Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Affaire Vukovar – IT-95-13-R61)

2 (Mercredi 27 mars 1996.)

3 (Audience publique.)

4 M. le Président: D'abord, je voudrais m'assurer que la technique

5 d'interprétation fonctionne bien. Alors, tout d'abord, est-ce qu'au banc

6 des Procureurs, on m'entend bien? Oui, Procureur? Au banc du Greffe? Bien.

7 Mes collègues? Parfait.

8 Monsieur le Procureur, l'audience est reprise. Vous avez la parole pour

9 introduire le témoin suivant.

10 D'abord, voulez-vous bien informer le Tribunal du niveau de protection

11 requis par le témoin et que vous auriez demandé au Tribunal? Nous sommes

12 en état d'une ordonnance que notre Chambre prise et qui, à votre demande

13 et à la demande des témoins, prévoyait un certain niveau de protection. Le

14 témoin que vous allez faire citer est-il inclus dans ce niveau de

15 protection, s'il vous plaît, Monsieur le Procureur?

16 M. Williamson (interprétation): La personne que nous allons appeler avait

17 demandé des mesures de protection mais, maintenant, il vient de changer

18 son niveau et il a décidé de ne demander des mesures de protection.

19 M. le Président: Est-ce que ce témoin faisait partie des personnes

20 incluses dans notre ordonnance? Vous m'avez répondu oui.

21 Pouvez vous me donnez son identité, s'il vous plaît, Monsieur le

22 Procureur?

23 M. Williamson (interprétation): Monsieur le Président, c'est Zarko Kojic,

24 le témoin qui a été déjà identifié par son nom dans notre ordonnance.

25 M. le Président: Je vais me concerter avec mes collègues pendant quelques

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1 minutes; ne quittez pas.

2 Madame la Greffière, le Tribunal a décidé de modifier l'ordonnance qu'il

3 avait prise précédemment sur la protection de M. Kojic. Est-ce que vous

4 voudrez bien dans les minutes de la présente audience préparer cette

5 modification que vous soumettrez au greffier? Merci.

6 Monsieur le Procureur, pouvez-vous faire introduire le témoin, M. Kojic?

7 (Le témoin, M. Kojic, est introduit dans le prétoire.)

8 Je profite de ce court moment pour indiquer que le Tribunal fera une pause

9 à 10 heures 15, en fonction aussi bien entendu de la déposition du témoin

10 que nous ne couperons pas s'il est prêt d'avoir terminé. En principe, ce

11 sera 10 heures 15. Merci.

12 Monsieur Kojic, d'abord, m'entendez-vous dans votre langue? Vous

13 m'entendez dans votre langue avec une traduction?

14 M. Kojic (interprétation): Oui.

15 M. le Président: On vous a présenté une déclaration... (Hors micro.)

16 M. Kojic (interprétation): Je m'appelle Zarko Kojic. Je déclare

17 solennellement que dirai la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

18 M. le Président: Asseyez vous.

19 Alors, Monsieur Kojic, vous êtes devant le Tribunal pénal international.

20 Vous devez vous exprimer conformément au serment que vous venez de

21 prononcer. Le Tribunal vous demande de surcroît et vous indique que vous

22 devez déposer en toute quiétude et en toute sérénité. Vous êtes devant un

23 Tribunal international.

24 Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

25 (Interrogatoire principal du témoin, M. Zarko Kojic, par M. Williamson.)

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1 M. Williamson (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Monsieur

2 Kojic, d'où venez-vous?

3 M. Kojic (interprétation): De Vukovar. Je suis né à Vukovar.

4 Question: Avez-vous vécu à Vukovar toute votre vie?

5 Réponse: C'est cela, tout à fait.

6 Question: Quelle est votre nationalité?

7 Réponse: Je suis croate.

8 Question: Où était votre maison en 1991?

9 Réponse: A Kersovanija à Vukovar, la rue Kersovanija.

10 Question: Quelle était votre profession à cette époque? Avez vous

11 travaillé?

12 Réponse: Oui, c'est-à-dire que je venais de passer mon baccalauréat dans

13 une école secondaire.

14 Question: Etes-vous au courant d'un incident qui s'est passé à Borovo

15 Selo, le 2 mai 1991?

16 Réponse: Oui, je sais qu'on a tué…, qu'on a tué des policiers croates.

17 Question: Et quelle était l'atmosphère en conséquence?

18 Réponse: C'était très tendu. Je crois que, pendant une semaine, nous

19 n'étions pas à l'école. Nous n'avions pas de classe. Si je me rappelle

20 bien, il y avait des entrées et des sorties: la ville était bloquée,

21 c'était pas impossible de sortir de la ville.

22 Question: Lorsqu'il y a eu ces tensions qui ont dégénéré dans les conflits

23 dans la région, est-ce que ça s'est dégénéré?

24 Réponse: A l'époque, non, pas encore. De quelle période parlez-vous?

25 Question: Un peu plus tard, il y a eu l'ouverture des conflits?

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1 Réponse: Je ne vois pas ce que vous sous-entendez sous ce terme.

2 Question: Donc après l'incident de Borovo Selo, en mai, vous avez dit

3 qu'il y avait eu des tensions dans la région?

4 Réponse: C'est cela.

5 Question: Et après, en été, il y a eu des conflits armés entre les Croates

6 et la JNA. C'est bien ça?

7 Réponse: Oui, à Borovo Selo, il y a eu des incidents en juillet. Mais en

8 juillet, je n'étais pas là mais j'ai vu des programmes à la télévision.

9 Après juillet, il y a eu des attaques, des bombardements, le 24 août.

10 Question: Est-ce que vous avez rejoint les rangs de la défense de la

11 ville?

12 Réponse: Pas encore. C'est le 18 août que j'étais de retour des vacances.

13 J'étais à Bjelovar chez ma famille; le 18 août, j'étais de retour et, à

14 cette époque-là, il y avait encore la paix mais il y a eu déjà des obus,

15 on a entendu des tirs. Mais à Vukovar, on a juste entendu les tirs de

16 l'infanterie.

17 A partir du 24, il y a eu des bombardements; des obus sont tombés dans

18 toute la région et j'étais dans ma maison, dans la cave, jusqu'au 15

19 septembre. C'est à cette époque-là que les Chetniks se sont établis à 150

20 mètres de la maison et que j'ai rejoint un genre de service logistique

21 auprès des défenseurs. C'était un groupe de logistique, chargé de la

22 logistique.

23 Question: Vous avez dit que les Chetniks se sont installés à 100 ou 150

24 mètres de votre maison; est-ce que vous pouvez préciser ce terme "les

25 Chetniks"?

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1 Réponse: A l'époque, j'ignorais qu'il s'agissait des Chetniks. Je peux les

2 définir à partir du jour de la reddition de la ville. C'étaient des

3 personnes habillées à moitié dans des habits militaires, à moitié dans des

4 habits civils, parfois ils avaient des uniformes, des tenues de camouflage

5 ou des uniformes de l'armée JNA. Ils n'étaient pas bien rasés, ils avaient

6 des cheveux longs et il y avait une différence claire, très apparente

7 entre eux et les soldats réguliers.

8 Question: Vous avez dit que, lorsque vous avez rejoint les rangs de la

9 défense, vous avez travaillé en logistique.

10 Réponse: C'est cela.

11 Question: Où était votre unité, quel était le siège de votre unité?

12 Réponse: A Olajnica. Olajnica était la base; c'est là que nous avons réuni

13 les vivres, l'eau, les blessés: le traitement des blessés se faisait là et

14 toute autre activité.

15 Question: Etes-vous resté sur le même lieu, à la même base pendant tout ce

16 temps?

17 Réponse: C'est ça: du 15 septembre jusqu'au 18 novembre, j'y étais, dans

18 cet abri antinucléaire, à Olajnica. C'est là que nous avons dormi et

19 travaillé.

20 Question: Le 18 novembre, où est-ce que vous étiez?

21 Réponse: Le 18, j'ai encore dormi là-bas; le 19, dans la matinée, il y a

22 eu un groupe de civils: il y avait une femme qui est venue, qui portait un

23 drapeau blanc. Ils nous ont renseigné sur le fait qu'il y avait l'armée

24 serbe qui venait, qui occupait. Celui qui voulait partir pour la Croatie

25 devait aller à l'hôpital. C'est à ce moment-là que j'ai décidé d'aller à

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1 l'hôpital. Il y avait aussi un groupe de civils, un grand groupe qui s'y

2 rendait.

3 Question: Quelle était la situation quand vous êtes arrivé à l'hôpital?

4 Réponse: Il y a eu beaucoup de civils, de blessés, de femmes, d'enfants.

5 L'hôpital était surchargé, complet de personnes. Le 19, l'armée était déjà

6 à l'hôpital; ils nous ont dit que les gens devaient se rendre à

7 Velepromet. Tout le monde s'y: les femmes, les hommes, les enfants. Moi,

8 j'étais en train de me demander si je devais partir moi aussi, mais ma

9 mère était blessée; alors, je voulais rester mais… On m'a donc permis de

10 rester auprès de ma mère et que je pouvais l'accompagner dans le convoi de

11 blessés.

12 Question: A ce moment, est-ce que qu'il y a eu encore des attaques ou des

13 tirs d'artillerie?

14 Réponse: C'est ça.

15 Question: Et pendant la bataille, est-ce que vous avez porté un uniforme?

16 Réponse: J'ai eu juste les bottes qui ne faisaient pas partie de

17 l'uniforme, mais c'étaient des bottes de qualité qui me permettaient de

18 marcher; c'était la seule chose qui me restait de l'uniforme même. Le

19 béret était genre béret de camouflage, mais ce n'était pas vraiment un

20 béret croate, je dirai. C'était un béret que j'avais acheté au marché de

21 Zagreb.

22 Question: Pendant la bataille, est-ce que vous étiez armé?

23 Réponse: Oui.

24 Question: L'avez-vous été à l'hôpital?

25 Réponse: Non.

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1 Question: Avez-vous vu d'autres soldats qui portaient des armes?

2 Réponse: Non. Les soldats croates, non.

3 Question: Comment avez-vous passé la nuit entre le 19 et 20 novembre?

4 Réponse: J'étais dans la cave de l'hôpital, j'ai parlé longtemps à ma

5 mère, nous avons parlé de l'avenir: où aller, comment s'organiser. J'ai

6 parlé à d'autres blessés, à des civils. J'ai dormi sur une chaise; je n'ai

7 pu fermer les yeux du tout.

8 Question: Le matin du 20 novembre, qu'est-ce qui s'est passé exactement?

9 Réponse: Lorsque je me suis réveillé, il y a eu certains officiers de

10 l'armée, de la JNA, avec une liste; ils ont lu les noms de cette liste. Je

11 ne peux pas vraiment dire combien il y en avait, peut-être sept ou huit.

12 C'étaient des blessés, des civils, une liste mixte. Plus tard, ces

13 officiers ont dit que tous les hommes de 16 à 60 ans et que tous les

14 blessés qui peuvent encore marcher doivent partir de l'hôpital; parmi ceux

15 qui pouvaient se déplacer, il y en avait même avec des béquilles et même

16 certains qui avaient des blessures graves, par exemple, de l'estomac ou

17 d'autres parties, mais ils devaient partir, quitter l'hôpital.

18 Question: Vous aussi, vous avez quitté l'hôpital à moment-là?

19 Réponse: C'est ça. Je suis sorti de l'hôpital mais j'étais toujours à

20 l'intérieur de l'enceinte de l'hôpital.

21 Question: Quel est votre âge? Quel était votre âge?

22 Réponse: J'avais 18 ans et demi.

23 Question: Qu'est-ce qui s'est passé après le départ de l'hôpital?

24 Réponse: On nous a alignés; il y avait deux lignes, il y avait beaucoup de

25 Chetniks, de soldats de l'armée de la JNA. On nous a fouillés. C'est le

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1 major Sljivancanin qui était responsable de toute l'opération; je l'ai

2 reconnu. Il a donné des ordres.

3 A gauche de lui, il y a eu le capitaine Radic, à qui il s'adressait par le

4 nom; il disait par exemple: "Capitaine Radic, fouillez les gens". Et à ce

5 moment-là, Radic a agi, a fouillé cette personne ou il a donné des sous-

6 ordres à ses inférieurs.

7 Question: C'étaient donc des soldats de l'armée, des soldats réguliers?

8 Réponse: C'est ça. Les soldats de l'armée nous ont fouillés mais les

9 Chetniks étaient tout le temps présents et autour. Après, on nous a pris

10 toutes les pièces, par exemple, les briquets et tout ce que nous portions

11 et on nous a emmenés vers les bus. On nous a fait monter dans ces buses;

12 ces bus étaient dans la rue de Gunduliceva. Les buses sont partis vers la

13 caserne militaire.

14 Question: Une fois montés dans les bus, étiez-vous gardés?

15 Réponse: En effet, il y avait un soldat avec un kalachnikov et le

16 chauffeur.

17 Question: Et les gardiens des bus, c'étaient des soldats de l'armée, des

18 soldats réguliers?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Où se sont rendus les bus?

21 Réponse: A travers la Gunduliceva, la rue Bozidara Adzije, à travers le

22 pont; après, à droite, dans la rue de Josip Kras, nous avons traversé

23 toute la rue jusqu'au croisement avec la rue de Prica. Au carrefour, il y

24 a eu une autre rue, Ognjen Prica et nous avons emprunté cette rue jusqu'à

25 la caserne de Vukovar.

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1 Question: Est-ce qu'il y a eu des événements dans cette période-là dans

2 les bus, en route?

3 Réponse: Oui, nous étions assis dans les bus. Les bus ont été garés et

4 c'est dans la caserne que les Chetniks sont entrés, ont traversé les bus.

5 Ils ne nous ont pas infligé des sévices mais ils nous ont menacés; par

6 exemple, quelqu'un est venu et il a dit: "N'ayez pas peur, je ne fais que

7 couper les oreilles et les langues". Un autre est venu et a dit: "Pourquoi

8 avez-vous fait tout ça? C'est de votre faute". C'est comme ça qu'on nous a

9 provoqués. Ils étaient autour du bus; par exemple, ils ont mis des

10 couteaux dans la bouche, ils ont pris des photographies en disant: "Voilà,

11 j'ai capturé moi-même tout un bus d'Oustachis.". Ils ont pris des outils;

12 je suppose que c'étaient des outils contre les incendies et ils ont pris

13 des manches, des bâtons, des manches en acier et ils se préparaient

14 simplement pour nous passer à tabac.

15 M. le Président: Est-ce que la cabine peut nous brancher: vous n'avez plus

16 de traduction.

17 M. Kojic (interprétation): Je change de micro. M'entendez-vous?

18 M. le Président: Vous m'entendez, Monsieur le Procureur, vous m'entendez?

19 M. Kojic (interprétation): Pas de traduction.

20 M. le Président: Où en est-on, Monsieur le Greffier?

21 M. Kojic (interprétation): Est-ce que je peux continuer?

22 Donc le capitaine Radic est arrivé, il a fait l'appel de cinq ou six noms

23 de personnes qui se trouvaient dans l'autocar et on les a fait sortir pour

24 les emmener dans un autre autocar. Ce qu'il leur est arrivé par la suite,

25 eh bien, je l'ignore. J'ai entendu dire qu'on les avait remmenés à

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1 l'hôpital et qu'ils étaient aujourd'hui libres.

2 Nous avons passé quelque trois heures, ou peut-être davantage, dans la

3 caserne. Il ne nous est rien arrivé pendant cette période, on ne nous a

4 pas battus mais, effectivement, les Chetniks sont venus dans l'autocar

5 mais les gardes de l'autocar ne leur ont pas permis d'intervenir. Donc ils

6 se sont contentés de nous menacer, de nous menacer de blessures et ils

7 ont, bien sûr, continué à nous insulter.

8 M. Williamson (interprétation): J'aimerais maintenant vous projeter une

9 petite vidéo qui a été indiquée comme la pièce n°3à verser au dossier.

10 Réponse: Je ne vois pas l'écran en raison de l'éclairage. La lumière tombe

11 directement et donne une réflexion sur mon écran: je ne vois pas l'écran.

12 Ça va mieux maintenant.

13 Question: Est-ce que vous reconnaissez la personne que l'on voit sur

14 l'écran?

15 Réponse: Oui, la personne qui est derrière le casque, dont on voit à

16 nouveau le visage maintenant, s'appelle… C'est le capitaine Radic. Mais il

17 était habillé différemment quand il est venu à l'hôpital: il avait un

18 béret et il avait également un blouson de cuir.

19 Question: C'est celui qui a fouillé les hommes devant l'hôpital, n'est-ce

20 pas?

21 Réponse: Oui, oui. C'est la même personne.

22 Question: Et c'est celui qui a également pris les noms des personnes à la

23 caserne?

24 Réponse: Oui, effectivement.

25 Question: Merci. Nous pouvons arrêter la vidéo.

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1 Vous avez dit que les autocars sont restés à la caserne pendant deux ou

2 trois heures; c'est ce que vous avez dit, n'est-ce pas?

3 Réponse: Trois, peut-être même plus. Trois heures au moins.

4 Question: Lorsque les autocars sont partis, où vous êtes-vous rendus?

5 Réponse: Eh bien, nous avons quitté la caserne le long de la rue Sajmiste,

6 vers Negoslavci, et nous avons tourné à gauche sur une route bitumée mais

7 qui traversait les champs. Donc nous avons emprunté cette route, nous

8 avons traversé les champs et nous sommes arrivés. Nous sommes arrivés à un

9 embranchement: à gauche, il y avait les bâtiments, des fermes, d'anciens

10 bâtiments, mais nous nous avons pris à droite. Ensuite, après 50 mètres,

11 nous nous sommes arrêtés devant un hangar. Mon autocar ne s'était pas

12 arrêté directement puisqu'il y en avait d'autres devant qui s'étaient

13 arrêtés au portail du hangar.

14 Question: Est-ce que vous connaissez le nom de cet endroit?

15 Réponse: Oui, oui. Il s'agissait d'Ovcara puisque c'était une ferme

16 collective avant.

17 Question: Avant la guerre?

18 Réponse: Oui, il s'agissait de la route sur laquelle j'ai passé mon permis

19 de conduire. Mais auparavant, en tant qu'enfant, pour des excursions à

20 l'école, c'est là où nous venions et, parfois, j'empruntais cette route à

21 bicyclette. Donc je savais que c'était Ovcara.

22 Question: Vous avez dit qu'il y avait d'autres autocars devant vous et que

23 cet autocar ne s'est pas arrêté devant le hangar directement, n'est-ce

24 pas?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: Est-ce que vous savez ce qui se passait quant aux passagers de

2 l'autocar devant vous?

3 Réponse: Non, je ne voyais pas ce qui se passait jusqu'à ce que je me sois

4 rapproché, jusqu'à ce que mon autocar s'arrête devant le portail du

5 hangar. J'étais, moi, au fond de l'autocar.

6 Question: Lorsque l'autocar s'est arrêté devant le hangar, qu'est-ce que

7 vous avez vu alors?

8 Réponse: J'ai vu par la vitre que l'on était en train de frapper les gens,

9 qu'on leur enlevait leur casquette, leur veste, qu'ils étaient en train de

10 passer entre une haie de soldats qui les frappaient. J'ai vu nombre de

11 Chetniks; donc tout le monde devait passer entre cette rangée, cette haie.

12 Question: Et vous les avez vus en train d'être battues comment?

13 Réponse: Eh bien, deux ou trois d'entre eux avaient des manches, des

14 cognées, des cognées ou des haches, par exemple, mais les autres tout

15 simplement les bourraient de coups de poing et de coups de pied.

16 Question: Lorsque vous êtes arrivé devant le hangar et que vous avez vu ce

17 qui se passait, qu'est-ce que vous avez pensé qu'il vous arriverait à

18 vous?

19 Réponse: Eh bien, pendant que j'étais dans l'autocar, j'ai vraiment pensé

20 que j'allais mourir. La situation semblait désespérée.

21 Question: Lorsque vous avez quitté l'autocar, qu'est-ce qui vous est

22 arrivé effectivement?

23 Réponse: Lorsque je suis descendu de l'autocar, ils ont commencé à me

24 frapper et j'ai dû traverser la haie, j'ai dû enlever ma veste, leur

25 donner tous mes documents; ils ont jeté les documents sur une pile qui se

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1 trouvait déjà devant le hangar. Ils m'ont enlevé mon argent, ils m'ont

2 frappé, ils m'ont battu. Et je suis resté en sweat-shirt et j'ai donc

3 couru jusqu'au hangar. Et ils ont continué à me frapper de cognées, de

4 matraques, de knouts, de chaînes.

5 Il y avait également un knout avec lequel ils m'ont frappé; lorsque la

6 personne suivante est arrivée, on m'a écarté à gauche du hangar: il y

7 avait de la paille au sol. Il nous a fallu tout d'abord nous tenir debout

8 et, ensuite, on nous a permis de nous asseoir.

9 Question: Est-ce que vous connaissiez l'identité de ceux qui étaient avec

10 vous dans l'autocar?

11 Réponse: Eh bien, j'en connaissais un certain nombre d'entre eux, que je

12 connaissais parce que je les avais vus, mais je ne connaissais pas leurs

13 noms.

14 Question: Est-ce que vous avez vu quelqu'un qui a été isolé, isolé à

15 l'intérieur du hangar, aux fins de traitements plus durs?

16 Réponse: Lorsque nous sommes entrés et lorsque nous nous sommes tenus sur

17 la paille, les Chetniks sont venus nous demander Kemal Saiti; il

18 s'appelait Kemal: c'était son surnom. Il a dit: oui, effectivement, il

19 était albanais; puisque c'était la question. Ensuite, trois ou quatre

20 Chetniks ont commencé à le frapper, à le rouer de coups, plus

21 particulièrement violemment; il y avait une personne qui l'a frappé plus

22 particulièrement et qui lui est passé sur le corps alors qu'il était tombé

23 au sol; il est revenu à lui et la personne en question a continué à le

24 frapper de coups de matraque et à lui sauter sur le corps. Il a commencé à

25 saigner de la bouche, des poumons et des oreilles. C'est ainsi qu'il est

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1 mort.

2 Et je suis absolument sûr que c'est comme ça qu'il est mort.

3 Question: Quelqu'un d'autre a-t-il été tué ou gravement blessé à la suite

4 de ce passage à tabac?

5 Réponse: Une autre personne qui a été frappée de façon très grave était

6 Damjan. C'était un homme grand et ils l'ont frappé jusqu'à ce qu'il tombe

7 au sol, qu'il perde conscience. Mais je n'ai pas vu très bien parce que

8 j'avais cassé mes lunettes en arrivant; donc je ne voyais pas bien. Mais

9 Kemal a été roué de coups devant moi.

10 Mais M. Kovacic a été également frappé; je crois qu'on l'appelait Kole,

11 que c'était son surnom. Il avait été blessé aux poumons, il avait un

12 shrapnel, un éclat de grenade dans les poumons. On lui a demandé s'il

13 avait fait partie de la garde nationale croate et "pourquoi vous avez fait

14 ceci et ça?" Et on a commencé à le rouer de coups: deux gardes et tout

15 particulièrement quelqu'un qui le connaissait. Et Damjan a commencé à

16 cracher du sang après avoir été frappé, il a également saigné de la bouche

17 et je crois, je présume que sa blessure qu'il avait au poumon s'est

18 réouverte.

19 Tomislav Papp, qui se trouvait à côté de lui, a demandé aux Chetniks de

20 lui donner des bandages, des pansements, car ils avaient effectivement une

21 trousse de premiers secours; il a demandé des bandages mais on ne lui a

22 rien donné. Donc il a couvert sa blessure. D'ailleurs il y a des documents

23 qui ont indiqué la nature de ses blessures; donc ce sont ses documents

24 médicaux, son dossier médical qu'ils lui ont posé sur la poitrine pour

25 arrêter l'hémorragie.

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1 Question: Vous avez dit que la plupart de ces passages à tabac étaient le

2 fait de Chetniks, de ceux que vous appelez des Chetniks; est-ce que qu'il

3 y avait des soldats de la JNA qui participaient également à ces passages à

4 tabac?

5 Réponse: Lorsqu'on traversait là haie et qu'ils nous frappaient, il y

6 avait des soldats de la JNA dans le hangar également. En fait, il y avait

7 toujours quelqu'un qui vous frappait mais les principaux passages à tabac

8 venaient effectivement des Chetniks. Il y avait un officier, un officier

9 de la JNA qui se trouvait au milieu de la salle qui disait: "Ne les

10 frappez pas", mais bien évidemment, on ne lui obéissait pas. En fait, il

11 ne faisait rien non plus pour se faire obéir. Je crois que c'était

12 réellement une tentative, une farce.

13 Question: Combien d'hommes, donc des Chetniks et des hommes de la JNA se

14 trouvaient à l'intérieur du hangar? Leur nombre?

15 Réponse: Eh bien, je dirais au total quarante; je présume quarante.

16 Question: Est-ce qu'ils vous ont dit pourquoi, pourquoi ils agissaient

17 ainsi?

18 Réponse: Non.

19 Question: Combien de temps ont continué ces mauvais traitements?

20 Réponse: Eh bien, il y avait toujours quelqu'un en train d'être frappé, il

21 y avait toujours quelqu'un qui était roué de coups. Tout d'abord, on était

22 battu quand on arrivait dans le hangar; ensuite, on a choisi Kemal, Damjan

23 à l'intérieur du hangar; on frappait les autres.

24 Lorsque la situation s'est légèrement calmée, Sasha Guja est venu me voir.

25 Et c'est comme ça que je sais que ce n'est pas son nom, son nom de famille

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1 mais, sans doute, son beau-père s'appelait Guja ou c'était peut-être son

2 surnom. Il avait environ mon âge, nous avions été amis, nous sortions le

3 soir ensemble; il était en uniforme de la JNA mais il n'était pas soldat.

4 Il m'a dit qu'il était membre des forces territoriales et c'était

5 d'ailleurs le nom que l'on donnait aux Chetniks locaux.

6 Bref il m'a demandé: "Qu'est-ce que tu fais, pourquoi tu es là?". Bien

7 sûr, j'ai haussé les épaules, je ne pouvais pas répondre. Il m'a demandé:

8 "Est-ce que tu as participé aux tirs?" J'ai répondu: "Non". "Est-ce que tu

9 as des armes?", m'a-t-il dit. J'ai répondu: "Non". "Est-ce que tu as porté

10 l'uniforme?", m'a-t-il demandé. J'ai répondu: "Non." "Est-ce que tu as été

11 mobilisé?" "Non". Donc toutes mes réponses étaient négatives.

12 Donc Tomislav Papp, qui était à deux ou trois mètres de moi, a dit: "Non,

13 non, il était dans un abri". Et il a donc confirmé mes dires. Et il m'a

14 pris de côté, il m'a mis le long du mur, à gauche, dans le hangar, à

15 l'intérieur du hangar; il m'a mis à gauche près de la porte donc. Sindilj

16 était également là, puisque qu'on l'avait également amené à cet endroit

17 pour tenter de nous sauver la vie. Donc un soldat qui nous gardait et qui

18 avait une arme, il était à deux ou trois pas de nous; donc il nous

19 gardait.

20 Question: Et à quel moment vous a-t-on emmené, vous a-t-on fait sortir du

21 hangar?

22 Réponse: Oui, effectivement. Je suis resté quelques instants là et on m'a

23 fait sortir, alors que Vjekoslav est resté. Donc ils m'ont fait sortir et

24 Igor Kacic se trouvait à l'extérieur, et Samo Poti qui est arrivé plus

25 tard. Les Chetniks sont arrivés et ont dit: "Qui sont-ils?" "Eh bien, leur

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1 a-t-on répondu, ils sont des nôtres". Les Chetniks ont dit que nous étions

2 des leurs et on a tenté de nous faire rentrer de nouveau dans le hangar.

3 Guja est arrivé et d'autres et ont dit: "Laissez-les tranquilles". Donc on

4 nous a laissés là, sur place; nous étions au nombre de neuf devant le

5 hangar.

6 La nuit tombait; il était déjà 17 heures parce qu'en novembre, la nuit

7 tombe rapidement. Nous étions donc au nombre de neuf. Ensuite -attendez,

8 je réfléchis-, un homme est venu: c'était celui qui avait frappé Kovacic.

9 Il a demandé à Igor Kacic de venir. Il avait 16 ans. On lui a dit que nous

10 étions le groupe qui serait emmené mais il est revenu, il est retourné au

11 hangar. D'ailleurs, nous avons tous dû retourner au hangar où une liste

12 était faite de nos noms, une copie tout du moins. Un exemplaire a été

13 remis à un officier de l'armée, qui était, je crois, un agent de sécurité,

14 puisqu'il me semble qu'on l'appelait l'officier de la sécurité de l'Etat.

15 Donc une copie de la liste lui a été remise et l'autre exemplaire était

16 entre les mains de la personne qui nous escortait.

17 Kacic est revenu parmi nous et, alors que nous quittions le hangar, j'ai

18 vu ce Glavesevic qui était entouré de Chetniks et d'officiers. Il a dit:

19 "Vous êtes le journaliste de l'Ustacha, qui a écrit des articles sur

20 nous". C'est à ce moment-là qu'on l'a roué de coups.

21 Nous avons quitté le hangar avec Kacic, qui est revenu parmi nous. Nous

22 sommes allés à l'estafette qui était supposée nous remmener à Vukovar.

23 Alors que nous nous y rendions, Ivan Ajasovic nous a rejoints, puis

24 Miroljub est venu: il s'agissait d'un commandant de la Défense

25 territoriale. Je ne me souviens plus de son surnom, je crois qu'il

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1 s'appelait Vujasinovic, je n'en suis pas sûr. Donc il a pris Nejasmic de

2 nouveau en disant: "Voilà, c'est le secrétaire de la HDZ. Pourquoi est-il

3 parmi vous?" Ajasovic a donc été ramené au hangar et sept d'entre nous

4 sont montés dans l'autocar.

