Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 114

1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT 95-5-R61

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE AFFAIRE N IT 95-18-R61

3

4 Vendredi 28 juin 1996

5 (matin)

6

7

8 Devant la Chambre de première instance composée comme suit :

9 M. le juge Claude Jorda, Président

10 Mme le juge Elizabeth Odio Benito

11 M. le juge Fouad Riad

12 Assistée de :

13 M. Dominique Marro, Greffier-Adjoint

14 LE PROCUREUR

15 c/

16 Ratko MLADIC

17 et Radovan KARADZIC

18

19 Le bureau du Procureur :

20 M. Eric Ostberg, M. Mark Harmon, M. Terree Bowers

21 Vendredi 28 juin 1996

22 (Matin)

23 L’audience est ouverte à 9 heures 30.

24 M. le Président. - L'audience est reprise. Après les grandes

25 fatigues d'hier et ayant rattrapé un peu le retard, nous allons essayer de

Page 115

1 faire en sorte de ne pas trop bouleverser l'emploi du temps qui, pour nos

2 amis interprètes, est très lourd, le Tribunal en est tout à fait

3 conscient. Il ne pourra peut-être pas faire complètement tout ce qu'il

4 veut, mais il fera son possible.

5 Je crois que nous pouvons sans plus tarder reprendre le cours

6 de nos séances avec le témoignage, Monsieur le Procureur, du Pr Garde.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous avez raison,

8 Monsieur le président. Nous continuons avec le Pr Garde.

9 M. le Président. - Monsieur le Professeur, êtes-vous reposé ?

10 Etes-vous en forme ? Dans ce cas, M. le Procureur va continuer à vous

11 poser les questions qui lui paraissent utiles.

12 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Bonjour, Monsieur

13 Garde. Hier soir, nous avons terminé avec la description de la montée du

14 nationalisme dans les années 80. Nous avons passé brièvement en revue la

15 réaction des médias et leur impact sur ces événements.

16 Si vous le permettez, nous pouvons continuer avec cette

17 chronologie des événements. Vous pouvez peut-être reprendre là où vous

18 vous êtes arrêté pour nous décrire les événements de la fin des années 80

19 et du début des années 90, qui ont en effet contribué à amené à la

20 dissolution de l'ancienne Yougoslavie.

21 M. le Pr Garde. - Nous avions parlé des événements en Serbie

22 dans les régions habitées par des Serbes. A la même époque, c'est-à-dire

23 vers la deuxième moitié des années 80, il y avait un mouvement

24 d'éloignement du communisme dans les Républiques du nord-ouest, et plus

25 particulièrement en Slovénie. Il y a eu, à partir de 1986, peu à peu,

Page 116

1 apparition anticonstitutionnelle, mais plus ou moins tolérée, de partis

2 différents en Slovénie et l'établissement d'un pluralisme démocratique

3 dans cette République.

4 Immédiatement, ce mouvement s'est trouvé en opposition avec

5 celui qui se déroulait en Serbie, puisque les Slovènes ont pris fait et

6 cause pour les Albanais du Kosovo qui étaient l'objet des attaques des

7 autorités serbes. Le conflit entre ces deux Républiques -la Slovénie et la

8 Serbie- est devenu assez aigu, surtout quand les Slovènes ont interdit un

9 meeting serbe qui devait se tenir chez eux et que les Serbes ont répondu

10 par un blocus économique contre la Slovénie.

11 Un peu plus tard, ce même mouvement de diversification

12 politique, d'apparition de partis d'opposition, toléré, s'est produit

13 également en Croatie. C'est ainsi que ces deux Républiques se sont

14 trouvées en opposition avec la Serbie.

15 Là-dessus intervient, en 1989, la chute du communisme dans

16 tous les pays voisins, c'est-à-dire la chute du mur de Berlin, la chute du

17 communisme en Hongrie, en Bulgarie, etc., et finalement en Roumanie. A ce

18 moment-là, naturellement, le mouvement vers le pluralisme devient beaucoup

19 plus fort. Les Républiques yougoslaves ne pouvaient pas rester à l'écart

20 du mouvement de libéralisation.

21 C’est à cette époque que se produisent divers événements.

22 C’est d'abord, au début de 1990, l'éclatement de la Ligue des communistes

23 yougoslaves. Les communistes slovènes et croates, d'un côté, serbes de

24 l'autre, avaient pris des positions totalement opposées. Au congrès de

25 début 1990, le parti éclate : les Slovènes quittent le congrès, suivis par

Page 117

1 les Croates. C'est fini, il n'y a plus de parti communiste yougoslave.

2 Ensuite, au cours de l'année 1990, interviennent des élections

3 qui se déroulent d'abord dans les Républiques du nord-ouest, en Croatie et

4 en Slovénie, au printemps de cette année là -en avril 1990- tandis que,

5 dans les autres Républiques, elles auront lieu à la fin de l'année, en

6 décembre. Les élections de mars en Slovénie et en Croatie amènent au

7 pouvoir des forces tout à fait opposées au communisme.

8 En Croatie, en outre, les élections sont gagnées par un parti

9 lui-même fortement nationaliste croate : le HDZ du Président Tudjman.

10 Immédiatement, cette arrivée au pouvoir des nationalistes en Croatie

11 aggrave les tensions, puisque la Croatie compte 12 % de Serbes. Dans les

12 populations serbes de Croatie, qui ont elles-mêmes été auparavant touchées

13 par la campagne de meetings et l'affirmation selon laquelle elles étaient

14 menacées, ce sentiment s'est renforcé encore, accentué par la propagande.

15 Le comportement des autorités croates donne des aliments à cette campagne.

16 L’un des slogans de la propagande croate était que les Serbes occupaient

17 des postes trop importants dans l'administration, donc on procède au

18 licenciement de certains fonctionnaires serbes, ce qui évidemment renforce

19 chez eux l’idée selon laquelle ils sont menacés.

20 De même, à ce moment-là, est votée une nouvelle Constitution

21 de la Croatie dans laquelle, contrairement à la constitution précédente où

22 il était dit que la Croatie était l'Etat du peuple croate et du peuple

23 serbe de Croatie ainsi que des autres nationalités et minorités qui y

24 vivaient, il est dit que la Croatie est l'Etat du peuple croate et des

25 autres nationalités qui y vivent telles que Serbes, Italiens, Hongrois,

Page 118

1 etc. C'est-à-dire que les Serbes, en quelque sorte, dans cette nouvelle

2 formulation passent de la première catégorie dans la seconde et jugent

3 qu'ils sont expulsés de cette Constitution et qu'ils deviennent des

4 citoyens de seconde zone. Bien que la Constitution leur reconnaisse tous

5 les droits possibles, ce n'est pas toujours le cas dans la pratique.

6 Donc la propagande, venue de Belgrade et exercée sur place,

7 chez les Serbes de Bosnie et de Croatie, et surtout de Croatie à cette

8 époque-là, insiste constamment sur le souvenir du génocide de 1941 et

9 installe dans la tête de la population serbe l'idée que ce génocide va

10 recommencer, que le nouveau pouvoir croate est le continuateur des

11 Oustachis et va recommencer le génocide des Oustachis. D’où révolte,

12 rebellion, à partir de l'été 1990 dans les régions de Croatie habitées par

13 des Serbes.

14 Cette rébellion commence d'abord simplement par des barrages

15 de routes et des désarmements de police croate par des insurgés serbes.

16 Plus tard, cela continue, au cours de l'hiver suivant et du printemps, la

17 rébellion devient de plus en plus forte. Les premiers morts tombent le

18 31 mars 1991 à Blitvice. Le premier massacre de policiers croates par des

19 Serbes a lieu le 2 mai 1991 à Borovoselo, c'est-à-dire presque deux mois

20 avant que la Croatie ne proclame son indépendance. Le conflit s'envenime

21 aussi parce que la Serbie a détourné les fonds appartenant à la

22 Fédération, ceci au début de l'année.

23 Il s'aggrave encore parce que la Serbie refuse au représentant

24 croate d'être élu Président, le 15 mai 1991. En effet, il y avait un

25 système de présidence tournante. Au 15 mai 1991, le Président précédent

Page 119

1 serbe arrivait à la fin de son mandat et la règle aurait voulait que l'on

2 élise le Croate Stipe Mesic, membre du Parti nationaliste croate. Les

3 représentants du bloc serbe font obstruction, empêchent cette élection.

4 Donc il n’y a plus de Président fédéral, les institutions fédérales sont

5 bloquées.

6 Pendant cette période, la Slovénie et la Croatie ont préparé

7 leur indépendance. Il y a eu des référendums en décembre 1990 en Slovénie

8 et en mai 1991 en Croatie, décidant à une énorme majorité de

9 l'indépendance, laquelle est finalement proclamée par les deux pays le

10 25 juin 1991, et c'est à ce moment-là que l'armée fédérale réagit et que

11 commence la phase militaire du conflit, avec l'intervention de l'armée

12 fédérale en Slovénie, qui ne durera que dix jours, l'intervention de

13 l'armée fédérale et la guerre en Croatie, qui durera six mois et, un peu

14 plus tard, en 1992, l'intervention militaire en Bosnie qui, elle, a duré

15 jusqu'à ces derniers mois.

16 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur

17 Garde. Comment la déclaration de l'indépendance de la Slovénie et de la

18 Croatie a-t-elle influé sur l'opinion publique, sur les développements en

19 Bosnie-Herzégovine ?

20 M. le Pr Garde. - La Bosnie-Herzégovine, comme nous l'avons

21 vu, est placée au centre de l'ancienne Yougoslavie, et ses populations,

22 outre les Musulmans bosniaques, sont d'une part des Serbes, d'autre part

23 des Croates. Par conséquent, la formule de la Fédération yougoslave

24 convenait tout à fait aux habitants de la Bosnie et les sondages montrent

25 qu'ils étaient, à la veille de la guerre, tout à fait favorables à la

Page 120

1 conservation de cette Fédération yougoslave, mais à condition que celle-ci

2 soit équilibrée, c'est-à-dire qu'elle englobe à la fois la Serbie et la

3 Croatie. La Bosnie se trouvait donc au milieu et un équilibre se trouvait

4 réalisé.

5 A partir du moment où la Fédération ne comprend plus la

6 Croatie et la Slovénie, la Bosnie se trouve, si l’on peut dire, en tête-à-

7 tête tout à fait inégal avec la Serbie, parce que les Serbes sont beaucoup

8 plus nombreux et puissants. Donc dans cette solution, la Bosnie restant à

9 l'intérieur de la nouvelle Fédération yougoslave dominée par les Serbes,

10 seuls parmi les habitants de la Bosnie les Serbes y étaient favorables,

11 mais les Croates et les Bosniaques musulmans y étaient tout à fait

12 opposés. Par conséquent, à partir du moment où la Fédération a éclaté, la

13 majorité de la population bosniaque, puisque Bosniaques musulmans et

14 Croates ensemble représentent les deux tiers de la population, souhaite

15 désormais l'indépendance.

16 Les élections en décembre 1990 en Bosnie avaient été gagnées

17 par les trois partis nationalistes : le SDS de Radovan Karadzic, parti

18 serbe ; le SDA d’Alija Itzebegovic, parti des Bosniaques musulmans et le

19 HDZ de Stiepan Kljuic, parti des Croates. Ces trois partis nationalistes

20 avaient formé une coalition et gouvernaient en se répartissant les postes

21 de responsabilité.

22 Mais cette coalition n'a pas tenu bien longtemps, parce que

23 justement ses différents membres avaient des intérêts opposés. Deux des

24 partis en question étaient pour l'indépendance de la Bosnie, tandis que le

25 troisième, le SDS serbe, y était totalement opposé. C'est pourquoi le

Page 121

1 conflit n'a pas tardé à éclater.

2 Pendant le deuxième semestre de 1991, c'est-à-dire pendant que

3 dure la guerre de Croatie -cette guerre épouvantable au cours de laquelle

4 l'armée fédérale yougoslave, avec l'aide des milices serbes, a occupé un

5 tiers des territoires croates, expulsé et massacré les populations croates

6 qui s'y trouvaient, a déjà pratiqué à ce moment-là un véritable nettoyage

7 ethnique- la Bosnie-Herzégovine restait à l'écart, elle était en principe

8 neutre. Le Président Alija Itzetbegovic avait soin de maintenir la

9 neutralité, mais le territoire était occupé par l'armée fédérale ; il

10 servait de base arrière à la guerre contre la Croatie, les tensions

11 intérieures étaient fortes et tout le monde sentait que le conflit allait

12 éclater.

13 Effectivement, ce deuxième semestre 1991 est la période où le

14 conflit s'est préparé et où les instruments du conflit et les instruments

15 préalables au partage du pays et au nettoyage ethnique ont été mis en

16 place.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

18 comment le nationalisme serbe s'était-il manifesté, exprimé, articulé dans

19 le cadre de la Bosnie-Herzégovine ?

20 M. le Pr Garde. - Dans le cadre de la Bosnie-Herzégovine, au

21 moment où se préparaient les premières élections pluralistes, celles de

22 décembre 1990, s'était mis en place, parmi d'autres partis, un parti

23 nationaliste serbe, le SDS, Srpska Demokratska Stranka (Parti démocratique

24 serbe) dont le dirigeant principal, dès l'origine, a été Radovan Karadzic.

25 Ce parti, contrairement au parti au pouvoir en Serbie, celui

Page 122

1 de Slobodan Milosevic, n’était pas communiste, il se réclamait même de

2 positions anticommunistes et était fortement appuyé par l'église

3 orthodoxe. Celle-ci a joué un rôle important dans la création du SDS.

4 Le SDS, parti nationaliste, ayant pris comme objectif officiel

5 la défense des droits du peuple serbe en Bosnie, s'est mis en place, a

6 participé aux élections et à la coalition qui a gagné les élections. Par

7 la suite, il a participé au gouvernement dans les institutions de la

8 Bosnie-Herzégovine. Au début, la fonction de la présidence a été accordée

9 au principal leader bosniaque musulman, Alija Itzetbegovic, la fonction de

10 Premier ministre à un Croate et la fonction de Président de l'Assemblée à

11 un membre du SDS serbe, Momcilo Krajisnik.

12 Radovan Karadzic n'est pas entré dans les institutions

13 officielles en Bosnie-Herzégovine, mais il a conservé ses fonctions de

14 Président du parti SDS et il a également occupé celles de Président du

15 Conseil national serbe, organisme non officiel mais sensé représenter les

16 intérêts du peuple serbe en Bosnie. En même temps, le parti serbe -comme

17 d'ailleurs les autres partis nationalistes- s'est assuré le pouvoir dans

18 celles des municipalités où s'est exprimée la majorité.

19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Nous aimerions bien

20 maintenant passer en revue un certain nombre de pièces qui se trouvent

21 dans le dossier. Il s'agit de la version initiale, de l'original et des

22 différentes versions en anglais et en français, c'est-à-dire la traduction

23 de tout ce qui est écrit en cyrillique.

24 M. le Président. - Vous avez terminé un bloc de questions à

25 l'égard du Pr Garde. Mes collègues ont-ils quelques questions à poser ? En

Page 123

1 ce qui me concerne, il y en a une seule, et je ne suis pas sûr que vous

2 l'ayez abordée. Peut-être cela peut-il être utile pour nos débats.

3 Les déclarations d'indépendance des Républiques ont-elles

4 entraîné des réactions de la communauté internationale ? A votre avis,

5 comment ces réactions ont-elles joué dans le déclenchement du conflit,

6 éventuellement ? Si vous avez une opinion là-dessus, pouvez-vous la donner

7 au Tribunal, Monsieur le Professeur ?

8 M. le Pr Garde. - Les déclarations d'indépendance en tant que

9 telles n'ont pas immédiatement entraîné de réactions de la communauté

10 internationale, mais le déclenchement du conflit en Slovénie, puis en

11 Croatie, a entraîné des réactions, c'est-à-dire que comme il y avait une

12 guerre, la communauté internationale, en particulier la Communauté

13 européenne, a essayé de faire ce qu'elle pouvait pour y mettre fin.

14 En Slovénie, cela a été facile parce que justement il n'y a

15 pas de minorité serbe. De ce fait, les Serbes n'avaient pas un très grand

16 intérêt à conquérir la Slovénie et ils ont, au bout de quelques jours,

17 accepté de se retirer.

18 Mais en Croatie, cela a été beaucoup plus difficile. Le

19 conflit a duré six mois et il a été affreux, et sanglant. Les efforts de

20 la Communauté européenne pour y mettre fin ont d'abord été vains.

21 A ce moment là, certains pays, en particulier l'Allemagne,

22 mais d'autres aussi, ont pensé que la meilleure solution était de

23 reconnaître l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, afin que le

24 conflit prenne officiellement le caractère d'un conflit international et,

25 par conséquent, qu’une intervention de l'ONU devienne légitime et puisse

Page 124

1 apaiser ce conflit.

2 D'autres pays, au contraire, comme par exemple la France et

3 l'Angleterre, ont pensé qu'il valait mieux ne pas reconnaître ces

4 indépendances qui entraînaient la reconnaissance des frontières, mais au

5 contraire attendre afin d'échanger cette reconnaissance éventuelle de

6 l'indépendance contre des concessions de la part des Républiques

7 intéressées. En particulier, ils ont probablement souhaité arracher à la

8 Croatie des concessions en ce qui concerne ses frontières.

9 Ces deux conceptions se sont opposées et cette opposition est

10 responsable du fait que pendant six mois aucune décision n'a été prise.

11 Pendant ces six mois, tous les efforts faits par la communauté

12 internationale pour arrêter le conflit ont été vains. Finalement, au bout

13 de six mois, c'est-à-dire en décembre 1991, la décision de reconnaissance

14 traditionnelle a été prise au mois de décembre et elle devait intervenir

15 le 15 janvier. L'Allemagne a anticipé sur cette date tandis que les autres

16 pays l'ont reconnue effectivement le 15 janvier comme prévu. Une chose est

17 certaine : c'est immédiatement après que cette décision de reconnaissance

18 a été prise que les combats en Croatie se sont arrêtés, soit le

19 2 janvier 1992.

20 Vous m'avez demandé mon opinion, Monsieur le Président. On

21 entend souvent dire que la reconnaissance a été prématurée, qu'elle a été

22 responsable du conflit. J’ai même pu lire quelque part que cette

23 reconnaissance avait été la cause de la guerre. Je pense au contraire que

24 cette reconnaissance a été très tardive, qu'elle a été pour beaucoup dans

25 le fait que les combats se sont arrêtés en Croatie, et quand on dit

Page 125

1 qu'elle a été la cause de la guerre, il faut savoir que cette décision de

2 reconnaissance a été prise en décembre 1991 et qu'à cette date, il y avait

3 déjà six mois que la guerre durait. Il y avait déjà des dizaine de

4 milliers de morts en Croatie. La ville de Vukovar venait de tomber, où il

5 y a eu des massacres épouvantables et il y a des charniers autour de

6 Vukovar. Du point de vue de la chronologie, il est tout à fait absurde de

7 dire que cette reconnaissance a été la cause de la guerre, puisque celle-

8 ci durait déjà depuis six mois.

9 Sans aucun doute, la reconnaissance a entraîné la

10 reconnaissance des frontières. Elle a cristallisé le fait que la

11 Fédération avait éclaté. Par conséquent, le fait que la Fédération avait

12 éclaté mettait la Bosnie dans une position difficile. Mais ce n'est pas la

13 reconnaissance qui a créé cela, c'est le fait même de l'éclatement de la

14 Fédération dont j'ai exposé les causes précédemment. Ce n'est pas en

15 refusant de reconnaître cet éclatement, en continuant à faire exister la

16 fiction de la Fédération quand elle ne correspond plus à aucune réalité

17 qu'on aurait pu mettre la Bosnie dans une position plus favorable. Telle

18 est mon opinion.

19 M. le Président. - Merci, Monsieur le Professeur. Je me tourne

20 vers mes collègues. Avez-vous des questions ?

21 M. Riad. - Monsieur le Professeur, vous avez mentionné tout à

22 l'heure que dans l’attaque en Croatie, l'armée yougoslave avait l’aide des

23 milices serbes. Quel était le rôle de ces milices ? Faisaient-elles partie

24 de l'armée ? Etaient-elles sous les ordres de l’Armée ?

25 M. le Pr Garde. - Ces milices n'étaient pas officiellement

Page 126

1 sous les ordres de l’Armée. J’ai employé le terme de milice qui recouvre

2 en réalité deux choses différentes, parce qu'il y avait d'une part les

3 véritables milices locales formées avec des populations serbes de Croatie

4 qui ont joué un rôle dans les tout premiers événements dans les barrages

5 et les premiers affrontements et, d’autre part, des groupes para-

6 militaires venus de Serbie, recrutés par certaines formations extrémistes

7 serbes, comme par exemple les Tigres d’Arkan, les Aigles blancs et

8 d'autres mouvements recrutés en Serbie qui venaient participer à ces

9 opérations en Croatie et qui ont joué un rôle particulièrement actif.

10 On peut dire, même si officiellement les deux espèces de

11 milices n'étaient pas sous les ordres de l'Armée, qu’en réalité elles ont

12 agi de façon tout à fait coordonnée : dans un premier temps les milices,

13 en particulier les milices locales, provoquaient un conflit avec les

14 Croates quand, dans un deuxième temps, l'armée venait soi-disant

15 s'interposer. En réalité, elle s’installait sur le terrain et empêchait

16 toute possibilité pour les croates de le reprendre.

17 Plus tard, quand la guerre s'est véritablement enclenchée, à

18 partir de juillet-août 1991, l'armée attaquait telle ou telle position par

19 un bombardement d'artillerie, ensuite occupait le terrain, chassait les

20 Croates. Ensuite les milices, en particulier celles venues de Serbie,

21 venaient derrière et procédaient aux massacres, aux destructions, à

22 l’expulsion des populations. C’était donc trois forces distinctes, mais

23 qui ont agi pendant tout ce temps-là en très étroite coordination.

24 M. Riad. - Une question m'est restée depuis hier. Quand vous

25 avez parlé du nettoyage ethnique, vous avez rappelé que ce nettoyage

Page 127

1 existait du temps de l'Empire autrichien, puis du nazisme. Mais pourriez-

2 vous plus ou moins déterminer le début de la conception de cette politique

3 en Yougoslavie et d'où elle est venue ?

4 M. le Pr Garde. - Ce qui s'était passé par exemple au XVIIIème

5 siècle, sous l'Autriche, ou au XIXème siècle, en territoire serbe et

6 monténégrin, était l'expulsion des Musulmans.

7 Ensuite, en Croatie et en Bosnie, en 1941, pour la première

8 fois le nettoyage ethnique a été pratiqué par des représentants d'un

9 peuple chrétien sur un autre peuple chrétien, c’est-à-dire par des Croates

10 sur des Serbes. C’est la première fois que le nettoyage ethnique se

11 pratique sans que les victimes en soient des Musulmans. C'est la première

12 fois aussi où il prend des proportions aussi systématiques, aussi énormes.

13 Ceci est évidemment lié à l'idéologie nazie, à l'idéologie fasciste de

14 cette époque-là.

15 On peut dire que le nettoyage ethnique tel qu’il est pratiqué

16 en Croatie au cours du second semestre de 1991, puis en Bosnie de 1992 à

17 1995, est la suite, c'est le même type d'opérations, mais cette fois-ci

18 menées d'une façon plus systématique et plus rigoureuse qu'on ne l'avait

19 jamais vu auparavant.

20 M. Riad. - Elle est pratiquée par qui alors ?

21 M. le Pr Garde. - Pratiquée en Croatie par les Serbes contre

22 les Croates et les non-Serbes, comme les Hongrois, et en Bosnie contre les

23 Croates et surtout contre les Bosniaques musulmans qui en ont été

24 quantitativement les principales victimes, ce qui n'empêche pas qu'il y a

25 eu aussi en Bosnie un nettoyage ethnique pratiqué par des Croates contre

Page 128

1 les Bosniaques musulmans et par des Bosniaques musulmans contre des

2 Croates au cours de l’année 1993. Mais numériquement, statistiquement, le

3 nettoyage a été pratiqué avant tout par les Serbes. Ils en ont pris

4 l’initiative au cours de ces années 90, ils l’ont pratiqué de façon tout à

5 fait systématique et statistiquement de façon infiniment plus

6 considérable. Infiniment.

7 M. Riad. - Merci, Monsieur le Professeur.

8 M. le Président. - Monsieur le Professeur, une question me

9 vient à la suite de celle de mon collègue. Comment définissez-vous le

10 nettoyage ethnique, à la fois dans son principe et dans ses méthodes ?

11 Ensuite, je poserai une question sur l’Armée.

12 M. le Pr Garde. - Le nettoyage ethnique est une pratique qui

13 consiste à faire en sorte que dans un territoire donné, les membres de

14 tel ou tel groupe ethnique soient éliminés, qui tend à ce que tel ou tel

15 territoire devienne "ethniquement pur", c’est-à-dire qu’il ne contienne

16 plus que des membres du groupe ethnique qui a pris l’initiative de ce

17 nettoyage.

18 Donc les membres des autres groupes sont éliminés par

19 différentes méthodes. Il y a des massacres -on ne massacre pas tout le

20 monde, mais il y a des massacres numériquement importants, de façon à

21 effrayer ces populations. Quelquefois, les massacres sont sélectifs et

22 cherchent à éliminer les élites de la population en question. Lorsqu’il y

23 a des massacres, naturellement les autres populations s'en vont, ont peur,

24 cherchent à s'enfuir. Les populations dont beaucoup de membres ont été

25 massacrées et qui se trouvent en butte à des persécutions ont finalement

Page 129

1 elles-mêmes le désir de partir, elles sont soumises à des pressions et

2 partent d’elles-mêmes ou sont expulsées, l’essentiel étant qu’elles ne

3 soient plus là.

4 En même temps, certains sont enfermés dans des camps,

5 certaines femmes sont violées. En outre, il y a souvent aussi ce que l'on

6 a appelé le mémoricide, c’est-à-dire la destruction des monuments qui

7 marquaient la présence de telle ou telle population dans tel territoire,

8 par exemple des lieux de culte : les églises catholiques ou les mosquées

9 sont détruites.

10 Voilà les procédés employés par le nettoyage ethnique au cours

11 de cette guerre.

12 Mme Odio-Bénito. - Dans le cadre de ce nettoyage ethnique,

13 Monsieur le Professeur, lorsque vous parlez de Musulmans, parlez-vous en

14 termes religieux ? Est-ce un groupe ethnique ou un groupe religieux ?

15 M. le Pr Garde. - Quand j’ai parlé de Musulmans à propos du

16 18ème ou du XIXème siècle, il s'agissait d'un groupe religieux. Quand j'en

17 parle à propos du XXème siècle, en particulier en Bosnie, il ne s'agit

18 plus véritablement d'un groupe religieux. Comme je l’ai dit hier, dans ces

19 régions, en particulier en Bosnie où les différentes populations parlent

20 toute la même langue, la différenciation au cours de l'Histoire s'est

21 faite selon un critère confessionnel, c’est-à-dire l'appartenance à tel ou

22 tel groupe confessionnel.

