Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 6 février 2006

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 46.

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je m'excuse, car il y a eu des petits

6 problèmes techniques du fait de la liaison vidéo et cela a fait que nous

7 commençons avec un peu de retard. Ceci étant dit, nous sommes prêts

8 maintenant.

9 Madame Tuma, c'est vous qui allez procéder à l'interrogatoire du témoin. Je

10 souhaiterais que l'équipe technique et que les représentants du greffier

11 puissent établir la liaison.

12 Bonjour. Je vous demanderais d'avoir l'amabilité de bien vouloir lire

13 la déclaration solennelle qui se trouve sur la carte que vient de vous

14 donner le représentant du greffe.

15 Alors nous allons procéder sans qu'il n'y ait lecture de la déclaration

16 solennelle. Je vois.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

18 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

19 LE TÉMOIN: LJUBICA DOSEN [Assermenté]

20 [Le témoin répond par l'interprète]

21 [Le témoin dépose par vidéoconférence]

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie. Mme Tuma va vous

23 poser quelques questions et elle va commencer maintenant.

24 Madame Tuma, je vous en prie.

25 Interrogatoire principal par Mme Tuma :

26 Q. [interprétation] Madame Dosen, est-ce que vous m'entendez ? Est-ce que

27 la liaison a été établie ?

28 R. Oui.

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1 Q. Je m'appelle Marie Tuma, et je suis avocate pour l'Accusation. Je vais

2 vous poser quelques questions dans le cadre d'un interrogatoire principal.

3 J'espère que vous êtes bien installée ?

4 R. Oui, tout à fait.

5 Q. Merci. Madame Dosen, je souhaiterais que vous nous parliez de vous-

6 même. Est-ce que vous étiez mariée ? Quel est le nom de votre mari ?

7 R. Je m'appelle Ljubica Dosen. Je suis l'épouse de Martin Dosen, un

8 défenseur croate qui a été porté disparu à l'hôpital de Vukovar.

9 Q. Quand l'avez-vous épousé ?

10 R. En 1975.

11 Q. Avez-vous eu des enfants ?

12 R. Oui, Tanja Dosen, notre fille.

13 Q. Quelle est sa date de naissance ?

14 R. Elle est née en 1977.

15 Q. Où résidiez-vous avec votre famille ?

16 R. A Vukovar dans la rue Mose Pijade, ainsi qu'à Olajnica, 12/24. Ces

17 adresses sont à Vukovar.

18 Q. Où se trouvait votre maison de famille, à quelle adresse ?

19 R. Notre foyer se trouvait dans la rue Mose Pijade au numéro 32, à

20 Vukovar.

21 Q. Vous avez également mentionné une autre adresse. A quoi est-ce que cela

22 correspond ?

23 R. Oui. C'est un appartement à Olajnica, à Vukovar, au numéro 12/24, 3e

24 étage.

25 Q. Lorsque vous étiez mariée, comment gagniez-vous votre vie ?

26 R. Je travaillais à Borovo, à l'usine. J'y avais travaillé pendant 20 ans

27 en fait. Puis, mon mari est devenu pêcheur professionnel, et nous avons

28 ouvert un restaurant sur les bords du Danube. Je cuisinais les poissons.

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1 Nous avions beaucoup de personnes qui venaient, l'été, manger le poisson

2 que mon mari pêchait dans le Danube. Voilà ce qu'il faisait. C'était un

3 pêcheur professionnel.

4 Q. Quel était le nom de votre mari ?

5 R. Martin Dosen.

6 Q. D'où était-il originaire ?

7 R. Il est de Vukovar.

8 Q. Est-ce qu'il avait des frères et des soeurs ?

9 R. Oui. Il avait deux frères et deux sœurs.

10 Q. Est-ce que vous pourriez nous donner les noms de ces frères ?

11 R. Tadija Dosen était son frère aîné et Ivan Dosen était plus jeune que

12 lui. Ses sœurs s'appelaient Ilica Dosen et Marija Dosen.

13 Q. Est-ce que votre mari avait des activités politiques pour autant que

14 vous vous en souveniez ?

15 R. Mon époux n'a jamais été membre d'une organisation politique. Il n'a

16 jamais eu d'activités politiques jusqu'au moment où les problèmes ont

17 commencé à Vukovar, et c'est à ce moment-là qu'il s'est rallié au HDZ.

18 Q. Quand est-ce que cela s'est passé ? Est-ce que vous vous en souvenez ?

19 R. Je ne m'en souviens pas exactement, mais il se peut que cela se soit

20 passé en avril ou en mai 1990, aux alentours de cette date-là.

21 Q. Pour ce qui est de son appartenance au HDZ, est-ce qu'il avait des

22 activités du fait de son affiliation à ce parti ?

23 R. C'était un membre du parti. Il ne faisait pas partie de la présidence

24 et il ne faisait pas non plus partie de leurs comités ou de leurs conseils.

25 Il était tout simplement membre du HDZ et il pensait que cela était une

26 bonne chose. Il était d'accord avec leurs causes. C'était un sympathisant

27 de ce parti. C'est tout.

28 Q. Vous avez dit que votre mari s'était rallié au parti du HDZ. Est-ce que

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1 vous avez eu la possibilité de connaître les membres de ce parti ? Est-ce

2 que vous les connaissiez de vue ou est-ce que vous connaissiez leurs noms ?

3 R. Je ne faisais pas partie de ce parti. D'ailleurs, je ne faisais partie

4 d'aucun parti. Je ne savais pas quel était leur président à l'époque. Je ne

5 savais pas quand est-ce que se tenaient leurs réunions. Je ne savais pas

6 s'ils avaient des réunions d'ailleurs. Essentiellement, je m'occupais de ma

7 famille. Je m'occupais de mes enfants, et je n'ai véritablement jamais eu

8 quoi que ce soit à voir avec la politique.

9 Q. Merci. Quand est-ce que le conflit armé a commencé ?

10 R. Voilà comment je vois les choses. Tout a commencé au mois de mai à

11 Borovo Selo lorsqu'il y a eu cette attaque contre les officiers de police

12 croate. C'est là que les perturbations ont commencé ainsi que la

13 séparation. Parce qu'il y a eu un exode extrêmement important de la

14 population serbe qui est partie de Vukovar, et on pouvait très clairement

15 sentir déjà à ce moment-là que les choses ne tournaient plus rond et que

16 les gens allaient se séparer. Jusqu'à ce moment-là, nous avions réussi à

17 avoir des relations amicales et cordiales. La plupart de mes amis étaient

18 Serbes, beaucoup plus que Croates d'ailleurs. Parce que nous ne pensions

19 pas que cela avait une grande importance. Mais à ce moment-là, nous nous

20 sommes rendus compte très clairement que la situation n'allait pas bien

21 évoluer.

22 Q. Vous avez fait référence au mois de mai. Est-ce que vous pourriez nous

23 dire de quelle année il s'agit ?

24 R. Je n'étais pas présente moi-même à Borovo Selo. J'ai entendu ce que les

25 gens relataient. J'ai entendu les bruits qui couraient. Les gens ont dit

26 qu'une rébellion avait éclaté là-bas. Il s'agissait de la révolution des

27 rondins, que ce n'était plus possible d'y aller. Ils ont envoyé une équipe

28 d'officiers de police croates pour qu'ils voient ce qui se passait. D'après

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1 ce que les gens m'ont dit à ce moment-là, il y a eu un massacre. Ils ont

2 tué un certain nombre de nos gars tout simplement parce qu'ils n'étaient

3 pas de la même appartenance ethnique. Ils faisaient partie de la force de

4 police. C'est ce qu'on appelle le MUP, M-U-P, et ils ne voulaient pas avoir

5 le symbole d'échiquier qu'ils avaient sur leurs couvre-chefs. C'est pour

6 cela que le massacre a été commis lorsque ces types sont allés là-bas.

7 Voilà ce que j'ai appris de ce qui s'était passé.

8 Q. Mais de quelle année s'agit-il ? Vous avez mentionné le mois de mai. De

9 quelle année s'agissait-il ?

10 R. Il s'agissait du mois de mai 1991, je pense -- non, en fait, je pense

11 qu'il s'agit de l'année 1990.

12 Q. Est-ce que M. Martin Dosen a pris des mesures lui-même ? Il y avait ce

13 conflit armé à Vukovar, et vous nous avez dit un peu plus tôt qu'il était

14 défenseur croate. Quand est-il devenu un défenseur croate ?

15 R. Lorsque tout a commencé, jusqu'au mois d'août 1990, nous avions pu en

16 quelque sorte continuer à vivre à Vukovar. Puis, nous avons commencé à

17 remarquer qu'à la périphérie de Vukovar, dans le village de Brsadin, ainsi

18 que dans d'autres villages, on ne pouvait plus avoir accès à ces villages.

19 A Vukovar, les gens ont commencé à s'organiser, à établir des tours de

20 garde pour que l'on ne puisse pas, à partir du Danube ou à partir de ces

21 villages, s'approcher et atteindre le centre de la ville. Les Serbes ont

22 commencé véritablement à quitter Vukovar en grand nombre, et la plupart des

23 personnes qui sont restées à Vukovar étaient Croates. Leurs épouses ainsi

24 que leurs enfants restaient également à Vukovar. C'est cela qui était

25 épouvantable. Parce que seuls les hommes étaient partis. Et c'est là que

26 les pilonnages ont commencé, les tirs, et nous avons tout à coup compris

27 que cela allait véritablement aboutir à un désastre. A ce moment-là, il n'y

28 avait plus de possibilité de partir, de sortir. Nous nous sommes dits qu'il

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1 fallait essayer de continuer à vivre. La seule possibilité était de passer

2 par ces villages, et nous nous sommes rendus compte que nous étions

3 véritablement assiégés de toute part.

4 Q. Madame Dosen, je vous ai posé une question. Je vous avais demandé si

5 vous vous souveniez quand est-ce que M. Martin Dosen était devenu défenseur

6 croate ? Vous avez mentionné le mois d'août 1990. Je pense qu'il s'agit

7 plutôt de l'année 1991, puisque c'est quand même d'une notoriété publique.

8 R. Je m'excuse, j'entendais l'année 1991, parce qu'au mois d'août 1991,

9 mon mari a été blessé par un obus. Bien sûr, il était en chemin pour

10 essayer de se procurer de la nourriture dans un magasin. Il a été touché

11 par un éclat d'obus à la jambe et il a été hospitalisé.

12 Je m'excuse si j'ai dit 1990, parce que je pensais à l'année 1991. C'est en

13 août 1991 qu'il est revenu à la maison. Là, il a dit --

14 Q. Oui. Nous aborderons ceci au moment où nous parlerons du moment où il a

15 été blessé.

16 Pour le moment, il était question de l'année 1991. Vous avez dit que

17 M. Martin Dosen était défenseur croate. Que faisait-il en tant que

18 défenseur croate ?

19 R. C'était en août.

20 Q. Que faisait-il en tant que défenseur croate ? Est-ce qu'en tant que

21 défenseur croate, il avait une mission spéciale - je pense à partir du mois

22 d'août 1991, et je pense à toute la période de l'automne 1991 ?

23 R. C'était à l'automne 1991 qu'il s'est rallié de façon active. C'est à ce

24 moment-là que le pilonnage a commencé. C'est quelque chose que je dois vous

25 expliquer, car de nombreux magasins ont été endommagés. Il n'y avait plus

26 d'eau, il n'y avait plus d'électricité à ce moment-là. C'est à ce moment-là

27 qu'il s'est rallié avec ses camarades combattants et ses amis à leurs rangs

28 pour essayer de collecter les quelques vivres qui restaient dans les

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1 magasins ainsi que des vêtements et des bougies pour pouvoir nous éclairer.

2 Ils se sont tous rassemblés à un endroit, et cela a été distribué aux

3 résidents de Vukovar, aux personnes qui en avaient véritablement besoin. Il

4 s'occupait avec d'autres personnes de l'intendance, en quelque sorte, de la

5 ville de Vukovar. Les femmes, les enfants, les hommes, tout le monde devait

6 aller au magasin Nama pour obtenir des vivres, des bougies. Parce qu'à ce

7 moment-là, il n'y avait plus d'eau, il n'y avait plus d'électricité. La

8 seule chose que nous recevions quotidiennement, c'était des obus.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Maître Vasic.

10 M. VASIC : [interprétation] Monsieur le Président, je m'excuse

11 d'interrompre l'interrogatoire principal. A la page 7 du compte rendu

12 d'audience, ligne 3, je pense que le témoin a dit que son époux s'était

13 rallié de façon active à ces rangs en août 1991 alors qu'il est question de

14 l'automne 1991 sur le compte rendu d'audience. Je pense qu'il y a eu un

15 petit problème, peut-être un problème d'interprétation.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce que vous pourriez élucider

17 cela, Madame Tuma.

18 Mme TUMA : [interprétation]

19 Q. Madame Dosen, je souhaiterais obtenir de votre part une autre réponse

20 pour essayer de préciser une question de traduction ici. Une fois de plus,

21 je vais vous reposer cette question. Quand est-ce que votre époux, Martin

22 Dosen, s'est activement rallié aux rangs des défenseurs croates en 1991 ?

23 Est-ce que vous pourriez nous fournir une réponse un peu plus précise, je

24 vous prie ?

25 R. En août 1991. Je considère que c'est l'automne.

26 Q. Merci, Madame Dosen. C'est clair maintenant.

27 Donc, à partir du mois d'août 1991, il est devenu un défenseur croate

28 actif. Vous avez mentionné ici qu'il n'y avait plus d'eau dans la ville de

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1 Vukovar. Est-ce que vous aviez la possibilité d'avoir accès à l'eau hormis

2 par la filière classique ou traditionnelle ? Est-ce que les gens à Vukovar

3 pouvaient se procurer de l'eau ou est-ce que cela représentait un

4 problème ?

5 R. Vous pouviez vous rendre dans des maisons particulières parce que

6 certaines maisons avaient des puits, des puits artésiens dans leurs

7 jardins. Il y avait des personnes, certains d'entre nous qui vivions dans

8 des immeubles et qui allaient chercher de l'eau dans ces maisons. Il

9 fallait, pour ce faire, passer par une clairière dégagée. Ils se sont

10 rendus compte très vite que les gens passaient par cette clairière pour

11 obtenir de l'eau. Ils ont commencé à pilonner là. Il y a de nombreuses

12 personnes qui ont été touchées alors qu'elles essayaient de se procurer de

13 l'eau.

14 Q. Comment est-ce que vous le savez que ces personnes ont été touchées par

15 des obus alors qu'elles essayaient d'aller chercher de l'eau ?

16 R. Mon appartement était au numéro 12 d'Olajnica. Cela se trouvait de

17 l'autre côté de la rue où se trouvaient ces maisons. De toute façon, on le

18 voyait. On le savait, on le voyait en regardant par les fenêtres. De toute

19 façon, j'ai fait partie de ces gens qui franchissaient cette clairière pour

20 essayer d'obtenir de l'eau. Il fallait se laver. Après tout, nous sommes

21 des femmes. On avait besoin d'eau. On avait, de toute façon, besoin d'eau

22 non seulement pour se laver mais pour faire à manger. Nous n'avions pas le

23 choix. Il fallait tout simplement se rendre là-bas. On ne pouvait plus

24 aller aux toilettes, on ne pouvait pas sortir. Le pilonnage était constant

25 depuis l'aube jusqu'à très tard le soir. Vous ne pouviez pas quitter votre

26 appartement pendant une seule seconde parce que le pilonnage était

27 tellement intense. Cela vous donnera une idée de la vie que nous avons eue

28 dans ces appartements. Nous n'avions pas de caves, nous n'avions pas de

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1 fenêtres. De toute façon, il n'y avait pratiquement plus de portes pour

2 être très franche avec vous.

3 Q. Madame Dosen, vous venez de nous décrire la situation. A quelle période

4 cela correspond ?

5 R. Je vous parle de la période comprise entre le mois d'août et le mois de

6 novembre. C'est donc trois à quatre mois. Ces trois à quatre mois ont été

7 un véritable supplice. Les personnes qui ne se trouvaient pas là ne peuvent

8 même pas imaginer quelle fût notre vie. On ne peut même pas imaginer que

9 quelqu'un puisse vous imposer quelque chose comme cela. Le pilonnage ne

10 s'est jamais arrêté. Cela a été un véritable supplice. De toute façon, ce

11 n'est pas quelque chose que je souhaiterais à personne. Notamment, il ne

12 faut oublier que l'hiver approchait, que c'était le mois de novembre et

13 qu'avec le froid qui régnait, vous pouvez imaginer ce que cela a été pour

14 ces femmes ?

15 Q. Je comprends fort bien, Madame Dosen. Je voudrais vous poser quelques

16 questions directes. Comment est-ce que vous saviez que les personnes qui

17 étaient bombardées ou qui ont été touchées par des obus l'ont été alors

18 qu'elles essayaient de chercher de l'eau dans ces puits ? Est-ce que vous

19 l'avez vu ?