5 Question: J'aimerais revenir un petit peu sur ces événements. Vous avez

6 indiqué que Sinisa Glavasevic était roué de coups près de la porte?

7 Réponse: Oui, c'est ce que j'ai dit.

8 Question: Qu'est-ce qu'il avait fait? Quelles étaient ses fonctions

9 pendant les combats?

10 Réponse: Avant la guerre et pendant la guerre, il avait été journaliste;

11 il travaillait à la radio de Vukovar. Il s'agissait d'une radio croate à

12 Vukovar. Il relatait les événements de Vukovar, avant la guerre et pendant

13 la guerre.

14 Question: Lorsque vous êtes retourné à l'intérieur pour avoir votre nom

15 sur la liste, est-ce que vous l'avez vu? Est-ce que vous avez vu d'autres

16 personnes rouées de coups à ce moment-là?

17 Réponse: J'ai vu effectivement d'autres personnes se faire rouer de coups,

18 tout particulièrement Zvonimir Ivan, qui avait dit d'ailleurs qu'il

19 n'avait rien fait, qu'il était âgé; ils lui ont répondu: "Nous vous

20 connaissons: votre fils a été le commandant d'une section de défense

21 municipale". Ils l'ont donc frappé et ont frappé d'autres personnes, mais

22 je ne voyais pas bien parce que qu'il faisait sombre; encore une fois, je

23 n'avais pas mes lunettes et je ne pouvais pas vraiment pas bien voir.

24 Question: Lorsqu'on vous a fait monter dans l'estafette avec les autres

25 qui avaient été sauvés, où vous a-t-on emmenés?

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1 Réponse: Tout d'abord, on nous a emmenés à Velepromet et, ensuite, on nous

2 a fait sortir de l'estafette. Mais on leur a dit qu'il n'y avait pas

3 suffisamment de place pour nous. Il y avait un Chetnik, Ljubin Milikovic

4 qui a dit qu'il n'y avait pas suffisamment de place pour nous. Donc nous

5 avons repris l'estafette et on nous a emmenés à Modateks, qui est une

6 usine textile. Plusieurs femmes s'y trouvaient, du centre ville; elles

7 étaient restées au centre ville pendant la guerre. On nous a mis sur une

8 table en marbre qui, en fait, servait dans l'usine pour étirer les tissus.

9 On nous a donc mis sur cette table pour y dormir. Personne ne nous a rien

10 fait ce soir-là. En fait, nous nous sommes reposés sur du capiton.

11 Question: Combien de temps êtes-vous restés?

12 Réponse: Nous y avons passé la nuit et, le matin, un officier de la JNA

13 est arrivé, un Macédonien; il portait une veste et un béret. Il est venu

14 nous interroger; il nous a demandé nos noms, notre nationalité, nos

15 professions. Encore une fois, ils ont commencé à insulter les gens.

16 Sladana Korda était également là, en uniforme. Elle est née en 1973 et a

17 donc environ mon âge, mais elle était extrêmement arrogante; elle se

18 trouvait donc là. Lorsque le Macédonien, cet officier m'a demandé si je la

19 connaissais, j'ai dit: "Bien sûr, je la connais. Je la connais du Café des

20 Trois Roses". C'était le café où la plupart des jeunes Serbes se

21 rendaient. Mais je connaissais tous les cafés et je l'y voyais dans ce

22 café-là. "Bon, puisque vous l'avez vue dans ce café, m'a-t-on dit, c'est

23 une bonne chose vous vous".

24 Question: Est-ce qu'on vous a relâché de Modateks?

25 Réponse: Oui. Miroslav Slavic est arrivé pour m'emmener et il m'a amené à

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1 la rue Markovica où je me suis retrouvé avec des personnes âgées, qui

2 étaient les parents de Chetniks, d'autres de la garde nationale,

3 principalement des personnes du troisième âge et moi-même. Il s'agissait

4 d'un bâtiment qui avait été réquisitionné par les Chetniks. Mirko Stajic

5 avait donc annexé ce bâtiment en déclarant que c'était son domicile.

6 Question: Combien de temps êtes-vous resté à Vukovar, après votre

7 libération?

8 Réponse: Je suis resté jusqu'au 14 décembre, mais je n'ai pas été libéré.

9 Je suis resté dans ce bâtiment; les Chetniks y venaient tous les jours et

10 ils procédaient à des interrogatoires: "Qui était dans la garde nationale,

11 qui était dans les organisations croates de la garde nationale, par

12 exemple?" Donc je leur ai parlé de ceux qui étaient morts et je leur ai

13 donné le nom de ceux qui étaient morts. Pour le reste, je leur ai dit que

14 je ne savais pas.

15 Je leur ai également dit que j'avais une hernie, que j'avais été

16 emprisonné et qu'il conviendrait qu'ils me laissent partir pour que

17 j'aille voir ma marraine à Belgrade pour être soigné. La mère de mon père,

18 ma grand-mère, était en uniforme serbe; elle était loyale aux Serbes et

19 grâce à ses relations, elle a obtenu un document pour m'obtenir un

20 laissez-passer pour sortir de Vukovar. Donc, le 14 décembre, j'ai quitté

21 Vukovar pour aller à Sid, pour y vivre avec son frère, et ma marraine de

22 Belgrade est venu me chercher. Je suis resté à Belgrade et, ensuite, par

23 la Bosnie, je suis allé en Croatie.

24 Question: Pendant la période où vous êtes resté à Vukovar, où êtes-vous

25 descendu?

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1 Réponse: Rue Markovic 127, Svetozar Markovic. Je ne sais pas à qui

2 appartenait cet endroit avant la guerre, mais Miroslav Savic avait occupé

3 cette maison pendant la guerre.

4 Question: Et votre grand-mère y avait également descendue?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Pendant cette période, vous avez pu vous mouvoir librement dans

7 Vukovar?

8 Réponse: Non. Je n'ai pas pu.

9 Question: Pendant la période où vous êtes resté, est-ce que vous avez vu

10 des Serbes qui avaient été à Ovcara avec vous?

11 Réponse: Miroslav Savic se trouvait à Ovcara et Goran Mugosa y venait

12 également; lui aussi avait été à Ovcara.

13 Question: J'aimerais maintenant projeter une autre partie de la vidéo,

14 pièce 23 à verser au dossier. Pourrait-on baisser les rhéostats?

15 (Diffusion de la vidéo.)

16 Est-ce qu'on pourrait faire un retour vers l'arrière?

17 Est-ce que vous reconnaissez qui que ce soit sur cette image?

18 Réponse: Oui. Oui, est-ce que vous pourriez faire un arrêt sur l'image?

19 La personne…, le barbu se trouvait à Ovcara. C'est celui qui a frappé

20 Kemal; il a dit qu'il venait du Monténégro, "qu'il était venu au

21 Monténégro pour voir la culture", a-t-il dit.

22 C'est comme ça que j'en ai conclu qu'il était du Monténégro, il était à

23 Ovcara; c'était l'un des plus brutaux.

24 Question: Est-ce que vous avez la possibilité, pendant cette période où

25 vous êtes restés à Vukovar, de parler avec ces Serbes quant à ce qui

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1 s'était passé à Ovcara?

2 Réponse: J'ai eu la possibilité uniquement de parler avec Miroslav Savic,

3 parce que je lui ai dit, par exemple: "Qu'est-ce qui est arrivé aux

4 autres?", lui ai-je demandé; et il m'a dit: "Ils sont tous en terre" ou

5 "Ils mangent de l'herbe par la racine". C'est-à-dire qu'en fait, ils

6 étaient déjà enterrés.

7 J'ai également parlé de Goran Mugosa. J'ai dit qu'il avait pris mes

8 documents, qu'il m'avait pris mon argent, qu'il m'avait frappé et il a

9 dit: "Non, non, c'était juste une blague! En fait, tu as de la chance

10 d'être vivant !"

11 Question: Et tous ceux qui ont quitté Ovcara dans l'estafette avec vous,

12 en novembre, est-ce que vous les avez revus? Est-ce que vous en avez revu,

13 à part ceux-là?

14 Interprète: Nous avons de nouveau perdu l'interprétation. L'interprète en

15 cabine française n'a absolument rien touché.

16 M. le Président: Vous n'avez touché à rien. Monsieur le greffier?

17 Oui. Bon, écoutez, je propose peut-être de prendre une suspension de dix

18 minutes ou d'un quart d'heure pour que la technique audiovisuelle se

19 remette au point: nous avons trop de problèmes.

20 L'audience est suspendue.

21 (L'audience, suspendue à 10 heures, est reprise à 10 heures 15.)

22 M. le Président: Alors est-ce que la technique est au point, Monsieur le

23 Greffier? Je me tourne vers les différentes cabines. Monsieur le

24 Procureur, m'entendez vous?

25 M. Williamson (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

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1 M. le Président: Le Greffe m'entend-il? Mes collègues m'entendent? Dans

2 les cabines, est-ce que tout va bien?

3 Les interprètes: Oui, oui. Oui, pour l'instant.

4 M. le Président: Je sais que c'est difficile. Nous essayons tous d'y

5 mettre la meilleure volonté possible, mais les instruments les plus

6 sophistiqués ont leurs défaillances.

7 Monsieur Kojic, vous vous asseyez. Alors êtes-vous sur le bon canal? Est-

8 ce que vous m'entendez, Monsieur Kojic?

9 M. Kojic (interprétation): Oui, oui. Oui, tout va bien.

10 M. le Président: Vous êtes un peu reposé? Vous vous êtes détendu un petit

11 peu pendant cette pause?

12 M. Kojic (interprétation): Oui, je me suis reposé là-haut.

13 M. le Président: Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

14 M. Williamson (interprétation): Monsieur le Président, j'avais simplement

15 encore une question à poser à M. Kojic.

16 Un homme a quitté Ovcara dans la camionnette avec vous, le 20 novembre

17 1991, mais à part lui, est-ce que vous avez revu l'un quelconque des

18 hommes qui ont été sortis de l'hôpital avec vous?

19 M. Kojic (interprétation): Oui, j'ai vu un homme qui habite près de

20 Bjelovar en Croatie, c'est un village en Croatie. Il était armé, il a fait

21 son service dans les chars, et en septembre il s'est sauvé pour venir de

22 notre côté. A ce moment-là, il était stationné aux environs de Mupa et ils

23 l'ont arrêté. Je raconte son histoire. Quand ils ont commencé à les

24 battre, il a dit: "Arrêtez de nous battre, nous sommes des soldats de la

25 JNA". Et avant de rentrer dans le hangar, ces quatre hommes ont ensuite

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1 été emmenés à Negoslavci. Plus tard, il a été jugé à Belgrade et il a

2 passé deux ans en prison à Valjevo. Aujourd'hui, il est là-bas chez lui à

3 son domicile. Lui, je le connais, je connais son nom et des trois autres

4 c'est lui qui connaît leurs noms. Son nom est Hajro Dode. Il est albanais

5 de nationalité.

6 Question: Parmi les hommes qui sont restés à l'intérieur du hangar après

7 que vous soyez sortis de la camionnette, est-ce qu'il y en a que vous avez

8 revus plus tard?

9 Réponse: Non.

10 M. Williamson (interprétation): Je n'ai pas d'autres questions, Monsieur

11 le Président.

12 M. le Président: Merci, Monsieur le Procureur. Madame le Juge, avez-vous

13 des questions?

14 Mme Odio-Benito (interprétation): Oui, merci.

15 (Questions de Mme le Juge Odio-Benito à M. Zarko Kojic.)

16 Monsieur Kojic, lorsqu'on vous a fait sortir de l'hôpital, est-ce que les

17 hommes qui se trouvaient avec vous dans l'autocar étaient des patients

18 soignés à l'hôpital ou est-ce qu'il s'agissait de soldats, à moins qu'ils

19 aient été des civils?

20 M. Kojic (interprétation): Il y avait des blessés, il y avait des membres

21 du personnel de l'hôpital et des civils, mais je n'ai remarqué aucun

22 soldat. Mais tous ces soldats avaient l'habitude de se déplacer en civil

23 et ne portaient pas leurs armes si les gens qui étaient avec moi dans

24 l'autocar étaient des soldats.

25 Question: Excusez-moi, est-ce qu'ils étaient tous Croates?

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1 Réponse: Je suppose qu'il y avait aussi des Hongrois, je suppose qu'il y

2 avait des Croates et aussi des Serbes.

3 Question: Et des Musulmans?

4 Réponse: Peut-être, c'est possible.

5 Question: Lorsque vous êtes allé à l'hôpital, votre mère était là, elle

6 était blessée n'est-ce pas? Où et à quel moment a-t-elle été blessée?

7 Réponse: Le 8 novembre, ils sont venus nous chercher de l'hôpital parce

8 qu'ils avaient besoin de sang pour les blessés. Nous avons pris place dans

9 une automobile, une petite voiture, je crois que vous l'appelez la Fiat

10 500. Damir Bosnjakovic, le chauffeur, moi-même et ma mère qui était assise

11 derrière, il y avait aussi Mme Subasic, une femme assez âgée dont je ne

12 connais pas le prénom, et puis une femme dont je connais le prénom, Delfa,

13 dont je ne connais pas le nom de famille. Nous avons donc pris place dans

14 la voiture et nous avons commencé à nous diriger vers la rue Kidriceva

15 dans la direction de l'hôpital et c'est à ce moment-là que des coups de

16 feu ont été tirés contre notre voiture au moment où nous approchions de la

17 rivière Vuka, la rue montait. De nous tous, ma mère a été la seule

18 blessée, elle a reçu un éclat dans le foie.

19 On l'a emmenée à l'hôpital, elle a été opérée mais le problème finalement

20 est demeuré en l'état parce qu'aucun d'entre nous n'a pu donner son sang.

21 Certains parmi nous en avaient déjà donné un mois avant et d'autres

22 étaient sous-alimentés et très épuisés, donc on n'a pas pu prendre leur

23 sang. Donc on est rentré de l'hôpital et Damir Bosnjakovic a été blessé

24 sur le trajet du retour. Ma mère était à ce moment-là déjà hospitalisée.

25 Question: Et qu'est-ce qui s'est passé avec votre mère après la prise de

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1 l'hôpital?

2 Réponse: Elle a été embarquée par Sremska Mitrovica avec les blessés et

3 elle a été emmenée à Bjelovar.

4 Question: Comment va-t-elle aujourd'hui?

5 Réponse: Elle va mieux. Son foie a récupéré, mais elle a eu plusieurs

6 opérations du côté droit. Il a même fallu rouvrir sans nécessité en fait

7 parce qu'il n'y avait pas de radio et donc pour réaliser une vérification

8 on a dû ouvrir. Alors, du côté droit, elle a quand même quelques

9 problèmes, elle tire un peu la jambe. Elle ne va pas vraiment mal, mais

10 elle ne va pas non plus terriblement bien.

11 Question: Lorsque vous vous trouviez à l'intérieur du hangar, est-ce que

12 l'on vous a donné de la nourriture, de l'eau, une aide quelconque?

13 Réponse: Non, que des coups.

14 Mme Odio-Benito (interprétation): Merci, je n'ai pas d'autres questions.

15 (Questions de M. le Juge Riad au témoin, M. Zarko Kojic.)

16 M. Riad (interprétation): Monsieur Zarko Kojic, pourriez-vous, je vous

17 prie, m'éclairer sur quelques points. Vous avez dit que le matin du 20

18 novembre quelqu'un a donné l'ordre que les hommes de 16 à 60 ans ainsi que

19 les blessés en état de marche quittent l'hôpital. Est-ce que vous pouvez

20 vous rappeler l'identité de la personne qui a donné cet ordre?

21 M. Kojic (interprétation): Un représentant de la JNA est arrivé, moi je ne

22 connais pas son rang parce que je n'ai pas fait partie de cette armée. Il

23 portait un sac sur le dos, il était petit, plutôt gros, un peu chauve, aux

24 alentours de 55 ans. Pour moi, il ressemble à cet homme qui, dans le

25 hangar, a demandé que l'on ne nous batte pas et qui s'est beaucoup agité à

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1 ce moment-là mais je ne peux pas l'affirmer avec certitude.

2 Question: Est-ce que vous avez revu plus tard l'une des personnes

3 quelconques qui a quitté l'hôpital à ce moment-là, ou est-ce qu'ils ont

4 complètement disparu?

5 Réponse: Non, plus tard je ne les ai pas revus.

6 Question: Vous n'avez jamais revu aucun d'entre eux depuis cette date?

7 Réponse: Non.

8 Question: Lorsque vous êtes arrivé à Negoslavci dans la ferme Ovcara, vous

9 avez dit qu'à Ovcara vous êtes entré dans le hangar et qu'avant il y avait

10 cette haie d'hommes qui vous frappaient au passage, n'est-ce pas?

11 Réponse: J'ai dit… Ce n'était pas à Negoslavci. J'ai simplement dit que

12 Negoslavci était sur la route. C'était la direction de Negoslavci.

13 Question: Bon, ça n'a pas d'importance. Le hangar se trouvait à Ovcara,

14 c'est bien cela?

15 Réponse: oui.

16 Question: Et à ce moment-là, vous êtes descendu de l'autocar et vous avez

17 dû passer à travers -comme vous l'avez dit- une haie d'hommes et vous avez

18 été frappé à coups de pied, à coups de barres de fer, à coups de haches et

19 à coups d'autres instruments.

20 Est-ce que Sljvancanin était dans les parages?

21 Réponse: Non, je ne l'ai pas remarqué. Il était peut-être là mais je ne

22 l'ai pas remarqué.

23 Question: Et à l'intérieur du hangar, au moment où vous avez été frappé,

24 est-ce que Radic et Sljvancanin étaient dans les parages?

25 Réponse: Non.

Page 252

1 Question: Vous avez dit que certaines personnes étaient distinguées -je

2 dirai- parmi la foule et que ces personnes ont subi un traitement encore

3 plus pénible. Vous avez mentionné les noms de Kemal et de Damjan; est-ce

4 que cela était dû au fait qu'ils appartenaient à un groupe différent? Vous

5 avez dit qu'ils étaient albanais, n'est-ce pas?

6 Réponse: Pour Kemal, je pense que c'était l'une des principales raisons et

7 peut-être même la seule. Pour Damjan, je suppose que c'est parce qu'il

8 était l'un des dirigeants de la garde.

9 Question: Donc vous pensez que ces gens, que certains ont été choisis de

10 cette façon uniquement parce qu'ils faisaient partie de la garde ou parce

11 qu'ils avaient eu un rôle particulier dans le cadre de la résistance? Est-

12 ce que vous pensez que cette hypothèse a quelque validité?

13 Réponse: Oui, mais ce n'était pas la seule raison. Il n'y avait aucune

14 raison, on ne pouvait pas comprendre les raisons si elles existaient.

15 S'ils voyaient quelqu'un de jeune, ils disaient: "C'est parce que vous

16 êtes jeune, parce que vous êtes un enfant". Ils inventaient des raisons.

17 Pour Damjan, ils savaient qu'il faisait partie de la garde; et pour Kemal,

18 Kemal lui-même avait dit qu'il était Albanais, donc c'est deux là ont

19 vraiment souffert terriblement. Sinisa, c'est parce qu'il était

20 journaliste à la radio croate. Damjan, parce qu'il était dans la garde.

21 Mais sans aucune raison en fait, il y a d'autres personnes qui se sont

22 fait battre, les raisons ont été inventées.

23 Question: Oui mais ceux qui ont été sauvés, ont été sauvés pour une raison

24 précise, y compris vous? Pour quelle raison ont-ils épargné certaines

25 personnes à votre avis? Parce que c'étaient des membres de leur famille ou

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1 moi, j'ai été épargné parce que j'étais gentil avec Guja, et ils auraient

2 aussi bien pu décider de me tuer pour cette même raison précisément?

3 Réponse: Vilijez Pasan, je ne sais pas. Il venait de Zagreb, il était

4 volontaire, il a demandé à un soldat de le sauver, et ce soldat a décidé

5 de l'épargner. Emil a été épargné parce qu'il était membre du service

6 municipal, il était inspecteur administratif et il avait fourni quelques

7 papiers qui intéressaient une personne de la mairie, et c'est la raison

8 pour laquelle il a été épargné. Vous savez, les raisons sont difficiles à

9 comprendre, incompréhensibles même. Tout était un cas individuel, tout

10 était le fruit du hasard.

11 M. Riad (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur Kojic.

12 M. le Président: Monsieur Kojic, je crois que vous avez subi beaucoup de

13 questions.

14 Je ne vais peut-être pas vous en poser d'autres. Je voudrais peut-être

15 demander à M. le Procureur l'origine de la vidéo qu'il a eu l'occasion,

16 aujourd'hui comme d'autres la semaine dernière, de nous présenter,

17 l'origine et les sources de cette vidéo.

18 M. Williamson (interprétation): Nous avons montré la vidéo 23, c'est une

19 compilation de sources différentes mais la majorité, 95%, vient d'un

20 programme télévisé qui a été passé à la télévision de Belgrade et donc

21 c'est là l'origine de ces vidéos.

22 M. le Président: Ce sont des sources serbes que vous utilisez?

23 M. Williamson (interprétation): C'est cela, Monsieur le Président,

24 c'étaient des sources serbes, cela a été filmé par une agence de presse de

25 Serbie et ceci a été repassé à la télévision croate et, sur notre demande,

Page 254

1 ils nous ont fourni cette vidéo.

2 M. le Président: Est-ce que l'on aurait pu, Monsieur le Procureur,

3 repasser les trois images représentatives des visages des trois accusés au

4 témoin? Car je crois qu'il a reconnu l'un d'entre eux, mais j'aimerais

5 notamment savoir s'il reconnaît notamment le major. Est-ce que c'est

6 possible, Monsieur le Procureur?

7 M. Williamson (interprétation): Oui, Monsieur le Président, ce sont 24, 25

8 et 26. Et je prie la technique de les repasser.

9 Je m'excuse, Monsieur le Président, voulez-vous voir les photographies à

10 partir des vidéos ou souhaitez-vous les faire passer à la vidéo?

11 M. le Président: Non. Je crois, Monsieur le Procureur, que ceci

12 intéresserait le Tribunal, c'est de savoir si le témoin reconnaît bien les

13 trois accusés. Je pense qu'il a bien reconnu le capitaine, je voudrais

14 savoir s'il peut reconnaître le major. Je ne pense pas qu'il puisse

15 reconnaître Mrksic, mais je pense que le major c'est important, je

16 voudrais savoir s'il le reconnaît. Et s'il le reconnaît, s'il le reconnaît

17 parce qu'il l'a vu lui même ou si tout simplement il le sait parce qu'il a

18 vu le major à la télévision. Voilà.

19 M. Williamson (interprétation): Nous allons montrer les photographies. En

20 ce moment, nous allons montrer l'image 25, la pièce à conviction 25.

21 M. le Président: Là, on ne voit plus rien.

22 M. Williamson (interprétation): Il faut appuyer sur le moniteur

23 ordinateur.

24 M. le Président: C'est une photocopie, oui. Il y avait les photographies

25 de l'homme sur la vidéo active qu'on avait vu. Voilà ce qui a été extrait

Page 255

1 de la vidéo. Je ne sais pas, là j'ai… peut-être en éclairant l'écran. Est-

2 ce que le témoin voit quelque chose?

3 (Questions de M. le Président Jorda au témoin, M. Zarko Kojic.)

4 Monsieur Kojic, est-ce que vous voyez la photographie?

5 M. Kojic (interprétation): Oui, c'est le major Veselin Sljvancanin. Je

6 l'ai vu moi-même devant l'hôpital.

7 Question: Est-ce qu'il vous donnait l'impression d'être celui qui

8 dirigeait les opérations d'évacuation?

9 Réponse: Oui.

10 Question: Alors, peut-être que ce n'est pas la peine dans ces conditions,

11 Monsieur le Procureur, merci Monsieur Kojic, ce n'est pas la peine de

12 prolonger une audition qui a été longue. A moins que pour Mrksic, on

13 puisse également procéder à la vision? Le capitaine, le témoin l'a déjà

14 reconnu donc ce n'est pas la peine. Est-ce qu'on peut passer le…?

15 M. Williamson (interprétation): Oui, Monsieur le Président, le témoin a

16 reconnu… Maintenant, nous allons montrer la pièce à conviction 26. C'est

17 aussi un extrait de la vidéo.

18 M. le Président: Alors, je ne sais pas si vous voyez bien. Monsieur Kojic,

19 est-ce que vous reconnaissez? Vous ne l'avez certainement pas vu

20 directement, mais est-ce qu'au moins vous…? Voilà. Qu'est-ce que vous

21 voyez? Est-ce que vous pouvez nous dire ce que ça évoque pour vous?

22 M. Kojic (interprétation): Oui, je sais qui c'est mais je ne sais pas si

23 je l'ai vu.

24 M. le Président: Bien. Monsieur Kojic, le Tribunal vous remercie. C'est

25 difficile de venir jusqu'ici, devant le Tribunal pénal international.

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1 C'est une audition qui est longue, qui vous rappelle des choses difficiles

2 et douloureuses de votre vie, donc il vous remercie particulièrement, il

3 vous souhaite un bon retour.

4 Je crois que nous pouvons maintenant raccompagner M. Kojic, Monsieur

5 l'huissier.

6 (Le témoin, M. Zarko Kojic est reconduit hors du prétoire.)

7 M. le Président: Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

8 M. Williamson (interprétation): Monsieur le Président, le témoin suivant

9 est Witness K. Et nous avons demandé quelques mesures de protection.

10 Nous aimerions que son image soit floue et qu'il ne soit pas vu de la

11 galerie du public. C'étaient des demandes qui n'ont pas été formulées

12 auparavant dans l'ordonnance.

13 M. le Président: Bien. Alors écoutez, le Tribunal est bien sûr tout à fait

14 d'accord pour accorder cette protection au témoin.

15 Monsieur le Greffier, pouvez-vous compléter dans vos minutes les

16 dispositions qui avaient été précédemment prises pour deux ou trois

17 témoins, les compléter et les adjoindre pour le témoin qui va être

18 présenté. Dont on ne dissimulera pas l'identité, Monsieur le Procureur?

19 M. Williamson (interprétation): C'est cela, Monsieur le Président.

20 J'aimerais que les stores soient descendus et qu'il y ait l'écran derrière

21 le témoin.

22 M. le Président: Non. Non, non, pas du tout, ça va marcher.

23 Monsieur le Greffier, cela ne vous dérange-t-il pas de faire demander à

24 l'huissier de baisser les stores, le temps d'introduire le témoin qui

25 ensuite sera protégé dans son image?

Page 257

1 (Audience publique avec mesures de protection.)

2 M. le Président: Bien. Monsieur le Greffier, tout est prêt. Alors, vous

3 pouvez peut-être introduire le témoin. Il s'agit donc de M.

4 Witness K.

5 (Le témoin, Witness K, est introduit dans le prétoire.)

6 M. le Président: Monsieur Witness K, prenez l'écouteur, vérifiez d'abord

7 que vous m'entendez. Vous m'entendez et que la traduction est correcte.

8 Vous m'entendez, Monsieur Witness K? Oui? Je n'ai pas entendu la réponse?

9 Oui?

10 M. Witness K (interprétation): Oui.

11 M. le Président: Vous avez une déclaration que vous pouvez lire devant le

12 Tribunal, s'il vous plaît.

13 M. Witness K (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

14 vérité, rien que la vérité.

15 M. le Président: Monsieur Witness K, pouvez-vous nous donner votre

16 identité? Asseyez-vous. Asseyez-vous. Pouvez-vous nous rappeler votre

17 identité, votre âge?

18 M. Witness K (interprétation): Je m'appelle Witness K, j'ai 26 ans.

19 M. le Président: Monsieur le Procureur, le temps de relever les rideaux

20 puisque l'audience est publique. Mais M. Witness K le sait, des mesures de

21 protection conformes à sa propre demande et à la demande du Procureur ont

22 été prises. Vous pouvez donc témoigner, Monsieur Witness K, en toute

23 sérénité devant cette instance internationale qui assure votre protection

24 dans votre témoignage. Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

25 (Interrogatoire principal de M. Witness K par M. Williamson.)

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1 M. Williamson (interprétation): Monsieur Witness K, d'où venez-vous?

2 M. Witness K (interprétation): De Zagreb.

3 Question: Avez-vous vécu à Zagreb toute votre vie?

4 Réponse: Oui.

5 Question: Votre nationalité est croate, c'est cela?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Et vous avez vécu à Zagreb au début de l'année 1991?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Un moment plus tard, vous êtes entré dans l'armée croate, c'est

10 cela?

11 Réponse: Oui.

12 Question: C'est à quel moment?

13 Réponse: En août, au début du mois d'août, en 1991.

14 Question: Et à quelle époque avez-vous rejoint ZNG, garde nationale

15 croate?

16 Réponse: La situation en Croatie, nous étions attaqués, j'ai décidé de

17 rejoindre les défenseurs de la patrie.

18 Question: Lorsque vous avez rejoint les gardes nationales, où est-ce que

19 vous êtes allés?

20 Réponse: J'y suis entré le 5 août 1991 et nous sommes partis à Kumerovec

21 où nous avions la formation.

22 Question: Quelle était la durée de cette formation?

23 Réponse: Très peu, peut-être une vingtaine de jours.

24 Question: Lorsque vous êtes partis pour Vukovar, quand est-ce que cela

25 s'est passé?

Page 259

1 Réponse: Le 30 septembre, nous sommes partis pour Vukovar et le 1er, le

2 lendemain, nous sommes arrivés tôt dans la matinée.

3 Question: A quelle heure, comment êtes-vous arrivés?

4 Réponse: Jusqu'à Bogdanovci, nous sommes arrivés en bus et de Bogdanovci

5 nous sommes allés à pied vers Vukovar où nous sommes arrivés le 1er

6 octobre.

7 Question: A cette époque-là, la ville de Vukovar a été encerclée par les

8 formes armées de la JNA?

9 Réponse: C'est ça.

10 Question: Etiez-vous en mesure de prendre une route pour accéder à la

11 ville? Comment vous y êtes entrés?