23 Les Croates sont ceux qui étaient de tradition religieuse

24 catholique, les Serbes de tradition religieuse orthodoxe et les Bosniaques

25 musulmans de tradition religieuse musulmane. Cela ne signifie pas que ces

Page 130

1 gens aient eu une foi personnelle ou qu’ils aient pratiqué la religion.

2 Cela signifie simplement qu'ils étaient traditionnellement issus de

3 familles musulmanes. Leurs ancêtres appartenaient à cette communauté

4 musulmane et cela ne signifie pas du tout qu'ils continuaient à pratiquer

5 la religion musulmane, à suivre ses préceptes, à croire ce que croient les

6 musulmans. Il en est de même d’ailleurs pour les catholiques et les

7 orthodoxes.

8 Simplement, ils appartenaient héréditairement à cette

9 communauté, ils étaient considérés par ceux qui les entouraient comme

10 appartenant à cette communauté. Cela n’impliquait rien en ce qui concerne

11 leur foi ou leur pratique personnelle. Il y a naturellement, parmi les

12 Serbes, même ceux qui se réclament très fort de l’orthodoxie, qui

13 défendent l’église orthodoxe, beaucoup sont agnostiques ou athées. Il y a

14 aussi beaucoup de Croates agnostiques ou athées. Il y a aussi beaucoup de

15 Musulmans agnostiques ou de musulmans athées. Ce n’est pas une question de

16 foi personnelle, mais d'appartenance à un certain groupe, à une certaine

17 nation.

18 M. Riad. - Monsieur le Professeur, dans votre explication du

19 nettoyage ethnique, outre la déportation et le massacre, vous avez

20 mentionné le viol. Celui-ci a-t-il été employé comme arme de nettoyage

21 ethnique ?

22 M. le Pr Garde. - Oui, il a été employé à ce titre.

23 Evidemment, le viol, c'est aussi l'humiliation ressentie par la femme qui

24 est violée, par toute sa famille et tout le groupe auquel elle appartient.

25 C'est quelque chose qui rend plus difficile, plus intolérable la vie en

Page 131

1 commun des différents groupes, le retour éventuel dans la région où s’est

2 produit ce viol. Sans aucun doute cela a été employé d'une façon

3 systématique. Ceci dit, pour répondre à cette question, vous aurez

4 certainement des experts beaucoup plus qualifiés que moi. Je ne fais ici

5 que répéter ce qui a été écrit à ce sujet.

6 M. Riad. - Vous employez toujours le mot "systématique" pour

7 le nettoyage ethnique. Qui a pu prôner cette politique au départ dans le

8 conflit actuel ?

9 M. le Pr Garde. - Elle avait été prônée précédemment en

10 particulier par des théoriciens serbes à plusieurs reprises. Par exemple,

11 un texte de 1937 explique très clairement comment il faudrait se

12 débarrasser des Albanais du Kosovo. Il y a des ordres réels ou apocryphes

13 du Général Mihaïlovic pendant la deuxième guerre mondiale qui indiquent

14 qu'il faut nettoyer ethniquement. Je dis authentiques ou apocryphes parce

15 que même s’ils ne sont pas de la main de Mihaïlovic, ils sont quand même

16 issus de ces milieux de Chetniks. L'idée était donc dans l'air et la

17 pratique avait existé.

18 Dans le conflit actuel, je ne connais pas de texte dans lequel

19 il soit dit expressément que les populations doivent être expulsées. Mais

20 il est dit expressément un peu partout : "Nous ne pouvons plus vivre

21 ensemble, nous ne devons plus vivre ensemble, nous ne devons plus vivre

22 avec les Musulmans sous un même toit, etc." Je n'ai pas les textes ici,

23 mais cette idée a été exprimée à plusieurs reprises, très fréquemment. En

24 tout cas, la pratique étant extrêmement systématique, il est clair que

25 l’idée était présente.

Page 132

1 M. Riad. - Je vous remercie.

2 M. le Président. - Je ne suis pas sûr que l’on ait toujours

3 abordé, en tout cas on ne l'a abordé que très partiellement, le rôle de

4 l'armée au départ dans la structure fédérale, puis progressivement ce rôle

5 de l'armée qui évolue. Pourriez-vous, même brièvement, nos donner quelques

6 éclaircissements sur le rôle de la JNA ?

7 M. le Pr Garde. - L’armée était finalement la seule

8 institution fédérale qui avait subsisté. Au fur et à mesure que le pouvoir

9 avait été dévolu aux Républiques, et surtout lorsque la présidence

10 fédérale disparaît, il ne restait plus qu’une institution fédérale :

11 l’Armée.

12 Celle-ci a plusieurs caractéristiques. D’abord, pour des

13 raisons historiques, les Serbes, depuis l’origine, y occupaient des

14 positions dominantes. Il y avait, je pense, 60 % d'officiers serbes alors

15 que les Serbes ne sont que 36 % de la population de la Yougoslavie. Si

16 l’on compte les Monténégrins, la proportion est encore plus forte.

17 Ensuite l'Armée non seulement était une institution fédérale,

18 mais elle vivait de la Fédération et du régime communiste puisque, comme

19 dans tous les régimes communistes, l'armée, les militaires étaient

20 privilégiés. Donc l'armée dans son ensemble souhaitait le maintien de la

21 Fédération et, pour la plupart de ses cadres, le maintien de la Fédération

22 ne se dissociait pas de la défense du peuple serbe.

23 Il y a, par exemple, les mémoires du Général Kadijevic,

24 commandant chef de l’armée pendant toute la période cruciale et jusqu’en

25 janvier 1992. Quand on le lit, on s’aperçoit que, pour lui, les deux

Page 133

1 objectifs ne faisaient qu’un : défense des institutions fédérales et

2 défense des droits des Serbes contre tous les autres peuples.

3 A partir du moment où le pouvoir fédéral disparaît -et on peut

4 dire qu'il disparaît lorsque la présidence fédérale cesse de fonctionner

5 au 15 mai 1991-, on se trouve avec cette situation bizarre d'une armée qui

6 n'a plus personne pour la commander, qui agit comme une force autonome.

7 Grâce à la médiation européenne, à partir de juillet 1991,

8 l’Europe avait imposé finalement l'élection de Mesic, Croate, comme

9 Président de la Fédération, donc théoriquement comme chef de l'armée, mais

10 celle-ci ne lui a jamais obéi le moins du monde. Bien que théoriquement

11 chef de l'armée, il était considéré par celle-ci comme son ennemi numéro

12 un. Donc l’Armée n’avait plus de tête au-dessus d’elle. Elle s’est

13 comportée comme un corps autonome, lequel a pris fait et cause pour le

14 bloc serbe et a agi en étroite coordination avec le pouvoir serbe, celui

15 de Milosevic.

16 D’ailleurs, il s'est créé à ce moment-là un Parti pour la

17 Yougoslavie, dont la direction assurée à la fois par la propre femme de

18 Milosevic, (Eleana Markovic ?*) et quelques-uns des principaux chefs de

19 l'armée. A partir de cette époque, l’Armée agit de façon autonome, mais

20 étroitement liée au pouvoir serbe.

21 M. le Président. - Monsieur le Procureur, comment désirez-vous

22 organiser la suite de nos travaux ? L'audience a exceptionnellement

23 commencé plus tôt et dure jusqu'à 13 heures. Nous devrons faire une pause,

24 notamment pour les interprètes, et vous avez des documents à produire.

25 Quelle est votre suggestion ?

Page 134

1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

2 Président, il nous faudra 30 à 45 minutes pour regarder les documents

3 supplémentaires. Si cela vous convient, nous préférerions continuer

4 maintenant. Naturellement, cela dépend des voeux du Tribunal et du

5 personnel. Si vous voulez interrompre maintenant, nous pouvons le faire.

6 M. le Président. - En espérant que ceci conviendra à tout le

7 monde, nous allons donc poursuivre l'audition du témoin jusqu'à son

8 achèvement. Ensuite, nous ferons la pause et nous aborderons le deuxième

9 témoignage. Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Monsieur le

11 Président. Monsieur le Professeur, pourriez-vous regarder la pièce n° 4 et

12 expliquer à la Chambre ce qu’est cette pièce à conviction n° 4 ?

13 M. le Pr Garde. - Il s’agit d’une lettre adressée par Radovan

14 Karadzic à Slobodan Milosevic pour le féliciter de son élection à la

15 présidence de la République de Serbie. La pièce n’est pas datée, mais on

16 peut facilement la dater de décembre 1990 puisque c’est la date de cette

17 élection pour laquelle sont émises ces félicitations.

18 A mon avis, ce qu'il y a d'intéressant dans cette pièce, c’est

19 la signature, c’est le fait que Radovan Karadzic signe à la fois en

20 qualité de Président du SDS, le parti démocratique serbe, et de Président

21 du Conseil national serbe de Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire de

22 l'organisme non officiel, non constitutionnel, qui était sensé représenter

23 les intérêts du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine. Il apparaît clairement

24 dans cette pièce, ne serait-ce que par le fait qu'il adresse en cette

25 qualité ses félicitations au Président de la Serbie, comme le leader des

Page 135

1 Serbes de Bosnie.

2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous

3 passons à la pièce n° 5. Pourriez-vous expliquer cette pièce à la

4 Chambre ?

5 M. le Pr Garde. - Cette pièce est datée d'août 1991. C'est une

6 circulaire envoyée par Karadzic en qualité de président du SDS à tous les

7 comités régionaux et municipaux du SDS en Bosnie. Ce document indique

8 comment devaient être organisées les communications entre les différents

9 organes du SDS et comment assurer le secret de ces communications. Donc

10 c'est déjà, même à cette époque-là, en août 1991, alors que la guerre

11 faisait rage en Croatie mais n'avait pas commencé en Bosnie, les

12 préparatifs pour une action je ne dirais pas clandestine, mais en tout cas

13 secrète et militaire, pour protéger les communications, rendre possible les

14 communications du parti sans qu'elles soient interceptées par les

15 autorités officielles de Bosnie.

16 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

17 Professeur, pourriez-vous passer à la pièce n° 6 et expliquer également ce

18 qu’elle est ?

19 M. le Pr Garde. - La pièce n° 6 est de mars 1992. Elle est

20 adressée aux présidents de municipalités, bien entendu à ceux qui sont

21 serbes, puisque cette époque, en mars 1992, les territoires considérés

22 comme serbes se sont déjà, contrairement à la période précédente,

23 constitués en territoires séparés. Ici, Radovan Karadzic signe toujours en

24 qualité de Président du SDS, mais il ne s'adresse plus au comité du SDS

25 comme dans le document précédent, il s'adresse directement aux présidents

Page 136

1 de municipalités, celles qui étaient placées sous son autorité à cette

2 époque où le pays avait déjà été divisé.

3 Là encore, il s'agit d'organiser les communications entre les

4 différentes municipalités.

5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous

6 passer à la pièce n° 7 et l'expliquer à la Chambre ?

7 M. le Pr Garde. - La pièce 7 est une décision pour le maintien

8 du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine dans l'Etat commun de Yougoslavie.

9 Cette pièce n'est pas signée de Radovan Karadzic. Elle est signée de

10 Moncilo Krajisnik.

11 En fait, il serait intéressant de regarder également la pièce

12 précédente qui figure sur la même page de photocopie. C'est une décision

13 pour créer une assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, décision

14 de la même date, du 24 octobre 1991. A cette date, il est décidé dans un

15 premier temps -c'est la première pièce, celle qui précède celle au sujet

16 de laquelle vous m'interroger- de créer une Assemblée du peuple serbe de

17 Bosnie-Herzégovine. C'est un degré supérieur par rapport au Conseil qui

18 existait précédemment. Désormais il y a une Assemblée qui est sensée régir

19 le peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire que désormais les

20 Serbes de Bosnie-Herzégovine sont sensés ne plus reconnaître l'autorité du

21 gouvernement de Bosnie-Herzégovine, qui était un gouvernement commun, mais

22 se constituer en entité séparée.

23 Cette Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine

24 est composée des députés du SDS et du SPO qui est un autre parti serbe qui

25 siégeait à l'assemblée de Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire que c’est un

Page 137

1 fragment de l'Assemblée de Bosnie-Herzégovine, représentant les deux

2 principaux partis serbes, qui se constitue en corps séparé. C’est pourquoi

3 le Président de cette assemblée est l'homme membre du SDS qui était

4 précédemment Président de l'ensemble de l'assemblée de Bosnie-Herzégovine,

5 c'est-à-dire Moncilo Krajisnik. C’est pour cela qu'il signe en cette

6 qualité.

7 Dans un premier temps, cette assemblée se constitue, c'est la

8 première pièce. Dans la seconde pièce (pièce n° 7), cette assemblée à

9 peine constituée, le jour même, décide que le peuple serbe de Bosnie-

10 Herzégovine doit rester dans l'Etat commun de Yougoslavie.

11 Il est intéressant de voir qu'il est mentionné que le peuple

12 reste dans l'Etat commun de Yougoslavie. Il n'est pas question

13 expressément de la République socialiste fédérale de Yougoslavie, qui

14 existait à ce moment là, et pas davantage bien entendu de la République

15 fédérale de Yougoslavie qui sera créée quelques mois plus tard. Il est

16 question simplement, terme qui n'a pas valeur officielle

17 constitutionnelle, de l'Etat commun de Yougoslavie, ce qui signifie que

18 quelle que soit la forme que prend l'Etat de Yougoslavie, les Serbes

19 entendent y rester.

20 Il s'agit en quelque sorte d'un acte marquant la volonté de

21 sécession de ce que l'on appelle le peuple serbe de Yougoslavie par

22 rapport à l'Etat de Bosnie. On peut se demander aussi pourquoi cet acte

23 intervient le 24 octobre 1991. Cet acte, naturellement, était préparé

24 depuis longtemps puisque précédemment il y avait eu la création de régions

25 autonomes serbes. Tout était prévu pour cette sécession, mais ce qui l’a

Page 138

1 déclenchée, c'est le vote intervenu le 14, le 15 octobre 1991, c'est-à-

2 dire une semaine avant le vote du Parlement de Bosnie-Herzégovine qui

3 s'est prononcé pour la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine, vote obtenu

4 par les voix des partis des représentants croates et bosniaques musulmans,

5 mais repoussé avec violence même par les représentants serbes.

6 C'est au cours de cette fameuse séance du 14 ou du

7 15 octobre 1991 du Parlement de Bosnie-Herzégovine que Radovan Karadzic a

8 prononcé des paroles particulièrement menaçantes au sujet de ce qui allait

9 se passer au cas où ce vote interviendrait. Si vous le voulez bien, je

10 vais lire ce qu'il a dit à cette occasion. Je m'excuse, mais je vais le

11 lire en anglais parce que je n'ai sous les yeux ni l'original serbe ni une

12 traduction française, j'ai sous les yeux une traduction anglaise publiée

13 dans le livre de Ruran Silba et Alan Lito(?) "The death of Yougoslavia", à

14 la page 237. A cette occasion Karadzic a dit devant le Parlement de

15 Bosnie-Herzégovine :

16 (L'orateur poursuit en anglais) :

17 "Vous voulez faire parcourir à la Bosnie-Herzégovine la même

18 route d'enfer et de misère sur laquelle la Slovénie et la Croatie se sont

19 engagées. Attention, vous allez entraîner la Bosnie-Herzégovine en enfer

20 et allez entraîner l'annihilation, l'élimination du peuple musulman parce

21 que les Musulmans ne peuvent pas se défendre s'il y a la guerre. Comment

22 voulez-vous empêcher que les gens soient tués en Bosnie ?"

23 (L'orateur poursuit en français) :

24 Karadzic a dit cela le 14 ou le 15 octobre 1991 et la pièce

25 n° 7 que nous avons sous les yeux est en quelque sorte la mise en oeuvre

Page 139

1 de cette politique, le premier pas dans cette politique, c'est-à-dire la

2 volonté de sécession des Serbes de Bosnie par rapport à la Bosnie.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

4 Professeur, la création de l'Assemblée et ce qui est resté de la

5 Yougoslavie réapparaît dans cette publication. Est-ce que vous pourriez

6 expliquer cette publication et ce que cela signifie à la Chambre ?

7 M. le Pr Garde. - Vous voulez dire l’organe dans lequel ce

8 texte est publié ?

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Oui.

10 M. le Pr Garde. - Ceci est publié dans le Sluzbeni Glasnik de

11 Bosnie-Herzégovine. C’est une sorte de "Journal officiel" du peuple serbe

12 en Bosnie-Herzégovine.

13 Le fait que le peuple serbe publie un journal officiel est

14 aussi un des actes dans ce processus de sécession, c'est-à-dire le "peuple

15 serbe" s’est constitué en entité séparée et il publie son journal

16 officiel. Il faut remarquer toutefois que ce journal officiel n'a commencé

17 à paraître qu'un peu plus tard, le 15 janvier 1992, et que les actes dont

18 je viens de parler, du 24 octobre 1991 ont été rassemblés après coup,

19 trois mois après, deux mois et demi, après dans l'organe qui a été publié

20 ultérieurement, parce que dans le texte même de la décision, il est dit, à

21 l'article 3 : "Cette décision sera publiée dans le journal du peuple serbe

22 "Javnost". Il s’agit d’un journal qui paraît encore aujourd'hui, je crois

23 me souvenir que c'est un hebdomadaire. C'est un journal normal, ce n'est

24 pas un journal officiel.

25 Dans un premier temps, lorsque la décision est prise, on

Page 140

1 décide de la publier simplement dans la presse et un peu plus tard, ils se

2 sont dit qu’il fallait aussi avoir un journal officiel, ce qu'ils ont fait

3 deux mois plus tard et ils ont rassemblé toutes les décisions prises

4 antérieurement.

5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Professeur

6 Garde, pourrions-nous maintenant passer à la pièce n° 8 ? Pourriez-vous

7 expliquer quelle la teneur de ce document ?

8 M. le Pr Garde. - Il s’agit d’une décision donnant pouvoir

9 pour représenter et défendre les intérêts du peuple serbe en Bosnie-

10 Herzégovine. Dans cette pièce sont désignées cinq personnes qui reçoivent

11 les pleins pouvoirs, qui sont habilitées par l'Assemblée du peuple serbe

12 -qui vient de se créer, puisque tout cela se passe le même jour, le

13 24 octobre- pour la représenter dans tel ou tel type d'affaire.

14 Il est très intéressant de voir comment sont répartis ces

15 responsabilités. Deux personnes sont chargées des relations

16 internationales : Nikola Koljevic et Biljana Plavsic, qui étaient les deux

17 représentants des Serbes à la présidence bosniaque. Trois autres personnes

18 sont chargées des relations avec les autorités fédérales yougoslaves -or,

19 comme la décision précédente prévoyait que les Serbes se donnaient comme

20 but de rester dans l'Etat commun yougoslave, les relations avec les

21 autorités fédérales yougoslaves étaient les fonctions les plus

22 importantes- et parmi ces trois personnes figurent Najdanovic, chargé des

23 relations avec l’Assemblée et le pouvoir législatif, Miodrag Simovic,

24 chargé des relations avec le gouvernement fédéral et Radovan Karadzic,

25 chargé des relations avec la présidence fédérale, c’est-à-dire qu’il est

Page 141

1 chargé des relations avec le pouvoir suprême dans la Fédération. Dans

2 cette phase où le but des Serbes de Bosnie est de rester dans la

3 Fédération yougoslave, Radovan Karadzic est chargé des fonctions qui sont

4 à ce stade les plus importantes, lien avec la présidence fédérale. Il ne

5 peut pas être officiellement intronisé membre de la présidence fédérale,

6 mais il est chargé des relations avec elle, ce qui revient à peu près au

7 même.

8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Passons à la pièce

9 n° 9. Pourriez-vous expliquer la teneur de ce document et son importance ?

10 M. le Pr Garde. - Il s'agit d'une décision sur les territoires

11 des municipalités des communautés locales et des lieux habités de Bosnie-

12 Herzégovine qui se considèrent comme territoires de l'Etat fédéral de

13 Yougoslavie. Toujours cette même formule ambiguë : l'Etat fédéral de

14 Yougoslavie.

15 La sécession de l’entité serbe a été prononcée par les

16 décisions précédentes. Nous sommes ici un mois après, le 21 novembre. La

17 sécession a été proclamée en principe, mais le territoire n'a pas été

18 défini. Il s’agit donc de le définir. Ce territoire est défini comme le

19 territoire dans lequel, lors du plébiscite organisé quelques jours avant,

20 c’est-à-dire les 9 et 10 novembre, plus de 50 % des citoyens de

21 nationalité serbe se sont prononcés pour rester dans la Yougoslavie.

22 Toutes ces régions où plus de 50 % des citoyens de nationalité serbe se

23 sont prononcés pour rester dans la Yougoslavie sont considérées comme

24 territoire de la Yougoslavie.

25 C'est évidemment une définition tout à fait élastique, puisque

Page 142

1 le plébiscite en question a été organisé partout en Bosnie-Herzégovine et

2 partout où il avait été organisé, seuls les Serbes avaient voté, mais une

3 majorité d'entre eux s'étaient prononcés pour rester dans la Yougoslavie.

4 C’est donc une définition extrêmement élastique du territoire qui rend

5 possible tous les empiétements.

6 Une autre caractéristique de ce texte est qu’il est dit à la

7 fin de l’article 4 que les Serbes ne peuvent pas s'opposer aux décisions

8 prises par les communautés croates ou musulmanes de former leurs propres

9 entités, ce qui évidemment est une interprétation tout à fait arbitraire

10 de la réalité puisqu'à cette époque, les populations croates et musulmanes

11 ne s'étaient pas du tout prononcées pour former leurs propres entités. Il

12 y avait simplement des décisions prises à la majorité par l’Assemblée de

13 Bosnie-Herzégovine, qui était sensée représenter toutes les communautés.

14 Il n’y avait donc à cette époque-là aucune action particulière de la part

15 des communautés croates et musulmanes. Celles-ci n’étaient pas sensées, à

16 cette époque, avoir d'existence séparée, contrairement à la prétention de

17 la communauté serbe à cette époque.

18 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pouvons-nous passer

19 à la pièce n° 10 ? Pouvez-vous nous expliquer l’importance de cette

20 pièce ?

21 M. le Pr Garde. - Ici, nous sommes toujours le 21 novembre

22 1991. Il s’agit d’une décision -mot à mot- sur la vérification des

23 territoires autonomes serbes proclamés en Bosnie-Herzégovine. C’est un

24 autre pas, un autre acte allant vers la sécession des territoires serbes,

25 c’est la définition de ces territoires.

Page 143

1 Avant les actes dont nous avons parlé ici, il y avait eu la

2 création, par les Serbes, par le SDS, de régions autonomes serbes et de

3 districts autonomes serbes, c'est-à-dire que certaines régions s'étaient

4 érigées en territoires autonomes et ainsi soustraites au pouvoir commun de

5 la République de Bosnie-Herzégovine.

6 Il est donné ici la liste des communes que comportent ces

7 différentes régions. Il s'agit d'une délimitation territoriale de ces

8 différentes régions. L’une d’entre elles, plus grande, mentionnée en

9 premier, s’appelle la région autonome de Krajina. Elle comprend un

10 territoire assez étendu, c’est pourquoi elle s’appelle région. Ensuite,

11 nous avons les districts autonomes d’Herzégovine orientale, de Romanija,

12 de Semberija et de Bosnie du Nord.

13 Nous avons une liste des territoires qui s'étaient érigés en

14 territoires autonomes serbes et s'étaient donc ainsi séparés déjà

15 potentiellement de la Bosnie-Herzégovine et qui, ici, se sont déclarés

16 constituer partie intégrante de la Yougoslavie et de l'entité serbe qui se

17 constitue en ce moment.

18 Nous avons donc cette définition territoriale ici. Il faut

19 remarquer que cette décision ne trace quand même pas encore des lignes

20 précises puisqu'il y a certaines régions, certaines municipalités dont il

21 est indiqué que le territoire ne comprend qu'une partie. Ce n'est pas

22 encore une délimitation précise, et déjà la décision précédente prévoyait

23 que l'on pouvait aller plus loin et englober d'autres territoires.

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

25 cette création des régions autonomes et de districts autonomes

Page 144

1 faisait-elle partie d'une stratégie serbe plus vaste, à votre avis ?

2 M. le Pr Garde. - Oui, il s'agit d'une stratégie à plus long

3 terme puisqu’il s'agira de faire en sorte que ces territoires, qui dans un

4 premier temps se sont créés en régions autonomes, se réunissent ensemble.

5 Finalement, ils doivent se réunir à la Yougoslavie. Il est intéressant de

6 remarquer que ce processus est le même que celui suivi précédemment en

7 Croatie, puisqu'en Croatie aussi les Serbes avaient créé d'abord deux

8 régions autonomes, puis celles-ci s’étaient réunies ensemble et il était

9 prévu qu'elles restent dans la Yougoslavie.

10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci.

11 Pourrions-nous maintenant voir la pièce 11 et pourriez-vous l’expliquer ?

12 Que représente cette carte ?

13 M. le Pr Garde. - C'est la projection sur une carte de la

14 délimitation dont nous avons parlé tout à l'heure, c’est à dire la

15 délimitation prévue par l'acte précédent. C'est l'ensemble des communes

16 prévues pour faire partie de l'entité serbe, pour rester dans l'Etat

17 commun de Yougoslavie. C’est donc la délimitation géographique qui ressort

18 de l'acte précédent.

19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Madame, Messieurs

20 les juges, à des fins d’éclaircissement, j’aimerais faire deux

21 observations au sujet de cette carte. D’abord, je ferai remarquer que les

22 municipalités de Bosanska Ljubica, Bosanska Gradezka et Bosanska Novi (?)

23 ne sont pas incluses dans la décision du journal officiel. Nous les voyons

24 cependant sur la carte car, sur la base de recherches et d'enquêtes, nous

25 disposons des minutes de l'Assemblée et, dans ce procès-verbal, il est

Page 145

1 indiqué que ces trois municipalités doivent être incluses. C'est la raison

2 pour laquelle elles figurent sur la carte, mais je tenais à ce que ce fait

3 soit indiqué clairement au Tribunal.

4 Par ailleurs, une ligne rouge traverse la municipalité de

5 Bosanska Gornji Vakuv, Veokatica(?) et Sarajevo. Cette ligne n’est qu’une

6 délimitation approximative, car comme le Pr Garde vient de le dire, le

7 texte n’est qu’approximatif et ne donne qu’une idée imparfaite de la façon

8 dont se constituent ces territoires, certains n’incluant qu’une partie de

9 ces municipalités.

10 Passons maintenant à la pièce 12 : le document 113. Professeur

11 Garde, je vous demanderai de l’expliquer pour le Tribunal, je vous prie.

12 M. le Pr Garde. - La nouvelle carte que nous voyons ici

13 indique la situation militaire au 10 novembre 1992, c'est-à-dire à peu

14 près un an après ce qui figurait sur la première carte. On voit qu’il y a

15 une assez grande correspondance entre ces deux cartes, puisque les

16 terrains recouverts sont approximativement les mêmes. Les Serbes ont

17 occupé militairement quelque chose qui ressemble beaucoup à ce qu'ils

18 avaient prévu un an plus tôt.

