avons lu les conclusions de

28 l'assemblée sur ce point, et compte tenu des circonstances particulières,

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1 il s'agissait d'appliquer des mesures particulières. Donc, il y avait un

2 pouvoir fédéral en place. Ce n'était pas le pouvoir de la République de

3 Serbie. Je ne peux pas parler des faits ici, pour la bonne raison que je

4 n'étais pas là à ce moment-là. Tout ceci s'est déroulé à Pristina et je vis

5 à Belgrade.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'étais sur le point de vous le dire.

7 Vos réponses ont porté sur les faits, mais cette question porte sur votre

8 domaine de compétence, votre expertise, et vous avez répondu à la question

9 dès le début de votre déposition. Essayons de nous concentrer sur la

10 question, et savoir de quoi il s'agit, s'il vous plaît.

11 Monsieur Hannis.

12 M. HANNIS : [interprétation]

13 Q. Monsieur le Professeur, Me Zecevic vous a posé une question au

14 sujet du rôle joué par l'armée en vertu de l'article 133 et quelles sont

15 les obligations de l'armée. Vous avez indiqué que l'on fait toujours appel

16 à l'armée lorsqu'il s'agit de "défendre la souveraineté, le territoire,

17 l'indépendance et l'ordre constitutionnel du pays."

18 A la page 13 005 et 6, il me semble que vous étiez d'accord avec Me

19 Zecevic, d'après vous, aucune mesure n'était nécessaire et si un des quatre

20 éléments était menacé, rien ne justifiait l'intervention de l'armée, ce qui

21 aurait été fait par un organe de l'Etat; est-ce exact ? Est-ce votre avis

22 sur la question ?

23 R. Ce n'est pas mon avis sur la question. C'est la position que j'ai

24 avancée, qui est conforme à la constitution. Mais ce que vous évoquez est

25 arrivé en 1989, et nous parlons ici de la disposition qui date de 1992.

26 Donc, il y a un décalage dans le temps ici.

27 Q. Pardonnez-moi, Monsieur le Professeur. Je n'avais pas l'intention

28 d'établir un lien entre cette question et l'armée, la question que je vous

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1 ai posée à propos des événements de 1989. C'était une proposition d'ordre

2 général. Est-ce votre point de vue que l'armée peut s'être mobilisée sans

3 pour autant que soit déclaré avant cela un état de guerre ou un état

4 imminent de guerre ou un état de guerre ?

5 R. Il découle de l'article 133, au paragraphe 1 de la constitution que

6 l'armée a le devoir de protéger la souveraineté des territoires et cetera,

7 dans tous les cas, dans tous Etats que la situation soit régulière ou

8 irrégulière.

9 Q. A l'article 133, rien ne semble l'indiquer, je ne sais pas si cela

10 existe ailleurs, si tel est le cas, veuillez me l'indiquer. Rien ne semble

11 indiquer qui était censé décider si cette condition existait véritablement;

12 que la souveraineté, le territoire, l'indépendance, ou l'ordre

13 constitutionnel soit menacé, ou dans le cas où ceci serait menacé, il

14 faudrait avoir recours à l'armée pour en assurer la défense. Est-ce au chef

15 d'état-major de s'en occuper, un commandant sur le terrain, un homme

16 politique ? Qui décide de cela ?

17 R. Cette décision comme nous avons pu le voir lorsque de tels états sont

18 décrétés par l'assemblée nationale, si l'assemblée nationale ne peut pas se

19 réunir, à ce moment-là, c'est le gouvernement fédéral qui s'en charge.

20 Q. Oui, j'entends bien. Je comprends que ce sont ces organes-là qui

21 décident, qui prennent la décision si cela s'avère nécessaire. Mais l'armée

22 pouvait aller sur le terrain et prendre les mesures nécessaires avant même

23 que l'on ne décrète si l'armée pensait qu'il y avait une menace. Est-ce que

24 je vous ai mal compris ?

25 R. Non, non, non, pas du tout. C'est ainsi que je le comprends aussi. Je

26 me conforme à la constitution simplement. C'est ainsi que je comprends

27 l'article 133, l'article 1 de la constitution. Ce paragraphe n'indique

28 aucune restriction. Dans toute situation l'armée défendra la souveraineté,

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1 le territoire, l'indépendance et l'ordre constitutionnel du pays sans que

2 des restrictions ne soient apportées.

3 Q. Mais comment pouvons-nous interpréter ceci à la lumière des

4 dispositions qui précisent que l'armée en temps de guerre, en temps de

5 paix, est commandée par le président de la république, conformément aux

6 décisions prises par le conseil suprême de la Défense.

7 R. Tel que c'est écrit ici, le président de la république fédéral,

8 conformément aux décisions prises par le conseil suprême de la Défense. Je

9 ne vois pas en quoi il y a un problème ici.

10 Q. Bon, je pense avoir compris vos réponses précédentes de cette manière,

11 l'armée pouvait aller sur le terrain et prendre les mesures nécessaires

12 pour défendre le territoire en raison d'une menace, menace perçue par eux,

13 sans attendre le mot d'ordre de quelqu'un ou que quelqu'un prenne une

14 décision. Ai-je mal compris vos réponses précédentes ?

15 R. L'armée dispose d'une chaîne de commandement, vous conférerez à

16 l'article 135. Je ne peux pas en dire davantage, car je ne sais pas comment

17 fonctionne la chaîne de commandement de l'armée. Je ne suis pas un expert

18 militaire. Je sais simplement comment ceci fonctionne par rapport à la

19 constitution, et c'est ainsi que nous, hommes de loi, nous lisons ceci.

20 Q. Je vous pose ces questions parce que M. le Juge Bonomy a, hier, posé

21 une question qui reprenait l'idée confuse que j'avais de ceci, à la page 13

22 007 : "D'après la façon dont je comprends les choses, est-ce que cela

23 signifie que sans participation d'un autre organe, l'armée peut agir seule

24 pour défendre l'ordre constitutionnel si elle estime qu'on la met en cause

25 ou qu'elle estime que c'est étrange ?"

26 Ecoutez, moi aussi je dois dire cette idée me semble confuse, et je

27 souhaite que vous précisiez cela.

28 R. L'assemblée ne peut pas commander l'armée, ni le gouvernement non

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1 plus. L'organe qui commande l'armée peut décider de cela. Cela figure à

2 l'article 135 et précise exactement qui est le commandant suprême. Ce n'est

3 pas l'assemblée nationale ni le gouvernement, c'est le président de la

4 république, et ce conformément aux décisions prises par le conseil suprême

5 de la Défense. Je ne vois pas pourquoi cela pose problème.

6 Q. Bon. Maintenant, vous dites que l'armée ne pouvait pas agir

7 seule, mais que l'armée devrait suivre les instructions données par un

8 commandement ou le président de la république, ou un commandant. Le

9 président de la république qui agirait conformément aux décisions prises

10 par le conseil suprême de la Défense. Donc, je suppose que c'est un organe

11 ou que ce sont des gens qui devraient percevoir ceci comme étant une

12 menace, qui demandent à ce moment-là à l'armée de défendre le territoire,

13 conformément à l'article 133 de la constitution, n'est-ce pas ?