12 Réponse: Nous avions un guide qui nous a guidés à travers les champs.

13 Question: Combien de personnes y avait-il dans votre groupe?

14 Réponse: Mon unité comptait 20 personnes.

15 Question: Qu'est-ce qui s'est passé après votre arrivée à Vukovar?

16 Réponse: Là, nous avons eu tout d'abord la tâche d'assurer la protection

17 d'un silo qui se trouvait près du Danube et nous devions protéger le

18 passage de Dunav contre le passage de l'armée yougoslave.

19 Question: Quelles étaient vos armes?

20 Réponse: Nous avions des armes légères, les Kalashnikov, les fusils, les

21 armes de l'infanterie.

22 Question: Quelles étaient les armes de l'armée opposée de la JNA?

23 Réponse: Tout, tout ce qui existe, tout ce qu'on peut s'imaginer. Ils ont

24 tout utilisé, les avions, l'escale, l'artillerie.

25 Question: Etes-vous restés sur ce point, cette position durant les

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1 batailles?

2 Réponse: Non.

3 Question: Quand est-ce que vous avez changé d'endroit?

4 Réponse: Peut-être vers le 20 octobre, nous avons quitté cette position et

5 sommes partis de l'autre côté de la ville.

6 Question: Et où exactement?

7 Réponse: Cette partie de la ville s'appelle Sajmiste, la rue où je me

8 trouvais s'appelle la "rue du 1er mai", Prvomajska.

9 Question: Vers la mi-novembre, quelle était la situation générale à

10 Vukovar?

11 Réponse: A cette époque-là, il nous paraissait clair que la ville allait

12 tomber, la situation était difficile. L'armée entrait dans certaines

13 parties de la ville, nous étions poussés vers le centre. Ce n'était

14 pratiquement pas possible de circuler à l'intérieur de la ville.

15 Question: Alors il y a eu un moment où vous êtes parti à l'hôpital de

16 Vukovar?

17 Réponse: C'est ça.

18 Question: Quand est-ce que cela s'est passé?

19 Réponse: Je pense que c'était le 16 novembre.

20 Question: Quelle en était la raison? Pourquoi êtes-vous parti pour

21 l'hôpital?

22 Réponse: Parce que de mon unité, j'étais le seul qui restait intact, qui

23 n'a pas été blessé. Je n'ai pas eu de blessures graves et je me sentais

24 sûr seulement à l'hôpital, à attendre la reddition à l'hôpital.

25 Question: Quelle était la situation lorsque vous êtes arrivé à l'hôpital?

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1 Réponse: Tout d'abord, beaucoup de blessés. Deuxièmement, la peur, la peur

2 générale parce qu'on sentait que la ville allait tomber aux mains de

3 l'adversaire et il y avait une panique. Tout le monde était paniqué.

4 Question: Y avait-il d'autres personnes à part des blessés, les civils de

5 la ville?

6 Réponse: Oui, surtout -peut-être pas exactement le 16- mais au moment

7 avant la tombée de la ville, il y a eu des civils, beaucoup de gens autour

8 de l'hôpital.

9 Question: Avez-vous pris vos armes à l'hôpital?

10 Réponse: A l'hôpital, non.

11 Question: Qu'est-ce que vous avez fait avec votre arme?

12 Réponse: Je l'ai laissée dans une maison où j'étais, où je me trouvais en

13 dernier lieu.

14 Question: Avez-vous rencontré d'autres soldats croates armés à l'hôpital?

15 Réponse: Non, personnellement je n'ai pas vu de soldats croates à

16 l'hôpital portant des armes.

17 Question: Le 19 novembre, y a-t-il eu des combats dans l'ère de l'hôpital?

18 Réponse: Non, les combats ont cessé parce que l'armée avait déjà encerclé

19 l'hôpital et le 19 novembre -si je me rappelle- il n'y a pas eu de grands

20 combats aux alentours.

21 Question: Alors, à l'époque est-ce que vous avez remarqué la présence des

22 soldats de l'armée?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Comment se sont-ils comportés ces premiers soldats de la JNA?

25 Réponse: A l'entrée de l'armée, le 19, ils ne réagissaient pas, ils

Page 262

1 étaient plutôt calmes. Ils passaient par l'hôpital. Moi, j'étais resté à

2 un endroit, je ne me déplaçais pas trop.

3 Le 19, il n'y a pas eu beaucoup de réaction de leur part.

4 Question: Dans la matinée du 20 novembre, la situation a changé, est-ce

5 qu'ils se sont comportés autrement?

6 Réponse: Oui, je sais qu'en un instant -nous devions sortir de l'hôpital-

7 ils ont commencé à nous séparer, à nous fouiller, à nous insulter.

8 Question: Et qu'est-ce qui s'est passé avec vous? Personnellement, vous a-

9 t-on emmené de l'hôpital?

10 Réponse: Oui, avec un groupe de gens, on nous a fait sortir, on nous a

11 fouillés, on nous a fait monter dans les autocars qui étaient derrière

12 l'hôpital.

13 Question: Qui a procédé à ces fouilles?

14 Réponse: Les soldats de l'armée yougoslave de la JNA.

15 Question Qu'est-ce qu'ils cherchaient?

16 Réponse: Probablement les armes, je pense que c'est ça.

17 Question: Vous avez dit qu'il y avait des bus, des autocars, où ont-ils

18 été garés?

19 Réponse: Ils étaient garés de l'autre côté de l'hôpital, je dirai le côté

20 latéral, ou derrière l'hôpital. Pour moi, c'était le côté arrière parce

21 qu'avant je n'y suis jamais entré par cette entrée, par ce portail de

22 derrière. Je pense que c'était exprès qu'il était derrière.

23 Question: Combien de personnes ont été dans un bus approximativement?

24 Réponse: C'était plein, tous les sièges étaient occupés, peut-être qu'il y

25 avait 50 personnes.

Page 263

1 Question: Et combien de bus y avait-il environ?

2 Réponse: Combien de bus?

3 Question: Combien de bus y avait-il?

4 Réponse: A l'hôpital, je n'ai pas pu tout à fait constater le nombre exact

5 mais lorsque nous étions en caserne de Vukovar, j'ai pu constater qu'il y

6 en avait six.

7 Question: Quand vous étiez dans les bus, y avait-il des gardes?

8 Réponse: Oui, il a eu deux soldats qui nous gardaient. C'étaient les

9 soldats réguliers de l'armée JNA. C'est ce qu'il disait, c'est ce qu'il

10 prétendait être.

11 Question: Vous avez dit que lorsque vous étiez dans la caserne, c'était la

12 caserne de l'armée JNA?

13 Réponse: C'est ça.

14 Question: Qu'est-ce que vous avez observé à cette époque-là?

15 Réponse: Il y a eu beaucoup de soldats réguliers de la JNA, mais il y a eu

16 aussi des Chetniks. C'étaient des formations paramilitaires qui étaient à

17 l'époque sous contrôle de la JNA, c'est ce que j'ai pu remarquer.

18 Question: Quand vous parlez des Chetniks, à quoi vous référez-vous? C'est

19 qui?

20 Réponse: Personnellement, je pense que ce sont des extrémistes, ce sont

21 les Serbes les plus extrémistes qui sont aptes à faire des crimes graves

22 pour leur propre intérêt.

23 Question: Alors, comment eux, les Chetniks et les soldats se comportaient-

24 ils?

25 Réponse: Ils se comportaient -comment dirai-je- comme une bande, ils

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1 n'avaient pas l'air d'une armée régulière.

2 Question: Comment se comportaient-ils dans la caserne, qu'est-ce qu'ils

3 ont fait?

4 Réponse: A ce moment-là, on avait l'impression que l'armée a toujours le

5 contrôle des choses, des événements. La seule chose qui s'est passée, ils

6 sont venus avec une liste et ils ont appelé certains noms. J'ai vu un bus

7 qui était un peu à l'écart et les personnes qui ont été appelées d'un

8 autre bus sont sorties pour monter dans l'autre bus, et j'ai vu que là ils

9 ont été tabassés. Alors que nous, à l'époque, nous étions encore laissés

10 tranquille.

11 Question: Est-ce que ces soldats paramilitaires sont montés dans votre

12 bus, les Chetniks?

13 Réponse: Oui, mais seulement à l'entrée, ils n'ont pas traversé le bus.

14 Question: Avez-vous pu entendre ces hommes dire quelque chose?

15 Réponse: Oui, bien sûr, il y avait des injures, il y avait des menaces.

16 Ils nous ont dit: "C'est la fin. Vous êtes finis. Il n'y a plus de

17 Croatie". Voilà.

18 Question: Etaient-ils armés? Quelles étaient leurs armes?

19 Réponse: Pouvez-vous répéter la question, s'il vous plaît? Oui, oui, ils

20 étaient tous armés.

21 Question: Combien de temps les bus restaient dans la caserne JNA?

22 Réponse: Je suis sûr qu'au moins deux heures, peut-être même plus. Je ne

23 peux pas dire exactement et je n'avais pas ma montre. Je n'avais pas

24 exactement le sens pour le temps.

25 Question: Lorsque les bus partaient, où se dirigeaient-ils?

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1 Réponse: A l'époque, je ne le savais pas. Je savais que c'était quelque

2 part, à l'extérieur de la ville. J'ai vu des champs d'une part et de

3 l'autre mais je ne connaissais pas la région. Mais une fois venu au

4 hangar, j'ai compris qu'il l'appelait Ovcara.

5 Question: Et jamais auparavant, vous n'étiez pas sur ce lieu-là? Dans quel

6 autocar vous trouviez-vous?

7 Réponse: Dans le groupe d'autocars qui se sont rendus à Ovcara. Eh bien,

8 je me trouvais dans le cinquième autocar, l'avant-dernier.

9 Question: Qu'est-ce que les autocars ont fait donc en arrivant à Ovcara?

10 Réponse: Eh bien, ils se sont arrêtés, tous les autocars ont arrêté leur

11 moteur et les gens ont commencé à descendre de l'autocar. Je dirai que

12 nous avons attendu –disons- un quart-d'heure avant qu'on puisse sortir de

13 l'autocar. Mais donc nous sommes descendus de l'autocar et nous sommes

14 allés vers le hangar.

15 Question: Est-ce que vous avez vu ce qui s'est passé quant aux autres

16 passagers qui descendaient des autocars devant vous?

17 Réponse: Oui, j'ai vu que devant le hangar il y avait une haie d'hommes,

18 de Chetniks et également de soldats de la JNA, qui nous enlevaient nos

19 vêtements, les documents, l'argent, tous les objets, tous les effets

20 personnels, qu'ils jetaient les vêtements en piles. Mais plus

21 particulièrement, ce que j'ai vu c'est qu'alors que les gens traversaient

22 cette haie, on les rouait de coups. Et je dois dire qu'ils s'assuraientque

23 nous ne puissions pas courir au travers de cette haie, c'est-à-dire qu'il

24 fallait marcher et donc être roué de coups.

25 Question: Une fois que vous êtes descendu de l'autocar, qu'est-ce qui vous

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1 est arrivé, vous personnellement?

2 Réponse: Eh bien, je me suis arrêté devant mon autocar qui était donc garé

3 parallèlement au hangar. Il y avait des soldats de la JNA qui s'y

4 trouvaient, qui se sont assurés que nous ne pouvions nous enfuir.

5 Question: Est-ce que l'on vous a battu?

6 Réponse: Non, pas à ce moment-là. Mais je puis continuer à vous relatez

7 les faits, ça serait peut-être plus facile. Eh bien, à ce moment-là, alors

8 que nous nous sommes déplacés, que nous avons traversé la haie des

9 soldats, un jeune soldat, un jeune homme de mon âge -environ 20 ans- m'a

10 demandé: "D'où tu viens?" et je lui ai dit: "Je suis de Zagreb". Il m'a

11 dit: "Qu'est-ce que tu fais ici?", j'ai répondu, j'ai haussé les épaules

12 et j'ai dit: "Je ne sais pas". Il ne m'a pas insulté ni quoi que ce soit

13 et j'ai remarqué, peut-être que je pourrais établir un contact humain avec

14 lui, et je lui ai demandé: "Et toi, tu viens d'où?", et je lui ai demandé

15 plutôt: "Est-ce que je peux te demander à toi, d'où tu viens?", il m'a

16 répondu: "Je suis de Ruma", c'est en Serbie. J'ai dit: "Ecoute, avant la

17 guerre j'allais à Ruma, avant la guerre j'avais un ami". Il m'a dit: "Mais

18 tu venais où à Ruma?" J'ai dit: "Je ne me souviens plus, je ne me souviens

19 plus du nom de la rue mais c'était la rue des Partisans qui se trouve près

20 du centre de la JNA". Il m'a dit: "Mais c'est ma rue!", et il m'a demandé

21 le nom de mon ami de Ruma, je lui ai donné son nom, Miroslav, je ne me

22 souvenais plus de son nom de famille, mais on l'appelait Kemo. Il m'a dit:

23 "Oui, je le connais très bien".

24 Donc nous nous sommes dirigés vers le hangar et j'ai dit: "Essaie de me

25 sauver, essaie de me sauver la vie. Regarde ce qui se passe". Il n'a rien

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1 fait, il n'a rien dit, donc je me suis dirigé vers la haie, vers la haie

2 de ceux qui nous ruaient de coups. On m'a enlevé mes vêtements, pas tous

3 mes vêtements mais ma veste. Ils m'ont enlevé également mes documents, les

4 photographies de famille que j'avais sur moi, l'argent, ma bague et

5 également le rosaire que j'avais autour du cou et ils ont continué à me

6 battre et je suis entré au hangar. Mais dans le hangar, il y avait des

7 personnes qui s'y trouvaient, qui étaient en train d'être battues et ceux

8 qui nous frappaient, nous frappaient de matraques, de chaînes, de crosses

9 de fusil également et bien sûr ils nous bourraient de coups de poing et de

10 coups de pied.

11 Donc je me suis dirigé vers la gauche du hangar, vers le mur et là encore

12 ils ont recommencé à me battre, mais à un moment donné j'ai entendu

13 derrière moi quelqu'un qui a dit: "Laissez-le, ne le battez pas".

14 Quelqu'un m'a pris par l'épaule, m'a fait me retourner et j'ai vu que

15 c'était le jeune soldat de Ruma qui avait emmené quelqu'un auquel il

16 s'adressait sous le titre de capitaine. Il lui a dit: "Est-ce que nous

17 pouvons le sauver, capitaine? Je le connais, je le connais d'avant la

18 guerre, nous sommes amis. Est-ce que nous pouvons le sauver?". Le

19 capitaine a dit: "D'accord. Fais-le sortir du hangar et surveille-le à

20 l'extérieur afin que personne le tue".

21 Question: Combien de temps pensez-vous être resté à l'intérieur du hangar?

22 Réponse: Là encore, il m'est difficile de le dire, je n'avais la notion du

23 temps, pas très longtemps. Je dirai qu'à partir du moment où nous sommes

24 passés par la haie dans le hangar lui-même, je dirai qu'il serait réaliste

25 de dire que ça n'était sans doute que dix minutes, mais, honnêtement, je

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1 ne peux pas vous dire, cela aurait pu être davantage ou moins, je ne sais

2 pas, mais je présume dix minutes.

3 Question: Une fois que vous étiez à l'intérieur du hangar, vous avez dit

4 que vous avez vu d'autres hommes qui étaient battus, n'est-ce pas?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Est-ce que vous avez vu qui que ce soit qui aurait été tué ou

7 gravement blessé à la suite de ce passage à tabac?

8 Réponse: Eh bien, à ce moment-là, je n'ai pas vu grand-chose, je n'ai vu

9 que les coups et blessures, moi aussi j'étais battu. D'autres étaient

10 tombés au sol. Mais lorsque je suis entré une seconde fois, c'est-à-dire

11 une heure ou deux plus tard, parce que je suis resté une ou deux heures

12 dehors, là j'ai vu les gens tomber au sol, sans mouvement. Bien sûr, je

13 n'ai pas pris leur pouls pour savoir s'ils étaient vivants ou morts mais

14 certains pleuraient, d'autres hurlaient et d'autres tout simplement

15 étaient au sol sans mouvement.

16 Question: Vous avez dit que vous êtes sorti et que vous êtes resté dehors

17 pendant deux heures. Qu'est-ce que vous avez fait pendant que vous étiez à

18 l'extérieur du hangar?

19 Réponse: Rien, j'étais là, je me tenais debout et j'écoutais ce qui se

20 passait à l'intérieur du hangar.

21 Question: Quelle était la raison pour laquelle on vous a remmené à

22 l'intérieur du hangar?

23 Réponse: Eh bien, on nous a dit qu'il fallait faire une liste, qu'il

24 fallait rendre nos noms. Il y avait sept… Sept d'entre nous étions dehors,

25 donc ils nous ont ramenés à l'intérieur vers 18 heures. La nuit tombait,

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1 et on nous a dit qu'on prendrait nos noms dans le hangar.

2 Question: Et ils ont, effectivement, pris votre nom?

3 Réponse: Oui, ils ont pris mon nom, mais ils n'ont pas pris le nom de tous

4 ceux qui étaient dans le groupe. Ils ont commencé à dresser la liste de

5 noms et ensuite ils ont arrêté.

6 Question: A l'intérieur du hangar, combien de Chetniks, combien de soldats

7 de la JNA, combien de soldats paramilitaires se trouvaient à l'intérieur

8 du hangar?

9 Réponse: Eh bien, je ne puis que vous donner une estimation, peut-être

10 100.

11 Question: Combien de Croates qui avaient été emmenés de l'hôpital, le

12 matin même, se trouvaient à l'intérieur du hangar?

13 Réponse: Eh bien, là encore, j'essaie de penser de façon logique; s'il y

14 avait 50 places dans les autocars, vous avez 300 personnes puisqu'il y

15 avait six autocars.

16 Question: Une fois que votre nom a été relevé à l'intérieur du hangar, que

17 s'est-il passé ensuite?

18 Réponse: On nous a fait sortir du hangar et nous avons attendu qu'un

19 véhicule vienne nous chercher.

20 Question: Pendant ce temps-là, est-ce que vous avez eu la possibilité de

21 parler avec le soldat de la JNA à nouveau?

22 Réponse: Oui, oui, j'en ai eu la possibilité.

23 Question: De quoi avez-vous parlé avec lui?

24 Réponse: Eh bien, je ne peux peut-être pas vous donner la série, la série

25 de termes que nous avons employés mais je peux vous donner la teneur.

Page 270

1 "Qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qu'on va faire de nous?" lui ai-je dit?

2 Il a répondu que tous les autres seraient sans doute tous tués, qu'il

3 essaie de sauver ma peau, de me sauver la vie. Alors que nous quittions le

4 hangar, il m'a dit: "Si on te pose des questions, si on te demande quoi

5 que ce soit, nous sommes de vieux amis d'avant la guerre. Je suis Ilija et

6 mon surnom c'est Stuka". Et il m'a dit que tous les autres seraient tués

7 mais qu'il essayait de me sauver la vie, il m'a même donné de l'argent. Je

8 me souviens encore une fois, à quelque 400 mètres de là, j'ai entendu des

9 machines, je pensais que c'étaient des chars et j'ai dit: "Qu'est-ce que

10 c'est ce bruit? Qu'est-ce qu'on entend?". Il m'a dit: "On est en train de

11 creuser la fosse commune de ceux qui vont être tués".

12 Question: Est-ce qu'on vous a emmené en estafette, on vous a fait sortir

13 d'Ovcara?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Où vous a-t-on emmené?

16 Réponse: Eh bien, on m'a emmené à Modateks. C'était une usine de

17 confection, Modateks.

18 Question: Combien de temps vous a-t-on gardés en cet endroit?

19 Réponse: J'ai oublié de vous dire une chose. Tout d'abord, on nous a

20 emmenés à Velepromet. Mais à Velepromet, il n'y avait pas suffisamment de

21 place pour nous et on a donc décidé de nous emmener à Modateks. Notre

22 groupe y est resté, nous sommes arrivés le soir, nous y avons passé la

23 nuit jusqu'à midi le lendemain.

24 Question: Et où vous êtes-vous rendus en partant de Modateks?

25 Réponse: Nous sommes retournés à Velepromet car à Modateks les Chetniks y

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1 sont arrivés. J'en ai reconnu certains comme étant certains des

2 participants d'Ovcara. Ils ont commencé à hurler des insultes aux gardes

3 de Modateks en disant: "Qui les a amenés ici? Pourquoi sont-ils ici? Nous

4 devrions tous les tuer, nous devrions tuer celui qui les a emmenés ici".

5 C'était le genre de pression psychologique qui est exercée, et donc les

6 gardes ont décidé de nous renvoyer à Velepromet. J'ai également oublié de

7 vous dire que la personne qui est venue à Modateks, que celui qui est venu

8 à Modateks lorsqu'il a menacé de nous tuer, il s'est également vanté, il a

9 dit: "J'ai tué toute la nuit, donc je peux continuer et je peux terminer

10 la tâche. Pas de problème pour moi".

11 Question: Combien de temps êtes-vous resté à Vukovar?

12 Réponse: Je suis resté jusqu'au 22 novembre.

13 Question: Et ensuite?

14 Réponse: A Sremska Mitrovica, j'y suis resté six mois. Je suis parti le 22

15 mai 1992.

16 Question: Et à ce moment-là, vous avez été en mesure de retourner en

17 Croatie?

18 Réponse: Oui, il y a eu un échange important.

19 Question: En dehors des hommes qui sont partis en estafette avec vous le

20 20 novembre, est-ce que vous avez revu les hommes, certains des hommes qui

21 étaient avec vous dans le hangar à Ovcara?

22 Réponse: Je n'ai pas bien compris la question. Vous voulez dire les gens

23 qui nous ont emmenés dans l'estafette, qui ont été emmenés dans

24 l'estafette?

25 Question: Vous avez quitté le hangar accompagné de six ou sept autres

Page 272

1 personnes, le 20 novembre, d'Ovcara pour vous rendre à Modateks. Ceux qui

2 sont restés dans le hangar à Ovcara, est-ce que vous en avez revus, depuis

3 lors, vivants?

4 Réponse: Non, pas les gens de mon groupe, en dehors de mon groupe. Non, je

5 n'en ai revu aucun.

6 M. Williamson (interprétation): Merci, je n'ai pas d'autres questions.

7 (Questions de Mme le Juge Odio-Benito au témoin, Witness K.)

8 Mme Odio-Benito (interprétation): Merci. Oui, j'aimerais simplement

9 demander des éclaircissements en ce qui concerne les Chetniks. Est-ce

10 qu'ils venaient de Belgrade, de Zagreb, de Vukovar, est-ce que vous le

11 savez?

12 M. Witness K (interprétation): Je ne puis que présumer qu'ils venaient de

13 partout. Je ne peux pas vous dire précisément d'où ils venaient. Certains

14 d'entre eux disaient: "Oui, nous sommes de Belgrade ou d'ailleurs en

15 Serbie", mais pour savoir précisément d'où ils venaient, je ne peux pas

16 vous dire.

17 Question: Ils étaient tous Serbes? Oui, il y avait également des Croates

18 parmi eux.

19 Réponse: Moi, je pense qu'ils étaient tous Serbes et 99,9% d'entre eux

20 étaient Serbes.

21 Mme Odio-Benito (interprétation): Merci, je n'ai pas d'autres questions.

22 (Questions de M. le Juge Riad au témoin Witness K.)

23 M. Riad (interprétation): Monsieur, vous avez dit tout d'abord que vous

24 vous êtes rendu à l'hôpital le 16 novembre. Vous n'étiez pas blessé,

25 n'est-ce pas?

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1 M. Witness K (interprétation): Oui, pas à l'hôpital.

2 Question: Lorsqu'ils ont commencé à faire monter les gens dans l'autocar,

3 vous avez dit qu'il y avait un autocar supplémentaire où ils ont emmené

4 les gens pour être battus. C'est ce que… "Les Chetniks ont appelé les gens

5 et les ont fait monter dans un autre autocar". Pourquoi cette séparation?

6 Est-ce qu'ils étaient différents des autres? Quelle était leur différence?

7 Qu'est-ce qui les distinguaient des autres à votre avis?

8 Réponse: Je dirai que ce n'est pas les Chetniks qui les ont fait venir

9 mais un officier de l'armée yougoslave qui est venu, muni d'une liste, et

10 qui les a séparés et qui les a fait monter dans un autre autocar. C'est ce

11 qui s'est passé à la caserne de Vukovar et, là encore, le responsable

12 était un officier de la JNA. Je ne comprenais pas le critère, je n'ai pas

13 compris pourquoi on les a fait monter dans un autocar différent. Mais

14 lorsqu'ils sont… Les Chetniks à ce moment-là les ont battus et les soldats

15 de la JNA également, mais je ne sais pas quel était le critère. Moi, je

16 vous ai dit qu'on m'avait emmené dans un autocar, donc je ne sais pas.

17 Question: Donc la rossée était réalisée par les soldats de la JNA, de

18 l'armée régulière et des Chetniks également, donc pas uniquement les

19 Chetniks?

20 Réponse: Oui, oui, absolument. Il y avait des soldats de l'armée

21 régulière, il y avait des réservistes sans doute et des Chetniks. Encore

22 une fois, ils battaient de concert, si je puis m'exprimer ainsi.

23 Question: Ils leur ont enlevé les vêtements, les documents, etc; c'étaient

24 également des soldats de la JNA?

25 Réponse: Oui, à Ovcara, oui, absolument, ensemble.

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1 Question: Pendant tout ce temps-là, est-ce que vous avez remarqué une

2 personne, plus particulièrement, qui semblait responsable des événements,

3 qui donnerait des ordres?

4 Réponse: A deux reprises, je l'ai remarqué. C'était la première fois que

5 j'ai vu quelqu'un dont je sais maintenant qu'il est le major Sljvancanin,

6 je ne connaissais pas son nom à l'époque, mais je savais qu'il y avait eu

7 un commandant qui avait été nommé pour reprendre le commandement de

8 l'hôpital. C'est ce que j'avais entendu dire à l'hôpital. Je l'ai vu en

9 passant, je l'ai vu en train de hurler, en train de gesticuler. Il était

10 plus grand que moi, donc assez grand, avec une moutache. Et maintenant

11 quand j'y repense, effectivement, je pense que c'était le commandant

12 Sljvancanin qui était le commandant de la place mais à l'époque je ne le

13 savais pas. Puis à Ovcara, j'ai également remarqué un officier de rang

14 supérieur, de grade supérieur, de l'armée yougoslave qui est venu et il a

15 dit qu'il était colonel. Mais j'ai oublié son nom, je ne peux pas vous

16 dire, citer le colonel Ivanovic, Ivankovic, Jorvanovic mais il s'est

17 présenté comme étant un colonel, donc un gradé, à Ovcara il est arrivé

18 avec une délégation et c'était quelqu'un d'assez grand également.

19 Question: Si vous voyez des photographies, vous pourriez le reconnaître?

20 Réponse: Sljvancanin oui, je le reconnaîtrais. De fait, j'ai compris plus

21 tard que c'était lui lorsque j'ai vu ces photographies. Et j'ai dit: "Mais

22 c'est le même homme que j'ai vu donc à l'hôpital". Et l'autre colonel, je

23 crois que je pourrais le reconnaître si j'en voyais la photographie.

24 Question: Pendant la séparation, et plus particulièrement pendant les

25 rossées, est-ce que vous l'avez vu uniquement à l'hôpital, de passage?

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1 Réponse: Vous parlez du colonel, pas de Sljvancanin? Non, j'ai vu

2 Sljvancanin alors que je quittais l'hôpital et je l'ai peut-être vu une

3 minute ou deux. Alors que je partais, il était à droite, je l'ai vu en

4 train de gesticuler, de hurler, de donner des ordres aux soldats, etc. Et

5 il y avait deux personnes en blouse blanche, j'ai pensé que c'étaient des

6 employés hospitaliers ou peut-être des observateurs européens qui étaient

7 aussi habillés en blanc.

8 Question: Il avait la maîtrise totale de la situation?

9 Réponse: Oui, c'est l'impression que j'ai eue et c'est maintenant que je

10 pense qu'il a sans doute été le commandant. Maintenant, lorsque j'ai vu

11 ces photographies, quand j'ai quitté le camp, en fait je suis même arrivé

12 à la conclusion que c'était celui qui donnait des ordres. On le voyait

13 dans son expression corporelle. Encore une fois, il donnait des ordres, il

14 est assez grand.

15 Question: Dernière question. Vous avez dit que vous avez entendu des sons,

16 le bruit de bulldozers et vous avez demandé à celui qui vous avait sauvé

17 la vie ce que c'était. Il vous a répondu que l'on creusait une fosse

18 commune. Est-ce que vous êtes passé à côté de cette fosse commune ou est-

19 ce que vous avez simplement entendu le bruit?

20 Réponse: Non, je ne suis pas passé à côté, je n'ai entendu que le bruit.

21 Il faisait déjà nuit quand je suis parti.

22 Question: Est-ce qu'on vous a donné d'autres détails quant à cette fosse?

23 Réponse: Malheureusement non, lorsqu'on m'a laissé à Modateks, il a dit:

24 "Il faut que nous allions dans d'autres villes pour les saisir. Tu as sans

25 doute sauvé ta vie mais sans doute la mienne ne sera pas sauvée parce

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1 qu'il va nous falloir aller à Vinkovci pour attaquer la ville".

2 M. Riad (interprétation): Merci, Monsieur.

3 (Question de M. le Président au témoin Witness K.)

4 Pour l'hôpital, est-ce que vous étiez nombreux dans la situation qui était

5 la vôtre? C'est à dire que vous n'étiez pas blessé et vous êtes allé à

6 l'hôpital au fond parce que c'était un endroit –v

7 Vous nous l'avez dit- à peu près sûr. Est-ce que vous étiez nombreux dans

8 votre situation? Est-ce que vous portiez une sorte d'uniforme, quelque

9 chose qui montrait que vous n'étiez pas un blessé, mais que vous étiez

10 quelqu'un qui combattait? Est-ce que vous pouvez vous souvenir de ce

11 point?