19 Je remarque d'ailleurs qu'il y a une erreur sur cette dernière

20 carte parce que la région de Bihac Cazin, Velika Kladusa tout à fait à

21 l’ouest, est figurée en rouge, alors qu’elle ne devrait pas. Je pense que

22 c'est simplement une erreur, ces régions n’ont pas été conquises par les

23 Serbes à cette époque et ne le seront jamais.

24 Les deux cartes se ressemblent. Elles ne se superposent pas

25 exactement, puisque, dans certains cas, les Serbes ont conquis des

Page 146

1 territoires plus vastes que ce qu'ils avaient prévu. Par exemple, toute la

2 vallée de la Drina, au nord-est, c'est-à-dire les communes de Visegrad,

3 Srebrenica, Bratunac, Zvornik, Kaletcia (?), a été conquise par les

4 Serbes, alors qu’elle n’était pas incluse dans le texte que nous avons vu.

5 Vous n’ignorez pas que les régions que je viens de citer sont

6 justement celles dans lesquelles se sont produits quelques-uns des actes

7 les plus atroces de la purification ethnique. Nous avons aussi d'autres

8 régions qui ont été conquises alors qu'elles n'étaient pas prévues dans le

9 plan initial. Par exemple, la région de Jajce ou bien encore Brcko au

10 nord-est de la carte, qui était en blanc sur la première carte et qui est

11 en rouge sur la deuxième. Brcko a été aussi le théâtre de combats

12 épouvantables et l’un des hauts lieux, si l'on peut dire, du nettoyage

13 ethnique.

14 Inversement, il y a des régions où les serbes ont rencontré

15 plus de résistance qu’ils ne pensaient. Ce sont d'ailleurs des régions à

16 majorité bosniaque musulmane qu'ils avaient incluses, dans le texte

17 précédent, dans leur région de Bosnie du nord. Il s'agit de ce saillant

18 vers le nord que vous voyez sur la carte n° 12 autour de Tuzla. Cette

19 remontée vers le nord n'était pas prévue dans la carte précédente, c'est-

20 à-dire que les Bosniaques musulmans ont mieux résisté là qu’il n'avait été

21 prévu.

22 La situation militaire rencontrée en novembre 1992 part des

23 prévisions qui avaient été faites un an plus tôt, avec simplement quelques

24 avancées supplémentaires, mais aussi quelques résistances supplémentaires

25 rencontrées. Les avancées supplémentaires ont été particulièrement

Page 147

1 sanglantes.

2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Encore un

3 éclaircissement au sujet de cette carte, Monsieur le Président. Cette

4 ligne qui a été tracée évoque la situation du front telle que mise au

5 point par les forces britanniques de la FORPRONU. Outre ce que le Pr Garde

6 a dit au sujet du nord-ouest, vous constatez que Gorazde, Zepa et

7 Srebrenica, les trois enclaves, ne figurent pas sur cette carte. Elles

8 sont le résultat d’une évolution ultérieure. C’est un éclaircissement que

9 je voulais faire au sujet de cette carte.

10 Pouvons-nous maintenant voir les pièces 13 et 14 brièvement ?

11 Il s’agit d’une superposition des deux tracés pour voir les similitudes.

12 Le Professeur Garde a déjà expliqué quelle était l’importance de ces deux

13 tracés. Nous passons donc à la pièce n° 14. Pourriez-vous expliquer quelle

14 est l'importance de la pièce 14 et quelle est la teneur de ce document ?

15 M. le Pr Garde. - La pièce n° 14, datée du 11 décembre 1991,

16 est un appel adressé par le même organisme, l’Assemblée du peuple serbe de

17 Bosnie-Herzégovine, signé par son Président, Moncilo Krajisnik, à l’Armée

18 nationale yougoslave pour que, par tous les moyens en son pouvoir, elle

19 défende, en tant que partie intégrante de l’Etat yougoslave, les

20 territoires de Bosnie-Herzégovine où a eu lieu le plébiscite du peuple

21 serbe et des autres citoyens pour rester dans l’Etat commun de

22 Yougoslavie, ces territoires ayant été préalablement définis, de façon

23 d'ailleurs peu précise. Il s’agit maintenant de s'adresser à l'armée

24 yougoslave pour assurer leur défense. Il s'agit donc, là encore, de

25 répéter le processus qui s’est produit en Croatie, c'est-à-dire de faire

Page 148

1 en sorte que l'armée yougoslave participe à la défense des territoires

2 serbes ainsi définis.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Savez-vous comment

4 la JNA a répondu à cette requête ?

5 M. le Pr Garde. - La JNA naturellement a répondu favorablement

6 à cette requête. La suite a montré que c’était précisément les unités de

7 l’armée yougoslave -qui ont été, si on peut dire, rebaptisés un peu plus

8 tard pour former l'armée des Serbes de Bosnie- qui ont été le fer de lance

9 de cette guerre en Bosnie.

10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

11 vous avez utilisé le terme "rebaptisée". Faites-vous référence au moment

12 où la JNA a proclamé officiellement qu'elle allait se retirer de Bosnie-

13 Herzégovine ? Pouvez-vous expliquer cela et peut-être comparer ce que l’on

14 a appelé ce retrait de la Bosnie-Herzégovine avec celui qui s'était déjà

15 produit auparavant de Croatie et de Slovénie ?

16 M. le Pr Garde. - En Slovénie, l'armée fédérale avait accepté

17 de se retirer aux termes des accords passés avec la Communauté européenne

18 et elle s’est effectivement retirée avec tous ses effectifs, toutes ses

19 armes, tout son matériel de Slovénie.

20 En ce qui concerne la Croatie, l’armée fédérale, à la suite du

21 cessez-le-feu signé le 2 janvier 1992 et des accords signés ensuite, s’est

22 retirée de Croatie. On a laissé simplement dans les territoires de Croatie

23 sous occupation serbe les forces locales qui ont été rebaptisées police,

24 c’est-à-dire qui ont endossé des uniformes de police, mais c'était tout de

25 même des unités locales. L’Armée fédérale n’avait pas besoin de rester

Page 149

1 pour défendre ces territoires, puisque cette charge avait été assumée par

2 l’ONU. De Croatie, l’Armée fédérale s'est effectivement retirée.

3 Mais de Bosnie, elle ne s’est pas retirée. En avril et mai

4 1992 a été proclamé le retrait de l’armée fédérale. En réalité, toutes les

5 unités de l’armée fédérale, avec tous leurs matériels, sont restées en

6 Bosnie. Simplement, il y a eu un remembrement des effectifs afin que ces

7 unités soient composées exclusivement ou presque de militaires serbes

8 natifs eux-mêmes de Bosnie. Il y a donc eu un transfert des effectifs. Les

9 militaires de Bosnie ont été affectés dans les unités nommées en Bosnie et

10 les militaires non originaires de Bosnie ont été affectés dans les unités

11 stationnées en Serbie et au Monténégro.

12 Les unités stationnées en Serbie et au Monténégro ont continué

13 à porter le titre d’armée fédérale. Les unités stationnées en Bosnie ont

14 porté le titre d’armée de la République serbe, c'est-à-dire de la

15 République serbe de Bosnie, et ont donc été sensées constituer une force

16 entièrement séparée, mais elles avaient conservé tout leur matériel,

17 toutes leurs possibilités. Il faut dire aussi qu'elles ont d’ailleurs

18 continué à être payées par le budget fédéral.

19 Si le retrait de Slovénie et de Croatie a été effectif, le

20 retrait de Bosnie n’a existé que sur le papier. L'armée fédérale est

21 restée en Bosnie, elle a simplement changé de nom. C’est pourquoi je

22 disais qu’elle avait été rebaptisée.

23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur

24 Garde. Pouvons-nous maintenant passer à la pièce 15 et pouvez-vous

25 l’expliquer à la Chambre ?

Page 150

1 M. le Pr Garde. - La pièce n° 15, qui date du

2 21 décembre 1991, est une décision qu'il soit procédé à la formation de la

3 République serbe de Bosnie-Herzégovine. D’ailleurs, dans l’article 1, il y

4 a cette formule bizarre : on procède aux préparatifs pour la formation de

5 la République serbe de Bosnie-Herzégovine. En d'autres termes, cette

6 République n'est pas encore formée, mais le texte en question prévoit le

7 préparatif à cette formation et il est prévu que la République soit

8 proclamée avant le nouvel an serbe, avant le 14 janvier 1992, dans un

9 délai de trois semaines à un mois.

10 Cela signifie que c'est une étape de plus dans la sécession,

11 la constitution de l'entité serbe de Bosnie. Dans les textes précédents,

12 il était simplement précisé qu'elles restaient dans la Yougoslavie et ici,

13 il est décidé qu'elles vont constituer une République séparée, la

14 République serbe de Bosnie-Herzégovine.

15 On peut se demander pourquoi cette décision est prise à cette

16 époque. C'est le moment où la Communauté européenne vient de décider que

17 l'on envisagerait la reconnaissance des Républiques qui le demanderaient

18 et il est donné un certain délai aux Républiques, jusqu'au 27 décembre,

19 pour présenter leur demande d'indépendance.

20 Parallèlement, les Serbes de Bosnie décident qu'ils pourront

21 se constituer en République mais se donnent eux-même un délai pour ce

22 faire. Il s'agit du même processus de sécession et de formation d'entités

23 séparées qui est sensé être mené parallèlement aux décisions prises par

24 l'autre partie.

25 Il est prévu que la République en question soit fondée avant

Page 151

1 le 14 janvier.

2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur

3 Garde. Passons à la pièce n° 16. Pouvez-vous l'expliquer au Tribunal ?

4 M. le Pr Garde. - C'est une décision pour la formation d'un

5 Conseil des ministres de l'Assemblée du peuple serbe en Bosnie-

6 Herzégovine. C'est de la même date, le 21 décembre. Cela signifie que

7 cette Assemblée -qui a été constituée précédemment, qui fonctionne déjà

8 comme un Etat, qui va bientôt avoir son journal officiel et qui va

9 constituer une République-, avant même sa formation, aura un gouvernement,

10 lequel est énuméré ici dans ce texte.

11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

12 on peut remarquer que l'accusé Radovan Karadzic ne figure pas parmi les

13 ministres cités dans ce document. Pouvez-vous l'expliquer ? Pourquoi son

14 nom ne se trouve-t-il pas dans la composition de ce Conseil ministériel ?

15 M. le Pr Garde. - C'est facile à expliquer, c'est que Karadzic

16 ne fait pas partie du gouvernement parce qu’il se réserve pour les

17 fonctions de Président de la République.

18 Les Républiques yougoslaves ont toutes plus ou moins adopté

19 dans leurs Constitutions un système inspiré en partie de la

20 Vème République française, c'est-à-dire avec distinction entre, d'une

21 part, un Président de la République ayant des fonctions importantes et,

22 d’autre part, le gouvernement. Nous avons vu que toujours Karadzic s'est

23 tenu à l'écart de ce qui était gouvernement.

24 Déjà dans la décision précédente, il était chargé des

25 relations avec les autorités fédérales, non pas au niveau du gouvernement,

Page 152

1 mais au niveau de la présidence. De même, dans cet acte, il laisse à

2 d'autres personnes les fonctions gouvernementales. Il se réserve pour la

3 fonction suprême qu'il occupera plus tard.

4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Peut-on

5 passer à la pièce n° 17 ? Pouvez-vous l’expliquer au Tribunal en tenant

6 tout particulièrement compte des articles 1 et 2 ?

7 M. le Pr Garde. - Ce texte est précisément la Constitution que

8 se donne la fameuse République serbe de Bosnie-Herzégovine. Pardon, je

9 confonds. Cette pièce est une déclaration sur la proclamation de la

10 République serbe du peuple de Bosnie-Herzégovine. C’est donc la

11 réalisation de l'acte précédent. Il était prévu qu'il devait être procédé

12 à la création d'une République serbe de Bosnie-Herzégovine avant le

13 14 janvier. Là, nous sommes le 9 janvier et cette République est

14 effectivement proclamée.

15 On peut remarquer déjà que, dans le préambule, il est question

16 de la délimitation territoriale et de la République de Bosnie-Herzégovine

17 ayant existé jusqu'à présent. En un sens, cet acte est, aux yeux des

18 Serbes de Bosnie, l’acte de décès de la République de Bosnie-Herzégovine

19 telle qu'elle avait existé. A partir de là, on trouvera constamment dans

20 les médias serbes l'expression "ex-Bosnie-Herzégovine".

21 M. le Président. - Monsieur le Procureur, je crois que nous

22 avons largement dépassé le temps. Je pense surtout à la pause car il n'est

23 pas du tout question d'interrompre le témoin. Je me pose la question de

24 savoir si, conformément aux accords que nous avons pris, il ne

25 conviendrait pas de faire la pause maintenant, pause qui irait jusqu'à

Page 153

1 11 heures 45, en pensant aux sténotypistes et aux interprètes, avant de

2 reprendre avec le Pr Garde, car à la fois ces explications doivent être

3 données au Tribunal, il ne s’agit pas de les raccourcir, mais il faut

4 penser aux autres impératifs de l’organisation de l’audience.

5 L'audience, suspendue à 11 heures 20, est reprise à 11 heures 35.

6 M. le Président. - L’audience est reprise. Monsieur le

7 Procureur, vous avez la parole.

8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Monsieur

9 le Président. Professeur Garde, nous débattions de la pièce n° 17,

10 article 1. Pourriez-vous la décrire pour le Tribunal et nous situer sa

11 portée ?

12 M. le Pr Garde. - L’article 1 de ce texte reprend la

13 définition des territoires qui feront partie de la République serbe de

14 Bosnie-Herzégovine. Il est intéressant de voir qu'il mentionne les régions

15 autonomes, les districts autonomes et les autres ensembles ethniques

16 serbes (... l'orateur indique en serbo-croate les termes "ensembles

17 ethniques serbes"*) en Bosnie-Herzégovine, ce qui est déjà quelque chose

18 de très vague, et il ajoute :

19 (L'orateur poursuit en serbo-croate) :

20 «Y compris les régions dans lesquelles la population serbe est

21 restée minoritaire en raison du génocide dont elle a été l’objet pendant

22 la deuxième guerre mondiale ».

23 (L'orateur reprend en français) :

24 Il s’agit donc de la mention du génocide. Il faut remarquer

25 que cette formule, premièrement, est extrêmement imprécise, donc e permet

Page 154

1 n’importe quelle extension du territoire, deuxièmement, elle est à peu

2 près sans objet parce que, si sanglant qu’ait été le génocide commis

3 contre les Serbes pendant la deuxième guerre mondiale, les études

4 démographiques faites ensuite ont montré qu’il n’a pas changé de façon

5 sensible la structure ethnique de la population. C’est un des grands

6 mythes serbes selon lequel les Serbes auraient perdu la majorité en Bosnie

7 du fait du génocide perpétré entre 1941 et 1945. En réalité, les

8 recensements montrent que la majorité a basculé non pas à cette époque-là,

9 mais trente ans plus tard. Le premier recensement qui fait apparaître que

10 les Serbes n’ont plus la majorité est celui de 1971. Par conséquent, il

11 n’est pas vrai que les Serbes aient perdu la majorité à cause du génocide.

12 Si on prend les différentes régions, les différentes localités

13 individuellement, je ne peux pas affirmer qu’il n’y ait aucune dans

14 laquelle ce basculement n’ait pas été provoqué par le génocide, mais je ne

15 le pense pas, ou en tout cas s’il y en a elles sont extrêmement rares.

16 Donc il s’agit d’une formule qui est à peu près sans objet, qui d’ailleurs

17 sera abandonnée un peu plus tard, comme nous le verrons dans les documents

18 ultérieurs, mais qui a pour objet à la fois de rendre la définition

19 imprécise, permettant toutes les extensions, et de se référer à un mythe

20 extrêmement puissant dans l’opinion serbe.

21 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

22 veuillez bien porter votre attention sur l’article 2 et expliquez-nous sa

23 signification.

24 M. le Pr Garde. - L’article 2 précise que la République

25 nouvellement formée restera dans la Yougoslavie et sera une de ses unités

Page 155

1 fédérales. De nouveau, il est question de l’Etat fédéral de Yougoslavie

2 (...l'orateur donne les termes en serbo-croate), termes qui, comme nous

3 l'avons vu, n'est pas officiel et qui peut s’appliquer à n’importe quelle

4 forme de Yougoslavie. La nouvelle République ne fait plus partie de la

5 Bosnie-Herzégovine, mais elle prétend devenir une des unités fédérales de

6 la Yougoslavie, comme l’était la Bosnie-Herzégovine précédemment.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Nous pouvons passer

8 à la pièce 18, un jeu de documents, y compris la Constitution. Pouvez-vous

9 expliquer au Tribunal quelle est la teneur, la signification de cette

10 pièce ? Pourriez-vous relever quelque chose d’important, de significatif,

11 en ce qui concerne la date de la mise en application de la Constitution en

12 question ?

13 M. le Pr Garde. - La Constitution en question est proclamée le

14 28 février 1992. Pourquoi le 28 février ? Parce que le 29 février, c’est-

15 à-dire le lendemain, est prévu le référendum par lequel la Bosnie-

16 Herzégovine doit proclamer son indépendance. Donc il faut, aux yeux des

17 Serbes de Bosnie, qu’au moment où la Bosnie-Herzégovine proclamera son

18 indépendance, la République nouvellement formée, qui fait sécession, la

19 Bosnie-Herzégovine, ait déjà sa propre Constitution.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Voudriez-vous

21 porter votre attention sur l’article 2 et en expliquer au Tribunal la

22 signification ?

23 M. le Pr Garde. - Cet article reprend en partie l’article que

24 nous avons analysé à l’instant sur la définition du territoire. Il est

25 question encore une fois du territoire des régions autonomes, des autres

Page 156

1 ensembles ethniques serbes, mais il est dit ensuite :

2 (L'orateur poursuit en serbo-croate) :

3 «Y compris les régions où la population serbe a fait l’objet

4 du crime de génocide au cours de la deuxième guerre mondiale».

5 (L'orateur poursuit en français) :

6 En apparence, c’est la même chose que tout à l’heure. En

7 réalité, c’est différent. Tout à l’heure, il était question des régions

8 dans lesquelles le peuple serbe s’est retrouvé en minorité du fait du

9 génocide. Maintenant, il est question simplement des régions où le

10 génocide a été commis, ce qui est tout à fait différent. On peut imaginer

11 que les auteurs de ce texte se sont aperçus de ce que j’ai dit tout à

12 l’heure, c’est-à-dire que la majorité démographique n’avait pas basculé du

13 fait du génocide et que, par conséquent, leur texte précédent était sans

14 objet. C’est simplement une hypothèse que je fais.

15 Il faut remarquer aussi que le texte est encore plus général,

16 parce que s’il n'y a pas ou très peu de régions où le génocide a fait

17 basculer la majorité, en revanche le génocide a été commis un peu partout.

18 Donc, quand on parle des régions où a été accompli le génocide, cela peut

19 s’appliquer pratiquement à n’importe quelle région de Bosnie-Herzégovine.

20 Comme on le voit, la définition du territoire demeure

21 extrêmement imprécise, extrêmement élastique et permet toutes les

22 interprétations et toutes les conquêtes.

23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

24 revenons encore à la Constitution, article 3, où l’on emploie une autre

25 expression : cette nouvelle entité, telle qu’elle se situe, telle qu’elle

Page 157

1 se voit par rapport à l’entité fédérale ou à l’Etat fédéral de

2 Yougoslavie, pourriez-vous en faire une revue succincte ?

3 M. le Pr Garde. - L’article 3 dit simplement que la République

4 fait partie de l’Etat fédéral de Yougoslavie. C’est la même formule que

5 précédemment, il s’agit de l’Etat fédéral de Yougoslavie quel qu’il soit.

6 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

7 est-ce que vous voudriez bien passer à la fin de ce jeu de documents ? Il

8 s’agit de la loi constitutionnelle pour la mise en application de la

9 Constitution. J’attire votre attention sur l’article 5. Vous voudrez bien

10 expliquer au Tribunal quelle est la teneur et quelles en sont les

11 dispositions.

12 Il s’agit toujours de la pièce 18, dernier segment : la loi

13 constitutionnelle sur la mise en application de la Constitution.

14 M. le Pr Garde. - Oui, la loi constitutionnelle.

15 L’article 5 dit que :

16 (L'orateur poursuit en serbo-croate) :

17 « D’ici l’élection du Président de la République, la

18 présidence sera assurée..., les autorités seront assurées par les

19 représentants de la nationalité serbe élus aux élections du

20 18 novembre 1990».

21 (L'orateur poursuit en français) :

22 Jusque-là, la Constitution elle-même -dont nous avons parlé à

23 l’instant- prévoit l’élection du Président de la République au suffrage

24 universel. Ici, il est prévu que jusqu’à l’élection du Président, la

25 fonction sera remplie par les membres de la présidence qui avaient été

Page 158

1 élus précédemment. Ces membres de la présidence étaient Nikola Koljevic et

2 Biljana Plavsic. Ce sont ces deux personnes qui assurent une présidence

3 collective. Pour l’instant, Radovan Karadzic ne s’est pas mis en avant

4 comme Président puisque ses fonctions sont encore, en tant que président

5 du SDS, en quelque sorte la représentation de la nouvelle République

6 fédérale au sein des institutions fédérales.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Professeur Garde,

8 l’article 5 prévoit au fond les élections générales. A votre connaissance,

9 est-ce qu’il y a eu ce genre de suffrage général pour le Président de la

10 Republika Srpska ?

11 M. le Pr Garde. - Non il n’y a pas eu d’élections

12 générales. Celles-ci étaient prévues par la Constitution.

13 J’ai cité tout à l’heure le deuxième paragraphe de

14 l’article 5, mais j’ai oublié de parler du premier paragraphe qui prévoit

15 que le Président de la République sera élu par l’Assemblée du peuple

16 serbe.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - A votre

18 connaissance, ces élections n’ont jamais eu lieu ?

19 M. le Pr Garde. - L’élection au suffrage universel prévue par

20 la Constitution elle-même n'a jamais eu lieu. En revanche, l'élection par

21 l’Assemblée, prévue par le premier paragraphe de l'article 5 de la loi

22 constitutionnelle que nous examinons ici, a eu lieu quelques mois plus

23 tard et c’est Radovan Karadzic qui a été élu.

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur

25 Garde. Nous passons à la pièce n° 19. Pouvez-vous nous expliquer cette

Page 159

1 pièce, sa signification et sa portée ?

2 M. le Pr Garde. - Cette pièce date du 12 mai 1992. Elle

3 proclame la mobilisation générale de la défense territoriale sur tout le

4 territoire de la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Nous sommes le

5 12 mai 1992 et il y a déjà quelques semaines que la guerre a commencé, que

6 les massacres ont commencé. Il s’agit en quelque sorte de légaliser la

7 mobilisation des forces serbes locales pour ces actions. Il s’agit de la

8 mobilisation de la défense territoriale. Dans l'ancienne Yougoslavie, il y

9 avait d'une part, l'armée et d'autre part, la défense territoriale.

10 L'armée est déjà à l'oeuvre et la défense territoriale est mobilisée

11 aussi, ce qui signifie en fait la mobilisation générale de la population

12 serbe pour participer à cette guerre.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Professeur

14 Garde, nous passons maintenant à la pièce n° 20. Pouvez-vous en expliquer

15 la signification ?

16 M. le Pr Garde. - Ce sont des amendements à la Constitution de

17 la République serbe de Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire le document que

18 nous avons examiné précédemment. Cela date également du 12 mai 1992,

19 c’est-à-dire quelques semaines après que la guerre a effectivement

20 commencé. Parmi ces différents amendements, celui qui est intéressant, à

21 mon avis, est l'amendement 3, article 111, qui prévoit que :

22 (L'orateur poursuit en serbo-croate) :

23 "L'armée de la Bosnie-Herzégovine, en paix ou en guerre, sera

24 sous le commandement du Président de la République serbe, conformément aux

25 lois et la Constitution."

Page 160

1 (L'orateur poursuit en français) :

2 Le Président de la République est désormais le chef des armées

3 et ce Président de la République sera bientôt Radovan Karadzic.

4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous passons

5 à la pièce n° 21. Voudriez-vous nous expliquer la teneur et la portée de

6 cette pièce.

7 M. le Pr Garde. - Il s'agit d'une loi complétant la loi

8 constitutionnelle pour l'application de la Constitution de la République

9 serbe de Bosnie-Herzégovine.

10 Dans cette loi, l'article 1 prévoit la nouvelle façon dont

11 doit fonctionner la présidence de la République. C'est en quelque sorte le

12 troisième texte qui se rapporte à cet objet, puisque dans la Constitution

13 était prévue une élection au suffrage universel ; dans la loi

14 constitutionnelle que nous avons vue précédemment, il était prévu une

15 élection par l'assemblée ; ici, il est prévu encore une troisième formule

16 à titre provisoire, à cause des circonstances. Il est prévu que la

17 fonction de la présidence sera assurée par une présidence de trois membres

18 qui seront élus par l'Assemblée et que cette présidence élira en son sein

19 un Président. C'est en quelque sorte une formule semblable à celle des

20 anciennes Républiques yougoslaves : l’Assemblée élit une présidence qui

21 elle-même élit en son sein un Président.

22 Il avait d’abord été prévu une élection à un degré, au

23 suffrage universel, puis une élection à deux degrés par l’Assemblée, et

24 finalement c'est une élection à trois degrés.

25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pour poursuivre sur

Page 161

1 cette question, nous sautons la pièce n° 22 et passons à la pièce n° 23.

2 Professeur Garde, voulez-vous examiner cette pièce et nous expliquer

3 quelle en est la signification ?

4 M. le Pr Garde. - Cette pièce est la conséquence de la

5 précédente. Il était prévu qu'on élirait une présidence et que celle-ci

6 élirait un Président. La présidence en question est élue ; elle comprend

7 trois membres. Qui sont ces trois membres ? Ce sont Biljana Plavsic et

8 Nikola Koljevic qui formaient déjà à eux deux la présidence, qui étaient

9 les représentants serbes à la présidence de Bosnie-Herzégovine, et on y

10 ajoute désormais Radovan Karadzic, troisième dans mon exposé, mais qui est

11 nommé le premier dans le texte. C'était donc l’étape préparatoire pour

12 qu’ensuite Radovan Karadzic accède à la présidence de la République.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Et c’est en effet

14 ce qui s’est passé réellement.

15 M. le Pr Garde. - La présidence de trois membres ainsi

16 désignée a élu Karadzic comme son Président.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous

18 revenons maintenant à la pièce n° 22. Professeur Garde, pourriez-vous nous

19 expliquer la signification de cette pièce n° 22 ?

20 M. le Pr Garde. - Cette pièce est de la même date que celle

21 que nous venons de voir, c’est-à-dire du 12 mai 1992, quelques semaines

22 après le déclenchement de la guerre. Elle prévoit la formation de l'armée

23 de la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Cette République a désormais

24 son armée. Comme je l'ai indiqué précédemment, celle-ci est composée en

25 fait avec les unités de l'armée fédérale qui étaient stationnés sur le

Page 162

1 territoire de la Bosnie-Herzégovine. C’est en quelque sorte un fragment de

2 l'armée fédérale qui reçoit une nouvelle désignation en fonction des

3 circonstances.

4 Par ailleurs, l'article 3 désigne un commandant en chef de

5 cette armée et celui-ci est le Général Ratko Mladic.

