DEVANT TROIS JUGES DE LA CHAMBRE D’APPEL

 

Devant : M. le Juge Antonio Cassese, Président

M. le Juge Haopei Li

M. le Juge Jules Deschênes

Assistés de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le : le 6 décembre 1996

 

LE PROCUREUR

C/

ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"

__________________________________________________________

DÉCISION
RELATIVE A LA DEMANDE D’AUTORISATION
D’INTERJETER APPEL (VICES DE FORME DE L’ACTE D’ACCUSATION)
FORMÉE PAR HAZIM DELIC

_____________________________________________________________

 

Le Bureau du Procureur :

M. Eric Ostberg

Mme Teresa McHenry

Le Conseil de la Défense :

M. Salih Karabdic, représentant Hazim Delic

 

 

I

LA DEMANDE D'AUTORISATION D'INTERJETER APPEL

1. En déposant une demande au Greffe le 22 novembre 1996, l'accusé Hazim Delic souhaite introduire un recours contre la "Décision relative à l'exception préjudicielle de l'accusé Hazim Delic concernant des vices de forme de l'Acte d'accusation" ("Décision") rendue par la Chambre de première instance II le 15 novembre 1996 dans l'affaire du Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Mucic alias "Pavo", Hazim Delic, Esad Landzo (IT-96-21-T). Dans la Décision, la Chambre a rejeté l'exception préjudicielle de l'accusé concernant des vices de forme de l'Acte d'accusation.

 

2. La demande d'autorisation d'interjeter appel est établie conformément à l'article 72 du Règlement libellé ainsi :

B) La Chambre se prononce sur les exceptions préjudicielles in limine litis. Les décisions ainsi rendues ne sont pas susceptibles d'appel, sauf

i) dans le cas où la Chambre a rejeté une exception d'incompétence; il y a alors appel de plein droit;

ii) dans les autres cas, lorsque l'autorisation d'appeler est accordée par trois Juges de la Chambre d'appel, pour autant que le requérant ait démontré l'existence de motifs sérieux dans les sept jours de la décision entreprise;

3. L'accusé invoque un certain nombre d'arguments à l'appui de sa demande qui, par souci de commodité, peuvent être résumés comme suit :

a) L'Acte d'accusation n'a pas établi la compétence du Tribunal dans la présente affaire;

b) L'Acte d'accusation est incomplet et/ou enfreint le principe nullum crimen sine lege;

c) L'Acte d'accusation est vague;

d) L'Acte d'accusation n'établit pas de distinction entre les diverses accusations et expose donc l'accusé au danger d'une "double incrimination" et/ou est contraire au principe non bis in idem;

e) L'Acte d'accusation invoque des faits qui sont erronés.

a) L'Acte d'accusation n'a pas établi la compétence du Tribunal dans la présente affaire:

4. Cet argument soulève une question préliminaire qui porte sur le problème même de savoir s'il convient que la demande soit examinée par trois Juges de la Chambre d'appel ou par la Chambre d'appel composée de cinq Juges siégeant en plénière. La question préliminaire consiste à déterminer s'il s'agit d'un appel fondé sur une exception d'incompétence -il y a alors appel de plein droit en vertu de l'article 72 (B)(i)- ou non, auquel cas il n 'est possible d'interjeter appel que si l'autorisation a été accordée par trois Juges de la Chambre d'appel, pour autant que le requérant ait démontré l'existence de motifs sérieux, conformément à l'article 72 (B)(ii).

5. Dans sa demande, l'accusé fait valoir que le fait d'avoir soulevé une exception pour vices de forme de l'Acte d'accusation " revient à dire que la compétence du Tribunal n'a pas été établie et que cette exception doit être considérée comme une exception d'incompétence" (Demande, p.1, par. 1). Il s'ensuit que dans sa demande, le requérant suggère à la Chambre d'appel de "traiter son appel comme un appel concernant le droit d'interjeter appel", c'est-à-dire de plein droit "ou à défaut ... d'accorder l'autorisation d'interjeter appel". Idem p.2.