12 M. Witness K (interprétation): Eh bien, je vous dirai la chose suivante.

13 L'hôpital n'était pas un endroit sûr pendant la guerre mais nous avions

14 entendu dire que la reddition s'y déroulerait et qu'il vaudrait mieux que

15 nous soyons tous ensemble, il vaudrait mieux que nous soyons tous

16 ensemble. J'étais prêt à me rendre, je ne voulais pas sortir en qualité de

17 soldat, les mains levées et dire: "Je me rends". Je pensais qu'il valait

18 mieux se rendre en groupe. Et on a annoncé qu'il y aurait une reddition

19 générale à l'hôpital et j'ai pensé que ce serait d'ailleurs la meilleure

20 procédure pour moi.

21 Qu'il y ait eu d'autres comme moi, qui ait pensé comme moi. Je ne connais

22 pas la situation de l'hôpital, j'ai simplement vu de nombreuses personnes

23 dans l'hôpital, dans la partie de l'hôpital où je me trouvais. Il y avait

24 peut-être d'autres soldats qui voulaient se rendre mais c'étaient surtout

25 des civils de Vukovar dont je ne connaissais pas le nom. J'ai enlevé mon

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1 uniforme parce que, là encore, j'avais entendu dire qu'il faudrait que

2 nous laissions nos uniformes et qu'il serait plus facile d'opérer une

3 reddition et que les soldats qui viendraient seraient en mesure de mieux

4 contrôler les parades militaires s'il y avait pas trop d'uniformes. Donc

5 j'ai quitté mon uniforme, j'y suis allé en vêtements civils et ce qui est

6 arrivé à mon uniforme, eh bien, je ne sais pas puisque je l'ai jeté à un

7 endroit bien précis.

8 En fait, j'ai donné mon uniforme à quelqu'un qui l'a emporté et qui l'a

9 jeté. Le personnel hospitalier refusait aussi bien les uniformes que les

10 armes à l'intérieur de l'hôpital car ils estimaient que cela vaudrait

11 mieux pour les blessés, les malades et pour tous d'ailleurs.

12 M. le Président: Deux précisions à M. le Procureur, où la présence du

13 témoin nous est nécessaire. Est-ce que M. le Procureur fait un lien entre

14 le capitaine qu'a mentionné le témoin, le capitaine à qui l'autorisation

15 de ne plus le battre sur l'intervention de cet ami serbe, est-ce que,

16 Monsieur le Procureur, vous estimez que le témoin a ainsi pu identifier

17 l'un des accusés à travers ce capitaine? C'est une question que vous a

18 posé mon collègue, d'une autre façon je n'ai moi-même pas très bien

19 compris. Il y a le colonel, il y a le major Sljvancanin qu'a bien reconnu

20 le témoin par la suite.

21 Monsieur le Procureur, est-ce que vous-même vous avez fait ce lien avec ce

22 qu'a dit le témoin? Je préférerais que ce soit par votre intermédiaire

23 qu'on puisse avoir la précision.

24 M. Williamson (interprétation): Monsieur le Président, en dehors de M.

25 Sljvancanin, nous n'avons pas été en mesure d'identifier de façon positive

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1 les autres particuliers dont il parle. Nous avons tenté de le faire et le

2 témoin a vu nombre de vidéos, a vu des photographies également mais il n'a

3 pas été en mesure de nous donner les identités, donc les patronymes de ces

4 personnes ni de les identifier dans ces vidéos ni sur ces photographies.

5 M. le Président: Je m'adresse toujours à vous puisque c'est vous qui menez

6 l'enquête.

7 Lorsque le témoin fait allusion donc à ces bulldozers, dont a parlé

8 également mon collègue, est-ce que d'après votre enquête, sur la

9 localisation géographique, cela correspond bien au charnier sur lequel

10 sont allés les experts, de fosse commune?

11 M. Williamson (interprétation): Nous pouvons simplement présumer que c'est

12 le cas, étant donné la proximité par rapport au hangar. Selon nous, aucun

13 autre charnier n'a été trouvé dans la région, dans la zone. La fosse

14 commune dont nous parlons dans notre Acte d'accusation se trouve à environ

15 un kilomètre du hangar et, selon nos informations, nous n'avons découvert

16 aucune autre fosse commune dans la région, donc nous pensons que c'est

17 bien le cas.

18 M. le Président: Merci, Monsieur le Procureur.

19 Une dernière question, Monsieur Witness K. Avez-vous revu ce Serbe qui vous

20 a sauvé la vie? Est-ce que vous avez eu des liens depuis avec lui?

21 M. Witness K (interprétation): Non, je ne l'ai jamais revu.

22 M. le Président: Le Tribunal vous remercie, Monsieur Witness K.

23 Avant que vous ne vous leviez, nous allons prendre les précautions pour

24 achever la protection, nous allons donc baisser les rideaux de la salle.

25 Le Tribunal vous souhaite un retour paisible dans votre vie civile. Que

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1 faites-vous à l'heure actuelle, Monsieur Witness K?

2 M. Witness K (interprétation): Je suis officier de l'armée croate. Donc je

3 suis resté sous les drapeaux.

4 M. le Président: Quel est votre rang?

5 Je suis capitaine, capitaine major, entre capitaine et major.

6 M. le Président: Le Tribunal est sensible à votre témoignage et vous

7 souhaite un bon retour chez vous. Merci, Monsieur Karklovic.

8 Le témoin peut être raccompagné.

9 M. Witness K (interprétation): Merci de votre patience.

10 (Le témoin Witness K est reconduit hors du prétoire.)

11 M. le Président: Monsieur le Procureur, nous allons lever la séance pour

12 un quart-d'heure. Nous reprendrons à 11 heures 45. La séance est levée.

13 (L'audience, suspendue à 15 heures, est reprise à …? )

14 (Audience publique.)

15 M. le Président: Monsieur le Procureur, avant d'introduire le témoin

16 nouveau, le Tribunal aimerait savoir, pour l'organisation de ses travaux,

17 où vous en êtes sur l'audition des témoins et combien de témoins sont

18 encore prévus, pour que nous puissions planifier les auditions et le temps

19 de travail de tout le monde, y compris celui des interprètes?

20 M. Niemann (interprétation): Monsieur le Président, il reste encore cinq

21 témoins à entendre. Je puis vous indiquer que nous entendrons un prochain

22 témoin pour lequel aucune ordonnance d'occultation n'a été requise;

23 ensuite; nous entendrons deux témoins qui ont demandé des mesures de

24 protection, puis deux autres témoins qui n'ont pas demandé de mesure de

25 protection. Au total, cinq témoins encore.

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1 M. le Président: Bien. Alors, Monsieur le Procureur, le témoin qui va être

2 introduit n'a demandé aucune mesure de protection. Monsieur le Greffier?

3 Bien, je crois qu'on peut l'introduire.

4 M. Niemann (interprétation): J'appelle Dragutin Berghofer.

5 (Le témoin, Dragutin Berghofer est introduit dans le prétoire.)

6 M. le Président: Monsieur Dragutin Berghofer, d'abord, est-ce que vous

7 m'entendez? Est-ce que le canal est bien réglé?

8 M. Berghofer (interprétation): J'entends.

9 M. le Président: On va vous présenter une déclaration solennelle que vous

10 allez nous lire.

11 M. Berghofer (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

12 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

13 M. le Président: Vous pouvez préciser votre identité -votre nom, votre

14 prénom- et votre date et lieu de naissance au Tribunal, avant que M. le

15 Procureur ne vous pose des questions qu'il juge devoir poser?

16 M. Berghofer (interprétation): Je suis né le 29 octobre 1940 à Osijek.

17 M. le Président: Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

18 (Interrogatoire principal du témoin, Dragutin Berghofer, par M. Niemann.)

19 M. Niemann (interprétation): Merci beaucoup.

20 Monsieur Berghofer, vous êtes né en Croatie. Votre nom semble suggérer une

21 origine allemande, est-ce exact?

22 M. Berghofer (interprétation): Oui.

23 Question: Où êtes vous allez à l'école? Est-ce que vous êtes allé à

24 l'école à Vukovar?

25 Réponse: En 1945, j'ai été placé dans un camp, à Valpovo, et en 1946, j'ai

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1 été déporté du camp à Vukovar où je suis resté jusqu'en 1991.

2 Question: De formation, est-ce que vous êtes décorateur?

3 Réponse: Non. Je suis tapissier-décorateur. J'avais mon entreprise, mon

4 magasin privé.

5 Question: Et à Vukovar, vous aviez votre propre entreprise, n'est-ce pas?

6 Réponse: Oui, oui.

7 Question: Je crois savoir que vous avez accompli votre service militaire

8 pendant deux ans?

9 Réponse: Oui.

10 Question: Le 24 août 1991, lors de l'attaque de Vukovar, où vous trouviez-

11 vous?

12 Réponse: Le 24 août, à minuit 5. Ma maison se trouve à douze mètres de la

13 barrière du bâtiment militaire; il y avait un char à cet endroit et, à

14 minuit 5, des mitrailleuses ont été utilisées pour assurer la défense

15 antiaérienne. Donc je dirai qu'au total, à partir de ce moment et pendant

16 trois heures, il y a eu des tirs incessants.

17 Question: Quand cela a commencé, qu'avez-vous fait?

18 Réponse: Lorsqu'on a tiré sur ma maison, vous savez comment s'est passé

19 cette nuit: moi, j'étais très fatigué, je ne pouvais pas croire à ce qui

20 se passait et, le matin, j'ai pris mon courage à deux mains, je suis sorti

21 de la maison, j'ai vu un voisin qui était un Serbe et je lui ai demandé:

22 "Mile, qui est-ce qui m'a arrangé de cette façon? Vous m'avez détruit ma

23 maison!" Il m'a répondu qu'il n'en avait pas la moindre idée et j'ai pris

24 ma mobylette pour me rendre 800 mètres plus loin, en direction de la ville

25 où se trouvait mon magasin. Et depuis ce moment, je n'ai pas remis les

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1 pieds chez moi.

2 Question: Lorsque vous vous êtes rendu en ville où êtes-vous resté pendant

3 l'attaque de la ville?

4 Réponse: Mon magasin se trouve pratiquement au centre de la ville; c'est

5 un endroit où il y a des caves qui ont vingt à trente mètres de long. Il y

6 a d'autres caves qui sont très profondes et c'est là que j'ai passé toute

7 la bataille avec 2000 autres personnes.

8 Question: Votre famille était-elle avec vous à ce moment-là?

9 Réponse: Oui, une fille était avec moi, mon gendre et ma concubine. Ma

10 concubine est morte. Le 15 septembre, ma fille a été emmenée hors de la

11 maison, là-bas près de la caserne, et je ne l'ai plus revue. Et deux jours

12 avant l'encerclement complet de Vukovar, je suis sorti, accompagné d'un

13 bébé et du petit qui avait trois ans.

14 Question: Est-ce que vous savez qui a emmené votre fille?

15 Réponse: Je ne sais pas.

16 Question: Et votre compagne, vous avez dit qu'elle s'était fait tuer:

17 comment cela s'est-il passé?

18 Réponse: Bien, vous savez, Vukovar était complètement encerclé et on ne

19 savait même plus d'où tombaient les obus. Depuis Backa Palanka, de l'autre

20 côté du Danube, un obus est tombé dans la cour, a fait éclater la porte du

21 magasin, a frappé le mur et elle a reçu un éclat dans le cou.

22 Question: Est-ce que vous-même ou les gens qui se trouvaient avec vous

23 étiez armés pendant votre séjour dans la cave?

24 Réponse: Moi, je n'ai jamais porté d'arme. La dernière fois que j'ai porté

25 des armes, c'était il y a trente ans. Je ne peux pas dire qu'aucun des

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1 garçons qui étaient dans les environs ne portait d'arme, mais, dans la

2 cave, personne n'en avait parce que, vous savez, pour nous les civils,

3 c'était difficile d'avoir des armes à l'époque.

4 Question: Est-ce qu'il y avait des femmes et des enfants également avec

5 vous dans cette cave?

6 Réponse: Dans la cave de mon magasin, il y avait quarante femmes et

7 environ sept enfants en bas âge, deux ou trois ans. Et à trente mètres de

8 mon magasin, il y avait aussi des caves très vastes qui ont donc servi

9 d'abri; là, il se trouvait environ 500 femmes et quelques enfants. Et

10 juste en face, il y avait encore d'autres caves suffisamment vastes dans

11 lesquelles s'étaient abrités 400 à 500 femmes et des enfants. Donc au

12 total, sur 50 à 100 mètres, il y avait plus de 2000 femmes et enfants, il

13 y avait aussi des personnes âgées, il y avait aussi des hommes.

14 Question: Comment est-ce que tous ces gens se sont alimentés pendant la

15 durée du siège de Vukovar?

16 Réponse: Vous savez, nous recevions de l'aide: la route était ouverte.

17 Mais personne ne pouvait croire à une telle horreur; moi, je faisais

18 partie de ces gens qui n'y croyaient pas. Moi, je surveillais deux

19 magasins, celui de ma fille et le mien. Nous, nous étions des habitants de

20 Vukovar, nous n'avions fait aucun mal, nous ne pouvions pas croire que

21 nous en arriverions à un point aussi terrible. Plus tard, l'épicerie a été

22 attaquée également; évidemment, on s'est servi. Puis finalement, vers la

23 fin, nous n'avions pratiquement plus que de la farine.

24 Question: A part le fait que vous receviez de la nourriture des voisins,

25 est-ce que vous en receviez également de l'hôpital? Est-ce que vous en

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1 apportiez à l'hôpital?

2 Réponse: Oui, oui, plusieurs fois, on a apporté de la nourriture à

3 l'hôpital. Il y avait beaucoup de viande disponible parce que les animaux

4 se promenaient dans la ville; il n'y avait pas d'électricité, les

5 réfrigérateurs ne fonctionnaient pas: donc, pour la viande, il n'y avait

6 pas de problème. Et quelquefois, étant donné qu'à l'hôpital, ils ont

7 commencé à manquer y compris de farine, nous en avons apporté une ou deux

8 fois.

9 Question: Et d'où vous procuriez-vous l'eau?

10 Réponse: Vous savez, il y avait quelques puits dans les environs, tant

11 qu'ils n'ont pas été détruits. J'aurais du mal à préciser exactement la

12 date à laquelle les puits ont été détruits mais je sais que quelques

13 personnes arrivaeint, qui s'approvisionnaient dans ces puits. Et je me

14 souviens d'un puits en particulier, qui n'avait sûrement pas servi pendant

15 trente ans et qu'on a utilisé.

16 Question: Est-ce qu'un moment est arrivé où vous avez décidé de tenter de

17 fuir Vukovar?

18 Réponse: Même en rêve, nous ne pensions pas à quitter la ville parce que

19 nous n'arrêtions pas de penser que le cessez-le-feu allait arriver; on

20 avait une radio, on entendait parler sans arrêt de trêve, de cessez-le-

21 feu, qui était censé survenir rapidement.

22 Aux alentours du 17 novembre 1991, quand même, un groupe a décidé de

23 partir, de s'enfuir. Je n'appellerai pas ça une évasion parce que nous

24 n'étions pas suffisamment armés, nous n'avions aucune chance de pouvoir

25 nous battre contre l'ancienne armée yougoslave. Pour la plupart, il

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1 s'agissait de civils et moi aussi, j'ai décidé de quitter Vukovar.

2 Question: Est-ce que vous pouvez décrire au Tribunal les conditions de

3 cette tentative de fuite?

4 Réponse: Le 17, aux alentours de 17 heures 30, ce groupe de gens -il y

5 avait environ 350 personnes, moi inclus-… Je ne peux pas dire que je

6 n'étais pas parmi les premiers parce que moi, j'ai grandi dans cette ville

7 et nous étions nombreux, de nombreux civils qui devions traverser un

8 certain nombre de rues. Nous sommes passés devant le cimetière. Et au

9 moment où nous arrivions à la forêt, un certain Holika Mika connaissait le

10 chemin que nous pouvions utiliser pour continuer notre route. Il était

11 chasseur, il habitait aux environs de la ville. Et donc la colonne

12 avançait et j'ai essayé de le trouver.

13 Il y a un garçon, à la fin de la colonne, qui m'a dit: "Mika, grand-père

14 Beli, je ne suis pas le dernier." J'ai dit: "Comment, tu n'es pas le

15 dernier?" Il m'a dit: "Il y a un groupe qui est retardé, qui est derrière.

16 Vous avez marché très vite." Alors, j'ai fait demi-tour pour chercher le

17 reste du groupe; je les ai trouvés à l'entrée du stade et leur ai dit:

18 "Mais essayez de rattraper le groupe qui est devant vous. Ça doit être

19 possible!"

20 Cela dit, il y avait des blessés, il y avait des gens qui étaient blessés

21 aux jambes, en particulier: ils avaient donc du mal à marcher. Lorsque

22 nous avons essayé de rattraper le premier groupe, nous nous sommes rendus

23 compte que nous étions seuls. Ils ont commencé à nous tirer dessus à

24 partir du pont de chemin de fer qui passe sur la rivière Vuka. On a essayé

25 de traverser la rivière Vuka mais on ne savait pas où se trouvaient les

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1 mines.

2 Un ami à moi, Zoran Njovra, qu'on appelle Njovra en général, Zoran Njovra

3 et Jankovic m'ont dit: "Beli, il ne faut pas aller par là parce qu'il y a

4 des mines. Mais deux garçons n'ont pas obéi et ils ont sauté sur une mine;

5 ils sont tombés dans la rivière Vuka. Moi, j'ai été saisi de crainte. Je

6 n'avais pas tellement peur de mourir, je vous le dirai sincèrement:

7 puisque, finalement, on meurt et on ne se rend plus compte de rien. Mais

8 je craignais beaucoup de rester impuissant dans les champs de maïs.

9 Donc avec Marko Mandic, un ami à moi, plâtrier à l'hôpital, avec sa femme,

10 avec Jankovic et avec un médecin dont je ne me souviens pas exactement du

11 nom de famille, nous sommes retournés sur nos pas vers l'hôpital.

12 Question: Savez-vous ce qui s'est passé avec les autres qui ont continué

13 la route?

14 Réponse: Ce qui s'est passé, je l'ai appris seulement plus tard, lorsque

15 j'ai été fait prisonnier à Sremska Mitrovica. Nous avons appris des

16 nouvelles. On m'a battu beaucoup; après, j'ai été transféré à Proboj, mais

17 on nous a dit: "Il vaut mieux que tu n'y sois pas allé parce que beaucoup

18 ont été égorgés". Ce soir-là, nous étions environs 350; je dis aujourd'hui

19 que peut-être encore 70 sont vivants de cette percée du 17 novembre 1991.

20 Question: Vous avez dit que vous avez essayé cette percée; est-ce que vous

21 savez qui étaient les personnes qui vous attaquaient à ce moment-là?

22 Réponse: Oui, bien sûr. Nous le savions, nous savions que c'étaient des

23 Chetniks et l'ancienne armée yougoslave JNA. Certains de nos hommes

24 avaient déjà des expériences de conflits avec eux, près de la caserne de

25 Mitnica. Nous savions qui étaient ceux qui nous attaquaient et nous

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1 tuaient.

2 Question: Quand vous utilisez le terme "les Chetniks", qu'est-ce que vous

3 entendez par ce terme?

4 Réponse: Je pense que celui qui a rencontré les soldats réguliers de la

5 JNA avait de la chance, mais que celui qui tombait sur un Chetnik était

6 mort. Je ne les connaissais pas, je connaissais très peu les détails de la

7 Deuxième Guerre mondiale mais, malheureusement, je les connais maintenant.

8 Et je les ai sentis.

9 Question: Monsieur Berghofer, qu'est-ce qui s'est passée lorsque vous

10 étiez de retour à l'hôpital?

11 Réponse: Ce soir-là, il pleuvait une petite pluie d'automne; je rentrai à

12 l'hôpital. C'était difficile d'y entrer parce qu'il y a eu un grand nombre

13 de civils, d'enfants, de femmes sans parler de blessés, bien sûr, de

14 blessés qui étaient traités. Cette nuit-là, je l'ai passée assis, avec

15 l'épouse de mon ancienne amie, amie qui avait été tuée au début des

16 hostilités.

17 C'était le 18 et, comme je l'ai dit, il y avait beaucoup de monde. Ce

18 n'était pratiquement pas possible de se déplacer. Du 18 au 19, j'ai passé

19 la nuit dans un lit d'enfant. L'hôpital se trouvait en situation critique,

20 il y avait peu de vivres, peu de nourriture. Moi, j'ai trouvé au premier

21 étage de la nourriture en poudre pour bébés, "Babyvit". Les femmes savent

22 de quoi il s'agit: il s'agit de la bouillie, de la nourriture en poudre

23 pour les enfants de cinq ou six mois, pour les bébés. J'ai trouvé deux ou

24 trois conserves de cela et c'est ce que j'ai mangé jusqu'au 19 novembre.

25 Le 19 novembre, vers 4 heures de l'après-midi, peut-être 3 heures et

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1 demie, les premiers réservistes de l'armée yougoslaves sont entrés à

2 l'hôpital.

3 Question: Pour revenir un petit peu en arrière, est-ce que vous avez

4 remarqué les observateurs ou les paramilitaires ou les soldats de la JNA à

5 l'hôpital?

6 Réponse: Non, non, je n'ai vu personne d'une part ou de l'autre. La seule

7 chose que j'ai vue tout d'abord, le 19, vers 15 heures 30, j'ai vu entrer

8 à l'hôpital les réservistes de la JNA.

9 Question: Lorsque les réservistes sont venus, qu'est-ce qui s'est passé?

10 Réponse: Alors, je me rappelle du concierge de l'hôpital, Kuzmic Bogdan,

11 qui était en train de discuter avec un homme qui s'appelle Stanko Dubnjak.

12 Il était également là, à l'hôpital; peut-être qu'il a été blessé. Monsieur

13 Kuzmic lui a demandé quelque chose et l'autre a dit: "Mais qu'est-ce que

14 j'aurais pu faire? Je n'ai rien pu faire!" Et moi, je n'ai pas pu entendre

15 la conversation par la suite. Je me suis caché près d'un docteur et de

16 certaines infirmières, moi et un monsieur appelé Perkovic, dans un bureau.

17 Là, j'ai passé la nuit avec ces médecins, la nuit du 19 au 20.

18 Question: A partir des réservistes, y avait-il d'autres militaires, du

19 personnel militaire de la JNA?

20 Réponse: Ce soir-là, non. Mais j'ai vu, le lendemain, très tôt le matin,

21 il y a eu des jeunes soldats, beaucoup de jeunes soldats et un officier,

22 un commandant, un chef: tout le monde lui obéissait. C'était quelqu'un

23 d'un grade supérieur, qui portait des moustaches. Il avait un béret comme

24 dans l'armée de Tito, de l'armée de la JNA. Et tout de suite, il a crié et

25 s'est agité: "Qu'est-ce qu'on attend, Docteur? C'est une situation de

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1 guerre. Il faut procéder: les blessés légers et les civils à gauche". Là,

2 il y a l'entrée latérale de l'hôpital; nous, à Vukovar, on l'appelait

3 Sapudl, cette rue ou ruelle à côté de l'hôpital.

4 Question: Je vais revenir un petit peu en arrière: la personne qui vous a

5 accompagné lors de votre entrée à l'hôpital, le 17 novembre, alors donc

6 que vous avez essayé de quitter, est-ce que c'était Ivankovic?

7 Réponse: Non, ce n'était pas lui, le 18. Mladen Ivankovic, c'était

8 quelqu'un qui était un de mes bons amis et c'est lui qui m'a introduit

9 dans cette salle où se trouvaient quelques médecins et quelques

10 infirmières.

11 Question: Est-ce que le docteur Mladen Ivankovic avait un fils prénommé

12 Goran?

13 Réponse: C'est ça. Le docteur Ivankovic avait un fils Joran, surnommé Dzo,

14 qui est venu le saluer. Ils se sont embrassés; peut-être ne s'étaient-ils

15 pas vus pendant trois ou quatre mois. C'est à ce moment que Goran lui a

16 dit: "Je t'ai dit de quitter Vukovar. Nous allons incendier la ville au

17 napalm". Sur la tête, il portait le chapeau d'un Chetnik; il a demandé

18 également où est la grand-mère, pas la mère mais la grand-mère. Il a eu

19 comme réponse: "Elle est décédée lorsque la grosse bombe -qu'on appelait

20 la bombe cochon- est tombé sur l'hôpital". Et lui a dit: "Quel dommage

21 qu'elle n'est va en vie, parce qu'on pourrait me voir habillé comme un

22 Chetnik". C'est quelque chose dans ce sens que j'ai entendu.

23 Question: J'aimerais préciser quelque points.

24 Donc le fils Goran était membre de l'armée? Il était dans les forces

25 Serbes?

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1 Réponse: C'est ça.

2 Question: Et il était absent de la ville pendant quelques mois avant ce

3 jour-là?

4 Réponse: Je pense, mais je ne le sais pas. Seulement, je le juge à partir

5 du comportement lors de cette rencontre entre père et fils. Si je me

6 rappelle bien, il a étudié, il a fait ses études à Novi Sad.

7 Question: Et le docteur Mladen Ivankovic était votre ami, personnellement?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Alors, vous nous racontiez que les soldats de la JNA sont entrés

10 à l'hôpital, le 20 novembre, et qu'une personne a distribué les ordres et

11 paraissait être en charge de la situation. Et qu'on a...?

12 Réponse: C'est ça. C'était le 20 dans la matinée. Le 19, les premiers

13 soldats sont entrés et, le 20 le matin, cet officier de grade supérieur

14 -c'est seulement par la suite que j'ai appris qui il était- a distribué

15 les ordres.

16 Question: Alors, quels étaient son nom et son prénom, puisque vous l'avez

17 appris par la suite?

18 Réponse: Après quatre mois et demi, je suis retourné de la prison de

19 Sremska Mitrovica. Bien sûr, je n'ai eu rien, pas de poste de télévision.

20 Cela a duré environ deux ans; en effet, deux ans plus tard, la BBC a

21 montré une émission sur le Vukovar, près de Novimos, le nouveau pont.

22 C'est là que j'ai pu voir ce monsieur que j'avais vu en 1991 et j'ai pu

23 voir qu'il s'agissait du major Sljivancanin, parce qu'il y a eu des sous-

24 titres. C'était quelqu'un de très décidé. Un représentant de la Croix-

25 Rouge de Grande-Bretagne lui a dit: "Vous ne me permettez pas d'aller à

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1 l'hôpital?" Il a montré du doigt un autre pont, éloigné de 30 mètres, un

2 pont en bois. Là, il y a eu des bus, des bus sont passés par ce pont le

3 20 novembre; je m'y trouvais dans un bus.

4 Question: Lorsque vous étiez dans le bus, où vous dirigiez-vous? Et quel

5 était votre sort après?

6 Réponse: Le matin du 20 novembre 1991, ce même personnage très grand, avec

7 des moustaches, a dit: "Docteur, qu'est-ce qu'on attend? Les blessés

8 légers et les civils à gauche !" Nous étions au nombre de 320; nous nous

9 sommes placés en deux lignes. Toute la nuit, les civils ont été

10 transportés de l'hôpital; ceux d'entre nous qui sont restés, nous devions

11 nous aligner, nous devions écarter nos jambes. Nous devions sortir toutes

12 les pièces en métal. Ils ne prenaient rien d'autre, pas d'argent, pas de

13 portefeuille, pas de cartes d'identité; seulement les objets en métal,

14 peut-être un petit couteau, un canif, un trousseau de clef, etc. C'étaient

15 les ordres que les réservistes ont reçu de ce monsieur qui donnait des

16 ordres. On nous a fait monter dans les bus qui, une fois remplis, sont

17 partis dans la direction de la caserne.

18 Question: Vous avez dit la caserne: c'était la caserne de la JNA, de

19 Vukovar?

20 Réponse: C'est ça. Parce que c'était la seule caserne qui existait à

21 Vukovar.

22 J'ai déjà dit qu'à douze mètres de là, se trouvait ma maison. C'est là que

23 nous étions emmenés.

24 De jeunes soldats nous gardaient, étaient à l'entrée des bus; personne ne

25 pouvait donc entrer dans les bus, mais il y avait des fous, je dirais,

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1 comme les indiens qui ont capturé un blanc: ils ont dansé la danse de

2 guerre autour. C'est de cette manière-là que les Chetniks dansaient autour

3 des bus. Un groupe a détruit comme ça une armoire anti-incendie: ils ont

4 pris les cognées, les pelles, les haches pour en faire des barres, des

5 bâtons. Et ils étaient là, fous, à circuler autour du bus.

6 Un de mes voisins, Antunovic Duro, Duro Antunovic, qui habitait à trois

7 maisons de la mienne -j'étais très ami avec ses parents-, il tapait

8 derrière et il me montrait, par gestes avec son couteau, qu'il allait

9 m'égorger.

10 Question: Donc il faisait partie des Chetniks, du groupe des Chetniks?

11 Réponse: Oui, il était avec les Chetniks dehors. Là, j'ai vu également

12 Darko Gradina.

13 Et j'ai remarqué aussi que certaines personnes étaient sorties. Alors,

14 tout d'abord, je me suis dit: "Oh ! quelle chance. Ils ont de la veine,

15 quelqu'un les a sauvés". Mais, hélas, j'ai pu constater, deux minutes plus

16 tard, que ces personnes ont été pratiquement jetées dans le bus n°7, où

17 les a passés à tabac. On a utilisé les mains, les pieds, les coups de

18 pied, les objets. Alors j'ai compris que ce n'était pas de la chance.

19 Alors, ce bus est allé dans une direction inconnue pour moi, dans la

20 direction de Negoslavci. J'ignorais où il se rendait. Derrière eux, une

21 voiture de marque Fiat 101 a suivi le bus militaire.

22 Question: Lorsque vous étiez dans le bus, c'est-à-dire dans la caserne,

23 est-ce que vous avez reçu des coups, des blessures?