6 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Par conséquent, la

7 proclamation officielle qui fait de Ratko Mladic le commandant en chef de

8 l'armée de la Republika Srpska et le décret proclamant Radovan Karadzic

9 Président de l'Etat ont été publiés le même jour, à la même date ?

10 M. le Pr Garde. - Oui, avec cette différence que dans le cas

11 de Ratko Mladic, il s'agit de son accession à ce poste, tandis que dans le

12 cas de Radovan Karadzic, bien qu’il n’ait pas formellement occupé les

13 fonctions de Président de la République, il était déjà depuis longtemps le

14 leader incontesté.

15 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Nous passons à la

16 pièce n° 24. Professeur Garde, voudriez-vous nous situer ce document et

17 nous en donner la signification, s'il vous plaît?

18 M. le Pr Garde. - Ce document est daté également du 12 mai

19 1992, c’est-à-dire du même jour. Il s'agit d'un document qui relève de

20 leurs fonctions les membres des fonctions judiciaires qui avaient été

21 nommés dans le cadre de la République de Bosnie-Herzégovine. Cela signifie

22 que l’on renommera les magistrats dans le cadre de la nouvelle République

23 des Serbes de Bosnie.

24 Il faut signaler que c'est le premier document signé par

25 Radovan Karadzic en qualité de Président de la présidence de la République

Page 163

1 serbe de Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire que c'est le premier document

2 qu'il signe en tant que Président.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous passons

4 à la pièce 25. Voulez-vous nous situer l'importance de cette pièce ?

5 M. le Pr Garde. - C'est une décision également signée par

6 Radovan Karadzic en qualité de Président de la présidence de la

7 République, en date du 13 mai 1992. Ce texte prévoit l'application des

8 règles du droit international dans l'armée de la République serbe de

9 Bosnie-Herzégovine. En quelque sorte, Radovan Karadzic a ici signé son

10 adhésion aux principes du droit international de la guerre.

11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Nous passons

12 maintenant à la pièce n° 26.

13 M. le Pr Garde. - La pièce n° 26 est largement postérieure.

14 Elle est du 17 décembre 1992. C’est la proclamation de l’élection du

15 Président de la République serbe, la République serbe de Bosnie-

16 Herzégovine étant devenue maintenant Republika Srpska.

17 C'est la proclamation de l'élection de Radovan Karadzic dans

18 les fonctions de Président de la République. Jusqu'à présent, il était

19 Président de la présidence, élu au 3ème degré. Maintenant, il est

20 Président tout court, élu au 2ème degré, c’est-à-dire élu par l’Assemblée

21 conformément à un des textes que nous avons vus précédemment.

22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En ce qui concerne

23 la pièce n° 26, nous vous fournirons les traductions en français et en

24 anglais plus tard.

25 Professeur Garde, nous avons donc passé en revue ces

Page 164

1 différentes décisions et proclamations telles qu’elles sont apparues dans

2 la gazette officielle. Concernant ces affirmations officielles, pourriez-

3 vous nous faire une analyse générale de l'ensemble de la teneur de ces

4 documents et ceci pour le Tribunal ?

5 M. le Pr Garde. - Malgré la grande diversité formelle des

6 décisions prises -lesquelles paraissent au premier abord incohérentes

7 puisqu’il est décidé l'élection de telle façon, puis de telle autre et

8 ainsi de suite et que les gens se retrouvent dans différentes fonctions-,

9 si l’on suit la logique chronologique de ces documents, on s'aperçoit

10 qu'ils montrent que Radovan Karadzic a toujours été le personnage

11 principal, le leader incontesté des Serbes de Bosnie.

12 On peut chronologiquement distinguer trois phases.

13 Jusqu’en octobre 1991 fonctionne officiellement la République

14 de Bosnie-Herzégovine, avec trois peuples constituants et avec au pouvoir

15 une coalition des trois partis nationaux. Ces derniers se sont répartis

16 les postes : un Musulman à la présidence, un Croate au gouvernement et un

17 Serbe à la présidence de l'Assemblée. Donc les Serbes ont laissé aux deux

18 autres groupes le pouvoir exécutif et se sont réservé simplement une

19 fonction moins importante, la présidence de l’Assemblée législative, ce

20 qui signifie qu’ils ne souhaitent pas s'intégrer trop fortement dans les

21 rouages de cette République parce qu’ils pensent déjà à s'en séparer. La

22 personne qu’ils ont désignée pour occuper ces fonctions de Président de

23 l'Assemblée n'est pas leur leader, le chef de leur parti, c’est-à-dire

24 Radovan Karadzic ; c’est un autre personnage, qui n’est pas sans

25 importance ni sans responsabilité, mais qui n’est tout de même pas le

Page 165

1 patron, Moncilo Krajisnik.

2 Mais Radovan Karadzic occupe la fonction primordiale de chef

3 d’un des trois partis de la coalition et de chef du parti dominant serbe,

4 en même temps que la fonction de Président du Conseil national serbe qui

5 est l'organisme informel des Serbes de Bosnie.

6 Ceci dure jusqu'en octobre 1991, c'est-à-dire jusqu'au moment

7 où le Parlement de Bosnie, dans cette séance mémorable dont j'ai parlé

8 tout à l'heure où Karadzic a prononcé ces paroles menaçantes que j'ai

9 citées, vote la souveraineté de la Bosnie. A ce moment là, le plan pour la

10 sécession et la séparation de l'entité serbe commence déjà à entrer en

11 vigueur et, dans cette période, les Serbes décident qu’en dépit de la

12 décision qui vient d'être prise par le Parlement, leurs territoires

13 -qu'ils font mine de délimiter à ce moment-là- resteront comme une entité

14 dans la Yougoslavie.

15 Dans cette période, quel est le poste principal ? Ce sont les

16 rapports avec la Fédération yougoslave et c'est cette fonction que prend

17 Radovan Karadzic. Dans un des textes que nous avons vus, il est chargé

18 spécialement des rapports avec la présidence yougoslave.

19 Plus tard, quand sont consommées l'indépendance de la Bosnie

20 ainsi que la sécession des territoires serbes pour former une République

21 serbe de Bosnie-Herzégovine, Radovan Karadzic se fait élire, par

22 différents procédés successifs, à la fonction qu'il s'était réservée

23 depuis le début, c'est-à-dire celle de Président de la République. Donc

24 malgré leur incohérence apparente, les décisions que nous avons vues ont

25 une continuité logique et elles montrent en tout cas qu'à aucun moment

Page 166

1 Radovan Karadzic n'a cessé d'être le patron.

2 Je voudrais attirer aussi l'attention sur le fait que ces

3 décisions, à première vue, semblent ne rien impliquer de particulier en ce

4 qui concerne la conduite des opérations militaires et le nettoyage

5 ethnique pratiqué à partir de mars 1992. Il faut tout de même avoir

6 présent à l’esprit une chose importante, c'est le précédent de la Croatie.

7 Le processus qui se déroule ici et qui apparaît à travers ces

8 textes est exactement celui qui avait été mis en oeuvre par les Serbes de

9 Croatie quelques mois plus tôt, c'est-à-dire que d'abord les territoires à

10 majorité serbe ou soi-disant tels se constituent en entités séparées, en

11 régions autonomes ; ensuite, ils se regroupent pour former une République

12 -dans le cas de la Croatie, c'est la République serbe de Krajina et dans

13 le cas de la Bosnie, c’est la République serbe de Bosnie-Herzégovine, plus

14 tard Republika Srpska. Ils se réunissent donc pour former une entité de ce

15 genre, avec l'intention de rester dans la Yougoslavie. Enfin, ils

16 procèdent au nettoyage de leurs territoires et à l'épuration ethnique de

17 ces territoires de façon particulièrement sanglante.

18 Ce processus a commencé en Croatie au milieu de 1990 et la

19 période sanglante du nettoyage ethnique en Croatie s'est déroulée dans le

20 deuxième semestre de 1991.

21 Donc au moment où les Serbes de Bosnie franchissent les

22 premières étapes de ce processus, c’est-à-dire précisément en

23 octobre 1991, on sait déjà, par l’exemple de la Croatie, où ce processus

24 conduit. On sait qu’il conduit à un nettoyage ethnique sanglant. C’est

25 exactement le même itinéraire qui sera suivi un peu plus tard par les

Page 167

1 Serbes de Bosnie sous la conduite de Radovan Karadzic.

2 Les textes que nous avons lus sont en apparence innocents,

3 bien qu'ils prévoient quelque chose de tout à fait grave, c’est-à-dire la

4 définition du territoire, mais ils ne disent pas que la délimitation d’un

5 territoire doit s'accompagner de l'expulsion des non-Serbes qui

6 l'habitent. Cela n’est écrit nulle part. Mais on sait déjà, par l'exemple

7 de la Croatie, que cela se passait ainsi.

8 J'ajouterai que le nettoyage ethnique n'est pas logiquement

9 une conséquence obligée de la délimitation du territoire. Dire qu’il faut

10 créer un Etat serbe, un Etat dominé par les Serbes, cela implique tous les

11 Serbes dans un seul Etat, etc., mais cela n'implique pas logiquement que

12 dans cet Etat il ne doit y avoir que des Serbes. On peut très bien

13 imaginer un Etat serbe qui se serait formé, mais qui aurait toléré en son

14 sein les minorités. C’est le modèle que donnent les autres Etats

15 balkaniques, comme la Roumanie, la Bulgarie ou même la Serbie elle-même.

16 Bien sûr, il y a un peuple dominant, mais il y a aussi des minorités

17 tolérées.

18 En plus, il y a en Serbie même des gens qui étaient partisans

19 de la grande Serbie, mais qui étaient partisans aussi de la coexistence

20 dans cette grande Serbie de différentes populations. On peut citer

21 l'exemple du leader serbe Vuk Draskovic et son parti, le Mouvement serbe

22 du renouveau, qui a été dès les années 80 un des principaux avocats

23 de"tous les Serbes dans un seul Etat", de la grande Serbie, mais qui en

24 même temps a toujours affirmé que dans cet Etat les Serbes devraient

25 coexister avec des populations musulmanes et croates, qui par conséquent a

Page 168

1 toujours été opposé à la purification ethnique et qui, peu à peu, est

2 entré en opposition même violente avec les autres courants du nationalisme

3 serbe au fur et à mesure que se développait le nettoyage ethnique.

4 Donc l'idée de grande Serbie n'implique pas logiquement le

5 nettoyage ethnique, mais l'exemple suivi pendant la guerre de Croatie

6 montre qu'il l'impliquait en fait. Au moment où les Serbes de Bosnie ont

7 commencé à engager le processus que nous avons suivi dans les textes, ils

8 savaient déjà que ce processus conduisait au nettoyage ethnique et ils

9 n'ont pas tardé à faire appel aux mêmes personnages qui avait conduit le

10 nettoyage ethnique en Croatie.

11 Donc il y a, derrière ces textes purement juridiques et en

12 apparence innocents, la conduite d'un processus extrêmement logique et

13 méthodique qui conduisait au nettoyage ethnique en Bosnie, lequel a

14 commencé quelques semaines avant les derniers textes que nous venons de

15 lire, puisqu’il a commencé en gros en mars 1992 et que les derniers textes

16 sont de mai 1992.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, Professeur.

18 Nous avons ainsi terminé avec les questions du procureur et nous allons

19 remettre toutes ces pièces à conviction à la Chambre dans le cadre de

20 l'audience de l'article 61.

21 M. le Président. - Merci, Monsieur le Procureur. Je me tourne

22 d’abord vers chacun de mes collègues. Madame le juge, avez-vous des

23 questions à poser ?

24 Mme Odio-Bénito (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

25 Professeur, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez des liens

Page 169

1 administratifs ou politiques, s'il y en a, entre Radovan Karadzic et

2 Slobodan Milosevic ?

3 M. le Pr Garde. - Je pense qu'à l'époque où nous nous plaçons,

4 ces liens étaient extrêmement étroits. Tout le processus de sécession des

5 territoires serbes par rapport à la Bosnie-Herzégovine, leur volonté de

6 rester dans la Yougoslavie a été fait en étroite coordination avec le

7 pouvoir serbe. La meilleure preuve en est le fait de cette division

8 nominale de l'armée, avec la participation des deux parties, je veux dire

9 du pouvoir serbe d'une part, Milosevic, et du pouvoir serbe de Bosnie

10 d’autre part, Karadzic, et de l'armée elle-même, l’armée s’est trouvée

11 divisée à l'amiable entre ces deux fragments théoriquement indépendants

12 l'un de l'autre, en réalité étroitement liés, car l'armée a continué

13 d'être payée par Belgrade. Donc il est évident qu’à cette époque, le lien

14 est extrêmement étroit et la subordination à peu près totale entre les

15 Serbes de Bosnie et le pouvoir serbe.

16 Beaucoup plus tard ont pu apparaître des frictions et des

17 divergences de vues, mais à l'époque qui nous occupe ici, c’est-à-dire

18 précisément l'époque où s'est déclenchée la guerre, je pense que la

19 subordination était totale.

20 M. Riad. - Monsieur le Professeur, j'ai senti une certaine

21 incohérence entre deux documents : le document 20 et le document 22,

22 concernant le chef de l'armée

23 Dans le document 20, selon votre traduction, il est écrit que

24 le Président sera bientôt chef de l'armée. Vous l’avez dit textuellement.

25 Vous avez dit : ce Président, c’est Karadzic. Puis, dans le document 22 il

Page 170

1 est stipulé que c'est Mladic qui est commandant de l'armée. Y a-t-il un

2 Président chef de l'armée et un commandant ? Entre les mains de qui était

3 l’armée ?

4 M. le Pr Garde. - Comme dans la plupart des pays du monde, il

5 y a un commandant militaire de l'armée, mais le Chef de l'Etat est en

6 titre commandant de l'armée. C'est ainsi en France et je pense dans

7 beaucoup de pays du monde. Je pense que cette République serbe de Bosnie

8 applique le même principe, c’est-à-dire qu’il y a un commandant militaire,

9 mais il dépend du Président de la République.

10 M. Riad. - Dans ce cas, sur le plan pratique, concret, de qui

11 émanaient les ordres ? Dans ce cas, selon vos connaissances.

12 M. le Pr Garde. - Je ne suis pas un expert militaire,

13 simplement je pense que, comme dans tous les cas de ce genre, les ordres

14 les plus généraux émanent de la présidence de la République et des ordres

15 très importants aussi pour leur application sont pris par le commandant

16 militaire.

17 M. Riad. - Il y a donc une certaine hiérarchie dans

18 l'application ?

19 M. le Pr Garde. -Oui.

20 M. Riad. - La grande stratégie, c'est le Président.

21 M. le Pr Garde. - Oui.

22 M. Riad. - Vous avez bien montré qu’il s’agissait, selon vos

23 paroles, d’un processus logique dans le nettoyage ethnique. Le plan

24 appliqué à la Croatie fut appliqué à la Bosnie de façon systématique.

25 Puisqu'il s'agit d'une stratégie, pour employer un mot

Page 171

1 anglais, qui a pu être le master mind de cette stratégie ?

2 M. le Pr Garde. - En ce qui concerne la Bosnie, je pense que

3 la responsabilité principale incombe à Karadzic. Mais en même temps, je

4 pense qu'il y avait là une équipe extrêmement soudée. Pour autant que l’on

5 puisse juger, il y avait une complète idée de vues entre les principaux

6 dirigeants dont les noms sont apparus précédemment, par exemple Radovan

7 Karadzic, Biljana Plavsic, Nikola Koljevic, Moncilo Krajisnik et beaucoup

8 d’autres ont formé une équipe extrêmement soudée. Le général Mladic

9 également.

10 Sur le plan général, si on considère à la fois ce qui s'est

11 passé en Bosnie et ce qui s’était passé précédemment en Croatie, je pense

12 que l’un des organisateur, un des responsables principaux, sans aucun

13 doute, est Slobodan Milosevic.

14 M. Riad. - Merci, Monsieur le Professeur.

15 M. le Président. - Monsieur le Professeur, nous n’allons pas

16 vous retenir plus longtemps qu’il ne faut. Avant la fin de votre

17 témoignage, je voudrais vous demander, on a beaucoup parlé du rôle, en

18 quelque sorte militaire, on vient d'en parler, de M. Radovan Karadzic. A

19 votre avis, y a-t-il un rôle politique du Général Mladic ou se cantonne-t-

20 il dans un lien de subordination militaire à un haut niveau ? Ou est-ce

21 qu'il a une pensée politique. Est-ce qu'il y a un parcours politique dans

22 son cursus qui expliquerait un certain nombre de choses ? J’aimerais avoir

23 votre avis.

24 M. le Pr Garde. - Il y a certainement, dans le cas du Général

25 Mladic, des convictions extrêmement fortes puisque celui-ci, avant

Page 172

1 d'exercer son commandement en Bosnie, l’a exercé en Croatie. En 1991, il

2 exerçait un commandement à Knin, dans les régions de Croatie peuplées de

3 Serbes. Donc le Général Mladic a participé aussi bien à la première phase

4 de la guerre et du nettoyage ethnique, celle qui s’est déroulée en Croatie

5 en 1991, qu’à la deuxième qui s’est déroulée en Bosnie de 1992 à 1995. Il

6 a rempli les mêmes fonctions, à un niveau moins élevé, dans la phase de

7 Croatie, mais il a toujours exercé un commandement. Donc sans aucun doute,

8 il... Je ne sais pas même si on peut véritablement distinguer dans ce

9 genre de choses une responsabilité militaire et une responsabilité

10 politique, les deux choses sont étroitement liées.

11 M. le Président. - Monsieur le Professeur, au moment où se

12 termine votre témoignage, je me dois de vous poser une dernière question :

13 avez-vous le sentiment d’avoir pu vous exprimer totalement devant ce

14 Tribunal ? Je suis bien persuadé que vous avez ce sentiment, mais auriez-

15 vous aimé ajouter quelque chose qui ne correspondrait pas ou qui n’aurait

16 pas eu un écho dans les questions posées par M. le Procureur ou par mes

17 collègues ou moi-même ?

18 M. le Pr Garde. - Non, Monsieur le Président, j’ai le

19 sentiment d’avoir pu m’exprimer. Quelquefois même, je n’ai été en mesure

20 d'apporter une réponse dans certains cas qui représentait mon opinion,

21 mais je ne suis pas toujours sûr de pouvoir étayer cette opinion de façon

22 suffisante. Mais dans la plupart des cas, au contraire, je disposais des

23 preuves de la documentation pour étayer ce que je disais.

24 M. le Président. - Merci. Monsieur le Professeur, le Tribunal

25 a été très sensible à votre témoignage qui a été très long, donc

Page 173

1 certainement fatigant pour vous. A présent, ce témoignage est terminé. Le

2 Tribunal vous remercie à nouveau.

3 Monsieur le Procureur, vous pouvez donc, par l’intermédiaire

4 de l’huissier, faire raccompagner M. le Pr Garde et faire introduire le

5 témoin suivant. Merci.

6 (M. le Pr Garde est escorté hors de la salle d'audience.)

7 Peut-être, Monsieur le Procureur, puisqu’il est une heure

8 moins dix, pourrions nous introduire le témoin et, si vous le souhaitez,

9 conformément aux voeux de tout le monde, procéder aux questions les plus

10 préliminaires ?

11 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je suis d’accord.

12 Monsieur le Président, avant de présenter le témoin suivant,

13 nous avons préparé trois dossiers avec des pièces que nous voudrions

14 remettre à la Chambre, pour que vous soyez en mesure de suivre le

15 témoignage de M. Ralston, s'il convient à la Chambre.

16 Je vais vous présenter le témoin suivant dans quelques

17 instants, Monsieur le Président.

18 (M. Ralston est escorté dans la salle d'audience.)

19 M. le Président. - Oui, Monsieur le Procureur, le Tribunal

20 était occupé à recevoir les documents. Nous sommes maintenant toute ouïe.

21 Monsieur Ralston, vous allez d’abord procéder à la déclaration que vous

22 devez faire, comme tout témoin.

23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je déclare

24 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la

25 vérité.

Page 174

1 M. le Président. - Merci. Vous pouvez vous asseoir.

2 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Merci.

3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

4 Président, Madame et monsieur les juges, avant d’écouter M. Ralston, vous

5 savez que le bureau du procureur a mené une enquête extrêmement vaste sur

6 les événements en Bosnie. Au cours de ces enquêtes, nous avons recueilli,

7 collecté énormément d'éléments de preuve.

8 Monsieur Ralston a été cité comme témoin pour parler de

9 certains des éléments de charge. Certains seulement, pas tous. C'est

10 naturellement une tâche gigantesque compte tenu du peu de temps que l'on a

11 accordé à M. Ralston pour témoigner devant cette Chambre.

12 Afin que la Chambre puisse recevoir les réponses les plus

13 complètes sur toute une gamme de thèmes, M. Ralston a préparé des réponses

14 écrites à mes questions et donc pourra les lire.

15 Je me propose, Monsieur le Président, de commencer à

16 interroger M. Ralston en lui demandant quelques mots sur sa carrière. Nous

17 pourrions ensuite interrompre et, après la pause, entrer dans le vif du

18 sujet.

19 Je voudrais tout d'abord, Monsieur Ralston, vous demander de

20 nous dire votre nom complet.

21 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je suis John

22 Hunter Ralston.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Vous êtes employé

24 par le bureau du Procureur ?

25 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - C’est exact.

Page 175

1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Avant de venir

2 travailler au bureau du Procureur, quels ont été vos emplois ?

3 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je suis devenu

4 officier de police en 1972, en Australie. J’ai travaillé comme détective

5 dans la police NSW, avec le service des homicides comme inspecteur. Je me

6 suis occupé des affaires consommateurs. Ensuite, j'ai travaillé au bureau

7 du ministre de la Justice, dans l'unité d'enquêtes spéciales. J'étais

8 responsable de l'unité chargée d'enquêter sur les crimes de guerre commis

9 par des suspects résidant en Australie de la période nazie et j'ai été

10 chargé également d'enquêter sur le crime organisé. Puis je suis venu ici,

11 au bureau du procureur.

12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Depuis quand êtes-

13 vous employé du bureau du procureur ?

14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je suis employé du

15 bureau du procureur depuis le 16 juin 1994.

16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles sont vos

17 tâches et vos responsabilités au bureau du procureur ?

18 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je suis directeur

19 des enquêtes au bureau du procureur. Au départ, j'étais chargé des équipes

20 d'enquête, et depuis novembre 1995, je suis directeur de ces enquêtes. Ma

21 mission : j'ai la responsabilité de coordonner toutes les enquêtes faites

22 en ce qui concerne Radovan Karadzic et Ratko Mladic.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Si la Chambre

24 souhaite que je continue, je le ferai, autrement nous pourrions

25 interrompre. Je suis entre vos mains.

Page 176

1 M. le Président. - La Chambre va interrompre.

2 L’audience est suspendue, elle reprendra à 14 heures 30.

3 Suspendue à 13 heures, l’audience est reprise à 14 heures 34.

4 M. le Président. - L'audience est reprise. Veuillez vous

5 asseoir. Monsieur le procureur...

6 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Merci, Monsieur le

7 président. Le premier sujet sur lequel déposera M. Ralston concerne le

8 Parti démocratique serbe, sa structure et son évolution. Il décrira

9 également le rôle du Dr Karadzic dans cette partie. Dans les questions que

10 je poserai à M. Ralston, je ferai référence au Parti démocratique serbe

11 par les lettres SDS.

12 Je commencerai, Monsieur Ralston, par vous demander ce qu’est

13 le SDS.

14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le SDS est un

15 parti politique. Suite aux élections de novembre 1990 en Bosnie-

16 Herzégovine, le Parti démocratique serbe est devenu un parti politique

17 d'importance, représentatif des Serbes de Bosnie, l’Assemblée de Bosnie-

18 Herzégovine se composant de deux chambres. Après les élections de 1990, le

19 SDS a gagné 72 des sièges, le reste allant aux Musulmans et au parti HDZ

20 des Croates. Un grand nombre des membres de la nouvelle Assemblée

21 n'étaient pas membres du SDS.

22 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourquoi le SDS

23 est-il important dans le contexte de la Bosnie-Herzégovine ?

24 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le SDS est

25 important parce qu'il est devenu le véhicule politique qui a permis à

Page 177

1 Karadzic de devenir le leader le plus important au sein de

2 l'administration de la Bosnie. Avant son avènement, c'était l'entité

3 politique qui permettait aux Serbes de Bosnie d'exprimer leur volonté.

4 C'est encore le cas aujourd'hui.

5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quand a-t-il été

6 créé Monsieur Ralston ?

7 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le SDS a été créé

8 à une conférence à Sarajevo en juillet 1990.

9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous dire à

10 la Cour de quelle façon il a été créé ?

11 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Comme je l'ai dit,

12 ce parti a été créé lors d'une conférence à laquelle assistaient un grand

13 nombre de participants à Sarajevo. La conférence a adopté un texte à

14 orientation démocratique qui constituait donc ce SDS dont les membres

15 avaient une orientation démocratique et venaient de la Ligue des

16 communistes.

17 Le parti était organisé au niveau Républiques, régions, sous-

18 régions, municipalités et communautés locales. Les comités aux niveaux

19 régional et en dessous étaient autonomes par rapport aux évaluations

20 politiques locales et aux décisions locales.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ce parti agissait-

22 il dans l'ensemble de la Bosnie ?

23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui. Il a été créé

24 dans huit régions : la Krajina bosniaque, la Bosnie centrale, la Bosnie

25 orientale, l'Herzégovine orientale, la Bosnie du nord, la Bosnie

Page 178

1 occidentale, la Bosnie sud-orientale et l'Herzégovine occidentale.

2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous

3 dire quels étaient les dirigeants du SDS avant le début du conflit ?

4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Au nombre des

5 dirigeants du parti, on trouvait Radovan Karadzic -le Président-, Aleksa

6 Buha et Momcilo Krajisnik.

7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous, je

8 vous prie, expliquer si le SDS était organisé dans l'ensemble de la

9 Bosnie-Herzégovine avant la guerre ?

10 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les recherches que

11 nous avons réalisées indiquent qu'il s'agissait d'un organe politique bien

12 organisé.

13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

14 pourriez-vous examiner la pièce 27 de votre jeu de documents, ainsi que la

15 pièce 28, identifier ces deux documents et dire quelle est leur

16 importance ?

17 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Ce document, daté

18 du 15 août 1991, établit les instructions de fonctionnement.

19 M. le Président. - Ces documents ne sont pas traduits en

20 français, je suppose ?

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

22 Président, apparemment ce n'est pas le cas.

23 M. le Président. - Vous savez que le président est français.

24 Ce n'est pas parce qu'il est français qu'il rappelle cela, mais parce que

25 le français est la langue officielle du Tribunal. Je comprends tout à

Page 179

1 fait, vous le savez très bien, les déficiences parce qu'elles ne tiennent

2 ni à la qualité, ni à la compétence, ni au nombre de nos interprètes. En

3 plus, je sais très bien que, s'agissant de cette affaire, le travail a été

4 très lourd.

