Affaire n° : IT-95-13/1-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Devant :
M. le Juge Kevin Parker, juge de la mise en état

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
22 septembre 2005

LE PROCUREUR

c/

MILE MRKSIC
MIROSLAV RADIC
VESELIN SLJIVANCANIN

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE CONJOINTE DE LA DÉFENSE AUX FINS DE REPORT DU PROCÈS

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Le Bureau du Procureur :

M. Marks Moore

Les Conseils des Accusés :

M. Miroslav Vasic pour Mile Mrksic
M. Borivoje Borovic et Mme Mira Tapuskovic pour Miroslav Radic
MM. Novak Lukic et Momcilo Bulatovic pour Veselin Sljivancanin

I. CONTEXTE

1. La présente décision porte sur la requête conjointe de la Défense aux fins d’obtenir un délai supplémentaire pour préparer son dossier (Joint Defence Motion for Additional Time for Preparation of the Defence) (la « Requête »), déposée le 13 septembre  2005 devant nous, Kevin Parker, juge de la mise en état désigné en l’espèce en exécution de l’Ordonnance portant désignation d’un juge de la mise en état, rendue le 8 septembre  2005 par Carmel Agius, juge de la mise en état à cette date. Dans sa Requête, la Défense demande un délai supplémentaire pour préparer son dossier et un report de quatre à six semaines de l’ouverture du procès. L’Accusation a répondu à la Requête le 19 septembre 2005 (la « Réponse »), adoptant une position neutre à l’égard des mesures demandées tout en contestant certains arguments avancés par la Défense à l’appui de la Requête.

2. En exécution de la Décision relative à la requête conjointe de la Défense aux fins de prorogation de délai rendue par le Juge Agius le 31 août 2005, le procès doit s’ouvrir le 3 octobre 2005 par les déclarations liminaires des conseils, la présentation des éléments de preuve devant commencer le 11 octobre 2005.

II. ARGUMENTS DES PARTIES

3. À l’appui de sa requête aux fins de prorogation de délai, la Défense fait observer que, depuis deux mois, l’Accusation a modifié, en y ajoutant de nombreux noms, la liste des témoins qu’elle entend citer, et qu’environ 15 000 pages et 100 heures d’enregistrements sonores et vidéo ont été communiquées à la Défense trois semaines avant la date prévue pour l’ouverture du procès1. La Défense affirme en particulier que la liste de témoins présentée par l’Accusation en application de l’article 65 ter du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») le 19 juillet 2005 comportait les noms de 32 nouveaux témoins par rapport à la liste antérieure, et que, le 29 août 2005, l’Accusation a de nouveau modifié cette liste en en retirant 18 noms et en y ajoutant 23 noms2. La Défense fait observer qu’une partie des pièces visées par l’article 66 A) ii) concernant la liste de témoins du 19 juillet 2005 a été communiquée à la Défense en anglais le 29 juillet 2005, et dans la langue des accusés le 25 août 20053. La Défense affirme qu’elle n’a reçu que deux classeurs contenant des moyens de preuve à décharge relevant de l’article 68 du Règlement le 19 juillet 20054. Enfin, la Défense affirme que les rapports de deux témoins experts ne lui ont pas été communiqués et que, de manière générale, depuis le dépôt de sa Requête, elle n’a reçu aucune information relative à huit témoins5.