24 Réponse: Personnellement, dans la caserne, non. Il y a eu des menaces: par

25 exemple, un "bulidza" a dit: "Qu'est-ce qu'il y a, Beli? -c'était mon

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1 surnom- Il n'y a plus de football, c'est fini avec le football. Etc."

2 Question: Y avait-il des gardes, des gardiens dans le bus?

3 Réponse: Oui, il y a eu un jeune homme, un jeune soldat, à l'entrée même.

4 La portière était fermée et personne n'est entré.

5 Question: Ce jeune soldat faisait-il partie de la JNA ou des Chetniks? Ou,

6 tout simplement, l'ignorez vous?

7 Réponse: Eh bien, le jeune soldat qui était notre garde était un régulier,

8 donc un soldat de l'armée régulière, de la JNA.

9 Question: Que s'est-il passé à ce moment-là, à partir de la caserne?

10 Réponse: Eh bien, nous sommes restés à la caserne. Je ne peux pas vous

11 dire exactement combien de temps nous y sommes restés, mais je crois

12 quatre heures. Donc ils étaient sans doute en train de décider ce qu'ils

13 allaient faire de nous. C'est ainsi que je l'ai interprété.

14 Ensuite, nous avons pris la direction de Negoslavci. Personne ne nous a

15 dit exactement où nous aboutirions. Lorsque nous sommes arrivés près de

16 Negoslavci, nous avons tourné à gauche et nous avons pris la route

17 d'Ovcara. A Ovcara, les autocars se sont arrêtés et il nous a fallu

18 quitter les autocars un par un.

19 Question: Que s'est-il passé alors que vous sortiez de l'autocar? Qu'est-

20 ce que vous avez vu? Qu'est-ce qu'il s'est passé?

21 Réponse: Eh bien, lorsque mon tour est venu de descendre, mon ami et moi-

22 même, celui qui était le voisin à mon atelier, "Kustro", Goran Mugosa -je

23 crois qu'il avait 22 ou 23 ans, je ne me souviens plus exactement de son

24 âge-, donc j'étais allé le voir; nous sommes tous allés le voir parce

25 qu'il était là. Et lorsque mon tour est venu, il m'a pris mon

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1 portefeuille, mon argent, il m'a pris tout ce que j'avais dans mes poches

2 et, puisque je n'étais pas le premier arrivé -j'étais le 250e dans la

3 file-, il y avait déjà une pile de documents, d'argent et des valises.

4 Parce que certains étaient venus avec leurs bagages. Moi, je n'avais rien:

5 j'étais venu les mains vides.

6 A partir de là, on devait traverser une haie. C'est difficile à décrire

7 mais, croyez-moi, on en a vu, des étoiles: on était frappés de tous les

8 côtés, de tous les côtés et avec tous les objets possibles et imaginables.

9 J'ai vu quelqu'un qui demandait: "Est-ce que vous le connaissez?",

10 puisque je travaillais à Negoslavci qui était un village serbe, j'y

11 travaillais. Je me suis retourné et quelqu'un m'a frappé, violemment, du

12 côté droit de la tête, donc derrière l'oreille. Et le sang immédiatement

13 s'est répandu sur mon visage. On m'a frappé avec une canne, vous savez les

14 cannes qui servent à marcher; donc c'est ainsi qu'on m'a frappé. Ensuite,

15 on m'a frappé les membres inférieurs, je ne suis pas tombé, j'ai quand

16 même réussi à traverser la haie et à entrer dans le hangar.

17 Question: Et qu'est-ce que vous avez vu, une fois que vous êtes arrivé

18 dans le hangar?

19 Réponse: Eh bien, en arrivant dans le hangar, pour autant que j'ai pu voir

20 alors que je continuais à courir, j'ai vu des gens que je connaissais, des

21 gens plus jeunes que moi. Mais nous étions amis, même mon voisin, Zeljko

22 Begov, s'y trouvait et Podruzic Ante, Zvonko Ilic, Stanko Bosovic et

23 d'autres. C'étaient tous des jeunes hommes qui avaient été sortis de

24 l'autocar à la caserne et c'était absolument horrible à voir. Leur visage

25 était tuméfié, ils étaient ensanglantés, on ne pouvait même pas

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1 reconnaître leur visage parce que, réellement, on les avait massacrés

2 alors qu'on était encore dans l'autocar, à la caserne.

3 J'ai réalisé immédiatement que c'étaient ceux qu'on avait fait monter dans

4 l'autre autocar. J'en connaissais environ vingt. Je me souviens de leur

5 nom et je les écris d'ailleurs: Zeljko Begov, qui vivait à cinq maisons de

6 chez moi, s'est évanoui quatre fois parce qu'il ne pouvait pas ni se lever

7 ni reprendre conscience.

8 Dans le hangar à Ovcara, il y avait quatre ou cinq personnes qui ont

9 continué à nous battre sans interruption. L'un d'entre eux était muni

10 d'une chaîne et l'autre avait un tuyau, un tuyau en métal. On ne nous a

11 pas permis de nous retourner.

12 Question: Est-ce que vous connaissiez ceux qui vous battaient, donc vos

13 tortionnaires?

14 Réponse: J'en connais un qui était un responsable haut gradé serbe; l'un

15 d'entre eux s'appelait Milan Bulic ou "Bulidza". "Bulidza" était son

16 surnom: c'était le boucher de l'hôpital. Et littéralement, il a tué Damjan

17 Samardzic avec une matraque, en fait la cognée d'une pioche.

18 Question: Et cela, devant vous?

19 Réponse: Oui. C'était devant nous tous parce que la porte était restée

20 ouverte.

21 Et plus tard, lorsque nous sommes partis, il était tout ensanglanté. Dans

22 le hangar lui-même, il y avait un Monténégrin qui cherchait un Français.

23 C'était un jeune homme de vingt ans, mais je ne peux pas vous décrire la

24 situation: c'était horrible. On ne pourrait même pas en faire un film pour

25 vous montrer ce qu'il lui a fait. Il avait un Meho également, un nommé

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1 Meho, qui a été roué de coups. Egalement un entraîneur d'un club de

2 football; il était blessé au bras gauche et toutefois, même s'il était

3 blessé, il a continué à frapper le jeune homme jusqu'à ce qu'il perde

4 connaissance.

5 Question: Plus tard dans la journée, est-ce que quelqu'un est venu vous

6 voir? Que s'est-il passé en ce qui vous concerne?

7 Réponse: Désolé, j'ai oublié de vous citer un nom de l'un des

8 tortionnaires: Stevan Zoric était l'un des principaux tortionnaires. J'ai

9 appris par la suite que ses fils étaient en quelque sorte ses aides. Donc

10 il était l'un de nos tortionnaires et eux également. Pendant une heure et

11 demie, on nous a frappés et, personnellement, je n'ai pas été… Bien sûr,

12 on m'a frappé mais je n'ai pas été frappé si violemment.

13 Le pire m'a été administré alors que j'arrivais dans le hangar. Mais

14 Ivankovic est arrivé, il m'a emmené, avec Perkovic et Guncevic, Stevan

15 Zoric a emmené Emil Cakalic. Et pendant que ce dernier sortait de

16 l'autocar et passait donc dans la haie de Chetniks, il s'est précipité

17 dans le hangar où le responsable, le haut gradé serbe a dit: "Ah! Monsieur

18 l'inspecteur, vous êtes là également!" Donc l'autre groupe a commencé à

19 rouer de coups M. Cakalic également. C'était un inspecteur de l'hygiène

20 municipale.

21 Puis j'ai été libéré, c'est-à-dire que Goran est arrivé, il m'a fait

22 sortir avec d'autres: il y en avait plusieurs autres. La nuit tombait, une

23 voiture est arrivée phares allumés; donc on nous a fait monter dans une

24 estafette, dans une Volkswagen Polo. On nous a fait monter et on nous a

25 emmenés à Velepromet, mais là, il n'y avait pas de place pour nous.

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1 Question: Celui qui vous a emmenés, M. Ivankovic, était le fils du docteur

2 Ivankovic?

3 Réponse: Oui, c'est ça. C'était Goran Ivankovic, le fils du docteur

4 Ivankovic.

5 Question: Qui faisait partie du groupe paramilitaire qui s'y trouvait, qui

6 avait donc participé à la rossée?

7 Réponse: Je ne l'ai pas vu en train de frapper qui que ce soit, mais il

8 portait l'uniforme de l'armée yougoslave.

9 Question: Est-ce qu'il vous a dit quoi que ce soit lorsqu'il vous a séparé

10 du groupe?

11 Réponse: Oui, il m'a dit: "Tu vois, Beli, est-ce que tu sais qui est

12 Zambata dans ton groupe?" J'ai dit: "Joran, ce sont tous des jeunes, des

13 gens que je ne connais pas et je ne connais pas leur nom". Parce

14 qu'apparemment, Zambata était juste à côté de moi; il était le beau-frère

15 de mon beau-fils et je ne voulais pas le révéler. Donc j'ai prétendu que

16 je ne connaissais pas son nom. Et donc il a dit: "Je ne le tuerai pas mais

17 je lui briserai tous les os du corps".

18 Question: En dehors de cela, est-ce que Ivankovic vous a dit quoi que ce

19 soit?

20 Réponse: Non, non. Je ne me souviens de rien d'autre. Il nous a emmenés,

21 nous trois, et il nous a mis de côté.

22 Question: Et ensuite, on vous a emmenés en estafette à Velepromet?

23 Réponse: Oui, ils nous ont emmenés à Velepromet, mais il n'y avait pas de

24 place pour nous. Ils ont donc poursuivi leur route pendant un kilomètre ou

25 deux; disons deux et même trois kilomètres. J'étais à l'arrière de la

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1 voiture et ils nous ont emmenés à Modatex, Modatex qui est une usine de

2 mailles, propriété d'Allemands, qui a été construite le long de la route

3 menant à Petrovci.

4 Question: Que s'est-il passé à Modatex?

5 Réponse: Eh bien, il faisait nuit quand nous sommes arrivés; il y avait de

6 nombreuses femmes qui s'y trouvaient, qui étaient à gauche dans un coin.

7 Il y avait des femmes de, je crois, deux ou trois autocars; lorsque je

8 suis arrivé à Modatex, Dorde Pavlovic m'a reconnu. Il était de garde ce

9 soir-là lorsque, le 24 août, ma maison avait été touchée. Et donc il

10 travaillait, il construisait des maisons, en particulier la maison de mon

11 beau-fils; il était maçon. Après trois minutes, un homme de 30-35 ans est

12 venu, Dusko; c'était un quincaillier à Velepromet. Dans le noir, il a dit:

13 "Où est Beli?" Il m'a regardé et a dit: "Mais c'est toit! Nous parlerons

14 demain matin", m'a-t-il dit.

15 Donc ce soir-là, personne ne nous a touchés. Nous avions deux gardes, nous

16 nous sommes couchés sur des tables. Mais vers 4 heures du matin ou 4

17 heures et demie, d'autres autocars sont arrivés et on a fait monter les

18 femmes dans les autocars qui sont ensuite partis dans une direction que je

19 ne connais pas. Sept ou huit d'entre nous sont restés sur place. On nous a

20 donné du travail. Moi, j'étais chargé d'aller laver le plancher de la

21 salle. J'ai dû apporter de l'eau de l'extérieur, accompagné par un garde.

22 Ce soldat a commencé à tirer au-dessus de ma tête. C'était tellement

23 soudain que je n'ai pas eu le temps d'avoir peur. Un jeune soldat est

24 arrivé en transport de personnel, avec une mitrailleuse; lui aussi a

25 commencé à tirer en l'air. Il a dit: "Ne t'inquiète pas, il est en train

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1 de célébrer la fête de sa famille". C'était le 21 novembre.

2 Question: Combien de temps êtes-vous resté dans la région de Vukovar,

3 après les événements que vous venez de relater, après donc vous être rendu

4 à Modatex?

5 Réponse: Eh bien, pas très longtemps. J'ajouterai simplement que, vers 10

6 heures et demie, une jeune femme de 15 ans, une jeune fille est venue,

7 Sladana Korda, accompagnée de deux soldats. Elle m'a montré du doigt, on

8 m'a emmené de côté, à côté d'autres prisonniers; les deux soldats m'ont

9 pris par le bras, à droite et à gauche. Elle m'a mis un couteau sous la

10 gorge en me disant: "Où est ton uniforme? Combien de Serbes as-tu tués?"

11 Je n'ai pas eu peur, je vous le dis honnêtement. C'était différent

12 d'Ovcara où j'avais les genoux qui tremblaient. J'ai dit: "Ecoute, ma

13 petite…" Parce que j'étais très ami avec son père, nous jouions aux échecs

14 ensemble; c'était quelqu'un qui avait de la culture, il était directeur

15 d'une société médicale. Damjan Korda était également juge. Donc je lui

16 dis: "Pour qui as-tu voté lors des dernières élections?"; c'est plutôt ce

17 qu'elle m'a dit. Je lui ai dit: "Pour Ivica Racan". J'aurais pu voter pour

18 la HDZ, même si je n'ai jamais été membre d'un parti politique, uniquement

19 membre de club de football, comme à Zagreb.

20 Une fois qu'elle en a eu fini de ses menaces et de ses insultes, elle a

21 pris une cigarette de l'un des jeunes soldats, est venue me voir à deux

22 centimètres de l'œil et elle allait m'éteindre la cigarette dans l'œil;

23 mais elle ne l'a pas fait.

24 Donc on m'a laissé partir mais vers treize heures ou treize heures trente,

25 Bulidza est arrivé, le même Bulidza qui avait rossé et tué Damjan

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1 Samardzic à Ovcara. Et il a dit: "Attends, écoute, Beli" Et il m'a dit:

2 "Fils de salopes, qui vous a amenés ici?" Perkovic et moi-même avons

3 répondu d'une seule voix: "Ivankovic, Goran Ivankovic, Dzo", puisque

4 c'était son surnom. Et il a dit: "J'emmerde ta mère et la sienne. D'abord

5 je te tuerai et, ensuite je te tuerai toi" Il y avait un réserviste serbe

6 avec lequel j'étais ami au moment où nous étions tous des civils; son

7 surnom était "Deda". Lui nous a très bien traités. Vers midi, il nous

8 avait donné du pain et également du pâté de foie; c'est ce que nous avions

9 à nous partager entre nous. Ensuite, il avait verrouillé la porte; une

10 heure et demie plus tard, il a déverrouillé la porte et a dit: "Je vous

11 emmène à Velepromet; c'est là que se trouve la police militaire et c'est

12 là où vous serez plus en sécurité qu'ici."

13 Je me souviens que Zelimir Stankovic nous a emmenés avec d'autres soldats

14 à Velepromet.

15 Question: Est-ce que vous avez entendu parler à ce moment-là de ce qui

16 était arrivé à ceux qui étaient restés à Ovcara, qui avaient été laissés à

17 Ovcara?

18 Réponse: J'ai entendu des rumeurs mais, puisque j'avais mal à l'oreille

19 gauche et que j'entendais très mal ce côté-là, j'avais du sang dans

20 l'oreille, je ne pouvais pas vraiment entendre. Mais j'ai entendu dire:

21 "J'ai tué; j'en ai tué pas mal ce soir et je peux te faire exactement la

22 même chose". C'était ça le message.

23 Question: Et lorsqu'on vous a emmenés à Velepromet la deuxième fois,

24 c'est-à-dire quand on vous y a remmenés, où vous êtes-vous rendus à partir

25 de là?

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1 Réponse: Et bien, on nous a emmenés à Velepromet. On nous a fouillés de

2 nouveau, mais nous n'avions rien dans nos poches, bien sûr. Le soir, ils

3 ont fait sortir quatre ou cinq personnes; ces gens, je ne les ai jamais

4 revus. Ils ont emmené Zerk Golac, puis le fils d'un Tzigane, d'un musicien

5 tziganes; ensuite, un jeune homme, celui qui avait été témoin donc qui

6 était devant moi, qui était passé ici avant moi. Et les autres, je ne les

7 ai jamais revus.

8 Parmi ceux qui ont été emmenés, il y avait Perkovic qui était venue avec

9 moi d'Ovcara. Il a été emmené par Draca; c'est d'ailleurs le fils du

10 boucher. Il a été frappé au visage avec une botte de l'armée: "D'abord, je

11 te couperai les oreilles et ensuite la gorge". A dix heures dix, deux

12 jeunes soldats sont arrivés.

13 J'ajouterai également que, lorsque nous sommes arrivés dans la guérite et

14 que le jeune soldat n'a rien trouvé sur moi, nous avions un peu d'argent

15 que nous avions reçu du fils du médecin à Ovcara. Il a demandé: "Qu'est-ce

16 que tu as dans tes chaussures?" Je n'avais rien dans mes chaussures. "Si

17 je trouve quoi que ce soit dans tes chaussures, dit-il, je te couperai les

18 pieds" "Tu peux les couper immédiatement…" Bref, quatre ou cinq personnes

19 ont été emmenées et, vers 11 heures, c'est-à-dire 23 heures, deux autres

20 jeunes soldats sont arrivés dans la salle et ont dit: "N'ayez pas peur. Le

21 capitaine tente de vous sauver".

22 Nous sommes sortis, nous avons poussé l'autocar comme ils nous

23 l'ordonnaient puisqu'il ne voulait pas démarrer. En fin de compte, il a

24 démarré et on nous a emmenés à la caserne. Dans la caserne, on nous a

25 remis 20 ou 25 décigrammes de pain et également une boîte de conserve de

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1 viande.

2 Question: Et à partir de la caserne, où êtes-vous allés jusqu'à ce qu'on

3 vous libère?

4 Réponse: Eh bien, nous avons passé la nuit à la caserne. Le matin, un

5 jeune soldat est arrivé et nous a demandé nos noms, nos surnoms, notre

6 nationalité. J'ai dit que j'étais yougoslave, mais il n'a pas réussi à

7 écrire mon nom de famille; donc, en fait, il m'a donné le nom de

8 "Yougoslave". Après cela, il a fait l'appel et il a dit: "Les noms que je

9 lis, il faudra sortir et le Yougoslave également". Et j'étais le dernier.

10 Donc nous avons pris l'autocar qui nous a emmenés à Sremska Mitrovica.

11 Et maintenant, nous parlons du 22 novembre. Là encore, à Mitrovica, il y

12 avait également une haie d'agents de police, des agents de police à droite

13 et à gauche. Il nous a fallu traverser cette haie. Encore une fois, ils

14 nous ont frappés, battus de matraques, ils nous ont donné des coups de

15 pied. Je n'ai reçu que des coups non pas de pied mais de matraque. On nous

16 a fait déshabiller, j'étais donc nu. Et ils ont continué à nous frapper.

17 Ils ont utilisé une technique de karaté: l'un m'a frappé à l'estomac. Il

18 nous a fallu nous coucher par terre et ils ont continué à nous frapper. Je

19 me suis évanoui par trois fois et, à ce moment-là, Soljic a été tué. Après

20 deux heures dans le froid, il est mort de froid.

21 L'un des tortionnaires qui m'a frappé m'avait pris en grippe; il

22 s'agissait de Dusko. Quelqu'un lui a dit: "Dusko, comment peux-tu le

23 frapper si fort? Comment peux-tu être ce tortionnaire?" Je ne sais pas ce

24 qu'il a répondu, ce Dusko, mais je sais simplement qu'il riait, qu'il

25 ricanait du moins, il ricanait devant les cadavres. Il y avait deux

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1 cadavres, l'un étant le fils de Kata Soljic qui est mort de froid. Il

2 était en train de rire et de dire: "Regarde, il est mort: il a mangé trop

3 de crème glacée!"

4 Je me suis évanoui, je ne pouvais pas rester debout. Je suis donc tombé au

5 sol et l'un des soldats m'a permis de m'asseoir. Plus tard, Slobodan

6 Nikolic et Buljan, Zeljko Buljan m'ont emmené, m'ont traîné dans une salle

7 de trois mètres sur trois. Pendant cinq jours, je n'ai pas pu marcher.

8 D'ailleurs, j'avais la peau gelée.

9 Question: Quand avez-vous été échangé?

10 Réponse: Le 27, à Nemetin. C'est à ce moment-là qu'on a procédé à un

11 échange.

12 Question: Et à partir de l'époque jusqu'à maintenant, est-ce que vous avez

13 revu ceux qui avaient été laissés à Ovcara quand on vous a emmenés?

14 Réponse: Non, non, personne. Je vous ai déjà dit que j'ai une liste de

15 vingt personnes qui étaient avec moi. On ne peut pas se souvenir de tous

16 les noms, mais je me suis souvenu des noms de mes amis, de mes voisins. Je

17 ne les ai pourtant jamais revus depuis lors.

18 M. Niemman (interprétation): Je n'ai pas d'autre question, Monsieur le

19 Président.

20 M. le Président: Merci, Monsieur le Procureur. Madame la Juge?

21 Mme Odio-Benito (interprétation): J'aimerais savoir s'il y a toujours eu

22 une caserne de la JNA à Vukovar?

23 M. Berghofer (interprétation): Oui, il y a toujours eu une caserne à

24 Vukovar. Pour autant que je me souvienne, il y a toujours eu une caserne

25 légèrement à l'extérieur de la ville.

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1 Question: Donc une caserne et des soldats, des soldats de la JNA?

2 Réponse: Oui, oui. Il s'agissait d'une caserne opérationnelle qui a

3 toujours été utilisée.

4 Question: Et les Chetniks, est-ce qu'ils sont venus pour la première fois

5 à cette époque?

6 Réponse: Oui. Voyez-vous, nous les appelions Chetniks, pour ceux qui nous

7 torturaient, qui nous tuaient, qui nous frappaient. Mais ils portaient

8 tous des uniformes de l'armée yougoslave et certains d'entre eux avaient

9 des barbes. Donc ils étaient en uniforme et ils avaient tous des étoiles à

10 cinq branches sur leur couvre-chef. Donc il était difficile de faire la

11 différence entre la JNA et les Chetnik, mais certains de ceux qui étaient

12 de la JNA étaient des gens tout à fait bien et nous ont sauvés.

13 Mme Odio-Benito: Merci. Pas d'autres questions.

14 M. Riad (interprétation): Monsieur Berghofer, si je puis reprendre la

15 suite du déroulement des événements, vous avez dit que, le 17 novembre, il

16 y a eu une tentative de fuite, et 350 personnes ont traversé la forêt.

17 Seuls, 70 d'entre eux ont été sauvés. Pourriez-vous me dire ce qui est

18 arrivé aux autres?

19 M. Berghofer (interprétation): Eh bien, ce soir-là, je ne les ai pas

20 comptés mais je puis dire la chose suivante: j'étais le premier parce

21 qu'ainsi que je vous l'ai dit, j'ai dit: "Si on prend la route principale,

22 on entend l'écho des pas, des voix", je puis donc vous dire que la file

23 indienne des gens était de quelque 450 mètres. J'ai également dit que je

24 cherchais un passeur, que nous n'en n'avions pas, mais le groupe traînait;

25 donc je suis revenu au stade de Sloga. Le premier groupe tout simplement

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1 nous avait laissés; et certains ont décidé de traverser la Vuka à la nage.

2 Le frère, par exemple, de feu Perkovic qui était avec moi à Ovcara, il a

3 survécu lui mais il a été frappé au visage par un shrapnel, un éclat

4 d'obus, et deux autres qui le suivaient de Nasice ont été tués: ils ont

5 sauté sur une mine. Mais je l'ai appris bien plus tard, à Sremska

6 Mitrovica, de ceux qui avaient réussi à survivre.

7 Donc combien d'entre eux ont été tués, ce qui s'est passé dans différents

8 groupes? Eh bien, les différentes groupes se sont divisés, morcelés et ils

9 ne savaient pas exactement où ils se rendaient. Si vous voulez, ils

10 s'étaient perdus dans les champs de maïs. Tout dépend en fait de la chance

11 qu'on a eue.

12 Question: Vous avez dit qu'il y a des gens qu'on a fait monter dans un

13 autre autocar et vous avez découvert, par la suite, qu'ils avaient été

14 frappés violemment, qu'on les avait tellement frappés qu'ils n'étaient pas

15 reconnaissables et que leurs souffrances dépassaient l'imagination. Y a-t-

16 il eu une raison pour cette "distinction", pourquoi on a choisi ceux-là

17 pour leur administrer un traitement plus cruel?

18 Réponse: Vous voyez, il y a des raisons. Par exemple, ils ont pu peut-être

19 être plus jeunes, peut-être à cause d'une jeune fille, ils étaient en

20 conflit. Zeljko, Ante Podruzic étaient des Croates. Il y avait des gens

21 qui ont montré qu'on ne nous aimait pas. Moi, en tant que personne de 52

22 ans, je ne peux pas dire que j'ai eu des séquelles à cause de cela, ou des

23 conflits auparavant. Mais ceci s'est passé, même si un petit poussin est

24 entré dans son jardin, il a voulu se venger pour ceci dans cette période

25 de conflit. Je ne dis pas que tous sont comme ça, mais il y en avait.

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1 Question: Qui a fait le choix? Qui a fait le choix de personnes, de cette

2 séparation de ce groupe qui a bénéficié d'un traitement spécial?

3 Réponse: Je ne sais pas. Moi, j'étais dans le bus, je n'ai pas pu bouger,

4 j'ai juste suivi la situation des yeux. Moi, je ne m'imaginais pas qu'on

5 allait nous tuer.

6 Question: Quelqu'un est venu et a cherché un Français, vous avez dit. Il a

7 dit: "Je veux torturer ce Français" Est-ce que je vous ai bien compris?

8 Réponse: Oui, vous m'avez bien entendu. Ceci s'est déjà passé à Ovcara.

9 Devant moi, à deux ou trois mètres, cette personne a cherché le Français.

10 Cela s'est passé devant moi: ce Français était avec nous, dans le même

11 bus, et ceux qui étaient déjà alignés contre les murs, eux, étaient là

12 depuis un an et demi.

13 Question: Vous savez d'où vient ce Français?

14 Réponse: Personnellement, je ne le connaissais pas. Il avait peut-être 18

15 ou 19 ans, peut-être qu'on l'appelait seulement "le Français". Je ne sais

16 pas.

17 Question: Quel était le rôle de Sljivancanin? Vous l'avez vu souvent:

18 comment se comportait-il?

19 Réponse: Non. Tout ce que j'ai vu, je l'ai vu à l'hôpital lorsqu'il s'est

20 adressé au docteur. Il a dit: "Qu'attendez-vous? C'est un état de guerre.

21 Les blessés légers et les civils à gauche". Il a donné l'ordre qu'on nous

22 fouille, qu'on nous mette dans les bus et beaucoup d'officiers se sont

23 adressés à lui. Donc, de cette situation, j'ai compris que c'était lui le

24 commandant. Deux ans plus tard, je l'ai vu à la télévision.

25 Question: Qui était l'homme qui a dit: "J'ai déjà tué des gens et je vais

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1 continuer à le faire." Vous avez entendu quelqu'un se vanter comme ça à

2 Ovcara: vous le connaissez? Pouvez-vous le reconnaître?

3 Réponse: Cela s'est passé à Modatex, lorsque Milan, nommé Bulic, "le

4 boucher de l'hôpital", était très agité, très révolté. C'est ce que j'ai

5 compris; il a dit: "J'ai déjà assez tué cette nuit. Je vais le faire

6 maintenant. Je veux continuer de le faire".

7 M. Riad (interprétation): Merci.

8 M. le Président: Merci. Le Tribunal remercie le témoin. Il est conscient

9 de la difficulté que représente une audition comme celle-ci. Vous

10 entendez? Non, oui. L'évocation de ces souffrances physiques morales et

11 psychologiques. Il souhaite que vous retrouviez le calme et la sérénité.

12 Voilà votre audition est terminée. Merci. On peut raccompagner le témoin.

13 M. Berghofer (interprétation): Merci beaucoup.

14 (Le témoin est reconduit hors du prétoire.)

15 M. le Président: Monsieur le Procureur, je propose que nous levions

16 l'audience. Nous la reprendrons à 15 heures.

17 (L'audience est reprise à 15 heures.)

18 M. le Président: D'abord première question. Est-ce que la technique

19 marche?

20 Monsieur le Procureur, m'entendez-vous?

21 M. Niemann (interprétation): Cela fonctionne ici.

22 M. le Président: Mes collègues, m'entendez-vous? Les assistants,

23 m'entendez-vous? Les interprètes, vous entendez-vous?

24 Les interprètes: Oui, nous vous entendons en tout cas.

25 M. le Président: Alors écoutez, c'est parfait. Monsieur le Procureur, vous

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1 avez la parole.

2 M. Niemann (interprétation): Madame, Messieurs les Juges, j'aimerais

3 présenter une requête si vous m'y autorisez à ce stade, et cette requête

4 ne prendra pas très longtemps. Il s'agit de quelque chose de très bref. Je

5 pense que cela ne devrait pas dépasser cette séance à huis clos. Ce que je

6 demande ne devrait pas dépasser 15 minutes. Je dis cela pour les gens qui

7 sont dans le public.

8 Mais je demande une séance à huis clos étant donné le sujet dont je vais

9 parler et j'aimerais que le procès-verbal ne court plus pendant cette

10 période. J'entrerai davantage dans les détails au moment où je présenterai

11 ma demande.

12 M. le Président: Bien. A la requête de M. le Procureur, nous ordonnons le

13 huis clos. Monsieur le Greffier, pouvez-vous procéder à la mise en place

14 technique propre à assurer le huis clos qui va permettre à M. le Procureur

15 de développer la requête qu'il compte présenter devant nous, sans

16 transcript, aucune transcription. Vous me consignerez cela dans les

17 minutes?

18 Monsieur le Procureur, voyez-vous un inconvénient à ce qu'il y ait

19 enregistrement? Il faut qu'il y ait un enregistrement. Si c'est le huis

20 clos et pas de transcription, vous êtes d'accord sur l'enregistrement?

21 M. Niemann (interprétation): Non, nous n'avons rien contre la

22 transcription, Monsieur le Président. Ce que nous demandons, c'est qu'il

23 ne soit pas diffusé à l'extérieur du Tribunal.