5 Je constate simplement que les documents qui nous ont été

6 fournis ce matin, à l'appui de la déposition du Pr Garde, étaient eux-

7 mêmes traduits en français. Bien entendu, je les prends comme tels,

8 puisque l'anglais est une des langues officielles du Tribunal. Je demande

9 simplement qu’il soit bien noté au compte rendu que, dans la mesure du

10 possible, on respecte cette disposition fondamentale de notre Statut qui

11 fait que les deux langues officielles du Tribunal sont l'anglais et le

12 français. Merci.

13 Vous pouvez continuer.

14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

15 Président, nous vous présentons nos excuses pour les difficultés que crée

16 la non-existence d'une traduction en français, mais étant donné les actes

17 d'accusation nombreux auxquels nous avons à faire face, nous n'avons pas

18 pu réaliser toutes les traductions.

19 Monsieur Ralston, pouvez-vous poursuivre je vous prie ?

20 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Comme je le

21 disais, ce document est daté du 15 août 1991 et s'adresse à tous les

22 conseils municipaux du SDS. Il établit les instructions de fonctionnement

23 destinées à ces conseils municipaux.

24 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

25 pourriez-vous également examiner la pièce 28 et dire à la Chambre quelle

Page 180

1 est sa signification et son importance ?

2 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je reviendrai sur

3 ce document ultérieurement dans ma déposition. Il s'agit, encore une fois,

4 d'un document qui s'adresse à tous les présidents de municipalités. Il est

5 daté du 23 mars 1992. L'incidence principale de ce document consiste à

6 établir les conditions de fonctionnement du système de communication et

7 l'établissement de systèmes de communication entre les diverses

8 municipalités où il y a des représentants du SDS.

9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Puis-je vous

10 demander quels étaient les objectifs du SDS et sa position par rapport à

11 la désintégration de la FRSY ?

12 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Dans son rapport à

13 la conférence de création du Parti, le Dr Karadzic, le nouveau Président,

14 a décrit ce qu'il concevait comme la position économique, politique et

15 sociale défavorable de la nation serbe.

16 Il a prétendu que le génocide de la deuxième guerre mondiale

17 avait continué, parmi les Serbes, après l'établissement de la paix et

18 qu'il avait détruit ou tenté de détruire l'identité culturelle des Serbes

19 grâce à un système qui avait été spécifiquement mis en place pour assurer

20 cette destruction nationale.

21 Dans ces conditions, le Dr Karadzic a déclaré que le SDS avait

22 été créé avec pour objectif principal d'établir l'égalité complète et

23 inconditionnelle -aux plans civil, national, culturel, religieux et

24 économique- de tous les Serbes de Bosnie-Herzégovine. Son objectif

25 politique principal consistait à établir une Yougoslavie fédérale et à

Page 181

1 exister au sein d'une Bosnie-Herzégovine fédérale. Si cela n'était pas

2 possible, le Dr Karadzic déclarait que l'objectif du SDS était de

3 permettre des méthodes démocratiques en réaction du peuple serbe à cette

4 nouvelle situation.

5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelque chose a-t-

6 il été dit au sujet de ce qui se passerait si la Bosnie se retirait de la

7 RSFY ?

8 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui. Le

9 Dr Karadzic a fait une déclaration à ce sujet dans une déclaration

10 publique, en octobre 1991. Il a fait un discours concernant le mouvement

11 vers l'indépendance de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine et,

12 dans cette allocution, il disait quelques mots de la réaction possible du

13 SDS à une éventuelle indépendance de la Bosnie-Herzégovine.

14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

15 Président, le Pr Garde, ce matin, dans sa déposition, a déjà abordé ces

16 sujets. Une vidéo montre ce discours, et j'aimerais la montrer à la

17 Chambre. Je demanderai donc que l'on projette maintenant la première

18 partie de la pièce 29.

19 Traduction de la projection vidéo : Sur la même autoroute

20 d'enfer et de malheur sur laquelle la Croatie et la Slovénie se sont

21 embarquées, ne pensez pas que les Musulmans pourront se défendre ? Le

22 peuple musulman ne peut pas se défendre si...

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

24 les non-Serbes avaient-ils le droit d'adhérer au SDS ?

25 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - En théorie oui.

Page 182

1 Selon les statuts du Parti, adoptés le 12 juillet 1990, l'appartenance au

2 Parti était autorisée à tout citoyen adulte de nationalité serbe ainsi

3 qu'aux membres des autres nationalités qui acceptaient volontairement son

4 programme et ses statuts.

5 Cependant, il convient de faire remarquer que le point

6 principal du programme du SDS consistait, à ce moment-là, à assurer le

7 maintien de la Bosnie-Herzégovine dans la République socialiste fédérative

8 de Yougoslavie, à un moment où il devenait de moins en moins attrayant

9 pour les autres nationalités de le faire. C'était l'époque de la marche

10 vers l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie.

11 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Dans les régions où

12 les Serbes ont pris le pouvoir, les autorités serbes bosniaques ont-elles

13 exigé des non-Serbes qu'ils prêtent allégeance au nouvel Etat serbe

14 bosniaque ?

15 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Dans les régions

16 où les Serbes ont pris le contrôle, les non-Serbes ont été priés de signer

17 un serment d'allégeance aux autorités serbes. C'était nécessaire pour leur

18 permettre de maintenir leurs positions antérieures. Les recherches que

19 nous avons réalisées montrent que certains non-Serbes ont perdu leur poste

20 après quelques mois.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A l'époque du début

22 du conflit en Bosnie-Herzégovine, y avait-il une participation importante

23 de non-Serbes au sein du SDS ?

24 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Non. Si l'on en

25 juge par le nom des personnes concernées, tous les membres dirigeants

Page 183

1 étaient des Serbes ou des Monténégrins.

2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - J'aimerais passer

3 maintenant à un certain nombre de questions concernant la structure du

4 SDS. Pourriez-vous dire à la Chambre la façon dont le SDS était

5 structuré ?

6 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les statuts de

7 1990 créaient les organes centraux du parti suivant : l'assemblée du

8 parti, le président du parti, le conseil principal, le conseil exécutif,

9 le conseil de supervision et la cour d'honneur. En 1991, ces organes ont

10 tous été redéfinis en tant qu'assemblée, etc., du SDS de Bosnie-

11 Herzégovine, la cour d'honneur étant éliminée et un conseil des statuts

12 ainsi que d'autres conseils du SDS de Bosnie-Herzégovine étant créés dans

13 le même temps. Radovan Karadzic était le Président du parti.

14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous

15 expliquer à la Chambre l'objectif et les fonctions de l'assemblée ?

16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'assemblée était

17 l'organe suprême du parti. Au départ, elle était censée se composer de

18 tous les membres du parti jusqu'à ce que leur nombre ait dépassé le

19 millier. A partir de ce moment-là, le conseil principal a acquis un rôle

20 de représentation du parti. Le projet de statut de 1991 établissait un

21 principe selon lequel les assemblées des organisations municipales et

22 locales devaient envoyer des représentants dont le nombre total ne devait

23 pas excéder 300.

24 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelle était la

25 fréquence des réunions de l'assemblée ?

Page 184

1 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'assemblée se

2 réunissait au moins une fois par an. Au départ, les réunions étaient plus

3 fréquentes sur décision du conseil principal, mais il a été décidé, en

4 1991, que toute décision concernant les convocations de l'assemblée devait

5 dépendre du conseil principal et se faire sur proposition du Président.

6 Au même moment, le Président a été contraint de convoquer

7 l'assemblée à la demande d'au moins un tiers de tous les représentants ou

8 de 15 organisations municipales. L'assemblée devait être convoquée par le

9 président ou par quelqu'un ayant son autorisation.

10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles étaient les

11 fonctions de l'assemblée ?

12 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'assemblée était

13 responsable de l'adoption et de l'amendement du programme et des statuts

14 du parti. Les autres fonctions de l'assemblée avaient une nature

15 strictement organisationnelle. La plus importante de ces fonctions

16 consistait à élire et à réélire le président et les membres du Conseil

17 principal, du Conseil de supervision et du Conseil des statuts.

18 L'assemblée avait également le dernier mot sur toute question

19 financière, y compris la fixation des cotisations et la façon dont elles

20 devaient être réparties. L'assemblée agissait donc de façon indirecte sur

21 la politique du parti et son fonctionnement au jour le jour. Elle avait

22 également le pouvoir de transférer une partie de ses activités au

23 président ou au conseil principal.

24 L'assemblée, qui s'est réunie en juillet 1991, a été la

25 deuxième et dernière réunion de l'assemblée du SDS avant l'éclatement des

Page 185

1 hostilités en Bosnie-Herzégovine.

2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

3 vous avez dit précédemment que le Dr Karadzic était Président du SDS. Quel

4 était son rôle ?

5 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le Président

6 Karadzic représentait le SDS. Il était également habilité à désigner une

7 autre personne pour remplir ses fonctions, même si les statuts de 1991

8 stipulaient que cette personne devait appartenir au conseil principal.

9 Le Président, en outre, était président ex-officio du conseil principal.

10 Son mandat, au départ, était de deux ans. Plus tard, il a été prolongé à

11 quatre ans.

12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles étaient les

13 responsabilités du Dr Karadzic en tant que président du SDS ?

14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Ses

15 responsabilités les plus importantes consistaient à coordonner le travail

16 des organes du parti, à veiller à la réalisation des tâches principales du

17 parti, ainsi que de ses objectifs centraux, et à représenter le parti.

18 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ses tâches, en tant

19 que président du SDS, ont-elles été élargies ?

20 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui ; en 1991,

21 cette liste de droits et devoirs a été élargie pour inclure des décisions

22 politiques et autres au nom du SDS de Bosnie-Herzégovine,pour autant

23 qu'elles n'aient pas été de la compétence d'autres organes du SDS de

24 Bosnie-Herzégovine ; ainsi que pour inclure d'autres tâches que

25 l'assemblée du SDS de Bosnie-Herzégovine et du conseil principal du SDS de

Page 186

1 Bosnie-Herzégovine a mises dans le cadre de sa compétence.

2 Il en est arrivé à une situation tout à fait exceptionnelle au

3 sein de la société, ayant acquis des pouvoirs extraordinaires qui étaient

4 de la compétence de l'assemblée et du conseil principal. Le Président

5 était responsable de son travail devant les adhérents, devant l'assemblée

6 et devant le conseil principal du SDS. Ses pouvoirs étaient donc

7 considérables. Ils ont été tellement étendus qu'ils étaient pratiquement

8 illimités par rapport à la normale.

9 Le Président avait toute possibilité d'agir de façon

10 indépendante, ce qui lui donnait la possibilité de passer outre les

11 décisions de tout organe dirigeant du parti. Beaucoup dépendait de sa

12 personnalité et des positions personnelles qu'il prenait au sein de

13 l'organisation.

14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Le Dr Karadzic a-t-

15 il insisté pour avoir un contrôle très fort sur le SDS ?

16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui,

17 effectivement. C'est visible dans l'allocution qu'il a faite aux

18 organismes du Parti, au niveau municipal, dans un discours en 1991, au

19 cours de la campagne pour le plébiscite du peuple serbe.

20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Avez-vous une

21 transcription de cette allocution, Monsieur ?

22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - J'aimerais, Madame

24 et Messieurs les juges, vous renvoyer à la pièce 30. Monsieur Ralston,

25 pouvez-vous nous lire des extraits importants de cette allocution qui font

Page 187

1 partie de la pièce n° 30 ?

2 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - C'est un document

3 relativement long, mais j'en viens à la partie de l'avant-dernier

4 paragraphe de la page 10. Dans son allocution, entre autres, le

5 Dr Karadzic a dit :

6 "Je vous demande d'être énergiques et stricts, d'être prêts à

7 asseoir votre autorité dans vos territoires, dans les municipalités, dans

8 les régions, dans les communautés locales, et de vous préparer à une

9 restructuration et à une régionalisation des municipalités. Mais je vous

10 supplie ici de ne créer aucune situation où le travail serait à faire par

11 autrui sans être achevé. Je vous demande de contrôler ce travail jusqu'à

12 la fin, jusqu'au dernier moment, en ne faisant preuve d'aucune faiblesse

13 mais, au contraire, en faisant preuve de la plus grande attention."

14 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - J'aimerais

15 maintenant vous diriger vers la pièce 28. Pouvez-vous identifier ce

16 document ?

17 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - C'est la pièce

18 dont j'ai déjà parlé précédemment. Il s'agit d'un document adressé aux

19 présidents des municipalités, en date du 23 mars 1992.

20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelle signature

21 apparaît sur ce document ?

22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Celle du

23 Dr Karadzic.

24 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous lire

25 à la Cour les parties pertinentes de ce document ?

Page 188

1 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Deuxième

2 paragraphe du document :

3 "Pour tenir compte du fait que l'une des conditions

4 essentielles à la protection du peuple serbe, dans la situation créée,

5 exige un transfert rapide et opportun des données et des informations

6 relatives à la défense et à la sécurité, ainsi que le transfert des

7 décisions et des instructions des organes gouvernementaux, nous avons

8 établi un centre opérationnel républicain et décidé, outre le centre

9 régional de Banja Luka, que les centres municipaux reprendraient les

10 fonctions des centres régionaux (Sekoveci, pour la région autonome de

11 Bihac, Trebinje pour la région autonome de l'Herzégovine orientale,

12 Sokolac pour la région autonome de Romanija, Bijeljina pour la région

13 autonome de Semberija), et qu'un centre municipal devrait être créé dans

14 la municipalité de Petrovo qui prendra les fonctions de centre régional

15 pour la région autonome de la Bosnie septentrionale.

16 Les centres de Banja Luka, Trebinje, Sokolac et Bijeljina sont

17 déjà reliés aux centres de télégraphe et de téléphone au niveau des

18 Républiques, ainsi qu'au téléphone et à la radio, et les centres de

19 Petrovo et de Sekovici seront connectés avant le 26 mars 1992 à ces

20 centres de communication".

21 Il est dit un peu plus loin :

22 "Les municipalités sont désormais dans l'obligation de relier

23 leurs informations à celles des centres régionaux si cela n'a pas encore

24 été fait, et de fournir au personnel tous les moyens nécessaires pour

25 contrôler la situation sur le terrain. En tenant compte de la situation

Page 189

1 actuelle de la République, il est nécessaire de coopérer avec le FGB

2 (service de sécurité) pour fournir à ces centres toutes les possibilités

3 nécessaires pour transmettre et recevoir des informations 24 heures par

4 jour sans arrêt, y compris les samedis et les dimanches".

5 Un peu plus loin, dans le même document, il est dit :

6 "S'agissant de ce qui précède, il serait utile que vous vous

7 informiez personnellement auprès des centres d'information de votre

8 municipalité et que vous voyiez quelles sont leurs capacités d'agir".

9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelle est à votre

10 avis la signification de ce document ?

11 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - A mon avis,

12 l'importance de ce document réside dans le fait qu'il prouve la

13 planification, la coordination et toutes les dispositions prises pour que

14 l'information puisse circuler vers le haut et vers le bas depuis le plus

15 haut niveau du SDS et vers les niveaux inférieurs.

16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

17 parlons maintenant du conseil principal. Vous avez dit antérieurement que

18 le SDS avait créé ce conseil principal. De quoi s'agit-il ?

19 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le conseil

20 principal était l'organe suprême du parti, réuni entre deux séances de

21 l'assemblée. Au départ, il devait se composer de 57 membres (deux de

22 chaque région et un membre provenant des sous-régions), les membres étant

23 élus pour deux ans avec droit de réélection. Cependant, en 1991, la taille

24 de ce conseil a été réduite à 45 membres élus parmi les représentants de

25 l'assemblée avec une représentation territoriale. Le mandat a été augmenté

Page 190

1 pour atteindre quatre ans et un tiers des membres pouvaient être réélus.

2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles étaient les

3 fonctions du conseil principal ?

4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Selon les statuts

5 de 1990, le conseil principal avait diverses fonctions, notamment les

6 suivantes : élire les membres du conseil exécutif du parti, préparer les

7 projets de tous les actes et de toutes les décisions adoptées par

8 l'assemblée, adopter les décisions autorisées par l'assemblée, veiller à

9 l'exécution convenable des décisions de l'assemblée, élire les membres des

10 organes temporaires ou permanents du parti et préparer le programme

11 électoral du parti.

12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ces fonctions ont-

13 elles été élargies à un moment quelconque ?

14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, en 1991 le

15 conseil principal a été chargé d'un certain nombre de questions

16 spécifiques et notamment de l'élection du président, de celle des deux

17 tiers des membres du conseil de la Bosnie-Herzégovine, de préparer les

18 actes et les décisions à prendre, de décider de l'organisation

19 territoriale du SDS, d'élire les organes exécutifs permanents et

20 temporaires, d'examiner et d'adopter les rapports relatifs au travail des

21 conseils municipaux et des conseils de villes, d'établir les orientations

22 et de prendre les décisions de travail au niveau des municipalités, et, le

23 cas échéant, de veiller au travail des conseils locaux du SDS et de

24 vérifier le travail des différents organes du SDS de Bosnie-Herzégovine.

25 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

Page 191

1 je voudrais maintenant attirer votre attention sur un autre aspect du SDS,

2 à savoir les états-majors de crise. De quoi s'agit-il et quelle était leur

3 importance ?

4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les états-

5 majors de crise étaient des organes censés exister, à tous les niveaux de

6 la société, au sein de la République socialiste fédérative de Yougoslavie

7 en temps de guerre, ou dans d'autres cas d'urgence, dans le but de

8 coordonner les activités de sécurité au sein de la société.

9 Le SDS a mis en place des états-majors de crise en dehors des

10 organes de la République, des communes et des municipalités, ce qui a

11 réduit considérablement le travail des autorités locales de Sarajevo et a

12 contribué à l'abolition du contrôle gouvernemental, en tant que tel, dans

13 un grand nombre de municipalités où les Serbes avaient une majorité

14 démographique et politique.

15 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Le SDS a-t-il créé

16 ces états-majors de crise ouvertement ?

17 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, ils ont

18 pratiquement été créés ouvertement quelques mois avant le début de la

19 guerre en Bosnie-Herzégovine, au siège du SDS ainsi que dans les

20 municipalités où les Serbes bosniaques étaient en majorité et détenaient

21 le contrôle. Dans les municipalités de Bosnie où les Serbes n'étaient pas

22 en majorité, ces états-majors de crise ont été établis bien avant le début

23 du conflit en Bosnie-Herzégovine.

24 Lorsque les Serbes de Bosnie ont pris le pouvoir dans ces

25 municipalités, les états-majors de crise sont apparus comme étant les

Page 192

1 organes suprêmes. C'est ce qui a été le cas à Prijedor en avril 1992, et à

2 Kotor Varoc le 11 juin 1992.

3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous

4 fournir à la Chambre quelques exemples de la façon dont ces états-majors

5 de crise fonctionnaient dans la pratique ?

6 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, je vais

7 prendre pour exemple Foca et Prijedor. Lorsque les nouveaux partis

8 nationaux ont été créés, tant le SDA -parti principalement musulman de

9 Bosnie-Herzégovine- que le SDS, de grandes manifestations et de grands

10 rassemblements ont eu lieu à Foca. Le SDA a tenu une réunion de ce genre

11 en août 1990, et le SDS quelques semaines plus tard, en 1990.

12 Plusieurs personnes qui, plus tard, sont devenues des

13 personnes très importantes au sein du parti serbe de Bosnie ont participé

14 à cette réunion du SDS ; Radovan Karadzic et Biljana Plavsic participaient

15 à ce rassemblement, ainsi que Vojislav Maksimovic, Velibor Ostojic, Miro

16 Stanic et Petko Cancar .

17 Maksimovic était enseignant à Foca ; il est devenu ensuite

18 professeur de littérature à l'université de Sarajevo avant de devenir le

19 premier président du club SDS des députés de l'assemblée de Bosnie-

20 Herzégovine. De même, Velibor Ostojic, actuel ministre de l'Education et

21 de l'Information de la "Republika Srpska" et président du conseil exécutif

22 du SDS, était antérieurement ministre de l'Information et député SDS de

23 Foca. Avant la guerre, il travaillait à la station de radio et télévision

24 de Sarajevo. Petko Cancar, avocat local, était également membre de

25 l'assemblée de Bosnie-Herzégovine.

Page 193

1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quel était le rôle

2 du SDS local au sein de l'assemblée municipale de Foca ?

3 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Au sein de

4 l'assemblée municipale locale de Foca, le SDS détenait environ 30 sièges

5 sur un total de 70. Avant le renversement du pouvoir, les membres serbes

6 de l'assemblée locale ont entamé un boycott des réunions de l'assemblée

7 afin de retarder les décisions qui pouvaient avoir une influence au niveau

8 municipal. Très peu de temps après, le SDS a commencé à ne plus participer

9 à quelque aspect de la vie municipale que ce soit et à créer ses propres

10 institutions.

11 En même temps, les Serbes ont commencé à s'armer avec l'appui

12 de la JNA.

13 Après la constitution des partis, en 1990, Ostojic et

14 Maksimovic se sont rendus à Sarajevo, alors que Cancar est resté à Foca.

15 En tant que membres principaux du SDS, ces trois hommes se sont rendus

16 plusieurs fois à Foca pour organiser des réunions et prononcer des

17 allocutions. Au début du mois d'avril 1992, les trois hommes auraient

18 établi un état-major de crise serbe et une force de police serbe. Le

19 dirigeant de l'état-major de crise, Miroslav Miro Stanic, était le

20 président du SDS de Foca.

21 Suite au renversement du pouvoir, Karadzic a été vu

22 rencontrant des représentants de l'état-major de crise serbe.

23 Le 6 avril 1992, Ostojic et Maksimovic auraient tenu une

24 réunion des adhérents du SDS dans l'église orthodoxe de Foca, réunion à

25 laquelle participait également un groupe d'officiers de la JNA. A l'issue

Page 194

1 de cette réunion, un ultimatum a été publié et adressé au comité de

2 district du SDA -donc destiné à l'ensemble de la population musulmane de

3 Foca- leur demandant de rendre leurs armes, de se rassembler sous

4 l'escorte de l'armée serbe et de la police serbe et de quitter la ville.

5 Après le renversement du pouvoir, Maksimovic, Ostojic et

6 Cancar ont été responsables de l'armement de la population serbe, à

7 l'intérieur et aux alentours de Foca, de l'organisation de réunions avec

8 les dirigeants serbes locaux, et de l'organisation d'un entraînement

9 militaire pour des volontaires.

10 Des discours prononcés par Maksimovic et Ostojic ont été

11 diffusés à la station de radio locale. Et, ce qui est intéressant, c'est

12 que quelques semaines avant l'attaque contre Foca, un témoin a lu une

13 lettre d'Ostojic adressée au SDS intitulée : "Que faire en cas de

14 guerre ?" La lettre déclarait que la station de radio et la station de

15 police devraient être reprises en mains.

16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Comment le SDS

17 fonctionnait-il à Prijedor ?

18 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Aux élections de

19 1990, le SDA musulman a obtenu un certain nombre de sièges au sein de

20 l'assemblée municipale de Prijedor. Ceci étant, au cours des mois

21 ultérieurs, les responsables serbes bosniaques, qui occupaient

22 précédemment des positions clefs au sein de la municipalité, se sont

23 opposés à la redistribution du pouvoir suite aux élections.

24 Au printemps 1991, des hommes politiques serbes de Banja Luka

25 (centre régional approximativement situé à 45 km de Prijedor) ont proclamé

Page 195

1 une communauté régionale serbe distincte -composée d'un certain nombre de

2 municipalités- qui s'est transformée en région autonome de Krajina en

3 septembre 1991. Les municipalités du nord-ouest de la Bosnie, à

4 l'exception de Prijedor, Sanski Most et Kotor Varos, ont peu à peu décidé

5 de se joindre à cette communauté.

6 A la fin de 1991, les Serbes de Prijedor et d'autres régions

7 de Bosnie étaient dirigés par des responsables SDS et ont reçu l'ordre de

8 constituer un gouvernement d'opposition. Les dirigeants serbes bosniaques

9 locaux ont reçu l'ordre de contrôler tous les niveaux de la vie

10 municipale, y compris la police, les finances et les communications, et

11 d'assurer la coopération avec la JNA.

12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quand les Serbes

13 bosniaques ont-ils pris le pouvoir au Prijedor ?

14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Le 30 avril 1992,

15 les Serbes ont pris le pouvoir à Prijedor et l'état-major de crise de la

16 municipalité de Prijedor est devenu l'organe suprême de la municipalité.

17 L'état-major de crise se composait de personnes représentant

18 l'armée, la police, ainsi que l'administration civile. Les postes les plus

19 importants au sein de l'état-major de crise étaient détenus par des

20 militaires, des policiers et des dirigeants SDS.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous

22 identifier les personnes qui composaient l'état-major de crise du SDS ?

23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'état-major du

24 SDS était composé de Simo Miskovic, président du SDS, chef de l'état-major

25 de crise de Prijedor (il a été vu par un certain nombre de témoins à

Page 196

1 Omarska et Keraterm pendant que ces camps fonctionnaient), du colonel

2 Vladimir Arsic, qui est aujourd'hui général, officier de la JNA avant le

3 conflit à Prijedor, et qui a été nommé commandant de la caserne de

4 Prijedor.

5 Le major Radmilo Zeljaja, qui est devenu dirigeant sur le

6 terrain, représentant du colonel Arsic, a conduit de nombreuses opérations

7 liées au nettoyage ethnique des villages. Zeljaja a dirigé l'attaque

8 contre Kozarac, participé aux négociations qui ont abouti à cette attaque

9 et joué un rôle dirigeant dans la reddition des civils de cette ville. Le

10 nom de Kozarac a été transformé pour devenir Radmilovo en l'honneur de la

11 conquête de Zeljaja. Plus tard, Zeljaja a rendu visite au camp d'Omarska

12 avec une délégation de Serbes de Banja Luka et de Prijedor, en

13 juillet 1992.

14 Le major Slobodan Kuruzovic, ancien instituteur, était membre

15 de l'état-major de crise et commandant du camp de Trnopolje. Il a

16 également participé au rassemblement de civils dans les villages sur la

17 rives gauche de la rivière Sana, en juillet 1992.

18 Autre personnage important : Simo Drljaca, qui est devenu chef

19 de la police de Prijedor après le renversement du pouvoir. Suite au

20 renversement du pouvoir, ainsi qu'à l'arrestation et à la détention de

21 milliers de civils non serbes, Drljaca a joué un rôle clef dans

22 l'administration des camps de détention et a été vu à plusieurs reprises

23 dans les trois camps de détention de la région, à savoir Omarska, Keraterm

24 et Trnopolje. Etant donné qu'il a coordonné la prise du pouvoir de

25 Prijedor, Drljaca a été promu vice-ministre de l'Intérieur de la

Page 197

1 République serbe de Bosnie.

2 Le docteur Milomir Stakic a remplacé illégalement Muhamed

3 Cehajic au poste de président de la municipalité de Prijedor, après le

4 renversement du pouvoir par les forces serbes, le 30 avril 1992.

5 Dans des interviews accordées aux médias, Stakic reconnaît

6 l'existence des camps d'Omarska, de Keraterm et de Trnopolje. Un certain

7 nombre de témoins ont vu Stakic visiter ces camps alors qu'ils

8 fonctionnaient.