6. Les motifs invoqués par l'accusé pour faire valoir que son exception pour vices de forme de l'Acte d'accusation est une exception d'incompétence, reposent sur le fait que l'Acte d'accusation ne renvoie pas aux normes du droit international humanitaire, auxquelles il est reproché à l'accusé d'avoir contrevenu, mais seulement aux articles pertinents du Statut du Tribunal. L'accusé soutient que l'Acte d'accusation, au contraire, doit faire mention des normes du droit international humanitaire et non se référer tout bonnement aux articles du Statut étant donné que celui-ci n'est pas un code pénal créant légalement des incriminations mais qu'il se contente d'autoriser le Tribunal à poursuivre des infractions déjà considérées comme telles au regard du droit international humanitaire.

7. Le requérant fait donc valoir comme premier argument que le Tribunal n'a pas établi sa compétence en la présente affaire.

b) L'Acte d'accusation est incomplet et/ou enfreint le principe nullum crimen sine lege;

8. L'absence de toute référence aux normes du droit international humanitaire que l'accusé aurait violées est également citée comme étant une exception pour vices de forme de l'Acte d'accusation en raison de son caractère incomplet. Le requérant fait valoir qu'il est difficile de se défendre contre les faits qui lui sont reprochés dans l'Acte d'accusation si celui-ci ne renvoie pas aux normes sur lesquelles il se fonde. Il soutient notamment que, dans ces circonstances, le principe nullum crimen sine lege se trouve violé et qu'il est porté atteinte à son droit à un procès équitable.

c) L'Acte d'accusation est vague

9. L'accusé affirme en outre que l'Acte d'accusation ne présente pas "un exposé succinct des faits ni du ou des crimes reprochés à l'accusé en vertu du Statut" comme l'exige l'article 18 4) du Statut. L'accusé conteste le fait que de nombreuses accusations se présentent sous la forme d'alternatives dont les termes s'excluent mutuellement, par exemple "savait" par opposition à "avait des raisons de savoir", "étaient sur le point de commettre" par opposition à "avaient commis", et "n'a pas pris les mesures pour empêcher que ces actes ne soient commis" par opposition à "n'a pas pris les mesures pour en punir les auteurs". L'accusé considère que chaque chef d’accusation ne doit comporter qu'une seule formulation.

 

 

d) L'Acte d'accusation n'établit pas de distinction entre les diverses accusations et il expose donc l'accusé au danger d'une "double incrimination" et/ou est contraire au principe non bis in idem;

10. L'accusé soutient que l'Acte d'accusation n'établit pas de distinction entre les diverses accusations; en particulier, il n'établit pas de distinction entre les crimes commis à titre individuel et ceux commis en tant que supérieur hiérarchique. En d'autres termes, l'accusé est mis en accusation pour certains crimes à la fois en tant que participant direct et en tant que supérieur hiérarchique, par exemple paragraphes 35, (chefs d'accusation 46 et 47), 36 (chef d'accusation 48) et 37 (chef d'accusation 49).

11. L'accusé se plaint donc dans sa Demande de l'existence du danger de "double incrimination", c'est-à-dire d'être puni deux fois pour la même infraction, en ce qui concerne sa qualité présumée de participant direct et de supérieur hiérarchique ou de commandant.

12. L'accusé se plaint également de l'existence d'une "double incrimination" en ce qui concerne la présentation cumulative des infractions qui lui sont reprochées dans l'Acte d'accusation.

e) L'Acte d'accusation invoque des faits qui sont erronés

13. L'accusé reproche également à l'Acte d'accusation de n'avancer aucun fait concernant son poste de commandant adjoint et de ne pas démontrer comment un commandant adjoint peut être responsable en tant que commandant.