20 R. Oui, je l'ai vu.

21 Q. Combien de fois l'avez-vous vu cela ? Est-ce que vous l'avez vu une

22 fois ou plusieurs fois ?

23 R. Je l'ai vu souvent.

24 Q. Est-ce que vous pourriez peut-être nous donner une indication chiffrée,

25 peut-être ? Combien de fois l'avez-vous vu ?

26 R. Une vingtaine de fois, au moins. Au moins. J'en suis sûre.

27 Personnellement, j'ai été témoin oculaire de ce pilonnage au moins

28 20 fois.

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1 Q. Est-ce qu'il s'agit de 20 fois pendant cette période comprise entre le

2 mois d'août et novembre 1991 ou est-ce qu'il s'agissait d'une autre période

3 au cours de laquelle vous auriez observé 20 fois vous-même que les

4 personnes faisaient l'objet de pilonnage alors qu'elles allaient chercher

5 de l'eau dans les puits ?

6 R. Cela s'est passé entre le mois d'août et le mois de novembre.

7 Q. Est-ce que les gens de Vukovar savaient que ces puits existaient ? Est-

8 ce que vous pourriez nous décrire la situation relative aux puits ?

9 R. Nous communiquions les uns avec les autres. S'il y avait une personne

10 qui avait des informations sur un puits, cette personne partageait les

11 informations avec les autres. Tout le monde essayait de s'entraider. Tout

12 le monde avait besoin d'aide. Nous transmettions ce genre de renseignement

13 ou d'information à d'autres personnes. Inversement, les gens nous disaient,

14 par exemple, qu'il y avait un puits dans leur maison, et nous allions

15 chercher de l'eau. Nous nous y sommes rendus plusieurs fois. Il y a eu deux

16 personnes qui ont été blessées. Ensuite, nous avons eu trop peur pour

17 continuer à aller chercher de l'eau.

18 Q. Je vous remercie, Madame Dosen. Combien de temps avez-vous pu rester

19 dans votre maison pendant l'automne de l'année 1991 ?

20 R. Nous sommes restés dans notre maison pendant tout le mois d'août et

21 pendant la première quinzaine du mois de septembre. A ce moment-là, mon

22 mari a dit que nous ne pouvions pas rester là. Il avait pris son tour de

23 garde la nuit au magasin Nama, et Tanja et moi-même sommes restées seules.

24 Il nous a dit que nous serions beaucoup plus en sécurité ailleurs, parce

25 qu'il y avait plus de personnes, et que lui, il serait un peu rasséréné si

26 nous étions avec d'autres personnes.

27 Q. Est-ce que vous vous y êtes rendues ? Est-ce que vous êtes allées dans

28 cet autre endroit que vous avait conseillé feu votre mari ?

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1 R. Oui. Tanja et moi-même, nous nous sommes rendues à Olajnica, et nous y

2 sommes restées jusqu'à la fin, jusqu'avant d'aller à l'hôpital.

3 Q. C'était quand exactement ?

4 R. C'était à la mi-septembre que nous nous sommes rendues à Olajnica.

5 Q. Pourquoi êtes-vous allées à l'hôpital au milieu du mois de septembre ?

6 R. Non, à la mi-septembre, ce n'est pas là que nous sommes allées à

7 l'hôpital. On est allé à Olajnica à la mi-septembre. L'hôpital, nous nous y

8 sommes rendues le 17 novembre 1991.

9 Q. Avant de passer au 17 novembre, dites-nous d'abord si votre mari avait

10 été blessé au cours des combats, et s'il a été blessé quand ? Pourriez-vous

11 dire quand il a été blessé et où ?

12 R. Il a été blessé en août 1991. Il avait reçu un éclat d'obus, comme je

13 vous l'ai déjà dit. Il est allé au grand magasin, puis au bureau de la

14 Défense territoriale. Il voulait acheter de la nourriture et voir un petit

15 peu ce qui se passait au niveau de la distribution des vivres. La deuxième

16 fois qu'il a été blessé, il a été blessé au bras. Il a entendu dire que le

17 fils de son frère avait été tué, et que son corps était dans la rue. Il a

18 essayé d'aller le chercher. C'est là qu'on lui a tiré dans le bras. Il est

19 allé à l'hôpital. On lui a immobilisé son bras sans moyen chirurgical. On

20 l'a ramené à la maison. C'est à ce moment-là qu'il est revenu nous voir à

21 Olajnica.

22 Q. Madame Dosen, vous venez de nous dire que votre mari avait été blessé

23 deux fois lors des combats. A-t-il été blessé une autre fois à part ce dont

24 vous venez de nous parler ?

25 R. Oui. Le 16 novembre au matin, notre immeuble a été incendié. Il y avait

26 des enfants et des femmes qui étaient encore dans les flammes dans le

27 bâtiment. Il a essayé d'en sauver. Il essayait de dire à tout le monde de

28 quitter le bâtiment parce que le bâtiment était en feu. Je suis sortie avec

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1 Tanja et avec le fils de ma sœur dans les bras. Martin, lui, est resté dans

2 notre appartement, parce que dans l'appartement contigu, il y avait une

3 vieille dame qui ne pouvait pas se déplacer. Il essayait de l'aider, elle.

4 Elle a réussi à sortir du bâtiment, mais lui n'a pas eu le temps de sortir

5 en revanche.

6 Il y avait beaucoup de fumée, des flammes. Il est resté sur le

7 balcon. Nous, on lui disait depuis la rue d'essayer de descendre par

8 l'escalier qui était en flammes. Je ne sais pas ce qui s'est passé, peut-

9 être qu'il a paniqué, peut-être qu'il était blessé. Enfin, on a essayé de

10 lui envoyer une corde sur le balcon pour qu'il puisse descendre du

11 troisième étage avec cette corde. D'abord, il était quand même assez fort,

12 assez corpulent. Il n'utilisait que son bras gauche en plus. Je pense qu'il

13 a manqué de force. Il s'est laissé tomber, en fait. Il est tombé sur le

14 béton et s'est fait mal au rachis. Donc, le haut de son corps est resté

15 paralysé suite à cette chute. J'ai demandé aux gens qui se trouvaient

16 autour de moi de l'emmener à l'hôpital.

17 Q. Cela se passait quel jour ? Quel jour exactement a-t-il été emmené à

18 l'hôpital ?

19 R. Le 16 novembre au matin.

20 Q. L'avez-vous accompagné à ce moment-là ou l'avez-vous rejoint plus

21 tard ?

22 R. Je ne l'ai pas accompagné. Ma fille était en pleine crise d'hystérie;

23 elle pleurait. Je suis restée à côté d'elle. Le bombardement continuait

24 malgré tout ce qui se passait autour de nous. Nous, on ne savait pas trop

25 comment aller. Il y avait des types, qui eux, savaient exactement où aller.

26 Ils l'ont mis sur un brancard, une civière, et l'ont emmené à l'hôpital

27 puisque chaque immeuble avait une civière. Ils l'ont accompagné à

28 l'hôpital. Tanja et moi-même ne l'avons pas accompagné ce jour-là.

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1 Q. Est-ce que vous vous souvenez - c'est difficile peut-être parce que

2 cela s'est passé il y a longtemps quand même - est-ce que vous vous

3 souvenez du jour exact où vous êtes allée à l'hôpital ?

4 Est-ce que vous vous êtes rendue à l'hôpital seule ou est-ce que vous étiez

5 accompagnée de quelqu'un ?

6 R. Le 17 novembre, pendant la nuit, deux types sont venus de l'hôpital.

7 Ils m'ont réveillée. Ils ont réveillé ma fille Tanja aussi. Ils nous ont

8 dit : Il faut que vous fassiez vos valises rapidement. Martin veut que vous

9 veniez à l'hôpital, parce qu'il y a un convoi normalement qui est en

10 préparation à l'hôpital, et qui permettra d'évacuer les femmes et les

11 enfants de Vukovar, puisque la situation est intenable maintenant à

12 Vukovar. On a essayé de dire à tous qu'il fallait aller à l'hôpital pour ce

13 faire. On est parti en colonne. Cela s'est passé pendant la nuit. Je me

14 souviens qu'il pleuvait à verse. Il y avait en plus des bombardements. On

15 entendait en plus le bruit des chars qui s'approchaient. Martin savait sans

16 doute que les chars allaient bientôt rentrer dans la ville. C'est pour cela

17 qu'il a demandé qu'on vienne nous chercher pour nous emmener à l'hôpital.

18 Dans la colonne, on était à peu près une vingtaine de personnes, femmes et

19 enfants.

20 Q. Si je vous ai bien comprise, dans la nuit du 17 au 18, on vous a

21 réveillée. C'était la nuit --

22 R. C'était le 17 au soir.

23 Q. Il s'agit de la nuit du 17 au 18 ?

24 R. C'était la nuit du 17.

25 Q. Vous pouvez nous dire un petit peu ce qui s'est passé quand vous êtes

26 arrivés à l'hôpital ? Vous pouvez nous parler un petit peu de ce qui s'y

27 passait ? On a eu déjà beaucoup de détails sur la situation à l'hôpital;

28 vous n'avez pas besoin de vous étendre là-dessus. Donnez-nous un peu votre

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1 impression. On voudrait savoir si vous avez vu votre mari à l'hôpital ?

2 R. Quand nous sommes arrivés à l'hôpital, c'est la belle-mère de Martin

3 qui était là ainsi que les deux enfants de sa belle-sœur, puisque sa belle-

4 sœur avait déjà été tuée, et nous étions dans la colonne avec la belle-mère

5 de mon mari. Dès que je suis entrée dans l'hôpital, j'ai vu mon mari tout

6 de suite parce que son lit était dans l'entrée. On s'est dit bonjour. On

7 nous a dit ensuite d'aller au premier étage parce qu'on n'avait pas le

8 droit de rester avec les blessés. Ils n'étaient pas d'ailleurs dans une

9 chambre d'hôpital. Ils étaient dans une cave qui avait été vidée. Les lits

10 étaient empilés les uns sur les autres, enfin entassés les uns sur les

11 autres. Ce n'était pas du tout des chambres d'hôpital normales, c'étaient

12 des couloirs pleins de blessés. Les lits étaient vraiment entassés les uns

13 à côté des autres.

14 Q. Merci, Madame Dosen. Vous nous avez parlé de notre mari. Il était tombé

15 du troisième étage et il a été emmené à l'hôpital.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Tuma, pourrions-nous vous

17 interrompre une minute ?

18 Maître Lukic.

19 M. LUKIC : [interprétation] Une correction pour le compte rendu, s'il vous

20 plaît. Je crois que j'ai entendu le témoin dire en B/C/S : lorsqu'ils sont

21 arrivés à l'hôpital. Il s'agit de la page 14, ligne 4. Elle a dit que, mis

22 à part sa belle-mère et les enfants de sa belle-sœur décédée, il y avait

23 aussi Tanja et le jeune frère de Martin qui s'appelait Ivan. Ceci n'était

24 pas au compte rendu, donc il faudrait peut-être clarifier cela.

25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] S'il vous plaît, Madame Tuma, pouvez-

26 vous procéder à la clarification.

27 Mme TUMA : [interprétation] Oui.

28 Q. Madame Dosen, on a besoin de quelques éclaircissements pour être sûr

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1 que le compte rendu soit parfaitement précis.

2 S'il vous plaît, quand vous êtes arrivée à l'hôpital, qui était avec

3 vous ? Vous nous avez dit que vous aviez vu votre mari, Martin Dosen, mais

4 vous avez aussi parlé de parents qui étaient avec vous à l'hôpital. Pouvez-

5 vous nous dire exactement quels étaient les membres de votre famille

6 présents avec vous quand vous êtes arrivée à l'hôpital ?

7 M. LUKIC : [interprétation] Je suis désolé. Si j'ai bien compris, et peut-

8 être que le témoin pourrait nous éclaircir sur le sujet, les parents dont

9 parle témoin étaient avec elle quand elle est arrivée à l'hôpital. Donc, on

10 ne devrait pas peut-être trop orienter les réponses du témoin, mais la

11 question à lui poser c'est de savoir quels sont les parents qui étaient

12 avec elle quand elle est arrivée à l'hôpital.

13 Mme TUMA : [interprétation] Merci.

14 Q. Nouvelle question une fois de plus : pouvez-vous nous dire exactement

15 quels étaient les parents qui étaient dans le même groupe que vous lors de

16 votre arrivée à l'hôpital ?

17 R. Il y avait ma famille, Tanja Dosen; ma mère, Marija Dosen; son frère,

18 Ivan Dosen; et les deux enfants de leur sœur qui avait été tuée en octobre

19 1991, Jelena et Igor, deux enfants en bas âge.

20 Q. Merci, Madame Dosen.

21 R. De rien.

22 Q. Pourriez-vous maintenant nous décrire quelles étaient les blessures

23 qu'avait reçues votre mari quand il est tombé du troisième étage ? Vous

24 dites qu'il avait été hospitalisé. A-t-il été vu par un médecin ? Avez-vous

25 su exactement ce dont il souffrait suite à cette chute ?

26 R. Quand je suis arrivée à l'hôpital, évidemment la première chose que

27 j'ai faite c'était d'aller parler à Martin, mon mari. Il m'a dit que le Dr

28 Njavro l'avait examiné, et un autre médecin aussi l'avait examiné, mais je

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1 ne me rappelle plus de son nom. Ce n'était pas très important. Ces médecins

2 lui ont dit que son rachis avait été touché et que ses première, deuxième,

3 troisième et quatrième vertèbres étaient touchées. Cela dit, étant donné la

4 situation qui prévalait à l'hôpital de Vukovar, ils ne pouvaient pas faire

5 grand-chose pour lui. Ils pouvaient juste lui donner des médicaments

6 antidouleur et rien de plus, donc il était sous sédatifs. Ils lui ont dit

7 qu'il faudrait transférer son dossier à Zagreb ou ailleurs une fois qu'il

8 aurait quitté Vukovar, pour être soigné. Il ne pouvait plus du tout bouger

9 le haut de son corps, ni sa tête. Sa tête tombait en arrière et il ne

10 pouvait pas se tenir assis non plus. Enfin, il ne pouvait plus bouger. Il

11 était paralysé.

12 Q. Merci, Madame Dosen. Quand vous êtes arrivée à l'hôpital, vous avez

13 rencontré votre mari, il y avait des parents à vous avec vous, mais pouvez-

14 vous nous dire ce que vous avez vu d'autre ? Qui était à l'hôpital quand

15 vous êtes arrivée la nuit du 17 ? Dans l'enceinte de l'hôpital, qu'avez-

16 vous vu ?

17 R. Quand je suis arrivée à l'hôpital cette nuit-là, il y avait beaucoup de

18 civils dans l'hôpital. Ils venaient de partout, de toute la ville. Ils ne

19 venaient pas uniquement d'Olajnica, ils venaient de partout. Tous ceux qui

20 avaient entendu dire qu'il y avait un convoi qui était en préparation se

21 sont rendus à l'hôpital. Donc, c'était surpeuplé, il y avait beaucoup trop

22 de monde dans cet hôpital. Le Dr Bosanac nous a demandé de nous rendre au

23 premier étage afin de ne pas gêner les blessés. Etant donné que mon mari ne

24 pouvait pas bouger, j'ai demandé au Dr Njavro si je pouvais rester à coté

25 de lui, et il m'a autorisée à le faire. Je me suis assise sur son lit.

26 C'est là qu'il m'a dit que son frère Tadija avait été blessé et qu'il

27 était aussi à l'hôpital, que le fils de sa sœur aussi avait été blessé et

28 qu'il était aussi à l'hôpital. Alors, je suis partie les voir puisque je

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1 voulais voir dans quel état ils étaient, puisqu'ils n'étaient pas avec nous

2 dans notre immeuble pendant les bombardements. Ils étaient dans un autre

3 coin de la ville. C'est là que j'ai vu Martin Jakubovski et Tadija. Ils

4 étaient tous les deux blessés.

5 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire où ils étaient blessés ? L'avez-vous

6 vu ?

7 R. Oui. Le neveu, Martin Jakubovski, avait eu la main emportée par une

8 grenade, peut-être tirée par fusil. On avait essayé de lui réparer cela

9 avec des vis. Il avait aussi une blessure au bassin. Pour ce qui est du

10 beau-frère, un obus était entré dans leur abri, et il avait des blessures

11 internes au thorax. Il avait aussi la joue un peu abîmée.

12 Q. Si je vous comprends bien, Madame Dosen, vous nous avez dit que le

13 frère Tadija avait aussi été blessé.

14 R. Oui.

15 Q. Avez-vous vu ses blessures ?

16 R. Oui.

17 Q. Où était-il blessé ?

18 R. Tadija avait une grande coupure, une balafre sur la joue, et il avait

19 un pansement sur le thorax. Je pense qu'il avait dû recevoir un éclat

20 d'obus sur son thorax.