24 M. le Président: Enregistrement, transcription, ce que vous demandez c'est

25 qu'il n'y ait aucune divulgation à l'égard du public, donc c'est le seul

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1 huis clos que vous demandez.

2 Alors Monsieur le Greffier, sur ces bases très claires, nous ordonnons le

3 huis clos.

4 Monsieur le Procureur, si vous voulez que le huis clos soit complet, il

5 faudrait que ce soit très clair, il ne faut quand même pas, il faut

6 interrompre la vidéo à l'extérieur?

7 Les interprètes: Que fait-on avec l'interprétation?

8 M. Niemann (interprétation): Peut-être peut-on interrompre la vidéo à

9 l'extérieur, il n'y a pas de problème avec la vidéo qui fonctionne à

10 l'intérieur de la salle.

11 M. le Président: C'est tout à fait comme ça que je l'avais entendu,

12 Monsieur, dans la question que je vous posais. Il faut que la vidéo

13 extérieure soit interrompue. D'accord. Merci.

14 Les interprètes: Monsieur Jorda, qu'en est-il de l'interprétation? Dans le

15 public, ils ont des appareils d'interprétation.

16 M. le Président: Il faut arrêter les appareils, il faut qu'il n'y ait plus

17 d'appareil d'interprétation dans le public. Il faut que je demande à la

18 sécurité d'ôter tous les personnels qui sont dans le public, et je crois

19 que le plus simple c'est peut-être de faire évacuer la salle du public.

20 Monsieur le Greffier, vous vous en occupez? Merci.

21 [Partie du transcript anglais séparée et non communiquée en version

22 anglaise]

23 (Audience à huis clos.)

24 (redacted)

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25 (Audience publique avec mesures de protection.)

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1 (Le témoin B est introduit dans le prétoire.)

2 M. le Président: Monsieur le Témoin B, m'entendez-vous? Vous m'entendez,

3 très bien. On va vous présenter une déclaration que vous allez lire.

4 Témoin B (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

5 vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

6 M. le Président: [Pas d'interprétation.]

7 (Interrogatoire principal du Témoin B par M. Niemann.)

8 M. Niemann (interprétation): Monsieur le témoin, où êtes-vous né?

9 Témoin B (interprétation): Je suis né à Vukovar.

10 Question: Est-ce que toute votre famille était originaire de Vukovar?

11 Réponse: Oui, toute ma famille.

12 Question: Et vous avez été également à l'école à Vukovar?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Et après l'école, qu'avez-vous fait, quelle profession avez-vous

15 adoptée?

16 Réponse: J'ai travaillé dans une société d'expédition maritime

17 internationale, dans une firme qui s'appelait Transjug-Rijeka, dans

18 l'export, import.

19 Question: Vous êtes marié, et vous habitiez près de la rivière Vuka?

20 Réponse: Oui, effectivement je me suis marié et j'avais une famille et

21 j'ai acheté une maison avec l'aide de mes parents et j'ai simplement

22 ajouté une aile à la maison.

23 Question: Et vous étiez en train de construire cette maison lorsque le

24 conflit a débuté.

25 Réponse: Oui, c'était une maison qui avait été adaptée si vous voulez pour

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1 être une résidence et la nouvelle aile de la maison devait donc m'être

2 destinée. Après le début de la guerre, au début de la guerre, nous étions

3 donc en train de construire cette nouvelle aile de la maison.

4 Question: Auparavant, vous avez fait votre service militaire, service

5 militaire ordinaire de 1984 à 1985?

6 Réponse: Oui. Service militaire un petit peu moins d'un an et c'était à

7 Karlovac et Pivka.

8 Question: Et l'environnement de Vukovar et le style de vie avant la guerre

9 pourriez-vous nous en parler à Vukovar?

10 Réponse: Il est difficile de décrire tout ce qu'il s'est passé mais

11 lorsque qu'on tente de décrire la vie d'un homme ordinaire, de la manière

12 la plus ordinaire, beaucoup de problèmes, tout le monde s'efforçait de

13 faire son travail et après les modifications sociales que l'on connaît, il

14 y a une situation je dirai de confusion, les choses sont allées très

15 vites, très rapidement. Mais c'était très loin de nous et nous ne nous

16 attendions pas à une guerre et certainement pas à ce que la guerre éclate.

17 Question: Est-ce qu'il y avait différents groupes ethniques qui vivaient à

18 Vukovar ou aux environs de Vukovar dans la période jusqu'à la guerre?

19 Réponse: Oui, tout à fait. Vukovar était connue comme étant une région

20 très mixte, plus particulièrement dans cette partie du pays, il y avait 20

21 groupes environ qui y vivaient. Il aura fallu traverser ce qu'ils ont dû

22 traverser.

23 Question: Vous aviez donc des problèmes des hommes de tous les jours, est-

24 ce que les groupes ethniques s'entendaient de façon harmonieuse?

25 Réponse: Je dirai que oui. Nous vivions de façon tout à fait normale. Sauf

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1 pour en qui concerne des petits problèmes, je crois que les gens vivaient

2 de façon tout à fait ordinaire. Il y avait pas d'importance accordée au

3 fait qu'on appartienne à un groupe ethnique donné.

4 Question: Vous avez entendu parler de l'événement ou des agents de police

5 qui ont été tués à Borovo Selo?

6 Réponse: Je ne sais pas, je ne puis parler que de mon point de vue, oui.

7 La tension existait certes, mais on réussissait à la surmonter. Je crois

8 qu'on en faisait même des plaisanteries. La création de la Serbie, c'était

9 effectivement une possibilité.

10 Question: Est-ce que vous vous souvenez du début des combats à Vukovar?

11 Réponse: En dehors des tirs nocturnes de Borovo Naselje et de Borovo Selo,

12 les véritables pilonnages de Vukovar ont commencé au mois de juillet, à

13 deux reprises au début et à la fin du mois.

14 Question: Et y a-t-il eu des évacuations organisées des femmes et des

15 enfants?

16 Réponse: Oui. Il y a eu des évacuations qui ont été procédées de diverses

17 manières. La municipalité en a organisé, des organisations caritatives,

18 nombre d'organisations se sont efforcés, effectivement, d'évacuer les

19 enfants. Nous pensions qu'il s'agissait tout simplement d'envoyer les

20 enfants, par exemple, en villégiature à la mer.

21 Question: Pourquoi est-ce que les enfants ont donc été envoyés?

22 Réponse: Oui, on les a effectivement envoyés par le dernier convoi car

23 j'ai insisté sur ce fait. On les a fait transporter par ce convoi et ils

24 ne sont pas revenus.

25 Question: Le siège de Vukovar, comment cela s'est-il passé? Qu'est-ce que

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1 vous faisiez à ce moment-là?

2 Réponse: Au début, j'ai tenté de survivre, de vivre, de m'occuper de mes

3 parents qui faisaient le va-et-vient entre ma maison et la leur. Nous

4 avons tenté de réparer les maisons. Les maisons qui littéralement

5 disparaissaient. Le toit a été touché par plusieurs obus. Ensuite nous

6 allions sur les toits quand les choses se calmaient et ensuite nous

7 mettions des briques. Nous essayions tout simplement de faire ce que nous

8 pouvions pour survivre et nous attendions la fin des événements.

9 Question: Que s'est-il passé par la suite?

10 Réponse: Cela n'a pas été ma décision de faire autres choses, on m'a

11 appelé à la mairie de Vukovar où une résistance supplémentaire était en

12 cours d'organisation parce que les combats se poursuivaient et on m'a

13 inclus dans la défense de la ville.

14 Question: Quelles étaient vos responsabilités, vos fonctions par rapport à

15 la défense de la ville?

16 Réponse: Ma principale responsabilité consistait à être chargé de l'unité

17 de combat pour les mines donc et pour empêcher l'arrivée de l'ennemi. Eh

18 bien, les membres de mon unité changeaient constamment et donc je les

19 dirigeais.

20 Question: Etiez-vous en uniforme, est-ce que vous portiez un uniforme de

21 soldat?

22 Réponse: Non, pas vraiment parce qu'à l'époque il n'y avait pas

23 d'uniforme. Lorsque qu'on m'a donné la responsabilité de cette unité, il

24 n'y avait pas suffisamment de matériel. Je n'avais que différents éléments

25 d'uniformes de l'ancienne JNA.

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1 Question: Quelle arme aviez-vous, si vous en aviez?

2 Réponse: En tant qu'unité ou moi personnellement? Eh bien, je n'étais pas

3 vraiment armé parce que nous n'avions pas d'armes0. Puisque j'étais le

4 commandant je n'avais que l'autorité et j'avais une communication directe

5 avec notre état-major. De temps à autres des membres de mon unité

6 m'apportaient des armes. Par exemple des armes automatiques ou tout

7 simplement des fusils, mais c'était encore une fois de façon ponctuelle.

8 Et mes soldats avaient soit des armes automatiques ou ce que l'on appelait

9 des "Pap" c'étaient des armes de l'ancienne JNA et nous avions également

10 des armes blanches et des grenades.

11 Question: En octobre 1991, que faisaient vos forces, que faisaient votre

12 unité et les forces de défense de Vukovar que faisaient-elles?

13 Réponse: Eh bien, nous avons tenté désespérément d'arrêter l'avancée de

14 l'ennemi et nous espérions recevoir l'aide de la communauté internationale

15 pour que tout s'arrête et que nous puissions mettre fin à ce conflit

16 inutile.

17 Question: Décrivez-moi la situation dans la ville? En octobre, novembre y

18 avait-il des services publics par exemple, l'eau, l'électricité?

19 Réponse: C'est une question extrêmement problématique. Nous n'avions pas

20 d'électricité. Il y avait des coupures d'électricité en août déjà. En

21 septembre, il n'y avait plus d'électricité du tout. Tout était vraiment

22 improvisé pour tenter d'obtenir des sources énergétiques mais nous

23 n'avions plus d'électricité directe. C'était l'enfer, c'était un enfer

24 dans lequel nous devions survivre.

25 Question: Et pendant la période du siège?

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1 Réponse: Malheureusement, je l'ai vu. J'ai eu la possibilité d'aller dans

2 certains abris de temps à autres et j'ai vu comment les enfants, combien

3 les enfants souffraient. C'était le désespoir, c'était absolument terrible

4 de voir…ces contacts mêmes courts étaient extrêmement pénibles, eux aussi

5 souffraient. Personne ne pouvait vraiment nous venir en aide.

6 Question: Est-ce que vous avez tenté de vous enfuir?

7 Réponse: Sans doute. Il y a sans doute des gens qui ont réussi à s'enfuir,

8 mais je ne peux pas vraiment l'analyser.

9 Question: Et votre père, votre mère, ils sont restés, ils sont partis?

10 Auquel cas, où?

11 Réponse: Oui, malheureusement ils sont restés. J'ai essayé de les

12 convaincre tant que c'était encore possible de quitter la ville. Je leur

13 ai offert ma voiture pour qu'ils s'en aillent, mais ils ont décidé de

14 rester parce que moi, j'étais là ainsi que mon frère. En fait tout ce

15 qu'ils avaient réussi à réaliser, tout ce qu'ils possédaient se trouvait

16 là donc ils n'ont pas voulu partir. Au moment du convoi qui a transporté

17 les blessés un peu plus tard, ils se sont demandés s'ils ne devraient pas

18 partir, mais c'était en fait trop tard.

19 Question: Et votre frère, est-ce qu'il est resté?

20 Réponse: Oui il est resté, lui aussi faisait partie des défenseurs de la

21 ville.

22 Question: Le 16 novembre 1991, quelle était la situation du conflit entre

23 la population de Vukovar et les assiégeants de la JNA?

24 Réponse: Eh bien, jusqu'au bout une bataille forcenée a été menée,

25 pratiquement jusqu'à la mort du dernier survivant. Et j'ai vraiment été

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1 surpris vers la fin lorsque j'ai vu se monter la résistance. Après cette

2 date à quel moment la défense organisée a-t-elle cessé approximativement?

3 Réponse: Votre question est très difficile parce que dans des événements

4 de ce genre on perd le sens du temps. Mais je dirai que c'est aux

5 alentours du 16 ou 17 que l'occupation s'est achevée officiellement.

6 Question: Quand vous dites 16 ou 17 novembre, vous parlez bien de 1991

7 n'est-ce pas?

8 Réponse: Oui, tout à fait, 16, 17 novembre.

9 Question: Lorsque la défense organisée de la ville a dû se rendre, qu'est-

10 ce que vous avez fait vous-même personnellement?

11 Réponse: Quand je me suis rendu compte que nous avions perdu, je me suis

12 rendu auprès de mon unité pour expliquer aux hommes que la résistance

13 était désormais inutile, qu'il n'y avait plus de salut. Et je leur ai

14 montré le chemin en tout cas à ceux qui voulaient organiser des groupes

15 individuels pour partir. Donc j'ai essayé de déterminer par quelle route

16 ils avaient une chance de réussir en essayant de choisir dans chaque

17 groupe quelqu'un de la région qui connaissait mieux que les autres les

18 lieux. Et je leur ai dit au revoir, je les ai donc quittés et je suis

19 rentré dans ma maison pour voir ce qu'il se passait avec mes parents et en

20 tout cas où est-ce qu'ils se trouvaient.

21 Question: Lorsque vous dites que vous leur avez montré le chemin, c'était

22 le chemin de la fuite.

23 Réponse: Oui, dans les grandes lignes j'ai essayé de leur montrer par

24 quelle voie ils pourraient passer.

25 Question: Mais vous n'êtes pas parti avec eux, vous ne les avez pas suivis

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1 sur ce chemin que vous leur montriez?

2 Réponse: Non.

3 Question: Qu'est-ce que vous avez fait?

4 Réponse: Je vous l'ai dit, j'ai essayé de retrouver mes parents, je suis

5 rentré dans ma maison.

6 Question: Est-ce que vous avez fini par retrouver vos parents?

7 Réponse: Oui, je les ai trouvés dans la cave de ma maison.

8 Question: Qu'est-ce qu'il s'est passé à ce moment-là?

9 Réponse: J'ai passé une nuit dans cette maison, j'ai pris un bain, maman a

10 réussi d'une façon ou d'une autre, je ne sais pas exactement comment, à

11 faire un peu de feu. La nuit suivante, en fait je ne sais pas si c'est la

12 suivante je n'en suis plus du tout tout à fait sûr, mais en tout cas, une

13 nuit, on a commencé à entendre parler d'évacuation de l'hôpital et qu'on

14 pouvait se rendre à l'hôpital, c'est ce que nous avons fait.

15 Question: Comment est-ce que vous avez entendu parler de l'évacuation

16 prochaine de l'hôpital?

17 Réponse: Je crois me souvenir que c'était à la radio, on avait des piles

18 quand même et donc on pouvait écouter les informations à la radio. Je

19 crois que c'est par la radio qu'on l'a appris.

20 Question: Est-ce que vous vous êtes donc rendus ultérieurement à

21 l'hôpital?

22 Réponse: Oui, je vous l'ai dit. Nous sommes partis à l'hôpital.

23 Question: Et au moment où vous êtes allés à l'hôpital, que s'est-il passé?

24 Réponse: Quand nous sommes arrivés à l'hôpital, il y avait déjà sur place

25 une grande foule qui s'était rassemblée sur le site de l'hôpital entre

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1 l'entrée principale et le service d'urgence.

2 Question: Qu'est-ce que vous avez fait?

3 Réponse: Je suis resté un certain temps dehors avec mes parents pour

4 observer ce qu'il se passait et puis en fait à ce moment-là je leur ai dit

5 au revoir, et j'ai poursuivi mon chemin pour aller voir mes blessés avec

6 qui j'ai passé quelques heures.

7 Question: A quelle date approximativement, si vous pouvez vous en

8 souvenir, vous êtes-vous trouvé à l'hôpital? Est-ce que vous vous souvenez

9 de la date?

10 Réponse: C'est pour moi une question très difficile. J'ai toujours

11 l'impression d'avoir perdu un jour. Je ne sais plus s'il s'agit du 18 ou

12 du 19. Encore aujourd'hui je n'arrive pas à avoir la moindre certitude à

13 cet égard.

14 Question: En tout cas c'est autour du 18 ou du 19 novembre, n'est-ce pas?

15 Réponse: C'est ça, 18 ou 19 novembre 1991.

16 Question: Quand vous êtes allé à l'hôpital, est-ce que vous y avez vu du

17 personnel médical?

18 Réponse: Oui, j'ai vu le Dr Bosanac et bien d'autres membres de l'équipe

19 médicale.

20 Question: Est-ce que vous avez rencontré le Dr Jozo Tomic?

21 Réponse: Ca c'est un nom qui ne me dit rien. Je ne pourrais vous dire si

22 je l'ai rencontré ou pas.

23 Question: Qu'est-ce qu'il s'est passé à ce moment-là plus tard, toujours à

24 l'hôpital? Quel autre événement est survenu?

25 Réponse: Plus tard, le même jour, ceux que l'on appelait les soldats

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1 yougoslaves ou bien est-ce qu'il faut les appeler réservistes, je ne sais

2 pas exactement, sont entrés dans l'enceinte de l'hôpital après avoir

3 encerclé l'hôpital.

4 Question: Est-ce que c'étaient des forces serbes?

5 Réponse: Moi, tout ce que je sais c'était que c'étaient des forces

6 ennemies. Est-ce qu'ils étaient Serbes? Je ne saurais le dire. Il y a un

7 soldat qui est entré et qui avait toutes les insignes de l'ancienne JNA et

8 parmi les soldats qui l'accompagnaient, les uniformes étaient un petit peu

9 mélangés. Ce qui signifie qu'outre des membres des forces régulières, il y

10 avait également des représentants d'un certain nombre de forces

11 irrégulières habillés en "battledress.".

12 Question: Qu'est-ce que faisaient ces soldats?

13 Réponse: Les soldats comme je l'ai dit, se sont placés à toutes les issues

14 de l'hôpital et ont gardé le site de l'hôpital. Il y avait un jeune soldat

15 qui était là et qui m'a parlé d'ailleurs, qui a parlé à la population, qui

16 a essayé de la tranquilliser, de la calmer. Moi à ce moment-là, je l'ai

17 quitté et je suis allé dans les sous-sols et je ne sais plus exactement ce

18 qui a pu se passer à l'extérieur du bâtiment même de l'hôpital puisque

19 j'étais à l'intérieur.

20 Question: Est-ce que vous avez vu les soldats faire quoi que ce soit aux

21 gens qui étaient rassemblés sur ce site?

22 Réponse: Non, je ne les ai pas vus faire quoi que soit à la population.

23 Question: Y avait-il beaucoup de gens rassemblés à l'hôpital à ce moment-

24 là?

25 Réponse: Oui, il y avait pas mal de gens. Le nombre exact je ne saurais le

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1 dire, mais en tout cas la majorité se trouvait devant le bâtiment mais il

2 y en avait peut-être même encore plus à l'intérieur.

3 Question: Ces gens qui étaient devant l'hôpital, est-ce que c'étaient des

4 patients soignés à l'hôpital ou des gens qui se sont réunis là, qui sont

5 allés à l'hôpital un petit peu comme vous?

6 Réponse: Les gens qui étaient devant l'hôpital étaient des civils qui se

7 sont dirigés vers l'hôpital parce qu'ils avaient peut-être été menacés ou

8 parce qu'ils souffraient de quelque chose, en tout cas ils y étaient

9 allés.

10 Question: Alors vous êtes allé dans le sous-sol, et qui se trouvait dans

11 le sous-sol?

12 Réponse: Dans le sous-sol, dans la cave de l'hôpital il y avait un monceau

13 de blessés et nombre de blessés de mon groupe en particulier. Les gens

14 étaient tellement entassés, je peux vous dire d'ailleurs qu'il y avait

15 aussi bien des défenseurs de la ville que des civils malheureux. Il y

16 avait un peu de tout.

17 Question: Est-ce que vous êtes resté dans ce sous-sol de l'hôpital, ou

18 est-ce que vous êtes allé ailleurs cette nuit-là?

19 Réponse: Cette nuit-là, étant donné qu'en bas il y avait tellement de

20 monde que je ne pouvais même pas trouver un coin pour dormir, je suis allé

21 dans les étages. Je ne sais plus si c'était au premier ou deuxième et j'y

22 ai vu d'autres personnes d'ailleurs, j'y ai passé la nuit.

23 Question: Le matin suivant, qu'est-ce qu'il s'est passé?

24 Réponse: Le matin suivant, je suis retourné dans la cave de l'hôpital et

25 moi je m'attendais à ce que... Et en fait ce n'est pas seulement que je

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1 m'y attendais, c'est que vers 8 heures du matin on a entendu des gens

2 crier et je ne peux pas vous dire de quels gens il s'agit exactement, mais

3 on a entendu des gens crier que tous ceux qui pouvaient le faire avaient

4 l'ordre de sortir à l'extérieur de l'hôpital par l'issue qui se trouvait

5 dans le service d'urgence.

6 Question: Quand vous parlez de gens qui criaient, est-ce que vous savez

7 tout de même si c'étaient des membres du groupe serbe où si c'étaient des

8 membres du personnel de l'hôpital, est-ce que vous êtes capable d'établir

9 cette distinction?

10 Réponse: Non, non, vraiment, je ne sais pas qui criait et je ne sais pas

11 qui a répandu ce bruit. C'est quelqu'un qui traversait les couloirs et

12 criait à tout le monde de sortir: "Tout le monde dehors, tout le monde

13 dehors!". Je crois qu'il s'agissait de soldats, mais je n'en suis pas

14 complètement sûr.

15 Question: Vous avez suivi cet ordre, vous vous êtes rendu dehors? C'est

16 bien cela?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Et quand vous êtes sortis, qu'est-ce que vous avez vu?

19 Réponse: On nous a alignés en rang et on nous a fouillés pour voir si nous

20 ne portions peut-être pas sur nous des armes, une bombe un couteau. Donc

21 on nous a fouillés. Et ensuite on nous a dirigés vers la droite, vers la

22 rue qui longe l'hôpital pour nous faire entrer dans des autobus.

23 Question: Est-ce que vous avez été fouillé, est-ce qu'on vous a pris des

24 objets?

25 Réponse: Ils m'ont fouillé, il ne m'ont rien pris. Après la fouille, ils

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1 nous ont emmenés jusqu'à l'autobus.

2 Question: Quand vous dites "ils" nous ont fouillés, est-ce que maintenant

3 vous vous souvenez de l'identité de ces "ils"?

4 Réponse: Il s'agissait de soldats qui assuraient la sécurité de l'hôpital,

5 la garde de l'hôpital.

6 Question: Et lorsque vous êtes arrivés aux autocars, qu'est-ce qu'il s'est

7 passé?

8 Réponse: On nous a amenés jusqu'aux autocars, il y avait au moins trois

9 autocars donc chacun pouvait monter dans l'autobus de son choix et donc

10 prenait place dans cet autobus.

11 Question: Lorsque vous êtes monté dans un autobus, est-ce que vous y avez

12 vu des gardes?

13 Réponse: Oui, il y avait deux soldats qui étaient l'un, un garde, et

14 l'autre le conducteur, le chauffeur.

15 Question: Est-ce que les personnes qui embarquaient à bord des bus ont

16 subi des violences à ce moment-là?

17 Réponse: Pour ceux que j'ai pu en voir, non.

18 Question: Qu'est-ce qu'il s'est passé lorsque vous vous êtes trouvés dans

19 l'autocar.

20 Réponse: On y a passé un temps relativement bref et au bout de ce temps

21 relativement bref, les portes se sont fermées, le moteur a été allumé et

22 l'autocar a pris la direction du centre de la ville.

23 Question: Et où est-ce que vous êtes allés, expliquez-nous l'itinéraire

24 que vous avez suivi?

25 Réponse: Nous sommes passés par la rue Gundeliceva, la place Marko

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1 Oreskovic, la rue Bozidara Adzije jusqu'à la place principale en passant

2 par la rue Dimitrija Tucovica. On a tourné dans la rue Smaj Jove puis dans

3 la rue Kraseva et à la fin nous sommes rentrés dans la rue Sajmiste et

4 c'est à ce moment-là qu'on est arrivé à la caserne qui se trouve dans

5 cette partie de la ville.

6 Question: Et lorsque vous parlez de caserne, il s'agit de quelle caserne?

7 Réponse: C'est la caserne de la garnison de Vukovar, la caserne de

8 l'ancienne JNA.

9 Question: Est-ce qu'il existait d'autres anciennes casernes de la JNA à

10 Vukovar?

11 Réponse: Officiellement, c'était la seule. Peut-être qu'il y avait des

12 bases de moindre importance mais officiellement c'était la seule caserne

13 de la JNA à Vukovar.

14 Question: Est-ce que tous les autocars ont tourné en direction de la

15 caserne?

16 Réponse: Oui. C'était un convoi. Le convoi en question est arrivé et il

17 s'est arrêté dans la partie médiane de la caserne.

18 Question: Est-ce que vous vous souvenez des gens qui se trouvaient à bord

19 de ces bus avec vous?

20 Réponse: Oui, il y avait Zeljko Jurela, il y avait Damjan qu'on appelait

21 "grande chaudière.". Il y en avait un qui s'appelait Kemal, eux, je suis

22 tout à fait en mesure de confirmer leur présence dans cet autobus.

23 Question: Est-ce que vous avez vu des soldats serbes dans la caserne?

24 Réponse: Il y avait un peu de tout, des simples soldats à eux et puis il y

25 avait toutes sortes de gens qui portaient toutes sortes de partie

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1 d'uniformes disparates.

2 Question: Est-ce que vous en avez reconnu parmi eux?

3 Réponse: Oui, j'ai reconnu parce qu'il parlait le plus fort, j'ai reconnu

4 Jakovljevic Radivoje surnommé "frigidaire" qui d'ailleurs a menacé mon

5 collègue qui était assis à côté de moi. Il a essayé de faire pression sur

6 lui en lui disant qu'il avait tué sa femme alors que sa femme en fait est

7 morte à cause d'un obus. Il avait pris la voiture réfrigérée pour le

8 transport de viande qu'il essayait de faire sortir de la ville, et c'est

9 pendant le transport que sa femme a reçu un éclat d'obus et est morte.

10 Mais Jakovljevic disait à mon collègue que c'est lui qui avait tué sa

11 femme. Et il a menacé mon collègue surnommé "grande chaudière" de le tuer.

12 Il chantait des chansons Chetniks d'ailleurs, c'était celui qui parlait le

13 plus fort.

14 Question: Combien de temps avez-vous passé à la caserne?

15 Réponse: Très difficile à dire, peut-être une heure, peut-être deux

16 heures.

17 Question: Et après cela, qu'est-ce qu'il s'est passé?

18 Réponse: Entre temps deux à trois autres autobus nous ont rejoints, je ne

19 sais pas d'où ils venaient, mais ils venaient de la même partie de la

20 ville que nous de la rue Sajmiste. Alors après l'arrivée de ces autocars

21 supplémentaire, au bout d'un moment le convoi a été reformé et nous avons

22 poursuivi notre route en commençant par la rue Sajmiste. Nous avons tourné

23 à gauche vers la sortie de Vukovar. Et c'est à ce moment-là qu'on nous a

24 transportés dans une ferme qu'on appelle Ovcara.

25 Question: Est-ce que vous avez déjà vu cet endroit appelé Ovcara par le

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1 passé?

2 Réponse: Oui, je connaissais cet endroit, j'y avais été en tant qu'enfant.

3 On y allait souvent au printemps. On y passait souvent notre temps libre.

4 J'allais même pêcher là-bas pendant mon enfance.

5 Question: Est-ce que vous pouvez décrire Ovcara très brièvement, s'il vous

6 plaît?

7 Réponse: Oui, je peux vous décrire Ovcara. C'est une coopérative de

8 l'époque de l'autogestion qui faisait de l'élevage bovin en particulier,

9 et il y avait également quelques baraques pour les ouvriers qui

10 travaillaient sur place. Mais sinon c'est un endroit, un tout petit

11 endroit, je ne sais pas si on peut l'appeler village. Sans doute que l'on

12 parle de cet endroit comme un village mais c'est même moins grand qu'un

13 village, c'est plutôt un hameau. Mais sur le plan agricole, c'est un

14 endroit qui se porte bien, qui se portait bien dans le cadre de l'économie

15 d'autogestion.

16 Question: Est-ce qu'on peut qualifier cet endroit de ferme collective

17 appartenant à l'état?

18 Réponse: Oui, effectivement, c'est une entreprise qui s'appelait Vupik.

19 Quel type de viandes est-ce qu'elle faisait exactement? Est-ce que

20 c'étaient des bovins ou du porc, je ne sais pas exactement. Mais le nom de

21 l'entreprise est Vupik.

22 Question: Alors quand vous êtes arrivés à cet endroit, qu'est-ce qu'il

23 s'est passé?

24 Réponse: Quand on y est arrivés, les autocars se sont placés les uns

25 derrière les autres et ils ont été vidés l'un après l'autre, si bien que

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1 les gens sortaient un par un. Et au moment d'entrer dans un hangar, on

2 nous a ordonné de jeter à un endroit précis tous nos objets personnels. A

3 la fin à cet endroit, il y avait tout un tas d'objets. Et puis là encore,

4 il y avait autour de nous des gens très mélangés, des soldats et des gens

5 portant des uniformes disparates. Finalement on a tous été rassemblés dans

6 un hangar où on s'est fait battre, moi y compris, à l'aide de bâtons de

7 bois, de barres de fer et autres instruments.

8 Question: Vous avez parlé des soldats, est-ce qu'il s'agissait des soldats

9 de la JNA à votre avis?

10 Réponse: Je suppose.

11 Question: Et il y avait des assistants qui ne faisaient pas partie de la

12 JNA?

13 Réponse: J'ai déjà dit tout à l'heure qu'il y avait là un mélange de toute

14 sorte de gens. Des gens très mélangés devant le hangar qui en fait nous

15 attendaient.

16 Question: Est-ce que vous êtes passé à travers une double rangée d'hommes

17 qui vous ont frappé avant d'entrer dans le hangar?