14. L'accusé invoque également la qualification erronée du conflit en Bosnie-Herzégovine.

 

II

REPONSE DE L'ACCUSATION

15. Le Procureur a déposé le 28 novembre 1996 sa réponse à la Demande. Dans la "Réponse de l'Accusation à la demande d'autorisation d'interjeter appel de la décision de la Chambre rejetant l'exception préjudicielle concernant des vices de forme de l'Acte d'accusation" ("Réponse de l'Accusation"), le Procureur fait valoir que l'accusé n'a pas fait la preuve de l'existence d'une erreur grave dans la Décision de la Chambre de première instance qui justifierait d'accorder l'autorisation d'interjeter appel. Le Procureur soutient que :

"...la Défense n'essaye même pas de montrer en quoi la Chambre de première instance a fait fausse route lors de son examen de la contestation fondée sur des vices forme de l'Acte d'accusation. En fait, l'accusé ne fait que répéter ses arguments initiaux auxquels il a été intégralement répondu dans la réponse initiale du Procureur à l'exception préjudicielle et qui ont tous été entièrement examinés et rejetés à juste titre dans la Décision de la Chambre de première instance du 15 novembre 1996". Réponse de l'Accusation, p.3.

III

LE CHAMP D'APPLICATION DE L'ARTICLE 72(B)(ii)

16. Cet article du Règlement a été appliqué pour la première fois dans le cadre de la Décision relative à la demande d'autorisation d'interjeter appel (disjonction d'instances)" rendue par les présents Juges le 14 octobre 1996 concernant l'accusé Zejnil Delalic. Comme les trois Juges l'ont fait remarquer, trois critères doivent être réunis simultanément chaque fois qu'une demande d'autorisation d'interjeter appel est introduite en vertu de l'article 72 (B)(ii) :

1) La demande concerne-t-elle l’une des matières visées à l’article 73(A)(ii), (iii), (iv) ou (v) ?

2) La demande est-elle futile, vexatoire, manifestement dépourvue de fondement, destinée à abuser de la procédure du Tribunal ou tellement vague et imprécise qu’elle ne saurait être sérieusement prise en considération ?

3) La demande fait-elle la démonstration de l'existence de "motifs sérieux" ? En d’autres termes, démontre-t-elle l’existence d’une erreur grave qui pourrait causer un préjudice important à l’accusé ou nuire à l’intérêt de la justice, ou soulève-t-elle des questions non seulement d’importance générale, mais qui exercent également une influence directe sur l'évolution future de la procédure, dans la mesure où l’arrêt de la Chambre d’appel aurait des répercussions considérables sur la suite de la procédure engagée devant la Chambre de première instance?

IV

DISCUSSION

17. En ce qui concerne le premier de ces critères, il est clair que la demande de Hazim Delic porte sur les vices de forme de l'Acte d'accusation qui est l'une des matières couvertes par l'article 73(A), à savoir l'article 73 (A) (ii) et entre donc dans le champ de compétence de la Chambre d'appel en matière préjudicielle.

18. S'agissant du deuxième critère, les trois Juges ne considèrent pas que la demande est futile, vexatoire, manifestement dépourvue de fondement, destinée à abuser de la procédure du Tribunal ou tellement vague et imprécise qu'elle ne saurait être prise en considération sérieusement.

19. Les Juges abordent donc l'examen du troisième critère : la demande fait-elle la démonstration de l'existence de motifs sérieux, à savoir démontre-t-elle l'existence d'une erreur grave dans la décision qui pourrait causer un préjudice important à l'accusé ou nuire à l'intérêt de la justice, ou soulève-t-elle des questions non seulement d'importance générale, mais qui exercent également une influence directe sur l'évolution future de la procédure, dans la mesure où l'arrêt de la Chambre d'appel aurait des répercussions considérables sur la suite de la procédure engagée devant la Chambre de première instance?

20. Le requérant a soulevé cinq arguments dans sa Demande; ils sont énumérés à la section I du présent document et seront analysés un par un.

a) L'Acte d'accusation n'a pas établi la compétence du Tribunal dans la présente affaire

21. La première question à laquelle il convient de répondre est la suivante : S'agit-il d'un appel fondé sur l'exception d'incompétence -il y a alors appel de plein droit en vertu de l'article 72 (B)(i)- ou d'un appel qui ne peut être interjeté qu'après autorisation accordée par les trois Juges de la Chambre d'appel, pour autant que le requérant ait démontré l'existence de motifs sérieux, conformément à l'article 72 (B)(ii)?