21 Q. Merci. Vous avez aussi parlé de l'autre frère, Ivan Dosen. L'avez-vous

22 aussi rencontré à l'hôpital et avez-vous pu voir s'il était blessé oui ou

23 non ?

24 R. Non. Ivan est arrivé avec nous depuis Olajnica. Il est venu à l'hôpital

25 en tant que civil. Il n'était pas blessé. Il est juste venu avec notre

26 groupe pour être avec les enfants et avec nous. C'était le seul homme de la

27 famille qui restait.

28 Plus tard, on a envoyé d'autres gars chercher la femme de Tadija et

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1 sa fille parce qu'ils étaient dans un autre bâtiment près du Danube, dans

2 des caves. On avait peur qu'ils se fassent capturer dans les caves. Donc,

3 au cours de la nuit, deux types sont partis les chercher pour les ramener à

4 l'hôpital, et donc ils sont finalement venus avec nous.

5 Q. Le jour suivant, est-ce que vous avez passé la journée avec votre mari

6 à l'hôpital ?

7 R. Oui.

8 Q. Qui y avait-il autour de lui ? Quels sont les gens que vous avez vus

9 autour de lui à l'hôpital, le 18 ?

10 R. Autour de lui, il y avait des blessés surtout. Il y en avait certains

11 que je connaissais, d'autres pas. J'avais des cigarettes avec moi. On avait

12 fait du pain. Je leur ai apporté cela. Ils étaient vraiment très mal en

13 point. Avant la guerre, c'étaient sans doute des types qui pesaient 80 à

14 100 kilos. Là, ils mourraient de faim. Ils étaient dans un état misérable.

15 On sentait le sang. Il n'y avait pas grand-chose à faire pour eux

16 d'ailleurs.

17 Q. Bien.

18 R. On n'avait rien à leur donner.

19 Q. Avez-vous vu des soldats autour de l'hôpital ou à l'extérieur de

20 l'hôpital ?

21 R. Le 17, je n'ai vu personne.

22 Q. Et au cours du 18 ?

23 R. Le 18, donc le lendemain de mon arrivée, je suis sortie et j'ai vu M.

24 Bilic, alias Bili, et le Dr Bosanac. Je les ai vus en train de parler à des

25 militaires, des officiers, et on était en train de les emmener. Je suis

26 immédiatement retournée voir mon mari. Je me suis assise sur son lit et je

27 lui ai dit : "Martin, je ne sais pas ce qui se passe, mais les militaires

28 ont emmené le Dr Bosanac. Je ne sais vraiment pas ce qui va arriver

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1 maintenant."

2 Plus tard, au cours de la soirée, en parlant à d'autres personnes et

3 par le biais de rumeurs, on a appris que le Dr Bosanac était partie

4 négocier avec les militaires parce que Vukovar allait tombée et l'hôpital

5 aussi. Donc, elle a demandé que les blessés et les civils soient pris dans

6 un convoi pour être emmenés hors de Vukovar, pour qu'il n'y ait pas de

7 massacre. On attendait en se demandant ce qui allait nous arriver et quel

8 genre de marché le Dr Bosanac allait arriver à conclure.

9 Q. Madame Dosen, vous nous avez parlé du Dr Bosanac qui a été emmenée pour

10 parler avec les militaires. Mais autour de l'hôpital, est-ce que vous avez

11 vu des soldats, soit dans l'hôpital, soit autour de l'hôpital ?

12 R. Non, pas à ce moment-là. Il y avait des blessés qui étaient en

13 traitement à l'hôpital, des soldats qui avaient été blessés et qui avaient

14 été hospitalisés dans l'hôpital de Vukovar et qui étaient avec nos propres

15 blessés. On les soignait comme on soignait nos propres blessés. Personne

16 n'a refusé de les soigner. Ils étaient là, c'est tout. A part ces trois

17 soldats, il n'y en avait pas d'autres, ni dans l'hôpital, ni à l'extérieur

18 de l'hôpital.

19 Q. L'hôpital, à un moment ou à un autre, a-t-il été encerclé par des

20 soldats, et si c'est le cas, pouvez-vous nous dire exactement quand cela

21 s'est passé ?

22 R. Je ne suis pas certaine de la date. Entre le 18 et le 19 peut-être,

23 pendant la nuit. De toute façon, je suis sortie, et là j'ai vu les

24 militaires. Il faisait nuit, donc je ne voyais pas du tout à quelle unité

25 ils appartenaient, mais je voyais des armes lourdes qui étaient en train

26 d'être installées tout autour de l'hôpital.

27 Dans l'intervalle, je crois que c'est le 18, deux officiers sont

28 arrivés. Ils sont venus chercher les trois soldats blessés qui étaient dans

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1 l'hôpital. Ils sont venus les chercher, ces trois-là. Ils leur ont dit de

2 quitter l'hôpital. Les soldats leur ont dit qu'ils étaient très bien là,

3 qu'ils étaient bien traités, mais ils les ont amenés de force. Ensuite, ils

4 ont mis un soldat à l'entrée de l'hôpital pour garder l'entrée, pour être

5 sûr que personne ne quitte l'enceinte de l'hôpital.

6 Q. Vous avez dit, Madame Dosen, que vous n'êtes pas certaine de la date.

7 C'était le 18 ou le 19 novembre, le jour où vous êtes sortie de l'hôpital

8 et vous avez vu des armes lourdes.

9 R. [aucune interprétation]

10 Q. Mais quand vous nous parlez "d'armes lourdes," c'est quoi exactement ?

11 Qu'avez-vous vu ?

12 R. Quand je suis sortie, j'ai vu déjà les tourelles des chars qui étaient

13 en train de pointer sur l'hôpital. Je ne peux pas vous dire exactement ce

14 qu'étaient exactement ces armes lourdes, mais en tout cas, il y avait les

15 tourelles des tanks et les canons qui visaient l'hôpital.

16 Q. Merci. Pour ce qui est de ces deux officiers qui sont venus chercher

17 les trois soldats blessés dont vous nous parlez, pouvez-vous nous dire

18 exactement -- à quelle armée ils appartenaient ?

19 R. C'étaient des officiers de la JNA ainsi que des soldats de la JNA. Je

20 ne suis pas certaine. Quand ils sont arrivés, le Dr Bosanac était déjà

21 revenue, et on savait déjà à ce moment-là qu'il fallait évacuer l'hôpital.

22 Il y avait deux officiers de la JNA qui sont immédiatement allés voir les

23 trois soldats blessés. J'étais assise sur le lit de mon mari à ce moment-là

24 et je lui ai dit : On va maintenant avoir des cigarettes et des vivres.

25 Voici les libérateurs. Un des soldats a fouillé dans ses poches et il a dit

26 : "Malheureusement, je pense que je n'ai pas de cigarettes." Il s'est

27 tapoté les poches et a dit : "Non, je suis désolé, nous n'avons pas de

28 cigarettes. Nous n'avons pas d'ailleurs de vivres." Et il a poursuivi sa

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1 route pour aller vers les soldats.

2 Q. Vous avez parlé d'officiers de la JNA. Est-ce que vous êtes capable de

3 faire la différence entre un officier de la JNA et un officier d'une autre

4 armée ? Comment êtes-vous certaine que c'étaient des officiers de la JNA ?

5 R. Oui, je peux en être certaine parce que dans mon premier mariage, j'ai

6 été l'épouse d'un officier de la JNA, ce qui fait que je sais, je sais ce

7 que c'est qu'une étoile à cinq branches. Je sais ce que sont les quatre S

8 et les cocardes. J'ai vu le tout.

9 Q. Merci, Madame Dosen.

10 R. Je vous en prie.

11 Q. Avez-vous vu d'autres militaires à l'hôpital ou autour de l'hôpital à

12 la période dont nous sommes en train de parler, le jour d'après, à savoir,

13 au lendemain de votre arrivée à l'hôpital ?

14 R. La nuit avant le début de l'évacuation, donc la nuit du 19 au 20, je

15 suis ressortie. J'ai quitté l'endroit où se trouvaient les blessés. Il

16 commençait déjà à se faire jour. Je suis délibérément sortie dehors.

17 Personne ne me fera rien. Pourquoi n'irais-je pas dehors, je ne suis pas un

18 prisonnier ?

19 Quand j'ai regardé en haut, j'ai vu un ami à Martin, un bon ami à

20 Martin. Je peux vous dire quels sont les insignes qu'il portait. Il portait

21 l'uniforme chetnik pur et simple avec les insignes chetniks. Il avait une

22 cartouchière par-dessus la poitrine. Quand vous descendez vers l'hôpital,

23 il faut descendre la pente. Il avait serré les deux poings, et il criait :

24 "Serbie". Je suis retournée sur mes pas. J'ai dit à Martin : Ecoute, tu as

25 un ami à toi qui est là. Ne dis rien.

26 L'ami à Martin - que je sais qu'on appelait Capalo - est arrivé après

27 moi. Il est arrivé jusqu'à Martin. Martin l'a regardé : "Capalo, mon Dieu,

28 qu'est-ce que c'est que cet uniforme-là ?" Il a dit : Tu dois te taire.

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1 "Cela, c'est un uniforme chetnik, et je vous ai déjà dit que cela ce sera

2 la Serbie."

3 Martin a mis ses mains sur ses yeux et n'a plus voulu rien dire. Je

4 lui ai dit : "Ecoute, Capalo, cela n'a jamais été la Serbie. Je ne crois

5 pas que cela le sera désormais." Il s'est tourné vers moi et il m'a dit :

6 "Toi et moi, on s'entretiendra ailleurs sur ce sujet." Martin m'a dit de me

7 taire, de ne plus rien dire.

8 Après, il est entré des réservistes. Alors, cet uniforme-là, on peut

9 le distinguer également. Il était fait en espèce de grosse laine, et eux ne

10 portaient pas d'étoile.

11 Q. Madame Dosen, pouvez-vous, à notre intention, nous décrire quelle est,

12 à votre avis, la différence entre les insignes chetniks et ceux que

13 portaient les réservistes ? Quel type d'uniformes portaient-ils les uns et

14 les autres, et comment pouvait-on faire la différence entre les uns et les

15 autres une fois que vous les avez vus à l'hôpital ?

16 R. On peut faire la différence, puisque les uniformes de Chetniks et ceux

17 qui avaient tous ces insignes véritablement chetniks, ils portaient des

18 toques avec des cocardes dessus. Ils portaient deux cartouchières par-

19 dessus leur poitrine avec des balles dedans. Ils portaient des armes

20 automatiques. Les réservistes, eux, portaient des casques. Sur le casque,

21 il y avait quatre S de dessinés, comme si on avait pris une peinture pour

22 le peindre. A la différence de la vraie armée yougoslave qui portait des

23 uniformes normaux de l'armée yougoslave avec une étoile à cinq branches.

24 Q. Merci, Madame Dosen. Vous avez mentionné tout à l'heure le dénommé

25 Capalo. J'aimerais savoir si vous avez vu d'autres personnes vêtues de la

26 même façon et qui appartiendraient à la même catégorie d'hommes, qui

27 seraient des Chetniks, voire d'autres réservistes.

28 R. Ce que je puis vous dire, c'est ce type d'uniforme du type de Capalo,

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1 je n'en ai vu qu'un ou deux encore. Je ne peux pas dire qu'il y en a eu

2 beaucoup. Les réservistes ont été plus nombreux. Il y avait des hommes de

3 Vukovar que je connaissais. Il y avait des jeunes gens également où on

4 voyait véritablement qu'ils venaient d'être appelés sous les drapeaux,

5 qu'on les avait un peu formés et qu'on les a envoyés à Vukovar. Parce que

6 ce n'était pas l'armée régulière. On voyait bien que c'était des

7 réservistes, des gens qu'on avait appelés sous les drapeaux pour qu'ils

8 aillent en guerre. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il y avait beaucoup,

9 beaucoup de jeunes gens parmi eux; de très jeunes gens.

10 Q. Merci, Madame Dosen. Je me suis laissée dire que vous êtes sortie au

11 moins deux fois de l'hôpital pendant la nuit. Auriez-vous remarqué que

12 quelque chose se passait, des activités qui auraient semblé importantes

13 pendant les nuits que vous avez passées à l'hôpital ?

14 R. A mon avis, il est une chose qui serait importante, plus importante que

15 le reste de ce qui s'est passé. C'est que j'ai vu qu'on avait renvoyé la Dr

16 Bosanac. On l'a mise de côté. On l'a enfermée dans une pièce, ce qui fait

17 qu'elle n'a plus pu communiquer avec les blessés non plus. Pour être tout à

18 fait franche, tous ceux -- les réservistes, des soldats ou des gens qui

19 étaient originaires de Vukovar qui ont opté en faveur de l'appartenance de

20 cette armée de réserve, je dirais que l'armée yougoslave ne les a pas

21 laissés entrer parmi les blessés avec des armes à la main. Tout se passait

22 bien tant qu'il y avait une armée régulière de présente.

23 Alors, la nuit, lorsqu'ils s'en allaient, il a commencé à disparaître des

24 gars à nous, qui étaient à l'hôpital. Tout simplement, on ne les voyait

25 plus. Sur l'ordre de qui et comment ils étaient interpellés, je ne le sais.

26 Ils ne faisaient que sortir dehors, et par la suite, on ne les revoyait

27 plus.

28 Q. Madame Dosen, je vous demanderais à présent de parler du moment où la

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1 JNA s'était retirée, comme vous venez de le dire. Vous venez de nous dire

2 que ces jeunes gens, que ces hommes étaient interpellés et emmenés et

3 qu'ils ne revenaient plus. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez vu au

4 juste et nous expliquer ce qui s'est passé ?

5 R. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'ils entraient à deux ou trois,

6 ces réservistes, et ils disaient : "Toi, tu vas venir avec nous. On a

7 besoin de toi. Toi aussi, on a besoin de toi." On les faisait sortir de la

8 pièce où je me trouvais. Ce qui s'est passé par la suite là-bas, et où est-

9 ce que ces gens-là ont été emmenés, je ne sais pas vous le dire. Je ne sais

10 pas vous le dire pour sûr puisque je ne l'ai pas vu. Mais ce sont des gens

11 qui ne sont plus revenus dans la pièce.

12 Q. Avez-vous vu des gens, comme vous le dites ici, en train d'être

13 emmenés ?

14 R. Oui. Parce que parmi nous qui étions venus à l'hôpital en pensant

15 partir avec le convoi, il y avait parmi eux bon nombre de défenseurs de

16 Vukovar qui, tout simplement, ne pouvaient plus quitter la ville. Ils

17 devaient soit restituer les armes et se rendre. A mon avis, les habitants

18 de Vukovar qui les connaissaient, se trouvaient avec l'armée yougoslave à

19 l'extérieur de l'hôpital. Ils disaient à ces militaires quels sont les noms

20 de ces personnes qu'ils connaissaient, et on venait chercher ces hommes-là

21 pour les emmener. C'était sûrement des habitants de Vukovar qui le

22 savaient. Parce que je ne pense pas qu'un officer de l'armée yougoslave

23 pouvait savoir qui était qui. Il fallait forcément que l'un des autochtones

24 ait été là-bas avec eux pour le leur dire.

25 Q. Madame Dosen, vous venez de vous servir de ce terme de "gens". Quand

26 vous dites "gens", à qui pensez-vous s'agissant des gens qui ont été

27 emmenés ?

28 R. Ces jeunes gars qui étaient tout comme mon mari, affectés à des postes

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1 de garde en ville ou ailleurs, et qui étaient venus à l'hôpital pour

2 attendre un départ en convoi. C'étaient tous des défenseurs. A leur avis,

3 tous les blessés étaient des défenseurs. Mais peut-être, y avait-il un

4 millier de gens qui étaient blessés suite à des éclats d'obus; ils

5 n'étaient pas défenseurs.

6 Ces pilonnages ont blessé et tué bon nombre d'habitants innocents. Il

7 y a eu également des civils serbes qui ont été blessés aussi. Ils n'étaient

8 certainement blessés par les Croates mais par les obus, par les pilonnages.

9 Parce qu'au centre-ville, il n'y avait pas de combat du tout. On ne peut

10 pas me raconter autre chose puisque j'y étais.

11 Q. Madame Dosen, je ne vous ai pas posé la question à ce niveau-là.

12 Essayez de vous concentrer pour répondre de façon directe à la question qui

13 vous est posée. Vous avez dit ici que les personnes emmenées de l'hôpital

14 étaient des hommes jeunes. Alors, ces jeunes gars avaient-ils quoi que soit

15 en commun ?

16 R. La seule chose qui était caractéristique pour eux, c'est qu'à

17 l'hôpital, ils étaient venus chercher un abri, parce qu'ils avaient redouté

18 des représailles. Je ne sais pas vous donner leurs noms au juste, parce que

19 certains d'entre eux, je les connaissais et d'autres non. L'homme qui

20 travaillait dans la salle de plâtrage, Marko, a disparu de l'hôpital

21 pendant une nuit, et nous ne l'avons plus jamais revu.