14 R. Oui, effectivement, c'est ce qui découle de la constitution.

15 C'est précisément ce que dit la constitution.

16 Q. Et par rapport à cela --

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît, Monsieur

18 Hannis.

19 M. HANNIS : [interprétation] Oui.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que nous n'avons pas entendu

21 dire de votre bouche que la façon appropriée d'interpréter cela,

22 conformément aux décisions prises par le conseil suprême de la Défense,

23 était de dire que le président néanmoins pouvait agir selon ce qu'il

24 jugeait approprié ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce que j'ai dit, c'est qu'à partir des notes

26 sténographiques on peut voir que le conseil suprême de la Défense a rendu

27 des conclusions. Je n'ai jamais lu de décisions et je n'ai jamais vu de

28 décisions prises par le conseil suprême de la Défense dans des publications

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1 officielles. Mais je ne sais pas exactement quelle était la chaîne de

2 commandement. Néanmoins, lorsque j'ai regardé les séances du conseil

3 suprême de la Défense, à aucun endroit n'ai-je constaté que le conseil

4 suprême de la Défense a rendu une décision, ou que de telles décisions ont

5 été publiées quelque part, ou que ceci portait un nom ou un titre, comme

6 avaient les décisions du président de la république et le chef d'état-

7 major. Nous avons vu toute une série de termes dans différents documents.

8 Ici, nous n'utilisons que le terme générique de "conclusion." On ne précise

9 pas de quelle type de conclusion il s'agit.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Donc --

11 LE TÉMOIN : [interprétation] -- et la loi sur la défense ne le dit pas non

12 plus.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Donc au bout du compte, l'armée est

14 partie en guerre sans qu'une décision soit prise par le conseil suprême de

15 la Défense ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] D'après la conclusion à laquelle était

17 parvenue le conseil suprême de la Défense le 4 octobre 1998, cette

18 conclusion a été lue à voix haute et a certainement servi de justificatif à

19 l'armée qui est partie faire la guerre. Dans ces conclusions, on précise

20 que la Yougoslavie s'engage à maintenir la paix et à des résolutions

21 pacifiques, mais si le pays est attaqué, nous allons nous défendre par tous

22 les moyens possibles. Je crois que la conclusion qui a été rendue à la fin

23 de la session du CSD du 4 octobre 1998 le déclare. En tant qu'avocat,

24 j'estime que ce n'est pas une façon d'exprimer un critère juridique. Il

25 s'agit simplement d'un point de vue politique. Et sur cette base, il aura

26 fallu rendre une décision, une décision qui aurait dû être libellée en des

27 termes juridiques.

28 Qu'est-ce que cela signifie de défendre par tous les moyens ? Si on est

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1 attaqué, qu'est-ce qu'on sous-entend par le terme de l'attaque ? Si on

2 s'engage à maintenir la paix, en fait, c'est ce que l'on dit dans des

3 forums politiques. Il y a un engagement. On s'engage à maintenir la paix,

4 et sur toutes les questions ouvertes on est disposé à maintenir la paix. Ce

5 n'est pas ce que peut dire un conseil suprême de la Défense. Le conseil

6 suprême de la Défense traite des questions de défense. Il ne s'agit pas en

7 fait de trouver une solution à des questions ouvertes par les moyens

8 pacifiques. Telles sont mes observations en regardant les notes

9 sténographiques ainsi que les procès-verbaux des sessions du conseil

10 suprême de la Défense.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ecoutez, j'espère que vous ne

12 m'en voudrez pas si je répète ma question : "Donc, finalement, l'armée est

13 partie en guerre sans qu'une décision soit prise par le conseil suprême de

14 la Défense ?"

15 Pouvez-vous répondre à cette question, oui ou non ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, parce que ces conclusions ont servi

17 de décision.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur le Professeur, hier

19 vous étiez très pointilleux lorsque vous avez fait la différence entre le

20 concept de "conclusion" et le concept de "décision." C'était très important

21 pour vous, pas plus tard qu'hier, un point très important de votre

22 déposition. En tout cas, c'est comme cela que je l'ai compris. Souhaitez-

23 vous modifier cela ?

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non, non, non. Je ne souhaite en rien

25 modifier ma déposition. Ces conclusions sont bien évidemment pas une

26 décision, mais ont joué ce rôle-là. Et en tant qu'avocat, j'estime qu'il ne

27 s'agit pas d'une décision, et s'il n'y a pas de décision, c'est simplement

28 un point de vue politique. Mais ceci a été utilisé, et on s'en est servi

Page 13368

1 comme si c'était une décision. Je maintiens encore ce que j'ai dit

2 auparavant et ce que vous dites maintenant, d'après moi ceci n'est pas une

3 décision. Mais ces conclusions ont, semble-t-il, servi de décisions et ont

4 été utilisées comme telles. Il s'agit ici d'un point de vue politique.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

6 M. HANNIS : [interprétation]

7 Q. Merci, Monsieur le Professeur. Je souhaite maintenant vous montrer un

8 document que vous n'avez pas encore vu. En tout cas, ce document ne

9 figurait pas sur la liste. C'est la pièce P717.

10 M. HANNIS : [interprétation] Je dispose d'une copie papier si vous

11 souhaitez en remettre un exemplaire au Pr.

12 Q. Monsieur le Professeur Markovic, il s'agit là d'un document qui est

13 présenté comme preuve. C'est une lettre du général Perisic, datée du 23

14 juillet 1998, envoyée au président Slobodan Milosevic. Vous savez

15 certainement qu'à ce moment-là le général Perisic était le chef du Grand

16 état-major de la VJ ?

17 R. Oui.

18 Q. D'après ce que j'ai compris, à un moment, ceci a fait l'objet d'un

19 débat public. Est-ce que vous avez entendez quelque chose à ce propos de ce

20 désaccord et le fait que le général Perisic s'est plaint du fait que

21 l'armée était utilisée à cette fin, et d'après lui, cela n'était pas

22 nécessaire de proclamer des circonstances exceptionnelles si l'armée allait

23 être utilisée au Kosovo contre la population civile, à l'extérieur des

24 frontières, et ne pas protéger les installations et le personnel de la VJ.

25 M. HANNIS : [interprétation] Monsieur Zecevic, vous êtes debout je vois.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic.

27 M. ZECEVIC : [interprétation] C'est une question purement technique. Est-ce

28 que nous pouvons avoir ce document dans le système électronique du

Page 13369

1 prétoire, s'il vous plaît. En tout cas, nous n'avons que la première page

2 de l'ouvrage.

3 M. HANNIS : [interprétation] Je crois qu'il leur faut la page 3 de la

4 version en B/C/S.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien.

6 M. HANNIS : [interprétation] Pour commencer.

7 Q. Monsieur le Professeur, je crois que, sur l'exemplaire que vous avez,

8 j'ai souligné en rose les éléments du texte à propos desquels je souhaite

9 vous poser des questions --

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Visnjic.

11 M. VISNJIC : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai du mal à suivre.

12 Je ne sais pas si M. Hannis va poser une question précise, parce qu'on dit

13 ici que l'armée est utilisée contre la population civile, mais je ne suis

14 pas sûr que c'est ce qui figure dans le document. C'est le document que M.

15 Hannis est sur le point de montrer au témoin, et il n'y avait pas de débat

16 public non plus sur la question de savoir si l'armée était utilisée contre

17 la population civile.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

19 M. HANNIS : [interprétation] Bien --

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que votre question a besoin

21 d'être plus précise peut-être ?

22 M. HANNIS : [interprétation] Ma première question, comme je lui ai posée,

23 il a entendu parler de cette lettre envoyée par le général Perisic à M.

24 Milosevic.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je n'en ai pas entendu parler. Je n'étais

26 pas un des destinataires de cette lettre. Le destinataire était le

27 président de la RFY, Slobodan Milosevic.

28 M. HANNIS : [interprétation]

Page 13370

1 Q. J'entends bien, mais j'avais certaines raisons de croire que ceci a

2 fait l'objet d'un débat public, vous n'êtes pas au courant de cela ?

3 R. Non, non.

4 Q. Au point 1 de la première page que j'ai surlignée, en anglais, on peut

5 lire : "Tendance constante à utiliser la VJ en dehors des institutions du

6 système."