22. Ayant examiné la Demande, les trois Juges sont d'avis qu'il ne s'agit pas d'un appel fondé sur le rejet d'une exception d'incompétence. L'exception préjudicielle présentée par l'accusé devant la Chambre de première instance, intitulée "L'exception préjudicielle de l'accusé Hazim Delic concernant des vices de forme de l'Acte d'accusation", n'a pas soulevé la question de l'exception d'incompétence. Il s'ensuit que dans sa Décision, la Chambre de première instance n'a pas examiné la question de savoir si elle avait compétence ou non pour se saisir de l'affaire. Il est bien établi que, puisque l'exception préjudicielle de l'accusé n'a pas soulevé la question de la compétence devant la Chambre de première instance, cette question ne peut pas être soulevée maintenant pour la première fois devant la Chambre d'appel.

23. Les trois Juges considèrent donc que la Demande ne doit pas être traitée comme un appel fondé sur l'exception d'incompétence qui serait alors interjeté de plein droit (dans l'hypothèse, bien entendu, où la Chambre de première instance aurait déjà statué sur la question), mais comme un appel pour lequel une autorisation est exigée.

24. Les trois Juges font également remarquer, subsidiairement, que la Demande dont ils sont saisis est intitulée "Appel de la Décision relative à l'exception préjudicielle concernant des vices de forme de l'Acte d'accusation", et qu'elle porte avant tout sur les vices de forme de l'Acte d'accusation. Elle ne prétend donc pas, même prima facie être un appel fondé sur l'exception d'incompétence. Cela justifie également que les trois Juges traitent la Demande comme une demande d'autorisation d'interjeter appel en vertu de l'article 72 (B)(ii).

b) L'Acte d'accusation est incomplet et/ou enfreint le principe nullum crimen sine lege;

25. A l'objection soulevée par l'accusé selon laquelle l'Acte d'accusation est incomplet et enfreint le principe nullum crimen sine lege, la Chambre de première instance a répondu :

La Chambre de première instance rejette l'allégation que cet Acte d'accusation enfreint le principe nullum crimen sine lege. L'Acte d'accusation cite les dispositions applicables du Statut qui fondent la responsabilité pénale présumée pour les actes mentionnés dans l'Acte d'accusation. Ce faisant, l'Acte d'accusation informe la Défense de la qualification juridique du crime et permet suffisamment à l'accusé de préparer sa défense (par. 21).

26. L'accusé a sans aucun doute raison quand il déclare que le Statut du Tribunal ne créé pas de nouvelles infractions mais sert à conférer au Tribunal une compétence pour connaître des infractions qui font déjà partie du droit coutumier. Comme l'exprime le Secrétaire général dans son Rapport sur le Statut du Tribunal (S/25704) : "...Le Tribunal international doit appliquer des règles du droit humanitaire international qui font partie sans aucun doute possible du droit coutumier, de manière que le problème résultant du fait que certains Etats, mais non la totalité d'entre eux, adhèrent à des conventions spécifiques ne se pose pas" (par.34).

27. Toutefois, cela n’a pas d’incidence sur la question de savoir si l’Acte d’accusation doit mentionner pour chaque infraction tant l’article pertinent du Statut que la norme pertinente en droit international humanitaire. Pour autant que l’infraction grave au droit international humanitaire incriminée apparaisse clairement pour chaque chef d’accusation, il importe peu de savoir si l’Acte d’accusation se réfère, par exemple, à l’article 2 du Statut ou aux articles correspondants de la Convention de Genève de 1949. Le Statut semble en effet pencher en faveur de la première démarche; l’article 18(4) dit qu’il faut "expose[ r] succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochés à l’accusé en vertu du Statut". Qui plus est, commentant les articles 2, 3, 4 et 5 du Statut dans son rapport de 1993 relatif au Statut du Tribunal, le Secrétaire général de l’ONU a lié clairement les infractions énumérées dans ces articles à leurs sources en droit international humanitaire, par exemple les Conventions de Genève de 1949, la Convention de La Haye (IV) de 1907, la Charte de Nuremberg de 1945 et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. Les trois Juges estiment par conséquent que les articles 2, 3, 4 et 5 du Statut reprennent en abrégé les normes correspondantes de droit international humanitaire et que, s’il y a discussion quant à ces normes, elle doit être tranchée au procès et non sous la forme d’exceptions préjudicielles fondées sur des vices de forme de l’Acte d’accusation.