22 Ces hommes-là que je connaissais, bon nombre d'entre eux étaient

23 originaires de la ville. Je ne connaissais pas leurs noms. Ils ont

24 également disparu pour ne plus jamais revenir. Je ne sais pas à présent

25 vous donner leurs noms. C'étaient des gens que je connaissais de vue, parce

26 que je les rencontrais en ville. Mais je n'ai aucune idée de leurs noms et

27 prénoms. Ce n'était pas des gens qui avaient mon âge pour que je connaisse

28 leur identité. Ils ont été mis de côté. De leur avis, ils savaient

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1 certainement pourquoi ils avaient besoin d'eux et pourquoi ils voulaient

2 les emmener.

3 Q. Madame Dosen, je veux que nous nous arrêtions là pendant un instant.

4 Vous dites qu'ils avaient procédé à une sélection de personnes. Qui au

5 juste avait procédé à la sélection ?

6 R. Je ne sais pas vous dire qui est-ce qui les a sélectionnés. Il y en

7 avait deux ou trois de ces réservistes qui venaient de l'extérieur. Tout

8 simplement, ils disaient : "Toi, tu viens avec nous, et toi aussi, tu viens

9 avec nous, et toi aussi. On a besoin de toi. Sors." Alors, qui est-ce qui

10 en a donné l'ordre ? Qui est-ce qui leur a dit de le faire ? Je ne le sais

11 pas. Parce que rien ne se produisait parmi les blessés; tout se passait à

12 l'extérieur de l'hôpital.

13 Q. Merci, Madame Dosen. Vous avez également indiqué qu'il y avait des

14 autochtones au sujet desquels, à votre avis, qui donnaient des noms à la

15 JNA, ces gens-là qui avaient donné des noms aux militaires pour qu'ils

16 soient sortis de l'hôpital pendant la nuit.

17 R. C'est difficile à dire, parce que c'étaient tous des réservistes.

18 Personne n'a voulu venir publiquement pour dire : "C'est moi un tel qui

19 suis venu le faire." Ils étaient derrière. Ils fournissaient les noms.

20 C'est les autres qui envoyaient des réservistes arrivés de Kraljevo ou de

21 Valjevo ou Dieu sait d'où. Ces gens-là ne savaient rien. Ils n'avaient que

22 leurs noms, que les noms des gens. C'est ainsi qu'ils les prélevaient,

23 qu'ils les sélectionnaient et les emmenaient. Il n'y en a pas un seul qui

24 serait venu dire : "Oui, c'est moi qui ai donné des noms."

25 Q. Merci, Madame Dosen. Combien de gens avez-vous vus emmener de cette

26 façon-là ?

27 R. Le soir où j'ai été chez Martin, ils ont été quatre ou cinq à être

28 emmenés avec Marko, l'homme de la salle de plâtrage, pendant cette nuit-là.

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1 Q. Madame Dosen, qui était le dénommé Marko ? Est-ce que c'était un homme

2 des plus ordinaires ou est-ce qu'il avait été actif pendant les conflits

3 armés ?

4 R. Je le connaissais comme technicien en matière de plâtrage. Il était en

5 réalité infirmier, et il était chargé de poser des plâtres. Il venait des

6 défenseurs croates à l'hôpital. Je suppose que le Dr Bosanac avait autorisé

7 cela, et qu'elle le savait. Ils essayaient de les sauver. C'est sur un bras

8 intact ou une jambe intacte qu'il plaçait des plâtres pour qu'ils fassent

9 figure de blessés à l'hôpital afin de ne pas être emmenés par la force,

10 mais afin de faire en sorte qu'ils sortent avec le convoi.

11 Cependant, il semblerait que quelqu'un ait vendu la mèche, et ceci, à

12 l'égard des soldats arrivés à l'hôpital. Ce qui fait que ces derniers ont

13 emmené quelques-uns des jeunes des gars qui avaient porté des plâtres. On

14 leur a enlevé les plâtres, et ils ont compris, qu'en dessous, il n'y avait

15 aucune blessure. Ce qui fait qu'ils ont emmené Marko, le technicien en

16 plâtrage, pour qu'il réponde des raisons pour lesquelles il l'avait fait.

17 Q. Merci, Madame Dosen.

18 R. Je vous en prie.

19 Q. Un peu plus tôt, vous nous avez dit que Martin Dosen a été blessé.

20 Savez-vous nous dire s'il y a des fichiers médicaux qui permettraient de

21 retrouver des données sur ses blessures et son traitement à l'hôpital ?

22 J'aimerais que vous me répondiez par un oui par non, si possible.

23 R. Oui.

24 Q. Les avez-vous vus ? Avez-vous vu son fichier médical ?

25 R. Oui. Oui.

26 Q. Qu'est-il advenu de ces fichiers médicaux ? Est-ce que ce fichier est

27 resté à l'hôpital ou est-ce qu'il a été acheminé ailleurs ?

28 R. Au matin où l'évacuation était censée commencer, l'infirmière Biba

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1 avait placé dans une pochette plastique auprès de chaque blessé, à ses

2 jambes, l'historique de sa maladie, la liste des températures qui ont été

3 prises, et c'était le dossier qui devait leur permettre un suivi de soins

4 médicaux. Tout l'historique du patient en question était placé dans cette

5 pochette plastique.

6 Comme j'étais avec ces gens-là, je prenais les pochettes. Par

7 exemple, pour ce qui est de celle de mon mari, j'ai pris cette pochette et

8 je l'ai ramenée à Zagreb. J'étais séparée de mon mari, mais j'ai gardé cet

9 original avec moi.

10 Q. Merci, Madame Dosen. Nous allons en parler plus en détail un peu plus

11 tard lorsque nous passerons sur le sujet de la documentation médicale de

12 votre mari.

13 Dites-nous maintenant, où est-ce que vous avez passé votre toute

14 dernière nuit à l'hôpital avant l'évacuation ?

15 R. J'étais couchée au pied du lit de mon mari, là où il avait ses pieds.

16 Q. Quel était son état de santé à ce moment-là ?

17 R. Ceux qui ont connu mon mari savent bien que c'était un sportif. C'était

18 quelqu'un qui avait fait de la pêche, qui était très actif et qui ne

19 pouvait pas se résigner à rester immobile, ce qui fait qu'il a beaucoup

20 pleuré et gémi.

21 Q. A-t-il été capable de se déplacer cette nuit-là ou est-ce qu'il est

22 resté immobile ?

23 R. Non, il ne pouvait pas du tout se déplacer. Il était complètement

24 immobilisé. Il ne pouvait pas du tout bouger son corps.

25 Q. Le matin suivant, et nous sommes à la date du 20 novembre maintenant,

26 qu'est-il arrivé ? Vous nous avez dit que, la nuit, vous l'avez passée aux

27 côtés de votre mari, mais que s'est-il passé ensuite, au matin ?

28 R. Au matin, nous avons eu la surprise de voir apparaître deux militaires

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1 à la porte qui avaient une liste. Ils ont commencé à interpeller les gens.

2 Tout simplement, j'ai été surprise parce qu'ils ont commencé à interpeller

3 Martin Dosen, Tadija Dosen, Jakubovski Martin. Nous avons été surpris de

4 voir qu'ils ont commencé à interpeller par les noms et prénoms.

5 J'ai demandé à une infirmière : "Est-ce que c'est l'évacuation ?"

6 Elle a dit : "Oui. Il faut qu'on place votre époux sur des brancards

7 puisqu'il est immobile. Il va falloir que, lui, on le porte."

8 Martin a dit : "S'il vous plaît, Ljubica, où est Tanja ? Ne me

9 quittez pas. Ne vous séparez pas de moi. Je veux que vous soyez toujours à

10 mes côtés." Lorsque les infirmières l'ont placé sur le brancard, Tanja et

11 moi avons suivi ce brancard. Il y a eu un remue-ménage au niveau de

12 l'hôpital. Il y a eu des cris, des bousculades, et les blessés qui

13 pouvaient se déplacer sont allés vers la sortie parce qu'on leur a dit de

14 commencer à sortir et que le convoi était là et que l'évacuation était

15 imminente.

16 Q. Arrêtons-nous là, Madame Dosen, je vous prie. Je vous remercie.

17 Vous nous avez dit qu'au matin, il y avait deux militaires à la porte

18 d'entrée et qu'ils avaient sur eux une liste. Pouvez-vous nous donner plus

19 de détails au sujet de ces soldats-là ? Vous en souvenez-vous ?

20 R. C'étaient des réservistes.

21 Q. Vous nous indiquez, à l'instant, qu'il y avait deux soldats avec une

22 liste. Y avait-il d'autres militaires à proximité ou est-ce que ces deux

23 réservistes étaient seuls ?

24 R. Il y avait ces deux soldats seuls avec la liste. Mais dès que nous

25 sommes sortis, lorsque j'ai suivi mon mari, il y avait une haie d'hommes,

26 de soldats qui se trouvaient en alignement de part et d'autre. Les blessés

27 sont allés là-bas, et nous civils, moi qui étais avec mon mari. On nous a

28 arrêtés. Ils voulaient nous fouiller, parce que si on avait des couteaux,

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1 ou des ciseaux, ou des objets en or ou que sais-je. Ils ont fouillé nos

2 sacs. Je suis passée à côté d'eux parce que je suivais immédiatement le

3 brancard qui portait mon mari. Mais ce qui m'a surprise tout d'abord c'est

4 que nous ne nous dirigions pas vers la sortie principale de l'hôpital, mais

5 vers la sortie arrière. A mon avis, il aurait été plus logique que le

6 convoi se trouve devant l'entrée principale.

7 Q. Madame Dosen, je vous interromps parce que nous nous éloignons quelque

8 peu de la question. Il faut que nous procédions dans l'ordre. J'aimerais

9 que vous vous concentriez sur la question que je vous pose et rien que

10 celle-ci.

11 Vous nous avez dit que ces deux soldats étaient des réservistes. Ils

12 étaient seuls, si je vous ai bien comprise.

13 R. Oui. Mais dehors, il y avait d'autres soldats qui ont fouillé les gens

14 et qui étaient alignés sur deux lignes. Dehors, il y en avait de toutes

15 sortes. Il y en avait en uniforme de camouflage. Il y avait des

16 réservistes. Il y avait des membres de l'armée yougoslave, des officiers,

17 des soldats. Ils étaient pêle-mêle, ces militaires.

18 Q. Concernant cette liste, les deux soldats, avaient-ils cette liste en

19 main ou alors est-ce que c'est l'un des soldats qui --

20 R. Oui. Un soldat avait cette liste et il lisait les noms.

21 Q. Qu'a-t-il lu au juste ?

22 R. Il a lu les noms des blessés.

23 Q. A ce jour-ci, pouvez-vous vous souvenir des noms de cette liste ?

24 R. Je me souviens du début de cette liste parce que je suis sortie très

25 vite de la pièce étant donné que Martin avait été emporté. Il était l'un

26 des premiers sur la liste. Ils l'ont fait sortir dehors et j'ai suivi

27 aussitôt, ce qui fait que je ne sais pas comment s'énonçaient ensuite les

28 noms de la liste.

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1 Q. Vous souviendriez-vous de quelques autres noms de la liste qui auraient

2 été interpellés ? On a dit le nom de votre mari. Mais vous souvenez-vous

3 d'autres noms de la liste ?

4 R. Oui. Ses deux frères, Tadija Dosen et Ivan Dosen, et le petit Martin

5 Dosen Jakubovski. Lorsque j'ai vu tous ces noms d'interpeller, j'ai trouvé

6 suspect qu'eux se soient trouvés immédiatement au début de la liste. J'ai

7 pensé que c'était peut-être une liste de blessés à l'hôpital pour ce qui

8 est du personnel médical, mais j'ai eu des appréhensions. Je me suis dit

9 qu'après tout, cela pouvait fort bien ne pas être le cas.

10 Q. Madame Dosen, vous venez de nous mentionner plusieurs noms. Vous avez

11 également dit que vous ne vous souveniez pas de la totalité des noms de

12 cette liste. Savez-vous nous dire à peu près de combien de noms il a été

13 donné lecture ?

14 M. LUKIC : [interprétation] Objection.

15 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Maître Lukic.

16 M. LUKIC : [interprétation] J'ai peut-être réagi un peu trop vite. Le

17 témoin vient de dire tout à l'heure, me semble-t-il, que son mari a été

18 interpellé parmi les premiers et qu'elle a tout de suite après quitté la

19 pièce. Peut-être le Procureur pose-t-il trop de questions à ce sujet-là

20 pour essayer de guider le témoin. Peut-être s'agit-il juste d'un excès de

21 zèle.

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Non, ce n'est pas une question

23 directrice. Il lui a demandé ce qu'elle savait, et si on a bien compris les

24 choses, elle ne devrait pas savoir quels sont les autres. Mais nous allons

25 entendre ce qu'elle sait au juste.

26 Veuillez continuer, Madame Tuma.

27 Mme TUMA : [interprétation]

28 Q. Madame Dosen, vous nous avez dit que plusieurs noms de cette liste ont

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1 été prononcés. Comment savez-vous que ces noms se trouvaient précisément

2 sur la liste ?

3 R. Ecoutez, si vous avez un papier dans vos mains et que vous lisez ce

4 papier et que des noms sont appelés, il s'ensuit que cela doit être une

5 liste.

6 Q. Avez-vous entendu lorsque les noms ont été appelés, Madame Dosen ?

7 R. Oui.

8 Q. Merci, Madame Dosen. Vous venez de nous décrire cette liste et vous

9 avez également indiqué des noms qui se trouvaient sur cette liste. Vous

10 nous avez dit qu'il y avait des noms dont vous ne saviez pas grand-chose.

11 Est-ce que vous pourriez nous donner une indication chiffrée du nombre de

12 noms qui se trouvaient sur la liste et du nombre de noms qui ont été

13 appelés ?

14 R. J'ai pu entendre dix noms de cette liste avant que mon mari ne soit

15 placé sur la civière et que nous nous sommes dirigés vers la sortie. Parce

16 qu'après, je ne pouvais plus entendre les noms qui étaient appelés, et les

17 blessés ont commencé à sortir de l'hôpital en assez grand nombre.

18 Q. Très bien, Madame Dosen. Vous venez de nous dire que vous avez entendu

19 dix noms qui ont été appelés. Est-ce qu'il y avait des caractéristiques

20 attachées à ces dix noms qui ont été appelés ? Est-ce que ces dix noms

21 avaient quelque chose en commun ? Est-ce que vous vous en souvenez, Madame

22 Dosen ?

23 R. Au moment où tout cela s'est produit, et il ne faut pas oublier que

24 j'ai été en proie à un stress assez terrible et tout ce que je voulais,

25 c'est que les choses avancent un peu, mais à ce moment-là, ce qui a éveillé

26 mes soupçons, c'est qu'il s'agissait de membres de ma famille. Il

27 s'agissait de nos amis, des cousins de Martin. Cela signifiait que

28 quelqu'un avait dû les identifier parmi toutes ces personnes. Puisque

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1 autant de noms de ma famille avaient été appelés, donc cela me semblait un

2 peu étrange.

3 Q. Madame Dosen, vous avez mentionné qu'il semblait que ces hommes avaient

4 été identifiés et qu'il s'agissait de tous les hommes de la famille, et

5 qu'il y avait également sur cette liste les noms des cousins de Martin

6 Dosen. Est-ce qu'outre le fait qu'il s'agissait des membres d'une même

7 famille, est-ce qu'ils avaient autre chose en commun ?

8 R. Non. Ils défendaient leurs familles, et il se peut que d'aucuns ayant

9 entendu qu'ils portaient des armes. Mon mari avait une Kalachnikov, un

10 fusil et un pistolet, mais il avait ces armes pour protéger sa famille et

11 non pas pour tuer quiconque. Je ne sais pas quelles autres caractéristiques

12 qu'ils avaient en commun, hormis le fait qu'ils étaient membres du HDZ et

13 que c'étaient des personnes qui avaient essayé de monter un système de

14 défense de la ville, et ce, pour protéger les femmes et les enfants de la

15 ville.

16 Q. Merci, Madame Dosen.

17 R. Parce qu'il y avait très peu d'hommes dans la ville à proprement

18 parler.

19 Q. Merci, Madame Dosen.

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Tuma, est-ce que ce serait le

21 moment judicieux pour faire la pause ?

22 Mme TUMA : [interprétation] Oui, cela me semble être une excellente idée.

23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Dosen, nous allons faire une

24 pause, ce qui vous permettra de pouvoir disposer pendant une vingtaine de

25 minutes. Ensuite, nous reprendrons.

26 Donc, nous allons maintenant lever l'audience et nous rependrons à 16

27 heures 45.

28 --- L'audience est suspendue à 16 heures 21.

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1 --- L'audience est reprise à 16 heures 48.

2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Tuma va poursuivre son

3 interrogatoire.