4. L’Accusation répond qu’elle est prête à plaider au procès, dont l’ouverture est prévue pour le 3 octobre 20056. Si elle reconnaît qu’une grande quantité de preuves documentaires ont été communiquées à la Défense après que la Formation de renvoi a fait droit à la demande de retrait de la requête présentée en application de l’article 11 bis du Règlement le 30 juin 2005, l’Accusation conteste une partie des faits présentés par la Défense à l’appui de la Requête. En particulier, l’Accusation affirme que, le 29 juillet  2005, elle a communiqué toutes les déclarations de témoins supplémentaires, à l’exception de celles de trois témoins qui avaient été rejetées ou n’étaient pas disponibles, et que la version B/C/S de ces pièces a été fournie à la Défense le 19 août 2005 . De l’avis de l’Accusation, toutes les équipes de la Défense ont démontré une connaissance suffisante de l’anglais pour comprendre et analyser les pièces communiquées le 29  juillet 20057. En outre, l’Accusation affirme qu’elle a communiqué à la Défense des pièces relevant de l’article 68 du Règlement en mars, mai et juin 2005, et qu’elle continuera à s’acquitter de l’obligation que lui impose cet article8. À l’argument de la Défense selon lequel aucune information ne lui a été fournie sur sept témoins désignés par un pseudonyme sur la liste des témoins du 29 août 2005, l’Accusation répond qu’elle lui a communiqué les résumés des déclarations que devaient faire tous les témoins figurant sur la liste, y compris les sept témoins détenant des informations sensibles. Elle affirme que ces résumés auraient dû donner des informations suffisantes sur la nature de ces déclarations9. L’Accusation précise également que sa liste de témoins du 29 août 2005 ne présente pas de modifications importantes par rapport à celle du 19 juillet 200510. Enfin, s’agissant des témoins experts qu’elle entend citer, l’Accusation fait observer que quatre rapports d’experts ont été communiqués à la Défense en anglais et en B/C/S à un stade antérieur de la mise en état de l’affaire, tandis que les rapports d’Andrew Pringle et de Reynaud Theunens ont été communiqués à la Défense les 10 et 14 septembre 2005, respectivement11. Elle reconnaît qu’elle n’a pas encore communiqué ces rapports à la Défense en B/C/S. L’Accusation s’engage à continuer de s’acquitter de ses obligations de communication en application des articles 66 et 68 du Règlement, et à communiquer la plupart des nouvelles pièces à la Défense prochainement, c’est-à-dire avant la fin de la première semaine d’octobre 200512.

III. EXAMEN

5. L’article 21 du Statut consacre les droits de l’accusé devant le Tribunal, notamment le droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ainsi que le droit à interroger ou faire interroger les témoins à charge13. Dans ce contexte, la question est de savoir objectivement si l’accusé « dispose de suffisamment de temps pour permettre à l’accusé de présenter ses moyens sans subir de préjudice »14. Pour déterminer si une communication tardive porte préjudice aux droits de l’accusé, il faut notamment établir l’importance des pièces dont la communication a été reportée pour la question de la responsabilité pénale de l’accusé15.

6. En l’espèce, il est établi que bon nombre de nouvelles pièces ont été communiquées à la Défense au cours des deux derniers mois. Le procès doit s’ouvrir dans deux semaines. La liste de témoins présentée par l’Accusation le 19 juillet 2005 en application de l’article 65 ter du Règlement comprenait 32 nouveaux noms en plus des 52 témoins qui figuraient déjà sur sa liste. Les déclarations de ces témoins ont été communiquées à la Défense pour la première fois le 29 juillet 2005, en anglais . Même si les parties ne sont pas d’accord sur la date exacte, nul ne conteste que les déclarations écrites de ces nouveaux témoins n’ont été communiquées à la Défense en B/C/S qu’un mois plus tard environ, à savoir le 19 ou le 25 août 2005. En application de l’article 66 A) du Règlement, l’Accusation est tenue de communiquer ces déclarations à la Défense, dans une langue que les accusés comprennent, ces derniers devant être en mesure de comprendre l’argumentation de l’Accusation et de donner des instructions à leurs conseils. L’argument de l’Accusation selon lequel les équipes de la Défense ont une connaissance suffisante de l’anglais pour analyser les déclarations communiquées le 29 juillet est sans fondement car il ne tient pas compte du fait que les accusés ont besoin de donner des instructions à leurs conseils.

