Affaire no : IT-02-59-S

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Devant :
M. le Juge Alphons Orie, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Joacquín Martín Canivell

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
15 septembre 2003

LE PROCUREUR

c/

DARKO MRDJA

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE AUX FINS D’EXAMEN MÉDICAL ET DE MODIFICATION D’UNE ORDONNANCE PORTANT CALENDRIER

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Le Bureau du Procureur :

M. Alan Tieger
M. Timothy J. Resch

Les conseils de la Défense :

M. Vojislav M. Dimitrijevic
M. Otmar Wachenheim

 

La chambre de première instance I (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU l’« Ordonnance portant calendrier » rendue en l’espèce le 1er août 2003, par laquelle la Chambre de première instance a ordonné aux parties de déposer leur mémoire relatif à la peine ainsi que les déclarations de témoins sur lesquelles elles entendent s’appuyer le 8 septembre 2003 au plus tard, et qu’une audience relative à la fixation de la peine se tienne le lundi 22 septembre 2003,

VU la requête de la Défense aux fins de nommer un témoin expert et de procéder à un examen médical (Defence Motion for Appointment of Expert Witness and Medical Examination) déposée par la Défense de Darko Mrdja le 28 aoűt 2003 (la « Requête » et l’« Accusé »),

VU la requête de la Défense aux fins de modification d’une ordonnance portant calendrier (Defence Motion to Amend Scheduling Order), déposée le 28 août 2003, par laquelle la Défense a demandé que l’Ordonnance portant calendrier soit modifiée en l’espèce pour donner à l’Accusé une possibilité réelle de présenter des éléments de preuve de nature à appeler une atténuation de sa peine à l’audience relative à la fixation de sa peine,

VU la réponse de l’Accusation à la requête de la Défense aux fins de nommer un témoin expert et de procéder à un examen médical (Prosecution’s Response to Defence Motion for Appointment of Expert Witness and Medical Examination), déposée le 2 septembre 2003 (la « Réponse »),

ATTENDU qu’à l’audience du 24 juillet 2003, l’Accusé a plaidé coupable du chef 2 (meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre) et du chef 3 (actes inhumains en tant que crime contre l’humanité) et que la Chambre a déclaré l’Accusé coupable, après avoir estimé que celui-ci avait plaidé coupable délibérément, en connaissance de cause et de manière non équivoque et que les faits suffisent à établir les crimes et la participation de l’Accusé à ceux-ci,

VU l’Acte d’accusation modifié déposé le 4 août 2003, où le chef 1 (extermination en tant que crime contre l’humanité) était supprimé,

ATTENDU que la Défense demande que :

1) une audience soit ordonnée, dans le cadre de l’article 65 ter du Règlement, afin de permettre aux conseils de pleinement présenter les motifs de leur requête aux fins de la nomination du professeur Gallwitz ;

2) la Chambre nomme le professeur Adolf Gallwitz expert chargé de l’examen psychologique de l’Accusé ; et

3) le Greffier soit enjoint de permettre au professeur Adolf Gallwitz de procéder à un examen de l’Accusé au quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye

ATTENDU que la Défense fait notamment valoir :

- qu’il importe que la Chambre soit en possession de tous les moyens de preuve relatifs à l’état de santé mentale de l’Accusé le jour des faits et que l’assistance d’un psychologue expert est nécessaire pour pouvoir présenter efficacement, à l’audience relative à la fixation de la peine, des éléments de preuve de nature à appeler une atténuation de la peine ;

- que la situation personnelle de l’Accusé devrait être prise en compte (l’absence de casier judiciaire, son âge au moment des faits, l’absence d’éducation appropriée, etc.) ;

- qu’au moment des faits, l’Accusé faisait fonction de policier et obéissait aux ordres de ses supérieurs et que s’il n’avait pas suivi ces ordres, il aurait été gravement sanctionné ;

- que, selon un témoin, l’Accusé était sous l’emprise de l’alcool au moment des faits ;

ATTENDU que, d’après la Défense, tous ces éléments, s’ils sont avérés, peuvent servir à prouver que l’Accusé a agi sous la contrainte et qu’il ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales, deux facteurs qui constitueraient des moyens de preuve de nature à appeler une atténuation de la peine, dont il faudrait tenir compte dans la fixation de la peine,

ATTENDU que la Défense a indiqué que l’expert qu’elle entend citer à comparaître est prêt et disposé à examiner l’Accusé,

ATTENDU que l’Accusation ne s’oppose généralement pas à ce genre de requête, mais se réserve le droit de contester les facteurs susmentionnés si la Défense s’appuie sur eux dans son mémoire relatif à la peine ou à l’audience, dans la mesure où, d’après l’Accusation, ces facteurs n’ont aucun fondement dans les faits, ne se rapportent à aucune question intéressant l’atténuation de la peine et n’étayent pas la Requête ;

ATTENDU, en outre, que l’Accusation croit comprendre que l’objet de la Requête se limite à la peine et que, si tel n’était pas le cas, elle s’opposerait à la Requête ;

ATTENDU que l’Accusation ne s’oppose pas à ce que le professeur Gallwitz soit nommé si le Greffier estime que ses références satisfont aux conditions applicables au Greffe pour l’approbation d’un expert médical,