4 Madame Tuma.

5 Mme TUMA : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, je vous remercie.

6 Q. Madame Dosen, je parle de la liste, seulement de la liste et de rien

7 d'autre. Vous aviez mentionné trois noms qui avaient été appelés sur cette

8 liste. C'était Ivan Dosen, Tadija Dosen et le petit Martin Jakubosvki,

9 comme vous l'avez dit. Est-ce qu'il y avait d'autres noms dont vous vous

10 souviendriez aujourd'hui, qui auraient été appelés en sus de ces trois

11 personnes déjà mentionnées ?

12 R. Zvonko Vulic a été appelé, Ivan Ahmetovic, Ivan Vulic. Je pense que

13 c'est tout, d'après mes souvenirs. Je ne souhaiterais pas surtout pas me

14 livrer à des spéculations.

15 Q. Si je vous ai bien comprise - parce que je n'ai pas le compte rendu

16 devant moi - à propos de ces noms que vous avez entendus et qui ont été

17 appelés, est-ce qu'il s'agissait de Martin Jakubosvki ? Est-ce que c'est la

18 même personne que le petit Marko ? Est-ce que cela est bien clair ?

19 R. Non. Martin Jakubosvki est le fils de la sœur de mon mari.

20 Q. Est-ce que son nom a également été appelé, et est-ce que son nom

21 figurait sur cette liste ?

22 R. Oui.

23 Q. Les personnes que vous venez de mentionner et dont les noms ont été

24 appelés, est-ce que ce sont des personnes que vous avez revues depuis ce

25 jour ?

26 R. Non.

27 Q. Savez-vous ce qu'il est advenu de ces personnes ?

28 R. Ivan Ahmetovic, son corps a été exhumé à Ovcara. Martin Jakubovski a

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1 également été exhumé à Ovcara. Il n'y a pas d'information pour ce qui est

2 des autres personnes.

3 Q. Qu'en est-il de votre mari ? Il se trouvait également sur cette liste ?

4 R. Oui. C'était le premier sur la liste.

5 Q. Avez-vous des informations à son sujet ?

6 R. Lorsque je suis arrivée à Zagreb, un de ses amis m'a rendu visite. Il

7 était de Vukovar mais il était parti en Allemagne.

8 Q. Madame Dosen, vous avez dit --

9 R. Puisque Martin était un de ses amis.

10 Q. Je dois vous interrompre. Vous avez dit qu'Ivan Dosen avait été exhumé

11 à Ovcara. Qu'en est-il de votre mari, Martin ?

12 R. Non, non. Pas Ivan Dosen, mais Ivan Ahmetovic. C'est lui qui a été

13 exhumé.

14 Q. Votre mari ?

15 R. Mon mari est toujours porté disparu. Apparemment, il aurait été à

16 Negoslavci.

17 Q. Merci, Madame Dosen. Nous allons mettre de côté cette liste. J'aimerais

18 que nous procédions par étape, et que vous répondiez aux questions en vous

19 concentrant sur ces questions.

20 J'aimerais savoir où vous vous trouviez lorsque le soldat, comme vous

21 l'avez indiqué préalablement, appelait ces noms qui figuraient sur cette

22 liste ? Où vous trouviez-vous à ce moment-là ?

23 R. J'étais au chevet de mon mari, à côté de son lit.

24 Q. Où est-ce que cela se passait ?

25 R. A l'hôpital, dans la salle où se trouvaient tous les blessés. Le lit de

26 Martin se trouvait tout près de la porte.

27 Q. Que s'est-il passé exactement après cela ? Vous étiez au chevet de

28 votre mari. Est-ce que vous avez été là tout le temps ou est-ce qu'à un

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1 moment donné il a été déplacé ?

2 R. J'étais debout à côté de lui. Deux infirmières sont arrivées, parce

3 qu'il fallait placer mon mari sur la civière puisqu'il ne pouvait pas

4 marcher. Elles n'ont pas pu le placer sur la civière, parce qu'il était

5 beaucoup trop corpulent, trop lourd pour elles. Il y a deux soldats qui

6 sont arrivés et qui l'ont placé sur la civière. Tanja ainsi que moi-même

7 avons marché à côté de cette civière, de ce brancard.

8 Q. Ces deux soldats que vous venez de mentionner et qui l'ont placé sur le

9 brancard, est-ce que ces soldats l'ont fait de leur propre initiative ou

10 est-ce que quelqu'un leur en a donné l'ordre ?

11 M. LUKIC : [interprétation] Objection.

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Monsieur Lukic.

13 M. LUKIC : [interprétation] Il s'agit d'une question qui est vraiment très

14 orientée. J'aimerais rappeler que le témoin a déjà répondu plusieurs fois à

15 cette question. A la page 31, à la ligne 14, elle a dit : "Deux soldats

16 sont arrivés." Elle a indiqué de façon très, très claire qu'elle n'avait vu

17 les autres soldats et les officiers que lorsqu'elle avait quitté le

18 bâtiment. Elle l'a dit clairement à la page 33, ligne 20. Maintenant,

19 l'Accusation, de façon très orientée, essaie d'obtenir de la part du témoin

20 une certaine réponse.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Lukic, je suis assez d'accord

22 lorsque vous nous rappelez la déposition qui a été faite un peu plus tôt.

23 Ceci étant dit, lorsqu'on demande ou lorsque Mme Tuma demande que s'est-il

24 passé alors que vous vous trouviez à côté du lit de votre mari ? Ce n'est

25 pas une question orientée. Mme Tuma lui a demandé ce qui s'était passé.

26 Elle a dit : Deux infirmières ont essayé de le mettre sur le brancard.

27 Elles n'ont pas pu, il était trop lourd. Alors, deux soldats sont arrivés.

28 De toute évidence, c'est le témoin qui répond ainsi sans que l'on ait

Page 3785

1 suscité ce genre de réponse. Ensuite, Mme Tuma a demandé s'ils étaient

2 venus de leur propre initiative ou si quelqu'un leur en avait donné

3 l'ordre. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une question qui ne devrait pas

4 être posée étant donné que le témoin, elle-même, a précisé que deux témoins

5 étaient venus.

6 Poursuivez, Madame Tuma.

7 Mme TUMA : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

8 Q. Madame Dosen, est-ce que vous pouvez répondre à ma question, et si vous

9 ne vous souvenez plus de cette question, je pourrais tout à fait la

10 répéter.

11 R. Je me souviens de la question. On leur a probablement donné l'ordre de

12 venir et d'aider à le porter. Ils devaient savoir que les infirmières

13 étaient trop fragiles pour pouvoir le porter. Parce qu'ils ont dû recevoir

14 un ordre puisque les infirmières n'étaient pas en mesure de le faire. Dès

15 que son nom a été appelé, il était censé être évacué du bâtiment.

16 Q. Madame Dosen, vous devez nous indiquer ce que vous avez vu et observé.

17 Vous ne devez pas nous donner des conclusions ou vous lancer dans des

18 hypothèses à propos de ce qui s'est probablement passé. Est-ce que vous

19 vous souvenez de ce qui s'est passé ? Je vous demanderais de répondre à mes

20 questions, je vous prie.

21 R. Je me souviens que les infirmières avaient dit qu'elles ne pouvaient

22 pas porter Martin. Deux soldats sont arrivés, et qui l'ont transporté à

23 l'extérieur. Mais je n'ai vu personne leur en donner l'ordre.

24 Q. Vous avez dit que deux soldats étaient venus. De quel type de soldats

25 s'agissait-il ?

26 R. Il s'agissait de réservistes.

27 Q. Lorsque cela s'est passé, lorsque vous avez vu ces deux réservistes

28 prendre le brancard pour le transporter à l'extérieur, est-ce qu'il y avait

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1 d'autres soldats à ce moment-là - je vous parle seulement de ce moment-là -

2 est-ce qu'il y avait d'autres soldats ?

3 R. Non, pas dans la salle, pas dans la pièce. Non. Il n'y avait pas de

4 soldats dans la pièce où se trouvaient les blessés, hormis les soldats dont

5 l'un appelait les noms qui figuraient sur cette liste. Il y en avait un

6 autre qui était debout près du lit et les deux soldats qui ont transporté

7 Martin à l'extérieur.

8 Q. Qu'avez-vous fait, puisque vous avez dit que Martin a été transporté à

9 l'extérieur ? Qu'avez-vous fait ? Je vous demanderais de répondre de façon

10 concise, je vous prie.

11 R. J'ai pris mon sac. Tanja m'a accompagnée. Nous avons marché à côté du

12 brancard, et nous sommes sorties de la salle.

13 Q. Où êtes-vous allées directement après cela ? Vous nous avez dit que

14 vous étiez sorties de la salle. Où vous êtes-vous rendue avec Tanja

15 directement après cela ? Juste à ce moment-là, où êtes-vous allées ?

16 R. Nous sommes sorties. Nous avons été fouillées par les soldats qui ont

17 fouillé nos sacs, qui ont procédé à une fouille corporelle également. Ils

18 nous ont dit de poursuivre notre chemin. Tanja et moi-même avons suivi

19 Martin qui se trouvait sur le brancard, avec les deux soldats, et nous les

20 avons accompagnés.

21 Q. Vous dites que vous êtes sorties et que vous avez été fouillées par des

22 soldats. De quel type de soldats s'agissait-il ?

23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous avons déjà abordé cela de façon

24 assez détaillée avant la pause, Madame Tuma.

25 Mme TUMA : [interprétation] Très bien.

26 Q. Est-ce qu'il y avait d'autres personnes ou est-ce que d'autres

27 personnes ont été fouillées également par ces soldats, Madame Dosen ?

28 R. Oui, il y avait d'autres femmes et d'autres enfants. Il y avait des

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1 gens qui partaient de l'autre côté. Parce que lorsque l'on sort de

2 l'hôpital ou lorsque nous sommes sortis de l'hôpital, il avait été indiqué

3 aux femmes et aux enfants d'aller d'un côté, d'aller que vers la droite,

4 alors que les blessés allaient vers la gauche, vers les autobus.

5 Q. Lorsque vous dites que les hommes et les femmes se sont dirigés vers la

6 droite et que les blessés se sont dirigés vers la gauche, j'aimerais savoir

7 qui étaient ces personnes ?

8 R. Certains pouvaient marcher tout seul. Ils ont marché jusqu'aux autobus.

9 Ceux qui ne pouvaient pas marcher étaient transportés sur des brancards.

10 Comment pourrais-je m'exprimer ? On les a laissés, ou plutôt leurs

11 brancards ont été placés à même le sol près des autobus.

12 Q. Madame Dosen, j'aimerais vous montrer une photo.

13 Mme TUMA : [interprétation] Je dirais à l'intention de la Chambre qu'il

14 s'agit de la pièce à conviction 170 et le numéro ERN est 00531260. Je

15 souhaiterais également que le témoin puisse regarder cette photographie.

16 Il faudrait que nous obtenions la photographie qui correspond au

17 numéro ERN 00531260. Très bien. Je vous remercie.

18 Q. Madame Dosen, est-ce que vous avez cette photographie maintenant devant

19 vous ?

20 R. Oui.

21 Q. Vous nous avez dit que vous êtes sortie de l'hôpital à pied. Est-ce que

22 vous pourriez nous montrer sur cette photographie l'endroit où vous êtes

23 sortie de l'hôpital ?

24 Mme TUMA : [interprétation] Est-ce qu'il est possible, du point de vue

25 technique, que le témoin nous montre ceci pour que nous puissions le voir

26 dans le prétoire ?

27 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Elle a un exemplaire photographique de

28 cette pièce à conviction, il me semble. Elle pourrait nous indiquer où cela

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1 se trouva, mais il ne nous sera pas facile de le voir ici.

2 Mme TUMA : [interprétation] Est-ce qu'il serait possible que le témoin nous

3 montre sur cette photographie en apportant des réponses où se sont déroulés

4 certains événements ?

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est possible. Il se peut que cela

6 soit possible. Encore faut-il que vous essayiez de le faire.

7 Mme TUMA : [interprétation] Je vais essayer, Monsieur le Président.

8 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Si on lui indique qu'elle peut

10 inscrire ses annotations sur l'exemplaire photographique là, nous aurons la

11 possibilité de le voir. Maintenant, je ne sais pas dans quelle mesure ce

12 sera un système très rapide.

13 Mme TUMA : [interprétation] Oui, je vous remercie.

14 Q. Madame Dosen, vous avez maintenant cette photographie en face de vous,

15 n'est-ce pas ?

16 R. Oui.

17 Q. De quel bâtiment s'agit-il ? Est-ce qu'il s'agit de l'hôpital de

18 Vukovar ? Est-ce que vous le reconnaissez ?

19 R. Oui.

20 Q. Vous avez indiqué que vous êtes sortie de l'hôpital et que vous avez

21 été fouillée, qu'il y avait d'autres femmes et d'autres enfants, et qu'un

22 groupe s'est dirigé vers la droite alors qu'un autre groupe s'est dirigé

23 vers la gauche. Je voudrais maintenant que vous nous montriez, sur cette

24 photographie --

25 R. Oui.

26 Q. -- la façon dont vous êtes sortie de l'hôpital et l'endroit où ont eu

27 lieu ces fouilles. Est-ce que vous pourriez nous montrer cela, je vous

28 prie.

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1 R. Voilà, c'est là. C'était là qu'était la sortie.

2 Q. Est-ce que vous pourriez inscrire la lettre A à cet endroit-là, je vous

3 prie.

4 R. [Le témoin s'exécute]

5 Q. Vous nous avez également dit qu'un groupe s'était dirigé vers la

6 droite, alors qu'un autre groupe se dirigeait vers la gauche. Est-ce que

7 vous pourriez à l'aide d'une flèche nous indiquer la direction prise par le

8 groupe qui se dirigeait vers la droite ? Est-ce que vous pourriez inscrire

9 la lettre B pour ce faire ?

10 R. Les femmes et les enfants sont partis par là, et les blessés sont

11 partis de l'autre côté. De part et d'autre, il y avait des soldats.

12 Q. Maintenant, nous passons --

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La première flèche qui va vers la

14 droite, je souhaiterais que vous apposiez la lettre B au niveau de la

15 pointe de cette flèche, Madame Dosen.

16 LE TÉMOIN : [interprétation] La lettre B pour indiquer la direction

17 empruntée par les femmes et les enfants.

18 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie. Pourriez-vous, je

19 vous prie, apposer la lettre C au niveau de la flèche qui indique la

20 direction empruntée par le groupe qui se dirigeant vers la gauche.

21 LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Pourriez-vous, je vous prie, inscrire

23 la lettre D deux fois, je suppose, pour indiquer où se trouvaient les

24 soldats ? Il s'agit des soldats qui se trouvaient de part et d'autre du

25 groupe qui se dirigeait ver la gauche.

26 LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]

27 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous remercie.

28 Madame Tuma.

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1 Mme TUMA : [interprétation] Je vous remercie.

2 Q. Donc, Madame Dosen, vous êtes sortie de l'hôpital, et dans quel groupe

3 vous trouviez-vous, puisqu'il y avait plusieurs options ? Je vous

4 demanderais de ne mentionner que les lettres.

5 R. Là où il y a la lettre C.

6 Q. Qui d'autre faisait partie de ce groupe ? Qui étaient les gens qui se

7 trouvaient dans ce groupe ?

8 R. Les blessés.

9 Q. Est-ce qu'il y avait seulement des blessés ou est-ce qu'il y avait

10 également d'autres personnes qui n'étaient pas blessées ou est-ce qu'il n'y

11 avait que des blessés dans ce groupe ? Est-ce que vous le savez ?

12 R. Je sais qu'il n'y avait que des blessés et les soldats.

13 Q. Que s'est-il passé après que vous avez été fouillée par les soldats ?

14 Juste après cela, que s'est-il passé ?

15 R. Après la fouille, ils m'ont autorisée à accompagner Martin avec Tanja.

16 Nous nous sommes dirigés vers la direction de la flèche où il y a la lettre

17 C, et c'est là que nous nous sommes dirigés avec les blessés vers les

18 autobus.

19 Q. Vous avez mentionné, Madame Dosen, les autobus. Est-ce que vous

20 pourriez nous montrer sur la photographie, grâce à la lettre E,

21 l'emplacement des autobus lorsque vous les avez vus ?

22 R. Un des autobus se trouvait là. L'autre là. Cela, c'est le numéro 3.

23 Q. Est-ce qu'on pourrait faire un agrandissement de cette photo ? Je

24 demanderais l'aide de l'Huissier.

25 R. Le premier autobus se trouvait là.

26 Q. Un instant.

27 R. Le deuxième, ici. Le troisième, là.

28 Q. Et le troisième --

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1 R. -- ainsi que le quatrième.

2 Q. Est-ce que vous pourriez, je vous prie, faire remonter la photographie

3 pour que nous puissions voir.

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, faites-la juste remonter. Merci.

5 Mme TUMA : [interprétation]

6 Q. Merci. Madame Dosen, vous avez maintenant inscrit quatre lettres E.

7 Est-ce que vous pourriez mettre des chiffres qui correspondront au nombre

8 d'autobus. Où se trouvait le premier autobus lorsque vous l'avez vu,

9 lorsque vous êtes sortie en empruntant la direction C ?