18 Réponse: Oui effectivement, j'ai dû y passer aussi.

19 Question: Est-ce que vous avez été frappé lorsque vous avez traversé cette

20 double rangée d'hommes?

21 Réponse: J'ai été frappé sur plusieurs parties du corps, mais

22 particulièrement à la tête. Ma tête était extrêmement tuméfiée et vraiment

23 c'était difficile à vivre.

24 Question: Qu'est-ce qui est arrivé lorsque vous êtes entrés à l'intérieur

25 du hangar?

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1 Réponse: Comme je l'ai dit, nous sommes passés à travers cette double

2 rangée d'hommes puis nous sommes entrés dans le hangar et on nous a fait

3 asseoir par terre ,à même le sol, avec un peu de paille. Puis se sont

4 formées des groupes de deux ou trois de ces hommes très mélangés et

5 soldats et non soldats et ils ont commencé à approcher les gens en les

6 frappant à coup de pied, à coup de poing avec toutes sortes d'objets,

7 toutes sortes d'instruments.

8 Dado Vladimir Djukic par exemple qui avait des béquilles, il avait un

9 problème aux jambes et il avait des béquilles, eh bien, ils ont pris sa

10 béquille ou sa canne et là, ils lui ont cassée sur la jambe. Ils

11 n'arrêtaient pas de poser des questions aux gens, d'où est-ce que vous

12 venez? Et s'ils ne répondaient pas, eh bien, ils interrogeaient ceux qui

13 étaient autour de cette personne, pourquoi est-il là?

14 Et il y avait parmi eux un homme qui portait un pistolet, dont je dirai

15 qu'il s'agissait de leur chef mais qui n'avait rien, aucun signe

16 distinctif pour le signifier. Donc il utilisait son revolver pour

17 terroriser les gens, les forçait à quitter le hangar puis il rentrait à

18 nouveau à l'intérieur du hangar si bien qu'au fil du temps, ils

19 s'échangeaient assez souvent.

20 Et puis il y avait un soldat, un soldat des forces régulières.

21 Question: Quand vous dites soldat régulier, vous voulez dire de la JNA?

22 Réponse: Oui. Il avait un uniforme en bon et due forme et il avait tout à

23 fait l'allure d'un soldat. Il avait une chemise de camouflage, un uniforme

24 de camouflage et il a pris les noms des gens qui étaient dans le hangar.

25 Question: Connaissiez-vous les noms des personnes qui étaient avec vous,

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1 qui ont battu les personnes dans le hangar, y compris vous?

2 Réponse: Je connais ceux qui ont été battus mais ceux qui les ont battus,

3 je ne les connaissais pas. J'ai vu par la suite leurs noms, j'ai vu une

4 personne, la personne qui était particulièrement cruelle. Je dirais

5 presque avec une satisfaction sadique, une satisfaction. C'est quelqu'un,

6 une personne qu'on appelait Kemal qui se trouvait pas loin de moi, il l'a

7 tellement frappé à l'aide de ses amis ou que dirais-je, de ses complices.

8 Il l'a piétiné, avec les coups de pied il sautait sur lui et pendant qu'il

9 montrait encore des signes de vie, il l'obligeait de chanter certaines

10 chansons de Chetnik, c'était après cela que cette personne ne donnait plus

11 de signe de vie, après un tel mauvais traitement, et je pense qu'il était

12 mort là, à ce moment-là.

13 Question: Y avait-il d'autres personnes que vous avez connues et qui ont

14 été aussi battues de cette manière-là?

15 Réponse: Oui, Dado Djukic oui, c'est comme cela qu'ils se sont comportés

16 envers lui et il y a eu encore quelques autres personnes qui ont reçu des

17 coups particulièrement cruels. Par exemple Damir qui était chauffeur dans

18 l'hôpital. Il a transporté les blessés, il a été frappé par le fusil, par

19 la crosse et par le tuyau directement dans la bouche, c'était très cruel.

20 Question: Combien de temps êtes-vous resté dans le hangar,

21 approximativement, vous vous rappelez?

22 Réponse: C'est très difficile de dire parce que le sens du temps a été

23 perdu, mais je sais qu'il y a eu la nuit, il y a eu le crépuscule, on a

24 mis en marche les phares donc je m'imagine que 5, autour de 5 heures donc

25 nous étions là de 2 à 3 heures, peut-être un peu moins.

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1 Question: Qu'est-ce qu'il s'est passé par la suite?

2 Réponse: Après on a fait sortir des personnes, on a fait sortir des

3 personnes en groupe de 20, peut-être un peu moins, et un groupe après

4 l'autre est sorti par la porte dans des intervalles peut être de 15 à 20

5 minutes.

6 Question: Et qu'est-ce qu'il s'est passé pour vous-même?

7 Réponse: Je suis arrivé, mon tour est arrivé, mon groupe. On nous a dit

8 qu'on allait nous transférer dans un autre hangar et on nous a fait monter

9 dans une toute petite camionnette militaire, on a fermé le derrière avec

10 une toile et on a fait monter la petite échelle, l'escalier. Le camion

11 s'est rendu vers les tombes, vers Grabovo.

12 Question: Quelle était la taille de ce camion, c'était un grand camion,

13 une camionnette?

14 Réponse: C'était plutôt une camionnette de type militaire jusqu'à deux

15 tonnes au maximum.

16 Question: Combien approximativement il y a eu de personnes dans votre

17 groupe dans cette camionnette?

18 Réponse: J'ai dit jusqu'à 20 personnes, pas plus.

19 Question: Et je crois que vous avez dit que cette camionnette a été

20 couverte de toile, alors comment êtes-vous monté ou sorti de cette

21 camionnette?

22 Réponse: A l'entrée il y a eu un escalier qu'on avait monté par la suite,

23 et après on a fermé la camionnette avec une bâche.

24 Question: Quand vous êtes monté dans le camion, vous étiez seulement avec

25 les prisonniers ou il y a eu aussi des gardes derrière dans la partie

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1 arrière?

2 Réponse: Non, nous étions seuls. Les prisonniers, nous les malheureux,

3 mais personne d'eux n'était avec nous à l'intérieur.

4 Question: Et la camionnette, vous dites, partait en direction de Grabovo.

5 Où se trouve Grabovo par rapport à Ovcara?

6 Réponse: Peut être à deux kilomètres d'Ovcara, peut-être même pas.

7 Question: Est-ce que vous êtes arrivé à Grabovo ou il y a eu quelque chose

8 qui est arrivé entre temps?

9 Réponse: Non, à la mi-chemin, il y a eu une petite vallée et c'est dans

10 cette partie que la voiture, le camion a été déplacé un peu vers la gauche

11 parce qu'à gauche il y avait un petit bois. Alors il a dû réduire la

12 vitesse. La camionnette ne s'est pas arrêtée mais la vitesse a été

13 réduite.

14 Question: Comment est la route que vous avez empruntée, c'est une route

15 bien bâtie, pouvez-vous la décrire?

16 Réponse: Non, c'est vraiment seulement un chemin de terre battue par

17 exemple, qu'on emprunte quand on va travailler les champs, pour les

18 voitures. C'est-à-dire ce n'est pas vraiment une route, c'est un chemin.

19 Question: Quand la camionnette avançait, quelle était sa vitesse à peu

20 près?

21 Réponse: Peut-être 20 km/h jusqu'à 30 km/h, pas plus parce que ce n'était

22 pas une véritable route. Le terrain n'était pas plat.

23 Question: Dans cette région, c'est quelque chose que vous connaissiez, la

24 région vous la connaissiez?

25 Réponse: Cet endroit précis je ne le connaissais pas. A droite de cet

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1 endroit-là, je connaissais pas la partie gauche, mais à droite oui. Mais

2 au fond de ce chemin, je n'y suis jamais allé auparavant.

3 Question: Alors lorsque vous avanciez à cette vitesse minimale, est-ce que

4 vous avez entendu les discours?

5 Réponse: Oui, il y a eu une personne de notre groupe, Perak, qui a essayé

6 de le retenir en disant: "Non, ils vont nous tuer si on va le faire." Donc

7 ils l'ont empêché de le faire. Et lui il essayait de se décider.

8 Question: Qu'est-ce que vous avez fait vous?

9 Réponse: A ce moment-là je me suis décidé de faire ça et je l'ai fait.

10 J'ai sauté par une fente qu'il y avait près de l'escalier. J'ai sauté dans

11 l'inconnu.

12 Question: Quand vous avez sauté, comment vous avez atterri?

13 Réponse: Sur les pieds et les mains. Comme on dit sur les quatre pattes et

14 j'ai commencé à courir dans la direction de Kocina vers le mont, la

15 colline.

16 Question: Est-ce que vous avez vu où se dirigeait, après, la voiture?

17 Réponse: Oui, j'ai tourné la tête plusieurs fois pour voir si la

18 camionnette s'est arrêtée ou si quelqu'un me suivait. Et très rapidement,

19 je suis arrivé au sommet de cette colline et de ce sommet-là je n'ai pu

20 voir la camionnette.

21 Question: Lorsque vous étiez allé en direction de Vukovar, avez-vous

22 entendu quelque chose?

23 Réponse: Pas tout de suite, j'ai juste entendu le bruit de la camionnette

24 qui continuait son chemin à une vitesse, à une petite vitesse et c'était

25 tout. Mais après un certain moment de l'autre côté de la colline quand

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1 j'étais déjà de l'autre côté de la colline j'ai entendu que la camionnette

2 s'était arrêtée et j'ai entendu une petite rafale, un tir peut-être d'une

3 arme automatique, juste quelques tirs.

4 Question: Quand vous parlez du tir, vous pensez du fusil juste pour

5 clarifier ce point?

6 Réponse: C'est ça, c'est ça un fusil automatique très probablement.

7 Question: Qu'est-ce que vous avez fait après?

8 Réponse: J'ai dit j'étais en train de courir, de continuer j'ai continué à

9 m'évader. Parfois je marchais à pied, parfois je courais parce que

10 physiquement c'était très difficile.

11 Question: Pour en revenir au moment où vous avez entendu le bruit du

12 fusil, avez-vous entendu beaucoup de rafales ou juste quelques unes?

13 Réponse: Comme je l'ai dit, je le répète, j'entends toujours dans mes

14 oreilles il y avait une rafale très courte et puis quelques unes qui se

15 suivaient mais très courtes au total.

16 Question: Après qu'est-ce que vous avez fait?

17 Réponse: J'ai continué mon évasion dans la direction de Vukovar et avant

18 d'arriver à la partie de la ville appelée Mitnica j'ai évité l'entrée

19 directe dans la ville et j'allais par Sajmiste où il y avait la caserne.

20 J'ai pu voir aussi et éviter une installation militaire avec un radar et

21 j'ai continué ma fuite. Parce que l'on appelait Petrovacki Drum pour

22 accéder au champ et mon objectif était Vinkovci.

23 Question: Qu'est-ce qu'il s'est passé par la suite?

24 Réponse: J'ai réussi à venir à un village que je croyais être le village

25 de Seric et en le traversant j'ai constaté que j'étais trop prêt de la

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1 ligne de démarcation là où il y a eu peut-être des endroits minés et comme

2 j'étais complètement fatigué et déshydraté, je suis retourné pour trouver

3 de l'eau. Je suis entré dans une cave où j'ai réveillé des réservistes

4 militaires.

5 Question: Donc la cave a été occupée?

6 Réponse: Oui, tout le village était occupé c'était ce village Seric qui a

7 été dans les mains de l'ennemi.

8 Question: Peut-être je me suis mal exprimé, la cave était habitée?

9 Réponse: Oui, comme j'ai dit il y a eu des soldats je les ai réveillés

10 donc je les ai surpris en quelque sorte. C'étaient des soldats qui, des

11 sentinelles et je les ai réveillés.

12 Question: Qu'est-ce qu'il s'est passé quand vous les avez réveillés?

13 Réponse: Tout d'abord ils m'ont questionné, qui j'étais? D'où je venais?

14 Ils ont dirigé les armes vers moi, mais je leur ai dit que je venais de

15 Vinkovci, je ne peux pas vivre là-bas et comme ça ils ont eu l'impression

16 que je faisais partie de leur ethnie, de leur nation. Alors ils me

17 laissaient tranquille, ils m'ont donné un oreiller et ils m'ont dit qu'ils

18 allaient décider le lendemain de mon sort.

19 Après cela, j'ai essayé de nouveau 2 à 3 fois de m'évader de cette chambre

20 où on m'a enfermé, mais le garde m'a dit de ne pas essayer. Il a tiré son

21 fusil à plusieurs reprises en me disant que si je continue comme ça, il va

22 me tuer. Alors à ce moment-là, j'ai abandonné, j'ai attendu mon sort. Le

23 lendemain ils m'ont emmené chez un chef commandant et là j'ai dit qui

24 j'étais et qu'au lieu d'aller vers Vinkovci et Zagreb, j'ai dit que je

25 voulais rejoindre ma famille. C'est à ce moment-là qu'ils m'ont transféré

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1 dans leur état-major, je suppose, c'était une maison simple, ils m'ont

2 laissé devant la porte à attendre dans la cour au fait les quelques

3 soldats sont venus ils ont dit que c'était moi qui avais égorgé les leurs

4 et ils ont commencé à me battre, à me maltraiter. Ils m'ont aussi pris une

5 médaille, un médaillon que j'avais comme souvenir de mon père. Ils étaient

6 contents aussi de l'avoir et tout le temps ils m'ont insulté en me disant

7 que j'étais un assassin, Oustasha, que nous avons tué des enfants etc,

8 comme à la télévision. Mais bien sûr, ce n'était pas vrai, je n'ai jamais

9 fait de mal à personne. Après il y a eu un garde qui a été aussi capturé,

10 on nous a mis ensemble dans un camion plutôt grand et on a été transféré

11 dans un village Stari Jankovci et là on a été battu par la police

12 militaire. J'ai rencontré d'autres prisonniers de ma ville et là c'est la

13 première fois où j'ai eu un véritable interrogatoire, on m'a…, là j'ai

14 dormi une nuit après quoi j'ai été transféré à Sid et là, j'ai été

15 maltraité, interrogé , tout ceci dans l'espace d'une journée. Après j'ai

16 été transféré à Sremska Mitrovica et après Sremska Mitrovica de nouveaux

17 interrogatoires et des mauvais traitements, j'ai été envoyé au tribunal

18 militaire de Belgrade où on a entamé un procès contre moi et par la suite

19 au milieu de ce procès j'ai fait l'objet d'un échange de prisonniers et

20 ceci au mois d'août, le 14 août 1992.

21 M. Niemann (interprétation): Je n'ai plus de questions. Merci.

22 M. le Président: Merci, Monsieur le Procureur. Est-ce que vous avez des

23 questions. Non. Monsieur le Juge?

24 (Questions de M. le Juge Riad au Témoin B.)

25 M. Riad (interprétation): Vous avez mentionné que lorsque vous êtes allé à

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1 l'hôpital, vous avez trouvé beaucoup de défenseurs de Vukovar dans le

2 souterrain dans la cave? C'est ça? Portaient-ils des armes?

3 Témoin B (interprétation): Les défenseurs de Vukovar à l'hôpital ne

4 pouvaient pas porter des armes parce que c'était quelque chose d'interdit.

5 Toute personne qui entrait à l'hôpital ne pouvait pas y entrer avec les

6 armes, ça veut dire que tous étaient sans arme.

7 Question: Vous avez également mentionné que dans la caserne il y a eu des

8 passages à tabac dans les intervalles et que certains traitements étaient

9 très durs. Il y a eu un homme qui a utilisé le sifflet, pourriez-vous

10 reconnaître cet homme? Qui était cet homme?

11 Réponse: Oui j'ai mentionné, on a maltraité des personnes certains plus,

12 d'autres moins. Je ne connais pas cette personne je pourrais la décrire,

13 mais je ne le connais pas. C'était plutôt un homme fort, il portait des

14 moustaches, il avait l'uniforme vert de l'armée de l'hiver, il n'avait pas

15 de grade donc je ne sais pas qui c'était vraiment.

16 Question: Personne l'a appelé par le nom?

17 Réponse: Non, je ne me rappelle pas.

18 Question: Quel était le rôle de la JNA d'après vous dans ces opérations?

19 Est-ce que c'était clair; c'était eux qui dirigeaient ou il y en avait

20 d'autres lors des passages à tabac?

21 Réponse: Je dirais que les soldats réguliers étaient plutôt dehors ou dans

22 l'enceinte. Ils utilisaient les armes pour contrôler, capturer les

23 prisonniers, mais ceux qui passaient les gens à tabac, c'étaient plutôt

24 les irréguliers, mal habillés, pas soignés. Mais je peux dire que c'était

25 un mélange de réservistes de l'armée.

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1 Question: Mais les membres de l'armée, donc l'armée était présente et a pu

2 suivre ce qui se passait?

3 Réponse: C'est ça, l'armée était là. C'est l'armée qui tenait le rôle de

4 garde et qui voyait ce qui se passait, c'est eux qui nous ont emmenés là,

5 c'est eux qui nous gardaient dans cet endroit-là.

6 M. Riad (interprétation): Merci.

7 (Questions de M. le Président au Témoin B.)

8 M. le Président: Monsieur le témoin, vous devez être très fatigué. Je ne

9 poserai pas beaucoup de questions. D'abord je voudrais me préoccuper,

10 avez-vous retrouvé votre famille? Vous êtes-vous réunis avec votre

11 famille? Maintenant comment vivez-vous? Vous pouvez nous donner quelques

12 indications si en tout cas ce n'est pas indiscret?

13 Témoin B (interprétation): Non, ce n'est pas indiscret. C'est ce qui me

14 donne la force de vivre parce que je suis rentré dans la vie. J'ai trouvé

15 ma femme, j'ai retrouvé mes deux enfants et j'ai pu reconstruire ma

16 famille dans ce sens-là. Je pense que j'ai profité dans cette situation,

17 que j'ai eu de la chance. En ce moment je suis employé dans la firme qui

18 était active dans la région de Vukovar et je fais partie d'un autre

19 programme de réhabilitation qui est soutenu et où on travaille sur les

20 ordinateurs, c'est un travail opérationnel sur les ordinateurs. Donc je

21 suis actif.

22 M. le Président: Monsieur le témoin, le Tribunal vous remercie pour votre

23 témoignage. Il est sensible à votre venue, aux efforts que cela a dû vous

24 demander. Et il vous souhaite un retour paisible et d'essayer sinon

25 d'oublier tout du moins retrouver une certaine forme de paix. Nous allons

Page 347

1 d'abord baisser les rideaux, ne bougez pas. Nous allons baisser les

2 rideaux pour que votre anonymat soit protégé jusqu'au bout et puis ensuite

3 nous vous confierons à la division d'aide aux victimes qui a déjà assuré

4 une grande partie de votre protection.

5 Alors Monsieur le témoin, ne bougez pas. On me signale que pour mieux

6 assurer votre sécurité il faut qu'on prenne encore d'autres dispositions.

7 Le Tribunal va donc lever la séance jusqu'à 17 heures 15. Vous restez là

8 pour l'instant. Monsieur le Greffier va coordonner toutes les opérations

9 permettant d'assurer votre complète protection. Merci.

10 (Le témoin B est reconduit hors du prétoire.)

11 (L'audience, suspendue à 17 heures 05, est reprise à 17 heures 20.)

12 M. le Président: Monsieur le Procureur, vous avez la parole.

13 M. Williamson (interprétation): Monsieur le Président, nous allons

14 maintenant demander au témoin A de venir. Nous avons demandé les mêmes

15 mesures de protection pour le témoin que celles qui ont été mises en œuvre

16 pour le précédent. Et ce sont donc les mesures de protection que vous

17 trouvez dans l'ordonnance.

18 M. le Président: Alors nous essaierons de terminer ce témoignage ce soir

19 si vous voulez bien. Demain matin nous reprendrons si vous voulez bien à 9

20 heures et demie et nous essaierons de terminer. Il restera encore deux

21 témoins, Monsieur le Procureur? C'est tout. Deux témoins, il restera?

22 M. Williamson (interprétation): C'est cela, Monsieur le Président.

23 M. le Président: Demain matin 9 heures et demie, je pense que nous aurons

24 des chances de terminer dans des délais très corrects. Donc nous terminons

25 ce soir avec le témoin A.

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1 (Audience publique avec mesures de protection.)

2 (Le témoin A est introduit dans le prétoire.)

3 M. le Président: D'abord les écouteurs, M. l'huissier. Bien d'abord est-ce

4 que vous m'entendez? Est-ce que vous m'entendez, Oui, vous m'entendez dans

5 votre langue? Si vous m'entendez vous allez lire la déclaration qui vous

6 était tendue. Vous devez le faire en tant que qualité de témoin.

7 Témoin A (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

8 vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

9 M. le Président: Merci, vous pouvez vous asseoir. Alors à la demande du

10 Procureur et à votre demande vous bénéficiez, oui ajustez bien le paravent

11 voilà. Vous bénéficiez à la fois d'une protection de votre identité, de

12 votre voix et de votre image. Vous pouvez donc apporter au Tribunal pénal

13 international votre témoignage dans toute quiétude, en toute sécurité et

14 en toute sérénité. Nous relevons les rideaux, mais vous n'êtes pas vu.

15 Votre protection est assurée. Mais l'audience est publique. Monsieur le

16 Procureur.

17 (Interrogatoire principal du témoin A par M. Williamson.)

18 M. Williamson (interprétation): Témoin A, vous êtes de la Bosnie, n'est-ce

19 pas?

20 Témoin A (interprétation): Oui.

21 Question: Et vous êtes Musulman bosniaque, n'est-ce pas?

22 Réponse: Oui.

23 Question: En 1990, vous êtes rentré dans l'armée de la JNA pour y faire

24 votre service militaire, n'est-ce pas?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: Et quelle était la date exacte?

2 Réponse: C'était le 15 décembre 1990.

3 Question: Et où vous êtes-vous adressé à la JNA?

4 Réponse: Eh bien, je me suis rendu à la caserne du maréchal Tito à

5 Belgrade.

6 Question: Et quand vous êtes arrivé donc à la caserne du maréchal Tito,

7 est-ce qu'on vous a affecté à une Brigade particulière?

8 Réponse: Oui. On m'a affecté à la garde de Tito et mon unité était une

9 unité d'infanterie spéciale.

10 Question: Et le commandant, votre commandant direct était qui?

11 Réponse: Eh bien, mon unité, le commandant était le capitaine Radic

12 Miroslav.

13 Question: Et qui était le commandant de toute la Brigade?

14 Réponse: Le commandant de toute la Brigade était le Gal Milan Mrksic.

15 Question: Est-ce que vous connaissez le nom de Sljivancanin?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Etait-il également officier dans la Brigade?

18 Réponse: Oui. Il était à Avalo, il était à la police militaire.

19 Question: Et c'était donc une autre caserne de celle à laquelle vous vous

20 trouviez?

21 Réponse: Non, c'était également…Cela fait partie de la Brigade des gardes,

22 mais c'était en un autre endroit.

23 Question: Et est-ce que vous savez quelles étaient les fonctions du

24 commandant Sljivancanin? Est-ce qu'il était commandant d'un Bataillon

25 donné?

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1 Réponse: Je sais qu'il était dans la police militaire, mais je ne sais pas

2 exactement.

3 Question: La Brigade dans laquelle vous vous trouviez se composait de

4 différents particuliers qui venaient de partout en Yougoslavie, n'est-ce

5 pas?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Ce qui comprenait des Croates, des Slovènes, des Albanais, des

8 Bosniaques et des Serbes?

9 Réponse: Non, dans l'unité il n'y avait pas d'Albanais.

10 Question: En décembre 1991, est-ce que vous avez remarqué une différence

11 quant à la manière dont les soldats croates de cette même unité ont été

12 traités?

13 Réponse: Oui, avant que d'aller au combat, la manière dont on nous

14 traitait a commencé à changer.

15 Question: Et est-ce que les soldats ont reçu autant de responsabilités que

16 celles qu'on leur avait accordées avant cette époque?

17 Réponse: Non.

18 Question: Et est-ce qu'il est arrivé un moment où les Croates c'est-à-dire

19 les appelés croates, ont commencé à ne plus venir pour remplir leurs

20 obligations militaires ou tout simplement ont commencé à déserter. Ceux

21 qui étaient déjà en service militaire?

22 Réponse: Oui.

23 Question: Et alors que ces soldats croates partaient, a-t-on tenté de les

24 remplacer ? Est-ce qu'on a tenté de remplacer par d'autres hommes les

25 Croates qui étaient partis?

Page 351

1 Réponse: Eh bien, on les a remplacés par des volontaires Serbes.

2 Question: Et est-ce que ces volontaires Serbes étaient différents d'âge

3 des autres conscrits?

4 Réponse: Oui. Ils étaient plus âgés.

5 Question: Et quel était l'âge moyen des appelés?

6 Réponse: Les conscrits avaient entre 18 et 20 ans.

7 Question: Et les réservistes?

8 Réponse: Jusqu'à 30 ans.

9 Question: Est-ce que leur arrivée dans votre caserne a changé l'atmosphère

10 de la caserne?

11 Réponse: Oui.

12 Question: Est-ce que la discipline est restée la même qu'elle était

13 jusque-là?

14 Réponse: Non. Il n'y avait plus de discipline.

15 Question: Est-ce que vous avez entendu les réservistes qui sont arrivés,

16 qui s'appelaient entre eux Chetniks?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Et est-ce qu'ils ont parlé de ce qui se déroulait en

19 Yougoslavie? A l'époque est-ce qu'ils ont débattu d'opinion, de leurs

20 opinions quant aux événements?

21 Réponse: Oui, ils ne s'intéressaient qu'à la Grande Serbie, c'était leur

22 sujet principal.

23 Question: Et est-ce qu'il y a eu un moment où en fait toute la garde a

24 quitté Belgrade?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: Et quand ils sont partis, est-ce qu'il y avait une indication

2 des événements qui se déroulaient?

3 Réponse: Oui. Les Croates ont été séparés c'est-à-dire qu'ils ont disparu.

4 Question: Et est-ce qu'on vous a dit dès le départ où votre unité serait

5 déployée?

6 Réponse: Non.

7 Question: Quand est-ce que vous en avez été informés?

8 Réponse: Lorsque nous sommes arrivés à Tovarnik.

9 Question: C'est en Croatie?

10 Réponse: Oui.

11 Question: Est-ce que vous pourriez décrire les circonstances dans

12 lesquelles votre unité a donc quitté Belgrade?

13 Réponse: Est-ce que vous pourriez répéter la question, je vous prie?

14 Question: A quel moment de la journée avez-vous quitté Belgrade?

15 Réponse: Nous avons quitté après minuit, 3 heures du matin.

16 Question: Et est-ce qu'on vous a dit d'emporter quoi que ce soit avec

17 vous?

18 Réponse: Oui, tout notre matériel militaire.

19 Question: Combien de temps vous a-t-on donné pour vous préparer?

20 Réponse: Cinq minutes ce qui était tout à fait inhabituel.

21 Question: Qu'est-ce que vous avez vu? Alors la garde sortait de Belgrade?

22 Réponse: Il y avait de nombreux civils qui lançaient des fleurs sur notre

23 chemin.

24 Question: Et encore une fois c'était à 3 heures du matin, n'est-ce pas?

25 Réponse: En fait, il était 5 heures quand nous avons quitté Belgrade.

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1 Question: Et vous ne saviez toujours pas où vous vous rendiez, n'est-ce

2 pas?

3 Réponse: Non.

4 Question: Est-ce que vous avez estimé qu'il était inhabituel de voir des

5 civils dans la rue en train de jeter des fleurs sur vos pas?

6 Réponse: Oui. Je ne comprenais pas, mais les réservistes qui se trouvaient

7 dans la Brigade, eh bien, leur ont renvoyé les fleurs.

8 Question: Est-ce qu'ils faisaient des gestes, est-ce qu'ils gesticulaient?

9 Réponse: Oui, ils leur faisaient des signes. Ils leur faisaient des signes

10 de la main et ils leur montraient leur insigne serbe.

11 Question: Est-ce que vous pourriez montrer ce qu'ils faisaient?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Où exactement votre convoi s'est rendu après avoir quitté

14 Belgrade?

15 Réponse: Notre convoi s'est rendu vers Sid et de Sid nous avons quitté la

16 route.

17 Question: Et à Sid vous êtes entrés en Croatie?

18 Réponse: Oui. Nous nous sommes tournés vers la Croatie quand nous sommes

19 arrivés à Tovarnik.

20 Question: Et que se passait-il à Tovarnik une fois que vous êtes arrivés?

21 Réponse: Il y avait des maisons qui avaient été incendiées, il y avait

22 énormément de soldats, des chars, énormément de militaires, des forces

23 militaires.

24 Question: Et à ce moment-là savez-vous qu'il y avait eu des combats en ex-

25 Yougoslavie?

Page 354

1 Réponse: Non.

2 Question: Combien de temps votre unité est restée sur place à Tovarnik?

3 Réponse: Je ne me souviens pas exactement, je sais seulement que nous

4 avons reçu des armes lourdes.

5 Question: Et depuis Tovarnik où est allé le convoi?

6 Réponse: Nous sommes allés à la direction de Negoslavci.

7 Question: Quelles étaient les conditions de ce voyage entre Tovarnik et

8 Negoslavci? Qu'est-ce qui se passait sur le chemin?

9 Réponse: Eh bien, nous voyons des restes d'incendie, tout était détruit.

10 Mais les camions pouvaient circuler encore.

11 Question: Lorsque vous êtes arrivés à Negoslavci, qu'est-ce qui s'est

12 passé à cet endroit?

13 Réponse: A Negoslavci, nous attendaient beaucoup de civils et des soldats

14 également.

15 Question: Lorsque vous dites que vous avez vu des soldats. Est-ce qu'il

16 s'agissait de soldats de l'armée régulière JNA ou est-ce qu'il y avait

17 aussi des membres de forces paramilitaires?