28. L’accusé argue qu’il lui est difficile de se défendre contre les faits qui lui sont reprochés lorsque l’Acte d’accusation ne mentionne pas les normes de droit sur lesquelles il se fonde. Il soutient en particulier que, dans ces circonstances, le principe nullum crimen sine lege n’est pas respecté et qu’il est porté atteinte à son droit à un procès équitable. A la lumière des observations qui précèdent, les trois Juges estiment ces objections non fondées.

c) L’Acte d’accusation est vague;

29. La défense soutient en outre que, dans l’Acte d’accusation, le Procureur n’expose pas "succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochés à l’accusé en vertu du Statut", ainsi que l’exige l’article 18(4) du Statut.

30. L’accusé conteste en particulier le fait que de nombreuses accusations se présentent sous la forme d’alternatives dont les termes s’excluent mutuellement, par exemple "savait" par opposition à "avait des raisons de savoir", "étaient sur le point de commettre" par opposition à "avaient commis", "n'a pas pris les mesures pour empêcher que ces actes ne soient commis" par opposition à "n'a pas pris les mesures pour en punir les auteurs".

31. Dans sa Décision, la Chambre de première instance n’a pas entièrement répondu à la question que l’accusé avait soulevée au paragraphe 5 de sa Requête devant la Chambre de première instance. Les trois Juges n’y voient cependant pas une erreur grave de la Chambre de première instance. Ces alternatives, admises dans les manuels militaires et en droit international humanitaire, ne rendent pas l’Acte d’accusation irrémédiablement vague, même si le Procureur devrait autant que possible indiquer clairement les agissements et attitudes incriminés.

d) L'Acte d'accusation n'établit pas de distinction entre les diverses accusations et expose donc l'accusé au danger d'une "double incrimination" et/ou est contraire au principe non bis in idem;

32. L’accusé soutient que les accusations portées au titre de crimes personnellement commis doivent être distinguées de celles portées contre une personne en tant que supérieur hiérarchique. Or, certaines infractions lui sont reprochées à la fois en tant que participant direct et que supérieur, par exemple aux paragraphes 35 (chefs d’accusation 46 et 47), 36 (chef d’accusation 48) et 37 (chef d’accusation 49).

 

33. Répondant à cette objection, la Chambre de première instance a déclaré :

"La Chambre de première instance conclut que l'Acte d'accusation informe suffisamment l'accusé des actes qui lui sont reprochés tant comme participant direct que comme supérieur. De surcroît, l'Acte d'accusation sépare les actes pour lesquels l'accusé est tenu responsable en tant que participant direct et en tant que supérieur hiérarchique. [ ...] " (par.18 de la Décision).

La Chambre de première instance a donc rejeté l'objection, et ce, de l’avis des trois présents Juges, avec raison.

34. Il convient de noter néanmoins que, sur un point, la demande de l’accusé, qui distingue faits reprochés en tant que participant direct et faits reprochés en tant que supérieur se justifie, à savoir que sous les chefs d’accusation imputant à des supérieurs hiérarchiques la responsabilité d’actes commis par des subordonnés, il n’est pas fait référence aux dispositions du Statut traitant de la responsabilité d’actes commis par des subordonnés, en substance l’article 7(3) du Statut du Tribunal. Les trois Juges sont d’avis que ledit paragraphe devrait être mentionné explicitement chaque fois qu’il est invoqué; il était cependant impossible pour l’accusé de se méprendre à la lecture de l’Acte d’accusation quant à l’article auquel il était fait référence lorsqu’était employée l’expression "savait ou avait des raisons de savoir".