7 Est-ce que ceci reprend bien ce qui figure dans le texte en B/C/S ?

8 R. Oui, tout à fait, c'est bien ce que dit le texte.

9 Q. Peut-être qu'il ce serait plus logique que ce soit vous qui lisiez le

10 texte un peu plus bas, des exemples de ces faits. Pourriez-vous lire le

11 point 1, ensuite, nous entendrons la traduction vers l'anglais.

12 R. Est-ce que vous entendez par là le texte qui figure à la page 161, le

13 texte que vous avez surligné avec un feutre rouge ?

14 Q. [aucune interprétation]

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic.

16 M. ZECEVIC : [interprétation] Mais puisque cela a été surligné, il me

17 semble qu'il vaudrait mieux passer le texte sur le rétroprojecteur, puisque

18 ceci permettrait à tout le monde de voir à quoi se réfère mon confrère.

19 Sinon, il nous est difficile de comprendre de quel paragraphe il s'agit,

20 quel est le paragraphe qui intéresse M. Hannis.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, allez-y, place-le sur le

22 rétroprojecteur.

23 M. HANNIS : [interprétation]

24 Q. Professeur, pourriez-vous commencer la lecture à partir du haut de la

25 page, les parties qui ont été surlignées -- en fait, je vais vous inviter à

26 donner lecture des deux premiers paragraphes dans leur intégralité.

27 R. Excusez-moi, mais je suis très myope. J'ai vraiment du mal à lire cela,

28 mais je vais faire de mon mieux.

Page 13371

1 "Tendance à employer l'armée à l'extérieur des constitutions du

2 système.

3 "(A) la situation au Kosovo-Metohija aurait pu être résolue par

4 l'introduction d'un état exceptionnel à temps, le 20 avril 1998, lorsque je

5 vous ai envoyé une proposition écrite (la proposition numéro 1). Puisque

6 vous n'en avez pas tenu compte, il y a eu une escalade, par conséquent, des

7 représentants du MUP et vous également, ont demandé l'emploi de l'armée de

8 Yougoslavie, quelques unités de petite taille ont été employées de manière

9 indirecte et directe, ce qui n'est pas légal, et nous savons quelles en ont

10 été les conséquences sur l'Etat.

11 "(B) afin de traduire dans les faits de manière responsable et

12 professionnelle les conclusions de la réunion du conseil suprême de la

13 Défense du 9 juin 1998, nous avons demandé au gouvernement de la République

14 fédérale de Yougoslavie de mettre à notre disposition (des remèdes par

15 proclamation de l'état de danger de guerre imminente) et de nous garantir

16 des conditions financières (à voir l'annexe 2). Jusqu'à présent, ceci n'a

17 pas été fait. En d'autres termes, tout engagement de la VJ dans le cadre

18 des opérations de combat au-delà de la zone frontière reste illégal, et les

19 conséquences possibles sont imprévisibles."

20 Est-ce que je continue ?

21 Q. Vous pouvez vous y arrêter, Professeur.

22 M. HANNIS : [interprétation] Lorsque nous avons parlé pour la première fois

23 de cette pièce à conviction, pendant la présentation des moyens de

24 l'Accusation, vous verrez au (A), dans la version anglaise, il est dit :

25 "En décrétant l'état de," et il n'y a pas de mot qui suit. Lorsque vous

26 l'avez lu, vous avez dit : "l'état d'urgence." Je pense que c'est clair. On

27 voit cela en majuscules en B/C/S.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic.

Page 13372

1 M. ZECEVIC : [interprétation] Nous pouvons certainement préciser cela à

2 l'intention de mon éminent confrère. Nous avons une objection, mais je ne

3 pense pas qu'il faudrait en parler en la présence du témoin.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais la question n'a pas encore été

5 posée.

6 M. ZECEVIC : [interprétation] Mais par anticipation, Monsieur le Président,

7 puisque le témoin a dit qu'il n'a jamais eu l'occasion précédemment de voir

8 ce document. Il n'était pas non plus au courant de l'existence de ce témoin

9 [comme interprété] --

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais ceci fait partie de son domaine

11 d'expertise.

12 M. ZECEVIC : [interprétation] Oui, j'en suis conscient.

13 M. LE JUGE BONOMY : [aucune interprétation]

14 M. ZECEVIC : [aucune interprétation]

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il n'empêche que vous estimez que nous

16 devrions en discuter ?

17 M. ZECEVIC : [interprétation] Non, tout simplement, je voudrais acter mon

18 objection pour des raisons que je viens de citer. Le témoin a précisé qu'il

19 n'avait jamais eu l'occasion de voir ce document.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais, je ne vois pas pourquoi on ne

21 soumettrait pas à un témoin expert le document qu'il n'a pas encore eu

22 l'occasion de voir. Ceci ferait plutôt partie d'un bon contre-

23 interrogatoire. Je regrette que l'on interrompe cet échange sans que ce

24 soit absolument nécessaire.

25 M. ZECEVIC : [interprétation] Excusez-moi.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il est difficile de suivre les

27 échanges lorsque ceci se produit.

28 M. ZECEVIC : [interprétation] Je vous présente mes excuses.

Page 13373

1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis, vous avez la parole.

2 M. HANNIS : [interprétation] Je ne sais pas si Me Zecevic allait être

3 d'accord avec moi pour affirmer que la suite du texte en anglais devrait

4 être "l'état d'urgence."

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est comme cela qu'on l'a traduit

6 jusqu'à présent. S'il veut le contester, il peut aborder cette question

7 pendant les questions supplémentaires.

8 M. HANNIS : [interprétation]

9 Q. Professeur, au point 1(A) que vous venez de lire et dont vous avez

10 donné lecture, le général Perisic a fait part de ses préoccupations de la

11 manière dont on emploie l'armée au Kosovo-Metohija. Il dit que : "d'un

12 point de vue juridique, ceci est contraire à la loi."

13 Alors, vous nous avez déjà dit que vous n'étiez pas un expert dans le

14 domaine militaire. Le général Perisic à l'époque occupait le poste de chef

15 du Grand état-major de l'armée yougoslave. D'après ce que je comprends,

16 c'était le numéro 1 de l'armée. Est-ce que vous seriez d'accord avec moi

17 pour dire qu'il connaissait mieux la loi régissant l'armée que vous-même ?

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic.

19 M. ZECEVIC : [interprétation] Si cette question est bien adaptée à ce que

20 l'on doit demander au témoin expert, alors mon objection n'a pas lieu

21 d'être. Mais je ne pense pas que ceci correspond à ce que vous venez de

22 dire. Je pense que mon objection est fondée et qu'elle était fondée compte

23 tenu de ce qui vient de se produire.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pense effectivement que l'objection

25 de Me Zecevic est fondée, je pense que ce que vous cherchez à obtenir est

26 tout à fait légitime, mais la manière dont vous le demandez n'est pas la

27 bonne. Vous ne pouvez pas demander au témoin comment le général Perisic

28 comprenait la loi.

Page 13374

1 M. HANNIS : [interprétation] Oui, je vous entends. Je pense que c'est une

2 façon d'aborder la question. Mais si vous estimez que ce n'est pas la

3 bonne, je vais passer à autre chose.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non, je pense que vous devrez

5 reformuler votre question. La vraie question qui se pose est de savoir si

6 Perisic a mal interprété la loi ? D'autre part, si en fin de compte vous

7 allez soumettre que l'homme occupant le poste qu'il a occupé, normalement

8 aurait dû connaître la loi, alors cela c'est quelque chose à quoi on peut

9 revenir par la suite.

10 M. HANNIS : [interprétation] Très bien, je vais passer à autre chose, puis

11 je reviendrai plus tard à cette question.