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vous demanderais de mettre juste

11 E1.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Voilà.

13 Mme TUMA : [interprétation]

14 Q. Mettez le numéro 1 pour celui-ci.

15 R. [Le témoin s'exécute]

16 Q. Et mettez le numéro 2 pour le deuxième autobus.

17 R. [Le témoin s'exécute]

18 Q. Et le numéro 3 pour le troisième autobus.

19 R. [Le témoin s'exécute]

20 Q. Et le numéro 4 pour le quatrième autobus.

21 R. [Le témoin s'exécute]

22 Q. Merci. Madame Dosen, est-ce que vous avez pu observer des différences

23 entre ces quatre autobus que vous avez vus au moment où vous vous trouviez

24 à l'emplacement auquel correspond la lettre C ?

25 R. Oui. Trois des autobus étaient des autobus blancs, des autobus de la

26 ville, et l'autre, c'est le troisième, qui était un autobus militaire, donc

27 il était en kaki. Autour de ce bus, il y avait quatre soldats --

28 Q. On en parlera plus tard. Parlons uniquement des autocars. Vous avez dit

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1 que parmi les quatre, il y en avait un qui était militaire. Lequel d'entre

2 eux était l'autocar militaire ? Pourriez-vous, s'il vous plaît, entourer la

3 lettre et le chiffre qui vont distinguer le bus militaire des autres.

4 R. [Le témoin s'exécute]

5 Q. Merci, Madame Dosen. Je vous ai un peu interrompue précédemment. Vous

6 alliez nous dire qu'il y avait des différences entre les bus. Vous nous

7 avez dit qu'il y en avait un qui était un bus militaire et il y avait une

8 autre différence. Pouvez-vous nous dire laquelle ?

9 R. La différence, c'est qu'il y avait des soldats avec des mitraillettes

10 automatiques, des fusils mitrailleurs automatiques, autour de l'autobus

11 militaire, et c'est là qu'on a emmené mon mari. Sa civière a été déposée à

12 côté de ce bus militaire. C'est pour cela d'ailleurs que je peux bien le

13 décrire.

14 Q. Vous dites qu'il y avait des soldats avec des fusils automatiques. Est-

15 ce que vous vous souvenez du nombre de ces soldats qui entouraient ce bus

16 militaire, le numéro 3 ?

17 R. Oui, je me souviens très bien. Il y avait quatre soldats qui étaient

18 debout autour du bus et il y avait deux soldats dans le bus, à côté du

19 siège du conducteur.

20 Q. Une fois de plus, pouvez-vous nous dire quel type de soldats c'était,

21 les quatre qui étaient en dehors du bus et les deux qui étaient dans le

22 bus.

23 R. Tous les six étaient des réservistes.

24 Q. Merci. Qu'est-il arrivé à votre mari ensuite ? Il était sur une

25 civière. Que s'est-il passé ensuite ? Pouvez-vous nous le dire ?

26 R. Quand nous sommes arrivés à cet autobus, ils voulaient que Martin monte

27 dans le bus, mais il n'y arrivait pas parce que la civière était trop

28 grande et la porte trop étroite. Cela n'entrait pas. Ils ne pouvaient pas

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1 le faire monter dans le bus, et lui ne pouvait pas marcher. Il ne pouvait

2 pas se déplacer. Il ne pouvait même pas s'asseoir. Donc, ils ont juste posé

3 la civière sur le sol. Tanja et moi étions près de la civière, et Martin

4 était à l'extérieur du bus, sur sa civière.

5 Q. Merci. Sur la photographie, pouvez-vous nous l'indiquer. Vous nous

6 dites que la civière avait été posée à côté du bus sur le sol. Pouvez-vous,

7 avec un F, indiquer exactement où se trouvait la civière avec votre mari

8 dessus.

9 R. Le bus se trouvait là, donc sa civière serait exactement là.

10 Q. Où vous trouviez-vous avec Tanja quand votre mari était sur sa civière

11 à l'endroit marqué par un F ?

12 R. On était debout à côté de lui, à côté de sa civière.

13 Q. Madame Dosen, vous nous avez déjà dit que des noms ont été appelés à

14 partir d'une liste. Les personnes dont les noms ont été appelés dans la

15 liste, où se sont-elles dirigées ? Est-ce que vous avez vu où elles sont

16 allées ?

17 R. Oui. Les gens dont j'ai entendu le nom être appelé, les quatre dont je

18 vous ai parlé, se sont retrouvés dans le bus numéro 3, le bus militaire.

19 Mais il y avait d'autres noms, deux autres hommes dont j'ai entendu le nom

20 être appelé, qui se sont retrouvés dans le bus numéro 1.

21 Q. S'il vous plaît, répétez les noms des quatre personnes qui se sont

22 retrouvées dans le bus militaire.

23 R. Tadija Dosen, Ivan Dosen, le jeune Vulic et Martin Jakubovski Dosen.

24 Q. Avez-vous vu qui leur a donné l'ordre de monter dans ce troisième

25 bus ?

26 R. Je ne sais pas qui leur a donné l'ordre de monter sur ce troisième bus,

27 mais quand on est arrivé avec la civière, ils étaient dans le bus.

28 Q. Quand vous les avez vus dans le bus, pouvez-vous nous décrire le bus de

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1 l'intérieur ? Avez-vous pu voir à quoi ressemblait l'intérieur de ce bus ?

2 R. Oui.

3 Q. Qu'avez-vous vu ?

4 R. Il y avait des rangées. Les sièges étaient doubles, mais il y avait un

5 homme par siège. C'était l'un derrière l'autre, un siège derrière l'autre.

6 Q. Merci, Madame Dosen. Que s'est-il passé ? Vous étiez debout à

7 l'extérieur du bus numéro 3, et vous avez vu quatre personnes - vous nous

8 avez cité leurs noms - qui étaient assises dans le bus. Ces personnes qui

9 étaient dans le bus, est-ce qu'il leur est arrivé quelque chose que vous

10 auriez vu alors que vous étiez à l'extérieur du bus ? Est-ce qu'il s'est

11 passé quelque chose à l'extérieur de ce bus ou à l'intérieur de ce bus ?

12 R. Oui. Voilà ce qui s'est passé : le jeune frère de Martin, Ivan Dosen,

13 est descendu du bus. Deux soldats l'ont fait descendre rapidement du bus.

14 On l'a obligé à marcher vers la barrière que l'on voit sur la photo. Ils

15 lui ont dit de lever les bras. L'un des hommes a pris sa mitraillette et

16 l'a visé, a visé Ivan. A ce moment-là, son grand frère, Tadija, s'est levé

17 dans le bus pour voir un petit peu où son petit frère était emmené. Je me

18 suis dit : "Ljubica, où est-ce qu'on l'emmène ? Où est-ce qu'ils

19 l'emmènent ?"

20 J'ai dit : "J'en ai aucune idée. Il se passe sans doute quelque

21 chose. "

22 Il a commencé à me dire : Il y a quelque chose qui ne va pas du tout.

23 Emmène les enfants. Les femmes devraient partir aussi. Ce qui va arriver ne

24 va pas être joli. Pendant ce temps-là, de l'autre côté de la barrière,

25 voilà ce qui se passait avec Ivan, voilà ce qui est arrivé à Ivan. Il y

26 avait des femmes et des enfants qui arrivaient de l'endroit appelé C. Ma --

27 Q. S'il vous plaît, on va uniquement parler de ce qui est arrivé à Ivan

28 Dosen, ensuite, on parlera de l'incident suivant.

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1 Pouvez-vous nous dire en utilisant la photographie papier que vous

2 avez, pouvez-vous mettre un G pour nous dire où se trouvait Ivan Dosen

3 quand il est descendu du bus et qu'il a été emmené près de la barrière. Que

4 s'est-il passé exactement ? Que s'est-il passé ?

5 R. [Le témoin s'exécute]

6 Q. C'est quoi ce G ?

7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous avez demandé au témoin de marquer

8 où était Ivan Dosen avec un G; elle l'a fait.

9 Mme TUMA : [interprétation] Je sais. Je veux qu'elle --

10 Q. Madame Dosen, maintenant, que s'est-il passé, et qu'est-il arrivé à

11 Ivan Dosen à ce moment-là, quand il était à l'endroit marqué par un G sur

12 la photo ?

13 R. On l'a emmené vers cette barrière. On lui a demandé de lever les bras.

14 On l'a fouillé. On lui a dit qu'il était un boucher oustachi, qu'il avait

15 très certainement un couteau sur lui quelque part. Ils l'ont attrapé par sa

16 veste, par l'arrière de sa veste. Il leur a répondu : "Je n'ai pas de

17 couteau sur moi." L'autre lui a dit : "Dans ce cas-là, remonte dans le bus,

18 Oustacha."

19 Q. Très bien. Madame Dosen, vous nous avez dit qu'il y avait un autre

20 incident qui a eu lieu à peu près simultanément. Pouvez-vous nous dire ce

21 qui s'est passé ? Vous avez parlé d'une personne qui avait un nom féminin,

22 si je me souviens bien.

23 R. Ruzica Markobasic. C'est la cousine de Martin. Elle habitait avec Davor

24 Markobasic. Ils lui criaient dessus en disant que c'était un Oustacha. Elle

25 aussi elle a été emmenée. On lui a dit d'aller vers la barrière. On lui a

26 enlevé son manteau de fourrure. On a fouillé son sac, soi-disant à la

27 recherche d'un collier, d'un collier que son mari lui aurait fait, un

28 collier fait de doigts de petits enfants qui auraient été enfilés. C'était

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1 stupide, à mon avis. Elle était enceinte de cinq mois à l'époque. Elle

2 était totalement terrorisée. Ils lui ont dit que c'était une putain

3 oustachi. Elle leur a dit qu'elle n'avait rien de la sorte dans son sac.

4 Alors, on l'a repoussée. On lui a dit à elle aussi de monter dans le bus.

5 Elle était d'ailleurs la seule femme dans le bus.

6 Q. Merci, Madame Dosen. Pouvez-vous mettre un H sur la photographie pour

7 nous montrer où elle a été adossée à la barrière ?

8 R. [Le témoin s'exécute]

9 Q. Vous dites ils l'ont emmenée vers le bus, qui est ce "ils" ?

10 R. Il s'agissait de deux soldats; ceux qui l'avaient fouillée près de la

11 barrière. Ils l'ont dirigée vers le bus. Ils lui ont dit de monter à bord.

12 Pendant ce temps-là, un autre soldat est arrivé derrière le bus, m'a

13 attrapée par la main et m'a donné quelque chose, m'a mis quelque chose dans

14 la main. J'ai fermé le poing. Je me suis dit c'est peut-être un message.

15 Quand j'ai ouvert ma main, j'ai vu qu'il y avait 2 000 dinars dans ma main.

16 On m'avait mis 2 000 dinars dans la main. Je l'ai arrêté. Je lui ai dit :

17 "Ecoute, jeune homme, je n'ai pas besoin de tout cela."

18 Sa réponse a été : "Peut-être que toi, tu en auras besoin dans

19 l'avenir, mais elle, en tout cas, elle en aura certainement plus besoin."

20 Q. Après, elle a été emmenée vers le bus ?

21 R. Quand il m'a donné l'argent, elle était déjà dans le bus. Elle est

22 restée dans le bus pendant tout ce temps-là. J'ai demandé à ce jeune homme,

23 j'ai dit : "Jeune homme, est-ce que vous pouvez me dire où vont ces bus ?

24 Il ne s'agit pas d'une évacuation. Ce n'est pas un convoi qui transporte

25 des blessés."

26 Q. Vous avez engagé la conversation avec ce soldat ?

27 R. Oui. Oui, bien sûr. Je vous le dis, je lui ai dit : "Jeune homme,

28 écoutez-moi, pouvez-vous me dire où vont ces bus ? Il ne s'agit pas d'un

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1 convoi, il ne s'agit pas d'une évacuation de blessés, enfin, je n'en ai pas

2 l'impression."

3 Il m'a répondu : "Ne me posez pas de questions, Madame."

4 Je lui ai dit : "Pourquoi est-ce que je ne poserais pas de

5 questions ? Je m'attends aussi à être évacuée."

6 Il m'a dit : "Vous voulez savoir ce qui va se passer sur quel bus,

7 celui-ci ?"

8 J'ai dit : "Oui, celui-ci. Parce que ma famille est à bord."

9 Il m'a dit : "Alors là, Madame, tous les gens qui sont à bord de ce

10 bus sont des extrémistes oustachi, et ils vont être engloutis par la nuit

11 en plein jour."

12 Q. Cela signifie quoi d'être "engloutis par la nuit en plein jour ?"

13 R. C'est ce qu'on dit. Cela veut dire qu'ils vont disparaître le jour

14 même. Que la nuit, le jour, les ténèbres, c'est tout pareil à ce moment-là.

15 Cela signifie qu'ils vont mal finir et qu'ils vont être tués. Mon mari a

16 commencé à me dire d'emmener Tanja, de prendre sa bague et de prendre aussi

17 son collier. J'ai dit : "Martin, pourquoi tu veux que je fasse cela ?"

18 Martin m'a répondu : "Tu vois bien qu'à Nis -- il n'y a pas de

19 femmes, il n'y a pas d'enfants dans ce bus. Prends Tanja et va-t-en."

20 Q. Avez-vous vu d'autres personnes qui sont montées à bord de ce troisième

21 bus ou qui étaient déjà dans le bus pendant que ces incidents étaient en

22 train de se dérouler ?

23 R. Il n'y avait pas grand monde dans ce bus, enfin 50, à peu près. J'en

24 reconnaissais certains, Jan [phon] Kozul, Sinisa Glavasevic, Ivan, Tadija,

25 Vulic, Ruzica. Il y avait trois autres que je ne connaissais. Le jeune

26 Martin Jakubovski est arrivé à bord, mais plus tard, en dernier.

27 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Vasic.

28 M. VASIC : [interprétation] Un petit problème avec le compte rendu à la

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1 page 51, ligne 13. Le témoin a dit qu'il y avait environ dix personnes,

2 dans le compte rendu, il est écrit 50.

3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

4 Mme TUMA : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît.

5 [Le conseil de l'Accusation se concerte]

6 Mme TUMA : [interprétation] Désolée pour cette interruption.

7 Q. Madame Dosen, vous nous avez dit : "Le jeune Kozul." Est-ce que vous

8 connaissez le prénom de cette personne ?

9 R. Josip Kozul. Son corps a aussi été identifié à Ovcara.

10 Q. Merci, Madame Dosen. Maintenant, pour ce qui est des bijoux que portait

11 votre mari, qu'est-il advenu de ces bijoux ?

12 R. Mon mari avait un collier, fait main, avec un médaillon qui portait une

13 image de la vierge. A l'arrière, il y avait le nom de Tanja, gravé. Il m'a

14 demandé de prendre le collier et de le donner à Tanja, parce qu'il avait

15 toujours voulu que Tanja ait ce collier.

16 A l'annulaire, il avait une grosse chevalière avec les lettres DM. Il

17 disait toujours qu'elle devait être à son fils cette bague, cette

18 chevalière. Il avait été blessé, et son bras était enflé. Il n'arrivait

19 plus à enlever la chevalière. Je lui ai dit : "Martin, je ne t'envoie pas à

20 la tombe. Je ne veux pas t'enlever tes bijoux." Il avait quand même réussi

21 à enlever son collier et à le donner à Tanja. Tanja, d'ailleurs, le porte

22 encore. C'est tout ce qu'elle a d'ailleurs de son père. C'est tout ce qui

23 reste.

24 Q. Quels étaient vos sentiments, à ce moment-là ?

25 R. C'était épouvantable. Même encore maintenant, quand j'en reparle, je me

26 demande toujours comment j'ai réussi à survivre, à garder suffisamment de

27 présence d'esprit pour arriver à me raisonner, à me raisonner et arriver à

28 m'en sortir avec Tanja. Elle avait

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1 14 ans. C'était une enfant encore. Elle regardait tout cela. Elle a assisté

2 à cela, voir son père pleurer, un des ses oncles à bord du bus qui

3 regardait l'autre, son cousin. Elle aussi, elle était en larmes. C'était

4 atroce. C'était un chaos complet. Je me suis dit qu'il fallait que je m'en

5 sorte.

6 Q. Madame Dosen, qu'avez-vous fait ? Vous dites que c'était épouvantable,

7 que vous aviez un très mauvais pressentiment, que votre mari était en train

8 de pleurer, votre fille était en train de pleurer aussi. Qu'avez-vous fait,

9 si vous avez fait quelque chose ?

10 R. Oui. Je me suis tournée vers les autres bus pour les regarder. J'ai vu

11 un officier, quelqu'un de grand avec une moustache. Il était en tenue de

12 camouflage. Je ne savais pas à l'époque qui c'était. Je suis allée vers

13 lui. J'ai entendu qu'on lui parlait comme étant le commandant Sljivancanin.