7. Par ailleurs, l’Accusation a confirmé dans sa Réponse que les rapports des deux témoins experts principaux, Andrew Pringle et Reynaud Theunens, n’ont été communiqués à la Défense en anglais que trois semaines environ avant la date prévue pour l’ouverture du procès. Le rapport d’Andrew Pringle semble traiter de questions de commandement en l’espèce, alors que celui de Reynaud Theunens, analyste du renseignement et des questions militaires au Bureau du Procureur, concerne le groupe opérationnel sud des forces armées de la RSFY. Ces deux rapports peuvent revêtir une grande importance pour la question de la responsabilité pénale des accusés. L’un de ces rapports est extrêmement long et comprend des centaines de pièces à conviction. Ces rapports d’experts importants n’ont pas encore été communiqués à la Défense dans la langue des accusés.

8. Au vu de ce qui précède, et eu égard, notamment, au grand nombre de témoins ajoutés à la liste de témoins à charge visée à l’article 65 ter du Règlement moins de trois mois avant la date prévue pour l’ouverture du procès, au nombre considérable de pièces y afférentes communiquées à la Défense depuis un mois, et à la communication incomplète de deux rapports d’experts importants, il apparaît que la Défense est fondée à demander un délai supplémentaire pour préparer son dossier et, plus particulièrement, le contreinterrogatoire. D’après les pièces dont nous disposons actuellement, il n’est toutefois pas certain que le délai supplémentaire de quatre à six semaines que demande la Défense soit réellement justifié. Nous estimons actuellement qu’il y a lieu de reporter de deux semaines la date prévue pour la présentation des moyens, et d’une semaine la date prévue pour l’ouverture du procès et les déclarations liminaires.

9. Il est rappelé par ailleurs que l’Accusation indique que la communication des pièces visées par les articles 66 et 68 du Règlement se poursuit. Ces pièces devront être dûment examinées par la Défense, ainsi qu’un nombre considérable de pièces qui lui ont été communiquées depuis un mois. Il est impossible de prévoir combien de nouvelles pièces seront communiquées à la Défense avant l’ouverture du procès, et si cette communication tardive présentera des difficultés particulières. Il se peut que le Juge de la mise en état soit amené à rendre une nouvelle ordonnance relative à la procédure, dans un souci d’équité envers la Défense.

IV. CONCLUSION

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 54, 65 ter et 73 bis du Règlement,

FAISONS PARTIELLEMENT DROIT À LA REQUÊTE et ORDONNONS ce qui suit  :

Les ordonnances rendues par le Juge de la mise en état le 31 août 2005 sont modifiées comme suit :

Une conférence de mise en état se tiendra le lundi 10 octobre 2005.

L’Accusation et, le cas échéant, la Défense, feront leurs déclarations liminaires les lundi 10 octobre 2005 et mardi 11 octobre 2005.

L’Accusation entamera la présentation de ses moyens le mardi 25 octobre 2005.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 22 septembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Juge de la mise en état
_____________
Kevin Parker

[Sceau du Tribunal]


1 - Requête, par. 17, 18 et 20.
2 - Requête, par. 8 et 10.
3 - Requête, par. 9.
4 - Requête, par. 9.
5 - Requête, par. 10, 15 et 20.
6 - Réponse, par. 11.
7 - Réponse, par. 6.
8 - Réponse, par. 6.
9 - Réponse, par. 7.
10 - Réponse, par. 7.
11 - Réponse, par. 8, notes de bas de page 6 à 12.
12 - Réponse, par. 11.
13 - Article 21 4 b ) et e) du Statut.
14 - Le Procureur c/ Naser Oric, affaire n° IT-03-68-AR73.2, Décision relative à l’appel interlocutoire concernant la durée de la présentation des moyens à décharge, 20 juillet 2005, par. 8.
15 - Le Procureur c/ Zoran Kupreskic et consorts, affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001, par. 120.