12 Q. Professeur, point (B), vous en avez donné lecture. Je vais vous dire ce

13 qui est écrit en anglais : "Pour que des conclusions pertinentes et

14 professionnelles de la réunion du conseil suprême de la Défense du 9 juin

15 1998 puissent être appliquées." En anglais, lorsqu'on parle de

16 "conclusions," le mot est écrit avec une majuscule. En d'autres termes, ce

17 serait quelque chose qui se réfèrerait à des conclusions précises et

18 n'emploierait pas le terme de "conclusions," au sens général du terme. Il

19 s'agit là des conclusions très précisément de la réunion du conseil suprême

20 de la Défense du 9 juin 1998.

21 Vous avez lu le compte rendu de cette réunion-là, n'est-ce pas ?

22 R. Oui, j'ai lu cela. Trois conclusions figurent là-dedans.

23 Q. Oui, je pense que vous avez dit dans le cadre de votre déposition, que

24 c'était seulement des conclusions, que c'était une formulation de la

25 position finale, que ce n'était pas des décisions, mais ici le général

26 Perisic dit l'application, la mise en œuvre des conclusions. Est-ce que

27 vous voulez commenter cela ?

28 R. D'après moi, le mot clé c'est le verbe : "nous avons exigé," et il est

Page 13375

1 rédigé au passé. Par ailleurs, je peux vous dire qu'en langue serbe, ce

2 langage est vraiment très mal formulé. C'est mal écrit. "Afin de réaliser

3 de manière professionnelle et technique les conclusions de la réunion du

4 conseil suprême de la Défense du 9 juin 1998, nous avons exigé …" Comment

5 est-ce qu'ils ont exigé ? Sur la base d'une conclusion, il semble être

6 indispensable tout de même de prendre une décision. Qui peut demander au

7 gouvernement de Serbie -- on voit que le général Perisic n'est pas juriste,

8 qui peut lui demander de fournir des fondements constitutionnels et non pas

9 légaux, de proclamer une situation extraordinaire, et de réunir des

10 conditions financières permettant de garantir cela.

11 Dans ces conclusions, il y a si peu de mots et c'est si mal formulé que

12 tout ceci exigeait une décision, tout ceci aurait dû être opérationnalisé

13 par une décision et c'est qui ressort du point (b). On voit que sur la base

14 des conclusions, on a exigé auprès du gouvernement de garantir des

15 conditions juridiques ou constitutionnelles en proclamant l'état

16 d'exception ainsi que des moyens ou des conditions financières. Mais on ne

17 sait pas de quoi il s'agit, parce qu'aucune condition n'est précisée, par

18 la suite, il est dit que ceci n'a pas été fait de par le passé du côté du

19 gouvernement. Donc, le gouvernement fédéral ne l'a pas fait. Autrement dit,

20 tout emploi de l'armée de Yougoslavie à l'extérieur de la zone frontalière

21 reste illégal, ayant des conséquences imprévisibles.

22 Tout ceci, tout ce que je viens dire, ce serait mes commentaires en

23 ma qualité de juriste. C'est ce que j'ai à dire en voyant ce texte.

24 Q. S'agissant de la déclaration de l'état d'urgence, de l'état de guerre,

25 de danger imminent de guerre, il me semble que Me Zecevic vous a invité à

26 examiner avec lui la loi sur la défense l'autre jour, pièce P985, en son

27 article 4. Je ne sais pas quel est l'intercalaire, 62, je pense, du

28 classeur gris ? Est-ce que vous l'avez ?

Page 13376

1 R. Si c'est à moi que vous vous adressez ?

2 Q. Oui --

3 R. Je l'ai.

4 Q. -- Professeur, merci.

5 R. L'intercalaire 62, c'est précisément dans l'autre classeur qu'on le

6 trouve.

7 M. ZECEVIC : [interprétation] Peut-être que M. l'Huissier pourrait l'aider.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Je l'ai retrouvé. Je vous en prie.

9 M. HANNIS : [interprétation]

10 Q. S'agissant de l'article 4, ne semble-t-il pas montrer que l'une de ces

11 situations sera proclamée, en fait que l'assemblée est tenue de proclamer

12 un de ces états lorsqu'elle considère que la souveraineté, l'indépendance

13 territoriale ou la constitution sont menacées ? Ce n'est pas un pouvoir

14 discrétionnaire. Il est dit ici : "L'assemblée fédérale proclame…"

15 R. Oui, mais la constitution - et c'est la constitution qui a la

16 suprématie - ne dit pas que l'armée de Yougoslavie protège le pays dans

17 toute situation extraordinaire, état de guerre, de danger imminent de

18 guerre, et cetera, mais dit plutôt que l'armée défendra la Yougoslavie

19 indépendamment des conditions qui prévalent. Par conséquent, on ne peut pas

20 dire que l'interprétation de l'article 133 est ce qui n'est dit nulle part

21 explicitement dans l'article.

22 L'armée est une constitution qui doit défendre ces quatre valeurs

23 indépendamment des circonstances, indépendamment de savoir si les

24 circonstances sont régulières ou irrégulières. C'est ce que je suis en

25 train de dire. On ne peut pas imaginer qu'il y ait des choses dans la

26 constitution qui n'y sont pas.

27 Q. Professeur, je ne suis pas sûr de suivre votre raisonnement. Au sujet

28 de l'article 133, vous dites que s'il y avait une menace qui pesait sur

Page 13377

1 l'ordre constitutionnel, alors la constitution exige que l'armée défend le

2 pays; c'est exact ?

3 R. Oui, c'est ce que j'affirme, et tout juriste vous affirmerait cela à la

4 lecture de l'article 133 de la constitution. Même le général Perisic ne

5 parle pas d'une violation de la constitution. Il emploie un terme profane.

6 Il dit que l'armée de Yougoslavie agit hors des institutions du système.

7 Mais qu'est-ce que cela veut dire les institutions du système ? Je ne

8 comprends pas. Nulle part dit-il que l'armée agit contrairement à la

9 constitution. Vous dites, au point 1, il dit : "Tendance à employer l'armée

10 hors des institutions du système." Mais "les institutions du système,"

11 cette formulation n'a aucune valeur aux yeux d'un juriste. Pour un juriste,

12 ce qui aurait un sens c'est de dire "contrairement à la loi ou à la

13 constitution."

14 Q. Professeur, ne seriez-vous pas d'accord avec moi pour dire que si

15 objectivement ce genre de menace existait menaçant l'ordre constitutionnel

16 du pays, donc exigeant que l'armée défende le pays aux termes de la

17 constitution, est-ce que ce n'est pas l'équivalent de ce qu'on lit au point

18 4, à savoir, si la constitution ou la sécurité du pays sont menacées, alors

19 l'assemblée fédérale proclame l'un de ces états d'exception ?

20 R. Oui, mais j'ai la sensation que vous établissiez un lien entre l'emploi

21 de l'armée et l'un de ces états d'exception. Si vous faites cela, j'estime

22 que votre interprétation de l'article 133 n'est pas la bonne. A mon sens,

23 l'armée de Yougoslavie peut être employée afin de défendre l'un de ces

24 quatre états, que l'assemblée ait proclamé l'état de guerre, de danger

25 imminent de guerre, ou l'état d'exception, ou non.

26 Q. Il me semble que ce qui me pose problème, c'est ma compréhension de la

27 nature du désaccord ou de ce qui semble avoir été un désaccord entre le

28 général Perisic et M. Milosevic. Cela se fonde sur ce qu'il dit dans sa

Page 13378

1 lettre, la pièce P717, et d'autres éléments de preuve que nous avons

2 entendus ici, où il semble que le général Perisic, et peut-être d'autres

3 protagonistes, ont estimé qu'en l'absence de la proclamation d'un de ces

4 états d'exception, l'armée pouvait être utilisée dans une zone frontalière.