9 Srdo Srdic était député du SDS au sein de l'assemblée de

10 Bosnie-Herzégovine et, plus tard, au sein de l'assemblée de "Republika

11 Srpska". Il a également été vu aux camps d'Omarska et de Keraterm.

12 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Et l'administration

13 serbe ? Pourriez-vous la décrire ? Quand l'administration des Serbes

14 bosniaques a-t-elle commencé à fonctionner ? Voulez-vous bien expliquer ?

15 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L'entité bosniaque

16 serbe a traversé plusieurs phases dans son évolution qui a culminé avec

17 l'établissement de la Republika Srpska. En effet, le 21 décembre 1991,

18 l'assemblée de la population serbe de Bosnie-Herzégovine a décidé

19 conditionnellement d'établir la République serbe de Bosnie-Herzégovine

20 avant le 14 janvier 1992.

21 Le 9 janvier 1992, l'assemblée a adopté une déclaration

22 proclamant la République serbe de la population serbe de Bosnie-

23 Herzégovine. Le 28 février 1992, la constitution, adoptée par la même

24 assemblée, se référait déjà à la République serbe de Bosnie-Herzégovine et

25 indiquait, dans son article 3, que l'entité devait être une partie

Page 198

1 intégrante de l'Etat fédéral de Yougoslavie.

2 La constitution est entrée en vigueur le jour de son adoption,

3 conformément à la législation d'application et de la mise en application.

4 La législation clef du gouvernement, de la défense et des affaires

5 internes, a été adoptée également le jour même, le 28 février 1992. A

6 cette date, les Serbes bosniaques ont établi leur infrastructure

7 législative et c'est deux ou trois mois plus tard que l'administration

8 centrale de l'entité a été établie.

9 Les vice-présidents Biljana Plavsic et Nikola Koljevic ont

10 fonctionné en tant que présidents de l'entité à partir du 28 février et

11 Karadzic est devenu président à ce moment-là. Le 12 août 1992, l'entité a

12 changé son nom en Republika Srpska, qui a été progressivement connu.

13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Que pensez-vous de

14 ce leadership ? Y a-t-il eu des changements ? Pourriez-vous vous diriger

15 sur la pièce 31 et en situer l'importance pour le Tribunal ?

16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Si vous regardez

17 cette pièce à conviction, d'un côté vous pouvez voir la structure du SDS

18 et, de l'autre côté, parallèlement, la structure de l'administration de la

19 Republika Srpska. Vous voyez que Radovan Karadzic est Président du SDS et

20 président de la présidence.

21 Aleksa Buha, directeur du conseil principal, est en même temps

22 ministre des Affaires Etrangères dans le gouvernement. Ce sont les membres

23 de l'Assemblée.

24 Le président Krajisnik et les anciens membres sont également

25 membres du main board du conseil principal.

Page 199

1 Il y a donc un reflet de ce pouvoir et de ce leadership au

2 sein de la direction de l'administration de la Republika Srpska.

3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Merci Monsieur

4 Ralston. Quel a été le rôle du Dr Karadzic dans l'administration serbe

5 bosniaque nouvellement formée ? Pensez-vous au Dr Karadzic en personne ?

6 A-t-il gardé toutes ses fonctions au sein du SDS après avoir été élu à la

7 présidence du RS ?

8 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui.

9 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - A-t-il reçu, en

10 tant que Président, un grand nombre de pouvoirs ? Pourriez-vous nous

11 présenter quelques pièces à cet effet pour nous décrire les pouvoirs dont

12 il a été investi en tant que président ? Nous pensons aux pièces à

13 conviction 18, 20, 32 et 33.

14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Je n'ai pas la

15 pièce 18, mais je connais très bien le document dont il est question. Mais

16 j'ai la pièce à conviction 32.

17 Je pourrais ajouter que la position du Dr Karadzic, en tant

18 que leader, lui a donné toute autorité sur l'administration civile et

19 militaire, et son autorité suprême avait évidemment effet sur la police,

20 la défense territoriale et l'armée des Serbes bosniaques.

21 Pièce 32 : il s'agit de la défense nationale. A l'article 6 de

22 cette pièce, vous pourrez constater que le Président de la République doit

23 s'occuper de l'intégrité des forces de défense et contrôler l'ensemble des

24 forces armées en temps de paix et en temps de guerre. C'est lui qui est

25 chargé des ordres pour le déploiement des forces de la police en cas de

Page 200

1 guerre.

2 L'article 39 indique que le président de la République donnera

3 les ordres pour le déploiement des unités territoriales en cas de guerre,

4 en temps de paix et dans les situations extraordinaires.

5 Passons à la pièce n° 33, qui est une loi sur les affaires

6 intérieures. Je vous renvois à l’article 25 qui dit notamment que le

7 Président de la République évaluera l’exécution du travail, du

8 fonctionnement du service de sécurité nationale et en informera

9 l'Assemblée nationale. Ensuite, dans le même document, l'article 3 indique

10 que le ministère des Affaires internationales activera la police de réserve

11 en cas de situation extraordinaire conformément aux ordres du Président de

12 la République.

13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quel a été l’effet

14 de tous ces documents, de tous ces instruments juridiques dont vous venez

15 de nous parler ?

16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - L’effet de ces

17 documents a été que le Dr Karadzic recevait l’autorité de contrôler

18 l’ensemble des forces des Serbes bosniaques en temps de guerre.

19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Concernant ces

20 pouvoirs dont vous venez de nous parler, pourriez-vous nous fournir des

21 exemples de l’exercice de ces mêmes pouvoirs ?

22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui. Ces pouvoirs

23 ont été exercés pendant tous les conflits. Le 20 juillet 1995, comme cela

24 a été rapporté dans les médias, la télévision des Serbes bosniaques a

25 indiqué que le Président de la Republika Srpska, le commandant en chef des

Page 201

1 forces armées, le Dr Radovan Karadzic, a promu extraordinairement le major

2 Milanko Jivanovic qui, encore récemment, était le commandant du corps de

3 Drina, au rang de lieutenant général.

4 La Republika Srpska et son bureau de presse ont annoncé que le

5 Général Jivanovic a été promu grâce à son retrait du service militaire

6 actif. Conformément à cette déclaration du président Karadzic, il a nommé

7 le Major général Radoslan Koskic, ancien chef d’état-major, au rang de

8 commandant du corps de Drina, de concert avec le Général Zivanovic qui a

9 été l’architecte principal des victoires serbes à Srebrenica et à Zepa. Le

10 président Karadzic a félicité l’état-major général, le commandement du

11 corps de Drina et les effectifs de la police (... inaudible) pour leurs

12 victoires brillantes à Srebrenica et à Zepa.

13 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Est-ce que

14 M. Karadzic a placé la police et l’armée sous le commandement unifié ?

15 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, ils

16 opéraient tous sous le commandement unifié.

17 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je voudrais vous

18 présenter une vidéo qui a été préparée, conforme à cette réponse de

19 M. Ralston. Il s’agit de la pièce 29, clip 2.

20 Traduction de la projection vidéo :

21 ******** Relire ce qui suit *******

22 « Avant les 4 et 5 avril, l'armée régulière croate a lancé une

23 attaque contre Kupres, et également contre Bosanski Brod. Les forces

24 croates ont attaqué les Serbes de ce côté-là, mais c’était local, et nous

25 espérions que nous allions éviter la guerre, si jamais il y avait conflit

Page 202

1 entre Serbes et Musulmans, conflit Serbes/Croates qui pourrait être aussi

2 vu dans le contexte de la guerre en Krajina, et nous espérions que cela

3 pouvait être réglé.

4 Dans le conflit principal était entre les Serbes et les

5 Musulmans, la JNA a essayé de créer une zone-tampon pour protéger les

6 Serbes qui ont été attaqués. Je n’ai aucun doute qu’ils protégeront les

7 Musulmans si nous devons attaquer les Musulmans. En effet il est beaucoup

8 d’officiers musulmans, même dans la JNA et à Sarajevo.

9 D’autre part, les Musulmans et les Croates contrôlaient leurs

10 propres soldats; ils n’étaient pas sous notre contrôle. Nous avions

11 seulement des civils. Pendant les premiers quarante-cinq jours, c’était

12 une guerre civile : des civils tuaient des civils. Il n’y avait pas de

13 commandement unifié et c’était une expérience terrible : un sentiment

14 d’impuissance, de désespoir. Vous ne pouvez rien arrêter, vous ne pouvez

15 pas ordonner quoi que ce soit pour que des choses soient évitées. Nous

16 n’avions pas un commandement unifié et après cela, une fois le

17 commandement établi, les choses devenaient beaucoup plus faciles.»

18 M. Harmon. - Monsieur Ralston est-ce que le Dr Karadzic

19 appuyait fréquemment les actions de ses commandants militaires ?

20 M. Ralston. - Le 22 juin 1995 le Dr Karadzic a été interviewé

21 par la BBC : il s’agissait de la prise d’otages des Nations Unies, des

22 Casques bleus au début de ce mois. D’après lui c’était une réaction

23 raisonnable aux raids aériens de l’Otan.

24 «En effet nous devions démontrer à la communauté

25 internationale que nous étions coincés et que nous sommes prêts à nous

Page 203

1 défendre par tous les moyens. Nous fonctionnons en tant qu’Etat et je suis

2 commandant en chef et commandant suprême; et tout ce que mon armée fait je

3 le ferai moi-même ou je répondrai.»

4 M. Harmon. - Est-ce que pendant tous ces conflits le

5 Dr Karadzic était considéré comme étant le leader de la Republika Srpska ?

6 M. Ralston. - Oui. Pendant toutes les interviews le

7 Dr Karadzic se comportait de cette manière dès le début du conflit. En

8 effet, il affirmait pendant tout ce temps sa position de président de la

9 Republika Srpska et de la population serbe de Bosnie.

10 Je dirigerai l’attention du Tribunal sur la pièce 34 : un

11 affidavit(?) signé par le Dr Karadzic qui a été déposé auprès du Tribunal

12 fédéral de district aux Etats-Unis. Vous pouvez voir là que le Président

13 Karadzic a été le leader de toutes les forces de la Republika Srpska. Je

14 vous donnerai lecture des parties pertinentes de ce document.

15 «Moi, Radovan Karadzic, je déclare être président de la

16 Republika Srpska». Ensuite il présente ses date et lieu de naissance etc.

17 Nous passons au dernier paragraphe : «Je n’ai pas visité les

18 Etats-Unis depuis 1975 pour quelque raison que ce soit et depuis que je

19 suis devenu Président de la Republika Sprska le 19 février 1992 ».

20 M. Harmon. - Depuis le commencement du conflit, le

21 Dr Karadzic, en tant que leader suprême des Serbes bosniaques, a été

22 impliqué dans des négociations avec d’autres partis au conflit ?

23 M. Ralston. - Oui, on doit admettre que beaucoup de ces

24 négociations ont été menées par ce qu’on appelle le chef de diplomatie.

25 Le 24 janvier 1992, il a participé à un débat sur le

Page 204

1 référendum de l’indépendance. Les principaux représentants de ce débat ont

2 été Itzetbegovic pour le SDA, Karadzic pour le SDS et Kljuic pour le HDZ.

3 Ensuite, le 12 avril 1992 il a été dans les négociations sur le cessez-le-

4 feu à Sarajevo.

5 Le 2 juin 1992, Karadzic a été impliqué dans les négociations

6 sur l’ouverture de l’aéroport de Sarajevo.

7 En 1992/1993, le Dr Karadzic a participé aux négociations

8 conduites sous les auspices de la conférence internationale sur l’ex-

9 Yougoslavie.

10 Le 18 novembre 1993, il a signé une déclaration commune sur

11 l’assistance humanitaire de concert avec MM. Silajdzic et Boban.

12 Le 6 mars 1994, il a eu une réunion avec les administrateurs

13 de la FORPRONU concernant un cessez-le-feu global.

14 Du 2 au 6 juin 1994, il a participé à la Conférence de Genève

15 sur la cessation des hostilités : un accord a été réalisé au cours de ces

16 négociations.

17 En décembre 1994, il a participé aux négociations sur le

18 cessez-le-feu et la cessation des hostilités menées avec l’ancien

19 président des Etats-Unis, Jimmy Carter. Un accord a été réalisé à cette

20 occasion également.

21 M. Harmon. - Je voudrais diriger votre attention sur les

22 pièces 35, 36, 37, 38 et 39. Il s’agit d’exemplaires de ces pièces. Est-ce

23 que vous pourriez identifier chacune de ces pièces et les expliquer au

24 Tribunal ?

25 M. Ralston. - La pièce 35 est un document signé par M. D.

Page 205

1 Kalinic, représentant de M. Radovan Karadzic, président du Parti

2 démocratique serbe, et pour ce qui est de ceux qui sont mentionnés dans le

3 document, il s’agit de représentants de la République de Bosnie-

4 Herzégovine; les représentants du SDS, du SDA et du HDZ, qui s’étaient

5 réunis à Genève et qui devaient s’occuper de la mise en application de la

6 loi sur l’aide internationale et ont réalisé un accord en ce qui concerne

7 ces négociations.

8 Pièce 36 : l’accord sur la réouverture de l’aéroport de

9 Sarajevo, réouverture qui devait se réaliser à des fins humanitaires. Le

10 document a été signé par le Dr Karadzic.

11 Pièce 37 : accord sur le cessez-le-feu en rapport avec Gorazde

12 aboutissant à un cessez-le-feu et ce document a été également signé par le

13 Dr Karadzic.

14 Pièce 38 : déclaration commune portant sur l’assistance

15 humanitaire signé également par le Dr Karadzic, M. Silajdzic et M. Boban.

16 Enfin pièce 39 : un accord sur la cessation des hostilités

17 suite aux négociations avec l’ancien président des Etats-Unis Jimmy

18 Carter.

19 M. Harmon. - Vous avez décrit une série de documents qui ont

20 été signés par le Président Karadzic : est-ce que ces accords ont été

21 effectivement mis en application ?

22 M. Ralston. - Oui, c’est le cas notamment de la réouverture de

23 l’aéroport de Sarajevo et la cessation des hostilités suite aux

24 négociations, à la médiation de l’ex-président Carter. Ensuite

25 l’assistance humanitaire suite à la conférence de Genève en 1994.

Page 206

1 M. Harmon. - Monsieur Ralston, merci pour ce témoignage

2 relatif à M. Karadzic.

3 Je voudrais bien que l’on dirige notre attention maintenant

4 sur la deuxième personne impliquée : M. Mladic. Pourriez-vous décrire à la

5 Cour qui il est et décrire sa carrière ?

6 M. Ralston. - Le Général Mladic a été formé à l’Académie

7 militaire de l’ancienne Yougoslavie. Il était officier de carrière dans la

8 JNA avant de devenir le commandant de l’armée serbe bosniaque. Sa première

9 mission en tant qu’officier en novembre 1965 a été commandant à Skopje, en

10 Macédoine. Entre 1989 et 1991, Mladic a servi comme responsable du service

11 d’éducation du troisième district militaire. A partir de janvier jusqu’en

12 juin 1991, il a été commandant-adjoint du corps de Pristina au Kosovo.

13 En juin 1991, l’état-major de la JNA a envoyé Mladic à Knin

14 comme commandant de l’état-major. A ce moment-là, la JNA avait à combattre

15 contre les forces croates. Environ deux mois après, Mladic est arrivé à

16 Knin, la JNA l’a promu comme brigadier général étant donné ses exploits

17 sur le terrain.

18 M. Harmon. - Quand a-t-il quitté la JNA et quand est-il devenu

19 commandant de l’armée des Serbes bosniaques ?

20 M. Ralston. - Dans la deuxième partie d’avril 1992, Mladic et

21 d’autres ont été informés que par décision de la présidence de la

22 République socialiste de l’ex-Yougoslavie, ils allaient occuper de

23 nouveaux postes au commandement du deuxième district militaire. Les

24 nouveaux postes étaient les suivants :

25 - Le général major Ratko Mladic a été nommé chef de l’état-

Page 207

1 major du deuxième district militaire,

2 - Le général major Milan Gvero commandant-adjoint pour la

3 morale et l’information,

4 - Le colonel Gruber, commandant-adjoint pour l’organisation et

5 la mobilisation des questions personnelles,

6 - Le général Djukic commandant adjoint pour les logistiques,

7 En fait, je sais que le gouvernement de l’ex-Yougoslavie a

8 pris une décision en ce qui concerne le fait que tout ce qui concernait la

9 Bosnie-Herzégovine était placé sous le commandement de la Republika

10 Srpska.

11 A la fin du mois de juin, même des petits groupes s’étaient

12 retirés. Ceci n’incluait pas les individus de nationalité serbe qui

13 étaient nés sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Et tout cela a été

14 fait sous les ordres du général Mladic, c’est exact. Lorsque Mladic est

15 devenu commandant en chef du district, les généraux Stankovic et Kukanjac

16 sont retournés à Belgrade.

17 M. Harmon. - Qu’est-ce que le Général Mladic a fait lorsqu’il

18 a su que la JNA allait officiellement se retirer de la Bosnie ?

19 M. Ralston. - En fait, on sait que Mladic savait d’avance que

20 la JNA allait se retirer officiellement de la Bosnie-Herzégovine.

21 Immédiatement, il a commencé à mettre en place sa propre structure de

22 commandement. Dans une interview dans une revue de Belgrade, Nine, Mladic

23 décrit ses efforts comme suit :

24 «Dès que j’ai pris mon poste au deuxième district militaire,

25 mon but a été de rassembler les gens et d’établir le commandement et

Page 208

1 l’état-major. Certaines des personnes du deuxième district militaire et

2 d’autres personnes qui étaient venues avec moi de Knin et d’autres

3 régions, qui étaient nées en Bosnie-Herzégovine. Dès que la décision a été

4 connue le 19 mai 1992, que la JNA se retirait de la région de la Bosnie-

5 Herzégovine, nous avons rencontré les plus hauts niveaux militaires et

6 politiques et ensemble ont décidé d’établir l’armée serbe et l’état-major

7 principal.

8 L’armée a été créée lors de la session de l’Assemblée des

9 Serbes de Bosnie à Banja Luka les 11 et 12 mai. Je suis allé à Banja Luka

10 et j’ai rencontré le Président Karadzic et ses représentants. Il m’a dit

11 que la décision avait été prise de me faire commandant en chef».

12 M. Harmon. - Est-ce que vous pourriez nous donner une idée de

13 la hiérarchie dans cette armée de la République Srpska et quels sont les

14 officiers du plus haut niveau autour de Mladic ? Etait-il, lui, le plus

15 haut ? Il s’agit de la pièce 40.

16 M. Ralston. - Si vous regardez cet organigramme, vous verrez

17 que la position la plus élevée est celle du général Mladic, en-dessous,

18 son adjoint Milan Gvero; en-dessous il y a l’état-major, en-dessous de

19 Gvero, et le commandant-adjoint responsable de la mobilisation et Vlatko

20 Kodomic, qui est son adjoint pour le renseignement; et directement en-

21 dessous du général Mladic, le général Talic; puis le général Tomenic,

22 cela, c’était le premier bataillon et le deuxième bataillon. Troisième

23 bataillon; le Général Simic, Drena, Général Silvanovic et le Général

24 Kacic, Sarajevo; le Général Sicic, Kalic et ensuite Milosevic. Et le

25 Général Grobic pour la Herzégovine.

Page 209

1 M. Harmon. - Est-ce que ces différents bataillons étaient

2 répartis géographiquement ?

3 M. Ralston. - Oui, vous les voyez ici sur la carte. Vous voyez

4 les trois bataillons pour la région de Krajina : ici pour la Bosnie

5 orientale, pour Drina ; ici pour la Herzégovine et ici ce qui reste pour

6 la région de Sarajevo.

7 M. Harmon. - Est-ce que vous pourriez nous expliquer la

8 relation entre Karadzic, le président de la RS et le général Mladic,

9 commandant en chef des armées ?

10 M. Ralston. - Le Dr Karadzic était le chef de l’armée, son

11 commandant suprême, et en fait étant donné que le conflit était

12 principalement situé à Sarajevo, il était clair que Karadzic était le chef

13 politique des Serbes bosniaques mais avait également le contrôle sur les

14 militaires.

15 Il est clair aussi que dès le 14 mai 1992, le général Mladic

16 était en fait le commandant de tout ce qui était militaire. Bien que

17 Mladic pensait de manière autonome, il avait un contrôle absolu sur ses

18 troupes et il se référait toujours à Karadzic comme le chef suprême.

19 M. Harmon. - Est-ce que le Général Mladic a également négocié

20 des accords au nom des militaires et des Serbes bosniaques ?

21 M. Ralston. - Oui il a participé aux négociations et a conclu

22 des accords, principalement en ce qui concerne des questions militaires,

23 comme par exemple la démilitarisation, les cessez-le-feu, cessation des

24 hostilités, etc.

25 M. Harmon. - Pourriez-vous nous donner quelques exemples des

Page 210

1 accords des négociations auxquelles il a participé ?

2 M. Ralston. - Le 2 juin 1992, Karadzic et Mladic ont participé

3 à des négociations visant à réouvrir l’aéroport de Sarajevo. forces serbes

4 bosniaques contrôlaient sous son contrôle toute la zone autour de

5 l’aéroport. Cet accord a été par la suite signé et mis en oeuvre.

6 Le 5 juin 1992, Karadzic et Mladic ont participé à des

7 négociations avec la présidence serbe bosniaque en ce qui concerne le fait

8 que l’aéroport devait être placé sous le contrôle des Nations Unies.

9 Le 30 juillet 1993, Mladic a participé à des négociations avec

10 le Général Briquemont et généraux Delic et Petrovic, visant à signer un

11 accord pour définir les zones de sécurité.

12 Le 14 août 1993, Mladic a conclu un accord avec le général

13 Briquemont concernant le mont Igman et le retrait des forces serbes

14 bosniaques.

15 Le 8 février 1994, le général Milovanovic -qui représentait

16 Mladic- a rencontré Sir Michael Rose à Lukavika pour discuter d’un cessez-

17 le-feu et le retrait des l’artillerie lourde et la démilitarisation

18 ultérieure de Sarajevo. Milovanovic a dit qu’il avait l’autorité pleine et

19 entière de la part de Karadzic et Mladic pour se mettre d’accord sur les

20 principes du cessez-le-feu. Le jour suivant, le Général Michael Rose a

21 rencontré Milovanovic et ils se sont mis d’accord sur un cessez-le-feu.

22 Le 15 avril 1994, des négociations ont eu lieu entre Rose et

23 Mladic concernant Gorazde. Le 22 avril, le général Milovanovic a signé un

24 accord sur Gorazde.

25 Il y a également un grand nombre de rencontres auxquelles ont

Page 211

1 participé ses représentants afin de conclure des accords sur le passage

2 des convois humanitaires et la lutte contre les tirs isolés.

3 Il s’agit des pièces 39, 40, 41, 42, 43 qui sont des exemples

4 d’accords signés par Mladic.

5 M. Harmon. - En ce qui concerne ces accords qui ont été

6 négociés et signés par le Général Mladic, ont-ils été mis en vigueur et

7 appliqués ?

8 M. Ralston. - Oui, surtout à la suite des négociations

9 auxquelles a participé Carter.

10 M. Harmon. - Merci pour ce que vous avez dit sur le Général

11 Mladic.

12 Je voudrais maintenant me tourner vers un autre thème, à

13 savoir les hostilités et le début du conflit en Bosnie en 1992. Est-ce que

14 l’occupation et le contrôle du territoire de la République de la Bosnie

15 par les Serbes bosniaques répondaient à un plan et a été exécuté dans le

16 cadre d’un tel plan ?

17 M. Ralston. - Oui. L’occupation et le contrôle du territoire

18 de la République de la Bosnie-Herzégovine par la République auto-proclamée

19 Srpska ont été bien planifiés et coordonnés : les plans mis au point par

20 les chefs politiques serbes bosniaques du SDS et autres ont été exécutés

21 en coordination avec les forces militaires et paramilitaires, la police et

22 les Serbes bosniaques locaux. En fait leur but était le contrôle total de

23 la Bosnie-Herzégovine.

24 M. Harmon. - Est-ce que les enquêtes que vous avez menées ont

25 montré qu’il y avait une systématique avant et après dans la conduite des

Page 212

1 forces serbes sous la direction et le contrôle de Karadzic et de Mladic ?

2 M. Ralston. - Oui, avant et après la prise de pouvoir, il y

3 avait une stratégie qui était prévue et qui a été planifiée, contrôlée par

4 ceux qui ont été responsables de la prise de la région. Dans les régions

5 où les Serbes bosniaques représentent la grande partie de la population,

6 le contrôle s’est fait rapidement avec peu d’utilisation de forces

7 militaires.

8 Dans d’autres régions où les Serbes bosniaques n’avaient pas

9 la majorité, la prise de pouvoir s’est faite en utilisant des forces

10 importantes, y compris des pilonnages très violents de villages et de

11 villes suivis par des attaques par l’infanterie. Dans chaque cas, cela a

12 été suivi par une répression brutale, en se fondant sur des motifs

13 discriminatoires contre les populations non serbes.

14 Des milliers de Musulmans bosniaques et de Croates bosniaques

15 ont été rassemblés, détenus dans des installations d’internement. Les

16 conditions étaient brutales, les détenus ont été assassinés, torturés, ont

17 subi des sévices physiques, violés, etc.

18 Pour les non Serbes qui n’ont pas été mis dans ces camps, la

19 vie dans leur communauté est devenue impossible du fait qu’ils ont

20 lentement mais sûrement perdu leurs emplois, qu’ils ont vu leur liberté de

21 mouvements limitée, qu’on leur a pris leurs propriété, on a détruit leurs

22 maisons, leurs entreprises; ils ont subi des sévices physiques, y compris

23 des assassinats, le viol, tortures, arrestations arbitraires,

24 déportations, etc. Les conditions étaient très précaires.

25 Et puis les lieux de culte musulmans et catholiques ont été

Page 213

1 détruits un peu partout dans les territoires occupés.

2 Ce que je viens de décrire, nous l’avons découvert grâce à des

3 enquêtes en profondeur faites par le Bureau du Procureur en ce qui

4 concerne les prises de pouvoir par les Serbes bosniaques dans les

5 municipalités de Sarajevo, Foca, Bosanski Samac, Vlasenica, Brcko et

6 Prijedor. Ces événements se sont produits également à Kotor Varos,

7 Bijeljina et Zvornik.

8 Tout au long du conflit, la tactique utilisée par les

9 militaires serbes bosniaque a été de cibler les civils de manière non

10 discriminée. Le siège de Sarajevo est typique de cette tactique. Depuis le

11 début du siège, les civils ont été les objets systématiques de tirs par

12 des armes telles que des mortiers etc., et des tirs isolés qui ont

13 provoqué de nombreuses victimes.

14 M. Harmon. - Avant que la guerre ne commence en Bosnie, dans

15 ce qui est maintenant la RS, qu’en était-il des municipalités où les

16 Serbes bosniaques représentaient une minorité de la population ?

17 M. Ralston. - Il est bien connu que la population de la

18 Bosnie-Herzégovine avant le conflit se composait principalement de cinq

19 groupes nationaux : Serbes, Croates, Musulmans, et ceux qui se décrivaient

20 comme étant des Yougoslaves et les autres.