ATTENDU que l’Accusation demande, au cas où la Chambre ferait droit à la Requête, que :

1) la correspondance entre une partie et l’expert médical soit intégralement divulguée à la partie adverse, ainsi que la teneur de leurs conversations ;

2) l’Accusation ait l’occasion de rencontrer l’expert médical avant et après tout examen médical effectué sur la personne de l’Accusé,

3) tout rapport ou commentaire de l’expert médical soit communiqué simultanément à l’Accusation et à la Défense,

VU l’article 24 2) du Statut du Tribunal international (le « Statut »), qui dispose que « SeCn imposant toute peine, la Chambre de première instance tient compte de facteurs tels que la gravité de l’infraction et la situation personnelle du condamné »,

ATTENDU qu’en application de l’article 101 B) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), « SlCorsqu’elle prononce une peine, la Chambre de première instance tient compte des dispositions prévues au paragraphe 2) de l’article 24 du Statut, ainsi que S…C ii) de l’existence de circonstances atténuantes S…C »,

ATTENDU qu’en application de l’article 74 bis du Règlement, la Chambre « peut, d’office ou à la demande d’une partie, ordonner un examen médical, psychiatrique ou psychologique de l’accusé » et, qu’en pareil cas, le Greffier confie cette tâche à un ou plusieurs experts dont le nom figure sur une liste préalablement établie par le Greffe et approuvée par le Bureau,

ATTENDU que l’intention de la Défense n’est pas de s’appuyer sur les conclusions de l’expert pour invoquer une altération du discernement chez l’Accusé, mais d’obtenir l’assistance d’un expert psychologue afin d’être en mesure de « présenter efficacement ces éléments de preuve à l’audience relative à la fixation de la peine »(1),

ATTENDU que la Défense a confirmé, lors d’une réunion qui s’est tenue le 11 septembre 2003 avec le Juriste hors-classe et en présence de l’Accusation, que telle était bien son intention,

ATTENDU, dès lors, que cette expertise est requise pour invoquer l’état mental de l’Accusé comme facteur de nature à appeler une atténuation de sa peine,

ATTENDU que l’altération du discernement chez l’Accusé est à prendre en compte dans la détermination de la peine à lui infliger(2),

ATTENDU qu’il est dans l’intérêt de la justice que la Chambre ait connaissance de tous les facteurs propres à l’aider à déterminer la peine qu’il convient d’infliger à l’Accusé,

ATTENDU qu’il y a lieu, dans ces circonstances, d’ordonner qu’un expert psychologue soit nommé,

ATTENDU, par conséquent, qu’il est nécessaire de modifier les délais prescrits par la Chambre dans son Ordonnance portant calendrier,

ATTENDU que l’Accusation demande une totale transparence dans les communications entre l’expert et l’Accusé dans la mesure où celles-ci concernent les conclusions de l’expert,

ATTENDU que cette demande de transparence est légitime, vu les réserves exprimées par l’Accusation,

ATTENDU, toutefois, qu’une totale transparence pourra être garantie si 1) l’expert et les parties se voient ordonnés de rendre pleinement compte de leurs communications et 2) les conseils reçoivent pour instruction de communiquer avec l’expert exclusivement par écrit et par l’intermédiaire du Greffier,

ATTENDU, en outre, que si la Chambre ordonne qu’il soit procédé à un examen psychologique de l’Accusé, l’expert nommé à cet effet est indépendant et agit conformément au mandat défini dans l’Ordonnance de la Chambre,

ATTENDU, dès lors, que les trois demandes susvisées formulées par l’Accusation ne sont pas justifiées,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION de l’article 24 2) du Statut et des articles 74 bis, 101 B) et 127 du Règlement,

FAIT DROIT à la Requête et ORDONNE ce qui suit :

1) il sera procédé à un examen psychologique de l’Accusé, Darko Mrdja, conformément au code de déontologie, dans le but, en particulier, de fournir à la Chambre les informations et les conclusions nécessaires sur l’état psychologique de l’Accusé au moment des faits,

2) l’expert fournira également toutes informations et/ou observations sur l’état psychologique actuel de l’Accusé,

3) l’expert rendra compte de tout échange qu’il aura eu avec des personnes autres que l’Accusé, y compris les conseils de la Défense et l’Accusation,

4) les conseils communiqueront avec l’expert exclusivement par écrit et par l’intermédiaire du Greffier, et ce dernier tiendra un registre de toutes les communications qui seront passées par son intermédiaire,

5) un rapport écrit contenant les évaluations, les observations et les recommandations de l’expert psychologue sera déposé le 3 octobre 2003 au plus tard,

6) la présente Décision porte modification de l’Ordonnance du 1er août 2003, de sorte que les parties déposeront toutes leurs écritures et les détails concernant les témoins le 13 octobre 2003 au plus tard et que l’audience relative à la fixation de la peine se tiendra le 22 octobre 2003,

ORDONNE au Greffier de confier cette tâche au professeur Adolf Gallwitz, si le Greffier est convaincu que celui-ci remplit la condition posée à l’article 74 bis du Règlement, à savoir que son nom figure sur la liste du Greffe.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 15 septembre 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
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Alphons Orie

[Sceau du Tribunal]


1. Requête, par. 4.
2. Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo
, Arrêt, Chambre d’appel, 20 février 2001, par. 590.