5 L'armée pouvait être utilisée pour défendre son propre personnel et ses

6 installations.

7 Mais ce qui préoccupe le général Perisic c'était le fait que l'armée

8 soit employée dans le cadre des opérations de combat contre les civils et

9 des terroristes de l'UCK, au moins à l'époque on l'appelait "le soi-disant

10 UCK," qu'il n'était pas reconnu en tant qu'une armée, en tant que des

11 rebelles ou des terroristes, donc le général Perisic estime que c'était

12 quelque chose qui revenait à la police, que c'était une mission dont devait

13 être chargée la police, et que si l'armée allait être employée il fallait

14 tout d'abord déclarer un état d'urgence. D'autre part, il semble que M.

15 Milosevic ne souhaitait pas déclarer l'état d'urgence, et vous savez,

16 Professeur, qu'en juillet 1998 il y a eu des préoccupations sur le plan

17 international au sujet des événements qui étaient en cours au Kosovo. Vous

18 savez qu'une résolution a été votée par le Conseil de sécurité en mars.

19 Donc, une partie du problème qui nous préoccupe ici c'est que le

20 général Perisic estimait que c'était une décision politique. Il ne voulait

21 pas que l'armée soit employée dans ces actions sans qu'on déclare

22 préalablement un de ces états, puisque c'était lui qui allait exécuter

23 cette mission. M. Milosevic, c'est ce que je vous soumets, ne souhaitait

24 pas déclarer un de ces états puisque, sur le plan international, ceci

25 aurait permis à la communauté internationale de justifier l'engagement des

26 troupes étrangères pour aider à résoudre la situation, puisque la Serbie ne

27 pouvait pas le faire. Etes-vous en désaccord avec moi ?

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Fila.

Page 13379

1 M. FILA : [interprétation] Je ne m'opposerais pas à ce genre de question,

2 même lorsqu'elles sont aussi longues, mais où est-ce qu'il a trouvé le fait

3 que le président Milosevic s'opposait à proclamer ce genre d'état d'urgence

4 ? Pourquoi est-ce qu'il pose cette question ?

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais la question est tout à fait

6 claire. Elle se fonde sur le fait qu'on n'a pas proclamé l'état d'urgence,

7 donc on rejette votre objection.

8 Allez-y, Monsieur Hannis.

9 M. FILA : [interprétation] [hors micro] Non, ce à quoi j'objecte, c'est

10 qu'on vient de dire que M. Milosevic ne souhaitait pas proclamer l'état

11 d'urgence, mais il ne pouvait pas proclamer l'état d'urgence. C'est

12 précisément de cela qu'il s'agit.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Jusqu'à présent, le témoin a dit que

14 l'armée pouvait agir si elle estimait que l'ordre constitutionnel se

15 trouvait menacé. Le président, quant à lui, est le commandant de l'armée.

16 M. FILA : [interprétation] C'est exact, mais cela s'applique aussi bien à

17 une situation régulière qu'à une situation d'exception. Il est toujours le

18 commandant de l'armée.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais il est très difficile

20 d'accepter votre raisonnement lorsque nous voyons cet article de la loi sur

21 la défense, où on précise comment est proclamé un état d'urgence, et le

22 point de vue du Pr que la constitution en son article 133, d'une manière ou

23 d'une autre, donne le pouvoir d'agir lorsqu'il y a état d'urgence ou

24 l'équivalent de l'état d'urgence sans que celui-ci ait été déclaré. Donc,

25 ce que vous venez de nous dire ne rend pas cette question inacceptable,

26 Maître Fila, en dernière instance, donc on va autoriser la question.

27 M. HANNIS : [interprétation] Je pense que je vais avoir à répéter une

28 partie de la question.

Page 13380

1 Q. Professeur, est-ce que vous voulez que je vous répète ma question ou

2 est-ce que vous avez compris l'essentiel de la question, la substance ?

3 R. S'il vous plaît, pourriez-vous avoir l'amabilité de la répéter. Vous me

4 surestimez si vous pensez que je suis en mesure de mémoriser une question

5 si longue.

6 Q. Très bien, Professeur. Je sais que cette question a été longue, mais je

7 vais essayer de la reposer. D'après ce document et d'après d'autres

8 éléments de preuve que nous avons entendus en l'espèce, j'ai compris qu'il

9 y avait un désaccord entre le général Perisic et M. Milosevic qui pourrait

10 se résumer ainsi. Le général Perisic estimait que l'armée ne pouvait pas

11 être employée à l'extérieur de la zone frontalière, qu'elle pouvait être

12 utilisée pour défendre son propre personnel et ses bâtiments, qu'elle ne

13 pouvait pas être utilisée contre des civils au sein de la Serbie en

14 l'absence d'une déclaration de l'état d'urgence, de danger imminent de

15 guerre ou de guerre. Il avait la sensation que s'il y avait des problèmes

16 qui se posaient avec des terroristes ou de la soi-disant UCK, que c'est la

17 police qui devait s'en charger, le MUP, puisque cela relevait des questions

18 de sécurité intérieure, et c'était de leur ressort.

19 Donc, je pense que l'on peut soutenir qu'il ne souhaitait pas que

20 l'armée soit envoyée à faire des choses qui en fait relevaient du travail

21 de la police, à son sens, en l'absence de déclaration d'un de ces états

22 d'exception.

23 Je vous soumets qu'il y a des éléments de preuve à l'appui de la théorie

24 que M. Milosevic, d'autre part, s'opposait à un état d'urgence, s'opposait

25 à ce qu'il soit déclaré, puisque la Serbie était déjà surveillée de manière

26 très attentive par des observateurs internationaux, avait déjà été

27 critiquée à cause du fait qu'on avait la sensation qu'elle avait recours

28 disproportionné à la force contre les civils au Kosovo. Vous avez vu la

Page 13381

1 résolution des Nations Unies qui a été adoptée en mars 1998, et ceci fait

2 partie de ce qui a incité le général Perisic a rédigé ces lettres. Est-ce

3 que vous seriez d'accord avec moi pour dire que c'est une explication

4 raisonnable du désaccord entre ces deux hommes ?

5 R. D'abord, je n'ai pas connaissance de l'existence d'un tel désaccord, ni

6 de première ni de deuxième main, car je n'ai absolument aucun rapport avec

7 les questions militaires ou avec l'armée. Mais je comprendrais la thèse

8 générale du général Perisic s'il disait sur quelle réglementation il

9 s'appuie, quelle est la règle qu'il invoque. Il semble être parvenu à la

10 conclusion que telle est la nature des choses. Mais pour être entendu, il

11 doit invoquer une disposition précise. Je ne vois aucune disposition

12 précise mentionnée dans ce texte ou invoquée par le général Perisic. Et la

13 façon dont je lis ce texte me convainc que c'est simplement l'exposé de la

14 façon dont lui comprend les choses sur la base de ce qui se passe à ce

15 moment-là et de certaines propositions qui sont faites. En dehors de cela,

16 si l'on parle de l'article 4, je ne vois aucune mention de l'emploi de

17 l'armée yougoslave dans cet article, contrairement à ce que l'on peut lire

18 à l'article 133. Je ne vois rien de ce genre dans l'article 4 de la loi sur

19 la défense.

20 Par conséquent, ce désaccord existait en fait si ce qu'on lit ici est

21 l'interprétation faite par le général Perisic. Mais je ne vois pas qu'il

22 ait invoqué une disposition précise à l'appui de sa théorie. Si le

23 président Milosevic croyait ce que vous prétendez qu'il croyait, ces

24 positions seraient deux positions contraires sur le même sujet.