35. L’accusé conteste aussi le fait qu’en plusieurs endroits de l’Acte d’accusation, il lui est reproché d’avoir commis deux crimes différents par un même acte ou omission, puisqu’il est accusé chaque fois d’une infraction grave "et" d’une violation des lois ou coutumes de la guerre pour les mêmes actes. Sur ce point, la Chambre de première instance a repris l'argumentation qu'elle avait développée dans une discussion identique relative à l’affaire Tadic :

"En tout état de cause, puisqu’il s’agit d’une question qui n’est pertinente que dans la mesure où elle touche à la peine, son examen relève davantage de cette question, si elle vient à se poser. Cependant, ce que l’on peut dire avec certitude c’est que la peine ne peut pas être rendue tributaire de ce que les accusations relatives à des crimes provenant du même comportement sont formulées cumulativement ou alternativement. La peine sanctionne un comportement criminel prouvé et ne dépend pas de points techniques relatifs à la présentation des arguments." [ Le Procureur contre Tadic, Décision sur l’exception préjudicielle de la défense relative à la forme de l’Acte d’accusation, p.10 (N°IT-94-1-T, Chambre de première instance II, 14 novembre 1995)] .

36. Les trois Juges n’estiment pas que cette argumentation fasse apparaître une erreur, encore moins une erreur grave, qui justifie l’autorisation d’interjeter appel.

e) L'Acte d'accusation invoque des faits qui sont erronés.

37. Sous cet intitulé, l’accusé reproche à l’Acte d’accusation de n’avancer aucun fait concernant son poste de commandant adjoint et de ne pas démontrer comment un commandant adjoint peut être responsable en tant que commandant. Sur le plan des faits toujours, l’accusé soutient que le Procureur a qualifié de manière erronée le conflit de Bosnie-Herzégovine.

38. Les trois Juges estiment que la Chambre de première instance a eu raison de déclarer qu’il s’agissait là de points de fait qui seraient examinés lors du procès. Concernant le dernier point, on remarquera qu’il n’a pas été soulevé en tant qu’exception d’incompétence du Tribunal, c’est-à-dire en tant qu’exception fondée sur le fait que le conflit armé en Bosnie-Herzégovine aurait été qualifié de manière erronée; il n’y a donc pas appel de plein droit sur cette question. S’agissant plutôt d’une exception fondée sur des vices de forme de l’Acte d’accusation, le droit d’appeler est sujet à autorisation, laquelle est refusée parce que l’exception soulevée se fonde sur des points de fait qui seront examinés lors du procès.

39. L’accusé soulève deux autres questions qui n’impliquent cependant pas une erreur de la part de la Chambre de première instance, et encore moins des "motifs sérieux" justifiant une autorisation d’interjeter appel, à savoir :

a) que l’examen non contradictoire de l’Acte d’accusation au titre de l’article 47 attente au principe audi alteram partes;

b) qu’il doit y avoir des "raisons plausibles" de soupçonner que l’accusé a commis les infractions incriminées.

40. Les trois Juges ne voient pas dans l’un quelconque de ces arguments de "motifs sérieux" justifiant l’octroi de l’autorisation d’interjeter appel visée à l’article72(B)(ii).

 

V

DISPOSITIF

LES TROIS JUGES DE LA CHAMBRE D’APPEL

STATUANT à l’unanimité,

PAR CES MOTIFS,

VU l’article 72(B)(ii) du Règlement de procédure et de preuve,

REJETTENT la Requête de l’accusé Hazim Delic aux fins d’être autorisé à interjeter appel de la Décision du 15 novembre 1996 relative à l'exception préjudicielle concernant des vices de forme de l'Acte d'accusation.

Fait en anglais et en français, la version anglaise faisant foi.

Antonio Cassese
Président

Fait le six décembre 1996
à La Haye,
Pays-Bas

[ Sceau du Tribunal]