18 Réponse: Il y avait beaucoup de forces paramilitaires, des Chetniks.

19 Question: Et pendant le transfert de Belgrade jusqu'à Negoslavci, est-ce

20 que vous avez vu le major Mrksic ou Sljivancanin?

21 Réponse: Non.

22 Question: Est-ce que vous les avez vus à Negoslavci?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Qu'est-ce que le colonel Mrksic a fait lorsque vous l'avez vu à

25 Negoslavci?

Page 355

1 Réponse: Il donnait des ordres aux autres officiers.

2 Question: Est-ce qu'il a passé en revue les soldats lorsqu'on vous a

3 alignés?

4 Réponse: Non.

5 Question: Combien de temps êtes-vous restés à Negoslavci?

6 Réponse: Nous ne sommes pas restés longtemps.

7 Question: Et de là où est-ce que vous êtes allés?

8 Réponse: Nous sommes allés à pied en direction d'un pré où des gens

9 creusaient, c'est là où on devait passer la nuit.

10 Question: Est-ce que des gardes sont restés à Negoslavci, une partie de la

11 Brigade?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Qui étaient-ils?

14 Réponse: Les armes lourdes, la police et je ne sais plus exactement qui.

15 Question: Mais le quartier général de la Brigade y était établi, n'est-ce

16 pas?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Après avoir passé la nuit dans ce pré aux environs de Negoslavci

19 où est-ce que vous vous êtes dirigés?

20 Réponse: Très tôt le matin nous avons pris la direction de Vukovar.

21 Question: Est-ce que vous êtes allés dans un quartier particulier de

22 Vukovar à votre arrivée dans la ville?

23 Réponse: Oui, nous sommes arrivés dans la zone appelée Petrova Gora, une

24 banlieue.

25 Question: Est-ce qu'il y avait des combats à Petrova Gora lorsque vous y

Page 356

1 êtes arrivés?

2 Réponse: Non.

3 Question: Est-ce qu'on vous a logés à Petrova Gora?

4 Réponse: Oui, on nous a logés dans des maisons.

5 Question: A quelle distance vous trouviez-vous de la ligne de front où se

6 déroulaient les combats?

7 Réponse: A peu près 500 mètres.

8 Question: Où se trouvait le capitaine Radic, le commandant de votre unité

9 pendant ce temps?

10 Réponse: Il était avec nous.

11 Question: Est-ce qu'il a établi un quartier général dans cette zone?

12 Réponse: Non. Il a établi son quartier général dans une autre rue.

13 Dans la rue Nova Ulica.

14 Question: Et où exactement dans cette rue, Nova Ulica?

15 Réponse: D'après ce que je sais le quartier général était dans la maison

16 de Stanko, je ne me souviens pas exactement du nom de famille, mais je

17 connais cette personne.

18 Question: Qui était Stanko? Quel genre de personnes?

19 Réponse: C'était un chauffeur de taxi avant la guerre.

20 Question: Est-ce que c'est quelqu'un que vous décririez sous la

21 dénomination de Chetnik?

22 Réponse: Oui.

23 Question: Est-ce qu'il s'appelait lui-même, est-ce qu'il se désignait lui-

24 même sous le nom de Chetnik?

25 Réponse: Oui.

Page 357

1 Question: Est-ce que le capitaine Radic était logé au même endroit dans la

2 même maison, dans la maison du quartier général?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Est-ce qu'à un moment quelconque votre unité a participé au

5 combat qui se déroulait à Vukovar?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Combien de temps après votre arrivée dans la région?

8 Réponse: 2, 3 jours plus tard.

9 Question: Quand est-ce que vous avez commencé à participer au combat, et

10 où?

11 Réponse: Dans la rue Nova Ulica.

12 Question: Y avait-il des troupes paramilitaires, des Chetniks qui

13 participaient également à ces combats avec les soldats de la JNA?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Est-ce qu'ils étaient une unité distincte ou est-ce qu'ils

16 étaient intégrés aux forces de la JNA ces paramilitaires?

17 Réponse: Ils étaient ensemble.

18 Question: Des ordres ont-ils été donnés avant l'attaque quant à la manière

19 dont la JNA devait procéder à cette attaque?

20 Réponse: Je n'ai pas compris la question.

21 Question: Est-ce que quelqu'un vous a dit ce qu'il fallait faire, vous a

22 donné des instructions quant à la manière de vous conduire au début de la

23 bataille?

24 Réponse: Non.

25 Question: Qui commandait votre unité et ces forces paramilitaires au

Page 358

1 moment où vous êtes entrés dans la bataille?

2 Réponse: Le capitaine Radic.

3 Question: Pouvez-vous décrire, pour le Tribunal, la façon dont ces combats

4 se sont déroulés ce qui s'est passé lorsque vous êtes arrivés sur la ligne

5 de front?

6 Réponse: Sur la ligne de front il y avait une barricade. Le premier jour

7 nous sommes partis avec des chars et un char a été détruit. Il n'a plus

8 fonctionné. Et nous ne sommes pas allés plus loin.

9 Question: Le jour où l'unité de la JNA est entrée dans le combat, l'a-t-

10 elle fait selon les enseignements que vous aviez reçus pendant votre

11 période de formation?

12 Réponse: Non, cela ne correspondait plus à l'armée et au comportement de

13 l'armée qu'on nous avait appris.

14 Question: Est-ce que votre unité a finalement réussi à l'emporter sur

15 cette barricade croate dans Nova Ulica?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Plusieurs jours après cette bataille, est-ce que le Gal Adzic a

18 rendu visite à Vukovar?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Qu'a-t-il fait lorsqu'il est arrivé dans la zone opérationnelle

21 de votre unité?

22 Réponse: Il a inspecté les lignes.

23 Question: Est-ce que vous avez participé à sa visite d'une façon ou d'une

24 autre?

25 Réponse: Oui, c'est moi qui lui ai fait passer les lignes.

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1 Question: Y avait-il qui que ce soit d'autre qui accompagnait le Gal Adzic

2 au cours de son inspection des lignes?

3 Réponse: Oui, il avait ces gardes, les responsables de sa sécurité.

4 Question: Est-ce que le major Sljivancanin était avec lui également?

5 Réponse: Ca je ne peux pas me souvenir exactement, je ne peux pas me

6 rappeler exactement s'il était là ou pas.

7 Question: Etait-il présent avec lui?

8 Réponse: Après ils ont tenu une réunion dans la maison de Stanko où il y

9 avait aussi Radic, Seselj et d'autres.

10 Question: Et à partir de ce moment, est-ce que votre unité a continué à

11 s'engager dans des combats contre les forces croates?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Et suite à ces attaques de la JNA contre les positions croates,

14 est-ce que les Croates ont été contraints de reculer de plus en plus vers

15 le Danube?

16 Réponse: Oui. Ils se sont retirés vers le centre de la ville. Ils n'ont

17 pas pu résister aux armes lourdes qui détruisaient la ville et à la

18 poussée importante qu'ils subissaient.

19 Question: Et à un certain moment vous êtes allés en mission de

20 reconnaissance avec un lieutenant de la JNA?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Où est-ce que vous êtes allés avec lui exactement?

23 Réponse: Je ne vous ai pas compris.

24 Question: Où est-ce que vous êtes allés exactement avec ce lieutenant?

25 Réponse: Nous sommes allés en reconnaissance et le lieutenant est mort

Page 360

1 pendant cette mission. Je l'ai ramené dans l'état où il était au

2 commandement pour qu'on l'emmène à l'hôpital militaire.

3 Question: Pourquoi on vous a envoyé à l'hôpital militaire à l'institut

4 médical militaire?

5 Réponse: Il pensait que je ne pouvais pas être dans un état normal après

6 ce que j'avais vécu.

7 Question: Est-ce que c'est parce que vous aviez porté son corps au

8 quartier général?

9 Réponse: Oui. Mais dans l'armée, moi, j'avais pour mission de ne jamais

10 laisser personne derrière moi et surtout pas un officier.

11 Question: Donc vous vous êtes comporté de la façon qu'on vous avait

12 enseigné? C'est bien cela?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Pendant votre séjour à Vukovar, est-ce qu'à un certain moment

15 vous avez commencé à travailler plus près du colonel Radic?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Quel était votre rôle auprès de lui? Que faisiez-vous?

18 Réponse: J'étais messager tout ce qui ne pouvait pas être envoyé par

19 télécommunication c'est moi qui le transportait.

20 Question: Et étant donc le messager de Radic, est-ce que vous avez eu

21 l'occasion de le voir plus souvent?

22 Réponse: J'étais avec lui sans arrêt.

23 Question: Est-ce que vous avez assisté aux réunions auxquelles il a

24 participé?

25 Réponse: Oui. Mais pas aux réunions importantes.

Page 361

1 Question: Et étant le messager du capitaine Radic, est-ce que vous êtes

2 entré en contact plus souvent également avec le major Sljivancanin?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Et y a-t-il eu un moment où vous avez commencé à travailler en

5 tant que messager directement pour le major Sljivancanin?

6 Réponse: Oui, oui.

7 Question: Et dans cette fonction, est-ce qu'on vous a transféré à l'unité

8 du major Sljivancanin?

9 Réponse: Non.

10 Question: Où est-ce que Sljivancanin avait établi son quartier général?

11 Réponse: Je ne sais pas exactement où était son quartier général, mais je

12 sais que c'était à Negoslavci à l'endroit où se trouvait le commandement

13 général.

14 Question: Est-ce que vous avez accompagné le major Sljivancanin à quelque

15 moment que ce soit dans la zone de combat?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Est-ce que vous étiez avec lui lorsqu'il a rendu visite aux

18 commandants des autres unités?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Et qu'est-ce qui se passait quand il rendait visite à ces autres

21 officiers?

22 Réponse: Il distribuait les ordres, c'était celui qui commandait.

23 Question: Et est-ce que ces autres officiers lui rendaient compte de ce

24 qui se passait dans leur unité?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: Donc vous avez le sentiment que le major Sljivancanin commandait

2 la plupart des opérations en cours dans la région?

3 Réponse: Oui. Personne d'autre ne pouvait commander car il surveillait,

4 contrôlait tout. Toutes les missions en cours devaient être rendues

5 compte, il devait être rendu compte de toutes les missions à Sljivancanin.

6 Question: Et qu'en est-il des Chetniks, des forces paramilitaires? Est-ce

7 qu'elles aussi considéraient Sljivancanin comme leur commandant?

8 Réponse: Il y avait un seul commandement, il commandait aux Chetniks et à

9 tout le monde il était le personnage principal. D'après moi, il était le

10 premier responsable du siège de Vukovar.

11 Question: Est-ce que vous connaissez le bâtiment situé de l'autre côté de

12 la rue et un peu plus bas de la maison de Stanko là où on a emmené les

13 soldats?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Qu'est-ce qui est arrivé à ces soldats une fois qu'ils ont été

16 emmenés dans ces lieux?

17 Réponse: Ils ont été interrogés dans la maison de Stanko après quoi on les

18 a emmenés dans une maison plus vieille d'où ils ne sont pas sortis.

19 Question: Vous les avez vus entrer dans cette maison vivants, n'est-ce

20 pas?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Est-ce que vous les avez vus ressortir de cette maison vivant?

23 Réponse: Non.

24 Question: Est-ce que vous avez vu des corps sortirent de cette maison ou

25 est-ce que simplement vous ne les avez plus jamais revus?

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1 Réponse: Non.

2 Question: Dans les deux dernières semaines avant la chute de Vukovar,

3 quelles étaient les conditions pour vous et les autres soldats qui vous

4 accompagnaient?

5 Réponse: Ce n'étaient pas des conditions humaines, on ne dormait plus, on

6 était sans arrêt sur les lignes.

7 Question: Pendant cette période, est-ce que les combats contre les forces

8 croates se sont intensifiés?

9 Réponse: Oui, l'artillerie frappait la ville et en fait c'étaient des

10 combats rue par rue, des combats tactiques.

11 Question: Le jour où la JNA a repris le centre de la ville aux force

12 croates, est-ce que vous étiez sur la ligne de front?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Est-ce que vous avez eu l'occasion de circuler dans le centre de

15 la ville?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Qu'est-ce que vous y avez vu?

18 Réponse: Il y avait beaucoup de morts parmi les civils.

19 Question: Est-ce que vous pensez qu'il s'agissait de gens qui avaient été

20 tués pendant la bataille à cause des obus ou des gens qui ont été tués

21 très récemment?

22 Réponse: Il y en avait qui étaient morts à cause d'obus et il y en avait

23 qui étaient morts de coups de feu.

24 Question: Ce même jour, est-ce que vous avez vu des civils rassemblés en

25 vue d'une évacuation?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Où est-ce qu'ils étaient rassemblés?

3 Réponse: On les rassemblait dans des endroits précis, à côté de la pompe à

4 essence dans le centre de la ville après quoi on les a transférés vers

5 Velepromet ou Unipromet? Je ne sais plus exactement comment s'appelle cet

6 endroit.

7 Question: Est-ce que vous avez participé à cette évacuation?

8 L'interprète: Je n'ai pas entendu le témoin.

9 M. Williamson (interprétation): Monsieur le Président, je crois que le

10 micro ne marche pas.

11 M. le Président: Allez-y, vous m'entendez, moi?

12 M. Williamson (interprétation): Je vais répéter la dernière question. Est-

13 ce que vous avez participé à cette évacuation des civils depuis la pompe à

14 essence jusqu'à Velepromet ou Unipromet?

15 Témoin A (interprétation): Oui.

16 Question: Comment est-ce que vous y avez participé? Quel a été votre rôle?

17 Réponse: J'ai conduit des civils en voiture vers Velepromet et j'ai fait

18 ce voyage plusieurs fois.

19 Question: Et c'étaient des civils que vous emmeniez, n'est-ce pas?

20 Réponse: Oui.

21 Question: Est-ce que c'étaient des gens âgés, des gens jeunes, est-ce que

22 vous pouvez décrire l'apparence de la plupart de ces civils?

23 Réponse: Il y avait des personnes âgées, il y avait aussi des enfants.

24 Question: Est-ce que vous avez parlé à ces gens?

25 Réponse: J'ai essayé de leur parler, mais il était impossible de discuter

Page 365

1 avec eux ils étaient vraiment terrorisés.

2 Question: Après avoir aidé à ce transfert des gens, ou est-ce que vous

3 êtes allé?

4 Réponse: Je suis allé dans la rue Nova Ulica à ma base.

5 Question: Vous êtes retourné à la maison où vous logiez, c'est bien cela?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Au cours de la nuit, comment est-ce que les soldats de la JNA et

8 les Chetniks qui étaient présents à Vukovar comment se sont-ils comportés?

9 Réponse: Ils ont célébré, ils ont fêté, ils ont tiré dans tous les sens je

10 ne sais pas quoi vous dire. Ca tirait de partout.

11 Question: Tôt le matin, est-ce que vous avez rencontré le capitaine Radic?

12 Réponse: Oui, je n'ai pas compris la question.

13 Question: Le lendemain matin, est-ce que vous avez vu le capitaine Radic?

14 Réponse: Le lendemain matin, oui.

15 Question: Où est-ce que vous l'avez vu?

16 Réponse: A la base, et de là où nous sommes partis vers l'hôpital.

17 Question: Vous avez accompagné le capitaine Radic à l'hôpital en partant

18 de la maison de Stanko, c'est bien cela?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Lorsque vous êtes arrivé à l'hôpital, qu'est-ce que vous y avez

21 vu?

22 Réponse: L'hôpital était plein de malades, les sous-sols étaient plein,

23 tout était plein.

24 Question: Est-ce que vous êtes entré dans l'hôpital même avec le capitaine

25 Radic?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Est-ce que vous y avez également vu le major Sljivancanin?

3 Réponse: Oui.

4 Question: Est-ce que vous avez vu Sljivancanin parler avec l'un quelconque

5 des Serbes locaux?

6 Réponse: Sljivancanin et Radic sont partis ensemble. Moi, je ne suis entré

7 que dans les sous-sols de l'hôpital et eux ont continué plus loin.

8 Question: Et vous ne les avez pas accompagnés dans le reste du bâtiment,

9 c'est bien cela?

10 Réponse: Non.

11 Question: A un certain moment ce matin-là, est-ce que vous avez vu des

12 blessés que l'on faisait sortir du bâtiment de l'hôpital?

13 Réponse: Oui, les blessés sortaient par l'entrée secondaire de l'hôpital.

14 Enfin je ne sais pas exactement s'il s'agissait de blessés, je dirais des

15 malades, en tout cas un certain nombre de gens sont sortis par la sortie

16 secondaire.

17 Question: Est-ce que ces gens semblaient être sous la garde des soldats de

18 la JNA?

19 Réponse: Tout l'hôpital était sous la garde de la JNA.

20 Question: Combien de temps êtes vous resté à l'intérieur du bâtiment de

21 l'hôpital?

22 Réponse: Je ne suis pas resté longtemps à l'hôpital.

23 Question: Est-ce que vous avez passé un long moment à l'extérieur du

24 bâtiment?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: Alors que vous étiez à l'extérieur du bâtiment de l'hôpital,

2 est-ce que vous avez vu ce qui se passait avec ces gens qu'on avait fait

3 sortir par la sortie secondaire?

4 Réponse: Il y avait des camions qu'on remplissait et qui ensuite partaient

5 dans une certaine direction.

6 Question: Pendant que vous étiez à l'hôpital, est-ce que vous aviez eu

7 l'occasion de parler avec un soldat ou avec un Chetnik au sujet du sort

8 réservé à ces hommes?

9 Réponse: Oui, d'après ce qu'ils racontaient il fallait tous les tuer de

10 toute façon ils ne méritaient rien de mieux.

11 Question: Et finalement où est-ce que vous êtes allé?

12 Réponse: Je suis retourné pour rentrer chez moi là où j'habitais.

13 Question: Il s'agit bien de la maison dans la rue de Nova Ulica où vous

14 étiez cantonné?

15 Réponse: Oui.

16 Question: Un peu plus tard dans la soirée, est-ce que vous avez eu

17 l'occasion de retourner dans la maison de Stanko.

18 Réponse: Oui. Je suis retourné dans la maison de Stanko pour voir ce qui

19 se passait et là se trouvait le capitaine Radic, mais il était tellement

20 nerveux qu'il était impossible de parler avec lui. Il était dans un état

21 inhabituel.

22 Question: Est-ce que vous l'aviez jamais vu auparavant se comporter de la

23 sorte?

24 Réponse: Non.

25 Question: Est-ce qu'il y avait d'autres gens présents à part lui?

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1 Réponse: Dans une autre pièce il y avait Vidacek et Stuka.

2 Question: Est-ce que vous avez entendu l'un quelconque de ces hommes

3 parler des blessés qui avaient été emmenés de l'hôpital plus tôt dans la

4 journée?

5 Réponse: Oui, ils racontaient qu'en bas tout le monde avait été tué et

6 qu'il n'y avait pas de survivants. Je les ai entendus, j'ai entendu Stuka

7 en tout cas le dire.

8 Question: Quelle était leur humeur, leur comportement pendant qu'ils

9 parlaient de la sorte?

10 Réponse: Ils étaient gais, très fiers d'eux-mêmes.

11 Question: Où se trouvait le capitaine Radic à ce moment-là?

12 Réponse: Le capitaine Radic était dans l'autre pièce.

13 Question: Est-ce qu'il était près de l'endroit où se trouvaient ces

14 hommes?

15 Réponse: Oui, il y avait juste une porte qui les séparait.

16 Question: Est-ce qu'il était en mesure d'entendre ce qu'ils disaient?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Quelle a été sa réaction à ces propos? S'il y a eu une réaction?

19 Réponse: Non.

20 Question: Vidacek et Stuka qui parlaient de la sorte faisaient-ils partie

21 de la même unité d'infanterie spéciale que la vôtre?

22 Réponse: Oui.

23 Question: Donc le capitaine Radic était leur commandant direct, n'est-ce

24 pas?

25 Réponse: Oui.

Page 369

1 Question: Le jour suivant, le lendemain, est-ce que vous avez eu

2 l'occasion d'aller à l'entrepôt de Velepromet ou Unipromet?

3 Réponse: Oui, il y avait un certain Zlatko, croate, qui était néanmoins

4 prisonnier à Velepromet.

5 Question: Et pourquoi êtes vous allé là pour le voir?

6 Réponse: J'ai essayé de le sauver de cette prison, de le faire sortir.

7 Question: Pendant cette journée-là, avez-vous eu la possibilité de parler

8 avec Vidacek ou Stuka de ce qu'il s'était passé à Ovcara?

9 Réponse: Oui.

10 Question: Qu'est-ce qu'ils ont dit? Qu'est-ce qu'il s'était passé?

11 Réponse: Que tous ceux qui étaient là, étaient tués. Qu'il n'y avait pas

12 de survivant.

13 Question: Est-ce qu'on en a parlé ouvertement parmi les soldats de la JNA

14 et des troupes paramilitaires?

15 Réponse: C'est ça, ils se sont même vantés à ce sujet.

16 Question: Combien de temps êtes vous resté à Vukovar après cet événement?

17 Réponse: Qu'est-ce que vous entendez après la chute de la ville.

18 Question: C'est ça.

19 Réponse: Une quinzaine de jours, peut-être une vingtaine.

20 Question: Et pendant ce temps qu'est-ce qui s'était passé? Qu'est-ce qu'il

21 se passait dans la ville?

22 Réponse: Il y a eu des pillages, ils volaient tout ce qu'ils pouvaient.

23 Ils vidaient des maisons.

24 Question: Est-ce qu'il y a eu la discipline des soldats? Est-ce que les

25 commandants ont essayé de les contrôler?

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1 Réponse: Non cela n'a plus été une armée, c'était chaotique.

2 Question: Quand vous avez quitté Vukovar?

3 Réponse: Alors je suis allé à Belgrade dans la caserne.

4 Question: Avec qui êtes-vous allé à Belgrade?

5 Réponse: Nous sommes allés en camions, ceux qui ont survécu.

6 Question: Combien de personnes ont été à l'origine de votre Brigade?

7 Réponse: Je ne peux pas le dire exactement.

8 Question: Comment est-ce qu'on vous a reçu à Belgrade lorsque vous êtes

9 rentré?

10 Réponse: C'était comme au départ il y a eu des civils, ils nous ont jeté

11 des fleurs, encore plus de fleurs.

12 Question: A votre connaissance, y avait-il des soldats qui ont admis la

13 participation dans les passages à tabac? Ont-ils été punis?

14 Réponse: Non. Il a pu seulement être loué pour ça.

15 Question: A ce moment, Monsieur le Président, j'aimerais montrer à notre

16 témoin la pièce à conviction 23 que nous avons déjà montrée auparavant. Je

17 voudrais qu'il identifie certaines personnes que l'on voit. A la vidéo il

18 y a un soldat, pouvez-vous arrêter ceci. Allez en arrière. C'est ça.

19 L'individu qui se trouve à gauche de l'homme chauve qui a un béret, c'est

20 qui?

21 Réponse: C'est Zvone Stuka, mon collègue, mon ancien collègue.

22 Question: Merci. Vous pouvez procéder, voilà. Un peu plus loin, s'il vous

23 plaît. Voilà. Pouvez-vous identifier la personne qui vient de baisser la

24 main?

25 Réponse: C'est le capitaine Radic.

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1 Question: Et qui est-ce celui qui se trouve à droite avec le béret rouge?

2 Réponse: Sirco, c'est un Chetnik de la région.

3 Question: Pouvez-vous continuer sur l'image suivante? Et s'il vous plaît,

4 arrêtez ici. Un peu plus loin, s'il vous plaît. Voilà. Qui est cette

5 personne-ci?

6 Réponse: C'est le major Sljivancanin.

7 Question: Reconnaissez-vous la situation? C'était quand?

8 Réponse: Oui, j'étais dans la Chambre lorsqu'il parlait avec un chef avec

9 un collègue, ils se sont disputés.

10 Question: Pouvez-vous nous expliquer encore une fois, ça n'a pas été très

11 clair?

12 Réponse: Lorsqu'il a parlé à l'officier croate pour lui dire de venir

13 prendre un café, ils se sont disputés.

14 Question: Pouvez-vous continuer à l'image suivante.

15 (Diffusion de la vidéo.)

16 Encore un peu en arrière, commencez maintenant?

17 Réponse: A Negoslavci, il était pendant une courte durée où il discutait,

18 c'était la voix de la vidéo.

19 Question: Vous reconnaissez cet endroit-là?

20 Réponse: Oui.

21 Question: C'est où?

22 Réponse: A Negoslavci.

23 Question: C'est bien l'état-major de Negoslavci.

24 Réponse: C'est ça.

25 Question: Est-ce que c'est Milan Mrksic que vous voyez?

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1 Réponse: C'est ça, c'est l'individu qui porte le béret militaire.

2 Question: C'était lui le commandant de votre Brigade?

3 Réponse: Oui.

4 M. Williamson (interprétation): Merci c'est tout à propos de la vidéo.

5 Merci encore une fois.

6 Monsieur le Président, je n'ai plus de question pour ce témoin.

7 (Questions du Juge Riad au témoin A.)

8 M. Riad (interprétation): Vous avez mentionné que dans le centre de

9 Vukovar il y a eu des corps de civils, pouvez-vous dire si c'étaient des

10 individus tués lors des combats? Y avait-il des armes à côté où c'étaient

11 simplement des corps de civils là, sans trace de résistance?

12 Témoin A (interprétation): Oui, il n'y a pas eu d'arme, il s'agissait de

13 personnes civiles.

14 Question: Y en avait-il en grand nombre?

15 Réponse: Je ne peux pas vous dire exactement combien. Il y en avait

16 beaucoup.

17 Question: Vous avez également mentionné que les soldats croates ont été

18 emmenés dans une vieille maison et qu'après il n'y a pas eu de trace de

19 ces soldats une fois qu'ils étaient dans la maison. Vous en avez conclu

20 qu'ils ont été massacrés, tués où est-ce que vous avez d'autres

21 informations? Quel était leur sort? Où on les a emmenés?

22 Réponse: On les a emmenés dans sa maison. On a pu voir que là, comprendre

23 de la situation qu'ils les ont tués. Celui qui est entré dans cette maison

24 n'en est jamais sorti.

25 Question: Qui a pilonné la ville et l'a détruite? C'était bien les soldats

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1 de la JNA?

2 Réponse: Oui, les Chetniks qui étaient là, les soldats pas vraiment les

3 soldats, nous sommes rentrés à Belgrade dans la caserne.

4 Question: Stuka, votre collègue et Vidacek étaient-ils des soldats de la

5 JNA ou les Chetniks JNA? Etaient-ils présents à Ovcara pendant tout ce

6 qu'il se passait là-bas ou bien ont-ils seulement entendu d'Ovcara?

7 Réponse: D'après ce qu'ils racontaient ils y étaient présents, mais je ne

8 sais pas si on en parlait. Ils devaient être présents.

9 Question: Est-ce que le capitaine Radic était là?

10 Réponse: Je ne sais pas. Je ne peux pas le dire.

11 Question: Vous ne pouvez pas le dire?

12 Réponse: Il y avait un autre point, vous avez dit que vous étiez le

13 messager pour Radic et Sljivancanin. Quelles étaient leurs relations, qui

14 avaient des ordres?

15 Réponse: Sljivancanin était un supérieur officier de rang supérieur c'est

16 lui qui distribuait les ordres à ces inférieurs. Il ne s'agissait pas

17 seulement de mon unité, il y avait au moins trois ou quatre unités dans le

18 cadre de ce Bataillon.

19 Question: Et le rôle de Mrksic dans cette situation, qu'est-ce que

20 c'était?

21 Réponse: Le Gal Mrksic a été le commandant en chef de toutes les unités qui

22 partaient de la caserne de maréchal Tito parce que c'est lui qui était le

23 commandant de la Brigade.

24 Question: En ce qui concerne Vukovar, quelles étaient ses responsabilités?

25 Quelle était sa situation?

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1 Réponse: D'après ce que je comprends de la situation dans la caserne sans

2 lui rien n'a pu être fait parce que c'était lui qui distribuait des ordres

3 aux officiers et aux soldats.

4 M. Riad (interprétation): Merci beaucoup.

5 (Question de M. le Président au témoin A.)

6 M. le Président: Monsieur le témoin, comment avez-vous terminé cette

7 période de cette guerre, vous personnellement? Autrement dit après ces

8 événements quelle a été votre situation à la fois par rapport à l'unité

9 militaire dans laquelle vous étiez enrôlé et à titre personnel, qu'est-ce

10 que vous avez fait?

11 Témoin A (interprétation): Après mon retour, j'aurais dû rester à la

12 caserne. J'ai dû signer un contrat que je voulais rester. Je n'étais pas

13 d'accord avec cela, j'ai pris la décision de m'évader de la caserne.

14 Question: Que faites-vous maintenant, sauf si vous estimez que les

15 renseignements que vous donnerez seraient de nature à vous identifier? En

16 conséquence de quoi, je retirerai ma question. Je retire ma question si

17 vous le voulez bien. Vous étiez certainement nombreux, étiez-vous nombreux

18 dans votre situation, c'est une situation qui doit être très difficile?

19 Vous étiez donc auprès des responsables, des plus hauts responsables, est-

20 ce que vous étiez beaucoup de Bosniaques musulmans comme vous à Vukovar

21 dans une situation qui a dû être très cruelle et très pénible pour vous?

22 Réponse: Non, nous n'étions pas très nombreux. Je sais ceux qui sont

23 morts, c'est difficile.

24 M. le Président: Le Tribunal vous remercie et il est très sensible à votre

25 venue. Il vous souhaite de retourner chez vous avec la plus grande

Page 375

1 quiétude possible. On va assurer votre protection pour vous. Vous n'allez

2 pas bouger jusqu'à ce que vous dise, nous allons fermer les rideaux.

3 (Le témoin A est reconduit hors du prétoire.)

4 Comme nous l'avons dit au tout début de l'audience, nous allons levez

5 l'audience maintenant et la reprendre demain matin à 9 heures 30 pour

6 entendre les deux derniers témoins. L'audience est levée.

7 (L'audience est levée.)

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