25 Q. Excusez-moi, Professeur, j'ai besoin de revoir ce que vous avez

26 dit pour vous suivre.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourriez-vous me rappeler une chose,

28 Professeur. Existait-il, dans la constitution de la République fédérale

Page 13382

1 yougoslave, une disposition relative à la façon dont est déclaré l'état

2 d'urgence ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien sûr, aussi bien dans la constitution

4 fédérale, donc dans la constitution de la République fédérale de

5 Yougoslavie de 1992, que dans la constitution de la République de Serbie de

6 1990.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non, non, je parlais de la

8 constitution de 1992.

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui, elle existe, cette disposition.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourriez-vous me rappeler dans quel

11 article ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je crois qu'elle se trouve à l'article 78.

13 Article 78, paragraphe 3, ainsi que dans l'article 99, paragraphe 10.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] L'article 99, paragraphe 10. Voyons.

15 Ces deux dispositions sont tout à fait conformes à ce qu'on peut lire dans

16 l'article 4 de la loi sur la défense, à savoir la loi promulguée par

17 l'assemblée.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Cette disposition est conforme à ce dont

19 dispose l'article 78.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Et vous dites que malgré cela,

21 l'article 133 de la constitution donne au président, en sa qualité de

22 commandant suprême, le pouvoir d'employer l'armée de quelque façon qu'il le

23 souhaite s'il estime qu'il existe une menace à l'ordre constitutionnel,

24 même si l'assemblée fédérale n'a pas décrété l'état d'urgence ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est ce que j'affirme. L'armée

26 yougoslave défend ces quatre valeurs dont nous avons parlé, y compris

27 l'ordre constitutionnel, même en l'absence d'une décision de l'assemblée.

28 D'ailleurs, dans le texte que nous avons sous les yeux, dans l'article 4 de

Page 13383

1 la loi sur la défense, aucune mention n'est faite de l'emploi de l'armée

2 dans ces situations hors du commun. On ne voit dans cet article 4 que la

3 liste des critères permettant de décréter l'existence de circonstances hors

4 du commun, circonstances qui sont au nombre de trois.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que cela permet de penser que

6 finalement la Yougoslavie était une dictature militaire ?

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais non. Je ne vois pas sur quoi on pourrait

8 se fonder pour formuler une conclusion de ce genre. Il n'existe pas, où que

9 ce soit dans le monde, un pays qui ne défendrait pas l'ordre

10 constitutionnel qui est le sien. Il n'existe pas sur terre un seul pays qui

11 ne réagirait pas à une agression, à une attaque par la violence dont le but

12 serait de détruire l'ordre constitutionnel. J'appellerais un tel pays, s'il

13 existait, un pays désorganisé, un pays qui ne choisirait pas de défendre

14 l'ordre constitutionnel qui est le sien. Cela signifierait l'anarchie. La

15 constitution doit être respectée.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

17 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

18 Q. Professeur, si j'ai bien compris ce que vous venez de dire, vous

19 semblez penser que l'armée, si elle considère qu'il existe une menace à

20 l'ordre constitutionnel, peut entreprendre de défendre le pays même en

21 l'absence d'une déclaration qui décrète l'existence d'une des trois

22 situations extraordinaires dont nous parlions, n'est-ce pas ?

23 R. Oui, c'est exact.

24 Q. Parce que l'armée, commandée par le président de la république, M.

25 Milosevic -- commande donc l'armée conformément aux décisions du conseil

26 suprême de la Défense, n'est-ce pas ?

27 R. Oui, c'est ce que dispose l'article 135 de la constitution.

28 Q. J'aimerais maintenant que nous revenions à la pièce 717 pour une

Page 13384

1 minute. C'est la pièce pour laquelle je vous avais fait remettre une copie

2 papier qui est annotée en rose. Je ne sais pas si vous l'avez toujours sous

3 la main, Monsieur le Professeur ?

4 R. Oui, oui.

5 Q. Le passage qui m'intéresse se trouve en page 2. C'est le dernier

6 passage surligné en rose, dont vous n'avez pas encore donné lecture. Je ne

7 sais pas s'il faut placer le document sur le rétroprojecteur, mais en tout

8 cas, en anglais, ce passage commence par les mots : "Projets de

9 résolution."

10 Vous pourriez donner lecture de ces deux paragraphes à notre intention.

11 R. Absolument. Le paragraphe 1 se lit comme suit : "L'armée de Yougoslavie

12 est employée conformément à la loi pour défendre la zone frontalière, les

13 installations militaires et les unités de l'armée. L'armée n'est pas

14 utilisée à quelque autre fin que ce soit, à moins que soit décrétée l'une

15 des trois situations envisagées par la constitution, auquel cas l'armée

16 peut être employée dans toute sa capacité. Nous comprenons cette position,

17 mais nous devons prendre une décision légitime sur le plan politique, parce

18 que si l'assemblée fédérale ou le gouvernement de la République fédérale de

19 Yougoslavie ne se trouve pas aujourd'hui ou ne doit pas être à l'avenir en

20 mesure d'émettre une telle déclaration, comment est-ce que quiconque se

21 verra doté du droit de prendre sur lui cette responsabilité ?"

22 Q. Professeur, est-il permis de dire, à la lecture de ce que semble dire

23 le général Perisic, que sa position consiste à souhaiter l'emploi de

24 l'armée, puisque apparemment il perçoit une menace contre l'ordre

25 constitutionnel, mais que selon lui ceci est une décision politique et que

26 cette décision doit donc venir soit de l'assemblée fédérale, qui

27 décréterait l'existence de l'une des trois situations hors de l'ordinaire

28 dont nous avons parlé, soit du gouvernement ?

Page 13385

1 R. Je ne comprends pas le général Perisic. Il siégeait au conseil suprême

2 de la Défense. C'est un homme au double langage ici. La réunion a eu lieu

3 le 9 juin 1998. Il a voté au sujet des deux décisions - nous pouvons revoir

4 ces décisions, ces conclusions - et il a participé au vote sur la

5 conclusion proposant que l'armée de Yougoslavie réagisse et intervienne

6 d'une façon inappropriée, à en croire ce qu'il écrit, au cas où des actions

7 terroristes seraient menées par le mouvement séparatiste albanais et que

8 ces actes terroristes s'intensifient. La seule chose que je peux dire c'est

9 que ceci est une citation littérale de ce qui a été dit au cours de la

10 réunion à laquelle il a assisté. La troisième conclusion. Nous lisons ici :

11 "L'armée de Yougoslavie se prépare pour l'éventualité d'une intervention de

12 la part de troupes étrangères, indépendamment des raisons qui ont motivé

13 cette intervention."

14 J'aimerais vraiment que nous relisions ces conclusions à haute voix, parce

15 que ce n'est pas à moi qu'il appartient de vous en parler. Durant la

16 réunion en question - et c'est ce que montre le procès-verbal de cette

17 réunion - le général Perisic était présent, et dans la lettre que j'ai sous

18 les yeux, il affirme quelque chose de complètement différent de ce qu'il a

19 dit à la réunion. Il était l'un des participants aux réunions du conseil

20 suprême de la Défense, et nous l'avons vu porter une casquette complètement

21 différente durant les réunions de ce conseil et au moment d'écrire la

22 lettre qu'il envoie au président. Le moins que je puisse dire de lui c'est

23 que c'est une double personnalité ou un homme qui parle un double langage.

24 Si les conclusions étaient disponibles rapidement, je pense qu'il serait

25 utile de les relire. Il a participé aux réunions. Pas seulement cela, il a

26 été celui qui a pris la parole le premier. Il a ouvert la réunion. La

27 première conclusion du président du conseil suprême de la Défense, M.