14 Je suis venue le voir, et je lui ai dit : "Est-ce que je peux vous poser

15 une question, s'il vous plaît ?"

16 Il m'a répondu d'une voix forte : "Allez-y, posez votre question."

17 Je lui ai dit : "Qu'est-ce qu'on fait ici, moi et ma fille puisqu'il

18 n'y a pas de femmes ?"

19 Il m'a dit : "Avez-vous été arrêtée ?"

20 Ma réponse a été la suivante : "Pourquoi est-ce que je serais

21 arrêtée ? Est-ce que c'est le convoi ?"

22 Il m'a regardé, il m'a dit : "Oui, c'est le convoi. Pourquoi est-ce

23 que vous êtes là ?"

24 J'ai dit : "Je suis là parce qu'il y a mon mari."

25 Il m'a dit : "Où est votre mari ?"

26 Je lui ai dit : "Il est là sur la civière."

27 Il m'a dit : "Pourquoi il n'est pas dans le bus ?"

28 J'ai dit : "La civière ne rentre pas dans le bus. La porte est trop

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1 étroite."

2 Il m'a dit : "Il faut qu'il montre à bord. Il faut qu'on le monte à

3 bord."

4 J'ai répondu : "Il ne peut même pas s'asseoir."

5 Il m'a demandé : "Qui sait ?"

6 J'ai répondu : "C'est mon mari."

7 Il a dit : "Oui, je sais. C'est qui exactement ?"

8 J'ai dit : "Martin Dosen."

9 Il a dit : "Dosen."

10 Je l'ai regardé bizarrement, parce que pourquoi il savait qui était

11 Martin Dosen. Il m'a dit : "Oui, il faut qu'il y aille."

12 Après, il était un peu perdu dans ses pensées. Il a fait un petit

13 geste de ces doigts à deux soldats pour leur dire de retourner vers le bus

14 et de ramener Martin qui était sur sa civière. Je pensais que là, il allait

15 le ramener à l'hôpital, mais non, ils l'ont laissé là juste dans le

16 corridor, là où j'ai marqué le C. Ils l'ont ramené à cet endroit-là, là où

17 il y a le C sur la photo. J'ai demandé à Sljivancanin juste le sac de

18 Martin avec moi, avec ses biens personnels, avec ses vêtements. "Qu'est-ce

19 que je vais en faire ?

20 Il m'a dit : "Pourquoi il aura besoin ?"

21 J'ai dit -- et là, il s'est sans doute souvenu de ce qu'il m'avait

22 dit. Il m'a dit : "Qui va les porter pour lui, à votre avis ?"

23 Il m'a regardée. Après, il m'a dit, il a continué : "Vous savez, votre

24 fille et vous, partez. Allez rejoindre les autres femmes et les enfants. Je

25 suis allée. J'ai dit à Tanja de marcher devant moi. Je me suis un petit peu

26 arrêtée devant la civière de Martin. Il avait un pull et il avait un plâtre

27 sur son bras. J'ai mis une couverture sur lui pour qu'il reste au chaud, et

28 il a juste placé sa main devant ses yeux. C'est la dernière fois que je

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1 l'ai vu vivant.

2 Q. Merci, Madame Dosen. Pouvez-vous maintenant revenir à la photo. On peut

3 la regarder à nouveau. Vous nous avez dit, Madame Dosen, que vous vous

4 étiez tournée vers les autocars et que vous avez remarqué, à cet endroit-

5 là, un officier de grande taille et que vous ne le connaissiez pas. Vous ne

6 connaissiez pas son nom, mais vous avez entendu les autres s'adresser à lui

7 en disant, Commandant Sljivancanin. Où était-il, parce que vous l'avez

8 remarqué ? Pouvez-vous nous l'indiquer sur cette photo, si tant est que

9 vous vous en souvenez ?

10 R. Oui. Comment voulez-vous que je vous note cela ?

11 Q. Vous pouvez placer une lettre I à cet endroit-là.

12 R. [Le témoin s'exécute]

13 Q. Pourquoi vous êtes-vous adressée précisément à cet officier-là ?

14 R. Parce que j'ai remarqué qu'il donnait des ordres et qu'il était la

15 personne chargée du commandement. Tout un chacun s'adressait à lui. On

16 voyait qu'autour de lui, il y avait les réservistes et les soldats, et tous

17 ceux qui avaient quelque chose à demander lui posaient la question à lui.

18 Q. Madame Dosen, lorsque vous dites qu'il "donnait des ordres," pourriez-

19 vous étoffer votre propos ? Qu'avez-vous encore remarqué à ce sujet ?

20 R. J'ai remarqué que toute cette évacuation des blessés se faisait sous

21 ses ordres à lui. Les blessés étaient placés à bord des autocars et à côté

22 des autocars. Une fois ces derniers remplis, et s'agissant des blessés

23 immobilisés qui ne pouvaient pas se déplacer, il est arrivé des camions

24 militaires pour eux. Alors ils se sont arrêtés, sur la photo, de mon côté

25 gauche. Pendant que je revenais vers l'hôpital, on y plaçait déjà des

26 blessés qui ne pouvaient pas bouger. Quand je dis on les "plaçait," on les

27 jetait, je voulais dire --

28 Q. Attendez. Excusez-moi de vous interrompre. On y viendra, mais on n'y

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1 est pas encore.

2 R. -- sans pour autant se pencher sur la question de savoir si

3 c'étaient des blessés.

4 Q. Vous avez dit que vous vous êtes adressée à lui et que c'était lui qui

5 donnait des ordres. Je voulais que vous m'indiquiez ce que vous aviez

6 remarqué. Je parle du moment qui a précédé le moment où vous vous êtes

7 adressée à lui. Je ne vous demande pas ce qui s'est passé après, mais ce

8 qui s'est passé avant. Je vous ai demandé pourquoi vous l'aviez fait, et

9 vous m'avez répondu que c'était parce que c'était lui qui donnait des

10 ordres. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi vous le dites ? Qu'est-ce qui vous

11 le fait dire et qu'a-t-il fait pour que vous tiriez la conclusion qui est

12 celle de penser que c'était lui qui donnait des ordres, avant que de vous

13 adressez à lui ?

14 R. A mon avis, c'était lui le commandant puisqu'il portait des insignes

15 sur des galons. Comme j'avais eu pour époux un officier de la JNA, j'ai

16 reconnu en lui un officier. J'ai estimé que le mieux à faire c'était de

17 m'adresser justement à lui - je m'étais dit qu'il devait y avoir quelque

18 chose d'humain en lui - afin qu'il me vienne en aide. Je ne savais plus à

19 quel saint me vouer. Comme j'ai vu qu'il s'agissait d'un officier de la

20 JNA, vu que j'ai vu qu'il donnait des ordres, c'est ce que j'ai fait.

21 Q. Merci, Madame Dosen. Vous nous dites que vous n'avez pas pu vous

22 adresser à personne d'autre. Avez-vous essayé quelque chose avant que de

23 vous adresser à cet officier de grande taille, aux fins d'obtenir de

24 l'aide ?

25 R. Hélas, j'ai essayé de m'adresser à un ami à Martin, Darko Vuk. On

26 l'appelait Drki. Je lui ai dit : "Ecoute, pourquoi n'aiderais-tu pas

27 Martin ? Pourquoi n'essaierais-tu pas quelque chose, ne serait-ce qu'aux

28 fins de le remmener à l'hôpital, tu sais ?"

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1 Il portait un uniforme de camouflage. Il m'a regardé : "Vous, les

2 Dosen, vous feriez mieux de vous taire. Vous avez beaucoup de comptes à

3 rendre."

4 Q. Y aurait-il autre chose encore ?

5 R. Ce serait tout.

6 Q. Madame Dosen, vous venez de parler de cet officier de haute taille et

7 vous ignoriez son nom à ce moment-là, mais vous avez entendu d'autres

8 personnes s'adresser à lui en disant, Commandant Sljivancanin. Pouvez-vous

9 nous expliquer comment est-on arrivé à s'adresser à lui en l'interpellant

10 Commandant Sljivancanin, lorsque vous étiez là ?

11 R. Au moment où on ne sait plus trop que faire et qu'on ne peut pas

12 réfléchir comme il se doit, on essaie de s'accrocher à des brins de paille.

13 Je suis allée vers lui parce que j'ai vu qu'il avait de l'autorité, qu'il

14 donnait des ordres et que de par ses galons, il était gradé. Je ne voyais

15 personne de l'armée régulière. Je n'ai vu aucun soldat de la JNA. C'étaient

16 tous des réservistes et des gens de la localité qui s'étaient joints à eux,

17 ainsi que des Chetniks. J'ai pensé que ce n'est que vers lui que je devais

18 aller, parce que c'est lui qui donnait des ordres. Si je devais monter à

19 bord de cet autocar, j'allais monter. Mais sinon, il valait la peine

20 d'essayer quelque chose.

21 Q. Merci, Madame Dosen. Vous nous avez dit tout à l'heure, si je vous ai

22 bien comprise, que l'on s'adressait à lui en l'interpellant, Commandant

23 Sljivancanin. Avez-vous entendu quelqu'un l'interpeller, Commandant

24 Sljivancanin ?

25 R. Oui. Les soldats autour de lui criaient tous son nom, M. le Commandant

26 ou commandant Sljivancanin. Puis, quelqu'un m'a dit : "Oui, c'est le

27 commandant Sljivancanin."

28 Q. Merci, Madame Dosen. Vous nous avez dit qu'on vous a donné l'ordre de

Page 3805

1 partir dans une autre direction et de laisser votre mari sur place, n'est-

2 ce pas ?

3 R. Oui.

4 Q. J'aimerais que vous vous penchiez sur une photo à présent. Il s'agit de

5 la même pièce à conviction 170 --

6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce que vous allez demander le

7 versement au dossier de la photo précédente ?

8 Mme TUMA : [interprétation] Oui. J'aimerais que ce soit versé au dossier.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La photographie annotée par le témoin

10 sera versée au dossier.

11 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce 172, Monsieur le

12 Président.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

14 Mme TUMA : [interprétation] Photographie suivante à présent. Il s'agit de

15 la pièce 170, et son numéro ERN est le 0053-1261. Madame le Témoin, je vais

16 vous demander si vous avez cette photo sous les yeux. Oui, il me semble que

17 c'est bien le cas.

18 Q. Madame Dosen, tout à l'heure, lorsque vous nous avez relaté tout ce qui

19 s'est passé, vous avez indiqué qu'il est arrivé des camions militaires.

20 D'où sont-ils arrivés et de quel endroit les avez-vous aperçus ?

21 R. Les camions militaires étaient déjà garés derrière l'hôpital, à savoir,

22 ici au bout de la photo.

23 Q. A quel bout de la photo, Madame Dosen ?

24 R. Sur mon côté gauche, ici.

25 Q. Vous parlez de celle-ci ou de l'autre que nous avons vue ? Je sais que

26 nous avons la photo 1261 sous les yeux.

27 R. [aucune interprétation]

28 Q. Vous voulez dire --

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1 R. Oui, vous avez raison. Excusez-moi.

2 Q. Oui, mais sur cette photo, Madame Dosen --

3 R. Sur cette photo-ci, on ne peut pas le voir.

4 Q. Est-ce que vous pouvez peut-être voir cet endroit sur la photo 1260, si

5 vous vous penchez sur celle-ci ?

6 R. Oui, en effet. Sur cette photo-ci, oui. C'est ici, sur mon côté gauche.

7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Le témoin est en train de montrer

8 l'emplacement qui se trouve tout en bas du côté gauche de la photo, pièce à

9 conviction 172. Il s'agit plutôt de cette allée, et il s'agit de la partie

10 à l'extrême gauche de la photo.

11 Mme TUMA : [interprétation]

12 Q. Avez-vous vu combien de camions militaires il y avait là-bas, Madame

13 Dosen ?

14 R. Trois ou quatre. J'en ai vu certainement deux de garés. A bord de ces

15 camions, il y avait déjà des blessés qui ne pouvaient pas se déplacer.

16 Martin attendait encore que son tour vienne.

17 Q. Merci, Madame Dosen. Je vais vous remontrer cette photo-ci. Sans que

18 vous nous annotiez quoi que ce soit, pourriez-vous nous montrer où est-ce

19 que vous avez vu, pour la dernière fois, votre époux ?

20 R. Voilà, ici.

21 Q. Merci. Nous allons maintenant continuer avec les annotations. On va

22 prendre la lettre suivante pour nous indiquer l'emplacement des camions.

23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La lettre J.

24 Mme TUMA : [interprétation]

25 Q. Et pour ce qui est de l'endroit où Martin Dosen a été laissé.

26 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ce sera le K.

27 Mme TUMA : [interprétation]

28 Q. Pouvez-vous le faire, Madame Dosen ?

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1 R. [Le témoin s'exécute]

2 Q. Merci. J'aimerais que ce soit versé au dossier.

3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est déjà une pièce à conviction.

4 Mme TUMA : [interprétation] Fort bien. Merci.

5 Q. Madame Dosen, nous allons revenir à l'autre photographie --

6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Lukic.

7 M. LUKIC : [interprétation] Il me semble qu'il y a eu un petit mal entendu

8 au moment où le témoin vient de nous expliquer. Parce que nous n'avons --

9 du moins, je n'ai pas vu l'emplacement de la lettre J. Or, comme le

10 Président, M. le Juge Parker, a suggéré, la lettre J était censée désigner

11 l'endroit où elle avait vu, pour la dernière fois, son époux, et les

12 camions devaient porter l'annotation K.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Non, ce n'est pas le cas. Le J pour

14 l'emplacement des camions et le K pour l'emplacement où le témoin a, pour

15 la dernière fois, vu son époux.

16 M. LUKIC : [interprétation] Mais nous ne voyons pas sur la photo

17 l'emplacement du J, du moins c'est ce qu'il me semble.

18 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, mais c'est dans les buissons.

19 C'est la partie arborée de la photo. Il s'agit d'un camouflage, Maître

20 Lukic.

21 M. LUKIC : [interprétation] Je m'excuse.

22 Mme TUMA : [interprétation]

23 Q. Bien, merci. Madame Dosen, nous allons passer à présent à la photo

24 suivante que nous avons déjà vue. C'est la photo qui porte le numéro ERN

25 1261 au bout.

26 Qu'est-ce qui s'est passé après, Madame Dosen ? Vous y avez laissé votre

27 époux, et qu'avez-vous fait, vous-même et Tanja ?

28 R. Tanja et moi, on est retourné parmi les autres femmes et enfants qui

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1 attendaient le convoi pour être évacués.

2 Q. Bien. Où êtes-vous allées ? Pouvez-vous nous l'indiquer sur cette

3 photographie ?

4 R. Nous sommes allées vers la sortie principale de l'hôpital parce que

5 c'est là que se trouvaient les autocars. C'est d'ici qu'on s'est dirigé

6 vers le portail principal et c'est là que se trouvait constitué ce convoi.

7 Mais ce que je veux indiquer --

8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce que vous pouvez voir l'endroit

9 où se trouvaient les autocars quand vous regardez la photo que vous avez

10 sous les yeux ?

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Pour les femmes et les enfants ?

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, pour vous.

13 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Pour les femmes et les enfants.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Ici, où on voit ces voitures garées.

16 C'est là qu'il y avait ce convoi.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci. Je précise qu'il s'agit du

18 rebord de la photo, en bas; n'est-ce pas ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. C'est la route principale qui traverse la

20 ville, et c'est là que se trouve le portail principal d'accès à l'hôpital.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est ce qui se trouve au coin en bas

22 à gauche de la photo ?

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci. Est-ce qu'il faut une

25 annotation, Madame Tuma ?

26 Mme TUMA : [interprétation] Oui, je vous le demanderais, Monsieur le

27 Président.

28 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bien. Pour ce qui est de cette

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1 photographie, j'aimerais demander à Mme Dosen d'avoir l'amabilité d'apposer

2 une inscription au niveau de l'entrée principale de l'hôpital en mettant

3 une lettre A.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, mais le portail d'entrée, on le voit très

5 mal.

6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous voulez dire que c'est

7 pratiquement à l'extérieur de la photographie, n'est-ce pas ?

8 LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

11 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'aimerais que vous placiez une lettre

12 B à l'endroit où les autocars pour les femmes et les enfants se trouvaient

13 être garés.

14 LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]

15 [interprétation] Ce serait ici à côté de la sortie, il y avait pas

16 mal d'autocars. Il y en avait sept ou huit, des militaires.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce qu'ils s'étiraient vers la

18 droite de la photo en alignement par rapport à la route ?

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est exact.

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je voudrais dire, Madame Tuma, qu'il

21 n'est point nécessaire de nous placer d'autres lettes B. Nous avons

22 compris.

23 Merci, Madame Dosen.

24 Veuillez continuer, Madame Tuma.

25 Mme TUMA : [interprétation] Merci.

26 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Y a-t-il d'autres questions au sujet

27 de cette photo ?