21 M. Harmon. - Dans la pièce 45, vous avez des résultats de

22 recensement de 1991, et ceci naturellement confirme ce que vient de dire

23 M. Ralston. Pourriez-vous prendre la pièce 46 et expliquer à la Chambre ce

24 que représente cette pièce 46 ?

25 M. Ralston. - Cette carte vous montre d’abord la ligne de

Page 214

1 confrontation en juillet 1995. Derrière cette ligne de confrontation se

2 trouvent les régions qui étaient contrôlées par les Serbes bosniaques.

3 Cette ligne verte représente à peu près la ligne de

4 confrontation au mois de juillet 1995. Les régions qui se trouvent

5 derrière sont celles qui sont contrôlées par les forces serbes. En rose,

6 le recensement de 1991 a montré qu’il y avait là une population non serbe

7 qui était majoritaire.

8 M. Harmon. - Pourriez-vous maintenant, Monsieur Ralston

9 prendre la pièce 47 ? Est-ce que vous pouvez nous dire ce qu’elle

10 représente et nous dire son importance ?

11 M. Ralston. - Cette pièce 47 est un document qui s’intitule

12 «Comité SDS très confidentiel, Instructions des activités des organes de

13 la population serbe en Bosnie-Herzégovine en cas d’urgence».

14 L’importance de ce document c’est que le 19 décembre 1991 un

15 Centre de crise du SDS a envoyé ces instructions strictement

16 confidentielles en notant que certaines forces travaillaient à prendre la

17 Bosnie-Herzégovine et la faire sortir par force de la Yougoslavie.

18 Ce Centre de crise considérait qu’il était nécessaire

19 d’unifier les tâches, les mesures et autres activités qui seraient menées,

20 afin de mettre en oeuvre la décision qui avait été plébiscitée par les

21 Serbes bosniaques dans toutes les circonstances qui pourraient se

22 produire, compte tenu des développements de la situation politique en

23 matière de sécurité. Il y avait deux options ici : soit que les Serbes

24 constituent la majorité selon les régions, c’était l’option 1, sinon

25 c’était l’option 2.

Page 215

1 Dans les deux options, le comité municipal du SDS devait

2 immédiatement composer une équipe de crise se composant de tous les

3 membres du Secrétariat du comité communal du SDS, c’est-à-dire les

4 fonctionnaires communaux les plus importants ou les candidats SDS à ces

5 positions - président de l’Assemblée, ou comité exécutif, le chef de la

6 sécurité publique, de la station militaire, de milice, commandant de la

7 défense territoriale ou secrétariat de la défense nationale, les adjoints

8 de l’Assemblée du peuple serbe et les membres locaux du Comité principal

9 du SDS.

10 Le commandant de cette équipe de crise était le président de

11 l’Assemblée communale ou du comité exécutif (option 1) ou le président du

12 comité communal du SDS (option 2). Les équipes de crise étaient

13 responsables pour maîtriser la situation politique dans la municipalité

14 et prendre dans toutes les mesures de préparation pour prendre toutes les

15 fonctions gouvernementales y inclus celles de l’approvisionnement, des

16 dépôts secrets, de la mobilisation dans la police, de la défense

17 territoriale et de la JNA.

18 S’agissant de la signification, ce document contient un nombre

19 d’instructions sur l’organisation des activités des Serbes bosniaques aux

20 niveaux municipaux et locaux. Partout en Bosnie-Herzégovine, ces

21 instructions ont été données aux équipes de crise du SDS et en fait

22 préparaient les Serbes bosniaques pour la guerre aux niveaux municipal et

23 communal.

24 M. Harmon. - Est-ce que vous pourriez nous indiquer les

25 municipalités importantes à ce titre ?

Page 216

1 M. Ralston. - Sarajevo, Foca, Bosanski Samac, Vlasenica, Brcko

2 et Prijedor.

3 M. Harmon. - Pourriez-vous dire à la Chambre quelle était

4 l’importance de ces municipalités ?

5 M. Ralston. - En premier lieu, Foca, Bosanski Samac, Brcko et

6 Prijedor, avec une population à majorité non serbe. Vous verrez, si vous

7 regardez cette carte, que ce terrain est difficile. Ces endroits étaient

8 très importants pour tous les transports. Si vous regardez plus loin, si

9 vous voyez l’infrastructure des routes autour de Foca, qui vont de

10 Monténégro Belgrade à la côte Herzégovine, vous verrez que Vlasenica est

11 la route principale et le lien le plus important entre la Serbie et

12 Sarajevo.

13 La route passe la frontière et arrive à Vlasenica. Ici c’est

14 Brcko qui est très important. C’est une région à majorité non serbe, mais

15 ce n’est pas par ce réseau routier que les Serbes pouvaient connecter la

16 Serbie, la Bosnie orientale avec les parties déjà contrôlées par les

17 Serbes à l’ouest, Krajina, etc.

18 C’est donc un endroit très important. Si vous allez à Bosanski

19 Samac, se trouve également juste au bord du corridor, c’est ce même lien

20 routier qui permettait d’arriver à Prijedor. C’est un lien de voie ferrée

21 qui permettant d’aller directement à Prijedor, comme c’était le cas

22 également pour la route. Donc ces municipalités étaient très importantes,

23 d’autant plus qu’il s’agissait de zones serbes entourées de régions à

24 majorité non serbe, donc très importantes du fait des chemins de fer et

25 des réseaux routiers.

Page 217

1 M. Harmon. - Pourriez-vous nous montrer également la pièce

2 n° 49 ? Pourriez-vous nous dire ce qui s’est passé dans ces municipalités

3 dont vous venez de parler ?

4 M. Ralston. - J’ai dit qu’elles étaient extrêmement

5 importantes du point de vue stratégique et vous pouvez voir que les Serbes

6 ont pris le pouvoir très rapidement : le 6 avril à Foca, Bosanski en

7 avril, et Prijedor le 25 mai.

8 M. Harmon. - Vous avez dit que les enquêtes du bureau du

9 procureur ont été faites dans ces municipalités. Pourriez-vous nous

10 décrire un peu ce qui s’est passé à Sarajevo ?

11 M. Ralston. - Sarajevo est la capitale de Bosnie-Herzégovine.

12 Sarajevo était devenue une cité très florissante, multi-ethnique. Le 5

13 avril 1992, à la suite de démonstrations et de marches pour la paix, des

14 tirs et des explosions ont été entendus dans toute la ville. Le 6 avril

15 1992, des tirs isolés ont été perçus...

16 M. le Président. - Peut-être qu’avant d’aborder Sarajevo nous

17 pourrions procéder à la pause, si la réponse à la question est brève. J’ai

18 l’impression que c’est une séquence un peu naturelle, Monsieur le

19 Procureur ?

20 L’audience est suspendue, elle reprendra à 16 heures 15.

21 (L’audience, suspendue à 16 heure, est reprise à 16 heures 20)

22 M. le Président. - L'audience est reprise, veuillez vous

23 asseoir. Je souhaiterais d'abord me tourner vers M. le Procureur et lui

24 indiquer que la Chambre accepte les documents que vous avez produits

25 jusqu'à présent comme éléments et pièces à conviction et, bien entendu,

Page 218

1 nous verrons pour les autres documents.

2 Tant que nous sommes dans les problèmes matériels, mais qui

3 ont leur importance, en discutant avec les personnes qui sont dans la

4 cabine, je me suis aperçu qu'elles ont des difficultés avec la hauteur des

5 micros. C'est très fatigant. Il semble que ces problèmes qui sont,

6 apparemment, des petits problèmes matériels, rendent la tâche des

7 interprètes très pénible.

8 Quand c'est le Président qui rend la tâche des interprètes

9 très pénible, il s'en excuse, fait ce qu'il peut. Il se trouve que, là, ni

10 le Président, ni les Juges, n'y soient pour rien. Il semble que ces

11 problèmes soient signalés depuis l'ouverture du procès Tadic, c'est

12 technique, au niveau du bricolage, je ne sais comment le bricolage peut

13 s'interpréter, mais il semblerait qu'effectivement, si on reste penché

14 toute la journée sur son micro, c'est tout de même très pénible.

15 Monsieur le Procureur, vous n'y êtes pour rien, mais le

16 Tribunal tient à dire qu'il faut que, dans ce Tribunal, les conditions de

17 travail soient excellentes pour tout le monde. Pour les juges, elles sont

18 excellentes, il convient qu'elles le soient pour tout le monde. Je demande

19 au représentant du Greffe de bien vouloir s'assurer que, si ce sont des

20 travaux qui ne sont pas trop compliqués, ils soient effectués le plus

21 rapidement possible. Je parle, là, au nom de Mme Mc Donald pour le procès

22 Tadic et, présentement, pour le nôtre.

23 Monsieur le Procureur, nous reprenons.

24 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Merci beaucoup,

25 Monsieur le Président.

Page 219

1 Lorsque nous nous sommes séparés, Monsieur Ralston, je venais

2 de vous demander si le Bureau du Procureur avait mené des enquêtes

3 approfondies dans certaines municipalités, vous avez répondu oui et vous

4 avez donné les noms de ces municipalités.

5 Ma question suivante consiste à vous demander ce qui s'est

6 passé dans ces municipalités. Pourriez-vous nous donner un bref résumé de

7 ce qui s'est passé à Sarajevo ? je vous demanderai de poursuivre en nous

8 disant quels ont été les événements de Sarajevo.

9 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) Je vais répéter

10 les deux dernières phrases que j'ai dites précédemment. Avant le conflit,

11 Sarajevo s'était développée en tant que ville multi ethnique florissante.

12 Le 6 avril 1992, des tirs isolés ont eu lieu, provenant de l'hôtel Holiday

13 Inn qui se trouve près du centre de la ville. Le Holiday Inn, à cette

14 époque, était le Siège du Parti SDS et était donc occupé par des

15 responsables du parti et des gardes du corps, ainsi que par un certain

16 nombre de journalistes internationaux et de membres de la FORPRONU.

17 Plusieurs personnes ont été tuées et blessées après ces premiers tirs

18 isolés. Je jour suivant, le 7 avril 1992, la République de

19 Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant par la Communauté

20 européenne et les Etats-Unis. Entre mai et la fin du conflit a subi un

21 siège de la part des forces serbes bosniaques. Au cours de ce siège, la

22 population civile a grandement souffert de tirs isolés permanents et

23 systématiques de la part des forces serbes bosniaques, et de l'utilisation

24 indiscriminées et intensive de mortiers et d'artillerie.

25 En conséquence, des milliers de civils de tous âges et des

Page 220

1 deux sexes ont été tués ou blessés. Des pillonages ont directement ciblé

2 les civils qui, de toute évidence, ne participaient pas au combat. Des

3 hôpitaux, des cimetières, des bâtiments culturels ont été ciblés de façon

4 régulière ainsi que le personnel et les propriétés des organismes d'aide

5 humanitaire et de maintien de la paix.

6 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Pouvez-vous nous

7 résumer ce qui s'est passé au niveau de la municipalité de Foca ?

8 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) Oui, la

9 municipalité de Foca, comme je l'ai déjà dit, se situait dans une région

10 où la population était majoritairement non serbe. Selon le recensement de

11 1991, sur un total de 40 513 habitants, 51,6 % étaient Musulmans, 45,3 %

12 serbes et 3,1 % étaient classés comme divers. Le renversement du pouvoir

13 politique et militaire à Foca a démarré au début avril 1992. Les premières

14 activités militaires ont été rapportées le 6 avril 1992, date à laquelle

15 des unités militaires Serbes ont pris le contrôle de Foca, quartier par

16 quartier. L'occupation de la ville s'est achevée le 16 ou le 17 avril 1992

17 et l'encerclement des villages subissant un siège s'est poursuivi jusqu'au

18 mois de juillet 1992.

19 Au cours et après le renversement de pouvoir, un grand nombre

20 de non Serbes ont été détenus, interrogés, frappés et maintenus dans des

21 conditions inhumaines dans des centres de détention contrôlées par les

22 authorités serbes. Les femmes ont été séparées des hommes et détenues dans

23 divers centres de détentions distincts où les viols ont été fréquemment

24 commis par les gardes et par d'autres serbes.

25 Ultérieurement, nombre de ces non Serbes ont été retirés de

Page 221

1 ces centres de détention pour être échangés dans ce que l'on appelait des

2 échanges de prisonniers ou déportés, principalement en direction du

3 Monténégro.

4 Nombre de non Serbes ont été assassinés. AU cours des mois qui

5 ont suivi le renversement du pouvoir, les conditions de vie, y compris la

6 crainte de mourir, sont devenues insupportables, à tel point que non

7 Serbes qui étaient parvenus à éviter la détention ont décidé de quitter la

8 région. Ces personnes ont été contraintes de signer des documents

9 stipulant qu'elles quittaient Foca de leur propre volonté et qu'elles

10 remettaient volontairement tous leurs biens aux autorités serbes.

11 De la part des autorités Serbes, il a été admis qu'à partir

12 d'août 1993, seuls neuf Musulmans ont quitté la ville de Foca.

13 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Décrivez-nous ce

14 qui s'est passé, je vous prie, à Bosanski Samac.

15 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) Avant la guerre,

16 la population de Bosanski Samac, était pratiquement divisée à égalité

17 entre les Croates et les Serbes, les Musulmans constituant une faible

18 minorité. Selon le recensement de 1991, la municipalité possédait une

19 population totale de 32 835 personnes dont 45 % étaient Croates, 41 %

20 Serbes, 7 % Musulmans et 7 % divers. Avant la guerre, la plupart des

21 habitant croates résidaient dans des villages à prédominance croate. Les

22 Musulmans constituaient la majorité dans la ville de Bosanski Samac et il

23 y avait également des villages dont la population était mixte.

24 Très tôt, le matin du 17 avril 1992, les forces militaires

25 serbes ont pris le contrôle de Bosanski Samac. Peu après l'attaque, des

Page 222

1 membres de ces unités sont allés d'une maison à l'autre avec des listes de

2 non Serbes et ont ordonné à tous les non Serbes de restituer leurs armes.

3 Des forces irrégulières ont traversé la ville. Quelques maisons, les

4 bâtiments institutionnels ont été détruits. Un grand nombre de citoyens

5 ont également été arrêtés et détenus dans diverses localités autour de la

6 ville de Bosanski Samac, notamment dans le poste de police locale.

7 Dans ces centres de détention, les passages à tabac, les

8 mauvais traitement étaient chose quotidienne. Certains des détenus ont été

9 tués, d'autres ont subi des sévices sexuelles humiliantes.

10 Du jour au lendemain, les Serbes bosniaques ont pris le

11 contrôle de tous les commerces, bureaux gouvernementaux et se sont saisis

12 de tous les postes de pouvoir. Comme cela s'était passé à des centaines de

13 kilomètres de Foca, les autorités serbes se sont mises à réduire la

14 population civile non Serbe en imposant des conditions brutales. Les non

15 Serbes ont été arrêtés, détenus, frappés, torturés, assassinés, humiliés.

16 Ceux qui n'étaient, détenus, frappés, torturés, assassinés,

17 humiliés.

18 Ceux qui n'étaient ni arrêtés ni détenus vivaient dans la

19 crainte, dans des conditions d'oppression telle que nombreux ont été ceux

20 qui ont décidé de quitter la région pour échapper à cette situation

21 intolérable. De nombreux civils ont servi à des échanges de prisonniers.

22 En Mars 1995, on estimait que 10 Croates seulement et 250

23 Musulmans restaient encore dans la municipalité. A partir de juillet 1995,

24 98 % de la population non Serbe soit avait quitté la région, soit avaient

25 été déportés.

Page 223

1 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Pouvez vous

2 résumer, pour la Chambre, ce que les enquêtes de l'accusation ont démontré

3 s'agissant de la municipalité de Vlasenica ?

4 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) A Vlasenica, où la

5 population était majoritairement non Serbe, encore une fois, la

6 municipalité avait environ 33 817 habitants dont 55 %, environ, étaient

7 Musulmans, 43 % Serbes et 2 % décrits comme divers.

8 La ville de Vlasenica se trouve dans la municipalité qui porte

9 le même nom. En 1991, la ville de Vlasenica avait environ 7 500 habitants,

10 dont environ 4 800, soit 64 %, étaient musulmans.

11 Dans les mois qui ont abouti au renversement du pouvoir dans

12 la municipalité de Vlasenica, une tension considérable s'est développée

13 entre les responsables serbes bosniaques et les responsables non serbes.

14 Cette tension était principalement due aux exigences du SDS qui souhaitait

15 prendre le contrôle politique. Finalement, le SDS a réclamé la division de

16 Vlasenica en deux zones, l'une Serbe et l'autre non Serbe.

17 Il est intéressant de constater que, juste avant le

18 renversement du pouvoir, les Serbes avaient commencé à créer une

19 administration distincte et une force de police distincte. Des groupes

20 paramilitaires serbes ont pénétré dans la région et la population

21 musulmane a reçu l'ordre de restituer ses armes.

22 Le 21 avril 1992, les Serbes bosniaques ont pris le pouvoir à

23 Vlasenica. Ce sont les membres du corps de Novi Sad de la JNA, aidés par

24 des unités paramilitaires, qui ont renversé ainsi le pouvoir. Suite à ce

25 renversement du pouvoir dans Vlasenica, les villages musulmans qui

Page 224

1 existaient encore dans la municipalité ont été attaqués. Les habitants ont

2 été capturés, les civils arrêtés, maltraités, détenus dans des camps ou

3 déportés. Un grand nombre des maisons de civils ont été détruites.

4 Après le renversement du pouvoir des mandats d'arrêt et des

5 poursuites criminelles ont été engagées contre les dirigeants musulmans et

6 les membres du SDA de la région, mais à ce moment-là, 95 % des

7 responsables musulmans s'étaient déjà enfuis. Le jour de la prise de

8 contrôle de la ville de Vlasenica, des Serbes, à bord d'une voiture de

9 police, ont contraint un dirigeant religieux musulmans à adresser un

10 ultimatum à la population non Serbe. Il consistait à ordonner à cette

11 population de non Serbes de remettre toutes ses armes;

12 Au cours et après le renversement du pouvoir, les villages non

13 Serbes ont été attaqués et les Musulmans rassemblés et arrêtés. En outre,

14 les forces serbes ont détruit et pillé une grande partie des biens

15 musulmans.

16 Une fois que les civils ont été détenus, les hommes et les

17 femmes ont été séparés. Les femmes ont été déportées, les hommes détenus

18 pendant des périodes prolongées dans des conditions inhumaines. Les hommes

19 ont subi des interrogatoires et des coups sans raison apparente. Après

20 leur libération, certains de ces hommes ont été utilisés dans des échanges

21 de prisonniers. Nombre des civils détenus ont ensuite été envoyés au camp

22 de Batkovic dans le nord est de la Bosnie où ils ont été détenus pendant

23 de longues périodes. La plupart des femmes musulmanes, poussées par la

24 peur, se sont vu contraintes de signer des documents stipulant qu'elles

25 quittaient la région de leur propre volonté. Avant de partir, cependant,

Page 225

1 ces personnes devaient obtenir la permission de partir de l'état-major de

2 crise serbe et ont dû signer un papier remettant l'ensemble de leurs

3 propriétés aux Serbes.

4 M. Harmon. - (interprétation de l'anglais) Des événements de

5 même nature se sont-ils produits à Brcko.

6 M. Ralston. - (interprétation de l'anglais) Oui,

7 effectivement, la population de Brcko comptait environ 87 000 habitants

8 avec 43 000 habitants résidant dans la ville même de Brcko. La population

9 de la municipalité se composait à 45 % de Musulmans, à 20,7 % Serbes, à

10 25,9 % de Croates, à 5,5% de Yougoslaves et à 3 % de divers.

11 La population Serbe était donc très minoritaire dans cette

12 région, mais comme je l'ai déjà dit, il était d'une importance vitale,

13 dans le cadre du programme serbe bosniaque de prendre le contrôle de cette

14 ville. La guerre de Brcko a commencé tôt le matin, le 30 avril 1992,

15 lorsque de puissantes explosions ont détruit les deux ponts enjambant la

16 river Sava. Immédiatement ensuite, l'état-major de crise du SDS a pris le

17 pouvoir dans la municipalité. Le 1er mai 1992, les bâtiments de la poste,

18 de la radio et de la télévision ainsi que le commissariat de police ont

19 été pris par des soldats portant l'uniforme de la JNA. Les habitants qui

20 ont essayé de quitter la ville ont été arrêtés aux barrages routiers

21 contrôlés par des soldats serbes et des soldats paramilitaires connus

22 comme les membres des forces Arkan et de Seselj, qui étaient sous le

23 commandement de Zeljko RAZNJATOVIC "Arkan" et Vojislav Seselj

24 respectivement.

25 Le 2 mai 1992, des coups de feu ont commencé à se faire

Page 226

1 entendre dans les villages musulmans voisins de Dizdarusa, Kolobara et

2 Klanac alors que des combattants musulmans organisaient une résistance

3 contre les soldats serbes dans la ville. Un bombardement d'artillerie a

4 débuté dans les villages musulmans voisins et les habitants ont cherché un

5 abri dans les caves de leurs maisons. Les maisons ont subi des dommages

6 importants suite à ces pilonnages.

7 Le 3 mai 1992, les soldats serbes ont commencé à circuler dans

8 la ville en contraignant les résidants à quitter leur domicile et à

9 évacuer la ville pour aller dans des zones sûres. Les habitants Musulmans

10 et Croates ont été séparés des Serbes et emmenés vers des centres de

11 rassemblement. Les femmes, les enfants et les personnes âgées ont été

12 séparés des hommes et emmenés en autocar hors de Brcko, vers Brezevo

13 Polje, un village situé quelques kilomètres à l'est de la ville de Brcko.

14 Lorsqu'ils se trouvaient dans ces centres de rassemblement, les Musulmans

15 et les Croates ont subi un harcèlement verbal, des coups et blessures, et

16 certains d'entre eux ont été tués.

17 Un pourcentage important de la population masculine non Serbe

18 a été détenu au camp de Luka, dans la ville de Brcko où les coups et

19 blessures, la torture et le meurtre étaient choses communes. Les autorités

20 du camp exécutaient les détenus de façon systématique, pendant les

21 premières semaines du fonctionnement de ce camp de Luka. En juillet, tous

22 les détenus masculins ont été emmenés en autocar vers le camp de détention

23 de Batkovic, tout près de là. D'autres hommes non serbes, qui avaient été

24 détenus précédemment puis libérés ont été à nouveau arrêtés et également

25 emmenés à Batkovic. Etant donné le climat de crainte et de terreur créé

Page 227

1 par ces activités serbes, l'énorme majorité des habitants non serbes qui

2 n'avaient pas été tués ou détenus ont quitté la région par tous les moyens

3 possibles.

4 M. Harmon (interprétation de l'anglais) Pouvez-vous dire ce

5 que les enquêtes de l'accusation ont prouvé par rapport à Prijedor ?

6 M. Ralston. - Des enquêtes importantes ont été menées,

7 relativement aux événements qui ont affecté la région de Prijedor. Avant

8 mai 1991, Prijedor était pratiquement divisée à égalité entre les Musulmans

9 et les Serbes. Selon le recensement de 1991, sur une population de 112 470

10 habitants, 44 % étaient musulmans, 42,5 % serbes, 5,6 % croates, 5,7 %

11 yougoslaves et 2,2 % divers. Au nombre de ces divers, on trouvait des

12 Ukrainiens, des Russes, des Italiens m'a-t-on dit.

13 Le 30 avril 1992, les forces Serbes bosniaques ont pris le

14 pouvoir dans la ville de Prijedor. Il n'y eut aucune résistance importante

15 étant donné que les policiers non serbes ont restitué leurs collègues

16 serbes. Le lendemain matin, les drapeaux serbes flottaient sur tous les

17 bâtiments officiels et radio Prijedor diffusait que les Serbes avaient

18 pris le contrôle de la municipalité désormais appelée municipalité serbe

19 de Prijedor. Dans les trois semaines suivantes, radio Prijedor a émis, à

20 de nombreuses reprises, des exigences stipulant que les non Serbes

21 devaient rendre toutes les armes qui leur restaient, même s'il s'agissait

22 de fusils de chasse munies d'un permis. Les responsables musulmans se sont

23 réunis avec les autorités serbes bosniaques pour négocier une coexistence

24 pacifique. Au cours de cette période, la circulation des non Serbes s'est

25 vue restreinte de façon de plus en plus importante et les lignes de

Page 228

1 communication provenant des villages à majorité musulmane vers le reste du

2 monde ont été coupées.

3 Avant et après que les Serbes bosniaques ont pris le pouvoir,

4 ils ont fourni les armes aux villages serbes de la municipalité, des armes

5 lourdes ont également été introduites dans la région. Les attaques

6 militaires contre la municipalité de Prijedor ont commencé le 23 mai 1992,

7 après un incident survenu à un checkpoint près du village de Hambarine.

8 Les attaques militaires contre Hambarine et Ljubija ont été suivies

9 d'attaques contre Kozarac et Prijedor. A partir du 20 juillet 1992, les

10 villages situés sur la rive gauche de la rivière Sana ont été attaqués par

11 les forces serbes. Comme dans la plupart des autres attaques précédentes,

12 les villages situés sur cette rive gauche ont été soumises à un pilonnage

13 important suivi par des rassemblements et des tueries, des assassinats de

14 civils non Serbes. De nombreuses maisons et de nombreux villages ont été

15 détruits au cours et après ces attaques, créant une impossibilité pour les

16 habitants de retourner dans leurs villages.

17 ******fin de la partie à relire. *****

18 Ceux qui étaient arrêtés et détenus ont enduré des détentions

19 de longue durée dans des centres caractérisés par des traitements cruels

20 et inhumains. Plusieurs milliers de civils non serbes ont souffert dans

21 les camps de détention infâmes d'Omarska, Keraterm et Trnopolje. De ces

22 centres, les détenus ont ensuite été transférés vers le camp de Manjaca et

23 ensuite, de ce camp, soit vers le camp de Batkovic, soit vers des zones

24 situées hors de Bosnie-Herzégovine.

25 Ceux qui n'ont pas été détenus ont vécu dans des conditions

Page 229

1 oppressives et dans un tel état de peur que la plupart ont finalement

2 quitté Prijedor.

3 En juin 1993, 88 % de la population musulmane d'environ

4 49 000 habitants avait été tuée ou contrainte de quitter la région. La

5 majorité de la population non-serbe résidant précédemment dans cette

6 région -dans la municipalité de Prijedor- a aujourd'hui été expulsée.

7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous

8 dire, en conséquence des événements que vous venez de décrire, si la

9 composition ethnique de ces municipalités a changé ? Je vous demanderai de

10 vous appuyer sur la pièce n° 50.

11 Je vous demanderai, une fois que cette pièce sera sur le

12 rétroprojecteur, de l'identifier et d'expliquer son rôle et son

13 importance.