28 Milosevic, consiste à adopter l'intervention du général Peresic, chef du

Page 13386

1 Grand état-major. C'est la toute première conclusion qui a été examinée.

2 Ensuite, deux autres conclusions dont j'ai déjà parlé ont suivi qui

3 portaient sur l'emploi de l'armée de Yougoslavie dans les termes suivants :

4 "En cas d'action terroriste intensifiée de la part du mouvement séparatiste

5 albanais," et pour la deuxième conclusion, elle se lit comme suit : "Au

6 sujet de l'emploi de l'armée de Yougoslavie dans l'éventualité d'une

7 attaque de la part de troupes étrangères."

8 Q. Professeur --

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Intercalaire 54, c'est cela le

10 document pertinent.

11 M. HANNIS : [interprétation] La pièce P1574 ?

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Voilà. Je peux vous en donner lecture. Il

14 s'agit de la réunion du 9 juin 1998.

15 Le général de corps d'armée, Momcilo Perisic, était présent en sa

16 qualité de chef du Grand état-major. Il a ouvert la réunion. Il a pris la

17 parole en premier. C'est en sa présence et avec son accord que les mots

18 suivants ont été dits : "Eu égard au président de la République fédérale

19 yougoslave, Slobodan Milosevic a proposé, et le conseil a accepté à

20 l'unanimité," unanimité, cela signifie que le général Peresic n'a pas pris

21 position contre, je poursuis la lecture : "ont été adoptées les conclusions

22 suivantes : Premièrement, nous acceptons les conclusions du chef du Grand

23 état-major, le général Perisic; deuxièmement, en cas d'action terroriste

24 intensifiée du mouvement séparatiste albanais, l'armée de Yougoslavie,"

25 vous voyez vous-même le libellé, je reprends : "l'armée de Yougoslavie

26 réagira de la façon qui convient.

27 "Puis troisièmement, l'armée de Yougoslavie sera prête à s'opposer à toute

28 forme d'intervention étrangère susceptible de mettre en danger la

Page 13387

1 souveraineté et l'intégrité territoriale de la République fédérale de

2 Yougoslavie."

3 Il est tout à fait clair qu'en un mois il semble que le général Peresic ait

4 décidé de défendre une position tout à fait différente sur la même

5 question.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais j'aimerais vous poser deux

7 questions à ce sujet. Je crois comprendre que le général Peresic n'a pas

8 voté au cours de la réunion du conseil suprême de la Défense. Est-ce que je

9 me trompe sur ce point ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous ne vous trompez pas. Il ne pouvait pas

11 voter, mais il n'a pas non plus exprimé oralement une quelconque

12 opposition. Lisez les remarques qu'il a prononcées au début de la réunion.

13 Relisez-les simplement.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Attendez une seconde. Dans la

15 conclusion de son interprétation, présentant sa façon de voir les choses,

16 le général Perisic souligne, et vous trouverez cela à la fin du paragraphe,

17 je cite : "En cas de danger venant de l'extérieur, il nous faut mobiliser

18 les forces militaires, mais le conseil suprême de la Défense et les autres

19 organes fédéraux doivent en prendre la décision."

20 Que pensez-vous qu'il voulait dire par là ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce qu'il pensait, c'était probablement la mise

22 en œuvre du mécanisme de prise de décision, de commandement de l'armée tel

23 que défini à l'article 135 de la constitution, qui dispose que l'armée de

24 Yougoslavie est commandée par le président du conseil suprême de la

25 Défense, ou plutôt, par le président de la République fédérale de

26 Yougoslavie, conformément aux décisions au conseil suprême de la Défense.

27 Je pense que c'est cela qu'il avait à l'esprit.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais est-ce que vous-même, vous

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1 n'interprétez pas sa lettre de juillet comme étant une protestation motivée

2 par le fait qu'aucune décision n'a effectivement été prise ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Sa lettre m'apparaît comme une protestation

4 contre l'assemblée fédérale et le gouvernement fédéral, en particulier

5 contre le gouvernement fédéral. Pourquoi est-ce que ce dernier n'a pas

6 décrété l'une des situations hors du commun qui sont prévues par la

7 constitution ? Pourquoi est-ce que les équipements et conditions

8 financières nécessaires n'ont pas été mis à disposition ? Ceci figure dans

9 la page que je suis en train de lire, la page 2. Il se plaint de l'action

10 du gouvernement fédéral. Il dit ici, je cite : "Autrement dit, appliquer de

11 façon responsable et professionnelle les conclusions du conseil suprême de

12 la Défense, nous avons fait appel au gouvernement pour qu'il nous

13 garantisse les conditions juridiques, matérielles et financières." Je ne

14 vois pas très bien ce que peuvent être des conditions juridiques. Je

15 suppose qu'il pense à la constitution, comme je l'ai déjà dit, pour les

16 conditions matérielles, un peu plus loin, "les combats en dehors des zones

17 frontalières sont toujours illégaux."

18 A savoir qu'il parle ici de la légalité d'un engagement de l'armée

19 yougoslave, et il se fonde sur les décisions précédentes du gouvernement

20 fédéral.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne comprends pas ce que vous venez

22 de dire.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce que j'essaie de dire, c'est que l'objection

24 principale qui était celle du général Perisic, à en croire le contenu de la

25 lettre qu'il a adressée au gouvernement, réside en ce que le gouvernement

26 fédéral n'a pas fait deux choses, d'abord --

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cela, j'ai compris, mais je ne

28 comprends pas ce qu'on lit au compte rendu d'audience en anglais, à savoir

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1 : "La légalité de l'engagement de l'armée de Yougoslavie sur la base de

2 décisions précédentes du gouvernement fédéral."

3 Est-ce que l'interprète a bien traduit vos propos ?

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Il ne voyait pas d'objection à l'action

5 du conseil suprême de la Défense. Autrement dit, il semble être sur la même

6 longueur d'onde avec ce dernier, mais ses objections sont adressées au

7 gouvernement fédéral.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Professeur, vous avez déjà dit cela

9 très clairement, et vous avez dit aussi très clairement que trois

10 conclusions sont trop vagues pour égaler des décisions. Alors, en quoi est-

11 ce que le général Perisic avait tort de demander que des décisions soient

12 prises ?

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, j'ai simplement dit que dans les

14 conclusions qui auraient été prises, il était dit qu'indépendamment de la

15 situation, l'armée de Yougoslavie interviendrait de la façon la plus

16 opportune, comme nous le voyons écrit ici, "en cas d'escalade de l'action

17 terroriste due au mouvement séparatiste albanais."

18 Dans cette lettre, le général Perisic déclare que l'armée de Yougoslavie

19 peut être employée légalement uniquement "aux fins de défendre la zone

20 frontalière, les installations militaires et les unités de l'armée." Quant

21 à d'autres formes d'intervention, à savoir des interventions contre une

22 escalade de l'action terroriste due au mouvement séparatiste albanais, il

23 estime que l'armée ne peut pas être employée à cette fin, parce qu'avant

24 qu'elle puisse l'être à cette fin, il faut qu'existe une des trois

25 situations hors du commun qui sont envisagées par la constitution.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais, savoir s'il a raison ou tort sur

27 ce point n'est pas le problème en ce moment. Le problème, c'est l'avis que

28 vous avez mis en exergue, l'opinion du général que vous avez mise en

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1 exergue, en disant qu'il avait changé d'opinion dans un laps de temps d'un

2 mois. N'est-il pas possible qu'il ait considéré les trois conclusions comme

3 des déclarations politiques, pour la mise en œuvre desquelles il était

4 nécessaire de disposer de décisions de la part de l'exécutif ?