28 Mme TUMA : [interprétation] Non, non, pas pour ce qui est des annotations,

Page 3811

1 mais pour faciliter au témoin l'effort de souvenance.

2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, mais je tiens compte du temps

3 aussi. Peut-être pourrions-nous faire une pause et revenir à cette

4 photographie ultérieurement. Ce que nous pourrions faire, c'est faire

5 verser cette photographie au dossier, ensuite, nous demanderons au témoin

6 de nous indiquer d'autres éléments une fois qu'elle continuera son

7 témoignage.

8 Mme TUMA : [interprétation] Fort bien.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ce sera versé au dossier.

10 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la cote 173, Monsieur le

11 Président.

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous allons reprendre à

13 6 heures 25.

14 --- L'audience est suspendue à 18 heures 06.

15 --- L'audience est reprise à 18 heures 29.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Tuma, vous avez la parole.

17 Mme TUMA : [interprétation] Merci.

18 Q. Madame Dosen, les fameux quatre bus dont vous nous avez parlé, les

19 avez-vous vus partir ?

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Il faudrait qu'on sache de quel bus il

21 s'agit. Est-ce qu'il s'agit des bus qui transportaient les blessés ou des

22 bus qui transportaient les femmes et les enfants ?

23 Mme TUMA : [interprétation] Il s'agit des quatre bus qui transportaient les

24 blessés, donc E1 à E4.

25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Madame Dosen, avez-vous vu ces bus

26 quitter l'hôpital ?

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je ne les voyais plus. Puisque je suis

28 revenue vers l'hôpital, je ne pouvais les voir.

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1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

2 Mme TUMA : [interprétation]

3 Q. Vous avez parlé de camions militaires qui étaient arrivés. Vous les

4 avez montrés d'ailleurs sur la photographie. Les avez-vous vu quitter la

5 zone ?

6 R. Oui. J'ai vu les camions s'en aller. Je les voyais de là-haut où les

7 femmes et les enfants se trouvaient. On a vu les camions avec les blessés à

8 bord quitter la zone.

9 Q. Merci. Après que vous ayez quitté votre mari, vous dites vous être

10 rendue de l'autre côté de l'hôpital. Il s'agit de la photographie dont le

11 ERN est le 1261. Quand vous étiez dans cette zone, Madame Dosen, avez-vous

12 vu des représentants d'organisations internationales ?

13 R. Les représentants des organisations internationales sont arrivés vers

14 11 heures. Ils ont d'abord rentré dans l'hôpital pour établir la liste des

15 blessés qui restaient à l'intérieur de l'hôpital. Ils nous ont dit de nous

16 rendre vers les bus puisqu'il s'agissait du convoi nous permettant d'être

17 évacués. Ils étaient avec nous.

18 Q. Merci. Vous avez parlé des camions militaires. Vous nous avez dit que

19 vous les avez vus quitter la zone et vous avez dit que les membres des

20 organisations internationales étaient arrivés vers

21 11 heures. Quel temps s'est écoulé entre le moment où vous avez vu les

22 camions militaires quitter l'hôpital et le moment où vous avez vu les

23 organisations internationales arriver vers 11 heures ?

24 R. Les bus et les camions sont partis après 8 heures du matin, et les

25 représentants de la Communauté européenne sont arrivés, eux, vers 11 heures

26 du matin. Quand ils sont arrivés, il n'y avait plus ni bus ni camion

27 militaire derrière de l'hôpital de Vukovar.

28 Q. Vous dites que les quatre bus et les camions militaires sont partis

Page 3813

1 vers 8 heures du matin. Vous nous avez dit après 8 heures du matin. Vous

2 pouvez préciser une heure ?

3 R. L'évacuation avait commencé vers 7 heures du matin. On a dû attendre

4 une heure, une heure et demie que le convoi se forme. Quand je suis revenue

5 vers les autres femmes et les enfants, là, l'autre convoi était mis en

6 place. Les blessés n'étaient pas mis sur la liste par les représentants de

7 la Communauté européenne. Il n'existe tout simplement pas - j'aimerais

8 d'ailleurs que M. Sljivancanin nous dise où il les a emmenés, les blessés.

9 Q. Madame Dosen, vous n'êtes ici que pour répondre à mes questions, s'il

10 vous plaît.

11 Pourriez-vous poursuivre ? Avant que vous nous fassiez cet aparté, on

12 parlait du temps qui s'est écoulé.

13 R. Il s'est passé environ une heure ou une heure et demie entre le moment

14 où les camions sont partis, enfin, du moment où je n'ai plus vu les camions

15 et le moment où les représentants de la Communauté européenne sont arrivés.

16 Q. Merci. Ce jour-là, où est-ce que vous êtes arrivée en fin de compte,

17 avec votre fille ? Où avez-vous atterri, si je puis dire ?

18 R. Moi-même, la fille et la mère de Martin, ainsi que les deux enfants en

19 bas âge, Ljiljana, ainsi que la femme de Tadija, ainsi que sa fille Alma,

20 on s'est tous retrouvé dans un bus qui devait nous évacuer.

21 Q. Mais où est-ce que vous avez atterri en fin de compte ? Dans quel

22 endroit ?

23 R. On nous a dit qu'on allait passer par Bogdanovci - c'était le seul

24 village croate où les communications restaient ouvertes - et on devait en

25 fin de compte aller à Vinkovci. On est monté à bord des bus, puis on nous a

26 dit qu'on irait à Vinkovci et qu'on nous attendait là-bas. Mais les choses

27 ne se sont pas passées ainsi. On est passé par le centre-ville vers

28 Velopromet. Quand on était à bord du bus, on regardait par la fenêtre,

Page 3814

1 c'était épouvantable. Il y avait les gens qui avaient essayé d'atteindre

2 l'hôpital, puisqu'ils avaient entendu parler de ce fameux convoi et de

3 l'évacuation, mais ils n'ont jamais réussi à atteindre l'hôpital.

4 Q. Madame Dosen --

5 R. J'imagine que les libérateurs --

6 Q. Madame Dosen, vous dites que vous êtes allée à Velopromet. Ensuite, où

7 êtes-vous allée après, si tant est que vous soyez allée ailleurs ? On

8 voudrait juste entendre un nom.

9 R. Sremska Mitrovica.

10 Q. Vous avez vraiment terminé votre voyage à cet endroit-là, ou avez-vous

11 continué encore au-delà de Sremska Mitrovica, avec votre fille ?

12 R. De Sremska Mitrovica - c'est là qu'on a passé la nuit - on nous a dit,

13 à cet endroit-là, que la Croatie ne voulait pas de nous et qu'ils ne

14 savaient pas quoi faire de nous, que Zagreb ne pouvait pas nous accueillir.

15 Il y avait déjà trop de réfugiés. Donc, on nous a dit qu'on pouvait aller

16 n'importe où, du moment que c'était une localité située en Croatie et non

17 pas en Serbie. Les représentants de la communauté internationale ont essayé

18 de négocier avec eux. Ils ont réussi à nous trouver une route sécurisée

19 passant par Bijeljina pour aller à Djakovo. On a donc voyagé deux jours

20 entiers et deux nuits, pour faire 60 kilomètres pour atteindre Djakovo. On

21 a dû passer par la Bosnie pour atteindre Djakovo. Tanja et moi sommes

22 restées à Djakovo.

23 Q. Madame Dosen, vous êtes restée ensuite à Djakovo ? C'était votre

24 destination finale ?

25 R. Non. Après Djakovo, je suis allée à Zagreb.

26 Q. Merci. Juste un petit éclaircissement, s'il vous plaît. J'aimerais

27 qu'on revienne à l'hôpital. A l'hôpital, au cours des deux derniers jours,

28 le 19 et le 20 novembre 1991, avez-vous traité directement avec le Dr

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1 Bosanac ? Vous êtes-vous entretenue avec le Dr Bosanac ?

2 R. Non, jamais.

3 Q. Merci, Madame Dosen. Maintenant, j'aimerais passer en revue quelques

4 pièces à conviction. Il s'agit des pièces au titre de l'article 65 ter,

5 donc le numéro 243, qui commence à la première page avec un numéro ERN

6 02189326.

7 Madame Dosen, vous nous avez dit que vous avez conservé le dossier

8 médical de votre mari. Est-ce que vous reconnaissez cette feuille de

9 papier ?

10 R. Oui.

11 Mme TUMA : [interprétation] Il y a une traduction en anglais dont la cote

12 est le 00582903.

13 Q. Madame Dosen, pouvez-vous nous dire ce qui est écrit sur cette feuille

14 qui est sous vos yeux ?

15 R. Il s'agit du dossier médical de mon mari, avec l'heure et la date à

16 laquelle il a été admis à l'hôpital de Vukovar. J'ai obtenu cela de

17 l'hôpital de Vukovar. J'ai l'original d'ailleurs, et c'était le dossier qui

18 était sur son lit d'hôpital.

19 Q. Pouvez-vous nous donner la date qui est la date d'admission de Martin

20 Dosen à l'hôpital ? Pouvez-vous nous donner la date qui est sur cette

21 feuille ?

22 R. C'est le numéro 8. Il est écrit, la date admis, le 16 novembre 1991.

23 C'est dans la huitième case.

24 Q. Merci.

25 Mme TUMA : [interprétation] Passons à la page suivante, la page 2, dont le

26 numéro ERN est 02189327. Il existe bien sûr une version en anglais,

27 00582904.

28 Q. Madame Dosen, vous avez maintenant cette feuille sous les yeux. Est-ce

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1 que cela fait partie du dossier médical que vous avez obtenu de l'hôpital ?

2 R. Oui.

3 Q. Savez-vous ce qui est écrit sur cette page ?

4 R. Bien, je vois ce qui est écrit, qu'il a été hospitalisé, qu'il était

5 tombé du troisième étage, que sa colonne vertébrale devait faire l'objet

6 d'une radiologie. Puis, le reste me semble écrit en latin.

7 Q. Etant donné que le reste est en latin, est-ce que vous avez fait quoi

8 que ce soit pour que l'on vous fournisse une explication à ce sujet ?

9 R. Oui. J'avais demandé au Dr Njavro, et il m'avait fourni une

10 explication.

11 Q. Y avait-il --

12 R. C'est lui qui avait hospitalisé Martin la première fois, lorsqu'il a

13 été blessé la première fois.

14 Q. Merci, Madame Dosen. Est-ce qu'il y avait d'autres médecins qui vous

15 ont expliqué la teneur de cette page ?

16 R. Comment s'appelle-t-il ? C'est un orthopédiste. Aleksijevic.

17 Q. Comment est-ce que vous avez obtenu cette explication ?

18 R. Martin faisait partie de la liste des personnes portées disparues, et

19 je voulais, en tant qu'épouse, exercer mes droits d'épouse d'un défenseur

20 croate porté disparu. Il a fallu que je postule pour obtenir les documents

21 afin de certifier que Martin avait été blessé. Ensuite, j'ai dû avoir la

22 traduction du médecin pour le diagnostique exact, et le Dr Aleksijevic l'a

23 fait. Il a écrit le diagnostique et l'explication qui étaient en annexe au

24 dossier médical de Martin.

25 Q. Merci, Madame Dosen. J'aimerais maintenant vous montrer un autre

26 document, qui est l'explication de ce que vous venez de dire. Le numéro

27 ERN, pour la version B/C/S, est 02189333. La version anglaise porte le

28 numéro 00582907.

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1 R. [aucune interprétation]

2 Q. Et nous --

3 R. [aucune interprétation]

4 Q. Nous attendons également -- est-ce que nous l'avons à l'écran ? Bien.

5 Madame Dosen, est-ce qu'il s'agit du document dont vous avez parlé

6 lorsque vous nous avez indiqué qu'il y avait une deuxième page dans le

7 dossier médical et que cette deuxième page était une page d'explication ?

8 R. Oui, oui, il s'agit bien du document en question.

9 Q. Merci.

10 Mme TUMA : [interprétation] Je souhaiterais que la traduction anglaise et,

11 bien entendu, le document en B/C/S soient versés au dossier. Ce n'est pas

12 la peine que l'on donne lecture du dossier médical, mais je voudrais que

13 l'on aborde certains aspects du dossier médical.

14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous voulez verser au dossier

15 l'ensemble du dossier médical ?

16 Mme TUMA : [interprétation] Oui.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Cela sera versé au dossier.

18 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la cote 174.

19 Mme TUMA : [interprétation] Merci.

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Et pour ce qui est de la traduction ?

21 Mme TUMA : [interprétation] Oui, la traduction également, je vous prie.

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La traduction sera versée au dossier.

23 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Cela fait partie du même document,

25 donc cela fait déjà partie du document qui a la cote 174.

26 Mme TUMA : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

27 Q. Madame Dosen, je souhaiterais que nous consultions une autre page qui

28 fait partie du dossier médical, d'après ce que je peux voir. Il s'agit du

Page 3818

1 numéro ERN 02189330. Voilà, pour la version en B/C/S.

2 Et je dirai, à l'intention de la Chambre, que la version anglaise

3 porte le numéro 00582905.

4 N'avez-vous jamais vu ce document auparavant, Madame Dosen ? Cette page, ne

5 l'avez-vous jamais vue ?

6 R. Oui.

7 Q. Quand l'avez-vous --

8 R. J'ai l'original.

9 Q. Très bien. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui figure sur

10 cette page, d'après ce que vous savez ?

11 R. Il s'agit d'un relevé de température qui donne la température

12 quotidienne du patient. Vous pouvez la voir la date du 16 novembre sur

13 cette fiche. C'est la date d'hospitalisation de Martin. Vous avez ensuite

14 le 17, le 18 et le 19, ainsi que le 20. Le 20 étant le dernier jour pour

15 lequel nous avons des données, ce qui signifie que c'est le jour où il a

16 quitté l'hôpital.

17 Q. Est-ce que vous pourriez nous dire quels sont les jours où la

18 température de Martin Dosen a été prise, d'après ce document ?

19 R. Voilà ce qui est écrit pour le 16 novembre, colonne numéro 1; colonne

20 numéro 2, 17 novembre; ensuite vous avez numéro 3, le 18 novembre. Rien n'a

21 été consigné pour le 19 ou le 20.

22 Q. Merci, Madame Dosen.

23 R. [aucune interprétation]

24 Q. J'aimerais, en dernier lieu, que nous consultions un dernier document

25 que vous avez mentionné brièvement et dont la cote --

26 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous voulez verser au dossier --

27 Mme TUMA : [interprétation] Oui, tout le dossier médical, et cela en

28 faisait partie.

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1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, cela en faisait partie.

2 Mme TUMA : [interprétation] Je vous remercie.

3 Le dernier document que nous allons voir a, en B/C/S, le numéro ERN

4 02189332, et la version anglaise a le numéro 00582906. D'ailleurs,

5 j'aimerais verser ces documents au dossier.

6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce que cela fait partie de la

7 pièce à conviction 174 ?

8 Mme TUMA : [interprétation] Oui. D'après ce que je comprends, oui.

9 Q. Madame Dosen, est-ce que vous pourriez nous expliquer ce qui est

10 indiqué par ce document ?

11 R. Cela certifie que la première fois que Martin a été blessé, cela s'est

12 passé au mois d'août et il a été blessé à la jambe par un obus. C'est le Dr

13 Juraj Njavro qui l'a traité. Comme je vous l'ai déjà dit, j'ai dû compiler

14 tous ces documents puisque Martin n'était plus en vie. J'avais certains

15 droits en tant que femme d'un défenseur croate qui était tombé, mais il

16 fallait que tout soit bien écrit noir sur blanc sur le papier. Je devais

17 avoir tous ces documents. Je pense que c'est le Dr Njavro et un autre

18 médecin qui pourraient d'ailleurs très certainement vous confirmer cela.

19 Q. Merci, Madame Dosen. J'en ai terminé avec mon interrogatoire principal.

20 Madame, Messieurs les Juges, je vous remercie.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Madame Tuma.

22 Maître Vasic, c'est à vous de choisir. Nous pouvons soit levé l'audience

23 soit vous accordez six minutes.

24 M. VASIC : [interprétation] Monsieur le Président, je pourrais utiliser des

25 six minutes mais cela représentera trois questions, alors je suis disposé à

26 le faire mais il se peut que le témoin préfère que nous recommencions

27 demain.

28 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je pense, effectivement, Maître Vasic,

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1 que nous allons nous en tenir à ceci pour aujourd'hui et vous pourrez être

2 prêt à présenter un contre-interrogatoire rapide demain.

3 Madame Dosen, nous allons maintenant lever l'audience pour aujourd'hui et

4 nous reprendrons demain à 14 heures 15. Le représentant du greffe qui est

5 avec vous, vous fournira des instructions détaillées à propos de la journée

6 de demain.

7 Nous allons maintenant lever l'audience et nous reprendrons demain.

8 Je vous remercie.

9 --- L'audience est levée à 18 heures 56 et reprendra le mardi le 7 février

10 2006, à 14 heures 15.

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