14 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Dans les

15 municipalités de Prijedor, Foca, Vlasenica, Brcko, et Bosanski Samac, dont

16 je viens de parler, la population qui, au départ, était minoritairement

17 serbe, est devenue presque totalement serbe. Nos recherches indiquent que

18 cela s'est également produit dans d'autres régions qui ont subi un

19 renversement de pouvoir comme, par exemple, Kotor Varos, Sanski Most,

20 Doboj, et plusieurs des zones situées le long de ces lignes extérieures.

21 Les Serbes bosniaques ont également, selon plusieurs rapports, pris le

22 contrôle dans la région située au nord-est.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous

24 décrire les méthodes utilisées par les forces qui ont renversé le pouvoir

25 dans ces municipalités ? Pourriez-vous nous dire quelles similitudes vous

Page 230

1 trouvez dans ces méthodes ?

2 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les

3 caractéristiques communes résident dans le fait qu'il était ordonné aux

4 habitants de restituer leurs armes, de prêter allégeance aux responsables

5 serbes-bosniaques; des ultimatums étaient lancés et certains habitants

6 devaient se rendre.

7 Il y avait aussi, communément, après les attaques militaires,

8 des meurtres sans discrimination, la séparation des hommes et des femmes,

9 l'incarcération dans divers centres de détention qui étaient soit sous le

10 contrôle de la police, soit sous le contrôle des militaires, soit sous le

11 contrôle des deux, où l'on procédait à des interrogatoires, des passages à

12 tabac et où le meurtre et les sévices sexuels étaient choses communes,

13 ainsi que la torture.

14 Nombre des personnes incarcérées ont ensuite été déportées, de

15 même que des civils qui n'avaient pas été détenus.

16 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - S'agissant de ces

17 méthodes, avant que vous n'en parliez en détail, monsieur Ralston, ces

18 méthodes ont-elles été employées dans les municipalités situées dans

19 toutes les régions sous le contrôle des Serbes bosniaques ?

20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Oui, elles l'ont

21 été.

22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Vous nous avez

23 dit, suite aux enquêtes que vous avez réalisées, qu'il y avait un certain

24 nombre d'éléments communs dans les activités des Serbes bosniaques, en

25 particulier les ultimatums. Pouvez-vous nous en donner des exemples ?

Page 231

1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - L'ultimatum était

2 très souvent utilisé par le SDS, l'armée ou la police serbe bosniaque à

3 l'encontre des villages musulmans, les habitants musulmans recevant

4 l'ordre de rendre leurs armes.

5 Pour illustrer cela, je voudrais vous donner un exemple situé

6 à Prijedor : le 22 mai 1992, une automobile transportant cinq hommes,

7 quatre Serbes et un Croate, a été arrêtée à un barrage routier dans le

8 village de Hambarine, près de Prijedor. Lorsque les Serbes ont reçu

9 l'ordre de rendre leurs armes, l'un des Serbes a ouvert le feu avec sa

10 mitraillette. Le commandant du barrage routier a été blessé et est ensuite

11 mort de ses blessures. Les autres non-Serbes du barrage routier ont

12 retourné le feu et tué deux des Serbes. Les Serbes ont alors demandé aux

13 non-Serbes de se rendre et de rendre le barrage routier.

14 Après cet incident, l'état-major de crise du SDS de Prijedor a

15 lancé un ultimatum à Radio-Prijedor, dans lequel il était exigé que

16 l'homme tenu pour responsable des coups de feu au barrage routier se rende

17 de lui-même et que toutes les armes de Hambarine soient restituées aux

18 Serbes. Si l'ultimatum n'était pas respecté d'ici à midi le lendemain, les

19 Serbes déclaraient qu'ils attaqueraient Hambarine.

20 L'ultimatum n'ayant pas été respecté, les Serbes ont commencé

21 à bombarder Hambarine avec de l'artillerie. Quand ce feu d'artillerie a

22 cessé, le village a été attaqué par des chars et par des troupes

23 d'infanterie, les maisons étant incendiées. Lorsque l'attaque de Hambarine

24 a commencé, de nombreux villageois ont tenté de fuir vers les villages

25 musulmans ou croates environnants ; certains se sont dirigés vers les bois

Page 232

1 et y sont restés jusqu'à ce qu'ils aient estimé que le danger avait

2 disparu.

3 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Comme dans les

4 exemples précédents, qui était responsable de ces ultimatums ?

5 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Comme dans tous

6 les exemples que j'ai cités, c'étaient des membres des forces militaires

7 et des responsables civils ; c'était l'état-major de crise du SDS qui

8 était responsable.

9 Des négociations ont eu lieu entre le major Zeljaja et Becir

10 Medunjanin, représentant de la communauté musulmane de Kozarac, et ces

11 négociations ont été placées sous le contrôle du commissariat de police de

12 Kozarac.

13 Zeljaja a publié un ultimatum adressé à la population de

14 Kozarac à qui il était demandé de prêter allégeance à la République Serbe

15 Bosniaque et de remettre les armes exitant à Kozarac, sous peine de

16 risquer une attaque. Zeljaja a informé Medunjanin que l'ultimatum devait

17 être respecté jusqu'à midi.

18 Aux environs de midi, le 24 mai 1992, Medunjanin a demandé un

19 délai plus long, mais Zeljaja lui a répondu qu'il n'obtiendrait pas cette

20 prolongation du délai et, peu de temps après, Kozarac a été attaqué par

21 des Serbes locaux venus de Lamovita et d'Omarska, et par des troupes du

22 corps de Banja Luka placées sous le commandement du colonel Vladimir Arsic

23 et du major Zeljaja, commandant sur le terrain.

24 La ville de Kozarac et les villages de Kamicani, Jakupovici et

25 Kozarusa ont subi un bombardement d'artillerie intense ainsi que des tirs

Page 233

1 provenant de chars et d'armes légères.

2 Le 27 mai 1992, des chars et de l'infanterie sont entrés dans

3 Kozarac et la population locale n'ayant organisé aucune véritable

4 résistance contre cette attaque, les Serbes sont pratiquement rentrés dans

5 la ville sans obstacle. Nombreux ont été les habitants de la zone qui se

6 sont enfuis vers les forêts ainsi que dans la montagne Kozarac.

7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Qu'est-il arrivé à

8 ces gens qui se sont enfuis vers les bois ?

9 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Après la fin du

10 pilonnage, la reddition de milliers d'habitants de Kozarac a été négociée

11 par un certain nombre d'anciens policiers musulmans et le major Zeljaja.

12 De nombreuses personnes, hommes, femmes et enfants, ont saisi l'occasion

13 de cette reddition pour se former en colonne et se diriger vers la ville

14 de Prijedor placée sous la garde des forces serbes. Comme la colonne se

15 déplaçait le long de la route, de nombreux hommes ont été retirés de la

16 colonne et tués sur place.

17 Des forces serbes bosniaques ont arrêté la colonne à un

18 barrage routier. Là, les hommes et les femmes ont été séparés, une

19 majorité des hommes étant placés à bord d'autocars et emmenés vers les

20 camps d'Omarska et de Keraterm, la majorité des femmes et des enfants

21 étant emmenés vers le camp de Trnopolje.

22 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

23 vous avez dit qu'une des méthodes utilisées était le meurtre pratiqué par

24 les policiers et les militaires. C'est le fruit des recherches qui ont été

25 réalisées. Pouvez-vous nous en donner des détails ?

Page 234

1 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Dans les

2 municipalités mentionnées jusqu'à présent, le meurtre et les exécutions

3 sommaires étaient chose commune, en particulier dans les centres de

4 détention. L'exemple le plus parlant se situe sans doute à Brcko où un

5 photographe qui se trouvait sur place a pu assister et photographier le

6 meurtre de deux personnes qui étaient apparemment des civils. Ces photos

7 ont ensuite été publiées par des médias internationaux.

8 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Nous allons prendre

9 en considération la pièce 51. Pourriez-vous expliquer, monsieur Ralston,

10 ce qui est présenté sur cette pièce ?

11 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Première photo :

12 vous voyez ici deux civils accompagnés d'un homme en uniforme de police,

13 armé, et un homme vêtu d'un uniforme militaire. Ces photos ont été prises

14 à Brcko.

15 Photo suivante : sur cette photo, l'homme, portant

16 probablement un uniforme de police, est en train de tirer dans le dos du

17 civil qui se trouve devant lui.

18 Photo suivante : cette photo décrit ce qui est arrivé au

19 civil. En effet, je suis sûr que l'autre homme présenté sur la photo

20 précédente a été tué à la même occasion.

21 Nous revenons en arrière pour la dernière photo de la série.

22 Le même jour, lorsqu'a été prise cette dernière série de photos (c'est ici

23 a photo d'une tombe), toutes ces personnes portaient des vêtements civils

24 comme vous pouvez le voir.

25 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

Page 235

1 un autre point a fait l'objet de cette enquête, il s'agit de la

2 destruction des villages musulmans. Voudriez-vous expliquer au Tribunal ce

3 qu'il en a été (et nous vous présenterons plusieurs pièces) ?

4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - La population

5 musulmane était déplacée des villages ; les forces serbes y pénétraient et

6 détruisaient leurs maisons. A Vlasenica par exemple, c'est ce qui se

7 produisit le 22 avril. Et suite au départ officiel des troupes de la JNA

8 et à leur remplacement par les troupes de l'armée des Serbes bosniaques,

9 les villages de musulmans continuaient à être détruits.

10 Les attaques sur ces villages s'étaient passées sans

11 résistances ou avec très peu de résistance et dans de nombreux cas, les

12 gens remettaient leurs armes comme cela leur était demandé.

13 Dans la municipalité de Brijedor, les villages suivants ont

14 été détruits ou ont été exposés aux bombardements : Hambarine et Ljubija

15 le 22 mai, Kozarac, Alici, Brdani, Dera, Donji Forici, Gornji Forici,

16 Hrnici, Jakupovici, Kamicani, Kevljani, Kenjari, Kozarusa, Mahmuljin, et

17 d'autres ; et Prijedor, Tukovi et Stari Grad le 30 mai 1992.

18 Une nouvelle vague d'attaques a commencé le 20 juillet 1992 ;

19 en ont souffert les villages suivants : Biscani, Carakovo, Rizvanovici,

20 Sredice, Zikovi, Brisevo, Donji Ljubija, Gornji Ljubija, Rljas et Lisina.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

22 pouvez-vous illustrer votre témoignage en vous servant des pièces 53, 54

23 et 55 ?

24 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les couleurs pour

25 les régions habitées, le jaune pour les destructions, le rouge pour les

Page 236

1 bombardements, destructions, incendies ou explosions.

2 Vous pouvez voir sur la carte des concentrations de points

3 rouges qui sont en corrélation avec les villages musulmans de Prijedor.

4 Ici concentration, de nouveau, en rouge, d'une très grande

5 quantité d'armes qui ont été détruites et la majorité de ces maisons ont

6 été détruites suite aux incendies ou aux matières explosives. Il

7 s'agissait de villages à prédominance musulmane.

8 Pièce suivante : on peut la présenter d'une manière

9 graphiquement plus nette. C'est le parallèle fait entre les deux régions.

10 Cette carte représente une partie de la Bosnie orientale dont les secteurs

11 sont en vert. Selon le recensement de 1990-1991, ces secteurs sont à

12 prédominance musulmane et vous pouvez voir dans ces régions (secteur

13 rouge) les habitations qui ont été détruites suite aux incendies ou aux

14 explosions.

15 Le pourcentage d'incendies, de feux et d'explosions est très

16 élevé dans ces régions à prédominance de population musulmane.

17 Nous pouvons relever une situation similaire à la pièce

18 suivante. Cette carte est celle du nord-ouest de la Bosnie -la région de

19 Prijedor- d'où nos preuves proviennent. Ce sont des villes qui ont subi

20 des nettoyages ethniques ; elles sont concentrées autour de certains

21 points.

22 On peut constater cette concentration et ce regroupement de

23 villages au mois de mai. Fin mai, début juin, voilà que ce sort est

24 réservé aux villages de cette région-ci, de nouveau une purification

25 ethnique. Fin juillet, une nouvelle concentration se produit dans cette

Page 237

1 région-ci.

2 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

3 dans nombre de ces villages où les Musulmans et les Serbes vivaient

4 ensemble, est-il souvent arrivé que les communautés musulmanes y

5 disparaissaient alors que celles des Serbes restaient intactes ?

6 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui, c'est exact.

7 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ceci dit, je

8 voudrais attirer votre attention sur la pièce 56 a et b. Monsieur Ralston,

9 voulez-vous nous expliquer la signification de ces pièces ?

10 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Une photo aérienne

11 présente la ville de Foca dont je parlais tout à l'heure dans le cadre de

12 mon témoignage. Il s'agit de la section serbe des quartiers musulmans.

13 Cela ne ressort pas très clairement de cette photo, mais vous pourrez le

14 voir un peu plus tard. Il n'y a pas eu de destructions dans les quartiers

15 de ce secteur alors que tous les bâtiments de ces quartiers-ci ont été

16 détruits. J'ai des photos détaillées qui peuvent le démontrer. Et vous

17 pouvez relever, sur ces photos, que ces quartiers se trouvaient très près

18 les uns des autres.

19 Voici la photo sur laquelle vous pouvez voir les habitations

20 musulmanes qui ont été complètement détruites ; la mosquée a été gravement

21 touchée ; l'église orthodoxe est restée intacte, y compris les bâtiments

22 qui forment ce quartier -donc des bâtiments serbes- sont restés intacts.

23 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

24 pouvez-vous nous expliquer ce que la pièce suivant en 56 c, représente ?

25 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - C'est la photo

Page 238

1 d'un village et vous y voyez les habitations qui ont été complètement

2 détruites près de Srpska (de ce côté-ci), et les habitations musulmanes

3 par ici. Il s'agissait d'habitations construites à la serbe qui n'ont pas

4 du tout été touchées.

5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous

6 identifier ce que la pièce suivante (n° 57) représente et nous en faire

7 l'identification ?

8 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - La pièce 57

9 présente le site d'une mosquée musulmane à Brcko (juillet 1990/1994).

10 C'est la mosquée et son minaret. En mai 1994, le terrain est complètement

11 rasé. La mosquée n'existe plus ; elle a été détruite ; mais même les

12 vestiges de ce que fut la mosquée ont été éliminés.

13 Voilà ce même secteur que je vous ai présenté sur la photo

14 précédente, où se trouvait la mosquée en question dont toutes les traces

15 ont été éliminées.

16 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il eu

17 destruction systématique de certains sites, de certaines localités ?

18 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui.

19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Je voudrais attirer

20 votre attention sur la pièce 58 et je prie monsieur Ralston d'en faire

21 l'identification et d'expliquer ce que cette pièce représente une fois sur

22 l'écran.

23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Il s'agit d'un

24 dessin de la région de Banja Luka. Il a son importance étant donné qu'il

25 s'agit d'une population majoritairement serbe ; il n'y a pas eu de

Page 239

1 conflits armés dans la région et pourtant un grand nombre de mosquées ont

2 été détruites. Il s'agit donc des emplacements de toutes ces mosquées qui

3 ont été détruites depuis 1993. Et depuis que ce dessin a été fait, trois

4 autres mosquées ont été détruites dans cette même région de même que

5 certaines autres.

6 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

7 j'aimerais que nous portions notre attention sur une autre caractéristique

8 de ces schémas de comportement de la région : il s'agit de la séparation

9 des hommes et des femmes. Pourriez-vous nous expliquer quelles en sont les

10 caractéristiques principales ?

11 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - J'ai déjà dit que

12 les femmes étaient séparées des hommes. Les hommes ont été internés dans

13 des camps de détenus ou ont été gardés pendant des semaines, des mois, ou

14 même des années. Certains ont été déportés ou transportés dans d'autres

15 camps, ou ont été échangés. Les femmes ont souvent été internées dans des

16 camps de détention pour des périodes de temps différentes. Elles ont été

17 exposées au viol et aux sévices sexuels de la part des gardiens, des

18 soldats et parfois des civils.

19 Certaines femmes ont pu rentrer chez elles, d'autres

20 continuaient à se trouver dans une position très vulnérable. Certaines

21 femmes ont pu rentrer chez elles, mais pas mal d'entre elles se sont

22 trouvées dans des situations assez difficiles, pour ne pas dire horribles.

23 Elles ont été menacées, harcelées et même torturées. Et certaines d'entre

24 elles ont tout fait pour fuir de la région et échapper à ces harcèlements

25 constants.

Page 240

1 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ce système de

2 séparation des femmes et des hommes était-il seulement en vigueur en

3 1992 ?

4 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Non. Ce

5 comportement a duré jusqu'au mois de juillet 1995, lorsque les Serbes de

6 Bosnie se sont emparés de la zone de sécurité de Srebrenica. Et, après la

7 chute de Srebrenica, les hommes, réfugiés, ont été séparés des femmes et

8 des enfants, et les femmes ont été transportées vers Touzla; par ailleurs,

9 des milliers de citoyens ont été tués.

10 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous

11 présenter et nous expliquer la pièce 59 et nous en donner la

12 signification ?

13 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Il s'agit d'une

14 carte ; les secteurs jaunes sont les municipalités dont nous parlons. Elle

15 présente également l'invasion des régions de Srebrenica et de Zepa. La

16 prise de ces municipalités, dont nous n'avons pas parlé, a permis aux

17 Serbes bosniaques de prendre le contrôle de l'ensemble de la région. Ils

18 les avaient donc sous leur emprise et ils établissaient leur majorité

19 ethnique dans la plupart des secteurs de ces municipalités.

20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Les hommes et les

21 femmes, qui ont été rassemblés puis retirés de ces régions prises par les

22 Serbes, étaient-ils emmenés quelque part ? Pourriez-vous nous expliquer

23 cela par la pièce n° 60 qui présente les lignes de la localisation de ces

24 camps de détention ?

25 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Il s'agit donc

Page 241

1 d'un réseau de camps qui ont été établis dans les régions contrôlées par

2 les Serbes bosniaques. Il s'agissait de camps de détention qui ont été

3 dirigés et administrés par les civils et par des militaires. Par exemple,

4 Manjaca était un camp complètement militaire. Certains ont été administrés

5 par la police ou les militaires, comme ce fut le cas de Batkovic qui a été

6 le lieu de déplacement de ces détenus. Certains ont été transportés vers

7 Manjaca et,une fois que ces camps ont été fermés, la plupart ont été

8 transférés à Batkovic. Manjaca a été fermé en décembre 1992 et quelque

9 500 prisonniers, d'après les rapports existants, ont été transférés à

10 Batkovic.

11 Cela veut dire que les camps n'ont pas été isolés mais étaient

12 liés les uns aux autres, et cela démontre aussi que les détenus de ces

13 camps étaient déplacés dans les différentes régions contrôlées par les

14 bataillons de l'armée des Serbes bosniaques.

15 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Ces camps ont-ils

16 été fermés ?

17 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Non, cela ne s'est

18 pas produit,à ma connaissance.

19 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous

20 décrire les conditions générales dans ces camps et ce qui se passait avec

21 les prisonniers qui s'y trouvaient ?

22 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les détenus ont

23 été torturés ou tués ; certains ont été battus ou utilisés comme boucliers

24 humains contre d'autres troupes.

25 Je vous ai déjà parlé de ce qui se passait avec les femmes :

Page 242

1 certaines femmes ont été détenues dans les salles de sports des Partisans

2 et dans l'Ecole Supérieure de Foca. Il a été prouvé que les femmes et les

3 jeunes filles ont été amenées dans ces salles de l'organisation sportive

4 partisane et de l'Ecole Supérieure à Foca.

5 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Sont également

6 décrits certains des camps qui se trouvaient dans la région de Poca et

7 dans la région de la municipalité de Vlasenica. Pouvez-vous nous décrire

8 les conditions de détention dans ces camps ?

9 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Les détenus ont

10 séjourné à Vlasenica entre le 2 et le 13 juin 1992. A Susica, les détenus

11 ont été torturés, interrogés et battus occasionnellement ; certains sont

12 morts suite à ces passages à tabac.

13 Le camp de Susica se trouvait dans un site proche des magasins

14 de l'ancienne défense territoriale. Il s'agissait d'un camp qui abritait

15 au moins 500 personnes et quelque 8 000 personnes ont transité par ce

16 camp. Certains civils sont décédés suite aux mauvais traitement dans ces

17 camps. Leurs conditions étaient terribles. Ils recevaient une nourriture

18 qui n'était pas mangeable.

19 En septembre 1992, à la fermeture de ce camp, ceux qui y sont

20 restés n'ont pas survécu.

21 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Quelles ont été les

22 conditions dans le camp de Prijedor ?

23 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Au camp de

24 Prijedor, les détenus ont été rassemblés. Le camp a été dirigé par les

25 civils et -comme je l'ai déjà dit-, quelques camps se sont trouvés sous la

Page 243

1 direction de ce camp de Prijedor.

2 Omarska a été créé après les première attaques, à la fin du

3 mois de mai. Il s'agissait d'une ancienne mine de minerai de fer située au

4 sud-est de la région de Kozarac. Il y avait très peu d'eau et le lieu

5 était contaminé. Durant l'été, les conditions ont vraiment été misérables.

6 Il n'y avait pas de literie, il y avait très peu d'installations

7 sanitaires. Ceux qui ont essayé de les utiliser ont été battus.

8 L'hygiène étant très mauvaise, les maladies surgissaient. Il y

9 avait très peu de nourriture ou pas du tout : un petit morceau de pain ou

10 une soupe qui était tout simplement de l'eau. Tous les détenus ont perdu

11 du poids pendant qu'ils étaient dans le camp.

12 Ils ont tous été fouillés. Ils devaient passer à travers le

13 cordon de gardiens qui les battaient avec leurs bâtons ou avec les crosses

14 de leurs fusils, en les assommant de coups.

15 Très peu de femmes ont été internées dans le camp d'Omarska, à

16 l'exception d'une seule : elle devait balayer les chambres après

17 l'inspection des militaires.

18 On utilisait toute sortes d'objets pour les battre (câbles

19 électriques, bâtons et autres instruments). Certains des hommes ont été

20 sortis de leur chambre par les commandants du camp -les gardes- et ont été

21 maltraités et exposés à des sévices sexuels.

22 Ainsi donc, la terreur. Par exemple, la veille de la fête de

23 Pedrovdan (une fête religieuse serbe au début de juillet), les gardes,

24 pour la célébrer, ont organisé un feu de camp, ont chanté leurs chants

25 serbes, et certains des détenus ont été sortis de leur geôle et ont été

Page 244

1 battus autour de ce feu de camp. Les cris et les pleurs de ces victimes

2 ont été un vrai cauchemar pour ceux qui étaient restés à l'intérieur.

3 A la fin de juillet 1992, un grand nombre de détenus ont été

4 capturés dans la région de la rive gauche de la rivière Sana, et se sont

5 retrouvés dans le camp d'Omarska. Il s'agissait de la dernière et

6 importante enclave non serbe de la municipalité de Prijedor. Nombre

7 d'entre eux ont été passés à tabac et ont été tués. Selon les

8 investigations faites, ces passages à tabac auraient été perpétrés par les

9 gardiens du camp d'Omarska.

10 Manjaca, qui se trouve à 25 km au sud de la ville de Banja

11 Luka, était dirigé par les militaires. Ce camp a été créé, en été 1991,

12 pour les prisonniers de guerre croates résultant du conflit entre la

13 Croatie et l'ancienne Yougoslavie. D'avril à mai 1992, le camp a été

14 utilisé pour interner des citoyens non serbes de Bosnie Herzégovine. Le

15 camp aurait été fermé le 18 décembre 1992, lorsque les derniers

16 prisonniers ont été amenés à Batkovic ou libérés pour aller à Karlovac, en

17 Croatie.

18 C'étaient les militaires qui faisaient fonctionner le camp :

19 le lieutenant colonel, appelé Spaga, et ses successeurs, le lieutenant

20 colonel Bozidar Popovic, Petrovic et Bojic.

21 Entre juin et août 1992, 3 600 personnes ont été détenues à

22 Manjaca. La plupart des détenus étaient des hommes de 15 à 60 ans. En

23 décembre 1992, lorsque le camp fut fermé, environ 2 500 personnes ont été

24 libérées et 532 transférées vers d'autres camps. De mai à juillet 1992,

25 les prisonniers venants de Doboj, Gornja, Sanica, Sitnica, Stara Gradiska,

Page 245

1 Kljuc et Sanski Most, parmi d'autres, y ont été transférés.

2 Après que Omarska fut fermé en août 1992, les prisonniers sont

3 arrivés à Manjaca, de même que d'autres y ont été transférés après que

4 Jajce et Kotor Varos soient tombées.

5 A fin août 1992, après la publication d'articles dans la

6 presse internationale, des accords ont été conclus concernant le

7 traitement de prisonniers, et un grand nombre de détenus ont été libérés

8 ou échangés. A différentes occasions, jusqu'à 1 000 personnes ont été

9 déplacées à partir de Manjaca ou sont arrivées à Manjaca.

10 Déplacer tant de personnes demandait naturellement une grande

11 organisation et beaucoup de coordination entre la police et les autorités

12 militaires. Ces mouvements de détenus sont le résultat direct des accords

13 conclus par Karadzic et montrent combien il commandait et contrôlait tout

14 ce qui touchait au fonctionnement de ces camps.

15 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Ralston,

16 je vous ai demandé de préparer des petits films pour montrer les

17 conditions dans lesquelles se trouvaient les détenus à Omarska et

18 Trnoplje. Avant de montrer ces passages, pourriez-vous indiquer ce que la

19 Chambre va voir sur ces films ?

20 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Ce film a été pris

21 au début du mois d'août 1992, immédiatement après que la communauté

22 internationale ait eu connaissance de l'existence de ces camps. Vous

23 verrez les films pris à Omarska et à Trnoplje.

24 Le film qui a été fait à Omarska va vous montrer des détenus

25 émaciés, incapables de manger, alors qu'on leur donnait plus de nourriture

Page 246

1 que d'habitude. Et vous allez voir, en contraste, les gardes qui sont en

2 train de regarder les détenus pendant qu'ils mangent.

3 De ce film, nous passerons à un film sur le camp de Trnoplje.

4 Le détenu montré sur le film venait d'être transféré d'Omarska et, avant,

5 de Keraterm.

6 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Monsieur Karadzic

7 a-t-il commenté les images que nous venons de voir ?

8 M. Ralston (interprétation de l'anglais). - Oui.

9 Monsieur Karadzic a été questionné à maintes reprises en ce qui concerne

10 ces camps. Un exemple de réponse à une telle question a été publié dans

11 une revue indépendante à Londres. Karadzic a dit :

12 "Lorsqu'on a commencé à parler de ces camps de concentration,

13 j'étais à Londres et j'ai dit que je ne savais pas quelles étaient les

14 conditions de détention dans ces camps ; nous gardons les prisonniers,

15 nous ne les tuons pas ; nous devons les garder, c'est la guerre. Et Penny

16 Marshall, une journaliste de la Télévision Indépendante (ITN) est venue à

17 Omarska, elle a choisi quelques gars bien maigres, émaciés, qui n'auront

18 jamais l'air d'être plus gros, et qui sont par nature comme cela. Quand

19 j'avais trente ans, j'étais comme eux. Et elle a présenté cela au monde."

20 M. Harmon (interprétation de l'anglais). - Nous en avons

21 terminé, Monsieur le président, pour aujourd'hui.

22 M. le Président.- Merci, monsieur Ralston. Merci, monsieur le

23 procureur.

24 L'audience est levée.

25 L'audience est levée à 17 heures 30.