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce n'est pas la façon dont j'ai compris sa

6 lettre. Ce que je vois écrit ici, c'est que le général Perisic a exprimé

7 une position différente sur le même sujet dans un laps de temps d'un mois.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci beaucoup.

9 Monsieur Hannis

10 M. HANNIS : [interprétation] Monsieur le Président, je pourrais entamer

11 l'examen du document suivant, qui porte sur ce dont nous venons de parler

12 au document 1574, mais je ne sais pas si nous irons très loin aujourd'hui.

13 Est-ce que vous voulez que je poursuive ?

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, je vous en prie.

15 M. HANNIS : [interprétation] D'accord.

16 Je demande que soit affichée la pièce à conviction P1000 --

17 M. LE JUGE CHOWHAN : [hors micro]

18 M. HANNIS : [aucune interprétation]

19 M. LE JUGE CHOWHAN : [hors micro]

20 Excusez-moi. Je voudrais m'exprimer sur un point qui est en rapport

21 avec ce que vient de dire M. le Président, le Juge Bonomy. Excusez-moi,

22 Professeur. Je vous demanderais d'avoir l'amabilité de vous pencher sur le

23 procès-verbal de la 6e réunion du conseil suprême de la Défense tenue le 4

24 octobre 1998. Page 6, plus précisément, dernier paragraphe. Il s'agit de

25 l'intercalaire 55. Vous avez ce texte ?

26 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

27 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Dernier paragraphe. Veuillez donner

28 lecture de ce paragraphe et nous éclairer sur la position exprimée dans ce

Page 13391

1 paragraphe.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Si la page 6 de la version anglaise correspond

3 à la page 6 de la version serbe, je peux vous donner lecture de ce

4 paragraphe. Je vais le faire. Vous me direz si je lis bien le passage qui

5 vous intéresse.

6 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non, non, non. Un instant. Il faut que

8 le document soit d'abord affiché sur les écrans par le système du prétoire

9 électronique.

10 Je dis aux interprètes que maintenant le document est affiché.

11 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Cela commence par les mots : "Le chef

12 du Grand état-major, le général Perisic …"

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourriez-vous donner lecture de ce

14 texte maintenant ?

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui.

16 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Merci beaucoup.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] "Le chef du Grand état-major de l'armée

18 yougoslave, le général Perisic, a redemandé la parole pour dire qu'il

19 admettait l'opinion selon laquelle la solution permettant de sortir de la

20 situation actuelle devait être cherchée dans une démarche politique, mais

21 qu'en tant que soldat responsable selon la constitution et selon ses

22 convictions personnelles de la défense du pays, il proposait que

23 l'assemblée fédérale prenne une décision claire sur le fait de savoir si le

24 pays devait s'engager dans la guerre ou pas en cas d'attaque."

25 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Merci.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

27 M. HANNIS : [interprétation] C'est ce qu'il a dit le 4 octobre. C'est à la

28 date du 4 octobre, après la lettre qu'il a envoyée, qu'il a envoyée le 23

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1 juillet de la même année.

2 M. HANNIS : [interprétation]

3 Q. Merci. Monsieur le Professeur, le procès-verbal du conseil suprême de

4 la Défense du 9 juin correspondait à des procès-verbaux, n'est-ce pas ? Il

5 ne s'agissait pas de notes sténographiques littérales prises par quelqu'un

6 qui a assisté à la réunion, n'est-ce pas ?

7 R. Il faudrait vraiment que je regarde. Excusez-moi.

8 Q. 54.

9 R. Oui, oui. Mais on peut lire à la fin, notes sténographiques font partie

10 intégrante de ces procès-verbaux.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce qu'il s'ensuit, Monsieur le

12 Professeur, nous avons ici à l'intercalaire 54 l'ensemble du texte par

13 rapport à la réunion de la 5e session qui s'est tenue le 9 juin 1998 ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non, ce n'est pas ce que cela signifie.

15 Cela signifie que nous disposons de procès-verbaux qui illustrent pour

16 l'essentiel ce qui s'est déroulé. En revanche, si vous voulez retrouver ce

17 qui a été dit mot pour mot, vous devez vous reporter aux notes

18 sténographiques.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Dans ce cas, ce n'est pas ce que nous

20 avons sous les yeux. Donc, où se trouvent ces notes ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Honnêtement, je ne sais pas.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que ces derniers ont fait

23 partie des documents que vous avez redonnés à la Défense au début du mois

24 d'août ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne pourrais pas dire cela avec certitude

26 parce qu'il y avait des sessions très nombreuses. Ceci représentait

27 quelquefois des ouvrages importants. Il y avait des conclusions et les

28 notes sténographiques. Certains documents contenaient des notes

Page 13393

1 sténographiques, d'autres des conclusions, et d'autres des conclusions

2 seulement. Je ne peux pas d'emblée vous dire quelle était la situation.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Zecevic.

4 M. ZECEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je puis vous dire que

5 nous n'avons rien d'autre hormis ce que nous avons présenté ici. Il s'agit

6 du procès-verbal. Je ne sais pas exactement à quoi fait référence le Pr.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Avez-vous étudié d'autres documents,

8 hormis les documents qui vous ont été remis par Me Zecevic ?

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non. J'ai simplement regardé les

10 documents que m'a remis Me Zecevic, mais dans ces documents il y a

11 également des notes sténographiques, pas seulement des conclusions. Je veux

12 dire pas seulement des procès-verbaux, enfin oui. Je pense que la session

13 du 28 septembre -- pardonnez-moi, octobre, la session du 28 octobre 1997 --

14 en réalité, je pense être sûr. Je crois qu'il y a eu des notes

15 sténographiques prises pendant la séance lorsqu'on a abordé la question du

16 budget militaire. C'était par ailleurs un texte assez long.

17 M. ZECEVIC : [interprétation] J'ai tous les classeurs chez moi.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ecoutez, si vous vous posez la

19 question de savoir ce que vous allez faire pendant le week-end, maintenant

20 vous savez.

21 Bien, nous sommes arrivés à la fin de l'audience d'aujourd'hui.

22 Vous avez peut-être estimé, Monsieur le Professeur, que la semaine était

23 longue. Maintenant, vous allez avoir une pause jusqu'à lundi. Nous vous

24 reverrons pour recommencer à 9 heures, lundi matin. Je vous demande, s'il

25 vous plaît, de bien faire attention à ceci, ne veuillez évoquer votre

26 déposition dans le cadre de ce procès avec personne. Vous pouvez penser à

27 autre chose. Reposez-vous pour pouvoir reprendre lundi matin à 9 heures.

28 [Le témoin quitte la barre]

Page 13394

1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

2 M. HANNIS : [interprétation] Monsieur le Président, vous m'avez posé une

3 question à propos de cette requête Sainovic --

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.

5 M. HANNIS : [interprétation] -- aux fins de demander un amendement de

6 l'article 65 ter. Nous avons déposé une objection hier à propos de la

7 déclaration écrite du général Vasiljevic hier. Sinon, nous n'avons pas

8 d'autres objections sur les changements proposés pour ce qui est de l'ordre

9 de comparution des témoins et du temps alloué à ces témoins.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui. Je connaissais votre position sur

11 la question de Vasiljevic, mais nous devons y réfléchir encore avant de

12 trancher. Je ne pense pas que la demande de M. Fila soit véritablement

13 matière à réflexion.

14 [La Chambre de première instance se concerte]

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Fila, nous vous permettrons

16 d'amender la liste 65 ter comme vous nous l'avez demandé.

17 Nous allons lever l'audience et reprendre à 9 heures lundi matin.

18 --- L'audience est levée à 15 heures 32 et reprendra le lundi 13 août 2007,

19 à 9 heures 00.

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